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RDST-2-Albe 1

Intégration scolaire d'une controverse


socioscientifique contemporaine : savoirs
et pratiques d'élèves pour appréhender
les savoirs et pratiques de scientifiques

ALBE Virginie* & GOMBERT Marie-José **


* STEF, ENS Cachan-INRP-UniverSud Paris

** Lycée agricole de Laroque

Nous présentons dans cet article une recherche empirique sur


l'intégration scolaire d'une controverse socioscientifique contemporaine, le
réchauffement climatique. Dans le cadre théorique du design-based
research et d'un modèle de la scolarisation de controverses
socioscientifiques, une séquence d'enseignement interdisciplinaire a été
développée pour une classe de terminale technologique de
l'enseignement agricole. Cette séquence comportait un débat entre élèves
simulant une conférence de citoyens. Les savoirs mobilisés par les élèves
et les procédés argumentatifs développés au cours de ce débat ont été
analysés. Les élèves identifient les arguments de la controverse sur le
réchauffement climatique et questionnent les expertises scientifiques et
les savoirs des scientifiques, en particulier leur socialité. Sont mobilisés
par les élèves dans le débat des savoirs sociaux ou naturels, des savoirs
et pratiques de scientifiques et dans une moindre mesure des savoirs
scolaires. La question de la scolarisation de controverses
socioscientifiques est discutée relativement aux relations entre sciences
des scientifiques en train de se faire et sciences scolaires.

Introduction et revue de littérature


Depuis plusieurs années, se développent des recherches sur des
questions dites socialement vives (Legardez & Simonneaux, 2006). En
sciences, l'enseignement de questions scientifiques socialement vives ou
de controverses socioscientifiques s’inscrit dans un courant de recherche
visant une éducation scientifique qui contribue à une éducation à la
citoyenneté. Il s'agit pour certains de développer chez les jeunes une
éducation aux sciences plus citoyenne(s) dans une perspective de
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démocratisation des technosciences pour tous. Si la formation d'un
citoyen responsable est l'enjeu éducatif généralement exprimé dans les
recherches sur des questions socioscientifiques (Albe, 2007 ; Sadler,
2004), différentes finalités peuvent être identifiées dans la littérature lors
de la mise en œuvre de débats en classe. Il peut s’agir de favoriser un
apprentissage conceptuel, une formation à la nature des sciences, à la
prise de décision argumentée, de développer des compétences
argumentatives en vue d’un usage scolaire et/ou d’un usage social
ultérieur.
Des études empiriques ont montré, lors de l'étude de controverses
socioscientifiques, une focalisation sur les seuls savoirs scientifiques ou
les contenus conceptuels des programmes de sciences traditionnels
(Levinson, 2006 ; Oulton, Dillon & Grace, 2004). Ont également été
identifiées des difficultés pour aborder en classe des questions qui
relèvent de registres multiples ou pour problématiser de façon pluri ou
interdisciplinaire des questions scientifiques socialement vives (Albe et
Lelli, 2006 ; Lee, et al., 2006).
Lors de l'étude de controverses socioscientifiques, des connaissances
épistémologiques renouvelées permettraient aux élèves de ne pas
interpréter les désaccords en termes d’intérêts et d’incompétence (Kolstø,
2001). La compréhension de la science comme une activité sociale
permettrait de faire comprendre aux élèves comment les savoirs
scientifiques sont collectivement établis, de leur faire voir que l’activité
scientifique est socialement et politiquement contextualisée. Les élèves
ont des connaissances sur les institutions scientifiques et les approfondir
leur permettrait de prendre une plus grande distance critique (Kolstø et al.,
2006). Développer une perception des sciences comme procédés plutôt
que comme produits et envisager la science comme une institution sociale
(Kolstø, 2001) apparaît comme majeur pour appréhender en classe des
controverses socioscientifiques. Il est également important d’interroger les
intérêts que servent les savoirs scientifiques développés (Driver et al.,
1996). La question des intérêts n’est pas hors de portée des élèves mais il
faut évaluer le contexte dans lequel des savoirs scientifiques sont établis,
comme par exemple le rôle du genre, les sources de financement et le
prestige personnel ou le charisme et examiner en classe le rôle et poids
du consensus dans l’élaboration des sciences et les pratiques de
publication (Bingle & Gaskell, 1994 ; Norris, 1995 ; Kolstø et al., 2006).
Par ailleurs, des recherches sur l'argumentation entre élèves sur des
controverses socioscientifiques indiquent que des connaissances
scientifiques sont rarement mobilisées. Les élèves argumentent
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essentiellement en s’appuyant sur leurs propres idées et connaissances,
développées en dehors de l’école, leur expérience personnelle et leurs
valeurs (Levinson, 2004 ; Sadler & Fowler, 2006). Les débats entre élèves
relèvent de procédés complexes mêlant à la fois des éléments
interpersonnels, sociaux, affectifs (Dawes, 2004 ; Driver & Alexopoulou,
1996 ; Mercer, 1996). Les émotions impliquées dans de tels débats
peuvent être fortes et générer des tensions ou des conflits entre élèves.
Dans des débats ou jeux de rôles sur des controverses socioscientifiques
les élèves peuvent être amenés à prendre position trop tôt et à fournir une
réponse alors que face à de tels problèmes ouverts, experts, politiques et
citoyens ne peuvent décider (Oulton et al., 2004). Des recherches ont par
ailleurs conclu que les élèves pouvaient être amenés à développer des
stratégies rhétoriques pour se convaincre les uns les autres plutôt que
d’affronter la controverse et que, dans leurs discussions, interviennent
leurs relations interpersonnelles (Albe, 2006 ; Grace, 2005). Ainsi, à partir
des éléments que nous avons retenus de la littérature, nous considérons
qu'il ne s'agit pas de tenter de faire résoudre les controverses aux élèves,
ce qui est d'ailleurs impossible, mais bien de développer des situations
dans lesquelles les élèves peuvent appréhender la nature de telles
controverses socioscientifiques. Un effort de recherche doit être mené afin
de favoriser cela à la fois d’une manière encourageante, passionnante et
équilibrée, et potentiellement formatrice quant aux savoirs scientifiques
impliqués dans de telles controverses et par rapport à la compréhension
des modes d'élaboration des sciences, de l'imbrication des questions de
sciences et de sociétés et des usages de l'expertise1.

1. Cadre théorique
Dans le cadre de la théorisation de conception de situations
d’enseignement (« Design-based research »), des recherches empiriques
en contexte sont développées via la construction et l'analyse de séances
d'enseignement. Selon un procédé itératif, des séances sont conçues en
s'appuyant sur des éléments théoriques, mises en œuvre dans des
contextes authentiques, et analysées. Les analyses menées permettent
par la suite une re-conception de séances et une telle démarche vise à
contribuer à une meilleure compréhension des éléments théoriques
initiaux. Une telle approche possède ainsi une double caractéristique ; elle

1
L'expertise scientifique est l'objet de nombreux débats depuis plusieurs années, tant dans les
mondes social et médiatique que dans le champ des sciences sociales, juridiques, politiques et de
la philosophie. Les explorer nécessiterait de longs développements que la taille du présent texte ne
permet pas. Nous l'avons fait dans Albe (2009).
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est à la fois prospective et réflexive. Les modélisations élaborées dans ce
cadre sont ainsi dites « humbles » (Cobb et al., 2003), de par leur
caractère local et leur processus de développement via des confrontations
répétées, à la contingence des pratiques de classe et au débat
scientifique. Elles visent à expliquer pourquoi des situations fonctionnent,
à cerner les composantes-clés des interventions dans des contextes
authentiques, à identifier certaines « généralités » entre plusieurs designs
et à se focaliser sur l’étude des relations entre les nombreuses variables
qui entrent en jeu en classe (The design-based research collective, 2003).
De telles recherches peuvent aider à comprendre les relations entre
théories de l’enseignement et de l’apprentissage, situations conçues et
pratiques. Les situations conçues servent dans ce cadre de « sites » pour
théoriser les relations entre les processus d’apprentissage et les
caractéristiques des situations de classe qui favorisent cet apprentissage.
Il s’agit ainsi de recherches pour et sur la pratique. En éducation, elles
sont centrales dans les efforts pour favoriser l’apprentissage, créer des
savoirs utiles et des théories avancées de l’apprentissage et de
l’enseignement en situations complexes, et développer des réformes (Ibid,
2003).
Un modèle de la scolarisation de controverses socioscientifiques a
ainsi été développé, selon la double visée d'intervention et d'analyse du
cadre théorique du design-based research. Il vise à documenter, via trois
dimensions, les dispositions à l'engagement dans l'étude de controverses
socioscientifiques à l'école, entendue au sens d'institution d'enseignement
et de formation (figure 1)2.
La dimension épistémologique du modèle proposé consiste à étudier
les savoirs et pratiques de référence mobilisés en classe à propos de
controverses socioscientifiques, étant donné que celles-ci mobilisent des
savoirs scientifiques, économiques, politiques, etc., dans des groupes
sociaux divers qui se divisent publiquement entre eux et à l'intérieur de
ces groupes.
Une autre dimension porte sur la communication entre élèves à propos
de l'étude en classe de controverses socioscientifiques, les recherches
empiriques menées intégrant d'ailleurs souvent des activités de débats
scolaires sous différentes formes et modalités. Ainsi, le modèle comporte
également une dimension relative à l’activité du groupe classe afin de
documenter, dans une analyse épistémique, la posture de l'enseignant, la

2
Une présentation détaillée est disponible dans Albe (2009).
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répartition des initiatives entre enseignant et élèves, les rôles ou les
places de l’enseignant et des élèves vis-à-vis de l’étude de controverses
socioscientifiques (topogenèse), la progression temporelle des savoirs
(chronogenèse) et les modalités d’organisation des activités, de
productions et d’évaluation d'étude de controverses socioscientifiques
pour lesquelles les incertitudes priment, les discours sont divers et
souvent contradictoires, et l’enseignant n’est pas en mesure d’apporter
une réponse, comme dans le cas d’un contrat didactique classique.
Identifier les relations aux savoirs en jeu sur des controverses
socioscientifiques pour les acteurs de l’institution (élèves, enseignants,
parents) et comment sont pris en compte en classe différents genres de
savoirs sur un thème controversé (flèche pleine entre les différents genres
de savoirs et les relations aux savoirs dans la figure) dans différents
contextes (disciplinaire, pluri ou interdisciplinaire), mais aussi en lien avec
d’autres éléments du curriculum scientifique, vise l'intelligibilité de la mise
en forme scolaire de telles controverses et par là leur écologie.

Analyse épistémologique et sociale

Savoirs Savoirs et Savoirs


sociaux ou pratiques de scolaires Relations
« naturels » référence dans aux savoirs
des groupes

Ressources
Dimension
épistémologique

Contrat Dispositions à l’engagement


didactique dans l’étude de controverses

Dimension de Dimension de l’activité du groupe classe


communication

- Posture de l’enseignant
- Répartition des initiatives
- Vertus de enseignant/élèves & topogenèse
communication - Chronogenèse
- Indicateurs de - Modalités d’organisation
discours - Modalités de productions
d’exploration - Modalités d’évaluation

Figure 1 : Modèle d’une écologie des controverses socioscientifiques

2. Questions de recherche
Notre recherche porte de façon générale sur l’engagement des élèves
dans l'étude de controverses socioscientifiques, ici le changement
climatique, en référence au modèle de l’écologie des controverses
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socioscientifiques (Albe, 2007).
Dans ce cadre théorique, notre problématique porte plus
spécifiquement sur la communication entre élèves et leurs relations aux
savoirs lors d’un débat en classe sur le changement climatique. Ce débat
a été spécifiquement conçu selon l’approche théorique de conception de
situations d’enseignement. Nos questions de recherche sont les
suivantes :
Comment les élèves procèdent-ils pour communiquer entre eux lors du
débat en classe ? Quels sont les savoirs mobilisés par les élèves lors d’un
tel débat ?

3. Méthodologie

Dans le cadre de la récente mise en place d’un nouveau baccalauréat


technologique (STAV)3 au ministère de l’Agriculture, nous avons élaboré,
selon la théorisation « humble » de l’enseignement des controverses
socioscientifiques (Albe, 2007), en collaboration interdisciplinaire avec des
enseignants de philosophie et de sciences de la vie et de la Terre, une
séquence d'enseignement sur le réchauffement climatique pour des
élèves de terminale (N = 15). Cette séquence intègre une initiation à la
communication non-violente (CNV), étant donné l'attitude de prudence
que nous avons adoptée, suite à la revue de littérature, quant à la mise en
œuvre de débats en classe, afin d’éviter de confiner les discussions des
élèves à des affrontements stériles sur le plan de l’apprentissage et
générateurs de violence, ou à mimer en classe un simulacre de débat
public inspiré des formes médiatiques de débat. Au contraire, nous
envisageons le débat autour de controverses socioscientifiques comme
un moyen d’apprentissage, d’exploration des controverses en vue d’une
résolution citoyenne dans le cadre démocratique et comme alternative à la
violence.
Une vision globale de la séquence d’enseignement, conçue pour la
recherche de manière collaborative entre les enseignants, une formatrice
CNV et les chercheures, est présentée dans le tableau ci-dessous4.
SEANCES DATES DUREE INTERVENANTS
1. Formation à la CNV : initiation 25 janvier 2008 7 h 30 Formatrice CNV
2. Formation à la CNV : pratique et débat 29 janvier 2008 3 heures Formatrice CNV
3. Projection du film « une vérité qui 11 mars 2008 2 heures Enseignants de
dérange » avec Al Gore et débat philosophie et de
sciences de la vie et

3
STAV : Sciences et Technologies de l’Agronomie et du Vivant.
4
Pour une présentation détaillée, voir Gombert (2008).
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la Terre, chercheur
4. Situation de débat sur le modèle d’une 1er avril 2008 2 heures Chercheures
conférence de citoyens à partir du film
« une vérité qui dérange »
5. Séance d’analyse 29 avril 2008 2 heures Chercheures
Au cours de cette séquence, les élèves ont participé à un débat
élaboré sous la forme d’une conférence de citoyens sur la question
controversée du climat (séance 4). Cette situation de débat tient compte
des préoccupations des concepteurs (chercheurs et enseignants) de créer
une situation non fictive, de présenter la controverse du changement
climatique en lien avec le film « Une vérité qui dérange » (visionné à la
séance précédente) et de situer ce film dans l’actualité du Prix Nobel de la
paix décerné en octobre 2007 à Al Gore ainsi qu’aux experts du GIEC
(Groupe Intergouvernemental d'Experts sur l'évolution du Climat). La
situation de débat présentée aux élèves est la suivante :
« Vous êtes des citoyens français informés sur les controverses
scientifiques existantes en matière de climat et chargés de donner quatre
recommandations pour les politiciens en matière de choix énergétique
pour la France et/ou pour les pays émergents dans les années futures.
Pour élaborer ces quatre recommandations, nous allons recréer une
situation de débat prise sur un modèle existant de conférences de
citoyens destinées à fournir un avis aux politiques ».
Les rôles que nous avons conçus pour les élèves leur sont présentés
de la sorte :
Quatre experts répartis en deux groupes vont présenter l’un après l’autre
au groupe de citoyens les deux thèses opposées sur le climat à partir
des documents fournis ;
sept citoyens5 pourront ensuite questionner les experts puis débattre des
quatre recommandations à fournir aux politiques en matière de
politique énergétique. Ils devront spécifier sur quelle expertise s’appuie
leur choix. À tout moment les citoyens peuvent questionner les
experts ;
deux modérateurs CNV seront présents. À tout moment les citoyens
peuvent solliciter les modérateurs CNV ;
deux rapporteurs sont chargés de prendre en note toutes les discussions
et échanges au sein du débat pour en rendre compte lors d’une phase
de discussion sur le débat.
Chaque élève s’est vu attribuer un rôle qui avait fait l’objet d’un choix

5
Initialement il était prévu un nombre de huit citoyens mais un élève était porté absent pour ce jour là.
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concerté entre les chercheures et l’enseignant de philosophie6. Des
documents élaborés pour la séance et relatifs aux différents groupes
(citoyens, experts, modérateurs CNV et rapporteurs) ont été distribués
aux élèves. Après une phase préparatoire, les élèves experts exposent à
tour de rôle leurs thèses scientifiques respectives. Chaque groupe
d’expert avait à disposition un document d’expertise élaboré dans le souci
de présenter des situations non fictives s’appuyant sur des thèses
élaborées par des scientifiques, des groupes d’experts identifiés en
respectant les pratiques de référencement de la communauté scientifique.
En ce qui concerne les éléments de controverses sur le réchauffement
climatique, nous nous sommes appuyés sur une analyse épistémologique
et sociale des controverses préalable (Albe, 2008). Nous avons élaboré
les documents « en face à face » afin de respecter l’équilibre idéologique
des thèses en présence et la forme des documents.
Les élèves sont ensuite invités à débattre pendant quinze minutes
selon le modèle des conférences de citoyens7. Leurs échanges ont fait
l’objet d'enregistrements audio et vidéo et leurs transcriptions de plusieurs
analyses. La dimension de communication a fait l’objet d’une première
analyse au prisme des outils de communication non violente développés
par Rosenberg (1999), que nous ne pouvons développer ici. Dans une
seconde analyse inspirée de la psychologie discursive anglaise (Edwards,
1997 ; Potter, 1997) et mobilisée dans une recherche en didactique des
sciences sur des conversations estudiantines à propos du changement
climatique (Bader, 2001), nous avons repéré les jeux rhétoriques
développés par les élèves lors du débat sous la forme d’une conférence
de citoyens. Le jeu rhétorique, ici entendu comme l’élaboration
d’arguments et de contre-arguments pour appuyer ou miner une position,
est identifié à partir des catégorisations de Edwards (1997) et Potter
(1997). Elles mettent en jeu l’identité du locuteur (comme l’attribution
d’intérêts aux protagonistes, la proximité ou la distance des acteurs vis-à-
vis de la question débattue) ou le contenu, indépendamment de l’identité
du locuteur (comme l’usage de formules, de dictons, de truismes, la

6
Ce choix d’imposer le rôle à jouer aux élèves s’est fait pour deux raisons essentielles : l’une en lien
avec la gestion du temps (nous ne voulions pas que les élèves perdent du temps à choisir leur
rôle) et l’autre en lien avec l’idée pour nous de favoriser leur engagement dans le débat (nous
avons tenu compte de leurs implications dans les séances précédentes mais aussi des facteurs
relationnels et inter-personnels, nous voulions éviter des choix selon des critères de jeux inter-
personnels).
7
Ce sont les échanges entre élèves au cours de cette simulation en classe d'une conférence de
citoyens qui font l'objet d'analyses pour le présent article. L'ensemble des données recueillies lors
des cinq séances de la séquence d'enseignement ont par ailleurs constitué le matériau de
recherche empirique de master 2R de Gombert (2008).
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référence à des données empiriques qui parlent d’elles-mêmes, l’accent
sur la périodicité d’un événement, une mise en scène ultra-détaillée de
l’événement décrit). Nous avons adapté les catégorisations proposées
selon le corpus recueilli et élaboré un cadre analytique comportant les
catégories suivantes :
– l’autorité où est accordée une crédibilité particulière à un individu pour
renforcer son discours ou au contraire miner les propos qu’il tient en
mettant en doute son autorité ;
– l’attribution d’intérêts qui permet d’affaiblir les propos tenus par un
locuteur en supposant celui-ci lié à des intérêts non explicites
(économiques, politiques par exemple dans le cas de discours de
scientifiques) ou au contraire apparaître comme une garantie
d’honnêteté dans le cas où de tels intérêts sont explicités ;
– l’usage de maximes où il s’agit de repérer dans le discours des élèves
s’ils utilisent des formules, dictons, truismes ; etc.
– la référence à des données empiriques qui parlent d’elles-mêmes ;
– l’accent sur la périodicité d’un événement où il s’agit d’identifier si les
élèves insistent sur la répétition ou la durée d’un événement ;
– une mise en scène ultra-détaillée de l’événement décrit ;
– la position du locuteur dans la mesure où la situation de débat proposait
aux élèves des documents d’expertise dans lesquels étaient précisés
les auteurs authentiques, leurs positions institutionnelles ; ainsi nous
pouvions supposer que les élèves y fassent référence. Il s’agit ici
d’identifier dans les propos des élèves ce qui relève d’une estimation
de la proximité ou la distance des acteurs vis-à-vis de la question
débattue.
La dimension épistémologique du modèle d’une écologie des
controverses socioscientifiques a également été documentée via
l'identification des savoirs mobilisés par les élèves lors du débat.
4. Résultats
4. 1 Dimension de communication : jeux rhétoriques entre élèves
Les interventions des élèves relèvent principalement des catégories
« attribution d'intérêts » (33/252), « position du locuteur » (34/252),
« autorité » (22/252) et « données empiriques » (12/252).
Attribution d'intérêts :
Les élèves interrogent la question du financement des recherches et
des scientifiques pour remettre en cause la neutralité et la fiabilité des
travaux présentés. C’est le cas par exemple avec le citoyen C2 qui à deux
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reprises (I13, I15)8 demande aux experts opposés à la thèse du GIEC s’ils
sont payés par Bush ou pour quel organisme ils travaillent. Il en est aussi
question lorsque l’expert E1 attribue des intérêts financiers aux experts du
GIEC. Ces derniers répondent en reprenant l’idée avancée par le
citoyen C2 en attribuant au groupe expert opposé aux thèses du GIEC un
lien financier avec « les grandes entreprises qui polluent » et qui seraient
selon eux rémunérées par « Monsieur Bush ». Dans ce jeu d’attribution
d’intérêts aux experts opposés à la thèse du GIEC un citoyen, C2 soulève
également un lien avec la NASA (I180).
Ainsi dans de nombreux cas les deux groupes d’experts se voient
attribués des intérêts d’ordre financier dans le but d’affaiblir leur position.
En réaction à l’attribution d’intérêt l’expert E1 à plusieurs reprises réfute le
lien entre financement et résultats de recherches en avançant l’idée qu’il
est indépendant ou bien qu’il travaille « totalement gratuitement » (I178).
De son côté l’expert du GIEC EG1, s’il reconnaît avoir été sélectionné par
un gouvernement (comme cela est écrit dans le document d’expertise à la
définition du GIEC), se défend de tout lien financier en déclarant « mais ils
nous donnent pas de l’argent » (I158).
Cette prise de position amène le contre-expert E1 à intervenir (I40, I157)
pour tenter de « démontrer » qu’il existe bien une influence du politicien
sur le scientifique (en l’occurrence le GIEC ici). L’expert E1 déclare : « un
gouvernement c’est politique et les politiques font dire aux scientifiques ce
qu’ils veulent ils utilisent ceux qu’ils veulent ». Le lien sciences-politique
est donc très directement discuté par une partie des élèves avec l’idée
pour certains d’une récupération du scientifique et de ses travaux à des
fins politiques. Dans cet esprit, la question des intérêts politiques que
pourrait avoir Al Gore à véhiculer les thèses du GIEC, dans le film « une
vérité qui dérange » visionné en classe, est rapportée par l’expert E2 à
deux reprises (I44, I45) en réponse à la question posée par l’élève
citoyen C1 (I42) sur l’enjeu politique que pourrait susciter la question
environnementale. Peu après, E2 renforce l’idée d’absence de lien entre
les scientifiques et le politique en déclarant « on est sensés en temps que
scientifique ne pas avoir d’avis scientifique heu politique » (I52). Il est
intéressant de noter que E2 hésite dans cette intervention et se trompe
dans un premier temps entre « d’avis scientifique » et « d’avis politique »
et emploie l’expression « on est censés » qui pourrait mettre en question
ses propos. Par ailleurs, dans son intervention (I159) l’expert E1 défend
l’idée que les pratiques politiciennes de « récupération des scientifiques

8
Les interventions des élèves sont numérotées de façon chronologique par le signe I suivi du numéro
de prise de parole dans le débat.
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qui les arrangent » relèvent d’un régime dictatorial. Pointe alors ici la
question des relations entre scientifiques et systèmes politiques, l’usage
politique de l’expertise pouvant éloigner du système démocratique.
En outre, des propos d'élèves peuvent être analysés en mobilisant la
catégorie de position du locuteur, en référence essentiellement au
positionnement des experts et à une délégation des citoyens vers les
experts.
Le positionnement des experts
La question du positionnement de l’expert opposé à la thèse du GIEC
E1 se pose à différentes reprises et E1 n’est visiblement pas très à l’aise
pour y répondre. En tout début de débat par exemple lorsqu’il hésite dans
son discours sur des données empiriques à propos des bulles de CO2 (I2)
et qu’un citoyen lui demande d’être plus clair, E1 répond que « ce n’est
pas ma spécialité » (I4). La question de la position de l’expert E1 se
repose lorsqu’un citoyen l’interpelle en lui disant qu’ils ne savent pas pour
qui il travaille alors que les deux autres experts « travaillent pour le
GIEC ». E1 répond « non mais eux on le sait nous on n’en sait rien » (I21).
Si E1 avoue son incapacité à pouvoir répondre en début d’échanges, il
avancera par la suite des réponses variées allant de la revendication
d’une identité russe (I23) à un positionnement sur le registre du scientifique
« nous on est des scientifiques » (I126) et de son travail « nous ne sommes
pas là pour donner des solutions » (I164), pour terminer en fin de débat par
un positionnement professionnel puisqu’il déclare être « expert en
glaciologie » (I227). Dans le même groupe d’expert E2, lui, se positionne
(non sans hésitation comme il en a été question dans le paragraphe
précédent) comme étant sensé, en temps que scientifique, ne pas avoir
d’avis politique à donner (I52). Du côté des experts du GIEC, tout comme
E1 se déclarait Russe, EG1 se déclare Français en présentant son groupe
d’experts comme indépendant et sélectionné par l’État. Il est intéressant
de noter que E1 n’accepte pas cette réponse identitaire en leur répondant
qu’ils sont Américains. C’est d’une seule voix que le groupe d’experts du
GIEC formé de EG1 et de EG2 réaffirme son identité française (I64).
Comme pour les experts opposés à la thèse du GIEC, il est question pour
ce groupe représentant les thèses du GIEC de se positionner au niveau
du travail des scientifiques qu’ils représentent. Il est question par exemple
pour EG1 de rappeler qu'« on a été sélectionné pour notre travail » (I70).
Peu après EG2 rappelle à deux reprises qu’ils sont ici pour proposer des
solutions mais pas pour les imposer (I86 et I117) ou pour « donner un avis »
(I127). Il est intéressant de noter que cette idée se retrouve dans les propos
du groupe opposé lorsque E1 déclare lui aussi ne pas « être là pour
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donner des solutions » (I164). Le groupe d’expert défendant la position du
GIEC est à plusieurs reprises appelé par les citoyens à se positionner
dans le débat à propos d’un éventuel lien avec la sphère politique qui
s’incarne ici dans le film avec Al Gore. Lien que rejettent EG2 et EG1 (I119
et I124, I181). Si au cours du débat nous constatons que les deux groupes
d’experts tentent de se positionner par rapport à leurs origines ou encore
à l’indépendance de leurs travaux, il apparaît à trois reprises au moins
(I173, I174 et I221) que c’est en réponse aux interventions des citoyens (C2 et
C3), qui les somment de leur fournir des solutions en matière de
réchauffement climatique et de choix énergétique, qu'ils se positionnent.
Le positionnement des citoyens
Dans ses interventions C2, par exemple, déclare que « ce n’est pas à
nous de trouver vraiment des solutions nous on est de simples citoyens »
(I174) et que « c’est à vous [sous entendu les experts scientifiques] de vous
entendre entre vous vous êtes des scientifiques » (I221).
Il nous paraît intéressant de relever ici qu’à plusieurs reprises les
interventions des élèves se centrent sur une caractérisation du travail du
scientifique, comme une activité visant à « constater », « analyser » et
« proposer des solutions ». (I2, E1 ; I171, C1 ; I175, EG2). Cette dernière
fonction est reprise par deux autres citoyens pour délégitimer leurs rôles à
proposer des solutions en matière de choix énergétique.
D'autres interventions lors du débat peuvent être classées dans la
catégorie « autorité ».
L’autorité des données
Dans l’intervention I2 lorsque l’expert E1 opposé à la thèse du GIEC se
réfère à la courbe d’évolution des températures montrées dans le film de
Al Gore et reprise en première page des deux documents d’expertises
fournis aux élèves, il emploie l’expression de « fameuse courbe ». En
utilisant l’adjectif « fameuse » il nous apparaît que E1 insiste sur la
popularité de cette courbe qui de fait confère une forme d’autorité à ceux
qui s’y réfèrent, rendant leur discours plus difficilement critiquable au
même titre qu’une pensée dominante.
L’autorité du travail empirique
Toujours dans la même intervention I2 l’expert E1 fait référence aux
« scientifiques de terrain » comme pour appuyer l’idée d’un travail
« authentique », d’un « travail fiable ». E1, selon nous, assoit son discours
sur une forme d’autorité par l’authenticité. Cette idée de travail
authentique qui « rend respectable » est renforcée lorsque E1 parle des
scientifiques « qui n’ont rien à prouver ». Il est à nouveau question de
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scientifiques qui « s’embêtent à chercher » par opposition à ceux qui « [ne
font] que dire » dans l’intervention I244 de l’expert E1. Un peu comme si
d’un côté il y avait les « scientifiques qui font » sous entendu « les
crédibles », et de l’autre les scientifiques qui « ne font pas », qui se
conteraient de parler, de commenter les travaux des autres, de
communiquer dans les médias par exemple et sur lesquels l’expert E1
jette le discrédit.
L’autorité de la science
Par ailleurs, l’expert E1 en réponse à des interrogations sur les liens
entre experts, politiciens et entreprises, se présente de la façon suivante :
« nous on est des scientifiques » (I186). Il nous apparaît ici que, par ce
procédé, il ferme le questionnement et pose son autorité sur une image
des sciences neutre et indépendante.
L’autorité des experts
À plusieurs occasions, les élèves jouant le rôle des experts sont
interpellés par des élèves jouant le rôle de citoyens (I77) ou de
modérateurs (I193, I195, I211), ou s’adressent les uns aux autres dans les
rôles d’experts en s’appelant « Monsieur » (I59, I61, I72, I156, I169, I172, I175,
I201, I224, I240). On note que le titre de « Monsieur » n’est pas utilisé pour
s’adresser aux citoyens ou aux modérateurs, ce qui nous semble
constituer un procédé rhétorique contribuant à renforcer l’autorité des
experts.
De façon opposée, d’autres procédés peuvent miner les propos des
experts en mettant en doute leur autorité, par exemple lorsqu’un élève
jouant un rôle d’expert (EG1) qualifie de « pignoufs » les personnes
auxquels les experts opposés seraient susceptibles d’être liés (I17) ou
lorsqu’un citoyen (C1) qualifie l’expert glaciologue en « mister Freeze »
(I231), ce qui a pour effet de le ridiculiser et de miner son autorité.
La relation d’autorité s’exerce aussi entre experts et citoyens, lorsque
les premiers qualifient les seconds de « péqueux lambda » (I207) ou que
les citoyens se décrivent à la suite eux-mêmes comme « simples
péqueux » (I221), ce qui contribue à conforter une barrière entre experts et
citoyens, ceux-ci dévalorisés par le langage, et ainsi présupposés pas
aptes à comprendre :
« bon peut-être que vous me comprenez pas vous êtes le des péqueux
lambda » (I207 E1)
Par ailleurs, on observe une demande des citoyens de délégation de
l’élaboration de solutions à l’expert (I171, I221). Par ce procédé, l’autorité
des experts est renforcée, dans la mesure où les citoyens les
RDST-2-Albe 14
reconnaissent comme les seuls aptes à agir face aux problèmes.
D'autres interventions lors du débat relèvent selon nous d’une
description ou d’une lecture de données empiriques, ou bien d’un
questionnement à propos de la fiabilité de certaines données empiriques
pour miner le plus souvent la position des experts du GIEC, ou encore
d’une critique à propos de l’absence de données empiriques lorsque les
citoyens interpellent les experts opposés à la thèse du GIEC.
Un recours réaliste aux données empiriques
Selon notre analyse, il est question à deux reprises pour les élèves
d’un recours aux données empiriques lors des échanges. Lorsque
l’expert E1 en début de débat se réfère « au taux de CO2 » en référence
aux « bulles d’air qui ont été emprisonnées » dans des carottes glacières
(I1), puis lorsque le même expert déclare à propos d’une augmentation de
température : « on a pu avoir des relevés précis grâce au thermomètre et
on a vu une augmentation de 0,6° » (I2, E1).
Nous notons par ailleurs que, dans cette même intervention, E1 utilise
l’expression de « relevés précis », ce qui a pour effet selon nous de
renforcer la crédibilité des données empiriques annoncées.
Des critiques sur la fiabilité des données
Au cours de l’intervention I2 par exemple, l’expert E1 déclare : « en
regroupant ces données ils ont réussi à donner cette courbe ». On note ici
que, si l’élève se réfère à des données empiriques, c’est pour critiquer le
fait que les scientifiques ont compilé des données d’origines diverses
(carottes de glace, arbres de différentes essences, relevés de
température avec thermomètre ancien ou électronique) ce qui a pour objet
de miner la thèse présentée par le groupe d’expert du GIEC. Toujours le
même l’expert E1, à propos de résultats de mesures, remet en doute leur
fiabilité en déclarant que « ces chiffres peuvent être sortis de n’importe
où » (I32) ou bien que « leurs courbes ne sont pas valables » (I242).
L’absence de données
L’absence de données est évoquée par le citoyen C1 à deux reprises
(I234 et I250) comme argument destiné à miner le discours des experts
opposés à la thèse du réchauffement climatique par opposition aux
experts du GIEC qui, selon lui, disposent de preuves qui relèvent de
données empiriques. L’expert E1 se défend en indiquant qu’il ne dispose
pas en cet instant de ces courbes, autrement dit il dispose également de
données empiriques mais ne les a pas montrées lors de son exposé :
« on est pas venu avec nos courbes et nos machins » (I249, E1).
RDST-2-Albe 15
Apparaît ainsi une référence majeure pour les élèves aux données
empiriques pour faire preuve. Critiquer les résultats d’autres experts,
mettre en cause la fiabilité de leurs données est possible.
Par ailleurs, une intervention de l’expert E1 opposé à la thèse du GIEC
(I2) à propos d'une « fameuse courbe » peut également relever de la
catégorie « mise en scène » car selon nous elle relève, indépendamment
du locuteur cette fois, d’une entrée en matière destinée à miner la position
adverse. Le qualificatif « fameuse » étant toujours entendu ici comme une
insistance sur la popularité mais cette fois proche de la théâtralisation
voire de l’ironisation en vue de rendre l’exercice de la controverse d’autant
plus « courageux » et polémique. Une telle entrée en matière (puisque
c’est la première intervention de E1 dans le débat) permet selon nous à
E1 de « planter le décor », d’insister de manière implicite sur sa position
minoritaire dans la mesure où la courbe en question constitue une
référence majeure dans le discours sur le réchauffement climatique, ceci
dans le but de renforcer le contre-discours qui va suivre.
Toujours dans le cadre de l’intervention I2 l’expert E1 utilise selon nous
le même procédé de mise en scène lorsqu’il pointe la non-fiabilité des
mesures des températures lorsqu’elles étaient effectuées avec des
thermomètres à mercure (avant l’arrivée des thermomètres électroniques),
pointant ici les incertitudes liées aux mesures de la courbe des
températures sur laquelle le GIEC s’appuie et qui est reprise par Al Gore
dans le film. Pour développer cette idée E1 met en scène l’appareil de
mesure que constitue le thermomètre à mercure en ces termes : « au
début on était avec nos pauvres petits thermomètres à mercure »,
insistant avec le qualificatif pauvre sur une origine laborieuse et difficile de
la météorologie.
Nous n’avons pas identifié de jeu rhétorique dans les échanges des
élèves au cours du débat qui puisse relever d’une des deux catégories
« maximes » ou « répétition, durée ».
4.2 Dimension épistémologique : savoirs mobilisés par les élèves
Les savoirs sociaux ou naturels
Les élèves discutent de la question des énergies renouvelables
(énergie éolienne, énergie hydroélectrique, hydrolienne, voiture
électrique), de leur coût, leur rentabilité, l’entretien de leur matériel
(éolienne, panneaux solaires), leurs limites en termes de production à
partir de l’exemple de l’approvisionnement électrique d’un village, leur
impact sur le paysage pour les éoliennes et les poteaux électriques. Leurs
échanges à ce propos se réfèrent également à des préoccupations
RDST-2-Albe 16
environnementales en lien avec le souci des générations futures, ou à la
vie politique française dans l’actualité récente dont l’environnement
constitue un enjeu important et ils évoquent la fin du pétrole et le protocole
de Kyoto, comme l'illustre l'extrait ci-dessous :
« les énergies renouvelables comme vous en avez vous citiez tout à
l’heure les élections politiques en France l’année dernière enfin y a bientôt
un an les énergies renouvelables telles que les éoliennes l’énergie solaire
heu dernièrement on a vu que heu il peut y avoir de l’énergie hydrolienne
avec des éoliennes mais qui sont mises sous l’eau avec les courants bons
tout ce qui est de l’énergie renouvelable et pas du pétrole qui des
énergies fossiles qui au bout d’un moment vont arriver à épuisement donc
on n’en aura plus donc il faudra bien dans tous les cas va falloir trouver
une solution et puis heu des solutions qui sont heu qui respectent en
quelque sorte la nature voilà » (I96, EG1)
Les discussions entre élèves portent également sur les changements
politico-économiques qui peuvent découler ou sont présentés comme
inéluctables dans le contexte d’un changement climatique tel qu’exposé
dans la thèse du GIEC. Les questions de niveau de vie, de bien-être des
citoyens, de l’usage des sciences par les politiques et du rôle politique des
experts sont discutées par les élèves.
Dans l’intervention I33 l’élève E1, jouant le rôle d’expert opposé aux
thèses défendues par le GIEC, déclare que « les politiciens parlent par
rapport à des constats scientifiques ». Le même expert pointe ensuite la
pratique des politiciens à propos des scientifiques du GIEC en ces
termes : « ils prennent les scientifiques qui disent ce qui a un rapport avec
ce qu’ils veulent » (I40). Dans le même esprit, mais cette fois sans citer le
GIEC, E1 intervient pour déclarer « ouais mais un gouvernement c’est
politique et les politiques font dire aux scientifiques ce qu’ils veulent ils
utilisent ceux qu’ils veulent » (I69).
L’élève expert du GIEC EG1 quant à lui ne nie pas ce rapport entre
scientifique et politique puisqu’il déclare à deux reprises à propos de
Al Gore (I124) « Monsieur Al Gore s’est appuyé sur notre travail sur le
travail du GIEC ». Un citoyen C2 réagit à cette déclaration à propos de
Al Gore en questionnant EG1 de la sorte : « et vous approuvez sa façon
de montrer de montrer vos travaux ? ».
Dans le même temps, ces mêmes élèves imposent aux élèves qui
jouent le rôle de citoyens une vision politico-économique selon laquelle le
réchauffement climatique implique des changements en termes de
consommation énergétique, et que cela nécessite une réduction de niveau
de vie.
RDST-2-Albe 17
« on peut pas préserver non plus le niveau de vie de l’humble heu on
pourra pas on peut pas vous garantir un niveau de vie heu tel que vous
l’avez maintenant mais c’est sûr que vous aurez des contraintes
supplémentaires afin de respecter l’environnement » (I98, EG2).
Ces élèves experts sont contestés par les élèves jouant le rôle des
experts opposés à la thèse du GIEC qui soulignent qu’un tel discours est
paradoxal et que suivre l’avis des experts revient à un régime dictatorial :
« voilà ils veulent vous imposer des contraintes » (I155, E1)
« mais justement c’est un système dictatorial qu’ils veulent » (I159, E1)
Les élèves jouant le rôle des citoyens discutent la vision politico-
économique présentée par les élèves jouant le rôle des experts du GIEC,
refusent une prise en charge individuelle des changements en matière
d’énergie et s’en remettent à l’État. Dans le même temps, ils délèguent
leur pouvoir aux experts en les sommant en quelque sorte de fournir des
solutions, les élèves jouant le rôle des experts opposés à la thèse du
réchauffement étant eux accusés de ne pas rechercher de solutions. Les
discours des citoyens font ici appel à la preuve (I234).
Face à la vision politico-économique des experts les questions du bien
être du citoyen et du niveau de vie sont soulevées par les citoyens comme
l’indiquent les extraits ci-dessous :
« pour conserver notre niveau de vie ? » (I95, C1)
« mais seront-elles assez heu respectables et en même temps
respectant le bien être des citoyens ? » (I97, C4)
Un expert, défendant la thèse opposée au GIEC, discute également
des conséquences sur le niveau de vie qui découleraient des contraintes
imposées pour respecter l’environnement :
« qu’ils veulent vous mettre vous mettre en place en place c’est
justement ça en parlant d’écologie et tout vous contraindre dans un mode
de vie qui peut être ne vous satisfera pas et vous heu et voilà » (I159, E1)
Les savoirs et pratiques de référence scientifiques
Les élèves mentionnent essentiellement des pratiques liées à l’activité
scientifique (financement des chercheurs et acteurs impliqués, neutralité
vis-à-vis du politique, travail des chercheurs), les institutions de recherche,
la nationalité et la sélection des experts, les relations sciences-politique, le
statut des chercheurs, le rôle des données empiriques, la nécessité
d’accord entre chercheurs. Les élèves s’appuient plus rarement sur des
savoirs, comme l’indiquent les deux interventions commentées ci-
dessous.
RDST-2-Albe 18
C1 fait référence dans la première intervention I1 relative au taux de
CO2 dans les bulles d’air des carottes glacières. Cette question du taux de
CO2 relève de savoirs et pratiques des glaciologues ; il s’agit d’une activité
de mesure fournissant des données empiriques. On pourrait considérer
qu’il s’agit également de savoirs sociaux dans la mesure où les discours
médiatiques y font souvent référence. Quant à déterminer si cela relève
de savoirs scolaires ici, il est possible de se reporter au programme qui
indique « traiter des controverses sur le climat » sans en détailler le
contenu ce qui ne me permet pas de dire si la question du taux de CO2 a
été traitée ou non pour ces élèves. Par ailleurs cette question du CO2 est
évoquée dans le film « Une vérité qui dérange » avec Al Gore qui a été
présenté et discuté avec les enseignants de SVT et de philosophie. À ce
titre nous considérons qu’il peut s’agir d’un savoir scolaire.
L’intervention I2 de l’expert du GIEC E1 porte sur des façons dont les
scientifiques élaborent des savoirs à partir d’activités de mesures qui
selon E1, impliquent l’usage d’instruments plus ou moins fiables avec
lesquels des scientifiques relèvent des données qui seront ensuite
compilées pour établir des courbes.
À propos de la question du financement des chercheurs, les élèves
identifient différents acteurs : des politiques comme Al Gore (I6) et Bush
(I13, I179), un groupe d’expert le GIEC (I20, I6), une institution (I9, I15), la
NASA (I180), et de grandes entreprises qu’ils qualifient de « polluantes »
(I179, I181). Nous notons qu’il s’agit dans les propos des élèves de
financements individuels pour les chercheurs et non des modes de
subvention des programmes de recherche.
Les élèves évoquent également fréquemment la question de la
neutralité des scientifiques (ou une pseudo-neutralité ou une absence de
neutralité) vis-à-vis de la politique ou des politiciens.
Les raisons de la sélection des chercheurs pour participer au groupe
d’experts du GIEC sont justifiées par la compétence (« ben non on a été
sélectionné pour notre travail » I70, EG1)
La question du statut des chercheurs est par ailleurs soulevée par les
élèves lorsqu’ils évoquent la garantie d’indépendance que fournirait le
statut de fonctionnaire rémunéré par l’Etat français (I26, E1).
En outre, l’impact politique du travail des chercheurs est évoqué par un
citoyen (C1) à propos des scientifiques du GIEC qui, selon eux, apportent
des solutions. Les scientifiques interpellés de la sorte refusent cette idée
que l’élaboration de solutions est déjà en soi une activité politique (I164,
E1).
RDST-2-Albe 19
Il apparaît ainsi que les relations sciences-politique sont abordées par
les élèves, ceux adoptant le rôle d’experts refusant l’idée d’action politique
de la part des scientifiques et dans le même temps tenant des discours
sur le protocole de Kyoto et les mesures à prendre relativement à la
consommation de sources d’énergie fossile.
« nous on a proposé des so… enfin des solutions mais on est pas là
aussi pour imposer, nous après on a demandé un décret qui est le
protocole de Kyoto » (I86, EG2)
« nous on propose ce genre de protocole mais on est pas là pour
imposer donc comme aux États-Unis on peut pas leur imposer de signer
ce ce protocole [pause] nous on préconise heu d’utiliser beaucoup moins
les ressources fossiles ce qui est le pétrole le gaz et tout ça sur ce qu’on
se base nous c’est sur ce qu’on se base nous c’est sur les énergies les
ressources » (I90, EG2)
Par ailleurs, le rôle des données empiriques et la nécessité d’accord
entre chercheurs sont évoqués par les élèves (« faire des constats par
rapport à des données » I72, EG1). Cela nous apparaît comme des
éléments majeurs dans le travail des chercheurs, tels que le conçoivent
les élèves et leurs attentes vis-à-vis de l’expertise.
Les savoirs scolaires
Les élèves s’appuient sur les documents élaborés spécifiquement pour
la situation d’enseignement à propos des différentes expertises sur la
controverse du réchauffement climatique, sur des éléments présentés
dans le film « Une vérité qui dérange » avec Al Gore, visionné lors de la
séance précédant la situation de débat et sur des savoirs qui nous
semblent relever de contenus d’enseignement en classe.
Concernant les documents à propos des différentes expertises sur la
controverse du réchauffement climatique, les élèves mobilisent des
informations relevant de données empiriques relatives aux prévisions de
réchauffement climatique et aux courbes l’indiquant (I2, I220, I234, I241, I248,
I249). La dynamique des glaces et une référence à l’influence du Soleil sont
également présentes dans le discours de l'élève E1 jouant le rôle d’un
expert opposé au GIEC.
Les élèves se réfèrent également à leurs documents pour discuter sur
un autre plan. Ce sont les questions de la nomination des experts (I194,
I199), leurs opinions politiques (I214), la composition du GIEC (I67, I190, I191),
l’absence de consensus chez les chercheurs (I207) et le cas d’un expert
ayant démissionné du GIEC (I210) qui sont objets de discussion. La non-
ratification par les États-Unis du protocole de Kyoto est également
RDST-2-Albe 20
discutée (I90).
Concernant le film « Une vérité qui dérange » avec Al Gore, c’est la
question du rôle de l’homme dans l’augmentation de l’effet de serre qui
est débattue, ainsi que les mesures de CO2 dans les bulles d’air des
carottes de glace et l’élévation de température de 0,6 °C.
« heu E1 a parlé des carottes heu et heu on a entendu dire que on
peut calculer les bulles d’heu d’air qui ont été emprisonnées dans ces
carottes et on a calculé le taux de CO2 que qu’elles contenaient et on
observe une augmentation très très importante donc heu que qu’est ce
que vous pensez de ce » (I1, C1)
Concernant les savoirs qui nous semblent relever de contenus
d’enseignement en classe, les éléments discutés par les élèves se
centrent sur la question des énergies renouvelables et en particulier
l’énergie produite à partir d’éoliennes ou de panneaux solaires (I90, I94, I96,
I104, I105, I107, I108, I111, I112, I113, I114). La durée de vie, le coût, la rentabilité de
tels dispositifs sont discutés ainsi que leurs limites dans une visée de
remplacement des énergies fossiles (pétrole, gaz). Les programmes
d’enseignement traitent du classement des sources d’énergie
renouvelables et non renouvelables et de la production d’énergie par des
sources et dispositifs divers. À ce titre, nous rapprochons les savoirs
discutés par les élèves de leurs enseignements de sciences physiques.

5. Discussion

5.1 Les jeux rhétoriques


L’analyse des jeux rhétoriques relevant de l’attribution d’intérêts, dans
le but de miner un résultat scientifique ou bien la position d’un expert
scientifique, montre que ces procédés sont largement mobilisés par les
élèves au cours du débat. Les élèves soulèvent la question des
financements des recherches, des liens entre politique et sciences et du
caractère désintéressé du travail scientifique. Il nous paraît intéressant de
noter que si des orientations politiques de la part de scientifiques sont
évoquées (position en faveur du protocole de Kyoto) en page 4 du
document fourni aux experts opposés à la thèse du GIEC, les élèves vont
bien au-delà des arguments fournis. Ils mettent également en question
l'idée d’une science neutre et indépendante, comme l’indique notre
analyse des procédés rhétoriques mis en œuvre par les élèves par
attribution d’intérêts politiques. Un élève questionne le paradoxe qui
consiste pour un scientifique expert du GIEC à se présenter comme
indépendant alors qu’il est sélectionné par son gouvernement. Il pointe
RDST-2-Albe 21
également le danger pour les élèves citoyens à suivre les
recommandations des experts alors qu’elles impliquent pour lui des choix
politiques majeurs qui échappent aux citoyens bien qu’ayant des
conséquences importantes sur leurs modes de vie. Il évoque alors un
système dictatorial. Un tel discours nous montre qu’interroger les liens
entre science et politique n’est pas hors de portée des élèves et qu’ils sont
aptes à considérer le rôle de l’expertise, son usage politique et la place
accordée au citoyen. La nature politique de la question du climat a été
saisie par les élèves qui ont abordé dans le débat les questions de choix
énergétiques, de modes de vie, de croissance économique.
Par ailleurs, lorsque les élèves discutent des modes d’élaboration des
sciences pour contrecarrer l’attribution d’intérêts politiques ou financiers,
notre analyse de leurs procédés rhétoriques montre une référence à un
travail désintéressé de la part des scientifiques. Ce résultat, combiné à
ceux portant sur les procédés rhétoriques relevant de l’autorité des
données et d’un recours réaliste aux données empiriques, nous indique
que les élèves perçoivent la science comme une activité de recueil de
données par l’expérimentation, la rigueur de la démarche scientifique et le
soin apporté aux expériences fournissant alors des preuves qui sont
indiscutables. Les scientifiques sont dans ce cas perçus comme objectifs,
dévoués, désintéressés. Dans cet esprit, les scientifiques sont vus comme
des personnes qui savent et dont on attend qu’elles disent ce qu’elles
savent et donnent des solutions. Le citoyen ne se sent pas apte à
participer à la décision et la délègue aux experts, comme l’indique
l’analyse des procédés rhétoriques relatifs à la position du locuteur avec
une dichotomie experts/citoyens. L’analyse des procédés rhétoriques
s’appuyant sur l’autorité des experts a également indiqué que, dans leurs
jeux de langage, des élèves marquent cette dichotomie, s’adressant avec
déférence et politesse aux experts, disqualifiant les citoyens par l’emploi
de qualificatifs dévalorisants.
Nous nous interrogeons par ailleurs quant à l’absence de mobilisation
de procédés rhétoriques basés sur l’usage de maximes ou l’insistance, la
répétition, la référence à la durée et le rare recours à des procédés de
mise en scène (deux occasions où il est question de données empiriques
ayant pour effet de renforcer le discours plutôt que de fournir une
description ultra-détaillée d’un événement). Cela nous apparaît comme un
indicateur de l’implication des élèves dans l’activité d’expertise des
arguments scientifiques de la controverse autour du réchauffement
climatique, qui ne recourt ni à faire passer une idée en force ni à une
dramatisation d’événements (phénomènes météorologiques extrêmes ou
RDST-2-Albe 22
événements dramatiques concernant la faune, par exemple).
Nous voyons dans, les interventions des élèves concernant des
données empiriques, une certaine forme de scepticisme et de remise en
cause quant aux seules références à des données empiriques, ouvrant la
porte à des interrogations d’ordre épistémologique comme la question du
caractère empirico-réaliste des sciences. De tels propos nous invitent à
engager des discussions avec les élèves sur l’élaboration des savoirs
scientifiques, leurs validations et plus largement sur le fonctionnement de
la science et des scientifiques.
Les savoirs mobilisés
Nous relevons que les élèves importent dans le débat la question des
énergies renouvelables, en discutant des éléments de controverses
relatifs aux éoliennes dans le paysage, à la rentabilité de tels dispositifs
ou des panneaux solaires, etc. Nous nous interrogeons, comme notre
analyse l’indique, sur le lien possible avec des savoirs scolaires sur ces
questions d’énergie. Si tel est le cas, la séquence d'enseignement élaborée
pourrait être considérée comme favorable à la fois à une mobilisation de
savoirs scolaires pour une étude traditionnelle dans un contexte
explicitement lié à une situation sociale et pour débattre en s’appuyant sur
des savoirs plutôt qu’en s’opposant sur des connaissances non
problématisées en vue de gagner la controverse.
De plus, notre analyse des savoirs mobilisés par les élèves montre que
l’enjeu majeur de la controverse autour du réchauffement climatique et
que la nature politique de la question du climat sont identifiés par les
élèves. Ce résultat nous apparaît remarquable dans la mesure où nombre
de discours sur la question se centrent sur les conséquences d’un
réchauffement climatique (inondations, fonte des glaces, réduction de la
biodiversité, réfugiés, etc.) et leur dimension spectaculaire ou dramatique,
ou questionnent les causes d’un tel réchauffement (rôle anthropique,
alternance naturelle de périodes glaciaires/interglaciaires, etc.). Ici les
élèves n’ont pas abordé ce registre dramatico-médiatique mais ont pointé
le lien entre climat et énergie et soulevé des questions sur la prise en
charge politique des problèmes. Le fait que l’élaboration de solutions soit
confiée à certains experts dont les liens avec la sphère politique sont
pointés est perçu pour certains élèves comme un risque pour la
démocratie. D’autres élèves, jouant le rôle de citoyens, sollicitent des
preuves scientifiques, l’accord entre chercheurs et délèguent l’élaboration
de solutions aux experts, ce qui revient selon nous à un régime
technocratique de l’expertise. Les relations sciences-politique sont ainsi
discutées par les élèves, ce qui concourt à leur formation citoyenne et
RDST-2-Albe 23
encourage à développer des situations qui leur permettraient de reprendre
le pouvoir pour ne pas se soumettre aux discours des autres, se sentir
aptes à penser par eux-mêmes, à porter des jugements autonomes,
légitimes pour participer aux décisions, autrement dit, à participer à la
configuration de leur monde.

Conclusion
Dans une perspective didactique, il nous paraît essentiel de
s’intéresser aux relations qu’entretiennent les élèves avec les savoirs lors
de l'introduction en classe de controverses socioscientifiques, d’autant
qu’il peut s’agir de mobiliser des savoirs scientifiques non stabilisés, en
cours de construction, des savoirs experts objets de controverses, des
savoirs scolaires, des opinions politiques, des discours médiatisés, etc.
Dans le modèle élaboré pour étudier la scolarisation de controverses
socioscientifiques, la dimension de communication de l’engagement des
élèves dans la controverse est étudiée ici par l'analyse des jeux
rhétoriques développés par les élèves. Les citoyens interviennent peu
dans la discussion. Nous l’interprétons par une survalorisation de
l’expertise et des savoirs scientifiques, comme nos analyses l’ont indiqué,
mais n’excluons pas qu’interviennent également les relations de pouvoir
entre élèves, comme la littérature l’indique (Dawes, 2004 ; Driver &
Alexopoulou, 1996 ; Mercer, 1996). L’analyse des échanges des élèves
au cours du débat en termes de jeux rhétoriques nous a permis d’identifier
que les élèves recourent fréquemment à des éléments de nature
épistémologique ou relatifs à la dimension sociale des sciences afin
d’appuyer ou de miner une position.
Par ailleurs, l’analyse en termes de relations aux savoirs nous a permis
d’identifier les différents types de savoirs mobilisés par les élèves au
cours du débat. Les résultats montrent que, confrontés à des documents
scientifiques ou d’expertise (publications primaires et GIEC), les élèves
sont capables d’identifier les arguments et de questionner les dimensions
méthodologiques et sociales des savoirs (liens entre science-économie-
politique, financement des recherches, indépendance des experts vis-à-
vis des politiques et des financeurs). Ceci indique que les élèves sont
capables d’échanger sur ce registre épistémologique et social et ouvre
des voies en faveur d’une possible complexification des points de vue
épistémologiques des élèves. Ils ont soulevé ces éléments par eux-
mêmes, ce qui encourage à élaborer des situations d’enseignement
spécifiquement construites pour une formation épistémologique et sociale
en contexte de controverse socioscientifique. Nos résultats montrent que
RDST-2-Albe 24
les élèves discutent fréquemment des pratiques des scientifiques et des
experts mais également importent dans le débat des savoirs sociaux ou
naturels et des savoirs scolaires relatifs à des questions d’énergie
renouvelable, des préoccupations environnementales, économiques et
politiques. La confrontation des deux analyses menées ici nous indique
que les échanges des élèves à propos des savoirs relatifs aux questions
d’énergie renouvelable ne font pas l’objet de jeux rhétoriques. Un tel
résultat nous amène à considérer qu'en distinction des travaux où les
élèves confrontés à une controverse socioscientifique tentent de la
résoudre (Oulton et al., 2004) ou cherchent à se convaincre pour gagner
dans un jeu de rôle (Albe, 2005), la situation d’enseignement élaborée a
permis un engagement dans la controverse où différents types de savoirs
sont discutés, dont des savoirs scientifiques scolaires et des savoirs
scientifiques en train de se construire.
virginie.albe@stef.ens-cachan.fr
marie-josee.gombert@educagri.fr

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