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L'ÉDITION ORIGINALE DE CET OUVRAGE A ÉTÉ TIRÉE SAMUEL BECIŒ1T

A QUATRE·VINGT DIX NEUF EXEMPLAIRES SUR


VERGÉ DES PAPETERIES DE VIZILLE, NUMÉROTÉS DE
1 A 99 PLUS NEUF EXEMPLAIRES HORS COMMERCE
NUMÉROTÉS DE H.-C. 1 A H..c. IX

Eleutheria

*nt

© 199' by LES ÉDITIONS DE MINUIT


7, rue Bernard-Palissy,7'006 Paris
En application de la loi du Il mars 1957, il est interdit de reproduire
intégralement ou partidlementle présent ouvrage sans autorisation de l'éditeur
ou du Centre français d'exploitation du droit de copie, 3, rue Hautefeuille, 7~ Paris.
ISBN 2·7073·UI9·2 LES ÉDITIONS DE MINUIT
OUVRAGES DE SAMUEL BECIŒIT

*m
RomII"s d "OIIWl/eS
Bende et sarabande
Murphy AVERTISSEMENT
Watt
Premier amour
Mercier et Carnier
MolIoy
MalOOe meurt
L'innommable
Samuel Beckett ne voulait pas qu'on publie Eleutheria.
Nouvelles (L'expulsé. Le calmant. La An) et Textes pour rien C'était la première pièce qu'il avait écrite en français, à
L'image la fin des années 1940. En I~O, j'avais d'abord connu de
Comment c'est lui trois romans, Mol/oy, Malone meurt et L';nnommtlhle.
Têtes-mortes (D'un ouvrage abandonné. Assez, Imagination morte Mais dès l'année suivante il me donna à lire EkUtheria et
~. Bing, Sans)
En attenunt Godot. S'il accepta volontiers qu'on fasse
Le
Pourdél)eupleur
linii encore et autres foirades (Au loin un oiseau, Se voir, paraitre la seconde de ces pièces en 1~2, juste avant que
Immobile)
Roger Blin la mette en scène au théâtre Babylone, ,il
Compl8llie
Mal w Inal dit s'opposa à la publication comme à d'éventuelles reptéen-
Cap au pire tations d'Eleuthm.. Samuel Beckett sera toujours très
SoUbresauts sévère à l'égard de ses travaux anciens et il lui armera de
Proust juger de prime abord impubliable une œuvre qu'il finira.
Poèmes. suivi de Mirlitonnades
Le monde et le pantalon, suivi de Peintres de l'empêchement sur l'insistance deest
sesleamis, parses
traduire ou au
livrer à l'impri·
meur. Eleutheritz seul de ouvrages sujet duquel
Thé4~, tilévision et radio il ne changera plus d'avis. n en parlait encore'peu de jours
FJeutherïa avant
En attendant Godot jet de sa mort, devant
publication quelques
de ses intimes,
Œuvres à propos
complètes: d'un pro-
«QtJ'on n'y
Fin de partie fasse en tout cas pas figurer Eleutheria. »
Certes, il ne lui serait pas venu à l'idée 'CIenier l'existence
TOUl ceux qui
La dernière tombent
bande. suivi de Cendres de ce travail. Les spécialistes en études beckettiennes qui
Oh les beaux jours suivi de Pas moi
Comédie et actes divers (Va-et-vient, Cascando. Paroles et musi- laissent le plaisir du texte aux amateurs pour se consacrer
à la recherche savante des variantes, des brouillons et des
gue,JJis
Souffle) Joe, Acte sans
, paroles 1. Acte sans paroles II. Film,
vestiges de tout acabit abandonnés par l'auteur sur son pas-
Pas. suivi de Quatre ~ (FrapICIlt de théâue l, FfI8IDCIlt de sage eurent le droit de consulter le manuscrit aux Ediuons
théâtre II. et
Catastrophe Pochade ~
autres dramiticuleS ~ fois, Solo,
(ec;e radioPhornque)
berceüse. de Minuit, ainsi qu'aux archives des universités de Dart-
_ Impromptu d·Ohio. Quoi où) 7
Quad et autres
DUIICS.... piècesund
NaCht pourTriume),
la télévision
suivi (Trio du Fantôme,
de L'épuisé par ... que
Gilles
DelCuze
mouth (Etats-Unis) et Reading (Grande-Bretagne). De fait la même remarque). Et puis, comme il disait n'avoir
même il autorisa la Revue d'esthétique, dans un numéro qui
lui était consacré, à en reproduire un extrait. Mais il a tou- jamais cessé d'échanger
correspondance, avec Samuel
je lui demandai deBeckett une abondante
me communiquer les
jours attendu de ses amis qu'ils veillent à ce qu'on ne pré- lettres qui évoquaient ce projet de publication. nn'yen avait
aucune. Je n'eus pas de mal à conclure que ces prétendus
sente
après pas comme
lui, tous les une
vraisœuvre achevéedeceson
connaisseurs quetravail
lui-même et,
que j'ai souvenirs n'étaient, pour l'essentiel, que le produit tardif de
connus considéraient comme une pièce ratée. son imagination. En plein accord avec les héritiers de
C'était compter sans Barney Rosset. A la tête de sa mai- l'auteur, je lui fis savoir que j'étais au regret de lui refuser
son d'édition américaine Grove Press, Barney Rosset aura l'autorisation qu'il demandait.
publié, durant une trentaine d'années, d'abord les traduc-
tions des livres de Samuel Beckett écrits en français, puis Je croyais l'affaire réRlée. J'avais tort. Dès l'année sui·
vante,
dans sonil revenait la cl1arge.
projet deà publier uneNon
œuvreseulement il..~tait par-
qu'il quaIitiait
les œuvres
écrire, par originales en anglais
intermittence, lorsque
dans cette l'auteur
langue. se remit à
Malheureuse- tout de «merveilleuse., mais il s'était de surcroît mis en
ment, cet éditeur indépendant dut un jour céder le contrôle tête de la faire jouer sur scène dans une nouvelle traduction
financier de sa maison à un nouveau propriétaire, lequel qu'il avait demandée à Albert Bermel (celle de Stan Gon-
finit, en 1986, par le congédier. tarski ayant sans doute été jugée entre-temps impubliable).
Sept ans passèrent. Samuel Beckett était mort le 22 décem- Barney Rosset commença par vouloir organiser en septem-
bre 1989. En mars 1993. je reçus une lettre de Barney Rosset
bre
refusune lecture publique
de l'autoriser. de ladepièce.
le directeur la salleMais, devantse tenir
où devait mon
me demandant
maison d'édition,de Blue
lui accorder pardroit
Moon, le contrat, pour saEleutheria
de publier nouvelle cette manifestation se rétracta et la lecture eut lieu en privé.
aux Etats-Unis, dans une traduction qu'il avait commandée Quant aux nombreux producteurs new-yorkais que Barney
à Stan Gontarski. Barney Rosset appuyait sa démarche sur Rosset avait démarchés en vue de monter ce spectacle, ils
le récit suivant. Au moment de son éviction de Grove Press, se récusèrent tour à tour quand ils apprirent par la presse
en 1986, il était venu solliciter à Paris l'aide de Samuel Bec- que les ayants droit y étaient opposés.
kett. Celui-ci lui aurait alors remis une copie dactylogra- Barney Rosset ne renonça pas pour autant. En novembre,
il me faisait parvenir l'épreuve d'un ~talogue où la maison J
phiée
Surprisd'Eleutheri4 pour que qui
par cette déclaration Blue Moon en ce
contredisait fasse
que un livre.
je savais d'édition Four Walls Eight Windows, associée à Foxroek,
des intentions
quai maintes
d'abord qu'il avaitfois exprimées
fallu un sacré par
boutl'auteur, je remar-
de temps à Bar- marqueprochaine
sortie fondée par lui pour en
d'Eleutheri4 la librairie.
circonstance, annonçait
J'adressai aussitôtla
une mise en garde à l'éditeur, au distributeur et au traduc-
ney Rosset
Samuel pour l'aurait
Beckett envisager de s' ac~tter
chargé (<< ~ de lacomplètement
m'était mission dont teur, pour les inciter à ne pas prêter leur concours à une
opération non seulement illicite au plan juridique mais
sorti
tard àdeMatthew
l'esprit durant
Flamm,plusieurs
du New années., répondra-t-il
York Observer, plus
qui lui avait attentatoire au droit moral de l'auteur.

8 9
En décembre, c'est l'avocat de Barney Rosset qui m'écri- Nous sommes qudques-uns qui attachons du prix à un
vit directement pour tenter de fléchir ma position. Je lui
l'existence
pacte d'amitié.
d'une
Nousdifférence
sommes qudques-uns
fondamentale quientre
croyons
deuxà
rappelai
de Samuelque, comme
Beckett, exécuteur
je ne testamentaire
pouvais bien et littéraire
évidemment que res- œuvres d'un même auteur, &don qu'il estime l'une aboutie
et l'autre manquée. Devons-nous laisser triompher ceux
pecter
si cetteses volontés.
pièce, J'étais son
Eleutheri4, avaitpremier et principal
dû paraître, éditeur:
elle aurait été qui, manifestement, sont d'un avis contraire? n nous a sem-
publiée depuis longtemps aux Editions de Minuit. blé qu'à partir du moment où qudqu'un faisait paraître une
Le 10 janvier dernier, un article dans The Village Voice version anglaise d'Eleutheria qui n'était pas de la main de
évoquait derechefla publication chez Four Walls Eight Win- Samud Beckett, il devenait nécessaire de publier d'abord
dows-Foxrock, mais cette fois dans une traduction de l'ouvrage dans sa langue d'origine.
Michael Brodsky. Barney Rosset soulignait qu'il était seule- J'ignore, au moment où j'écris, sous qudle forme les
ment mû, dans cette affaire, par des considérations d'ordre Américains prendront connaissance d'Eleutheri4. L'édition
que nous présentons ici, à défaut d'avoir été voulue par
moral et que,
avait décidé pour prouver
qu'Eleutheria son total
paraîtrait sousdésintéressement,
la forme d'une édi·il Samud Beckett, est, dans sa nudité, celle qu'il a écrite. Que
tion hors commerce distribuée gratuitement aux malheu- ceux qui ont aimé les trente livres admirables publiés de
reux universitaires qui la réclamaient, disait·il, depuis si son vivant nous pardonnent. n se trouvera certainement
longtemps. qudques nouveaux venus ~ui, n'ayant jamais rien lu de
l'œuvre de Samud Becket, 1 aborderont par Eleutheria. Je
'" Las, deux
Puhlishers jours
Weelely plus tard,
remettait une annonce
les pendules payante
à l'heure: dans
l'exem- les supplie de ne pas en rester là.
plaire d'Eleutheri4 serait vendu 20 dollars (106 francs).
n était dès lors évident que Barney Rosset allait poursuivre Jérôme Lindon
23 janvier 1995
sonà la
et projet jusqu'à
censure son nous
si nous terme.avisions
Quitte de
à crier à la persécution
l'attaquer en justice.
Oubliées les justifications avancées en 1993 selon lesquelles
c'était Samud Beckett qui l'aurait lui-même chargé de faire
paraître une traduction de sa pièce. On ne parlait plus que
de satisfaire la curiosité de lecteurs frustrés par une si longue
absence. En vérité, lesdits lecteurs potentids sont bien
davantage attirés par un battage médiatique savamment
entretenu que
manquant d'uneparproduction
l'envie desubstantielle
connaître enfin
dont le
ils fragment
sont fort
rares à avoir lu tous les volumes disponibles. Ce n'est pas le
texte littéraire qu'on attend, c'est l'objet de scandale.

10 11
Cette pièce comporte, aux deux premiers actes, une mise
en scène juxtaposée de deux endroits distincts et, par14nt,
deux actions simultanées, action prindpale et action margi-
nale, celle-d muette Ii part quekjues courtes phrases et, en ce
qui concerne la mimique, réduite 4UX attitudes et mouve-
ments vagues d'un seul personnage. A vrai dire, moins une
action qu'un site, souvent vide.
Le texte concerne l'action prindpale exclusivement.
L'action marginale est affaire de l'acteur, dans les limites des
indications de la note qui suit.

Note sur la disposition de la scène et l'action marginale.

La scène, aux deux premiers actes, représente, juxtapo-


sés, deux endroits éloignés l'un de l'autre dans l'espace réel,
à savoir la chambre de Victor et un coin du petit salon chez
les Krap, celui-ci comme enclavé dans celle-là. fi n'y a pas
de cloison. La chambre de Victor passe insensiblement dans
le salon Krap, comme le sale au propre, le sordide au conve-
nable, l'ampleur à l'encombrement. C'est dans toute la lar-
geur de la scène le même mur de fond, le même plancher,

13
mais qui, en passant de Victor à sa famille, s'apprivoisent par moments. L'action marginale, aux deux premiers actes,
et deviennent décents. C'est l'eau du large devenant celle doit être menée avec le maximum de discrétion. La plupart
du port. TIs'agit donc d'un espace dualiste s'exprimant, sur du temps, il s'agit seulement d'un site et d'un être en stase.
le plan scénique, moins par des effets de transition que par Les rares mouvements obligés, à fonction, comme l'entrée
le fait que la chambre de Victor absorbe les trois quarts de de Mme Karl et la sortie de Victor au premier acte, l'entrée
la scène et par le désaccord flagrant entre les deux mobi- et la sortie de Victor au deuxième acte, et les deux phrases
liers : cdui de la chambre de Victor, un lit-cage sans (celle de Mme Karl au premier acte, celle de Jacques au
plus; cdui du salon Krap, une table ronde très élégante, deuxième) sont à amener par une sorte de flottement dans
quatre chaises d'époque, un fauteuil, un lampadaire et une l'action principale, d'ailleurs souvent flottante.
applique. L' action marginale se passe, au premier acte dans la
L'éclairage de jour est le même pour les deux côtés (fenê- chambre de Victor, au deuxième dans le salon Krap.
tre au milieu du mur du fond). Mais chacun a son éclairage
arti6cid propre, cdui de Victor (Actes II et lln, l'ampoule
fournie par le vitrier, cdui du salon Krap (Actes 1 et ll), le Actio" 11IQrginllle.Acte 1.
lampadaire et, à la fin du premier acte, l'applique qui reste
allumée après extinction du lampadaire. Victor au lit. Immobile. On n'est pas obligé de le voir
Chaque côté a sa propre porte. tout de suite. TIs'agite, s'assied sur le lit, se lève, va et vient,
A chaque acte, la chambre de Victor est présentée sous en chaussettes, dans tous les sens, de la fenêtre à la rampe,
un autre angle, ce qui fait que, vue de l'auditoire, elle se de la porte à la barrière invisible côté action principale,
trouve à gauche de l'enclave Krap au premier acte, à droite lentement et vaguement, s'arrête souvent, regarde par la
de l'enclave Krap au deuxième acte, et que d'un acte à fenêtre, vers le public, retourne s'asseoir sur le lit, se recou-
l'autre l'action principale reste à droite. Ceci explique aussi che, s'immobilise, se rdève, reprend sa marche, etc. Mais
pourquoi il n'y a pas d'action marginale au troisième acte, il est plus souvent immobile ou s'agitant sur place qu'en
le côté Krap étant tombé dans la fosse à la suite du virement déplacement. Ses mouvements, pour être vagues, n'en sui-
de la scène. vent pas moins un rythme et un dessin bien arrêtés, de sorte
L'action principale et l'action marginale n'empiètent qu'on finit par savoir à peu près sa situation sans avoir à le
jamais l'une sur l'autre et se commentent à peine. Les per- regarder.
sonnages des deux côtés sont arrêtés, dans leurs mouve- A un moment donné, c'est-à-dire dès que Mme Krap
ments les uns vers les autres, par la barrière qu'eux seuls aura eu le temps d'arriver, Mme Karl entre et dit: «Votre
voient. Ce qui n'empêche pas qu'ils se touchent presque mère. » Victor assis sur le lit. Silence. TI se lève, cherche

14 15
quelque chose (ses chaussures), ne les trouve pas, sort en
chaussettes. La chambre vide. De plus en plus sombre. Vic-
tor rentre après cinq minutes mettons, reprend son manège.
n doit être couché et immobile pendant toute la fin de
l'action principale, entre M. Krap et Jacques.

Action marginale. Acte II. PERSONNAGES :

Scène vide pendant longtemps. Entre Jacques. n va et M. Henri Krap.


vient, sort. Scène à nouveau longtemps vide. Entre Jacques, Mme Henri Krap.
il va et vient, sort. On sent qu'il pense à son maître, dont Victor Krap, leur fJJ.s.
il touche doucement le fauteuil à plusieurs reprises. Scène Mme Meck, amie des Krap.
à nouveau vide. Entre Jacques. n allume le lampadaire, va Dr André Piouk.
et vient, sort. Scène à nouveau vide. A un moment donné, f Mme André Piouk, sœur de Mme Krap.
c'est-à-dire dès que Victor aura eu le temps d'arriver, Jac- Mlle Olga Skunk, fiancée de Victor.
ques l'introduit. Victor s'assied dans le fauteuil de son père, Un vitrier.
sous le lampadaire. Longue immobilité de Victor. Entre Michel, son fJJ.s.
Jacques: «Monsieur peut venir.» Victor se lève et sort. Un spectateur.
Scène vide jusqu'à la fm de l'acte. Tchoutchi, tortionnaire chinois.
t Mme Karl, logeuse de Victor.
Jacques, valet de chambre chez les Krap.
Marie, femme de chambre chez les Krap, fiancée de Jac-
ques.
Thomas, chauffeur de Mme Meck.
Joseph, homme de main.
r Souffleur.
t
LIEU : Paris.
TEMPs : Trois après-midi d'hiver consécutifs.

16 17

i,

't(
Un coin du petit salon che1.les Krap.
Table ronde, quatre chaises d'époque, fauteuil club, lam-
padaire, lampe murale avec abat-jour.
Fin d'un après-midi d'hiver.
Mme Krap assise devant la table.
Immobilité de Mme Krap.

On frappe. Silence. On refrappe.


MME KRAP,avec un sursaut. - Entrez. (Entre Jacques. Il
présente à Mme Krap un plateau sur lequel se trouve une
carte de visite. Elle prend la carte, la regarde, la remet sur le
plateau.) Eh bien? (Incompréhension de Jacques.) Eh bien?
(Incompréhension de Jacques.) Quel abrutissement! (Jac-
ques baisse la tête.) Je croyais vous avoir dit que je n'y étais
pour personne, sauf pour Mme Meck.
JACQUES.- Oui, madame, mais c'est madame la sœur de
madame. alors j'ai cru ...
MME KRAP.- Ma sœur!
JACQUES.- Oui, madame.
MME KRAP.- Vous êtes impertinent. (Jacques baisse la
tête.) Montrez-moi cette carte. (Jacques présente à nouveau

21
le p14teau, Mme Krap reprend 14 carte.) Depuis quand ma MME PIOUK.- Pas pour moi.
sœur s'appelle-t-elle madame Piouk ? MME KRAP.- Marie!
JACQUES,avec emba"as. - Je crois ... MARIE.- Madame?
MME KRAP.- Vous croyez ? MME KRAP.- Vous servirez le thé quand madame Meck
JACQUES.- Si madame retournait la carte. (Mme Krap sera là.
retourne 14 carte et lit). MARIE.- Bien, madame. (Elle sort.)
MME KRAP.- Vous n'auriez pas pu me le dire tout de MME PIOUK.- Tu ne m'offres rien d'autre?
suite? MME KRAP.- Par exemple?
JACQUES.- Je prie madame de m'excuser. MME PIOUK.- Un porto.
MME KRAP.- Ne soyez pas si humble. (Silence de Jac- MME KRAP.- C'est l'heure du thé.
ques.) Songez à votre syndicat. MME PIOUK.- Comment va Henri ?
JACQUES.- Madame plaisante. MME KRAP.- Mal.
MME KRAP.- Faites entrer. (Jacques s'en va.) Envoyez- MME PIOUK.- Qu'est-ce qu'il a?
moi Marie. MME KRAP.- Je ne sais pas, il n'urine plus.
JACQUES. - Bien, madame. (Il sort. Immobilité de MME PIOUK.- C'est la prostate.
Mme Krap. Entre Jacques.) Madame Piouk. (Entre MME KRAP.- Alors, tu t'es mariée.
Mme Pioule, avec précipitation. Jacques sort.) MME PIOUK.- Oui.
MME PIOUK.- Violette! MME KRAP.- A ton âge !
MME KRAP.- Marguerite! (Elles s'embrassent.) MME PIOUK.- On s'aime.
MME PIOUK.- Violette! MMEKRAP.- Quel rapport? (Silence de Mme Piouk.) Mais
MMEKRAP.- Tu m'excuseras de ne pas me lever. J'ai un tu dois ... je veux dire ... tu ne dois plus ... enfin ... voyons ...
peu mal au ... peu importe. Assieds-toi. Je te croyais à Rome. MME PIOUK.- Pas encore.
MME PIOUKs'assied. - Quelle mauvaise mine tu as ! MME KRAP.- Je te félicite.
MME KRAP.- Tu n'es pas très fraiche non plus. MME PIOUK.- TI veut un enfant.
MME PIouK. - C'est le voyage. MME KRAP.- Non !
MMEKRAP.- Qui est-ce (elle regarde 14caTje),ce Piouk? MME PIOUK.- Si !
MME PIOUK.- TI est médecin. MME KRAP.- C'est de la folie.
MME KRAP.- Je ne te demande pas ce qu'il fait. (On MME PIOUK.- Comment va Victor?
frappe.) Entrez. (Entre Marie.) Vous pouvez servir le thé. MME KRAP.- Toujours le même, toujours là-ba, dans
MARIE.- Bien, madame. (Elle s'en va.) son trou. On ne le voit jamais. (Ptlllse.) N'en parlons pas.
22 23
MME PIOUK.- Tu attends madame Meck ? MME PIOUK.- Un peu partout.
MME KRAP. - Sans impatience. MME KRAP. - Je ne t'ai pas félicitée. (Elle avance une
MME PIOUK.- Cette vieille sorcière. joue que Mme Pioule embrasse.) Tu aurais pu me prévenir.
MME KRAP. - Tu ne veux pas la voir ? MME PIOUK.- Je voulais t'envoyer un télégramme, mais
MME PIOUK.- J'aimerais autant pas. André m'a dit que ...
MME KRAP. - Pourtant, elle t'aime. MME KRAP. - Enfin, tout cela n'a pas d'importance. (On
MME PIOUK.- Penses-tu! C'est de la comédie. frappe.) Entrez.
MME KRAP. - Oui, probablement. (pause.) Je l'attends Entre Jacques.
d'un moment à l'autre. JACQUES.- Madame Meck. (Entre Mme Mecle, femme
MME PIOUK.- Alors, je m'en vais. (Elle se lève.) volumineuse, lourdement chargée de fourrures, capes, para-
MME KRAP. - Ton mari n'est pas avec toi? pluie, sac à main, etc. Jacques sort.)
MMEPIOUKse rassied. - Ah, que j'ai hâte que tu le voies ! MME MEcK. - Violette!
TI est si doux, si intelligent, si... MME KRAP. - Jeanne! (Elles s'embrassent. Mme Mecle
MME KRAP. - TI n'est pas avec toi? s'assied, se déleste, s'a"ange.) Excuse-moi de ne pas me
MME PIOUK.- TI est allé à l'hôtel. lever.
MME KRAP. - Quel hôtel ? MME MEcK. - Tu as toujours mal ?
MME PIOUK.- Je ne sais pas. MME KRAP. - De plus en plus. Tu connais ma sœur.
MME KRAP. - Quand le sauras-tu? MME MEcK, se toumant vers Mme Pioule. - Mais c'est
MME PIOUK.- TI doit passer me prendre ici. Rose !
MME KRAP. - Quand? MME KRAP. - Mais non, c'est Marguerite.
MME PIOUK.- Oh, d'ici une demi-heure, je pense. MMEMEcK. - Ma chère Marguerite! (Tend la main, flue
MME KRAP. - Alors, tu ne peux pas t'en aller. prend Mme Pioule.) D'où sortez-vous? Je vous croyais à
MME PIOUK.- Je l'aurais attendu dans le grand salon. Pise.
MME KRAP. - Qu'est-ce qu'il fait comme médecine? MME KRAP. - Elle s'est mariée.
MME PIOUK.- TI n'a pas de spécialité. C'est-à-dire ... MME MEcK. - Mariée !
MME KRAP. - TI fait tout. MME KRAP. - Avec un médecin qui s'intéresse à l'huma-
MME PIOUK.- C'est l'humanité qui l'intéresse. nité.
MME KRAP. - Où est-ce qu'il sévit ? MME MEcK. - Laissez-moi vous embrasser. (Mme Pioule
MME PIOUK.- TI espère s'installer ici. se laisse embrasser.) Mariée! Oh! (avec un mouvement
MME KRAP. - Et jusqu'à présent? indescriptible) que je suis contente!

24 2'
;,
MME PIOUK. - Merci. MME KRAP. - C'est tout.
MME MECK. - Comment s'appelle-t-il? JACQUES. - Bien, madame. (Il sort.)
MME MECK. - Comment va-t-il ?
MME KRAP regarde la carte. - Piouk, André.
MME MECK, extatiquement. - Madame André Piouk ! MME KRAP. - Qui ?
MME MEcK. - Henri.
On/rappe.
MME KRAP. - Mal.
MME KRAP. - Entrez. (Entre Marie, avec le plateau à thé
MME MEcK. - Oh.
qu'elle dépose sur la table.) Monsieur est-il rentré ?
MARIE. - Non, madame. MME KRAP. - n
ne pisse plus.
MME MEcK. - Me.
MME KRAP. - Envoyez-moi Jacques.
MARIE. - Bien, madame. (Elle sort.) MME PIOUK. - C'est la prostate.
MME PIOUK, à Mme Mec/e. - Ne trouvez-vous pas que MME MEcK. - Le pauvre. Lui si gai, si ...
ma sœur a mauvaise mine? MME KRAP. - Puis il se ronge.
MME MECK. - Mauvaise mine? MME PIoUK. - C'est forcé.
MME KRAP. - A cause de Victor.
Mme Krap sert le thé, en offre à sa sœur, qui refuse.
MME KRAP. - Elle aime mieux le porto. MME MEcK. - Au fait, comment va-t-il ?
MME MEcK. - Le porto! A cinq heures ! MME KRAP. - Qui ?
MME MEcK. - Ton Victor.
MME KRAP. - Elle a raison. Je suis crevée.
MME PIOUK. - Qu'est-ce qui ne va pas ? MME KRAP. - N'en parlons pas.
On/rappe. MME MEcK. - Moi non plus, ça ne va pas.
MME KRAP. - Entrez. (Entre Jacques.) Ah, Jacques. MME PIOUK. - Qu'avez-vous ?
JACQUES. - Madame. MME MEcK. - C'est le bas-ventre. n tombe, parait-il.
MME KRAP. - Monsieur est-il rentré ? MME KRAP. - Comme moi. Sauf que le mien est tombé.
JACQUES. - Pas encore, madame. MME PIOUK. - N'y a·t-il rien à boire dans cette maison?
MME KRAP. - A boire ?
MME KRAP. - Vous lui direz, dès qu'il rentrera, que j'ai
à lui parler. MME MECK. - En plein après·midi !
JACQUES. - Bien, madame. MME PIOUK. - Henri ne pisse plus, Victor il ne faut pas
MME KRAP. - Vous pouvez allumer. en parler, et vous vous avez le bas-ventre qui tombe.
MME KRAP. - Et toi tu t'es mariée.
JACQUES. - Bien, madame. (Il allume le lampadaire.)
MME KRAP. - L'autre aussi. MME MEcK. - Est-ce une raison pour boire ?
JACQUES. - Bien, madame. (Il allume la lampe murale.) MME KRAP. - Ça ne sert à rien.

26 27
MME MEcK. - Notre petit Victor! Quelle histoire! Lui MME KRAP. - Je n'en sais rien. Ce n'est sans doute pas
si gai, si vivant ! assez.
MME KRAP. - TI n'a jamais été gai ni vivant. Entre M. Henri Krap.
MME MEcK. - Comment! Mais c'était l'âme de la mai- M. KRAP. - Bonsoir, Jeanne. Tiens, Marguerite. (Ils
son, pendant des années. s'embrassent.) Je te croyais à Venise.
MME KRAP. - L'âme de la maison! Tu parles d'une MME KRAP. - Ta femme aussi est présente. (M. Krap
affaire. embrasse sa !emme.) Elle s'est mariée.
MMEPIOUK.- TI est toujours impasse de l'Enfant-Jésus? MME MECK.- Avec un médecin.
MME KRAP. - Jeanne voit de la vie et de la gaieté partout. MME KRAP. - Qui aime l'humanité.
C'est une hallucination permanente. M. KRAP, tristement. - Félicitations.
MMEPIOUK.- TI est toujours impasse de l'Enfant-Jésus? MME KRAP. - Assieds-toi.
MME KRAP. - Toujours. M. KRAP. - Oh, je ne reste pas.
MME PIOUK.- TI faut le secouer. MME KRAP. - Mais si, voyons.
MME KRAP. - TI ne se lève plus. Encore une tasse? M. KRAP. - Tu crois? (S'assied péniblement dans le !IlU-
MMEMECK.- Une demi-tasse. TI ne se lève plus, tu dis? teuil.) J'ai tort. (S'incruste.) Je ne pourrai plus me lever.
MME PIOUK.- TI est malade. MME KRAP. - Ne dis pas de bêtises.
MME KRAP. - TI n'a rien du tout. M. KRAP. - Ma liberté s'amenuise chaque jour davantage.
Je n'aurai bientôt plus le droit d'écarter les mâchoires. Moi
MME MECK.- Alors, pourquoi ne se lève-t-il plus?
qui comptais déconner jusqu'à l'article de la mort.
MME KRAP. - De temps en temps il sort.
MME MECK.- Qu'est-ce qu'il a?
MME MECK.- TI se lève donc de temps en temps.
MME KRAP. - TI se soulage comme il peut.
MME KRAP. - C'estlorsqu'il n'a plus rien à manger. Alors, M. KRAP. - Oui, maintenant j'y suis, maintenant qu'il est
il fouille dans les poubelles. TI pousse jusqu'à Passy. Le trop tard. Nimis sera, imber seratinus. La paix est le propre
concierge l'a vu. des esclaves. (Pause. Grimaces de Mme Meck,) Je suis la
MME MEcK. - Tu penses, les poubelles de Passy! vache qui, devant la grille de l'abattoir, comprend toute
MME PIOUK.- C'est affreux. l'absurdité des pâturages. Elle aurait mieux fait d'y penser
MME KRAP. - N'est-ce pas. plus tôt, là-bas, dans l'herbe haute et tendre. Tant pis. TI
MME PIOUK.- Mais tu lui donnes de l'argent? lui reste toujours la cour à traverser. Ça, personne ne pourra
MME KRAP. - Tous les mois. Je le lui apporte moi-même. le lui ravir.
MME PIOUK.- Et qu'est-ce qu'il en fait? MME KRAP. - Ne faites pas attention. TI se croit au cercle.

28 29
Silence.
M. KRAP.- J'y suis. Au neuvième. (Changeant de ton :)
MME PlOUK. - Nous parlions de Victor.
Eh bien, Marguerite, te voilà une femme respectable. M. KRAP.- Ah.
MME PlOUK. - Flatteur!
MME KRAP.- Existe-t-il un autre sujet de conversation?
M. ICRAP.- Je te félicite.
Je commence à me le demander.
MME ICRAP.- Tu l'as déjà félicitée.
M. KRAP.- C'est vrai. MME MECK.- Le pauvre !
MME PlOUK.- Henri. MME KRAP,avec violence. - Tais-toi!
MME PlOUK.- Violette!
M. KRAP.- Oui.
MME MEcK. - Qu'est-ce qu'die a?
MME PlOUK. - Je boirais bien qudque chose.
MME KRAP.- J'ai que j'en ai assez d'entendre plaindre
M. KRAP.- Mais certainement. (A Mme Krap :) Sonne.
cette crapule, depuis deux ans que ça dure!
MME ICRAP.- Tu sais très bien que je ne peux pas me
lever. MME PlOUK.- Crapule!
MME MEcK. - Ton enfant!
M. KRAP.- C'est vrai. D'ailleurs, ce n'est pas la peine. TI
viendra tout seul. M. KRAP.- Deux ans déjà! Seulement deux ans!
MME KRAP,au comble de l'excitation. - Qu'il quitte le
MME ICRAP.- N'y compte pas trop. Ça fait trois minutes
quartier, la ville, le département, le pays, qu'il aille crever
que nous sommes tranquilles.
dans ... dans les Balkans ! (On fr"ppe.) Moi, je...
M. KRAP.- Alors, Marguerite, si tu veux te donner la MME PlOUK.- Entrez.
peine de sonner.
Entre JtlCIjues.
Mme Pioult se lève, sonne, se rassied.
M. KRAP.- Qu'est-ce que vous voulez?
MMEKRAP.- Hier, il est resté un bon quart d'heure sans
JACQUES.- Monsieur a sonné?
venir voir. J'ai cru qu'il était mort. (On frappe.) Entrez.
M. KRAP.- Mais non. Le porto.
Entre J"cques.
JACQUES.- A l'instant, monsieur. (Il sort.)
M. KRAP.- Je me demande pourquoi il frappe toujours. Silence.
Voilà quinze ans qu'il frappe et qu'on lui dit d'entrer, et il MME MECK.- Vous disiez ?
frappe toujours.
MME KRAP.- Je m'en lave les mains. (Elle se lève pini-
MME MECK.- C'est une question de correction.
blement.) J'en ai assez. (Va péniblement Il 14porte.) Assez.
M. KRAP,à Mme Pioult. - Qu'est-ce que tu prends? (Sort.)
MME PlOUK. - N'importe quoi. Du porto.
MME PlOUK. - C'est comme ça qu'elle ne peut pas se
M. KRAP,à Jacques. - Du porto. lever.
JACQUES.- Bien, monsieur. (Il sort.)
31
30
MME MECK.- Où va-t-elle ? M. KRAP.- On ne m'a rien dit.
M. KRAP,avec un soupir. - Aux cabinets, probablement. MME PIOUK.- Tu as l'air de t'en moquer.
Elle y va de temps en temps. M. KRAP.- C'est vrai ?
Silence. MME MECK. - Je n'ai jamais rien compris à cette his-
MME MEcK. - Vous avez une mine superbe. toire.
MME PIOUK.- Elle n'est pas sérieuse. M. KRAP.- Au point de vue dramatique, l'absence de
MME MECK.- Comment? ma femme ne sert à rien.
MME PIOUK.- Violette. Ce sont des paroles en l'air. Mmes Miouk et Meck se regardent. On frappe.
MMEMECK.- Bien sûr. S'en laver les mains! Son unique MME PIOUK. - Oh, entrez! (Entre Marie. Jeu des pla-
enfant! Vous vous rendez compte! teaux. Marie sort.) Vous en voulez?
On frappe. MME MEcK. - Une goutte.
M. KRAp,trop bas. - Entrez. MME PIOUK.- Et toi, Henri ?
MME MECK.- Ume mère, faire ça! M. KRAP.- Merci.
On refrappe. Mme Piouk sert Mme Meck.
MMEPIOUK.- Entrez! (Entre Jacques portant un plateau. MME MECK.- Oh, c'est trop! Je serai pompette! (Elle
Il cherche où le mettre.) Posez-le sur la chaise. (Il pose le boit.) TI est fort! (Mme Piouk se sert, vide son verre d' un
plateau sur.la chaise de Mme Krap.) Sur l'autre! (Ille pose trait, s'en verse un deuxième.) Elle est longue.
sur l'autre.) Vous direz à Marie de venir débarrasser. MME PIOUK.- Comment?
JACQUES.- Bien, madame. (Il sort.) MME MEcK. - Violette est longue.
MME PIOUK. - Quand on a des domestiques, on n'est M. KRAP.- Tu trouves ?
plus chez soi. MME PIOUK.- Mais il faut faire quelque chose! On ne
MME MECK.- TI en faut, cependant. peut pas le laisser comme ça.
Silence. M. KRAP.- Comme quoi?
MME PIOUK.- TI y a si longtemps que je suis sans nou- MME PIOUK.- Dans cette ... cette inertie sordide.
velles. Y a-t-il donc du nouveau dans cette histoire? M. KRAP.- Puisqu'il y tient.
M. KRAP.- Quelle histoire? MME PIOUK.- Mais c'est une honte pour la famille !
MME PIOUK.- Cette histoire de Victor. MME MECK.- Ce n'est pas de son âge.
M. KRAP.- Aucun élément nouveau. MME PIOUK.- Violette en mourra.
MMEMECK.- TI paraît qu'il vient jusqu'à la rue Spontini M. KRAP.- Tu ne la connais pas.
fouiller dans les poubelles. Silence.

32 33
MME PIOUK, il Mme Mec/e. - Comment va le général ? M. KRAP.- C'est bon.
(Silence.) Ou dois·je dire : le maréchal? Jacques sort.
Mouchoir th Mme Mecle. MME MEcK. - « Vive la France! » Puis ce fut le coma.
M. KRAP.- Voyons, Marguerite, réfléchis à ce que tu dis. M. KRAP.- Plaît-il ?
MME PIOUK.- Je ne comprends pas. MME MECK.- Je revivais les derniers instants de Ludo-
M. KRAP.- Entre le deuil et le chic, il y a une nuance. vic.
MME PIOUK.- Oh, ma pauvre Jeanne, je ne savais pas, M. KRAP.- Et alors ?
je suis navrée, pardonnez-moi, pardonnez-moi. MME MECK.- Se mettant brusquement sur son séant, il
MMEMECK,puisant dans 14tradition militaire. - Son der- s'écria: «Vive la France! » Puis il retomba et se mit à
nier soupir a été pour la France. râler.
On/rappe. M. KRAP.- TI a pu se mettre sur son séant?
MME PIOUK.- Cda devient impossible. MME MECK.- Oui, à notre grand étonnement à tous.
M. KRAP.- On ferait mieux de laisser la porte ouverte. Entrent Mme et le Dr Pioult. C'est un homme hideux.
Ou de la supprimer carrément. Silence emba"assé. Présentations. Le Dr Piouk s'assied.
On re/r4ppe. MME PIOUK.- Un peu de porto, mon chéri ?
MME PIOUK.- Mais entrez donc, voyons! DR PIouK. - Merci.
Entre Jacques. MME PIOUK.- Merci oui ou merci non?
JACQUES.- Le docteur Piouk. DR PIOUK.- Merci non.
M. KRAP.- Connais pas. M. KRAP.- Vous m'excuserez de ne pas me lever. J'ai
MME PIOUK.- André! (Sort précipitamment.) un peu mal au ... je suis fatigué.
M. KRAP.- Qui? DR PIOUK.- Vous êtes souffrant?
MME MEcK. - Son mari. M. KRAP.- Mourant.
M. KRAP,à Jacques. - Avez-vous vu madame? MME MECK.- Voyons, Henri, calme-toi.
JACQUES.- Madame est sortie, monsieur. M. KRAP.- Et je compte bien n'étonner personne.
M. KRAP.- Sortie! MME MEcK. - Henri !
JACQUES.- Oui, monsieur. M. KRAP.- En me mettant sur mon séant.
M. KRAP.- A pied? MME PIOUK.- Où est Violette?
JACQUES.- Oui, monsieur. M. KRAP.- Mon malséant. Ha ! Ha !
M. KRAP.- Elle n'a pas dit où elle allait? DR PIOUK.- Un peu de porto, après tout. (Mme Pioult
JACQUES.- Madame n'a rien dit, monsieur. le sert.)

34 3'

,,!'
MME MEcK. - Elle est sortie. M. KRAP. - M'arrivait-il de lui dire chérie?
M. KRAP. - Comment? MME MECK.- Vous roucouliez.
MME MECK. - Marguerite demande où est Violette. Je M. KRAP. - C'est inimaginable.
lui dis qu'elle est sortie. DR PIOUK,toujours debout. - Marguerite.
MME PIOUK,la carafe à la main. - Sortie! MME PIOUK.- Je viens, chéri.
M. KRAP. - A pied. M. KRAP. - Ma femme sera désolée. Navrée.
MME MECK.- Sans dire où elle allait. MME MECK.- Moi aussi je devrais partir.
M. KRAP. - Elle ne tardera pas à revenir. M. KRAP. - Mais tu restes.
MME PIOUK.- Elle te l'a dit ? MME MECK.- C'est-à-dire ...
M. KRAP. - Elle ne tarde jamais à revenir. M. KRAP. - Vous voyez, le dehors l'appelle, mais elle
MME MECK.- Puissiez-vous dire vrai. prend sur elle. Marguerite, elle, n'a jamais consulté que ses
M. KRAP. - Pourquoi? inclinations. Je ne dis pas ça pour vous, docteur.
MME MEcK. - Je pourrai partir tranquille. MME PIOUK.- Tu es désobligeant, Henri.
M. KRAP. - Mon fils est dans le vrai. M. KRAP, sans chaleur. - Restez diner, nous mangeons
MME PIouK. - Henri ! froid.
M. KRAP. - Je suis déchaîné. DR PIOUK.- Trop aimable. Malheureusement nous som-
MMEMEcK, poursuivant sa pensée. - Sans la voir en pen- mes attendus.
sée, tout ensanglantée, renversée par un camion. M. KRAP, à Mme Meck, égrillard. - Ce qu'ils sont pres-
M. KRAP. - C'est elle qui renverse les camions. sés !
DR PIOUK,se levant. - Ma chérie ... MME MECK.- Patientez encore cinq minutes.
M. KRAP. - Mon chéri, ma chérie. M. KRAP. - Un peu de continence, voyons.
DR PIOUK.-,. TI est temps que nous partions. MME MECK.- Je vous ramènerai. Dans la Delage.
M. KRAP. - Jeanne. DR PIOUK.- Eh bien, Marguerite?
MME MEcK. - Henri. MME PIOUK.- C'est comme tu veux, mon chéri.
M. KRAP. - Tu te rappelles les premiers temps de mon M. KRAP. - Plus on attend, plus c'est bon.
mariage avec Violette? MMEPIOUK.- J'aurais tellement voulu que tu ... que Vio-
MME MECK.- Si je me rappelle! lette te connaisse.
M. KRAP. - Avant que nous ayons appris à nous appré- Le Dr Piouk se rassied. Silence.
cier. M. KRAP. - Have a cigar.
MME MECK.- C'était le bon temps. DR PIOUK.- Merci.

36 37
M. KRAP.- Merci oui ou merci non? MME PIOUK,extatiquement. - André·!
DR PIOUK.- Je ne fume pas. M. KRAP.- Continuez, je vous en prie. Développez cette
Silence. pensée grandiose.
DR PIOUK.- Ce n'est pas le moment.
MME PIOUK (ensemble). - Je ...
MMEMECK} M. KRAP.- Avant le retour de ce monceau d'organes
MME MECK.- Oh, pardon. Vous disiez ? périmés qu'est ma femme.
MME PIOUK.- Oh, rien. Continuez. ~'".
l:
MME PIOUK.- Henri !
Silence. ~ DR PIOUK.- Je vous en prie.
l
M. KRAP.- Eh bien, Jeanne, accouche. M. KRAP.- Vous allez m'obliger à vous consulter.
MME MECK,après réflexion. - Ma foi, je ne sais plus. On/rappe.
Silence. MME PIOUK.- Entrez.
M. KRAP.- Incapable de réfléchir moi-même, mes orga- Entre Jacques.
nes s'en sont chargés. (Silence.) C'est avec vous, docteur, JACQUES.- Mademoiselle Skunk.
que je m'efforce d'entrer en communication. Entre Mlle Skunk, jeune fille aguichante. Salutations,
DR PIOUK.- Oh, vous savez, je ne suis pas causeur. maussades de sa part. Jacques sort.
MME PIOUK.- n pense tellement! MME PIOUK.- Vous vous souvenez de moi?
M. KRAP.- Cependant, ce que je viens de dire n'est pas MLLE SKUNK.- Bien sûr.
dénué d'intelligence. MME PIOUK.- C'était à Evian, il y a deux ans.
DR PIOUK.- C'est un non-sens. MLLE SKUNK.- Qu'est-ce que je faisais là?
M. KRAP.- Tiens! Dans quel sens? Silence.
DR PIOUK. - Vous êtes vos organes, monsieur, et vos MME PIOUK. - Je vous présente mon mari, le docteur
organes sont vous. Piouk. (Mlle Skunk s'assied à la place de Mme Krap.)
M. KRAP.- Je suis mes organes? MME MEcK. - Vous avez une mine superbe.
DR PIOUK.- Parfaitement. MME PIOUK.- Un peu de porto?
M. KRAP.- Vous m'effrayez. MLLE SKUNK.- Si vous voulez.
MME MEcK, flairant 14 consultation gratuite. - Et moi, M. KRAP.- Docteur.
docteur, suis-je aussi mes organes? DR PIOUK,arraché à ses pensées, sursaute avec ostenttltion.
DR PIOUK.- Sans résidu aucun, madame. - Quelqu'un m'a appelé?
M. KRAP.- Quel plaisir enfin de rencontrer un homme M. KRAP.- Je me demande à quoi vous allez servir dans
intelligent! cette comédie.

38 39
DR PIoUK, ayant mûrement réfléchi. - J'espère que je daine, elle a quitté la maison, à pied. Pendant longtemps
pourrai être utile. nous l'avons crue aux cabinets. C'est ça, docteur ?
MME MEcK, inquiète. - Je ne comprends pas. DR PIOUK.- Trop fin. Persévérez.
DR PIOUK.- Et vous, cher monsieur, votre rôle est-il bien MLLE SKUNK.- Elle m'a demandé de passer avant le
déterminé? dîner.
M. KRAP. - n est terminé. M. KRAP. - Elle avait à te parler?
DR PIOUK.- Vous restez pourtant en scène. MLLE SKUNK.- Oui, de choses qt.tÏ ne. pouvaient atten-
dre.
M. KRAP. - On dirait.
MME MECK.- n faut absolument que je m'en aille. M. KRAP. - Moi aussi, elle avait à me parler, paraît-il.
C'est d'ailleurs la seule raison pour laquelle je me trouve
M. KRAP. - Va-t'en, ma chère Jeanne, va-t'en, puisqu'il
parmi vous, vous le concevez facilement. Et cependant elle
le faut absolument. On n'a pas besoin de toi. ne m'a encore rien dit.
MllE SKUNK.- Où est Violette?
MME MECK,à Mlle Sleunk. - Avez-vous vu Victor?
DR PIOUK, à M. Krap. - En vous forçant un peu, vous
M. KRAP. - C'est moi qui vais lui parler, à présent.
arriveriez peut-être à amuser les badauds. MLLE SKUNK.- La semaine dernière.
M. KRAP. - Vous le croyez? Sincèrement? .~.
M. KRAP, au Dr Piouk. - Mlle Skunk est la fiancée de
,.
DR PIOUK.- Je le dis comme je le pense. mon fils.
M. KRAP. - Je n'avais pas entrevu cette possibilité. DR PlOUK.- Fortuné jeune homme.
MLLESKUNK.- Où est Violette? MLLESKUNK,avec amertume. - n ne se tient plus de joie.
MME MECK.- Cela devient inquiétant. Le Dr Piouk allume une cigarette.
M. KRAP. - Qu'est-ce que tu dis? M. KRAP. - Je croyais que vous ne fumiez pas.
MMEMECK.- Olga demande où est Violette et je dis que DR PIOUK.- Je vous ai menti.
cela devient inquiétant. MME MEcK. - Je vais être obligée de m'en aller.
M. KRAP. - Qu'est-ce qui devient inquiétant? M. KRAP. - Tu ne vas pas recommencer.
MME MECK.- Cette absence démesurée. MME MEcK. - Comment faire ?
M. KRAP. - Cette absence démesurée! n n'y a que Jeanne M.1<RAP.- Le temps qu'on perd avec ces gens-là! Va-
pour trouver des mots pareils. t'en. On te téléphonera.
MLLESKUNK.- Où est-elle allée? MLLE SKUNK.- Je vous accompagne.
MME MEcK. - Nous l'ignorons. Une voix violente se fait entendre.
M. KRAP. - Obéissant à je ne sais quelle impulsion sou- M. KRAP. - Coucou, la voilà.

40 41
MME MEcK. - Enfin ! MME PIOUK.- C'est bien la première fois que j'entends
DR PIOUK,à Mlle Sltunk. - Vous êtes française, made- cela.
moiselle? DR PIOOK.- Qu'est-ce qu'il fait?
MLLE SKUNK.- Non, monsieur. MME MEcK, avec fierté. - n est homme de leures.
MME MEcK. - Tu es sûr que c'est elle? DR PIOUK.- Par exemple!
M. KRAP.- J'en ai la certitude. Entre M. Krap. 1/ gagne son fauteuil et s'assied avec pré-
DR PIOUK.- Scandinave? CIlution.
Onjrappe. M. KRAP.- On disait du bien de moi, je le sens.
MME PIOUK.- Entrez. MME MEcK. - Elle n'a rien ?
Entre Jacques. M. KRAP.- Elle est indemne.
JACQUES.- Madame demande monsieur. MME MEcK. - Elle va venir?
M. KRAP.- On dirait une petite annonce. M. KRAP.- Elle s'y apprête.
MME MECK.- Madame n'a rien ? MME PIOUK.- Autrefois, tu étais naturd.
M. KRAP. - Vous direz à madame que ... (Se rauise.) M. K:RAP.- Au prix de quds artifices !
Aidez-moi à ressusciter. (Jacques se précipite, aitJe M. Krap DR PIOUK.- Vous êtes écrivain, monsieùr ?
à se lever, veut le soutenir jusqu'à la porle. M. Krap lui/ait M. KRAP,indigné. - Qu'est-ce qui vous permet de. •.
signe de s'éloigner. Arrivé à la porte, il se retourne.) Vous DR PIOUK.- Cela se sent dans votre façon de vous expri-
voyez : une fois debout, je marche tout seul ! Je sors! (Il mer.
sort. Il rentre.) Je rentre! Et je ressors! (Il sorl, suivi de MME PIOUK.- Où est-ce qu'elle a été ?
Jacques.) MME MEcK. - Elle va nous le dire.
MME PIouK. - Henri a beaucoup changé. M. K:RAP.- Je serai franc avec· vous. J'étais écrivain.
DR PIOUK.- Ne me dites pas que vous êtes anglaise. MME MEcK. - n est membre de l'Institut!
MME MEcK. - Se croyant condamné, il ne se retient M. KB.\P. - Vous voyez.
plus. DR PlOUK.- Qudgenre ?
MME PIOUK.- C'est commode. M. KRAP.- Je saisis mal.
DR PIouK, découragi. -C'est un homme remarquable. DR PIOUK.- Je parle de vos écrits. A quel genre allaient
MME PIOUK.- Tu crois vraiment? vos préférences ?
DR PIOUK.- Je le dis comme je le pense. M. KRAP.- Au genre merde.
MME PIOUK.- Mais à qud point de we ? MME PIOUK.- Vraiment?
DR PIOUK.- C'est difficile à dire. DR PIOUK.- En prose ou en vers ?

42 43
M. KRAP.- Si vous voulez.
M. KRAP.- Un jour l'un, un jour l'autre.
DR PIOUK.- Et vous estimez maintenant que votre œuvre ' Silence.
est achevée. DR PIOUK.- Mais achevez votre phrase.
M. KRAP.- Le Dieu m'a évacué. M. KRAP.- Qu'est-ce que je disais?
DR PIOUK.- Un petit livre de Mémoires ne vous tente DR PIOUK. - Beau-frère, VOU$ l'aimez; hiérophallt,
vous ... ?
pas ?
M. KRAP.- Cela me gâterait l'agonie. M. KRAP,d'une voix brisée. - Je suis sans famille.
MME MECK. - Avouez que c'est une étrange façon de MME PIOUK.- TI pleure !
traiter ses invités. DR PIOUK.- Fais ce qu'il te demande, Marguerite.
MLLESKUNK.- Extrêmement curieuse. Mme Piouk et Mlle Skunk changent de p14ce.
M. KRAP.- Marguerite, cela ne te ferait rien de changer M. KRAP,à Mlle Skunk. - Ecarte ta jaquette. Cl'Qise.tes
de place avec Olga? jambes. Relève ta jupe. (Il l'aide.) Voilà. Ne bouge plus.
MME PIOUK.- Je suis bien où je suis. DR PIOUK.- C'est ce que nous appelons une défaillance
M. KRAP.- Je sais. Nous sommes tous bien où nous passag~re.
sommes. Très, très bien. Malheureusement, il ne s'agit pas M. KRAP.- J'y suis assez sujet.
de notre bien-être. MME MEcK, exploSllnt. - J'en ai assez !
MME MECK.- Quelle est cette nouvelle lubie? M. KRAP.- Nous en avons tous assez. Mais la question
M. KRAP.- Vois-tu, Marguerite, puisqu'il faut tout te n'est pas là.
dire, qu'on te voie ou qu'on ne te voie pas, cela n'a pour MME MEcK. - Elle est là pour moi. <Selève massivement
ainsi dire aucune importance. Tu disparaîtrais à l'instant et ramasse ses nombreuses affaires. Fouille dans son immense
même que moi, pour ma part, je n'y verrais pas le moindre sac, en sort finalement une carte et lit :) «TI faut que je te
inconvénient. Olga, au contràÏre, n'a de place parmi nous voie. Viens prendre le thé demain. J'ai mille choses à te
que dans la mesure où elle exhibe ses charmes, j'entends par dire. Nous serons seules. » (Elle 14isseà ce mesSllge le ttlllPS
là sa poitrine et ses jambes, car le visage est plutôt banal. de faire son effet.) Je n'aime pas qu'on se fiche de moi.
MME PIOUK.- Comme goujat, tues en progrès. M. KRAP.- Les gens sont vraiment extraordinaires.
DR PIOUK.- C'est la nature humaine.
M. ~P. - Tu as tort de t'offenser, Marguerite. Comme
beau-frère, je t'aime beaucoup, beaucoup, et je serais abso- M. KR,w. - Du moment qu'ils croient qu'on ne se fiche
lument navré de te voir t'éloigner. Mais en tant que ... pas d'eux, ils supportent tout.
DR PIOUK.- Nous sommes faits ainsi.
comment dirai-je ... (Il fait claquer ses doigts.)
DR PIOUK.- Hiérophant. M. KRAP.- Autant rester assise, ma pauvre Je8QOe, que

44 4'
~'

tergiverser debout, ployée sous le poids de votre équipe- DR P1oUK.- C'est qu'" en souffrait vniment.
ment. FJle domine la scène, ma foi, dIe qui n'a rien à y MuE SKUNK.- Maisqu'est-œ que ça sqpüfie?
• •1
V01f M. KRAP. - Cest la place de VICtOt •
MMEMEcK, sur u" ton de P1tho"iss~.- Je ne suis qu'une DR P1ouK. - C est votre fils ?
vieille kmme,laide, malade et seule. Pourtant, le jour vien- M. KRAP. - Oui, main~ j"cn suis sûr.
dra où tous vous m'envierez. DR PlOOK.- fi prenait beaucoup de place ?
Silena. M. KRAP. - Oui, il tenait beaucoup de place, __ cette
M. KRAP. - Et toc ! maison.
M",e Meck sorl,ciMJue 14porle. MuE SKUNK.- Je ne comprends pas.
DR PlOUK.- Elle voit loin. M. KRAP. - Qu'est-ce que tu ne comprends pas. ma petite
M. KRAP. - Mais qui n'envie-t-on pas ? Olga?
DR PIOOK. - Elle a peut-être une fonction que vous ne MuE SKUNK.- Ce que ça (elle i1UÜlplele /il) a à wU
soupçœnez pas. avec Victor.
M. KRAP. - Vous vous piquez au jeu, docteur. Attention ! M. KRAP. - fi faut tout leur expliquer.
DR PlOUK.- Je n'en nie pas l'attrait. DR PlOUK.- La femme est ainsi
MuE SKUNK,bâillot pro/o"démmt. - Pardon ! M. KRAP. - Vois-tu, ma petite OIp..depuis le. départ. de
MME PIOOK.- Que cette lumière est horrible! Victor, il y a à peu près deux ans, je crois ...
MuE SKUNK.- Vous n'êtes plus dessous, pourtant. !
MuE SKUNK.- Deux ans Deux 811I et cinq GlOit.!
MME PIOUK.- Maintenlllt, je la vois. M. KBAP. - Quelle importan<:e ça a?
MuE SKUNK.- Qu'est-ce que c'est, ce fil de fer? (Elle MuE SKUNK.- Tout de même !
;;,~ u,,~ ",;"ce bII"de de /il de fer bIIrbelé qui, fixé sous M. KRAP. - Dois-je continuer? (Silence.) Depuis ce•••
k 1xwJ de 14 ttlhle, descena ftu4u' IlUpl4"cher.) heu ... cet événement, ma femme a toujours voulu COl1llen!er,
MME PIOOK.- FIl de fer ? tout en les SUpprimlllt en quelque sorte, les places de.pré-
MuE SKUNK,y m~ttll"t 14 mlli". - fi y a des pointes ! dilection de notre 6l$,car nous ..mns tous nos plaa:s de
Regarde%. prédilection, Victor, ma femme et moi, dans eeue maison,
Mme Piou/t se lève ~t se pe"che ptlr-aessus 14 tllbleor: d'aussi loin que remontent mes souvenirs, et moi per$qn-
MME PlOUK. - Comment se fait-il que je ne raie pas nellement je garde encore les miennes. (PllUSe.) Ce pJ'Qjet,
remarqué ? longtemps différé, je ne sais pourquoi, ma fesmne ,'y est
DR PlOUK.- Ma femme est peu sensible au macrocosme. attaquée la semaine dernière, ave<: Je résultat que vous
M. KRAP. - Elle a pourtant réagi à l'éclairage. voyez. Et ce n'est qu'un commencement. Bientôt l'appar-

46 47
~"

tement sera plein de barbelés. tp.use.) n faut ajooter, à la MME KRAP.- Le docteur ... voyons ...
décharge de Violette, qu'elle est restée un après-midi entier DR PIOUK. - Piouk. (Il s'incline et se rassied.)
sous l'emprise de l'Exposition surréaliste. (Pause.) Est-ce MMEKRAP.- Marguerite nous a raconté que vous aimiez
asSez clair ? ,
\..
l'humanité. Est-ce possible?
DR PIOUK. - Beaucoup trop. Vous avez tout gâché. MME PIOUK. - Tu dénatures mes paroles.
M. KRAP.- DOcteur, vous me décevez. DR PIOUK. - Je ne l'aime pas.
DR PIOUK. - Vous insinuez que j'ai dit une bêtise ? MME PIOUK. - n s'y intéresse. Un point c'est tout.
MME PIOUK. - n est fou. MME KRAP.- Vous vous intéressez à l'humanité?
M. KRAP.- Une énorme bêtise, docteur. Car il faut sou- DR PIOUK. - Elle ne me laisse pas indifférent.
rire de son sourire. MME KRAP.- Vous n'êtes pas communiste?
DR PIOUK. - Tu as raison, Marguerite. DR PIOUK. - Ma vie intime est mon affaire.
Entre Mme Krap. M. KRAP.- N'envenimez pas les choses, docteur.
M. KRAP.- Voici du solide. MME PIOUK. - Où as-tu été ? Nous commencions à nous
MME PIOUK. - André, voici ma sœur. Violette, je... inquiéter. André ne voulait pas attendre. Mais quand je lui
Le Dr piouk se lève. ai dit combien tu voulais faire sa connaissance ...
M. KRAP.- Je m'excuse de ne pas me lever. J'ai un peu MME KRAP.- Le problème est épineux.
mal au ... DR PIOUK. - Lequel ?
MME KRAp.- Marguerite, tu as pris ma place. MME KRAP.- Celui de l'humanité.
MME PIOUK, se levant vivement. - Prends-la. DR PIOUK. - A première vue, oui.
Mme Krap s'assied à sa place, Mme piouk à celle de M. KRAP.- Les meilleurs penseurs s'y sont attaqués.
Mme Meck. DR PIOUK. - Je ne prétends pas les avoir dépassés.
MMEKRAP. - Bonsoir, Olga. MME KRAP.- Et quelle est votre solution ?
MLLE SKUNK. - Bonsoir. Tu voulais me voir? DR PIOUK. - Ma solution?
MME·KRAP.- Oui. Qui est cet homme? M. KRAP.- En deux mots.
MME PIOUK. - C'est mon mari. (Elle se lève.) Tu viens, MME KRAP,sévère. - Vous en avez une, j'espère.
André? DR PIOUK. - Elle manque de charme.
MME KRAP,avec /oree. - Assieds-toi! M. KRAP.- C'est forcé.
Mme l'iouk hésite. DR PIOUK. - Est-ce bien le moment?
M. KRAP.- Sois prudente. M. KRAP. - C'est bien la première fois que j'entends
Mme piouk se rassied. quelqu'un se faire prier ...

48 49
MME KRAP. - Tais-toi. MME KRAP. - Vous la tuera, docteur.
M. KRAP. - Pour régler la situation du genre humain. DRPIOUK. - Je veux un enfant, primo, pour distraire
DR PKxoc - Le moment me semble mal choisi.
mes loisirs, de plus en plus brefs et désolés; secundo, pour
MME KRAP. - Cela nous regarde. qu'il reçoive le flambeau de mes nWns, quand dIes ne pour-
M. KRAP. - Faites votre devoir. ront plus le porter.
DR PIOUK. - Eh bien, voici cc que je ferais ... M. KRAP. - C'est en effet l'avantage des fils.
M. KRAP. - n y a des choses à faire ? MME KRAP. - Mais vous la tuerez.
DR PIOUK. - Je suis un esprit pratique. DR PIOUK. - J'ai débattu longuement cette question avec
MME KRAP. - Veux-tu te taire !
votre sœut, madame, aussi bien avant que depuis notre
M. KRAP. - Oui, Violette, je veux bien. union. N'est-ce pas, Marguerite.?
MME KRAP. - On vous écoute. MME PIOUK. - Tu as été parfait.
DR PIOUK. - Voilà. J'interdirais la reproduction. Je per- DR PIOOK. - Dans les semaines, délicieuses et terribles,
fectionnerais le condom et autres dispositifs et en généra- qui ont précédé notre engagement, pendant que nous
liserais l'emploi. Je créerais des corps d'avorteurs sous le errions dans la Campagna, la main dans la main, ou que,
contrôle de l'Etat. Je frapperais de mort toute femme cou- sur les terrasses de Tivoli, nous prenions conseil de la lune,
pable d'enfantement. Je noyerais les nouveau-nés. Je mili- notre conversation a roulé presque entièrement sur cette
terais en faveur de l'homosexualité et en donnerais moi- question. N'est-œ pas, Marguerite?
même l'exemple. Et, pour activer les choses, j'encouragerais MME PIOUK. - Presque uniquement, mon chéri.
par tous les moyens le recours à l'euthanasie, sans toutefois MME KRAP, à M. Krap. - Qu'est-cc que tu as, toi, à rica-
en faire une obligation. En voilà les grandes lignes. ner dans ton coin ?
MME KRAP. - Je suis née trop tôt. M. KRAP. - Je pensais à la lune dont nous ptenions
M. KRAP. - Beaucoup trop tôt. conseil, toi et moi.
DR PIOOK. - Je ne prétends pas à l'originalité. C'est une DR PIOUK. - Fiancés enfin, nous avons connu des heures
question d'organisation. C'est là que j'ai fait reculer les hori- atroces et que moi, pour ma part, je ne voudrais revivre
zons. Dans deux ans, tout sera au point. Malheureusement, pour rien au monde.
mes forces déclinent. Mes ressources aussi. M. KRAP. - Que voulez-vous, les fiancés humains sont
MME KRAP. - Et cet enfant que vous voulez ? ainsi. Je me rappelle un soir, à Robinson. Violette me pré-
DR PIOUK. - Qui vous a dit que je veux un enfant? cédait dans l'arbre et je vous assure ...
Silence. MME KRAP. - Tais-toi!
MME PIOOK, à Mme Krap. - Tu es odieuse. DR PIOUK. - Et depuis notre cohabitation officielle et
'0 '1
ouverte et, soit dit en passant, bénie par Sa Sainteté, que DR PIOUK.- N'exagérons rien, ma chérie.
de nuits nous avons usées, jusqu'au chant du coq, à peser MME KRAP.- Allons au Terminus.
le pour et le contre, incapables de prendre une décision! DR PIOUK.- Mademoiselle Skunk ne dit rien.
M. KRAP.- TI fallait foncer tête baissée. MLLE SKUNK.- Que voulez-vous que je dise? J'attends
DR PIOUK.- C'est ce que nous avons fait ... (il sort son de savoir pourquoi j'ai été convoquée.
mémento et le feuillette) attendez ... dans la nuit de samedi MME KRAP.- Tu viendras avec nous. Nous nous enivre-
à dimanche derniers. (Il tourne quelques pages,fait une note, rons tous.
remet le mémento dans sa poche.) Voyez-vous, nous étions DR PIOUK.- J'adore les gueuletons.
las de finasser. (Geste expressif) Maintenant, nous atten- M. KRAP.- Et ton bas-ventre ?
dons. (Il se lève.) Et à la grâce de Dieu. MME KRAP.- J'en parlerai au docteur. Vous voulez bien,
MME KRAP.- Qu'est-ce que vous avez? docteur?
DR PIOUK.- Ce que j'ai ? DR PIOUK.- Pas avant le fromage, chère madame.
MME KRAP.- Vous n'allez pas nous quitter? MME KRAP.- Coquin, va !
M. KRAP.- Je les ai invités à dîner. Mais ils brûlent d'être MME PIOUK, à Mme Krap. - Ta sortie t'a réussi.
seuls. Silence.
MME KRAP.- A rester dîner! Avec quoi? DR PIOUK.- Vous viendrez, mademoiselle?
M. KRAP.- Je ne sais pas. L'agneau d'hier. MLLE SKUNK.- Je suis libre.
MME KRAP.- L'agneau! Le mouton, tu veux dire. Que MME KRAP. - C'est décidé. Au Terminus, dans une
dis-je, le mouton, le bélier, ça sentait la laine et l'accouple- demi-heure.
ment dans toute la maison. Tous se lèvent, sauf M. Krap et Mlle Sleunk.
DR PIOUK. - Vous me tentez. Malheureusement, nous DR PIOUK,à M. Krap. - A tout à l'heure. J'ai beaocoup
sommes attendus. de choses à vous dire.
M. KRAP.- Mets-toi à leur place. M. KRAP.- Excusez-moi de ne pas me lever, j'ai un peu ...
MMEKRAP. - Si j'avais cinquante ans, non, c'est trop, MME KRAP.- Je vous accompagne. Tu viens, Olga?
quarante ans de moins, docteur, j'irais avec vous dans les MLLE SKUNK.- J'irai avec toi. Je n'ai pas envie de me
coins, malgré le peu d'effet que me fait votre personne pro- changer.
prement dite. Mais quand vous parlez ... ! (A M. Krap.) DR PIOUK,à Mlle Sleunk. - Sans faute, hein ?
Qu'est-ce que tu dis? MME KRAP,à Mlle Skunk. - Comme tu veux.
M. KRAP.- Rien. Je tressaillais. Sortent Mme Krap, Mme et Dr Piouk. Assez long silence.
MME PIOUK.- On nous attend. M. KRAP.- Ecarte ta jaquette.

52 53
MuE SKUNK. - J'ai froid. Silence.
M. KRAP. - Cela ne fait rien. Relève ta jupe. Encore. M. KRAP. - Je n'en ai plus pour longtemps.
Voilà. Maintenant, reste tranquille. Respire. (Mlle Skunle MLLE SKUNK. - TI ne faut pas dire ça.
prenJ S4 tête tl4ns sn 11IIIins,se plie en Jeux et pleure. Des M. KRAP. - J'ai envie de me déboutonner. (Pause.) Pour
sanglots la secouent.) Nom de Dieu! (La crise co"tinue.) une fois. (Pause.) Devant quelqu'un qui ne me déteste pas
Arrête-toi! (MIleSku,,1e sanglote Je plus belle.) Elle pleure (Pause.) Mais tu me détestes peut-être?
comme une souillon. (Il élève la voix.) Tu es laide. Olga, MLLE SKUNK. - Tu sais bien que non.
tu m'entends, laide à vomir. Nous sommes foutus. M. KRAP. - Pourquoi?
(Mlle Skunle s'apaise peu à peu, lève son visage dé/ait, croise MuE SKUNK. - Je ne sais pas.
sesjambes que le chagrin avait Jicroisées, relève S4 jupe, etc.) M. KRAP. - C'est une chose que je crois savoir seulement
Tu es jolie! Qui t'a appris à chialer comme une ... (il répu- depuis peu. (Silence.) Tu veux bien ?
gne à se répéter) comme une ... (il ne trouve pas) comme MLLE SKUNK. - Je suis tellement bête.
dans la vie ? Tu oublies où tu es. M. KRAP. - Qu'est-ce que ça fait?
MuE SKUNK. - Tu le sais bien.
MLLE SKUNK. - Je ne comprendrai pas.
M. KRAP. - Quoi? M. KRAP. - Tu y penseras de temps en temps?
MuE SKUNK. - Qui me l'a appris.
MLLE SKUNK. - Mais oui, père.
M. KRAP. - Ce n'est pas la question. Et moi, tu crois que M. KRAP. - Père ?
je n'ai pas envie de hurler? Seulement, moi, si je... (Il
MLLE SKUNK. - Quoi? (Pause.) Je t'ai appelé père?
s'interrompt, frappé J'un soupçon atroce.) Tu ne t'es jamais M. KRAP. - TI m'a semblé.
laissée aller comme ça devant lui, au moins?
MLLE SKUNK, confuse. - Oh ! (Ses lèvres tremblent.)
MuE SKUNK. - Mais non.
M. KRAP. - Tu le jures? M. KRAP. - Ne recommence pas. (Mlle Skunle se 11IIIÎ-
MLLE SKUNK. - Oui. trise.) Tu pleureras quand tu seras seule.
MLLE SKUNK. - Oui.
M. KRAP. - Alors, tout n'est pas encore perdu.
Silnu:e.
MuE SKUNK. - J'aurais dû, sans doute.
M. KRAP. - Quoi? M. KRAP. - Ne quitte pas l'écoute. Je cherche mes idées.
MuE SKUNK. - Pleurer comme dans la vie, devant lui. Elles sont éparses. Comme sur un champ de bataille.
Silence. (Pause.) Attention. Je vais commencer.
M. KRAP. - Cela n'aurait rien donné. MLLE SKUNK. - Ne. va pas trop vite.
M. KRAP, sur un ton doctrintIl. - L'erreur, c'est de vouloir

,
MuE SKUNK. - Peut-être que si.

.• "
vivre. Ce n'est pas possible. TI n'y a pas de quoi vivre, dans M. K:RAP. - D'être né, et de ne pas être encore mort.
la vie qui nous est prêtée. Que c'est bête! (Silence.) Je conclus rapidement, car je sens que ma femme
MLLESKUNK.- Oui. approche.
M. K:RAP. - N'est-ce pas? Je reprends. C'est une question MLLE SKUNK.- Ta fin ?
de matériaux. Ou il y en a trop et on ne sait par où commen- M. K:RAP. - Ma FEMME.Cette catastrophe.
cer, ou il y en a trop peu et ce n'est pas la peine de commen- MLLE SKUNK.- Mais ...
cer. Mais on commence quand même, ayant peur de ne rien M. K:RAP. - Un instant. Etant donc dans l'impossibilité
faire. On croit même fmir parfois, cda vous arrive. Puis on de vivre et répugnant au grand remède, par pudeur ou par
voit que ce n'est que du bluff. Alors on recommence, dans lâcheté, ou parce que précisément il ne vit pas, que peut
le trop et le trop peu. Pourquoi ne peut-on s'accommoder faire l'homme pour éviter la démence, oh, bien discrète,
d'une vie qui n'est que du bluff? Ça doit être l'origine bien effacée, qu'on lui a appris à redouter? (Pause.) llpeut
divine. Us vous disent que c'est ça, la vie, commencer et faire semblant de vivre et que les autres vivent. (Lève III
recommencer. Mais non, ce n'est que la peur de ne rien main.) Un instant. C'est à cette solution, à cette ruse plutôt,
faire. La vie n'est pas possible. Je m'exprime mal. que je me suis rallié ces derniers temps. Je ne dis pas que
MLLESKUNK.- Je ne comprends rien. ce soit la seule. Mais je suis trop· vieux pour apprendre de
M. K:RAP. - Cet imbécile de docteur, avec ses avorte- mon ... non, je ne nommerai personne. Et voilà. Non, ne
ments et son euthanasie. Tu l'as entendu? me pose pas de questions, car je ne saurais y répondre. Tu
MLLESKUNK.- Je n'ai pas fait très attention. souris, mais cela ne fait rien. Tu devrais sourire plus sou-
M. K:RAP. - Un mécanicien de la plus vile espèce. vent. Sauf lorsque tu en as envie. Comme moi. (Il éaute les
MLLESKUNK.- Je ne sais pas ce que tu veux dire quand mâchoires dans un immense sourire figé. Mlle Sleunk recule.
tu parles de la vie et de vivre. Victor non plus, je ne le Fin du sourire.)
comprends pas du tout. Moi, je me sens vivre. Pourquoi MLLE SKUNK.- Tu es horrible!
veux-tu que cda ait un sens? M. K:RAP. - Oui. Encore une chose.
M. K:RAP. - Mon Dieu ! Ça se mêle de penser aussi ! MLLE SKUNK.- Non, non, j'en ai assez.
MLLESKUNK.- Tu ne peux pas dire tout simplement ce M. K:RAP. - Je te demande seulement de dire oui.
que tu veux? MLLE SKUNK.- Dire oui ? A quoi?
M. K:RAP. - Ce que j'aurais voulu? M. K:RAP. - A une petite prière.
MLLESKUNK.- Si tu préfères. MLLE SKUNK.- Non, non, je ne peux pas.
M. K:RAP. - J'aurais voulu être content, un instant durant. M. K:RAP. - Promets. Je suis mourant. (Silence.) Tu feras
MLLESKUNK.- Mais content de quoi? semblant de vivre pour mon fils.

56 57
MLLE SKUNK. - Oui, oui, tout ce que tu veux. M. KRAP, toujours empêtré d4ns SOif fauteuil. - Une fois
M. KRAP. - Pour qu'il ait l'air de vivre. debout, ça ira tout seul.
MLLE SKUNK. - Oui, oui, je promets. MME KRAP, se rendant compte qu'il ne peut se lever. -
M. KRAP. - Tu n'as pas compris. Espèce de vieil impotent! (Revient vers lui.) Dire que tu
MLLE SKUNK. - Je promets, je promets. m'as fait peur un instant!
Silence. M. KRAP, se laissant retomber. - Pas commode de se met-
M. KRAP. - Tu ne voudrais pas m'embrasser? tre sur son séant, même pour tuer sa femme.
(Mlle Skunk se remet à pleurer.) Cela ne fait rien. Tu as MME KRAP. - Crapule!
raison. Ne pleure pas surtout. Attends ... M. KRAP. - Moi aussi?
Entre Mme Krap. MME KRAP. - Fumier!
M. KRAP. - Attends d'être seule. M. KRAP. - D'ailleurs, tu ne perds rien pour attendre. Je
MME KRAP. - Tu es prête, Olga? t'égorgerai cette nuit, pendant que tu ronfleras.
MLLE SKUNK. - Tout de suite. (Elle se lève.) MME KRAP, épouvantée par les perspectives ainsi ouvertes
MME KRAP. - Où vas-tu? et peut-être en particulier par celle de passer une soirée
MLLE SKUNK. - M'arranger. (Elle sort.) inquièie parmi ses invités. - Henri, ne sois pas comme ça !
M. KRAP. - Elle a compris. Reviens à toi! Pense à tout ce que nous avons passé ensem-
MME KRAP. - Dépêche-toi, Victor. ble ! A notre grand chagrin ! Soyons amis !
M. KRAP. - Victor? Je ne m'appelle pas Victor. M. KRAP, affablemmt. - Assieds-toi un petit moment.
MME KRAP. - Dépêche-toi. Tu n'es même pas rasé. (Mme Krap s'assied.) Tuas vu Victor?
M. KRAP. - Je ne sors pas. MME KRAP. - Jete jure que non. J'ai été simplement me
MME KRAP, le prenant par le bras. - Allez, ouste, lève-toi. promener. J'étais énervée. Je te l'ai déjà dit.
M. KRAP. - Ne m'oblige pas à te tuer, Violette. M. KRAP. - Qu'est-ce qu'il t'a dit?
MME KRAP. - Me tuer! Toi! Me tuer! Moi! (Rit de bon Ent~ Mlle Skunk.
cœur.) MME KRAP. - Attends-moi un instant, Olga. Je viens tout
M. KRAP, sortant un rasoir de sa poche. - Aide-moi à de suite.
me lever. (Mme Krap recule.) J'aurais préféré (il essaie de Mlle Skunk sort.
se lever) te laisser à ton cancer. Tant pis. (Il se lève à M. KRAP. - Tu n'a pas besoin d'avouer que tu mens, ni
moitié.) de t'en excuser. Dis-moi simplement ce qu'il t'a dit.
MME KRAP, reculant vers la porte. - Tu es complètement MME KRAP, avec effort. - n.m'a dit qu'il ne voulait plus
fou! me voir.

58 59
M. KRAP.- Comment tu as été, toi? M. I<RAP.- Tu lui as donné l'argent?
MME I<RAP.- Comment j'ai été? Je ne comprends pas. MME KRAP.- Non.
M. I<RAP.- Tu as fait la mère inquiète. M. I<RAP.- Qu'est-ce qu'il a dit?
MME I<RAP.- Je suis terriblement inquiète. MME I<RAP.- Que cela n'avait pas d'importance.
M.I<RAP.- Puis menaçante. Puis éplorée. (Silence.) Pour M. I<RAP.- Et qu'il ne voulait plus te voir?
MME I<RAP.- Oui.
la cinq centième fois. (Silence.) Tu as imploré, crié, pleuré.
(Silence. Avec violence.) Réponds! M. KRAP.- Très bien, très bien. (Il se frotte les mains.
MME I<RAP.- Mais oui, Henri, tu le sais bien. Mme Krap pleure. Mouchoir. Elle se maîtrise.) Oh, tu as
M.I<RAP, rassuré. - C'est parfait. (Mme Krap se lève.) Un déjà fini?
instant. (Mme Krap se rassied.) Tu as menacé de lui couper MME KRAP.- TI ne faut pas se laisser aller.
les vivres? M. KRAP.- Mais si, mais si, au contraire, c'est ... (Il s'inter-
MME I<RAP.- Oui, je lui ai dit que cela ne pouvait plus rompt, frappé par une pensée pénible.) Mais qu'est-ce que
continuer. tu vas faire, à présent ?
M ..I<RAP.- Ça, c'est de l'inédit. MME KRAP.- Ce que je vais faire ?
MME I<RAP.- Je le lui avais déjà laissé prévoir. M. KRAP.- Tu ne vas plus là-bas?
M. KRAP.- Mais sans le mettre au pied du mur? MME KRAP.- Je ne sais pas.
MME KRAp.- Oui. M. I<RAP.- Mais tu n'a plus d'atouts. (Pause.) A moins
M. KRAP.- C'est aujourd'hui que tu devais lui apporter que tu ne trouves autre chose.
l'argent? MME KRAP.- Nous trouverons bien quelque chose. Ça
MME I<RAP.- Oui. ne peut pas continuer comme ça.
M. I<RAP.- Alors, pourquoi as-tu invité Jeanne? M. I<RAP.- Bravo!
MME KRAp.- Je voulais qu'elle vienne avec moi. MME I<RAP.- N'est-ce pas ?
M. KRAP.- Puis Marguerite est venue? M. I<RAP.- Mais oui, nous trouverons bien quelque
MMEKRAP. - Oui. chose. (Mme Krap se lève.) Pour que ça continue comme
M. KRAP.- Tu as vu Jeanne avant son départ ? ça.
MME KRAP.- Oui. MME KRAP.- Comment?
M. KRAP.- Tu ne lui as rien dit ? M. I<RAP.- Encore une petite question et j'ai fini.
MME I<RAP.- Non. Elle était furieuse. MME I<RAP,se rasseyant. - Je suis en retard.
M. I<RAP.- Tu le lui as donné? M. KRAP.- Eux, ils peuvent attendre. (Silence.) Combien
MME KRAP.- Comment? de fois as-tu voulu t'en débarrasser?

60 61
MME KRAP,à voix basse. - Trois fois. MME KRAP,espiègle. - Et puis, tu sais, j'ai toujours un
M. KRAP.- Et cda n'a rien donné? peu peur de ton couteau. (Elle sort.)
MME KRAP.- Seulement des malaises. Assn long silence.
M. KJAp. - Amuser les badauds !
M. KRAP.- Seulement des malaises! (Pause.) Puis tu a
dit ... voyons ... quélle est cette jolie phrase que tu as eue ? Silence. On frappe. Silence. On refrtlppe. Silence. Entre
MME KRAP.- Jolie phrase? }aCl{ues.
M. KRAP.- Ma,is oui... voyons ... «Puisqu'il est là ». JACQUES.- Monsieur est servi.
MME KRAP.- « Gardons-le, puisqu'il est là. » M. KRAP.- Qu'est-ce que vous voulez encore?
M. KRAP,avec animation. - C'est ça! C'est ça : «Gar- JACQUES.- Monsieur est servi.
dons-le puisqu'il est là! » (Pause.) Nous étions sur l'eau. M. KRAP.- Vous pouvez le dire.
Ton canotier avait un couteau. Je ne ramais plus. L'onde JACQUES.- Monsieur préfère que je le serve içi?
nous berçait. (Pause.) Lui aussi, l'onde le berçait. (Pause.) M. KRAP.- Lui servir quoi?
Tu es sûre qu'il est de moi? JACQUES.- Mais le dîner de monsieur.
MME KRAP,après réflexion. - n y a... heu ... soixante-dix M. KRAP.- Ah oui, le dîner. (Réfléchit.) Je ne dînerai pas.
chances sur cent. JACQUES,peiné. - Monsieur ne prend rien ?
M. KRAP.- Ma cote monte. M. KRAP.- Pas ce soir.
MME KRAP.- C'est tout? JACQUES.- Monsieur ne se sent pas bien?
M. KRAP.- Comme d'habitude.
M. KRAP.- Oh oui, c'est tout.
Silence.
MME KRAP,se levant. - Tu n'es plus fâché contre moi,
Henri ? JACQUES.- Monsieur ne voudrait pas écouter un peu de
M. KRAP.- Fâché? Au contraire. Je suis très content de musique?
toi, Violette, très content. Tu as été vraiment très bien, tout M. KRAP.- Musique?
à fait nature. JACQUES.- Souvent, cela fait du bien à monsieur.
MME KRAP.- Passe une bonne soirée. (Elle s'en va.)· (Silence.) n yale Quatuor J(opek en ce moment, monsieur.
MME KRAP.- Violette! Nous le prenons dans l'office. Très joli programme, mon-
sieur.
MME KRAP,s'arrêtant. - Oui?
M. KRAP.- Quoi?
M. KRAP.- Tu ne voudrais pas m'embrasser?
MME KRAP.- Oh, pas maintenant, Henri, je suis telle- JACQUES.- Du Schubert, monsieur. (Silence.) Je pourrais
ment en retard. brancher dans le grand salon, monsieur, et laisser les portes
M. KRAP.- C'est vrai. ouvertes, monsieur n'aime pas quand il y a trop de volume.

62 63
M. KRAP.- Faites comme vous voudrez. (Jacques sort. M. KRAP.- Je ne vous ai pas offensé?
Musique. C'est l'andante du Quatuor en la bémol. Pendant JACQUES.- Oh, monsieur!
une bonne minute, si possible. Agitation croissante de M. KRAP.- Vous êtes un peu obséquieux, Jacques.
M. Krap. Puis, de toutes ses forces :) Jacques! Jacques! (Il JACQUES.- J'aime assez ramper, monsieur.
essaie de se lever. Musique,) Jacques! (Musique. Entre Jac- M. KRAP.- Alors, vous avez raison.
ques en courant.) Arrêtez! Arrêtez! (Jacquessort. Musique. Marie paraît à la porte.
La musique s'a"ête.) Quelle abomination! (Entre Jacques.) MARIE.- Madame demande monsieur au téléphone.
JACQUES.- Monsieur n'aime pas? (Agitation décroissante M. KRAP.- Venez un peu par ici, Marie. (Marie avance.)
de M. Krap,) Je suis navré, monsieur. (Silence.) Monsieur Plus près. (Marie se met près du lampadaire.) Tournez-vous.
ne désire rien? (Marie se tourne.) Elle est mignonne.
M. KRAP.- Ne me quittez pas. MARIE.- Que dois-je répondre à madame, monsieur?
JACQUES.- Mais non, monsieur. M. KRAP.- Que je viens.
M. KRAP.- Parlez-moi un peu. MARIE.- Bien, monsieur. (Elle sort.)
JACQUES.- y a-t-il qudque chose qui intéresse monsieur M. KRAP.- Vous ne devez pas vous ennuyer.
particulièrement? (Silence.) Monsieur a vu les journaux? JACQUES.- De temps en temps, monsieur.
M. KRAP.- Je les ai vus hier. M. KRAP.- Prenez la communication.
JACQUES.- Que pense monsieur du nouveau ministère? JACQUES.- Bien, monsieur. (Il sort. Immobilité de
M. KRAP.- Non, non, pas ça. M. Krap. Entre Jacques.) Madame prend les nouvelles de
Silence. 1

monsieur et lui fait dire que monsieur le docteur Pioule est


JACQUES.- Monsieur a de bonnes nouvelles de monsieur désolé que monsieur n'ait pas accompagné madame. Mon-
son fils? - 1
sieur le docteur Pioule avait beaucoup de choses à dire à
Silence. 1
1
monsieur.
M. KRAP.- C'est pour quand, le mariage? . J
M. KRAP.- Vous avez raccroché?
JACQUES.- Monsieur veut dire, Marie et moi? 1

JACQUES.- Oui, monsieur, j'ai cru bien faire.


M. KRAP.- Oui. Silence.
JACQUES.- Nous espérons dans un mois ou deux, mon- M. KRAP.- Jacques.
sieur. JACQUES.- Oui, monsieur.
M. KRAP.- Vous faites déjà ramour? M. KRAP.- Je voudrais que vous m'embrassiez.
i
JACQUES.- Nous ... heu ... je... heu ... pas précisément JACQUES.- Mais certainement, monsieur. Sur les joues
l'amour, monsieur. de monsieur?

64 1
6'
j'
M. Kw. - Où vous voudrez. M. Kw. - Bonne nuit. (Jacquess'e" va.) Laissez les por-
JaCf/Uesembrasse M. Krap. tes ouvertes.
JACQUES.- Encore, monsieur? JACQUES.- Bien, monsieur.
M. Kw. - Merci. M. Kw. - Pour que vous entendiez mes cris.
JACQUES.- Bien, monsieur. (Il se redresse.) JACQUES.- Bien, m ... Pardon, monsieur?
M. Kw. - Tenez. (Lui do""e u" billet tk ce"t fra"cs.) M. Kw. - Laissez ouvert.
JACQUES,le prena"t. - Oh, ce n'était pas la peine, mon- JACQUES.- Bien, monsieur. (Il sort, i"quiet.)
sieur. Immobilité de M. Krap.
M. Kw. - Vous piquez. M. Kw. - Rideau.
JACQUES.- Monsieur aussi pique un peu. Immobilité de M. Krap.
M. Kw. - Vous embrassez bien.
JACQUES.- Je fais de mon mieux, monsieur. RIDEAU
Silence.
M. Kw. - J'aurais dû être homosexud. (Sile"ce.) Qu'en
pensez-vous ?
JACQUES.- De quoi, monsieur?
M. Kw. - De l'homosexualité.
JACQUES.- Je pense que cela doit revenir à peu près à la
même chose, monsieur.
M. Kw. - Vous êtes cynique.
Silence.
JACQUES.- Dois-je rester auprès de monsieur?
M. Kw. - Non, vous pouvez m'abandonner.
JACQUES.- Monsieur ne ferait-il pas mieux de se cou-
cher? (Sile"ce.) TI n'y a rien d'autre que je puisse faire pour
monsieur?
M. Kw. - Non. Si. Eteignez cette abominable lumière.
JACQUES.- Bien, monsieur. (Il étei"t le lampadaire.) Je
laisse la petite lampe allumée, monsieur. (Silence.) Bonne
nuit, monsieur.

66 67
Lendemain. Fin de l'après-midi.
Chambre de Victor, ignoble gami dont l'unique meuble
est un lit-cage.
Victor seul. Sordidement vêtu, en chaussettes, il va et vient.
Il s'arrête près de la rampe, regarde le public, veut parler,
change d'avis, reprend sa marche. Il s'immobilise à nouveau
devant la rampe, cherche ses mots, emba"assé.

VICTOR.- TI faut que je dise ... je ne suis pas ... (Il se tllit,
reprend sa marche, ",masse une chaussure et lajette à travers
la vitre. Entre aussitôt un vitrier, avec tout son attirail et la
chaussure de Victor à la main. Il jette la chaussure et se met
au trtIVail.) Impossible de rien casser.
VITRIER.- Mais vous l'avez cassée.
VICTOR.- On ne peut rien perdre non plus.
Entre un jeune garçon, une boîte à la main.
VITRIER.- C'est mon assistant. C'est lui qui porte le mas-
tic. N'est-ce pas, Michel?
MICHEL.- Oui, papa.
VITRIER.- Oui, monsieur.
MICHEL.- Oui, monsieur.
VITRIER.- Tu as le diamant?

71
MICHEL.- Non, monsieur. VITRIER.- Sa chaussure l'a traversée, madame, de part
VITRIER.- Tss ! Tss! Va vite chercher le diamant. en part.
MICHEL.- Oui, monsieur. (Il s'en va.) MME KARL.- C'est la générale.
VITRIER.- N'emporte pas le mastic. (Michel dépose la VICTOR.- La générale?
boîte par terre près de la fenêtre et sort.) TI se sauvait avec MME KARL.- Oui.
le mastic! (Il gratte.) Petit écervelé! (Il gratte,) Et le dia- VICTOR.- Dites-lui que je suis sorti.
mant. (Il gratte.) Que voulez-vous que je fasse sans dia- MME KARL.- Je le lui ai dit. Elle ne veut pas partir.
mant? (Se tournant vers Victor :) Sans diamant je ne suis VICTOR.- Alors, qu'elle reste.
rien, monsieur. (Entre Michel.) Tu as été long. Tu l'as? MME KARL.- Elle est en train de monter.
MICHEL.- Oui, monsieur. VICTOR.- Mais il faut l'empêcher!
VITRIER.- Viens par là. Tout près de moi. Tiens-toi prêt. MME KARL.- Elle a deux types avec elle. Son chauffeur
MICHEL.- Oui, monsieur. et un autre.
VITRIER.- Je ne parle pas comme un vitrier, hein? VICTOR.- Je vais descendre.
VICTOR.- Je ne sais pas. MME KARL.- TI est trop tard. (Elle sort sur le palier.
VITRIER.- Vous pouvez me croire. Revient.) Elle est au troisième. Elle souffle.
VICTOR.- On vous a envoyé pour m'espionner? VICTOR.- Elle est seule?
VITRIER.- Vous n'auriez pas cassé la vitre que je ne serais MME KARL.- Je vous dis qu'il y a deux types avec elle.
pas là. (Silence. Le vitrier travaille,) Voyez-vous, monsieur, VITRIER.- Son chauffeur et un autre, non identifié.
ce qu'il faut admirer chez moi, c'est que je ne sers à rien. VICTOR.- Que faire?
VICTOR.- Vous servez à réparer ma vitre. VITRIER.- Cachez-vous.
VITRIER. - D'accord, mais vous la casserez encore VICTOR.- Où ?
demain. Enfin, je l'espère. Il
VITRIER.- Sous le lit.
t
VICTOR.- Moi, j'ai beau la casser et vous, vous avez beau
VICTOR.- Vous croyez ?
la réparer. VITRIER.- Vite! Vite! Sous le lit.
VITRIER.- Voilà !
Victor se cache sous le lit.
VICTOR.- Le plus simple serait de ne pas commencer.
VITRIER,se retournant. - Ah, monsieur, ne dites donc pas MME KARL.- La voilà. (Entre Mme Mede. Elle cherche
de bêtises. Victor des yeux.) Je vous ai dit qu'il n'était pas là.
Entre Mme Karl une vieille femme. VITRIER.- Permettez, madame, que je me fasse connaître.
MME KARL.- Vous avez cassé la vitre. Je suis soi-disant le vitrier. Et voici le jeune Michel, mon

72 73
soi-disant assistant. C'est lui qui porte le mastic. Dis bon- MMEMECK.- Vous appdez ça travailler ? Vous ne faites
jour à la dame, Michd. que bavarder.
Mme Karl sort. VITRIER.- Mon cerveau travaille sans cesse.
MICHEL.- Bonjour, madame. MME MECK,à Victor. - TI ressemble un peu à votre pau-
MME MEcK. - Vous n'avez pas vu monsieur Krap? vre papa, quand il était plus jeune.
VITRIER.- Monsieur Krap ? VITRIER.- C'est vrai ?
MME MEcK. - Le jeune homme qui habite ici. MME MECK.- Ne vous occupez pas de nous.
VITRIER.- Ah, le jeune homme qui habite ici. VITRIER.- Mais vous vous occupez de moi.
MME MEcK. - Vous ne l'avez pas vu ? MMEMECK,à Victor. - Vous ne m'offrez pas une chaise?
VITRIER.- Si,' madame. VlcrOR. - TI n'y a pas de chaise.
'1

Ii MME MECK.- Où est-il? MME MEcK. - La demiète fois, il y en avait une.


ii
Il
VITRIER.- TI est sous le lit, madame, comme du temps VlcroR. - TI n'yen a plus. (Mme Meck s'assied sur le lit.)
Qu'est-ce que vous voulez ?
de Molière. (Victor sort de sous le lit.) TI fallait y rester.,
MME MEcK. - La ressemblance est frappante, vraiment.
MME MEcK. - A quoi rime cette comédie?
VlcrOR. - Vous m'apportez de l'argent?
VITRIER.- C'est dans un but de délassement et de diver-
MME MECK.- Je viens vous voir.
tissement publics, madame. VlcrOR. - Je vais sortir.
VlcrOR. - Que me voulez-vous? MME MECK.- Je sors avec vous; (Elle se lève.)
MMEMEcK. - TI est mignon, le petit. Viens me dire bon- Victor va à la porte, l'ouvre, reste un instant interdit, sort
jour, mon petit bonhomme. On dirait un vrai petit homme. sur le palier.
VITRIER.- Je vous demanderai de laisser mon assistant VOIX DE VlcrOR. - Madame Karl! (Silence.) Madame
tranquille, madame. TI vous a déjà dit bonjour. Ne voyez- Karl! (Victor revient et ferme la porte.)
vous pas qu'il tient le mastic? MME MECK.- Alors, vous ne sortez pas ?
MME MEcK. - Vous n'êtes guère aimable. VlcrOR. - Pas tout de suite. (Mme Meck se rassied.) Qui
VITRIER.- TI y a un temps pour le travail, madame, et il est cet homme sur le palier?
y a un temps pour les amabilités. TI faut que Michd MME MECK.- C'est Joseph.
apprenne à les distinguer de bonne heure. VlcroR. - TI est avec vous ?
MME MEcK. - C'est votre Hls ? MME MECK. - C'est un catcheur de cinquième ordre.
VITRIER.- Quand je travaille, je n'ai pas de famille, Ludovic l'employait de temps en temps.
madame. VIcroR. - TI est avec vous?

74 75
MME KARL.- Qu'est-ce que vous voulez?
MME MEcK. - Oui, Victor, il est avec moi.
VlcrOR. - Je voudrais ma note. Je vous quitte.
Le vitrier va à la porte, l'ouvre, regarde dehors. MME KARL.- Qu'est-ce que vous dites ?
VITRIER.- Viens voir, Michel. (Michel va à la porte. Tous
VIcrOR. - Je vous dis que je vous quitte et que je voudrais
les deux regardent dehors un bon moment. Le vitrier referme ma note.
doucement la porte et retourne à son travail. Michelle suÎt.) MME KARL.- n faut prévenir huit jours à l'avance.
Ça doit chausser dans les quarante-huit. VlcrOR. - Vous établirez la note qui vous semble juste.
MICHEL.- Qu'est-ce qu'il a au nez, papa?
Je vous quitte aujourd'hui.
VITRIER.- Monsieur.
MME KARL.- De quoi vous plaignez-vous ?
MICHEL.- Monsieur.
VlcrOR. - Je veux bien vous répondre, madame Karl. Je
VITRIER.- Je ne sais pas, Michel, ce qu'il a au nez. n y me pl4ins d'être dérangé sans cesse. Hier c'était ma mère,
a tant de choses qu'on peut avoir au nez. Demande-lui, si aujourd'hui c'est la générale, demain ce sera ma fiancée. Je
tu veux le savoir. Ou demande plutôt à cette bonne dame,
ne peux même pas casser ma vitre sans qu'un vitrier sur-
ce serait plus prudent. gisse et se mette à la réparer, avec une lenteur désespé-
MICHEL.- Qu'est-ce qu'il a au nez, madame? rante.
MME MECK. - C'est le résultat d'une morsure, mon
MME KARL.- n ne fallait pas donner l'adresse.
enfant.
VlcrOR. - Je ne l'ai pas donnée. Ds l'ont trouvée.
MICHEL.- C'est un chien qui l'a mordu, madame? MME KARL.- Mais partout où vous irez ils vous trouve-
MMEMEcK. - Non, mon enfant, c'est un homme comme ront la même chose.
lui, un semblable. VlcrOR. - Ce n'est pas sûr.
MICHEL.- Pourquoi qu'il l' a mordu, madame? MMEKARL,à Mme Mecle. - Vous ne pouvez pas le laisser
MME MECK.- Pour l'obliger à lâcher prise, mon enfant. tranquille ?
VITRIER.- Assez ! Assez! Ça ne sert à rien. Passe-moi le MME MEcK. - Mêlez-vous de vos affaires.
mètre.
VlcrOR. - Madame Karl, soyez gentille, apportez-moi la
MICHEL.- Mais c'est vous qui l'avez, monsieur. note. n est inutile de discuter avec ces gens-là.
VITRIER.- C'est vrai. (Il commence à mesurer.) MME KARL.- C'est une honte. (Elle s'en va.)
VIcrOR. - Pourquoi cet homme est-il avec vous? VIcrOR. - Oh, madame Karl.
MMEMEcK. - Pour vous enlever de force, le cas échéant.
MME KARL.- Quoi?
VIcroR. - De force ?
VlcrOR. - Est-ce que Thérèse est en bas ?
MMEMECK.- Vous êtes peu sensible à la raison, je crois. MME KARL.- Oui.
Entre Mme Kitrl.
77
76
VICTOR.- Demandez-lui d'aller chercher un agent et de VICTOR.- Dites au chauffeur de monter.
le ramener ici. MME KARL.- TI m'a frappée.
MME KARL.- Un agent? Pour quoi faire? Je ne veux VICTOR.- Le chauffeur, madame Karl, le chauffeur. On
pas de flics chez moi. vous dédommagera.
VICTOR.- Cette dame viole mon domicile. MME KARL.- Ce n'est pas des façons de faire. (Elle sort.)
MME KARL.- Vous êtes assez grand pour la mettre à la MME MECK.- La violence a échoué.
porte. VICTOR.- Vous me rendez la vie impossible. Vous me
VICTOR.- Elle s'est fait accompagner par un garde du couvrez de honte et de ridicule. Allez-vous-en.
corps. TI est sur le palier et n'attend que le signal pour, MME MEcK. - La vie ? Quelle vie ? Vous êtes mort.
intervenir. VIÇTOR.- On ne poursuit pas les morts.
MMEMECK.- Joseph! (Entre Joseph.) Faites ce que vous MME MECK.- Vous savez que votre tante est à Paris ?
avez à faire. VICTOR.- Ma mère me l'a dit.
JOSEPH.- C'est lui? MME MECK.- Elle s'est mariée avec un ...
MME MECK.- Oui. VICTOR.- Ma mère me l'a dit.
r
JOSEPH,pre1Ulnt Victor par le bras. - Amenez-vous. MMEMECK.- Vous savez que votre mère a le cœur brisé
VICTOR.- Au secours ! à cause de vous?
MME KARL.- Au secours ! VICTOR.- Oui, elle me l'a dit. Allez-vous-en.
JOSEPH.- Ta gueule! (Il 14pousse.) MME MECK.- Et cela ne vous fait rien ?
VICTOR.- Lâchez-moi! (Il se débat faiblement. Joseph le VICTOR.- Je n'y peux rien.
traîne vers 14porte.) MME MECK.- Vous pouvez rentrer à la maison.
VITRIER,à Michel. - Passe-moi le marteau. VICTOR.- Je ne peux pas rentrer à la maison.
MICHEL.- Mais c'est vous qui l'avez, monsieur. MME MECK.- Vous pouvez vivre autrement.
VITRIER.- C'est vrai. (Il s'approche de Joseph et le frappe VICTOR.- Je ne peux pas vivre autrement.
sur le crâne avec le marteau. Joseph tombe.) MME MEcK. - Vous savez qu'Olga est malade de cha-
MME MECK.- C'est ridicule. grin ?
Le vitrier retourne à son travail. VICTOR.- Oui, elle me l'a dit et ma mère me l'a confinné.
MME KARL,s'en al14nt. - Je vais chercher un agent. MME MECK.- Vous n'avez plus aucun sentiment pour
MME MECK.- TI l'a tué. elle?
VICTOR.- Ce n'est plus la peine, madame Karl. VICTOR.- Non.
MME KARL.- TI faut porter plainte. MME MECK.- Ni pour personne?

78 79
VICfOR. - Non. MME MECK.- Victor! (Silence.) Vous m'avez entendu?
MME MECK.- Sauf pour vous-même. Votre père est mort.
VICfOR. - Non plus. VICI'OR,se retournant. - Oui. Quand est-il mort?
VITRIER.- Ça se dessine. MMEMEcK. - Vous n'allez pas me dire que ça vous inté-
MMEMEcK. - Avec quoi est-ce que vous allez payer cette resse ?
note? VICfOR. - L'heure m'intéresse.
VICfOR. - Avec l'argent qui me reste. MME MECK.- n est mort hier soir, dans son fauteuil.
MME MECK.- Et après ? VICfOR. - Mais à quelle heure ?
VICfOR. - Je m'arrangerai. MME MEcK. - n était en vie à huit heures. Jacques
MME MECK.- Votre père est mort. l'affirme. Et on l'a trouvé mort vers minuit.
Silence. VICI'OR.- Qui l'a trouvé ?
VITRIER.- Répondez, voyons! MME MECK.- Votre pauvre mère.
On frappe. Entre Thomas. VICfOR. - A minuit?
MME MECK.- Occupez-vous de votre collègue. (Il va à MME MECK.- A peu près.
lt.z/enêti-e.) VICTOR.- n était raide?
THOMAS.- Madame? MME MECK. - Vous êtes complètement dénaturé.
MMEMEcK. - Regardez s'il respire. Vous qui avez l'habi- (Silence.) Votre mère est prostrée.
tude des moteurs. VITRIER,à Michel. - Le diamant. (A Victor:) n n'y a pas
THOMAS,ayant examiné Joseph. - Oui, madame. de table?
MME MECK.- n respire ? VICI'OR.- Non.
THOMAS.- Oui, madame. VITRIER.- Tant pis. (Il se met à couper son verre par
MME MECK.- Tirez-le sur le palier. te"e.)
THOMAS.- Bien, madame. (Il tire Joseph sur le palier, VICI'OR,à Mme Mecle. - Allez-vous-en.
revient.) On frappe. Entre Thomas.
MME MECK.- Essayez de le ranimer. THOMAS.- Je ne peux pas le ranimer, madame.
THOMAS.- Bien, madame. MME MEcK. - n respire toujours ?
MMEMEcK. - Dès qu'il pourra marcher, descendez tous THOMAS.- Oui, madame, mais je ne peux pas le ranimer.
les deux m'attendre dans la voiture. MME MECK.- n est sans doute trop lourd pour que vous
CHAUFFEUR. - Bien, madame. (Il sort.) puissiez le porter.
Silence. THOMAS.- Je crains qu'oui, madame.

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·.

MMEMEcK, il Victor. - Vous ne voudriez pas aider Tho- VITRIER.- C'est vrai.
mas à porter Joseph jusqu'à la voiture? MME MECK. - Votre mère est prostrée. (Silence.) Elle
VICTOR.- Non. vous réclame. (Silence.) Son seul soutien !
MME MEcK, IIU vitrier. - Et vous? (Silence.) Vitrier! Hilarité du vitrier. Il en laisse tomber son mètre.
VITRIER,sans se retourner, tout en travllillant. - Madame? VITRIER.- Passe-moi le mètre. (Michelle lui p4Sse.)
MME MECK. - Vous ne voudriez pas aider Thomas à VICTOR,il Mme Mecle. - Allez-vous-en. (Il ramasse son
porter Joseph jusqu'à la voiture? sac et le lui tend, son parapluie, et s'en sert pour la pousser
VITRIER.- Non, madame, je ne le voudrais pas. vers la porte)
MME MEcK. - Eh bien, Thomas, il faut faire venir une MME MECK.- Misérable!
ambulance. VICTOR,poussant toujours. - Allez.
THOMAS.- Bien, madame. (Il sort.) MME MECK.- Donnez-moi mon parapluie.
VICTOR,il Mme Meck. - Allez-vous-en. VICTOR.- Allez, dehors! (Ilia pousse dehors, lui donne
MME MECK.- Mais maintenant vous pouvez me mettre le parapluie, ferme la porte, revient s'asseoir sur le lit.)
dehors. Silence.
VICTOR.- Je répugne à vous toucher. VITRIER.- Elle reviendra.
MMEMECK,se mettant il genoux. - Victor! Revenez à la VICTOR,se tournant il moitié vers le public, avec un geste
maison! Avec moi! Dans la Delage ! d'impuissllnce. - Je...
VICTOR.- Relevez-vous. VITRIER.- Nous voilà tranquilles.
MME MECK.- Aidez-moi. (Victor l'aide il se relever, du VICTOR.- Vous en avez encore pour longtemps?
bout des doigts.) Le testament ... VITRIER.- C'est que je ne vois plus clair.
VITRIER.- Merde! Je l'ai coupé trop petit. VICTOR.- Allez-vous-en.
VICTOR,au vitrier. - Laissez donc. VITRIER.- Je vais allumer. (Il VIl au commutllteur et le
VITRIER,avec emphase. - Je réparerai cette vitre même si fait jouer. Sans résultat.) TI ne manque que l'ampoule.
je dois y passer le restant de ma vie. Michd, va vite chercher une ampoule.
MME MECK.- On l'ouvre demain, après l'enterrement. MICHEL.- Oui, monsieur. (Il sort,)
VITRIER.- Passe-moi le mètre. VITRIER,s'approchant du lit. - Vous supportez malles
MICHEL.- Mais c'est vous qui l'avez. choses en verre.
VITRIER.- Monsieur. VICTOR.- Allez-vous-en.
MICHEL.- Monsieur. VITRIER.- Oh, moi, vous savez, du moment que je mets

82 83
la main à la pâte, rien ne m'arrête plus. Que voulez-vous, croire. Mais vous êtes tout simplement rien, mon Plluvre
je suis comme ça. ami.
VICfOR. - Si j'avais le courage, j'essayerais de vous jeter VICfOR. - n est peut-être temps que qudque chose soit
dehors. tout simplement rien.
VITRIER.- Mais vous avez peur ? VITRIER.- Mais oui, mais oui, je sais, je connais la chan-
VICfOR. - Oui.
son. Tout ça c'est rien que des mots. Ecoutez. Quand elle ...
VITRIER.- De quoi? (entre Michel) quand elle vous a... qu'est-ce que tu veux,
VICTOR.- De la douleur. toi?
Silence.
MICHEL.- L'ampoule, monaieur.
VITRIER.- Vous savez, il est temps que vous vous expli- VITRIER.- Eh bien, mets-la! Quand elle vous a dit ...
quiez. MICHEL.- Où qu'il faut la mettre, monsieur?
VICfOR. - M'expliquer? VITRIER.- Où qu'il faut la mettre! Mais dans le dans
VITRIER.- Mais oui. Ça ne peut pas continuer comme le... dans le truc, quoi, pas dans ton derrière, dans le dans
ça. la OOUIUE, voilà, mets-la dans la douille, et grouille"toi,
VICfOR.- Mais je n'y comprends rien. D'ailleurs, je n'ai andouille. (Pause.) Au fond, il n'y a que les mots qui m'inté-
rien à vous dire. Qui êtes-vous? Je ne vous connais pas. ressent. Je suis un poète qui préfère s'ignorer. (A Michel :)
Foutez-moi la paix. (Pause.) Et le camp. Alors, tu y arrives ?
VITRIER.- Mais si, mais si, ça vous ferait du bien de vous
MICHEL.- Je n'y arrive pas, monsieur.
expliquer un peu. VITRIER.- Tu peux m'appeler papa à présent, c'est le
VICfOR, d4ns un hurlement. - Je vous dis que je n'y repos.
comprends rien. MICHEL.- C'est trop haut, papa.
VITRIER.- Vous expliquer, non, je ne dis pas, je me suis VITRIER.- Monte sur une chaise.
mal exprimé. Vous définir, vOilà. n est temps que vous vous MICHEL.- n n'y a pas de chaise, papa.
définissiez un peu. Vous êtes là comme une sorte de ... VITRIER.- e' est vrai. Alors, monte sur la boîte. (Michel
comment dire ça ? comme une sorte de suintement. Comme tire sous la douille la botte à outils, monte dessus, met
une sanie, voilà. Prenez un peu de contour, pour l'amour l'ampoule, descend.) Maintenant, allume. (Michel va à la
de Dieu. porte, tourne le commutateur, l'ampoule s'allume.) Ça mar-
VICfOR. - Pourquoi? che.
VITRIER.- Pour que tout ça ait l'air de tenir debout. Vous VICTOR,se levant à demi. - Je m'en vais.
êtes impossible, jusqu'à présent. Personne ne pourra y VITRIER.- Eteins. (Michel éteint. Victor se laisse retomber
84
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sur le lit.) Viens ici. Appone la boîte. (Le vitrier s'assied sur VITRIER.- On entre ici comme dans un moulin. C'est
!fi boite en face de Victor, met son bras autour de Michel et inimaginable. On ne frappe même pas.
le cale contre lui.) MME KARL.- Que voulez-vous que j'y fasse, quand on
MICHEL.- Qu'est-ce qu'il a,le monsieur, papa? s'amène avec des hommes de main? Us savent tous qu'il
VITRIER.- Qui te dit qu'il a quelque chose ? est ici. n n'avait qu'à ne pas donner l'adresse.
MICHEL.- n a l'air drôle. VITRIER.- Au fait, il est toujours sur le palier, Tarzan?
VITRIER.- n est drôle. MME KARL.- Non, il est patti.
MICHEL.- C'est parce que son papa est mon? VITRIER.- Dans l'ambulance ?
VITRIER.- Comment tu sais que son papa est mon? MME KARL.- Non, il est pani tout seul à pied.
MICHEL.- C'est la grosse dame qui l'a dit. VITRIER,se /rottant les mains. - Nous voilà tranquilles.
VITRIER.- Peut-être qu'elle mentait. (Pause.) Regarde-le VICTOR.- Vous n'auriez pas une autre chambre?
bien, Michel. MME KARL.- Qu'est-ce que ça changerait?
MICHEL.- Pourquoi qu'elle aurait menti, la dame, papa? VICTOR.·- Vous diriez que je ne suis plus chez vous et
VITRIER.- Pour qu'il rentre avec elle, parbleu. Puis, une puis je serais dans l'autre chambre.
fois à la maÏ$on, ils l'auraient bouclé. (Pause.) Regarde-le MME KARL.- Toutes les chambres sont prises.
bien. (Pause.) Tu ne seras pas comme ça quand tu seras VITRIER.- Et pourquoi vous ne vous enfermez pas à clef ?
grand, dis, Michel ? . VICTOR.- n n'y a pas de serrure.
MICHEL.- Oh non, papa. VITRIER.- Pas de serrure! (A Mme Karl :) Vous n'avez
Entre Mme Karl. pas honte, de louer des chambres sans serrure ?
MME KARL, flU vitrier. - Vous n'avez pas encore fini, MME KARL.- n n'avait qu'à ne pas lt prendre. Personne
vous ? ne l'a obligé.
VITRIER.- Non, madame, je n'ai pas encore fini, et je ne VITRIER.- Mais vous ne voyez donc pas à quel ... à quelle
suis pas près de finir non plus, au train où ça va. loque vous avez affaire? (A Michel :) Va vite chercher une
MME KARL,à Victor. - Voilà la note. (Avance jusqu'au serrure.
lit.) Tenez. (Victor prend molkment !fi note et !fi tient à !fi MICHEL.- Oui, papa.
main sans !fi regarder.) Alors, vous panez, oui ou non? VITRIER.- Monsieur.
(Silence.) Vous êtes malade ? MICHEL.- Oui, monsieur. (Il sort.)
VITRIER.- Laissez-le réfléchir. VITRIER.- On va vous arranger ça.
VICTOR,avec effort. - Madame Karl, je ne demande qu'à VICTOR.- Us enfonceront la pone.
rester ici, mais il faut qu'on me laisse tranquille. MME KARL.- Alors? Vous panez, oui ou non?

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VITRIER.- Mais laissez-le respirer, voyons! Non. Ni pour votre fiancée ? Non. Ni pour personne? Non.
VICTOR.- Je vous dirai ça tout à l'heure. Seulement pour vous-même ? Non plus. Mais qu'est-ce que
MME KARL.- Je vous donne une heure. Puis j'accroche c'est que ces conneries? n faut du sentiment, nom de Dieu !
la pancarte. (Elle sort.) Mais naturellement vous aimez votre mère, mais naturelle-
, Silence. ment vous aimez votre fiancée, mais ... MAISvous avez des
VITRIER.- Vous n'aviez pas pensé à ça? devoirs, vis-à-vis de vous-même, de votre œuvre, de la
VICTOR.- Laissez-moi tranquille. Ne me dites plus rien. science, du parti, que sais-je, qui font de vous un homme à
Faites ce que vous avez à faire et allez-vous-en. part, un être d'exception, qui vous interdisent les doux liens
VITRIER.- Oui, mais dites-moi d'abord: vous n'aviez pas de la famille, de la passion, vous mettent un masque, en cel-
pensé à ça? lophane. Du sentiment, du sentiment, puis passer outre, voilà
VICTOR.- Mais si. ce qu'il faut! Tout sacrifier, à l'idée fixe, au sacerdoce! Là
VITRIER.- A faire mettre une serrure? alors vous commencez à vivre. On n'a plus envie de vous
VICTOR.- Mais oui. lyncher. Vous êtes le pauvre jeune homme, l'héroïque jeune
VITRIER.- Mais je ne parle pas de ça ! Je veux dire que homme. On vous voit crevant comme un chien à trente ans,
vous n'aviez pas pensé que la vieille pouvait vous mentir à trente-trois ans, vidé par vos labeurs, par vos découvertes,
quand elle vous a dit que votre père était mort. rongé par le radium, terrassé par les veilles, par les privations,
VICTOR.- Elle n'a pas menti. mort en mission, fusillé par Franco, fusillé par Staline. On
Silence. Entre Michel. vous applaudit. La mère s'en va de chagrin, la jeune fille
VITRIER.- Où as-tu traîné encore? aussi, ça ne fait rien, il faut des hommes comme vous, des
MICHEL.- Je n'ai pas traîné, papa. hommes à idéal, au-dessus du confort, au-dessus de la pitié,
VITRIER.- Tu as la serrure? pour que le nougat puisse continuer à se vendre. (L'imitant :)
MICHEL.- Oui, monsieur. Non non ... elle me l'a dit ... Je ne veux rien ... je ne peux
VITRIER.- Et deux clefs? rien je ne sens rien je ne suis rien... laissez-moi tran-
MICHEL.- Oui, monsieur. quille ... allez-vous-en je vous en prie ... je vous en supplie.
VITRIER.- Bon. (Il se lève. A Victor:) Quant à vous, je n'ai Merde! (A Michel :) Allume. Mais quel est votre mérite?
plus rien à vous dire. J'ai w des amateurs, mais jamais per- VICTOR.- Comment?
sonne aussi mauvais que vous. Vous auriez à cœur de vous Michel .llume.
faire conspuer que vous ne sauriez mieux faire. On vous met VITRIER.-Je vous demande quel mérite vous avez à pour-
les réponses dans la bouche et vous en sortez tout le rir dans ce trou ?
contraire. Vous n'avez plus de sentiment pour votre mère ? VICTOR.- Je ne sais pas.

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VlTRIER.- Je ne sais pas, je ne sais pas. Ah! allez vous Entfe Mlle Sleunle.Elle vient se mettre devant Victor, tou-
cacher. jours assis sur le lit.
VICTOR.- Je voudrais bien. MLLE SKUNK. - Bonjour, Victor.
VITRIER,à Michel. - Donne-moi le mètre. VICTOR.- Bonjour.
MICHEL.- Mais c'est vous qui l'avez, monsieur. MLLE SKUNK. - Qui est cet homme?
VICTOR.- C'est un vitrier.
VITRIER,d'une voix tonnante. - Non, ce n'est pas moi
qui l'ai ! (A Victor:) Où puisez-vous le courage et la force MLLE SKUNK. - Qu'est-ce qu'il fait ici ?
VICTOR.- TI répare la vitre.
pour expulser les vieilles dames, à coups de parapluie?
MLLE SKUNK. - Tu as cassé la vitre?
VICTOR.- Je défends mon bien, quand je peux. VICTOR.- Comment?
VITRIER.- Votre bien! Quel bien?
VICTOR.- Ma liberté. MLLE SKUNK. - C'est toi qui as cassé la vitre ?
VICTOR.- Oui.
VITRIER.- Votre liberté! Elle est belle, votre liberté !
MLLE SKUNK. - Comment? Pourquoi?
Liberté pour quoi faire ? VICTOR.- Je ne sais pas.
VICTOR.- Pour rien faire.
VITRIER.- Avec sa godasse, mademoiselle, de propos
VITRIER,se maîtrisant avec effort, à Michel. - Le mètre. délibéré. Tous les espoirs sont permis.
MICHEL.- Voilà, monsieur. MLLE SKUNK. - Pourquoi as-tu fait ça ?
VITRIER.- Qu'est-ce qu'on fait? On finit la vitre ou on VICTOR.- Comment?
fait la serrure ou on laisse tout tomber? MLLE SKUNK. - Pourquoi as-tu cassé la vitre ?
MICHEL.- J'ai faim, papa. VICTOR.- Je ne sais pas.
VITRIER.- Tu as faim, papa. Alors, faisons d'abord la VITRIER.- Viens, Michel. (Le vitrier et Michel sortent.)
serrure. (Il se met au tfavail. Silence. Il chante.) MLLE SKUNK. - Tu ne veux pas m'embrasser?
La France est belle, VICTOR.- Non.
Ses destins sont bénis, MLLE SKUNK. - Je ne suis pas belle ?
(A Michel:) Chante! VICTOR.- Je ne sais pas.
VITRIERet MICHEL,ensemble. - La France est belle MLLE SKUNK.- Autrefois, tu me trouvais belle. Tu vou-
Ses destins sont bénis, lais coucher avec moi.
Vivons pour elle, VICTOIt - Autrefois.
Vivons unis. MLLE SKUNK. - Tu ne veux plus coucher avec moi?
Passons les monts, pa ... VICTOR.- Non.

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MLLE SKUNK. - Avec qui, alors? MLLE SKUNK. - Ton père est mort.
VICTOR.- Comment? VICTOR.- Jeanne me l'a dit.
MLLE SKUNK. - Avec qui veux-u coucher maintenant? MLLE SKUNK. - Jeanne était ici ?
VICTOR.- Avec personne. VICTOR.- Oui.
MLLE SKUNK. - Mais ce n'est pas possible! (Silence.) Tu MLLE SKUNK. - Quand ?
n'es pas franc! (Silence.) Tu sais que je t'aime? VICTOR.- Tout à l'heure.
VICTOR.- Tu me l'as dit. Silence.
MLLE SKUNK. - Tu n'as pas pitié de moi? MLLE SKUNK. - Ça ne te fait rien ?
VICTOR.- Non. VICTOR.- Quoi?
MLLE SKUNK. - Tu veux que je m'en aille? MLLE SKUNK. - Que ton père soit mort. (Silence.) Tu sais
VICTOR.- Oui. ce qu'il m'a dit hier soir? (Silence.) TI m'a fait promettre
MLLE SKUNK. - Et que je ne revienne plus jamais ? d'avoir l'air de vivre pour que toi aussi tu aies l'air de vivre.
VICTOR.- Oui. Je ne comprends pas. (Silence.) C'est pour ça que je suis
Silence. venue, pour que tu m'expliques ce que ça veut dire.
MLLE SKUNK. - Qu'est-ce qui t'a tellement changé? (Silence.) Tu comprends ce que ça veut dire ?
VICTOR.- Je ne sais pas. VICTOR.- Non.
MLLE SKUNK. - Tu n'étais pas comme ça, avant. MLLE SKUNK. - Tu n'essaies même pas.
Qu'est-ce qui t'a rendu comme ça? VICTOR.- Non.
VICTOR.- Je ne sais pas. (Pause.) J'ai toujours été comme MLLE SKUNK. - Pourquoi?
ça. VICTOR.- On peut tout comprendre.
MLLE SKUNK. - Mais non! Ce n'est pas vrai! Tu MI..LESKUNK. - Alors, explique-moi.
m'aimais. Tu travaillais. Tu blaguais avec ton père. Tu voya- VICTOR,avec fureur. - Non.
geais. Tu ... Silence.
VICTOR.- C'était du bluff. Et puis, assez! Va-t'en. MLLE SKUNK. - TI m'a demandé de l'embrasser. (PtlMse.)
Entrent le vitrier et Michel. Je n'ai pas pu.
VITRIER.- Je voulais être discret, délicat, homme du VICTOR.- Mais tu veux que moi je t'embrasse.
monde, mais je vois qu'il n'y a pas moyen. Je reprends donc VITRIER,se retournant. - Tiens, tiens. TI y a peut-être
mon travail. Car chaque instant est précieux. Vous permet- quelque chose à faire par là. Ce n'est pas la ligne que j'aurais
tez. (A Michel :) Passe-moi le... (Ille trouve.) Tiens la porte. choisie, ça ne donnera jamais grand-chose, mais quand
(Il se met à travailler.) même, c'est peut-être mieux que rien. (A Mlle Sltunlt :)

92 93
Voyez-vous, mademoiselle, ce qu'il ne peut ou ne veut pas MLLE SKUNK. - Marguerite est rentrée. (Silence.) Elle
comprendre, c'est qu'il n'est pas vraisemblable. Je ne me s'est mariée. (Silence.) Avec un médecin. (Victor s'.lJonge.)
lasserai pas de le répéter. (Plluse.) Mais si c'était par amour n me fait la cour. (Silence.) Tu sais ce qu'il m'a dit? (Silence.
de son père qu'il ... (Il s'interrompt) Non, ça-ne peut rien Mlle Skunk pill!fe.) Mais réponds, pour une fois!
donner. A moins que ... (Plluse.) Enfin, c'est à tâter. (A VICTOR.- Je ne comprends pIS.
Mlle Skunk :) Grattez-le un peu par là. Le pauvre vieux, MLLE SKUNK. - Quoi? Qu'est-ce que tu ne comprends
bafoué par sa femme, abandonné par son fils, ridicule dans pas ?
son travail, malade comme un chien, qui sent que sa fin est VICTOR.- Ce que tu veux savoir.
proche, il vous demande de l'embrasser et vous ne voulez MLLE SKUNK. - Mais je ne veux rien savoir. Je veux seu-
pas. Ensuite? lement que tu m'écoutes.
MLLE SKUNK. - Je ne comprends pas un mot de ce que VICTOR.- J'écoute. Je croyais que tu partais.
vous ditez. Vous parlez comme lui. MLLE SKUNK. - Je lui ai dit que j'aimerais être morté. n
VITRIER.- Comme qui ? m'a dit que ce serait facile et qu'il serait heureux de m'y
MLLE SKUNK. - Comme son père. aider.
VITRIER.- Parbleu! Enfin. Débrouillez-vous. Au travail. VITRIER.- Drôle de cour.
Chaque instant est précieux. (A Michel :) Tiens bien la VICTOR.- Qui ?
MLLE SKUNK. - Le médecin.
porte. Cale-la bien. Avec ton pied. Voilà. (Il se remet IIU
trIlVllil.) VICTOR.- Quel médecin ?
MLLE SKUNK, à Victor. - Tu comprends ce qu'il veut MLLE SKUNK. - Mais le mari de Marguerite. Je viens de
dire? te le dire.
VICTOR.- Non. (Silence.) Va-t'en. Je suis fatigué. VICTOR.- Je ne savais pas qu'elle était mariée.
MLLE SKUNK, se ieVIInt. - Je m'en vais. (Silence.) Tu res- Silence.
tes ici? .VITRIER.- Attention! On monte! (Il sort sur le /NIlier,
VICTOR.- Je vais essayer de dormir. rnJÏent.) C'est une femme du monde. J'ai vu son chapeau.
MLLESKUNK. - Non, je veux dire: à l'avenir, tu vas rester J'ai senti son parfum. Elle monte l'escalier, en ayant lOin
ici ? de ne pas toucher la rampe. Elle n'est pas seule. (Il ferme
VICTOR.- Non, je vais aller ailleurs. J. porte et s'adlJsse contre. Silence. On frappe. Sikna. On
MLLE SKUNK. - Où ? re/rttppe. Silence. On pousse. Le vitrier, s'lIrc-boul4nt co"tre
VICTOR.- Je ne sais pas. 14porte, résiste à 14 poussée. Il f.it sig"e 41 Michel th 1'.Mer.
Silence. Michel 1'.iJe.) Elle est forte comme un bœuf. (PMUe.) Us

94 95
se concertent. (Pause.) Ouvrir, ne pas ouvrir, voilà la... MME MEcK, au tkJcteur Pioule. - Ne le provoquez pas.
(A Michel :) Eh bien ? C'est un homme violent.
MICHEL.- Voilà la question. Michel donne le marteau.
VITRIER.- Ça recommence. (A Michel :) Pousse. (lls pous- DR PIOUK.- Je ne crains personne.
sent. A Mlle Sleunk :) Aidez-nous. MME PIOUK.- Où est Victor?
VOIX. - Ouvrez ! MuE SKUNK.- n est qudque part par là.
MLLE SKUNK.- C'est lui ! VITRIER.- Et le ciseau.
VITRIER.- Qui ? MME PIOUK,se précipitant. - Victor!
MLLE SKUNK.- Le docteur! Michel donne le ciseau.
Le vitrier s'écarte brusquement de la porte qui s'ouvre MME MECK, à Mlle Skunle. - Qu'est-ce que vous faites
ici ?
impétuet4sement, renversant Michel. Le Dr Pioule se précipite
MLLE SKUNK.- Je me le demande.
dans la chambre et tombe Il genoux. Même jeu pour
MME PIOUK,·- Viens voir, André.
Mme Piouk qui le suit. Mme Mecle dans l'encadrement de la
Le Dr Piaule s'approche du lit.
porte. Le Dr Pioule se lève. .
DR PIOUK. - C'est ça, Victor? (Silence. Mme ~Meck,
DR PIOUK,au vitrier. - C'est vous, l'auteur de cette plai-
Mlle Skunle, le Dr et Mme Piouk autour du lit. Le Dr Piouk
santerie de lycéen ?
VITRIER.- Faut bien amuser les badauds. sort sa montre, se penche, prend le poignet de Victor. Silence.
Victor se lève d'un bond, fend le gmupe, cherche ses ch4us-
MMEPIOUK.- Aide-moi. (Mlle Sltunle l'aide à se relever.)
sures, en trouve une, y /ou"e le pied, cherche l'autre.)
DR PIOUK.- Tu ne t'es pas fait mal, ma chérie? VIcro~piteus~ent-Machausm~!
VITRIER,à Michel. - Tu ne t'es pas fait mal, mon chéri? VITRIER,à Michel. - Où as-tu mis la chaussure de mon-
MICHEL.- Non, papa. sieur ?
VITRIER.- Alors, debout, couillon ! (Michel se relève.) MICHEL.- Mais c'est vous qui l'aviez, monsieur.
DR PIOUK.- Qui est cet homme? VITRIER,avec force. - Cherche-la! (Michel cherche la
MuE SKUNK.- C'est un ouvrier. chaussure, la trouve, la tend Il Victor qui la lui arrache et
DR PIOUK,au vitrier. - De quoi vous mêlez-vous ? sort une chaussure au pied, l'autre à la 11I4in,rentre aussitôt,
VITRIER.- De quoi je me mêle? (Réfléchit.) De quoi me court Il la rampe, veut parler, ne le peut, fait un geste
mêlè-je, au juste? (Se caresse le menton.) d'impuissance, sort avec des gestes /ous. Silence.) Quelle viva-
DR PIOUK.- Sortez ! cité! (Pause.) n a oublié la note. (A Michel:) Vite, prends
VITRIER,à Michel. - Le marteau. la note et cours après lui. Vite!

96 97
MIcHEL. - La note? MLLE SKUNK.- Parti.
VITRIER,avec colère. - Qud âge as-tu? MME KRAP,se 14issant tomber sur le lit. - Où ?
MICHEL.- Dix ans, papa. MLLE SKUNK.- Nous l'ignorons.
VITRIER.- Et tu ne sais pas encore ce que c'est qu'une Entre Michel 14 note à 14 main.
note? MICHEL.- Papa!
MICHEL,au bord des 14rmes. - Non, papa. VITRIER,au Dr Piouk. - N'est-ce pas? (A Michel :)
VITRIER.- L'addition. La facture. Le papier, là. (Il le Qu'est-ce que tu veux, toi?
pousse.) Allez ! File! (Michel ramasse 14note et sort en cou- MICHEL.- Je ne l'ai pas trouvé, papa.
rant.) C'est mon Hls. TI est encore à moitié idiot. VITRIER.- Tu ne l'as pas trouvé?
DR PIOUK.- Ça ne m'étonne pas. MICHEL.- Non, papa. J'ai couru partout, papa. Ce n'est
VITRIER.- Ah, ça ne vous étonne pas ! (Il avance, marteau pas de ma faute, papa.
et dseau bien en évidence.) VITRIER.- Ah, assez de tes papa!
DR PIOUK, recu14nt. - Arrière! Je suis armé. MME KRAP.- Qui est cet homme? (Le vitrier vient se
MME PIOUK, courant vers son mari. - André! Viens! p14cer devant elle.) Qui êtes-vous? Vous êtes un ami de
Partons d'ici. mon fils? Que faites-vous ici? Qu'avez-vous à me regarder
VITRIER,avançant toujours. - Ecartez-vous, madame. ainsi? (Elle met les mains devant son visage. Elle éC4rteses
MME MEcK. - Ça tourne au mélo. Vous venez, Olga? mains.) Qui êtes-vous?
MME FIOUK.- Viens, André, ne fais pas de malheur! VITRIER.- Je suis le vitrier, madame. Permettez que je
VITRIER,se ravisant. - Après tout ... qui sait ? .. ça peut vous présente mes condoléances.
servir ... quoique je ne voie pas comment. (Au Dr Piouk :) MME KRAP.- Vos condoléances!
Du calme, docteur, du calme. Sommes-nous des bêtes? VITRIER.- Oui, madame, mes condoléances... (pause)
S'agit-il de nous? Non. De quoi donc? Voilà ce qu'il faut émues.
1

essayer de savoir. Dites ... (Le vitrier prend le Dr Piouk par MME KRAP.- Alors, vous savez! (Pause.) Où est-ce que
14 manche et l'entraîne à l'écart.) je vous ai vu ?
MME MEcK. - Olga, Marguerite, venez ! VITRIER.- Je ne sais pas, madame. Dans la rue, peut-
Entre Mme Krap en grand deuil. être, par hasard. Ou vous confondez peut-être avec un
MME FIOUKET MME MEcK, ensemble. - Violette! autre.
MME KRAP.- Mon Hls ! Où est-il ? Mme Meck se penche et parle à l'oreille de Mme Krap.
MLLE SKUNK.- Parti. MME KRAP. - Vous trouvez? (Elle regarde le vitrier.)
MME KRAP.- Parti ? Peut-être ... oui ... tu as raison ... mon Dieu! (Elle pleure.)
98 99
MME MEeK. - Violette! MMEMEeK. - C'était dans une bonne intention, Violette.
MME KRAP, s'essuyant les yeux, au vitrier. - Vous êtes un MME KRAP, de même. - Après hier je croyais qu'il n'y
ami de mon fils. avait plus rien à faire. Puis la mort (elle renifle) d'Henri,
VITRIER.- Heu ... pas encore, madame. n'est-ce pas, je pensais qu'il m'écouterait peut-être. (Pause.)
MME KRAP. - Vous l'avez w aujourd'hui? Je suis seule à présent (elle renifle), toute seule. (Elle
MME PIOUK.- Mais nous l'avons tous w, Violette. pleure.)
MME KRAP. - Tu lui as dit que ... MLLESKUNK.- Ecoute, Violette, tu ferais mieux de ren-
MME PIOUK.- Mais oui, Violette. trer. Tu auras besoin de toutes tes forces pour demain.
MME KRAP. - Qu'est-ce qu'il a dit? DR PIOUK.- Raccompagne-la, Marguerite.
Silence. Dr Pioule rit tout seul. MME MEeK. - Viens, ma chérie.
MME PIOUK.- André ! MME KRAP. - Mon fils! Je veux mon fils !
MME KRAP. - Où est-il? (Silence. Mme Krap s'affole.) n MLLE SKUNK.- Laisse-nous faire.
n'est pas mort? (Silence.) n est mort! n est mort ! MME KRAP. - Amenez-le-moi!
VITRIER.- n ne l'était pas il y a cinq minutes, quatre MME MECK.- Viens! (Elle entraîne Mme Krap vm la
minutes, pas ce que les vivants appellent mort. porte.)
MME KRAP. - n vit! MME PIOUK.- Tu viens, André ?
VITRIER.- Le cœur bat, c'est certain. DR PIOUK.- Je te suis, ma chérie. (Ill' embrasse.) Va avec
MME KRAP. - Comment était-il? ta sœur, elle a besoin de toi.
VITRIER.- Enervé, madame, énervé. n n'a pas l'air de MME PIOUK.- Tu n'as rien à faire ici.
beaucoup aimer la société, même celle de ses proches. MME KRAP. - Ramenez-le-moi! (Mmes Krap et Mecle sor-
MME KRAP. - Et il savait que ... tent.)
MMEMECK.- Mais oui, Violette, je le lui ai dit, avec tous DR PIOUK.- Si, ma chérie. Je t'expliquerai. Va vite. (Il
les ménagements possibles et imaginables. la pousse tWucement vers la porte.) Tu verras, tout finira par
MME KRAP. - Et alors ? s'arranger. (Il la pousse tWucement dehors.) A tout de suite,
Silence. ma chérie. (Il ferme la porte.)
MME MEeK. - n est malade, Violette, il ne faut pas le VITRIER.- Le temps qu'on perd avec les figurants!
juger trop sévèrement. MICHEL,sortant d'un coin sombre où le public est censé
MME KRAP, plaintivement. - Moi, je pensais le trouver l'avoir oublié. - Papa!
tout seul. Je voulais faire une dernière tentative. Vous avez VITIUER.- Qu'est-ce que tu veux encore?
tout gâché! MICHEL.- Je voudrais rentrer, papa. J'ai faim.

100 101
VITRIER.- Ecoutez-moi ce morpion. (Au Dr Pioule :) n MLLE SKUNK.- Oui. Les critiques disaient qu'il ferait
a mangé dix pommes de terre à midi et maintenant il a parler de lui.
faim. (A Michel:) Tu n'as pas honte? VITRIER.- On a dû lui faire un sale coup.
MICHEL.- Je ne me sens pas bien, papa. DR PIOUK.- Bon. TI écrivait. n n'écrit plus. n fréquentait
DR PIOUK.- n a sans doute des parasites. normalement sa famille. n l'a quittéed: ne veut plus la voir.
VITRIER.- Tu entends? Tu as des parasites. Viens jci. n s'est fiancé, ce qui est normal à son âge, avec une jeune
(Michel vient.) Montre ta langue au docteur. (Pause.) Tire fille ravissante, si, si, mademoiselle, ravissante, et il lui inter-
ta langue, microbe! (Michel tire sa langue, que le Dr Piaule dit sa porte. (Au vitrier :) Pardon?
inspecte à l'aide d'une petite 14mpe élect'*!ue.) VITRIER.- Rien.
DR PIouK, éteignant sa 14mpe. - Le miroir de l'estomac. DR PIOUK.- n s'intéressait à l'inépuisable variété de la
VITRIER.- Alors ? scène parisienne, à l'art, au théâtre, à la science, à la poli.
DR PIOUK.- Elle est jaune, sale et sèche. tique, à chaque nouvelle école de philosophie, aux ...
VITRIER,donnant de l'argent à Michel. - Va t'acheter un VITRIER.- Abrégez, abrégez.
sandwich. Et reviens tout de suite. Tu entends? DR PIOUK.- Et il s'était fait une véritable spécialité des
MICHEL.- Oui, papa. (Il s'en va.) rois fainéants. N'est-ce pas, mademoiselle? Bon. Tout cela
VITRIER.- Achètes-en deux. maintenant est mort pour lui, au même titre que s'il n'avait
MICHEL.- Oui, papa. (Il sort.) jamais existé. Est-ce que j'exagère, chère mademoiselle?
VITRIER.- Ah, les enfants! OLGA. -Non.
DR PIOUK.- Maintenant réglons cette question. ~de· DR PIOUK. - TI voyageait, pour son plaisir et pour son
moiselle et moi, nous avons à faire. instruction. Maintenant...
VITRIER.- Je suis à vous. De quoi s'agit-il au juste, à VITRIER.- Quelle classe ?
votre avis? DR PIOUK.- Maintenant il ne quitte plus, pendant des
Ii; DR PIOUK.- n s'agit, si j'ai bien compris les différents mois entiers, ce... (regard circulaire) cet infecte taudis. TI
récits qui m'ont été faits, par ma femme, par ma belle-sœur avait de l'argent; maintenant ...
i,' et par vous, chère mademoiselle, d'un état psychologique VITRIER.- Ça va, ça va, nous avons compris.
i:
Ii
L
difficile à définir. DR PIouK. - Si vous m'interrompez à chaque instant, je
VITRIER.- Ça commence bien. n'ai qu'à m'en aller. D'ailleurs, je ne demande que cela.
i:

Il
DR PIOUK.- Permettez. Ce jeune homme, pour des rai- VITRIER.- Mais vous n'en finissez pas. On ne vous
.1

il
! sons qui restent à déterminer, semble avoir perdu goût à la demande pas un catalogue. TI ne fait plus rien, il ne s'inté-
vie. n travaillait ... (A Mlle Sleunle :) n écrivait, je crois? resse plus à rien, il ne veut plus voir personne, c'est une

l'
1"1
102 103
Ii
affaire entendue. Et après? Qu'est-ce qu'il faut faire pour problème se réduit donc à ceci : trouver un moyen propre
le faire encaisser? à... comment dire ?... à le restaurer à lui-même et, partant,
DR PIOUK.- Le faire encaisser? aux autres. (Silence.) Ce moyen, je l'ai ... (Il se tll1Jot~le ven-
VITRIER.- Mais oui, ça n'a pas de sens, une créature tr~) là.
pareille. Ça ne tient pas debout. MllE SKUNK.- Ah, docteur, si vous pouviez!
DR PIOUK. - Mais le faire encaisser? Par qui ? Non, il DR PIOUK.- Oui. (Il ré/léchit.) Quand j'étais directeur ...
s'agit tout simplement de lui venir en aide, et, en lui venant TI n'y aurait pas une chaise par là?
en aide, de venir en aide aux siens et ... VITRIER.- Non. TI ne s'intéresse plus aux chaises. Mais
VITRIER.- Mais non, mais non, vous n'y êtes pas. On il y a un lit, de tous les objets qui empoisonnent l'existence,
s'en fout qu'il creve, à condition que ... le seul qu'il tolère encore. Ah, les lits ! Asseyez-vous.
DR PIOUK.- Monsieur, si vous avez quelque chose à dire, DR PIOUK,après un coup d' œil V~ le lit. - Merci. Tant
quelque chose de raisonnable, ce dQnt je doute fort, vous pis. Qu'est-ce que je disais ?
le direz tout à l'heure, quand moi j'aurai fini. Vous me MuE SKUNK.- Quand vous étiez directeur ...
demandez mon opinion. Je vous la donne. TI n'y a pas à DR PIOUK.- Ah, oui. Quand j'étais directeur de l'hospice
discuter là-dessus. Je ne discute jamais. Je regrette. Dois-je Saint-Guy, dans la Haute-Marne, je voyais tOUSles jours,
continuer? Ou dois-je m'en aller? tous les deux jours plutôt, un déséquilibré de nationalité
MllE SKUNK.- Continuez, continuez, vous êtes le seul roumaine qui se croyait atteint de ... (il j~tt~ un coup d'œil
à dire des choses que je peux comprendre. vers Mlle Sleunk, baiss~ la voix) de syphilis. Il ne l'était pas,
DR PIOUK. - Ah, mademoiselle, si vous saviez, si vous ai-je besoin de le dire.
saviez! (Il rêvasse.) VITRIER.- Bien sûr que vous avez besoin de le dire.
VITRIER.- Allez-y, allez-y, elle ne saura jamais. DR PIOUK. - TI me demandait chaque fois, sur un ton
DR PIOUK.- Où en étais-je? désespéré, si je lui apportais le poison. Le poison? disais-je,
VITRIER.- En plein délire, sur la nécessité de l'aidet et, quel poison, mon ami, et pour quoi faite ? Pour mettre fin
en l'aidant, d'aider sa famille, et, en aidant sll'Jamille, à mon supplice, répondait-il. Mais, mon cher ami, si vous
d'aider je ne sais plus qui, l'humanité tout entière Proba- tenez- absolument à mettre fin à votre supplice, vous_
blement. Vous devez aimer l'humanité, docteur? posez pour cela de tout ce qu'il faut. Vous mangez trois
DR PIOUK.- Vous êtes grossier. Peu importe. Bon. Oui. fois par jour au réfectoire, au milieu d'assiettes, de ttdIes,
Je disais en effet qu'en l'aidant j'aiderais les siens et, en tout de fourchettes et même de couteaux, de quoi mettre fin à
premier lieu, vous, chère mademoiselle, si incompréhensi- mille supplices. Alors il se fâchait, en disant qu'il m'incom-
blement délaissée, si lâchement, follement abandonnée. Le bait à moi, en tant que son médecin, et non pas à, lui, de

104 1~
1

!I
!,

III

il·
mettre fin à son supplice. Mais quel supplice, au fait? tion déjà proposée par de nombœux penseurs à ce pro-
disais-je. Vous n'avez rien. Quatorze médecins vous ont blème de la conscience et qui consiste. tout simplement à
I!
III]: examiné dans l'indépendance la plus parfaite les uns des supprimer cette. dernière. Je disais que c'étaient les moda·
autres et ne vous ont rien trouvé. Mais si, mais si, répon- lités de cette suppression, l'aspect teebnique, qui m'inté-
dait-il, j'ai la... hem ... (mim~jeu (l'lMNIllt) la syphilis, et ressait tout particulièrement, car je suis un homme d'action,
!:
'Iii!
c'est de votre devoir de me supprimer. C'est là-dessus que et j'indiquais quelques-uns des moyens les mieux faits~selon
r s'achevait notre dialogue, toujours identique. (PtlUSe.) moi, pour y aboutir avec le owrimum de promptitude et
Il''
,1
Jusqu'au jour où je lui apportai le poison qu'il récl.mait. le minimum de désagrément. Je n'y crois pas un seul ins-
Si/e"a. tant, ai-je besoin de le dire? Je veux dire·que la vie m'a
l,
1,' MLLE SKUNK, hJetllllt. - Et alors ? guéri de tout espoir de la voir finir, sur une gnnde échelle.
Ii
1
DR PIOUK. - Sa guérison fut rapide. Tout au plus pourrait-on freiner. (Pase.) Mais je lUÎ1 un
Ii!

!:
Si/e"a. homme conséquent, à ma manière, courageux, dans. un
1:
VITRIER.- Ce n'était pas un vrai fou. sens, et j'ose dire probe, et je me tiens à la disposition de
DR PIOUIC. - Je ne perdrai pas mon temps à discuter ceux qui, étmt de mon avis en ce qui les concerne, me
là-dessus. (PtIUS~.) Et Victor, c'est un vrai fou? (Sikna. dépassent en tristesse et en résolution.
T0IIl • COII/J, k 1), PünJt " des gest~s 1111pnI JétwJqués, MLLE SKUNK. - Mais vous voulez. le tuer !
~s~ 1111[NU de Jase, jflit des mOMtJn1lelftsbiutres lIfJ« VITIUEll - Vous croyez qu'il a besoin de vous pour en
sn bMs, COI'II1IIe des sig""",,, en/Ur, • III a»IfJeIfIItIa de finir, à supposer qu'il veuille en finir ?
l'lICteur, puis s'immobilise. Ligne gêne.) J'exposais hier, DR PIOUK. - Mon cher, c'est étonnant ce que les gens
devant le regretté monsieur Krap, homme remarquable ont besoin d'aide poUr cesser d'être. Vous n'avez pas idée.
d'aiIleun, à sa manière, ma façon d'envisager le problème n faut presque leur tenir la main. (P"use.) prmez mon Rou-
de l'existence humaine, car c'est un problème, à mon avis, main, par exemple. Est-ce qu'il avait besoin de moi pour
malgré les efforts qu'on fait aujourd'hui pour démonuer le mettre fin à son supplice? Mais non. Du reste il·est main·
contraire. (Pas~.) Je dirai même que je n'en vois pas tenant marchand de bestiaux à Iassy. n m'écrit de temps
d'autre. (P,,"S~.)N'étant pas une fourmi, par exemple, ou en temps. Une carte postale. n m'appelle son sauveur. Soft
une baleine. (P,,"S~.)Vous étiez là, mademoiselle? sauveur! Ha !
MLLE SKUNK. - Oui. VITRIER.- Ce n'est pas pareil. n se croyait graveme:ot
DR PIooK. - Vous voyez, je n'invente rien. Je disais donc, malade.
harcelé par des questions, car je n'aime pas me mettre en DR PIOUK. - J'ignore de quoi ce jeune homme le pMint
avant, je disais que je reprenais pour mon compte la solu- exactement. De quelque chose de plus grave, je paase,

106 107
qu'une maladie quelconque, et assurément de plus vague MLLE SKUNK.- Le. .. le... poison.
Ii
aussi. On m'a dit qu'il jouit d'une santé robuste. Mettons DR PIOUK.- n ne le prendra pas.
l'' qu'il se plaigne tout simplement d'exister, du syndrome vie. MLLE SKUNK.- Mais, s'il veut le prendre ?
l':
Cela se conçoit, n'est-ce pas? Nous ne sommes plus au
III::

1,'
DR PIOUK.- Eh bien, (avec effort) eh bien, c'est contraire
dix-neuvième siècle. Nous savons regarder les choses en
1,':

Il! à mes principes, mais, pour vous faire plaisir, eh bien, nous
!il:
,I! face. Bon. Je lui offre de quoi ne plus exister, de quoi pas- l'en empêcherons. Vous voyez, chère Olga, oui, laissez-moi
il!: ser, avec la plus grande douceur, de l'état de conscience à vous appeler Olga, je suis prêt à tout pour vous être agréable.
i,
l'i:i
celui de l'étendue pure ... MLLE SKUNK.- Mais, si on arrive trop tard?
Ii
!il MLLESKUNK.- Non! Non! Je ne veux pas ! DR PIOUK,rilmt. - On voit bien que vous n'êtes pas de
1
DR PIOUK,Jéchaîné. - ... Et en lui disant que je resterai la partie. Que de choses cette jolie tête ignore! Que de
!!,
à ses côtés pour veiller à ce que la transition s'opère sans vilaines choses ! Pensez-vous! Mais je saurai tout de suite
i:i heurt. Eh bien, mes chers amis, ou bien il découvre de s'il est sérieux ou non. Avant même de lui remettre le
1:
bonnes raisons - car c'est un cérébral, cela se voit - pour comprimé.
Iii!
retourner s'emmerder parmi ses semblables, ou bien ... MLLE SKUNK.- C'est un comprimé ?
u u
1

l'

,
(geste expressif.) Mais rassurez-vous, il y a toutes les chances Le Dr Piouk sort une fiole 14poche son gikt, en fMt
1: qu'il soit aussi dégueulasse que nous autres. rouler un comprimé Jans le creux de sa main, le tend vers
'i, Siknce. Le vitrier marche de long en 14rge. Olga conster- Mlle Skunk, qui hésite, puis le prend.
l,
née. Le Dr Piouk épanoui. DR PIOUK.- Voilà.
l'
"

l'
MLLESKUNK.- C'est abominable! n ne faut pas ! Entre Michel. Il donne un SIIndwich flU vitrier.
,'Ii
Ii
1;

DR PIOUK.- Mademoiselle, si j'ai été un peu loin, si j'ai VITRIER.- Tu as mangé le tien ?
iil insuffisamment mâché mes mots, mettez-le sur le compte MIcHEL. - Oui, papa.
illi d'un vieil enthousiasme, prêt à s'éteindre. Parler ainsi, c'est VITRIER.- Tu as vadrouillé.
pour moi respirer un autre air, celui de ma· jeunesse" de MICHEL.- Non, papa.
mes ardeurs, de mes innocences, avant le drapeau noir et VITRIER.- Donne la monnaie. (Michel lui donne 14mon-
le crâne incliné. (Emu :) Mademoiselle (il lui prend k men- naie, qu'il compte.) Bon. Tiens-moi ça. (Il lui reIId le mnd-
ton et le soulève), regardez-moi. Ai-je l'air d'un ogre? (Il wich.) Prends ça aussi. (Il lui donne le marteau et le ciselu.)
sourit horriblement,) Ayez confiance! Je le sauverai! Mets-toi là-bas·et reste tranquille. (Michel VII s'ass~ir IIIr
Comme j'ai sauvé Vérolesco. u
14 boîte à outils, près 14fenêtre.)
MLLESKUNK.- Mais, s'il le prend? MLLESKUNK,s'arrachant à 14conte11lpl4tiondu comprimé.
DR PIOUK.- Quoi? - C'est ça!

108 109
DR PIOOK.- l'avoue. ..
Dr Pioule reprend le comprimé, le remet ""ns la fiole et
VITRIER.- n faut des raisons, bon Dieu ! Pourquoi a-t-il
remet la fiole dtlns Silpoche.
DR PlOUK.- Oui, c'est ça, cette petite chose, la langueur, tout laissé tomber il Pourquoi cette existence insensée?
le bercement, les blancheurs sans fond, le fond, la paix, Pourquoi consentir à mourir il Des raisons! Jésus lui-même
~ avait ses raisons. Quoi qu'il fasse, il faut qu'on sache à peu
Il l'arrêt. Quelle heure est-il il (Il tire Silmontre.) Cinq heures
près pourquoi. Sinon, on va le vomir. Et nous autres avec.
Il
cinq! (Il remet SIlmontre.) Mon Dieu !
Il.
1 MLLE SKUNK.- Et si vous ... A qui croyez-vous que nous avons affaire il A des esthètes il
l', DR PlOUK.- Décidément, je n'y suis pas.
Ii VITRIER,Sildécision prise. - C'est entendu. Ce n'est pas ...
DR PlOUK, IlU vitrier. - Taisez-vous! (A Mlle Skunle :) VITRIER.- Ne voyez-vous pas.que nous sommes tous en
Ii'
Vous disiez il train de tourner autour de quelque chose qui n'a pa de
sens il n faut lui trouver un sens, sinon il n'y a qu'à baisser
MllE SKUNK.- Si vous lui donniez une simple aspirine il
Ii
le rideau.
DR PlOUK,se redressllIIt.- Mademoiselle, je ne suis qu'un
DR PlOUK.- Et après il Je ne vois aucun inconvénient à
Il pauvre bougre, mais je ne badine pas avec les sédatifs. Non.
ce qu'on baisse le rideau sur un non-sens; c'est d'ailleun
Je ne marche pas dans ces histoires-là. Tout ce que vous
Ii ce qui arrive lé plus souvent. Enfin, je vois que pour voUs
voulez, pour vous faire plaisir, mais pas ça.
Il

Silence. la question n'est pas là. Je n'insiste donc pas. Je veux tout
Il
simplement vous répondre. Vous·voulez imposcr à ce...
VITRIER.- Je me place ...
il.
comment dirai-je ... à ce simulacre de vic une manière de
DR PlOUK. - Ce sera long?
justification, afin que soient encaissés, selon votre si jolie
VITRIER.- Moins long que vous.
expression, et celui qui la mène et ceux qu'elle désole. C'est
DR PlOUK. - Je vous donne cinq minutes.
à peu près ça il Bon. C'est ce que je fais, en mettant l'inté-
VITRIER.- Je me place à un point de vue qui ...
ressé devant la possibilité d'aller au bout de son refus de
DR PlOUK.- Un instant. Vous permettez. Quel est votre
intérêt dans cette affaire il Je ne saisis pas très bien. la façon la plus propre et la plus agréable qui soit. Car il
s'agit bien d'un refus, si j'ai bien compris.
VITRIER.- Ne vous occupez pas de ça. VITRIER.- Oui. Mais vous raisonnez comme un cochon.
j~ DR PlOUK. - Bon, bon, je vous écoute.
L DR PIouK. - C'est pour que vous me suiviez mieux.
VITRIER.- ... A un point de vue qui est loin d'être le
Voyons. Je lui offre (il se tllpOte le gilet) mon petit bonbon.
vôtre. Qu'il renaisse à la vie, comme vous le dites si joli-
il
ment, qu'il continue à croupir ici ou qu'il crève, cela m'est
n refuse. Bon. Pourquoi? Peu importe. n veut· vivre. Ça
Il' suffit. C'est un sens. Un peu vague, si vous voulez, mais
complètement indifférent, à condition que la chose soit fon-
Iii:
~i suffisant. On se dit - je me place sur votre terrain - : le
dée, comprenez-vous ?
111
110
pauvre jeune homme! Si près de succomber! muminé au Mu.E SKUNK.- Bonsoir.
dernier moment! Au bord même de l'abîme! A nouveau Mlle Skunk et le Dr Piouk sortent. Silence. Le vitrier
des nôtres! On ne demandera pas davantage, croyez-m'en. s'assied sur le lit, se prend III tête dIlns les mains. Michel sort
Ou bien il accepte. C'est-à-dire? n en a assez. Pourquoi? de l'ombre et vient se plllcer devant lui.
Aucune importance. n veut mourir. Ça suffit. C'est clair. MICHEL,tendllnt le sandwich. - Mange ta tartine, papa.
C'est lumineux. L'existence lui pèse tellement qu'il aime VITRIER,levant III tête. - Ah, oui. (Il prend le sandwich.)
mieux s'en rayer. Tout le monde comprend ça. Ce n'est Tu appelles ça une tartine? (Il sépare les deux tr(lnches.)
plus la Troisième République. Inutile d'invoquer des chan- Voilà une tartine, Michel. Et en voilà une autre. (Il les réu-
cres. Et voilà. Pas plus compliqué que ça. (A Olgll :) Vous nit.) Et voilà un sandwich. Tu as compris?
venez ? MICHEL.- Oui, papa.
VITlUER.- Vous avez une façon de simplifier les choses ! VITRIER,III bouche pleine. - Un sandwich, c'est deux tar-
DR PIOUK.- Tout aspire soit au noir, soit au blanc. La tines collées ensemble. (Silence.) Répète.
couleur, c'est la syncope. (Geste de prestidigitateur ayant MICHEL. - Un sandwich, c'est deux tartines collées
réussi un tour.) ensemble.
Mu.E SKUNK.-'Mais est-ce qu'il va revenir ici? VITRIER.- Bon. (Stlence. Le vitrier réfléchit.) Dis, Michel.
DR PIOUK.- Ici ou ailleurs, peu import~. MIŒEL. - Oui, papa.
MLLE SKUNK.- Mais il ne vous recevra pas. n ne vous VITRIER.- Tu es heureux avec moi?
écoutera pas ! n ne vous répondra pas ! MICHEL.- Qu'est-ce que c'est, heureux, papa?
DR PIOUK,Mnt. - Vous ne me connaissez pas. (pause.) VITRIER.- Quel âge as-tu ?
Pas encore. (Au vitrier:) Bonsoir. (Il emmène Mlle Skunk.) MICHEL.- Dix ans, papa.
VITlUER.- Vous viendrez demain? VITRIER.- Dix ans. (Silence.) Et tu ne sais pas ce que ça
DR PIOUK,s'a"êunt. - Le plus tôt~ra le mieux. (Il sort veut dire, heureux?
son mémento et le feuillette.) Voyons, ce soir •.. ce soir je MICHEL.- Non, papa.
suis pris ... demain ... demain ... nous avons l'enterrement ... VITRIER.- Tu sais quand il y a quelque chose qui vous
enterrement ... déjeuner .•. chez la veuve ... lecture du testa- fait plaisir. On se sent bien, n'est-ce pas ?
ment ... voyons ... demain après-midi, vers trois heures, trois MICHEL.- Oui, papa.
heures et demie. (lnsmt.) Ça vous va ? VITRIER.- Eh bien, c'est à peu près ça, heureux. (Silence.)
Mu.E SKUNK.- Et s'il n'est pas ici ? Alors, tu es heureux?
DR PIOUK.- Eh bien ... eh bien, nous verrons bien. Allez. MICHEL.- Non, papa.
(Au vitrier :) Bonsoir. VITRIER.- Et pourquoi?

112 113
MICHEL.- Je ne sais pas, papa. Silence.
VITRIER.- C'est parce que tu ne vas pas assez à l'école? VITRIER.- Tu as encore faim.
MICHEL.- Non, papa, je n'aime pas l'école.
MICHEL.- Oui, papa.
VITRIER.- Tu voudrais jouer avec tes petits camarades?
VITRIER,lui donnant le sandwich. - Tiens, mange ça.
MICHEL.- Non, papa, je n'aime pas jouer.
MICHEL,hésitant. - Mais c'est à toi, papa.
VITRIER.- Je ne suis pas méchant avec toi?
VITRIER,avec force. - Mange!
MICHEL.- Oh non, papa. Silence.
VITRIER.- Qu'est-ce que tu aimes faire?
MICHEL.- Tu n'as plus faim, papa?
MICHEL.- Je ne sais pas. VITRIER.- Non.
VITRIER.- Comment, tu ne sais pas? TI doit y avoir quel-
MICHEL.- Et pourquoi?
que chose. Silence.
MICHEL,après réflexion. - J'aime quand je suis dans le
VITRIER.- Je ne sais pas, Michel.
lit, avant de m'endormir. Silence.
VITRIER.- Et pourquoi?
MICHEL.- Je ne sais pas, papa. RIDEAU
Silence.
VITRIER.- Profites-en.
MICHEL.- Oui, papa.
Silence.
VITRIER.- Viens que je t'embrasse. (Michel avance. Le
vitrier l'embrasse.) Tu aimes quand je t'embrasse?
MICHEL.- Pas beaucoup, papa.
VITRIER.- Et pourquoi?
MICHEL.- Ça me pique, papa. 1
VITRIER.- Tu vois, tu sais pourquoi tu n'aimes pas quand
je t'embrasse. 1

MICHEL.- Oui, papa.


VITRIER.- Alors, dis pourquoi tu aimes quand tu es dans
le lit.
MICHEL,après réflexion. - Je ne sais pas, papa.

114
Lendemain. Fin de l'après-midi.
Chambre de Victor vue d'un autre angle. Côté famille Krap
mangé par la /osse.
Porle entrebâillée, vitre cassée, outils du vitrier en désor-
dre par terre.
Victor seu4 couché. Il dort. Le vitrier dans l'encadrement
de la porte.

VICTOR,dans son sommeil. - Non... non... trop haut ...


rochers ... mon corps •.• ~ ... sois brave ... brave petit ... je
suis brave ... un brave petit ... brave petit. (Silence. Il s'agite.
Plus fort :) Brasse... profondeur cinq brasses... à matée
basse ... mer basse ... profonde ... profonde, onde profonde.
(Silence. Entre le vitrier. Il f){l vers le lit.) Là les yeux ... mille
navires ... les tours ... circoncises ... feu ... feu ... (Silence.)
VITRIER.- Les tours circoncises feu feu ! Eh bien, c'est
du joli! (Il secoue Victor.) Debout, cloaque! (VÙ1or se
réveille en sursaut, se dresse, hagard.)
VICTOR,mal réveillé. - Non ... non ... demain, je... (Il voit
le vitrier.) Quoi?
VITRIER.- Quatre heures et qudques ! Quatre heures !
La journée est finie. Le soleil se couche. Votre père est en

119
terre. Et vous voilà vautré dans vos rêves lubriques! VICTOR.- Le grain de blé retrouvé dans un hypogée
Cochon! germe après trois mille ans d'un sec sommeil. (Pause.) Dit-
VICTOR.- J'ai soif. on. (Il cherche.)
VITRIER,tirant les couvertures. - Levez-vous, nom de Silence.
Dieu. Vous avez des visites. VITRIER.- Qu'est-ce que vous avez à tourner et à girer
Victor s'assied sur le bord du lit. Habillé comme la veille, comme ... comme une âme en peine ?
mais sans veston. VICTOR.- Je cherche mes chaussures.
VICTOR.- J'ai une soif terrible. (Il s'essuie la bouche.) VITRIER,'Cherchantlui auss~ après un moment. En voilà
Des visites ? une. (Ill' envoie d'un coup de pied vers Victor, qui y fou"e
VITRIER.- Heureusement que je suis passé. Ds vous le pied.) Vous pensez sortir?
auraient trouvé en train de ronfler. VICTOR,cherchant. - Et l'autre?
VICTOR.- Qui ? Qui m'aurait trouvé? VITRIER,il va fermer la porle et s)adosse contre. - Vous
VITRIER.- Ah, voilà! ne sortirez pas.
VICTOR.- Je m'en vais. (Il se lève, commence à chercher.) VICTOR.- Je l'avais hier soir.
VITRIER.- Disons : une commission rogatoire. C'est On/rappe.
aujourd'hui le troisième jour, le grand jour, où tout doit VI1l\IER.- Les voilà. (Il ouvre la porte. Entre Jacques, une
être tiré au clair. Dans une heure nous saurons à quoi nous chaussure à la m4in. Il regarde le vitrier avec étonnement,
en tenir. Qu'est-ce que vous cherchez? veut lui parler, se ravise, avance t:lansla chambre.)
VICTOR.- Le verre. JACQUES.- J'espère que je ne dérange pas, monsieur.
VITRIER.- Le verre? Ici ? Vous en avez de bonnes. VICTOR,regart:lantla chaussure. - Où avez-vous trouvé
VICTOR,cherchant. - Je l'ai vu l'autre jour. (Il regarde ça?
sous le lit, voit le verre, le ramasse, sort .sur le palier, revient JACQUES.- Dans l'escalier, monsieur. J'ai cru reconnaitre
avec le verre plein d'eau, s'assied sur le lit, vide le ve"e d'un la chaussure de monsieur. (Il tend la chaussure à Victor, qui
trait, attend, ressorl sur le palier, revient avec le verre à nou- la prend, l'examine, la laisse tomber et y fou"e le pied.)
veau plein, le vide à nouveau, en deux fois, le pose sur le lit, VITRIER.- Un larbin !
se lève, cherche.) VICTOR.- C'est vous, la visite?
VITRIER.- C'est un caveau de famille que vous avez ? Incompréhension de Jacques.
VICTOR,cherchant. - Comment? VITRIER.- N'en déplaise à monsieur, non, ce n'est pas
VITRIER.- Des gens chic comme vous, ça doit avoir un lui la visite de monsieur.
caveau de famille. JACQUES.- Monsieur attend une visite?

120 121
VICTOR. - Non. Je sors. mer tous les deux. (Silence. Victor va s'asseoir sur le lit.
JACQUES. - Monsieur est bien rentré? Emba"as de Jacques.)
VICTOR. - Je ne sais pas. (Il se remet à chercher.) JACQUES. - Monsieur est fâché? (Silence.) Je suis confus,
JACQUES. - Monsieur cherche quelque chose ? monsieur. La violence, ce n'est pas dans mes cordes, mon-
VICTOR. - Mon veston. (Jacques l'aide à chercher le ves- sieur. Je prie monsieur de m'excuser.
ton.) Je l'ai perdu. (Il va vers III porte.) VICTOR. - Mais oui, mais oui. (PIIMse.)Qu'est-ce que vous
JACQUES. - Monsieur ne va pas sortir sans veston! voulez ?
VICTOR, au vitrier. - Laissez-moi passer. JACQUES. - J'avais quelque chose à dire à monsieur.
VITRIER. - Non. (Pause.) On ne m'a pas envoyé. J'ai cru ...
VICTOR, à Jacques. - Aidez-moi à sortir. VICTOR. - Dites-le.
JACQUES. - Monsieur ne peut pas sortir? JACQUES. - Madame la mère de monsieur ...
VICTOR. - TI ne me laisse pas passer. VITRIER. - Cette cérémonie est-elle indispensable?
JACQUES, s'approchant de III porte. - Que dois-je faire, VICTOR. - TI a raison. Essayez de parler comme si vous
monsieur? étiez un être humain et comme si moi j'en étais un autre.
VICTOR. - L'obliger à me laisser passer. Si cela ne vous fait rien.
JACQUES, avançant, au vitrier. - Enlevez-vous de là. (Le JACQUES. - Monsieur, votre mère est malade. Les obsè-
vitrier le pousse avec violence. Jacques recule de quekiues pas ques sont remises.
en trébuchant, s'a"ête.) VICTOR. - D'une pierre deux coups.
VICTOR, à Jacques. - Tous les deux ensemble. JACQUES, légèrement sctlntllliisé.- Les obsèques sont pour
JACQUES, sans enthousiasme. - Comme monsieur le demain, monsieur, dernier délai.
désire. (Il avance.) VICTOR. - Alors, ce n'est pas ça.
VITRIER. - Arretez ! (Jacques s'an'ête.) Vous aimiez votre JACQUES. - J'ai pensé qu'il fallait vous prévenir, mon-
maître ? sieur. Madame est très bas.
VICTOR. - Ne l'écoutez pas. Allons, ensemble. VICTOR. - C'est tout?
VITRIER. - TI aimait son fils ? JACQUES. - Non, monsieur. Le docteur Piouk a eu une
JACQUES, voulllnt contenter tout le monde. - Est-ce que crise pendant la nuit. TI est alité.
cela vous regarde? VITRIER. - Merde!
VICTOR, mollement. - Allez. Un, deux ... VICTOR. - Le docteur qui ?
VITRIER, à Jacques, avec force. - TI doit rester ici. Pour JACQUES. - Le docteur Piouk, monsieur, le mari de
son bien. (Pause.) D'ailleurs, je n'hésiterai pas à vous assom- madame votre tante, monsieur.

122 123
VICTOR.- Le mari de ma tante? VITRIER.- Comprenez-moi bien. Je ne demande qu'une
VITRIER.- Mais oui, le mari de votre tante. (A Jacques :) chose, que vous preniez figure. La moindre lueur de sens,
Qu'est-ce qu'il a? de quoi faire dire aux gens : «Ah, c'est ça, maintenant je
JACQUES.- Je ne sais pas exactement. commence à comprendre ., et je disparais.
VITRIER.- C'est grave? VICTOR,à Jacques. - Continuez.
JACQUES.- Je crois que c'est assez grave. JACQUES.- Je ne sais pas trop comment dire. Je voulais
VICTOR.- Et c'est pour ça que vous êtes venu? Pour me seulement que vous sachiez ...
dire que ma mère est très bas et que le mari de ma tante, VITRIER.- Sussiez.
que je croyais vierge, a eu une crise pendant la nuit? JACQUES.- Combien nous avons été touchés, Marie et
VITRIER.- Mais il est causant, aujourd'hui ! moi, par ce que vous nous avez dit. On aurait voulu vous
JACQUES.- J'ai pensé qu'il fallait que monsieur sache ... le dire hier soir, mais vous êtes parti si brusquement.
VITRIER.- Hé !
VITRIER.- Patience, patience.
JACQUES.- ... Que vous sachiez dans qud état se trouve JACQUES.- Nous nous étions si souvent demandé ce qui
la famille, à la veille des obsèques. s'était passé, pourquoi vous ne veniez jamais à la maison.
VITRIER.- TI s'en fout complètement. Ça nous faisait de la peine de voir monsieur si triste. On
JACQUES.- Et puis, je voulais m'assurer que monsieur ... ne voulait pas penser de mal de vous, vous aviez été si bon
que vous étiez bien rentré hier soir, et puis vous dire pour nous, et pourtant il y avait des fois que ... Alors, ça
combien nous avons été contents, Marie et moi, de vos nous a fait qudque chose quand VOUS nous avez expliqué.
paroles. VITRIER.- Expliqué? Qu'est-ce qu'il a expliqué?
VITRIER.- Paroles? TI a parolé ? JACQUES,ba/ouillant. - Eh bien ... il nous a expliqué ... il
JACQUES.- Je suis peut-être impertinent, mais cda n'a nous a dit pourquoi... pourquoi il ne pouvait faire autre- .
jamais été la même maison depuis votre départ, monsieur ment.
Victor. On ne nous disait rien, naturellement, mais nous en VITRIER.- TI vous a expliqué ça ?
savions assez pour nous faire une idée de la vie que vous JACQUES.- Oui.
meniez. (Regard circulaire.) Une faible idée. Nous ... je ne VITRIER.- Et vous avez compris? (Emb"rras de Jacques.)
vous ennuie pas, monsieur? (Silence.) Je vous ennuie, je le Vous n'avez rien compris du tout.
savais.
JACQUES.- C'est-à-dire ...
VITRIER.- Cela ne fait rien. Continuez. VITRIER.- Vous vous rappdez ce qu'il a dit?
JACQUES.- Je peux continuer, monsieur?
VICTOR,au vitrier. - Vous me laisserez passer?
" .
JACQUES. - Nous avons compris que c'était sérieux, que
ce n était pas ...
124 12'
VITRIER.- Je vous demande de me citer une phrase, une VICTOR.- Je ne comprends pas.
VITRIER.- C'est un valet.
seule phrase. (Silence.) C'est formidable, non seulement il
ne veut s'expliquer que dans les coulisses, mais il lui faut VICTOR.- Mais je le connais.
des imbéciles par-dessus le marché. VITRIER.- TI se dérange exprès pour vous remercier des
JACQUES.- C'était clair sur le moment. Ce n'est pas une révélations que vous avez eu la bonté de lui faire hier soir,
chose qu'on peut raconter. C'est un peu comme la musi- à lui et à une nommée Marie. Ça, vous l'avez compris ?
que. VICTOR.- Des révélations? (A Jacques :) Je vous ai fait
des révélations?
VITRIER.- La musique! (Il va et vient devant 14porte.)
Que de crimes ! Que de crimes ! (Il s'arrête.) La musique! VITRIER.- Appelez ça comme vous voudrez. Qu'est-ce
Je vois ça d'ici. La vie, la mort, la liberté, tout le tremble- que vous lui avez dit ?
ment, et les petits rires désabusés pour montrer qu'on n'est VICTOR.- Mais ... je ne me rappelle pas exactement.
C'était sans intérêt.
pas dupe des grands mots et les silences sans fond et les
gestes de paralysé pour indiquer que ce n'est pas ça, oh VITRIER.- De la musique sans intérêt. Vous étiez tous
non, on dit ça mais ce n'est pas ça, c'est autre chose, tout saouls, je vous dis.
à fait autre chose, que voulez-vous, le langage n'est pas fait JACQUES.- Je vous assure que ...
pour exprimer ces choses-là. Alors taisons-nous, de la VITRIER.- Vous ne connaissez pas ces natures exception-
pudeur, de la pudeur, bonsoir, allons nous coucher, insen- nelles. A la vue d'un bouchon, elles roulent par terre. Vous
sés qui avons osé parler d'autre chose que du ravitaillement. n'allez pas me faire croire qu'il a pu affronter la dépouille
Ah, je l'entends, votre musique. Vous étiez tous saouls, de son papa sans l'aide d'un stimulant.
naturellement. VICTOR.- Ne vous occupez pas de mon père.
JACQUES.- Saouls? VITRIER,se /rottant les mains. - Ah, c' est par là que nous
l'aurons!
VITRIER.- TI parle. C'est de la musique. Vous l'écoutez.
SPECTATEUR, Jebo"t d4ns une avant-scène. - Arrêtez! (Il
Vous comprenez. Vous ne comprenez plus. TI perd ses
chaussures. TI perd son veston. A quatre heures de l'après- enjambe avec raideur le bord Je 14 loge et descend priÇ#lu-
midi, il ronfle encore. TI délire. Les tours ... circoncises ... tionneusement sur 14scène. Il avance vers le lit.) Je m'excuse
feu ... feu. Vous venez voir s'il est bien rentré. C'est clair. de cette intrusion.
(A Victor:) Je parie que vous ne vous rappelez pas un mot VITRIER.- On vous délègue?
de ce que vous avez dit. SPECTATEUR. - Non, pas précisément. Mais j'ai été au
VICTOR.- Comment? Je peux sortir maintenant? bar, au foyer, et j'ai causé avec des parents, des amis. Je
VITRIER.- Vous voyez cet individu? suis même tombé sur un critique, au premier entracte.

127
126
VITRIER.- TI arrivait, ou il s'en allait? dernière fois, est-ce que vous restez ou est-ce que vous par-
SPECTATEUR. - TI s'en allait. tez?
VITRIER.- En somme, vous avez pris le vent. VICTOR.- Comment?
SPECTATEUR. - Voilà. MME KARL, avec violence. - Je vous demande si vous
VITRIER.- Et c'est lui qui vous amène. restez ou si vous partez. l'en ai ma claque, moi.
SPECTATEUR. - Si vous voulez. Mais au fond je n'avais VITRIER.- Vous n'êtes pas III seule.
qu'à m'écouter. Car je ne suis pas un, mais mille specta- VICTOR.- Si je reste ou si je pars. (1l réfléchit.) Vous
teurs, tous légèrement différents les uns des autres. l'ai tou- voulez savoir si je reste ou si je pars ?
jours été comme ça, comme un vieux buvard, d'une poro- VITRIER.- Mais non, vous n'avez pas compris. Elle veut ...
sité extrêmement variable. MME KAJu.., au vitrier. - La ferme! (A VictOf':) Hier vous
VITRIER.- Vous ne devez pas vous embêter. pattieZ', puis vous ne partiez plus, ce matin vous partiez
SPECTATEUR, avec sérieux. - Eh bien, si, cela m'arrive. encore et vous voilà toujours là. Vous avez la note. Payez-
VITRIER.- Et vous avez toujours été comme ça, comme moi et fichez-moi le camp. l'ai deux types sur la chambre.
un vieux buvard? VICTOR.- Vous ne pouvez pas me chasser comme~.
SPECTATEUR. - Monsieur, quand j'étais bébé, ma mère MME KARL.- Vous chasser! C'est vous qui demandez à
me refusait quelquefois le sein, estimant sans doute que j'en partir !
abusais. Eh bien, je la comprenais ! VICTOR.- Je crois que je me suis trompé.
Entre Mme Karl. VITRIER.- Et puis, qu'est-ce que c'est, ces manières ?
MME KARL.- l'en ai assez. Vous ne voyez pas que nous sommes en conférence? C'est
VITRIER.- Moi aussi. un moment historique et VOUS ~ nous assommer avec
MME KARL,avançant vers le lit, à Victor. - Pour la der ... vos histoires de garni.
(Elle voit le spectateur.) Qui c'est, celui-là ? MME KARL.- Je m'en balance, de vos conférences.
VITRIER.- C'est le commissaire du peuple. VICTOR.- Ecoutez, madame Karl, je vais sottie tout à
MME KARL.- Je ne l'ai pas vu passer. l'heure ... (Il s'en va dans une rêverie.)
VITRIER.- TI est passé par le toit. MME KARL.- Je me ...
MME KARL, au vitrier. - Vous ne vous croyez pas un VITRIER.- Chut! TI médite.
morceau, vous? Silence.
VITRIER.- Un morceau? Un morceau de quoi, madame? VICTOR.- Je vais sortir prendre l'air.
Quelle est cette nouvelle insinuation? VITRIER.- Quelle poésie! Quelle profondeur!
MME KARL.- Ah! (Geste de dégoût. A Victor:) Pour la VICTOR.- Je vous dirai en passant ce que j'aurai décidé.

128 129
MMEKAItL.- Et puis vous me direz en rentrant que vous SPECTATEUR, avec véhémence. - Asseyez-vous! (Jacques
avez changé d'avis. et le vitrier, celui-ci avec un feint empressement, s'asseyent
VICTOR.- Non, madame Karl, ce sera une décision sur le lit, de part et d'autre de Victor qui s'est affaissé sur le
ferme, je vous le promets. coude et que le vitrier remet brusquement droit. Le speet4teur
MME KARL.- Parce que, moi, j'en ai assez. se retourne vers la loge.) Passe.moi une chaise, Maurice.
VITRIER.- Et moi, alors ? (On lui passe une chaise.) Et mon manteau. (On lui passe
MMEKARL.- Jusque--là. (Elle indique le niveau. Elle sort.) son manteau. Il apporte la chaise devant le lit, met son man-
Silence. teau, s'assied. croise les jambes, passe la main dans ses rares
SPECTATEUR. - Cette femme a raison. (Pause.) Qu'est-ce cheveux, se relève, retourne sous la loge.) Et mon chapeau.
que je disais ? Ah oui, ma mère, oui ... (On lui passe son chapeau, il le met et revient s'asseoir.)
VOIXDELALOGE.- Assez bavardé! Au fait! VITRIER.- J'ai oublié mon bloc-notes.
VITRIER.- Evidemment, il vaut mieux que ce soit vous SPECTATEUR. - Je serai bref. Ne m'interrompez que si
que des œufs pourris. vous êtes certain de pouvoir faire de l'esprit. Nous en avons
SPECTATEUR. - Je ne promets rien! (Tire sa montre.) Dix été un peu privés jusqu'à présent. (Il s'éclaircit la voix.)
heures et demie. C'est·à-dire une heure et demie que ça Voilà. J'essaierai de rester convenable. Cette farce a..• Mais
dure. (Il rentre sa montre. A Victor :) Vous vous rendez j'oubliais. Avant de commencer, (au vitrier :) où est votre
compte? fils, aujourd'hui ?
VICTOR.- Comment? VITRIER.,- n est malade.
VITRIER.- N'envenimez pas les choses. SPECTATEUR. - Voilà une réponse digne de ce spectacle.
SPECTATEUR. - Vous avez raison. J'essaierai de rester Je ne vous demande pas comment il va, je vous demande
OÙ IL EST.
calme. Et de faire vite. Car le temps (il tire sa montre)
presse. (Il rentre sa montre.) Asseyez-vous. VITRIER.- n est à la maÎ$on, au lit.
SPECTATEUR. - Et la mère?
VITRIER.- Asseyons-nous?
SPECTATEUR. - Mais oui. Nous en avons tous marre de VITRIER,menaçant. - Ne vous occupez pas de la mère.
vous voir flotter comme des feuilles, dans le vide. SPECTATEUR. - Bon, bon, c'est tout ce que nous voulions
VITRIER.- Mais où ? savoir.
SPECTATEUR. - Par terre, sur le lit, où vous voulez ! VITRIER.- Heureusement pour vous.
VITRIER,à Jacques. - Eh bien, mon ami, qu'en dites- SPECTATEUR. - Bon. Cette farce ... (il se racle à nouveau
vous? la gorge, mais cette /ois-ci. au lieu d'avaler le résultat, il
JACQUES.- Je dois m'en aller. l'expulse dans son mouchoir) cette farce a assez duré.

130 131

M
VITRIER.- Mes propres paroles. ns ne supportent pas plus d'un coup de pied par pièce. Ce
SPECTATEUR. - Je dis farce à dessein, dans l'espoir de n'est pas comme les cocus.
vous couvrir. C'est ce que font nos meilleurs auteurs, inti- VITRIER.- Dites ce que vous avez à dire et fiQissons-
tulant ainsi leurs ouvrages les plus sérieux au cas où l'on en.
ne saurait les prendre au sérieux. SPECTATEUR. - Je constate une chose. Je ne suis pas parti.
VOIXDELALOGE.- Assez déconné. Au fait, au fait. Pourquoi? Par curiosité? Si vous voulez. Car je suis en
SPECTATEUR. - C'est curieux. A peine parmi vous, sur le partie vil, par définition. Pour voir si vous allez pouvoir le
plateau, que je commence à perdre mes moyens. (Pause.) faire parler? Si vous voulez. Pour assister à votre absurde
P.outtant considérables. (pause.) Tout devient flou, vague, scène du poison? Je l'avoue, je suis aussi bien Margot que
et je n'y vois plus clair. (Met la ",ain devtmJ les yeux.) Je le monsieur à qui on ne la fait pas. Et puis la femme de mon
ne sais même plus ce que je disais. ami n'est libre qu'à partir de onze heures et il fait quand
VOIXDELALOGE.- La farce, la farce. Asse:r.duré. même ua 'Peu plus chaud ici qu~au café. (Il frissonne,
Le souffleur sort de son trou, monte sur la scène, son texte remonte le col de son manteau.) Mais tout ça, c'est peu de
à la main. chose. Non, si je suis toujours là, c'est qu'il y a dans cette
SoUFFLEUR.- Assez ! Fini! vous ne suivez pas le texte. histoire quelque chose qui me paralyse littéralement et me
Vous me dégoûtez. Bonsoir. (Il sort.) remplit de stupeur. Comment vous expliquer ça? Vous
VITIUER.- Le texte! Le texte! Laissez-nous le texte! jouez aux échecs? Non. ~ ne fait rien. C' •. Q)IIUDe
(Entre le texte par la voie des airs. Il s'écrase au sol.) Nous lorsqu'on assiste à une partie d'échecs,entre jouews de der-
voilà beaux 1 ,nière catégorie. TI ya trois qlW1S d'heure qu'ils, n'ont pas
SPECTATEUR. - Je vais faire un dernier effort. touché à une pièce; ils·sont là comme deux couillons à bâil-
VITRIER.- Minute! (A Jacques et Victor :) Qu'est-ce que ler sur l'échiquier, et vous aussi vous êtes là, encore plus
vous avez à marmonner comme ça ? (Ils se taisent. Au spec- couillon qu'eux, cloué sur place, dégoûté, ennuyé, fatigué,
tateur :) Que voulez-vous qu'on fasse avec un type comme émerveillé par tant de bêtise. Jusqu'au moment où vous n'y
ça? tenez plus. Alors, vous' leur dites, mais faites ça, faites ça,
SPECTATEUR. - Je m'en vais vous le dire. Maintenant, ça qu'est-ce que vous attendez? Faites ça et c'est fini, nous
me revient. Cette farce ... pourrons aller nous, coucher. C'est inexcusable,' c'est
VITRIER.- Mais vous n'avez pas besoin de répéter la contraire au savoir-faire le plus élémentaire, vous ne les
même chose dix fois. Vous n'êtes plus aux toilettes avec les connaissez même pas, lcs.types,.mais c'est plus fort que vous,
critiques. Après, après ! c'est ou ça ou une crise de nerfs. Voilà à peu près ce qui
SPECTATEUR. - Vous avez tort de revenir sm lescririques. m'arrive. MutatiS.mutandis, bien sûr. Vous mesai&iSleZ?

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VITRIER.- Non. Nous ne jouons pas aux échecs.
force. A Victor :) Salaud! (Il lève 14 main. Victor se fait
SPECTATEUR. - C'est cette histoire de valet qui nous a petit.)
achevés. Votre comique, comment vous l'appelez ?... (il
SPECTATEUR. - Oh là là là là ! Pas comme ça ! Pas comme
consulte son programme) Victor, il fait semblant de vouloir ça!
nous parler et puis c'est dans les coulisses qu'il va raconter VITRIER.- Je vous donne la parole une dernière fois. Puis
ses petites histoires à un crétin de larbin. Non, non, il y a
des limites. je vous flanque dans la fosse, à coups de pied dans le cul,
dans vos mille culs. Avec joie! Avec joie!
VITRIER,à Jacques. - Vous supportez qu'on vous traite
SPECTATEUR. - Ce serait déchainer l'orage.
de cette façon ?
VITRIER.- Eh bien, je le déchaînerai, l'orage. Ça vaudra
JACQUES.- TI vous faut un valet. Souffrez qu'il en ait toujours mieux que vos bêlements de ... d'abonné! (Il se
l'âme.
penche avec rage sur Victor et le secoue.) Vermine! Fumier !
VITRIER.- Paf! (Il se couvre l'œil.)
Veux-tu parler, à la fin! Parle! (Il le lkhe tout à coup,
SPECTATEUR. - Une telle inconscience ...
s'effondre sur. le lit.) Victor! (Il se prend 14 tête J.ns les
VITRIER.- Vous êtes fatigant à la fin, vraiment vous mains.)
êtes fatigant. Vous ne comprenez rien à l'affaire. Vous
SPECTATEUR, il regagne sa chaise, s'appuie au dossier du
arrivez tout frétillant et pétillant, les poches bourrées de
bout des doigts, J.ns une attitude élégante. - Je serai bref.
solutions. Mais lesquelles? Voilà dix minutes que vous Je distingue, dans ce charivari, deux attitudes qui 5'affron-
nous tenez la jambe et on les attend toujours. A part tent. Je les distingue mal, mais je les distingue. D'abord
votre histoire d'échecs, qui ne tient pas debout, vous (au vitrier :) la vôtre, dont je ne saurais dire si elle est
n'avez encore rien dit que je n'aie déjà dit cent fois moi-
morale, esthétique, intellectuelle ou si elle ne découle pas
même, et beaucoup mieux. Vous nous dérangez, c'est tout simplement d'une sorte de sensiblerie taylorisante,
tout. Vous croyez qu'il va se confier à vous? Mais non, tant vos··références sont vagues et enchevêtrées. Et puis
vous lui êtes odieux, un emmmerdeur de plus, voilà tout. celle, beaucoup plus simple, du docteur ... (il consulte son
(Il se lève, soudmn furieux.) Mais qu'est-ce que vous venez programme) docteur Pioule, qui semble croire, daM la
faire ici? Juste quand j'étais en train de lui tirer les vers mesure où il sait le français, qu'on se détourne de la dou-
du nez! Juste quand tout allait s'arranger! (Il avance.) leur aussi nécessairement et, soyons juste, avec autant
Foutez·nous le camp d'ici! Foutez-nous le camp! (Il se d'aveuglement que le papillon des ténèbres. Je dis s'affron·
retourne au bruit de Victor qui se lève et s'él4nce mal4- tent, mais elles ne s'affrontent même pas. Enoncées avec
droitement vers 14 porte. Le vitrier se précipite, rattrape vague, avec lassitude, elles coexistent, si l'on peut appeler
Victor, lui assène une gifle, le ramène au lit, l'assied de ça exister, bonnet blanc et blanc bonnet, tellement on s'en
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fout. Et c'est avec ça que.:vous- avez la prétention de faire le début. Voyons les choses comme elles sont. Vous vou-
de ce malheureux ... (programme) ce malheureux Victor lez...
une figure de comédie. (Il s'essuie le front.) Mais tout ça, VITRIER.- Voyons les choses comme elles sont! Mais
ce n'est encore rien. Ce qui est terrible, c'est que vous d'où sortez-vous? De la Canebière?
frôlez tout le temps quelque chose, oh, je ne dis pas SPECTATEUR. - Vous voulez qu'il parle, oui ou non?
d'important, mais qui pourrait quand même nous faire VITRIER.- Tiens! C'est une idée. Je n'avais pas songé à
passer une soirée potable. Ça frôle, ça frôle, et ça ne tou- cela.
dre: jamais, c'est affreux. (Pause.) Au fait, qùi a fait ce SPECTATEUR. - Qu'il nous dise un peu ce qu'il a dit à
navet? (programme) Beckett (il dit :« lJiquet ») Samuel,. cette espèce de mélomane. Qu'est-ce que vous pensez de
Béquet, Béquet, ça doit être un juif groenlandais mâtiné ça?
d'Auvergnat. VITRIER.- Mais c'est une idée de génie. (Il se tourne
VITRIER.- Connais pas. Paraît qu'il mange sa soupe avec poliment vers Victor, en levant Jon béret.) Pardon, mon-
une fourchette. sieur. (Il lui tapote l'épaule.) Pardon, monsieur, excusez-
SPECfATEUR. - Peu importe. Au pilon. Non mais, sérieu- moi d'interrompre votre conversation, mais, si vous pou-
sement, ça aurait pu être quelque chose. Vous voyez ça viez nous résumer vos déclarations· d'hier soir, faites en
dans des esprits nets, des bouches fraîches, les deux vies, coulisse sous l'empire de l'alcool, vous nous rendriez un
les deux principes, la foi et le plaisir, la foi en n'importe- fier selVÎce. (Attitude de plus en plus humble et câline.) Un
quoi et le moindre déplaisir, et le malheureux qui l)e veut rude selVÎce !
ni de l'un ni de l'autre et qui s'esquinte à chercher autre SPECfATEUR.- Vous vous y prenez comme un con.
chose. Là alors, on aurait bien rigolé. Mais va te faire VITRIER,tombant à genoux, joignant les mains. - Mon-
fourre. sieur! Monsieur! Je vous en supplie! Pitié, pitié pour ceux
VITRIER.- Vous aimez les situations franches et nettes, qui rampent dans les ténèbres. (Il prête l'oreille avec osten-
dérisoires et désopilantes. tation.) Silence! On dirait l'espace de Pascal. (Il lé /;ve
SPECTATEUR. - Et vous, alors ? avec découragement, époussette les genoux de son pantalon.
VITRIER.- Oh moi, vous savez, moi je ne demande plus Au spectateur:) Vous voyez. (Il réfléchit,) Je m'en vais. Vous
grand-chose. Mes exigences fondent à vue d'œil. Le moin- me remplacez, n'est-ce pas? Auprès de lui, auprès (geste
dre bec de gaz, juste de quoi faire admirer le brouillard, et vers le public) d'eux. Merci à l'avance.
je retournerai content au néant. SPECTATEUR. - Mais vous êtes fou! Est-ce possible que
SPECTATEUR.· -- Ecoutez. Ne parlons plus de ce qui n'est vous ayez oublié? Ou que vous n'ayez pas remarqué? Une
pas et ne peut vas être, à moins de tout reprendre depuis chose qui saute aux yeux !

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VlTlUEll - Je rentre chez moi, à Crèvecœur-sur-Auge. MME.PIOUK.- Mais oui. TI est très malade. TI devait rester
Bonsoir à tous. (Il s'en va.) au lit, avec des vessies de glace sur ·le front et sur le... le
SPECTATEUR, avec une telle /o1'Cequ'il en tousse. - TI a ventre. Je suis sortie de la chambre un instant (elle se ttwtJ
peur de la douleur! (Le vitrier se retoume. Quintes.) C'est les 11IIIÎm), malheureuse que je suis, mais je ne pouvlis faire
à vous-même qu'il l' a dit ! Imbécile ! La seule affirmation autrement, et, quand j'y suis retournée, il n'était plus là!
qui lui ait échappé. TI s'était sauvé! A moitié déshabillé! Sans chapeau! (Sa-
VITRIER.- Vous exagérez. glots.) André! Sans chapeau! Je savais qu'il devait venir
SPECTATEUR. - Son unique erreur - et vous n'en profitez ici cet après-midi. Alors j'ai pris un taxi. Et il n'est pas là !
pas ! (Il tousse éperdument.) VITRIER.- Quelle famille!
VITRIER.- Vous avez avalé de travers? SPECTATEUR, poliment. - Mais vous l'avez sans doute tout
SPECTATEUR, se ClJl11l4nt. - Vous me direz que cela ne simplement devancé, madame. Attendez un petit moment.
sert plus à rien, qu'il est trop tard, que la partie est perdue. TI ne tardera pas.
C'est possible. Ça ne fait rien. TI ne vous reste plus que ça, MME PIOUK. - Mais il ne sait plus ce qu'il fait! C'est
au point où vous en êtes. Vous direz que ce qu'on dit sous terrible!
la c;ontrainte n'a aucune valeur de témoignage. Mais si, mais SPECTATEUR, choqué. - TI ne sait plus ce qu'il fait?
si, quoi qu'on dise on se trahit. VITRIER.- Vous avez été chez votre sœur, madame?
Entre Mme Pioult, précipilllmment. MME.PIOUK.- Violette? Non. Pourquoi ? VOUs'croyez
MME PIOUK. - André! André! (jtU:qUesse lève.) Mon qu'il a pu y aller ?
mari. Vous n'.vez pas vu mon mari? VlTlUEll - Du moment qu'il ne sait pas ce qu'il fait.
VITRIER,(lUspectateur. - Vous n'avez pas vu son mari? (Pause.) TI a peut-être voulu prendre de ses nouvelles.
Non? Moi non plus. (Il regarde sous le lit.) TI n'est pas ici, MME.PIOUK.- Mais il ne saVlÎt même pas ... si, ll·S4vait
madame. qu'elle était malade. Je le lui ai dit hier soir. Mais il. dû
MME FlOUK.- TI n'est pas venu? l'oublier. TI avait tout oublié. TI ne me reconnaissait plus.
SPECTATEUR. - Mais non, madame. Nous l'attendions, SPECTATEUR. - S'il a tout oublié, il y a peu de chances
avec une certaine impatience même, puis on nous a dit qu'il qu'il vienne ici. Réfléchissez un peu, chère madame.
avait eu une crise pendant la nuit. De foie, sans doute? MME.PIOUK.- Mais il a pu tout se rappeler: tout d'un
Enfin, peu importe. Une crise quelconque. Pendant la nuit. coup. (Rire hystérique du vitrier. Il titi et vient IV« Us~sm
Alors, nous en avons conclu qu'il ne serait pas au rendez- désordonnés.) Que faire ?
vous. (Au vitrier :) N'est-ce pas ? Ce passage s'achève brusq"ement, com,. ~ ptW un
VITRIER.- J'ai fait le même raisonnement exactement. sentiment de latigue et de laMté. Silnu:e. Gest~s 4'.is-
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sance, d'indifférence, haussements d'épaule. Même Jacques VITRIER.- Alors ?
qui Il failli dire « Si madame alertait la police? » lève les bras SPECTATEUR. - Vous allez voir. (Il se tourne vers la /oge.)
el les laisse retomber avec mollesse. Accablement de Tchoutchi! Amène-toi. (Tchoutchi descend sur la sœne,
Mme Piouk. Elle va à la porte, hésite, se retourne, veut par- avance avec un large sourire orient41.) Tu as compris. (Dila-
ler, se ravise, sort. Pressentiment que la pièce tout entière tation du sourire.) Tu as la pince? (Tchoutchi exhibe la
pourrait s'achever de la même façon. pince. Au vitrier :) Expliquez-lui.
JACQUES.- Laissez-moi partir. VITRIER.- Victor! (Il le secoue.) n faut que vous parliez,
VITRIER,au spectateur. - On n'a plus besoin de lui ? à présent.
SPECTATEUR. - Pas moi. VICTOR.- Comment?
VITRIER,à Jacques. - Alors, vous pouvez disposer. VITRIER.- n faut que vous vous expliquiez.
JACQUES,à Victor. - Monsieur ne désire rien ? VICTOR.- Expliquer quoi? Je ne comprends pas. Allez-
VITRIER.- Allez, allez, allez. Monsieur est sans désirs. vous-en.
Filez.
Sur un geste du spectateur, Tchoutchi avance.
Jacques hésite, -regarde Victor avec tristesse, lève les bras, VITRIER,au spectateur. - n est tBoiste ?
sort. SPECTATEUR. - Acharné.
SPECTATEUR. - Allons. Un dernier effort. VITRIER.- Me! (Tchoutchi avance.) Victor! Révèillez-
VITRIER.- Vous croyez ? vous! Cette fois, c'est sérieux. On va vous arracher les
VICTOR.- J'ai soif. ongles. (A Tchoutchi:) N'est-ce pas?
SPECTATEUR. - Qu'est-ce qu'il dit? TCHOUTClll.- Qllelqlles llionglles d'llabord.
VITRIER.- Qu'il a soif. (Pause.) Je ne sais plus où nous VITRIER,Ii Victor. - Vous entendez? Quelques ongles
en étions. Toutes ces interruptions. d'abord.
SPECTATEUR. - n craint la douleur.
Victor lève la tête, voit le Chinois, le sourire, la pince,
VITRIER.- Ah oui. Peut-être qu'il mentait. recule avec épouvante.
SPECTATEUR. - Nous allons voir.
SPECTATEUR. - n a compris.
VITRIER.- On ne peut pas le martyriser. VITRIER,il maintient Victor solidement. - Parlez !
SPECTATEUR. - Pourquoi pas? Tchoutchi avance.
VITRIER.- Cela ne se fait pas. VICTOR,affolé. - Quoi? Parler de quoi ? Je ne sais pas
SPECTATEUR. - Depuis quand? parler! Qu'est-ce que vous me voulez? Assassins!
VITRIER.- Je ne pourrais pas. SPECTATEUR, au vitrier. - Posez-lui des questions.
SPECTATEUR. - Moi non plus. VITRIER.- Répétez ce que vous avez dit à Jacques.
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VICTOR.- Mais je ne lui ai rien dit ! Je ne sais plus! VICTOR.- Ça sera ennuyeux.
J'oublie! Qu'est-ce que vous avez tous contre moi? Je ne VITRIER.- Ça, c'est plus grave.
vous ai rien fait! Laissez-moi! VICTOR.- C'est vous qui l'aurez voulu.
SPECTATEUR. - C'est vague. Enfin, ça commence à couler.
(A Tchoutchi:) Au fait, tu as le cathéter?
l! VITRIER.- Tout à fait juste. (Silence.) Attention ! TI va se
lancer.
Tchoutchi sort une broche de sa poche et l'exhibe. Sourire. VICTOR.- Quand j'étais petit ...
VITRIER.- C'est vrai qu'il ne nous a rien fait. SPECTATEUR. - De grâce, pas d'historique, notre temps
SPECTATEUR. - Sa faute est de ne pas avoir su se cacher. est mesuré. Tenez-vous-en à la question.
Posez-lui des questions. VITRIER.- Victor interrompu ! On aura tout vu !
VITRIER.- Pourquoi avez-vous quitté votre famille? VICTOR.- Vous trouvez sordide et incompréhensible ma
votre fiancée? vos plaisirs? vos travaux? Pourquoi menez- façon de vivre. TI serait naturd que vous vous en détourniez
vous cette vie? Qud est votre but? Quelles sont vos inten- avec dégoût. Mais qu'est -ce que vous faites? Vous vous pen-
tions? chez dessus, inlassablement. Vous ne pouvez plus vous en
VICTOR.- Je ne sais pas, je ne sais pas. détacher. Vous tournez sans cesse autour. Rien ne vous
SPECTATEUR. - Vous lui en posez trop à la fois. décourage. Et quand la nuit nous sépare, vous pensez à moi.
VITRIER.- Pourquoi menez-vous cette vie? Non, ce n'est SPECTATEUR.- C'est que vous êtes tombé dans le
pas ça. D'abord, quelle est cette vie que vous menez, depuis domaine public.
plus de deux ans? Qud ... VICTOR.- Je vous obsède. Pourquoi? Interrogez-vous.
SPECTATEUR.- Ça suffit. Tchoutchi. (Lui fait signe Ce n'est pas moi qu'il faut interroger, c'est vous-mêmes.
d'avancer. Tchoutchi avance. Le spectateur aussi. Ils s'a"ê- VITRIER.- C'est vrai qu'il ne sait pas parler.
tent devant Victor.) Vous avez entendu la question? Quelle VICTOR.- Ma famille, ma fiancée, mes amis, il est peut-
est cette vie que vous menez? (Effets de pince.) être normal, ce qu'on appelle normal, qu'ils s'acharnent sur
VITRIER.- Dites vite qudque chose! N'importe quoi. moi. Mais vous? Vous êtes des étrangers. Je ne vous connais
Nous vous aiderons. pas. Qu'est-ce que cda peut vous faire, comment je vis?
VICTOR.- Je vais essayer. Et vous n'êtes pas les premiers. Depuis que je vis ainsi,
VITRIER.- Bravo! (Au spectateur et à Tchoutchi:) Eloi- depuis deux ans vous dites, je suis la proie d'inconnus.
gnez-vous! Donnez-lui de l'air. (Le spectateur et Tchoutchi VITRIER.- Les gens voudraient comprendre. Vous les
reculent.) provoquez.
VICTOR.- Ça ne sera pas la vérité. VICTOR. - Mais pourquoi cette soudaine fureur de
VITRIER.- Aucune importance. comprendre quand il s'agit d'une vie comme la mienne?

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Vous passez tous les jours devant des mystères sans nombre, VITRIER.- Vous avancez de six heures.
tranquilles et indifférents. Et devant moi vous vous arrêtez, SPECTATEUR. - Trêve d'histoires. On lui pose une ques-
saisis, affamés de conscience, bassement curieux, acharnés à tion claire et nette : quelle est cette vie que vous menez ?
y voir clair. (Silence.) Jaloux! (Silence.) Les saints, les fous, Et il répond par cette avalanche d'absurdités sur notre vie
les martyrs, les suppliciés, ça ne vous trouble pas, c'est dans à nous et sur celle des aliénés. Qu'il réponde à la question,
l'ordre des choses. Ce sont des étrangers, vous ne serez jamais sinon j'emploie les grands moyens.
de leur compagnie, du moins vous l'espérez. Vousneles jalou- VITRIER,au spectateur. - Tout à l'heure, je vous casserai
sez pas. Vous vous en détournez. Vous ne voulez pas y penser. la gueule.
lis vous remplissent d'horreur et de pitié. (Silence.) Devant VICTOR.- La vie que je mène? C'est celle de celui qui
la solution qui n'est pas celle de la mort, vous êtes remplis ne veut pas de la vôtre - oh, je ne parle pas de la vôtre
d'horreur et de pitié! D'aise aussi. Vous êtes tranquilles. Pas personnellement, personne ne voudrait de ça, mais de la
la peine de vous casser la tête. Ça ne vous regarde pas. S'ils vie qui est la vôtre dans le sens qu'entre vous et ce qu'on
sont loin de votre misère, ces gens-là, dans une autre misère appelle les véritablement vivants il n'y a qu'une différence
peut-être, mais une misère inconcevable, ils ont bien payé le de degré. Mais, que ce soit cette vie supérieure, ou la vôtre,
prix. Alors, rien à redire. La comptabilité est sauve. ou les autres, je n'en veux pas; car je me suis mis dans
VlTRIER.- Quelle tartine! la tête qu'il s'agit toujours de la même corvée, à tous les
VICTOR.- Je peux me taire, maintenant? échelons.
SPECTATEUR. - Vous taire! Mais vous n'avez encore rien SPECTATEUR. - Mais vous vivez. Vous ne pouvez le nier.
dit d'utile. Sortez un peu de vos généralités, je vous en prie. En quoi votre vie est-elle différente de la nôtre? n y a une
e est votre cas qui nous préoccupe, pas celui du genre
humain.
différence en apparence. Mais au fond?
VICTOR.- Vous trouvez vraiment que je vis ? Vous vous
VICTOR.- Mais ils sont solidaires. abaissez à vous comparer à moi? Avec le dernier des gueux
SPECTATEUR. - Comment? Balivernes! Et puis, parlez vous pouvez vous sentir en parenté, mais pas avec moi.
un peu plus fort, on ne vous entend pas. (Silence.) Dépê- Vous acharneriez-vous à me comprendre, à me justifier, à
chez-vous ! me faire intégrer, si vous me sentiez au fond votre sembla-
VITRIER.- Donnez-lui le temps. La foire n'est pas sur le ble? Non, car en ce cas il n'y aurait rien à comprendre. Un
pont. regard de pitié en passant, de dégoût, même de colère, et
SPECTATEUR. - Le temps! Savez-vous l'heure qu'il est. l'affaire serait réglée, vous n'y penseriez plus. Mais vous
(Il tire sa montre.) Onze heures! (Il rentre sa montre.) Et sentez qu'il y a autre chose, que ma vie est essentiellement
quelques. autre que la vôtre, qu'entre vous et moi il y a un trou comme
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il y a un trou entre vous et les fous, seulement pas le même
je les ai quittés. Puis j'étais prisonnier de moi. C'était pire.
trou. Le cas du fou, vous l'acceptez. Le mien, non. Pour-
Alors, je me suis quitté. (S'absente.)
quoi? A moins que moi aussi je ne sois fou. Mais vous Siknce.
n'osez l'espérer.
SPECTATEUR.- Mais c'est passionnant. Comment se
VITRIER.- Pour être ennuyeux, c'est ennuyeux.
quitte-t-on ?
SPECTATEUR. - On vous demande quelle est cette vie que VICTOR.- Comment?
vous menez. Vous nous apprenez tout ce qu'elle n'est pas.
SPECTATEUR. - Je dis que c'est passionnant. Continuez.
Pardon, je ne vous ai pas vexé, j'espère: une petite partie de
Dites-nous seulement comment on fait pour se quitter.
ce qu'elle n'est pas. C'est ce qu'on appelle de l'anthropologie
VICTOR,avec incohbence. - Vous acceptez qu'on dépasse
négative. Vous nous renseignez par la même occasion sur
la vie, ou qu'elle vous dépasse, qu'on y devienne irréduc-
nos sentiments à votre égard. Nous les connaissons mieux
tible, à condition d'y mettre le prix, de déposer sa liberté.
que vous. Si vous êtes vraiment incapable de répondre à la
TI a abdiqué, il est mort, il est fou, il a la foi, un sarcome,
question, dites-le, je vous ferai donner un coup de main.
VICTOR.- C'est une vie... rien à redire. Mais ne plus être parmi vous à force d'être
libre, ça c'est une honte et un scandale. Alors, c'est la fureur
SPECTATEUR. - Pardon. Un instant. Vous parlez mainte-
de la vieille 6lle contre la putain. Votre liberté à vous est
nant de votre vie à vous? Pas de la nôtre, ni de celle des
abeilles ? si misérable ! si maigre ! si usée ! si laide ! si fausse ! et vous
VICTOR.- De la mienne. y tenez tellement! Vous ne parlez pas d'elle! Ah, envieux,
envieux! (Prend sa tête d4ns ses mains.).
SPECTATEUR. - A la bonne heure.
VITRIER.- Eh bien, nous voilà fixés.
VICTOR.- C'est une vie mangée par sa liberté.
SPECTATEUR. - Fixés? Sur quoi? Sur nous? (A Victor.)
VITRIER.- Si on le tuait? Comment ça ferait, comme Remettez-vous.
rideau?
VICTOR,levant la tête. - Je n'ai plus rien à vous dire.
SPECTATEUR. - Patientons encore un peu. (A Victor.) SPECTATEUR. - Que si ! Que si ! Vous avez à nous dire
Continuez.
comment vous vous y prenez pour vous quitter. Cela inté-
VICTOR.- C'est vite dit. J'ai toujours voulu être libre. Je
resse tout particulièrement mes amis.
ne sais pourquoi. Je ne sais pas non plus ce que ça veut VICTOR.- Au diable vos amis !
dire, être libre. Vous m'arracheriez tous les ongles que je SPECTATEUR. - Tchoutchi. (Tchoutchi avance.)
ne saurais pas vous le dire. Mais, loin des mots, je sais ce
VICTOR.- Vous pouvez vraiment tenir compte de ce qUe
que c'est. Je l'ai toujours désiré. Je le désire toujours. Je ne
je dis sous la contrainte? Vous êtes foutus à ce point-
désire que cela. D'abord j'étais prisonnier des autres. Alors, là?
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SPECTATEUR. - Nous avons déjà réglé cette question. En VICTOR.- Je pense que c'est le bon chemin.
votre absence. D'ailleurs, vous n'avez qu'à voir le résultat. SPECTATEUR. - Et la mort tout court, ça ne vous dit rien ?
Ce que vous avez dit tient debout. C'est un peu primaire VICTOR.- Si j'étais mort, je ne saurais pas que je suis
peut-être, un peu naïf, mais ça tient debout. Nous ne mort. C'est la seule chose que j'ai contre la mort. Je veux
demandons pas davantage. Nos exigences sont modestes, jouir de ma mort. C'est là la liberté : se voir mort.
contrairement à ce que vous semblez supposer. (Au vÎtrier :) Silence. Le vitrier se détourne et hoquette uns son mou-
choir.
N'èst-ce pas ?
VITRIER.- Foutez-moi la paix. VITRIER,s'essuyant la bouche. - J'estime que cette discus-
sion est close. L'essentiel est dit.
SPECTATEUR, à Victor. - Vous vous êtes quitté. C'est là
la dernière trouvaille de votre feuilleton. Comment vous y SPECTATEUR. - Je suis de votre avis. Chacun a maintenant
êtes-vous pris ? sa petite base. Pousser les choses plus loin, ce serait rentrer
dans le brouillard.
VICTOR.- En étant le moins possible. En ne pas bou-
geant, ne pas pensant, ne pas rêvant, ne pas parlant, ne pas VICTOR.- Vous savez que ce que je vous ai dit n'est pas
la vérité.
écoutant, ne pas percevant, ne pas sachant, ne pas voulant,
SPECTATEUR. - La vérité! (Au vitrier:) Vous l'entendez?
ne pas pouvant, et ainsi de suite. Je croyais que c'étaient là
TI est formidable! (A Victor:) Nous le savons, monsieur,
mes prisons.
VITRIER.- Je crois que je vais vomir. nous le savons, ne vous en faites pas pour cela. Pour· la
SPECTATEUR, à Victor. - Ah, vous croyiez. Et vous êtes vérité, nous nous adressons ailleurs, chacun a son foumis-
arrivé, à ne pas bouger, ne pas piper, et le reste? Vous avez seur. Non, ne vous tracassez pas à ce sujet. D'ailleurs, vous
dû quand même manger un morceau de temps en temps, ne savez pas ce que c'est que la vérité. Nous non plus. Vous
je suppose, pendant ces deux années héroïques. Cela a dû l'avez peut-être dite sans le savoir. Et sans que IlOUIle
sachions.
être quelquefois difficile, de vous maintenir pur de toute
idéation. Et dans votre sommeil vous êtes sorti, comme une VICTOR.- Je vous ai raconté une histoire pour que vous
chouette la nuit. Sans parler des visites qui vous ont été me laissiez tranquille.
infligées et dont sans doute vous avez dû parfois prendre SPECTATEUR. - Si vous voulez, si vous voulez. Peut~
connaissance, malgré vous. moins que vous ne croyez. Les histoires, ça ne eeraGOl\te
VICTOR.- TI faut de la patience. pas impunément. De toute manière, on ne VOUSitlc:mac:le
SPECTATEUR.- Evidemment, évidemment, tous les pas davantage. Elle n'était pas mal du tout, votn:~ire,
débuts sont difficiles. Mais vous vous sentez quand même un peu longue, un peu ennuyeuse, un peu ..• bête, •••. pas
déjà un peu moins ... heu ... un peu moins captif? mal, pas mal du tout, jolie même par endroits, à condition

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de ne pas y regarder de trop près, chose que nous ne faisons SPECTATEUR. - CdS' dépasse vos forces.
jamais. Je vous félicite, je vous remercie et je ME retire. VICI'OR.- Oui. _
VICI'OR.- J'ai qudque chose a ajouter. . SPECTATEUR. - Eh bien, soyez logique. C'est ou bien la
VITRIER.- n est fou. On leur donne un doigt et ils pren- vie, avec tout ce qu'elle comporte de... de... sujétion, OU
nent le bras. bien ... le grand départ, le vrai, pour employer une image
SPECTATEUR. - Non, non, croyez-moi, n'ajoutez rien, que vous affectionnez. Non ?
vous allez tout gâcher. VICI'OR.- Je ne sais pas.
VICI'OR.- Deux mots. SPECTATEUR. - Mais voyons!
SPECTATEUR, mag1Ulnime.- Eh bien, deux mots, si vous VITRIER.- n peut crever, maintenant. On sait pourquoi.
y tenez absolument, mais pas plus. Allons-nous-en.
VICI'OR.- J'abandonne. SPECTATEUR. - Ou il peut rentrer dans sa famille, rani-
Silence. mer sa mère, mettre son père en terre, recueillir la suc-
SPECTATEUR.-Vous abandonnez? cession, combler sa fiancée, fonder une revue, une église,
VITRIER.- Ne faites pas ça, ne dites pas ça. Juste quand un foyer, un ciné-club, que sais-je? Mort ou vif, il nous
tout est réglé. appartient, il est à nouveau des nôtres. C'est tout ce qu'il
VICTOR.- Je renonce à être libre. On ne peut pas être fallait démontrer. Qu'au fond il n'y a que nous. C'est
libre. Je me suis trompé. Je ne peux plus mener cette vie. même beaucoup mieux comme ça. C' cat plus décent. (A
Je l'ai compris hier soir, en voyant mon père. On ne peut VictOt' :) Merci. (Il avance, la main tendue.) Mon frère !
pas se voir mort. C'est du théâtre. Je ne ... (Victor ne prend pas la main; peut-être ne la voit-il /NU.)
SPECTATEUR. - Attendez, attendez, laissez-moi réfléchir ! Non? Ça ne fait rien. Aucune importance. Simple ques-
(Il réfléchit.) Ça change tout. (Au vitrier :) Qu'est-ce que tion de goût. Bonsoir. Viens, Tchoutchi. (Il se dirige vet'$-
vous en dites ? la loge, suivi de Tchoutch~ souriant toujours, m.lgré
VITRIER.- J'en dis merde. (Pause.) Et remerde. tout.)
SPECTATEUR. - Après tout, pourquoi pas? C'est peut- VITRIER.- Par là. (Il indique les coulisses.)
être mieux comme ça. (A VictOt' :) Et que comptez-vous SPECTATEUR. - Pourquoi?
faire, en ce cas? Qu'est-ce qu'il vous reste à faire? VITRIER.- Par là, je vous dis. (Il avance, meMf4nt.Le
VICI'OR.- Je ne sais pas. spectateur lui fait face. Tchoutchi aussi.) Vous croyez que
VITRIER,gémissant. - Ça recommence. j'ai peur de votre Pékinois? (Il avance.)
SPECTATEUR. - Vous ne pouvez plus rester comme ça. SPECTATEUR. - Votre attitude m'étonne. Je vous dépQne
VICI'OR.- Non, je ne peux plus. et vous me menacez de violences.

150 1'1
VICTOR.- Qu'est-ce que ça peut faire, par où il s'en va? VICTOR.- Vous reviendrez demain?
Maintenant que le mal est fait. VITRIER.- Non.
SPECTATEUR. - Le mal! C'est comme ça que vous me VICTOR.- Alors, prenez vos affaires.
remerciez! VITRIER.- Je vous les donne.
VITRIER.- Avorteur! Babouin! (Il avance. Le spectateur VICTOR.- Vous avez fait du beau travail.
et Tchoutchi reculent vers les coulisses.) Epicier! (Le spec- VITRIER.- Oui. (Silence.) Je n'aurais pas dû vous réveil-
tateur et Tchoutchi sortent vivement. Le vitrier prend la ler. (Pause.) Vous rêviez?
chaise et la lance après eux, dans la coulisse. Bruit de chute VICTOR.- Oui.
retentissant.) Salaud ! (Il revient vers Victor.) n nous a eus ! VITRIER.- Quoi?
(Il voit le texte du souffleur par terre, le ramasse, le jette VICTOR.- Je rêvais à mon père. n était ...
dans la coulisse.) Saloperie ! (Il va et vient, furieux. Il s'arrête VITRIER.- Non, non, ne le dites pas, je déteste les his-
devant Victor.) Vous n'auriez pas pu nous dire ça il y a deux toires de rêves.
heures, il y a deux ans? (Pause.) Cabotin! (Il reprend sa VICTOR.- n était dans l'eau et moi j'étais sur le tremplin.
marche.) Quel canular, quand même! (Il s'arrête devant ses C'était ...
outils éparpillés par terre, les contemple avec dégoût.) VITRIER.- Ne le dites pas !
Regarde-moi ça ! VICTOR.- La mer était pleine de rochers. n me disait de
VICTOR.- Engueulez-moi encore un peu. plonger.
VITRIER.- Je n'ai pas le courage de les ramasser. (Il remue VITRIER.- De plonger?
les outils avec le bout du pied.) J'aurais bien pris le diamant. VICTOR.- Moi, je ne voulais pas.
(Ille cherche.) Tant pis. (Victor se lève et va l'aider à cher- VITRIER.- Et pourquoi?
cher le diamant.) Qu'est-ce que vous faites? VICTOR.- J'avais peur de me faire mal. J'avais peur des
VICTOR.- Je cherche le diamant. (Il remue les outils avec rochers. J'avais peur de me noyer. Je ne savais pas nager.
le pied.) C'est peut -être votre fIls qui l'a. VITRIER.- n vous aurait sauvé. /
VITRIER.- Mon fIls? Vous croyez? C'est possible. VICTOR.- C'est ce qu'il me disait.
VICTOR.- n n'est pas là. VITRIER.- Vous plongiez quand même.
VITRIER.- Je ne sais pas. Silence.
VICTOR.- Vous laissez la fenêtre comme ça ? VICTOR.- Je fais tout le temps ce rêve. (Silettce.) Vous
VITRIER.- Oui. connaissiez ce type ?
VICTOR.- Et la porte? VITRIER.- Quel type ? Ah, celui-là. Le mille-culs.(ll ,qII-
VITRIER.- Je la laisse comme ça. chit.) Ma colère est tombée. Comment cela se fait-il?

152 153
VICfOR. - Qui c'est? Victor :) Dites n'importe quoi. Vous rentrez dans le boo-
VrrRIEll - Comment? Ah oui. Je ne sais pas. Manille, gie-woogie, oui ou merde? (Victor sourit.) Yous souriez?
billard, cuisine copieuse et soignée, mal au ~, amour Vous osez sourire! (Il ouvre Ûlporte. Entrent M~ SliMnk
le samedi après le spectacle, faible pour la clarté, pas et le Dr Piaule, imptzr/.itement vêtu.) .
d'excès ... (Il écoute.) n y a quelqu'un sur le palier. (Il entrou- DR PIOUI{.- Toujours aussi espiègle.
vre doucement Ûlporte, reg",de dehors. Silence. Il ferme dou- MuE SKUNK.- Victor! (Elle se précipite ti4ns ses /mu.
cement Ûlporte.) Ça, par exemple! (Il se frotte les "";ns.) Opération m414isée.)
Ça alors, c'est une bonne surprise. Je ne m'y attendais plus. VITRIER,tlVec des gestes de ptlpillon. - De fleur en fleur
VICTOR.- Qui c'est? et d'objet en objet.
VrrRIEll - C'est le roi de la Catalyse et sa petite amie. Ds DR PIOUIC- Au travail ! Mon temps est limité. Pourquoi
en ont pour un moment. (Il ré/léchit.) Vous ne voulez pas restez-vous dans l'obscurité?
aller au bout de cette saleté? VITRIER.- Eh bien, vieux briseur de camisoles, qu'est-ce
VICTOR.- Je ne comprends pas. qu'il vous arrive? Votre concubine vous cherche p8rtOUt.
VrrRIEll - Nous dire ce que vous avez décidé. (La porte MuE SKUNK,s'éloigMnI du lit. - n est en sueur! (Au
s'entrouvre, le vitrier se précipite et Ûl referme. A trtIVe1'Sla vitrier:) Vous lui avez expliqué?
porte :) Un instant! On vous appellera! Pelotez-vous DR PIOUK.- Lumière.
encore un peu ! En attendant mieux! (A Victor:) Mais oui, VrnuER. - Comment va sa mère ?
ce que vous avez décidé, au terme du dilemme Dupont. MLLE SKUNK.- Très mal. Vous lui avez dit?
VICfOR. - Je n'ai rien décidé. VITRIER,il Victor. - Vous entendez? Maman est à l'ago-
VITRIER.- Sauf que vous ne pouvez pas continuer comme nie. (Victor se lève, toume tHlpe11Ientautour du lit. Toas le
ça. Alors? Encore un petit coup de cul, Cocotte. Le der- regardent en silence. Il lia lIers eux.) n a perdu sa veste.
nier. Allons, soyez gentil. DR PIOUK,ch.nte et ti4nse :
VICfOR.- Je vous dis que je ne sais pas. Ça ne vous suffit n a perdu son pantalon
pas comme massacre ? Tout en dansant le charleston.
VrrRIEll - Encore un petit cadavre. Qu'est-ce que ça Victor interroge Mlle SkMnle du regard, en dési""."t le
peut vous faire ? Au point où vous en êtes. DrPiouk.
VICfOR. - Je ne sais pas. MuE SKUNK.- Mais c'est le mari de Marguaite,voyons.
VITRIER.- Je ne sais pas, je ne sais pas! Est-ce qu'on DR PIOUI{.- Je me présente! Docteur André Piouk, psy-
vous demande de savoir? (La porte s'entrouvre à nouveau, chopathe.
le vitrier la referme. A trtIVers la porte :) Un instant! (A VITRIER.- Et sociologue.

154 155
DR PIom::. - A votre service. Lumière.
VITRIER,à Victor. - Vous entendez? Ce qu'elle avait de
VlTlUER.- Avant d'aller plus loin ... plus précieux ! Pour que vous viviez! Monstre !
DR PIOUK.- Lumière.
OR PIOUK.- C'était bon. (Il se grtltte pensivement la tête.)
VlTlUER.- Tout à l'heure, tout à l'heure. Oui, j'ai une Sans plus.
heureuse, une grande nouvelle à vous annoncer. (pause.) TI MLLE SKUNK.- On a lu le testament. n n'y a rien pour
s'est passé beaucoup de choses ici, cet après-midi. Des cho- toi. Tu n'est pas nommé.
ses étonnantes. Quel dommage que vous n'ayez pu y assis- VITRIER.- Cognons! Cognons!
ter. Mais vous aviez sans doute mieux à faire. (Pause.) Vous
DR PIOUK. - Marguerite, on dirait du ... (il cherche) du
vous rappelez l'embrouillamini d'hier soir ? Eh bien, main- raphia.
tenant, tout est en ordre, un petit paquet par-ci, un petit VITRIER,à Mlle Skunk. - Vous êtes calme.
paquet par-là, bien ficelés, bien étiquetés, un facteur ne s'y MLLE SKUNK.- Oh, il n'y a rien à craindre. Tout est
tromperait pas. Quant à votre fiancé, mademoiselle, il a été arrangé. Vous ne lui avez rien dit ?
positivement brillant. TI nous a fait un de ces exposés (geste) VITRIER.- Nous connaissons maintenant les mobiles de
digne d'un conseil d'administration. Un vrai régal. Je dois sa conduite. fis m'échappent pour le moment, mais je pour-
dire que nous avons été secondés, oui, par une espèce de rais sans doute les reconstituer si ça peut vous intéresser.
sous-Socrate de banlieue. A tout seigneur. Sans lui, je ne (Pause.) Nous connaissons égaIement le but qu'il poursuit,
sais pas si on s'en serait tiré. (A Victor :) Qu'en pensez- depuis deux ans. TI l'a défini, en termes inoubliables - et
vous? pourtant je les oublie. (Pause.) Et nous savons... (Au
MLLE SKUNK.- Et la grande nouvelle? Dr Piouk qui marmotte et s'agite) Silence 1... Nous savons ...
VITRIER.- Ah oui, la grande nouvelle. Eh bien ... tenez- tenez-vous bien ... vous vous tenez bien? .. Attention au
vous bien ... non, il faut qu'il vous raconte ça lui-même. Cet choc... Nous savons... (pause) qu'il ne le poursuit plus.
instant est sacré. Ma bouche le profanerait. (Silence.) Quel succès! (Avec violence :) Mais vous ne
MLLESKUNK,à Victor. - Eh bien ? comprenez donc pas ?
VICTOR.- Tu écoutes encore ce farceur? MLLE SKUNK.- Pas très bien.
VITRIEIL- Voilà mes remerciements.
VITRIER.- Mais vous êtes complètement bouchée !
MLLE SKUNK.- Alors, ce n'est pas vrai? MLLE SKUNK.- Je suis fatiguée.
OR PIOUK.- Je lui ai dit, textuellement : « Chère Olga, OR PIOUK. ...;,Sansêtre rassasiée. Souvenir classique.
ma chère petite Olga, vous voulez que je vous aide? Que VITRIER.- n abandonne! C'est fini ! n s'est trompé! n
je vous le rende? Sain et sauf? Dans vos jolis bras? Eh est battu! Dans les cordes! Foutu! Knock-out! TI avoue.
bien, chère Olga? » (Pause.) Elle a compris. Demandez-lui.

156 157
MuE SKUNK.- C'est vrai, Victor? Oh, dis que c'est vrai. réduites au minimum. Dans quel but? Ça ne m'intéresse
VITRIER.- TI a w son père hier soir. Ça l'a achevé. J'ai pas. Je vois la tendance, le mouvement. De quoi s'agit-il?
toujours dit qu'on l'aurait par là. (Pause.) Monsieur, un homme comme vous, tant qu'il n'a
MuE SKUNK.- Victor! Mon amour! C'est fini? Tu es pas trois grammes de morphine sous la main, il s'agite dans
foutu? Oh, quelle joie! le vide. (Pause.) Vous repoussez mes tennes ? Non ! L'acte
VICTOR.- Comment? de conscience le plus pur, l'envolée la plus sublime, c'est
MuE SKUNK.- Tu ne veux plus vivre comme ça ? Dis physique. (Il se prend l. tête d4ns les mains.) A hurler, à
que c'est bien vrai ! hurler, vous le savez aussi bien que moi, c'est inscrit dans
DRPIOUK.- Silence! Assez ! Finissons! Au travail! Don- vos comédons. (Pause.) C'est rigoureusement indolore,
nant, donnant! Lumière! (Le vitrier allume. Le Dr Piouk vous allez voir, vous ne serez pas un instant incommodé.
s'qproche de Victor, le regarde de pris.) Drôle de gueule. VICTOR.- Je ne vous pas quel intérêt ...
MuE SKUNK.- Peut-être que maintenant ... DR PIOUK.- Vous tenez vraiment à le savoir? Une baga-
DR PIooK. - Silence! Silence, quand je travaille! (A Vic- telle pareille? Non, vous tergiversez. Tout simplement.
tor :) Monsieur, je serai bref. Vous ne voulez pas vivre. Ecoutez-moi. Les hommes ... (il se tourne légèrement vers le
Désirez-vous mourir? (Il ~ l. m4in.) Réfléchissez. public, s'écltlircit Itl gorge, prend une voix de speaker) Quel-
VICTOR.- De quoi vous mêlez-vous ? ques impressions personnelles sur l'homme. Hem ! Tout en
DR PIOOK.- Soyez naturel. N'ayez pas peur. Décrispez- haut il y a les cheveux. C'est la fin, il ne va pas plus loin.
vous. C'est une occasion unique. Autre chose : son état lui répugne, plus ou moins. C'est
VIcroR. - Qui vous a dit que je ne voulais pas vivre? trop et c'est trop peu. Mais il s'y résigne, car il porte en lui
Qu'est-ce que vous en savez? Qu'est-ce que vous appelez la résignation, celle de la nuit des temps, audacieuse ellipse !
« ça » ? (IlllfJtlnce une wuin trembltlnte.) Le vent dans les S'il en restait là, soumis à sa condition ! Mais non. TI en dit
roseaux ? du bien ! TI la prône! TI la projette derrière l'ozone! TI la
DR PIOUK.- Monsieur, je suis entré dans votre sinistre quitte à regret ! Ah, le salaud! TI finit par se préférer aux
famille par le jeu du mariage. Drôle de jeu. Depuis qua- taupes, à la mousse! C'est écœurant! (Pause.) Et, pour
rante-huit heures que je suis dans la métropole, je n'entends tenniner, une chose que j'ai souvent remarquée, il engen-
parler que de vous. Des idioties. J'écoute. Je tire mes dre. Pour engendrer! (Il s'empoigne le crâne) TI engendre !
conclusions. Je ne vois qu'une chose : détresse. J'accours. pour engendrer! (A Victor, avec passion :) Ne soyez pas
Je vous vois. Garçon intelligent, hypersensible, grande indé- comme eux! Ne vous laissez pas faire! Ne faites pas
pendance de caractère, santé robuste, enfin, aucune lésion, comme tant de jeunes espoirs, filant, filant, disparaissant.
incapable de biaiser, cherche sa voie. Manifestations vitales Mal tourné, aucune importance. Allez ! Le grand refus, pas

158 159
le petit, le grand, ce que seul l'homme peut, ce qu'il peut MllE SKUNK.- Victor, donne-moi ça.
de plus glorieux, le refus de l'être! (S'essuie le front.) DR PIOUK.- Avec un peu d'eau fraîche, autant que}?OS-
MLLE SKUNK.- Doucement, doucement. sible.
VITRIER.- TI s'emballe, ma foi. Quel bagout! On dirait VICTOR.- Quelle garantie?
qu'il travaille à la commission. DR PIOUK.- De quoi?
DR PIOUK,il/ouille dans sa poche, en sort un comprimé, VICTOR.- D'efficacité.
le tient un instant bien en l'air entre pouce et index. - La DR PIOUK.- La parole d'un professionnel, monsieur, et
liberté! d'un honnête homme. Regardez-moi! (Victor le regarde.)
VITRIER.- Le cochon ! TI trouve les mots qu'il faut. Vous avez vu cet œil ? Voilà votre garantie.
DR PIOUK.- Prenez! (Il tend le comprimé à Victor, qui VICTOR.- Je vous crois.
le prend, se lève, va sous 14 lumière. Mlle Sleunle le suit DR PIOUK.- Merci.
anxieusement. ) VICTOR.- Ça pourrait vous coûter cher.
MLLESKUNK,au Dr Pioule qui n'a pas bougé. - Docteur! DR PIOUK.- Qu'est-ce que ça peut vous faire?
VITRIER.- Attention! ~
..
VICTOR.- Rien, évidemment, je cherche à comprendre.
VICTOR,lisant. - « Aspirine du Rhône ». Vous vous fou- VITRIER.-Lui aussi! Quelle salade!
tez de moi! DR PIOUK,avec colère. - Ah, vous êtes tous pareils ! Ren-
DR PIOUK,se précipitant. - Quoi? (Il reprend vivement dez-moi ça. (Il tend 14 main.)
le comprimé, l'examine.) TI a raison! Quelle tête d'oiseau! VICTOR.- Je le garde. Je vais réfléchir. (Pause.) Non, je
(Il se frappe 14 tête.) Ça, c'est pour moi. (Il l'avale.) Les serai franc avec VQUS, c'est tout réfléchi. Je n'en ai pas
vieux, les lâches, les salauds, les pourris, les foutus, pour besoin. Je le garde tout de même.
eux les aspirines. Mais pour vous ... (ilfouille dans sa poche) VITRIEIt- Et voilà. Félicitations à tous. (A Mlle Sleunle :)
pour vous, les jeunes, les purs, les gars de l'avenir ... (il sort Vous voilàbeureuse. Vous n'aurez qu'à le prendre pendant
le comprimé, le bon) nous avons autre chose ... (il exhibe le son sommeil, son sommeil de rassasié, vous le mettrez sous
comprimeÎ tout à fait autre chose !... Permettez. (Il prend la chasse d'eau,. avec le reste.
14 m4in de Victor, y dépose le comprimé.) Instant adorable! DR PIouK. - Je me dégoûte. (Pause.) Profondément.
Cette main si chaude, si vivante! (Avec sollicitude :) Vous VITRIER.- Moi aussi, vous me dégoûtez.
avez la fièvre ? MLLE SKuNK,prenant Victor Par le bras. - Viens!
VICTOR,regardant le comprimé. - Ça s'avale? VITRIER.- .Quel calme ! Quelle assurance!
DR PIOUK.- Ce n'est pas un suppositoire, monsieur. DR PIOUK.- Elle est légèrement frigide.
VITRIER.- Attention! Attention! VICTOR.-« Viens»? Où?

160 161
MLLESKUNK,avec exaltation. - Avec moi! Au-devant de VITRIER,inquiet, à Victor. - Vous n'allez pas encore nous
la vie ! La main dans la main ! Le jour se lève ! faire la blague de changer d'avis?
VITRIER.- Notre temps ici est fini. Les consolations de VICTOR.- Comment?
la médecine marron, vous n'en vowez pas. Alors, allez-vous- DR PIOUK.- C'est de la schizophrénie.
en! Avec elle, puisqu'elle est là. Vous ferez un bout de MLLE SKUNK.- Allons-nous-en.
chemin ensemble. VITRIER.- Vous avez raison, il est parti.
DRPIOUK.- Epousez-la! Engrossez-là! Jouissez, pâmez- MLLESKUNK,au vitrier. - Vous croyez qu'il peut encore
vous, souvenez-vous, tordez-vous, crevez ! changer d'avis?
VICTOR.- TI y a erreur. Je reste ici. VITRIER.- Je ne crois pas. Mais je me trompe toujours.
Silence. (A Victor :) Vous lui ferez signe si vous changez encore
MLLESKUNK.- Mais ... ! d'avis? (Silence. Le vitrier prend Victor par le bras.) Dites ?
VICTOR, débit saccadé. - J'ai changé d'avis. (Silence.) VICTOR.- Qu'est-ce que c'est?
Deux ans, c'est trop peu. (Pause.) Une vie, c'est trop peu. VITRIER.- Vous ferez signe à la demoiselle si vous chan-
(Pause.) Ma vie sera longue et horrible. (Pause.) Mais ~ gez encore d'avis?
moins horrible que la vôtre. (Pause.) Je ne serai jamais VICTOR.- Oui, oui, je lui ferai signe.
libre. (Pause.) Mais je me sentirai sans cesse le devenir. VITRIER,à Mlle Skunk. - Vous voyez, il vous fera signe.
(Pause.) Ma vie, je vais vous dire à quoi je l'userai :' à (Pause.) Ne pleurez pas !
frotter mes fers l'un contre l'autre. Du matin au soir et DR PIOUK.- Pour l'amour de sainte Anne, quittons ce
du soir au matin. Ce petit bruit inutile, ce sera ma vie. cabanon. J'ai une soif terrible. (Silence.) Je vous invite à
Je ne dis pas ma joie. Je vous la laisse, la joie. Mon calme. dîner.
Mes limbes. (pause.)Et vous venez me parler d'amour, de r VITRIER.- Vous m'invitez à dîner?
raison, de mort! (Pause.) Non, mais allez-vous-en, allez- DR PIOUK.- Tous les deux.
vous-en! VITRIER.- Pourquoi moi?
DR PIOUK.- Qu'est-ce que c'est, cette histoire? (A Mlle DR PIOUK.- J'aime qu'on assiste à mes ébats. Puis vous
Skunk :) Vowez-vous que je vous fasse un certificat de me ramènerez en taxi.
démence ? VITRIER.- Impossible. Je dois m'occuper de Michd.
VITRIER.- Pour un tour d'horizon, c'est un tour d'hori- DR PIOUK.- Michd ?
zon. (Pause.) Je ne sais plus ce que je vowais, mais ça ne ') VITRIER.- Mon fils. TI est malade.
m'étonnerait pas que je l'aie. DR PIOUK.- Eh bien, nous passerons d'abord voir votre
MLLESKUNK.- Tout est fini. fils. Nous lui donnerons un petit calmant. Puis nous irons

162 163
faire un gueuleton. Mais soigné: tous les trois. (Pause.) Des MME KARL.- Eh bien ?
huîtres, j'ai une envie d'hlÛtres, c'est incroyable! VICTOR.- Qu'est-ce que c'est?
VITRIER.- Rien de tel que les médecins pour danser sur MME KARL.- C'est comme ça que vous sortez ?
les tombes. VICTOR.- Oui, c'est comme ça. Qu'est-ce que vous vou-
DR PIOUK. - Que voulez-vous que je fasse? Que je lez ?
m'arrache la moustache? Allons-y. MME KARL.- Je veux ma réponse. Vous restez ou vous
VITRIER,à Mlle Skunk. - Ne pleurez pas. Ça lui passera. partez? J'ai trois types sur la chambre.
MLLE SKUNK.- Adieu Victor. VICTOR.- Je reste.
DR PIOUK.- Venez. (Il entraîne Olga vers la porte.) Nous MMEKARL.- Alors, donnez-moi des sous. (Victor se lève,
trouverons autre chose. (Il se retourne.) Je suis dans une fouille dans la poche de son pantalon, en sort un paquet de
période de lucidité, c'est 'formidable. TI faut arroser ça. billets froissés, les donne à Mme Kar4 /ouille encore dans sa
Mlle Skunk et le Dr Piouk sortent. Victor debout, comme poche, en sort de la monnaie, la donne à Mme Karl. Elle
figé. Le vitrier s'approche de lui. compte. Bruit de romputation.) TI manque cent quarante
VITRIER.- Vous ne m'en voulez pas? (Silence.) J'ai fait sous.
mon possible. (Silence.) Je vous laisse ma carte. (Il tend sa VICTOR.- C'est tout ce que j'ai.
carte. Victor ne la prend pas,. peut-être ne la voit-il pas. Le MME KARL.- Ça ne fait pas le compte.
vitrier la pose sur le lit.) Donnez-moi votre main. (Silence.) VICTOR.- Je vous donnerai ça une autre fois. (Pause.)
Victor! Prenez les outils. Vendez-les. Ça doit valoir quelque chose.
VICTOR.- Qu'est-ce que c'est? MME KARL.- Les outils? Quels outils? (Elle les voit, va
VITRIER.- Je m'en vais. Donnez-moi votre main. les rega,der de plus près.) Mais c'est pas à vous, ça.
VICTOR.- Ma main? Voilà. (Il donne sa main. Le vitrier VICTOR.- TI me les a donnés.
la prend, la serre, la baise, la lâche, sort précipitamment.) MME KARL.- A d'autres! Pourquoi qu'il vous les aurait
Victor regarde sa main restée en l'air, lève, ouvre et regarde donnés ?
l'autre, voit le comprimé, lejette, frotte les mains l'une contre VICTOR.- Je ne sais pas. TI me les a donnés. Prenez-les.
l'autre, enlève ses chaussures en s'aidant des pieds, marche. (Il voit la carte du vitrier, la ramasse, la donne à Mme Karl.)
Après un moment, il s'assied sur le lit. Il voit le ve"e, le Voilà sa carte. Vous n'avez qu'à lui demander.
jette. Il se lève, va au commutateur, éteint, revient s'asseoir Mme Karl met la carte dans sa poche, ramasse les outils,
sur le lit. Regarde le lit. Voit la carte du vitrier, la prend, la les met dans la bcIÎte.
regarde, la jette. A"ange les couvertures. Entend des pas. MME KARL.- Que la terre est basse! (Elle se relève, la
Entre Mme Karl. Elle allume. boîte sous le bras.)

164 165
VICTOR.- Si vous trouvez le diamant, gardez.le-lui. nIe Victor assis sur le lit. Il regarde le lit, la chambre, la fenê-
veut. tre, la porte. Il se lève et entreprend de pousser son lit
MMEKARL.- Le diamant? Qu'est-ce que vous me chan- jusqu'au fond de la chambre, le plus loin possible de la porte
tez là encore? (Silence.) Quel diamant? et de la fenêtre, c'est-à-dire vers la rampe du côté de la loge
VICTOR.- Je ne sais pas. C'est une sorte d'outil, je crois. du spectateur. Il a beaucoup de mal. Ille pousse, le tire, avec
Demandez à quelqu'un. (Mme IVzrl le regarde, hausse les des pauses pour se reposer, assis sur le bord du lit. On voit
épaules, s'en va.) Madame Karl. (Elle se retourne.) Vous qu'il n'est pas fort. Il y arrive enfin. Il s'assied sur le lit,
n'auriez pas trouvé un veston dans l'escalier? parallèle maintenant à la rampe. Il se lève après un moment,
MME KARL.- Un veston ? Quel veston ? va au commut4teur, éteint, regarde par la fenêtre, revient
VICTOR.- Je ne peux pas trouver mon veston. Je crois s'asseoir sur le lit, face au public, il regarde le public avec
que je l'ai perdu dans l'escalier. Si vous le trouvez, vous application, l'orchestre, les N/cons (le cas échéant), à droite,
pouvez le vendre aussi. (Pause.) n est marron, je crois. à gauche. Puis il se couche, le 11I4igredostourné à l'humanité.
MME KARL.- Vous n'êtes pas complètement cinglé?
Victor retourne s'asseoir sur le lit. Il regarde les couvertu- RIDEAU
res. Mme IVzrlle regarde.
VICTOR.- Madame Karl.
MME KARL.- Quoi ?
VICTOR.- Madame Karl.
MME KARL.- QUOI ?
VICTOR.- Vous n'auriez pas une deuxième couverture à
me donner?
MME KARL.- Pourquoi? Vous avez froid dans le lit ?
VICTOR.- Oui.
MME KARL. - Eh bien, ce sera bientôt le printemps.
(Silence.) Vous voulez à manger?
VICTOR.- Non.
MMEKARL.- J'ai une bonne soupe. (Silence.) Une petite
tartine? (Silence.) Vous allez tomber malade. (Silence.) Ce
n'est pas moi qui pourrai vous soigner. (Silence.) Quelle
pitié ! (Elle sort.)

166
CET OUVRAGE A ÉTt cOMPOSÉ ET ACHEVÉ
D'IMPRlMERLEVINGT-TROISFÉVRlERMILNEUF
CENT QUATRE-VINGT·QUINZE DANS LES ATE-
LIERS DE NORMANmE ROTO IMPRESSION 5.A.
A LONRAI (612501
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N" D'IMPRIMEUR: 15-0147

Dépôt légal : février 1995

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