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Université d'État d'Haïti (UEH)

École Normale Supérieure (ENS)


Cours: Le XIXème siècle haïtien
Devoir:

Quel a été l’impact sur le monde agraire de la diffusion des notions libérales par les
opposants du gouvernement de Boyer lors des « banquets » organisés par ces derniers.
Expliquez comment les cultivateurs et petits propriétaires ont reçu et modifié ces
notions en un républicanisme populaire.

Professeur : Jean Alix René


Étudiant : Edvard Vincent

Date: 25 juillet 2023


En 1835, la dégradation du niveau de vie en Haïti était critique à cause de la baisse
de la valeur du café sur le marché. Le gouvernement de Broyer se trouvait alors au bord
d'une révolte. C'est ainsi qu'une vague de critiques était lancée contre le régime en place
d'abord dans les journaux et ensuite au parlement. En guise de solutions, Broyer a
décidé de reprendre le paiement de l'indemnité envers la France le 12 février 1838 et
commençait par exclure ses opposants au parlement en 1839 et en 1842. C'est dans ce
contexte que les opposants à son régime avaient décidé de diffuser des idées libérales
dans des banquets à partir de 1842i dans lesquels les cultivateurs et les petits
prioritaires ont été conviés. A ce moment, il convient de rechercher "Quel a été l’impact
sur le monde agraire de la diffusion des notions libérales par les opposants du
gouvernement de Boyer lors des « banquets » organisés par ces derniers et expliquer
comment les cultivateurs et petits propriétaires ont reçu et modifié ces notions en un
républicanisme populaire. Dans notre démarche, nous rechercherons les impacts des
idées libéraux sur le monde agraire, ensuite expliquer comment les cultivateurs et les
petits prioritaires ont compris ces idées et les ont modifiées et enfin nous essaierons
de réaliser une synthèse.

Les idées libérales diffusées lors des banquets dits patriotiques ont eu beaucoup
d'impacts sur le monde agraire. D'abord, elles fournissaient aux paysans les
vocabulaires nécessaires pour exprimer leur propre républicanisme. D'autre part, elles
les fournissaient de nouvelles méthodes et instruments pour mener leurs
revendications politiques et sociales. En effet, la préparation et la diffusion du
Manifeste appelé "Avis" et la révolte de 1844 sont des exemples de l'influence des
banquets sur le monde agraire. Ensuite, il faut souligner que ces banquets accordaient
aux paysans la vision d'un avenir meilleur basé sur l'éducation pour leurs enfants,
l'élévation du prix de leurs d'entrée, l'abondanceii... D'autre part, les banquets
permettaient aux paysans de mettre en relation le projet d'un établissement
démocratique et leurs projets de revendications à l'égalité sociales et l'amélioration de
leurs conditions de vie. En ce sens, en mettant emphase sur la notion de souffrance,
nous pouvons même tenter d'établir à tort ou à raison une quelconque audacieuse
relation entre le nom de l'armée de Jean Jacques Acaau sous l'appellation de l'armée
souffrante et les allégations suivantes du représentant du journal l'Union à Jacmel: «
Notre place est toujours en état de privation et de souffrances qui pèse depuis quelques
temps sur les consommateurs»iii. En somme, les banquets mettaient les cultivateurs et
les petits propriétaires en contact direct avec le discours libéral axé sur des
revendications pour des réformes institutionnelles.

Quant aux réformes institutionnelles prônées par les élites libérales en opposition
avec Broyer lors des banquets, les cultivateurs et les petits propriétaires ne se
contentaient pas de les absorber passivement. En fait, les événements survenus au
cours des années 1844 et 1946 montreront que les petits propriétaires et les
cultivateurs avaient non seulement reçu les idées libérales en question mais il les
modifiaient aussi en vue de créer leur propre républicanisme populaire. Par exemple, se
référant aux idées libérales des élites, reformulées d'ailleurs, les paysans du Sud
élaboraient leur propre philosophie politique basé sur l'autonomie. En outre, en
modifiant la version du libéralisme des opposants de Broyer, les paysans
revendiquaient dans un manifeste appelé "Avis" la prise du pouvoir tout en dénonçant
les exactions des militaires. C'est ainsi qu'un phénomène nouveau allait apparaître sur
la scène politique haïtien après la chute de broyer avec la création d'un comité populaire
dans chaque commune indépendamment des élites de couleur et de l'exécutif. Du
même coup, l'histoire retiendra qu'avec l'armée souffrante, Jean-Jacques Acaau
revendiquait des réformes économiques, des réformes agraires et la protection des
droits constitutionnels en tant que citoyen haïtieniv. Bref, en modifiant les idées libérales,
les petits propriétaires et les cultivateurs ont essayé de faire ce que Mimi Scheller
appelle une "révolution dans la révolution" en vue de créer un républicanisme populairev
avec le droit de participer aux grandes décisions de la société et des droits garantissant
l'égalité civilevi.

Comme nous l'avons vu dans les deux précédents paragraphes, trois groupes
principaux sont concernés dans les événements historiques que nous traitons: Broyer
et les broyeristes, les élites composées en grande partie des notables de couleur et des
grands propriétaires principalement du Sud et enfin les cultivateurs et les petits
propriétaires. Le fait est que, pour lutter contre le pouvoir de Broyer, les élites étaient
obligées de proposer aux petits propriétaires principalement du Sud et aux cultivateur
un projet libéral notamment dans les banquets qui étaient supposé pouvoir améliorer
leurs conditions de vie et d'établir l'égalité sociale. Cependant, les élites ne voulaient
que des changements superficiels. Dans leurs projets politiques, il ne s'agissait
nullement une redéfinition des places dans la société. Deux exemples peuvent justifier
ce constat: l'écartement de Lysius Salomon dans les élections aux Cayes en juin 1843
alors ce qu'il était populaire. Ensuite, le second fait est que même Rivière Hérard a pris
le soin de demander à Honoré Ferry, président d'un petit comité à Jérémie appelé
Gironde, de ne pas embrigader les petits propriétaires et les cultivateurs dans leurs
soulèvement qui n'étaient que l'affaire des élites. De leur côté, les petits propriétaires et
les cultivateurs ont cru nécessaire de faire des transformations en profondeur.
Considérant comme Karl Marx que la lutte des classes reste le mobile de l'histoirevii et
en complétant cette théorie par la place des grands personnages illustres dans l'histoire
comme Étienne Salomon et Jean-Jacques Acaau, on peut admettre que la diffusion des
idées libérales lors des banquets a fait progresser le mouvement des petits
propriétaires et des cultivateurs pour une société plus juste. C'est ainsi que des
phénomènes nouveaux allaient apparaître comme la mise en place de "l'autorité d'un
groupe de ruraux sur un centre urbain" avec le soulèvement du 3 avril 1844viii. En
modifiant les idées des libéraux, les petits propriétaire et les cultivateurs visaient à
établir un républicanisme de démocratie paysanne basée sur la liberté nationale, le
civisme de fraternité et l'égalité des races à travers le mouvement des piquetsix.

Somme toute, la diffusion des idées libérales lors des banquets a eu beaucoup
d'impacts sur le monde agraire qui trouvait les vocabulaires et les instruments
nécessaires à leurs luttes. D'autre part, les petits propriétaires et les cultivateurs ont
reçu et modifié les idées libérales en vue de créer un républicanisme populaire à travers
leurs revendications jusqu'au soulèvement du 3 avril 1844 ou les notables de couleur
étaient obligés de signer une capitulation en vue de protéger leur personne et leurs
propriétés. C'est ainsi d'Allaux accuse certains hommes de couleur qui, selon lui, "se
laissaient vendre" au parti qu'il qualifiait de "parti ultra africainx". Quoi qu'il en soit,
durant la crise de 1843, la question de citoyenneté était posé comme étant une suite au
débat visant à statuer dans l'histoire Haïtienne sur les termes Citoyens et Africains
étudiés par Vertus Saint-Louisxi. Enfin, les événements de 1843 et de 1844 ne sont pas
simplement marqués par l'armée souffrante de Jean-Jacques Acaau et par la rébellion
des Salomon, ils sont aussi marqués, surtout sous la pression du monde agraire, par
l'élaboration de la constitution de 1843 qui "constitue dans l'histoire du
constitutionnalisme haitien Ie texte fondateur institutionnel du liberalisme politique" xii et
voir même une constitution plus radical que la Constitution américainexiii qui mérite
l'appellation de "Petit monstre" par St-Armand de Port-au-Prince à cause de sa
radicalitéxiv.
i
Jean Alix René, Haïti après l'esclavage, Formation de l'état et culture politique populaire (1804-
1843), éditions, Société Haïtienne d'histoire de géographie et de géologie (SHHGG) 2019,
chapitre VI: "Le peuple souffrant" et le projet révolutionnaire de 1843, p 330; Mimi Sheller, Army
of sufferers: The peasant democracy in the early Republic of Haiti, Wawick university's center
for Caribbean studies, 1998, p. 40.
ii
Thomas Madiou cité par Jean Alix René dans Haïti après l'esclavage aux éditions SHHGG,
2019, page 230.
iii
Alix René, Haïti après l'esclavage, Formation de l'État haïtien et culture politique populaire
(1804-1843), Société Haïtienne d'histoire, de géographie et de géologie, 2019, p. 325.
iv
Mimi Sheller, Army of sufferer: The democracy in the early Republic of Haiti, Wawick
university's center for the Caribbean studies 1998, p. 37.
v
Ibid, p 37. C'est nous qui avons traduit. L'expression original est " The Revolution within the
revolution".
vi
Jean Alix René, Haïti après l'esclavage, Formation de l'État haïtien et culture politique populaire
(1804-1843), Société Haïtienne d'histoire, de géographie et de géologie (SHHGG), 2019, p. 371.
vii
Karl Marx et Friedrich Engels, Le manifeste du parti communiste, 1848
viii
Jean Alix René, Haïti après l'esclavage, Formation de l'état et culture politique populaire (1804
-1843), Édition Société Haïtienne d'histoire de géographie et de géologie (SHHGG), 2019, p. 318.
ix
Mimi Sheller, Army of sufferers, The democracy in the early Republic of Haïti, Wawick
university's center for the Caribbean studies 1998, p. 36.
x
Gustave d'Allaux, L'empereur Soilouque et son empire, Collection Michel Lévy, deuxième
édition, 1860.
xi
Vertus Saint-Louis, Les termes Citoyens et Africains pendant la Révolution de Saint-Domingue
dans l'ouvrage collectif L'insurrection de Saint-Domingue (22-23 août 1791) sous la direction de
Laënnec Hurbon, 200, Éditions Karthala, Paris, p. 75.
xii
Michel Hector et Lahenec Hurbon, Genèse de l'État haïtien (1804-1859), collection Mémoire
vivante, juillet 2009, p. 55.
xiii
Mimi Sheller, Army of sufferers, The peasant democracy in the early Republic of Haïti, Wawick
university's center for the Caribbean studies, 1998, p. 37.
xiv
Thomas Madiou cité par Jean Alix René dans Haïti après l'esclavage, Formation de l'État et
culture politique populaire (1804-1843), Éditions Société Haïtienne d'histoire de géographie et
de géologie (SHHGG) 2019, p. 348.

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