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En interprétant un poème, on se retrouve très souvent dans une impasse à travers laquelle on

cherche désespérément à retrouver l’écrivain pour le situer physiquement afin de pouvoir mieux
le comprendre, entrer dans ses états d’âme. Au moment où il écrivait ce
poème, le poète était-il malade, se trouvait-il confronté à un évènement qui l’aurait mené au
bout de la vie, ou est-ce dans un rêve ou par une pure méditation qu’il s’est promené sur ce
mince pont de douceur qui relie la vie et la mort ? Un journaliste se sentirait encore plus
contraint que nous. Peu importe le motif, nous pouvons facilement entrer dans le poème et
épouser l’état d’âme de Senghor. Faites de même, je vous prie.
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2. « Tu m’as assailli encore cette nuit, cette nuit sans clair de lune au bord de la mare perfide,
panthère décochée de l’arc d’une branche. Ah ! Le feu de tes griffes dans mes reins et l’angoisse
qui fait crier à minuit jusqu’aux doigts de mes pieds tremblants prisonniers » Dans une nuit sans
clair de lune, le poète est confronté à la réalité de la mort. Au bord de la mare perfide, il va sentir
« La force de l’homme, lourd les pieds dans le potopoto » La confrontation avec la mort ramène
toujours Senghor vers la mare, le potopoto, dans des eaux fétides qui rappellent la putréfaction.
C’est que dans le royaume d’enfance, la mort se faisait plus fréquente à travers toutes les
épidémies intervenant pendant la saison des pluies. Nul n’est impassible devant la mort, cette
panthère qui, décrochée de la branche, maintenant enfonce ses griffes dans les reins du poète, le
fait crier de douleur, et il tremble jusqu’aux doigts des pieds tremblants, ces pieds subitement
prisonniers, ces pieds qui devaient pourtant le porter vers la course, vers la fuite pour échapper.
3. « O Mort jamais familière, trois fois visiteuse, je me rappelle ma course après la vie comme
après un lourd fruit qui roule sous un rônier l’enfant – un second régime soudain sur le dos
l’aplatit au sol » La mort n’est jamais familière. Personne ne s’y habitue, et pour cause ! Elle ne
vient qu’une fois, une seule fois pour chaque individu. La prise de conscience de Senghor est
biblique : il s’était élancé à la poursuite de la vie — à la poursuite des choses terrestres ? Dans la
force de l’âge, avec la vie transpirant une santé de fer, la mort frappe rarement à la porte de la
conscience. Senghor redescend dans son Sine natal pour revenir avec une image très forte : A
côté des maisons il y a des rôniers. Lorsque les enfants entendent un fruit « rof », tomber, ils se
ruent vers l’arbre et le premier venu est bien sûr le bienheureux propriétaire. Mais l’enfant n’a
pas pensé à la possibilité d’un autre fruit pouvant venir juste au moment où il jubilait, célébrait sa
victoire. Le poète, à la poursuite de ce fruit, éberlué par sa victoire, sa force, n’a pas calculé cette
éventualité.

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