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11. La boîte de Pandore : Paris et le problème de l’empire | Cairn.

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11. La boîte de Pandore : Paris et le problème de


l’empire
Robert Gerwarth
Dans Les Vaincus (2017), pages 215 à 233

Chapitre

A u milieu des bouleversements révolutionnaires et contre-révolutionnaires de


l’Europe centrale et orientale, la conférence de paix de Paris se réunit à la mi-
janvier 1919 afin de décider de l’avenir des vaincus. Comme le reconnut
1

rétrospectivement le Premier ministre britannique David Lloyd George, la nature de


cette conférence de paix n’avait rien à voir avec celle du siècle précédent, le congrès
de Vienne de 1814-1815. Tout d’abord, et c’était la différence la plus importante, les
puissances impériales vaincues et les États qui leur avaient succédé – l’Allemagne,
l’Autriche, la Hongrie, la Bulgarie et l’Empire ottoman – avaient été exclus des
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Grande-Bretagne continuaient à s’escrimer à renverser le gouvernement bolchevique
de Lénine en offrant un soutien militaire et logistique à ses adversaires blancs. La

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seconde différence résidait dans la taille et la composition de la conférence de paix de


Paris. Alors que le congrès de Vienne avait été une affaire exclusivement européenne,
à laquelle seulement cinq pays avaient participé, la conférence de paix de Paris
accueillit plus de trente États alliés ou associés (1). Il était clair que tous les
participants n’avaient pas les mêmes droits dans les discussions. Tout en haut de la
pyramide, il y avait le « Conseil des Dix », supplanté à partir du 14 mars 1919 par le «
Conseil des Quatre ». Le Conseil des Quatre était dirigé par le pays d’accueil de la
conférence, en la personne du président du Conseil français Georges Clemenceau, et
était composé du président des États-Unis Woodrow Wilson, du Premier ministre
britannique David Lloyd George, et, même s’il disposait de bien moins de poids, du
chef du gouvernement italien, Vittorio Emmanuele Orlando. Fin avril, l’Italie se
retira temporairement de la conférence pour protester contre l’absence de réponse à
ses revendications territoriales sur le port adriatique de Fiume (Rijeka), si bien que ce
fut essentiellement les Big Three – Clemenceau, Wilson et Lloyd George – qui prirent
les décisions. Pendant leurs délibérations, ils furent conseillés par cinquante-deux
commissions d’experts qui planchaient par exemple sur les problèmes complexes des
réparations ou des nouvelles frontières (2).

Peu après le début de la conférence, il devint clair que les chefs de chaque délégation 2
étaient venus à Paris bien déterminés à atteindre leurs propres objectifs, qui se
révélèrent souvent incompatibles avec ceux des autres chefs alliés. Pour la France,
l’avenir de son puissant voisin, l’Allemagne, était la question la plus importante.
Clemenceau décida de faire commencer la conférence le 18 janvier, soit à la date
anniversaire de la fondation du Reich à Versailles, après la défaite humiliante de la
France lors de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Trouver une solution au «
problème allemand » qui hantait Paris depuis si longtemps était considéré à la fois
comme une question de justice et une question de sécurité nationale : pendant la
Grande Guerre, dix départements français avaient directement souffert des combats
ou avaient été occupés, laissant de grandes zones du nord-est du pays en ruine. Pire,
la France avait perdu un quart de sa population masculine âgée de dix-huit à vingt-
sept ans. De tous les Alliés occidentaux, c’était certainement le pays qui avait été le
plus directement et le plus profondément affecté par le conflit. Clemenceau ne savait
que trop bien qu’une majorité écrasante des Français désirait que les vaincus soient
punis et que les vainqueurs (dont la France) soient justement dédommagés. Afin de
s’assurer que plus jamais l’Allemagne ne représenterait une menace pour son pays,

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divers plans furent envisagés par Clemenceau et ses conseillers : un démantèlement


complet du Reich ; l’occupation de la plus grande partie de la Rhénanie ; et la création
d’États alliés puissants sur la frontière orientale de l’Allemagne (3).

Pour les Britanniques – qui, à cette époque comme avant la guerre, étaient avant tout 3
préoccupés par l’« équilibre des puissances » sur le continent –, la perspective d’une
hégémonie française était une menace aussi grave que l’avait été la domination
allemande avant guerre. Par conséquent, au lieu de soutenir les exigences françaises,
Lloyd George voulut rétablir les échanges commerciaux avec l’Allemagne, même si,
en Grande-Bretagne le grand public semblait désirer que le Reich fût châtié d’une
façon ou d’une autre. Il fallait donc amoindrir l’importance mondiale de l’Allemagne
(en lui confisquant ses colonies d’outre-mer et en sabordant sa flotte) sans pour
autant rendre impossibles les échanges commerciaux bilatéraux. En effet,
l’Allemagne avait été un important partenaire commercial des Britanniques avant la
guerre, si bien qu’une Allemagne complètement appauvrie et potentiellement
bolchevique n’était nullement dans l’intérêt de Londres. En même temps, toutefois,
en raison du résultat des élections générales qui s’étaient tenues en décembre 1918,
Lloyd George subissait une forte pression interne pour imposer une paix brutale à
l’Allemagne, notamment de la part des journaux conservateurs comme ceux de lord
Northcliffe, le Daily Mail et le Times, qui exigeaient des réparations substantielles
ainsi que le procès et l’exécution du kaiser Guillaume II pour crimes de guerre. Les
intérêts de la Grande-Bretagne s’opposèrent également à ceux de la France au
Moyen-Orient, où étaient en jeu des intérêts aussi bien vitaux qu’économiques (4).

Le président américain Wilson, de son côté, avait toujours soutenu que la conférence 4
devait déboucher sur une « paix juste » et conduire à la création d’un nouveau
système de relations internationales fondé sur une interprétation radicalement
nouvelle de la souveraineté populaire et applicable à l’échelle mondiale. Partout, des
individus rationnels et moralement responsables éliraient des gouvernements
souverains. Les sujets que Wilson avait à cœur – la mise en œuvre du principe d’«
autodétermination » nationale (c’est-à-dire un gouvernement dérivé de la
souveraineté populaire) et la création d’une Société des Nations qui rendrait les
guerres futures improbables, voire impossibles, en garantissant la sécurité collective
et la paix internationale – occupaient une place extrêmement importante dans son
agenda politique (5). Il avait en tête l’exemple des États-Unis, et désirait l’universaliser
pour l’appliquer à l’Europe. Au sein des États qui avaient succédé aux empires

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européens, les différences religieuses et ethniques devaient donc être préservées et


protégées, à condition que les minorités adhèrent aux valeurs primordiales de la
communauté nationale dans laquelle elles vivaient (6). Derrière l’idéalisme apparent
de Wilson, ce dernier poursuivait un objectif bien précis : si la Grande Guerre et la
victoire des Alliés avaient déplacé l’équilibre mondial des puissances en donnant
l’avantage aux États-Unis au détriment de l’Europe, le nouvel ordre mondial qu’il
défendait devait consolider une fois pour toutes la domination mondiale de son pays,
et ce aussi bien politiquement qu’économiquement (7).

Réconcilier les positions conflictuelles des Alliés tout en satisfaisant les délégations 5
des pays plus petits s’avéra une tâche tout simplement impossible. Même si les chefs
politiques des Alliés occidentaux refusaient de l’admettre, ils furent parfaitement
conscients dès le début des délibérations que les versions finales des traités de paix
ne pourraient que résulter d’un compromis – non entre les vainqueurs et les vaincus,
mais entre les acteurs principaux du camp allié (8).

Eu égard à la complexité des attentes, les traités de paix de Paris seraient 6


inévitablement décevants pour chaque partie. Avec le recul, les historiens se sont
montrés plus charitables en évaluant ces traités que leurs contemporains, prenant en
compte le fait que les artisans de la paix à Paris furent souvent obligés d’accepter de
nouvelles réalités qui étaient déjà présentes sur le terrain, réduisant leur rôle à un
simple arbitrage entre les ambitions concurrentes des différentes parties (9). Mais
tous les historiens ne sont pas convaincus que les artisans de la paix tirèrent le
meilleur parti de cette situation difficile, dans la mesure où, selon eux, la conférence
de paix de Paris échoua à atteindre son objectif principal : créer un nouvel ordre
mondial sûr, en paix et pérenne (10).

Le démaillage en moins de deux décennies de ce nouvel ordre établi à Paris doit 7


toutefois beaucoup à l’essor de forces nationalistes et révisionnistes puissantes dans
les pays vaincus d’Europe ; ce fut clairement le cas en Allemagne, où les
bouleversements économiques qui suivirent la Grande Dépression de 1929 jouèrent
en faveur du mouvement nazi de Hitler, qui n’avait jamais cessé d’affirmer qu’il
taillerait en pièces la « paix imposée » de Versailles, par la force si nécessaire. C’est
d’ailleurs précisément en raison de l’essor du nazisme que les historiens comme le
grand public ont prêté une bien plus grande attention au traité de Versailles qu’aux
autres aspects de la conférence de paix. Pourtant, on pourrait à bon droit soutenir
que l’accent mis sur Versailles (et notamment sur la question des réparations,
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fondées juridiquement par l’article 231 du traité de Versailles, qui stipule la


responsabilité de l’Allemagne et de ses alliés dans le déclenchement de la Première
Guerre mondiale et les dommages causés durant le conflit) a déformé notre
compréhension de la conférence de paix de Paris et, dans une certaine mesure,
marginalisé ce qui était pourtant alors l’unique grand problème en jeu : la
transformation de tout un continent précédemment dominé par des empires
terrestres en un continent composé d’« États-nations ». Ce problème n’était devenu
central que vers la toute fin de la guerre. Ni Londres ni Paris n’étaient partis au front
en 1914 avec pour objectif de créer une « Europe des nations », et ce fut seulement à
partir de début 1918 que la destruction des empires terrestres devint un objectif
explicite (11).

Il convient de rappeler l’échelle de cette transformation : quand la Première Guerre 8


mondiale se termina officiellement avec la victoire des Alliés, trois immenses
empires terrestres dirigés par des dynasties de plusieurs siècles – les Empires
ottoman, des Habsbourg et des Romanov – disparurent de la carte. Un quatrième,
l’Allemagne impériale, qui était devenu un grand empire terrestre pendant la Grande
Guerre en conquérant d’énormes territoires en Europe de l’Est et centrale, vit sa taille
réduite à la portion congrue, se fit confisquer ses colonies d’outre-mer et fut
transformé en une démocratie parlementaire dotée de ce que les Allemands, quel que
soit leur bord politique, appelaient une « frontière sanglante » à l’Est (12). Les empires
européens occidentaux furent également affectés par le cataclysme de la guerre : si le
soulèvement nationaliste de l’Irlande avait échoué en 1916, elle obtint son
indépendance après une guerre de guérilla sanglante contre les forces britanniques
en 1922 (13). Partout ailleurs, de l’Inde à l’Égypte, des mouvements nationalistes
naissaient, inspirés par le discours public sur le « développement autonome » et l’«
autodétermination nationale », tels qu’ils avaient été énoncés, avec toutefois des
intentions fort différentes, par Woodrow Wilson et Lénine (14). Tous ceux qui
cherchaient à faire reconnaître leur droit à avoir un État, dont les sionistes, les
Arméniens et les Arabes, dépêchèrent des porte-parole à Paris pour défendre leur
droit à l’autodétermination. De nouveaux acteurs, comme le premier Congrès
panafricain, portèrent le même type de revendications, tandis qu’un jeune
Vietnamien, aide-cuisinier au Ritz, à Paris, Nguyên Sinh Cung (plus connu sous son
futur nom de guerre* Hô Chi Minh), envoyait une pétition exigeant que la France
reconnaisse l’indépendance de son petit pays (15).

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En fin de compte, ces petits mouvements de décolonisation extra-européens allaient 9


être fort déçus par les résultats de la conférence de paix de Paris, car, si le droit à
l’autodétermination nationale fut accordé à certains nouveaux États d’Europe
centrale qui avaient les faveurs des Alliés, il fut refusé à tous les autres. La déception
se transforma bientôt en activisme violent : en Égypte, en Inde, en Irak, en
Afghanistan et en Birmanie, la Grande-Bretagne réprima avec une grande fermeté
l’agitation anticoloniale, tandis que, pendant les décennies qui suivirent, la France
combattit sans relâche ceux qui résistaient à ses ambitions impériales en Algérie, en
Syrie, en Indochine ou encore au Maroc (16). Mais c’est en Europe centrale et en
Europe de l’Est ainsi que dans les anciens territoires de l’Empire ottoman que les
effets de la défaite et de l’implosion des structures impériales se firent sentir avec le
plus d’intensité et le plus d’immédiateté. Dix nouveaux États émergèrent des ruines
des empires continentaux désintégrés : la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie,
la Pologne, la Tchécoslovaquie, l’Autriche allemande, la Hongrie, la Yougoslavie et la
Turquie. Pendant ce temps, au Levant, qui avait été pendant des siècles sous la coupe
des Ottomans, la Grande-Bretagne et la France entreprirent d’inventer de nouveaux
États : la Palestine, la Transjordanie (la Jordanie), la Syrie, le Liban et la Mésopotamie
(l’Irak) allaient devenir des « mandats » de la Société des Nations, administrés par
Londres et Paris qui, dans un futur indéterminé, devaient être libérés de cette tutelle
pour devenir des États souverains et indépendants (17). Si, en théorie, la conférence de
paix de Paris affirma que l’État-nation autodéterminé était la seule forme légitime
d’organisation politique, les États vainqueurs étaient tous des empires d’une façon
ou d’une autre. Cela n’était pas seulement vrai de la France et de la Grande-Bretagne
dont l’empire d’outremer s’était encore agrandi par le biais de ces mandats, mais
également de l’Italie, de la Grèce et du Japon, qui désiraient créer des empires en Asie
et en Méditerranée, et qui tous essayaient de grappiller des miettes dans la grande
foire d’empoigne de distribution des terres impériales après 1918. Même les États-
Unis étaient un empire, exerçant différentes formes de souveraineté sur des
territoires aussi divers que l’Alaska, Hawaï, Porto Rico, Panamá et les Philippines,
sans même évoquer son immense influence non officielle sur des États indépendants
comme Cuba, Haïti ou le Mexique (18).

Fin 1918, avant même qu’une quelconque décision eût été prise quant à la forme 10
future du Moyen-Orient, le futur dictateur italien Benito Mussolini se fendit d’un
texte célèbre au ton apocalyptique dans son journal Il Popolo d’Italia sur la
désintégration des grands empires terrestres européens : ni la chute de l’ancienne

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Rome ni la défaite de Napoléon ne pouvaient être comparées en termes d’impact


historique au redécoupage en cours de la carte politique de l’Europe. « Toute la Terre
tremble […]. Dans la vieille Europe, les hommes disparaissent, les systèmes se
brisent, les institutions s’effondrent (19). » Pour une fois, Mussolini n’avait pas tort.
Pendant des siècles, l’histoire européenne avait été une histoire des empires. À la
veille de la Grande Guerre, la plus grande partie des terres du monde habité étaient
divisées entre les empires européens, ou en étaient économiquement dépendantes,
et rien n’indiquait que l’époque des empires terrestres arrivait à son terme.

Bien sûr, le « printemps des peuples » provoqué par des mouvements nationalistes au 11
milieu du XIXe siècle représenta un défi pour le pouvoir impérial, notamment dans
les Balkans, où la concurrence entre les intérêts nationaux et impériaux avait une
histoire qui datait de bien avant la Grande Guerre. Depuis le premier soulèvement
serbe de 1804-1813, la révolution grecque de 1821, la grande crise orientale du milieu
des années 1870, la guerre gréco-turque de 1897, le soulèvement macédonien de 1903,
la révolution des Jeunes-Turcs en 1908 ou encore les insurrections albanaises de 1909-
1912, les Balkans avaient connu un long siècle de violences et de désordres qui
marqua leur transition de la férule impériale ottomane à l’indépendance et l’État-
nation (20). Le nationalisme balkanique avait violemment explosé lors des guerres
balkaniques de 1912-1913, quand la Serbie, le Monténégro, la Grèce et la Bulgarie
s’étaient alliés pour chasser les Ottomans des territoires européens qu’ils
contrôlaient encore, avant de se retourner les uns contre les autres au moment de se
partager le butin (21). L’afflux conséquent en Anatolie d’un nombre immense de
réfugiés musulmans aussi pauvres que brutalisés allait avoir de grandes
conséquences sur les relations entre chrétiens et musulmans, qui se dégradaient à
toute vitesse au sein d’un Empire ottoman dont le territoire se réduisait (22).

Mais la situation des Balkans en 1912-1913 était exceptionnelle. S’il y avait bien des 12
revendications d’autonomie un peu partout au sein des structures impériales,
notamment en Autriche-Hongrie et en Russie, bien peu en 1914 auraient prédit (ou
même souhaité) une dissolution complète des empires terrestres continentaux, du
moins jusqu’aux débuts des hostilités en août. C’était la réforme, et non la révolution
nationale, qu’avaient en tête ceux qui critiquaient publiquement les structures
impériales de l’époque. Même si le déclin et la chute des empires terrestres
continentaux d’Europe après 1918 ont souvent été rétrospectivement présentés

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comme les fruits d’un processus historique inéluctable, il importe de se rappeler que,
du point de vue de 1914, les dynasties au pouvoir semblaient fermement installées et
parfaitement contrôler les immenses territoires appartenant à leurs empires (23).

La complexité du monde des empires qui existait en 1914 peut être illustrée par 13
l’exemple de l’Autriche-Hongrie. Avant la guerre, la Double Monarchie était le
troisième État le plus peuplé d’Europe (après la Russie impériale et le Reich
allemand), et l’un des empires les plus multiethniques et les plus multilinguistiques.
Selon le recensement officiel de 1910, plus de 23 % de la population de l’empire
avaient l’allemand pour première langue, tandis que 20 % parlaient hongrois. Si
l’allemand et le hongrois étaient les langues les plus couramment parlées, il y en avait
bien d’autres : 16 % parlaient le tchèque ou le slovaque, presque 10 % le polonais,
presque 9 % le serbe, le croate ou le bosniaque, auxquels s’ajoutaient 8 % parlant
l’ukrainien, 6 % le roumain, 2 % le slovène et 1,5 % l’italien. Les 2,3 millions d’individus
restants parlaient toute une variété d’autres langues (24). Les allégeances de ces
différentes communautés ethnolinguistiques étaient avant tout dynastiques, c’est-à-
dire qu’elles allaient au kaiser de la Double Monarchie. Suite à la défaite
catastrophique de Vienne contre la Prusse en 1866, François-Joseph avait mis en
place un certain nombre de réformes, dont surtout l’Ausgleich de 1867. Ces
concessions accordées à Budapest suscitèrent des jalousies et attisèrent le désir
politique d’une plus grande autonomie parmi les groupes ethniques, tout
particulièrement au sein des élites tchèques, polonaises et croates, mais il était rare
d’entendre quelqu’un appeler à une indépendance complète au sein de l’empire. Les
intellectuels croates et slovènes qui écrivirent à propos d’une identité de Slaves du
Sud (Yougoslaves) partagée avec les Serbes représentaient une infime minorité (25).

C’est le début de la guerre en 1914 qui sapa à la fois un système de plus en plus 14
complexe de compromis régionaux et la stratégie « diviser pour mieux régner »
qu’appliquait l’Empire austro-hongrois à l’intérieur de ses frontières. En décembre
1914, dans la prétendue déclaration de Niš, la Serbie proclama que la création d’un
État yougoslave indépendant était la motivation officielle de son entrée en guerre (26).
Au début, toutefois, bien peu de Slovènes et de Croates combattant dans les rangs de
l’armée austro-hongroise semblèrent porter une quelconque attention à cette
proclamation. Pendant quasiment toute la guerre, les loyautés impériales (sans
aucun doute associées à la peur de la répression et des représailles) prirent le pas sur
les loyautés nationales, et les Polonais, les Tchèques, les Croates, et même les Serbes

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et les Italiens combattirent dans l’armée des Habsbourg. L’histoire, souvent répétée,
selon laquelle les Tchèques se montrèrent particulièrement réticents à soutenir
l’effort de guerre impérial – une idée que l’on retrouve dans le best-seller de Jaroslav
Hašek, Le Brave Soldat Chvéïk (1921-1923) – est avant tout une création d’après guerre,
un mythe forgé à la fois par les nationalistes tchèques pour souligner leur haine
ancestrale de l’« oppression » des Habsbourg et par les nationalistes autrichiens pour
expliquer la défaite de l’armée austro-hongroise (27).

La cohésion interne de la Double Monarchie fut indubitablement affaiblie par le 15


changement de kaiser après la mort de François-Joseph, le 21 novembre 1916.
Extrêmement populaire, il avait régné sur l’empire pendant quasiment six décennies
et symbolisait l’unité d’un État ethniquement complexe. Comme l’écrivit ce jour-là
dans son journal le politicien et romancier hongrois Miklós Bánffy, auteur de la
magnifique Trilogie de Transylvanie (1934-1940) :

La plupart des soirs, les habitants de Budapest, lassés de la triste monotonie des 16
nouvelles du front, passent sans s’arrêter devant les déprimants marchands de
journaux – mais ce soir, ils se sont arrêtés pour lire […]. Aujourd’hui, ils ont mis de
côté leurs angoisses quotidiennes pour leurs proches partis au front, leurs craintes
et leurs inquiétudes pour les maris, les fils et les frères qui ont été faits prisonniers
de guerre, leur chagrin pour leurs morts. Aujourd’hui, ils ont tous été submergés
par la sensation d’un immense désastre national, par la peur de ce qui va venir, par
la terreur face à un futur inconnu. Ce que tous ont lu dans ces kiosques à journaux
(28)
brillamment éclairés, ce fut l’annonce de la mort de François-Joseph .

Avec la mort du kaiser, incarnation de la continuité et de la stabilité depuis la 17


révolution de 1848, l’empire perdit sa figure de proue. Sa disparition engendra un
haut degré d’incertitude alors que l’empire des Habsbourg entamait sa troisième
année de guerre (29). Toujours est-il que, si les Empires centraux n’avaient pas été
vaincus, il est évident que la Double Monarchie aurait survécu au transfert de
pouvoir de François-Joseph à son neveu et héritier de vingt-neuf ans, Charles. C’est
l’issue de la guerre qui scella son destin, mais aussi la décision progressive des
Français, Britanniques et Américains de faire du démantèlement de l’empire l’un des
buts prioritaires de la guerre. Dès le début du conflit, les citoyens tchèques et
yougoslaves en exil s’étaient démenés pour imposer cet objectif, prenant contact avec
un certain nombre d’experts influents de l’Europe centrale en Grande-Bretagne et en

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France, à l’instar du journaliste bien introduit du Time Henry Wickham Steed (qui
avait été le correspondant du journal à Vienne avant la guerre), de Robert Seton-
Watson (l’éditeur, à partir de 1916, de l’hebdomadaire The New Europe) ou encore de
l’historien de la Sorbonne Ernest Denis (qui avait notamment conseillé le
gouvernement français sur les buts de guerre et la place que devait y tenir la
Bohême). Ces trois hommes jouèrent un rôle crucial dans la perception publique des
Alliés de la Double Monarchie comme une « prison des peuples », dont il convenait de
libérer les non-Allemands et les non-Magyars (30).

Leurs écrits partisans jouèrent le jeu du Tchèque Tomáš Garrigue Masaryk, un 18


professeur de philosophie et un politicien nationaliste qui avait fui Prague fin 1914.
Masaryk s’était installé à Londres, où il avait enseigné les études slaves à la London
University, tout en s’engageant dans des débats de haute volée à propos du futur de
l’Europe centrale. Début 1918, il voyagea également aux États-Unis où il rencontra le
président Wilson afin que ce dernier promette de se prononcer en faveur d’un État
tchécoslovaque indépendant (31). Comme l’a souligné l’historienne Andrea Orzoff,
l’essence du récit que colportait Masaryk était celle-ci :

Les Tchèques étaient aussi occidentaux dans leurs valeurs et leurs inclinaisons 19
politiques que les Occidentaux eux-mêmes : c’étaient des rationalistes des
Lumières qui ne rêvaient que d’une chose, être libérés de l’oppression autrichienne.
Ils devaient être rejoints par leurs compatriotes slaves, les Slovaques, pour créer un
État européen de l’Est dédié à la tolérance, à l’égalitarisme et aux droits de
l’homme, et qui serait capable de s’unir à l’Ouest. Et, sans surprise, ce même État,
avec le soutien occidental, pourrait repousser l’agression allemande tout en
(32)
contenant le radicalisme social bolchevique .

Jusqu’au début 1918, toutefois, les décideurs de l’Entente se montrèrent réticents à 20


fixer officiellement comme objectif de la guerre le démantèlement de la Double
Monarchie. Les plans alliés pour le futur d’après guerre de la monarchie des
Habsbourg se concentraient bien plutôt sur la transformation de la composition
constitutionnelle de l’empire, sans pour autant remettre en question son existence (33)
. En janvier 1918, le président Wilson avait défendu lors de son célèbre discours sur
les Quatorze Points une Autriche-Hongrie fédérale où les peuples se verraient
accorder « au plus tôt la possibilité d’un développement autonome ». Mais
l’autonomie tchécoslovaque et yougoslave n’était pas la même chose que

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l’indépendance, une indépendance qui était promise à la Pologne dans le même


discours. En juin, Wilson changea légèrement son fusil d’épaule et défendait
désormais l’idée selon laquelle « toutes les branches de la race slave devaient être
complètement libérées de la domination allemande et autrichienne ». Évidemment,
tout le monde dans le camp allié ne partageait pas cet enthousiasme à l’idée d’une
indépendance slave. Aussi tard qu’à la fin du mois d’août 1918, le sous-secrétaire
d’État des Affaires étrangères britannique, Robert Cecil, déclarait dans une note de
service : « Qu’une nouvelle Europe avec deux ou trois États slaves soit plus pacifique
que l’ancienne me paraît, je l’avoue, extrêmement douteux (34). » Mais, quand le 3
septembre, les Alliés reconnurent officiellement le Comité national tchécoslovaque
dissident de Masaryk comme le représentant légal de la nation tchécoslovaque, il
était devenu clair que l’empire d’Autriche-Hongrie vivait ses derniers jours, même si
les demandes d’indépendance des Slaves du Sud avaient jusque-là été ignorées :
contrairement à la Pologne et à la Tchécoslovaquie, le royaume des Serbes, Croates et
Slovènes ne fut pas reconnu par les Alliés avant 1919, et ses frontières furent
déterminées lors de la conférence de paix de Paris (35).

Pendant la guerre, un concept alternatif de futur État multiethnique avait été 21


proposé par des austromarxistes comme Karl Renner, qui devait par la suite devenir
le chancelier fédéral de la République autrichienne de 1918 à 1920. Renner défendait
un « État des nationalités » habsbourgeois qui « constituerait un exemple pour
l’organisation future de toute l’humanité (36) ». Le 16 octobre 1918, l’empereur Charles
tenta lui-même de supprimer la menace de révolutions nationales (et de gagner les
faveurs de Wilson) en publiant le « Manifeste des peuples », dans lequel il s’engageait
à réorganiser la moitié autrichienne de l’empire selon un principe fédéral. Il
envisageait une superstructure impériale souple dans laquelle les territoires
allemands, tchèques, yougoslave et ukrainiens seraient gouvernés de manière
autonome et auraient chacun leur propre Parlement. Les territoires polonais
habsbourgeois seraient par ailleurs autorisés à faire sécession d’avec l’État polonais
indépendant dont Wilson exigeait la création dans ses Quatorze Points (37).

Toujours est-il qu’il était on ne peut plus clair que ni le « Manifeste des peuples » ni 22
les propositions austromarxistes de grandes réformes fédérales ne pouvaient
satisfaire ceux qui voulaient plus que tout rompre définitivement le cordon qui les
rattachait à Vienne. Les hommes politiques tchèques, slovaques et yougoslaves ne
laissaient aucun doute sur le fait que leur seule option était une indépendance

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complète, et, à partir de l’été 1918, leur position fut soutenue par les chefs alliés (38). En
juillet, les politiciens tchèques et slovaques formèrent le Comité national
tchécoslovaque à Paris (39). Du 5 au 11 octobre, d’autres groupes leur emboîtèrent le
pas : un Conseil national des Serbes, Croates et Slovènes fut créé à Zagreb, tandis que
sa contrepartie polonaise proclamait la création d’une « Pologne libre et
indépendante » qui comprenait la Galicie, dirigée par les Habsbourg (40).

Du point de vue des Alliés, la situation était dans une certaine mesure plus claire 23
concernant l’Empire ottoman, bien que sa composition ethnique et religieuse ait été
largement aussi complexe que celles de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est. Alors
que l’Empire ottoman était déjà considéré depuis longtemps par les diplomates et les
hommes d’État occidentaux comme « le vieil homme malade de l’Europe » et
l’oppresseur des minorités chrétiennes, son entrée en guerre au côté des Empires
centraux et sa politique génocidaire envers les Arméniens achevèrent de convaincre
ceux qui, comme Lloyd George, étaient déjà déterminés à le mettre en pièces. Les
intérêts économiques et géostratégiques, mais aussi les intérêts culturels et
religieux, furent déterminants dans les attitudes occidentales vis-à-vis des
Ottomans. Certaines des provinces arabes de l’empire recelaient de grandes réserves
de pétrole, notamment dans la région de Mossoul, sans parler de l’extrême
importance stratégique du détroit du Bosphore et du canal de Suez, surtout pour les
Britanniques qui voulaient s’assurer d’avoir un passage sûr vers l’Inde par la mer et
par la terre (41). De plus, les revendications de la France sur la Syrie et le Liban avaient
autant à voir avec la perception que la France avait d’elle-même en tant que
protectrice des minorités chrétiennes locales qu’avec son rêve d’une France «
méditerranéenne » (42).

Pendant la guerre, les Alliés avaient énormément discuté du futur de l’Empire 24


ottoman. Au printemps 1915, Londres avait assuré à Petrograd que ses intérêts dans
le Bosphore, à Constantinople et en Arménie seraient protégés. Un an plus tard, en
mai 1916, les diplomates Mark Sykes et François Georges-Picot négocièrent en secret
afin de satisfaire les ambitions d’après guerre de la France et de la Grande-Bretagne
au Moyen-Orient. Les accords Sykes-Picot donnaient à Londres le contrôle de ce qui
est aujourd’hui le sud de l’Irak comprenant Bagdad et Bassora, tandis que Paris
récupérait la plus grande partie du Liban actuel, ainsi que la côte syrienne,
remontant jusqu’au nord en Cilicie (la région côtière méridionale de l’Asie Mineure).
La Palestine devait être administrée de manière internationale. Et le reste des

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provinces arabes ottomanes – une zone immense qui comprenait ce que sont
aujourd’hui la Syrie orientale, l’Irak septentrional et la Jordanie – devait être laissé
aux mains des chefs arabes locaux sous la supervision des Français dans le nord et
des Britanniques dans le sud. Ces accords étaient remarquablement ambitieux pour
l’époque, étant donné les récents revers militaires qu’avait connus la Grande-
Bretagne sur la péninsule de Gallipoli et sur le front mésopotamien en 1916. Toujours
est-il que, du point de vue de la France et de la Grande-Bretagne, il importait de
délimiter les zones d’intérêt dans la perspective d’un futur traité de paix, sans égard
pour la date à laquelle ce dernier serait en fin de compte rédigé et signé (43).

Avant même les accords Sykes-Picot – et en contradiction avec leur contenu –, les 25
Britanniques avaient baigné dans les eaux troubles du « nationalisme arabe » afin
d’encourager des révoltes indigènes contre le pouvoir ottoman. En 1915, Sir Henry
McMahon, le haut-commissaire britannique d’Égypte, fit la promesse par écrit d’une
« indépendance des Arabes » après la guerre à Hussein ibn Ali, le chérif de La
Mecque, en échange d’une révolte des Arabes censée aider l’effort de guerre
britannique sur le front mésopotamien. Ce futur État ne devait pas inclure les côtes
de la Syrie et du Liban, en gros d’Alep à Damas, ni les vieilles provinces ottomanes de
Bagdad et de Bassora. Sur la base de ces promesses, la révolte arabe commença en
juin 1916 (44). Pendant les deux années qui suivirent, des forces arabes irrégulières
sous le commandement de l’ambitieux troisième fils de Hussein ibn Ali, Fayçal, et de
son officier de liaison britannique, Thomas Edward Lawrence (« Lawrence d’Arabie
»), combattirent les soldats ottomans dans ce qui allait devenir l’Arabie saoudite, la
Jordanie et la Syrie (45).

Quand les bolcheviks publièrent les traités secrets des Alliés et d’autres documents 26
diplomatiques datant du régime tsariste à la fin 1917, dans une tentative délibérée
d’embarrasser les « États impérialistes » et de discréditer leur diplomatie secrète, il
devint clair pour tout le monde que les promesses faites aux insurgés arabes
entraient en contradiction à la fois avec les clauses des accords Sykes-Picot et avec la
déclaration Balfour de novembre 1917, dans laquelle le gouvernement britannique
s’engageait à soutenir « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le
peuple juif », à la condition expresse que « rien ne sera fait qui puisse porter atteinte
ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni
aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays (46) ».

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La déclaration Balfour était le résultat de nombreuses années de lobbying, 27


notamment de la part de Chaim Weizmann, futur premier président de l’État d’Israël
(1949-1952), qui était devenu pendant la Grande Guerre la principale figure du
mouvement sioniste en Grande-Bretagne. Né en 1874 dans le shtetl russe isolé de
Motal, à quelque 30 kilomètres à l’ouest de Pinsk, il avait suivi l’exemple des dizaines
de milliers de Juifs qui avaient quitté la Zone de résidence pour fuir vers l’ouest et
échapper aussi bien à la misère qu’à l’antisémitisme russe. C’est en Allemagne, alors
qu’il étudiait la chimie, qu’il lut le livre programmatique de Theodor Herzl, Der
Judenstaat (L’État juif), la bible du sionisme publiée en 1896, et s’impliqua activement
dans le mouvement sioniste pour réaliser l’utopie de Herzl (47).

En juillet 1904, Weizmann quitta la Suisse, où il avait occupé son premier poste à 28
l’université, pour enseigner la biochimie à l’université de Manchester, sans
abandonner pour autant ses ambitions politiques. Bien au contraire : deux ans après
son arrivée en Angleterre, il parvint à rencontrer grâce à une connaissance commune
l’ancien Premier ministre britannique Arthur Balfour. Celui-ci se montra sensible à
la quête de Weizmann d’une patrie juive, et ils restèrent en contact quand Balfour
revint au gouvernement. La capacité de Weizmann, alors qu’il n’était qu’un étranger,
à établir un contact avec les élites politiques et sociales de la Grande-Bretagne est
tout simplement remarquable. Il soigna son réseau, qui allait des grandes familles
juives britanniques, comme les Rothschild, jusqu’à des journalistes influents de
journaux comme le Manchester Guardian, et réussit même à rencontrer David Lloyd
George et Herbert Asquith au sommet de leur carrière. Ses efforts de lobbying
finirent par payer quand, en novembre 1917, lord Balfour promit le soutien
britannique pour « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif
». Le soutien qu’apporta son gouvernement à la cause sioniste semble avoir été
sincère – il aurait été bien plus logique d’un point de vue purement stratégique de
conclure plutôt un accord avec les Arabes. Bien sûr, ce « foyer national » ne devait pas
être un État indépendant au sens où les Alliés occidentaux l’envisageaient pour la
Pologne. Il était plus proche de « la plus grande autonomie possible » que Woodrow
Wilson avait promise aux Tchèques, aux Slovaques et aux Yougoslaves en janvier
1918. Mais il s’agissait tout de même d’une avancée majeure qui permettrait aux
sionistes de donner une réalité à la vision de Herzl (48).

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Cette promesse posait toutefois un certain nombre de gros problèmes. Malgré 29


plusieurs vagues d’immigration venues d’Europe, les Juifs restaient une petite
minorité dans la région, ils n’étaient pas plus de 6 % en Palestine en 1914. La grande
majorité de la population de la Palestine, forte de 700 000 individus, était des Arabes,
la plupart musulmans, mais certains chrétiens (49). De plus, du moins jusqu’en 1917, la
majorité écrasante des Juifs de Palestine ne défendait pas la création d’un État
indépendant, mais bien plutôt un certain droit à l’autonomie des Juifs au sein de
l’Empire ottoman. Cette loyauté à l’empire s’exprima par exemple dans le journal ha-
Herut, qui publia le discours patriotique d’un soldat juif de l’armée ottomane en 1914 :
« À compter de ce jour, nous ne sommes pas une population à part. Tous les habitants
de ce pays sont comme un seul homme, et nous voulons tous protéger notre pays et
respecter notre empire (50). » Un autre fervent défenseur de l’ottomanisme à l’époque
était le futur Premier ministre d’Israël, David Ben Gourion, qui avait étudié à
Constantinople (aux côtés du futur président d’Israël, Yitzhak Ben-Zvi), et qui avait
recruté au début de la Grande Guerre une force volontaire juive pour aider l’Empire
ottoman. Ce fut l’évolution de la guerre et la promesse de Balfour d’un « foyer
national » pour les Juifs qui encouragèrent Ben Gourion et d’autres à changer de
camp et à rejoindre la Légion juive en 1918, soutenant du même coup l’effort de
guerre allié (51).

Les Arabes palestiniens furent sans surprise indignés par la déclaration Balfour. À 30
partir de décembre 1917, après la conquête de Jérusalem par le général Edmund
Allenby, la question de savoir comment et par qui la Palestine « libérée » serait
gouvernée se fit de plus en plus pressante. À la grande colère de ces Arabes
palestiniens qui avaient rêvé de l’indépendance, le gouvernement britannique facilita
l’arrivée d’une commission sioniste dirigée par Weizmann lui-même, au printemps
1918, dans une Palestine dorénavant occupée par les forces britanniques (52). La
population arabe de la Palestine eut l’impression que le pouvoir ottoman, qui avait
été détruit pendant la guerre, avait simplement été remplacé par une nouvelle
superstructure impériale, dont la forme future restait certes encore indéterminée.
Dès le mois d’avril 1918, William Yale, responsable du renseignement américain dans
la région, signalait :

31

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Il n’est pas anodin qu’en Palestine – où il y a eu tant de souffrances et tant de


privations, et où le mécontentement à l’égard du régime turc était si grand en 1916
et 1917 que presque tous les Arabes parlaient ouvertement de trahir le
gouvernement ottoman et ne rêvaient que d’une seule chose, que leur pays soit
délivré des Turcs – soit apparu au printemps 1918, soit peu de temps après le début
de l’occupation britannique, un parti qui, selon les agents britanniques, souhaite
vivre à l’avenir sous l’autorité de la Turquie. Les sentiments de ce parti ne peuvent
pas être simplement expliqués par une aversion pour les Européens et le désir on
ne peut plus naturel des musulmans d’avoir pour chef un autre musulman. Il ne fait
aucun doute qu’entre dans les sentiments de ce parti la croyance selon laquelle,
sous un gouvernement turc, les sionistes ne seraient pas autorisés à s’implanter
(53)
plus avant en Palestine .

Moins d’un an plus tard, l’évaluation de Yale était corroborée par une mission 32
d’enquête américaine en Syrie et en Palestine. La commission King-Crane, du nom
de ses deux chefs américains, le réformateur universitaire chrétien Henry Churchill
King et le riche soutien du Parti démocrate Charles R. Crane, qui aimait par-dessus
tout se mêler de politique internationale, rapporta, en août 1919, que les Arabes en
Palestine rejetaient « catégoriquement l’ensemble du programme sioniste ». La
commission King-Crane recommandait par conséquent que la conférence de paix de
Paris limite l’immigration juive et abandonne l’idée de faire de la Palestine la patrie
des Juifs (54). Ces recommandations furent super-bement ignorées. Au contraire : au
mois d’avril 1920, lors d’une conférence dans la ville côtière de Ligurie San Remo, la
Grande-Bretagne et la France se mirent d’accord sur le fait que la première recevrait
le mandat palestinien, décision entérinant de fait la mise en œuvre de la déclaration
Balfour, et approuvée par la Société des Nations en juillet 1922. Les Arabes
palestiniens avaient beau ne pas être représentés à San Remo, leur attitude ne laissa
aucun doute aux observateurs occidentaux sur leur sentiment à l’égard de la
possibilité d’une plus grande immigration juive, sans même parler de la création
d’un État juif : le 4 avril 1920, des émeutes antijuives éclatèrent dans les rues de
Jérusalem. Elles durèrent trois jours, firent cinq morts et des centaines de blessés (55).

Pendant les décennies suivantes, la Palestine rappellerait douloureusement à tous et 33


à toutes que les promesses faites par les diverses parties impliquées entre 1915 et 1917
avaient été fatalement contradictoires et souvent faites de mauvaise foi. Pendant la
guerre, elles furent utilisées comme un moyen à court terme de s’assurer du soutien
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indigène, sans traduire un quelconque engagement sur le long terme, comme


l’avaient cru à leur grand dam les Arabes. Et les conséquences de ces stratégies
déployées en temps de guerre continuent aujourd’hui à hanter le Moyen-Orient.

Notes

(1) David Lloyd George, La Vérité sur les réparations et les lettres de guerre, trad. de Georges
Blumberg, Paris, Gallimard, 1932, vol. 1, p. 13 et suiv. ; Margaret MacMillan, Les
Artisans de la paix. Comment Lloyd George, Clemenceau et Wilson ont redessiné la carte du
monde, op. cit., p. 52 ; Bruno Cabanes, « 1919 : l’après », in Jay Winter (dir.), La
Première Guerre mondiale, vol. 1, op. cit., p. 196.

(2) Margaret MacMillan, Les Artisans de la paix. Comment Lloyd George, Clemenceau et
Wilson ont redessiné la carte du monde, op. cit. ; sur la crise de Fiume, voir ibid.

(3) Bruno Cabanes, La Victoire endeuillée. La sortie de guerre des soldats français (1918-1920),
Paris, Seuil, 2004.

(4) Robert E. Bunselmeyer, The Cost of War 1914-1919 : British Economic War Aims and the
Origins of Reparation, Hamden (CT), Archon Books, 1975, p. 141 ; Margaret
MacMillan, Les Artisans de la paix. Comment Lloyd George, Clemenceau et Wilson ont
redessiné la carte du monde, op. cit., p. 264 ; David Reynolds, The Long Shadow : The
Great War and the Twentieth Century, op. cit., p. 93 ; Heinrich August Winkler, The Age
of Catastrophe : A History of the West 1914-1945, op. cit., p. 125.

(5) Leonard V. Smith, « The Wilsonian Challenge to International Law », The Journal of
the History of International Law, no 13, 2011, p. 179-208. Voir également Leonard V.
Smith, « Les États-Unis et l’échec d’une seconde mobilisation », in Stéphane
Audoin-Rouzeau et Christophe Prochasson (dir.), Sortir de la Guerre de 14-18, Paris,
Tallandier, 2008, p. 69-91 ; Manfred F. Boemeke, « Woodrow Wilson’s Image of
Germany, the War-Guilt Question and the Treaty of Versailles », in Manfred F.
Boemeke, Gerald D. Feldman et Elisabeth Glaser (dir.), The Treaty of Versailles : A
Reassessment after 75 Years, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 1998,
p. 603-614. Voir également Alexander Sedlmaier, Deutschlandbilder und
Deutschlandpolitik Studien zur Wilson-Administration (1913-1921), Stuttgart, Steiner,
2003.

(6) Leonard V. Smith, « Empires at the Paris Peace Conference », in Robert Gerwarth et
Erez Manela (dir.), Empires at War, 1911-1923, op. cit., p. 254-276.

(7) Adam Tooze, Le Déluge. 1916-1931. Un nouvel ordre mondial, trad. de Christine
Rimoldy, Paris, Les Belles Lettres, 2014.

(8) Voir en particulier Manfred F. Boemeke, Gerald D. Feldman et Elisabeth Glaser


(dir.), The Treaty of Versailles : A Reassessment after 75 Years, op. cit. ; David A.
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Andelman, A Shattered Peace : Versailles 1919 and the Price we Pay Today, Hoboken (NJ),
Wiley, 2008 ; Margaret MacMillan, Les Artisans de la paix. Comment Lloyd George,
Clemenceau et Wilson ont redessiné la carte du monde, op. cit., p. 264 ; Alan Sharp, The
Versailles Settlement : Peacemaking after the First World War, 1919-1923, 2e édition,
Londres, Palgrave, 2008.

(9) Manfred F. Boemeke, Gerald D. Feldman et Elisabeth Glaser (dir.), The Treaty of
Versailles : A Reassessment after 75 Years, op. cit., p. 11-20 ; Zara Steiner, « The Treaty of
Versailles Revisited », in Michael Dockrill et John Fisher (dir.), The Paris Peace
Conference 1919 : Peace without Victory ?, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2001, p. 13-
33 ; Mark Mazower, « Two Cheers for Versailles », History Today, no 49, 1999 ; Alan
Sharp, Consequences of the Peace : The Versailles Settlement – Aftermath and Legacy 1919-
2010, Londres, Haus, 2010, p. 1-40 ; Sally Marks, « Mistakes and Myths : The Allies,
Germany and the Versailles Treaty, 1918-1921 », Journal of Modern History, no 85, 2013,
p. 632-659.

(10) Voir par exemple David A. Andelman, A Shattered Peace : Versailles 1919 and the Price
we Pay Today, op. cit. ; Norman Graebner et Edward Bennett, The Versailles Treaty and
Its Legacy : The Failure of the Wilsonian Vision, Cambridge-New York, Cambridge
University Press, 2011.

(11) Aviel Roshwald, Ethnic Nationalism and the Fall of Empires : Central Europe, Russia and
the Middle East, 1914-1923, Londres, Routledge, 2001.

(12) Sur ce point, voir l’introduction et les chapitres concernés dans Robert Gerwarth et
Erez Manela (dir.), Empires at War, 1911-1923, op. cit. ; sur le cas allemand en
particulier, voir Annemarie H. Sammartino, The Impossible Border : Germany and the
East, 1914-1922, op. cit. ; Vejas G. Liulevicius, « Der Osten als apokalyptischer Raum :
Deutsche Fronterfahrungen im und nach dem Ersten Weltkrieg », in Gregor Thum
(dir.), Traumland Osten : Deutsche Bilder vom östlichen Europa im 20. Jahrhundert,
Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2006, p. 47-65.

(13) Sur le cas irlandais, voir Diarmaid Ferriter, A Nation and not a Rabble : The Irish
Revolution 1913-1923, Londres, Profile Books, 2015 ; Charles Townshend, The Republic :
The Fight for Irish Independence 1918-1923, Londres, Allen Lane, 2013.

(14) Erez Manela, The Wilsonian Moment : Self-Determination and the International Origins
of Anticolonial Nationalism, Oxford-New York, Oxford University Press, 2007, p. 37-43
; Woodrow Wilson, « Fourteen Points, January 8 1918 », in Michael Beschloss (dir.),
Our Documents : 100 Milestone Documents from the National Archives, Oxford-New York,
Oxford University Press, 2006, p. 149-151. Sur les différentes versions proposées par
Lénine et Wilson, voir également Arno J. Mayer, Wilson vs. Lenin : Political Origins of
the New Democracy, 1917-1918, Cleveland (OH), World, 1964, ainsi qu’Eric D. Weitz, «
From the Vienna to the Paris System : International Politics and the Entangled
Histories of Human Rights, Forced Deportations, and Civilizing Missions », The
American Historical Review, no 113, 2008, p. 313-343.

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(15) Margaret MacMillan, Les Artisans de la paix. Comment Lloyd George, Clemenceau et
Wilson ont redessiné la carte du monde, op. cit., p. 97 ; Alan Sharp, The Versailles
Settlement : Peacemaking after the First World War, 1919-1923, op. cit.

(16) Pour des études de cas, voir Robert Gerwarth et Erez Manela (dir.), Empires at War,
1911-1923, op. cit. ; David M. Anderson et David Killingray (dir.), Policing and
Decolonisation : Politics, Nationalism and the Police, 1917-1965, Manchester, Manchester
University Press, 1992 ; Derek Sayer, « British Reaction to the Amritsar Massacre,
1919-1920 », Past & Present, no 131, 1991, p. 130-164 ; Jon Lawrence, « Forging a
Peaceable Kingdom : War, Violence and Fear of Brutalization in Post-First World
War Britain », Journal of Modern History, no 75, 2003, p. 557-589 ; Susan Kingsley
Kent, Aftershocks : Politics and Trauma in Britain, 1918-1931, Basingstoke-New York,
Palgrave Macmillan, 2009, p. 64-90.

(17) Ian Kershaw, L’Europe en enfer, 1914-1949, trad. de Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris,
Seuil, 2016, p. 118 et suiv.

(18) Voir certains des chapitres de Robert Gerwarth et Erez Manela (dir.), Empires at
War, 1911-1923, op. cit., notamment Leonard V. Smith, « Empires at the Paris Peace
Conference », art. cité, p. 254-276, Christopher Capozzola, « The United States
Empire », p. 235-253, et Frederick R. Dickinson, « The Japanese Empire », p. 197-213.

(19) Mussolini cité dans Richard J. B. Bosworth, Mussolini, op. cit., p. 121.

(20) Voir Béla Király, « East Central European Society and Warfare in the Era of the
Balkan Wars », in Béla Király et Dimitrije Đorđević, East Central European Society and
the Balkan Wars, Boulder (CO), Social Science Monographs, 1987, p. 3-13 ; Peter
Bartl, Albanci, od Srednjeg veka do danas, Belgrade, CLIO, 2001, p. 124-138.

(21) Richard C. Hall, The Balkan Wars, 1912-1913 : Prelude to the First World War, op. cit.

(22) Ugŭr Ümit Üngör, « Mass Violence against Civilians during the Balkan Wars », in
Dominik Geppert, William Mulligan et Andreas Rose (dir.), The Wars Before the Great
War : Conflict and International Politics Before the Outbreak of the First World War,
Cambridge-New York, Cambridge University Press, 2015.

(23) Richard Bessel, « Révolution », art. cité, p. 152-153. Voir également Jeffrey R. Smith,
A People’s War : Germany’s Political Revolution, 1913-1918, Lanham (MD), University
Press of America, 2007, p. 25-49.

(24) Robert A. Kann, Geschichte des Habsburgerreiches 1526 bis 1918, Vienne-Cologne,
Böhlau, 1990, p. 581 ; Peter Haslinger, « Austria-Hungary », in Robert Gerwarth et
Erez Manela (dir.), Empires at War, 1911-1923, op. cit., p. 73-90.

(25) Ibid., p. 74.

(26) Andrej Mitrović, Serbia’s Great War, 1914-1918, op. cit., p. 96. Pour le contexte général,

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voir également Frédéric Le Moal, La Serbie : Du martyre à la victoire 1914-1918, Paris,


Soteca, 2008.

(27) Voir Béla K. Király et Nandor F. Dreisiger (dir.), East Central European Society in
World War I, Boulder (CO), East European Monographs, 1985, p. 305-306, ainsi que,
plus généralement, Jonathan E. Gumz, The Resurrection and Collapse of Empire in
Habsburg Serbia, 1914-1918, Cambridge-New York, Cambridge University Press,
2009. Voir également Pieter M. Judson, The Habsburg Empire : A New History, op. cit.,
p. 406.

(28) Miklós Bánffy, The Phoenix Land : The Memoirs of Count Miklós Bánffy, Londres,
Arcadia Books, 2003, p. 3-4.

(29) Maureen Healy, Vienna and the Fall of the Habsburg Empire : Total War and Everyday
Life in World War I, op. cit., p. 279-299 ; Mark Cornwall, « Morale and Patriotism in
the Austro-Hungarian Army, 1914-1918 », in John Horne (dir.), State, Society, and
Mobilization in Europe during the First World War, Cambridge, Cambridge University
Press, 1997, p. 173-191. Voir également John W. Boyer, Culture and Political Crisis in
Vienna : Christian Socialism in Power, 1897-1918, Chicago (IL), University of Chicago
Press, 1995, p. 369-443 ; Laurence Cole et Daniel L. Unowsky (dir.), The Limits of
Loyalty : Imperial Symbolism, Popular Allegiances, and State Patriotism in the Late
Habsburg Monarchy, op. cit.

(30) Mark Cornwall, The Undermining of Austria-Hungary : The Battle for Hearts and Minds,
op. cit. Voir Kenneth J. Calder, Britain and the Origins of the New Europe, 1914-1918,
Cambridge-New York, Cambridge University Press, 1976. L’historiographie de
l’Europe centrale du XXe siècle s’est longtemps fondée sur cette propagande de
temps de guerre. Des historiens influents comme Oszkár Jászi et Carlile A.
Macartney sont partis du travail des historiens mentionnés ci-dessus et ont
soutenu que le conflit national avait déjà rendu la monarchie habsbourgeoise
moribonde bien avant le début des hostilités en août 1914. Oszkár Jászi, The
Dissolution of the Habsburg Monarchy, Chicago (IL), University of Chicago Press, 1929
; Carlile A. Macartney, The Habsburg Empire, 1790-1918, Londres, Weidenfeld and
Nicolson, 1969. Pour des exemple d’historiens de la génération suivante pensant
que la guerre ne fut, en fin de compte, que le catalyseur de la chute de l’empire, voir
Robert A. Kann, The Multinational Empire : Nationalism and National Reform in the
Habsburg Monarchy, 1848-1918, 2 vol., New York, Columbia University Press, 1950 ; A.
J. P. Taylor, The Habsburg Monarchy, 1809-1918 : A History of the Austrian Empire and
Austria-Hungary, Londres, Hamish Hamilton, 1948.

(31) David Reynolds, The Long Shadow : The Great War and the Twentieth Century, op. cit., p.
15.

(32) Andrea Orzoff, Battle for the Castle, Oxford-New York, Oxford University Press,
2009, p. 24.

(33) Peter Haslinger, « Austria-Hungary », art. cité.

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(34) Mark Levene, War, Jews, and the New Europe : The Diplomacy of Lucien Wolf, 1914-1919,
op. cit., p. 181. Voir également Alan Sharp, « “The Genie that Would Not Go Back into
the Bottle” : National Self-Determination and the Legacy of the First World War
and the Peace Settlement », in Seamus Dunn et T. G. Fraser (dir.), Europe and
Ethnicity : The First World War and Contemporary Ethnic Conflict, Londres, Routledge,
1996, p. 10-29, ici p. 18-19.

(35) Les États-Unis ont officiellement reconnu le nouvel État le 7 février 1919 ; la France
et la Grande-Bretagne le firent en juin, quand le traité de Versailles fut finalisé.
Andrej Mitrović, Jugoslavija na Konferenciji mira 1919-1920, Belgrade, Zavod za
izdavanje udžbenike SR Srbije, 1969, p. 62-63.

(36) Cité dans Mark Mazower, Le Continent des ténèbres. Une histoire de l’Europe au XXe
siècle, trad. de Rachel Bouyssou, Bruxelles, Éditions Complexe, 2005, p. 55.

(37) Pour le contexte du manifeste, voir Manfried Rauchensteiner, Der Tod des
Doppeladlers : Österreich-Ungarn und der Erste Weltkrieg, op. cit., p. 603-608 ; Edmund
Glaise-Horstenau, The Collapse of the Austro-Hungarian Empire, Londres-Toronto, J.
M. Dent, 1930, p. 107-109 ; Pieter M. Judson, The Habsburg Empire : A New History, op.
cit., p. 432 ; Alexander Watson, Ring of Steel : Germany and Austria-Hungary at War,
1914-18, op. cit., p. 541.

(38) Jörn Leonhard, Die Büchse der Pandora : Geschichte des Ersten Weltkriegs, op. cit., p. 896
et suiv.

(39) Jan Křen, Die Konfliktgemeinscbaft : Tschechen und Deutsche, 1780-1918, Munich,
Oldenbourg, 1996, p. 371-372.

(40) Carlile A. Macartney, The Habsburg Empire, 1790-1918, op. cit., p. 831.

(41) Pour un contexte plus général, voir Eugene Rogan, The Fall of the Ottomans : The
Great War in the Middle East, 1914-1920, op. cit.

(42) Pour une justification contemporaine de l’attachement français à la région, voir


comte Roger de Gontaut-Biron, Comment la France s’est installée en Syrie, 1918-1919,
Paris, Plon, 1922, et plus particulièrement les p. 1-10.

(43) Sur les accords Sykes-Picot, voir David Fromkin, A Peace to End All Peace : The Fall of
the Ottoman Empire and the Creation of the Modern Middle East, New York, Henry Holt
and Company, 1989, p. 188-199 ; David Stevenson, The First World War and
International Politics, Oxford, Oxford University Press, 1988, p. 129-130.

(44) Gudrun Krämer, A History of Palestine : From the Ottoman Conquest to the Founding of
the State of Israel, Princeton (NJ), Princeton University Press, 2008, p. 146 ; Malcolm
E. Yapp, The Making of the Modern Near East : 1792-1923, Londres, Longman, 1987, p.
281-286.

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(45) Sur Fayçal, voir Ali A. Allawi, Faisal I of Iraq, Londres-New Haven (CT), Yale
University Press, 2014 ; sur Lawrence, voir Scott Anderson, Lawrence in Arabia : War,
Deceit, Imperial Folly and the Making of the Modern Middle East, New York, Doubleday,
2013.

(46) Jonathan Schneer, The Balfour Declaration : The Origins of Arab-Israeli Conflict,
Londres-Basingstoke, Macmillan, 2014. Voir également John Darwin, Britain, Egypt
and the Middle East : Imperial Policy in the Aftermath of War, 1918-1922, Londres-
Basingstoke, Macmillan, 1981, p. 156.

(47) Sur Weizmann, voir Jehuda Reinharz, Chaim Weizmann : The Making of a Statesman,
2e édition, Oxford-New York, Oxford University Press, 1993.

(48) Pour plus de précisions, voir Jonathan Schneer, The Balfour Declaration : The Origins
of Arab-Israeli Conflict, op. cit.

(49) Malcolm E. Yapp, The Near East Since the First World War : A History to 1995, Londres,
Longman, 1996, p. 116.

(50) Ha-Herut, cité dans Mustafa Aksakal, « L’Empire ottoman », art. cité, p. 520. Voir
également Abigail Jacobson, From Empire to Empire : Jerusalem between Ottoman and
British Rule, Syracuse (NY), Syracuse University Press, 2011, p. 27.

(51) Sur Ben Gourion, voir Shabtai Teveth, Ben-Gurion and the Palestinian Arabs : From
Peace to War, Oxford-New York, Oxford University Press, 1985 ; Shabtai Teveth, The
Burning Ground : A Biography of David Ben-Gurion, Tel Aviv, Schoken, 1997 ; Anita
Shapira, Ben-Gurion : Father of Modern Israel, Londres-New Haven (CT), Yale
University Press, 2014. Sur la Légion juive, voir Martin Watts, The Jewish Legion and
the First World War, Londres-New York, Palgrave, 2004.

(52) Ryan Gingeras, Fall of the Sultanate : The Great War and the End of the Ottoman Empire,
1908-1922, op. cit., 2016, p. 230.

(53) Cité dans Abigail Jacobson, From Empire to Empire : Jerusalem between Ottoman and
British Rule, op. cit., p. 145 ; Mustafa Aksakal, « L’Empire ottoman », art. cité.

(54) United States Department of State, Papers relating to the Foreign Relations of the United
States. The Paris Peace Conference, 1919, U.S. Government Printing Office, 1919, vol.
XII, p. 793-795.

(55) Bernard Wasserstein, The British in Palestine : The Mandatory Government and the
Arab-Jewish Conflict 1917-1929, Oxford, Blackwell, 1991.

Auteur
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Auteur
Robert Gerwarth

Professeur d’histoire contemporaine à University College Dublin, où il dirige le Centre for


War Studies. Il est notamment l’auteur d’une biographie de Reinhard Heydrich. Il a
enseigné aux États-Unis, en Allemagne et en France et a dirigé un programme de
recherche européen sur la séquence 1917-1923.

Mis en ligne sur Cairn.info le 27/09/2022

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