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La quête de la ville durable : le besoin de vocation

Najoua Loudyi
Docteur Architecte, CEDoc Ecole Nationale d’Architecture Rabat -Maroc
n.loudyi@enarabat.ac.ma

Résumé
Une ville durable est un concept ambitionné par beaucoup de politiques et de stratégies qui
cherchent à prendre en compte les exigences du développement durable dans les différents
domaines ; ce qui met le décideur face à des choix pour atteindre l’équilibre entre protection de
l’environnement, équité sociale et croissance économique. En effet, le choix entre les différentes
composantes de cette trilogie rend souvent l’exercice ardu, d’autant plus qu’il n’existe pas de
modèle type de ville durable. Chaque politique, en fonction de ses besoins, de son contexte et aussi
de sa volonté œuvrera à sa façon à traduire sa vision de ville durable avec une logique donnée. Or,
force est de constater que dans cette quête de durabilité qui doit répondre à certaines normes, de
nouveaux besoins émergent en tant que fondamentaux tels celui de vocation. Notre réflexion
s’intéresse à cette notion qui motive des questionnements autour du concept de la ville durable et
son besoin de vocation porteuse de message. Nous allons nous appuyer sur l’étude de deux
exemples de villes durables, le projet sino-singapourien de l’éco-cité de Tianjin et celui marocain de
l’éco-cité de Zenata : deux exemples aux contextes différents qui se sont considérablement
appropriés un enjeu plus qu’un autre, jusqu’à se distinguer par une vocation et se façonner
délibérément une image donnée. La discussion qui suivra mettra la lumière sur l’évidence de
l’émergence de ce type de besoin qui ne met pas forcément tous les volets du développement
durable sur le même pied de nécessité.
Mots clés : ville durable, gouvernance, environnement, développement durable

Abstract
A sustainable city is a concept pursued by many policies and strategies that seek to take into
account the requirements of sustainable development in different areas, which confronts the
decision-maker with choices to achieve a balance between environmental protection, social equity,
and economic growth. Indeed, the choice between the different components of this trilogy often
makes the exercise difficult, especially since there is no typical model of a sustainable city. Each
policy, according to its needs, context, and also its willingness, will work in its own way to achieve
its vision of a sustainable city with a given logic. However, it is clear that in this quest for
sustainability, which must meet certain standards, new needs are emerging as fundamental such as
that of vocation. Our think is interested in this notion that motivates questions around the concept of
a sustainable city and its need for a vocation that conveys a message. We are going to rely on the
study of two examples of sustainable cities, the Chinese-Singaporean project of the eco-city of
Tianjin and the Moroccan project of the eco-city of Zenata: two examples with different contexts
that have considerably appropriated one issue more than another, to the point of distinguishing
themselves by a vocation and deliberately shaping a given image. The discussion that will follow
will shed light on the evidence of the emergence of this type of need which does not necessarily put
all aspects of sustainable development on the same footing as the necessity.
Keywords: sustainable city, governance, environment, sustainable development

143
Introduction
La ville durable est d’abord une question de contexte. Les potentiels et les limites de chaque
territoire définissent en premier lieu ses besoins et par la suite ses priorités. Certes, au-delà des
besoins articulés autour des principes du développement durable, les perspectives de réalisation
convergent également vers le besoin non moins réfléchi de vocation et de vitrine.

Depuis la charte d’Aalborg qui a marqué l’apparition officielle du concept de « ville durable »
en1994, un changement de perspectives s’est incontestablement opéré dans les principes
d’aménagement urbains (une consommation responsable, une économie locale vivante et durable,
une densité repensée, une mobilité améliorée, …) avec un souci constant d’intégration des
composantes du développement économiques, environnementales et sociales, et mêmes culturelles.
Aussi tôt, un changement de pratiques a commencé à se mettre en place puisque l’accent est mis sur
une vision à long terme adossée à une démarche participative. Là encore, le dialogue devient multi-
acteurs réunissant aussi bien l’État, les acteurs locaux, le secteur public que celui privé. La gestion
classique cède progressivement la place à des systèmes de pilotage et de suivi en temps réel plus
performants, plus smart (gestion des réseaux, des déchets…). Chaque politique, selon les spécifiés
de son territoire, cherche à répondre aux exigences du développement durable en modifiant ses
comportements par rapport au développement classique et c’est ainsi que les logiques de
développement s’en sont trouvées impactées.

1. Les villes durables : cas de l’éco-cité de Tianjin et de l’éco-cité de Zenata

Dans cette logique, des modèles urbains ont été amorcés avec des expériences conduites de manière
remarquable ; des labels ont été mis en place visant la valorisation des différentes dimensions de la
ville durable et garantissant des démarches répondant aux meilleures pratiques.

Prenons l’exemple de la ville de l’éco-cité de Tianjin en Chine qui a reçu le Grand Prix Quartier
Durable au Green Solutions Awards1 en 2018. Lancée en 2007 dans le cadre d’un accord-cadre sino-
singapourien, cette cité ‘’modèle‘’ prévoyait la construction d’une ville de 350 0002 habitants sur
une surface de 34 km² avec une prédominance résidentielle et quelques industries de types légères.
Sur le plan urbanistique, la Sino-Singapore Tianjin Eco-City ou SSTEC se caractérise
principalement par la qualité paysagère qui se base sur l’élément végétal et la préservation de la
biodiversité ainsi que par un traitement particulier des questions environnementales relatives au :
• Traitement des eaux usées et la réutilisation des eaux de pluie, le dessalement de l’eau de
mer et la réutilisation des eaux grises sachant que le site du projet se trouve dans une zone
de pénurie d’eau.
• La production locale des énergies renouvelables basée sur les ressources solaires pour
chauffer l’eau dans les immeubles d’habitation et pour éclairer les voies publiques, et
éoliennes pour produire de l’électricité et géothermiques pour produire de la chaleur dans les
bâtiments de l’administration. Cette utilisation des énergies propres est censée fournir à
terme 20 % de l’énergie totale utilisée.

1
Concours international organisé par le réseau Construction21, les Green Solutions Awards mettent en avant des
bâtiments, des quartiers et des infrastructures exemplaires contribuant à la lutte contre le changement climatique.
2
https://www.construction21.org/france/articles/fr/eco-cite-de-tianjin-chine-grand-prix-quartier-durable-green-
solutions-awards-2018.html
144
• La valorisation des déchets avec un objectif d’atteindre 60 % de taux de recyclage des
déchets solides.
Mais la particularité de ce projet réside dans l’établissement d’un système d’indicateurs key
performance indicators (KPI) dits aussi « indicateurs3 quantitatifs de contrôle » comportant des
objectifs chiffrés à atteindre et qui doivent en permanence être considérés, révisés et améliorés
durant les différentes phases de conception, de construction et d’opération du projet. Au-delà des
fonctions de suivi et de contrôle, les KPI remplissent également une fonction « cachée » de support
à la négociation. Chaque indicateur permet en effet à des acteurs de se mettre d’accord sur des
objectifs et des moyens de contrôle de ces objectifs. Du côté de la puissance publique, la mise en
place de ces indicateurs constitue donc un nouvel instrument d’action publique qui révèle une
vision particulièrement innovante du management de l’urbanisme en Chine. Chaque autorité
administrative y inscrit ses objectifs et ses impératifs, en faisant d’ailleurs supporter par la
puissance publique les ambitions environnementales les plus fortes et en repoussant à une
négociation ultérieure avec les promoteurs-aménageurs privés l’inscription de ces contraintes
environnementales dans les opérations de construction de logements. Ces négociations ultérieures
offrent d’ailleurs une marge de manœuvre importante quant à la traduction concrète de la « bible »
des KPI. (Yinghao Li, 2018).
Le tableau suivant résume les 22 indicateurs articulés autour des huit thématiques arrêtées et qui
font la particularité de ce projet :
Tableau 1:Indicateurs de performance quantitatifs (KPI) de de l’éco cité Tianjin

Thème Indicateur KPI


1. Qualité de l'air ambiant
2. Qualité des plans d’eau
3. Une eau du robinet aux normes d'eau potable
4. Les niveaux de pollution sonore doivent répondre aux normes stipulées
Environnement naturel
pour les différentes zones fonctionnelles
5. Émissions de carbone par unité de PIB (150 tonnes-C pour un million
de dollars américains)
6. Perte nette de zones humides naturelles
7. Proportion de bâtiments écologiques
Environnement créé par 8. Index des plantes locales
l'homme 9. Espaces verts publics par habitant ≥ 12 m²
10. Consommation d’eau domestique par habitant ≤ 120 litres
11. Production de déchets domestiques par habitant ≤ 0.8 kg /jour
Style de vie
12. Proportion de trajets verts
13. Taux global de recyclage des déchets solides
14. Mise à disposition d’installations récréatives et sportives gratuites à
distance de marche de 500 m
Infrastructure 15. Traitement pour rendre les déchets solides dangereux et domestiques
non toxiques
16. Accessibilité sans obstacles
17. Couverture du réseau de services

3
Au nombre total de 26, puisqu’il y a 4 autres indicateurs dits qualitatifs. Ces KPI ainsi que leurs déclinaisons
ont été publiés sous la forme d’un livre de 608 pages intitulé Piloter l’éco-cité.

145
Management 18. Proportion de logements sociaux
19. Utilisation des énergies renouvelables
Durabilité économique
20. Approvisionnement en eau à partir de sources non traditionnelles
21. Nombre de scientifiques et d’ingénieurs en R&D pour 10 000
Innovation technologique
personnes actives
Emploi 22. Indices d’équilibre emploi-logement
Source: The World Bank, 2009 p.11

Figure 1: la Sino-Singapore Tianjin Eco-City ou SSTEC


Source : https://www.construction21.org/france/static/winners-2018.html

Au niveau gouvernance, une entité administrative locale chargée de la mise en œuvre et de la


gestion de toutes les fonctions administratives de l’éco-cité a été créée. Par contre, la gestion
environnementale relative à l’eau, à l’assainissement, à l’énergie et aux déchets a été confiée et
assurée par une même autorité régulatrice créée à cet effet en vue de coordonner la conception, la
construction et l’exploitation du projet. La création de cet organe de gouvernance exclusivement
dédié au volet environnemental dénote de l’intérêt accordé par la puissance publique aux
dimensions d’écologie et de gouvernance et constitue par là même un vrai point fort du projet.
Pourtant, même si ce projet novateur gagnant du prix de la ville durable se veut être une vitrine du
développement urbain durable « à la chinoise », et en dépit de son système de gouvernance
remarquable plaçant les critères environnementaux au cœur du projet, il n’en demeure pas moins
que son approche basée essentiellement sur la technologie et l’infrastructure soit controversée.
D’un côté, les dispositifs techniques intensivement employés au sein de la ville confèrent à l’éco-
cité l’image d’un « incubateur » de solutions environnementales destinées à être « exportées » ; de
l’autre, la présence de frontières quasi-hermétiques dessinées implicitement par (et dans) le
système de KPI associé à l’éco-cité rend ce possible « rayonnement », même à une échelle locale
(la région de Tianjin par exemple), très incertain. (Yinghao Li, 2018, p. 102). La critique va même
jusqu’à interroger ce modèle pourtant primé en modèle de ‘’ville durable’’ par rapport à la
négligence des facteurs urbanistiques « […]Ce cas met ainsi en évidence non seulement les limites
de l’approche sino-singapourienne focalisée sur la technologie et l’infrastructure, mais aussi
l’importance des facteurs urbanistiques pour la réussite d’un projet de ville durable ». (Curien,
2016, p. 7)

146
Le deuxième exemple concerne l’éco-cité Zenata, première ville au Maroc à avoir obtenu le label de
performance « Ecocity Label » (ECL)4. Lancée en 2004 dans le cadre d’un programme
gouvernemental d’urbanisation visant la création de quinze villes nouvelles à l’horizon 2020, ce
projet d’utilité publique devra à l’horizon de 2030 couvrir une superficie de 1 830 ha pour abriter
300 000 habitants. Il est censé surtout se développer autour de quatre pôles économiques à savoir
l’éducation, la santé, le commerce et la logistique en respectant les critères internationaux du
développement durable.

Figure 2: l’Eco-cité Zenata


Source : https://www.zenataecocity.ma/un-aménagement-novateur/concept-urbanistique

Sur le plan urbanistique, le même souci de préservation de l’environnement a animé le


développement de ce modèle urbain basé sur l’écoconception et sur une approche innovante se
traduisant par :
• Un aménagement de 30% de la superficie de la ville en espaces verts répartis entre des parcs
et des corridors naturels favorisant la biodiversité et offrant aux habitants un ratio de 19
m²/habitant bien supérieur au seuil des 10 m²/habitant recommandé par l’Organisation
Mondiale de la Santé (OMS).
• L’optimisation des ressources naturelles du site grâce à une conception suivant une trame
aéraulique oblique profitant des vents dominants de l’océan pour rafraîchir la ville en été et
chasser l’humidité en hiver.
• Un système d’assainissement prévoyant la récupération des eaux pluviales dans des bassins
de rétention avant rejet en mer permettant de minimiser la taille des ouvrages de rejet et de
régénérer les nappes phréatiques du territoire.
• Une mobilité multimodale répondant aux pratiques de la ville de proximité mais prévoyant
aussi une mobilité douce basée sur des parcours piéton et cyclables projetés sur 44 km
reliant les différents pôles de vie et les quartiers de la cité.
• La diversification des équipements de proximité relatifs à l'éducation, la santé, le transport,
le culte, le commerce et la détente pour répondre au principe de mixité mais aussi réduire les
déplacements motorisés et de surcroit l’empreinte carbone.

4
Certifié par CERWAY (organisme certificateur de la norme HQE™ à l’international)
147
Par ailleurs, et dans un même souci de bonne gouvernance, une société de développement local
dédiée au projet a été créé5 pour assurer la conception et l’aménagement global de la ville et pour
développer, dans une optique de bonne gouvernance, le label Ecocity afin de mesurer les
performances du projet. Rappelons que le choix de cette cité HQE, qui présente un potentiel cadre
de référence d’urbanisme durable au Maroc a obtenu cette certification basée sur le référentiel HQE
Aménagement. Ce dernier est justement relatif au mode de gouvernance et de réalisation
d’opérations d’aménagement durable fondé sur des exigences spécifiques relatives aux phases du
déroulement de l’opération d’aménagement à savoir : la phase du lancement, des analyses initiales,
du choix des objectifs, de la conception, de la mise en œuvre et enfin du bilan.
Par ailleurs, si le développeur dans ce cas s’est inspiré des meilleures pratiques mondiales en
matière d’aménagement durable et d'impact environnemental des villes, son souci de répondre aux
enjeux socio-économiques a constitué un critère probant dans la production de cette ville nouvelle.
Il faut dire que cette cité a été pensée pour contribuer au rééquilibrage de la région de la ville de
Casablanca6 à travers la création d’un nouveau centre urbain offrant un développement qui accorde
un grand intérêt à l’aspect économique en prévoyant des activités à forte valeur ajoutée et créatrices
de richesses. Le projet d’implémentation d’une ville durable cherche à impulser les dynamiques
économiques, socio spatiales, culturelles et environnementales de la ville, eu égard aux villes et
centres qui gravitent dans ses couronnes. L’analyse des fonctions métropolitaines vise à
promouvoir des solidarités et des complémentarités entre les différentes portions du territoire
métropolitain dans la perspective de répondre aux impératifs du développement et de faire
l’arbitrage nécessaire entre l’étalement urbain continuel de la ville étendue et l’importance d’avoir
une ville compacte. (Conseil Economique Social et Environnemental, 2017, p. 76)
C’est justement à travers une diversification entre les domaines de la santé, de l’éducation, du
commerce et de l’industrie que l’objectif a été porté à la création de 100 000 emplois pour 300 000
habitants à terme, pour atteindre le ratio de développement durable d’un emploi pour trois habitants.
Aussi la mixité fonctionnelle dans ce projet intégrant plusieurs pôles de santé, un campus
universitaire international, un centre commercial et un quartier d’affaires7 a constitué une
préoccupation majeure du développeur en vue d’offrir une continuité de la métropole de Casablanca
et une vitrine moderne offrant un bassin d’emploi important.
S’il est vrai que cette ville a été pensée dans une logique de préservation de l’environnement
orientée vers la valorisation de la biodiversité, la gestion des eaux, la création d’espaces verts et
d’autant de composantes à faible impact environnemental, le souci majeur a été autant de créer un
pôle économique d’activités et d’opportunités de travail voir même d’exhiber une vitrine d’une ville
en activité et en effervescence. Sachant que la revue de littérature ne dispose pas encore de retours
d’expériences sur ce modèle8 qui permettrait de se prononcer sur le bilan de cette expérience, la
controverse de l’aspect ‘’excessivement technologique ‘’ concernant l’exemple de l’éco-cité de
Tianjin, peut-elle porter sur la critique d’un aspect ‘’démesurément économique’’ regardant cet
exemple de l’éco-cité Zenata qui se veut être une plateforme de test pour de nouvelles pratiques
urbaines au Maroc, voir même au niveau de l’Afrique.
Si pour le cas de la ville de Tianjin on critique une mise en scène des modèles techniques,
critiquera-ton une mise en scène de modèles de services-emploi pour la ville de Zenata sachant que

5
Société d’Aménagement de Zenata (SAZ), créée en 2006 et filiale de la CDG (Caisse de Dépôt et Gestion).
6
Entre l’Est (Sidi Bernoussi et Ain Sebaâ) et l’Ouest (centralité d’Anfa) de la ville de Casablanca
7
Réceptionnés en mars 2021
8
Du fait que le projet soit toujours en cours de construction

148
le déploiement des moyens technologiques ainsi que la diversification des services et de l’offre
d’emploi font assurément partie des défis des villes durables ?
2. Discussion
Ces deux modèles aux contextes différents ont été mis en perspective pour souligner que d’une part,
le projet initial de ville durable répondant aux exigences de développement durable a été commun et
certifié, et que d’autre part, des inégalités se sont forcément installées quant au traitement d’une
composante du développement durable par rapport à une autre, donnant lieu à la matérialisation
d’un besoin de vocation et/ou de vitrine. La quête de durabilité provoque nécessairement une
dynamique où le besoins émergent et des évidences s’imposent. Tandis que le projet de la ville
Tianjin rayonnait de par la performance de ces indicateurs, celui de l’éco-cité de Zenata cherche à
équilibrer l’environnement économique de la métropole en diversifiant les activités et les services.

Effectivement, l’exemple du modèle chinois est pertinent en ce qu’il adopte une démarche basée sur
des normes techniques strictes traduites par un système d’indicateurs de performance (KPI)
s’inscrivant totalement dans une optique d’innovation technologique. Cependant, le manque
d’implication des usagers ou encore la faible intégration territoriale du projet ont constitué des
limites discutables du projet. « Le parti-pris technophile » et l’absence de prise en compte des
modes de vie des habitants sont en revanche un des éléments de débat sur la pertinence et la
durabilité d’un tel modèle de développement urbain ». (Yinghao Li, 2018, p. 93) .
En effet, faut-il préciser que nous sommes dans un contexte politique d’un gouvernement qui
entend devenir la première puissance technologique à l'horizon 2049. Le projet de l’éco-cité de
Tianjin, en misant amplement sur les avancées technologiques, reflète simplement la maturité de ce
géant asiatique en pleine percée dans les technologies de l’avenir. En étant au cœur de l’innovation
et du progrès avec l’ambition de prendre une certaine revanche, l’approche de tout projet ne peut
que s’orienter vers l’exigence de la performance technologique.
L’exemple de Tianjin n’est d’ailleurs pas le seul à avoir reçu des distinctions en 2018 puisque dans
la même année, cinq villes chinoises9 ont reçu le prix Eco-cité10 lors de la Conférence Internationale
sur le Bâtiment Durable en 2018. En ayant adopté des approches soucieuses de l’inclusivité à
plusieurs échelles, des propositions concrètes ont été adaptées à chaque ville. Ces dernières ont
pratiquement toutes bénéficié d’une gestion écologique et naturelle des eaux grises et pluviales,
d’une connectivité entre les centres d’activité, des énergies renouvelables, d’espaces de promenade
et de bien-être, mais chacune miroitait une orientation ou un cachet propre11 .
Ainsi, peut-on reprocher à un modèle d’être la vitrine d’une ambition de montrer une suprématie
dans l’un des domaines qui concourt pourtant à la promotion des principes du développement
durable, à savoir l’utilisation des technologies nouvelles.
Pareillement, reprochera-t-on à l’exemple de l’éco-cité de Zenata qui respecte parfaitement les
standards internationaux d’envisager ‘’exagérément’’ de répondre aux défis posés par l’émergence
des classes moyennes en terme de logement et d’emploi, et de concéder un cachet pôle emploi et

9
Il s’agit des villes de Jilin, Panshi, Qinqyun, Jinqzhou et Foshan.
10
Dans le cadre d’un contrat de partenariat signé en mars 2017 entre le Centre Scientifique et Technique du
Bâtiment (CSTB) et la Chinese Society for Urban Studies (CSUS), portant sur le conseil et la coopération et
franco-chinoise pour la ville durable.
11
Une orientation agroalimentaire pour la ville de Jilin, touristique pour Panshi, agricole pour Qingyun,
patrimoniale en bord de l’eau pour Jinqzhou, et enfin de biodiversité et de recyclage pour Foshan.

149
services à la cité ? Employabilité ne fait-elle pas partie intégrante de la viabilité avant l’attractivité
d’un projet de ville durable ?
En effet, ces deux modèles bien qu’ils aient communément coché les cases des exigences du label
‘’ville durable’’, la critique qu’on peut leur porter quant à leur excès d’appropriation d’un aspect
plus qu’un autre renvoyant un message de ‘’puissance technologique’’ pour l’un et de gouvernance
‘’économiquement bienveillante’’ pour l’autre est à débattre du fait que cet ‘’excès’’ soit une
résultante d’une logique de solutions. Au-delà des composantes économiques, sociologiques et
environnementales du développement durable, la composante de vocation s’établit par elle-même
jusqu’à atteindre le sens de vitrine.
Ces notions peuvent ainsi interpeller la réflexion par rapport aux exigences de durabilité des villes.
Se dressent-elles sur le même pied de nécessité et de priorité ? sollicitent-elles des besoins
additionnels. Les villes dotées d’infrastructures et d’installations qui améliorent la qualité de vie, ou
encore d’équipements de proximités (hôpitaux, écoles, marchés, centres de soin…) seraient-elles
plus durables que des villes qui s’ingénient à utiliser des technologies avancées pour la production
des énergies renouvelables, la gestion intégrée de l’eau et des différents réseaux ou encore la
dépollution des sols contaminés ? Une ville à faible empreinte carbone serait-elle plus durable
qu’une ville qui offre en premier lieu des opportunités de travail et d’emploi pour garantir une vie
descente à ses habitants. Hormis ces aspects techniques, faut-il focaliser sur la participation
citoyenne et l’inclusion de tous les acteurs dans le processus de fabrique de la ville qui reste un
aspect souvent mal loti. Pourtant, la promotion de la “ville durable” s’appuie sur des certifications
ou des labellisations basées sur des normes de densification, la végétalisation, la transition
énergétique, l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC), de nouvelles
réglementations de construction, etc., souvent au détriment des contextes locaux, méthodes
traditionnelles ou participation citoyenne. (Mazurek, 2018, p. 62).
Au-delà de ces exigences qui peuvent être parfaitement considérées, on sera toujours amené à
penser que les composantes du développement durable ne se répartissent pas forcément de manière
équilibrée et qu’un volet prévaut largement par rapport à un autre, pas nécessairement par
alignement à des besoins et à des priorités, mais également par besoin de marquer une identité et de
lancer un message conceptualisé durant la quête durabilité.
Sous ce prisme, la ville durable apparait plutôt comme une ville qui s’adapte à une évolution pour
atteindre un idéal et tout en répondant aux normes des bonnes pratiques. Dans le même ordre
d’idées, l’implémentation de la pratique de la ville durable restera largement tributaire de
l’institution de système de normes propre à chaque contexte pour amorcer la pratique de
labellisation. L’enjeu est décisif parce qu’aujourd’hui, même l’exemple des villes européennes dites
‘’durables’’ se base amplement sur des labels pour prétendre accéder au statut de ville durable.
Cette implémentation est également étroitement liée à la production de référentiels pour vulgariser
et développer les bonnes pratiques, ainsi qu’à la mise en place structures de pilotage et de
coordination dédiées permettant une prise en main rapide du projet et s’engageant sur des objectifs
et des résultats. La durabilité de la ville requiert une efficacité économique du développement
urbain, à savoir l’utilisation rationnelle des ressources matérielles, humaines et financières. Ce
concept implique également une durabilité écologique, culturelle et spatiale, autant dire qu’il s’agit
d’une démarche économique, juridico-politique, socioculturelle, un processus et un état d’esprit
plutôt qu’une recette à même de garantir le résultat. (Conseil Economique Social et
Environnemental, 2017, p. 105).
Cela mène à confirmer que bien qu’il y ait une matrice du développement durable, il n’existe
incontestablement pas de modèle de ville durable puisqu’une ville durable serait une ville en quête
d’amélioration et à la poursuite d’un idéal qui construit progressivement une vocation traduisant la
150
volonté du développeur et renvoyant le message qu’il veut bien signaler. Surtout, l’urbanisme
durable ne saurait faire abstraction de la dimension politique qui sous-tend toute action sur le
territoire (Leroy, 2010). Rejetant l’idéal mou et fallacieux du consensus, l’urbanisme durable
reconnaît les rapports de force, inégaux, au cœur de la fabrique de la ville, comme il reconnaît les
tensions entre valeur d’usage et valeur d’échange, entre un droit de propriété garanti par la
Constitution et un droit à la qualité urbaine que revendique l’urbanisme durable. (Matthey, 2010)
Conclusion
Le développement durable est certes fondé sur un équilibre entre les besoins économiques, sociaux,
environnementaux et culturels ; l’appropriation du concept de durabilité de ville sera toujours
tributaire de la logique des politiques publiques inévitablement investies dans un enjeu plus qu’un
autre. S’il est vrai qu’il n’y a pas de modèle de développement en raison des données, capacités et
ambitions de chaque territoire et surtout de chaque politique, il est aussi vrai que chaque projet de
ville durable se dresse comme atelier d’expérimentation où on essaie de chercher des solutions, de
s’adapter à des réalités mais également comme révélateur de nouveaux besoins et de nouvelles
identités.

Bibliographie ;
Conseil Economique Social et Environnemental, Maroc. (2017). Réussir la transition vers des
villes durables.
Curien, R. (2016). L’éco-cité de Tianjin : innovations et limites d’une conception sino-
singapourienne d’une ville durable.
Matthey, Y. B. (2010). Les éco-quartiers : laboratoires de la ville durable. Cybergeo: European
Journal of Geography.
Mazurek, H. ( 2018). Défis et contradictions de la ville durable, les modèles de ville durable en
question. Métropolitiques.
The World Bank. (November 2009). Sino-Singapore Tianjin Eco-City: A Case Study of an
Emerging Eco-City in China, Technical Assistance (TA) Report.
Yinghao Li, C. B.-F. (2018). Un modèle de développement urbain durable peut-il s’exporter ? La
construction de « l’exemplaire » éco-cité de Tianjin.

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