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L’influence des logiciels sur l’enseignement des mathématiques :

contenus et pratiques

Michèle Artigue
Université Paris 7 Denis Diderot

Résumé :
Dans cet exposé dédié à l’influence des logiciels et plus généralement des outils informatiques
sur les contenus de l’enseignement des mathématiques, j’essaie d’abord de clarifier la
question, en précisant comment j’entendrai le terme « influence » dans ce contexte précis.
J’essaie ensuite de catégoriser ces influences en revenant sur l’historique des rapports entre
logiciels et plus généralement outils informatiques et enseignement et apprentissage des
mathématiques. Enfin, dans la dernière partie, j’aborde la question des rapports entre
influences potentielles et influences effectives.

I. Introduction
Les organisateurs de ce séminaire m’ont demandé d’axer ma conférence d’ouverture sur
l’influence des logiciels sur les contenus de l’enseignement des mathématiques. En préparant
cette conférence, il m’a semblé nécessaire de coupler cette réflexion sur les contenus avec une
réflexion sur les pratiques. Je m’expliquerai sur ce point dans un instant mais ceci explique le
titre, élargi, de cet exposé. Je l’ai pensé comme un exposé de cadrage se situant à un niveau
assez général, sachant qu’il serait suivi tout au long du séminaire d’ateliers qui contribueraient
à lui donner chair. Donc, même si j’évoque au fil de mon discours divers exemples, je
privilégierai la vision d’ensemble à une analyse détaillée mais nécessairement plus locale.
J’ai organisé cet exposé en trois parties. Dans la première, j’essaierai rapidement de clarifier
la question : de quelles influences s’agit-il exactement ? Comment les évaluer ? Dans la
seconde, j’essaierai de dresser un panorama des influences en faisant un rapide historique de
l’évolution des perspectives dans ce domaine, et en montrant comment ont joué et jouent
encore aujourd’hui dans cette évolution d’une part l’évolution technologique, d’autre part
l’évolution des perspectives sur l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques. Enfin
dans la dernière partie, je m’interrogerai sur les rapports entre influences potentielles et
influences effectives, et notamment entre les potentialités mises en évidence par l’analyse a
priori des outils considérés ou les travaux expérimentaux les concernant et la réalité du
terrain.
Précisons que, même si le titre mentionne uniquement les logiciels, c’est aux diverses
technologies informatiques utilisées dans l’enseignement des mathématiques que nous nous
intéressons, qu’il s’agisse de produits conçus pour l’enseignement des mathématiques comme
le sont par exemple les calculatrices et les logiciels de géométrie dynamique ou de produits
conçus pour un usage professionnel et convertis en outils scolaires, comme les tableurs et les
logiciels de calcul symbolique. Et quand nous parlerons de techniques instrumentées c’est de
techniques instrumentées par ces outils qu’il s’agira, pour les distinguer des techniques
papier-crayon, ce qui ne veut pas dire bien sûr que ces dernières ne soient pas instrumentées.
Elles le sont par différents artefacts, papier et crayon bien sûr, mais aussi instruments
géométriques, bouliers, abaques et matériels didactiques divers.

1
II. De quelles influences est-il question et comment les évaluer ?
Il est banal d’assurer que les logiciels et plus généralement les artefacts numériques
influencent l’enseignement des mathématiques. En préparant cet exposé, je me suis rapportée
à la première étude sur ce thème lancée par la Commission internationale pour l’enseignement
des mathématiques (ICMI). La conférence associée avait eu lieu en 1985 à Strasbourg et
l’ouvrage qui en était issu a fait l’objet d’une réédition, sous l’égide de l’UNESCO en 1992,
sous le titre justement : L’influence des ordinateurs et de l’informatique sur les
mathématiques et leur enseignement (Cornu & Ralston, 1992). L’ouvrage approchait cette
question d’influence selon trois dimensions : l’influence sur les pratiques mathématiques
(sans qu’il soit ici question directement d’enseignement), l’influence sur les processus
d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques, l’influence sur les curricula et la
formation des maîtres. Il était souligné que l’influence sur les mathématiques et les pratiques
mathématiques n’était plus à prouver mais que la situation était bien moins claire en ce qui
concerne l’enseignement. L’ouvrage, annonçait la préface, présentait de nombreuses
propositions d’évolutions curriculaires visant à exploiter ces nouvelles manières de faire des
mathématiques, donnait de nombreux exemples d’expérimentations réussies mais, selon les
auteurs, il fallait reconnaître que « toutes ces suggestions restaient fondamentalement
spéculatives en ce qui concerne leur mise en place à grande échelle, c’est-à-dire dans leur
conversion en un curriculum bien développé et testé, et conçu pour des enseignants ordinaires
et des élèves ordinaires1 » (p.3). Les auteurs ajoutaient que, pour dépasser ce stade, on avait
besoin de développer la recherche et les expérimentations, notamment dans des contextes
réalistes.
Il me semble toujours d’actualité de distinguer entre des influences potentielles telles que l’on
peut les inférer d’analyses a priori d’outils ou de pratiques professionnelles de
mathématiciens, le mot étant ici à entendre au sens large, d’influences observées dans
l’enseignement, en distinguant là encore des influences observées dans des environnements
écologiquement protégés comme le sont les environnements expérimentaux et des influences
observées à grande échelle et notamment au niveau curriculaire d’une région ou d’un pays. Et
s’agissant du niveau curriculaire, il y a là encore à distinguer entre ce que l’on appelle le
curriculum visé : celui des programmes, documents d’accompagnement et instructions
officielles et le curriculum réel, celui qui vit dans les classes. Le décalage entre ces deux
entités est, on le sait bien, souvent important.
En décembre dernier, à Hanoi, s’est tenue la conférence associée à la seconde étude ICMI
consacrée à ce thème et chargée de revisiter la première étude2. En 25 ans nos connaissances
ont certainement beaucoup progressé mais pour ce qui est de la réussite de projets à très large
échelle, il faut avouer que la situation n’a pas considérablement évolué. On observe certes des
influences indéniables un peu partout dans le monde et, par exemple, l’une des tables rondes
de la conférence d’Hanoi, le « Diversity Panel» a bien montré que cette influence ne se
limitait pas aux pays dits développés. On voit aussi que se posent de plus en plus des
questions qui étaient absentes de la première étude, par exemple celle du contrôle que peuvent
avoir les institutions sur ces influences et celle du caractère bénéfique des influences
observées. A travers la façon dont sont formulées ces interrogations, se profile la question
fondamentale : Qu’attend-t-on aujourd’hui de l’enseignement des mathématiques ? Jusqu’à
quel point ces attentes sont-elles modifiées par les technologies existantes ? Que considère-t-
on comme un progrès ? Que considère-t-on comme une régression ? Un échec ?

1
Traduction de l’auteur.
2
Le texte de discussion associé à cette étude est accessible sur le site de l’ICMI : www.mathunion.org/ICMI/

2
Je n’ai pas la prétention de répondre à ces questions dans cet exposé mais j’aimerais que nous
n’oublions pas que nos positions explicites et implicites dans ce domaine conditionnent notre
perception des influences et notre évaluation de leurs effets. J’ajouterai enfin que trop souvent
la vision dominante a été dans le passé que les logiciels et les calculatrices étaient de simples
outils pédagogiques à mettre au service de mathématiques aux valeurs par essence
universelles donc indépendantes d’eux, et que leur influence a été évaluée à la mesure de la
capacité démontrée par l’institution de les mettre au service de ces valeurs. Il s’agit là, à mes
yeux, d’un véritable obstacle culturel et, pour arriver à le surmonter, il me semble que, même
si l’on s’intéresse plus particulièrement à l’influence de ces outils sur les contenus
d’enseignement, analyser cette influence ne doit pas se faire indépendamment de celle sur les
pratiques. Car notre rapport aux objets mathématiques, comme le souligne particulièrement
bien Chevallard (Chevallard, 1992, 1999), et donc notre système de valeurs mathématiques,
émergent de pratiques, et comprendre l’influence possible ou effective des logiciels sur
l’enseignement des mathématiques ne peut se faire en séparant les contenus des pratiques
dans lesquelles ces contenus sont engagés. J’ai fait référence à l’approche anthropologique de
Chevallard mais j’aurais pu aussi évoquer, et je le ferai dans la suite, l’approche instrumentale
au développement de laquelle nous sommes plusieurs participants à ce séminaire à avoir
contribué ces dix dernières années (cf. (Artigue, 2002), (Guin & Trouche, 2002) pour des
visions synthétiques) en conjuguant une approche didactique et les travaux d’ergonomie
cognitive de Rabardel et Vérillon (Rabardel, 1996). Un point essentiel dans cette approche est
que ce que nous apprenons et non simplement la façon dont nous l’apprenons est étroitement
dépendant des artefacts utilisés pour cet apprentissage (ici calculatrices et logiciels
notamment). Contenus et pratiques sont donc deux entités en un sens indissociables.
Ces précisions étant apportées, je vais essayer, comme annoncé, de montrer comment les
perspectives ont évolué dans ce domaine, influencées à la fois par l’évolution technologique
et l’évolution des perspectives didactiques.

III. Des influences multiformes portées par les évolutions


technologiques et didactiques
III.1 L’influence algorithmique
La première dimension qu’il me semble devoir évoquer est la dimension algorithmique. Elle
est présente très tôt car ses besoins technologiques sont faibles : un langage de programmation
suffit. Les calculatrices scientifiques des années 80 en sont dotées et, si l’on considère les
programmes des lycées, l’influence est évidente dans la réforme de 1982. La volonté qui y est
clairement affichée par exemple de rééquilibrer le quantitatif et le qualitatif dans
l’enseignement de l’analyse suppose, pour sa viabilité, que l’on dispose de moyens de calcul
approché, que l’on puisse programmer le calcul des valeurs successives d’une suite, la
résolution approchée d’une équation ou le calcul approché d’une intégrale. L’importance qui
est alors donnée à l’inégalité des accroissements finis et à son exploitation pour contrôler les
résolutions approchées d’équations, attestée par les sujets de baccalauréat, participe du même
mouvement.
Cette influence peut être considérée comme une influence noble et, de ce point de vue, ne
pose pas de problèmes en termes de valeurs. On la retrouve préconisée vingt ans plus tard
dans le rapport de la CREM3 sur mathématiques et informatique, liée à l’ambition de dépasser
la seule perspective d’une technologie outil. Après avoir clairement marqué la distinction :

3
CREM : Commission de réflexion sur l’enseignement des mathématiques créée en 1999 et présidée
successivement par Jean-Pierre Kahane et Jean-Christophe Yoccoz.

3
« Il nous paraît important à ce stade de distinguer clairement l’utilisation des ordinateurs et
calculatrices et des logiciels qui y sont implantés, d’une part et l’apprentissage des concepts
de base de l’algorithmique et de la programmation, d’autre part » (Kahane, 2002) (p. 31), les
auteurs du rapport plaident pour l’introduction des notions de base d’algorithmique et de
programmation qui vont permettre en particulier de revisiter des notions fondamentales
comme celles de nombre et d’opération, d’approcher les algorithmes fondamentaux du calcul
numérique, d’introduire de façon motivée de nouvelles structures telles que listes, arbres,
graphes, et de les exploiter pour la compréhension de certains mécanismes, tout en
développant chez l’élève et l’enseignant « une attitude active et imaginative », leur évitant
« de s’en remettre pieds et poings liés au fabricant de la machine ou à l’éditeur de logiciel »
(ibidem, p.33).
Au-delà des cautions mathématique et informatique, sur le plan des apprentissages, cette
influence est soutenue par les théories dites de la réification dérivées de l’épistémologie
piagétienne (Tall, 1991). Selon ces théories, la conceptualisation mathématique obéit à des
cycles ou plutôt des spirales organisées autour de la triade « action – processus – objet ». Un
des exemples les plus connus est l’APOS théorie initiée par le mathématicien Dubinsky
(Dubinsky, 1991), (Dubinsky & Mac Donald, 2001). La programmation dans un langage
adapté y est vue comme le moyen de soutenir la transition d’actions opérées sur des objets
vers des processus. Elle soutient ensuite l’encapsulation de processus en objets qui sont
réinvestissables dans le nouveaux processus comme, par exemple, lorsque des programmes
associés à des fonctions particulières sont utilisés dans des programmes plus généraux qui en
testent certaines propriétés. Dubinsky a développé un langage (ISETL) spécifiquement adapté
au langage mathématique pour soutenir ces abstractions successives. C’est un langage qui
permet de manipuler des ensembles, d’effectuer des quantifications sur des ensembles finis
avec une syntaxe proche de la syntaxe mathématique. Dans les diverses expérimentations
menées, il a été utilisé notamment pour l’apprentissage des fonctions et des structures
algébriques.
Mais il faut aussi avouer que cette influence est restée au cours des deux dernières décennies
relativement marginale dans l’enseignement secondaire, comme souligné dans le rapport de la
CREM déjà cité, et que l’évolution technologique elle-même a tendu à la limiter en donnant
progressivement accès directement à des résultats qui n’étaient au départ accessibles que via
la programmation, en particulier en analyse. Toutes les calculatrices scientifiques disposent
ainsi aujourd’hui de commandes permettant la résolution approchée d’équations ou le calcul
approchée d’intégrales, pour ne citer que ces deux exemples, déjà mentionnés.
Si les logiciels ont influencé les contenus et pratiques de l’enseignement des mathématiques,
c’est en fait davantage jusqu’ici en tant qu’outils de visualisation, de réification et
manipulation directe d’objets mathématiques, de calcul au sens large et de simulation. Ce sont
donc ces influences que nous allons considérer maintenant.

III.2 Visualisation, diversité sémiotique, manipulation directe et simulation

Un premier exemple : visualisation et enseignement des équations différentielles


Très vite pour moi, en tant qu’enseignante dans le supérieur, c’est à travers les possibilités de
visualisation qu’offraient les interfaces graphiques qui se généralisaient, que les logiciels ont
influé sur les contenus de mon enseignement. Ils m’ont permis en particulier avec des
étudiants de première année de rompre avec un enseignement des équations différentielles qui
ne prenait en compte que la résolution algébrique pour introduire une initiation à l’approche
qualitative, de leur faire sentir comment la donnée d’un champ de tangentes conditionnait
physiquement le tracé et de leur faire sentir aussi en quoi la méthode d’Euler se différenciait

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des méthodes d’approximations de courbes par des lignes brisées qui leur étaient jusqu’alors
familières (Artigue, 1989). A l’époque, nous avions du développer des logiciels ad hoc pour
visualiser les champs de tangente, et obtenir le tracé de solutions approchées, des conditions
initiales étant données. Aujourd’hui ces visualisations sont accessibles sur toutes les
calculatrices symboliques (cf. figure 1). Dans ce domaine, comme pour tout ce qui concerne
plus généralement les systèmes dynamiques, la technologie a rendu viable un enseignement
qui soit plus conforme à l’épistémologie actuelle du domaine.

Figure 1 : Champ de tangentes et solutions de y’=y2-x sur une calculatrice TI92


Jusqu’à quel point cela a-t-il influencé les programmes et les pratiques d’enseignement
effectives ? Nos premières expériences étaient très locales et elles n’ont pas essaimé
facilement. Dans beaucoup d’universités encore aujourd’hui, l’enseignement des équations
différentielles en première année, même s’il a évolué, reste essentiellement algébrique. Nous
avions analysé à l’époque ce qui rendait difficile l’évolution (Artigue, 1992). Un élément
important était le statut nouveau qu’il fallait donner, si l’on voulait s’adresser à des étudiants
débutants, au registre graphique comme support de raisonnement et de preuve au-delà de son
statut usuel de représentation, et les conflits que cette évolution générait. En fait, la suite l’a
prouvé en France mais peut-être plus encore à l’étranger, c’est dans les enseignements où la
pression mathématique était la moins forte que ces approches pouvaient le plus facilement
vivre, en particulier dans des enseignements de mathématiques pour des non spécialistes.
C’est aussi le cas dans le secondaire mais les équations différentielles n’y constituent qu’une
petite part de l’enseignement, même en terminale S, et c’est plutôt au niveau de
l’enseignement des fonctions plus généralement que l’on peut donc mesurer l’impact de la
visualisation en analyse. Il se traduit pas une attention accrue portée dans les contenus et les
pratiques aux interactions entre cadres et entre registres de représentation (Douady, 1986),
(Duval, 1995), et c’est cette influence que nous allons discuter, à partir d’un exemple, dans le
paragraphe suivant.
Interactions entre cadres et registres de représentation sémiotique : le cas des fonctions
Comme dans d’autres domaines mathématiques, dans l’enseignement des fonctions,
calculatrices et logiciels ont été mis au service de démarches expérimentales dans lesquelles
l’interaction entre les différents cadres : numérique, algébrique, géométrique, entre les
différents registres de représentation : registre graphique, registre des tables de valeurs et
registre symbolique, jouent un rôle essentiel. Ceci ne s’est pas nécessairement traduit par
l’introduction de nouveaux contenus même s’il en existe (citons par exemple la méthode
d’Euler introduite en première, pour faire un lien avec ce qui précède) mais, même sur des
contenus classiques comme la notion de dérivée, les influences sont évidentes. Je voudrais ici
prendre un exemple issu de la thèse de Maschietto (Maschietto, 2002) qui s’était elle-même

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inspirée des travaux que nous avions menés en première S avec des calculatrices symboliques
(Artigue & al, 1998).
Les possibilités de zooms offertes par les calculatrices et logiciels rendent très facilement
visible le fait que, pour beaucoup de représentations graphiques de fonctions, si l’on centre
progressivement le regard au voisinage d’un point, on finit par voir un segment de droite. Le
processus qui conduit à la tangente à la courbe au point considéré est mathématiquement un
processus infini, engageant un passage à la limite, mais les caractéristiques graphiques des
écrans rendent le phénomène de linéarisation locale visible, « à distance finie ». C’est cette
caractéristique de l’implémentation informatique qui a été, dès le début, exploitée par D. Tall
et l’a conduit à la notion de tangente pratique (Tall, 1991). Ce sont les visualisations associées
que l’on retrouve dans de nombreux ouvrages concernant l’utilisation de calculatrices
graphiques dans l’enseignement de l’analyse et, maintenant, dans de nombreux manuels de
lycée. Elles nous sont devenues familières.
Ce qui est moins souligné, ce sont les limites de cette visualisation. Très souvent, dans les
exemples choisis, la tangente au point considéré a une équation simple avec des coefficients,
en particulier le coefficient directeur, entiers, et les approximations numériques de la
calculatrice ou du logiciel conduisent, pour un agrandissement suffisant ou un pas assez petit,
à l’affichage d’une équation, pour la droite tracée, qui est celle de la tangente. Ceci permet de
laisser planer l’ambiguïté sur la nature réelle de l’objet qui apparaît à l’écran et de le
confondre avec la tangente. C’est sans doute une solution confortable pour l’enseignant et qui
ne gêne en rien les élèves, d’autant plus que généralement, cette visualisation fonctionne juste
comme une entrée en matière et que l’on s’engage très vite dans un travail plus classique sur
les dérivées. Mais, dans une culture où l’image est aussi omniprésente et aussi valorisée, une
telle attitude nous semble tout à fait dommageable. Il importe en effet d’apprendre à
distinguer ce que l’on voudrait que les images nous montrent de ce qu’elles nous montrent
réellement, et les mathématiques, dans ce domaine comme dans bien d’autres, ont un rôle
important à jouer. Dans le cas qui nous intéresse ici, la visualisation nous montre la proximité
locale avec une fonction affine, elle ne nous montre pas ce qui particularise la tangente, à
savoir d’être la seule droite à offrir une proximité d’ordre 1.
La recherche de Maschietto s’attache justement à cette question en étudiant les possibilités
offertes par le mouvement de zoom pour faire vivre, dès le début de l’enseignement de
l’analyse, le jeu local-global au cœur de ce domaine. Le scénario didactique qui en résulte
consiste à proposer dans un premier temps aux élèves d’explorer, par des zooms successifs,
un certain nombre de fonctions, au voisinage de différents points et de représenter ce qu’ils
obtiennent en précisant les fenêtres correspondantes (dans la fenêtre standard, après un zoom
puis quand ils décident d’arrêter le processus). Les fonctions choisies privilégient les
fonctions partout dérivables mais font rencontrer aussi points anguleux et situations plus
complexes. L’expérimentation, répétée dans plusieurs classes, montre que le phénomène de
linéarité locale est rapidement découvert par les élèves et alors anticipé lorsqu’ils explorent
une nouvelle fonction. Pour les cas qui y échappent, ils reprennent les zooms, convaincus au
départ de s’être sans doute trompés. On voit aussi, à travers le langage qu’ils utilisent et les
gestes qui l’accompagnent, que, même si au bout de quelques zooms seulement le tracé
devient droit, les élèves cherchent à maintenir la distance entre les deux types d’objets :
l’objet courbe et l’objet droit qui, pour eux, ne relèvent pas des mêmes catégories. Dans le
scénario, une fonction et un point particuliers sont ensuite choisis pour mathématiser
l’invariant observé. Il s’agit de déterminer la droite vers laquelle tend la courbe. Il est
demandé à chaque élève de proposer une équation pour cette dernière. Comme les fenêtres sur
lesquelles s’arrêtent les élèves n’ont pas de raison d’être identiques, comme les points choisis
avec l’option trace pour déterminer l’équation de la droite n’ont pas de raison d’être

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identiques, les équations n’ont pas de raison de l’être non plus, surtout que les élèves
n’hésitent pas à recopier les décimales des coefficients obtenus avec l’aide de la calculatrice
(cf. figure 2). Et c’est à travers la confrontation de ces équations, en cherchant ce qui les
rapproche et en unifiant, via la symbolisation algébrique, les calculs sous-jacents que, dans
une phase de discussion collective orchestrée par l’enseignant, s’organise le questionnement
de la perception et qu’est mené le travail de mathématisation. Cette recherche, comme celle
que nous avions menée, confirme bien l’accessibilité du point de vue local et du travail de
mathématisation associé à des élèves débutant en analyse dans l’environnement technologique
choisi.

‘‘‘’

Figure 2 : Exploration et mathématisation du phénomène de linéarité locale


Encore une fois, ces influences ont une légitimation cognitive bien mise en évidence par les
recherches qui se sont développées au cours de la dernière décennie sur les registres de
représentation et plus généralement les systèmes sémiotiques (en incluant dans ces derniers le
langage oral et les gestes) et leur rôle dans les processus de conceptualisation en
mathématiques (cf. par exemple (Sáenz-Ludlow & Presmeg, 2006) pour une synthèse des
travaux du groupe international PME4 dans ce domaine). Les travaux de Duval dans ce
domaine ont joué en France un rôle pionnier. Comme l’exprime le titre même de l’ouvrage
déjà cité qu’il a publié en 1995, il n’y a pas de noesis donc de conceptualisation sans semiosis,
4
PME : Psychology of Mathematics Education.

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c’est à dire sans élaboration de systèmes de représentation ; la représentation n’est pas
l’aboutissement, le résultat de l’apprentissage, elle en est partie intégrante, et l’objet
mathématique n’existe pas tant qu’il est attaché à un seul registre de représentation.
L’influence sur les contenus et les pratiques s’opère également via la possibilité qu’offre la
technologie de réifier les objets mathématiques, certaines de leurs propriétés et des relations
qui les lient et d’opérer sur ces réifications. C’est la philosophie des micromondes que nous
allons envisager dans le paragraphe suivant.

Les micromondes : de Logo aux logiciels de géométrie dynamique


Le premier exemple en a été Logo. Largement diffusé en France Logo dans le cadre du plan
« Informatique pour tous » de 1985, il n’y a cependant eu qu’une influence limitée sur
l’enseignement des mathématiques et la France ne fait pas exception dans ce domaine.
L’analyse qui en est souvent faite aujourd’hui au niveau international est que Logo était
porteur d’une philosophie radicalement nouvelle de l’apprentissage : le constructionisme
(Papert, 1980, 1991) mais que cette philosophie n’était pas soutenue par un ensemble de
textes et de ressources pour les enseignants susceptibles de lui donner corps. En dépit de
recherches et de développements très intéressants qui d’ailleurs se poursuivent toujours à
l’étranger (Noss & Hoyles, 1996), (Di Sessa, 2000), les usages effectifs dans le cadre du plan
Informatique pour tous se sont assez souvent réduits à des activités plutôt ludiques ne
s’inscrivant pas dans un projet clair d’apprentissage et ils se sont assez rapidement effondrés.
Dans le cas de Logo, la manipulation passe par un langage de programmation. Les logiciels de
géométrie dynamique qui constituent aujourd’hui les micromondes qui ont le plus pénétré le
monde de l’enseignement mathématique internationalement sont de plus en plus basés sur la
manipulation directe. Il n’est pas évident que les logiciels de géométrie dynamique aient
profondément changé les programmes de géométrie dans quelque pays que ce soit. En
revanche, il est clair qu’ils ont changé profondément les pratiques géométriques de ceux qui
les utilisent régulièrement.
Dans l’enseignement, on a mis souvent en avant le rôle de l’utilisation des logiciels de
géométrie dynamique pour disqualifier des constructions faites sur la base de la seule
perception et permettre la transition d’une appréhension perceptive des figures vers une
appréhension géométrique. Je voudrais insister ici sur le fait qu’il s’agit là d’une vision très
limitée de l’influence que peut avoir un logiciel de géométrie dynamique sur l’enseignement
et l’apprentissage de la géométrie. En témoignent les distinctions qui ont été récemment
introduites par les chercheurs (cf. par exemple (Hölzl, 1996), (Healy, 2000)) pour rendre
compte des différents usages de la commande de déplacement des objets ou encore de la
notion de construction molle : une construction qui est partiellement géométrique mais
s’autorise des ajustements pour satisfaire simultanément plusieurs contraintes.
Par exemple, (Arzarello & al., 2002) décrit le cas d’élèves de début du collège cherchant à
déterminer dans l’environnement Cabri-géomètre tous les triangles ABC pour lesquels il
existe un point P du segment [BC] tel que les deux triangles APB et APC soient isocèles. Il
existe plusieurs façons de réaliser cette condition mais les élèves commencent souvent par
choisir P au milieu de [BC] et ensuite cherchent à avoir BP=AP=PC. Ils font afficher les
mesures des segments et déplacent le sommet A du triangle dont ils sont partis jusqu’à réaliser
l’égalité. Une fois cette égalité réalisée une ou plusieurs fois par tâtonnement, on les voit
essayer de systématiser la recherche, par exemple en déplaçant le point A au voisinage d’une
position gagnante de manière à conserver la propriété et, soit marquer des points, soit utiliser
la commande trace pour visualiser la trajectoire qui semble se dessiner pour le point A (figure
3). Cette trajectoire hésitante car, pratiquement, la tâche n’a rien d’évident peut les conduire à

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conjecturer que la propriété restera satisfaite si A reste sur un cercle ou un arc de cercle et à
essayer de déterminer ce dernier.

$1$

P
$1$
C
Figure 3 : Utilisation de la commande Trace pour visualiser des positions possibles de A
Une fois le cercle tracé, certains assujettissent A à se déplacer dessus pour tester la conjecture
faite. D’autres ont repéré que dans les points A satisfaisant la condition et trouvés au hasard,
l’angle de sommet A du triangle semblait un angle droit et c’est cette condition qu’ils
cherchent à préserver dans le déplacement après avoir fait afficher la valeur de l’angle pour
tester la conjecture associée. Dans cette exploration du problème, les constructions ont mêlé
tracés géométriques et ajustements, les déplacements ont pris des formes et des fonctions
diverses, de l’exploration tâtonnante à l’élaboration de conjectures puis à leur contrôle.
L’auteur insiste par ailleurs sur la continuité que l’on observe dans les comportements des
élèves entre exploration et preuve dans la résolution d’un tel problème, contrairement à
l’affirmation fréquente selon laquelle l’utilisation de logiciels de géométrie dynamique ferait
obstacle à la démonstration. Cette continuité se traduit par des mouvements ascendants et
descendants, des processus de déduction et des processus d’abduction, et son existence n’est
pas indépendante des caractéristiques de la tâche proposée. Il insiste aussi sur l’importance du
rôle de l’enseignant pour développer une culture de géométrie dynamique qui rende une
situation comme celle-ci cognitivement productive et pour la gérer de façon efficace, en
laissant se développer la richesse des explorations et en soutenant la continuité entre
exploration et preuve.
Avant de passer aux points suivants, je voudrais souligner que réification et manipulation
directe ne sont pas l’apanage de la géométrie. Depuis plus de quinze ans maintenant, des
travaux de recherche sont développés pour donner accès via des commandes sensori-motrices
aux notions de vitesse et d’accélération à de jeunes élèves qui ne peuvent accéder à ces
notions à travers les outils usuels de l’algèbre et de l’analyse (Nemirovski & Borba, 2004).
Des adaptations de ces dispositifs sont aujourd’hui implémentées dans les calculatrices via
des systèmes de capteurs et elles commencent à influencer l’enseignement de ces notions en
France, en particulier en lycée professionnel.
Simulation
L’influence technologique sur l’enseignement des mathématiques comme sur les
mathématiques elles-mêmes passe de plus en plus par la simulation, une simulation qui

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permet d’explorer, de se familiariser avec des situations qui ne sont pas directement
accessibles à une résolution exacte ou approchée, au moins au niveau d’enseignement
considéré, de mettre en évidence des régularités et aujourd’hui, à travers des systèmes multi-
agents, de montrer comment des structures collectives peuvent émerger de règles de
comportement locales (Wilenski, 2003).
En France, c’est à travers les statistiques que la simulation a réellement fait son entrée dans
l’enseignement secondaire, et là d’emblée à grande échelle, avec les nouveaux programmes
du lycée en seconde. Les calculatrices et les tableurs ont été les deux technologies
principalement utilisées pour cela. Et les documents d’accompagnement des nouveaux
programmes ont essayé d’outiller les enseignants face à ce renouvellement profond de
l’enseignement des statistiques. Nous en aurons des exemples au cours de ce séminaire dans
les ateliers. Mais je voudrais souligner deux choses :
1) que l’influence technologique sur l’enseignement des statistiques d’une part dépasse la
seule simulation. L’accès à des bases de données substantielles, intégré ou non à des
logiciels éducatifs, fait peu à peu sortir l’enseignement des statistiques de la seule
considération de populations de taille ridicule, attachées à un enseignement des
statistiques sans technologie informatique ou avec un technologie limitée ;
2) que les statistiques sont peut-être le domaine où, internationalement, l’influence de la
technologie sur l’enseignement des mathématiques a été la plus forte. C’est une des
ambitions de l’étude ICMI en cours sur l’enseignement des statistiques d’étudier où
l’on en est exactement dans ce domaine5.

III.3 L’influence sur le calcul : logiciels de calcul symbolique et tableurs

J’ai gardé le calcul pour la fin de ce panorama, non que je considère le calcul comme moins
important que ce qui précède mais parce que se concentrer sur lui d’emblée aurait pu faire
disparaître toutes les autres dimensions. Il ne fait pas de doute que si les technologies
informatiques ont influencé l’enseignement des mathématiques, c’est d’abord à travers le
calcul, et l’actualité récente nous a montré bien comment, encore aujourd’hui, cette influence
est mal acceptée, combien il est difficile de s’interroger sans émoi sur ce que notre société
attend des élèves en matière de calcul. Il n’est pas dans mon intention de rentrer dans ce type
de débat aujourd’hui. Mais je voudrais utiliser ce thème pour soulever un certain nombre de
questions qui assureront également la transition avec la dernière partie de mon exposé. J’ai
associé ici logiciels de calcul symbolique ou CAS et tableurs. Ceci peut paraître a priori
étrange, car ces deux technologies sont très différentes. Ce qui les rapproche, c’est qu’il s’agit
dans les deux cas, contrairement à toutes les technologies évoquées jusqu’ici, de technologies
professionnelles, non conçues pour l’enseignement primaire ou secondaire mais importées
dans cet enseignement. Ce n’est pas un hasard si c’est de recherches sur l’intégration des
CAS qu’est née une sensibilité aux questions d’instrumentation qui traverse aujourd’hui
l’ensemble des recherches dédiées à la technologie en didactique des mathématiques, comme
l’a bien montré la conférence ICMI d’Hanoi déjà citée. C’est aussi que toutes les deux
instrumentent bien que de façon différente directement le calcul et que la comparaison de la
façon dont elles instrumentent respectivement ce calcul est tout à fait éclairante.
Ces deux technologies sont différemment intégrées institutionnellement. Le tableur fait
officiellement partie des programmes dès le collège. Il intervient non seulement en
mathématiques mais aussi dans d’autres disciplines et notamment en technologie. Il occupe
une place particulièrement importante dans le programme de la série L mais est cité dans les
programmes de toutes les séries. Les logiciels de calcul symbolique sont mentionnés dans les
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Le document de discussion associé à cette étude est lui aussi accessible sur le site d’ICMI.

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programmes mais de façon beaucoup plus discrète. Leur usage n’est en rien obligatoire et il
est recommandé plus tard dans la scolarité. Leur influence est de ce fait nécessairement plus
limitée même si leur usage au baccalauréat est autorisé. Mais ce sur quoi je voudrais insister
ici, c’est que ces deux technologies nourrissent des rapports très différents au calcul, ce qui
nous renvoie à la question des valeurs que j’évoquais au début de cet exposé. Je prendrai pour
cela l’exemple de l’algèbre.
Comme l’ont bien montré les travaux de recherche, en France comme à l’étranger, le tableur
nous propose un monde intermédiaire entre arithmétique et algèbre (cf. (Kieran &
Yerushalmy, 2004) pour une vision synthétique). Il est algébrique par son langage, il est
arithmétique dans sa manière d’organiser le travail mathématique, en allant du connu vers
l’inconnu, en permettant le recours à la démarche arithmétique. Ce n’est pas un hasard si l’on
utilise dans divers pays le tableur pour réconcilier avec l’algèbre des élèves qui semblent
définitivement fâchés avec ce domaine, et si c’est en série L que le tableur a été si lourdement
introduit. On peut voir dans le tableur un outil permettant de limiter les besoins algébriques
dans la résolution de problèmes qui traditionnellement relèvent de l’algèbre.
Les logiciels de calcul formel n’ont rien à voir avec ce monde. Le monde algébrique qu’ils
nous proposent est un monde puissant mais aussi exigeant. Comprendre suffisamment
comment sont représentés les nombres et expressions pour pouvoir piloter les calculs qui les
engagent nécessite des apprentissages spécifiques, et la diversité des formes automatiquement
produites par le logiciel fait facilement sortir de l’espace des formes conventionnellement
rencontrées au niveau du lycée (Guin & Trouche, 2002). Une genèse instrumentale s’impose,
différente de celle nécessitée par le tableur, et mathématiquement plus exigeante. Décider
d’intégrer les CAS à large échelle, au-delà des environnements expérimentaux où l’on a
montré que ceci était possible et réellement profitable aux apprentissages, suppose que cette
genèse instrumentale soit institutionnellement prise en charge et que les enseignants, après y
avoir été sensibilisés, disposent de ressources adéquates pour la piloter. Il ne semble pas que
nous en soyons là actuellement.
Ceci m’amène à la dernière partie de mon exposé où je souhaiterais aborder la question du
passage d’influences potentielles au sens large à des influences effectives dans le quotidien
des classes.

IV. Des influences potentielles aux influences effectives


Entre influences potentielles, identifiées par des analyses a priori ou à travers
expérimentations et innovations, et influences effectives le décalage est, on le sait, important,
dans ce domaine comme dans bien d’autres. L’inscription dans les programmes de
l’obligation d’utiliser telle ou telle technologie, dans tel et tel contexte notamment et avec
telle et telle ambition, ne suffit pas à produire des influences effectives et à les contrôler. Et il
faut souligner que l’incitation, l’obligation, ne donnent pas en elles-mêmes les moyens
d’usages pertinents. Elles ne résolvent pas des conflits de valeurs qui souvent restent non
explicités. Et les ressources qui sont fournies aux enseignants, pour riches et intéressantes
qu’elles soient, sont souvent des ressources ponctuelles, isolées, qui ne suffisent pas à
organiser dans la durée l’articulation cohérente d’une progression mathématique et
instrumentale. Haspekian, qui a analysé dans sa thèse (Haspekian, 2005) les ressources tableur
du site Educnet pour la scolarité obligatoire, l’a bien mis en évidence pour cette technologie.
De façon comparable, dans une thèse soutenue très récemment, Tapan (Tapan, 2006) a montré
que la façon dont les textes officiels présentaient l’intégration de logiciels de géométrie
dynamique au collège s’en tenait à un discours très général. La compréhension de ce que met
en jeu le déplacement des objets présentant un ou deux degrés de liberté, fondamentale dans

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l’utilisation de ces logiciels, y semble aller de soi, or divers travaux de recherche nous
montrent aujourd’hui que ce n’est nullement le cas pour des élèves de début de collège
(Soury-Lavergne, 2006). Comprendre ce que le déplacement permet de contrôler est déjà une
conquête géométrique et instrumentale.
De nombreux travaux, en France comme à l’étranger, montrent par ailleurs que les usages qui
semblent les premiers accessibles aux enseignants ne sont pas ceux qui tirent le mieux parti
des potentialités pour l’apprentissage des technologies considérées (Laborde, 2001),
(Monaghan, 2004). Proposant d’une part à des enseignants débutants, d’autre part à des
formateurs des situations utilisant le tableur volontairement contrastées quant à leur intérêt
pour l’apprentissage, Haspekian dans sa thèse déjà citée a par exemple montré, que
systématiquement les choix des premiers, tout en étant argumentés, étaient opposés aux choix
des seconds qui, eux, correspondaient à ceux que sa recherche la conduisait elle-même à
effectuer. L’influence sur les contenus et les pratiques, même quand elle est réelle, est donc
loin d’être systématiquement celle attendue et souhaitée. La tendance observée et bien
compréhensible consiste à utiliser les outils technologiques juste pour leur valeur
pragmatique : produire rapidement et facilement des résultats dans des tâches qui se
différencient peu de celles traditionnellement pensées pour l’environnement papier/crayon, au
détriment de leur valeur épistémique : aider à comprendre les objets mathématiques mis en
jeu (Artigue, 2002). Comme les recherches concourent à le montrer, une telle attitude ne
permet pas de tirer le meilleur parti de la technologie pour l’apprentissage des
mathématiques ; elle ne permet pas que s’exprime dans l’enseignement des mathématiques la
puissance épistémique des techniques instrumentées car celle-ci passe souvent par la
construction de tâches qui n’ont pas d’analogue direct dans l’environnement papier/crayon et,
pour les tâches qui sont a priori envisageables dans cet environnement, par une véritable
reconstruction des scénarios didactiques associés. La pente naturelle des usages nous semble,
de ce fait, contribuer fortement aux décalages observés entre attentes et réalisations effectives.
Arriver à surmonter ces obstacles demande de penser les usages de la technologie dans la
durée, la progression dans le temps des connaissances instrumentales et mathématiques ainsi
que les institutionnalisations associées, les rapports à construire et à faire évoluer entre
techniques papier-crayon et techniques instrumentées. Il impose de mettre en place une
formation des enseignants qui prenne en charge ces difficultés et propose des dynamiques
d’évolution raisonnables. Il impose de développer des ressources moins ponctuelles que celles
qui dominent aujourd’hui et suffisamment explicites. Ceci, tout en sachant qu’il nous faudra
rouvrir régulièrement la réflexion sur ce que nous attendons exactement de l’enseignement
des mathématiques et que les réponses que nous pouvons apporter aujourd’hui ne peuvent
avoir qu’une durée de vie limitée. Nous mesurons mieux aujourd’hui la tâche à accomplir et
nous sommes certainement bien mieux armés pour y faire face que nous ne l’étions il y a dix
ans, mais le travail à accomplir pour parvenir à une intégration des technologies informatiques
qui serve efficacement la cause de l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques reste
énorme.

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