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Dans la première partie de cet article consacré à Thomas Sankara, son parcours scolaire et

académique a été abordé de même que les racines de son engagement idéologique et politique.
Cette deuxième et dernière partie revient sur ses actions une fois parvenu au pouvoir.

A la tête du Burkina Faso, rapporte Bruno Jaffré dans son article intitule « Le rêve assassiné de Thomas
Sankara » paru en octobre 2007, Sankara envisageait de développer une économie ne dépendant plus
de l'aide extérieure qu’il décrit ainsi : « Ces aides alimentaires […] qui installent dans nos esprits […]
des réflexes de mendiant, d’assisté, nous n'en voulons vraiment plus ! Il faut produire, produire
plus parce qu'il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés ».
Les importations de fruits et légumes sont interdites afin d'inciter les commerçants à se fournir dans
les zones de production situées dans le Sud-Ouest du Burkina Faso. En 1986, le Burkina Faso atteint
son objectif de deux repas et de dix litres d'eau par jour et par personne. A l’époque, le rapporteur
spécial pour le droit à l’alimentation pour les Nations unies déclare au sujet de Sankara : « Il a vaincu
la faim : il a fait que le Burkina, en quatre ans, est devenu alimentairement autosuffisant ».

Décidé à remettre son pays sur le chemin de la croissance, Sankara n’en oubliait pas son engagement
sur le front anti-impérialiste. Dans ses discours, il dénonce le colonialisme et le néo-colonialisme,
dont celui de la France, en Afrique (notamment les régimes clients de Côte d'Ivoire et du Mali, lequel
lance plusieurs fois des actions militaires contre le Burkina Faso, soutenues par la France).

Le 4 août 1986, dans son adresse à ses compatriotes pour commémorer la première révolution
burkinabè du 4 août 1983, il rappelait : « Notre lutte anti-impérialiste doit cesser d’être une vision
de l’esprit pour se matérialiser dans notre vécu quotidien. Cette œuvre ne peut être entreprise avec
succès si le Burkinabè ne se défait de tout ce qui anesthésie la pensée, de tout ce qui corrompt et
entretient des habitudes acquises dans la vieille société néocoloniale. (…). Dans le cadre de notre
lutte et de notre pratique anti-impérialiste, c’est de nos mentalités que nous devrons extirper les
schémas de penser qui, s’ils affirment s’appliquer à notre peuple, font malheureusement des
détours à l’étranger vers des espaces culturels totalement différents de nos réalités, quand ce ne
sont pas des centres culturels bourgeois capitalistes porteurs du fléau de la domination
impérialiste. Notre anti-impérialisme concret et conséquent sera d’abord la toilette de nos
mentalités pour nous débarrasser des réflexes de néo-colonisés préoccupés de se conformer à des
normes culturelles que la domination étrangère nous a imposées. (…). Ne permettons plus jamais,
à l’impérialisme de continuer de nous abuser. Ne lui permettons plus de fabriquer chez nous des
hommes et des femmes qui, abdiquant toute responsabilité historique, admettent et encouragent
que l’on ne réussit dans la société que lors que l’on peut prouver que l’on est le plus conforme à
l’aristocratie étrangère. (...) »

Parallèlement, il rejette le fardeau de la dette qui pèse sur les pays en voie de développement. Son
discours contre la dette, prononcé le 29 juillet 1987 à Addis-Abeba lors d'un sommet de
l'Organisation de l'unité africaine, est sans doute le plus connu. Il y déclare que son pays ne
remboursera pas ses créanciers, et argumente notamment ainsi : « la dette ne peut pas être
remboursée parce que si nous ne payons pas, nos bailleurs de fond ne mourront pas. Soyons-en
sûrs. Par contre, si nous payons, c'est nous qui allons mourir. Soyons en sûrs également. ».
Anticipant la réaction des pays occidentaux à ce sujet, il insiste sur la nécessité d'un refus collectif des
pays africains de son paiement : « Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai
pas là à la prochaine conférence ». Il refuse d’ailleurs de contracter de prêts avec le FMI,
l'organisation voulant imposer ses « conditionnalités ». Thomas Sankara considère en effet ce
système comme un moyen de « reconquête savamment organisée de l'Afrique, pour que sa
croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement
étrangers ».

Ses prises de position contre les grandes puissances lui valent des sanctions. En 1984, il dénonce le
soutien des États-Unis à Israël et à l'Afrique du Sud, et appelle les pays africains à boycotter les Jeux
olympiques d'été de 1984 à Los Angeles. Devant l'Assemblée générale des Nations unies, il critique
également l'invasion de la Grenade par les États-Unis, qui répliquent par des sanctions commerciales
contre le Burkina. Il ne manquera pas de répondre à ces sanctions américaines. C’est à travers son
discours tenu à Bobo-Dioulasso à l’occasion de la visite de John Jerry Rawlings, Président du Ghana,
le 17 février 1984 et publié par Carrefour africain dans son n° 818. « Nous avons condamné et nous
condamnerons toujours l’agression de l’île de Grenade par les troupes yankees. Nous avons
condamné cela. (…) C’est pourquoi nous avons à l’époque convoqué l’ambassadeur des États-Unis
pour lui dire ceci. Nous lui avons dit de transmettre à son président Ronald Reagan ce message : “Il
faut qu’il retire ses troupes de l’île de Grenade, sinon la Haute-Volta prendra ses responsabilités,
sinon la Haute-Volta condamnera”. Les troupes n’ont pas été retirées et nous avons condamné. Et
les Américains nous ont fait des pressions diverses. Ils ont voulu dicter à la Haute-Volta sa position
au Conseil de sécurité des Nations unies. Nous avons dit qu’à cela ne tienne, nous n’accepterons
pas le chantage. Si l’aide américaine doit être subordonnée à ces pressions, que l’on ne nous
apporte pas d’aide ; nous sommes prêts à mourir de faim, mais à mourir de dignité. Nous ne
voulons pas de l’aide américaine si elle doit se faire à condition de ce chantage américain. »,
affirmait-il.

S'il entretient de bonnes relations avec les dirigeants ghanéen Jerry Rawlings et libyen Mouammar
Kadhafi, les dirigeants « pro-français » comme Houphouët-Boigny en Côte d'Ivoire ou Hassan II au
Maroc lui sont très hostiles. Thomas Sankara est devenu gênant, du fait de sa lutte contre le
néocolonialisme, menaçant la place de la France en Afrique ainsi que le pouvoir des autres chefs
d'État d'Afrique de l'Ouest, au comportement plus docile. Le 15 octobre 1987, il est assassiné lors
d'un coup d'État dont les responsables et les circonstances restent assez mystérieux. Son frère
d'armes, Blaise Compaoré, qui lui succède à la tête du Burkina Faso, est soupçonné d’être le principal
responsable de cet assassinat, en complicité avec le gouvernement français de l’époque ainsi que
plusieurs autres gouvernements africains proches de la France.

Sankara est mort. Mais son idéologie et son engagement restent vivaces. Parfois considéré comme
un « Che Guevara africain », au Burkina Faso, comme dans d’autres pays africains, une multitude de
partis et de mouvements de la société civile se revendiquent de lui. Il a même été proclamé modèle
par la jeunesse africaine au Forum social africain de Bamako en 2006 et au Forum social mondial de
Nairobi en 2007.

Tandjiékpon MICHOAGAN

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