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« Et un jour Jean-Luc Godard est devenu vieux, par Sarah
ISSN : 2425-8784
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1997 - 2001 - Les Brandes
1997 - Immédiatement
2001 - Essai sur l'œuvre de
George Steiner
2002 - Dossier H Pierre
Boutang
2003 - Cahier de l'Herne
George Steiner
2003 - Gueules d'amour
2003 - Revue des deux
mondes
2004 - Études bernanosiennes,
n°23
2005 - Dossier H Joseph de
Maistre
2005 - L'Atelier du roman
2005 - Théorie-Rébellion - Un
ultimatum
2005 - Vivre et penser comme
des chrétiens
2006 - La Critique meurt
jeune
2006 - Nunc
2007 - Écrivains
infréquentables
2007 - Enquête sur le roman
2007 - La Littérature à contre-
nuit
2008 - Maudit soit Andreas
Werckmeister !
2009 - Archives Bernanos
n°11
2009 - Disidencias
2009 - O pensamento tornado
dança. Estudos em torno de
George Steiner
2009 - Valeurs actuelles
2010 - La Chanson d'amour
de Judas Iscariote
2010 - La Revue des Deux
Mondes
2010 - Préface de L'Imposture
2011 - Études
2012 - The Wounds of
Possibility. Essays on George
Steiner
2014 - Études
2015 - Études
2016 - La Femelle du requin
2016 - Livr'arbitres
2016 - Pasqyra e te rrefyemit
2016 - Perspectives libres
2016 - Photographies :
Lumières de Haute-
Normandie
2016 - Raskar Kapac, n°2
2016 - Trois cent soixante
2017 - Collectif Tarkovski
2017 - Kënga e dashurisë e
Judë Iskariotit
2017 - La Montagne morte de
la vie
2017 - Le Paradis français
d'Éric Rohmer
2017 - Nunc, n°41
2017 - Revue Accattone
2018 - La Terre demeure
2018 - Perspectives libres -
Pourquoi combattre ?
2019 - D'un lecteur l'autre
2019 - Hommes et engrenages
2019 - La Mort du fer
2019 - Le temps des livres est
passé
2020 - L'Impostura
2020 - Nouvelle École sur
Bernanos et Péguy
2021 - Le Grand Dieu Pan
2021 - Océan et Brésil d'Abel
Bonnard
2021 - Philitt n°11 : Déclin et
salut de la littérature
2023 - Revue Krisis -
Déconstruction ?
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République » Anders
Apologia pro Vita Kurtzii
21/07/2004
Barbey d'Aurevilly
Stalker de Tarkovski Barrès
Bellum civile
Bernanos
Bloy
Bolaño
Boutang
Broch
Browne
Burgess
Cacographes
Canetti
Catastrophes
Céline
Conrad
Cristina Campo
Dante
Dantec
Ce texte, que nous pourrions prétendre poético- Darien
analytique, est extrait de La Critique meurt jeune parue De Quincey
aux éditions du Rocher en 2006. De Roux
Il constitue plus précisément l'exorde d’un long article Décadences
évoquant Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick, Defalvard
DeLillo
La Mort de Virgile de Broch puis L’Avenue de Paul
Démonologie, satanisme
Gadenne.
Dhimmitude
Dick
Dostoïevski
Parce que, de nouveau, pour gagner sa vie, il doit la risquer Dracula
dans la Zone mystérieuse, interdite à toute présence Dupré
humaine, le Stalker va servir de guide à deux hommes, le Effondrements
Enquête sur le roman
Professeur et l’Écrivain, désireux de se rendre dans cette
Entretiens
Chambre qui, comme l’affirme la rumeur, peut exaucer
Entretiens radiophoniques
n’importe quel désir. Nous suivons pas à pas la progression
Faulkner
des trois compagnons, avancée lente, prudente, car la Zone Finis Austriae
est pleine de dangers inconnus, foudroyants. On raconte, Gadenne
mais nul n’est sûr de la véracité de cette légende, que la Gass
Zone a été contaminée à la suite d’un accident nucléaire, ou Haecker
bien qu’une chute de météorite en a interdit à quiconque Heidegger
Histoire et esthétique du
l’entrée, d’ailleurs solidement défendue par l’armée, ou cinéma fantastique
encore, hypothèse la plus folle, qu’il s’agit en fait des restes Houellebecq
d’une expédition d’origine extraterrestre. En quittant notre Huguenin
terre, de mystérieux explorateurs auraient abandonné Infréquentables
Israël
derrière eux des objets inconnus, à la fois cadeaux et pièges.
Jones
Mais le Stalker, homme misérable et simple, n’a que faire
Jünger
des explications, surtout lorsqu’elles sont rationnelles, car
Kertész
dans la Zone, la logique des hommes n’a plus aucun cours, Krasznahorkai
elle rouille comme une vieille pièce de monnaie abandonnée Kraus
dans une flaque d’eau. La Zone est en effet l’anti-logique L'Amérique en guerre
absolue, le territoire de la ligne qui ne peut jamais être La Littérature à contre-nuit
droite. Le but du Stalker n’est donc pas de démontrer une La Matrice
La Soudière
vérité, de prouver une thèse (par exemple : la Zone est ceci
La Ville
plutôt que cela) ou d’apporter des preuves, comme celles
Langages viciés
que recherche le Professeur. Encore moins désire-t-il jouer la Léon Daudet
comédie aigre du cynisme, comme le fait l’Écrivain, revenu Les îles
de tout et qui, pour tenter d’exorciser l’impuissance qui le Lowry
guette à présent qu’il paraît dégoûté de s’être ausculté sans Machen
relâche, pénètre dans la Zone par effraction, sans crainte ni Mâles lectures
Mandelstam
respect, sans jamais prêter attention, comme le Stalker a
Massignon
appris à le faire depuis qu’il a assisté à d’inexplicables
McCarthy
accidents, à l’immense silence d’une nature totalement McCord
vierge, parfaitement banale et pourtant d’une force édénique Melville
dans sa perpétuelle nouveauté. Mer variable...
Les trois hommes avancent donc en silence, prudemment, Mes livres
explorant les méandres de leur pensée : autour d’eux, Michelstaedter
Moitrinaires
bizarrement, la nature semble s’adapter à leur humeur,
Monstres romanesques
mimer leurs hésitations, leurs joies ou leurs peines. C’est
Muray
leur âme qui modèle la Zone. La Zone est comme un Nabe
immense miroir où l’homme ne peut s’empêcher de voir la Penn Warren
lumière ou la noirceur de son propre cœur. Pénétrer dans la Percy
Zone, c’est accepter de s’aventurer dans le territoire le plus Picard
secret de notre âme. Dans le silence résonnent pourtant Poe
Pour et contre l'Europe
quelques paroles énigmatiques, chuchotées craintivement
Rohmer
par le Stalker : «Je ne sais pas… je ne suis pas sûr. Je crois
Sabato
qu’elle laisse entrer ceux qui n’ont plus aucun espoir… Non
Science-fiction
pas les mauvais ou les bons, mais les malheureux…» et puis Sebald
: «La Zone, c’est un système très complexe… de pièges, si Sollers (et ses bouffons)
on veut, qui tous sont mortels. J’ignore ce qui se passe ici Steiner
hors de notre présence… mais il suffit qu’on se montre pour Stevenson
que tout entre en mouvement». Mais chacun, je l’ai dit, est Tarkovski
Tarr
plongé dans ses pensées, attentivement scrutées par ce qui
Théologie politique
semble être une miraculeuse intelligence qui jamais
Traductions
n’entrera par effraction dans le cœur faible des hommes. Le Virgile
Stalker songe ainsi à sa femme, laissée derrière lui avec sa
petite fille, douée d’étranges facultés depuis que, avant Ciel des fixes
qu’elle ne naisse, il a pénétré pour la première fois dans la Armel Guerne
Zone. Ainsi le Stalker a-t-il transmis, bien involontairement, Arthur Rimbaud
Benjamin Fondane
des pouvoirs singuliers à sa propre fille. Il pense aussi à tous
Bonaventura
les hommes qu’il a menés dans le territoire proscrit de la
Botho Strauss
Zone. Tous, loin de là, ne sont pas revenus. Certains, qui ont Charles Du Bos
pourtant eu la chance et le privilège de pouvoir pénétrer Charles Péguy
dans la Chambre – mais que s’est-il alors passé à l’intérieur Christophe Colomb
de cette pièce ? – ont ensuite, sans explications, disparu sans Ernest Hello
laisser de traces. Porc-épic lui-même, le maître du Stalker, Ernst von Salomon
Georg Trakl
celui qui lui a appris à éviter les pièges diaboliques, s’est
Gerard Manley Hopkins
suicidé. Le Stalker aimerait que les hommes soient heureux,
Gustave Thibon
car, s’étant fait sa petite opinion sur la Zone, il pense qu’elle
Gustaw Herling
est comme une espèce de cadeau, un don qui aurait été fait à Hugo von Hofmannsthal
l’humanité, qui bien sûr l’ignore ou feint de l’ignorer. Ainsi Isidore Ducasse
souhaiterait-il le bonheur pour tous, lui-même n’ayant Jaime Semprun
jamais songé à demander quoi que ce soit, pas même que sa João Guimarães Rosa
fille soit guérie de l’infirmité qui la ronge. L’Écrivain, lui, José Bergamín
Joseph de Maistre
n’en finit pas de démêler l’écheveau complexe de ses
Jules Lequier
pensées. Il parle seul, il monologue et rumine la gloire, sa
Julien Green
propre célébrité, acquise après tellement de compromissions Léo Perutz
et de combines louches qu’il ne prend désormais garde de Leonardo Sciascia
retourner contre lui-même l’arme acérée de son ironie. Il Louis-Claude de Saint-Martin
moque la vanité des femmes, celle, plus grande encore, de Lucien Rebatet
son écriture qui jamais n’a rien pu faire pour atténuer la Mario Praz
Nicolás Gómez Dávila
souffrance d’un seul homme. Cependant l’Écrivain n’est pas
Pär Lagerkvist
un homme veule. Il est inconsolable de vivre dans un monde
Rachel Bespaloff
qui n’est plus, comme avant, enchanté, qui n’est plus le Raymond Abellio
monde de l’enfance mais celui, tragiquement plat, des vérités Roberto Bolaño
scientifiques, celui du triangle ABC, absolument identique à Roberto Calasso
n’importe quel autre triangle, fût-il celui des Bermudes. Il se Roger Breuil
rend compte qu’il se déteste : il a envie de frapper ce Seamus Heaney
Sören Kierkegaard
ridicule Stalker qui leur affirme – comment cela serait-il
Theodor Haecker
possible ? – ne chercher qu’à les rendre heureux. Le
Thomas Carlyle
Professeur enfin paraît très concentré et veille à protéger des William Gaddis
nombreux obstacles son lourd sac à dos qui contient… Il ne Zissimos Lorentzatos
croit pas aux pouvoirs prétendument miraculeux de la Zone
ou plutôt, il est terrifié à l’idée que son expédition lui prouve Art poétique
qu’il s’est trompé et que, réellement, la Chambre soit À quoi bon ?
capable de réaliser ses désirs les plus secrets. Peu importe All sparks will burn out
Altamira
car, dans ce sac à dos si bizarrement pesant, se trouve
Berserker, 1
cachée une… La Zone, après, n’existera plus, de même que
Berserker, 2
la Chambre de laquelle ils approchent prudemment car le Ce goût immodéré pour
Professeur a décidé de détruire cet endroit dans lequel il l'hermétisme
Circularité spéculaire...
marche maintenant depuis de longues heures harassantes.
Damnation
Maintenant ils ont pénétré dans la Chambre, qui par aucun
Diapsalmata
détail particulier ne se distingue du bâtiment délabré où les
Éloge de Mouchette
trois hommes se sont glissés avec mille précautions. Ils Ens non esse facit, non ens fore
n’échangent pas un mot mais le Stalker et L’Écrivain ont Fair is foul, and foul is fair
bien vite compris quelle était l’intention criminelle du Fulgurance et fragment
Professeur. Que va-t-il se passer ? Que vont faire les trois Intermède mélancolique
hommes ? L'absinthe de l'origine
La littérature sans Dieu
La Ville
Dans la Chambre, l’immense silence qui plane sur la Zone et
La Ville, 2
la protège n’en finit pas de faire résonner douloureusement La Ville, 3
le cœur des hommes. La Ville, 4
La Ville, 5
Stalker, avec Le Miroir et Le Sacrifice, est l’une des œuvres La Ville, 6
les plus abouties de Tarkovski. Il n’est pas anodin de La Ville, 7
La Ville, 8
rappeler que le film, tourné une première fois dès 1977 sur
La Ville, 9
une pellicule occidentale (inadaptée pour le matériel des
Larvatus prodeo...
laboratoires russes) qui, une fois développée, se révéla Le signe secret entre Schmitt et
inutilisable, dut être de nouveau entièrement tourné par Taubes
Tarkovski, qui termina le second montage du film en 1979. Les limites de la littérature...
Mission de la critique
La richesse de cette œuvre autorise bien des interprétations
Mon refus jamais tempéré de
symboliques qui, on s’en doute, invalident quelque peu la jouir
monosémie de la parabole : en effet, à la différence de cette Nocturnal
dernière, dont l’explication unique est livrée aux apôtres par Odi profanum vulgus et arceo
Requiem pour une nonne
le Christ en personne, l’interprétation symbolique est
Stalker l'Obscur
polysémique. Toutefois, on ne peut dire n’importe quoi sur
The Racing Rats
Stalker car l’horizon d’attente de ce film en tout point
Toile infra-verbale
remarquable est éminemment et à l’évidence religieux, pour Tristesse et joie de la parole
ne pas dire chrétien, ce terme étant encore imprécis si l’on Veni foras
songe à la longue tradition orthodoxe dans laquelle
Hôtes
Tarkovski, après Dostoïevski (à l’œuvre duquel il songea
consacrer un film), s’est inscrit profondément. Il serait ainsi Alexandre Del Valle
André Hirt
ridicule de proposer une lecture psychanalytique (puisque
Baptiste Rappin
c’est la mode), voire matérialiste de cette œuvre d’un ardent
Carmen Muñoz Hurtado
mysticisme. Il serait tout simplement impardonnable d’en Christophe Scotto d'Apollonia
tenter (cela a peut-être déjà été fait, je ne sais) une lecture Christopher Gérard
déconstructrice qui essaierait de prouver que Stalker, parce Cyril Pahlavi
qu’il s’interroge sur l’existence même de la foi dans un Damien Taelman
monde occidental qui ne fiche de Dieu, affirme la radicale Daniel Cohen
Dominique Autié
inexistence de l’une et de l’autre. Dans Stalker, les deux
Francis Moury
thèmes qui nous occupent, la parole et l’art, occupent une
François Delpla
place essentielle qui nous autorise, je crois, à livrer de ce Frédéric Gandus
film une interprétation non pas limitée mais volontairement Gabriel Matzneff
réduite à une seule interrogation : dans un monde privé de Georges Sebbag
Dieu, l’Art est-il encore possible ? Dans un monde incapable Germain Souchet
d’écouter le Verbe, les hommes peuvent-ils encore s’écouter Gonzague Basset-Chercot
Gregory Mion
les uns les autres et dialoguer ou ne sont-ils pas condamnés,
Guillaume Sire
à perpétuité, à creuser en se bouchant les oreilles la fosse de
Jacques Géraud
Babel ?
Jean-Baptiste Fichet
Un premier indice de cette double prééminence accordée à la Jean-Baptiste Morizot
parole et à l’art nous est donné (faux paradoxe) par Jean-Christophe Moreau
l’importance du silence (la Zone est ainsi décrite par le Jean-Gérard Lapacherie
stalker comme étant l’endroit le plus silencieux du monde) Jean-Luc Evard
ou par la lecture d’un passage de l’Apocalypse par une voix Jean-Philippe Domecq
Jean-Pierre Tailleur
off de jeune femme (celle du stalker ?). Il n’est pas même
Jean-Yves Tartrais
jusqu’à la musique envoûtante d’Artemyev qui ne contribue
Juan Pedro Quiñonero
à faire de ce film un long poème chanté. L’image ne peut Laurent Lafforgue
tout suggérer, malgré son extraordinaire puissance Laurent Schang
d’évocation, médiate, instantanée : le langage nous permet Lucien Suel
alors de gonfler la texture du film, de le douer d’une parole Marc Laudelout
qui, médiate au contraire de l’image immédiate, exigera du Marc Obregon
Matthieu Jung
spectateur un travail réflexif, second. Dans les films de
Michel Hoëllard
Tarkovski, la parole constitue ainsi l’horizon de l’image
Olivier Larizza
plutôt que son support ou son commentaire, y compris Olivier Noël
lorsque le réalisateur filme longuement des œuvres picturales Pierre Damiens
(comme tel tableau de Breughel dans Solaris), davantage et a Pierre Mari
fortiori lorsqu’il s’agit d’icônes (dans Stalker, celle Rémi Soulié
abandonnée dans l’eau), dont la dimension verbale, je crois, Roman Bernard
Sarah Vajda
n’a pas besoin d’être trop lourdement soulignée. La parole
Serge Rivron
n’est plus seulement commentaire mais question posée par
Slobodan Despot
les personnages, vibrante de trouver une réponse qui parfois Thorsten Botz-Bornstein
arrivera, mais toujours sous la forme la plus inattendue,
qu’elle soit diégétique (lorsque tel ou tel héros du film Nains et mégères
apporte à ses compagnons une réponse ou bien lorsque c’est Alina Reyes, mystique transie
le réalisateur lui-même qui le fait, comme s’il était un deus Arnaud Viviant, génie
ex machina ironique) ou extra-diégétique (question à BHL/Philippe Cohen
Chloé Saffy/Alexandra Varrin
laquelle nous pouvons répondre en silence). De plus, par
Florence Aubenas, icône
l’intermédiaire de l’Écrivain, certains des conflits propres à
François Bayrou, concentré
toute démarche artistique sont soulignés : notamment, Günter Grass, Waffen SS pour
comme d’ailleurs chez un Bernanos, la vanité ridicule de rire
Hugues Simard, bibliothécaire
l’homme de lettres qui s’est détourné de la voie périlleuse de et pitre
l’art pour emprunter le sentier fleuri de la renommée. Ainsi, Ingrid Bétancourt, canonisable
la personnalité de cet écrivain au bout du rouleau me semble J. Savigneau, journaliste
bien plus complexe que celle du scientifique. L’Écrivain, en Jacques de Guillebon,
apocalyptologue
effet, est un homme blasé, un sceptique qui n’hésitera pas à
Jean-Edern Hallier, borgne
parodier le sacrifice du Christ en posant sur sa tête une Jean-Louis Ezine, journaliste
couronne d’épines. Il ne croit plus à la puissance Johann Cariou, Gollum
démiurgique de son art, qui l’a vidé, et c’est par ennui tout Jorge Semprún, grand résistant
autant que par un ultime geste de défi qu’il va désirer Louis Aragon, vrai menteur
pénétrer dans la Zone, afin de se prouver sans doute que le Luc-Olivier d'Algange,
polygraphe
miracle ne peut exister que dans la cervelle de quelques Marc Alpozzo, penseur buvard
pauvres diables macérant dans les hallucinations. Car, et Marcel Bozonnet, plagiste
c’est là ce qui fait de ce personnage un être tragique, Meyronnis/Haenel
l’Écrivain ne cesse de pleurer sur son idéal saccagé, la pureté Michel Onfray, gros vendeur
d’un monde à présent profané qui, jadis, ouvrait les yeux Michel Surya, aimant aimer
Nathalie Ménigon, autrefois
étonnés de l’enfant devant la beauté de la création. Ne lui belle
reste ainsi plus aucune consolation, l’écriture n’étant à ses P. Kéchichian, saule pleureur
yeux qu’un tremplin social, autre synonyme de lente P.-E. Dauzat, Mahatma
dévoration de sa propre substance. Pour lui, rentrer dans la Pascal Zamor, révolutionnaire
Perry Anderson, communiste
Zone représente donc une chance inespérée, sans doute
Philippe Sollers, baudruche
miraculeuse (je suis certain qu’il le sait pertinemment) que,
Pierre Cormary, (petit)
par son comportement, il va refuser de saisir. Le Professeur, inquisiteur
qui a désiré détruire la Zone au moyen d’une bombe Pierre Cormary, démon de
toute petite envergure
atomique, avait toutefois la certitude qu’elle était
Pierre Marcelle, journaliste
parfaitement réelle, qu’elle avait le pouvoir divin d’exaucer Renaud Camus et ses mauvais
les vœux des hommes. C’est donc l’homme de science qui, lecteurs
Richard Millet, guerrier
par peur des conséquences terribles pouvant découler de parfumé
l’existence même de la Zone (qu’adviendrait-il si un fou ou Romaric Sangars, minet
un homme pervers parvenait à accomplir l’un de ses désirs Ségolène Royal, mortelle
grâce à la Chambre ?), légitime en somme son pouvoir infini, Socialisme et crétinisme
là où l’homme de l’art a refusé d’écouter ce que lui Technikart, revue acéphale
murmurait la Zone, qui eût pu dissiper ses ténèbres.
Les spécialités du
La leçon paraît claire si nous affirmons donc que la Zone, stalker
tout comme, d’ailleurs, le fut la planète Solaris, représente À quoi bon ?
pour Tarkovski le scandale absolu de la liberté dans un Anne-Lorraine Schmitt
monde cassé, esclave des valeurs de l’argent et de la matière. Artistes sans art
Entendons-nous sur ce mot de liberté, qui ne renvoie pas Asensio tient le couteau
dans mon esprit à une quelconque dimension existentielle, De Gaulle contre Maurras
Derrida n'est-il qu'un singe ?
voire existentialiste, ou alors qui n’y renvoie que de façon
France Orange mécanique de
seconde, consécutive. Car la Zone est moins l’espace des Laurent Obertone
possibles que celui de la reconnaissance (au sens où Ilan Halimi et Youssouf Fofana
l’entendait Aristote à propos de la catharsis propre à la Katrina pour tout le monde
tragédie) ou plutôt de la reprise (au sens religieux où L'Aventure à Flatland
L'édition se porte mal...
Kierkegaard l’entendait), acceptation du miracle à portée de
L'imposture chiraquienne
main (dans Solaris, le retour de la femme perdue et, dans
La guerre littéraire de Didier
Stalker, la présence de la jeune fille douée de pouvoirs Jacob n'a pas eu lieu
paranormaux), sacrifice consenti et sacrifice d’abord de ses La Zone est plus belle qu'une...
plus solides assurances, ce masque de toutes les vanités et de Les éditeurs et leur service de
presse
toutes les prétentions de l’esprit. Plonger dans la Zone, c’est Lettre(s) pour emmerder les
donc être au plus près de notre âme débarrassée de tous ses catholiques progressistes
L'affaire Peter Handke
oripeaux, de toutes ses peaux mortes, de tous ses miroirs
Madrid, 11 mars 2004
déformants, et ce parcours vers les profondeurs les plus
Nihilisme et littérature
intimes ne peut avoir comme accomplissement que la Que fait Frédérique Toudoire-
découverte de notre visage le plus secret, ce visage invisible Surlapierre pour la critique ?
qui, une fois de plus selon Bernanos, affleure sous nos traits Quelques fantômes du passé
Ségolène Royal ou la
fatigués. C’est d’ailleurs l’échec de cette initiation au Chevalière de la mort
véritable dénuement spirituel qui explique le désespoir final Toile infra-verbale
du Stalker, cet homme simple et sans apprêts : les deux Traçabilité (de la carne) du
porc
personnages qui l’ont accompagné sont revenus de la Zone
Une année au Celsa
comme si rien n’avait changé dans leur âme, avec la même
aigreur, le même scepticisme, un aveuglement qui plus que Zonards
jamais s’est mué en refus exacerbé du miracle. Bref, ils n’ont Carlos Almonte
rien appris de la Zone ou si peu, ils ne l’ont pas vue et, de Dominique Autié
même, ils n’ont pas écouté son mystérieux langage. Douglas Robertson
Affirmer ex abrupto que la Zone est le lieu privilégié où
À découvrir
l’art, la parole, l’âme ou même la foi (elle représenterait
Éditions Agone
plutôt leur inextricable et paradoxale identité commune) vont
Éditions des Syrtes
se livrer à nu aux trois explorateurs, est évidemment une Éditions J. Millon
explication bien maigre. L’enseignement du film de
Tarkovski n’en demeure pas moins d’une simplicité et d’une
richesse bouleversantes, à l’instar de celles que nous livrent
les paraboles évangéliques : dans un monde sans Dieu, la
Zone représente la dernière et éphémère, ardue et sans doute
terriblement fragile voie du salut mais c’est aussi ce même
monde et sa prosternation ridicule devant toutes les idoles,
c’est ce monde cassé qui nous a fait oublier le chemin, qui
nous a même presque entièrement enlevé le désir de nous y
engager, qui nous empêche de comprendre cette évidence, de
voir que la Zone est le lieu banal de la grâce donnée, mais
refusée par les hommes, de voir et de comprendre que la
Zone est cet homme intérieur que le Christ nous a demandé
de faire triompher. La parole est cette grâce, l’art est cette
grâce, Dieu est cette grâce, langage, corps et esprit
pourrions-nous dire, que nos petits dissecteurs sans entrailles
refusent de considérer dans leurs liens évidents, insécables,
ainsi que leur identité symbolique qui, celle-ci maintenant
brisée, ceux-là maintenant coupés, nous mènent tout droit
vers un Graal d’insignifiance. C’est sur cette assurance et ce
socle – l’art et le langage ne sont que futilité s’ils ne
questionnent pas le divin – que l’œuvre de Tarkovski,
singulièrement Stalker, a bâti son arche de beauté. Saurons-
nous encore la voir ?
Remarque
Je me suis servi, pour la rédaction de cet article, de plusieurs
sources, dont, bien sûr, le film lui-même, datant de 1979
(disponible chez Artificial Eye ou R.U.S.C.I.C.O.).
Tarkovski eut l’idée de ce film après avoir lu un des
classiques de la science-fiction russe, Pique-nique au bord
du chemin des frères Arcadie et Boris Strougatski, ouvrage
ultérieurement traduit par Stalker (Paris, Denoël, coll.
Présence du futur, 1994). D’Andreï Tarkovski, on
consultera très utilement : les Œuvres cinématographiques
complètes, tome 2 (Exils, 2001), le Journal 1970-1986
(éditions des Cahiers du Cinéma, 1993) et enfin Le Temps
scellé (éditions des Cahiers du Cinéma, 1995).
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