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Najoua Mohib
Développer des compétences ou
comment s’engager dans l’agir
professionnel
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Najoua Mohib, « Développer des compétences ou comment s’engager dans l’agir professionnel », Formation
emploi [En ligne], 114 | Avril-juin 2011, mis en ligne le 04 octobre 2011. URL : http://formationemploi.revues.org/
index3378.html
DOI : en cours d'attribution
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Travail
L’histoire du travail montre que le système traditionnel a néanmoins contribué à faire évoluer l’appareil de
de production s’est modié depuis une trentaine d’an- formation. Sans aller jusqu’à considérer ce modèle
nées. Face à la nécessité de s’adapter aux profondes comme « révolutionnaire » voire « novateur »
mutations socio-économiques, les entreprises privilé- (Livian & Terrenoire, 1995), des auteurs comme
gient la mise en place d’organisations de travail favo-
risant le renouvellement des compétences de leurs
salariés. L’introduction des TIC (Technologies de
l’information et de la communication), la modication * Najoua Mohib est maître de conférences en
du statut du facteur humain ou encore la pression de sciences de l’éducation à l’université de Strasbourg, cher-
l’efcacité exigent de la formation qu’elle soit aussi cheur au LISEC (Laboratoire interuniversitaire des sciences
professionnalisante que possible. Dans ce contexte, de l’éducation et de la communication – EA2310). Ses
travaux portent sur les pratiques de formation initiale et
la question des compétences, comme ressources à
professionnelle et se focalisent notamment sur l’accom-
développer et dont la valeur marchande ne peut plus
pagnement et le développement des compétences. Plus
être niée, occupe une place centrale dans la concep-
récemment, ses recherches interrogent les liens entre
tion des espaces visant la transformation des « sujets compétences et technologies éducatives. Ses dernières
humains » (Barbier, 2000). publications : Mohib N. (Éd.) (2010), TIC et développe-
On peut dater aux années 90 l’émergence d’un ment des compétences : quelles réciprocités ? Questions
Vives, volume 7, numéro 14, Aix en Provence, Éditions
nouveau modèle dans le champ de la formation
En Question. Mohib N., Sonntag M., Werckmann F.
professionnelle, qui concrétise la mise en place de
(2010), « Le tutorat méthodologique en école d’ingé-
pratiques de formation orientées vers la compétiti-
nieurs : pourquoi est-ce encore une bonne idée ? »,
vité et l’emploi. Fortement controversée en raison Actes d’AREF 2010, Genève.
de sa dérive instrumentale, la logique compétence
Le recours aux situations de travail dans les pratiques Former dans les situations de travail
de formation n’est pas récent ; pourtant, c’est sur
cette conception que se fondent actuellement les La deuxième grande orientation concerne plutôt le
programmes novateurs des dispositifs de dévelop- champ des organisations. Il s’agit plus précisément
pement des compétences professionnelles. Pourquoi d’actions de formation intégrées aux activités de
parle-t-on de nouvelles formes de formation alors que production. Elles s’adressent à des salariés ou des
celles-ci ont toujours été centrées sur l’idée d’une collectifs de travail réunis au sein de groupes créés
adaptation à l’évolution des situations profession- spéciquement à cette occasion. L’objectif premier
nelles ? Pour Barbier (2001), « le phénomène nouveau est l’optimisation de la formation des individus an
est ici ce que nous pourrions appeler le développe- d’améliorer l’efcacité et la performance de l’entre-
ment d’une pression à accroître la cohérence entre prise ou l’organisation. Les groupes de progrès, le
formation et environnement d’action ». Autrement dit, coaching, l’action learning ou encore les cercles de
qu’il s’agisse de démarches mises en œuvre par des qualité 7 représentent quelques-uns de ces dispositifs
organisations, des entreprises ou encore des établis- qui exploitent la capacité formative des situations de
sements d’enseignement scolaire et supérieur, toutes travail. Toutefois, au-delà de leur intention performa-
tentent de prendre en compte la réalité des contextes tive, ces démarches intégrées au travail présentent
de travail. Trois façons d’envisager le développement également des effets potentiellement formatifs pour
des compétences professionnelles semblent ainsi
5
Appliquée dans différents domaines professionnels, l’analyse du
émerger : des activités de formation qui s’élaborent travail repose sur une méthode de recherche développée en psycho-
à partir des situations de travail (par ex. : analyse du logie et ergonomie. Elle est notamment utilisée comme un moyen
travail, échanges de pratiques, recherche-formation, pour placer l’individu en posture d’analyse dans la perspective
d’une transformation de son rapport à l’activité. Pour en savoir
etc.), dans des situations de travail (par ex. : coaching, plus sur cette approche, cf. (Durand, 2009).
mentoring, communauté de pratique, etc.) et enn par 6
De manière générale, l’analyse des pratiques professionnelles
désigne à la fois une technique et un objectif. Elle vise, à travers
des mises en situation de travail (par ex. : simulation, différentes modalités, la production des savoirs sur l’action (fonc-
stage, etc.). tion théorique) et la professionnalisation des acteurs (fonction
opératoire). Cette démarche polyfonctionnelle est particulièrement
bien synthétisée dans l’article de Marcel et al. (2002).
Former à partir des situations de travail 7
Fondés sur des démarches différentes, tous ces dispositifs
reposent sur la mise en place de situations réexives individuelles
et/ou collectives visant à l’élaboration d’un nouveau cadre de
Dans ce type de formation conçu à partir des perception de l’activité an d’élargir les capacités d’action de
pratiques réelles, l’individu est conduit non seulement chaque individu.
récentes controverses dont font l’objet les IUFM avec quelques années, aussi bien les milieux de l’entreprise
la masterisation de la formation sont autant de raisons que ceux de l’enseignement professionnel10. Souvent
qui expliquent notre intérêt pour ce dispositif. associé à un groupement d’hommes dont l’origine se
perd dans la nuit des temps, le compagnonnage en
Le troisième terrain est relatif à la formation des
France a pendant longtemps été étudié sous le seul
« jeunes » dispensée dans les Maisons des compa-
angle historique, en grande partie à cause de son rôle
gnons du devoir (MCD) ; les modalités mises en
dans les mouvements ouvriers français. Pourtant, dès
œuvre chez les compagnons9 inspirent, depuis
l’origine, la formation de l’individu représente le but
9
Pour résumer, le compagnonnage peut se dénir comme le fruit
ultime de cette organisation qui puise encore dans les
d’une expérience professionnelle vécue corrélativement comme traditions héritées du Moyen-Âge.
une expérience humaine où la qualication visée n’est pas seule-
ment technique, mais aussi culturelle et morale. C’est autour de
cet idéal, portant le compagnonnage comme un « esprit », que les
Maisons du Compagnons du Devoir prônent encore aujourd’hui n° 115/116, pp. 299-305 in http://www.renaissancetradition-
un certain nombre de principes tels que la vie en communauté, le nelle.org/2010/11/sommaire-des-articles-du-tome-29-1998.html
sens de la responsabilité, le dépassement de soi, la erté du métier [dernière consultation le 26/04/2011].
10
ou encore la passion du travail. Le lecteur désireux d’en savoir Aux États-Unis, par exemple, des enseignants-chercheurs
plus sur ce sujet pourra se référer à Guédez (1994) ; Bayard J.-P. travaillant dans des instituts technologiques multiplient les
(1978) ; De Castéra B. (2008). Une bibliographie thématisée demandes d’information auprès des actuels compagnons français
est également disponible sur Internet : cf. Dusantra, P. (1998). pour élaborer sur le même modèle la formation de techniciens
« Compagnonnage : que lire ? ». Renaissance traditionnelle, supérieurs et de cadres-ingénieurs Cf. (Mauriès, 2001).
nous a semblé important d’interroger aussi bien les effet à rechercher le sens conféré au langage dans le
responsables pédagogiques de chaque dispositif que contenu des expressions des locuteurs an de mettre
les personnes censées, pour reprendre les termes de en lumière les systèmes de représentations véhi-
la plupart des textes institutionnels, « conseiller » et culés par leurs discours. En résumé, que disent-ils de
« soutenir » les futurs professionnels. Par ailleurs, ce qu’ils font et de comment ils font pour engager
notre échantillon est non représentatif mais expressif (anciens stagiaires) ou favoriser (acteurs institution-
d’une diversité des regards, nécessaire à la mise à nels) des actions efcaces et légitimes ?
l’épreuve de l’hypothèse. Notre démarche visait en
Pour revenir à notre hypothèse, ce travail montre que nique aussi » (Directeur aux enseignements et à la
les formes de légitimation dans lesquelles s’ancre la pédagogie, EI Rhône-Alpes). Que faut-il lire dans ce
décision d’agir renvoient davantage à une quête de maintien d’une gure fragilisée dans une société en
socialisation et de reconnaissance par les autres qu’à décit d’autorité ? La simple reconnaissance d’une
une personne référente pour l’individu. Autrement dit, autorité fondée sur la compétence de son détenteur ?
pour s’engager dans l’agir professionnel, l’individu a Le renforcement d’une tension entre l’aide à la gestion
besoin de se sentir autorisé par un groupe auquel il se de l’incertitude de l’action et l’injonction à l’auto-
réfère plus qu’à une gure qui fait autorité pour lui. nomie ? Certains référents pédagogiques considèrent,
par exemple, qu’ils n’ont aucun impact sur la capacité
Au-delà de l’idée que les jeunes professionnels ont à s’engager de leurs stagiaires : « Non, moi je n’in-
besoin d’être rassurés et de sentir qu’ils ne sont pas les terviens jamais pour aider le stagiaire [à s’engager
seuls à vivre des difcultés, nous retiendrons que les dans l’agir professionnel], j’interviens pour donner
anciens stagiaires que nous avons rencontrés s’inscri- conseil. » (Enseignant-suiveur, EI Île de France)
vent tous dans une quête de légitimité. Ce résultat est
intéressant pour deux raisons : Dans tous les cas, s’il faut accompagner les stagiaires,
– il permet de relativiser l’image du nouvel indi- il faut surtout les responsabiliser, nous conent les
vidu d’aujourd’hui valorisé, « souple, mobile, auto- personnes chargées de l’organisation de la formation.
nome, indépendant, [qui] trouve par lui-même ses On ne peut s’empêcher ici de faire un rapprochement
repères dans l’existence et se réalise par son action avec les transformations actuelles liées à la générali-
personnelle » (Ehrenberg, 1991) ; sation des valeurs de l’autonomie à tous les niveaux
– la référence au groupe illustre bien ce passage d’une de la société individualiste (école, santé, travail…).
société des pères à une société des aînés qu’évoque D’une certaine manière, cette injonction à la respon-
Boutinet dans un entretien récent sur les probléma- sabilité semble contradictoire si l’on considère que
tiques que soulève le recours à l’accompagnement l’autonomie est à la fois une condition et une visée de
aujourd’hui (Bourdoncle et Gonnin-Bolo, 2009). la formation professionnelle.
Pourtant, les institutions persistent (à l’exception de Notre travail révèle que cette responsabilisation des
la MCD) à accorder une place privilégiée à l’accom- acteurs passe par l’organisation de stages, le déve-
pagnateur, au détriment du groupe informel dont le loppement de projets collectifs ou individuels qui
rôle est unanimement reconnu dans le développe- supposent déjà une autonomisation des individus eux-
ment du pouvoir d’agir des stagiaires : « Pour mener mêmes, comme en témoignent les propos suivants :
à bien [son] travail, chaque stagiaire est aidé par « Les gens (les étudiants) doivent être autonomes,
un conseiller pédagogique » (Livret du conseiller dès qu’ils rentrent ici [en école d’ingénieurs] il faut
pédagogique, IUFM Île de France) ; « On attache qu’ils soient autonomes… une personne non auto-
beaucoup d’importance à l’aspect “suivi” avec nome n’a quasiment aucune chance d’arriver en
différents moyens, avec visite (…) avec suivi électro- cinquième année (…) c’est normal d’être autonome,
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Mots clés
Compétence, savoir professionnel, stagiaire, processus d’apprentissage
Journal of Economic Literature : J 24