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SOMMAIRE

INTRODUCTION
I- L’ELECTRICITE : UNE COMPOSANTE ESSENTIELLE DU PROJET D’EMANCIPATION
NATIONALE SOUS JACOBO ÁRBENZ GUZMAN (1950-1954), MISE AU SERVICE
DES REGIMES MILITAIRES (1954-1996)
1- La promotion du projet électrique
II- LA FIN D’UN CONSENSUS AUTOUR DU PROJET ELECTRIQUE : LES MASSACRES DE
CHIXOY EN 1982-1983

III- PACIFIER L’ELECTRICITE SOUS LES POLITIQUES


NEOLIBERALES : UNE COMMUNICATION CENTREE SUR
L’EFFICACITE, QUI PERPETUE LES STEREOTYPES ETHNIQUES
ET SOCIAUX
CONCLUSION
INTRODUCTION

Dans un article paru en 2010, la politiste Camille Goirand1 fait apparaître des


angles morts dans l’étude des mouvements sociaux qui, en Amérique latine,
ont surgi dans les années 1980-1990, dans le contexte des libéralisations
politiques et économiques. De nombreux chercheurs en sciences sociales,
notamment ceux ayant contribué à forger la notion de « nouveaux
mouvements sociaux » (NMS), telle que l’anthropologue Ruth Cardoso, ont lu
dans le caractère fragmentaire, hétérogène et territorialisé de ces
mobilisations, la plupart du temps construites hors du champ du travail,
l’expression d’une incapacité à porter des changements politiques profonds. Ils
ont globalement considéré que l’institutionnalisation progressive de ces
mouvements issus de la société civile sur la base de revendications non-
matérielles (dignité, justice, participation politique) témoignait d’un processus
d’inclusion aux systèmes politiques et non d’une transformation radicale de ces
derniers. Camille Goirand nuance ces analyses et invite les chercheurs latino-
américanistes à se pencher sur la façon dont ces modalités de mobilisation
« contribuent à transformer les logiques du pouvoir local et ouvrent des
espaces nouveaux pour l’action politique2», en donnant l’exemple de
répertoires d’actions collectives renouvelés, ayant permis d’infléchir
durablement les politiques publiques conformément aux revendications
portées.
IV- L’ELECTRICITE : UNE COMPOSANTE ESSENTIELLE DU PROJET
D’EMANCIPATION NATIONALE SOUS JACOBO ÁRBENZ GUZMAN
(1950-1954), MISE AU SERVICE DES REGIMES MILITAIRES (1954-
1996)

L’électrification du Guatemala trouve son origine en tant que politique


planifiée, dans la parenthèse démocratique de 1944-1954, qui succède à la
dictature pro-étasunienne de Jorge Ubico Castañeda. Dès le début de son
mandat, le président réformateur Jacobo Árbenz Guzmán (1950-1954) fonde la
Comisión Nacional de Energía Eléctrica (CNEE). Dans son Informe
presidencial pour la période 1952-1953, Jacobo Árbenz la promeut comme un
outil au service de la modernisation, de la souveraineté et de l’autosuffisance
économique. La planification des grandes infrastructures de production et
l’extension de la distribution doivent satisfaire les besoins d’une capitale en
pleine croissance démographique et à terme, pourvoir les masses paysannes
d’une énergie abondante et bon marché, grâce aux développements conjoints
de l’hydroélectricité et de l’électrification rurale8. Cette approche s’inscrit dans
la lignée des doctrines économiques post-Seconde Guerre mondiale
considérant les grandes infrastructures publiques comme les leviers
nécessaires d’un développement par le haut, promues par les grandes
institutions internationales telles que la Banque Mondiale, qui participe à la
création de la CNEE. Le discours de Jacobo Árbenz s’inscrit aussi dans un
contexte économique et social spécifique, qui voit une majorité de la
population guatémaltèque marginalisée par une oligarchie terrienne enracinée,
organisée en clans familiaux endogames et possédant l’immense majorité des
terres agricoles. Le projet électrique s’adosse dans cette optique à une
ambitieuse réforme agraire visant à émanciper le pays de la tutelle que
l’entreprise bananière étasunienne, United Fruit Company (UFCo) impose à son
économie depuis le début du XXe siècle. Cet immense trust, propriétaire des
trois-quarts des terres arables du pays, a accentué un système d’exploitation
qui, depuis la réforme libérale de 1871, est essentiellement fondé sur
l’accaparement des terres, le travail forcé et l’endettement des travailleurs
agricoles, pour la plupart indigènes. À partir des années 1920, l’UFCo détient
également le monopole de la production et de la distribution d’électricité par le
biais de sa filiale la Electric Bond and share Company. La Réforme agraire
promulguée en 1952 suscite un grand enthousiasme chez les petits paysans qui
représentent la majorité de la population : pensée comme un outil permettant
de réguler la propriété foncière, principal instrument d’oppression de
l’oligarchie créole, elle doit stimuler le développement de la petite exploitation
agricole individuelle. Dans ce contexte, l’électrification est pensée comme
l’avant-poste d’une vaste entreprise d’extension du front pionnier agricole vers
les vallées et piémonts du centre du pays. Les grands barrages envisagés dans
ces régions, sont censés encourager l’implantation de colonies agricoles, sur les
terrains sous-exploités des grandes fincas mais également sur des terres
habitées par des populations indigènes.

2- La promotion du projet électrique

La promotion du projet électrique guatémaltèque des années 1950 s’inscrit


aussi dans un contexte culturel singulier : à l’échelle latino-américaine, les
politiques publiques s’intéressent au sort des populations indigènes. Ce
premier indigénisme « professionnel » est imprégné de l’idée que la présence
de peuples autochtones sur le continent constitue un obstacle à l’homogénéité
et donc à l’affermissement des nations. Dès les années 1940, un large
consensus existe autour d’une conception assimilationniste de ce qui est alors
couramment appelé le « problème indigène » ou « la question indigène ». Cette
conception est souvent solidaire d’une vision scientiste des questions sociales,
selon laquelle les antagonismes fondés sur des critères raciaux ou culturels
sont appelés à être dissous par la technique et la connaissance scientifique. En
1956, est créé le Seminario de Integración Social Guatemalteco. Des
intellectuels guatémaltèques influencés notamment par les travaux
d’anthropologues étasuniens promeuvent l’intégration des indigènes
par ladinisation c’est-à-dire par une acculturation au mode de vie dit « 
moderne » ou « occidental.
V- LA FIN D’UN CONSENSUS AUTOUR DU PROJET ELECTRIQUE :
LES MASSACRES DE CHIXOY EN 1982-1983
Dans les années 1960, une propagande de l’ennemi intérieur empruntée au
maccarthysme et élaborée dans le contexte du coup d’État de 1954, devient
l’un des credo de l’armée régulière guatémaltèque qui met en déroute la
première tentative révolutionnaire. L’idée qu’une tête de pont communiste
dissimulée dans la population menace l’intégrité du pays par la subversion est
intégrée dans sa doctrine et enseignée aux jeunes recrues par leurs officiers.
Un grand nombre de ces derniers, parmi lesquels le colonel Efraín Ríos Montt,
au pouvoir entre 1982 et 1983, a fait ses classes à l’Escuela de la Américas, une
école de formation aux techniques contre-insurrectionnelles créée en 1947 par
le département de la Défense des États-Unis.

Dans les années 1970, deux organisations révolutionnaires inspirées par la


Révolution cubaine, l’Ejército Guerrillero de los Pobres (EGP) et l’Organización
del Pueblo en Armas (ORPA), naissent de scissions d’avec les franges de la
guérilla promouvant un marxisme-léninisme plus orthodoxe. Elles entendent
trouver une base dans les piémonts et basses-terres boisés du centre du pays,
en particulier dans les départements de San Marcos, Quiché, Quetzaltenango,
Sololá Chimaltenango et du Huehuetenango, auprès de populations indigènes
en qui elles voient sinon une classe sociale à part entière, du moins un
prolétariat appelé à jouer un rôle dans le processus révolutionnaire. Ces
circonstances donnent du crédit à la doctrine de sécurité intérieure. De front
pionnier agricole, une grande partie de l’intérieur du pays devient un front de
guerre. Tandis que le gouvernement guatémaltèque est encouragé par les
grands bailleurs de fonds internationaux à y développer l’hydroélectricité, le
colonel Efraín Ríos Montt adosse la doctrine de sécurité nationale au concept
de développement, notamment par le biais du Plan nacional de seguridad y
desarollo, qui donne un cadre légal à la répression contre la guérilla et au
massacre de ses soutiens supposés dans la population. Cette stratégie conduit
à la mort entre 1978 et 1983, de plusieurs dizaines de milliers d’habitants dans
les départements du pays majoritairement peuplés d’indigènes29. Les
massacres liés à la construction par l’INDE du barrage hydroélectrique Chixoy,
le plus important d’Amérique centrale, dans le département de l’Alta Verapaz,
constituent un exemple emblématique de cette stratégie. Entre 1980 et 1982,
plus de 300 Mayas achí' (achis) refusant d’évacuer les terres comprises dans la
future zone d’inondation du barrage sont désignés comme soutiens – dupés ou
complices – des guérillas et massacrés comme tels par des militaires et des
membres des patrouilles d’auto-défense civile.
Après l’enclenchement du processus de paix au début des années 1990, le
recueil de récits de guerre permet peu à peu de mettre en lumière le
déroulement des faits. Les principaux financeurs du projet, à savoir la Banque
Mondiale et la Banque Centraméricaine d’Intégration Économique, sont
ouvertement accusés d’avoir joué un rôle déterminant dans ces massacres, dits
de Río Negro. Cet épisode tient donc une place de premier plan au sein d’une
mosaïque mémorielle de la guerre civile, composée de multiples autres
épisodes de massacres. Son exemple édifiant est mobilisé par des ONG comme
Greengrants, Global Witness ou Right action et par des universitaires nord-
américains, tels que les géographes Catherine Nolin, Grahame Russel
(également juriste à Right Action) ainsi que par l’anthropologue Kathlenn Dill,
dans des débats encore très vifs aujourd’hui, dont l’un des enjeux majeurs est
la reconnaissance du caractère génocidaire de la politique menée par le
gouvernement guatémaltèque entre la fin des années 1970 et le début des
années 1980.

VI- PACIFIER L’ELECTRICITE SOUS LES POLITIQUES


NEOLIBERALES : UNE COMMUNICATION CENTREE SUR
L’EFFICACITE, QUI PERPETUE LES STEREOTYPES ETHNIQUES
ET SOCIAUX

L’évolution des doctrines économiques appliquées par les bailleurs de fonds,


ainsi que la profonde crise économique et sociale suscitée par la guerre civile,
se révèle décisive pour le projet électrique. Après la mise en service de Chixoy
en 1983, aucune centrale hydroélectrique n’est plus construite par l’INDE, qui
en avait le monopole. En 2001, dans un contexte régional de libéralisation
économique, le lancement du Plan Puebla Panamá, dont l’un des objectifs est
d’interconnecter les réseaux électriques de l’Amérique centrale et du Mexique,
relance un vaste chantier de développement de l’hydroélectricité, presque
entièrement confié à des entreprises transnationales. Le plan prévoit
d’intensifier et d’étendre l’exploitation des cours d’eau, principalement dans la
Frange Transversale du Nord. Au vu du passif attaché à l’électricité, on
comprend combien le projet est problématique, tant pour les entreprises que
pour les acteurs institutionnels qui le soutiennent. Ceux-ci développent en
conséquence des stratégies visant à favoriser son acceptabilité. En 1999, la
Banque Mondiale finance en grande partie une nouvelle phase très dynamique
d’électrification rurale, qui anticipe de plusieurs années la mise en chantier des
étapes les plus contestées du Plan Puebla Panamá, notamment la construction
des lignes à très haute tension. Sa communication se focalise sur les aspects
supposément « respectueux », vis-à-vis de l’environnement et des
comunidades en particulier, des centrales hydroélectriques dites de « petite
taille » (moins de 10 MW de puissance), dont la multiplication est en partie liée
à la saturation des cours d’eau majeurs en ouvrages hydroélectriques de
grande puissance.
CONCLUSION
Dans cet article, nous avons montré comment le San Marcos et
particulièrement San Pablo a été la matrice de mobilisations sociales de
premier plan, qui ont donné lieu à des alliances originales. Dans les années
2000, le mouvement social s’était largement orienté vers des luttes contre des
méga-projets, la corruption et la défense des droits humains. À la fin de la
décennie 2000-2010, la question de l’électricité génère un rapport de force
avec l’État et les transnationales qui s’exprime sans doute plus frontalement.
L’articulation de deux mouvements d’opposition à des aspects particuliers du
projet électrique (production pour la mobilisation contre Hidro Salá et
distribution pour la mobilisation contre Energuate) a contribué à l’émergence
d’un mouvement national d’opposition au projet électrique dans son
ensemble. Ce phénomène invite à réinterroger pour le Guatemala la notion
problématique de comunidad, trop peu questionnée à la lumière de son
implication concrète dans les mobilisations. Si ce mouvement se déploie selon
des configurations « nouvelles », on y repère des permanences. Elles sont liées
à l’existence d’un racisme et d’inégalités structurelles persistantes, mais
également à l’existence de réseaux de solidarité issus des guérillas, qui dans
une certaine mesure semblent avoir résisté à la désagrégation formelle des
mouvements de gauche dans les années 1990. Phénomène certainement sous-
évalué qu’il convient de prendre en considération. La crise de l'énergie a
désormais son Conseil de défense. Ce format réunissant le président de la
République et une poignée de ministres clé à l'Elysée a été utilisé pour la
première fois pour travailler sur la hausse des prix du gaz et de l'électricité,
vendredi 2 septembre, après avoir été mobilisé face à la pandémie de Covid-19
puis l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Un nouveau signe de l'ampleur de
cette crise, qui fait craindre des coupures cet hiver et une explosion des
factures énergétiques des particuliers comme des entreprises. Lundi,
Emmanuel Macron a encore une fois appelé les Français à être "au rendez-vous
de la sobriété".

Alors que le gouvernement réfléchit aux mesures qu'il veut maintenir en 2023,
vous vous interrogez peut-être sur la raison pour laquelle les prix sont si élevés.
Franceinfo tente de vous les résumer.

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