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Chapitre 1 – Evaluation finale

Les mots sont une bizarrerie pour moi depuis mon enfance. Je dis bizarrerie, pour
5 ce qu'il y eut d'abord d'étrange.
Que voulaient dire ces mimiques des gens autour de moi, leur bouche en cercle,
ou étirée en grimaces différentes, leurs lèvres en curieuses positions ? Je « sentais »
quelque chose de différent lorsqu'il s'agissait de la colère, de la tristesse ou du
contentement, mais le mur invisible qui me séparait des sons correspondant à ces
10 mimiques était à la fois vitre transparente et béton. Je m’agitais d’un côté de ce mur,
et les autres faisaient de même de l’autre côté. Lorsque j’essayais de reproduire
comme un petit singe leurs mimiques, ce n’étaient toujours par des mots, mais des
lettres visuelles. Parfois, on m’apprenait un mot d’une syllabe ou de deux syllabes
qui se ressemblaient, comme « papa », « maman », « tata ».
15 Les concepts les plus simples étaient encore plus mystérieux. Hier, demain,
aujourd'hui. Mon cerveau fonctionnait au présent. Que voulaient dire le passé et
l'avenir ?
Lorsque j'ai compris, à l'aide des signes, qu'hier était derrière moi, et demain
devant moi, j'ai fait un bon fantastique. Un progrès immense, que les entendants ont
20 du mal à imaginer, habitués qu'ils sont à comprendre depuis le berceau les mots et
les concepts répétés inlassablement, sans même qu'ils s'en rendent compte.
Puis j'ai compris que d'autres mots désignaient des personnes. Emmanuelle,
c'était moi. Papa, c'était lui. Maman, c'était elle. Marie était ma soeur. J'étais
Emmanuelle, j'existais, j'avais une définition donc une existence.
25 Être quelqu'un, comprendre que l'on est vivant. A partir de là, j'ai pu dire « JE ».
Avant, je disais « ELLE » en parlant de moi. Je cherchais où j'étais dans ce monde,
qui j'étais, et pourquoi. Et je me suis trouvée. Je m'appelle Emmanuelle Laborit.

Emmanuelle Laborit, Le Cri de la mouette, 1994.


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Affiche pour Human Rights Watch, septembre 2018, à l’occasion de la première journée mondiale des langues des signes.

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1. Quels sont les deux temps présents dans les deux premiers paragraphes ?
Justifiez leur emploi. (4 points)

2. Quelle différence faites-vous entre le « je de la ligne 1 (« je dis ») et celui de la


40 ligne 4 (« je sentais » ? (2 points)

3. Par quelle image l’isolement dans lequel vit le personnage est-il représenté ? (2
points)

45 4. Relevez un groupe nominal qui désigne les autres. Sur quoi insiste-t-il ? (2 points)

5. Que fait le narrateur pour essayer de communiquer avec les autres ? (2 points)

6. Relevez deux adjectifs qui montrent que le monde est une énigme pour le
50 narrateur. (2 points)

7. Quels changements se produisent dans la vie du narrateur à partir du quatrième


paragraphe ? (2 points)

55 8. A quel genre appartient ce texte ? Justifiez votre réponse. (4 points)

9. a) Décrivez l’image. (3 points)


b) Quels liens pouvez-vous faire avec le texte ? (2 points)

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