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l’épigramme

1. Trompeuses apparences

Sur Gemellus et Alcine


Gemellus demande Alcine en mariage
et il désire, et il presse, et il prie, et il offre [des présents].
Est-elle si belle ? Mais non, rien n’est plus laid.
Qu’est-ce donc qu’il recherche et qui lui plaît en elle ? La toux.

Sur Gellia
Gellia a perdu son père, et ne le pleure pas quand elle est seule.
Voici quelqu’un : des larmes de commande jaillissent.
On ne pleure pas pour être admiré, Gellia ;
La vraie douleur, c’est la douleur sans témoin.

Sur Thaïs et Lecania


Thaïs a les dents noires, Lécania blanches comme neige.
Pourquoi ? Celle-là a gardé ses dents ; celle-ci les a achetées.

Contre Paula
Tu veux, Paula, te marier avec Priscus. Tu ne m’étonnes pas : tu as du goût.
Priscus ne veut pas se marier avec toi : lui aussi a du goût.

Martial, Épigrammes, Ier siècle après J.-C.,


traduit du latin
par Yves Ouvrard, site de l’académie de
Poitiers, 2001

Martial : (vers 40-104) est un poète latin essentiellement connu pour ses épigrammes, dans
lesquelles il dénonce les petits défauts comme les grands vices de son époque.

Les épigrammes sont des textes brefs et satiriques qui ont pour enjeu de dénoncer le travers d'une
personne et de la société, par exemple ici : le mariage par intérêt, l’hypocrisie ou le culte des
apparences. Les épigrammes se terminent par une chute

L'apparence compte-t-elle plus que tout ?

Aux côtés d’autres fables, telles que « Le Chat et un vieux rat », « Le Cochet, le Chat et le Souriceau »
ou « Le Paysan du Danube », « Le Singe et le Léopard » met en garde contre les apparences.

Le singe avec le léopard


Gagnaient de l’argent à la foire ;
Ils affichaient1 chacun à part.
L’un deux disait : « Messieurs, mon mérite et ma gloire
Sont connus en bon lieu ; le roi m’a voulu voir ;
Et si je meurs, il veut avoir
Un manchon2 de ma peau : tant elle est bigarrée,
Pleine de tâches, marquetée,
Et vergetée, et mouchetée3 ! »
La bigarrure plaît ; partant4 chacun le vit.
Mais ce fut bientôt fait, bientôt chacun sortit.
Le singe de sa part disait : « Venez, de grâce ;
Venez, Messieurs ; je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin Léopard l’a sur soi seulement ;
Moi, je l’ai dans l’esprit : votre serviteur Gille,
Cousin et gendre de Bertrand
Singe du pape en son vivant,
Tout fraîchement en cette ville
Arrive en trois bateaux, exprès pour vous parler ;
Car il parle, on l’entend ; il sait danser, baller5,
Faire des tours de toute sorte,
Passer en des cerceaux ; et le tout pour six blancs6 !
Non, Messieurs, pour un sou ; si vous n’êtes contents,
Nous rendrons à chacun son argent à la porte. »
Le singe avait raison. Ce n’est pas sur l’habit
Que la diversité me plaît, c’est dans l’esprit :
L’une fournit toujours des choses agréables ;
L’autre, en moins d’un moment, lasse les regardants.
Oh ! que de grands seigneurs, au léopard semblables,
N’ont que l’habit pour tous talents !

Jean de La Fontaine, « Le Singe et le Léopard », Fables, Livre IX, 1678.

1. Présentaient leur numéro.


2. Vêtement que l’on met sur les manches et les mains pour avoir chaud.
3. « Bigarrée », « marquetée », « vergetée », « mouchetée » sont plus ou moins synonymes de
« tachetée ».
4. Par conséquent.
5. Danser (dans un bal).
6. Ancienne monnaie.

Jean de La Fontaine (1621-1695): Jean de La Fontaine est avant tout célèbre pour ses fables, de
courts récits en vers introduits ou achevés par une morale.

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