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D’une telle situation qui impose une mutation des pratiques didactiques naît, très 5
souvent, la demande de collaboration entre praticiens et chercheurs pour clarifier le
concept de compétence, déterminer si on peut parler d’une didactique pour le
développement des compétences des élèves à l’école et pour comprendre comment
construire un dialogue efficace entre la théorie et l’activité propre d’enseignement
des maîtres.
« comprendre les principes tenus pour vrais par les enseignants en situation, 15
articulés aux règles d’action, de prises d’information et de contrôle, aux inférences
en situation et aux buts, c’est-à-dire à l’ensemble des éléments constitutifs des
schèmes (Vergnaud, 1996), organisateurs de l’activité des enseignants leur
permettant de s’adapter aux besoins de chaque situation ».
LA MÉTHODOLOGIE
L’objet d’étude sélectionné conduit à privilégier le paradigme écologique (Mortari, 18
2007) caractérisé par une vision complexe et dynamique des processus de
connaissance qui sont mis en œuvre pour comprendre « le réel ». En suivant
l’organisation de la recherche pédagogique proposée par l’auteur, l’épistémologie
choisie – envisagée comme cadre général pour définir le processus d’enquête –
renvoie à la recherche qui « se fait dans un setting naturel et il dépend de la façon
dont le phénomène arrive ordinairement » (Mortari, 2007, p. 61). Le plan de
recherche, pas complètement défini au début, se développe au fur et à mesure des
informations recueillies et s’adapte progressivement au contexte et aux informations
recueillies.
Les données sur lesquelles nous nous appuyons sont issues de différentes situations. 21
Nous avons choisi de recueillir des données au travers de la transcription de
réunions entre chercheurs et enseignants pour revenir sur les thématiques abordées
et de sélectionner les interactions les plus intéressantes. Nous avons également
analysé les synthèses de groupe pour identifier les cibles produite les projets
didactiques pour mieux comprendre la nature de la planification pédagogique et
enfin les réflexions écrites produites par les enseignantes pendant et à la fin du
parcours. L’analyse de tous ces documents permettaient de repérer s’il y avait des
transformations significatives dans la pratique des enseignants.
Les premiers rencontres ont porté sur la planification d’un parcours n’ayant pas 22
encore été réalisé en classe. Chaque enseignant devait décrire son travail, tandis que
ses collègues et le chercheur contribuaient à mettre au jour les relations entre les
caractéristiques du travail proposé et les possibilités d’action de l’élève pour le
développement de sa propre compétence. À partir de la transcription de ces
discussions, le chercheur et les enseignants ont sélectionné une série de questions
majeures de leur point de vue. À titre d’exemple, au cours de la première année du
travail la question suivante a émergé : comment comprendre les connaissances
acquises des élèves ? De cette première question en ont découlé d’autres : « Comment
les mobiliser ? Comment aider l’élève à construire des ressources facilement
mobilisables ? ». Ces questions ont été abordées durant les rencontres suivantes. Les
réponses apportées aux problèmes posés, résultant de la confrontation entre des
connaissances théoriques et les pratiques effectives des enseignants, ont été
progressivement rassemblées et organisées afin que chacun des enseignants puisse
les utiliser comme support à son projet didactique.
D’autres rencontres ont porté sur l’expérience réalisée en classe. Comme support de 23
travail, les enseignants apportaient leurs observations écrites, les productions des
élèves et présentaient les aspects positifs et problématiques de cette expérience.
L’expérience était analysée en groupe afin de comprendre quels changements
didactiques avaient été réalisés par l’enseignant pour favoriser le développement des
compétences des élèves ; les choix effectués ont été explicités. La discussion a permis
de faire émerger la structure de la séquence d’enseignement réalisée. Ces deux
procédés d’enquête ont conduit à des résultats que nous décrirons par la suite (voir
paragraphe « Des résultats »).
Le parcours de recherche analysé ici a été réalisé de 2008 à 2011 dans un Istituto 25
Comprensivo [8] de la province de Pordenone (Nord-est de l’Italie), avec des
enseignants travaillant en école maternelle, primaire et collèges. Chaque année, dix
enseignants volontaires, issus pour chacun d’eux d’une discipline différente et en
service dans un niveau scolaire différent, composaient la Commission « Innovation »
à l’intérieur de l’établissement. Pour diverses raisons, seuls sept de ces dix membres
ont effectué le parcours de recherche collaborative dans son intégralité dont sont
tirées les données qui suivent.
Pendant la première année 2008-09, six rencontres ont eu lieu avec le chercheur, 26
en 2009-10, cinq rencontres et enfin trois rencontres en 2010-11. Une telle
diminution est due à deux facteurs : la sécurité grandissante des participants dans la
gestion d’un processus de conception et de son analyse, leur posture, aussi, de
« formateurs » des collègues lors des diverses réunions organisées de façon
opportune par le chef d’établissement ; la mise à disposition d’une plateforme en
ligne (à partir de l’année 2009) à laquelle tous les enseignants de l’école peuvent avoir
accès pour visualiser la documentation produite par la Commission « Innovation » et
pour interagir à distance avec le chercheur à propos de problèmes spécifiques.
Au début du parcours, certaines tâches communes ont été définies, donnant lieu à 27
un contrat partagé concernant le timing, les modalités de travail, la documentation à
produire et surtout l’attention portée au développement d’attitudes d’écoute,
d’observation, de participation active et de réflexion.
Le deuxième type de documentation présente des synthèses : les comptes rendus des 30
rencontres, les synthèses proprement dites que le groupe parvenait périodiquement
à élaborer, la production finale, c’est-à-dire la publication destinée à être mise à la
disposition de tous les enseignants.
À l’exception des réflexions personnelles des enseignants sur les projets réalisés 31
(utilisées uniquement pour la réflexion dans le groupe avec le chercheur), toutes les
productions ont été insérées dans la plate-forme en ligne mise à disposition de
l’Istituto Comprensivo.
DES RÉSULTATS
Les nombreuses expériences conduites en classe, dans la première année, et l’analyse 32
de l’activité ont permis de comprendre que le fait de changer la modalité de
planification et les phases de travail en classe peut aider l’exploration de sa propre
pratique et stimuler une attention particulière aux comportements et raisonnements
des élèves, mais elles ne suffisent pas quand il s’agit de changer la pratique de
l’enseignant.
Le cas de L. est intéressant, car il illustre assez bien cette situation : L. était une 33
enseignante très confirmée dans ses pratiques d’enseignement, fondées sur le
modèle transmissif de la connaissance. Les attentes en termes d’apprentissage
étaient définies a priori, d’une façon très stricte. L. avait alors exprimé son besoin de
formation de cette façon : « trouver comment rendre les enfants acteurs et pas seulement
destinataires de la transmission des informations par l’enseignante ». Puis elle a réalisé, avec
l’accompagnement du chercheur, la planification d’une activité inspirée de la
« didactique par projet » et de la collaboration entre pairs. Les traces vidéo et les
écritures réflexives de L. sur l’activité en classe ont montré des effets intéressants et
inédits : une participation et une responsabilité des élèves dans la construction de la
connaissance et des résultats d’apprentissage satisfaisants. Mais le problème était la
stabilisation du changement de pratique de L., problème qui s’est révélé au moment
où elle a dû planifier seule, en autonomie, d’autres activités. L’absence d’interaction
continue avec un chercheur qui pose des questions, qui apporte un point de vue
différent sur la situation, qui sécurise l’expérimentation de pratiques nouvelles, a
montré que le transfert ne s’était pas opéré. La transformation n’était que
superficielle : ni les habitus professionnels de L., ni ses schèmes d’action n’avaient
encore été profondément affectés.
Fig. 1
Exemple d’un schéma personnel élaboré par une enseignante.
D’autres enseignants indiquent des règles d’action de leur pratique. B., par exemple, 38
pense que la « relance » constitue le nœud central de sa propre modalité
d’enseignement. Elle la définit comme « ne pas se laisser vaincre par la tentation de
fournir des solutions ; au contraire, ajouter d’autres éléments pour aider les élèves à résoudre le
problème ». Elle dit que l’apprentissage est un processus de construction subjective et
collective et que la motivation pour apprendre ne peut pas être extrinsèque.
L’enseignant doit concevoir des tâches pour engager réellement les élèves dans une
démarche de construction personnelle, c’est la structure de la tâche qui permet à
l’élève d’agir, d’être l’acteur de son propre développement.
T. et L., après avoir fait le récit des situations vécues en classe, ont découvert 39
l’importance qu’il importe d’assigner à l’« écoute ». C’est une règle d’action qu’elles
utilisent à l’école maternelle, afin de
« laisser de l’espace à la pensée… faire une place à la réflexion dès le début… l’enfant 40
a besoin d’être écouté pour donner forme à sa pensée. Pour qu’ils deviennent
compétents, les enfants doivent nous parler d’un sujet précis, nous raconter… Ils
doivent pouvoir construire des concepts clairs ».
Comme nous l’avons déjà dit, le parcours de recherche a représenté une occasion de 44
développement professionnel, ce qui semble vérifier qu’« être en recherche »
(Beillerot, 1991), c’est satisfaire à une condition de la formation. On a noté, dans les
écritures réflexives des enseignants, qu’il existe une relation entre « travailler pour la
compétence » des élèves et, côté enseignant, « devenir compétent ». La planification
d’une tâche qui comporte un problème à résoudre demande à l’enseignant d’avoir
une forte connaissance disciplinaire, d’anticiper les possibles comportements des
élèves, de gérer en même temps différentes trajectoires d’apprentissage et
d’évaluation de la situation. Roditi parle d’un possible « enrichissement qui ne
résulte pas seulement d’une théorisation d’un savoir d’expérience, il peut aussi
provenir du développement de nouvelles manières d’agir ou de penser, en lien avec
des savoirs extérieurs à la pratique, des savoirs disciplinaires ou didactiques par
exemple » (2013, p. 362). Cela est confirmé par les enseignants qui retiennent de cette
expérience d’avoir :
CONCLUSION
On peut affirmer qu’au terme du parcours triennal, les praticiens ont pu connaître et 48
expérimenter de nouvelles stratégies d’activité et apprendre comment assurer un
contrôle réfléchi de la planification et comment revenir après coup sur l’intervention
en classe [13] . Ils ont appris à reconstruire les histoires des pratiques vécues en classe
pour les remettre aux collègues, comme comptes rendus à méditer, sur lesquels
réfléchir sans retomber dans l’idée des « bonnes pratiques » à imiter et à transférer.
Notes
[3] Cette notion d’« evidence » est née de l’analyse de 500.000 recherches réalisées par
Hattie, pour comprendre les comportements de l’enseignant (dans l’activité en
classe, mais aussi lors de la conception pédagogique), qui donnent lieu à un
meilleur effet sur l’apprentissage des élèves (effect size).
[6] À quel type de devoir est imparti un temps long ou un temps court, et pourquoi ?
Quel type d’activité est prévu pour l’élève ? Comment construire une alternance des
dispositifs afin de favoriser l’acquisition et la mobilisation des savoirs ?
[7] Quelle relation émerge entre le temps imparti, l’activité et la durée de la motivation
de l’élève ?
[8] Istituto Comprensivo : c’est un Établissement scolaire polyvalent qui réunit, sous la
direction d’un même chef d’Établissement, des écoles maternelles, des écoles
primaires et des collèges. Toutes les écoles italiennes participent à la constitution
des Istituti Comprensivi. Il n’y a pas d’école qui fonctionne, en soi, de façon
autonome.
[11] Les enseignants qui ont participé à la recherche étaient titulaires des différentes
disciplines ; en raison de cette diversité on a choisi de parler de compétence et pas
des compétences.
[13] Par exemple, R. affirme: « Avant la réalisation en classe de ce qui a été conçu, j’ai analysé
plusieurs fois et à divers moments le produit-projet que j’avais élaboré afin d’en comprendre
la cohérence interne ». Pour ce faire, il s’était aidé surtout de l’écriture d’un scénario pour
contrôler la séquence logique des phases conçues. Pa. écrit : « Avant de proposer aux enfants
ce que j’avais préparé, j’ai bien décrit mes actions avant, pendant et après l’activité, pensant
aussi à ce que les élèves auraient dû faire pendant l’activité »
[14] Comme affirme B. : « Nous sommes conscients du fait que la profession d’enseignant se
base sur les choix, nous avons décidé de jouer ainsi, sachant que se tromper est humain mais
aussi que l’erreur est une ressource que le temps pour la recherche est un investissement ».
Résumé
Français
La complexité du système enseignement-apprentissage demande d’être interrogée
quand elle doit se confronter avec des prescriptions ministérielles et des suggestions
théoriques qui posent des perspectives différentes. La pratique d’enseignement
devient alors l’objet d’analyse parmi plusieurs figures professionnelles pour
construire une culture partagée à travers un dialogue entre savoirs pratiques et
savoirs théoriques. Culture qui trouve une assise aussi dans les savoirs « de la
pratique », savoir d’expérience organisé, avec du sens individuel mais aussi collectif.
L’article présente la démarche d’une recherche collaborative qui a permis de
découvrir des modalités avec lesquelles les enseignants a) parviennent à la
construction des notions utiles pour leur propre pratique, b) modifient leurs propres
routines et développent leur propre professionnalité, c) découvrent la présence des
organisateurs dans leurs propres pratiques et leur importance dans la gestion de
l’enseignement.
Mots-clés
Keywords
Plan
QUELLE DIDACTIQUE POUR LA COMPÉTENCE ?
CONCLUSION
Bibliographie
Bibliographie
http://www.revuedeshep.ch/sitefpeqn/Site_FPEQ/14_files/03_altet.pdf
(consultation : 7 novembre 2013).
Durand M., Horcik Z. (2012). Pour une alliance di savoir et de l’action : l’invention
d’espaces de pratiques de travail – formation – recherche mutuellement fécondes.
Yvon F., Durand M. (2012). Réconcilier recherche et formation par l’analyse de l’activité.
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Lincoln Y. -S. , Guba E.G. (1985). Naturalistic inquiry. Beverly Hills, CA : Sage
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Magnoler P., Sorzio P. (2011). Didattica e competenze. Pratiche per una nuova alleanza tra
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Stenhouse L. (1977). Dalla scuola del programma alla scuola del curricolo. Roma :
Armando.
Vinatier I., Altet M. (2008). Pour analyser et comprendre la pratique enseignante. Rennes :
PUR.
Auteurs
Patrizia Magnoler
pg.rossi@unimc.it
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