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Chapitre III. La dictature argent...

Presses
universitaires OPENEDITI

de
Perpignan
Victimes et bourreaux dans le théâtre de Griselda
Gambaro | Sylvie Sureda-Cagliani

Chapitre III. La
dictature argentine
(1976-1983)
p. 81-117

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Texte intégral
1 En Argentine‚ les années 70 et le début des
années 80 voient l’autoritarisme militaire‚ et le pouvoir
dictatorial atteindre leur paroxysme. Tout discours et toute
prise de position critiques envers le régime sont considérés
comme subversifs. Ils sont donc formellement interdits et
réprimés de façon impitoyable. Le triumvirat Videla‚
Massera‚ Agosti‚ inaugure‚ à partir du 24 mars 1976‚ une
ère de répression qui associe tortures et disparitions.
Syndicalistes‚ membres de la société civile opposés à la
dictature et artistes engagés dans la lutte antifasciste‚ font
l’objet de persécutions de toutes sortes. Certains d’entre
eux sont contraints à l’exil. La censure est imposée‚ la
parole confisquée.
2 Griselda Gambaro‚ comme bon nombre de ses
contemporains dramaturges‚ met son art théâtral au service
de la protestation contre le régime dictatorial en place. Afin
de pouvoir situer son théâtre dans le contexte du pouvoir
répressif‚ il convient de retracer les aspects essentiels qui
caractérisent la dictature argentine dans les années
soixante-dix.

1
III – 1. La répression
« Todos tenemos el lápiz roto y una descomunal
goma de borrar ya incrustada en el cerebro... »
María Elena Walsh
(Desventura en el Pais Jardin de Infantes2)
3 Le 24 mars 1976‚ la Junte Militaire ou « Junta Militar de
Comandantes en Jefe de las Fuerzas Armadas » prend le
pouvoir et forme un nouveau gouvernement constitué par
le général Jorge Rafael Videla‚ commandant de l’Armée de
terre‚ l’amiral Emilio Eduardo Massera‚ commandant de la
Marine‚ et Orlando Ramón Agosti‚ commandant de l’armée
de l’air.
4 Le 29 mars 1976‚ la Junte Militaire nomme Jorge Rafael

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Videla‚ président de la République. Le nouveau
gouvernement ou « Proceso de Reorganización Nacional »
est un gouvernement dont tous les membres sont
militaires‚ à l’exception du ministre de l’éducation‚ Ricardo
Bruera‚ et du ministre de l’économie et des finances‚ José
Alfredo Martinez de Hoz.
5 La Junte impose une nouvelle dictature propre à
l’Argentine nommée également « Régimen de facto » :
[…] En el caso argentino‚ los quebrantamientos del orden
institucional mediante la sustitución abrupta de un
gobierno elegido electoralmente por otro emanado de la
fuerza – militar – trascienden el marco de estas medidas
excepcionales para convertirse en regimenes de facto […]
Estos regimenes de facto‚ antecedentes del golpe militar
de 1976‚ se correspondieron con un modelo clásico de
gobierno militar en Argentina‚ de carácter
transitorio- supuesto remedio a una crisis política- cuyo
absolutisme consistió fundamentalmente en la
concentraciôn de las facultades decisorias del Estado‚ sin
pretender cambiar la naturaleza del Estado mismo y donde
la supresión de las libertades – a veces más implacables y
cruel que otras – se asumió como una necesidad
momentánea [...] Este tipo de dictaduras militares‚
caracterizado por la militarización de todo el aparato del
estado‚ constituye un modelo arquetípico de Estado de
Excepción‚ con la misma especificidad diferenciadora que
el fascismpo […] El estado militar‚ se caracteriza en primer
lugar y ante todo‚ por el hecho de que el aparato represivo
fundamental del Estado burgués‚ las fuerzas armadas‚
suprime‚ subordina y asume las funciones del resto de
aparatos propios de aquel Estado‚ es decir el Parlamento‚ la
Justicia etc.[…].3

6 La première cible de ce nouveau régime est la guérilla‚


contre laquelle des mesures répressives implacables sont
prises. Toute activité politique est bannie ; les droits des
travailleurs ainsi que le statut des enseignants sont remis
en cause. Les partis politiques et les syndicats sont muselés.
Les grèves sont interdites‚ l’Assemblée Nationale et la Cour

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Suprême de Justice sont dissoutes ; la CGT est mise sous
contrôle ; les moyens de communication sont censurés ; les
locaux destinés à des réunions‚ à des spectacles ou à
d’autres activités nocturnes sont fermés ; on assiste à des
scènes identiques à celles que l’Allemagne nazie a connues :
des centaines de livres et de revues considérés comme
subversifs et dangereux‚ sont brûlés. La sphère privée des
individus n’échappe pas à cette volonté de mise au pas
général de la société : ainsi‚ les hommes sont contraints de
porter des cheveux courts.4
7 Le « Proceso de Reorganización Nacional‚ » ou « PRN » ‚ a
pour objectif de construire une Argentine nouvelle reposant
sur un triptyque :

une économie néo-libérale‚ plus moderne‚


la mise au pas des syndicats soumis à des mesures
coercitives sévères‚
une élimination totale de tout mouvement de gauche
considéré comme subversif.

8 Le « Proceso de Reorganización Nacional » s’efforce de


transformer la société argentine dans son ensemble‚ en
instaurant un ordre économique‚ politique et social
susceptible de faire disparaître toute trace des politiques
populistes péronistes.
9 A partir du 2 avril 1976‚ le ministre de l’économie et des
finances de l’époque‚ José Alfredo Martinez de Hoz
annonce un plan de réforme visant à réduire l’inflation. Il
encourage de ce fait les investissements étrangers ainsi que
la spéculation au détriment de la production argentine.
C’est à ce moment-là que commence le déclin de l’industrie
nationale. Celle-ci ne fabrique plus que des produits de
mauvaise qualité à l’instar de certains pays sous-
développés. Les mesures économiques de libéralisation
adoptées par Martinez de Hoz‚ marquent le début de la
destruction de l’appareil productif argentin.
10 Le pays est‚ peu à peu‚ mené à la ruine. En effet‚ la majorité

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des prêts accordés au régime militaire proviennent de
banques privées des États-Unis. En contrepartie de ces
prêts‚ le gouvernement exige que les entreprises publiques
aient désormais recours uniquement aux banques privées
internationales. Or‚ les entreprises publiques argentines
sont fortement endettées ; les banques privées
internationales peuvent alors leur imposer sans peine des
mesures néolibérales draconiennes de restructuration qui
se traduisent notamment par leur privatisation. Le secteur
des entreprises publiques est ainsi démantelé de façon
systématique au profit d’une politique néolibérale.
11 Cette politique économique néolibérale au détriment des
intérêts nationaux se vérifie notamment à l’exemple de la
société pétrolière YPF « Yacimientos Petrolíferos
Fiscales ». Principale entreprise publique argentine‚ elle est
contrainte de s’endetter à l’étranger‚ alors qu’elle dispose
de ressources suffisantes à son propre développement.
Le 24 mars 1976‚ la dette externe de YPF s’élève
à 372 millions de dollars. Sept ans plus tard‚ à la fin de la
dictature‚ cette dette s’élève à 6000 millions de dollars.
Sous la dictature‚ la productivité du travailleur de YPF
augmente de 80 % ; pourtant‚ le pays assiste à des
licenciements massifs. Le nombre de travailleurs titulaires
de cette entreprise diminue de 47.000 à 34.0005 :
[…] Martinez de Hoz anunció las derogaciones de la
nacionalización de los depósitos bancarios‚ la ley de
inversiones extranjeras y el monopolio estatal de las juntas
nacionales de carnes y Granos‚ reemplazadas por el juego
de mercado. […]. En esos días‚ el ministerio de Economía
decidió que las cuentas nacionales‚ que hasta entonces eran
públicas y podían ser consultadas por cualquier ciudadano‚
se convertían en información reservada. Marzo de 1976 fue
la última vez en que se difundiô‚ por ejemplo‚ la
participación de los asalariados en el producto bruto
interno nacional. […]6

12 Cette situation économique qui porte un grand préjudice au


marché intérieur‚ oblige l’Argentine à s’ouvrir aux marchés

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extérieurs pour devenir plus compétitive.
13 C’est alors qu’une grande partie de la société‚ en particulier
la moyenne et la haute bourgeoisie‚ aveuglée par ce mirage
économique‚ tombe dans le piège de la consommation
massive. Cette période d’euphorie prend le nom de « La
plata dulce ».
14 C’est dans ce semblant de prospérité‚ que la junte militaire
impose le terrorisme d’État plongeant l’Argentine dans une
atmosphère d’extrême violence‚ dont il est difficile‚ de nos
jours encore‚ de mesurer avec précision toute l’ampleur.
Les années de la dictature argentine‚ tout comme celles de
la dictature du général Pinochet au Chili‚ se solderont par
des milliers de citoyens persécutés‚ torturés‚ assassinés ou
portés disparus7.
15 Dès le mois de mars 1976‚ la répression s’intensifie en
Argentine et aucun milieu de la société n’est épargné.
Ouvriers et autres travailleurs‚ étudiants‚ intellectuels‚
artistes‚ pères et mères de familles (tous âges confondus) et
même leurs enfants‚ femmes enceintes‚ nombreux sont
ceux qui subissent le même sort et sont‚ pour la plupart‚
arrêtés sans mandats ni raisons précises‚ enlevés et
torturés.
16 La police pratique les fameux « allanamientos de
moradas » ‚ méthode qui consiste à enlever par la force et
avec une violence extrême‚ à n’importe quelle heure du jour
ou de la nuit‚ quiconque est soupçonné de pratiquer une
activité politique de gauche‚ ou d’avoir des convictions ou‚
simplement‚ des sensibilités idéologiques à l’opposé de
celle du pouvoir en place :
[…] En junio de 1976 encabezaron un allanamiento‚ a
las 2 de la madrugada‚ en una casa del barrio de Belgrano‚
Arredondo al 2700. [...]8

17 Les personnes sont enlevées et poussées la plupart du


temps dans une « Ford Falcon9 » ‚ véhicule représentatif de
cette période sombre de répression :
[...] Estos grupos‚ encargados de los secuestros de

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trabajadores y militantes políticos‚ se desplazan en un Ford
falcon bordó cuya chapa comienza con C413 […].10
18 Généralement transportés bâillonnés et les yeux bandés‚ ils
sont emmenés dans des centres de torture clandestins
appelés « chupaderos » ou « pozos » ‚ véritables
laboratoires de l’horreur. Les principaux centres de torture
connus à ce jour sont‚ par exemple l’ESMA‚ « La Escuela de
Mecánica de la Armada » ‚ « El Vesubio » ‚ « El Pozo de
Banfield » ou encore « Garaje Olimpo » à Buenos Aires‚
« La Perla » à Córdoba et « El Colegio Militar de
Mendoza »11 :
La Escuela de Mecánica de la Armada‚ cuya misión
específica es el reclutamiento‚ instrucción y adiestramiento
del personal subalterno‚ se ha convertido en uno de los
principales centras de interrogatorios y torturas de la
Capital Federal argentina‚ responsable de miles de
secuestros y Dasesinatos de trabajadores y militantes
revolucionarios. La Escuela de Mecánica forma técnica e
ideológicamente al personal de marinería. (…) Está
asentada en un amplio predio sobre el río de la Plata‚ a
pocos métros del limite entre la Capital Fédéral y la
provincia de Buenos Aires‚ comprendido entre las avenidas
del Libertador‚ Comodoro Rivadavia‚ Lugones y Pico [...].12
[…] El exterminio constante de prisioneros como finalidad
última de la represión‚ se basaba – según los dichos de los
oficiales de la ESMA – en los siguientes propuestos : En
una concepción del “enemigo”‚ es decir de los reprimidos
como “irrécupérables”. Sostenían que éstos eran dirigentes
y activistas políticos con formatión ideológica‚
adoctrinamiento y mística política‚ a los cuales su
détención en cárceles legales‚ no sólo no les haría modificar
sus concepciones‚ sino que probablemente reafirmaría en
sus ideas‚ agravándose aún más la situation el día en que
recuperaran la libertad. [...] . También sostenían que el
exterminio y la desaparición defïnitiva tenían una finalidad
mayor : sus efectos “expansivos”‚ es decir el terror
generalizado. Puesto que‚ si bien el aniquilamiento fisico
tenía como objetivo central la destructión de las

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organizaciones políticas calificadas como “subversivas”‚ la
represión alcanzaba al mismo tiempo a una periferia muy
amplia de personas directa o indirectamente vinculadas a
los reprimidos (familiares‚ amigos‚ compañeros de trabajo‚
etc.)‚ haciendo sentir especialmente sus efectos al conjunto
de estructuras sociales consideradas en si como
“subversivas por el nivel de infiltración del enemigo”
(sindicatos‚ universidades‚ algunos estamentos
profesionales : abogados‚ periodistas‚ psicoanalistas‚ etc.).13
19 Les conditions de vie infrahumaines et les tortures qui sont
infligées aux détenus sont innombrables‚ et diverses dans
leur nature. Sans vouloir dresser ici une liste exhaustive des
différentes méthodes utilisées par les tortionnaires‚ il faut
tout de même‚ pour la mémoire‚ évoquer certaines d’entre
elles désormais connues :
20 « El gatillo fácil » : il s’agit d’un euphémisme pour décrire
les dérives des policiers qui n’hésitaient pas à pointer leur
arme sur la nuque des détenus et finissaient par appuyer
sur la gâchette‚ « El vuelo » ‚14 : une méthode d’exécution
des prisonniers consistant à leur administrer un somnifère‚
puis à les précipiter‚ endormis‚ dans la mer depuis un avion
ou un hélicoptère‚ ou encore « La picana » ‚ séance de
torture pendant laquelle on soumet la victime à de
puissantes décharges électriques jusqu’à ce que s’ensuive
son épuisement total ou son décès :
[…] Con respecto a la tortura física inicial‚ tendiente a
extraer de inmediato del secuestrado datos fondamentales
sobre otras personas y domicilios para continuár la cadena
represiva (secuestro-tortura-interrogatorio-secuestro-etc.)
no ha sido idéntica ni en los medios ni en la intensidad con
respecte al conjunto de prisioneros‚ variando tanto en
relación a cada víctima‚ torturador‚ campo de détención y
momento. En casi todos los casos fue -y
es- particularmente feroz.
El medio de tortura más común a todos ellos ha sido la
aplicación de la "picana eléctrica”‚ aparato transmisor de
corriente (220W.) que produce intensísimas

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electroconvulsiones‚ siendo generalmente aplicado en las
zonas màs sensibles del cuerpo : la cabeza (especialmente
en los ojos‚ la boca -encías y paladar- y en los oídos)‚ en los
órganos genitales‚ planta de los pies y zonas epiteliales
particularmente sensibilizadas. [...] Dos ex – detenidos –
desaparecidos‚ narran así lo vivido en la ESMA : “una vez
dentro de una de estas salas (de tortura)‚ el secuestrado era
desnudado‚ atado a un catre metálico con sogas por los
tobillos y las muñecas. Comenzaba el interrogatorio. El
oficial de guardia de Inteligencia era el encargado de
golpearlo en todo el cuerpo con puños u objetos (palos‚
cachiporras)‚ y fundamentalmente‚ aplicarle descargas
eléctricas en todo el cuerpo. El instrumento para este fin
era la “picana”‚ conectada a un elevador de voltaje que
permitía que fuera subido o bajado a voluntad para
ocasionar mayor sufrimiento. Las descargas eléctricas y
golpes se alternaban o eran simultáneas con las preguntas
acerca de datos que los secuestradores pretendían obtener
de sus victimas. La duración de las sesiones de tortura no
tenía una medida determinada. También se empleó en la
ESMA “el susmarino seco” y el “hùmedo”. El primero
consistía en introducir la cabeza del secuestrado en una
boisa de plástico hasta que llegara al borde de la asfixia. El
segundo perseguía el mismo objetivo‚ pero se utilizaba un
cubo lleno de líquido. […]15
21 Afin de mener à bien sa tâche d’« épuration idéologique » ‚
le régime de Videla fait régner la terreur sur toutes les
catégories de citoyens‚ tout en s’efforçant‚ le plus souvent‚
de dissimuler au monde cette répression féroce.16 La
persécution devient le principal outil d’exercice de la
coercition sur le peuple. Les universités sont mises sous
surveillance ; le contenu des enseignements est soumis au
contrôle et finit par être manipulé ; certaines bibliothèques
sont dévastées et la plupart des ouvrages sur la pensée
marxiste ou développant des thématiques considérées
comme étant de gauche‚ sont brûlés.
22 La suspicion plane partout et sur tout le monde ; le
moindre groupe de jeunes réunis au coin d’une rue ou sur

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un trottoir est interpellé et les personnes sont
systématiquement fouillées‚ souvent avec brutalité. Le
soupçon favorise la délation que le pouvoir en place
encourage. Ce climat délétère qui se double d’une
répression‚ fragilise le tissu social et conditionne de ce fait
les individus. Une partie d’entre eux finit par adopter une
attitude de repli se traduisant par un refus de
communication avec autrui‚ voire une rupture de relations
ou une méfiance à l’égard de proches ou de voisins. Parfois‚
cela se traduit chez certains‚ par un désengagement et une
dépolitisation totale ; on peut alors observer comme une
sorte de soumission que l’on pourrait expliquer soit par la
crainte‚ soit par le souci de protéger son entourage‚ soit par
manque d’informations. Les citoyens deviennent ainsi les
complices involontaires du système dictatorial.
L’expression devenue fameuse « no te metás » traduit bien
de tels comportements qui sont nés au cours de cette
période sombre de l’histoire argentine.
23 Ainsi‚ tandis que le pays se trouvait en plein régime
dictatorial‚ la victoire de l’Argentine lors de la coupe du
monde de football en juin 1978‚ a représenté‚ pour certains‚
un exutoire en même temps qu’elle occultait‚ pour un
temps au moins‚ la répression et le manque de liberté. Cette
victoire flattait le nationalisme de nombre d’Argentins‚ tout
en les maintenant‚ pour certains d’entre eux‚ dans une
attitude de totale indifférence. L’ivresse du football et
l’euphorie de la victoire permettaient aux citoyens de
refouler l’horreur de la situation « réellement existante » ‚
et‚ au pouvoir‚ de détourner l’attention des vrais problèmes.
24 Au cours d’un entretien‚ Griselda Gambaro souligne à ce
propos :
Hay ciertos temas que me preocupan desde siempre‚ [...].
El tema del abuso de poder‚ de la relación entre víctima y
victimario‚ el miedo‚ la fragilidad de la vida […]. El hombre
es un ser muy pasivo a quien le cuesta asumir su
responsabilidad con respecto a los otros y con respecte a si
mismo.17

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25 Tous ces aspects de la répression féroce qui sévit en
Argentine entre les années 60 et les années soixante-dix‚
tissent le fil conducteur de certaines œuvres théâtrales de
nombreux dramaturges ; parmi celles-ci‚ il faudrait citer les
œuvres théâtrales de Griselda Gambaro‚ que nous nous
proposons d’étudier plus loin. Nous nous pencherons en
particulier sur les pièces : Los siameses‚18 Decir si‚19 Las
paredes‚20 El desatino‚21 El campo‚22 La malasangre‚23 Real
envido‚24 Nosferatu25‚ Antigona furiosa26‚ Informatión
para extranjeros27‚ Atando cabos28 qui nous semblent
vraiment illustrer le mieux la problématique qui doit être
développée dans ce travail.
26 D’autres citoyens‚ surnommés « Los videlitas » ‚ affichent
une indifférence évidente à l’égard du sort réservé aux
victimes‚ car ils soutiennent la dictature. C’est parmi
l’oligarchie argentine‚ autrement dit la grande bourgeoisie
financière ou encore les riches propriétaires terriens « Los
estancieros » ‚ que la dictature trouve ses plus fidèles
soutiens. Tous considèrent que la subversion est la suite
logique de la démocratie et que cette alliance‚
« démocratie- subversion » ‚ représente une menace pour
l’ordre social ; ils demeurent persuadés que les opposants
au système dictatorial s’emploient à détruire l’essence
même de « l’argentinité » ‚ directement liée aux valeurs
traditionalistes et nationalistes très ancrées dans
l’inconscient collectif :
[...] Últimamente parece abordarse desde diferentes
medios la compleja temática de la complicidad civil como
sostén ideológico de la dictadura militar y el genocidio.[...]
Deberíamos recordar que durante el Proceso militar un
sector de la población‚ por variadas y múltiples
circunstancias‚ fue complaciente o indiferente al terrorisme
de Estado.[…] Convengamos que durante el Proceso militar
y mientras un sector de la población era vilmente torturado
y asesinado por las Fuerzas Armadas‚ otro amplio sector de
la población tuvo que soportar el terror‚ permaneciendo y
resistiendo del sector de la clase media‚ pudimos salir del

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pais y vivir en el exilio. [...] Pero hubo también otro gran
sector de la población que permaneció en el pais sin miedos
ni terrores y que alguna vez defmimos como la “mayoría
silenciosa” o “la masa gris astizforme”. El sector
permanecia ajeno al genocidio. Parecía ignorar lo que
ocurría. […]. Sabemos que no hay heroicamente en el pais‚
sobreviviendo como exiliados en su propia patria. Algunos‚
preferentemente terrorisme de Estado sin complicidad civil
y ésta se vuelve protagónica para que las maquinarias
represivas con-tinúen intactas. La complicidad civil
también produce mayor represión. Es su mejor aval. […] El
fascismo sigue presente. Los microfascismos de los
pequeños Hitler de barrio‚ decía Félix Guattari. La
mentalidad fascista que aceptó antes la represión infame‚
hoy puede justificar la pena de muerte y la tortura para
mantener el “orden”. [...] En el mismo momento en que se
desvelan los detalles de los crímenes más aberrantes de la
historia‚ denunciando que se arrojaban seres humanos
vivos desde aviones al Río de la Plata‚ ellos insisten en
jugar con la muerte y la tortura. Pero ¿ quién se horroriza
de todo esto ? El torturador-raptor de niños Miara produjo
hace meses grandes adhesiones en un programa de TV. Los
“videlitas” brotaron en las mejores familias. No olvidemos.
La complicidad civil debe ser abordada desde todos los
ángulos posibles. [...] El fascismo sigue latiendo hoy
intacto.29
27 Comme en Allemagne‚ il se trouvera‚ en Argentine
également‚ des médecins pour trahir le serment
d’Hippocrate et mettre leur savoir au service de la torture‚
de la terreur et de la mort et de ce génocide :
[…] En la mayor parte de los interrogatorios asistió un
médico‚ que Dasesorasa al torturador acerca de la
conveniencia de continuar o no con el “tratamiento”‚ a fin
de evitar el riesgo de que la victima muriera sin haber
agotado los medios para arrancarle la información […].30
[...] Cuando volvi del exilio llegué a conocer un médico de
la Marina que había sido el encargado de anestesiar a los
prisioneros de la ESMA – antes de ser arrojados desde los

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aviones Electra de la Armada al Río de la Plata. En el
año 1978 hizo un brote psicótico comenzando a delirar
entonces sus tremendas verdades y atrocidades. La Armada
lo sacó de circulación‚ lo medicaron psiquiátricamente y lo
emplearon como administrativo en un laboratorio
medicinal. Yo lo conoci en el laboratorio cuando ya la
fuerza de su delirio se había domesticado en libido
burocrática. Tuve la ocasión de observarlo trabajar y
confieso que era difícil imaginar que detrás de ese buen
empleado administrativo se escondía un monstruoso
médico complice de la represión. Pero los torturadores‚
según Todorov‚ son en general burócratas de escritorio que
obedecen órdenes.
El señor Laforgue‚ obra mía que estrenó Agustín Alezzo
en 1983‚ trataba sobre este tipo de represión.31
28 Entre l’Église et l’Armée‚ il a toujours existé en Argentine –
ce fut également le cas dans l’Allemagne nazie ainsi que
dans l’Espagne franquiste – comme une parfaite entente
ou‚ en tout cas‚ des connivences‚ quant à la conception de la
vie politique et sociale du pays. L’Episcopat argentin est
l’un des plus conservateurs et traditionalistes d’Amérique
Latine. Ses relations avec l’oligarchie et les milieux les plus
rétrogrades de la société sont très étroites. Les principes de
base qui les identifient sont : « Dios‚ Patria y Hogar » ‚ ainsi
que « Tradición‚ Familia y Propiedad ».
29 A l’instar de certains membres de la société‚ l’Église et
certains prêtres‚ aumôniers ou autres ecclésiastiques‚
soutiennent la dictature et deviennent‚ -comme nous
l’avons déjà mentionné précédemment-les complices de la
dictature :
[…] Este sacerdote nos visitó durante trece meses en
nuestro calabozo sin tener siquiera una sola palabra de
aliento o de piedad ante nuestros pesares. A un detenido
que había sido apaleado y se quejaba de ello‚ este hombre –
a quien Dios ampare- le respondió exasperado : “¡Y bueno‚
mi hijo : si no quiere que le peguen‚ hable !”[…]
(…) No es de extranar‚ que el pro-vicario‚
MonseñorVictorio Bonamín‚ tras el golpe de Estado‚

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sostuviera en una homilía :
“Cuando hay derramamiento de sangre‚ hay redención.
Dios esta redimiendo a través del Ejército a la Nación
Argentina. […] Se suele decir que los militares son una
falange de gente honesta‚ pura. Hasta han llegado a
purificarse en el Jordán de la sangre para ponerse al trente
del pais.”32
30 Certains dignitaires de l’Église comme Mgr. Adolfo
Servando Tortolo‚ cautionnent la dictature‚ et‚
publiquement‚ appellent instamment les fidèles à coopérer
avec la dictature militaire :
“Cooperar positivamente con el régimen militar‚ a fin de
reinstaurar definitivamente el auténtico espíritu nacional y
una convivencia que no pueden soslayarse con palabras
sino que debe enfatizarse con hechos”.33
31 Disparitions (desapariciones)‚ disparus (desaparecidos)‚
séquestration (secuestración)‚ séquestrés (secuestrados)‚
sont autant de termes qui ont illustré cette sinistre période
en Argentine.
32 L’action de « faire disparaître » des personnes s’inscrit‚ en
effet‚ dans un programme planifié à l’avance‚ et s’applique
au moyen des méthodes de torture que nous avons
mentionnées antérieurement.
33 La dictature de 1976 complète et approfondit le projet
d’assassinat et d’élimination systématique mis en œuvre
par José Lopez Rega‚ le chef de la « Triple A ». Personne
n’est épargné et‚ outre les adultes‚ les enfants sont
également victimes d’enlèvements. Certains naissent en
captivité‚ sont arrachés et volés à leur mère‚ pour être
ensuite soit vendus‚ soit abandonnés dans des orphelinats‚
soit remis à des familles de militaires. Durant la dictature‚
les militaires considèrent que les enfants des disparus
doivent perdre leur identité ; c’est la raison pour laquelle
on les fait disparaître et on les place auprès des familles de
militaires.34
34 En 1977‚ la Commission argentine des droits de l’Homme‚

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accuse le régime deVidela d’assassinats politiques. La
CONADEP « Comisión Nacional sobre la Desaparición de
Personas » publie en 1984 un rapport sous le titre Nunca
Más‚ dans lequel est établi un recensement du nombre de
personnes disparues entre 1976 et 1983 ; le nombre total
des victimes s’élève‚ toutes professions et catégories
sociales confondues‚ à 89 60.35 Certains membres du clergé‚
comme les deux religieuses françaises Alice Domon et
Léonie Duquet‚ sont également victimes de la répression‚
d’enlèvements souvent suivis d’assassinat :
[…] Esa noche se enteró de que los marinos habían
secuestrado a la monja Alice Domon‚ a las madres Maria
Ponce de Bianco‚ Ester Balestrino de Careaga y a un grupo
de militantes – la mayoría de Vanguardia Comunista- que
trabajaban con ellas. Tres días después‚ un mediodía‚ le
tocó hacer el rancho en el sótano. Cuando fue al laboratorio
viejo a lavar los platos se encontró con una mujer
encapuchada : se notaba que era una persona mayor. […].
Era la monja Léonie Duquet : la habían secuestrado el día
anterior‚ igual que a Azucena Villaflor. [...] Una semana
después‚ los marinos se llevaron a todos los secuestrados
del 8 y 10 de diciembre. Esa noche‚ varios prisioneros los
vieron llegar con los zapatos embarrados‚ diciendo que
habían encontrado un buen lugar para dejar los bultos. […]
El domingo 19 todos los diarios denunciaban la
desaparición de Domon y Duquet. [...] El gobierno había
expresado su “vivo y categórico repudio a todo intento
perturbador de la paz y la tranquilidad de los argentinos”‚
señalando que la desaparición de “un grupo de personas‚
entre ellas dos religiosas”‚ ocurría en mémentos en que
“pueblo y gobierno buscan con renovado afán las
soluciones que les permitan arribar a una paz digna y
duradera”‚ y afirmando que‚ con ese procéder‚ “la
subversión‚ encerrada en su nihilismo‚ insiste con sus
métodos de odio y destruction”. […]36

35 C’est dans ce contexte de terreur que va émerger‚ depuis le


cœur de la société civile‚ un petit groupe de femmes et
d’hommes qui décident de réagir contre la soumission

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imposée et la loi du silence. Pour la plupart d’entre elles‚ il
s’agit de personnes touchées au plus profond de leur être :
parents‚ mères ou grand-mères dont les enfants‚ petits
enfants ou tout autre membre de leur famille ont été
enlevés ou sont portés disparus :
« [...] Como esposa‚ madre‚ hermana‚ y tía‚ quisiera saber
qué pasó con mi familia. Al perderla quedé en el
desamparo y sin ningún recurso con dos hijas chicas. Mis
hijos y mi esposo‚ mi hermano y mi sobrino eran gente de
trabajo‚ honrada‚ sin antecedentes policiales. Tuve gran
dolor que me llevaron un hijo asmático que precisa mis
cuidados. Y a mi sobrino ¿por qué se lo llevaron al pobre ?
¿Por qué Dios mío se llevaron a todos y qué suerte han
corrido ? » […]37

36 Le 30 avril 1977‚ un groupe de femmes et de mères


entreprend une marche pour réclamer vérité et justice
auprès du gouvernement militaire qui‚ comme il fallait s’y
attendre‚ ne fait aucun cas de leur requête. Comme symbole
de leur détresse‚ elles portent‚ noué sur la tête‚ un foulard
blanc sur lequel figure le nom de leur(s) enfant(s)
disparu(s). Elles décident de se réunir tous les jeudis sur
« La Plaza de Mayo » à Buenos Aires‚ afin de crier leur
douleur et leur indignation.
37 Cette initiative marque le début de l’action de ces mères‚
qui donnera naissance à l’association « Madres de la Plaza
de Mayo ».38 L’association devient très rapidement le
symbole de la résistance de femmes qui ont pour seul but
de conjurer l’horreur et la douleur. L’action des « Mères de
la place de Mai » ‚ connues aussi sous le nom de « Folles de
Mai » ‚ vise essentiellement à s’insurger contre l’État
terroriste‚ à l’origine de tant de souffrances‚ d’horreurs et
de malheurs. Elles sont traitées de « Folles » car elles
radicalisent et intensifient à l’extrême leur situation et
sentiment de mères meurtries. « Les Mères de la Place de
Mai » ne s’assimilent pas à « La Mère » de Gorki‚39 qui‚ elle‚
s’identifie à son fils mort. Elles sont dites « Folles » ‚ car

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:
elles semblent délirer en exigeant ce qui relève de
l’impossible : récupérer le corps de leur enfant.
38 Dans le contexte effroyable imposé par le régime‚ il est
difficile à ces femmes de faire entendre leur voix. « Les
Mères de la Place de Mai » s’efforcent de vaincre la terreur
par leur singularité‚ émues‚ motivées et encouragées par la
seule lutte qui leur tient à cœur‚ celle d’une mère qui refuse
de faire son deuil. Ces femmes et mères de famille sont
aujourd’hui connues dans le monde entier comme le
symbole de la résistance à la tyrannie et à la violence d’État.
En Argentine même‚ « Les Mères de la Place de mai » vont
faire des émules. Devant le nombre considérable de
disparitions de bébés‚ des grands- mères dont les propres
enfants avaient disparu ou avaient été assassinés‚ vont se
mobiliser. Elles vont créer une nouvelle association‚
« Abuelas de la Plaza de Mayo » ‚ qui ne sera réellement
reconnue qu’à partir de 1983 et qui se joint alors à celle de
« Las Madres de la Plaza de Mayo ». Ces grands-mères
effectuent‚ depuis lors‚ un travail de recherche considérable
et ont déjà permis de retrouver un bon nombre d’enfants‚
devenus aujourd’hui des adultes. Afin de lutter contre
l’oubli‚ elles poursuivent fermement leur action et elles
invitent‚ quiconque a un doute sur son identité à se
présenter à leur association :
[…] « Acaso lo opuesto al olvido no sea la memoria‚sino la
justicia ». […]40 […] Mientras exista en Argentina la ronda
de los jueves de las Madres de la Plaza de Mayo‚ la mayoría
silenciosa no podrá trabajar tranquila en la rutina de la
gran complicidad‚ porque esa ronda es un gesto
permanente de denuncia. […]41

39 Hebe Bonafini‚ la Présidente de l’association de “Las


Madres de Plaza de Mayo‚” déclare au journal Pagina 12‚
en 1996 :
“La plaza es el lugar donde se produce el verdadero y único
milagro de la resurrección […] Los primeros pasos tienen
mucha profundidad y cuando me pongo el pañuelo en la

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:
casa de las madrés‚ antes de salir para la plaza‚ y me lo
aprieto fuerte en la barbilla‚ es un abrazo‚ el abrazo de los
treinta mil. La plaza es la lucha‚ la esperanza‚ los sueños‚
las ilusiones y la sangre de los tantos.” […]42
40 Ces femmes aux mains nues résistant à la brutalité militaire
dans ce qu’elle a de plus abject‚ ont‚ en même temps‚ valeur
d’exemple pour la population argentine dont une partie
importante reconnaît‚ face à l’injustice et à la terreur
institutionnalisées‚ la nécessité de résellion. Cela pousse
certains citoyens à rejoindre‚ ouvertement l’opposition au
régime de Videla. De nombreux artistes‚ en particulier des
dramaturges‚ décident d’utiliser leur art comme moyen de
résistance. C’est ainsi qu’entre 1981 et 1983 naît au « Teatro
del Picadero » le cycle « Teatro Abierto » ‚ qui n’est rien
d’autre qu’une réponse politico‚ intellectuelle et culturelle à
l’oppression idéologique ainsi qu’à la censure caractérisant
les dures années de dictature militaire.
41 Utiliser leur art‚ le théâtre‚ pour faire acte de rébellion face
à l’arbitraire et à la tyrannie et‚ ainsi‚ démontrer et imposer
l’existence ainsi que la vitalité du théâtre argentin‚ telle est
l’idée maîtresse qui motive un groupe d’auteurs
appartenant à différentes générations : parmi eux‚ il
faudrait citer Osvaldo Dragún‚ Roberto Cossa‚ Carlos
Somigliana‚ Carlos Gorostiza‚ Griselda Gambaro‚ Ricardo
Halac‚ Mauricio Kartum‚ Eduardo Pavlovsky‚ Ricardo
Monti‚ Aida Bortnik‚ Alberto Dragó.
42 Ces dramaturges aspirent‚ à ce moment-là‚ à disposer de
leur droit inaliénable à la liberté d’expression‚ et à vaincre
avec courage toutes les peurs que suscite la dictature. Ils
ressentent alors la nécessité de proposer un théâtre à but
non lucratif‚ dont l’objectif essentiel est l’expression de leur
conscience politique et de leur engagement antifasciste.
Leurs œuvres théâtrales teintées de cruauté et de « grotesco
criollo » ‚43 dénoncent l’aliénation de la société argentine
soumise à la terreur imposée par la dictature. « Teatro
Abierto » apparaît alors comme un rempart culturel qui

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:
nourrit en son sein un théátre de résistance et d’expression
populaire.
43 Ce mouvement théâtral est‚ également‚ le produit de
situations diverses. En effet‚ dans les années 70‚ même si le
théátre commercial occupe le premier rang à Buenos Aires‚
il n’attire en revanche qu’un public dont les préoccupations
sont plutôt superficielles ; il n’apporte en réalité‚ aucun
élément de réflexion sur les vicissitudes qui caractérisent la
vie politique du pays à ce moment-là. Parallèlement au
théátre commercial‚ il existe à Buenos Aires‚ mais
également dans d’autres villes importantes comme
Córdoba ou Tucumán‚ des groupes de théátre formés soit
par des coopératives d’acteurs‚ soit par des noyaux
universitaires auxquels il n’est pas donné de s’épanouir‚
puisqu’ils sont soumis à de fortes pressions politiques et
économiques.
44 « Teatro Abierto » ‚ fruit de la situation du théátre argentin
durant l’époque du PRN44‚ naît d’un besoin d’expression
collective‚ propre à tous ceux qui luttent contre la
répression. Pour ce faire‚ les dramaturges argentins
considèrent indispensable d’imposer un théátre
contemporain‚ constitué d’œuvres brèves‚ susceptibles de
toucher le public au plus profond de sa sensibilité.
45 En effet‚ qu’il s’agisse de l’œuvre de Griselda Gambaro ou
de celles des autres dramaturges‚ toutes‚ chacune à leur
manière‚ se font l’écho de l’identité et de la culture
argentines. « Teatro Abierto » intègre au total quelque
soixante et onze œuvres de différents dramaturges45‚ dont
la pièce Decir si‚ que Griselda Gambaro a écrite en 1974.
Spécifiquement argentin‚ ce mouvement artistique s’est
étendu à travers d’autres formes artistiques comme
« Folklore Abierto » ‚ « Tango Abierto » ‚ « Danza Abierta »
etc. Le « Teatro Abierto » s’est vu attribuer la
dénomination de « Ciclo » ‚ car il s’agit d’un phénomène
théâtral qui a surgi durant une période déterminée‚ entre
les années 1981 et 1985‚ et qui a subi des interruptions et

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:
des reprises.
46 Les quatre cycles se répartissent et se caractérisent comme
suit46 :
47 Le premier cycle qui‚ dès 1981‚ annonce l’existence de
« Teatro Abierto » ‚ s’intitule « Vamos a demostrar que
existimos ». En 1982‚ le deuxième cycle‚ « Sin riesgos ni
Popular » ‚ a pour objectif de renforcer la résistance
antifasciste. Le troisième cycle‚ « A ganar la calle » qui se
déroule en 1983‚ pour objet unique de favoriser la création
collective. Ce troisième cycle débute en effet par un défilé
constitué de « murgas »47 et de « comparsas » ‚ qui‚ dans
les rues de Buenos Aires‚ scandent le slogan « por un teatro
popular sin censura ».
48 Ce type de carnaval se transforme en théátre de rue au
cœur duquel public et interprètes s’unissent dans la même
résistance et la même ferveur antifascistes. En 1984‚ le
quatrième cycle prend le nom de « El teatrazo ». Vingt et
un auteurs sont invités par le comité de direction de
« Teatro Abierto » à produire‚ chacun‚ une œuvre théâtrale
sur le thème : « Teatro Abierto opina sobre la libertad ».
49 Le cycle « Teatro Abierto » dans lequel beaucoup de
dramaturges argentins fondèrent leur espoir‚ connut un
grand succès. En 1982‚ la guerre des Malouines‚ qui opposa
l’Argentine à l’Angleterre‚48 contribua à sa disparition.
50 Pendant une période déterminée‚ le « Ciclo teatro Abierto »
a signifié pour Griselda Gambaro‚ plus qu’un renouveau‚ un
mouvement théâtral politisé. Elle fait valoir que « Teatro
Abierto » a connu un grand succès parce qu’il était engagé
et répondait aux attentes d’un public particulier.
51 Dans le même ordre d’idées‚ le dramaturge Roberto Cossa‚
auteur de la pièce La Nona‚ critique acerbe du pouvoir
dictatorial‚ affirme au journal argentin Clarín :
Teatro Abierto fue más un fenómeno político que estético ;
una respuesta masiva al régimen imperante que llevó a la
gente a los teatros para nuclearla alrededor del tema de la
libertad y dejó una fuerte marca especialmente a través de

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:
la élaboratión de espectáculos en equipo. Era como dije, un
movimiento político de resistencia a la dictadura...49
52 Griselda Gambaro met en évidence le caractère socio-
politique du mouvement « Teatro Abierto » dont l’une des
caractéristiques essentielles repose sur la vision
manichéenne représentée par la confrontation des
personnages victimes, et, d’autre part, des personnages
bourreaux, immergés dans un climat de terreur :
53 Fue un fenómeno importante de confrontación política [...]
Fue un hermoso fenómeno de solidaridad entre la gente de
teatro y el público ; récupéró al pùblico, destruyô la
atomización, ese aislamiento que había impuesto la
dictadura. Yo aparecí un poco como una francotiradora
[...]50
54 Carlos Somigliana, l’un des dramaturges adhérant au
mouvement, définit ainsi « Teatro Abierto » :
[…] En principio, la idea fue organizar una muestra
representativa del teatro argentine contemporáneo,
promover el encuentro creativo de la gente de teatro,
ejercitar en fraterna solidaridad nuestro derecho a la
libertad de expresión, recuperar para el teatro de arte un
público en permanente disminución, investigar en la
práctica nuevas formas de producción que nos liberen de
un esquema chatamente mercantilista. En una palabra :
crecer juntos. […].51
55 Dans ce contexte de censure où non seulement le théâtre,
mais aussi d’autres formes d’art sont placés sous
surveillance, le cycle « Teatro Abierto », qui illustre
l’aphorisme de Gide : « L’art naît des contraintes, vit de
luttes, meurt de liberté [...] »52, apparaît alors comme
exutoire, un espace indispensable, au sein duquel Griselda
Gambaro, et d’autres dramaturges cités précédemment,
offrent des œuvres théâtrales qui sont le produit et le reflet
de la répression qui sévit en Argentine à l’ époque du
« PNR » (« Proceso de Reorganización National »). Le
théâtre, le cinéma, la musique et bien d’autres formes d’art

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apparaissent alors comme une arme pour lutter contre la
répression ; ces artistes saisissent alors l’occasion
d’exprimer leur profond rejet du régime. Eduardo
Pavlovsky exprime ce sentiment dans son ouvrage
Micropolitica de la resistencia :
[...] creo que tenemos que retomar el espíritu que animó
aTeatro Abierto. Esa intensidad de lucha cultural que
caracterizó aquel particular social histórico. Aquel
compromiso. Aquel riesgo de combate que ejercieron
hombres de teatro. Después vino la bomba al Picadero.
Porque se puso en juego la ética del cuerpo. Y eso se paga
caro. Siempre hay represalias. La represalia es la medida
del riesgo asumido. [...]53

56 Les chansons engagées, « canciones de protesta », jouent


également un rôle d’une grande importance dans cette
résistance, et sont porteuses de subversion considérée par
bon nombre de personnes comme le seul moyen de
dénoncer les injustices et les ignominies imposées par le
régime. Certains interprètes de rock argentin, appelé aussi
« rock nacional » comme Pedro y Pablo, le groupe
Almendra ou encore des auteurs compositeurs tels que
Alberto Cortez, Litto Nebbia, León Gieco, Victor Heredia,
se voient privés de leur droit d’expression et certaines de
leurs compositions sont censurées. Mercedes Sosa, Horacio
Guarani, Athahualpa Yupanqui, et d’autres interprètes du
folklore argentin, dont la sensibilité de gauche est de
notoriété publique, sont forcés à l’exil.

III – 2. L’exil
« Porque me muero si me quedo
Pero me duele si me voy
Por todo y a pesar de todo
Mi amor, yo quiero vivir en vos... »
(Maria Elena Walsh54)
57 La notion d’identité est très présente chez les écrivains et
dramaturges chiliens, uruguayens et argentins qui ont été

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:
contraints à l’exil et ont constitué les diasporas des
années 70. Une multiplicité de romans, d’œuvres
théâtrales, de poésies, ou de chansons se font l’écho de
l’exil. A leur façon, tous ces textes, fixent le contexte qui les
inspire.
58 La pièce de Roberto Cossa, Gris de ausencia, ou les romans
de Osvaldo Soriano, No habrá más pena ni olvido (1980),
de Manuel Puig, El beso de la mujer araña (1976), de Juan
José Saer, Le mai argentin, (1976), de Daniel Moyano,
Libro de Navíos y Borrascas (1982), pour n’en citer que
quelques-uns, témoignent des mélancolies, des regrets, et
d’autres sentiments contradictoires d’un grand nombre
d’intellectuels argentins déracinés. Le journaliste argentin
Carlos Ares rend bien compte de tous ces états d’âmes :
[…] Hay quien no llora y quien vive en suspense, hay quien
no recuerda calles ni lunfardos, y quien se empeña en
encontrarle parecido a los bares, hay quien niega y quien
afirma, y quien se resigna, hay quien hace mucho y quien
hace poco, hay quien se abre y quien se cierra, hay de todo.
Pero no hay ni uno solo que olvide, una mujer, un amigo,
los viejos, un gol, un equipo, un barrio, un amor, una
noche, un tango, una voz, una calle, un lugar, una esquina,
un teléfono, una panadería, una plaza, un muerto, un cine,
un partido, una pizzería, un dolor. Uno mismo. Estar
afuera no es olvido. […]55

59 La littérature de l’exil constitue un sujet trop vaste pour


être traitée dans le cadre d’une étude dont elle ne constitue
pas l’objet principal. Il faut donc se contenter de dire très
sommairement qu’elle s’apparente à un phénomène
« d’écriture charnière » entre présent et passé, entre pays
d’accueil et pays d’origine.
60 Durant la dictature, Griselda Gambaro doit quitter
l’Argentine et poursuit, elle aussi, ses activités d’écrivain en
dehors de son pays. Comme elle le précise au cours d’un
entretien, son exil en Espagne, contrairement à celui
d’autres dramaturges, n’est pas productif en terme
d’inspiration pour son théâtre :

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:
[…] No hice teatro porque senti que no ténía mi público, no
sabía a quién dirigirme, el contexto era distinto. Pensaba
que no iba a escribir teatro nunca más. No sabía c2mo se
les hablaba a los españoles, qué se les decía. [...].56 No
escribi teatro, porque el teatro exige el escenario de manera
inmediata, y yo no sabía qué podía decirle al pùblico
español, y menos al catalán. Ignoraba sus códigos.
[...] Regresé porque éste era mi pais, el lugar de mi
infancia, de mis afectos. También el lugar en el que deseaba
llevar a cabo mi oficio de escribir. Mi público y mis lectores
eran y son argentinos.57

61 Durant son séjour forcé à Barcelone en 1979, elle achève en


revanche son roman Dios no nos quiere contentos dont elle
avait entamé l’écriture en Argentine et dont l’axe essentiel
tourne autour de la dénonciation des outrages subis par les
victimes du régime dictatorial, un système qui semble être
manipulé par un dieu invincible et tout-puissant. Tristán
est un enfant orphelin sans défense, au destin malheureux.
Le sort s’acharne sur lui une seconde fois, lorsqu’il perd ses
parents adoptifs dans l’effondrement de leur maison. La
société le marginalise. Dans sa nouvelle cellule familiale
d’accueil, Tristán est victime d’humiliations et d’atteintes
sexuelles de la part d’un homme qui impose son autorité.
Pour fuir cette cruelle réalité, l’enfant se construit son
propre univers :
[…] Tengo que aprender a cantar, se dijoTristán,
interrumpir la caricia incomprensible y no deseada. […] La
cara del hombre se acercaba lentamente a la suya,
descendió un poco y sintió el roce húmedo de la lengua
contra su piel.58
62 La nouvelle famille dans laquelle est placé Tristán,
symbolise la violence, l’autoritarisme et l’hostilité d’une
mère patrie indigne de ses enfants :
[…] La memoria le traía un pais áspero y duro. La madre
que decapitaba a sus hijos, que los gestaba con ternura,
ignorante ella misma del destino que les deparaba. Nacían

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:
y los habituaba al campo inmenso, a los horizontes
infinitos sobre el mar, a los sabores no gastados aún, y
cuando los hijos crecían y pensaban, que hermosa tierra
si..., se hacia violenta por el si dubitativo y no deseado, los
enmudecía, y la magnitud del paisaje se traducía en
inmensidad de crueldades no gastadas, en infinidad de
muertes. […]59
63 En 1986, Gambaro explique les raisons qui ont motivé
l’écriture de ce roman :
[…] En mi última novela publicada, Dios no nos quiere
contentos, escrita fuera de Argentina, ténía que dar
respuesta a todo eso que estaba pasando en la Argentina, y
a mi propia situatión personal, es decir como si los
problemas fueran múltiples y complejos. […]60
64 Comme nous le verrons dans la suite de ce travail, la
dénonciation de la violence et de la cruauté qui sévissent
sous la dictature en Argentine, est au cœur des
préoccupations morales constamment mises en scène par
notre dramaturge.

III – 3. La censure
« Un pais donde puedas elegir,
donde valga tu opinión,
aunque seas un latón.
Un pais donde puedas ser vos,
sin sentirte cucaracha, ni bajarte la bombacha.
Para todos hago mi canto, buscando la raiz.
Somos hijos del exilio, dentro y fuera del pais. » 61
65 Haut lieu de la résistance à l’oppression, le théâtre argentin
des années 70 apparaît comme un symbole de l’opposition
à la dictature de Videla ; il est le porte-drapeau d’une
dissidence nécessaire contre l’intolérable, l’indignité, la
dévastation inconsidérée de l’humain. Le théâtre argentin
sera donc dans la ligne de mire de la dictature. A ce titre, il
est victime de la censure et s’efforce de la contourner pour

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incarner les messages que les dramaturges souhaitent
fortement porter à la scène. Cette dernière s’attache à être
un espace unique et représentatif d’innombrables lieux et
situations vécus, déclinés de multiples façons. Le théâtre
effraie les défenseurs de l’ordre moral établi, car il va à leur
encontre, et c’est en cela qu’il est gênant. Le pouvoir
répressif argentin est similaire à une pierre d’achoppement
face à laquelle le théâtre vient constamment buter,
devenant ainsi un art muselé. Généralement lié au
totalitarisme et à la situation d’un pays en état de siège ou
de guerre, le terme censure est évocateur de silence imposé.
C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, la censure est
symbolisée par les ciseaux d’Anastasie62.
66 Le combat pour la liberté d’expression, qui remonte à
l’Antiquité, est toujours la réponse au contrôle absolu et
autoritaire exercé par un pouvoir étatique ou religieux sur
toute production écrite ou orale. Déjà à cette époque
lointaine, le philosophe et savant grec Anaxagore (500-
428 avant J. C) fut contraint à l’exil pour sa pensée
matérialiste et pour son impiété. Les ouvrages de
Protagoras (485-411 avant J. C) avaient été brulés par les
tribunaux d’Athènes (l’aréopage), parce qu’ils affichaient
un certain scepticisme à l’égard de l’existence des dieux.
Euripide (480-406 avant J. C), de même qu’Aristophane
(450 -386 avant J. C), avaient eux aussi subi les affres de la
censure, car leurs œuvres remettaient en question les
traditions religieuses et sociales de leur époque.63 Avant
d’aborder le sujet de la censure en Argentine, nous
soulignerons, à titre d’exemple, qu’en 1938, dans l’Espagne
du dictateur Franco, la censure sévère à laquelle sont
soumis tout mouvement culturel ainsi que l’activité
théâtrale, emprunte les mêmes schémas et mécanismes que
la censure qui sévira pratiquement quarante ans plus tard
en Argentine sous le PRN.
67 L’objectif premier du PRN est l’abrogation définitive de
tous les droits constitutionnels, et en particulier de celui de

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:
la liberté d’expression, de réunion ou d’association. Le
contrôle et la manipulation totale des moyens de
communication oraux, visuels et écrits sont les fondements
du pouvoir censeur argentin des années 70.
68 Toute manifestation artistique ou culturelle susceptible de
remettre en question l’ordre moral et religieux, est
assimilée à de la subversion qui, selon les dirigeants
politiques, expose la nation au danger. La presse, le
cinéma, les expressions musicales ou poétiques, la
littérature et le théâtre, subissent ce musellement
impitoyable :
[…] En el plano educacional y cultural la represión pasa por
la prohibición y quema de textos, el asesinato de profesores
y estudiantes y la rígida intervención militar en
establecimientos educacionales.64

69 En ce qui concerne le théâtre, la censure s’applique tant au


dramaturge qu’à son public qui, à son tour, par sa seule
présence au spectacle fait l’objet de suspicions. En effet,
pour les détenteurs du pouvoir, toute expression, qu’elle
soit littéraire ou dramatique, est inquiétante et assimilée, la
plupart du temps, à une dangereuse opération d’infiltration
idéologique. C’est le cas par exemple de l’œuvre de Griselda
Gambaro, écrite en 1976, Ganarse la muerte65, dans
laquelle elle dénonce et remet en cause l’idéologie
dominante sous le « PRN ». Par décret
n° 1101 du 26 avril 1977, cette œuvre est censurée et
interdite à la vente par la Junte militaire en mai 19 7 7.66
Dès le 24 mars 1976, un communiqué de presse souligne :
Se comunica a la población que la Junta de Comandantes
Generales ha resuelto que sea reprimido con la pena de
reclusión por tiempo indeterminado el que por cualquier
medio difundiere, divulgare o propagare comunicados o
imágenes provenientes o atribuídas a asociaciones ilícitas o
personas o grupos notoriamente dedicados a actividades
subversivas o al terrorismo. Sera reprimido con réclusión
de hasta diez años el que por cualquier medio, difundiere,

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:
divulgare o propagare noticias, comunicados o imágenes,
con el propósito de perturbar o desprestigiar las
actividades de las Fuerzas Armadas, de Seguridad o
Policiales.67
70 Pour Gambaro, l’acte d’écriture est une soupape de sûreté
qui lui permet de laisser libre cours à l’expression sans
retenue de ses convictions, sentiments et états d’âme :
Escribir una novela es siempre decir algo que a una le
atraganta […]. Los miedos son mâs ricos que la felicidad a
la hora de escribir, porque son más ambiguos : se
acumulan en la memoria y se guardan en el cuerpo
silenciosamente para saltar en cualquier momento a
condimentarnos una historia […].68
71 Sans aucune concession, Ganarse la muerte passe au crible
la société argentine à l’époque du PRN. Cette œuvre se fait
l’écho de l’engagement politique déterminé de la
dramaturge qui, par là-même, se trouve en opposition
frontale au pouvoir. Huit mois après le décret instaurant la
censure, elle est donc contrainte à l’exil en Espagne69. Dans
son ouvrage Argentinas de Rosas à Perón, María Gabriela
Mizraje met en lumière cet épisode douloureux de la vie de
Griselda Gambaro :
[...] Ganarse la muerte puede tomarse como título de toda
una zona de la production de Gambaro, sus textos hablan
con insistencia de ese trabajo. Lo que ella como autora casi
se gana mediante la novela es eso mismo. En lugar de la
muerte, la variante fue censura y exilio.70
72 A son retour d’exil en 1980, Griselda Gambaro relève un
défi en écrivant sa pièce de théâtre Real envido71. Présentée
sous la forme d’une farce en un acte, cette pièce se déroule
à l’époque médiévale ; le jeu des acteurs y souligne
subtilement les abus de pouvoir de la junte militaire. Dans
cette pièce, l’originalité créative de la dramaturge repose,
en effet, sur son art de travestir les actes tyranniques du
pouvoir par le biais d’un déguisement littéraire. Par ce
camouflage littéraire, elle se crée un espace de liberté qui

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:
fait également office d’espace protecteur permettant de
dénoncer la dictature, tout en fourvoyant un éventuel
lecteur ou spectateur mal intentionné, susceptible de
décrypter la portée du message de la pièce. Il est donc
évident que le titre choisi par la dramaturge pour sa pièce
n’est pas innocent, si l’on sait que « el envido » se réfère à
« l’esbroufe » qui permet de brouiller les pistes dans le
cadre d’un jeu de cartes. En effet, ce jeu s’appuie sur
l’habileté de l’un des joueurs à bluffer les autres adversaires
par des annonces certes fallacieuses, mais présentées avec
tellement de prestesse qu’elles peuvent faire accroire des
choses absurdes comme plausibles. A propos de Real
envido Gambaro explique :
[…] Regresamos de España antes de que la dictadura
terminara, asi que el desafio fue escribir, pero sin convertir
la escritura en un acta suicida. Asi naciô Real envido.72

73 En janvier 1983, la pièce mise en scène par Juan Cosin est


jouée, pour la première fois, à Buenos Aires au « Teatro del
Odeón ». C’est justement à la suite de Real envido que
Griselda Gambaro, à l’instar d’autres dramaturges,
Pavlosky, par exemple, Griselda Gambaro pour Real envido
est soumise à la censure non officielle et ce, malgré tous les
mécanismes de dissimulation et de camouflage utilisés
pour que la critique qu’elle y fait du régime, ne soit
perceptible que par ceux qui sont à même de lire entre les
lignes. Pour justifier la censure de cette pièce, le prétexte
avancé est que plusieurs scènes sont censées faire allusion à
la réalité vécue sous le système de la Junte militaire73 :
74 Natàn : ¡ Nos atacan !
75 Rey : ¿ Quién nos ataca ?
76 Natán : ¡ Los vecinos !
77 Rey : ¿ Qué vecinos ?
78 Natàn : ¡ Los de la derecha !
79 Rey : ¿ Qué derecha ? (Real envido, p. 36)
80 La censure indirecte, non officielle, a recours à de faux
motifs pour faire annuler un spectacle. Elle utilise

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:
différentes formes de pression et son efficacité repose sur
des procédés tels que la fermeture de salles de spectacles,
des attentats à la bombe, des incendies dans les théâtres,
ou bien des agressions physiques au moyen de produits
désinfectants très nocifs comme le « gamexane ».
81 De tels sabotages compliquent et entravent la production
théâtrale, la diffusion et la réception d’un spectacle. Ces
obstacles génèrent un nouveau langage dramatique, qui
répond au besoin impératif des dramaturges de faire
référence à la réalité sociopolitique de leur pays.
82 C’est en s’appuyant sur une figure de rhétorique comme la
métaphore, que les dramaturges latino-américains en
général, et Griselda Gambaro en particulier, élaborent une
stratégie de camouflage et jouent sur l’ambiguïté pour
transmettre leurs messages.
83 Sans faire cependant d’allusions directes à la situation
répressive, les dramaturges ont pour objectif de mettre leur
art théâtral au service d’une prise de conscience collective,
et posent une problématique qu’ils adressent à un public
avisé et complice. Chaque phrase de leur théâtre redonne
vie à la parole confisquée. Les dramaturges doivent pour
cela utiliser de nouveaux codes, afin d’être en mesure de
calquer la réalité sur le texte théâtral, car il est évident que
ladite réalité va bien au-delà de ce que le texte dramatique
peut évoquer.
84 Griselda Gambaro, pour sa part, présente dans la majorité
de ses pièces, des corps humains réels mais, en revanche,
théâtralement grotesques.74
85 Les personnages des pièces de Gambaro sont la plupart du
temps représentatifs de la société argentine. C’est en effet à
travers eux et avec un humour noir que la dramaturge
porte à la scène sa conception de la réalité sociale en
décomposition.

III – 3. A. La cas de Real envido


86 Dès lors qu’il s’écarte des normes sociales établies, le

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:
spectacle théâtral devient dangereux pour le pouvoir
répressif. En effet, si, comme c’est le cas pour Real envido,
une pièce stigmatise les codes de l’idéologie dominante, elle
est susceptible d’inviter le lecteur ou le spectateur à la
réflexion. Si ce dernier adhère au message véhiculé par la
pièce, il est conduit à remettre en question l’ensemble des
règles coercitives auxquelles le pouvoir dictatorial aurait
souhaité que personne ne dérogeât. Le spectacle théâtral,
alors assimilé à un acte subversif, est considéré comme
pernicieux, rebelle et néfaste par le PRN. Le silence imposé
nourrit alors la créativité de l’écrivain ou du dramaturge, et
l’incite à opter pour une autre forme d’expression,
l’autocensure.
87 C’est parce que la dramaturge porte sur son œuvre un
regard lucide qu’elle déguise ses propos. Ayant conscience
que le premier récepteur de sa pièce est le pouvoir censeur,
elle lisse son œuvre pour mieux la rendre communicable.
C’est, en effet, une stratégie qui lui permet de courir le
moins de risques possibles excepté, peut-être, celui de
priver le spectateur averti de ses réelles expectatives.
88 L’écriture de Real envido repose sur la volonté de
transparence de Griselda Gambaro qui entend ainsi mettre
au jour les agissements, les manipulations, les
machinations et autres méthodes dictatoriales de la junte
militaire. C’est à partir d’une action dramatique cohérente,
et en lien direct avec le contexte sociopolitique de son pays
que la dramaturge s’emploie à atteindre son objectif.
89 Cette farce présente des personnages moyenâgeux :

le roi (Rey),
ses subalternes manipulateurs et obséquieux, Natán et
Sansón (le bourreau),
la fille du roi Margarita/Margarita2,
le valet du chevalier sourd-muet et par la suite amant
de Margarita, Valentin,
le médecin (médico),
les chevaliers (caballeros).

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:
90 La première didascalie qui ouvre la pièce présente d’emblée
le Roi comme un personnage cupide et avide de récupérer
les moindres détritus qu’il trouve sur son passage :
[...] el Rey mira atentamente el suelo, se inclina de tanto
en tanto y recoge todo lo que encuentra : basuras, objetos
sin valor que observa apreciativamente y entrega a
Natán, quien, si se siente observado, los guarda en el
bolsillo (Real envido, p. 9)

91 Pour pallier les problèmes économiques du royaume, il


demande conseil à Natán, son subordonné, qui lui suggère
de marier sa fille à un bon parti. Il faut souligner ici une
constante dans l’écriture de Griselda Gambaro : les allers et
retours constants entre sphère publique (politique) et
sphère privée (familiale) qui se téléscopent :
Rey : La bolsa está vacía.
Natán : El erario exhausto. La economía reventada.
Rey : Por eso te elegí. (Sonne). Tus transcripciones son
ôptimas. Un poco
fuertes. ¿Qué me aconsejas ? ; La casamos ?
Natán : Casamiento. […]
Rey : Buenos muchachos no hay ¿ y Buenos partidos ?
Natàn : Si.
Rey : Entonces no se perdió nada. Pediremos una dote y
remozaremos el palacio […].
(Real envido, pp. 9,10).
92 Gambaro montre comment la femme est réduite à l’état
d’objet, assimilée à une valeur marchande, elle n’est rien
d’autre qu’un moyen d’échange. Encore de nos jours, dans
certains milieux, l’union entre un homme et une femme est
subordonnée à l’intérêt économique :
Rey : ¿ Felipe ? ¿Puedo llamarte Felipe no ? ¿Te casarás con
mi hija ?
Caballero : ¡ Si !
Rey : Tenés mucho dinero ?
Caballero : Si.
Rey : ¿Me lo darás ?
Caballero : (lucha contra la respuesta’) : ¡ Si ! (Real

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:
envido, p. 33)
93 L’autorité parentale et celle du régime sont incarnées par le
Roi qui soumet, de manière péremptoire, sa descendance et
ses sujets à son bon vouloir. Nous remarquons ici une
assimilation du système féodal avec le système répressif du
PRN, dans la mesure où l’autorité, sous quelque forme
qu’elle se présente, est de toute façon indiscutable. Au
moment où son père veut lui imposer son mariage forcé,
Margarita, sa fille, se dérobe :
Rey : ¿Y Margarita ?
Natán : ¡Voy a buscarla ! (sale corriendo)
Rey (descubre el extremo del chai enganchado en la pata
del sillón, se acerca y lo observa, cauteloso) : Margarita, sé
que estas aquí.
Margarita : Afuera.
Rey : No mientas. Huelo tu perfume. Tengo narices de
galgo. Tu perfume me guiará y… […] ¡Natán !
Natàn (se asoma) : Señor, déme tiempo ! Es una criatura
escurridiza ¡ Todavía no la encontré !
Rey : ¡ Lerdo ! Ayudame a levantarme. (Natán lo ayuda) Si
no la traés inmediatamente
¡ podés hacer tus valijas !
Natán (feliz) : ¡ No tengo ! ¡ La traeré !
Rey : ¡ De los cabellos ! Aunque sea hija de rey. [...] {Real
envido, p. 12
94 Le Roi décide d’organiser un duel entre deux prétendants
potentiels. Il donnera sa fille en mariage à celui qui
remportera la victoire. Malgré les réticences que montre
Margarita, le Roi impose sa décision de façon arbitraire :
Rey : Daré a mi hija en matrimonio a quien gane estas tres
pruebas.
Sansón : ¿ Qué pruebas ?
Rey : ¿ No sabes leer ?
Sansón : No. […] Las ôrdenes ¿ cuáles son ?
Rey (le arrebata el papel) : para los canditatos :
Natán : Solventes
Rey : Duelo de espada. Porque debe ser valiente. Duelo de

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:
canto. Porque debe ser alegre.
Duelo de fuerza. Porque debe ser potente. Margarita : Tu
majestad dépende de que los otros no existan. No quiero
hablar con el rey.
Rey : (...) ¡ Si, dije quiero porque soy rey ! Cuando un rey
dice quiero, ¡ todos violín en bolsa ! Boca cosida. (Real
envido, 16,17).
95 Utilisant un humour caustique, Griselda Gambaro dénonce
les abus de pouvoir divers, en établissant un parallèle entre
la relation du dominant et du dominé, de la victime et du
bourreau, ou encore du suzerain et de son vassal. Margarita
apparaît cependant comme le personnage rebelle
transgresseur du pouvoir paternel. Sa résistance est
symbole de l’opposition au pouvoir répressif :
Margarita (canta) : Arreglan mi casamiento
como un asunto de Estado
pero del fondo del lago
vendrá el amor que ya siento. (Real envido, p. 17)
96 Cette rébellion est aussitôt neutralisée par l’autorité
paternelle :
97 Rey : Solo sentiras lo que yo quiera.¿ No es verdad
Margarita ? (Real envido, p. 17)
98 Margarita aborde un sujet tabou lorsqu’elle avoue à son
père avoir perdu sa virginité, non pas avec l’homme que
son père lui avait destiné, mais avec Valentin, l’homme
qu’elle a choisi. A l’annonce de la nouvelle, le Roi n’est
finalement préoccupé que par l’éventuelle réaction du
chevalier trahi ou éconduit, car il craint de perdre la dot
que ce dernier est censé lui apporter. C’est alors que son
valet Natán propose une solution, et justifie le droit de
cuissage :
Margarita : ¡ Padre ! ¡Tenés que deshacer mi boda ! (...)
Rey : ¿ Qué ?
Margarita : ¡ Mi boda ! ¡ Perdi la virginidad !
Rey : Perdiste, ¿ qué ?
Margarita : La virginidad.
Rey : ¿ Cómo tengo que entenderlo ? (Natán se acerca y le
explica al oído.) ¿ Con quién ?

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:
Margarita (señala aValentin) : Con él. [...]
Natán : Desertó.
Rey : ¡ A la horca !
Margarita : No papá. A la deshonra : vergüenza. Tenés que
arrojarme a los caminos. […]
Rey (a Natán dudoso) : ¿Te parece ?
Natán : No señor. Su dueño vendra.
Rey : Y lo sabrá. Perderemos los caballos, los cofres, las
alfombras y los tapices. [...] ¿Y cómo haremos ? tengo que
entregarle una doncella.
Natán : Diremos que ha sido un extravio de su parte.
Rey : (señala al Caballero) : ¿De él ?
Natán : No, de su parte.
Rey (agraviado) : ¿ De la mia ?
Natán : ¿ Por qué no ?
Rey : ¿ Un incesto ? ¿ El rey cometer incesto ?
Natán : ¡ No ! ¿Cómo se le ocurre ? El derecho de pernada.
Rey (conforme) : ¡ Aaaah ! (Real envido, p. 39)
99 Afin de souligner à quel point le pouvoir dictatorial est
tendancieux, la dramaturge a recours à une technique
théâtrale basée sur une ruse littéraire. En effet, elle
introduit un autre personnage, Margarita 2 qui n’est que le
« clone » passif et l’anti-image de Margarita. Cette dernière
n’est autre que le double idiot de la princesse Margarita.
Margarita 2 annule l’identité de la princesse initiale,
Margarita. De cette manière, Gambaro stigmatise le
pouvoir tyrannique qui ne tient pas compte de son
opposition politique parce qu’il considère que la force et le
poids de cette dernière sont dérisoires au regard de son
propre appareil de répression.
100 Le Roi et son sbire Natán ont la mainmise sur le
personnage de Margarita2, à qui ils imposent de dire ou de
faire ce que bon leur semble :
Rey : Los someteremos a tres pruebas. Y el vencedor te
tendrá.
Margarita : ¿A mi ?
Margarita 2 : ¡ A mi !
Natán : (contento) : ¿ Ve, señor, que no es tan idiota ? El

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:
eco es mâs dôcil que la voz.
(Real envido, p. 15)
101 Il est aisé de faire dire ce que l’on veut à un écho, en
revanche il est plus difficile de faire taire une voix.
Margarita, le personnage insoumis remet
systématiquement l’autorité en question.
Margarita : Aunque la tonta se vista de eco, ¡ tonta se
queda ! (Real envido, p. 15)
102 Pour sa part, Natán, le valet servile reste campé sur ses
positions.
Natán : Si. ¡Tontita pero servicial ! ¡ No se puede decir de
todo el mundo lo mismo !
(Real envido, p. 15)
103 C’est par le biais de son discours dominateur et en
imposant sa loi au moyen de la terreur que le régime
totalitaire deVidela s’emploie à éliminer quiconque affiche
une opinion considérée comme non-conformiste et
dangereuse pour le système : déviante et nuisible pour le
système :
Rey : ¿ Quién se ha muerto ? (Asaltado par una brusca
sospecha, se toca)
Margarita (alusiva) : Desgraciadamente…
Rey (suspicaz) : Termina tu pensamiento...
Margarita {con fingida inocencia) : ¿Cuál ? (sopla) Voló.
{Real envido, p. 20)
104 Le lavage de cerveau qui s’appuie sur un discours à la fois
autoritaire, convaincant et corrupteur, vise à anéantir toute
individualité :
Rey (agraviado) : ¿ Leés mi pensamiento ?
Natán : ¡ No señor ! jamás me atrevería. Como súbdito, yo
veo lo que usted ve, yo pienso lo que usted quiere que
piense. ¿Quién disiente con un rey ? Nada pienso por mi
cuenta, nada veo, nada quiero, nada sueño.
Mire, soy un recipiente. (sacude la cabeza hacia abajo) No
cae nada. {Real envido, p. 43)

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:
105 La scène burlesque, au cours de laquelle le médecin
effectue sur le chevalier sourd-muet une greffe de la langue
à l’aide d’une épingle, suggère l’ampleur des brutalités de
toutes sortes infligées aux détenus durant les séances de
torture. Il s’agit là d’une allusion évidente de la
collaboration de certains médecins avec la dictature.75 Cette
scène n’est rien d’autre qu’une métaphore burlesque des
sévices impitoyables endurés par les victimes du « PRN » :
Rey (al Médico) ¿ Es operable ?
Médico : ¡ Por supuesto ! ¿ Qué tiene ?
Natán (apartando a Margarita 2) : Sordo y mudo.
Rey : En una batalla
Valentín : No, de nacimiento. Lo de la batalla quedaba
bien.
Médico : Juego de niños para mi. (Abre el estuche, del que
se escapa, como caminando, una lengua muy larga) (...)
Si, si, si. Es la lengua de los síes.
Rey : ¡ Mi sueño ! Ponésela. Que las mujeres se retiren.
Vamos a operar. Correrá la sangre.
Margarita : Yo no me voy.
Rey : ¡ Te iras !
Natán : Serruchará los huesos, le abrirá el mate, chorrearán
las arterias.
Margarita : Padre, estoy habituada a los espectáculos
repugnantes.
Rey : ¿ Dônde ? […]
Margarita : ¡Uf ! (Se aparta) ¡ Qué historia !
Rey (contenta) : ¡ la convencí ! (a Valentin) ¿Se lo
comunicaste a tu amo ?
¿Está de acuerdo ? (Valentin escribe rápidamente en la
cartilla y se la muestra al Caballero, quien mueve la
cabeza dubitativo. No lo dejan decidirse. El Médico se
acerca con la lengua, pero no alcanza la cabeza del
Caballero. Sube sobre Sansón y trata de ponerle la lengua
con dos alfileres de gancho. Lo consigne)
Natán : ¿ Y el oído ?
Valentin : No hace falta ; […]
Rey : Avisale que le vamos a poner una oreja. ¡ Y que le

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:
tiene que servir por dos !
Natán : ¡ por cuatro !
(Valentín escribe, le muestra la cartilla al (Caballero)
Caballero : Si.
(El Médico sube sobre Sansóny le clava la oreja) (Real
envido, pp. 31,32, 33)
106 Les personnages oscillent entre l’être et le paraître. Le
langage et les situations grotesques, pour le moins
équivoques, révèlent la conception que la dramaturge a de
son pays déshumanisé. Le théâtre de Griselda Gambaro et,
en particulier, la pièce Real envido s’applique à détruire les
mythes et l’image des institutions argentines, qu’une frange
de la société s’obstine à valoriser et à rendre inaltérables.
Elle remet systématiquement en question le conformisme,
cette attitude passive qui contribue amplement à la
justification de la dictature, mais également à sa
consolidation.
107 C’est toujours par le biais d’une scène burlesque, dans
laquelle les deux chevaliers doivent s’affronter en duel pour
prendre en mariage Margarita, la fille du Roi, que, dans
cette pièce, Gambaro met en lumière ses convictions
profondes ainsi que ses positions sur les institutions de son
pays. Pour cela, tout au long de l’œuvre, elle parodie, à
maintes reprises, ces personnages représentatifs des
institutions. Ainsi, l’apparition des quatre chevaliers
faméliques, qui nous renvoie aux Quatre cavaliers de
l’Apocalypse76, affiche-t-elle une image navrante de ce qui,
dans cette pièce, représente apparemment les institutions :
(Entran los cuatro caballeros con hambre. Son flacos, de
aspecto timido y esperpéntico). […]
Sansôn {subrepticio, por un costado de la boca) : ¡
Comida...!
(Les larga los espadones. Dos de los caballeros luchan por
alzarlos y pelean con una torpeza miserable. No
consiguen dominar el peso, que los lleva de un lado a otro.
Uno de ellos consigne alzar la espada por encima de su
cabeza y con esto amenaza provocar una hecatombe. La

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:
espada lo lleva sin contrat, como si quisiera decapitar a
todo el mundo, lo que ocasiona pánico y una desbandada
general).
Rey : (detrás del sillón) : ¡ Echalos !
Caballero 1 : ¿Y comida ? ¿ No hay comida ?
Sansón : ¡ Si ! ¡ Afuera ! (Los dos caballeros salen con un
bramido de ansiedad. Sansón corre y sujeta por las ropas
a los otros dos que quieren seguirlos) ¡
Peleen ! (Los caballeros intentan levantar las espadas.
Insisten, transpiran y en un momento, por un accidente
fortuito, el Caballero 3 golpea en la cabeza a su
compañero y lo desmaya . El caballero no puede creerlo.
Sonríe, incrédule de su buena suerte)
Caballero 3 : ¡Gané ! ¡ Gané ! ¡ Gané comida !
Natán : ¡ Ganarás a la hija del rey !
Caballero 3 (desilusionado) : ¿ Comida no ? (Real envido,
p. 34)
108 La dramaturge s’applique, cependant, à souligner la
puissance du pouvoir oppresseur toujours recommencé et
illustre cette réalité par l’inversion de rôle.
109 Margarita 2, présentée au début de la pièce comme le
double demeuré de Margarita, la fille rebelle, devient un
personnage instigateur, qui, détrônant le Roi devenu sénile,
prend le pouvoir. A travers cette technique théâtrale,
Griselda Gambaro soulève clairement le problème de
l’imposture et de la corruption chez les dirigeants
politiques de son pays, qui favorisent la promotion de la
médiocrité.
110 Cet exemple nous permet d’ailleurs d’établir ici une
comparaison avec la prise de pouvoir d’Isabel Perón, la
deuxième épouse du général Juan Domingo Perón, une
femme politique sans aucun charisme, qui, au décès de son
époux, à été propulsée à la tête du gou- vernement.77
111 Pour fixer l’objectif essentiel de sa pièce, à savoir la quête
de la liberté et de l’identité, Gambaro s’appuie sur la figure
féminine de Real envido : Margarita.
112 Dans l’univers corrompu qui l’entoure, cette dernière

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:
trouve un allié dans le personnage de Valentin (le valet du
chevalier sourd-muet, chargé, au départ, de faire
l’entremetteur) :
Margarita : ¿Cómo te llamás ?
Valentín : Valentín.
Margarita : Me gusta. (Real envido, p. 29)

113 Valentin devient l’amant de Margarita. Cette union enfreint


les lois de la hiérarchie féodale, car Valentin n’est qu’un
homme du peuple qui ne peut prétendre aimer une
princesse. Margarita assume et impose cependant son
choix :
Margarita :¡ Mi Boda ! ¡ Perdí la virginidad !
Rey : ¿Perdiste qué ?
Margarita : La virginidad.
Rey : ¿Cómo tengo que entenderlo ? (Natán se acerca y le
explica al oído.)
Rey : ¿ Con quién ?
Margarita (señala a Valentin) : Con él. (Real envido,
p. 39)
114 Aidé de Natán son serviteur manipulateur, le Roi s’obstine
à empêcher cette liaison qui s’achève finalement sur
l’élimination des deux amants, qui est décrite dans une
scène surréaliste au cours de laquelle les deux personnages
renient, au nom de leur amour et de leurs convictions, leur
statut social respectif. Cette scène fait également allusion
au devoir de mémoire :
Valentín : Margarita, ¿ de verdad estás muerta ?
Margarita : Creo que si. (Se reclina contra el palo de la
horca) O no. ¿ Qué
es estar muerto ?
Valentín : La ausencia de todo.
Margarita : Pero estás présente y tengo memoria. La
lengua me arde por todo lo que no dije.
Valentín : Yo hablo, pero me rompió las cervicales.
Margarita : ¿ No sentis nada ?
Valentin : Una apretadura en el pescuezo.

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:
Margarita : ¿Y qué más ? ¿ Qué mâs sentis ?
Valentin : Que estoy fuera de la corte, que no sirvo al
caballero, y que te amo. ¿ Y vos, Margarita ?
Margarita : Que estoy fuera de la corte, que no soy hija de
mi padre, y que te amo. (Real envido, p. 45)
115 Valentin est le personnage représentatif de la victime, apte
malgré tout à démontrer ses capacités de rébellion. Ce
personnage est celui qui démasque et dénonce l’hypocrisie
du pouvoir illimité d’un despote. Les différentes scènes
burlesques de cette pièce, évocatrices des sévices exercés
sur une grande partie de la population argentine, sont
autant d’éléments qui permettent de décoder l’énormité de
l’horreur vécue en Argentine dès 1976.

Notes
1. Cette partie historique s’appuie sur :
– Eduardo Luis Duhalde‚ El estado terrorista argentino‚ Buenos Aires‚
Ediciones El caballito S.R. L‚ 1983‚
– Eduardo Anguita et Martin Caparrós‚ La Voluntad Tomo III : una
historia de la militancia revolucionaria en Argentina 1976.1978‚
Buenos Aires‚ Grupo Editorial Norma S. A‚ 1998‚
Roberto Baschetti‚ Documentas 1973-1976 volumen II De la ruptura al
golpe‚ Buenos Aires‚ Editorial de la campana‚ 1999‚
– Roque Luis Cattaneo‚ La Argentina Negada‚ Buenos Aires‚ Ediciones
Dunken‚ 1998.
2. Article que Maria Elena Walsh‚ poète argentine‚ fait paraître dans le
journal Clarin‚ en 1979‚ dans lequel elle dénonce avec courage‚ et au
péril de sa vie‚ ceux qu’elle nomme « nuestros encapuchados y facistas
espontáneos ».
3. Eduardo Duhalde‚ El estado terrorista argentino‚ Buenos Aires‚
Ediciones El Caballito S.R. L‚ 1983‚ pp.20‚ 22‚ 23.
4. Nous verrons un peu plus loin comment la censure a sévi sous le
régime du PRN (Proceso de Reorganización Nacional).
5. Voir l’article de la revue Página abierta‚ Número 123. Año 12 -
Febrero 2002‚ pp. 23‚ 24 et 25.
6. Eduardo Anguita et Martin Caparrós‚ La Voluntad Tomo II : Una
historia de la militancia revolucionaria en la Argentina 1976.1978‚
Buenos Aires‚ grupo Editorial Norma S. A‚ 1998‚ p. 42-43.

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:
7. A cette époque-là‚ on dénombre en Argentine‚ à peu
près 30.000 disparus‚ un millier de prisonniers‚ et un million d’exilés
politiques.
8. Eduardo Anguita et Martin Caparrós. La Voluntad Tomo II : Una
historia de la militancia en la Argentina 1976-1978‚ Buenos Aires‚
grupo Editorial Norma S.A. 1998‚ p. 208.
9. Ce véhicule‚ symbole du pouvoir mortifère de la dictature militaire‚
hante le texte de Humberto Costantini (1924-1987). Poète‚ écrivain et
dramaturge argentin‚ héritier du groupe « Boedo » ‚ Humserto
Costantini a écrit De dioses‚ Hombrecitos y Policias‚ en 1979‚ durant la
répression ; l’ouvrage est publié dans les années 80. Voici en quels
termes‚ l’auteur résume le propos de son livre : « Lo empecé a escribir
en plena represión en pleno terror. Lo seguí escribiendo porque si‚ por
vicio digamos‚ para hacer algo en una época en que escribir parecía un
disparate. Lo cierto fue que‚ sin quererlo‚ el primer beneficiado con el
libro fui yo‚ la realidad de la novela me arrancaba de la espantosa
realidad de todos los días » Nota de la contratapa‚ in Costantini
Humserto‚ De Dioses‚ Hombrecitos Y Policías‚ Buenos Aires‚ Ed.
Bruguera‚ 1984.
10. Ibid.‚p. 204.
11. Le cinéaste Marco Bechis s’en est inspiré pour réaliser en 2000 son
film‚ Garaje Olimpo‚ qui rappelle la cruauté‚ la douleur et l’humiliation
infligées par un bourreau sadique à sa victime.
12. Ibid.‚p. 202.
13. Eduardo Luis Duhalde‚ El estado terrorista argentino‚ Buenos
Aires‚ Ediciones El Casallito SRL‚ 1983‚ pp. 77-78.
14. Cette torture spécifique a donné le titre à l’ouvrage du même nom
El vuelo‚ écrit par le journaliste Horacio Verbitsky qui‚ pour l’occasion‚
a bénéficié de témoignages de première main d’un tortionnaire repenti‚
Francisco Scilingo.
15. Ibid.‚ pp. 155‚ 156‚ 157.
16. Le sadisme atteignait son paroxysme lorsque les bourreaux
obligeaient certains détenus à assister aux séances de tortures
auxquelles étaient soumis d’autres prisonniers ; on essayait d’étouffer
les souffrances‚ les gémissements‚ les hurlements de douleur des
suppliciés‚ en les couvrant par de la musique ou des chansons à la mode
diffusées à l’époque sur les ondes de la radio.
17. “Entrevista a Griselda Gambaro”‚ Teatro número 10‚ Buenos Aires‚
Revista Teatro‚ 1983‚ p. 36.

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:
18. Teatro 4‚ Los siameses (1965)‚ Buenos Aires De La Flor‚ 1997.
19. Teatro 3‚ Decir si (1974)‚ Buenos Aires‚ De la Flor‚ 1997.
20. Teatro 4‚ Las paredes (1963)‚ Buenos Aires‚ De la Flor‚ 1997.
21. Teatro 4‚ El desatino (1965)‚ Buenos Aires‚ De la Flor‚ 1997.
22. Teatro 4‚ El campo (1967)‚ Buenos Aires‚ De la Flor‚ 1997.
23. Teatro 1‚ La malasangre (1981)‚ Buenos Aires‚ De la Flor‚ 1997.
24. Teatro 1‚ Real envido (1980)‚ Buenos Aires‚ De la Flor‚ 1997.
25. Teatro 3‚ Nosferatu (1970)‚ Buenos Aires‚ De la Flor‚ 1997.
26. Teatro 3‚ Antigona furiosa (1986)‚ Buenos Aires‚ De la Flor‚ 1997.
27. Teatro 2‚ Información para extranjeros‚ Buenos Aires‚ De la Flor‚
1995.
28. Teatro 6‚ Atando cabos‚ (1991)‚ Buenos Aires‚ De la Flor‚ 1996.
29. Eduardo Pavlovsky‚ Micropolitica de la Resistencia‚ Buenos Aires‚
Editorial Universitaria de Buenos Aires‚ 1999‚ pp. 117‚ 118‚ 165‚ 168.
30. Eduardo Duhalde‚ El estado terrorista argentino‚ Buenos Aires‚
Ediciones El Caballito S.R. L‚ 1983‚ p. 156.
31. Eduardo Pavlovsky‚ Micropolitica de la Resistencia‚ Buenos Aires‚
Editorial Universitaria de Buenos Aires‚ 1999‚ p. 115.
32. Eduardo Duhalde‚ El estado terrorista argentine‚ Buenos Aires‚
Ediciones El Caballito S.R. L‚ 1983‚ pp. 130-134.
33. Ibid.‚ p. 130.
34. A ce propos‚ voir le film La Historia Oficial‚ de Luis Puenzo 1985.
Lire également le livre témoignage poignant de Carlos Liscano‚
L’impunité des bourreaux‚ sur l’affaire Gelman‚ Paris‚ Bourin Éditeur‚
2007.
35. Voir l’article de la revue Página abierta‚ número 161-
Año 15- Julio 2005‚ p. 2.
36. Eduardo Anguita et Martin Caparrós‚ La voluntad tomo II : Una
historia de la militancia revolucionaria en la Argentina 1976.1978‚
Buenos Aires‚ grupo Editorial Norma S. A‚ 1998‚ p. 386-388.
37. Eduardo Duhalde‚ El estado terrorista argentino‚ Buenos Aires‚
Ediciones El Caballito S.R. L‚ 1983‚ p. 183.
38. Cette association est présidée par Hebe de Bonafini.
39. « La Mère » de Maxime Gorki‚ rédigé en exil (1906) a inspiré le
théátre de Bertolt Brecht. Œuvre qui retrace le parcours d’une femme

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du peuple‚ Pélagie Vlassova‚ d’abord hostile au militantisme
communiste de son fils. Après la mort de ce dernier‚ son action
révolutionnaire s’amplifie. L’originalité de l’œuvre repose‚ entre autre‚
sur le fait que le savoir est transmis du fils à la mère.
40. Voir la revue Pagina abierta‚ número 161-Ano 15-Julio 2005-p. 52.
41. Ibid.‚ p. 40
42. Hebe de Bonafini‚ Presidenta de las Madres de Plaza de Mayo‚ en
Diario Página 12‚ 26 de junio de 1996.
43. Mouvement théátral étudié dans le Chap.4‚ Partie I.
44. PRN : Proceso de reorganización nacional.
45. Cf. la thèse de Isabelle Clerc‚ Teatro Abierto 1981-1983. Censure et
écriture théâtrale dans l’Argentine du « Processus de réorganisation
nationale » ‚ thèse soutenue en 2003 à l’Université de Toulouse Le
Mirail.
46. Cf. Luis Chesney Lauwrence‚ El teatro popular contemporàneo en
América Latina 1955- 1985. Ph. D. Diss. University of Southampton‚
1987‚ notamment le chapitre “Teatro Abierto Argentino : un caso de
teatro popular de resistencia cultural‚”p. 40.
47. En Argentine ou en Uruguay‚ on appelle « murga » ou « comparsa »
l’expression populaire d’une musique de rue qui accompagne le
carnaval ou tout autre évènement festif. L’instrument typique de « la
murga » est le « bombo de platillo » et autres percussions qui guident
la rytmique d’un défilé traditionnel‚ au sein d’un rassemblement
bruyant. Actuellement‚ la ville de Buenos Aires compte plus
de 180 « murgas ». Chaque quartier possède sa « murga ». Cette
dernière présente des chorégraphies en tous genres‚ accompagnées de
chansons répétitives et à connotation souvent burlesques ou critiques.
À Buenos-Aires‚ c’est surtout au mois de février que se produisent les
plus importants défilés de « murgas ». Il est cependant important de
souligner l’ambiguïté de cette manifestation populaire‚ scandée par les
« bombos » qui‚ même si elle renvoie à l’allégresse populaire‚ ne traduit
pas moins une certaine sensibilité péroniste. Il ne faut pas perdre de
vue que la « murga » est très hétérogène et est synonyme de sensibilités
diverses. (Voir p. 42 « La marcha peronista » : Perón‚ Perón que grande
sos…)
48. Rappelons que pour la société argentine‚ cette guerre a joué le rôle
de catalyseur en faisant renaître‚ face à l’agression britannique‚ l’esprit
nationaliste qui est le produit de la culture et de l’enseignement
inculqués au peuple argentin‚ d’abord au mouvement de
l’indépendance en 1810‚ puis entre 1862 et 1880 lorsque l’Argentine

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devient une répuslique.
49. Cossa Roberto, Revista Clarin, número 14.387, Buenos Aires,
22 marzo 1986.
50. Entrevista a Griselda Gambaro, de Peter Roster en Teatro del
Pueblo -Somi-, Buenos Aires, octubre 1990.
51. Cité dans Teatro Abierto 1981, volumen II, Buenos Aires,
Corregidor, 1998, p. 9.
52. Gide André, Morceaux choisis, Paris, Gallimard, 1921, p. 64.
53. Eduardo Pavlovsky., Micropolitica de la Resistencia, Buenos Aires,
Editorial Universitaria de Buenos Aires, 1999, p. 64.
54. Premières lignes de la chanson de María Elena Wlash, Serenata
para la tierra de uno. (1979)
55. Ares, Carlos, in Jensen Silvina Inés, Suspendidos De la Historia/
Exiliados De la Memoria. El caso de los argentinos desterrados en
Cataluña (1976-....), Thèse dirigée par Josep María Solé i Sabaté, UAB,
Barcelone, Avril, 2004.
56. Entrevue accordée par Griselda Gambaro au journal Clarin, Buenos
Aires, 16/01/2003.
57. Griselda Gambaro : « Hoy la utopía de los jóvenes es subsistir »,
entrevue tirée des archives de La Nación, Buenos Aires, 19/03/2005.
58. Gambaro, Griselda, Dios no nos quiere contentas, Barcelona,
Lumen, 1979.
59. Gambaro, Griselda, Dios no nos quiere contentas, Barcelona,
Lumen, 1979.
60. « Griselda Gambaro habla de su obra más reciente y la critica »,
entrevue accordée à Sharon Magnarelli, in Revista de estudios
hispánicos, 20, BS. AS, 1986, p. 128.
61. Chanson du film El exilio de Gardel de Fernando Pino Solanas,
1986.
62. Anastasie évoque un personnage imaginaire ; ce dernier est
représenté sous les traits d’une vieille sorcière munie d’une énorme
paire de ciseaux. Il faut probablement rechercher l’origine de
l’expression ciseaux d’Anastasie chez le Pape Anastase 1er qui a
inauguré la censure chrétienne.
Anastasie a inspiré le dessinateur Gil qui, en 1874, élabore une
caricature symbolisant la censure. En 1974, le thème est repris au
théâtre par Jacques Kraemer avec sa pièce jouée à Metz au théâtre
populaire de Lorraine et qui prend pour titre Les ciseaux d’Anastasie,

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car elle porte sur la censure.
63. Rappelons l’existence de la censure, avec l’avènement de l’écriture
dès l’antiquité (Platon, Ovide, Cicéron...), puis à l’époque de
l’inquisition, (entre le XIIIème et le XVIème siècle dans l’Europe
chrétienne) puis en France sous Richelieu (1629), ensuite sous Louis
XV (1752) qui avait interdit l’impression et la diffusion des deux
premiers volumes de l’encyclopédie dirigée par Denis Diderot, car les
jésuites jugeaient que le contenu politique et philosophique de
l’encyclopédie était subversif à cause des idées matérialistes et athées
qu’il véhiculait. En France, sous Napoléon (1810), la censure est
imposée. Supprimée en 1815, elle est à nouveau appliquée
en 1949 pour, soi-disant, détourner la jeunesse française de la
débauche que pourrait inspirer la lecture de récits vantant, par
exemple, les exploits du gentleman cambrioleur Arsène Lupin ou
contant les aventures du forçat Chéri-Bibi. La loi du 3 avril 1955 sur
l’état d’urgence, votée en France, pour faire face aux événements de la
guerre d’Algérie, est encore en vigueur de nos jours, et permet toujours
d’appliquer la censure. Cette loi autorise le Ministère de l’intérieur
français ainsi que les préfets à prendre « toute mesure pour assurer le
contrôle de la presse et de la radio ».
64. Eduardo Duhalde, El estado terrorista argentino, Buenos Aires,
Ediciones El Caballito S.R. L, 1983, p. 61
65. Sur cette œuvre, voir le chapitre 3 de ce travail.
66. Cf. Reflexiones sobre teatro latinoamericano del siglo veinte,
Buenos Aires, Editorial Galerna, 1989, p. 230.
67. Diario, La Prensa, 24 de marzo de 1976.
68. « Entrevista a Griselda Gambaro » por Raquel Garzón, Clarin,
Buenos Aires, 6/04/2002.
69. Voir Chap. 1, Partie I.
70. Mizraje Maria Gabriela, Argentinas de Rosas a Perón, Buenos
Aires, Editorial Biblos, 1999, p. 294
71. Gambaro, Griselda, Real envido, (1980), Teatro 1, Buenos Aires, De
la Flor, 1997.
72. Clarin, Sábado, 06/04/2002, entrevista de Raquel Garzón.
73. Cf. article de Vivian Brates, “Teatro y Censura en Argentina”, in
Reflexiones sobre teatro latinoamericano del siglo veinte, Buenos
Aires, Editorial Galerna, 1989, p. 223.
74. Sur le grotesque, voir Chap.4, Partie I.

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75. A ce propos voir Chap.3, Partie I.
76. Les quatre cavaliers de l’Apocalypse, est un film réalisé parVicente
Minnelli en 1961, et sorti en 1962, qui retrace sur fond d’occupation
allemande, la folie des hommes, la lutte du bien contre le mal, le conflit
d’une famille divisée par le nazisme et détruite par les quatre cavaliers
de l’Apocalypse tirés de la Bible. En 1938, en Argentine, Madariaga, le
vieux patriarche argentin fortuné, est allié par ses deux filles aux
Desnoyers et aux von Hartrott, originaires respectivement de France et
d’Allemagne. Lorsque le vieil homme apprend au cours d’un repas
familial que l’un de ses petits-fils Heinrich, décide de rejoindre le camp
des nazis, il est victime d’une crise cardiaque qui lui est fatale. Au
déclenchement de la guerre, les deux familles se séparent. Julio et Chi
Chi Desnoyers s’engagent dans la résistance, tandis que Henrich von
Hartrott et son père, vont retrouver les troupes allemandes.
77. Voir Chap.2, Partie I.

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Référence électronique du chapitre


SUREDA-CAGLIANI, Sylvie. Chapitre III. La dictature argentine
(1976-1983) In : Victimes et bourreaux dans le théâtre de Griselda
Gambaro : De “El desatino” (1965) à Antígona furiosa (1986) [en
ligne]. Perpignan : Presses universitaires de Perpignan, 2011 (généré le
23 octobre 2023). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/pupvd/32222>. ISBN :
9782354124083. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pupvd.32222.

Référence électronique du livre


SUREDA-CAGLIANI, Sylvie. Victimes et bourreaux dans le théâtre de
Griselda Gambaro : De “El desatino” (1965) à Antígona furiosa
(1986). Nouvelle édition [en ligne]. Perpignan : Presses universitaires
de Perpignan, 2011 (généré le 23 octobre 2023). Disponible sur
Internet : <http://books.openedition.org/pupvd/32152>. ISBN :
9782354124083. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pupvd.32152.
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