Le développement durable urbain :
nouveau concept pour la coopération universitaire
et professionnelle entre l’Europe et l’Amérique
Latine
YOUSSEF GEORGES DIAB1, SERGE BETHELOT1, DENIS MORAND1
1
Université de Marne la Vallée, Département Génie Urbain (Pôle Ville/IFG)
5 Boulevard Descartes
77454 Marne la Vallée Cedex, France
Youssef.Diab@univ-mlv.fr
Résumé— Au lieu de chercher une exhaustivité illusoire, le
formation dans le domaine du développement durable urbain que
nous proposons veulent plutôt privilégier la valorisation, la
validation et l’analyse de stratégies et de technologies de
conception et de maintenance des ouvrages urbains (habitats,
infrastructures, friches urbaines, équipements) en vue d’une
préservation de l’environnement et d’une participation des
différents acteurs de la ville, en particulier les habitants.
Les expériences récentes de bâtiments HQE (haute qualité
environnementale) ont montré que les constructions pouvaient
elles aussi être ‘durables’. Notre volonté est de sensibiliser les
futurs diplômés, qui seront des maîtres d’ouvrages, des maîtres
d’œuvres et des cadres opérationnels dans le domaine de la ville, à
la prise en compte des préoccupations environnementales et
sociales lorsqu’ils élaborent leur politique urbaine. En fait, le
principal obstacle d’une conception, réalisation et maintenance
durable est, pour les acteurs, l’absence de formations spécialisées
bien ciblées, adaptées à un tel objectif.
Mots clés— Développement durable, génie urbain, enseignement
professionnalisé.
I. LE CONCEPT DE LA DURABILITE URBAINE
L’analyse des rapports de la ville et de l’environnement n’est
pas une nouveauté. Initiée aux États-Unis après la seconde
guerre mondiale avec les travaux d’Eugen P. Odum [1] et
d’Abel Wolman [2] — qui l’un comme l’autre dénonçaient le
gaspillage urbain (gaspillage des sols fertiles soustraits à
l’agriculture, de l’eau et de l’énergie) et la pollution
conséquente (atmosphérique et aquatique, déchets) — elle a
particulièrement été développée dans les années 1970 dans le
cadre du programme MAB (man and biosphere) de
l’UNESCO et notamment de son projet 11 “établissements
humains” qui visait à une approche globale et systémique de
l’environnement urbain intégrant les dimensions naturalistes et
sociales [3]. En France, les travaux de recherche sont restés
relativement dispersés comme l’a montré Francis Beaucire,
l’écologie urbaine étant définie très différemment selon les
disciplines et restant tiraillée entre une conception
sociologique — héritage de l’école de Chicago — et
naturaliste — caractérisation de l’écosystème urbain — sans
que la liaison soit opérée entre les deux [4].
Au cours des quinze à vingt dernières années, le contexte a
considérablement évolué, et ce pour plusieurs raisons. D’une
part, l’impératif écologique devenait un impératif politique,
que ce soit à l’échelle mondiale, européenne ou hexagonale.
La préoccupation environnementale est ainsi entrée dans la
ville, que ce soit sous la (relative) contrainte — déchets,
transports — ou par une volonté locale traduite entre autres
par la mise en œuvre de chartes d’environnement ou plus
récemment d’agendas 21, mais aussi par l’intégration de la
protection de l’environnement aux services techniques (mais
environnement se substitue souvent à assainissement), ou
encore par la réalisation (encore rare) d’opérations à haute
qualité environnementale (dans le secteur du bâtiment plus que
dans celui de l’aménagement). D’autre part, la nature de
l’impératif elle-même changeait avec l’émergence de la
durabilité qui donnait une nouvelle dimension à
l’environnement urbain, et l’intégrait à une préoccupation plus
vaste, plus inquiète et plus ambitieuse. Il ne s’agit plus
seulement de préserver les ressources ou d’améliorer le cadre
et les conditions de vie, mais de poser le principe d’une
solidarité intra et inter générationnelle, donc de prendre en
compte non seulement les besoins présents mais aussi ceux des
citoyens à naître ; d’harmoniser les critères sociaux, éthiques,
environnementaux et économiques, ce en quoi l’écologie
urbaine et notamment le déjà cité programme MAB avaient
échoué.
Enfin, la nature des questions à traiter comme des solutions à
mettre en œuvre évoluait en raison des tendances ci-dessus
mentionnées, mais aussi de l’identification de nouveaux
enjeux, de nouveaux problèmes que l’écologie urbaine n’avait
pas abordés parce qu’ils ne se posaient pas ou parce qu’ils ne
signifiaient pas. On peut par exemple citer la question du
temps — contenue dans le terme de durabilité d’ailleurs plus
que dans celui de sustainability — et de l’espace — résumée
dans le désormais classique “penser globalement, agir
localement” ; celle de la précaution, de la réversibilité et de la
path dependence ; celles de la participation, de l’engagement
et de la citoyenneté puisque la durabilité implique une
responsabilisation au présent pour le futur ; celle, enfin (et
encore cet inventaire à la Prévert est-il loin d’être exhaustif),
de l’intégration qui semble aller au-delà de la
pluridisciplinarité ou de la transdisciplinarité, puisque toutes
les questions que nous avons évoquées se posent en même
temps à différentes disciplines, puisque les réponses attendues
(voir par exemple les indicateurs de développement durable)
doivent être conçues comme un concert et non comme un
collage — en théorie sinon en pratique.
II. L’APPROCHE DISCIPLINAIRE
L’approche environnementale a été développée dans des
domaines aussi divers que les sciences pour l’ingénieur (génie
urbain notamment), la conception architecturale et urbaine,
l’analyse des milieux urbains, la sociologie urbaine. Pour
chacune de ces disciplines, nous retracerons, en qualité
d’acteurs engagés dans la recherche depuis une ou plusieurs
décennies, la manière dont les outils méthodologiques ont été
élaborés, sur la base de savoirs existants, ou renouvelés.
Certaines démarches ont pu croiser le développement de
concepts élaborés dans d’autres contextes, qu’il faudra
analyser. C’est le cas, à titre d’exemple, du minimalisme, de la
dématérialisation, du métabolisme en architecture, ou de
modèles urbains comme la ville linéaire ou la ville dense [5],
cette dernière révélant une inversion de la pensée écologiste du
“retour à la nature naturante” [6].
La construction de systèmes d’indicateurs environnementaux
tend à considérer la ville comme un cas particulier
d’écosystème, présentant une certaine configuration de flux de
matière, d’énergie, d’information, dans le souci de donner un
contenu opérationnel à la notion de développement durable.
Des relations existent avec le secteur de l’écologie industrielle
[7], utilisant la notion d’analyse du cycle de vie, sur le modèle
du métabolisme industriel [8].
Ce renouvellement des méthodologies s’opère en raison d’une
dimension temporelle apte à intégrer les dynamiques
technologiques et sociales dans le long terme, prospectif et
rétrospectif (path dependence globale ou “effet d’ornière”
technique).
La transposition locale de la durabilité, dans son principe de
solidarité intra et inter générationnelle et de réversibilité des
établissements humains, dans le respect de principes généraux
et globaux établis au nom de la planète, conduit à la
réhabilitation des territoires et des sociétés civiles implantées
dans ces derniers. En se proposant de respecter des principes
généraux, voire universels, sans nier la dimension locale des
établissements humains, la durabilité se situe au centre de la
tension entre culture objective et culture subjective dont Georg
Simmel signalait déjà l’existence au tournant du XIXe et du
XXe siècles [9].
Dans sa dimension physique et matérielle, le territoire resurgit,
en réponse aux approches “réseaux” qui ont prévalu dans un
passé récent, par la valorisation des ressources naturelles et
surtout locales dont le site, le sol, les énergies, les matériaux.
Deux approches dominent les travaux récents, “l’empreinte
écologique” d’une ville qui comptabilise les territoires
mobilisés par les activités, et “l’île de développement
durable”, qui tente d’intensifier les interactions entre les agents
économiques proches, locaux et régionaux [10].
III. UNE APPROCHE TRANSVERSALE DEPASSANT LES LOGIQUES
SECTORIELLES
Les nouveaux outils d’évaluation de la performance
environnementale des systèmes urbains peuvent conduire à la
remise en cause de solutions techniques impliquant plusieurs
domaines — comme dans la collecte des déchets, la
conception des réseaux d’assainissement, le traitement des
eaux pluviales et des eaux usées, les modes de construction
des bâtiments et des infrastructures urbaines — et de façon
croissante, les aspects comportementaux — les modes de
consommation, les modes de déplacements, les modes de vie
dans le logement, etc.
Nous analyserons de quelle manière les réponses apportées par
discipline témoignent (ou ne témoignent pas) d’un
dépassement des logiques sectorielles, soit par la constitution
d’un noyau partagé, sinon commun, entre les disciplines,
réunissant savoirs, représentations, outils méthodologiques,
soit par l’apparition de nécessaires complémentarités entre les
différentes approches. À tout le moins, il conviendra de
dresser les conditions d’une réponse au hiatus entre l’exigence
de transversalité et la tendance à l’autonomie sectorielle que
traduisent les cultures disciplinaires, les appareils
institutionnels et professionnels, les réglementations, etc. Les
approches retenues, si elles peuvent sembler relativement
éloignées les unes des autres, convoquent souvent les mêmes
concepts, catégories ou notions. Après leur identification dans
chacun des domaines, l’approche transversale permettra d’en
mesurer la validité dans le cadre de la durabilité, d’identifier
les glissements de sens et ou les permanences d’un domaine à
l’autre et les conditions de l’émergence, au-delà des rencontres
marginales à tous les sens du terme, d’une communauté
scientifique durable.
IV. LA FORMATION DANS LE DOMAINE DU DEVELOPPEMENT
DURABLE URBAIN A L’UNIVERSITE DE MARNE LA VALLEE
Depuis plusieurs années, l’Université de Marne la Vallée
(UMLV) a mis en place et conforté une offre de formation
dans le domaine des sciences de la ville. Les services urbains
et la gestion de leur support technique tout au long de leur vie
n’avaient pas, jusqu’à maintenant, donné lieu à des formations
spécifiques malgré leur contribution importante au
‘développement durable’. Par ailleurs, la maintenance urbaine
constitue un enjeu majeur dans les pays développés, où les
ouvrages vieillissent mal et causent de nombreux problèmes
environnementaux. Le besoin de formation est d’autant plus
important que le contexte des sciences de la ville connaît
d’importantes évolutions depuis quelques années : loi de 1999
relative au renforcement et à la simplification de la
coopération intercommunale, loi de 1999 d'orientation pour
l'aménagement et le développement durable du territoire, la loi
Solidarité et Renouvellement Urbain récemment adoptée.
La formation envisagée peut être suivi aussi bien par des
étudiants ayant déjà une formation en génie civil urbain que
par des étudiants titulaires d’une maîtrise scientifique dans les
spécialités autres que le génie civil telles que l’urbanisme,
l’aménagement, la géographie et le génie de l’environnement.
 A. Les objectifs prioritaires d'une formation dédiée au
développement durable urbain
1. permettre aux étudiants ayant une bonne formation
scientifique de base d’acquérir des connaissances
théoriques et techniques dans les domaines de la
maintenance urbaine et du développement durable. Ces
deux secteurs sont innovants et offrent de bonnes
perspectives de développement ;
2. permettre aux étudiants de développer des « savoir-faire »
pour appliquer les connaissances précédentes aux secteur
de la maintenance – domaine d’activité où des progrès
importants doivent être faits pour la préservation de
l’environnement et de la qualité de vie tout en impliquant
les usagers et les habitants dans le processus de décision ;
3. inciter les étudiants à prendre en compte le développement
durable dans leur projet professionnel et leur permettre de
préciser ce projet.
B. Procédures permettant la mise en œuvre de ces priorités
Les objectifs précédents ont conduit les porteurs du projet à
structurer la formation envisagée en cinq groupes
d’enseignements ou d’activités :
1. des enseignements généraux (aide à la décision et
analyse multicritère , système d’information
géographique, veille technologique, nouvelles
technologies d’information et de communication, anglais
technique) ;
2. des enseignements spécialisés relatifs à l’environnement
urbain (base d’écologie urbaine, analyse des cycles de
vie, pollutions causées par les ouvrages urbains, solutions
pour protéger l’environnement et techniques alternatives,
les notions de HQE) ;
3. des enseignements spécialisés relatifs aux techniques de
la maintenance urbaine (les ouvrages et les équipements
urbains, la pathologie et les méthodes d’inspection et de
diagnostic, les techniques de réhabilitation, méthodes de
gestion du patrimoine et de hiérarchisation des risques) ;
4. des enseignements spécialisés relatifs aux sciences
urbaines et sociales (les acteurs et les politiques de la
ville, les notions d’échelle, la maîtrise d’œuvre d’un projet
de maintenance, l’urbanisme opérationnel, le
renouvellement urbain et l’habitat, les méthodes d’enquête
sociales , l’identification et l’analyse des besoins)
5. une insertion professionnelle par un projet de type
industriel et un stage d’application en milieu
professionnel.
Ces enseignements ont été mis en œuvre à l'Université de
Marne la Vallée dès la rentrée 2001 (DESS Maintenance
Urbaine et Développement Durable) et ont fait appel à de
nombreux spécialistes des domaines abordés : ingénieurs,
architectes, maîtres d'ouvrages, chercheurs, … La diversité des
fonctions et des disciplines de ces intervenants montre que le
développement durable est une préoccupation qui s'est
solidement ancrée dans les esprits et dans les pratiques. Cette
diversité s'est par ailleurs retrouvée dans les stages
professionnels choisis par les étudiants de cette première
promotion.
V. PROPOSITION DE COOPERATION
Les formations que nous souhaitons mettre en place dans le
cadre de la coopération sont construites autour de trois pôles
thématiques :
1. le premier concerne l’ingénierie, les techniques et les
méthodologies d’identification, de diagnostic et de
réhabilitation des ouvrages urbains ainsi que leur
pathologie. Il a pour objectif de familiariser les étudiants
avec les méthodes et les techniques les plus couramment
utilisées. Cette démarche sera réalisée dans l'optique d'un
transfert de technologie entre l'Europe et l'Amérique
latine.
2. le deuxième pôle sera dédié aux notions d’écologie
urbaine, de développement durable et de pollutions
causées par le vieillissement des ouvrages urbains et
l’analyse des cycles de vie. Dans ce pôle, l'implication des
acteurs locaux est indispensable car les informations
recueillis in situ sont aussi importantes que celles
données dans la littérature.
3. le troisième pôle est dédié à la politique urbaine, le
renouvellement urbain et l’intégration des habitants dans
les approches environnementales et de maintenance
urbaine. Nous pensons que ce pôle reste très émergeant
dans le contexte de l'Amérique Latine.
Nous notons enfin, que le concept du développement durable
urbain est bien adapté au contexte de la coopération Europe –
Amérique Latine car il intègre des préoccupations sociales,
économiques et environnementales. Chacune de ces
préoccupations regroupe des approches transversales. Par
ailleurs, la problématique de la maintenance urbaine et du
développement durable est le sujet d’une proposition, par les
auteurs du présent article, d’un programme de coopération et
d’échange Alfa (en cours d’évaluation par la commission
européenne) qui regroupe 5 universités européennes et 7
universités d’Amérique Latine.
VI. REFERENCES
[1] E. P. ODUM, Ecology, New York, 1963
[2] A. WOLMAN, “The Metabolism of Cities”, Scientific
American 213(3), sept. 1965, p. 179-188, 190.
[3] Voir par exemple : “L'homme dans les écosystèmes”,
Revue internationale des sciences sociales 34(3), 1982 ;
S. BOYDEN, S. MILLAR, K. NEWCOMBE, B.
O'NEILL, The Ecology of a City and its People : the Case
of Hong Kong, Canberra, Australian National University
Press, 1981.
[4] F. BEAUCIRE, Enquête sur la notion et les pratiques
de l'écologie urbaine, rapport de recherche pour le compte
du PIREN du CNRS, 1985.
[5] Cf. Le livre vert sur l’Environnement urbain, CEE,
(1990), qui dresse des objectifs généraux au
développement urbain des villes (l’utilisation
multifonctionnellle de l’espace urbain, la valorisation du
patrimoine, l’équipement dans les limites de la ville
existante).
[6] A. BERQUE, “Des toits, des étoiles”, Annales de la
recherche urbaine “Natures en ville” 74, mai 1997, p. 5-
11.
[7] J. VIGNERON, “Écologie et système industriel”, in :
P. ESQUISSAUD, Écologie industrielle, Paris, Hermann,
1990, p. 1-26.
[8] Voir S. ERKMAN, Vers une écologie industrielle,
comment mettre en pratique le développement durable
dans une société hyper-industrielle, Paris, Charles
Léopold Mayer / La librairie FPH, 1998.
[9] G. SIMMEL, “Métropoles et mentalité”, in : Y.
GRAFMEYER, I. JOSEPH (éds.), L’École de Chicago.
Naissance de l’écologie urbaine, Paris, Aubier, 1984, p.
61-77.
[10] Voir les travaux de l’Université technique de Graz
pour les systèmes industriels.