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ADHUC STAT!

Exclamation d’étonnement émerveillé. Et pourtant, elle se tient debout ! Elle


tient encore debout ! Qui dit exclamation, dit point d’exclamation.

Par quelle tempête, par quel assaut des éléments ou des hommes a-t-elle été
bousculée, secouée jusqu’à en perdre la tête, jusqu’à en être brisée ?
Dans un premier temps , elle me rappelle ces colonnes brisées surmontant , au
cimetière, certaines tombes , dont on me disait, enfant, qu’on les mettait sur la
tombe d’êtres jeunes et enterrés civilement;
Donc , même dans ce contexte «profane» , cette colonne brisée était l’image
d’une vie humaine brisée avant l’heure normale .
Et pour nous ?

Pour moi , elle est indubitablement une image mystérieuse de l’Homme .

Considérons-la : sa base est solidement établie sur la terre , ancrée dans la terre .
Elle est carrée , elle est un parallélépipède rectangle , surmonté d’un cylindre .
Le carré , dans à peu près toutes les traditions , dans toutes celles que je connais
un peu , est l’image de la terre , de la matérialité . Mais cette base , image du
matériel , du terrestre , du terreux , est surmontée d’un cylindre , d’une figure à
base de cercle : le cercle , image du ciel , donc du monde spirituel . Et ce
cylindre , monolithique , et non fait de cylindres empilés , comme dans les
colonnes antiques , s’élève , se dresse à la verticale , vers le ciel , image du
spirituel , du divin .
Que nous dit-on dans la GENESE ? L’Homme a été créé à l’image de Dieu ,
et il a reçu mission de dominer la terre et les créatures : il nomme les animaux ,
donc a fortiori , les plantes , je suppose . Il en prend ainsi , selon la volonté
d’Eloim , possession .
Créé à l’image de Dieu , donc conforme à l’Unité , mais avec tout de même
un élément duel : « homme et femme Il les créa , à l’image de Dieu , Il les
créa » . A l’instar de Dieu qui est l’Un et le Tout , il inclut dans une harmonie
totale le féminin et le masculin .

Ce , dans le récit primitif , puis vient le second récit , plus tardif , qui
introduit la notion de faute originelle , ou , tout au moins , ce que la tradition
religieuse a considéré comme tel .
Le Serpent , animal chthonien , donc quelque part féminin , liée à la Déesse-
Mère , présente à l’origine de toutes les traditions , le serpent incite , initie la
partie féminine , la plus subtile, à manger du fruit de l’Arbre de la
Connaissance , la connaissance du Bien et du Mal , ainsi , dit le Serpent, « vous
deviendrez comme des dieux , connaissant le bien et le mal » (Gen. III , 3)
La première conséquence de cet acte fut la prise de conscience de leur
matérialité : « ils virent qu’ils étaient nus » (Gen. III , 7) Ils l’étaient avant , et le
voyaient , à moins d’être aveugles ! mais ils n’en avaient pas conscience . Ils
vivaient dans une unicité inconsciente et voilà que, maintenant , ils distinguent
entre la matérialité et l’esprit . Conséquence : le bannissement hors du Jardin
d’Eden , la souffrance et la mort .
Or il y a contradiction : « Dieu dit : voilà que l’homme est devenu comme l’un
de nous , pour connaître le bien et le mal ! Qu’il n’étende pas maintenant la
main , et ne cueille aussi de l’Arbre de Vie , n’en mange et ne vive pour toujours
! Et Dieu les renvoya du Jardin d’Eden. » (Gen. III ,22). Comment concilier cela
avec la tradition qui veut que Adam ou plutôt Isch et Ischa ne dussent point
connaître la mort ?
Il me semble qu’ayant eu un commencement , l’Homme devait avoir une fin
- donc une mort - mais sans doute , une fin douce qui aurait été un simple retour
de son esprit , de son souffle , en celui de Dieu dont il était issu , ce que le
Hindous appellent le retour dans l’Atman . Mais , en Occident , nous n’avons
pas cette notion d’âme indifférenciée qui prend diverses formes , notre
conception est celle d’une âme individuelle .
Autre point d’interrogation : cet Homme créé à l’image et ressemblance de
Dieu , n’avait pas encore la faculté de penser par lui-même . Il était une image ,
une image réfléchie , un reflet , un miroir . Cet acte le fait entrer dans la liberté ,
dans l’autonomie de l’être qui pense et choisit par lui-même , avec tous les
risques que cela implique , mais dont notre tradition dit qu’elle a été voulue par
Dieu , ce qui semble également quelque peu contradictoire .

Donc , cette colonne , avant sa brisure , se dressait entre sa base et son chapiteau
, inscrite entre ces deux limites , comme l’Homme dans son état premier d’Être-
image , d’Être-reflet , d’Être mû seulement par la pensée de Dieu . C’est
l’Homme-Neter des anciens Egyptiens : l’Homme sans calotte crânienne et sans
nombril , créé et non engendré , sans pensée personnelle .
Le chapiteau jeté à terre , avec une partie du fût de la colonne , comme un bel
arbre frappé par la foudre , le moignon du fût reste debout avec sa brisure en
biseau , comme un tronc mutilé , mais où la sève circule toujours tant que ses
racines restent plantées en terre , capable de faire jaillir des surgeons ou
d’accueillir des greffons . Il me semble d’ailleurs que le biseau de la colonne ne
correspond pas à celui du chapiteau , comme s’il avait déjà poussé .
L’homme n’est plus limité dans sa pensée ou sa recherche , il peut et doit monter
de plus en plus haut vers le ciel , à la rencontre de cet Au-delà-de-lui-même ,
que toutes les traditions ont défini Dieu , quel que soit le nom qu’elles lui aient
donné .
Certes , en perdant son chapiteau , l’Homme-colonne a perdu quelque chose , à
savoir , cette unicité , image de la nature divine , mais il a maintenant la
possibilité et le devoir de grandir sans limitation , de devenir ce qu’il est , c’est à
dire Fils , de faire naître en lui , en le découvrant , le Fils qui est en lui , qu’il est
et de devenir ainsi , non plus image , mais participant de la nature divine .
« Nous Lui serons semblables , car nous Le verrons tel qu’Il est » , nous dit Jean
dans sa 1ère Epître (I Joan. III , 2) , mais « dès maintenant , nous sommes
enfants de Dieu , et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » affirmait-
il dans la première partie de ce verset . La charnière étant : « nous savons que
lors de cette manifestation... » Cette manifestation sera ou entraînera la vision
qui parachèvera la ...? transmutation , quel mot convient ? le moins mauvais
semble la participation , ce fait d’avoir part à , sans être tout à fait cet Autre
sublime .
Et ceci nous ramène à l’Egypte , « Rien de nouveau sous le soleil » disait
Qohélet , car l’Homme sans calotte crânienne , mais avec nombril , est la figure
de l’Initié Parfait , de celui qui « né de la femme » a réintégré la nature divine et
qui , maintenant en toute lucidité et libre volonté , non plus en Neter passif , agit
par Dieu , mais tellement devenu semblable à Dieu , agit en parfaite conformité
avec Lui , en Fils qui n’a plus d’autre pensée ou volonté que celle du divin Père .
Ce me semble être aussi la pensée de Nietzsche dans les trois Métamorphoses .
L’Enfant - image du Surhumain (et non du Surhomme) est celui qui dit un Oui
conscient et volontaire , non plus le Oui bête de l’Ane , mais pour cela , il lui a
fallu passer par le Non du Lion .

A noter que ce chapiteau est ionique et que les spirales sont involutives . Ce me
semble l’image de la descente en soi du premier degré de la recherche spirituelle
. Cette descente est pour une remontée , la spirale doit s’inverser .
Ce qui me paraît rejoindre une ou la tradition juive qui dit que l’Homme est un
arbre inversé dont les racines sont en haut , en Dieu . C’est la même idée que la
lame du Tarot : le Pendu .

Notre colonne se tient debout , évidemment puisque sa base est intacte . Cela ne
signifie-t-il pas que nous devons nous appuyer sur notre matérialité , sur notre
corps pour nous élever vers le divin . Nier le corps , dans une ascèse style Pères
du Désert , conduit facilement au déséquilibre , aux fantasmes .
D’ailleurs , où commence l’esprit ? où commence l’âme ? où finit le corps ? Je
ne sais . J’aime beaucoup la théorie de Charron sur ce point .
L’arbre plonge ses racines dans la terre , la colonne tient sa force , sa stabilité du
sol , de la terre , mais la terre n’est-elle pas une image du ciel , « tout ce qui est
en bas ... »
L’Homme n’est-il pas une image du Cosmos ? Ne tire-t-il pas sa grandeur
d’être à la fois ancré dans la terre , dont il est issu et où il retournera , et ancré
dans le ciel , dans le spirituel , le divin ? En ce Dieu dont il est invité à partager
la nature , mais seulement dans une participation mystérieuse . Il sera toujours
créature en face de son créateur , dans un état de soumission acceptée qui
n’exclut pas le combat , celui de Jacob avec l’Ange , dans un amour quelque
part identificateur .
Adhuc stat !

J’ai dit .

E. DSMZ - GLFF - France

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