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S’inscrivant dans le cadre de la problématisation, cette recherche s’intéresse aux aides qu’une enseignante de
cycle 4 a pu apporter à ses élèves lors d’une problématisation de la circulation sanguine. Les modèles des
inducteurs de problématisation et des déterminants de problématisation sont mobilisés. À partir d’une double
enquête didactique et historique, un dialogue basé sur des matériaux historiques a été reconstruit dans
l’objectif de jouer le rôle d’inducteur à la problématisation des élèves. Il est accompagné d’outils didactiques
visant à développer les déterminants de problématisation de l’enseignante. L’analyse des séances de classe
montre que le développement de ces déterminants est une condition essentielle à la transformation d’un
inducteur potentiel en un inducteur en acte dans la classe faisant levier à la problématisation des élèves.
PLAN
3Selon Astolfi et Peterfalvi (1993) les obstacles « correspondent à ce qui fait vraiment résistance aux
apprentissages et aux raisonnements scientifiques, tout en répondant de façon "confortable" aux besoins
d’explication des enfants » (p. 108). Si la présence des obstacles peut empêcher le travail de problématisation
(Fabre & Musquer, 2009a) notamment quand il donne à l’élève l’illusion de comprendre, la prise de conscience
d’une non-cohérence entre un obstacle et d’autres éléments peut conduire les élèves à identifier un problème
(Lhoste & Peterfalvi, 2009). Dans un contexte de débat, le travail des élèves sur l’obstacle peut en faire un
levier pour positionner et construire le problème (Crépin-Obert, 2010).
6Crépin-Obert (2017) définit les déterminants de la problématisation comme les « conditions favorables
didactiques et pédagogiques pour que les élèves développent un raisonnement scientifique de construction de
problème grâce à l’activité enseignante centrée sur une situation problème » (p. 88). Ces déterminants sont
étudiés selon quatre pôles. Le pôle pédagogique vise à comprendre comment l’enseignant gère le débat à la
fois de façon collective et individuelle. Le pôle psychologique cherche à identifier comme l’enseignant génère
un climat dans la classe favorable à la prise de parole des élèves. Le pôle didactique cherche à comprendre
comment l’enseignant aide les élèves à raisonner en s’appuyant sur leurs différents modèles explicatifs. Enfin
le pôle épistémologique cherche à identifier comment les connaissances épistémologiques de l’enseignant
influencent la transposition du savoir en jeu (ibid.). Les déterminants cherchent à expliciter les inducteurs de
problématisation en identifiant « les causes essentielles et multiples à la problématisation des élèves, donc
nécessaires mais non suffisantes prises chacune isolément » (ibid., p. 89). Ils ont pour objectif de comprendre
les éléments du milieu didactique et pédagogique qui ont favorisé la conception d’inducteurs potentiels, le
repérage des inducteurs émergents et leur transformation en inducteurs réels.
10Bien que le trajet et les mouvements du cœur soient interrogés depuis l’Antiquité, il faut attendre le
XVIIe siècle pour que Harvey (1519-1657), un médecin anglais, découvre la circulation sanguine avec un aller
et un retour au cœur. Aristote (384-322 av. J.-C.) développe une analogie entre l’irrigation sanguine et
l’irrigation des jardins (Aristote, 2002). Ce modèle irrigateur, éloigné des conceptions actuelles mais cohérent
et fortement explicatif, marque durablement l’histoire du trajet et des mouvements du sang. Il devient même
un obstacle important car comme le dit Canguilhem « irriguer le sol, c’est finalement se perdre dans le sol »
(1985, p. 23). À partir de dissections et d’expérimentations, le médecin Galien (129-210 apr. J.-C.) démontre
la présence de sang dans les artères. Il propose alors un double système de distribution du sang par les
veines depuis le foie et par les artères depuis le cœur. Arrivés au niveau des organes ces deux sangs sont
consommés et le sang veineux est « carnifié » (Galien, 1854). Le modèle irrigateur de Galien s’impose
pendant de nombreux siècles et devient un dogme difficile à remettre en cause. Au Moyen-Orient, Ibn Al Nafis
(1208-1288) démontre le passage du sang entre les deux ventricules par les poumons et non par des pores
invisibles de la paroi interventriculaire. Servet (1511-1553) et Colombo (1515-1559) à peu près à la même
époque vont eux aussi démontrer un passage par les poumons. Ibn Al Nafis, Colombo et Servet sont souvent
présentés comme les découvreurs de la petite circulation mais c’est une vision erronée et anachronique en
considérant le contexte de l’époque (Duchesneau, 1996). C’est une partie du sang seulement qui passe par
les poumons et une fois qu’il est arrivé dans le ventricule gauche il est distribué aux organes qui le
consommeraient : le modèle est donc toujours irrigateur. C’est en s’intéressant au problème de la nature et
du rôle des battements du cœur (Bylebyl, 1973) et en s’appuyant sur de nombreuses observations et
expériences mais aussi sur des raisonnements quantitatifs non usités à l’époque (Grmek, 1990) qu’Harvey
dépasse l’obstacle de l’irrigation et propose le modèle de la circulation sanguine. Cette découverte fait naître
une controverse importante entre les partisans d’Harvey, les circulateurs, et ses opposants, les irrigateurs. La
découverte par Malpighi en 1661 des capillaires sanguins clôt le circuit entre les artères et les veines, et de
fait la controverse. Le modèle de la circulation sanguine est alors validé par la communauté scientifique de
l’époque.
11L’obstacle épistémologique de l’irrigation se retrouve à la fois dans l’histoire des sciences et chez les élèves.
Par l’histoire de la construction du concept de circulation sanguine, la confrontation des modèles irrigateur et
circulateur devrait permettre aux élèves de travailler l’obstacle de l’irrigation car il existe des convergences
entre ce qui engage les élèves dans la construction de problèmes et ce qui fait obstacle à l’apprentissage
(Triquet & Bruguière, 2014).
14Cet espace contraintes-nécessités a guidé les choix effectués pour sélectionner les matériaux historiques
qui nous semblaient favorables à la problématisation de la circulation sanguine par des élèves. L’outil conçu
est un dialogue historique fictif s’appuyant sur la controverse entre Harvey le circulateur et Riolan l’irrigateur.
Il est construit à partir de l’exégèse de quatre publications : De motus cordis (Harvey, 1628), Œuvres
anatomiques (Riolan, 1628), les Deux dissertations anatomiques (Harvey, 1649) adressées à Riolan,
et Manuel anatomique et pathologique (Riolan, 1661). En nous appuyant sur l’espace contraintes-nécessités,
nous avons recherché les extraits qui permettent d’identifier les points de désaccord et les arguments
apportés par les deux savants. Nous avons également choisi d’intégrer un troisième discutant, le médiateur,
en nous référant aux trois rôles discursifs (Orange, Lhoste & Orange Ravachol, 2008) : le proposant, Harvey,
défendant une thèse, l’opposant, Riolan, réfutant et proposant une autre thèse et le tiers prenant en charge la
problématique. Le dialogue est organisé en cinq parties qui peuvent s’utiliser de façon indépendante. La
première partie a pour but de positionner le problème, à savoir le trajet du sang dans l’organisme et les deux
modèles explicatifs. La seconde partie montre le rejet du modèle irrigateur par le calcul réalisé par Harvey.
Ces deux premières parties peuvent être propices à la construction du problème en faisant réfléchir les élèves
aux conséquences qu’induisent les deux modèles proposés. La suite du dialogue présente des arguments
permettant de résoudre le problème en apportant des nouvelles contraintes empiriques ou des nécessités à
prendre en compte. Ce dialogue historique, tel qu’il a été reconstruit, est pour nous un inducteur potentiel
robuste car il répond à la triple fonction d’un inducteur. Il possède une fonction cognitive car il est pensé pour
aider les élèves à positionner, à construire et à résoudre le problème des mouvements du sang dans
l’organisme. Basé sur une double enquête historico-didactique, il a une fonction épistémologique en visant le
travail de l’obstacle irrigateur par les élèves. Enfin il possède également une fonction argumentative en
permettant de faire réfléchir les élèves à leur propre modèle explicatif ou en apportant des arguments
permettant ou non de le valider.
17À partir de ce corpus, nous avons d’abord analysé la problématisation menée par la classe en recherchant
les nécessités construites. Puis nous avons analysé l’accompagnement de la problématisation par
l’enseignante en recherchant les inducteurs présents dans la séance. La modélisation de Fabre et Musquer
(2009a) permet de positionner les différents inducteurs en lien avec les composants de la problématisation. Le
losange de la problématisation (figure 2) résume les principaux inducteurs que l’on peut relever.
Fig. 2 : le losange de la problématisation (Fabre & Musquer, 2009a, p. 117)
18Pour Fabre et Musquer « les données sont présentes dans la situation ou peuvent être rajoutées au fur et à
mesure de l’apprentissage par les élèves ou l’enseignant. Elles ont un statut de contraintes. […] Les conditions
concernent les critères, les principes, les concepts qui commandent le processus de problématisation. Ce sont
des nécessités dont il faut absolument tenir compte dans la construction et dans la résolution du problème. »
(ibid., p 113). Bien que ces auteurs privilégient le terme de données et de conditions dans un souci de clarté
et en cohérence avec les autres outils de la problématisation utilisés, nous choisissons d’utiliser les termes de
contraintes et de nécessités dans le reste de l’article, y compris lors de la modélisation des inducteurs. Les
inducteurs de type a visent à cerner le problème vers sa position et sa construction en fonction des nécessités
construites, et les inducteurs de type b visent à rechercher et catégoriser les contraintes. Les inducteurs de
type c sont utilisés pour aider les élèves à structurer et articuler contraintes et nécessités. Les deux derniers
types d’inducteurs aident les élèves à émettre et valider des hypothèses en fonction des nécessités (type d)
ou des contraintes (type e) (ibid.). Lhoste, Peterfalvi et Schneeberger (2010) proposent d’ajouter deux autres
types d’inducteurs à ce modèle : des inducteurs de type f ou inducteur de position de problème et des
inducteurs de type g ou inducteur de production de solutions. Fabre et Musquer (2009a) proposent également
d’orienter ces différents inducteurs : ils peuvent être de type 1 quand ils permettent d’interroger les solutions
ou de type 2 quand ils permettent de revenir aux problèmes posés. À partir des transcriptions des séances
réalisées, nous avons donc catégorisé les différents inducteurs repérés lors de l’accompagnement de la
problématisation par l’enseignante et nous avons analysé leur transformation en inducteurs réels en classe.
Enfin, à l’aide de la modélisation des déterminants de la problématisation (Crépin-Obert, 2017), nous avons
recherché les conditions qui ont permis cette transformation des inducteurs en levier à la problématisation des
élèves.
N° épisode Séance 1 S1
(occurrences (55 minutes)
)
2 Débat des élèves mené par l’enseignante à partir des trois conceptions présentées
(13 à 205)
4 Discussion collective sur les arguments pour répondre au problème 1 : pourquoi le sang ne
(219 à 244) pourrait-il pas aller du cœur vers les organes et être consommé par les organes ?
N° épisode Séance 2 S2
(30 minutes)
6 Rappel du travail réalisé lors de la séance 1 et des arguments pour répondre au problème 1
(1 à 15)
9 Bilan de la séance.
(148 à 185) Discussion sur la construction d’un savoir scientifique
En romain : activités enseignantes ; en italique : activités élèves ; souligné : outils didactiques et historiques.
20Les deux séances observées s’appuient sur l’analyse des conceptions initiales réalisée par l’enseignante à
partir du recueil de leurs représentations réalisé la séance précédente. L’enseignante choisit d’en présenter
trois à la classe (cf. figure 3).
Fig. 3 : représentations initiales sélectionnées par l’enseignante et présentées aux élèves pour susciter
le débat
21Étant directement issues du recueil de la classe, ce ne sont pas des caricatures au sens d’Orange et
Orange Ravachol (2007) mais elles peuvent en être rapprochées car ce sont des exemples prototypiques des
modèles explicatifs proposés par les élèves. La représentation A est un modèle irrigateur sans retour du sang
au cœur, la représentation B est un modèle circulateur avec une continuité des vaisseaux sanguins au niveau
des extrémités et un retour du sang dans des vaisseaux spécifiques. La représentation C correspond à un
modèle aller-retour du sang dans le même vaisseau.
3.2. Analyse de la problématisation de la circulation sanguine
menée par la classe
22La séance débute par l’établissement d’une contrainte théorique qui est admise par la classe : les organes
reçoivent du sang le dioxygène et les nutriments dont ils ont besoin. Au-delà des besoins identifiés, un modèle
explicatif de distribution d’un sang nourricier aux organes est ébauché. Les élèves vont réfléchir et développer
une problématisation en s’appuyant sur cette contrainte théorique. Nous choisissions ici de faire un focus sur
la construction par la classe de la nécessité d’un retour du sang au cœur, nécessité qui a permis l’invalidation
du modèle irrigateur et la validation du modèle circulateur. Ces deux modèles explicatifs sont présentés aux
élèves par l’intermédiaire des représentations A et B. Invité par l’enseignante à réagir sur ces modèles, un
élève va immédiatement remettre en cause le modèle irrigateur en questionnant la quantité de sang qui peut
s’accumuler dans un organe.
S1- Jibrill : je pense que c’est faux parce que si ça monte vers le crâne ben tu peux mourir
14
S1- Jibrill : imaginons si je reste le crâne vers le bas comme ça pendant des heures et des heures le sang il
16 est accumulé dans ma tête et du coup je meurs donc c’est fauxa
a. Dans toutes les transcriptions, les expressions en italique correspondent aux éléments pris en compte pour
l’analyse.
23Si certains élèves vont dans le même sens, d’autres élèves évoquent la possibilité d’une consommation du
sang par les organes.
S1- Esther : je pense que en fait le sang il ne revient pas / le sang il ne fait pas des allers et des
52 heu
S1- Esther : oui et je crois que quand il arrive dans la main il est consommé par les muscles
54
24Les échanges dans la classe montrent ainsi qu’aucun des deux modèles n’est validé a priori et qu’ils sont au
contraire envisagés comme deux solutions possibles. Mais le problème du sang qui s’accumule dans l’organe
est mentionné plusieurs fois par l’enseignante pour faire réfléchir les élèves aux conséquences que cela
implique et c’est ainsi que, pour plusieurs élèves, le modèle irrigateur devient inconcevable, ils proposent
alors la nécessité d’un tri entre ce qui reste et ce qui part de l’organe.
S1- Esther : donc en fait donc je crois en fait / le sang / quand il arrive dans la main bah en fait il est
135 consommé par le muscle / je voulais redire ça parce que le les nutriments ça aident à faire grossir le
muscle donc c’est impossible que les nutriments ils restent dans le dans le vaisseau sanguin
S1- Djuba : il prend tout ce qu’il a besoin / et après d’un autre côté ça ressort et là il y a tout ce qui ne sert
163 à rien et tout ce qu’il veut rejeter
S1- Éloïse : et du coup ben ce qui y’a dedans en fait ça va ça va passer par là et du coup avec les pulsations
205 ce qu’on a pas besoin ça va remonter et le sang va le renettoyer
25L’introduction de la partie 2 du dialogue historique (cf. annexe) conduit plusieurs élèves à mobiliser deux
contraintes empiriques : la quantité de sang dans le corps et la masse de sang éjectée par le cœur par
rapport à la masse du corps. C’est la mise en tension entre ces deux contraintes et le modèle irrigateur qui
conduit ces élèves à expliciter l’impossibilité du modèle irrigateur.
S1- Adam : madame c’est faux vous savez pourquoi parce que dans le corps il y a 4 litres de sang
220
S1- Mehdi : et puis sinon le corps il serait trop lourd
226
S1- Djuba : le sang il pourrait pas aller du cœur aux organes car y aurait un surplus de sang dans le cœur et
234 dans tous les organes
S1- Adam : si c’était vrai et qu’on avait vraiment 112 kg de muscle heu non 112 kg de sang dans le corps
240 les mains on serait obligé de se le vider / je sais pas en faisant un trou dans la main
26Nous avons schématisé dans la figure 4 l’ensemble des contraintes, des possibles, des impossibles et des
nécessités mobilisés par les élèves qui les ont conduits à construire la nécessité d’un retour du sang au cœur
et donc à valider le modèle circulateur. Dans cet espace les traits indiquent les liens logiques entre les
différentes contraintes et nécessités mais ils sont non orientés, le registre empirique et le registre des
modèles sont co-construits.
Fig. 4 : espace des contraintes, des possibles et des nécessités du sous-problème du devenir du sang
arrivant aux organes
27Pour la dynamique de la problématisation, nous pouvons constater l’importance des aspects quantitatifs
dans les contraintes empiriques mobilisées par la classe. Si certaines s’appuient sur le dialogue, la contrainte
de la quantité de sang pouvant s’accumuler dans les organes a interpelé spontanément les élèves. Ces
aspects quantitatifs qui sont centraux dans le raisonnement d’Harvey pour imaginer la circulation sanguine, le
sont aussi chez les élèves pour invalider le modèle irrigateur et valider le modèle circulateur. Nous avons
mené ce travail d’analyse sur l’ensemble des deux séances en prenant en compte les différents problèmes
travaillés. Nous avons choisi de représenter le résultat de cette analyse par un espace contraintes-nécessités
présenté dans la figure 5 qui permet de visualiser les nécessités retenues à la fin de la séance : il donne à voir
le résultat de la problématisation menée par la classe.
Fig. 5 : espace contraintes-nécessités de la problématisation de la circulation sanguine menée par la
classe
28Les nécessités construites permettent d’aboutir à la compréhension suivante de la circulation sanguine, le
sang circule dans l’organisme à sens unique dans un système clos. Le travail autour des deux problèmes,
pourquoi le sang ne pourrait-il pas aller du cœur vers les organes et être consommé par les organes et
pourquoi le sang ne pourrait-il pas faire un aller-retour dans le même tuyau, ont permis à la classe de
dégager des impossibilités et de rejeter le modèle irrigateur ou le modèle aller-retour dans le même vaisseau.
En sachant qu’il est nécessaire que le sang circule et qu’il est impossible que cela soit autrement, les élèves
ont réellement construit le savoir apodictique de circulation du sang au sens scientifique, détaché du sens
commun.
Fig. 6 : tableau des arguments identifiés collectivement par les élèves articulant contraintes et
nécessités
30Cet inducteur de type c a bien été transformé en classe en permettant aux élèves de garder la trace des
raisons qui ont permis d’invalider les modèles irrigateur et aller-retour. Il participe ainsi à donner une valeur
apodictique au modèle circulateur.
31Au cours des échanges langagiers, nous avons observé de nombreux inducteurs émergeant chez
l’enseignante. Nous présentons dans le tableau 2 un exemple pour chaque grande catégorie d’inducteur et
l’analyse que nous avons pu en faire pour mesurer leur transformation ou non.
Tableau 2 : exemple et analyse de quelques inducteurs émergeant lors des deux séances
Type a : rechercher des S1-154-P : ah ok donc Djuba lui il Type a2 : Les élèves sont invités à
nécessités en fonction pense qu’il y a un tuyau qui emmène le formuler le problème qui est posé à partir
du problème (a1) ou sang à l’organe et tout ce qu’on n’a pas de la nécessité préalablement établie (le
interroger le problème utilisé donc les globules blancs les sang repart des organes par un autre
en fonction d’une globules rouges toi tu penses que ça tuyau). Adam formulera à la suite le
nécessité établie (a2) passe par un autre tuyau / ok quel problème : « mais ils passent
problème ça pose là si j’arrive par un comment ? »
tuyau et je repars par un autre tuyau ça
vous pose pas un problème ? Adam
Type b : rechercher des S1-110-P : ça c’est convaincant ce Type b2 : L’enseignante prend en compte
contraintes en fonction qu’elle nous dit Celly / quelqu’un a une contrainte formalisée par Celly (flux
du problème (b1) ou quelque chose à répondre à ça ? ceux et reflux sanguin se contrariant dans un
réinterroger le qui pensent que ça va dans les deux vaisseau) pour repositionner le problème
problème en fonction sens qu’est-ce qu’ils peuvent dire pour et invite les élèves à la prendre en compte
d’une contrainte contredire Celly ? elle nous dit sur la pour évaluer les solutions mises en débat.
identifiée (b2) route si on va dans un sens puis dans Ce problème correspond à l’un de ceux
l’autre on se rencontre on se cogne / le qu’elle veut faire travailler aux élèves.
sang du coup c’est pareil il peut pas Elle réussit ici à s’appuyer sur la
aller en même temps comme ça et en proposition de l’élève pour la formaliser
même temps comme ça (elle montre un et la renvoyer à l’ensemble de la classe.
schéma) sinon ça se cogne / ok Malcolm proposera à la suite l’existence
donc Celly elle nous pose un problème de plusieurs vaisseaux.
comment c’est possible pourquoi le
sang comment c’est possible qu’il aille
dans les deux sens si il doit aller dans
un sens puis dans un autre il va se
rencontrer à l’inverse / Malcom
Type d : émettre (d1) S1-47-P : ça revient à ce que Jibrill Type d2 : Les élèves sont invités à
ou valider (d2) des disait du coup s’il y a tout le temps tout prendre en compte l’impossibilité établie
solutions possibles en le temps du sang qui arrive dans la par Jibrill (pas d’accumulation de sang
fonction des nécessités main la main va gonfler comme la tête dans les organes) pour interroger les
de Jibrill quand il a la tête en bas / solutions proposées
donc il y a peut-être un problème là ?
Type e : émettre (e1) S-126-P : et le dioxygène / donc le sang Type e2 : Les élèves sont invités à
ou valider (e2) des il transporte deux choses il transporte reprendre la contrainte établie (les besoins
solutions possibles en les nutriments et le dioxygène s’il des organes) pour évaluer les
fonction des amène des nutriments et du dioxygène à conséquences sur les modèles en
contraintes ma main vous êtes d’accord que dans le discussion. Enzo ne s’en empare pas
sang il n’y a pas que des nutriments et comme l’enseignante pourrait l’espérer
du dioxygène y’en a plein qui m’ont car il répond : « ils vont forcément être
parlé de globules rouges de globules consommés ».
blancs dans ce que vous m’avez dessiné
là il y a beaucoup de choses dans le
sang / donc là si ma main ne récupère
que l’oxygène et les nutriments les
globules blancs et les globules rouges
tout ça y vont où ? Enzo
Type f : positionner le S1-108-P : alors je veux juste revenir L’enseignante invite les élèves à réfléchir
problème sur le fait que le sang il peut aller vers sur un problème sans pour autant
le pied et revenir par le même tuyau directement le mentionner. Cela conduit
est-ce que cela ne vous pose pas un Celly à rejeter le modèle aller-retour en
problème ? raison du flux et reflux se contrariant.
Type g : produire des S1-25-P : je n’ai pas compris le sang il Enora est invitée à préciser sa solution de
solutions circulerait dans tout le corps ça veut « circuler ». Elle précisera que le sang fait
dire qu’il ferait quoi comme des boucles.
mouvement ?
Les expressions en italique correspondent aux éléments pris en compte pour l’analyse.
32Si certains inducteurs jouent directement leur rôle en provoquant l’effet attendu chez l’élève (type a,
type b, type f, type g), cela s’avère plus délicat pour d’autres. Ainsi l’inducteur de type e relevé attire
l’attention sur la contrainte de l’apport du dioxygène et des nutriments aux organes à prendre en compte pour
évaluer les solutions proposées et notamment identifier la nécessité d’un retour du sang depuis les organes
puisque tous les éléments qu’il contient ne leur sont pas utiles. Si Enzo ne s’empare pas de cet inducteur
comme espéré, cela est parfaitement cohérent par rapport au modèle irrigateur dans lequel il s’inscrit
(représentation A). L’enseignante ne rejette pas pour autant la proposition mais ne la réinterroge pas tout de
suite. Ce n’est qu’à la fin de cette première séance, après la lecture de la partie 2 du dialogue historique et la
mise en perspective de la quantité de sang présent dans le corps par rapport à la quantité de sang éjecté par
le cœur, qu’elle revient vers lui et qu’il invalidera son modèle.
S1- P : ah donc là c’est une connaissance que tu as / Stacy et Moussa / c’est une connaissance que tu as
221 Adam / il n’y a pas 4 litres cela dépend des personnes on a plus 5 à 6 litres de sang mais je suis d’accord
on sait que dans le corps on a environ 6 litres de sang / si en une heure il sort 112 kg déjà ça nous paraît
bizarre / et donc Harvey lui il se sert de cet argument et il continue si en une heure produit cela voudrait
dire qu’en une journée le cœur produirait 2 688 kg de sang éjecté par le cœur / est-ce que le sang peut
produire en une journée 2 688 kg de / est-ce que le cœur peut produire autant de sang ?
33L’inducteur de type d est un autre inducteur qui met du temps à être efficace. En effet, le débat commence
par ce rejet du modèle irrigateur par Jibrill pour qui le sang ne peut pas rester dans les organes. Bien
qu’immédiatement renvoyé à la classe, il n’est pas tout de suite opérationnel. L’enseignante reviendra dessus
« mais du coup vous ne répondez pas à la question de Jibrill / Jibrill vous a dit c’est pas possible quand on a
la tête en bas s’il y a trop de sang dans la tête on a mal à la tête » (S 1, occ. 57), mais là encore les élèves
ne répondent pas à sa sollicitation. C’est l’apport de la partie 2 du dialogue historique avec le problème posé
par l’accumulation du sang dans les organes qui permet à la classe de s’en saisir.
23 P : c’est ce que tu voulais dire très bien / donc le médiateur dit mais ce sont des quantités très
1 importantes chose que Enzo vient de réaliser / comment un corps peut-il contenir autant de sang ? alors
Harvey il répond c’est tellement important que tous les vaisseaux du corps humain ne peuvent en
contenir autant si c’était le cas les artères en arrivant aux organes seraient gorgées de sang et
risqueraient d’éclater comme la tête de Jibrill quand il est à l’envers / donc la seule solution est que le
sang reparte par les organes par des veines et retourne au cœur donc ça arriverait par un tuyau et
repartirait par un autre tuyau c’est ce que Djuba nous a proposé / donc voyez que là on a ce que Jibrill
nous a dit ce que Enzo nous a dit ce que Djuba nous a dit ici donc ils étaient quand même un peu raccord
les scientifiques de l’époque avec ce que vous vous avez dit / ainsi en 24 heures le même sang il
passerait aux organes et repasserait au cœur plusieurs fois donc ça vous voyez que ce serait possible
selon Harvey donc si on prend la première question / la première question c’est pourquoi le sang ne
pourrait pas partir du cœur et aller vers les organes et être consommé par les organes on répond quoi à
cette question ? Quelqu’un peut me dire ? oui je t’écoute Inès
23 P : d’accord car sinon / alors est ce que l’on peut compléter ? je suis d’accord car les organes éclateraient
3 pourquoi ? oui
23 Djuba : le sang il pourrait pas aller que du cœur aux organes car y aurait un surplus de sang dans le cœur
4 et dans tous les organes
34Ces deux exemples montrent bien qu’il ne suffit pas qu’un inducteur soit présent pour qu’il se transforme
en inducteur en acte dans la classe, il faut aussi que les élèves soient capables de s’en emparer (Fabre
& Musquer, 2009a). L’enseignante revient plusieurs fois sur le même inducteur et elle permet ainsi aux élèves
de l’utiliser quand ils y sont prêts. Nous pouvons noter l’absence d’inducteur de type c dans les inducteurs
émergents. Ce type d’inducteur qui invite les élèves à articuler contraintes et nécessités s’accompagne le plus
souvent d’un changement de registre sémiotique (ibid.). Ils sont particulièrement difficiles à inventer dans la
dynamique du débat.
35Nous avons mené des analyses similaires, pour chacun des composants de la problématisation et des types
d’inducteurs, sur l’ensemble des deux séances transcrites et nous avons synthétisé les résultats dans la
figure 7 en reprenant le losange de la problématisation proposé par Fabre et Musquer (2009a).
Fig. 7 : schéma des inducteurs relevés lors des séances de problématisation de la circulation sanguine
36Le débat contrôlé par l’enseignante, l’utilisation des inducteurs potentiels au moment opportun et le
développement d’inducteurs émergeant au cours des interactions langagières ont conduit peu à peu la classe
à une fermeture de la problématisation sur un seul modèle possible : la circulation sanguine.
38Au niveau du pôle pédagogique, nous pouvons relever d’un point de vue quantitatif une participation de
15 élèves sur les 23 présents. Lors du débat (épisode 2), le temps de parole des élèves, mesuré par le
nombre de mots, est de 44,9 %, alors qu’il est de 18,3 % lors des temps de discussion sur les trois problèmes
(épisodes 4, 5, 7, 8) et de 7,5 % le reste de la séance (épisodes 1, 3, 6, 9). L’enseignante contrôle le débat
qu’elle vit comme une vraie prise de risque « E6b : je craignais les réponses des élèves / c’est que c’est la
première fois que j’ai des collégiens donc je n’imaginais pas du tout ce qu’ils pouvaient me répondre / le
niveau qu’ils avaient sur la question ça a été difficile pour moi d’anticiper ça parce que je n’avais vraiment
aucune idée ». Mais c’est aussi le moment où elle laisse le plus de place à la parole des élèves. Le débat
prévu initialement pendant 10 minutes durera finalement le double. D’un point de vue qualitatif, l’analyse est
centrée sur l’aide apportée aux élèves pour communiquer entre eux avec une gestion du débat à la fois à
l’échelle individuelle et à l’échelle collective. Ceci nous permet une catégorisation de ses interventions
présentée dans le tableau 3.
Question collective 50
Réponse collective 1
Accord tacite 60
Réponse individuelle 17
Question individuelle 61
39Le renvoi au groupe par l’enseignante des propositions individuelles associé à des temps de
questionnement pluriels basés sur les trois problèmes visés et des temps de réflexion individuelle permet aux
élèves d’avoir du temps pour développer leur pensée et leur modèle explicatif.
40Au niveau du pôle psychologique, l’analyse est fondée sur l’aide à entrer en questionnement des élèves en
fonction de leur mise en confiance ou de leur crainte du regard d’autrui. L’enseignante instaure un climat
d’écoute et de bienveillance notamment en acceptant les propositions alternatives des élèves. Ainsi aucun
modèle n’est validé a priori et lors du débat, ce sont 9 élèves qui vont proposer leur modèle explicatif sur les
différents problèmes travaillés. Ce climat propice aux échanges est renforcé par un questionnement important
car plus de 55 % des interventions enseignantes sont des questions. Le tableau analyse quantitativement les
différents types de questions posées.
Épisode 2 4 5 7 8 Total
Questions pédagogiques 7 2 3 1 3 32
7
Questions didactiques 46 5 5 1 10 83
7
41Les questions posées par l’enseignante sont majoritairement des questions d’ordre didactique, centrées sur
les savoirs visés. Les questions pédagogiques sont le plus souvent une passation de parole ou une demande
d’accord. Nous avons également catégorisé les questions didactiques posées aux élèves lors des épisodes du
débat et des discussions autour des trois problèmes, selon leur rôle vis à vis des modèles explicatifs mobilisés
et selon leur type d’ouverture ou fermeture (figure 8).
43Au niveau du pôle didactique, l’analyse est fondée sur l’aide au raisonnement scientifique par les élèves en
fonction de la réticence et de l’institutionnalisation du savoir en jeu par l’enseignante. Nous observons un
repérage par l’enseignante de l’obstacle irrigateur parmi les différents modèles explicatifs des élèves
interprétés dans leurs conceptions initiales. L’enseignante questionne les élèves pour les amener à les justifier
et à en mesurer la plus ou moins grande cohérence. Pour cela, elle apporte de nouvelles contraintes au fur et
à mesure de la séance comme les différentes parties du dialogue historique ou les propos d’élèves qu’elle
choisit de relever. Elle accompagne ainsi la réflexion des élèves par un double jeu de réticence et
d’institutionnalisation. Ainsi le savoir est parfois volontairement caché par l’enseignante quand elle ne valide
aucun modèle a priori. Mais c’est aussi le cas quand elle intervient selon un jeu d’ignorance assumé « je n’ai
pas compris » ou « j’aimerais que l’on trouve la réponse à la seconde question ». À l’autre extrémité,
l’enseignante institutionnalise le savoir en validant ou en invalidant certaines propositions d’élèves, comme
lorsqu’elle apporte des éléments comme la partie 3 ou 5 du dialogue (cf. annexe) qui vont permettre ces
validations. Mais entre ces deux pôles, il existe toute une graduation. Par exemple, quand elle attire
l’attention des élèves sur un problème posé par un modèle ou sur une contrainte ou une nécessité établie par
un élève, elle dévoile un peu mais pas complètement le savoir. Nous avons ainsi relevé dans le tableau 5 les
différentes interventions didactiques de l’enseignante en les positionnant entre ces deux pôles.
44Nous pouvons constater que le jeu de réticence est surtout présent lors du débat (épisode 2) et même si
parfois elle apporte des solutions, ce sont des réponses à des questions d’élèves qui ne sont pas directement
en rapport avec les problèmes travaillés. C’est une façon efficace de recentrer le débat en évacuant ce qui est
accessoire. A contrario, les épisodes de discussion autour des trois problèmes sont des moments où le savoir
est de plus en plus dévoilé car cela correspond au moment où les modèles sont invalidés (modèle irrigateur ou
modèle aller-retour) ou validé (modèle circulateur).
45Au niveau du pôle épistémologique, l’analyse est fondée sur la compétence de l’enseignante à transposer le
savoir savant en fonction de ses représentations de la construction d’un savoir scientifique. Nous pouvons
constater que la séance n’est pas centrée uniquement sur les solutions du problème dans une logique de
vrai/faux mais sur le questionnement du problème et des solutions possibles. Cette construction du problème
s’appuie également sur une connaissance de la rupture épistémologique irrigateur vs circulateur et sur la
controverse ayant eu lieu au cours de l’histoire du concept. Nous pouvons également observer une pluralité de
preuves pour valider l’un des modèles : recherche des arguments liés à la cohérence des modèles, utilisation
de données expérimentales (sections des vaisseaux) et non expérimentales (besoins des organes), discussion
et validation collective des arguments. La preuve n’est pas seulement expérimentale. Enfin nous pouvons
relever lors des entretiens l’importance de la connaissance épistémologique du concept. « Eb36 : là ça m’a
donné accès à beaucoup de choses auxquelles… les obstacles auxquels ils font face et moi j’en n’avais même
pas conscience et du coup c’est hyper dur de les aider à comprendre quelque chose quand nous on sait pas ce
qui a vraiment dans leur tête et j’ai trouvé que le débat pour le coup j’arrive beaucoup mieux / là si tu me
demandes quels sont les obstacles pour un élève dans la circulation sanguine / je sais beaucoup mieux te dire
que dans la circulation de la sève des végétaux ou dans la nutrition des végétaux ». C’est bien parce qu’elle a
développé à l’aide des outils conçus ses connaissances sur le concept de circulation qu’elle a pu repérer chez
ses élèves les différents modèles explicatifs et les obstacles sous-jacents.
46La figure 9 résume les différents déterminants analysés lors de ces séances de problématisation de la
circulation sanguine suivant les quatre pôles.
Conclusion et perspectives
48Accompagner la problématisation des élèves est un défi professionnel qui repose sur la transformation
d’inducteurs potentiels en inducteurs réels dans la classe. Plusieurs conditions ont permis chez cette
enseignante une transformation effective des inducteurs. Tout d’abord, notre dialogue historique reconstruit
s’appuie sur une enquête didactico-historique ciblant les obstacles épistémologiques. Basé sur un obstacle
analogue des savants et des élèves, il peut faire résonance chez ces derniers. Mais il faut encore qu’il soit
utilisé judicieusement en classe c’est-à-dire qu’il soit proposé au moment où l’élève puisse s’en saisir. C’est
bien le développement par l’enseignante de tout un ensemble de conditions favorables qui permet cette
transformation en acte dans la classe. Musquer et Fabre relèvent deux valeurs aux inducteurs réels : la valeur
réactive, c’est-à-dire l’effet qu’un inducteur provoquera dans les interactions de la classe mais aussi sa valeur
effective c’est-à-dire son effet sur les apprentissages (2010). Si au terme de nos analyses, nous pouvons
raisonnablement penser que l’enseignante a donné une valeur réactive aux inducteurs repérés, il est difficile
d’en mesurer la valeur effective chez les élèves. Dans la suite de sa séquence, l’enseignante nous a indiqué
avoir relevé des difficultés d’élèves lors de la mise en schéma de la circulation sanguine notamment dans
l’organisation de la double circulation. Lors de la problématisation, si le modèle d’une circulation à sens unique
dans un système clos a été travaillé, les aspects fonctionnels ont été peu évoqués. À la fin des deux séances,
une élève s’est demandé pourquoi le sang devait repartir au cœur et la recharge en dioxygène a été
mentionnée par un élève et l’enseignante. Il nous semble qu’une problématisation plus poussée intégrant une
discussion pour établir la nécessité de cette recharge en dioxygène et sur celle en nutriments aurait pu
permettre aux élèves de mieux appréhender l’organisation fonctionnelle de la circulation. Malgré ces quelques
réserves, les outils conçus ont été une double ressource pour l’enseignante : une ressource pour la classe par
le biais du dialogue historique, inducteur potentiel à la problématisation des élèves ayant favorisé le débat
dans la classe, mais aussi une ressource pour elle-même en développant ses déterminants de
problématisation par le biais des outils accompagnant le dialogue historique. La connaissance de la
construction du concept, des obstacles qui ont dû être dépassés, des controverses qui ont eu lieu ont permis à
l’enseignante une compréhension fine de la circulation sanguine. Intégrer ces aspects épistémologiques en
formation initiale ou continue des enseignants nous apparait ainsi fondamental et correspondrait au
renforcement épistémologique proposé par Astolfi (2011). La conception d’outils comme ceux présentés dans
cette étude peut également trouver sa place pour un accompagnement plus autonome des enseignants en
fonction de leurs besoins qui peuvent être différents, compte tenu de leurs études, leurs expériences
professionnelles, leurs centres d’intérêt. Ils donnent aux enseignants des éléments de référence
épistémologiques et didactiques leur permettant de mieux assumer la prise de risque vécue lors des pratiques
de débat entre élèves qui sont indispensables à la construction d’un problème scientifique. S’appuyant sur une
étude de cas, nos résultats n’ont pas par définition une portée généralisatrice mais nous ne pensons pas qu’ils
peuvent cependant être réduits à un simple exemple. Nous avons eu le souci d’objectiver nos interprétations,
d’une part, avec une analyse épistémologique et didactique a priori et, d’autre part, avec une étude in situ en
mobilisant les outils du cadre théorique de la problématisation. Cette articulation entre théorie et empirie est
une condition de validation des études de cas (Schneeberger & Lhoste, 2019) et conduit à identifier « des
conditions de possibilité didactique » (ibid., p. 110) à savoir ici les conditions d’un accompagnement efficace
de la problématisation de la circulation sanguine. Mais malgré des déterminants de problématisation
favorables, les élèves ne s’emparent pas toujours des inducteurs. Quelles sont les raisons qui expliquent cette
difficulté ? Est-elle liée seulement aux obstacles épistémologiques de l’élève ou d’autres éléments peuvent-ils
être repérés ? Ces questions soulevées par cette étude ouvrent des perspectives intéressantes de recherche
avec une centration cette fois sur l’élève, acteur principal d’une problématisation scolaire.
BIBLIOGRAPHIE
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ANNEXE
2de partie
Harvey : Prenons un cœur humain d’un adulte. Il contient environ 56 g de sang et réalise environ
1 000 contractions en une demi-heure, non ?
Harvey : Calculons alors la quantité de sang sortant du cœur par l’aorte en une heure : il en sort 112 kg. En
une journée, cela revient à 2 688 kg de sang qui sont éjectés du cœur.
Médiateur : Mais ce sont des quantités très importante. Comment le corps peut-il contenir autant de sang ?
Harvey : C’est tellement important que tous les vaisseaux du corps humain ne peuvent en contenir autant. Si
tel était le cas, les artères arrivant aux organes seraient gorgées de sang et risqueraient d’éclater. La seule
solution est que le sang reparte des organes par les veines et retourne au cœur. Ainsi en 24 h, le même sang
passe du cœur aux organes et des organes au cœur dans ce grand mouvement circulatoire.
3e partie
Riolan : Mais pourquoi imaginer une circulation ? Il est tout à fait possible d’envisager un flux dans un sens et
un reflux dans l’autre sens que ce soit dans les artères ou les veines.
Harvey : Si on admet un flux et un reflux, le mouvement du sang dans un sens contrarie le mouvement du
sang dans l’autre sens. Le sang s’agite alors dans un va et vient inutile.
Harvey : De plus, quand on coupe une artère, un jet de sang très puissant en jaillit. Un reflux contre cette
force est impossible.
Riolan : Mais quand on sectionne une veine, le sang coule de façon beaucoup plus calme. Il est tout à fait
possible d’envisager un reflux. Car si le sang veineux se déplace du cœur aux organes, je peux admettre qu’il
existe un mouvement dans l’autre sens, si les veines sont vides par exemple. Mais cela reste exceptionnel.
Harvey : Mais non Riolan, vous n’êtes pas sérieux. Si vous coupez une veine entre le cœur et la main, le sang
sort toujours du côté de la main, jamais du côté du cœur. Cela montre bien que le sang se déplace dans les
veines de la main vers le cœur. Au contraire, si on coupe une artère entre le cœur et la main. Le sang sort
toujours du côté du cœur.
Médiateur : C’est très intéressant. Le sang circule donc du cœur vers les organes dans les artères et des
organes au cœur dans les veines.
Riolan : Je peux admettre qu’une partie du sang des gros vaisseaux retourne au cœur et circule mais j’en
doute fortement pour les petits vaisseaux qui irriguent les organes. Ceux-ci ont besoin de se nourrir du sang.
Harvey : Mais il n’est pas nécessaire que tout le sang des vaisseaux reste sur place pour qu’une partie soit
assimilée par les organes. La grande majorité peut repartir par les veines. De plus il existe à l’intérieur des
veines, des valvules. Ce sont des membranes qui peuvent se fermer pour bloquer le passage du sang. Ces
valvules veineuses se ferment si le sang veineux retourne vers les organes. Elles empêchent le reflux du sang
vers ceux-ci.
Médiateur : C’est remarquable. Dans ce cas, le sang des veines ne peut pas revenir en arrière : il se déplace
obligatoirement vers le cœur.
5e partie
Riolan : Mais tout n’est pas résolu, comment le sang peut-il passer des artères aux veines au niveau des
organes ?
Harvey : J’imagine qu’il existe des connexions entres les vaisseaux ou des pores dans les tissus des organes
qui permettent au sang de passer des artères ou veines.
Harvey : Non ce ne sont que des hypothèses. Les vaisseaux sont si petits au niveau des organes qu’il est
difficile de voir leur organisation.
Harvey : Je ne suis pas d’accord. Certes il reste des difficultés mais cela ne veut pas dire que le reste est
faux. Mes arguments restent valides. Et tout médecin qui a effectué des dissections sait qu’il existe une
grande communication entre les artères et les veines au niveau des organes. Il faut donc observer encore,
chercher encore et un jour nous saurons comment se fait cette communication.
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Titre Fig. 6 : tableau des arguments identifiés collectivement par les élèves articulant
contraintes et nécessités
URL http://journals.openedition.org/rdst/docannexe/image/4384/img-6.jpg
Titre Fig. 7 : schéma des inducteurs relevés lors des séances de problématisation de la
circulation sanguine
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URL http://journals.openedition.org/rdst/docannexe/image/4384/img-8.jpg
URL http://journals.openedition.org/rdst/docannexe/image/4384/img-9.jpg
URL http://journals.openedition.org/rdst/docannexe/image/4384/img-10.jpg
Référence papier
Maud Pelé et Patricia Crepin-Obert, « Favoriser la problématisation d’élèves de cycle 4 sur la circulation sanguine à
partir d’outils didactiques basés sur l’histoire des sciences », RDST, 26 | -1, 25-51.
Référence électronique
Maud Pelé et Patricia Crepin-Obert, « Favoriser la problématisation d’élèves de cycle 4 sur la circulation sanguine à
partir d’outils didactiques basés sur l’histoire des sciences », RDST [En ligne], 26 | 2022, mis en ligne le 01
décembre 2022, consulté le 31 octobre 2023. URL : http://journals.openedition.org/rdst/4384 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/rdst.4384
AUTEURS
Maud Pelé
Univ Paris Est Creteil, Université de Paris, CY Cergy Paris Université, Univ. Lille, UNIROUEN, LDAR
Patricia Crepin-Obert
Univ Paris Est Creteil, Université de Paris, CY Cergy Paris Université, Univ. Lille, UNIROUEN, LDAR
Étude des pratiques enseignantes déclarées concernant le programme de sciences citoyennes Vigie-Nature
École [Texte intégral]
Study of self-reported teaching practices when implementing the citizen science program Vigie-Nature École
Analyse comparée de séances de géologie à l'école primaire. Problématisation et action conjointe élève-
professeur [Texte intégral]
Comparative Analysis of Geosciences. Classroom Sessions at Primary School. Problem Based-Learning and
Teacher-Students' Joint Action
L’analogie, obstacle épistémologique ou raison scientifique pour enseigner la parenté et la filiation entre
êtres vivants [Texte intégral]
The analogy, epistemological obstacle or scientific reason, for teaching kinship and filiation between living
being
Reason or obstacle in the history of paleontology in lower secondary education: analogy or analogism?
Vernunft oder Hindernis der Geschichte der Paläontologie am Collège : Analogie oder Analogismus ?
Idées et raisons sur les coquilles fossiles : étude épistémologique comparée entre une situation de débat à
l’école primaire et une controverse historique [Texte intégral]
Ideas and Reasoning Surrounding Fossil Shells: Scientifically Comparing a Primary School Discussion and a
Historical Controversy
Richtige und falsche Vorstellungen über fossile Muscheln: eine vergleichende, epistomologische
Untersuchung einer Debatte in der Grundschule und einer historischen Kontroverse
Ideas y razones sobre las conchas fósiles : estudio epistemológico comparado entre una situación de debate
en la escuela primaria y una controversia histórica