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Didactiques et formation des enseignants | Bernard
Calmettes, Marie-France Carnus, Claudine Garcia-Debanc, et al.
Épistémologie des
enseignants et
auto-didactique
dans
l’enseignement
des sciences
Les conceptions des pratiques de référence dans la
justification du pilotage des démarches
d’enseignement chez des enseignants du premier
degré en formation initiale
Frédéric Kapala
p. 55-63
Texte intégral
1 Situé dans le cadre de la préparation d’une thèse de doctorat
en didactique des sciences, ce travail est sous-tendu par une
expérience de quinze années dans la formation initiale et
continue des enseignants du premier degré en sciences-
physiques ; il repose d’une part sur une analyse des
justifications d’élaboration de séquences de sciences
d’enseignants du premier degré en formation. Il introduit
par ailleurs un cadre théorique, hypothèse de chercheur
destinée à outiller la distinction entre « sciences » et
« enseignement des sciences ».
1. Cadre théorique
2. L’étude
24 L’étude réalisée consiste principalement en une explicitation
(adaptation de l’entretien d’explicitation selon Vermersch,
2006) par des enseignants en formation de leurs pratiques
d’élaboration et de conduite de séquences relevant des
sciences à l’école primaire. On souhaite mettre en évidence
les conceptions qui sous-tendent ces pratiques. Un
indicateur privilégié consiste à repérer les éléments de
pilotage par le maître des traces que les élèves vont être
amenés à produire. L’explicitation de ce pilotage passe par la
critique a priori et la projection de l’utilisation d’un dispositif
de fiches qui permettent de décomposer une démarche
d’enseignement en « temps » didactiques (scientifiques,
pédagogiques, langagiers). Ce dispositif dénommé CAST1
(Cahier d’Activités scientifiques et technologiques), issu
d’une recherche-action pilotée par l’INRP en 1998-2000, a
évolué et servi au cours des dix dernières années dans le
cadre de la formation des enseignants du premier degré.
25 Le travail qui est présenté2 repose sur une étude de cas qui
concerne des stagiaires professeurs des écoles en formation
dans un Institut universitaire de formation des maîtres en
France. Parmi les vingt-neuf stagiaires qui ont rempli un
questionnaire, cinq ont accepté de se prêter à un entretien
d’explicitation.
26 Dans une première partie du questionnaire3, les enseignants
se positionnent par rapport aux démarches scientifiques et
aux démarches d’enseignement des sciences. Bien qu’une
analyse ait été conduite sur ces réponses, il n’a pas semblé
pertinent d’en tirer quelque statistique que ce soit,
l’exploitation se limitant à une recherche de cohérence et de
définition de profils. L’intérêt majeur de cette première
partie du questionnaire réside dans l’appui qu’elle représente
pour les entretiens d’explicitation ; celle-ci porte alors sur
deux « temps », celui de la réponse au questionnaire et celui
des pratiques personnelles d’élaboration de séquences en
« sciences et technologie » à l’école primaire. Les entretiens,
d’une durée d’environ deux heures chacun, ont été transcrits
et analysés dans une logique comparative en dégageant des
thématiques.
27 Une seconde partie fait référence à l’appropriation et à la
projection d’utilisation du dispositif CAST. Les réponses
ouvertes sollicitées y font l’objet d’une analyse de contenu
(notamment à l’aide d’un logiciel d’analyse textuelle,
HyperPo4).
3. Résultats
28 Les pratiques de référence scientifiques comme les pratiques
d’enseignement des sciences sont conçues comme des
activités a priori ordonnées, balisées, imposées : OHERIC5
constitue pour les enseignants sollicités un cadre théorique
dans lequel ils peuvent penser conjointement l’activité
scientifique et l’activité d’enseignement des sciences. Cette
conception d’une unité revendiquée de matrice
méthodologique semble relever de l’expérience scolaire et
universitaire (Gustafson & Rowell, 1995) et les messages de
la formation professionnelle sont filtrés par cette conception
pour y correspondre. On retrouve là le cercle vicieux décrit
par Désautels et al. (1993).
29 L’accommodation de l’évidente non correspondance, pour
les enseignants interrogés, entre la revendication du schéma
méthodologique OHERIC (comme cadre théorique des
démarches d’enseignement des sciences) et la description
des séquences réelles mises en œuvre, se fait en « habillant »
le noyau central méthodologique OHERIC de considérations
pédagogiques et didactiques - en quantité et en qualité
variables - qui permettent de prendre en considération ce
que les enseignants ne peuvent ignorer, c’est-à-dire les
élèves, le contexte matériel, les objectifs, la formulation et le
statut des connaissances, et enfin… le rôle et la place
particulière du maître ! L’idée de transposition semble
réduite à cette accommodation pour les enseignants
stagiaires.
30 Les dimensions didactiques et pédagogiques ne sont
considérées que comme des préoccupations périphériques
ou naturellement intégrées, et l’outillage conceptuel qui leur
correspond est très mal maîtrisé : les enseignants stagiaires
se réclament du modèle socioconstructiviste en ce qui
concerne la construction des connaissances « notionnelles »,
sans qu’on sache précisément ce que cela recouvre et en ce
qui concerne les « démarches scientifiques », le modèle est
celui de l’imprégnation progressive par répétition. Sur ce
point, le rôle attribué aux traces est assez explicite puisqu’il
est largement restreint à celui de mémoire et de guide.
31 Ces dimensions didactiques et pédagogiques ne peuvent
alors pas participer en plein aux stratégies d’élaboration de
séquences ; corrélativement, la focalisation sur la
méthodologie scientifique finit par constituer un obstacle à
la prise de conscience effective de la complexité de la
structure des démarches d’enseignement pratiquées et de
leur cahier des charges : la restriction de la palette
conceptuelle dont les enseignants disposent pour évoquer
leur pratique aux éléments de la méthodologie scientifique,
éventuellement assortis de constatations triviales liées à la
gestion de classe constitue un autre cercle vicieux.
32 Attaquer le problème sous l’angle du pilotage des traces peut
pourtant fournir des pistes intéressantes ; on constate que
certaines potentialités sont envisagées, relatives par exemple
à la métacognition et à l’intégration de composantes
pédagogiques et didactiques.
4. Discussion
33 Les bénéfices attendus d’un « entraînement à la démarche
scientifique » semblent pâtir à la fois de l’idée que les
enseignants se font des démarches scientifiques et de l’idée
qu’ils se font de la possibilité de sa transposition à
l’enseignement des sciences dans un cadre
socioconstructiviste mal maîtrisé. Au lieu de battre en brèche
la « méthodologie du sens commun », cette revendication
des pratiques des démarches scientifiques à l’école, passée
au filtre des représentations des enseignants, semble avoir
l’effet inverse et se traduit par une certaine « dispersion »
didactique (Calmettes, 2009 ; Coquidé et al., 2009) qui, dans
notre étude, s’avère aussi assez incohérente.
34 De nombreux travaux depuis la fin des
années 1980 s’intéressent aux conceptions épistémologiques
des enseignants ou aux pratiques pédagogiques de ceux-ci.
Gil-Perez (1993) note l’existence d’une même source
socioconstructiviste aux pratiques scientifiques et aux
pratiques pédagogiques pertinentes - qui ne justifie pas
ontologiquement l’intérêt de la transposition des pratiques
scientifiques en classe, mais légitime la scénarisation
scientifique des enseignements scientifiques. Des
rapprochements sont établis entre les conceptions
épistémologiques des enseignants, leurs pratiques
pédagogiques (Flageul & Coquidé, 1999 ; Robardet, 1998 ;
Lakin & Wellington, 1994) et leur posture (Favre, 2007) et
l’influence réciproque des unes sur les autres est discutée
(Brickhouse, 1990 ; Waters-Adam, 2006). L’ancrage
« empirico-réaliste » des conceptions épistémologiques
(Porlan-Ariza et al., 1998) est dénoncé en tant qu’il prévient
tout déploiement d’une épistémologie « souhaitable » au
sein de la classe (Pélissier et al., 2007).
35 En complément de ce que rapporte la littérature concernant
notamment le second degré, on retrouve, pour les
enseignants du premier degré en formation sujets de l’étude,
la prégnance dans l’interprétation qu’ils font des démarches
d’investigation, et, plus largement, des démarches
d’enseignement des sciences qu’ils élaborent et mettent en
œuvre, d’un cadre théorique positiviste, empirico-réaliste où
la « méthode scientifique » justifie ontologiquement la
méthode d’enseignement et prend le pas sur des déclarations
d’intentions nourries par la formation. L’image de la science
semble provenir majoritairement de l’expérience vécue en
tant qu’étudiant de premier cycle universitaire.
36 Au-delà de la question de l’influence réciproque des
conceptions épistémologiques et didactiques des
enseignants, l’étude dans laquelle nous nous engageons
concerne l’ancrage du « couplage » épistémologique et
didactique et celle de la possibilité du « découplage » : le
problème n’est pas ici que les enseignants enseignent les
sciences sous l’influence de leurs conceptions
épistémologiques ou que ces dernières finissent par se
stabiliser sous l’effet des pratiques d’enseignement. Il réside
dans l’étude de la « croyance » en la nécessité d’un schéma
scientifique pour l’enseignement des sciences, quelles que
soient les conceptions qu’on a de ce schéma. La mise en
évidence de cette représentation du couplage
épistémologique-didactique chez les enseignants du premier
degré constitue une perspective fondamentale du travail à
poursuivre.
Notes
1. http://gallery.me.com/fredkapala#100054
2. On peut télécharger le mémoire de master qui contient le traitement
détaillé des réponses au questionnaire et des entretiens d’explicitation
ici :
http://web.me.com/fredkapala/Mémoire_HPDS_FK_09/Annexes.html
3. https://spreadsheets.google.com/viewform?
hl=fr&formkey=cGZSYzBOcjNUM1VmVFVlbUdJZkVqUXc6MA
4. http://tapor.mcmaster.ca/–hyperpo/Versions/6.0/index.cgi?
&delta_iLang=fr, consulté le 21 septembre 2010.
5. Observation, Hypothèse, Expérience, Résultat, Interprétation,
Conclusion : acronyme introduit par Giordan (1978). Il représente la
réduction des démarches scientifiques à une méthodologie érigée en
dogme pour l’enseignement des sciences.
Auteur
Frédéric Kapala