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À qui profite la dette ?

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La collection Monde en cours
est dirigée par Jean Viard
Thomas Flichy de La Neuville
Olivier Hanne
Série L’Urgence de comprendre

À qui profite la dette ?


L’endettement
ou le crépuscule des peuples

© Éditions de l’Aube, 2014


www.editionsdelaube.com

ISBN 978-2-8159-0995-2 éditions de l’aube

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Des mêmes auteurs (extraits) : « Pour payer des dettes d’un jour,
vous verrez fonder de nouveaux pouvoirs
Thomas Flichy de La Neuville qui vont durer des siècles. »
La Noblesse militaire de Guyenne (1715-1789), Alexis de Tocqueville,
Mémoires et Documents, 2007 L’Ancien Régime et la Révolution 1
La Fantaisie de l’officier, Dominique Martin Morin,
2012
Stratégies chinoises, le regard jésuite (1582-1773),
Economica, 2012
Financial Crises and Renewal of Empires, Saint
William’s University Press, 2012
Stratégies gagnantes en temps de crise, Economica,
2012
L’Iran au-delà de l’islamisme, l’Aube, 2013

Olivier Hanne ction de


s fa ir e p a rv enir une séle
u
Merci de no ons.
vos publicati

Les auteurs de ce livre remercient Monsieur


Stéphane Baudens, maître de conférences en histoire
du droit, ainsi que Monsieur Antoine Leblanc, pour
leur relecture. 1. Paris, 1866, p. 152.

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Introduction

e
p a rv e n ir le fichier sourc À la fin de l’année 2014, la dette publique de
us faire
Merci de no fi n it io n de cette fig
ure la France dépassera 95 % du Produit intérieur
ou ha u te d é
ntuel. brut. À terme, ce chiffre signifie que chaque
si q u e le c opyright éve
ain heure de travail ou chaque marchandise vendue
servira à rembourser son équivalent en termes
de dette, sorte de miroir inversé de la richesse
réelle. La France pèsera alors 1950 milliards
d’euros – gagnés d’une part et à rembourser
d’autre part !
Cette somme correspond à plus de 320 000
kilomètres d’autoroutes : de quoi ceinturer la
terre de quatre voies. Elle représente encore un
long ruban de 130 millions de kilomètres de
coupures de 20 euros – presque la distance entre
la terre et le soleil…
Mais la France n’est pas seule dans ce cas-là,
puisque tous les États européens sont entrés dans
la spirale de l’endettement.

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Malgré l’illusion savamment entretenue par véritables bénéficiaires de la dette sont ailleurs.
les médias d’une dette publique consubs- Il s’agit bien évidemment des créanciers, à
tantielle à l’ouverture des marchés et sans moins que l’État débiteur n’use d’artifice ou de
autres effets sur les peuples que de protéger violence afin d’effacer leurs créances. Lorsqu’ils
leur consommation tranquille, l’endettement survivent à l’anéantissement et qu’ils s’organisent
se présente comme une servitude volontaire. silencieusement, ces nouveaux maîtres de l’État
Redoutée par les individus comme par les États tirent des bénéfices qui peuvent se résumer en
depuis la plus haute Antiquité, la dette entraîne un mot : l’assujettissement. Or les détenteurs de
un affaiblissement quasi irrémédiable. Elle se la dette, qu’ils soient de simples particuliers ou
développe lorsque les élites veulent faire la des fonds souverains, ne souhaitent nullement
guerre alors qu’elles n’en ont plus les moyens apparaître comme tels. Ils réclament l’invisi-
ou qu’ayant perdu leur pouvoir d’attraction sur bilité, la transparence absolues. La dette leur
les masses, elles sont devenues incapables de profitera d’autant plus que devenus les seigneurs
leur faire admettre la nécessité de réformes. politiques de leurs débiteurs, ils pourront agiter
Il s’ensuit une fuite vers la violence absolue à loisir leurs membres disloqués.
ou la consommation effrénée au détriment de Ces constatations peuvent paraître d’une telle
la construction patiente d’une civilisation. La évidence qu’il paraît presque superflu de les rap-
dette s’oppose donc fondamentalement à la vie : peler. Pourtant, comme la lucidité semble faire
elle est ferment de mort. défaut en ce qui concerne l’endettement, il nous
À qui profite-t-elle ? À la satisfaction immé- a paru important de revenir en quelques pages
diate des plaisirs, aux caprices soudains des sur les fondements, l’évolution et les risques
débiteurs ou encore aux intérêts à courte vue d’une question rejetée hors du débat politique,
des élites qui profitent du répit qu’elle procure comme si la dette était une fatalité. A contrario,
afin de maintenir l’illusion du pouvoir. La l’Histoire montre précisément que la dette peut
dette n’est-elle pas une ponction opérée par la être jugulée puis résorbée, lorsque le courage
génération ancienne sur celles à venir ? Mais les politique ne fait pas défaut. Les auteurs de cet

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essai s’estimeront donc heureux si leurs réflexions
permettent d’encourager l’indispensable action
politique : « Dimitte nobis debita nostra 1. »

La dette, mode d’emploi

Depuis l’Antiquité, la dette publique affaiblit


les défenses immunitaires des empires malades.
Or, depuis qu’il s’est proclamé créancier de ses
semblables grâce à la multiplication illimitée de
ses droits, l’homme postmoderne s’est fixé pour
absolu la préservation de son confort immédiat,
au détriment de tout choix responsable. Il en
résulte une inflation inédite de la dette, qui
opère comme une ponction immédiate sur les
générations à venir. La dette publique se pré-
sente aujourd’hui comme un système complexe
dont le poids engage l’économie tout entière.
Sa perception a radicalement changé au fil du
temps, évoluant de la stigmatisation à l’appa-
rente neutralité.

1. Littéralement : « Et remets nos dettes {comme nous les


remettons à nos débiteurs} » (Pater Noster).

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Qu’est-ce que la dette publique ? citoyen, ce dernier se voit soudainement investi
d’un droit bien difficile à mettre en pratique,
Même si l’importance des dettes privées celui d’être tenu au courant du bon emploi des
– celles des entreprises comme des particu- deniers publics. Qu’il lui prenne aujourd’hui la
liers – influe sur la santé d’une économie, nous fantaisie de l’exercer et l’on ne doutera point
nous intéresserons ici exclusivement à la dette qu’il ne soit déçu.
publique et à sa gestion, que ce soit à l’échelle La dette publique regroupe l’ensemble des
nationale ou locale. Tout gouvernant et, par engagements financiers d’un État à une date
conséquence, tout agent de l’État, est en effet déterminée, c’est-à-dire des emprunts contrac-
tenu de veiller aux finances dont il a la charge tés pour couvrir la différence entre les ressources
et de transmettre à ses successeurs comme à ses et les dépenses. La dette publique est contrai-
concitoyens une comptabilité saine, équilibrée gnante car l’État, à travers son gouvernement
ou, à défaut, transparente. L’idée d’une gestion ou ses institutions, s’engage contractuellement
transparente, rêve inabouti des Lumières tar- auprès de créanciers divers, qui peuvent être des
dives, s’est d’ailleurs traduite par deux décla- particuliers, des banques ou des entreprises, à
rations d’intention : « Les citoyens ont le droit de verser sur une durée déterminée les intérêts sur
constater, par eux-mêmes ou par leurs représen- un capital emprunté, et ce jusqu’à l’amortisse-
tants, la nécessité de la contribution publique, de ment de celui-ci. Ainsi, en juin 2013, la dette
la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en publique de la France s’élevait à 1 912 milliards
déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement d’euros, soit 93 % de son P.I.B. – presque
et la durée. » D’autre part, « la société a le droit autant que la richesse produite en un an sur
de demander compte à tout agent public de son l’ensemble de son territoire 1. Depuis 2006, ce
administration 1 ». Grâce à ces deux articles issus chiffre a gagné 30 points et devrait dépasser
de la Déclaration des droits de l’homme et du 2 000 milliards en 2015, ce qui représente une
1. Articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen de 1789. 1. Le Figaro, 27 septembre 2013.

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moyenne de 30 000 euros par Français sans la Grèce à 12 % et l’Allemagne à 2,9 % – ces
compter la rente, c’est-à-dire le montant des différences traduisant évidemment l’état de la
intérêts… confiance (ou de la défiance) financière dans
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’État l’économie des pays respectifs.
contractait des emprunts dont le capital, trop L’autre partie de la dette publique, à court
élevé, n’était jamais remboursable, mais dont terme cette fois-ci, est la dette flottante. Elle est
la rente devait être versée à perpétuité. Ce constituée par des titres de crédits remboursables
versement était appelé dette perpétuelle. L’État sur quelques mois (trois ou six généralement),
se déchargeait en somme du problème sur les voire quelques années. Pour contracter cette
générations suivantes, comptant sur l’inflation dette, l’État met sur le marché financier des bons
– et d’éventuelles dévaluations – pour ruiner les du Trésor – des titres de créance publique dont
bénéficiaires des coupons. Une dette de 10 mil- il garantit le remboursement, ce qui attire les
lions de francs n’avait évidemment plus le même banques. En France, le public peut en acheter
poids si, vingt ans après avoir été contractée, depuis 1914. Jusqu’à une date récente, l’État était
les prix avaient flambé et le franc perdu de sa quasiment certain de trouver des acquéreurs. Les
valeur. Les créanciers ne s’y laissaient d’ailleurs taux d’intérêt contractés sur le court terme ne
pas prendre et boudèrent peu à peu ce type cessent de fluctuer d’un prêt à l’autre en raison
d’emprunt tandis que l’opinion publique, peu d’un contexte objectif (situation économique
favorable à la perspective d’une dette éternelle, du pays, solvabilité, niveau de chômage…) et
obligeait l’État à y renoncer. La dette à long de considérations psychologiques (confiance
terme devint amortissable sur plusieurs années, dans le gouvernement, tensions sociales ou
voire plusieurs décennies, l’échéancier étant politiques…). Cette partie de la dette est donc
fixé à l’avance. Le moyen pour la contracter fut flottante. En 2013, la moyenne des taux d’inté-
un emprunt auprès du public ou des établisse- rêt pour les bons du Trésor français sur trois
ments financiers. En décembre 2011, la France mois était de 0,04 % alors qu’elle était de 6 %
empruntait sur dix ans à 3,3 %, l’Italie à 4,5 %, en 1995. Les rentrées fiscales étant irrégulières,

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qu’elles soient directes (impôt sur le revenu) ou s’endette, c’est qu’il ne parvient pas à vivre de ses
indirectes (taxes), l’État ne peut financer ses ressources propres ou à limiter ses dépenses. Le
dépenses, qui sont permanentes, qu’en ayant problème est donc budgétaire. Mais sa marge de
recours à la dette flottante, qui lui permet d’équi- manœuvre est étroite, car tout gouvernement,
librer son budget. Chaque semaine, la France même vertueux et économe, hérite des emprunts
émet ainsi des bons du Trésor pour plusieurs contractés dans le passé, et peut ainsi être
milliards d’euros courant sur quelques mois. La contraint d’emprunter à nouveau alors qu’il lutte
dette sert donc de trésorerie quotidienne. Lors contre les déficits. En outre, comment annoncer
de difficultés budgétaires, l’État peut même être sans risque à l’opinion un désinvestissement
tenté de transformer sa dette flottante en dette massif de l’État alors même qu’une majorité de
à long terme, en changeant les bons du Trésor citoyens s’est habituée à vivre dans l’illusion que
à court terme en titres de rentes sur plusieurs les pouvoirs publics lui sont redevables ?
années et non plus quelques mois. Sa dette flot- Le second problème est celui de la monnaie :
tante devient alors une dette consolidée – en réalité, trop endetté, un État est forcément incité à jouer
hypothéquée sur l’avenir. Il peut encore changer sur sa monnaie pour diminuer le poids réel de ses
le taux d’emprunt, passant par exemple de 5 % à dettes. Or, toute dévaluation monétaire entraîne
4 %, en laissant toutefois le choix à ses créanciers une inflation des prix qui a de fortes répercutions
d’être intégralement remboursés ou d’accepter sociales. Après la Première Guerre mondiale, le
cette baisse du taux (restructuration de dette). montant des réparations de l’Allemagne avait été
fixé à 132 milliards de Marks or par le Traité de
Au-delà de la dette Versailles. Insolvable, le gouvernement allemand
laissa se développer l’hyperinflation. Celle-ci
Ce rapide aperçu suggère combien la ques- fit passer le dollar de 42 Reichmarks en jan-
tion de la dette publique renvoie à des enjeux vier 1920 à 42 milliards en octobre 1923. Les
économiques et financiers plus larges. Il s’agit réparations se limitaient ainsi théoriquement à
en premier lieu du problème du budget : si l’État 3 dollars et 10 cents.

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D’autre part, la fin de la dette a été repoussée pays à l’autre. Les pays anglo-saxons ont une
à un futur incertain. En 2000, la durée de vie préférence pour l’endettement plutôt que pour la
de la dette française était estimée à sept ans : ponction fiscale, jugée impopulaire. À leurs yeux,
c’est dire que l’amortissement total pourrait être les bonnes dettes sont celles qui permettent de
accompli rapidement si les nécessités budgé- relancer l’économie, d’investir sur le long terme,
taires le permettaient. Or, à trop répercuter le de moderniser des équipements industriels. En
remboursement dans l’avenir, les responsables réalité, la Grande-Bretagne, puis les États-
politiques ont pris le risque que la charge des Unis, ont été les principaux bénéficiaires d’un
intérêts ne devienne insupportable, jusqu’à ne endettement public soigneusement contrôlé, au
jamais pouvoir amortir le capital. La dette est détriment des puissances continentales qu’ils
devenue en quelque sorte un principe de gestion contrôlaient. Ceci explique en partie les raisons
comme un autre, dont on ne peut plus se pas- pour lesquelles la dette y ait été moralement
ser. Elle offre, il est vrai, une certaine flexibilité justifiée plus tôt qu’ailleurs.
à court terme, mais obère lourdement l’avenir.
Dans la plupart des pays du monde, la dette De l’homme-débiteur au citoyen-créancier-de-
publique est devenue un mode de vie depuis ses semblables
l’après-guerre. Celle de la France est d’ailleurs
passée discrètement de 583 milliards d’euros Deux mille ans de civilisation chrétienne ont
en 1999 à 1 228 milliards en 2010. Pendant ancré dans les mentalités une répugnance morale
les Trente Glorieuses (1945-1973), personne envers la dette, laquelle combine à la fois le
ne s’inquiétait de la dette dans la mesure où la devoir et la faute (en latin « debitum » : « ce qui
croissance économique était forte (au-delà de est dû ») : devoir de rembourser et faute d’avoir
4 % par an). Or, entre 1945 et 1977, la France a emprunté. Quel que soit le point de vue consi-
continué à s’endetter, alors qu’au même moment déré, la dette est péjorative. Envers le créan-
le P.I.B. explosait littéralement. Or le regard cier pèse le soupçon d’une spéculation inique,
sur l’endettement public diffère beaucoup d’un d’une richesse mal gagnée, péché que seule

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peut ­racheter l’annulation de la créance : « Mes corvées et parfois l’attachement à la terre, en
frères et mes gens, nous leur avons prêté de l’argent échange d’une protection reçue. Débiteur de la
et du blé. Eh bien, faisons abandon de cette dette. paix garantie par le roi, il peut être convoqué
Restituez-leur sans délai leurs champs, leurs vignes, pour la guerre, en cas de menace extérieure, selon
leurs oliviers et leurs maisons, et remettez-leur la le mécanisme du ban. Débiteur envers l’Église
dette de l’argent que vous leur avez prêté 1. » Envers pour ses services spirituels, mais également
le débiteur plane le reproche de la dilapidation, médicaux et sociaux, il doit lui verser la dîme.
de la prodigalité, de la mauvaise pauvreté, voire Ce système obligataire forme autant de cercles
de la délinquance. Face aux croyants de façade, concentriques autour d’une personne qui ne sau-
endettés envers Dieu et les hommes, il ne faudra rait survivre sans l’aide continuelle des hommes
pas moins que la mort du Christ pour racheter qui l’entourent – que ce soit à l’échelon familial,
leurs créances : « Il a effacé, au détriment des ceux de la seigneurie, de son royaume ou bien
ordonnances de la Loi, la cédule de notre dette, qui de l’Église universelle. Si l’individu peut consen-
nous était contraire ; il l’a supprimée en la clouant tir à s’endetter volontairement, ses créanciers
sur la croix ! 2 » ne peuvent faire usage de taux usuraires à son
Dès sa naissance, l’homme médiéval est détriment. À l’inverse, il sera tenu de liquider
conçu, en raison du péché originel, comme un sa dette au risque d’encourir des peines allant
débiteur multiple envers ceux qui l’environnent. jusqu’à la prison. L’endettement volontaire, sans
Débiteur d’obligations envers sa famille, il est volonté de rembourser, est associé au péché 1. Le
tenu au secours mutuel envers ses frères et péché prend d’ailleurs souvent le nom de dette.
sœurs mais également à la subsistance envers Seul le Christ, par son sacrifice volontaire, libère
ses parents âgés et malades. Il est également définitivement la dette du péché. L’homme
débiteur envers l’autorité politique locale, celle
de son seigneur et maître auquel il doit impôts, 1. Selon David Graeber, anthropologue, auteur de Dette,
5 000 ans d’histoire, la dette et le péché sont le même mot
1. Livre biblique de Néhémie, 5, 10-11. dans de nombreuses langues – notamment en sanskrit,
2. Lettre de Paul aux Colossiens, 2, 13-14. hébreu, araméen ou allemand.

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doit d’ailleurs demander cette libération et y « Quant aux ténèbres que la Finance répand sur sa
acquiescer, comme l’explique David Fornerod marche, à la faiblesse que l’on a de se laisser dévorer
dans sa catéchèse universelle : « Qu’est-ce que par elle en détail au lieu de s’en débarrasser une bonne
nous demandons à Dieu quand nous lui demandons : fois par de l’ordre et de l’économie, c’est un mal ancien
“Remets-nous nos dettes ?” Nous lui demandons qu’il et presque incurable. C’est un ulcère qui attaque
nous accorde le pardon de nos crimes, n’exigeant et ronge les États, en raison de ce qu’ils semblent
pas de nous la peine que nous avons méritée. » 1 Le prospérer davantage d’ailleurs ; mais sa malignité
Christ, et l’Église à sa suite, appellent d’ailleurs est plus sensible et rebelle aujourd’hui 1. » Ce poids
à rompre la sujétion engendrée par la dette, par devient si écrasant que les Lumières procèdent à
un effacement volontaire de celle-ci. Dans le une savante mystification : pour libérer l’homme
monde d’hier, la dette est donc omniprésente des cercles concentriques de la dette, il suffira
mais liquidable par les hommes, s’ils prennent de renverser l’ordre du monde. C’est ainsi que
exemple sur Dieu. l’individu abstrait se voit soudainement sacré
En ce qui concerne la dette, la Renaissance créancier de ses semblables. Une panoplie de
se présente comme un grand enfermement de droits lui permettra de proclamer hautement son
l’homme sur l’homme. Prétendant évacuer le autonomie prétendument conquise.
Christ et ses imitateurs du champ de la pensée, Dans la continuité des Lumières, la société
l’Europe occidentale s’enferme progressivement démocratique postmoderne prétend délier
dans le cycle des obligations perpétuelles et des l’individu de toute dette. Le cosmopolitisme
­
dettes ineffaçables. Ceci signifie que la dette va
1. Simon Nicolas Henri Linguet, Annales politiques, civiles
peser d’un poids démesuré à l’échelle des indivi- et littéraires du XVIIIe siècle, Londres, 1777, t. I, p. 36.
dus et des États. À la fin du xviiie siècle, la dette Journal sans doute le plus royaliste de la pré-Révolution
est par conséquent devenue une fatalité. L’ancien – sans être un périodique ministériel – qui peut s’enorgueillir
avocat Linguet écrit, par exemple, en 1777 : de compter parmi ses lecteurs les plus prestigieux Louis XVI
et la famille royale, les Annales de Linguet atteignent à cette
1. David Fornerod, Catechèse universelle, Lausanne, David époque une diffusion approximative pour chaque numéro, en
Gentil, 1698, p. 595. comptant les contrefaçons, d’environ 20 000 copies.

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illustre par exemple la négation de toute dette, de la Renaissance. L’évacuation du champ de
de toute obligation spécifique due à la cité de la pensée d’un Dieu libérateur effaçant toute
naissance de l’individu. L’homme nouveau, qui dette, finit par écraser l’individu. La philoso-
ne conçoit son existence que dans l’instant fugace phie des Lumières tente de combler ce vide par
de la jouissance immédiate, a beaucoup de mal une mystification, celle de l’individu-créancier
à s’inscrire dans un temps historique. Ceci se de ses semblables. Dans ces circonstances, la
traduit par un refus d’assumer l’héritage d’une dette, devenue le remboursement d’une créance
civilisation, donc les dettes de ses pères, mais imaginaire, se développe logiquement de façon
également par une incapacité à se projeter dans fulgurante. Or, à titre collectif, le consentement
l’avenir. La panne de la prospective est en effet le volontaire à un endettement dont la liquidation
fruit d’un aveuglement : qui acceptera de recon- est différée de façon illimitée s’apparente à un
naître dès à présent que nos dettes écologiques et prélèvement forcé sur la génération à venir.
économiques pèseront bientôt sur la génération Il s’agit par conséquent d’un anti-don visant à la
future ? Dans ces circonstances, quoi de plus satisfaction immédiate de la jouissance de l’indi-
logique que la société individualiste postmo- vidu. Consenti par les populations les plus riches
derne préfère repousser la dette, dans un réflexe de la planète, ce prélèvement s’apparente à une
égoïste, plutôt que de chercher à la liquider, ce prédation sur le patrimoine commun à l’huma-
qui impliquerait nécessairement un sacrifice ? nité, les biens ayant une destination universelle.
S’interrogeant en 1832 sur les façons de liquider
la dette publique, le duc de Gaëte soulevait déjà La dette fait-elle de la politique ?
la vraie question : « Avait-on compté sur un refus
général du remboursement 1 » À première vue, l’endettement public semble
Ainsi, le tissu naturel des obligations liant les une opération neutre. Les créanciers d’un État
individus les uns aux autres se délite à compter n’ont aucune fonction politique ; il s’agit pour
1. Duc de Gaëte, Considérations sur la dette publique de
l’essentiel d’acquéreurs de bons du Trésor ou
France, Paris, imprimerie de Goetschy, 1832, p. 10. de titres de rentes : des petits épargnants, des

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entreprises privées, des compagnies d’assurances, dette est en effet complet. Les considérations
des banques commerciales, des banques centrales idéologiques ou géopolitiques sont, a priori,
étrangères, des fonds de pension 1. Aucun n’a étrangères à ces débats. Ce n’est jamais la légi-
vocation à dicter des choix politiques. En cas timité de la dette qui est négociée, mais son
de crise, tous les acteurs de la dette se disent amortissement. Il peut même se révéler avanta-
prêts à négocier pour éviter le pire. Les petits geux de voir une dette publique se perpétuer : si
créanciers attendent que les remboursements l’inflation est assez forte, un État peut en effet
soient accomplis comme prévu. Les banques vouloir augmenter la dette publique tout en
souhaitent maximiser l’immobilisation de leur sachant pertinemment qu’il ne pourra jamais
capital et minimiser leurs pertes. Les institutions rembourser le capital : tout au plus les intérêts.
internationales à l’instar du FMI cherchent à évi- Au-delà de son apparente neutralité, la dette
ter les faillites d’États ou de systèmes bancaires implique pourtant des choix qui influent en
qui feraient tache d’huile dans le monde. Le profondeur sur la situation d’un pays. Ainsi, les
gouvernement endetté, outre ses préoccupations orientations politiques des États dont les créan-
électorales, veut retrouver la croissance et garder ciers détiennent des titres les intéressent néces-
la main sur les décisions qui concernent son pays. sairement, et la réciproque est vraie, puisque les
Tous ont un besoin absolu de maintenir ouverte 14 000 milliards de dollars détenus en 2013 par
la négociation. Dans ce contexte, les menaces de les fonds de pension représentent une manne
banqueroute ou de révolte sociale ne sont qu’un dont aucun gouvernement ne peut se passer :
procédé très ordinaire afin de pouvoir négocier près de la moitié est d’ailleurs investie dans des
en position de force. Le consensus autour de la obligations et des emprunts d’État 1. Prétendre
se couper de telles ressources, c’est renoncer
1. Organisme financier qui gère l’épargne que des salariés à toute action internationale durable. Bien
ont constituée pour assurer leur retraite par capitalisation ­qu’apolitiques en apparence, les créanciers ne
(et non par répartition, comme en France). Ces institutions
travaillant pour une masse de petits épargnants à travers le
monde, on dit qu’ils font vivre « la veuve écossaise ». 1. D. Pelé, Le Nouvel observateur, 9 septembre 2013.

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sont donc n ­ ullement neutres. Depuis les années la Révolution française d’une part, puis de la
1990, qui ont vu la généralisation du modèle révolution libérale d’autre part. Jadis considérée
libéral américain, la majorité des détenteurs de comme temporaire et susceptible de liquidation,
créances ne sont plus des nationaux. Ainsi en la dette est devenue tout à la fois indéfinie et irré-
2010, plus de 67 % de la dette publique fran- versible. Dans une société marquée par le déclin
çaise était détenue par des non-résidents, chiffre du courage, la réaction à cette menace a été le
qui ne dépassait pas encore 28 % en 1999 1. déni et la fuite : nous vivons comme si la dette
La dette s’est, par conséquent, externalisée en n’existait pas et comme si elle ne pesait en rien
quelques années. Les États, soucieux de trouver sur la destinée des États. Or il suffit de jeter un
des acquéreurs toujours plus nombreux à leurs œil à l’histoire de l’endettement pour se rendre
emprunts, ont fait appel à des organismes étran- compte qu’il n’en est rien.
gers, susceptibles potentiellement en retour de
faire pression sur leur gestion. C’est ainsi que la
capacité a été obtenue pour des intérêts étrangers
d’exercer une véritable pression sur la politique
d’États endettés.
En somme, la dette publique se présente
actuellement comme un système opaque com-
binant échéances à long et à court termes. Loin
d’être neutre, celle-ci engage l’économie tout
entière. Or la perception de la dette a connu
un véritable renversement sous l’influence de

1. Bulletin mensuel de l’Agence France Trésor, 1er juillet 2013.


Le taux de 67 % est sous-évalué, puisque les 33 % restants
comprennent des assurances et des banques françaises, dont
une partie des capitaux sont eux aussi internationalisés.

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L’émergence historique de la dette publique

Pendant toute l’Antiquité, l’idée que le prince


ou que la cité puisse vivre endettés paraît inac-
ceptable, dans la mesure où l’économie obéit
au principe d’autarcie. Toutefois, les périodes
d’essor du commerce remettent régulièrement en
cause cette volonté d’indépendance. La tentation
pour les États consiste alors à s’endetter afin de
rejeter vers l’avenir les problèmes non résolus
du jour. Or la mondialisation des économies a
généralisé l’usage de la dette publique. Pourtant,
malgré l’étourdissement procuré par la dette, les
créanciers se révèlent un jour d’impitoyables pré-
dateurs, n’hésitant pas à se payer sur les richesses
du pays. Rejetée par le monde antique et utilisée
à titre très exceptionnel jusqu’à la fin du Moyen
Âge, le recours à la dette ne prend donc son
essor qu’avec l’âge moderne. Cet usage provoque
la faillite des monarchies continentales comme

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l’Espagne et la France, alors qu’il profite tem- il l’a dit, tu prêteras à des nations nombreuses, sans
porairement aux Républiques marchandes, qu’il avoir besoin de leur emprunter, et tu domineras des
s’agisse des Provinces Unies, de l’Angleterre, et nations nombreuses, sans qu’elles te dominent 1. »
plus tard des États-Unis. Lorsqu’elle concerne un particulier, la dette est
signe d’injustice et exige une annulation. Or la
Les empires antiques face à la dette capacité d’un État à favoriser l’annulation des
dettes intérieures est considérée comme une
Qu’il soit privé ou public, l’endettement marque de puissance. Les prophètes ne cessent
est considéré comme une défaillance par la d’appeler à l’équité, au refus de l’usure, mais
culture juive antique. L’endettement privé, cause aussi à la domination d’Israël. Ces deux exi-
d’esclavage, est relaté dans les sources mésopo- gences semblent indissociables. Vers 588-587
tamiennes du IVe millénaire avant J.-C. Les avant J.-C., Nabuchodonosor, roi de Babylone,
monarques du Proche-Orient avaient d’ailleurs assiège Jérusalem et abat le peuple juif. Au
coutume d’annuler périodiquement les dettes même moment, le prophète Jérémie reçoit de
et de redistribuer les terres, pratique mention- Dieu l’explication de la défaite d’Israël : « Vous
née dans la Bible : « Au bout de sept ans tu feras ne m’avez pas obéi en rendant la liberté [des dettes]
remise [des dettes]… Tout détenteur d’un gage chacun à son frère, chacun à son prochain. Eh bien,
personnel qu’il aura obtenu de son prochain, lui moi, je vais rendre la liberté contre vous à l’épée,
en fera remise. Il n’exploitera pas son prochain ni à la peste et à la famine… Je livrerai les princes
son frère 1. » La Tora est ainsi soucieuse d’éviter de Juda et ceux de Jérusalem aux mains de leurs
aux Hébreux l’esclavage pour dettes, mais à ce ennemis… 2. » L’annulation des dettes privées
désir de justice sociale se mêlent également des devait assurer la victoire militaire de la nation
considérations géopolitiques, puisque le texte choisie. Or, en refusant ce geste, le peuple juif
ajoute : « Si le Seigneur ton Dieu te bénit comme est précipité dans la défaite et l’exil.
1. Ibid. 15, 6.
1. Deutéronome 15, 1-2. 2. Jérémie 34, 8-20.

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Dans le monde grec antique, l’endettement de protéger la Grèce d’une attaque des Perses.
est considéré comme un procédé exceptionnel en Mais loin de se contenter d’une simple alliance,
raison du danger qu’il peut entraîner. La Grèce Athènes transforme ses liens défensifs avec les
archaïque du viie siècle avant J.-C. connaît cités de la Ligue en un rapport de soumission :
par exemple une situation d’endettement privé elle leur impose son propre ravitaillement en blé,
qui dégénère selon un cycle bien connu : une un tribut élevé, une monnaie unique, et menace
élite s’enrichit au détriment de petits paysans les récalcitrants d’opérations militaires. En pla-
paupérisés. Ceux-ci se révoltent alors qu’ils çant ses alliés dans une situation de dépendance
sont menacés d’esclavage pour dettes. Le poète financière, Athènes affermit sa domination
Hésiode dénonce alors les rois mangeurs de pré- maritime sur la Méditerranée. Par la suite, les
sents, affameurs et responsable de l’endettement. cités grecques se gardent soigneusement d’avoir
Seule l’arrivée d’un grand législateur impartial et recours à l’emprunt. Dans l’empire fondé par
sévère met fin à la crise. À Athènes, l’homme Alexandre le Grand, celui-ci reste exceptionnel
fort de la cité, Solon, élu, interdit l’esclavage et ne s’adresse qu’aux citoyens de plein droit, et
pour dettes vers 594 – décision appelée le rejet jamais aux métèques.
du fardeau –, développe l’économie rurale, met Comme la plupart des systèmes politiques
sur pied une armée forte de fantassins expéri- antiques, Rome ne connaît pas de dette publique,
mentés, prélude à la puissance athénienne qui l’État devant trouver par lui-même les moyens
marque la Grèce du Ve siècle avant J.-C. Non d’assumer ses dépenses – en particulier militaires.
contente de se libérer en interne de l’étouffement En revanche, les problèmes d’endettement des
généré par la perpétuation des dettes privées particuliers sont récurrents dans l’histoire de la
indélébiles, Athènes met en place un système République et de l’Empire, jusqu’à dégénérer
politique très efficace, visant à bénéficier des en guerres sociales, par exemple en 193-192,
services militaires des alliés endettés auprès en 64-63, puis en 49-46 avant J.-C. Bien qu’ils
d’elle. En 478, Athènes fonde avec ses alliés de soient réticents à annuler les dettes, les empe-
la mer Égée la Ligue de Délos, qui a pour but reurs seront souvent contraints à rééchelonner

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les remboursements afin d’éviter l’explosion refuser un prêt à César. La mort du prince se
sociale. Bien qu’aucune cité de l’Empire ne révèle d’ailleurs un moyen commode d’annuler
contracte d’emprunt à son égard, Rome ne se les dettes impériales. Cependant, les empereurs
prive pas de ponctionner les revenus de ses alliés, préfèrent toujours intervenir sur la monnaie afin
et ce jusqu’à leur épuisement. Pour éviter les de compenser les déficits plutôt que d’utiliser
dettes, l’État charge en réalité les riches parti- l’endettement. Un juste milieu aurait toutefois
culiers de veiller à certaines dépenses publiques été préférable, dans la mesure où le déclin inexo-
– ainsi l’armement des navires de guerre durant rable de la monnaie aux iiie-ve siècles paralyse
la Première Guerre punique contre Carthage les opérations bancaires jusqu’à faire disparaître
(264-241). Le patriotisme financier, ou évergé- les métiers d’argent pendant plusieurs décen-
tisme, est alors obligatoire. Mais cet expédient nies. Ni les particuliers ni l’État ne peuvent
ne suffit plus lors de la Seconde Guerre punique plus emprunter. La domination géopolitique de
(218-202) et il faut faire appel à des sociétés Rome a donc partiellement reposé sur le refus
de publicains, financiers qui payent à crédit de la dette publique.
le ravitaillement des armées et l’entretien des
édifices publics, en échange d’une adjudication De la pénurie des moyens à la naissance d’un
des revenus de l’État. En 210, on emprunte capitalisme d’endettement
auprès des particuliers, qui sont remboursés aux
deux tiers entre 204 et 202 ; le reste est payé en Au haut Moyen Âge, le roi de France fait
cédant des terres publiques. Devenu un Empire tout pour éviter l’endettement public. Le prêt
méditerranéen, l’État romain demeure dans une à intérêt est un péché. Le métier de banque
situation financière fragile, en particulier lors des est théoriquement prohibé – ou réservé à des
conflits. En cas de besoin, l’empereur emprunte catégories stigmatisées –, et nul ne peut s’endet-
personnellement, sachant que sa dette privée ter ni être réduit à l’esclavage pour dettes. La
sert pour les dépenses publiques. Le mélange réalité est toutefois plus nuancée, d’autant que
des dettes ne gêne pas, les financiers ne pouvant le noble « doit vivre largement », c’est-à-dire

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généreusement, et donc en s’endettant. Si la taire des terres usurpées, mais qu’elle acceptera
dette publique est inexistante durant la première en contrepartie de les concéder en usufruit aux
moitié du Moyen Âge, c’est d’abord parce que aristocrates choisis par lui. Ce système, dit de la
la notion de « bien public » s’est étiolée. Ce qui Précaire, permet à Pépin de continuer à récom-
appartient au roi carolingien relève à la fois de penser sa clientèle tout en rassurant l’Église, qui
ses biens propres, familiaux, et des domaines reste propriétaire des domaines attribués. La
qu’il détient en tant que souverain. La confusion Précaire est une manière typiquement médié-
entre les deux est totale. Le roi ne peut gouverner vale de contourner la dette publique. Quatre
endetté, car ses troupes réclament des récom- siècles plus tard, Philippe Auguste (1180-1223)
penses concrètes et non des promesses. Dans un parvient à reconquérir l’essentiel des domaines
royaume Franc instable où les princes se font la possédés sur le continent par le roi d’Angleterre
guerre, on ne conserve pas son trône à crédit. Jean sans Terre, assurant le paiement de ses
Il existe toutefois un contre-exemple original. troupes sur ses fonds propres grâce à des taxes
Pour asseoir son pouvoir, Charles Martel doit et aux revenus de son domaine. Les moines
faire face à une guerre civile dont il sort vain- Templiers, à la fois soldats de la Croisade et
queur en 720. Mais pour s’assurer le ralliement grands propriétaires en Europe, versent toute-
de ses ennemis et récompenser ses guerriers, fois à Philippe des avances sur recettes. À cette
Charles distribue des abbayes et des églises époque, les comptes de la monarchie semblent
comme s’il s’agissait de cadeaux, sans s’inquiéter avoir été toujours excédentaires.
des mœurs des soldats auxquels il les donne. Le xiiie siècle marque en revanche la nais-
Pour éviter l’endettement public, il pratique sance d’un capitalisme d’endettement. Saint
une large spoliation des biens d’Église, jusqu’à Louis (1226-1270) a la réputation d’avoir insti-
menacer les évêques s’ils ne lui accordent leur tutionnalisé la dette publique. En effet, à comp-
soutien. À la mort de Charles Martel, en 741, ter de cette époque, le Capétien ne parvient plus
son fils Pépin le Bref doit réparer ces spoliations à « vivre du sien », comme l’adage l’y oblige. Le
en déclarant que l’Église redeviendra proprié- roi emprunte de façon régulière puis permanente

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aux banquiers du royaume, templiers, juifs et Flandre et l’Italie, mais ruine sa réputation et
Lombards, quitte à les expulser en effaçant l’enferme dans une violence arbitraire, puisqu’il
arbitrairement leurs créances, comme en 1269. confisque les biens des juifs en 1306, puis ceux
À cette époque, au jeu de la dette s’ajoute celui du Temple en 1307. Si les Capétiens jouent
de la monnaie, que l’on déprécie à loisir. L’expert sur la dette publique et la monnaie, tous les
dans ce domaine est sans aucun doute Philippe monarques n’en abusent pas, car l’équilibre des
le Bel (1285-1314), qui expulse ou emprisonne comptes demeure l’idéal. En 1332, les comptes
à deux reprises ses créanciers lombards (1291 prévisionnels de Philippe VI de Valois montrent
et 1311). Ses recettes ordinaires, situées autour un excédent de 50 000 livres, dont 70 % viennent
de 400 000 à 600 000 livres tournois par an, du domaine royal. À l’inverse, le roi consacre
sont complétées par des revenus extraordinaires 60 000 livres par an à des rentes distribuées à
(taxes, décimes, tailles…). Une taille sur les juifs des princes ou des seigneurs afin de les fidéliser.
rapporte alors 200 000 livres. En 1293, Philippe Il habitue certains féodaux à un train de vie per-
le Bel lance un emprunt forcé sur les bourgeois mis par l’argent public, et joue ainsi à endetter
du royaume pour 630 000 livres, qui ne sera des ennemis potentiels. Pourtant, Philippe VI
jamais remboursé. Il procède aussi à un emprunt lui aussi pratique les emprunts libres (1330,
forcé sur les officiers royaux et les prélats pour 1346, 1348) ou forcés (1351, 1360), mais il est
50 000 livres, mais celui-ci doit être amorti, contraint de faire appel aux États généraux en
signe que la dette s’adapte à la population qu’elle 1358 face à l’effroyable situation économique.
touche. En contrepartie, le roi engage les revenus Les xive-xve siècles voient, quant à eux, la
de son domaine, multiplie les garanties, et va naissance d’un capitalisme financier qui contri-
jusqu’à emprunter quelques centaines de livres bue à faire de l’endettement public une pratique
aux clercs de son entourage en leur demandant moderne et courante. En Italie du Nord, à la
d’emprunter pour lui prêter… Cet afflux de faveur des troubles et des guerres, des associa-
capitaux offre à Philippe le Bel des moyens non tions de riches citoyens, marchands, prélats et
négligeables dans sa lutte contre la papauté, la bourgeois se constituent à Gênes, Florence et

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Venise pour prêter aux responsables communaux En effet, tant que les monarques ou les cités se
et subvenir ainsi à la défense de la cité. Ces contentent d’expédients bancaires, d’emprunts
associations deviennent progressivement de véri- forcés, de taxations abusives, et donc en réalité
tables banques, à l’instar de la Casa di San Giorgio d’une dette flottante, celle-ci reste supportable.
de Gênes. Ayant acquis un capital énorme, elles Avec la Renaissance, en revanche, se mettent en
prêtent bientôt aux princes, à d’autres cités et à place les premières tentatives pour consolider la
de riches particuliers. Ayant profité de l’endette- dette, c’est-à-dire pour la perpétuer.
ment de leur propre cité, les compagnies font de
même auprès des États européens, en échange de La Renaissance, premier âge d’or de la dette
l’octroi de revenus publics. Les rois d’Angleterre publique ?
Édouard Ier et Édouard II (1307-1327) cèdent
ainsi aux Frescobaldi de Florence l’exploitation Au xve siècle, l’afflux de l’or et de l’argent des
des mines d’argent du Devon, la ferme des reve- Amériques enrichit considérablement l’Espagne
nus royaux d’Irlande, des comtés de Ponthieu, puis l’Europe, tandis que les besoins croissants
de Montreuil, du duché de Guyenne et les droits des États les poussent à étendre leur contrôle
de douane des ports anglais. Le roi Édouard III sur de nouveaux pans de l’économie, autrefois
(1327-1377) s’affranchit de cette dépendance laissés à l’entreprise individuelle. De leur côté,
lorsqu’après avoir largement emprunté auprès marchands et financiers se regroupent sous la
des Florentins, il annonce qu’il ne remboursera forme de compagnies puissantes et internatio-
rien en raison de ses défaites en France, préci- nales. Dans l’euphorie de la conquête américaine
pitant dans la faillite les compagnies Peruzzi et fascinés par l’empire de Charles Quint, les
(1343) et Bardi (1346). Leur ruine financière banquiers Fugger acceptent de lui prêter sans
accompagne celle de Florence. La dette, qui garanties ni même de gages. Chaque année, plu-
avait fait la fortune de la cité, signe sa perte. sieurs prêts sont contractés en faveur de l’empe-
Le Moyen Âge n’est donc pas, à proprement reur, jusqu’à constituer 80 % des 5,6 millions de
parler, une époque acceptant la dette publique. florins d’actifs des Fugger en 1563. Bien sûr, les

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banquiers obtiennent des privilèges en retour, consentis par les créanciers de la monarchie
notamment la ferme des mines d’Almadén, mais furent de plus en plus élevés et l’État finit par
ils perdent simultanément la sécurisation de se révéler incapable de les payer. Le xvie siècle
leurs transactions. En 1560, l’État ne contrôle fut ainsi le « siècle d’or » de l’Espagne ; toutefois
plus que 2 % de ses rentes ordinaires (contre son endettement précipita le royaume dans un
40 % en 1540). Par voie de conséquence, lorsque déclin économique et politique dont elle ne se
l’Espagne déclare la banqueroute en 1560 en releva, qu’à peine, au xixe siècle. La défaite de
raison d’un déficit de 15 millions de ducats, les l’Invincible Armada en 1588 contre la Navy en
Fugger sont ruinés. Les Habsbourg d’Espagne est une bonne illustration, l’Espagne ne pouvant
avaient en effet pris l’habitude de vivre au-dessus alors plus assumer les frais d’armement de son
de leurs moyens. Malgré son effet catastrophique escadre.
pour leur réputation, ils s’étaient habitués, en Imitant l’exemple espagnol, les Valois et les
cas de difficulté de remboursement des prêts Bourbons de France optent pour le système de la
à court terme, à convertir de force leur dette double dette : flottante et consolidée. La surcharge
flottante en dette consolidée. L’autre expédient des dépenses dues aux guerres oblige les rois de
était d’annoncer périodiquement la cessation des France, dès le début du xvie siècle, à élargir leurs
paiements et la banqueroute (1557, 1560, 1575, possibilités d’emprunt. La multiplication des
1596, 1607, 1627, 1647). Malgré ces faillites prêts noués avec les banquiers de Lyon devient
successives, ils augmentèrent leurs dépenses de insuffisante. Le 2 septembre 1522 est mis au
guerre, passant de 1,6 million de ducats de dette point le système des « rentes sur l’Hôtel de Ville
flottante en 1560 à 4,6 en 1598 et 50 millions en de Paris » : un emprunt public de 2,4 millions
1600. Leurs bilans financiers montrent que leurs de livres proposé à un taux de 8,3 %. En 1523,
dépenses ordinaires furent accaparées de façon la vénalité des charges publiques, décision qui
croissante par les intérêts de la dette consolidée aliène chaque office royal sur une génération
(62 % des dépenses en 1598 ; le chiffre ne des- sans contrepartie absolue d’efficacité, est décidée.
cendit jamais en dessous de 51 %). Les intérêts Les deux décisions sont complémentaires dans

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leur principe. Il s’agit d’une part (où est l’autre la France peut payer ses intérêts, le poids global
part ?) de demander au particulier de financer le de l’endettement devient très élevé, puisqu’on
déficit de l’État en acceptant sa conséquence – l’estime à 80 % de la richesse du royaume. Face
l’abdication de l’autorité publique. À sa mort, en à ses besoins, la monarchie absolue améliore
1547, François Ier laisse une dette flottante de l’organisation des services financiers et de sa
7 millions de livres tournois, qui correspond à un fiscalité, mais poursuit les méthodes anciennes :
an de recettes. À la mort d’Henri II, en 1559, jeu monétaire, taxations, vénalité des offices,
elle est désormais à 40 millions. Henri avait bien exemptions pour les ordres privilégiés, et bien
essayé de la consolider en 1555 en promettant de sûr endettement. Louis XV (1715-1774) conti-
payer ses créances sur dix ans, mais il dépassa le nue de s’endetter de façon exponentielle. La
plafond autorisé et fut acculé à la banqueroute guerre de Sept Ans (1756-1763), qui voit la
en 1558. L’année précédente, il avait été battu défaite de la France, en est l’une des causes prin-
par Philippe II d’Espagne et dut renoncer à sa cipales. En 1767, le service de la dette accapare
politique d’expansion en Italie. La concordance 38 % des recettes. Le roi, surendetté auprès de
des dates est étonnante. ses alliés, leur annonce qu’ils doivent abandonner
Sous les Bourbons, la dette publique continue une partie de leurs créances, lesquelles passent
de croître. Certes, Louis XIV (1643-1715), for- après négociation de 90 à 33 millions de livres.
tement influencé par son ministre Colbert, fait On ne verse d’ailleurs cette somme que très
preuve d’une gestion financière beaucoup plus lentement, et avec retard. Le contrôleur général
stricte, le service de la dette 1 se réduisant à une Henri Bertin avoue à propos de la situation des
moyenne de 15 à 20 % du budget. Toutefois, si finances : « Le tronc est pourri. » Son successeur,
Clément de L’Averdy, se refuse à la banque-
1. Le service de la dette comprend à la fois le paiement route et instaure en décembre 1764 l’Édit de
des intérêts des emprunts engagés et le remboursement du libération des dettes de l’État. Celui-ci consiste
capital des mêmes emprunts. Plus les intérêts l’emportent
dans le service de la dette, moins l’État devient capable de
à garantir le remboursement de la dette et à
rembourser l’intégralité des sommes avancées. aménager son amortissement grâce à des taxes,

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à la réduction forcée des créances, et surtout à L’inflation de la dette, une invention anglaise
la fiscalisation des rentes. Sa politique permet
d’assainir une partie de la comptabilité royale. Bien que dénué de formation comptable,
Mais parallèlement, afin de continuer la guerre, Napoléon s’attelle aux questions financières
on lance 50 millions de livres de dettes, ce qui avec un acharnement peu commun, son obses-
ruine les efforts de L’Averdy. L’endettement sion étant de parvenir à l’équilibre budgétaire.
de la monarchie ne peut donc déboucher que Il écrit à ce propos : « Une nation n’a de finances
sur une crise. En 1788, le dernier budget de la que lorsqu’elle peut subvenir à tous ses besoins, en
monarchie absolue déclinante, alourdi par la paix comme en guerre ; lorsqu’elle peut faire la guerre
guerre d’Indépendance américaine, donne un sans avoir recours aux emprunts, qui ne sont qu’un
état des dépenses qui se monte à 629 millions jeu d’anticipation ruineux 1. » L’Empereur a bien
de livres, dont 310 sont dévolus au service de la compris que l’absence de dette publique consti-
dette. Sur cette somme, le quart seulement est tue l’une des conditions de la puissance politique
consacré au remboursement du capital (4 mil- de l’Empire. Napoléon parvient à augmenter ses
liards de livres) ; le reste est dévolu au paiement recettes grâce aux conquêtes, à la rationalisation
des intérêts. On estime cet endettement public de la fiscalité et à la mise en place d’un cadastre.
à 80 % du P.I.B. 1. Le budget est alors déficitaire Toutefois, la guerre, permanente après 1803,
de 130 millions de livres. Si le roi convoque les absorbe les deux tiers du budget. En outre, si les
États généraux, c’est bien parce que l’endette- emprunts sont peu pratiqués, ils sont compen-
ment n’est plus tenable. Cette situation finan- sés par une politique de pillage et de ponctions
cière provoque la Révolution, qui épure (apure ?) obligatoires sur les pays vaincus.
les comptes en confisquant les biens du clergé et Au rebours des évolutions napoléoniennes,
des nobles émigrés. l’extraordinaire expansion industrielle et finan-
cière anglaise des xviiie et xixe siècles ­généralise
1. À titre de comparaison, en 2011, l’endettement de la
Grèce était de 163 % du P.I.B., et 86 % celui de la France, 1. Note pour l’exposé de la situation de l’Empire,
selon le F.M.I. octobre 1808.

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l’extension de la dette publique, tout en modi- Avant le milieu du xixe siècle, l’Europe
fiant ses acteurs. Le débiteur n’est plus seule- libérale et industrielle a assez peu de préten-
ment un roi dont les engagements s’effacent à tions coloniales. Gérer des territoires instables
sa mort, mais un État, immortel, sans visage, n’aurait rien ajouté aux profits du commerce
jugé responsable ad æternam des promesses faites avec l’Afrique ou l’Empire ottoman. Avec la
par ses gouvernants. La nature des emprunteurs récession initiée en 1873, la fin des grands chan-
change, elle aussi. En effet, grâce à l’ouverture tiers ferroviaires et l’afflux massif des dépôts des
de banques de dépôt et de bourses de valeurs, petits épargnants, l’Europe dispose de capitaux
le public peut acheter la dette de l’État, par- inactifs qu’elle exporte dans les régions où les
ticulièrement attractive lors des crises éco- gouvernements sont prêts à s’endetter à des taux
nomiques en raison de son caractère garanti. élevés, soit à plus de 10 %. Cette évolution se
L’industrialisation et l’extension de la fiscalité trouve à l’origine de l’endettement de la Chine,
accroissent les recettes des États européens. Mais de l’Empire ottoman et de l’Égypte. Afin de
alors que l’impérialisme économique s’avère ren- garantir le paiement des intérêts gigantesques
table, l’impérialisme colonial coûte cher. Dans des prêts consentis, les armées européennes
ces circonstances, les gouvernements ont recours menacent les autorités locales, lancent des coups
à la dette publique, désormais facile à contrac- de force pour obtenir de nouvelles concessions,
ter grâce à l’ouverture des marchés financiers. de nouveaux emprunts ou encore la levée de taxes
En 1811, les recettes du Royaume-Uni sont de douanières, prélude à l’entrée massive des pro-
69 millions de livres sterling pour 5 millions de duits manufacturés. La colonisation européenne
dette publique (soit 7 %). Cent ans plus tard, le n’aurait jamais été possible sans l’endettement
premier chiffre atteint 204 millions, et le second, des territoires convoités. En 1913, 73 % de ces
46 millions (soit 22 %). La dette flottante se capitaux européens avaient en effet été investis
développe avec des taux très élevés (12 à 25 % en dehors du continent européen.
l’an). Toutefois, la croissance générale endort
tous les scrupules.

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Les États-Unis, principaux bénéficiaires de Toutefois, les véritables créanciers étant amé-
l’endettement européen au xxe siècle ricains, les États-Unis font pression sur la
France et l’obligent à quitter la Rhénanie. Le
Entre 1914 et 1945, la dette enfle mais demeure Cartel des Gauches (1924-1926) joue lui aussi
infructueuse. Aucun pays d’Europe n’a en effet sur la dévaluation du franc afin de limiter les
anticipé la durée de la Première Guerre mondiale. remboursements des emprunts du Bloc national
La France n’a constitué aucune réserve et veut (1919-1924), arrivés à échéance. On demande
soutenir la valeur du franc tout en multipliant secrètement à la Banque de France d’élever le
les émissions de monnaie par quatre. L’inflation plafond de ses avances, lequel est rapidement
explose. Pour subvenir aux dépenses de guerre sans crevé. Édouard Herriot accuse le « Mur de
passer par les impôts, il faut procéder à deux types l’argent », mais ne prend guère les moyens
d’endettement massifs : l’endettement intérieur de ralentir l’inflation galopante. La situation
grâce à des emprunts publics (l’emprunt de 1915 à devient insoutenable. Les gouvernements effec-
long terme aura un taux de 7 %), et l’endettement tuent de nouveaux emprunts auprès des banques
extérieur par l’appel à l’aide aux États-Unis, pour américaines. En contrepartie, le gouvernement
plus de 35 milliards de francs. Entre 1913 et 1920, accepte de mauvaise grâce d’aménager les répara-
la dette publique de la France et du Royaume-Uni tions allemandes, conformément au plan Daves
est multipliée par huit. Après la guerre, la perspec- de 1924. Le remboursement de la dette française
tive des 132 milliards de Marks or de réparations est fixé proportionnellement aux exportations ;
que paieront les Allemands fait entrevoir l’espoir toutefois, la grande crise économique réduit ces
d’une réduction de l’endettement public. Mais efforts à néant et les États-Unis suspendent la
la dévaluation du Reichmark entraîne Raymond dette européenne tout en interdisant le consen-
Poincaré à obtenir des dédommagements maté- tement à de nouveaux emprunts envers leurs
riels. En 1923, la France envahit la Rhénanie pour débiteurs. La Finlande est en fin de compte
se payer en nature. La dette publique réveille les le seul pays à rembourser l’intégralité de ses
ardeurs nationales françaises. créances de guerre. Parallèlement à ces déboires

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financiers, l’Europe perd progressivement pied dès 1944 au prêts-bails américains, imitant ainsi
dans ses colonies, et ne peut ralentir la montée le Royaume-Uni qui, dès 1941, avait accepté
en puissance des régimes soviétique et nazi l’aide financière et matérielle des États-Unis.
– nullement contrée par les États-Unis. Cette Après le conflit, le président Harry Truman
situation empire au cours de la guerre, période poursuit cette politique d’aide économique,
pendant laquelle le régime de Vichy, écrasé par ciblant délibérément le Royaume-Uni afin de
les frais d’Occupation (300 millions de francs saper définitivement les fondements financiers
par jour), imprime des billets sans valeur pour du vieil Empire. Il élargit ensuite sa politique à
payer ses dettes envers l’Allemagne nazie tout en l’ensemble de l’Europe de l’Ouest en lançant en
empruntant auprès du public et en puisant dans juin 1947 le Plan Marshall, vaste programme de
les réserves de la Banque de France. En 1941, soutien matériel – et parallèlement de sujétion
70 % des 1 600 milliards de francs de recettes du continent européen par le biais de l’endette-
sont constitués par ces emprunts et ces avances. ment. Des prêts sur trente-cinq ans sont consen-
Quant aux 1 750 milliards de dépenses, la moitié tis pour des achats de matériels et de denrées de
était prélevée par l’armée allemande. La période base, et 146 milliards de dollars sont versés sous
de l’entre-deux-guerres montre par conséquent forme de dons au Trésor public. Les États-Unis
à quel point l’endettement public, associé à la déclarèrent publiquement en 1952 que leur plan
dévaluation, contribue à l’affaiblissement général avait été un échec, arguant qu’une trop grande
de l’Europe. part aurait été dépensée dans des secteurs non
Entre 1945 et 1973, les États-Unis per- prioritaires, tout en se félicitant en privé de
mettent le relèvement économique de l’Europe, l’écoulement des stocks improductifs des États-
toute en le conditionnant à son endettement à Unis et du rattachement de l’Europe de l’Ouest
long terme. Pour assumer les frais de la Seconde au bloc Atlantique.
Guerre mondiale puis la reconstruction, le Rassurés par la croissance des Trente
Gouvernement provisoire du général de Gaulle Glorieuses, inspirés tout à la fois par le keynésia-
ne trouve d’autre alternative que de souscrire nisme (intervention de l’État dans les ­structures

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économiques) et les programmes sociaux, les des pays en développement atteint 67 milliards
gouvernements européens adoptent l’idéal de de dollars, soit 14 % de leur P.I.B. Toutefois,
l’État-providence. La dette flottante augmente 85 % demeurent sous contrôle du FMI et des
dans les années 1960 sans toutefois peser sur la gouvernements occidentaux. Les États-Unis
santé des États, puisque la croissance pallie les en profitent pour exercer de fortes pressions
incertitudes budgétaires. La dette consolidée politiques sur les pays endettés d’Amérique
n’a alors rien d’oppressif. Celle des États-Unis latine afin que ces derniers renforcent leur lutte
passe d’ailleurs de 120 % du P.I.B. en 1945 à contre le communisme. En 1973, la dette de ces
22 % en 1971. Pourtant, les dernières guerres pays grimpe à 111 milliards de dollars, puis à
coloniales imposent un certain endettement. En 457 milliards en 1979. Le choc pétrolier – et sur-
1958, la France doit supporter un supplément de tout l’augmentation des taux d’intérêt – accentue
dépenses de 300 milliards de francs en raison des donc un phénomène déjà engagé. Les gouverne-
opérations d’Algérie. L’appel aux banques amé- ments hésitent alors entre deux politiques : sau-
ricaines permet de renflouer les caisses afin de ver l’État-providence en continuant à s’endetter
faire face aux troubles. Toutefois, les pressions ou, à l’inverse, limiter les déficits publics, quitte à
américaines exercées sur la France afin qu’une fragiliser la cohésion sociale. Les années Mauroy
solution pacifique soit négociée avec le FLN ne en France voient la dette exploser à 450 milliards
laissent guère le choix aux hommes politiques de francs en 1983. Pourtant, quelques embellies
de la IVe République. Le général de Gaulle dans la récession permettent d’amortir les dettes
en tire les conséquences vis-à-vis de l’Algérie, contractées. De nouveaux capitaux sont investis
s’inclinant devant ses créanciers alors même que dans les années 1980 par les pays pétroliers. On
la situation est stabilisée militairement. les voit prêter aux banques occidentales en dif-
Lorsque la crise éclate au début des années ficulté, puis bientôt aux pays émergents (Corée,
1970, ni les fluctuations monétaires ni la fiscalité Hongkong, Taïwan…). Le FMI et les États
ne peuvent plus cacher l’ampleur de l’endette- occidentaux, touchés par la crise, retirent leurs
ment public dans le monde. En 1970, la dette capitaux des pays en développement et laissent

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la place à des organismes privés dont le moteur leçons du passé sont pourtant vite oubliées, et
est la rentabilité. Ces acteurs, convaincus que aucun garde-fou n’est mis en place. En 2007
les emprunts n’ont plus rien d’intéressant en apparaît au grand jour l’ampleur de l’endette-
Europe, se dirigent alors vers l’Amérique latine ment privé des ménages Américains. À l’image
et l’Asie du Sud-Est. En quelques années, la des troubles qui agitaient régulièrement la
dette africaine passe sous contrôle des banques République romaine, l’endettement privé dégé-
commerciales. Malgré les alertes de la décennie nère en crise globale. Les États-Unis ont réussi
précédente, les gouvernements continuent à alors à déporter le poids de l’effondrement finan-
s’endetter, fascinés par les illusions du modèle cier sur l’Europe. En ce faisant, ils se comportent
américain dont le taux de croissance est alors tout comme Venise, qui avait ruiné en 1340 sa
supérieur à 4 % par an. En août 1982, le gou- rivale florentine après avoir contribué à la for-
vernement mexicain annonce toutefois qu’il ne mation d’une gigantesque bulle financière depuis
peut plus rembourser ses créances, dont la moitié la fin du xiiie siècle. Par le biais des subprimes,
de dette flottante. Le service de la dette mobilise d’innombrables banques européennes sont pous-
alors 57 % des recettes du Mexique et 81 % de sées à la faillite. Le défaut de remboursement
celles du Brésil. Le FMI intervient pour accorder des particuliers met en difficulté les banques puis
de nouveaux prêts, mais impose la rigueur. bientôt les États venus à leur secours pour éviter
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, la contagion à l’économie globale en renflouant
le modèle libéral anglo-saxon devient la norme. les organismes financiers menacés. Pour ce faire,
Par voie de conséquence, l’endettement public les gouvernements empruntent eux-mêmes des
se généralise. Après les années 1980, les insti- capitaux qu’ils n’ont pas. Les créanciers sans
tutions financières mettent au point un discours argent s’endettent… L’État devient l’ultime
rassurant selon lequel la dette ne serait qu’une recours, pourtant illégitime, dans le domaine du
forme comme une autre de gestion financière. crédit aux particuliers. Cette évolution brutale
L’embellie des années 1990 semble le confirmer a pour conséquence l’érosion inédite des pou-
puisque la France se désendette lentement. Les voirs de l’État. La dette des pays de la Triade

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(États-Unis, Union européenne, Japon) s’accroît du xxe siècle, la guerre se présente comme la
inévitablement, tandis que celle des États-Unis première cause d’endettement. Depuis soixante
passe de 64 % du P.I.B. en 2006 à 83 % en 2010. ans lui succèdent les dépenses croissantes de
Lorsqu’il faut venir en aide à la Grèce à partir de l’État-providence. En tout état de cause, une
2010, les mêmes États surendettés empruntent dette publique élevée se solde inévitablement par
à nouveau pour prêter à des taux supérieurs. une perte de contrôle sur l’économie nationale.
Leurs créanciers sont, comme de coutume, de
petits épargnants, mais surtout de nouvelles
puissances émergentes, désormais productives
– qu’il s’agisse du Brésil, de la Russie, de l’Inde,
de la Chine ou de l’Afrique du Sud. L’essentiel
de la dette américaine passe alors sous contrôle
des capitaux chinois. Le pouvoir de la Triade a
ainsi été annihilé dans un silence assourdissant.
La crise économique des années 2007-2013
confirme en fin de compte la fin de l’hégémonie
occidentale au profit d’un monde multipolaire.
Rejetée par le monde antique et utilisée à titre
très exceptionnel jusqu’à la fin du Moyen Âge,
le recours à la dette ne prend donc son essor
qu’avec l’âge moderne. Cet usage provoque la
faillite des monarchies continentales comme
l’Espagne et la France alors qu’il profite tem-
porairement aux Républiques marchandes, qu’il
s’agisse des Provinces Unies, de l’Angleterre,
et plus tard des États-Unis. Jusqu’au milieu

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La dette utile et ses justifications
Au xiiie siècle, le théologien Thomas
d’Aquin s’interroge sur la légitimité des mou-
La dette peut-elle être vertueuse vements financiers. Dans sa Somme théologique,
pour l’économie ? il pose la question suivante : « Faut-il tarder à
rendre un bienfait ? », c’est-à-dire à la fois une
faveur et un prêt bancaire. La réponse qu’il
formule pourrait convenir à des États endet-
Est-il juste de souscrire à l’idée commu- tés : « Une dette légale doit être acquittée tout de
nément répandue de la dette vertueuse ? Ce suite ; autrement le principe d’égalité, essentiel à
débat très ancien mérite une réponse nuancée. la justice, serait violé si le débiteur retenait ce qui
En effet, l’endettement ne représente rien de appartient au créancier malgré celui-ci. » Saint
moins qu’un appel à la générosité des créanciers. Thomas considère par conséquent la dette
Il en résulte que la multiplication des endette- comme un échange de services et une entraide.
ments croisés a pour effet indirect de lier les Celui qui prête le fait par amour pour son
individus et les États les plus dissemblables. prochain et n’attend pas de retour. En effet, la
L’endettement serait par conséquent facteur de dette est presque un don. Son débiteur, porté
paix. En même temps, force est de reconnaître par le même amour, fait tout pour rendre ce
que les créanciers n’hésitent pas à abuser de qui lui a été donné, non pour rembourser mais
leur pouvoir pour organiser la sujétion des États pour prouver son affection. Et pour ce faire,
débiteurs. il rend plus que la somme initiale : ce sont
les intérêts. La relation du créancier au débi-
teur étant presque conçue comme un don, il
devient possible d’envisager la possibilité d’un
non-retour.

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Pour les utilitaristes en revanche, la dette assurant qu’il était nécessaire à la fluidité des
publique n’est bénéfique que si elle est employée capitaux, les autres qu’il permettait de maintenir
utilement. Il convient par conséquent d’évaluer la cohésion sociale 1. Dans les deux cas, la dette
la capacité d’amortissement de chaque pays, n’a pas été considérée comme un mal nécessaire
comme le font les agences de notation. Ce n’est mais plutôt comme un bien commun. Dans
pas la dette qui déclenche les crises mais le une optique relativiste, la dette ne serait qu’un
non-respect de leurs engagements par les États ressenti subjectif, variant selon les lieux. Tout
et les organismes financiers. En 1936, John ne serait qu’un problème de prise de conscience
Keynes, dans sa Théorie générale de l’emploi, de des masses, appelées à se libérer d’un esclavage
l’intérêt et de la monnaie, défend l’endettement qui n’existe que sur le papier.
public par l’emprunt et la limitation de la fisca- Il est vrai que l’allégement, voire l’annula-
lité. Il imagine d’ailleurs, à travers une fable, les tion de la dette, ne règle pas nécessairement
conséquences probables de l’absence d’endette- les problèmes de fond, dans la mesure où la
ment : « Aucun seigneur maintenant ne s’honore générosité des créanciers se présente comme
de vivre aux dépens de ses créanciers. On fuit la une invitation à se réendetter. La grande cam-
dépense comme une faute. » De fait, l’endettement pagne d’annulation de la dette du tiers-monde
réciproque favorise à tel point l’interdépendance pour 2000 réclamait l’effacement d’un montant
que cela freine les politiques militaires agressives. de 100 milliards de dollars, somme qui ne
Ainsi, le fait que la dette publique américaine représentait alors qu’un dixième de la dette des
soit actuellement détenue par des institutions
1. Déjà en 1891, le journal espagnol Revista Minera
financières chinoises limite le risque de conflit constatait la nécessité de la dette tout en la déplorant : « Si
entre les deux nations. En raison de la dange- le capital étranger ne s’investissait pas constamment en
rosité de la crise débutée en 2008 et des besoins Espagne, soit pour fournir directement ou indirectement
financiers qui en ont résulté, défenseurs et des fonds pour les dépenses publiques, soit pour créer de
nouvelles entreprises de toute nature, nous arriverions à la
contempteurs de la mondialisation économique banqueroute peu de mois après l’interruption de ce flux de
ont voulu justifier l’endettement public, les uns capital étranger vers l’Espagne. »

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États-Unis. Or les allégements partiels n’ont La dépendance économique, compagnon
nullement modifié la situation de dépendance inséparable de la dette
des pays bénéficiaires. Le cas de la République
Démocratique du Congo est particulièrement Existe-t-il un seuil au-delà duquel la dette
révélateur. Entre 1976 et 2010, le pays bénéficie publique devient intolérable ? C’est peu pro-
de onze campagnes de rééchelonnement de sa bable. En effet, chaque pays construit son
dette extérieure et de cinq annulations cumu- endurance propre en fonction de sa situation
lant 14 milliards de dollars. Les acteurs de ces économique, de la capacité à supporter les diffi-
aménagements – les plus importants accordés à cultés ou encore de l’autorité de ses responsables
un État d’Afrique – sont le Club de Paris 1, le politiques. Par conséquent, la dette n’exerce pas
FMI et la Banque mondiale. Grâce à ce soutien, la même pression sur les États. Au début des
l’endettement de la RDC par rapport à son années 1980, la Côte d’Ivoire avait dépassé un
P.I.B. passe de 123 % en 2009 à 29 % en 2011, seuil d’endettement qui semblait insoutenable :
mais doit remonter à 34 % en 2014 2. Le pays plus de 200 % de son P.I.B. Pourtant, c’est au
reste d’ailleurs inscrit aux PPTE 3. moment où ce chiffre baissa pour atteindre
80 % en 2010 que le pays connut une implo-
sion politique (2002-2011). Dans ce cas précis,
la dette ne fut pas un facteur déterminant de
1. Groupe de pays créanciers qui examinent à intervalles
l’instabilité. A contrario, la Révolution française
réguliers la situation financière des pays en développement fut provoquée par un simple endettement de
les plus endettés et procèdent à des rééchelonnements de 80 % du P.I.B., dans la mesure où les structures
dettes. sociales et politiques étaient contestées par ceux-
2. Conférence de B. Mawaka Lubembo, directeur
général de la Direction de la dette publique, « Revue de là même qui bénéficiaient de leur protection.
de la gestion de la dette publique de la R.D.C. », Kinshasa, Il n’y a donc pas de critère objectif déterminant
septembre 2012. le seuil au-delà duquel une dette publique peut
3. « Pays pauvres très endettés » profitant d’allégements
dégénérer en conflit majeur ou aboutir à la
périodiques de leur dette.

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s­ ujétion économique. Si débiteurs et créanciers de l’Angleterre qui profite de l’endettement du
ont toujours intérêt à négocier pour éviter la pays pour empêcher la naissance d’une indus-
rupture, l’opinion publique peut réagir à tout trie locale. Croyant profiter indéfiniment des
moment à ce qu’elle en droit de percevoir comme financements européens, les jeunes nations
une humiliation nationale. Ainsi, les discussions d’Amérique latine cèdent de larges pans de leur
entre les membres de l’Union Européenne pour économie. La plupart des ports passent sous
établir des plans de sauvetage de la Grèce, de contrôle anglais ou français. Le Chili privatise les
Chypre et du Portugal ont été des échecs, car immenses richesses de ses mines de cuivre. En
conduites en circuit fermé. En écartant l’opinion 1920, les 100 000 kilomètres de chemins de fer
publique, on facilitait les conditions de négocia- du sous-continent sont essentiellement exploi-
tion en préparant simultanément l’explosion des tés par des compagnies britanniques. Le pré-
mécontentements quelques semaines après. sident mexicain Porfirio Diaz (1876-1911) tente
L’évolution économique de l’Amérique du alors de racheter des entreprises pour retrouver
Sud au xixe siècle illustre bien la dépen- une autonomie économique, mais l’endettement
dance économique générée par l’endettement. s’avère déjà trop élevé. Voulant garder la main-
L’euphorie domine alors le sous-continent, qui mise sur les gisements de nitrate de l’Atacama, le
exporte en Europe le cuir et la laine argentines Pérou les nationalise mais est incapable de rem-
comme le blé chilien. Toutefois, les Européens bourser les actionnaires des compagnies exploi-
exigent en contrepartie l’ouverture des frontières tantes et s’endette. Après la Guerre du Pacifique
douanières à leurs produits manufacturés, et (1879-1883) qui oppose la Bolivie au Chili autour
par conséquent à la concurrence. Or les Sud- de l’Atacama, la défaite bolivienne donne au Chili
Américains enrichis, loin d’investir leurs capi- de nouvelles ressources, mais l’endettement dû à
taux dans une industrie productive (à l’exception la guerre oblige bientôt le gouvernement chilien à
de Sao Paulo), préfèrent les immobiliser dans céder l’exploitation des nitrates, dont le monopole
les domaines ruraux. Dès son indépendance en revient à un Britannique, John North, surnommé
1822, le Brésil devient une colonie économique King Nitrate.

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Les évolutions de l’Égypte du xixe siècle tenue par des Européens. À son conseil, deux
illustrent également une mise sous dépendance ministres sur trois sont anglais ou français. Pour
économique spectaculaire, pour cause d’endet- liquider sa dette, il sacrifie quasiment l’ensemble
tement. Attiré par la modernité occidentale, le des recettes de l’État (douanes, Régie des tabacs,
vice-roi d’Égypte, Méhémet Ali (1804-1849), sel, fermages, péages, chemins de fer, ports…).
lance des projets d’industrialisation et de produc- Sa tentative de coup d’État en 1879 pour rétablir
tion cotonnière dans la vallée du Nil. Soutenue son autorité échoue lamentablement ; il abdique.
par les banques européennes, la production de L’assassinat à Alexandrie en 1882 de résidents
coton atteignit 95 000 tonnes en 1865, mais européens par une foule révoltée convainc fina-
chute l’année suivante à 39 000 tonnes en raison lement les Anglais à intervenir militairement
de la fin de la Guerre de Sécession, qui permet en Égypte, territoire promptement soumis à la
le retour des États du Sud dans le commerce du Couronne britannique.
coton. Habitués à acheter des produits alimen- Lorsqu’un État surendetté n’a pas la volonté
taires grâce à la manne cotonnière, les Égyptiens politique de s’opposer à ses créanciers, il est
creusent alors leur déficit commercial, ainsi que généralement conduit à accepter des conditions
leur déficit budgétaire (2,1 millions de livres de d’amortissement qui lui sont dictées. Dans les
recettes pour 3 millions de dépenses en 1860). années 1980, la situation latino-américaine est
Abbas Ier accepte tous les emprunts européens telle qu’il faut aménager la dette de nombreux
afin de poursuivre le développement du pays et pays – notamment celle du Costa Rica, du
la construction d’un chemin de fer. Entre 1862 Mexique et du Venezuela. Le plan Brady fait
et 1873, Ismaïl Pacha contracte huit emprunts à passer la dette extérieure du Mexique de 97 mil-
des taux bradés, qui ruinent l’Égypte. En 1871, liards de dollars à 93 en 1988, deux ans plus tard.
les dépenses publiques s’élèvent à 15 millions de Mexique et Brésil consolident leur dette en 1990
livres pour 5,7 millions de recettes. Ismaïl doit et 1993. Certains créanciers perdent jusqu’à
renoncer à ses parts sur le canal de Suez et accepter 35 % des capitaux prêtés. Mais en échange de
la mise en place d’une Caisse de la dette égyptienne ces réductions – finalement assez modestes –, le

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Mexique consent à s’aligner sur l’économie amé- projet que d’assurer son épargne. Il n’a aucune
ricaine, intègre l’OMC et s’engage à appliquer conscience collective. Il représente pourtant
les conseils du FMI. Or les dévaluations moné- des millions de « capitalistes » qui délèguent à
taires successives entraînent une « dollarisation » leur conseiller de clientèle l’achat de bons du
des économies latino-américaines. Venus négo- Trésor ou de rentes publiques, tout en fustigeant
cier auprès du Club de Paris, les gouvernements l’impéritie des gouvernements dont le budget est
latino-américains obtiennent de gigantesques déficitaire. Là encore, la dette est parfaitement
crédits relais. Toutefois, les recommandations du intégrée dans les mécanismes de consommation :
FMI modifient les équilibres socio-économiques on « consomme » de la dette publique comme
des pays concernés puisqu’elles prévoient le gel on investit dans le sucre ou le yuan. L’organisme
des salaires, la baisse des tarifs douaniers, la libé- bancaire ou le fonds de pension, de leurs côtés,
ralisation des prix, la dévaluation, l’effacement de ressemblent à un borgne : il connaît les aléas
l’État-providence et la rigueur budgétaire. Dans de la dette mais n’en tire pas les conséquences.
le cas de l’Argentine, cet alignement de l’écono- L’intérêt des groupes financiers n’est pas national
mie nationale est responsable de la crise de 2001, ni antinational, mais catégoriel. Quant aux pays
qui provoque une inflation record, une croissance endettés, ils se consentent d’assouvir, sous les
plafonnée à 1 % (contre 6 % auparavant), un conseils du borgne, les désirs de l’aveugle.
chômage de plus de 21 % et la suspension des
remboursements de la dette.
En somme, même si l’endettement peut
entraîner des effets positifs à la marge, il se solde
la plupart du temps par une mise sous dépen-
dance économique du débiteur. Or cet assujet-
tissement n’est en rien le fruit d’un quelconque
complot. En effet, celui qui détient les emprunts
publics est le plus souvent un aveugle, sans autre

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La dette et la résignation politique

La majeure partie des dettes occidentales


est aujourd’hui possédée par des non-résidents,
notamment des fonds souverains étrangers.
Au-delà des conséquences économiques entre-
vues précédemment, quelles peuvent en être les
suites géopolitiques ? À l’évidence, l’endettement
prononcé se traduit par une perte d’initiative
dans le domaine des affaires extérieures pour
l’État débiteur. Historiquement, la possession
de la majeure partie d’une dette par un État
étranger s’est traduite par un affaiblissement
géopolitique allant de la manipulation de la
politique étrangère jusqu’au dépècement du
territoire, en passant par le détournement des
expéditions militaires.

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Mise sous tutelle de la politique étrangère eux et sont défaits le 18 novembre 1803. La
République de Haïti naît le 1er janvier 1804. La
Lorsque la dette publique est possédée par un France ne reconnaît cette indépendance qu’en
pays étranger, la conséquence la plus probable 1825. Souhaitant prévenir une nouvelle expédi-
est la mise sous tutelle de la politique étrangère. tion militaire qui ramènerait l’île dans le giron
La dette due par Haïti à la France a permis à français, les représentants de Haïti proposent le
l’ancienne métropole d’exercer une influence paiement d’une indemnisation envers les colons
durable sur l’Île à Sucre rebelle. Vers la fin ayant perdu leurs domaines. Or la dette de Haïti
du xviiie siècle, Saint-Domingue se présente va peser pendant très longtemps, non seulement
comme l’île la plus florissante de la monarchie sur les finances mais également sur la politique
française. Les esclaves y sont extrêmement nom- étrangère de l’île. En 1825, Haïti accepte de
breux – près d’un demi-million. Ces esclaves, payer la somme de 150 millions or à la France.
souvent affranchis au bout de quelques années, Une somme non négligeable, qui doit être payée
sont employés dans les plantations afin de en cinq ans. Haïti paie la première année mais
cultiver les champs de canne à sucre. À Saint- se révèle ensuite incapable de régler la France,
Domingue, la Révolution de 1789 a pour effet en raison de l’état de désorganisation du pays.
de déstabiliser les institutions. Il s’ensuit une En effet, les structures stables mises en place par
révolte violente mais sans lendemain politique la monarchie française ont volé en éclat depuis
ni économique. La Révolution se traduit à longtemps. De plus, les petits entrepreneurs
Saint-Domingue par des troubles et rapidement ont quitté l’île. Mais surtout, les nouvelles élites
par un appauvrissement généralisé. En 1802, noires reproduisent le schéma colonial, conti-
Napoléon tente de rétablir l’esclavage par la nuant à traiter la majeure partie de la population
force en envoyant un corps expéditionnaire de comme si elle n’était jamais sortie de l’esclavage.
40 000 hommes. Toutefois, la violence dont ils En 1838, Louis-Philippe reconnaît officielle-
font preuve est inhabituelle sur l’île. Les sol- ment l’indépendance de Haïti et ramène la dette
dats finissent par fédérer les habitants contre à 90 millions de francs or. Cette somme doit

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être payée avant 1868 – ce qui ne sera jamais la Grande-Bretagne, le Bhoutan doit se plier aux
le cas. La présence de cette dette va permettre injonctions de sa politique étrangère. En 1910,
à la France d’exercer une influence durable sur le roi Ugyen signe le traité de Punakha avec les
Haïti, dont l’économie sucrière se met au service Britanniques, selon lequel les Indes britanniques
de l’ancienne métropole au xixe siècle. Ce n’est guideront le Bhoutan en matière de politique
qu’en 1947 que l’influence française s’atténue. étrangère et de défense. Rien ne change avec la
Le Bhoutan, pays enclavé, fournit l’exemple décolonisation des Indes britanniques. En 1947,
d’un pays dont l’endettement a permis la mani- l’Inde reconnaît le Bhoutan en tant que pays
pulation de sa politique étrangère par l’Inde au indépendant. Toutefois, un traité de paix est
détriment de la Chine. Dès la fin du xviiie siècle, signé en 1949, aux termes duquel l’Inde « gui-
le Bhoutan entre dans l’orbite de la compa- dera » la politique étrangère du Bhoutan. Les
gnie des Indes Britanniques. En 1826, ce pays deux pays devront coopérer de façon active en
endetté envers la Grande-Bretagne doit lui matière internationale et militaire. L’occupation
verser des traites. Le non-paiement se solde du Tibet par la Chine communiste rapproche
par une série d’expéditions militaires. En 1838, d’ailleurs les deux pays. En 1958, Nehru déclare
les Britanniques envoient une mission visant que toute agression chinoise envers le Bhoutan
à l’établissement d’un commerce libre avec les serait considérée comme une attaque envers
Indes et au règlement de la dette. En 1841, la l’Inde. Cette situation d’endettement-sujétion
situation s’inverse toutefois : les britanniques perdure jusqu’à nos jours : en 2012-2013, l’Inde
annexent l’Assam Douars, moyennant le paie- accorde 600 millions de dollars d’aide financière
ment de 10 000 roupies annuelles au Bhoutan. au Bhoutan, ce qui représente le tiers de l’aide
Mais le pays résiste à cette sujétion. À la suite de internationale. Le petit Royaume s’aligne en
la guerre des Douars (1864-1865), le Bhoutan, retour sur sa politique envers la Chine.
vaincu par la Grande-Bretagne, doit céder L’octroi d’un prêt peut être conditionné à
certains territoires mais obtient en retour un la promesse secrète d’une aide militaire en cas
subside annuel de 50 000 roupies. Débiteur de d’agression par un tiers parti. Depuis la seconde

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moitié du xixe siècle, les tensions entre l’Alle- intervention russe contre l’Allemagne si l’Alle-
magne et la France poussent cette dernière à magne ou l’Italie (soutenue par l’Allemagne)
chercher un accord avec la Russie. En 1867, les attaquait la France ; une intervention française
compagnies de Chemins de fer russes lancent en contre l’Allemagne si l’Allemagne ou l’Autriche-
France un emprunt nommé « Nicolas » pour la Hongrie (soutenue par l’Allemagne) attaquait la
construction de nouvelles voies en Russie, ceci Russie. Lorsque la Russie déclare la mobilisation
étant dû à un besoin russe de capitaux pour ces partielle contre l’Autriche-Hongrie le 29 juillet
investissements coûteux. La défaite militaire 1914, puis générale contre l’Allemagne le 30
de 1870 envers l’Allemagne et la volonté de du même mois, la convention secrète s’applique
reconquérir l’Alsace-Lorraine incitent les gou- et la France déclare la mobilisation générale le
vernements français successifs à se rapprocher de 31 juillet. Or, lors de la défense de Paris, des
la Russie. En 1892, le gouvernement russe, par troupes russes épaulent les troupes françaises lors
l’entremise de Serge Witte, s’endette auprès de de l’épisode des taxis de la Marne.
la France, qui devient son premier créancier mais L’une des tentations d’un créancier est de
consent à un accord diplomatique et militaire démanteler l’empire colonial de son débiteur.
secret selon lequel la Russie consentira à une Bénéficiant du plan Marshall, les Pays-Bas
alliance de revers avec la France en cas d’attaque utilisent une partie de l’aide financière afin de
de l’Allemagne. Une convention militaire rigou- reconquérir les Indes néerlandaises. Les forces
reusement secrète est signée le 17 août 1892 néerlandaises parviennent à contrôler les villes
par le général de Boisdeffre, adjoint du chef de Java et de Sumatra, mais pas les campagnes.
d’état-major français, et son homologue russe, Des troupes républicaines attaquent les posi-
le général Obroutcheff, à l’issue de plusieurs tions néerlandaises le 1er mars 1949. Toutefois,
séries de négociations – tenues notamment à les États-Unis soutiennent Ahmed Sukarno et
Saint-Pétersbourg. Elle prévoit une mobilisation menacent de retirer les aides du plan Marshall
mutuelle dans les deux pays en cas de mobili- si les Néerlandais ne consentent à accorder
sation d’une des puissances de la Triplice ; une l’indépendance à leurs possessions coloniales.

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L’aide américaine destinée aux Indes néer- détenait en effet ces obligations en contrepartie
landaises est alors supprimée. Les États-Unis de l’aide militaire gigantesque octroyée par les
réclament en effet la suprématie absolue dans États-Unis à la Grande-Bretagne pendant la
le Pacifique après la défaite japonaise. Les Seconde Guerre mondiale. Face à cette pression,
Pays-Bas finissent par plier le 27 décembre celle-ci envisage d’occuper le Koweit et le Qatar
1949, après la table ronde de La Haye. Mais si des sanctions pétrolières doivent être mises
les États-Unis ne s’en tiennent pas là ; ils les en place. Le chancelier de l’échiquier en place,
forcent ensuite à fournir un contingent de sol- Harold Macmillan, avertit alors le Premier
dats pour la guerre de Corée, sous la pression ministre Britannique que les réserves de change
de leur retirer l’aide. de la Grande-Bretagne ne sont pas suffisantes
Le plan Marshall rend également les îles pour résister à une dévaluation de la livre. En
Britanniques dépendantes des États-Unis l’espace de quelques semaines, le pays devien-
puisqu’elles sont bénéficiaires à 26 % des aides. drait incapable d’importer les approvisionne-
Or la Grande-Bretagne est elle-même créancière ments en vivres et en énergies indispensables
de l’Égypte jusqu’à ce que Nasser décide de la à la population. De concert avec les États-
nationalisation du canal de Suez, en 1956. Après Unis, l’Arabie Saoudite met alors en place un
l’opération militaire conjointe de la France et du embargo pétrolier sur la Grande-Bretagne et
Royaume-Uni sur Suez, les États-Unis exercent la France. Quant aux pays alliés de l’OTAN,
une forte pression financière sur la Grande- ils refusent de vendre leur pétrole à la Grande-
Bretagne. Les pertes de 45 millions de dollars Bretagne et à la France. C’est ainsi que les deux
occasionnées à la banque d’Angleterre par l’opé- anciennes puissances coloniales doivent retirer
ration égyptienne forcent la Grande-Bretagne à leurs troupes d’Égypte. Bref, la dépendance
demander l’aide du FMI. Toutefois, celle-ci est financière envers des créanciers extérieurs n’est
refusée par les États-Unis. Eisenhower donne pas sans incidence sur la politique étrangère de
l’ordre à son ministre des Finances de vendre la nation débitrice.
des obligations en livres. Le gouvernement

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Les armées étrangères, mercenaires de leurs se faire créancière auprès des tribus concurrentes,
créanciers essaya de les manipuler et de les dresser les unes
contre les autres afin de les affaiblir. En somme,
Une fois la politique étrangère contrôlée, la le roi-client, bénéficiant du soutien romain,
tentation pour les créanciers consiste à mani- répondait à l’intérêt impérial. Son armée, deve-
puler les armées de leurs débiteurs à leur avan- nue en partie mercenaire, agissait dès lors sous
tage. Voulant assurer la sécurité optimale de sa commandement romain 1.
civilisation sans pour autant aller à l’encontre Renfloué par l’URSS qui rachète sa dette,
de son commerce, de son économie et de ses Cuba doit en contrepartie intervenir militaire-
politiques internes, Rome met au point l’instru- ment en Angola au profit de son créancier. Par
mentalisation des peuples débiteurs. Tel est le la loi du 6 juillet 1960, l’État cubain confisque
cas de la Germanie et des peuples avoisinants : toutes les entreprises nord-américaines en repré-
Rome manipule à son profit les chefs germains sailles du non-respect du Sugar Act. Cette loi
endettés et concurrents. Après la défaite cala- impliquait l’achat par les États-Unis de 3 mil-
miteuse de Teutobourg en l’an 9 après J.-C., les lions de tonnes de sucre cubain au double du
Romains mettent en place des États clients en cours mondial. L’URSS renfloue alors Cuba
Germanie. En fait, plusieurs chefs de peuplades en garantissant l’achat de son principal pro-
germaniques, ne pouvant assurer l’ordre au sein duit d’exportation. En 1975 toutefois, Moscou
de leur tribu et craignant diverses invasions, s’en demande à Cuba d’intervenir en Angola pour
remettaient parfois à Rome. Ils offraient ainsi soutenir le MPLA, parti communiste à la tête
à l’Empire la possibilité d’intervenir au sein de de l’État. 36 000 soldats Cubains sont dépêchés
leur village sous la condition d’être maintenus au sur place 2. L’Union soviétique assume la totalité
pouvoir. Le roi-client avait une dette, financière
entre autres, envers Rome. Dès l’an 16, Rome 1. Thibault Repple, L’instrumentalisation des États-clients : des
joue ainsi de la rivalité entre les Chérusques et débiteurs au service de Rome, Note d’analyse de l’ICES, 2013.
2. Mahaut de Casaban, La dette de Cuba envers l’URSS,
les Marcomans. Rome, ayant saisi l’occasion de
Note d’analyse, ICES, 2013.

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des coûts de l’opération. Il s’agit d’une entreprise d’Irak. Au total, plus de 15 000 soldats polonais
gigantesque puisqu’un véritable pont aérien est participèrent à cette guerre sous commandement
créé entre Cuba et l’Angola. L’intervention américain. Ils étaient 2 600 en 2003 et 900 en
cubaine est une victoire. Cuba, après avoir vu son 2008 lors des retraits des troupes, avec 22 morts.
économie sauvée par l’URSS, est ainsi devenu Concernant la guerre afghane, la Pologne a
débiteur de Moscou qui a par la suite largement déployé entre 2 000 et 2 500 soldats. Allié
influencé sa politique étrangère. précieux des États-Unis, la Pologne approuva
Après 1990, les États Unis se sont servis le projet de bouclier antimissile européen de
de leur statut de créancier de la Pologne afin Georges Bush, dont le but était d’accentuer la
d’infléchir la politique étrangère du pays à leur suprématie militaire américaine 1.
propre profit. La Pologne accepta rapidement La part française dans la dette extérieure
de participer aux guerres d’Afghanistan en 2001 marocaine représente un peu plus de 10 %. La
puis d’Irak en 2003 aux côtés de son créancier. France est donc un partenaire financier majeur,
De nombreux analystes expliquent ce soutien mais c’est aussi l’un des plus gros investisseurs
en raison du 13e point de la doctrine Wilson ou étrangers dans le pays. Au moins 21 des 25 plus
encore du fait du poids de la diaspora polonaise grosses firmes françaises y sont implantées, et ce
aux États-Unis. Ces participations seraient donc ne sont pas moins de 65 000 Marocains qui sont
essentiellement dues à la volonté de se montrer employés directement ou indirectement par ces
redevable envers leur nouvel allié. Mais l’on entreprises. Profitant ainsi de son poids énorme
peut s’interroger sur cette décision. Pourquoi la dans l’économie marocaine, la France aurait offert
Pologne s’est-elle ainsi lancée dans deux guerres au Maroc d’effacer une partie de la dette due par
successives, bien que la seconde n’ait pas reçu ce dernier en échange d’un soutien logistique à
l’aval des Nations unies ? Cette participation une intervention militaire internationale au Mali,
aurait pu compromettre son entrée dans l’Union fin 2012. Le ministère des Affaires étrangères
européenne, étant donné que la France et l’Alle- 1. Céline Le Corre, La Pologne au risque de la dette, Note
magne avaient refusé de participer à la guerre d’analyse de l’ICES, 2013.

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marocain avait même été sollicité pour être pré- une façon comme une autre de diminuer la
sent lors du sommet d’Abuja (Nigeria), qui abou- pression de la dette. Les créances dues par la
tit à la décision d’envoyer 3 300 soldats africains République de Gênes à la France permettent
pour contrer la menace islamiste au Nord Mali. à Louis XV d’annexer la Corse. En agissant
De fait, Mohammed VI a récemment rappelé comme secrétaire d’État aux Affaires étran-
l’implication du Maroc dans la reconstruction gères de Louis XV, Choiseul vise à occuper
du Mali et dans le conflit opposant les forces des positions stratégiques dans la Méditerranée
internationales aux djihadistes, dans le nord du afin de s’opposer à la puissance croissante des
pays. Il a par ailleurs évoqué le soutien qu’appor- Britanniques et éviter un encerclement au sud,
tera le Maroc dans la reconstruction du pays. Le où la Corse occupe une position importante ;
Maroc a donc répondu de manière positive à la de plus, la situation politique de l’île est la
demande formulée par la France. Au départ, il plus fragile du cadre méditerranéen : elle est
ne semblait pourtant pas prompt à participer à déjà dans les mires britanniques et devient, par
l’intervention au Mali. Le pays a par exemple conséquent, un objectif fondamental et précieux
dû faire face aux critiques algériennes selon les- aussi pour le ministre français. Entre-temps,
quelles une intervention contre les djihadistes incapable de s’opposer toute seule à la révolte
serait « antimusulmane » 1. corse, Gênes, qui a reçu un soutien trop faible
venant les troupes impériales, se trouve forcée
Dépècement du territoire de faire appel au roi de France pour obtenir des
troupes d’occupation à envoyer sur l’île rebelle.
La conséquence ultime de l’endettement Choiseul voit dans cet appel l’occasion qu’il
public est celle du démantèlement des terri- cherchait pour occuper l’île sans déchaîner un
toires débiteurs au profit des États créanciers, nouveau conflit européen. Plusieurs milliers de
soldats français – pour le compte du gouverne-
1. Victor Guemas, La dette marocaine à l’égard de la France,
un levier financier pour la guerre au Mali, Note d’analyse de
ment de Gênes et à ses frais – sont ainsi envoyés
l’ICES, 2013. garnir les forteresses de l’île contre les Corses

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qui les assiègent. Toutefois, Choiseul préfère reste juridiquement possession de la République
tenir ses troupes enfermées dans les ports et de Gênes mais, de fait, elle est occupée et admi-
dans les forteresses corses plutôt que de balayer nistrée par la France.
la révolte, en se donnant des airs de médiateur De même, sortie endettée de la guerre de
entre les Corses et Gênes. En quelques années, Sept Ans, la Grande-Bretagne s’efforce de taxer
sans n’avoir rien obtenu, l’ancienne République ses colonies américaines pour finalement les
se trouve endettée envers le roi de France au- perdre. Mais l’exemple le plus spectaculaire est
delà de ses possibilités économiques. Ainsi, certainement celui de la vente de la Louisiane
Choiseul force Gênes à céder la Corse en rési- par Napoléon, contre l’avis de Talleyrand, pour
gnant les créances que le roi a sur Gênes : elle la somme dérisoire de 60 millions de francs.
avait cumulé une dette de 2 millions de livres Dans tous ces cas, l’endettement a eu des
envers Louis XV pour l’aide militaire qu’il avait conséquences géopolitiques majeures. En fin de
fournie à la République ligure pour « réprimer » compte, l’accroissement de la part d’un créancier
la révolte des Corses. Ce n’est pas tant parce étranger dans la dette publique se solde très
qu’elle était ruinée que Gênes cède la Corse à la logiquement par un amenuisement géopolitique.
France, mais parce que les Génois avaient com- Les contre-exemples sont très rares, mais riches
pris qu’ils dépensaient des sommes colossales d’enseignements. Refusant d’emprunter aux
et inutiles pour conserver une île entièrement taux prohibitifs proposés par ses créanciers de
révoltée, qui ne leur rapportait plus rien et dont Londres et de Paris, Abraham Lincoln émet son
la population, hostile et habituée à la liberté, propre papier-monnaie afin de financer la guerre
n’aurait jamais pu accepter de retourner sous le de Sécession. Cette décision permet in fine aux
joug ligure, de quelque manière que ce soit. Ce États-Unis d’économiser quatre milliards de
n’est qu’après une difficile expédition militaire dollars.
contre les Corses soulevés contre la France que Dans le cas de l’Irak contemporain, la dette
Louis XV se rend maître de l’île. D’après le publique est probablement l’une des causes
traité de Versailles signé le 15 mai 1768, l’île majeures, mais négligée, de l’invasion du Koweït

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en 1990. Riche pays pétrolier, l’Irak de Saddam de récession jusqu’en 1998, première année de
Hussein eut longtemps un commerce extérieur croissance depuis 1990, mais aussi année de
excédentaire et une dette réduite. Mais avec le crise pour le rouble, car la Russie avait lancé
déclenchement de la guerre contre l’Iran en 1980, trop de bons du Trésor sans pouvoir assumer
la dette explose, notamment à l’égard des États- les remboursements. Boris Elstine renonça à
Unis, de l’Arabie Saoudite et du Koweït. Ces payer ses concitoyens auxquels il avait emprunté.
trois bailleurs de fonds lui versent un milliard de Vis-à-vis des banques étrangères, il demanda un
dollars par mois pour soutenir la guerre contre moratoire sur la dette extérieure. Pourtant, en
l’Iran chiite. Mais cette aide, nullement gratuite, quelques années, sous la conduite sans conces-
est gagée sur la production pétrolière irakienne. sion de Vladimir Poutine, la classe moyenne put
À la fin de la guerre, en 1988, le pays est épuisé à nouveau épargner ; le pays remonta la pente,
et endetté auprès de toutes les institutions finan- passa dès 2004 sous le seuil des 25 % d’endet-
cières mondiales. Les ambitions de Saddam tement par rapport au P.I.B., et en 2006 rem-
Hussein et la rente pétrolière convainquent le boursa par anticipation ses créances auprès du
FMI et le Club de Paris de ne procéder à aucun Club de Paris. Cette embellie est évidemment
rééchelonnement des dettes irakiennes, lais- à rapprocher de la politique ambitieuse de la
sant ainsi le pays dans une impasse. En 1990, Russie depuis les années 2000. Effacée pendant
Saddam Hussein voit dans l’invasion du Koweït dix ans, la Russie est depuis revenue sur la scène
une solution à sa ruine financière puisque sur les internationale, à la fois de façon agressive (dans
127 milliards de dollars de créances, son petit ses relations avec l’Ukraine, la Biélorussie et la
voisin en retient 25, sans compter les profits Géorgie par exemple), mais aussi avec une diplo-
potentiels du pétrole koweïtien. matie d’une redoutable efficacité (ainsi autour
L’exemple actuel de la Russie illustre les du problème nucléaire iranien et du conflit en
ambiguïtés d’un retour de puissance par la fin Syrie). En revanche, l’autoritarisme intérieur est
de la dette. Après l’effondrement du système une contrepartie chèrement payée à cette liberté
communiste, la Russie connut presque dix ans financière et géopolitique retrouvée.

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La dette, un mode de vie un temps d’adaptation qui fut aussi celui de
la sujétion. Maintenant qu’ils sont formés aux
Depuis la fin du Moyen Âge, l’endettement nouvelles règles, ces pays émergents peuvent eux
du souverain ou de l’État est devenu une norme aussi s’endetter sans craindre l’avenir.
et caractérise une certaine gouvernance, mais L’endettement extérieur n’est nulle-
aussi un mode de vie. Car vivre à crédit, c’est ment neutre. Il a été propulsé par l’Europe
croire en sa chance, en sa capacité à construire au XIXe siècle comme un formidable moyen
et à rebondir ; gouverner endetté, c’est déjà com- d’hégémonie, un Hard Power dirait-on, puis
munier à l’avenir de la nation. L’endettement transformé par les États-Unis après la Seconde
est un formidable outil d’optimisme. Il implique Guerre mondiale comme vecteur de diffusion
aussi la foi dans un État immortel, pour lequel d’un mode de vie et de culture, un Soft Power.
un remboursement sera toujours possible un Cette seconde version est moins brutale, plus
jour. La dette publique permet d’oublier que nuancée, plus démocratique aussi, car l’endet-
derrière le budget d’une nation il y a celui des tement élargit la masse des créanciers potentiels
citoyens. Les modalités pour sortir de la dette d’un État : la retraite de la fameuse veuve écos-
relèvent plus des « palabres africaines » que du saise s’appuie sur des nations entières, écrase
respect des clauses d’un contrat, car ni la parole des monarques et relève des pays en ruines.
donnée ni une signature officielle ne garantissent La carte de l’endettement est aussi celle de la
l’amortissement. La négociation est toujours démocratisation politique. Le Soft Power de la
possible. La civilisation occidentale – et surtout dette porte la marque d’une civilisation. Que
son vecteur américain – a créé et mondialisé les des institutions comme le FMI et la Banque
systèmes d’endettement public modernes pour mondiale, nées des accords de Bretton-Woods
mieux assurer le développement économique et (juillet 1944) initiés par les États-Unis, soient
le rayonnement de ses principes. L’abondance devenues les acteurs majeurs de la dette mon-
exige la dette. Pour les pays qui adoptèrent diale, plus que des organismes privés, est bien
tardivement ce mode de vie, il fallut d’abord le signe que la dette est le produit et le matériau

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d’un modèle de développement et d’une culture. militaire durable et volontariste. Faut-il donc en
La dimension civilisationnelle de la dette éclaire conclure que la lutte contre l’endettement serait
la crise commencée en 2008, qui est aussi la fin l’une des clés de la puissance ?
d’un modèle. Les efforts consentis par la Russie
pour sortir de l’endettement et les achats massifs
d’emprunts publics américains par la Chine ne
sont pas seulement des étapes vers un développe-
ment économique nouveau, mais bien les signes
qu’une alternative idéologique ambitieuse voit le
jour depuis dix ans.
En somme, l’endettement public massif des
pays du Nord contribue aujourd’hui à leur effa-
cement international, ou du moins les oblige à
réexaminer leur politique de puissance. La crise
des dettes souveraines accompagne l’affaiblis-
sement de l’Union européenne, tandis que le
Shutdown 1 des États-Unis en 2013 confirme
l’isolationnisme du président Barak Obama
depuis 2008. Bien que sa politique internatio-
nale de retrait (Afghanistan, Irak) ou de non-
intervention (Libye, Syrie) soit chez lui une
conviction plus qu’un opportunisme, l’état de
l’endettement américain aurait gêné toute action
1. Expression désignant la suspension provisoire du
financement du budget de l’État fédéral américain, par
manque d’accord politique à la Chambre des représentants.

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Conclusion

Pour conclure, depuis qu’il s’est proclamé


créancier de ses semblables grâce à la multi-
plication illimitée des droits, l’homme post-
moderne s’est fixé pour absolu la préservation
de son confort immédiat, au détriment de tout
choix responsable. Il en résulte une inflation
inédite de la dette, qui opère comme une ponc-
tion immédiate sur les générations à venir. La
tentation pour les États consiste aujourd’hui à
s’endetter afin de rejeter vers l’avenir les pro-
blèmes non résolus du jour. La mondialisation
des économies a généralisé l’usage de la dette
publique. Or, malgré l’étourdissement procuré
par l’endettement, les créanciers se révèlent un
jour d’impitoyables prédateurs, n’hésitant pas à
se payer sur les richesses du pays.
Dans ces circonstances, peut-on raisonnable-
ment souscrire à l’idée communément répandue

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de la dette vertueuse ? Même si la multiplication
des endettements croisés a pour effet indirect
de lier les individus et les États les plus dis-
semblables, force est de reconnaître que les
créanciers n’hésitent pas à abuser de leur pouvoir Bibliographie indicative
pour organiser la sujétion des États débiteurs.
La possession de la majeure partie d’une dette
par un État étranger se traduit par un affaiblis-
sement géopolitique allant de la manipulation Andreau J., G. Béaur, J.-Y. Grenier (dir.), La
de la politique étrangère jusqu’au dépècement dette publique dans l’Histoire, Journées du Centre de
Recherches Historiques (26 au 28 novembre 2001),
du territoire, en passant par le détournement de Paris, Comité pour l’Histoire économique et finan-
ses opérations militaires. cière de la France, 2006.
Il est donc probable que la politique future Andreau J., La banque et les affaires dans le monde
des États européens sera en partie déterminée romain (IVe siècle av. J.-C. – IIIe siècle ap. J.-C.), Paris,
par les intérêts de leurs créanciers. Il s’agira en Seuil, 2001.
premier lieu des politiques étrangères respec- Baneth J., « La dette du Tiers-Monde », Économie et
statistique, 232, mai 1990, p. 9-24.
tives, puis des politiques intérieures. Comment Boyer R., M. Dehove, D. Plihon, Les Crises finan-
contrer ces inflexions ? Par un choix entre les cières, Rapport du Conseil d’analyse économique, 50,
fonds souverains qui rachètent la dette française Paris, La Documentation française, 2004.
et naturellement par une réforme en profondeur Brender A., F. Pisani, E. Gagna, La Crise des
de l’État, seule mesure capable de diminuer le dettes souveraines, Paris, La Découverte, Paris,
2012.
poids de la dette. Si aucune mesure n’est prise, il
Castillo A., « Dette flottante et dette consolidée en
ne fait aucun doute que la dette nous gouvernera Espagne, de 1557 à 1600 », Annales ESC, 18-4,
demain. Et si ce n’est elle, ce sera ceux qui l’ont 1963, p. 745-759.
achetée. Ecalle J., Maîtriser les finances publiques, pourquoi,
comment ?, Paris, Economica, 2005.

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Félix J., Finances et politique au siècle des Lumières : Le
ministère L’Averdy, 1763 – 1768, Vincennes, Institut
de la gestion publique et du développement écono-
mique, 1999.
Kessler V., « La dette du Tiers Monde : 1970-1990 »,
Revue d’économie financière, 14, 1990, p. 157-199. Table des matières
Kuczynski P.-P., « L’Amérique latine et la crise de
la dette », Revue d’économie financière, 15, 1990,
p. 171-178.
Landau J.-P., « Quelle politique pour la dette souve-
raine ? », Revue de la stabilité financière, 16, avril 2012, Introduction............................................ 9
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Lesourd J.-A., Cl. Gérard, Nouvelle histoire écono- La dette, mode d’emploi.......................... 13
mique, 2 vol., Paris, Armand Colin, 1992. Qu’est-ce que la dette publique ?............... 14
Maloney J. (éd.), Debt and deficits : an historical pers- Au-delà de la dette.................................... 18
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Migeotte L., L’Emprunt public dans les cités grecques, de-ses semblables.................................. 21
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Stasavage D., Public Debt and the Birth of the L’émergence historique de la dette
Democratic State : France and Great Britain 1688-
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— States of Credit. Size, Power, and the Development of Les empires antiques face à la dette.......... 34
European Polities, Princeton et Oxford, Princeton De la pénurie des moyens à la naissance
University Press, 2011. d’un capitalisme d’endettement............. 39
La Renaissance, premier âge d’or de la
dette publique ?..................................... 45
L’inflation de la dette, une invention
anglaise.................................................. 51

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Les États-Unis, principaux bénéficiaires de
l’endettement européen au xxe siècle.... 54
La dette peut-elle être vertueuse
pour ­l’économie ?................................ 64
Dans la même série
La dette utile et ses justifications............... 65
La dépendance économique, compagnon
inséparable de la dette........................... 69
La dette et la résignation politique........... 77
Mise sous tutelle de la politique étrangère... 78
Les armées étrangères, mercenaires de
leurs créanciers...................................... 86
Dépècement du territoire.......................... 90
La dette, un mode de vie........................... 96
Conclusion.............................................. 101
Bibliographie indicative........................... 103

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Achevé d’imprimer en août 2014
sur les presses de l’imprimerie « La Source d’Or », 63039
Clermont-Ferrand pour le compte des éditions de l’Aube
Rue Amédée-Giniès, F-84240 La Tour d’Aigues

Numéro d’édition : 996

Dépôt légal : septembre 2014


N° d’impression :

Imprimé en France

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