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La Révolution blanche en Iran vue par la Chahbanou

« Cette révolution devait faire de l'Iran un pays moderne sans qu'une goutte de sang soit
versée » C'est ainsi que Farah Pahlavi résume la Révolution Blanche dans ses mémoires publiées en
2003.
Le Chah Mohammad Rezâ Pahlavi épouse Farah Diba en 1959 qui devient « maleke »
(reine). Il venait de divorcer pour la 2e fois. Elle est sa 3e épouse et la première à lui donner un
héritier mâle, en 1960. En 1967, elle est couronnée « Chahbanou » (impératrice), c'est une première
en Iran. C'est l'occasion de montrer la puissance du Chah et de présenter l'héritier dans une grande
cérémonie aux airs napoléoniens. La Chahbanou joue un rôle de première dame sans pouvoir réel
mais elle a beaucoup contribué à des œuvres de charité et à l'émancipation des femmes. A cause de
la Révolution islamique, elle s'exile avec le Chah, qui meurt en 1980. Elle vit entre les États-Unis,
Paris et l'Égypte. Elle est toujours en vie aujourd'hui.
Elle publie ses mémoires en 2003, 2 ans après les attentats des Tours jumelles. L'islamisme
est désormais l'ennemi principal de l'Occident et c'est le moment idéal pour présenter le Chah d'Iran
sous un bon jour puisque le régime a succombé à la Révolution islamique en 1979.
Dans ce passage, elle parle de la Révolution blanche dont le plan a fini d'être élaboré en
1962 et a été appliqué entre 1963 et 1968. Déjà, depuis le coup d’État de Mossadegh en 1953 et son
éviction, le Chah avait voulu rompre avec l'image laissée par son père, Rezâ Chah, qui avait
réquisitionné de nombreuses terres. Il commence donc à vendre des villages qu'il avait hérité à des
paysans. C'était une sorte d'essai pour préparer un projet plus ambitieux de partage des terres. Il
reçoit néanmoins des critiques pour revendre ces villages plutôt que de les restituer aux
propriétaires initiaux. En 1960, il fait passer une loi au parlement interdisant de posséder des
domaines fonciers de plus de 400 hectares. Non seulement elle est inapplicable par l'absence de
relevé cadastral, mais en plus, l'Ayatollah Borujerdi lance une fatwa sur cette loi, la déclarant
contraire au Coran. La mort de Borujerdi en 1962 a pu faciliter le désir de reprendre les réformes.
1960, c'est aussi l'élection du président J. F. Kennedy aux États-Unis. La lutte contre le
communisme doit passer par des réformes économiques et sociales pour réduire les disparités entre
les propriétaires fonciers et les paysans.
Dans le 1er paragraphe, Farah Diba introduit la « Révolution blanche » et son but. Puis,
après une coupure, dans le 2e paragraphe, elle parle du désir démocratique du Chah. Dans le 3e
paragraphe, elle parle de la tenue du référendum (entre deux coupures). Dans le 4e paragraphe et
jusqu'à la fin de l'extrait, elle prétend que le peuple approuve les réformes mais que des extrémistes
communistes et islamistes réagissent violemment et méprisent la femme.
Problématique : Pourquoi cette tentative de modernisation du pays, présentée comme une
révolution progressiste, a-t-elle causé tant de résistance ?
I] Une révolution socialiste ou libérale ?
a) Une révolution socialiste ?
b) Une révolution libérale ?
c) Une réforme pragmatique

II] Une modernisation autoritaire


a) Une opposition réprimée
b) Une illusion de démocratie libérale britannique
c) Une modernisation à marche forcée

III] Une résistance forte à la réforme


a) Modernisation ou occidentalisation ?
b) « L'alliance maudite du Rouge et du Noir »

Bibliographie :
Manuel :
Dupont Anne-Laure, Mayeur-Jaouen Catherine, Verdeil Chantal, Histoire du Moyen-Orient du
XIXe-siècle à nos jours,, Paris, Armand Colin, 2016
Il y a une page et demie sur la Révolution blanche. Pratique pour comprendre
synthétiquement la situation.
Ouvrage spécialisé :
Richard Yann, L'Iran. Naissance d'une République islamique, éditions de la Martinière, Paris 2006
J'ai consulté les chapitres 10 et 11 (c'est-à-dire l'intégralité du règne de Mohammad Rezâ
Chah : 1941-1979) afin de comprendre plus précisément les enjeux.
I] Une révolution socialiste ou libérale ?

a) Une révolution socialiste ?


-réforme agraire
En 1960, la moitié des Iraniens, soit 20 millions d'habitants, était paysanne mais 56% des terres
étaient possédées par 1% de la population.
On l'a dit, la réforme commence avec la loi de 1960 interdisant de posséder des domaines
fonciers de plus de 400 hectares mais c'était inapplicable et condamné par l'ayatollah Borujerdi
En 1961, le ministre de l'agriculture Hasan Arsanjâni, fervent partisan de la redistribution
des terres, amende le loi de 1960 et, désormais, les propriétaires fonciers avaient l'interdiction de
posséder plus d'un village. Les domaines appartenant à des fondations pieuses (vaqf) ou exploitées
par des machines directement par le propriétaire étaient exemptés de cette loi.
(lignes 17-22) Le Chah veut favoriser l'industrialisation et la modernisation du pays. Il
espère que les paysans ayant presque alors un statut féodal de serf deviennent des salariés
d'entreprises agro-industrielles équipées de machines et de systèmes d'irrigation.
Les paysans ont accès à des prêts avantageux pour racheter la terre qu'ils cultivent aux
latifundistes (propriétaires terriens).

(1er paragraphe) En plus de cette réforme agraire, déjà commencée en 1961, il annonce 6 points de
sa Révolution blanche en 1962 dont :
-La nationalisation des forêts (pour prévenir la déforestation)
- l'intéressement des travailleurs aux profits de leur entreprise (dont il s'inspire de De Gaulle)
Jusque là, sa révolution a des airs de réforme sociale voire socialiste étatique et plannificateur.

b) Une révolution libérale ?


Dans les autres points de la Révolution blanche, on trouve des mesures plus libérales.
- Le droit de vote des femmes (lignes 12-15)
> Lors du référendum du 26 janvier 1963, il y a beaucoup de protestations de la part des religieux
contre le vote des femmes et dénonçant le fait que ça n'est pas encore entré dans la loi.
> Les femmes sont quand même appelées à voter mais dans une urne à part où leurs votes sont
comptés mais pas pris en compte dans le scrutin total. Elles voteront et pourront être élues à
l'élection suivante en septembre 1963 et 6 femmes seront élues.

- La privatisation des usines nationalisées ressemble à une mesure libérale économiquement


pourtant c'est appréhendé de manière très pragmatique : c'est pour financer la réforme
c) Une réforme pragmatique :
-privatisation de certaines usines nationalisées pour financer la réforme

-réaffirmation du pouvoir du chah sur le parlement et le clergé

-améliorer sa réputation à l'étranger (ligne 1) Il est soutenu par les États-Unis mais, s'il venait à leur
déplaire, ils pourraient se débarrasser de lui

II] Une modernisation autoritaire

a) Une modernisation à marche forcée


(lignes 23-25)
> Cette réforme repose aussi sur une mobilisation des masses à travers le service militaire
obligatoire. La création de l'Armée du Savoir (Sepah-e dânesh), qui faisait partie des 6 points de la
Révolution blanche, en est le plus grand exemple.
Des jeunes ayant terminé le lycée recevaient une formation de 4 mois puis allaient enseigner
4 mois dans les campagnes reculées. Au total, environ 200 000 jeunes ont servi dans l'armée du
savoir et ont enseigné à plus de 2,2 millions de garçons et de filles et 1 million d'adultes entre 1963
et 1979. En 10 ans, le taux d'analphabétisme est passé de 95% à moins de 80%.

Le succès était énorme et cela encouragea par la suite à la création d'autres armées civiles
comme l'Armée de la Santé (Sepah-e Behdascht), créée le 9 février 1964, qui devait améliorer les
soins dans les zones rurales.
Idem pour l'Armée de la Reconstruction et de l'Embellissement (Sepah-e Tarvidsch va
Abadani), créée le 10 janvier 1965, qui devait moderniser l'agriculture et les infrastructures
publiques à la campagne (écoles, bains publics, etc.)

b) Une illusion de démocratie libérale britannique


La présentation que Farah Diba fait du régime iranien nous ferait croire à une démocratie
libérale à la britannique (lignes 5-10) « une monarchie démocratique et ouverte ». Si Farah Diba ne
condamne pas trop sévèrement « l'absolutisme » de Rezâ Chah pour autant, c'est parce que
Mohammad Rezâ Chah utilisa lui aussi des méthodes autoritaires pour faire passer ses réformes.
En 1953, lorsque le premier ministre Mossadegh mena la nationalisation des concessions
britanniques de pétrole iranien et qu'il isola diplomatiquement l'Iran, le Chah voulut le faire arrêter
pour le démettre. Ce fut un échec et le Chah dut s'exiler à Rome car Mossadegh prit les devant en
faisant un coup d’État. Finalement, le général Zahedi reprit le contrôle de la situation et rappela le
Chah en Iran. A la suite de cela, la loi martiale fut décrétée et il interdit tous les partis politiques.
Ce n'est qu'en 1957 que la loi martiale fut levée et deux partis fantoches furent créés :
- Le Melliyun (« nationalistes »), favorable au gouvernement
- Le Mardom (« peuple »), censé être l'opposition
Cette libéralisation de la vie politique n'était donc qu'une façade.

Le référendum de 1963, « apanage des démocraties modernes » (l6) est aussi un moyen de
contourner le parlement. Ce parlement était rempli de grands propriétaires hostiles à la réforme
agraire. Le parlement était d'ailleurs dissous, à la demande du premier ministre Ali Amini, entre
1961 et 1963.

Le Chah était un grand admirateur de De Gaulle et de ses référendums.

Selon l'opposition (et Yann Richard) les résultats des élections et des votes étaient manipulés donc
un référendum est un moyen de faire croire à un soutien populaire fort. Étaient-ils si manipulés que
ça ?

c) Une opposition réprimée


(2e paragraphe)
« une plus grande écoute de ses citoyens » on peut dire ça comme ça puisqu'il avait créé, en 1957, la
SAVAK (acronyme persan pour Organisation pour le renseignement et la sécurité du pays), une
police politique fondée par le général Teymur Bakhtyâr, aidé d'Israël et des États-Unis. La SAVAK
utilisait l'espionnage et la délation ainsi que la torture.

La plupart des partis politiques étaient encore interdits, les meneurs de l'opposition pourchassés et
emprisonnés ou exilés (dont Khomeyni deux fois). Les manifestations pouvaient se terminer dans le
sang.
Il y a une forte censure, des ouvrages de Âl-e Ahmad, militant communiste, par exemple

III] Une résistance forte à la réforme


a) Modernisation ou occidentalisation ?
La modernisation des techniques et de l'économie n'est pas contestée par l'opposition
C'est l'occidentalisation politique et sociale qui pose problème :
Ahmad Fardid dénonce les intellectuels et hommes politiques qui imitent l'occident expliquant qu'
« à singer son maître, l'Iranien dominé n'est qu'une caricature de son identité », il dénonce le désir
de s'occidentaliser des élites tandis que les ulémas(théologien musulman) seraient restés proches du
peuple et fidèles à la nation

b) La montée de Khomeyni
Khomeiny commence à se faire connaître en 1962 alors qu'il fait partie du cercle des théologiens de
Qom (lignes 30- fin). Il critique vivement :
- le vote des femmes
- l'allégeance sur un « livre sacré » ==> jusqu'ici, 4 religions sont reconnues et peuvent prêter
serment sur les 4 livres sacrés des musulmans (coran), juifs (torah), chrétiens (bible) et zoroastriens
(avesta). Les bahâ'is ne sont pas reconnus donc ne peuvent pas, en théorie, participer à la vie
politique. Si c'est précisé juste « livre sacré », ils peuvent. Les Islamistes gagnent sur ce point et la
mention de « livre sacré » est retirée et on revient aux 4 livres précisés.
- l'alphabétisation leur retire du pouvoir car le clergé se chargeait de l'éducation et maintenant c'est
l'armée du savoir

A Qom, en janvier 1963, le Chah fit un discours où il qualifia les ulémas de « réaction
noire » ce qui provoqua des émeutes réprimées avec force par la police.
Le 21 mars de la même année, Khomeiny lui répond à Qom dans un discours où il prédit sa
chute. Il intervient concrètement dans la politique alors qu'il est religieux. La police matraque la
foule.
Le 3 juin 1963, des manifestations rituelles, à Qom encore, à l'occasion du dueil du mois de
Moharram, tournent à l'émeute contre le gouvernement. Trop grande foule, la police n'intervient
pas. Nouveau discours prophétique menaçant de Khomeyni, il est arrêté le 5 juin 1963. Des
manifestations éclatent dans tout l'Iran en réaction. La loi martiale fut remise en place et la
répression fit des centaines de victimes.
Khomeyni finit par être libéré à la faveur d'un changement de gouvernement le 7 avril 1964.
Il dénonce ouvertement le Chah le 27 octobre 1964 lors d'un pélerinage à Qom et l'accuse d'être un
traître à la solde des Américains et d'Israël. (l'Iran entretient de facto des relations avec Israël
depuis 1950). Il est emmené par la SAVAK une semaine après et exilé en Turquie d'où il rejoint
Najaf, en Irak. De là, il va théoriser ce qu'il mettra en application en 1979.
c) « L'alliance maudite du Rouge et du Noir »
les islamistes récupèrent les communistes avec leur discours anti-impérialiste, antisioniste,
nationaliste, défense des pauvres et des prolétaires « les déshérités »

en effet, la réforme ne s'est totalement passée comme prévue. Avec l'argent accumulé par les ventes
forcées de leurs terres, les propriétaires ont fait de la spéculation foncière plutôt que d'engager les
paysans pauvres. Ceux qui se sont endettés pour devenir propriétaires ont du mal à rembourser

le Mouvement pour la Liberté en Iran de Mahdi Bâzargân (tendance mosaddeqiste islamiste) et le


parti de mossadegh rejoignent les islamistes dans la critique de la Révolution blanche disant que
peu importe que les femmes votent si les élections sont truquées.

la gauche refuse aussi le terme de « révolution » à une réforme organisée par en haut
et le fait que le pouvoir reste aux mains de l'aristocratie

(note : à ne pas dire, les Fedâ'iyân-e eslâm c'est les islamistes radicaux qui assassinent)

Conclusion :
Comme dit Yann Richard, « cette Révolution blanche devait faire de lui le souverain le plus
progressiste de tous les temps mais en même temps le plus mal compris ». En effet, cette réforme
pragmatique n'est pas allée assez loin pour les « rouges » qui souhaitaient un régime démocratique,
populaire et une distribution équitable des richesses sans contrepartie pour les possédants. Pour les
« noirs », cette réforme leur retire un pouvoir considérable et contribue à une laïcisation de la
société et du pouvoir. Si cette modernisation a été efficace sur le plan économique et a eu de très
bonnes répercutions sur l'éducation et la santé, la modernisation (ou l'occidentalisation) du régime
politique est quasiment inexistante.

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