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La Grande relève

numéro 1203

RÉFLEXION

Le projet de changement de système économique amène à réfléchir notamment sur la question de la propriété
des moyens de production. Si nous connaissons la position de Karl Marx sur la question (favorable à
l’acquisition collective de ces moyens sous le chapeautage de l’État, au moins dans un premier temps,
transition qui peut durer très longtemps lorsque le pouvoir étatique est en place), si nous connaissons celle
des libéraux (prônant la propriété privée pour soi-disant des considérations de rentabilité et d’efficacité non
prouvées), nous n’avons qu’une idée incertaine des réalisations de collectivisation tentées ici et là dans un
passé relativement proche. Collectivisation qui a pourtant été l’organisation générale adoptée pendant des
milliers d’années par nos ancêtres.
Cette solution est-elle possible encore aujourd’hui et est-elle réaliste, compte tenu des changements qui
affectent l’humanité ?
Un seul article consacré à ce sujet ne pourrait suffire. Alors, après avoir passé en revue les différentes
expériences connues, leurs réussites et leurs échecs, je me propose d’en faire un bilan et d’en déduire la
possibilité et l’intérêt d’une réalisation actuelle.

I. La collectivisation de 1936 en Espagne


LA SITUATION
Dans ce pays, comme dans bien d’autres, existait à cette époque un clivage social marqué par des inégalités
flagrantes. Ainsi, l’Église, l’armée et la police contrôlaient la situation, l’enseignement et la vie économique,
l’entretien des aristocrates avec le budget de l’État, et l’ordre social. Le domaine agricole était aux mains des
grands propriétaires et le secteur industriel naissant était sous la coupe de capitaux étrangers.
Dès la fin du XIXe siècle, la lutte contre cette oppression s’était organisée, d’une part, à l’aide des partis
politiques comme le parti socialiste (PSOE), le parti communiste (PC) à tendance staliniste, le parti ouvrier
marxiste (POUM), la fédération anarchiste ibérique (FAI) ; et d’autre part, par les mouvements ouvriers
comme l’union générale des travailleurs (UGT) de tendance socialiste, et la confédération nationale du
travail (CNT) adepte des thèses anarcho-syndicalistes.
C’est cette dernière qui proposa de réorganiser la société sur les bases du communisme libertaire, c’est-à-dire
la mise en œuvre immédiate de la pratique de la solidarité et de l’émancipation définitive de l’exploitation
capitaliste et de l’oppression étatique.

Les idées reposaient en grande partie sur :


- une très forte décentralisation du domaine administratif,
- la collectivisation et l’autogestion dans le domaine économique,
- le libéralisme dans les domaines moraux et sociaux,
- un anticléricalisme virulent dans le domaine religieux,
- le rationalisme dans le domaine éducatif.
Jusqu’en 1936, la CNT était la cible d’une répression sanglante haut en bas la dictature monarchique (1923 à
1931) que par le gouvernement républicain qui suivit.

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La victoire de la gauche aux élections du 16 février 1936 marque un tournant favorable à une révolution
sociale, le gouvernement républicain alors formé est d’un front populaire qui regroupe les socialistes,
communistes, les groupes républicains de gauche (Gauche républicaine et Union républicaine), l’Esquerra
catalane et l’ORGA (parti autonomiste galicien).

La droite répond par l’organisation d’un parti fasciste prônant le retour à l’ordre : la Phalange.

La confrontation était inévitable et s’est traduite par une guerre armée. Le choix qui s’impose est : le
fascisme ou la révolution.
Face à l’incapacité du gouvernement républicain de réagir au coup d’état fasciste, la CNT prend les choses
en main et après sa victoire à Barcelone déclare l’avènement de la révolution.
C’est ainsi qu’un vent de collectivisations balaya l’Espagne dès le début de la guerre civile qui éclata en
juillet 1936. En plus de la résistance contre l’armée fasciste, s’organisa partout où cela était possible la
révolution sociale sous le mot d’ordre : « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-
mêmes ».
Après la fuite des patrons, des ingénieurs et des propriétaires terriens, la nécessité urgente de remettre en
marche la production incitait à la collectivisation immédiate. En témoigne cet habitant de Calanda, en
Catalogne : dès sa libération par les milices, le 26 juillet 1936, « le peuple s’est réuni sur la place et c’est là
que le communisme libertaire a été proclamé. Comme ça, en un quart d’heure ! Puis on a nommé un comité
révolutionnaire composé de six membres de la CNT et de deux républicains, contre l’avis de leur
organisation. ». Dans cette petite ville, comme partout dans le milieu rural espagnol, les riches possédaient
les meilleures terres et louaient les moins productives. Ainsi 80 % de la production profitait à 20 % de la
population, et pour la consommation, le rapport était équivalent. Calanda, comme les autres villages, était
économiquement riche mais les gens y vivaient en grande majorité pauvrement. Ce qui explique que, dès le
moment approprié, l’instauration de la révolution a été aussi spontanée.

LA COLLECTIVISATION
Les usines réquisitionnées seront gérées par des comités de travailleurs ; les zones agricoles collectivisées
fonctionnent comme des communes libertaires. Même les hôtels, les restaurants, les salons de coiffure, les
transports sont gérés par leurs propres travailleurs. Dans certains endroits, l’utilisation de l’argent est
totalement abolie, et remplacées par des systèmes de bons. Le nouveau prix des biens et ramenés à 75 % de
sa valeur ancienne.
George ORWELL en parle ainsi : « J’étais en train de m’intégrer, plus ou moins par hasard, dans la
première communauté d’Europe occidentale dans la conscience révolutionnaire et la haine du capitalisme
était plus normale que le contraire. En Aragon, des dizaines de milliers de personnes, pour la plupart
d’origine prolétaire, disait en termes d’égalité. En théorie, c’était une égalité parfaite, et en pratique, il
n’était pas loin de l’être. Par nombreux aspects, d’alimenter la lavande ou de socialisme. ».
Les syndicats ouvriers de la CNT sont très puissants. En quelques jours, ce sont 70 % des entreprises et des
commerces qui passent sous le contrôle des travailleurs.
Passons en revue ces transformations ainsi mises en place :
- l’autogestion industrielle : la fuite des patrons, des ingénieurs et même des techniciens amènent la CNT,
aidée par l’UGT, à s’emparer des entreprises, principalement en Catalogne et en Aragon. La vie collective est
améliorée par la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, la mise en place de l’assurance
maladie, d’une retraite garantie, de conditions de travail améliorées. Les ouvriers parviennent à gérer des
branches industrielles complètes et se montrent capables d’assumer la production sans chefs et sans
discipline imposée. Prenant leur sort en main, il vote des décisions importantes en assemblée générale.
Le fait de travailler pour le bien de tous et non pour un patron et ses actionnaires, change toute la donne. Le
sentiment d’appartenance à un groupe donne toute sa force l’engagement individuel.

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- La collectivisation de la métallurgie : les ouvriers vont là aussi faire la preuve de leur capacité créatrice,
améliorant la technologie autant que l’organisation. Les collectivités démontrent alors leur faculté
d’adaptation et leur efficacité, même sur le plan économique. À Barcelone, c’est le cas par exemple
d’entreprises comme Vulcano, Girona, Hispano-Suiza, qui sont dirigées par des comités d’entreprise.
- La socialisation de l’industrie du bois : Ce domaine occupe de 7 à 10 000 personnes. La socialisation se
traduit par une réorganisation des ateliers, autant au niveau du matériel, et de la gestion que des méthodes de
travail. Les managers se sont élus en réserve de leurs capacités techniques et morales. Ainsi, Hernandez,
menuisier de Séville, devient président de l’industrie du bois socialisée.
L’ensemble de cette industrie s’appuie désormais sur les assemblées générales souveraines. Il faut signaler
partout la création d’écoles professionnelles, de piscines, de salles de sports, de bibliothèques, de bains
publics, etc... portée par la volonté de changer le mode de vie. Les salaires sont unifiés et la journée de 8
heures est instaurée.
Dans ces conditions de sur le chemin du travail, l’enthousiasme de fraternité, il rapportait que la production
double et parfois même triple.
- Les transports à Barcelone : Là aussi, tramways, autobus, métro, taxis, chemins de fer de Catalogne se
retrouvent aux mains des travailleurs et notamment entre celle des assemblées générales. Les mêmes
réformes sociales que dans l’industrie sont appliquées et on y ajoute comme ailleurs la retraite à 60 ans avec
un versement uniforme et le salaire intégral en cas de maladie, ainsi que bien d’autres aménagements
sociaux.
- L’alimentation : la CNT prend la direction de 39 grandes entreprises alimentaires dont certaines sont
transformées en restaurants, soit à prix modérés, soit en réfectoire populaire à prix fixe. Les travailleurs de ce
secteur s’occupent de l’approvisionnement des grandes villes et notamment le marché central de Barcelone.
On retrouve l’application des mêmes avantages sociaux que dans les autres domaines. Par exemple, à la
brasserie « Damm », la modernisation du matériel permet d’améliorer la production et pour se procurer
l’orge, on fournit les semences aux collectivités paysannes. L’industrie du lait connaît la même révolution.
Au contraire des propriétaires et des grandes entreprises comme Nestlé ne se souciant que de profits, les
travailleurs qui les remplacent ce pour occuperont tout de fournir au peuple un produit de qualité et
d’hygiène maximale. Pour y parvenir, 7 usines de réfrigération et de pasteurisation modernes équipées d’un
système de mise en bouteille sont créées dans les lieux de production.Des camions citerne isothermiques y
sont affectés et des fermes de production modernisée. C’est lors d’une assemblée générale souveraine qu’est
créé un salaire égal pour tous. Lors de notre assemblée, le contrôle et l’encadrement de ses activités
industrielles par le gouvernement de Catalogne sont refusés, que nous tutelle par un État quelconque étant
bannie.
- l’école et la santé : le conseil de l’école nouvelle unifiée (CENU) est créé et sa première mission consiste à
scolariser tous les enfants gratuitement, alors que 47 % de la population est analphabète. Les couvents et les
villas bourgeoises sont réquisitionnées et, à l’aide du syndicat du bâtiment, de nouvelles écoles sont
construites où sont appliquées les méthodes Ferrer ou Montessori. Tout dogmatisme ou tout endoctrinement
il est exclu, qu’il soit religieux ou révolutionnaire. L’objectif poursuivi est de créer des moyens pour
développer et former des personnes libres à la nouvelle société. On y adjoint des bibliothèques et des centres
culturels.
Le syndicat de la santé est créé dès juillet 1936 alors que ce domaine connaît une situation déplorable en
Espagne. En un an, six nouveaux hôpitaux ultramodernes, regroupant toutes les spécialités médicales, sont
construits et organisés. Les tarifs des consultations et les opérations sont fixés et contrôlés par le syndicat.
Dans les collectivités rurales, elles sont gratuites, ainsi que les produits pharmaceutiques.
- Les collectivités agraires : Dans les villages, la population entreprend de développer le communisme
libertaire. On s’empare des terres délaissées par les grands propriétaires et on organise le travail
collectivement. Les conditions de vie s’en trouvent améliorées. La production augmente grâce à une
exploitation plus rationnelle, à l’irrigation et au défrichement de terres nouvelles.

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On compte 350 collectivités en Catalogne, 500 au Levant, 450 en Aragon, qui occupe le 75 % des terres.
Chacune possède ses propres caractéristiques selon les décisions prises par les assemblées générales formées
des collectivistes eux-mêmes.
Si une monnaie est utilisée dans les échanges réalisés en collectivités urbaines, à la campagne, les solutions
vont de la suppression totale de l’argent et la prise au tas suivant ses besoins, aux systèmes de bons. Mais
souvent va s’imposer la création d’une monnaie locale, non capitalisable parce que volontairement rendue
éphémère (semblable en cela la monnaie distributive). Parfois même, on a recours au salaire familial, non
dépendant du travail proportionnel aux besoins familiaux (un revenu universel en quelque sorte).
Pour les échanges avec les autres collectivités, les fédérations régionales assurent l’équilibre entre les
collectivités riches et les collectivités en difficulté. La plupart des échanges reste réglée par le troc selon la
volonté générale de n’utiliser l’argent que le moins possible.
L’exemple de Calanda, cette petite ville rurale de Catalogne déjà cité plus haut, va permettre de se faire une
idée des réformes, des stratégies économiques et sociales adoptées par l’ensemble des collectivités rurales en
Espagne.
La police y est dissoute et remplacée par des gardes de surveillance contre une menace extérieure.
« Pourquoi une police, il n’y avait pas de vol ! Chacun avait tout ! ». Le tribunal a disparu et la prison avec.
Plus de notaire, plus d’héritage, puisqu’il n’y a plus de propriété privée. Les bornes et les clôtures ont été
supprimées. Les terres des grands propriétaires sont récupérées et les petits paysans apportent les leurs pour
les mettre en commun. De même pour le bétail, l’outillage, les volailles, les semences et l’ensemble des
réserves alimentaires. Ces dernières sont redistribuées équitablement suivant les besoins de chacun. Tous les
produits sont gratuits, comme certains services tel que le coiffeur, le cinéma, l’école, et aucun argent ne
circule en interne. Parfois, on est même l’argent personnel en commun comme à Pobla de Gradanella
(Catalogne), Lagunarrota (Aragon) et Cervera del Maestre (province de Valence).Les meubles et surtout ceux
amassés par les riches en fuite sont réquisitionnés et connaissent la même redistribution. Des habitations
bourgeoises désertées sont utilisées et/ou occupés suivant les nécessités. Par contre, les biens personnels
restent acquis. Certains ont choisi de continuer à travailler seuls leur terre (15/5000 habitants) mais ils ne
peuvent exploiter quiconque et leur production doit correspondre à leurs besoins. Les collectivistes leur
prêtent leurs machines et leur fournissent des produits nécessaires, si bien que de nombreux sont ceux qui
finissent par rallier la collectivité.

Le bourg est administré par un comité révolutionnaire de huit membres qui organisaient le travail, le
ravitaillement et l’ensemble de la vie collective. Chaque soir, les délégués des groupes de travail viennent
faire le compte rendu des éventuelles difficultés rencontrées ou des besoins à satisfaire. Ce comité prépare
les cas à traiter et les décisions sont prises lors de l’assemblée générale suivant le principe de la démocratie
directe. Les mariages ne sont pas enregistrés, seul l’engagement est pris en compte. Les divorces peuvent
être proclamés en un quart d’heure mais, curieusement, ils sont très rares. Une habitation est donnée à
chaque nouveau couple. Chaque naissance est par contre enregistré afin d’ajuster la distribution.Plusieurs
mesures sont également prises dans le domaine social : autorisation de l’avortement, libération de la femme.

La mise en collectivité de la production permet l’acquisition de matériel comme des tracteurs et des
moissonneuses-batteuses et des fermes collectives modernes, plus grandes, sont construites. De nouvelles
techniques agricoles sont adoptées. De même les boulangers, les coiffeurs, les forgerons, les charpentiers,
etc... bénéficient d’un matériel plus moderne, d’où une nette amélioration des conditions de travail et de la
production.

En ce qui concerne la quantité et la qualité du travail dû, ces notions sont laissées à l’appréciation de la
conscience de l’individu. Il y a toujours des volontaires pour les travaux pénibles ou nocturnes. Les «
paresseux » en nombre infime (2 à Calanda par exemple) sont considérés comme des « malades » et ne sont

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pas sanctionnés dans l’espoir qu’un jour ils changent de comportement. La notion de rentabilité est bannie et
même inimaginable. Tous la refusent absolument comme tout contrôle du travail par une instance extérieure.
Seul le résultat compte et chacun est conscient de ce qu’il faut faire sans avoir besoin de recevoir d’ordre.

À partir de 60 ans, les anciens peuvent ne rien faire mais en général ils désirent participer et s’occupent des
jardins familiaux.

Les jours perdues pour cause de maladie sont considérées comme travaillés.

En ce qui concerne la distribution, l’église est généralement transformée en magasin, tel un marché couvert.
Pour les produits abondants, comme les fruits, chacun se sert suivant ses besoins. Pour les produits plus
rares, comme la viande, le lait, les chaussures, les draps, on utilise des bons ou des cartes où sont inscrits ces
articles. L’huile d’olive abondante est distribuée pour l’année.

Pour les échanges avec l’extérieur, la pratique du troc l’emporte largement. Par exemple, des pommes de
terre ou du blé contre des souliers, des olives pour les draps, des légumes contre l’engrais, ce qui permettait
d’utiliser la surabondance. Les disponibilités de chaque collectivité sont ainsi enregistrées par les Fédérations
cantonales et régionales, ce qui permet de pallier aux éventuelles pénuries exceptionnelles de certaines
collectivités et d’écouler la production manufacturée des villes proches.

Pour l’école, le couvent représente un bâtiment idéal et les instituteurs sont recrutés parmi les personnes
ayant de destruction et parmi les sœurs encore présentes. Ils sont tous nourris par la collectivité. La mixité,
interdite sous la république est instaurée. L’analphabétisme a ainsi disparu pour la nouvelle génération qui
manifeste une forte volonté de poursuivre des études. Échos du soir sans même prodiguer pour les
volontaires.

Toute relation avec l’État est coupée, ainsi plus aucune fiscalité. Le gouvernement est devenu inutile pour
ces collectivités. Elles attendent beaucoup la fin de la guerre afin de pouvoir réaliser de grands projets grâce
au retour des jeunes combattants. L’avenir décidera autrement…

L’ANÉANTISSEMENT

Après le coup de force fasciste de juillet 1936 et le mouvement révolutionnaire lancé par les syndicats
ouvriers, le gouvernement affaibli s’efforce de réagir par une série de mesures afin de reprendre le contrôle
des zones où se réalise la révolution. L’objectif reste la constitution rapide d’une armée efficace, ce qui passe
d’abord à ses yeux par la dissolution, plusieurs fois tentées, des différents comités de défense.

Grâce à l’aide fournie par l’URSS à la République, le parti communiste, qui détourne cette aide à son profit,
jouit d’une autorité de plus en plus prépondérante.

Or, le PCE soutient que la guerre civile n’est pas le moment choisi pour mener une révolution : pour lui,
l’objectif principal reste la défaite des forces de Franco, tandis que l’abolition du capitalisme est reportée à la
fin de la guerre. Car la révolution pourrait effrayer les classes moyennes (fonctionnaires, petits commerçants,
petits agriculteurs propriétaires ou même les ouvriers spécialisés), qui forment une partie importante du parti
lui-même et Staline veut rassurer les pays occidentaux.

Alors la chasse aux collectivistes et leurs meneurs est désormais ouverte.

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Le 16 décembre 1936, le journal soviétique Pravda publie un éditorial qui déclare : « L’élimination des
trotskistes et des anarcho-syndicalistes a déjà commencé en Catalogne et elle est réalisée avec la même
énergie qu’en Union soviétique ».

À la fin du mois de février 1937, le gouvernement républicain sous la pression communiste stalinienne en un
certain nombre de mesures répressives à l’égard des « contestataires de l’intérieur ».

Les moyens antirévolutionnaires mis en œuvre sont sans limites et se traduisent par des actes d’une extrême
violence à l’encontre des collectivistes.Les affrontements se font de plus en plus nombreux et violents entre
partisans et adversaires de la révolution. Il débouche de façon dramatique : le 13 mai 1937, les deux
ministres communistes, Jesus Hernandez et Vicente Uribe, proposent au gouvernement de punir la CNT et le
POUM, accusés d’être responsables des difficultés que connaît le camp républicain dans la guerre menée
contre le fascisme. Le 6 juin, un décret gouvernemental rend illégales toutes les collectivités rurales qui n’ont
pas encore été dissoutes. En août, la 11ème division commandée par le communiste Lister est chargée de la
destruction des collectivités en Catalogne et Aragon. Le commerce y est rétabli, ainsi que l’administration
d’État et la propriété privée. Les grands propriétaires dont les terres avaient été collectivisés sont réintégrés
dans leurs anciens droits. Les fermes et les entreprises collectivisées sont peu à peu reprises par les
propriétaires individuels d’avant. Les restes de la collectivisation sont progressivement détruits au cours de
l’année 1938 par l’avancée des forces fascistes qui appliquèrent une terrible répression.

« La révolution espagnole fut la plus singulière des révolutions collectivistes du XXe siècle. L’impuissance
manifeste des partis bourgeois incita très vite les libéraux et les conservateurs à rechercher une organisation
capable d’arrêter le courant révolutionnaire lancé par les syndicats anarchistes et socialistes. Quelques
semaines seulement après le début de la révolution, une organisation incarnait à elle seule tous les espoirs
immédiats la petite et moyenne bourgeoisie : le parti communiste. ».

Les paroles finales du dernier congrès de Saragosse furent les suivantes : «La prétention de cette
commission… se contenterait de (ce que son travail soit) l’esquisse de ce que le prolétariat devra mener à
bien, un point de départ de l’humanité jusqu’à sa pleine libération. Que tous ceux qui se sentent
l’intelligence, l’audace et la capacité suffisantes améliorent notre œuvre. »

J’aborderai maintenant un mouvement beaucoup moins connu alors qu’il inspira cette collectivisation et
facilita sa mise en place rapide : la Makhnovtchina.

Numéro 1204

II. La Makhnovtchina
Malgré la falsification de l’Histoire, la désinformation, les calomnies mensongères, perpétrées tout au long
des périodes bolcheviks et staliniennes, il est possible, grâce à des témoignages recoupés, de faire la lumière
sur ce mouvement révolutionnaire libertaire ukrainien.
Cette organisation collective naquit autour de la ville de Gouliaï Polié, faisant parti de l’oblast de Zaporijia,
entre le Dniepr et la mer d’Azov dans le sud-est de l’Ukraine. Depuis les cosaques Zaporogues des XIV -
XVèmes siècles, partisans de la « Volnitza » (Vie libre), cette région a été marquée par un fort sentiment
d’insoumission et d’indépendance, se manifestant par la résistance opiniâtre à tout pouvoir. Riche en
ressources céréalières et minières (charbon, fer, manganèse), et un secteur industriel en fort développement
avec son port Marioupol, cette région a toujours été très convoitée.

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Que ce soit en février en octobre 1917, les mots d’ordre, au-delà de celui de l’arrêt de la guerre, étaient : «
Les usines ouvriers ! », « La terre aux paysans ! ». Le programme social de la révolution se résumait à ces
deux phrases qui promulguaient donc l’anéantissement du capitalisme, la suppression du salariat et de
l’esclavage étatiste, et l’autogestion des producteurs. Cependant, si la social-démocratie affichait sa réticence
envers un tel socialisme, considéré comme prématuré, le parti communiste bolchevik, détenteur de la même
opinion et possédant un service de propagande très performant, laissa croire le contraire afin de s’attacher les
faveurs du peuple et de l’armée. Ce qu’il réussit. Il en fut de même de l’organisation des soviets malgré le
mot d’ordre initial prononcé par Lénine : «Tout le pouvoir aux soviets ! », sauf dans cette partie de l’Ukraine
insurrectionnelle où ils suivirent leur raison initiale, c’est-à-dire des réunions ont de délégués ouvriers,
paysans et soldats, élus et révocables, dans le but de s’occuper des questions économiques et de proposer des
aménagements politiques et sociaux. Selon Hannah Arendt « le régime bolchevique a dépouillé les conseils
(les soviets, selon leur appellation russe) de leur pouvoir alors qu’il était encore dirigé par Lénine, et a volé
leur nom pour s’en affublés alors qu’il était un régime antisoviétique ». C’est ainsi que les bolcheviks
s’emparèrent aisément du pouvoir en Russie et, considérés comme les héros de la révolution socialiste,
purent appliquer leur programme initial d’étatisation. Il suffisait d’attendre que les prolétaires récupèrent les
moyens de production pour ensuite les mettre au service d’un État, par la force si nécessaire.
LA « MAKHNOVVTCHINA »
Devant l’avancée des troupes impériales allemandes sur le front russe déserté en début d’année 1918, les
bolcheviks, désormais au gouvernement, signèrent par la main de Trotski le traité de Brest-Litovsk livrant
l’Ukraine aux austro-allemands. Ceux-ci y entrèrent dans le but de piller le pays afin d’approvisionner leurs
troupes et leurs populations. Ils y rétablirent le pouvoir des nobles et des propriétaires terriens renversés
auparavant par le peuple et installèrent le gouvernement autocrate de l’hetman Skoropadsky qui s’empressa
d’éliminer toutes les avancées sociales révolutionnaires mises en place. C’est ainsi qu’un mouvement
insurrectionnel déjà opérationnel, face au gouvernement bourgeois de Petlioura, puis, après octobre 1917,
face aux intrusions étatistes bolcheviks, connut un développement sans précédent sous l’impulsion de Nestor
Makhno. Ce mouvement, dénommé la « Makhnovtchina », adopta l’objectif de maintenir dans tout le sud de
l’Ukraine les acquis révolutionnaires de février 1917 décidés par la population laborieuse, c’est-à-dire la
libre gestion pour les ouvriers et paysans des moyens de production, suivant les principes de la communauté
et de l’égalité à la répartition de l’usufruit. Elle connut une tel engouement passionnel et une telle renommée
qu’elle se répandit au point d’attirer contre elles les foudres des pouvoirs bourgeois et communiste. Ce
dernier utilise à toute les impostures et les machinations inimaginables, sans oublier la barbarie, afin de
tenter d’endiguer le succès de ce mouvement révolutionnaire. C’était sans compter sur l’incomparable Nestor
Makhno, ce jeune paysan de 28 ans qui, affichant un talent de meneur charismatique au point être surnommé
« Batko » (Le père), s’avéra, en plus, un grand stratège militaire. Il réussit à réunir à ses côtés une armée
colossale de volontaires puisés sur la population locale qui fournissait ravitaillements, renseignement,
chevaux frais, au service d’une idéologie populaire adoptée par des millions de partisans. Il parvint à vaincre
l’armée austro-allemande et l’armée bourgeoise de Petlioura en persuadant les soldats prisonniers, pour la
plupart paysans et ouvriers mobilisés sous la contrainte, de les rejoindre ou de retourner chez eux.
L’organisation de cette armée reflétait l’idéologie défendue. Trois principes fondamentaux émergeaient : le
volontariat, le principe électoral qui désignait les membres de l’état-major et du conseil, et l’autodiscipline
qui déterminait, à l’aide de commissions, les règles à observer que le reste de l’armée validait.
Les lignes de directrice de ce mouvement libertaire, adoptées et mises en place dès février 1917, sans
attendre la victoire d’une hypothétique lutte des classes, était : une profonde antipathie envers les privilèges
et l’exploitation des travailleurs, envers tous les partis politiques et tous les pouvoirs, même celui de l’État,
l’adoption de l’autogestion des moyens de production au sein d’une organisation égalitaire, l’abolition du
salariat et de la monnaie d’échange. Les « soviets » et les communes de travail, indépendants des partis

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politiques et de tout contrôle étatique, avait pour mission de régler les tâches économiques et politiques qui y
étaient décidées, ainsi que l’organisation des liaisons entre eux.
Rien à voir avec les kolkhozes et les sovkhozes sous l’égide du parti communiste dans lesquels les paysans
salariés travaillaient pour un nouveau patron : l’État. Ici, l’engagement de chacun était libre et les fonctions
organisatrices étaie confié à des personnes de confiance, travailleuse elle-même. Les makhnovistes
proposaient aux prolétaires de librement prendre en main leurs destinées en décidant eux-mêmes de la
quantité de temps qu’il voulait travailler et de la façon dont il voulait gérer les résultats de leur travail. Cette
organisation concernait, au-delà de la commune, les districts, puis les départements faisant partie des régions
libérées et protégées par l’armée insurrectionnelle. Des relations furent menées avec les entreprises
industrielles par l’intermédiaire des soviets ouvriers afin d’anticiper un développement ultérieur de la
révolution. Les libertés de parole, de conscience, de la presse et des associations politiques étaient respectées
sous la seule condition que ces organismes ne cherchent pas à exercer une quelconque autorité sur le peuple.
Des volontaires étaient envoyés dans les régions libérées afin d’expliquer leur expérience et mettre en garde
contre les stratégies de tous les pouvoirs. Ce qui émerge de cette période en Ukraine du Sud, c’est la volonté
d’entreprendre, de façon libre et indépendante, l’œuvre de construction d’une vie nouvelle de façon réfléchie
et pratique.
L’OPPOSITION EST PARTOUT
Les invasions et menaces successives par les différentes armées belligérantes, celle de l’hetman
Skoropadsky, du nationaliste Petlioura, l’armée rouge de Trotski, celles, « blanches » (monarchique) de
Dénikine puis de Wangrel, et celle de l’opportuniste Grigorieff, toutes repoussées à chaque fois par les
makhnovistes, empêchèrent par des répressions sanglantes le mouvement prolétarien de s’installer
correctement en novembre 1918. Celui-ci perdurera en relative « tranquillité » jusqu’à juin 1919, date de
l’offensive de Dénikine au sud et de l’avancée de l’armée rouge au nord. Cependant, face aux forces de
Dénikine, une alliance fut convenue entre les rouges et les makhnovistes. Malgré un armement et un nombre
de combattants bien moindres, Makhno réussit à repousser l’envahisseur blanc. Malgré l’acceptation des
bolcheviks d’une entière liberté de l’armée de Makhno, celle-ci recevait des ordres contradictoires, des
affectations cherchant à la disperser dans l’armée rouge, des interdictions de réunir ses conseils militaires et
des menaces envers tous les meneurs. Les représailles et les pressions reprirent, menées contre les
organisateurs des soviets dans les villes et les campagnes. En réalité, Le haut commandement militaire et
politique de l’État craignait comme la peste que les idées de la « Makhnovtchina » ne viennent contaminer
les troupes et les populations sous le joug communiste. Cette peur engendra une campagne diffamatoire dans
la presse officielle. Plusieurs tentatives d’assassinat de Makhno furent entreprises, toutes déjouées grâce aux
nombreux sympathisants paysans enrôlés dans l’armée rouge. Dès lors, l’échange de courrier entre d’une
part Trotski, Kaméneff ou le général Chkouro et, d’autre part, Makhno, devint de plus en plus virulent. Les
tchékas bolcheviks rapidement mise en place après la libération de territoires reconquis par Makhno et les
siens, furent systématiquement délogées afin que ces régions puissent se couvrir d’un réseau d’unions libres
de paysans et d’ouvriers.
Malgré l’accord, Trotski et les bolcheviks souhaitaient davantage la défaite de Makhno et des siens,
considérés comme une menace politique bien supérieure aux Blancs. En conséquence, ils ne s’engagèrent
que partiellement contre ces derniers et allèrent même jusqu’à supprimer l’approvisionnement en armes de
leur « allié » du moment. Si l’on ne témoigne, d’autres qui se seraient exprimés ainsi : « Il vaut mieux céder
l’Ukraine entière à Dénikine que permettre l’extension du mouvement makhnoviste ; le mouvement de
Dénikine, comme étant ouvertement contre-révolutionnaire, pourrait aisément être compromis par la voie de
la propagande de classe, tandis que la « Makhnovtchina » se développe au fond des masses et soulève
justement les masses contre nous », et il donna l’ordre à l’armée rouge de réaliser une retraite, laissant la
partie nord-est du front dégarnie, ce qui mettait ainsi les makhnovistes en péril. Dénikine n’en demandait pas

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tant et s’engouffra avec sa cavalerie dans la brèche. Six les paysans ont menacé le terrain d’une troupe de
volontaires mais, privés d’approvisionnement en armes, il durent utiliser des piques et des fusils de chasse.
Leur sacrifice permit à Makhno d’accourir avec un détachement et de déloger les envahisseurs. Prévenu,
Trotski envoya à celui-ci un train blindé en renfort pour faire bonne figure, mais conformément à son ordre
N°1824, le train transportait en réalité des hommes et des commissaires aux armées avec l’ordre de
s’emparer de Makhno, de ses sbires, et de désarmer le reste des insurgés. Encore prévenu à temps de la
traîtrise, Makhno, conscient de ne pouvoir s’attaquer à l’armée rouge et à celle des Blancs, en prenant la
fuite, décida d’appliquer une autre stratégie. Il envoya à Trotski un courrier lui exprimant le côté intolérable
de son ordre envers les partisans ukrainiens et lui faisant même un cours sur le contenu d’une véritable
révolution socialiste. Ensuite, il montra toute la sincérité révolutionnaire des populations et pour prouver sa
bonne foi, proposa l’intégration de son armée dans les rangs de l’armée rouge et présenta sa démission. Ce
qui fut fait. Et ce que Makhno attendait se produisit. Trotski abandonna le terrain et l’Ukraine à Dénikine.
C’est alors que Makhno, désormais face à une seule armée ennemie, rejoint par ses troupes qui attendaient
que son appel, et par d’importants éléments de l’armée rouge acquise à sa cause, jugea opportun de libérer
son pays de l’envahisseur réactionnaire. On imagine aisément les exactions qui furent commises par les
Blancs, brûlant les villages et en exécutant les réfractaires. Ce sont surtout les communautés juives qui
payèrent le plus gros tribut de ces pogroms (dont celui de Fastiv du 2 au 8 septembre 1919), persécutions
antisémites, commise aussi par Petlioura, dont plus tard Makhno et les siens furent accusés. Malgré le
manque de munitions et la puissance de l’armée de Dénikine, Makhno, au bord de la défaite, par une
manœuvre ingénieuse, retourna la situation à son avantage et mis en déroute l’arrière de l’armée blanche,
faisant des milliers de prisonniers. Elle libéra du même coup la Russie de la menace de Dénikine dont le gros
des troupes lancé sur Moscou dût battre en retraite, coupé de ses bases arrière, de ces moyens de
communication, de son approvisionnement. Cela n’empêcha pas la défaite subie par l’armée blanche en
Russie fut attribuée à l’armée rouge et à la « science militaire » de Trotski. Parlant de Makhno, « il allait
comme un balai gigantesque par les villes, les hameaux et les villages, enlevant tous vestiges d’exploitation
et de servitude. Les propriétaires fonciers, les gros fermiers (les koulaks), les gendarmes, les curés, les
maires, les officiers embusqués, tout était balayé sur le chemin victorieux de la « Makhnovtchina »… tous
les symboles de la servitude populaire étaient détruits (prisons, postes de police, commissariats) ».
L’enthousiasme pour les idées libertaires retrouva son élan des premiers temps de la révolution et de
nouveau, partout dans les régions reconquises, la volonté de reconstituer le fonctionnement des usines et les
transports par les ouvriers suivant des principes égalitaristes, de faire renaître les communes régions
agricoles, connut un formidable engouement.
UNE TRAÎTRISE DE PLUS
Cependant, beaucoup de makhnovistes (peut-être aussi harassés par la guerre) avaient la certitude que cette
fois les bolchevistes comprendraient leur fidélité à la révolution prolétarienne. L’expérience aurait dû servir
aux makhnovistes pour renforcer en premier lieu la défense de tout le territoire, opposer une force
considérable dont ils disposaient, mais la population n’avait qu’une hâte, remettre en place et revivre leur
création, cette organisation libre encore à améliorer suivant leurs propres initiatives.
Les contacts avec les premiers contingents de l’armée rouge apportèrent en effet cette espérance
fraternisation. Mais le haut commandement de l’entendait pas ainsi : jamais il n’aurait pu consentir à
admettre l’existence d’un mouvement populaire qui leur échappe. (Ils le prouvèrent encore pendant la
révolution espagnole dès 1936). Mi-janvier 1920, un ordre aberrant fut adressé à Makhno : intégrer le XIVe
corps d’armée soviétique et se rendre immédiatement en renfort que le front polonais. Cet ordre contrevenant
l’indépendance de l’armée insurrectionnelle, fut rejetée par son Conseil Militaire. La réaction ne se fit pas
attendre, et de nouveaux Makhno et les siens furent déclarés proscrits et hors-la-loi. Et pour contrer la
fraternisation des deux armées, qui était largement en cours, le commandement bolcheviste utilisa des

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tirailleurs lettons et des détachements chinois pour s’occuper de la basse besogne. La lutte reprit et dura neuf
mois. L’armée insurrectionnelle frappée durement par le typhus étaie disséminée dans les villages afin de
trouver des soins. Les villageois firent preuve d’un dévouement incroyable afin que les combattants
échappent aux arrestations. Atteint lui-même, Makhno, sans connaissance pendant plusieurs jours, fut
déplacer de chaumières en chaumière, malgré les risques et les conditions climatiques. Face à cette
impuissance, l’armée rouge eut recours aux exécutions de masse et s’en vantait dans la presse soviétique.
200 000 paysans furent fusillés et autant furent déportés dans les camps. Face à la puissance militaire
adverse, Makhno utilisa la guérilla plutôt que l’affrontement direct. Ses victoires furent nombreuses. Des
régiments entiers de l’armée rouge passèrent chez les makhnovistes, conquis par leur lutte pour une véritable
liberté.
Une bonne partie de l’année 1920 fut ainsi marquée, en Ukraine, par la terreur que les autorités soviétiques
faisaient passer pour de la répression anti-terroriste. On mesure par ces faits et toute la ténacité et la foi de la
population envers ses convictions révolutionnaires dont elle avait perçu les effets bénéfiques.
L’ULTIME TRAÎTRISE
Une nouvelle menace surgit au sud, en la personne du général Wrangel et de la nouvelle armée blanche
soutenue par l’Entente. Afin de de protéger la révolution, Makhno n’avait qu’une solution, s’allier de
nouveaux avec l’armée rouge, cette fois dirigée dans la région par Mikhaïl Frounze. Libérée de la pression
bolchevique, mais aucunement dupe de la durée de l’accord, la population se remit à élaborer une œuvre
d’édification révolutionnaire. De nombreux conseils d’ouvriers et de paysans furent réunis afin de
réorganiser ce qui avait fonctionné. Un point nouveau ressortit et fut appliqué après délibération :
l’enseignement et la culture, considérés comme le moyen de construire l’homme et la société libres.
L’éducation scolaire est aussi séparée de l’église et l’État. La méthode d’enseignement choisie fut celle de
Francisco Ferrer, ce pédagogue espagnol de renommée internationale.
Makhno blessé se soignait à Goulaï-Polé, mi-novembre 1920, quand il reçut une dépêche l’avertissant que
son second, Simon Karentnik, se trouvait en Crimée, ayant repoussé l’armée blanche de Wrangel. À cette
annonce, son aide de camp s’écria  : « C’est la fin de l’accord ! Je parie à discrétion que, dans 8 jours, les
bolcheviks seront sur notre dos ! ». Et le 26, suivant l’ordre N° 00149, l’armée rouge attaqua sans
sommation, prétextant un complot en préparation (pure invention, aujourd’hui prouvée), l’armée
makhnoviste en Crimée, à Goulaï-Polé et à Kharkoff, puis dans toute l’Ukraine. Simon Karentnik et les
membres de l’état-major furent fusillés comme conspirateurs. Makhno réussit à rejoindre le reste de la
cavalerie de Martchenko, rescapé de Crimée dans le village de Kermentchik. Comment trouvèrent-ils la
force de libérer Goulaï-Polé tenue par les 6000 hommes de la division 42 de l’armée rouge, puis Andréevka,
Komar, Tzarékonstantinova et Berdiansk, la semaine suivante ? Ils firent des milliers de prisonniers, remis en
liberté ou incorporés suivant le volontariat, alors que les prisonniers makhnovistes étaient exécutés.
Pour en finir avec cette insurrection ukrainienne, de très nombreux renforts furent apportés. Alertée, l’armée
makhnoviste décida de renouer avec la guérilla en groupes séparés, appliquant des stratégies éprouvées, se
frayant souvent un passage à travers les immenses plaines enneigées et des reliefs accidentés, au point de
devoir abandonner l’artillerie, des vivres et des munitions. Les combats furent incessants et les pertes
importantes. Mais aidés par les ouvriers et les paysans, malgré des répressions sanglantes, et grâce aux
sacrifice de nombreux des siens, Makhno trouva les ressources pour échapper à l’ennemi bolchevique et le
harceler sans cesse. Il perdit un à un ses fidèles compagnons de lutte jusqu’à ce qu’une grave blessure le
contraigne à franchir le Dniester pour se faire soigner à l’étranger. Makhno était considéré comme un
véritable trompe-la-mort, ayant mené personnellement et à cheval, en tête du détachement qu’il commandait,
plus de 200 assauts contre les armées ennemies ! Il passa la frontière roumaine, les osselets d’un pied
complètement éclatés, la cuisse, l’appendice, le menton et la joue traversée par des balles reçues au cours des

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dernières semaines de combats ! Il ne put jamais revenir en Ukraine et finit sa vie dans la misère à Paris où il
décéda en 1934.
CONCLUSION
Peut-on considérer comme « commun » la collectivisation forcée entreprise par Staline dès 1932 dans toute
la Russie ? Non, car un « commun » est une ressource définie et exploitée par une communauté, qui applique
librement un mode de gouvernance collectif. Or les kolkhozes et sovkhozes étaient dirigés par l’État
soviétique, qui y faisait travailler des salariés. La classe ouvrière et paysanne était ainsi soumise à une seule
poigne. On peut donc dire qu’en réalité, sous la politique bolchevique, le capitalisme privé s’est perpétué en
un capitalisme d’État.
Alors pourquoi le bolchevisme, au moment de sa prise de pouvoir en octobre 1917, a-t-il connu autant
d’adhésion de la part de la population prolétarienne ? Le mouvement libertaire aurait pu le concurrencer et se
répandre dans tout le pays, voire même franchir les frontières, puisque leurs slogans « Les usines ouvriers !
», « La terre aux paysans ! », « Tout le pouvoir aux soviets ! » étaient les mêmes. La différence est que le
bolchevisme entendait maîtriser le tout sous la coupe d’un État puissant, alors que les libertaires refusaient
tout pouvoir coercitif. Or, pour les masses populaires de Russie et d’ailleurs, l’État apparaissait toujours
comme élément indispensable, naturel, évident, de toute société humaine. Ainsi, toutes les organisations
ouvrières et paysannes, tout comme les soviets, à part en Ukraine du Sud et dans quelques régions
parsemées, fut rapidement, chapeauté par les bolcheviks qui promettaient de garantir la révolution socialiste
grâce un gouvernement tout-puissant et l’étatisation des moyens de production.
Durant ses années d’exil, Makhno revint sur le rôle de l’organisation libertaire. Il conclut qu’une des raisons
de l’échec de son mouvement étaient de n’avoir pas su mettre en place une grande organisation guidée par
des stratégies capables de s’exporter et d’opposer ses forces vives à ses ennemis. Alors que la
Makhnovtchina visait une véritable évolution, c’est une révolution qui eut lieu.

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