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Chapitre 3 Séance 6

 Le récit d’une enfance particulière 


Emmanuelle Laborit, sourde de naissance et comédienne (elle a reçu un Molière du théâtre en
1993), écrit son autobiographie à vingt-trois ans. Elle y évoque les difficultés de communication
qu’elle a rencontrées enfant, car on n’apprenait pas, en France, à ce moment-là, la langue des
signes aux enfants sourds: on voulait les contraindre à essayer de parler. 
 
Dans la vie, je ressentais toujours un décalage par rapport aux scènes qui se déroulaient
devant mes yeux. L’impression que je n’étais pas dans le même film que les autres. Ce qui
provoquait parfois chez moi des réactions inattendues. 
Je revois une fête à la maison; tout le monde parle, il n’y a que des entendants, je suis isolée,
comme toujours dans ces cas-là. Le mystère de la communication possible entre ces gens me laisse
perplexe. Comment font-ils pour parler tous en même temps, le dos tourné, le corps dans n’importe
quel sens? A quoi ressemblent leurs voix? Je n’ai jamais entendu la voix de ma mère, de mon père,
de mes amis. Leurs lèvres bougent, leurs bouches sourient, s’ouvrent et se ferment avec une folle
rapidité. J’observe de toutes mes forces, puis me lasse. L’ennui, profond, me reprend, le désert de
l’exclusion. Soudain, un ami chanteur, Maurice Fanon, que mon oncle a invité pour la soirée, vient
vers moi et m’offre une fleur. Je prends la fleur et je fonds en larmes. Tout le monde me regarde.
Ma mère se demande ce qui m’arrive. 
Au fond, qu’est-ce qui m’arrive? Je ne sais pas. Une émotion forte. Trop forte dans mon
isolement? Je ne peux pas l’exprimer autrement qu’en pleurant? Le décalage entre eux et moi est
tel, les situations, ce que font les personnages, sont si incompréhensibles? C’est possible. 
Je me demande encore pourquoi j’ai pleuré devant cette fleur avec tant de force. J’aimerais
le savoir, mais c’est indéfinissable. 
J’ai fait beaucoup de cauchemars, c’est certain, entre zéro et sept ans. Tout ce que je ne
comprenais pas dans la journée devait se bousculer dans ma tête. Les associations d’idées se
faisaient en désordre. 
Grâce soit rendue à mon père, qui m’a ouvert le monde à Vincennes et à Washington, à lui
qui m’a dit: 
«Viens, on va apprendre la langue des signes ensemble!» 
Emmanuelle Laborit, Le Cri de la mouette, 1993. 
A) Un récit autobiographique 
1-Qui désigne «je» dans «Je revois une fête à la maison» (ligne 4.) et dans «Je suis isolée» (ligne 5)?   « Je »
désigne le  narrateur du texte. C’est aussi le personnage principal et on peut dire que le point de vue est
interne.  
 
2-Donnez l’identité (prénom + nom) de chacun de ces «je». Qu’en déduisez-vous? C’est Emmanuelle
Laborit qui se cache derrière les deux pronoms « Je ». A la ligne 4 elle est l’adulte qui écrit et repense au
souvenir évoqué ensuite. Ligne 5 c’est donc elle enfant.  
Quand narrateur, personnage et auteur sont identiques on a un texte autobiographique.  
 
3-A quel temps et à quel mode sont conjugués les verbes du premier paragraphe? Quelle est la valeur de ce
temps? Les verbes du 1er paragraphe sont conjugués à l’imparfait (temps) de l’indicatif (mode). Ce temps
permet de raconter un souvenir passé non borné dans le temps, pris dans sa durée et qui se répète.  
 
4-Donnez la valeur du présent dans la phrase: «Je revois une fête à la maison; tout le monde parle»(ligne 4).
Le 1er verbe est au présent d’énonciation car c’est l’auteur qui commente son souvenir. Le 2 nd est un présent
de narration car on est dans l’évocation du souvenir.  
 
5-Quel est l’effet produit par le présent, dans le reste de ce deuxième paragraphe? Tous les présents de
narration du 2ème paragraphe permettent de rendre la scène vivante et plus proche de nous.  
 
B) L’évocation d’un souvenir douloureux 
1-Relevez, dans le premier paragraphe, deux termes qui indiquent que l’enfant perçoit la vie comme une
succession d’images. Les deux termes du 1er paragraphe qui montrent que l’enfant perçoit la vie comme une
succession d’images sont « scène » et « film ». Le langage cinématographique renvoie à la vue qui est le seul
sens par lequel EL perçoit les événements.  
 
2-Quelles sont les causes de la perplexité d’Emmanuelle? Quels types de phrases utilise-t-elle pour
l’exprimer (lignes 5 à 8) ? Tout le monde s’agite et parle autour d’elle. Mais elle ne peut prendre part à rien.
Elle se sent seule. Alors elle se pose de nombreuses questions comme le montrent les phrases de type
interrogatif aux lignes 5 et 6. C’est difficile pour elle de comprendre ce qui se passe alors elle se replie sur
elle-même et s’ennuie. 
 
3-Quels sentiments successifs Emmanuelle éprouve-t-elle au cours de cette soirée? Justifiez vos réponses.
Elle est d’abord perplexe devant le mystère de la communication. Les gens semblent parler beaucoup mais
elle ne peut rien saisir. Alors se sent rejetée et s’ennuie comme elle l’écrit : «  me lasse. L’ennui, profond,
me reprend, le désert de l’exclusion ».  
 
4-Comment, longtemps après l’événement, l’auteur interprète-t-il ses larmes, ses cauchemars? Quand un ami
chanteur, Maurice Fanon, "que (mon) oncle a invité pour la soirée, vient (vers moi) et (m’) offre une fleur,"
c’est une surprise totale et EL se met à pleurer. En repensant longtemps après à cet événement EL se dit
qu’elle a été fortement émue. Mais elle ne comprend pas pourquoi elle a pleuré. Elle emploie l’adjectif
« indéfinissable ». 
Elle évoque aussi ses souffrances : vivre dans un monde qu’on ne comprend pas et qui ne nous comprend pas
est source de douleur. Elle a fait de nombreux cauchemars en revivant la nuit des scènes qui l’avaient
bouleversée pendant le jour. 
 
5-Expliquez l’expression: «le désert de l’exclusion» (ligne 11). Quel reproche cette phrase contient-elle?
L’expression de la ligne 11 est une , une image puissante car elle souligne la solitude. EL est triste. Et elle en
veut aux gens qui ne cherchent pas à la comprendre, à s’intéresser à elle et à l’intégrer à leur monde.   
 
6- En lisant ce récit, que découvre un lecteur entendant sur la vie des sourds? Quel message l’auteur veut-il
donc transmettre ? Le lecteur prend conscience de la difficulté qu’éprouvent les gens qui ont un handicap et
sont différents. Les sourds et muets ne peuvent prendre part à la vie sociale. Ils sont donc isolés et comme
emmurés. L’auteur veut donc briser les barrières qui la coupent du monde. Elle veut vivre le plus
normalement possible tout en acceptant et en faisant accepter sa différence.  

7- Retrouvez la phrase qui exprime la gratitude d’Emmanuelle envers son père et expliquez les
raisons de ce sentiment. C’est la dernière phrase de l’extrait : ‘Grâce soit rendue à mon père, qui m’a ouvert
le monde à Vincennes et à Washington, à lui qui m’a dit: «Viens, on va apprendre la langue des signes
ensemble!»’ qui exprime la gratitude d’Emmanuelle envers son père. En effet, il lui a permis de trouver un
autre mode de communication et de ne plus rester seule dans son monde. Il a dû partir avec elle à l’étranger
car à cette époque en France il n’existait aucune école de LSF. 

II-Réécriture : Réécrivez les lignes 1 à 3, au présent de l’indicatif, et en remplaçant “je” par “elle” en faisant
toutes les transformations nécessaires.  

Dans la vie, elle ressent toujours un décalage par rapport aux scènes qui se
déroulent devant ses yeux. L’impression qu’elle n’est pas dans le même film que les
autres. Ce qui provoque parfois chez elle des réactions inattendues. 
 
 

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