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Problématique : Comment, malgré l’échec de la 2nde République, une expérience démocratique avortée,
et en dépit de l’existence d’un régime autoritaire sous le 2nd Empire, s’expérimentent et sont acclimatées
de 1848 à 1870 des pratiques (suffrage universel masculin, parlementarisme) constituant autant d’étapes
d’une transition vers une démocratie représentative ?
a) Comment la 2nde République, fragilisée par l’affrontement entre deux conceptions de la
République et de la démocratie, est-elle défaite par ses adversaires entre 1848 et 1852 ?
b) Comment le 2nd Empire, régime autoritaire né d’un coup d’Etat, se libéralise-t-il avant de
chuter ?
Démocratie :
Sens politique : Gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple. Ce dernier peut être réaliser par
le biais de représentants à qui les citoyens délèguent leur pouvoir par le vote (démocratie représentative)
ou de façon directe (démocratie directe).
Sens social : égalité des conditions entre les citoyens qui implique des droits sociaux afin que chaque
citoyen puisse participer à l’exercice du pouvoir et être matériellement libre.
Socialisme : auto-organisation de l’économie par ceux qui travaillent sous la forme d’association de
producteurs et de consommateurs pour échapper aux rapports de domination et d’exploitation capitaliste
qui profitent à la bourgeoisie et pour réaliser une forme de démocratie étendue aux affaires économiques.
b) Une dynamique puissante de démocratisation : Cet « esprit de 1848 » repose aussi sur une
dynamique de créations de clubs et de journaux qui témoignent de la volonté de la population de
participer directement au gouvernement de la cité : à Paris, est ainsi recensée la naissance de
Thème 2 : La difficile entrée dans l’âge démocratique (1848-1870)
près de 236 clubs politiques regroupant plus de 50 000 personnes et de près de 300 nouveaux titres
de journaux. Nombreux sont les clubs et les journaux qui se font les relais des idées révolutionnaires,
socialistes mais aussi féministes. Le club des femmes d’Eugénie Niboyet et le club de
l’Émancipation des femmes de Jeanne Deroin réclament le droit de divorce aboli en 1816, l’égalité
des droits civils dans le mariage entre les hommes et les femmes, le droit de vote…
c) Des conquêtes démocratiques et sociales mais aussi des exclusions : C’est dans ce contexte que
sont réalisées, sous la IIème République, des conquêtes démocratiques et sociales importantes :
- Sur le plan des droits politiques : rédaction d’une constitution démocratique établissant le suffrage
universel masculin, la liberté de la presse, de réunion et d’association…
- Sur le plan des droits sociaux : reconnaissance du droit au travail (i.e garantie pour chacun à se
procurer par le travail un revenu suffisant) qui se concrétise par la création des ateliers nationaux
offrant à tous les chômeurs (+115 000 à Paris) un travail salarié, réduction de la journée de travail
de 11 h à 10 h à Paris, abolition de l’esclavage…
Mais considérées comme inférieures aux hommes et cantonnées aux fonctions domestiques, les
femmes demeurent exclues de la citoyenneté tandis que celles qui luttent pour l’égalité des droits
entre les hommes et les femmes sont diabolisées et moquées (« vésuvienne », « saucialiste »…).
a) Deux conceptions de la République : « L’esprit de 1848 » ne résiste pas, d’autre part, aux
divergences entre ceux qui défendent une République libérale et veulent s’en tenir à une
démocratie politique réalisée par le suffrage universel masculin et ceux qui, faisant de
l’amélioration de la condition ouvrière un principe, promeuvent une République démocratique et
sociale, autrement dit, un système fondé sur l’auto-organisation de la production par les ouvriers
eux-mêmes, des droits sociaux venant compléter les droits politiques et la démocratie directe.
b) La peur des « rouges » : Parce que leurs revendications remettent en cause la propriété privée,
fondement de la domination économique de la bourgeoisie, les classes ouvrières sont représentées
par la presse conservatrice et modérée comme des classes dangereuses (« les rouges », les
« partageux », les « communistes »), sources d’agitation révolutionnaire. Dans les campagnes (près
de 80% de la pop. française) où de nombreux paysans sont propriétaires, une image identique colle
aux ouvriers. Leur revendication d’un droit au travail (financement des ateliers nationaux) est rendue
responsable de la hausse des impôts dite des 45 centimes qui pèse principalement sur les
campagnes. Aussi les premières élections au suffrage universel masculin depuis 1792 se traduisent-
elles en avril 1848 par une victoire écrasante des « Républicains du lendemain » (les anciens
Thème 2 : La difficile entrée dans l’âge démocratique (1848-1870)
monarchistes : 300 sièges) et des Républicains modérés (500 sièges) sur les Républicains radicaux
et socialistes (60 sièges environ).
a) Le retour à l’ordre : Au nom de la défense de l’ordre établi menacé par les « rouges », la liberté
de la presse est restreinte (« Silence aux pauvres », titre Lamennais, propriétaire du journal Le
Peuple constituant), les clubs politiques partisans d’une République démocratique et sociale
fermés, et la participation des femmes aux clubs interdites. Si le suffrage universel masculin est
entériné, les forces conservatrices ayant été rassurées par le vote en leur faveur, le droit au travail
n’est pas retenu dans la constitution adoptée en novembre 1848. Celle-ci organise une séparation
des pouvoirs en confiant le pouvoir exécutif à un président de la République, élu pour 4 ans, sans
possibilité de renouvellement de mandat et le pouvoir législatif à une Assemblée législative élue
pour 3 ans.
c) La République réduite : Louis-Napoléon Bonaparte s’allie avec le Parti de l’Ordre qui réunit des
monarchistes sous la houlette d’Adolphe Thiers et des Républicains modérés. Le parti de l’Ordre,
en jouant encore sur la peur des « rouges », remporte la victoire aux élections législatives d’avril
1849 avec 64% des voix. Mais, effrayé cependant par la percée des démocrates socialistes, les
« rouges », dans certaines régions (Nord, Paris, centre, vallée du Rhône, midi), il décide de
restreindre le suffrage universel masculin par une loi votée en mai 1850. Cette dernière prive 3
millions de Français du droit de vote, principalement, des ouvriers, en exigeant 3 ans de résidence
au lieu de 6 mois pour pouvoir voter.
a) Le coup d’État du 2 décembre 1851 : Face au refus de l’Assemblée nationale, contrôle par le
parti de l’Ordre, de lui permettre d’être rééligible, Louis-Napoléon Bonaparte, assuré de la
fidélité de l’armée, organise un coup d’État le 2 décembre 1851. Les oppositions
républicaines au coup d’État sont violemment et rapidement réprimées : exécutions
sommaires, près de 10 000 déportations, plus de 25 000 emprisonnements, près de 5000 exils
dont Victor Hugo, l’historien Edgard Quinet, Victor Schoelcher. Louis-Napoléon justifie le
coup d’État comme une mesure de salut public : un pouvoir fort est, selon lui, nécessaire pour
garantir l’ordre et la sécurité face au risque d’une révolution « rouge » ou d’un retour des
monarchistes.
b) La mise en place d’un pouvoir personnel et d’un État policier : La nouvelle constitution donne
les pleins-pouvoirs à Louis-Napoléon Bonaparte, d’abord comme président pendant 10 ans,
puis comme Empereur à compter de 1852 – il devient alors Napoléon III. Chef de l’État,
détenteur d’un pouvoir exécutif renforcé, il contrôle également le pouvoir législatif car lui seul
à l’initiative de la loi, il nomme la très grande majorité des parlementaires et les ministres
ne sont responsables que devant lui. La presse n’est plus libre et les réunions sont interdites.
Les forces de police sont triplées et leurs pouvoirs étendus (ouverture des correspondances
privées, emprisonnement des opposants) par une loi de sûreté générale en 1858 (équivalent
d’un état d’urgence) pour pourchasser les opposants et surveiller l’opinion ; les préfets
représentants de Louis-Napoléon dans les départements ont des pouvoirs renforcés et nomment
les maires.
Thème 2 : La difficile entrée dans l’âge démocratique (1848-1870)
c) Une « démocratie illibérale » ou un césarisme ? : Ce virage autoritaire se double du
rétablissement du suffrage universel masculin que le parti de l’Ordre avait limité par loi du
31 mai 1850. Par plébiscite, Louis-Napoléon fait, en effet, approuver son coup d’État en
décembre 1851 (plus de 92% de oui) et le rétablissement de l’Empire en 1852 (plus de 96% de
oui). Il peut ainsi revendiquer la légitimité d’un pouvoir personnel qui lui aurait été délégué
par le peuple. Mais les élections se déroulent dans un contexte anti-démocratique où les libertés
publiques sont suspendues et où les opposants ne peuvent s’exprimer qu’à leurs risques et périls.
De même, les élections des députés pour le corps législatif sont manipulées par la pratique des
candidatures officielles : les candidatures approuvées par Louis-Napoléon bénéficient de
l’appui des fonctionnaires et de l’État (affiches blanches officielles, bourrage des urnes,
corruption…) tandis que les autres candidats font l’objet de menaces. Aussi les sièges du Corps
législatif sont-ils occupés en quasi-totalité par des députés bonapartistes et l’abstention est-elle
très forte (plus de 30%) en raison d’un scrutin trafiqué. Le suffrage universel dans ces
conditions n’a rien de démocratique et sert de caution à un pouvoir de type césarien : un
pouvoir fort aux mains d’un « homme providentiel » se présentant comme un interprète de la
volonté populaire et un rempart contre le risque de déstabilisation de la société.
b) Paris, vitrine de la grandeur impériale : Soucieux de faire de Paris une capitale prestigieuse,
incarnant sa grandeur, Napoléon III donne l’ordre à Haussmann, le préfet de Paris, d’embellir
celle-ci. Les quartiers ouvriers au cœur de Paris, considérés comme des foyers d’insalubrité et
d’agitation révolutionnaire, sont détruits, leur population expulsée vers les périphéries, au nom
de l’hygiène et de la modernité. Ils cèdent leur place à de grands immeubles modernes dits
hausmanniens et de grands boulevards où s’étalent les vitrines de grands magasins où une
bourgeoisie, confiante dans l’avenir et le progrès, vient consommer et se divertir.
Thème 2 : La difficile entrée dans l’âge démocratique (1848-1870)
c) L’empire, c’est la guerre : Malgré ses promesses (« L’Empire, c’est la paix »), Napoléon III
engage la France dans une politique belliqueuse pour deux raisons : il veut que la France
retrouve son rang parmi les puissances dans le but d’effacer les humiliations du congrès de
Vienne, et il entend soutenir les mouvements d’unité nationale (ou mouvement des
nationalités) en héritier des idées révolutionnaires et de Napoléon Ier. Sa participation à la
guerre de Crimée (1854-1856) provoque la mort de 100 000 soldats français mais s’achève sur
une victoire diplomatique concrétisée par la signature du traité de Paris en 1856. L’aide apportée
à la réalisation de l’unité italienne permet à Napoléon III d’ajouter le comté de Nice et la
Savoie au territoire national en 1860, tout en affaiblissant la puissance autrichienne et en faisant
de la France un arbitre des conflits au niveau européen. Enfin, l’Empereur relance la
colonisation de l’Algérie dès 1852 et de l’Afrique (à partir du Sénégal) dès 1854. Cette politique
de puissance connait cependant des échecs retentissants comme l’expédition militaire au
Mexique de 1864 à 1967 où Napoléon III entendait faire de ce pays un Empire allié pour étendre
l’influence française sur le continent américain, « chasse gardée » des EU.
Conclusion : Pour des historien·ne·s, la période 1848-1870 constitue une étape de la transition
démocratique en France.
Cela paraît paradoxal si l’on considère la façon dont les promesses démocratiques en germe dans
la révolution de février 1848 ont été gelées, d’abord, par l’exclusion des femmes du droit de vote,
puis par les restrictions des libertés de la presse, de réunion et d’association après juin 1848 suivie
de celle du droit de vote avec la loi du 31 mai 1850 (1/3 du corps électoral privé du droit de vote)
au nom de la défense d’un ordre social conservateur et enfin par le coup d’État du 2 décembre 1851
qui met en place un régime autoritaire de type césarien.
Mais cela paraît pertinent si l’on met en relief le fait que se réalisent entre des cultures politiques
auparavant inconciliables, celle des républicains démocrates modérés, d’un côté, et celle des
monarchistes libéraux et conservateurs, de l’autre, des convergences autour des valeurs et des
Thème 2 : La difficile entrée dans l’âge démocratique (1848-1870)
principes d’une démocratie représentative et parlementaire, comme moyen de régler
pacifiquement les différents politiques et sociaux par une compétition électorale. La revendication
de cette dernière est opposée aussi bien à ceux qui promeuvent la démocratie directe et sociale à
l’instar des ouvriers et des socialistes que ceux qui défendent, face, au risque révolutionnaire et
contre-révolutionnaire, un autoritarisme de type césarien. Les élites libérales et conservatrices,
longtemps acquises au principe du suffrage censitaire, se convertissent, en effet, durant la
période, aux vertus du suffrage universel masculin car, tout à tour, grâce notamment à l’adhésion
que suscitent leurs idées et leurs politiques auprès des masses paysannes et d’une grande partie de
la bourgeoisie, unies par les peur des « rouges », elles y ont puisé une légitimité nouvelle tandis que
s’expérimentent et s’enracinent une pratique et culture électorales dans le peuple. Ce consensus
autour du suffrage universel masculin va de pair avec la revendication commune à ces différentes
cultures politiques durant la période d’un renforcement des pouvoirs du Parlement perçues
comme l’institution légitimement dépositaire de la souveraineté nationale.