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SOMMAIRE

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Couverture

Page de titre

Introduction

Première partie - Une brève histoire de la monnaie

Les premières monnaies


Les monnaies métalliques

Monnaie papier et monnaie fiduciaire

Taux de change et système monétaire

Deuxième partie - La monnaie aujourd’hui


Monnaie fiduciaire et monnaie scripturale

La création monétaire aujourd’hui

Les banques centrales

Politique monétaire conventionnelle et non conventionnelle

Troisième partie - Les grands débats

La monnaie et l’inflation

La monnaie et l’État
La monnaie et les inégalités

La monnaie et la transition écologique

Quatrième partie - Le futur de la monnaie

Les cryptomonnaies

La monnaie numérique de banque centrale

La monnaie hélicoptère

La monnaie pleine

Conclusion

Page de copyright
Introduction

Il y a maintenant un plus de 10 ans, en novembre 2011, le Captain’ se


préparait pour le grand saut : créer son blog d’économie. Le Captain’ était
alors encore étudiant – fraîchement diplômé d’un master 2 en finance – et
attendait la validation de son dossier pour commencer une thèse de doctorat
l’année suivante. Geek à ses heures perdues, il se lança donc dans
l’aventure en créant le site Captain Economics. Il faut dire qu’à cette
époque, il y en avait, des choses à dire sur l’économie. Nous étions en
pleine crise de la zone euro : la dette publique était le sujet dont tout le
monde parlait, et les banques et les marchés financiers montraient leurs
fragilités.
Dix ans et plus de 300 articles de blog plus tard, il y a toujours
beaucoup (beaucoup) de choses à dire sur l’économie et la finance. Les
débats sur la dette publique, sur l’omniprésence des banques centrales, sur
l’impact de l’innovation financière et sur le rôle de la monnaie sont toujours
d’actualité. Et, bien sûr, la crise liée à la hausse de l’inflation – à la suite de
la pandémie de Covid et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie – continue
aujourd’hui d’entraîner de nombreux problèmes dont il est encore trop tôt
pour saisir pleinement l’ampleur.
Entre-temps, le petit Captain’ est devenu (un peu) plus grand ! Un
doctorat en finance, un poste de maître de conférences en économie à
l’université Paris 1, un autre de conseiller scientifique au Conseil d’analyse
économique, un mariage et deux bébés : les dernières années ont été bien
chargées !
Mais il est l’heure pour le Captain’ de renfiler son costume de
superhéros. Montez donc dans le vaisseau du Captain’ et attachez vos
ceintures. Nous partons pour l’exploration d’une nouvelle galaxie : la
monnaie !
PREMIÈRE PARTIE

Une brève histoire de la monnaie

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Imaginons que vous vous retrouviez sur une grande île déserte avec
plusieurs centaines d’inconnus. Vous y débarquez sans rien : pas de
téléphone, pas de porte-monnaie, pas de nourriture ! Un peu comme dans
Koh-Lanta mais sans totem d’immunité. Que va-t-il se passer ? Comment
allez-vous survivre ? Il est bien sûr possible d’imaginer plein de scénarios –
d’un mode Battle Royale où chacun s’entretue à la mise en place d’une
grande communauté pacifique structurée sous forme de démocratie. Mais
partons d’un scénario intermédiaire : des clans d’une dizaine de personnes
vont se former – par affinité ou par intérêt – et, à l’intérieur de ces clans,
une solidarité va s’organiser afin de se répartir les tâches et les richesses.
Certains vont aller chercher de l’eau et de la nourriture, pendant que
d’autres s’occuperont de construire une cabane et de faire du feu.
Comme vous vous en doutez, l’organisation d’un clan va aussi créer des
dissensions. Qui est le chef ? La nourriture doit-elle être répartie
équitablement ou en fonction du travail réalisé ? Comment gérer les
ressources ? En plus, chaque personne a des besoins et des envies
différents : certains préfèrent peut-être le manioc à la noix de coco ; il y a
des jours où vous avez peut-être très faim, d’autres moins ; des personnes
malades ont peut-être besoin d’une ration supplémentaire pour reprendre
des forces… À l’intérieur de chaque clan – un peu comme au sein d’une
famille –, des échanges et des dons vont donc être réalisés. On est souvent
bien loin de l’individu rationnel qui cherche à maximiser son bien-être en
consommant le plus possible : les échanges et les dons à l’intérieur du clan
ont avant tout un rôle social et servent de base pour souder les membres.
L’homme est un animal social avant d’être un animal économique.
Au tout début, chaque clan vit en autarcie de manière très simple. Mais
au fil du temps – la nourriture et les matières premières étant par chance
plutôt abondantes sur votre île déserte –, de nouveaux biens vont
commencer à être fabriqués dans différents clans : des paillasses en feuilles
de palmier tressées pour mieux dormir, des outils en silex pour chasser ou
cuisiner, des colliers de coquillages pour le style, des boissons à base de
plantes médicinales pour se soigner… Chaque clan peut produire, en
fonction de ses spécialités, un ou plusieurs biens, et ensuite échanger avec
d’autres clans afin de se procurer d’autres biens. Nous parlons bien ici
d’échange – en effet, vous êtes solidaires avec les membres de votre clan,
mais pas question de donner quoi que ce soit sans contrepartie à ceux des
autres clans. Les contacts avec les clans étrangers – voire ennemis – ne sont
pas toujours très simples : mais l’échange est une bonne alternative à la
guerre et à la violence.
Mais comment réaliser ces échanges ? Comment faire si votre clan a
besoin d’une plante médicinale pour soigner un de ses membres mais que le
clan qui a développé cette potion n’a besoin au même moment d’aucun des
biens que vous lui proposez ? Comment faire si vous voulez vendre un bien
aujourd’hui mais n’en acheter un autre que dans quelques semaines ? Sur
votre île déserte, il vous manque pour le moment pas mal de concepts clés :
le troc, le crédit et la monnaie !
Les premières monnaies

Si votre voisin veut une pomme et que vous en avez une ; si vous voulez
une orange et que votre voisin en a une ; et si vous êtes tous les deux
d’accord sur les termes de l’échange, par exemple une pomme contre une
orange, alors hop, la transaction est réalisée et tout le monde est content. Le
troc, cela peut fonctionner, mais on se rend rapidement compte que ce n’est
pas très efficace. Tout d’abord, le troc implique une double coïncidence des
besoins. Cela signifie que les deux parties ne peuvent échanger que si
chacune désire ce que l’autre peut offrir. On peut bien sûr imaginer un troc
croisé avec trois personnes ou plus, mais, idem, cela risque d’être difficile
de trouver un arrangement qui convienne parfaitement à tout le monde. Le
troc implique aussi beaucoup de temps pour savoir précisément qui veut
quoi, contre quoi, sous quelles conditions. Même dans une économie où le
nombre de biens est très limité, cela nécessite de définir un grand nombre
de prix relatifs. Combien de pommes pour une orange ? Combien d’oranges
pour une poire ? En sachant que, bien évidemment, ces rapports ne sont pas
fixes et peuvent évoluer en fonction des récoltes et des saisons. Tout cela
pour dire que, le troc, ça peut fonctionner à petite échelle, mais c’est loin
d’être la panacée.
COMMENT FACILITER
LES ECHANGES ?
Afin de faciliter les échanges, il faudrait en réalité disposer d’un bien qui
pourrait être échangé directement contre n’importe quel autre, qui ne
perdrait pas de valeur dans le temps et qui permettrait d’exprimer les prix
dans une même unité. Ce bien un peu particulier – qui répondrait à ces trois
fonctions et serait utilisé pour réaliser des échanges au sein d’une
communauté – pourrait alors s’appeler… suspense… une monnaie !
Supposons, par exemple, que, sur votre île déserte, les noix de coco
soient globalement acceptées comme monnaie. Cela implique donc que, si
vous avez besoin d’une plante médicinale, vous pouvez l’acheter en payant
un certain nombre de noix de coco à un clan voisin. Ce dernier va accepter
les noix de coco non pas par envie d’en manger le soir au dîner ni de se
saouler à la piña colada, mais parce que les membres du clan savent qu’ils
pourront réutiliser ces noix de coco à l’avenir comme monnaie afin
d’acheter un autre bien à n’importe quel clan. On parle, dans ce cas, de
monnaie-marchandise : la noix de coco est en effet un bien qui a une valeur
intrinsèque et qui peut être consommé en tant que tel, mais qui est aussi
utilisé en tant que monnaie afin de faciliter les échanges. Grâce à
l’apparition de cette monnaie-marchandise, la double coïncidence des désirs
n’est plus nécessaire : tout le monde, dans la société, accepte les noix de
coco en tant que monnaie au moment d’une vente, et les échanges s’en
trouvent plus simples et fluides. La noix de coco sert alors d’équivalent
général : une marchandise particulière qui est acceptée par tous et qui
permet d’exprimer le prix de toutes choses.
Bon, il est vrai que la noix de coco n’est pas la meilleure monnaie-
marchandise possible : ça prend de la place, c’est lourd, ce n’est pas simple
à diviser, ça peut pourrir… Idéalement – pour faciliter les échanges et
constituer une bonne réserve de valeur –, il faut plutôt qu’une monnaie-
marchandise soit divisible, inaltérable et transportable. Mais bon,
finalement, si sur votre île déserte tout le monde est d’accord pour que les
noix de coco servent de monnaie, alors cela peut fonctionner.

LA MONNAIE ET LE NEOLITHIQUE
Les premières formes de monnaie seraient apparues entre 3 000 ans et
6 000 ans avant notre ère, durant la période du Néolithique, soit avant
même l’invention de l’écriture. À cette époque – eh oui, on retourne un peu
dans nos livres d’histoire –, les hommes se sédentarisent, adoptent
l’agriculture, et des communautés plus grandes se forment. Au revoir les
chasseurs-cueilleurs ; bonjour les premiers paysans du monde. Cette
nouvelle méthode d’organisation des sociétés s’accompagne d’une
spécialisation des productions et d’une plus grande diversité de produits
disponibles. Et qui dit plus de production – en volume et en diversité – dit
davantage d’échanges. Des échanges économiques certes, mais aussi – et
sûrement majoritairement au départ – des échanges sociaux et rituels en lien
avec des dots à payer, des animaux à sacrifier ou des objets à vénérer.
Mais autant vous dire qu’on n’était pas hyper-branché blockchain et
cryptomonnaies durant le Néolithique. C’est de cette époque que datent les
premières monnaies-marchandises dont on a retrouvé les traces, dont un
petit coquillage nommé « cauri », abondant en Asie et dans l’océan Indien.
Il faut dire qu’un coquillage, c’est mieux qu’une noix de coco pour devenir
une monnaie-marchandise. C’est petit, relativement solide, ça se transporte
facilement et on peut les stocker sous forme de collier – ce qui permet en
plus de les compter plus rapidement. Archéologues et anthropologues ont
aussi retrouvé – provenant d’époques diverses et dans des lieux éloignés –
de nombreuses autres monnaies-marchandises : du bétail, des étoffes, du
sel, des céréales… Les humains ont su faire preuve d’une grande créativité
pour faciliter les échanges.
Des objets datant de la fin de la préhistoire et permettant de
comptabiliser des dettes – qui seront d’une grande utilité pour comprendre
comment a évolué la monnaie par la suite – ont été découverts entre autres
en Mésopotamie sous la forme de tablettes comptabilisant des crédits et des
débits. Lorsque les hommes voulaient acheter quelque chose, il y a
plusieurs millénaires, ils pouvaient en effet soit utiliser de la monnaie –
monnaie-marchandise au départ – soit contracter une dette auprès du
vendeur du bien. Cette dette était alors matérialisée sur un objet – une pierre
ou une tablette, par exemple – et la mise en place d’une certaine forme de
comptabilité permettait de garder une trace des échanges. La monnaie n’est
pas une chose ! Des choses peuvent représenter la monnaie : comme des
noix de coco, des pièces d’or ou bien des billets. Mais la monnaie est avant
tout un concept : une manière de comptabiliser les choses et d’exprimer leur
valeur.

LA FABLE DU TROC
Depuis Adam Smith – et jusqu’à une période récente –, la pensée
dominante en économie était que le troc fût le mode d’organisation
principal des échanges de nombreuses civilisations durant plusieurs
millénaires. Cette théorie suit la vision « métalliste » développée par
Aristote : la monnaie serait ainsi apparue pour répondre aux limites du troc.
Et – très important – cette apparition se serait faite de manière naturelle
sans intervention d’un État ou d’un chef religieux. La monnaie serait une
innovation technique « du peuple pour le peuple ».
Mais de nombreuses découvertes anthropologiques et archéologiques
s’opposent à cette vision. Des formes de monnaie ou de systèmes
d’échanges basés sur le crédit existent depuis plusieurs milliers d’années –
le troc n’a donc sûrement eu qu’une importance mineure dans l’histoire des
échanges économiques. Le troc a bien existé – et existe encore de manière
très marginale. Mais le mythe selon lequel des civilisations auraient
fonctionné durant une longue période sans monnaie et sans crédit – et donc
en se basant uniquement sur le troc – ne semble pas tenir la route. La
monnaie ne s’est pas non plus créée « naturellement » via une main
invisible ayant pour but de réduire les inefficiences liées au troc. On se
rapproche ici des théories « chartalistes » : la monnaie n’est pas une
invention naturelle de l’homme mais une créature de l’État. Les traces des
premiers systèmes de crédit et de monnaie sont d’ailleurs souvent reliées à
des chefs religieux ou des chefs de guerre.
Les monnaies métalliques

Avant le début de notre ère, à des époques diverses mais dans de


nombreuses grandes civilisations autour du globe, les métaux nobles –
principalement l’or, l’argent et le bronze – ont commencé à s’imposer en
tant que monnaies. Il est possible de voir la monnaie métallique comme une
forme particulière de monnaie-marchandise. Après tout, une pépite d’or, ce
n’est pas si différent d’un coquillage : cela existe dans la nature, il faut du
travail humain pour l’extraire, cela a une valeur intrinsèque et peut être
utilisée comme bijou ou bien dans des rites religieux. Mais les métaux ont
tout de même des caractéristiques que les autres monnaies-marchandises
n’ont pas : il est possible de les fondre pour en standardiser facilement le
poids, ils sont relativement rares 1 et sont disponibles dans des mines qu’il
est possible de contrôler plus facilement.

MONNAIES PESEES, MONNAIES


COMPTEES,
MONNAIES FRAPPEES
Revenons sur notre île déserte. Et supposons que, d’un bout à l’autre de
celle-ci, coule une grande rivière, et que l’on y trouve des paillettes et des
pépites d’or. La noix de coco s’étant révélée une bien mauvaise monnaie 2 –
entre autres en ce qui concerne sa capacité de conserver la valeur –, les
chefs des différents clans de l’île se sont réunis et ont choisi de définir l’or
comme étant la monnaie pour les futurs échanges. Pour éviter qu’une guerre
éclate trop rapidement, le fleuve a été divisé en zones, et chaque clan a
l’exclusivité de l’orpaillage dans sa zone.
Des membres de chaque clan se mettent donc à rechercher de l’or dans
la rivière et chaque clan constitue son stock de paillettes et de pépites d’or.
Lors des échanges avec les clans voisins, au lieu de payer en noix de coco,
on paie désormais en or. Et pour « mesurer » l’or, il va donc falloir une
balance ! En effet, chaque paillette d’or, chaque pépite d’or a un poids
différent, et vous n’allez pas obtenir le même nombre de bulbes de manioc
contre une petite paillette d’or que contre une grosse pépite. On parle ici de
monnaie pesée. Les prix sont alors exprimés en grammes d’or.
Voyant que la monnaie pesée n’est pas optimale – peser l’or à chaque
transaction est un peu contraignant –, les chefs de clan se réunissent à
nouveau autour d’un grand feu et se mettent d’accord pour créer de petits
objets en or de poids standardisés – en fondant et en modelant l’or. Et
comment appeler ces petits objets ronds ? Des pièces d’or, tout simplement.
Par simplicité, les chefs conviennent de créer deux types de pièces : une
pièce de 5 grammes et une pièce de 20 grammes ; faciles à distinguer, car
de taille très différente. Lors des transactions entre les clans, les prix ne sont
plus exprimés en grammes d’or mais en nombre de pièces d’or. On parle à
ce moment-là de monnaie comptée. C’est facile à compter, facile à
transporter, et il est toujours possible de vérifier que chaque clan a bien
respecté les règles de création des pièces en en pesant une de temps en
temps pour voir si son poids correspond bien au poids standardisé.
Mais comment faire pour éviter que des petits malins, au moment de la
création des pièces, mélangent l’or à d’autres métaux moins précieux pour
que la pièce fasse bien le poids demandé mais ne contienne en réalité pas
uniquement de l’or ? Pour éviter les fraudes et la fausse monnaie, il faudrait
que quelqu’un ait la charge de vérifier la teneur en métal de chaque pièce et
puisse indiquer – à l’aide d’un sceau que lui seul détiendrait – que celle-ci
est bien valide. La monnaie serait alors frappée et la valeur de la pièce –
combinée à un symbole de l’île déserte sur laquelle vous vivez – serait
alors visible directement sur la pièce. Et voilà qu’arrive la monnaie frappée.
Sur notre île déserte, les processus d’apparition de la monnaie pesée,
comptée puis frappée sont bien évidemment très simplifiés. Dans cet
exemple – et dans un souci de simplification –, les rôles politique, social ou
religieux de la monnaie sont mis de côté ; et la monnaie émerge de
discussions courtoises entre des chefs de clan dans le but d’optimiser les
échanges. En réalité, ces processus ont souvent été beaucoup plus
chaotiques, marqués par les guerres, les violences et les prises de pouvoir.

LA FRAPPE DE LA MONNAIE
Les premières pièces de monnaie frappées ont été retrouvées en Asie
Mineure, là où se situait le royaume antique de Lydie, et datent du VIIe siècle
avant Jésus-Christ 3. Il s’agit de pièces en électrum – un alliage d’or et
d’argent – estampillées de divers sceaux représentant des animaux ou des
symboles. Ce qui est sûrement apparu au départ comme une initiative
privée de certains marchands – ainsi que l’atteste la diversité des
inscriptions que portent les premières pièces – est rapidement devenu un
monopole d’État. En effet, autour de 550 avant Jésus-Christ, le roi Crésus –
dont le nom est passé à la postérité via l’expression « riche comme
Crésus » – fut le premier à introduire durant son règne des pièces frappées
en or et en argent.
« Mais, Captain’, pourquoi frapper une pièce ? Et pourquoi un roi
voudrait-il contrôler ce pouvoir ? » Eh bien, supposons que vous êtes un
vendeur en Lydie en 550 avant Jésus-Christ. Vous vendez des céréales,
disons un sac de blé contre 5 grammes d’or ; un acheteur arrive avec une
pièce de 5 grammes – un objet rond sans rien dessus – et vous propose cette
pièce en échange d’un sac de blé. Allez-vous l’accepter ? Si vous ne
connaissez pas cet acheteur, vous allez peut-être vous méfier. Est-ce que la
pièce pèse réellement 5 grammes ? Est-ce que d’autres métaux moins
précieux ont été utilisés pour créer un alliage ayant le même poids mais
moins de valeur ? Mais auriez-vous la même crainte si, sur cette pièce, il y
avait un sceau permettant de certifier qu’elle a été créée par un marchand en
qui vous avez pleine confiance ? Ou mieux encore : si elle a été certifiée par
le roi ou l’empereur et porte donc le sceau de l’empire ? Non. La monnaie
frappée permet ainsi de faciliter les échanges et de favoriser le
développement de la confiance entre acheteurs et vendeurs.
Mais frapper une pièce, cela a un coût ! Il faut être capable de contrôler
la quantité de métal qui la constitue et de chauffer la pièce pour apposer un
sceau en la frappant avec un marteau afin de la certifier. Pourquoi cette
activité intéresse-t-elle tant les rois et les empereurs ? La frappe de la
monnaie – le monnayage – par une autorité émettrice a de nombreux
avantages. Mettons-nous à la place du roi. Premièrement, cela vous permet
de générer des revenus, car vous pouvez faire payer la certification. Un
marchand arrive avec 5 grammes d’or, il repart avec une pièce de
5 grammes d’or portant le sceau de l’empereur, et il doit payer un certain
montant en contrepartie. Ce montant sert à financer les coûts de production,
mais il est aussi possible d’y intégrer une taxe liée au monnayage. Ce que
l’on appelle les revenus de seigneuriage. Deuxièmement, vous allez pouvoir
exiger que la seule monnaie utilisée sur votre territoire soit celle sur
laquelle votre sceau est apposé. Si des marchands étrangers veulent acheter
des biens dans votre pays, ils vont devoir échanger leur monnaie contre la
vôtre ; et hop, une taxe au passage. Troisièmement, la monnaie portant le
sceau de l’empereur peut être un signe de pouvoir. L’ensemble des habitants
voient désormais – dès qu’ils réalisent des transactions – un symbole de
votre puissance. Au départ, on retrouve surtout des animaux symboliques –
un lion et un taureau en Lydie, une tortue en Grèce –, mais au fil du temps,
l’effigie de l’empereur apparaîtra fréquemment sur la pièce. Cette
représentation permet aussi de favoriser l’intégration et peut participer à
l’unification politique. Quatrièmement, étant vous-même, en tant que roi,
très actif dans le monde économique, vous pouvez payer directement vos
soldats avec cette monnaie, et prélever des taxes dans cette même monnaie.
Cela simplifie ainsi la gestion de vos affaires courantes. Enfin, comme nous
le verrons ultérieurement, le contrôle de la frappe de monnaie permet de
dissocier le contenu réel en métal de ce qui est affiché sur la pièce. En cas
de pénurie de métal, par un petit tour de passe-passe, vous pourrez tout de
même continuer à créer de la monnaie grâce cette technique.
Le contrôle de la frappe de la monnaie permet donc de renforcer le
pouvoir politique, de faciliter les transactions et de faire rentrer de l’argent
dans les caisses du roi. Il est bien évidemment difficile de savoir si la
motivation réelle des empereurs d’alors était principalement économique,
politique ou sociale – autant vous dire que l’on ne dispose pas de beaucoup
de documents datant de cette époque. Des débats ont encore lieu
aujourd’hui entre historiens, archéologues et économistes au sujet des
raisons de l’apparition du monnayage et de son contrôle central. Impossible
aussi de calquer nos raisonnements d’hommes rationnels – d’homo
economicus – sur ce qu’auraient pu être les motivations des personnes il y a
plus de 2 000 ans. Mais ce qui est sûr, c’est que cette « invention » de la
monnaie frappée s’est largement développée un peu partout dans le monde.
En Égypte, en Grèce, en Chine, en Inde : l’ensemble des grands empires et
royaumes de l’époque ont rapidement adopté la monnaie frappée sous
contrôle d’une entité centrale émettrice. Et quand une invention se répand si
rapidement, c’est qu’elle doit bien être utile ; tout du moins utile à ceux qui
la promeuvent.
LA MONNAIE METALLIQUE
EN GAULE
Les premières traces de monnaie métallique en Gaule – sur le territoire que
l’on appelle aujourd’hui la France – datent du IIIe siècle avant notre ère. La
Gaule était à cette époque un territoire constitué de multiples tribus et
peuples – entre autres de Celtes venus d’Europe centrale et de Grecs arrivés
par la mer Méditerranée. Dans leurs bagages, ces nouveaux peuples ont
amené un concept révolutionnaire : la monnaie frappée. Les premières
monnaies frappées en Gaule sont alors des copies de pièces grecques,
représentant le roi Philippe II de Macédoine, probablement rapportées par
des mercenaires ayant combattu pour lui durant l’une des multiples guerres
ayant eu lieu dans la région méditerranéenne à cette époque. De
nombreuses tribus de la Gaule vont progressivement se mettre à frapper leur
propre monnaie – il n’y avait donc pas une monnaie en Gaule, mais bien
plusieurs, dont les motifs et les symboles variaient. Les statères en or, en
bronze, en électrum de Vercingétorix – dont seulement quelques
exemplaires ont été retrouvés – sont à cet égard les plus célèbres. Ces
pièces – probablement frappées en – 52, au moment du règne de
Vercingétorix – sont les seuls objets sur lesquels on retrouve une
représentation du fameux chef des Gaulois.
Monnaie papier et monnaie
fiduciaire

« Bon, Captain’, c’est bien beau, ces histoires de pièces d’or, mais le
système monétaire actuel n’a plus rien à voir avec ça, hormis la ferraille qui
traîne encore dans nos poches, si ? » Pas d’inquiétude, nous allons y arriver
petit à petit. Mais bien comprendre le passé permet en général de mieux
appréhender le présent. Nous allons faire un bon de plus d’un millénaire
pour poursuivre notre aventure autour de l’an 1000 de notre ère, une
période où un événement va particulièrement nous intéresser : l’apparition
des premiers papiers-monnaies en Chine. Les monnaies métalliques en or,
en argent ou en bronze ont une valeur intrinsèque. Cette valeur intrinsèque
permet au départ de favoriser la confiance : je vais accepter une pièce d’or
lors d’un échange non seulement parce que je sais que je vais pouvoir la
réutiliser pour acheter autre chose à l’avenir, mais aussi parce que cette
pièce est en or et que l’or a une valeur sur le marché en tant que métal
précieux. Mais comment est-ce possible que les billets – de la monnaie sous
forme de papier n’ayant aucune valeur intrinsèque – soient apparus et aient
été utilisés largement dans les échanges ? Et que cela soit encore le cas
aujourd’hui ?

LES PREMIERS PAPIERS-MONNAIES


e
Partons donc en Chine au XI siècle. À cette époque, dans certaines
e
provinces de la Chine et depuis le II siècle avant notre ère, des pièces en
bronze et en laiton percées en leur centre – appelées sapèques – étaient
utilisées comme monnaie. La présence d’un trou central permettant
d’ailleurs – avec une cordelette – de constituer des « colliers » composés
d’un nombre standardisé de pièces pour faciliter le comptage et les
transactions. Mais, dans une économie en développement – les échanges
économiques augmentant et la population s’agrandissant –, il faut être en
mesure de créer chaque année de la monnaie. Et l’un des problèmes de la
monnaie métallique est que, pour fabriquer des pièces, il faut avoir des
mines ou des fleuves contenant les métaux nécessaires. La production et
l’extraction de métaux doivent donc être suffisantes pour créer les nouvelles
pièces de monnaie nécessaires au fonctionnement de l’économie. Et ce,
d’autant plus que l’empereur a besoin – pour financer une guerre, par
exemple – de créer de la monnaie afin de payer soldats et armées.
Or en Chine, à cette époque, l’extraction de cuivre – un métal nécessaire
à la production du bronze – n’était pas suffisante pour couvrir les besoins de
création de pièces en bronze. Les nombreuses tentatives pour augmenter
cette production, comme l’interdiction d’utiliser du cuivre pour autre chose
que des pièces ou celle d’en exporter vers le Japon ou la Corée, n’ont pas
suffi à disposer de quantités suffisantes de métal pour fabriquer de
nouvelles pièces. Face à cette situation et en s’inspirant des lettres de
change utilisées par des marchands privés et quelques tentatives échouées
du siècle précédent, la dynastie Song introduisit en 1160 un papier-monnaie
– appelé huizi – qui pouvait être utilisé comme de la monnaie métallique en
bronze. Pour que les habitants et les marchands aient confiance et acceptent
cette monnaie papier comme de la monnaie métallique, la dynastie Song
permettait l’échange du papier-monnaie contre de la monnaie en bronze.
Mais – comme souvent dans l’histoire des premières « monnaies papier » –
cette conversion qui était garantie au départ par un stock suffisant de métal
a petit à petit disparu avec l’émission trop importante de billets et la hausse
trop faible des réserves. En période de crise ou de guerre, quoi de plus
simple en effet pour l’empereur que d’émettre plein de nouveaux billets
pour financer ses dépenses ? Dans cette situation, la perte de confiance dans
la monnaie se traduit par une chute de l’utilisation des billets – personne ne
voulant en détenir car soupçonnant qu’en réalité, il sera impossible de
convertir cela en pièces métalliques – et par une forte baisse de la valeur de
cette monnaie. Les détenteurs de billets subissent donc des pertes
importantes, et un retour à la monnaie métallique s’opère.

LES PREMIERS BILLETS DE BANQUE


EN EUROPE
Alors que les premiers papiers-monnaies sont apparus en Chine vers
l’an 1000, ce n’est que plus de 600 ans après que le premier véritable billet
de banque fait son apparition en Europe. « Mais, attends, Captain’,
pourquoi on parle ici de billet de banque et pas simplement de billet ? » Eh
oui, bien vu, nous allons devoir introduire ici l’un des acteurs les plus
importants pour comprendre ce qu’est la monnaie : les banques !
Partons donc pour la Suède du milieu du XVIIe siècle, à la rencontre de
Johan Palmstruch. Fils d’un riche marchand hollandais, Johan Palmstruch
reçut le privilège royal de créer la Banque de Stockholm en 1656 – une
banque privée mais étroitement liée au roi de Suède. Cette banque proposait
à ses clients deux principaux services : un service de dépôt et un service de
prêt. Des pièces ou des plaques de cuivre et d’argent étaient déposées par
des marchands ayant des excédents de liquidités et souhaitant bénéficier de
la sécurité de la banque. Lors des opérations de dépôt, des bons ou des
certificats étaient émis par la banque pour indiquer le montant déposé ; et
toute personne détenant un des ces papiers pouvait venir ensuite l’échanger
contre le montant indiqué en monnaie métallique à la banque. Si les
marchands ont confiance dans la garantie apportée par la banque – ou bien
confiance dans le fait qu’ils pourront ensuite utiliser ce papier comme de la
monnaie afin de réaliser des transactions –, alors ces papiers circulent dans
l’économie et sont assimilables à de la monnaie. Pour acheter un bien valant
une plaque de cuivre, un marchand ayant déposé ce montant dans une
banque peut utiliser le certificat de dépôt afin de payer ce bien. Le vendeur
accepte le certificat, car il se dit qu’il pourra venir l’échanger contre une
plaque de cuivre au besoin ; ou qu’il pourra directement acheter quelque
chose avec ce papier à l’avenir.
Très bien, pour les dépôts, c’est jusque-là assez classique. Mais pour
l’activité de prêt – et avec l’accord du roi –, Palmstruch mit en place
quelque chose de beaucoup plus ingénieux. Si vous voulez prêter un stylo à
votre voisin, vous devez avoir un stylo sur vous. Lorsque vous prêtez ce
stylo, vous le transférez effectivement à votre voisin et vous ne l’avez plus ;
tout du moins jusqu’à ce qu’il vous le rende. Pour la monnaie, on aurait
envie de se dire la même chose : pour prêter des pièces d’or, il faut avoir
des pièces d’or en stock. Mais à partir du moment où vous introduisez de la
monnaie papier, cette contrainte disparaît. En effet, supposons qu’une
personne souhaite emprunter l’équivalent d’une plaque de cuivre afin
d’acheter des marchandises. Si cette personne exige effectivement une
plaque de cuivre « physique », la banque sera obligée de lui livrer une
plaque de cuivre qu’elle a en stock. Cela implique donc que le prêt sera
réalisé à partir des dépôts d’un autre client. Toutefois, si, dans cette
économie, les échanges peuvent être réalisés à l’aide de plaques de cuivre
mais aussi à l’aide du papier-monnaie – comme un certificat de dépôt, une
lettre de change ou un billet de banque –, alors la banque n’a pas besoin
d’avoir autant de réserves pour prêter de l’argent. Elle peut tout simplement
créer un billet de banque sur lequel il est écrit : « le détenteur de ce papier
peut venir à la Banque de Stockholm échanger ce papier contre une plaque
de cuivre ».
Vous voyez peut-être déjà le problème arriver ! Le nombre de plaques
de cuivre effectivement détenues par la banque n’a pas changé, alors que
ses engagements – matérialisés par des promesses inscrites sur des billets de
banque – ont augmenté. Il en résulte que, si l’ensemble des détenteurs de
papier-monnaie débarquent au même moment pour réclamer la conversion
de leurs billets en plaques de cuivre, la banque ne pourra pas satisfaire tout
le monde. La valeur d’un billet de banque dépend donc de la confiance dans
la quantité de métal conservée par le banquier. Et autant vous dire qu’au
cours de l’histoire, les exemples de banques ayant émis trop de billets par
rapport à leurs réserves sont nombreux. À chaque fois, c’est à peu près le
même scénario : l’émission excessive de billets de banque entraîne – au
moment où les détenteurs se rendent comptent que les réserves en métal
sont bien trop faibles par rapport aux engagements de la banque – une
panique bancaire et un effondrement de la valeur des billets.

CURRENCY PRINCIPLE ET BANKING


PRINCIPLE
Mais comment éviter les crises à répétition et assurer la confiance dans la
monnaie papier ? La solution qui semble la plus simple est d’exiger que le
montant des billets en circulation soit toujours égal au montant du métal
dans les coffres de la banque. Dans le cas de l’émission de billets de banque
par des banques privées, cela implique donc qu’un régulateur doit pouvoir
vérifier le montant total des billets émis par cette banque et le montant total
des réserves en métal de la banque. Dans le cas d’émission de billets par la
banque centrale, cela implique donc que, pour émettre de nouveaux billets,
la banque centrale doit augmenter ses stocks de métaux. Cette approche
conservatrice – proche de l’école de pensée que l’on appelle la Currency
School – permet de limiter les dérives liées à l’émission excessive de billets
– que ce soit par les banques privées ou par les États via la banque
centrale – et de limiter les risques de perte de valeur de la monnaie papier.
Mais cela ne va pas sans entraves. En cas de croissance économique
forte, faisant augmenter les échanges et donc le besoin de monnaie dans
l’économie, la création de nouvelle monnaie est contrainte par
l’augmentation du stock de métal. Si le stock de métal ne peut pas suivre –
par exemple, en cas de pénurie de métal –, cela risque de brider la
croissance et le développement économique du pays. C’est en se basant sur
ce type d’arguments que les partisans de l’école de pensée de la Banking
School recommandaient quant à eux qu’on laisse la liberté d’émettre des
billets en fonction des besoins de l’économie. S’il y a besoin de plus de
billets en circulation dans un pays, alors il faut être capable de fournir la
monnaie nécessaire. Pour les tenants de cette école de pensée, un système
monétaire de banques privées en concurrence ayant le pouvoir de créer de
la monnaie en accordant des crédits – sans nécessairement augmenter les
réserves de métal – serait donc l’idéal. Et ce système ne serait pas
nécessairement inflationniste, car la hausse de la circulation de crédits est
liée à une hausse réelle des projets et des investissements, et donc à une
expansion économique.
Taux de change et système
monétaire

Mais qui, des partisans du banking principle et de ceux du currency


principle, a gagné la bataille ? Eh bien tout dépend de l’époque sur laquelle
on se penche ! Le vote de l’Act de Peel, en Angleterre, sonna en 1844 une
grande victoire pour les partisans du currency principle : les montants de
billets émis par la Banque d’Angleterre furent à ce moment-là strictement
liés à la détention d’or par cette dernière. Quelques années plus tard, la
grande majorité des pays européens suivirent l’exemple britannique.
L’émission de billets est alors confiée à une banque centrale nationale –
sous le contrôle de l’État – et les billets peuvent être convertis en or auprès
de la banque centrale. L’unité monétaire est alors définie à un poids fixe
d’or : par exemple, en France, 3 437 francs par kilogramme d’or fin en
1880 1.
La révolution industrielle au XIXe siècle et le basculement de sociétés
agraires et artisanales vers des sociétés commerciales et industrielles
entraînèrent aussi, à partir du milieu du XIXe siècle, un essor des échanges
internationaux. L’adoption dans de nombreux pays d’un système basé sur
l’or allait ainsi ouvrir la voie aux premiers systèmes monétaires
internationaux.
LA NAISSANCE DE L'ETALON-OR
Les échanges internationaux impliquent des flux de marchandises et des
flux de capitaux. Et pour favoriser les échanges, il est important que les prix
ne varient pas trop rapidement ni trop souvent. Cela est vrai pour les prix
domestiques, mais aussi pour les prix internationaux. L’adoption de l’or
comme étalon monétaire dans de nombreux pays va alors favoriser les
échanges en assurant la fixité des taux de change.
Pour expliquer cela, prenons un exemple. Supposons un monde avec
seulement deux pays : la France, où la monnaie est le franc, et l’Angleterre,
où la monnaie est la livre sterling. Chaque pays utilise sa propre monnaie,
mais les deux pays ont – en vertu d’un accord ou bien de manière
aléatoire – mis en place un système de convertibilité de leurs monnaies
respectives en or. Chaque monnaie a donc une parité fixe par rapport à l’or
– par exemple, pour simplifier, 1 gramme d’or pour 10 francs en France et
1 gramme d’or pour 5 livres sterling en Angleterre. Cette convertibilité en
or implique donc un taux de change fixe entre le franc et la livre sterling :
comme il faudrait théoriquement apporter 1 gramme d’or pour obtenir
10 francs à la Banque de France, et que ce même gramme d’or permet
d’obtenir 5 livres sterling à la Banque d’Angleterre, 10 francs = 5 livres
sterling. C’est-à-dire, pour exprimer cela plus prosaïquement sous la forme
d’un taux de change : 1 franc = 0,5 livre sterling. Tant que le stock d’or
dans chaque pays ne change pas, le taux de change reste constant.
De 1870 à 1914, le système monétaire international a fonctionné sur
cette base. L’étalon-or permet une stabilité des taux de change ; mais cela
n’a pas que des avantages, loin de là. Que se passe-t-il en effet lorsqu’un
marchand anglais souhaite acheter du vin à un marchand français pour un
montant total de 1 000 francs ? Le vendeur français ne souhaitant pas de
livres sterling, le marchand anglais a deux choix : (1) aller à la Banque
d’Angleterre, échanger ses livres sterling en or et payer en métal ou
(2) échanger ses livres sterling en francs et payer en francs. Dans le premier
cas, cela entraîne une hausse du stock d’or en France et une baisse du stock
d’or en Angleterre, cela est simple à voir. Mais c’est la même chose dans le
second cas : lorsque l’acheteur anglais souhaite échanger des livres sterling
contre des francs, cela entraîne une hausse de la demande de francs et une
baisse de la demande de livres sterling. Dans un marché libre, une hausse de
la demande doit entraîner une hausse de prix : si tout le monde veut acheter
des noix de coco durant l’été, alors le prix des noix de coco augmente selon
le principe de l’offre et de la demande. Mais, dans un système d’étalon-or,
les taux de change sont fixes : cela implique que l’ajustement ne peut pas se
faire par le prix relatif des devises. Si la demande de francs augmente,
l’ajustement se fera par un transfert d’or de l’Angleterre vers la France. La
hausse du stock d’or en France permettra à la Banque de France de créer
des francs ; la hausse de l’offre de francs venant ainsi compenser la hausse
de la demande de francs et permettre de garder un taux de change fixe.
Un système d’étalon-or implique donc que, lorsqu’un pays à un déficit
commercial par rapport à un autre pays – c’est-à-dire qu’il importe plus de
biens et services qu’il n’en exporte –, ce déficit commercial entraînera des
sorties d’or et donc une baisse de son stock d’or. Symétriquement, de l’or
va entrer dans le pays en excédent commercial, où il y aura donc une hausse
du stock d’or. Ces variations de stock d’or ont pour conséquence que, dans
le pays en déficit commercial, il y aura moins d’or et moins de monnaie en
circulation – la quantité d’or et la masse de monnaie étant fixées via
l’étalon-or. Et cela n’est pas sans conséquence. Cette baisse de la quantité
de monnaie tend à diminuer l’ensemble des prix dans cette économie : le
prix des biens et des services mais aussi les salaires. Alors, certes, ces
ajustements et les baisses de prix permettent de rendre le pays plus
compétitif par la suite – et donc de rééquilibrer sa balance commerciale 2 –,
mais cela ne se fait pas sans dégâts pour les pays déficitaires.
BRETTON WOODS
Le système d’étalon-or limitait, via la quantité d’or matériellement
disponible, les possibilités de création monétaire. Cela a permis de favoriser
les échanges avec la fixité du taux de change 3 et de limiter les risques de
surémission de monnaie en liant directement la quantité de monnaie à un
stock physique de métal. Mais, en période de guerre, ce système n’est pas
tenable. Les États ont besoin de réaliser des dépenses militaires massives, et
la convertibilité en or n’est plus possible. Au début de la Première Guerre
mondiale, de nombreux pays ont ainsi abandonné la convertibilité en or de
leur monnaie pour pouvoir financer l’effort de guerre, entraînant une perte
de la valeur de la monnaie et de l’inflation. À la fin de la guerre, en 1918, le
système monétaire international est à terre. Après quelques tentatives pour
rétablir un nouveau système monétaire mondial – comme lors de la
conférence de Gênes en 1922 –, l’instabilité de l’entre-deux-guerres et la
crise économique de 1929 perturbent à nouveau l’ordre monétaire mondial.
La Seconde Guerre mondiale arrive rapidement, et bis repetita. Les pays
ont massivement besoin de s’endetter et d’augmenter leur masse monétaire
pour financer l’effort de guerre.
En 1944, avant même la fin de la guerre, les représentants de 44 pays se
réunissent dans la ville de Bretton Woods aux États-Unis afin de définir un
nouveau système monétaire mondial. Un retour à l’étalon-or n’est pas
possible – les stocks d’or ayant massivement changé de mains au cours des
deux guerres mondiales. À eux seuls, les États-Unis détiennent en effet à
cette époque plus de deux tiers des réserves mondiales d’or ! Le système
proposé est le suivant : le dollar américain est convertible en or au taux de
35 dollars par once d’or, et l’ensemble des autres monnaies ont un taux de
change fixe par rapport au dollar. Les États-Unis s’engagent donc à garantir
la convertibilité du dollar américain en or, et les autres États s’engagent à
maintenir un taux de change fixe par rapport au dollar américain. Par
exemple, pour la France, ce taux est fixé à 1 dollar = 119,11 francs au
moment de la signature des accords de Bretton Woods.

LA FIN DE BRETTON WOODS


Mais le système monétaire de Bretton Woods va rapidement révéler ses
failles. Tout d’abord, la fixité du taux de change a pour effet que les
déséquilibres de balance commerciale – ou de balance des paiements – se
traduisent par une forte flexibilité des prix domestiques. Quand cela n’était
vraiment pas possible, un État pouvait demander une dévaluation de sa
monnaie – considérée comme néfaste au prestige national – auprès d’une
grande institution créée lors de la conférence de Bretton Woods : le Fonds
monétaire international. Dans les faits, les taux de change n’étaient donc
pas réellement fixes ; en France, par exemple, le franc fut dévalué en 1948
(1 dollar = 214,39 francs), en 1949 (1 dollar = 350 francs) puis à de
nombreuses reprises jusqu’en 1969. Ces processus d’ajustement des
déséquilibres économiques par des dévaluations importantes impliquaient
donc de l’instabilité économique et une correction des déséquilibres souvent
trop lente dans les pays s’étant engagés à maintenir un taux de change fixe
par rapport au dollar américain. De l’autre côté, pour les États-Unis, la
convertibilité du dollar américain en or commençait aussi à poser quelques
problèmes. La guerre du Vietnam, la hausse des dépenses publiques et le
déficit commercial mettaient fortement le dollar sous pression. En 1971, le
président américain Richard Nixon décida unilatéralement la fin de la
convertibilité du dollar en or. Et quelques années plus tard, en 1976, les
accords de la Jamaïque vinrent officiellement mettre un terme au système
de taux de change fixe et à la convertibilité des monnaies en or.
Voilà donc comment la monnaie a acquis sa complète indépendance vis-
à-vis de l’or et tire désormais sa valeur uniquement de la confiance que les
individus lui accordent. La confiance a certes toujours été au cœur de la
valeur d’une monnaie. En Lydie en 550 avant Jésus-Christ, les individus
avaient confiance dans le fait que la pièce d’or était effectivement en or et
n’était pas composée d’un alliage moins précieux. En Chine en l’an 1000,
les individus utilisant du papier-monnaie avaient confiance dans le fait que
celui-ci était effectivement convertible en métal et que l’État n’émettait pas
plus de billets que ses réserves. En Suède en 1660, les individus avaient
confiance dans le fait que le billet de banque était convertible en plaques de
cuivre. Mais aujourd’hui, la confiance est l’unique base de la valeur de la
monnaie. Si la confiance s’écroule, la monnaie s’écroule.
DEUXIÈME PARTIE

La monnaie aujourd’hui

www.lienmini.fr/34212-2
Et voilà comment le Captain’ vient de résumer 6 000 ans d’histoire de la
monnaie en quatre petits chapitres. Bien évidemment, cette synthèse est très
incomplète et très sélective. L’objectif n’était pas de vous décrire dans les
moindres détails l’histoire de la monnaie, mais de vous faire comprendre
certaines intuitions et de tenter de vous expliquer comment nous en sommes
arrivés là. Cette histoire de la monnaie est donc plutôt chaotique : parsemée
de crises, de guerres, d’inflation et de manipulations ayant entraîné la
création et la disparition de très nombreuses monnaies. La monnaie n’a pas
toujours été ce qu’elle est ; et il y a peu de chances pour qu’elle reste la
même à l’avenir. Nous quittons donc désormais le passé pour nous
intéresser à ce qu’est la monnaie aujourd’hui. Qu’appelle-t-on d’ailleurs
« monnaie » ? Qui crée cette monnaie ? Et quel rôle jouent, de nos jours, les
banques commerciales et les banques centrales dans ce processus ?
Monnaie fiduciaire et monnaie
scripturale

Lorsque vous vous rendez aujourd’hui dans un magasin, vous pouvez


régler vos achats de deux manières principales. Soit vous payez en liquide –
c’est-à-dire avec des pièces ou des billets –, et dans ce cas l’argent change
physiquement de mains au moment du règlement. Soit vous utilisez un
moyen de paiement – une carte bancaire ou un chèque – qui permet de
transférer de l’argent qui se trouve sur votre compte bancaire vers celui du
vendeur. Lorsque vous utilisez des pièces et des billets, tout le monde sera
d’accord pour dire que vous utilisez de la monnaie. Mais qu’en est-il
lorsque le règlement se fait par un simple jeu d’écritures sur des comptes
bancaires ? Est-ce que l’argent qui se trouve sur un compte bancaire peut
être considéré comme de la monnaie ?

PIECES, BILLETS ET ECRITURES


Les pièces et les billets constituent ce que l’on appelle la monnaie
fiduciaire. Le mot « fiduciaire » tire son origine du latin fiducia qui signifie
« confiance ». La valeur aujourd’hui d’une pièce ou d’un billet n’est en
effet pas liée à sa valeur intrinsèque ni à son coût de fabrication, mais à la
confiance des utilisateurs de cette monnaie. J’accepte une pièce de 2 euros
non pas parce que les métaux utilisés pour la fabrication de celle-ci ont de
la valeur, mais parce que je pense que je pourrai utiliser cette pièce à
l’avenir et acheter avec elle des biens ou services d’une valeur de 2 euros.
Une pièce de 2 euros – composée de nickel et de cuivre – coûte une dizaine
de cents à produire ; n’essayez donc pas de faire fondre des pièces pour en
récupérer le métal et le revendre… vous ne gagnerez pas beaucoup d’argent
avec votre super idée !
LA MONNAIE AUJOURD’HUI
Mais il existe une autre monnaie, dont la valeur totale est bien
supérieure à celle de la monnaie fiduciaire : la monnaie scripturale. Restons
un peu dans nos cours de latin : « scripturale » vient du latin scriptura, qui
signifie « écriture ». Eh oui, l’argent qui se trouve sur vos comptes
bancaires sous forme de simples écritures, c’est bien de la monnaie.
Lorsque vous payez une baguette de pain via un paiement sans contact, de
la monnaie est effectivement transférée depuis votre compte vers celui de la
boulangerie. Cela signifie aussi que, lorsque vous allez au distributeur de
billets pour retirer de l’argent en liquide, vous convertissez de la monnaie
scripturale présente sur votre compte en monnaie fiduciaire présente dans
votre main sous la forme d’un billet.
La monnaie scripturale est donc une monnaie de banque. À partir du
moment où il existe des dépôts bancaires, et que l’argent peut circuler d’un
compte vers un autre via un instrument – une lettre de change au Moyen-
Âge ou une carte bancaire aujourd’hui –, il existe de la monnaie scripturale.
Le développement de la monnaie scripturale est par conséquent étroitement
lié à celui du secteur bancaire. La bancarisation de masse et la forte hausse
des besoins de crédits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ont
entraîné une explosion de la taille du secteur bancaire, et donc une forte
augmentation de l’importance de la monnaie scripturale. Aujourd’hui, la
monnaie scripturale représente plus de 90 % du stock de monnaie.
LES MESURES DE LA MASSE
MONETAIRE
Lorsque l’on parle de « monnaie en circulation », il est important de bien
définir de quoi il s’agit. Par exemple, si l’argent qui est sur votre compte
bancaire à vue est effectivement de la monnaie, est-ce la même chose pour
l’argent qui se trouve sur votre livret A 1 ? Vous ne pouvez en effet pas
effectuer – via un moyen de paiement – de transfert direct de votre livret A
vers le compte de la boulangerie lorsque vous achetez un pain au chocolat.
Mais vous pouvez très bien vous connecter à l’application de votre banque,
faire un virement depuis votre livret A vers votre compte à vue – celui
associé à votre carte bancaire – puis effectuer un paiement sans contact qui
va entraîner une écriture comptable débitant votre compte à vue. Si on étend
le raisonnement un peu plus loin, vous pouvez aussi vendre des actions puis
mettre cet argent sur votre compte à vue afin de l’utiliser comme de la
monnaie. Alors, peut-on dire que des actions sont aussi de la monnaie ?
Nous voyons ici que la frontière entre ce qui est de la monnaie et ce qui
n’en est pas n’est pas forcément très claire. Pour clarifier cela, la masse
monétaire – c’est-à-dire la totalité de la monnaie en circulation dans une
économie – est mesurée à partir de trois principaux agrégats que l’on
appelle M1, M2 et M3. La masse monétaire M1 correspond à la somme de
la valeur de l’ensemble des pièces, des billets et du montant des dépôts sur
les comptes à vue domiciliés dans les banques (comptes courants). C’est la
mesure la plus stricte – ou la plus étroite – de la masse monétaire : la
monnaie de M1 est parfaitement liquide, c’est-à-dire que vous pouvez
l’utiliser directement pour réaliser des transactions. Une mesure plus large –
que l’on appelle M2 – inclut, en plus de tous les éléments de M1, les
dépôts sur certains livrets moins liquides. Cela implique par exemple que
l’argent sur votre livret A fait partie de la masse monétaire au sens de M2,
mais pas au sens de M1. Enfin, la masse monétaire M3 inclut l’ensemble
des éléments de M2, auquel on ajoute certains placements monétaires moins
liquides mais convertibles en dépôt à vue sous certaines conditions.
L’agrégat monétaire M3 est une mesure large de la masse monétaire. Par
construction, M1 est toujours plus petit que M2, qui est lui-même toujours
plus petit que M3.
Pour donner un ordre de grandeur, le total des pièces et billets en
circulation en zone euro correspond environ à 1 400 milliards d’euros, et la
somme des encours sur les dépôts à vue, à 9 000 milliards. L’agrégat
monétaire M1 est donc d’environ 10 400 milliards. Si l’on ajoute les autres
comptes, livrets et instruments considérés pour le calcul de M3, la masse
monétaire de la zone euro s’élève à plus de 14 000 milliards. Les pièces et
les billets ne représentent donc qu’une petite partie de la masse monétaire ;
la monnaie est aujourd’hui avant tout de la monnaie scripturale.

MONNAIE ET MOYENS
DE PAIEMENT
Lorsque vous avez dans votre main un billet, vous détenez à la fois de la
monnaie et un instrument de paiement. Le billet – un simple bout de papier
dont la production coûte quelques cents – permet en effet, via son passage
de main en main, de faire circuler un montant de monnaie équivalent au
chiffre indiqué sur celui-ci. Mais si vous tenez votre carte bancaire, vous
n’avez pas directement de la monnaie entre les mains, seulement un
instrument de paiement permettant de faire circuler la monnaie. Au cours
du temps, les instruments permettant de faire circuler la monnaie scripturale
ont évolué : les instruments papier comme les chèques se sont raréfiés au
profit des instruments électroniques comme les cartes de paiement ou les
virements. Dans l’ensemble des moyens de paiement scripturaux, les deux
plus importants sont aujourd’hui le paiement par carte bancaire (en nombre
de transactions) et le virement bancaire (en volume de transactions).
Cela étant, bien que la technologie évolue et permette de transférer la
monnaie d’un compte bancaire à un autre de plus en plus rapidement et de
plus en plus facilement, les pièces et les billets résistent toujours dans une
société de plus en plus numérisée. Loin d’être en voie de disparition – et
selon une enquête de la Banque centrale européenne –, plus de la moitié des
paiements en magasin (en nombre de transactions) sont toujours effectués
en espèces. En France, un commerçant ne peut d’ailleurs pas refuser un
paiement en espèces, alors qu’il peut tout à fait refuser d’être payé par carte
de paiement. Les pièces et les billets ont un cours légal, ce qui permet de
renforcer la confiance que les individus placent dans cette monnaie
fiduciaire.
La création monétaire aujourd’hui

« Mais, au fait, Captain’, d’où viennent ces monnaies fiduciaires et


scripturales ? Qui a le pouvoir de création monétaire aujourd’hui ? » Pour
répondre à ces questions, il faut se demander comment et pourquoi de
nouvelles pièces et billets sont mis en circulation ; et comment et pourquoi
des écritures sont ajoutées sur des comptes bancaires. Et pour bien
comprendre tout cela, il va falloir faire un peu de comptabilité (eh oui,
désolé !).

LES CREDITS FONT LES DEPOTS


Si un ami vous demande de lui prêter de l’argent – disons 1 000 euros –,
vous pouvez par exemple faire un virement de votre compte vers le sien. Le
montant sur votre compte courant baissera de 1 000 euros, tandis que le
compte courant de votre ami se verra crédité de 1 000 euros. La monnaie a
donc circulé à l’aide d’un moyen de paiement scriptural. Mais, à aucun
moment, vous n’avez créé de nouvelle monnaie lors de ce processus.
Le jour où il vous remboursera, idem. La monnaie passera simplement d’un
compte à l’autre sans être créée ni détruite.
On aurait envie de se dire que, lorsque l’on demande un prêt à sa
banque, c’est la même chose. Mais non ! Les banques n’utilisent pas les
dépôts existants pour réaliser de nouveaux prêts. Les crédits accordés ne
sont pas financés par l’épargne des autres clients de la banque mais par…
de la création monétaire ! Pour bien expliquer ce phénomène, prenons un
exemple. Vous vous rendez dans votre banque pour obtenir un crédit de
1 000 euros. Après étude de votre dossier, la banque vous l’accorde. À ce
moment-là, votre compte bancaire est crédité de 1 000 euros, et vous avez
en contrepartie une dette envers la banque d’une même valeur. Mais est-ce
qu’un autre client de la banque a vu la valeur de ses dépôts sur son compte
bancaire diminuer de 1 000 euros ? Bien évidemment, non ! Il y a donc
davantage de dépôts au total dans cette banque, davantage de monnaie
scripturale et donc une hausse de la masse monétaire. On dit alors que « les
crédits font les dépôts » : ce ne sont donc pas les dépôts existants qui
permettent de financer des crédits, mais bien à l’inverse ; les nouveaux
crédits qui vont permettre la création de nouveaux dépôts. Et donc de
monnaie !
« Non mais, attends, Captain’, c’est pas clair, ton histoire ! Ils viennent
d’où alors, ces 1 000 euros ! ». Regardons un peu ce qui se passe dans la
comptabilité de la banque qui vous a accordé le prêt. Au moment de
l’acceptation de votre prêt, son passif augmente de 1 000 euros (la banque
vous doit effectivement les 1 000 euros inscrits en dépôt sur votre compte)
et son actif a aussi augmenté de 1 000 euros (vous devez à terme
rembourser ces 1 000 euros à la banque). Lorsque vous allez utiliser ces
1 000 euros pour réaliser une dépense – par exemple, pour acheter un
ordinateur –, les 1 000 euros vont être transférés depuis votre compte vers
celui du magasin d’informatique. Mais si le compte du magasin
d’informatique se trouve dans cette même banque, alors cela ne change
absolument rien au total du bilan de cette banque. À son passif, elle doit
désormais 1 000 euros au magasin d’informatique et, à son actif, elle détient
toujours votre crédit et vous devez donc toujours 1 000 euros à la banque.
Bilan comptable de la banque au moment de l’octroi du prêt

Actif Passif

1 000 prêt (votre emprunt) 1 000 dépôt (votre compte)

Bilan comptable de la banque après votre achat

Actif Passif

1 000 prêt (votre emprunt) 0 dépôt (votre compte)


1 000 dépôt (magasin)

UN POUVOIR INCROYABLE... MAIS


LIMITE !
L’octroi d’un crédit crée donc de la monnaie qui va ensuite circuler dans
l’économie. Cette création de monnaie se fait « à partir de rien » : on parle
donc de création monétaire ex nihilo. Mais que se passe-t-il au moment du
remboursement d’un crédit ? Eh bien, c’est tout l’inverse : le
remboursement d’un crédit entraîne la suppression du prêt (à l’actif de la
banque) et une baisse des dépôts (au passif de la banque) équivalente. Pour
rembourser un prêt, vous devez en effet avoir de l’argent sur votre compte.
Au moment où vous remboursez votre prêt, cet argent disparaît de votre
compte ; ce qui entraîne donc une baisse de la masse monétaire. Le
remboursement d’un crédit détruit donc de la monnaie.
Ce pouvoir de création monétaire – aussi incroyable soit-il – n’est
cependant pas sans limite. En effet, si une banque peut « créer de la
monnaie à partir de rien », pourquoi est-ce qu’elle ne créerait pas de la
monnaie pour la distribuer directement à ses actionnaires ? Ou bien
pourquoi n’accorde-t-elle pas des prêts à tout le monde si l’argent est
gratuit ? Il existe en effet des limites au pouvoir de création monétaire par
les banques commerciales. Tout d’abord, que se passe-t-il si un emprunteur
ne rembourse pas son prêt ? Au moment de l’octroi du prêt, la banque
détient à son actif une créance sur l’emprunteur ; et au passif de la banque,
le compte de ce dernier est crédité du montant du prêt. Si l’emprunteur fait
défaut, la banque va subir une perte à son actif. Pour le dire autrement, elle
va perdre de l’argent. Une banque n’accorde donc pas des prêts à n’importe
qui n’importe comment, non pas parce qu’elle ne dispose pas des fonds
pour le faire, mais parce que cela serait risqué pour elle. Il est d’ailleurs
intéressant de voir que, si un remboursement de crédit entraîne une
destruction de monnaie, ce n’est pas le cas d’un défaut – ce qui n’est pas
illogique étant donné qu’un défaut est un « non-remboursement » de dette.
Deuxièmement, en face de la création monétaire par les banques
commerciales, il y a toujours une dette qui est associée ! Une banque ne
peut donc pas créditer son propre compte pour distribuer de l’argent à ses
actionnaires. Enfin, elle pourrait, mais dans ce cas, elle augmenterait sa
dette.

LES FUITES DANS UN SYSTEME


A PLUSIEURS BANQUES
Mais que se passe-t-il si le magasin d’informatique a son compte bancaire
dans une autre banque ? Dans ce cas-là, au moment de votre paiement, le
passif de votre banque diminue de 1 000 euros – vous n’avez plus d’argent
sur votre compte – et le passif de la banque du magasin d’informatique
augmente de 1 000 euros. Au même moment, votre banque doit régler la
banque du magasin d’informatique afin de compenser ce mouvement. Votre
banque se retrouve avec une dette interbancaire de 1 000 euros à son passif
et donc son bilan est toujours équilibré. La banque du magasin
d’informatique se retrouve avec, à son actif, une créance interbancaire de
1 000 euros ; et donc idem, son bilan est toujours équilibré.

Bilan comptable de votre banque après votre achat

Actif Passif

1 000 prêt (votre emprunt) 0 dépôt (votre compte)


1 000 dette interbancaire

Bilan comptable de la banque du vendeur

Actif Passif

1 000 créance interbancaire 1 000 dépôt (magasin)


Les banques centrales

La monnaie circule en permanence entre les comptes des clients de


différentes banques. Dans notre exemple de l’achat d’un ordinateur pour un
montant de 1 000 euros, la banque de l’acheteur va devoir réaliser un
paiement auprès de la banque du vendeur afin de compenser les variations
de dépôts. Mais comment font les banques pour réaliser des paiements entre
elles ? Est-ce qu’elles ont un compte bancaire dans leur propre banque et se
font des virements de la même manière que lorsque vous en faites à un
ami ? Eh non ! Elles vont passer par un compte courant détenu auprès d’une
institution au sommet du système monétaire : la banque centrale.

LA BANQUE CENTRALE :
LA « BANQUE DES BANQUES »
La banque centrale est une institution publique qui agit en tant que banque
pour les banques commerciales. Les banques commerciales disposent donc
d’un compte courant auprès de la banque centrale, et les paiements entre
banques se font ensuite exclusivement par l’intermédiaire des comptes
qu’elles détiennent à la banque centrale. Les banques commerciales peuvent
aussi emprunter de l’argent à la banque centrale et venir ainsi créditer leur
compte courant auprès de la « banque des banques ».
« Mais, Captain’, lorsqu’une banque commerciale veut emprunter de
l’argent à la banque centrale, d’où vient cet argent ? Et est-ce que cela
augmente aussi la masse monétaire comme lorsqu’un client va demander un
crédit à sa banque commerciale ? » La banque centrale dispose elle aussi
d’un pouvoir exceptionnel : celui de créer de la « monnaie centrale ». Cette
monnaie est différente de la monnaie présente sur votre compte bancaire –
elle est utilisée pour les paiements entre les banques et reste toujours sur
les comptes que détiennent les banques à la banque centrale. Quand une
banque commerciale a besoin de monnaie centrale – par exemple pour
réaliser un paiement à une autre banque, comme dans notre exemple
d’achat d’ordinateur –, elle peut donc emprunter de la monnaie centrale
auprès de sa banque centrale ou bien emprunter de la monnaie centrale
directement auprès d’une banque ayant un excédent de liquidités centrales
sur ce que l’on appelle le marché interbancaire.
Comme vous adorez désormais la comptabilité (si, si !), regardons ce
qu’il se passe au bilan de la banque centrale lorsqu’une banque
commerciale souhaite emprunter de la monnaie centrale. Tout comme les
banques commerciales, une banque centrale peut émettre des passifs et
détenir des actifs financiers. Elle peut donc créer de la monnaie centrale et
prêter cette monnaie à une banque. Tout simplement. Si l’on regarde alors le
bilan de la banque centrale, juste après l’octroi du prêt, le compte courant
de la banque ayant réalisé l’emprunt augmente du montant du prêt, et la
banque détient désormais une créance ou un actif financier apporté en
garantie. Tout comme les dépôts des individus se trouvent au passif des
banques commerciales, les dépôts des banques auprès de la banque centrale
se trouvent au passif de cette dernière. La banque centrale a aussi la charge
de fournir des billets aux banques lorsque les clients souhaitent retirer du
« liquide » d’un distributeur automatique. Pour pouvoir répondre aux
besoins en billets des agents économiques, les banques commerciales
doivent donc acheter des billets auprès de la banque centrale. Et elles
achètent ces billets en monnaie centrale présente sur leur compte courant
auprès de la banque centrale.
« Attends, Captain’, il me manque encore quelque chose dans cette
histoire ! Comment est-ce que la banque centrale gagne de l’argent dans
cette histoire ? » Tout d’abord, l’objectif de la banque centrale n’est pas de
gagner de l’argent. La banque centrale est une institution publique dont
l’objectif est – bien que cela puisse varier d’un pays à l’autre – la stabilité
des prix. Cela ne veut cependant pas dire qu’une banque centrale ne puisse
pas gagner d’argent. Au contraire, en général même, les banques centrales
réalisent de très beaux profits. Premièrement, les prêts réalisés aux banques
ne sont pas gratuits – sauf situation exceptionnelle. Cela implique donc que
les banques vont devoir payer un taux d’intérêt pour se procurer de la
monnaie centrale. Deuxièmement, pour répondre aux besoins de retrait en
billets de la part de leurs clients, les banques doivent acheter des billets
auprès de la banque centrale. Troisièmement, la banque centrale peut
acheter directement des actifs financiers – comme des titres de dette d’un
État – et ces actifs financiers vont rapporter de l’argent.

BASE MONETAIRE ET MASSE


MONETAIRE
La banque centrale contrôle ce que l’on appelle la base monétaire, qui est
constituée des billets et de la monnaie scripturale « centrale » utilisée entre
les banques. Il est important de ne pas confondre cette monnaie avec la
masse monétaire – qui, pour rappel, est composée des pièces, des billets et
de la monnaie scripturale « non centrale » créée par les banques via les
crédits accordés et présente sur les comptes bancaires des agents
économiques.
Pour remplir son objectif de stabilité des prix – et nous reviendrons sur
ce point en détail dans la prochaine section –, la banque centrale doit donc
agir sur les crédits accordés par les banques commerciales aux agents
économiques. Et pour cela, elle va utiliser son arme principale : le taux
directeur. Lorsque les banques commerciales ont besoin de monnaie
centrale, elles peuvent en emprunter à la banque centrale en apportant un
actif financier en garantie et en réalisant une cession temporaire.
Le principe est relativement simple. Supposons qu’une banque commerciale
ait besoin d’emprunter 1 million d’euros en monnaie centrale pour une
durée d’une semaine afin d’effectuer ses règlements interbancaires. Pour
diminuer le risque, la banque centrale va exiger que la banque commerciale
lui apporte un actif en garantie. Un peu comme si vous acceptiez de prêter
100 euros à votre voisin mais que vous demandiez qu’en échange, il vous
confie sa montre. Si jamais il ne vous rembourse pas, vous pourrez garder la
montre et la revendre sur Le Bon Coin pour un montant proche de
100 euros : la garantie apportée doit être d’une valeur proche de celle du
crédit accordé. Bien évidemment, les banques commerciales ne vont pas
apporter des montres ou des objets en garantie, mais des actifs financiers.
Principalement des obligations souveraines qu’elles détiennent à leurs
actifs. Dans notre exemple, la banque centrale va donc proposer à la banque
commerciale de lui acheter pour 1 million d’euros d’obligations souveraines
françaises et de lui revendre ces mêmes obligations dans une semaine pour
1 million d’euros plus un taux d’intérêt.
Ce taux d’intérêt va permettre à la banque centrale de gagner de
l’argent, mais ce n’est pas l’objectif principal. En jouant sur le taux d’intérêt
exigé lors de ces opérations de refinancement via des cessions temporaires,
la banque centrale va pouvoir influencer le taux auquel les banques vont
ensuite se prêter et emprunter de l’argent sur le marché interbancaire. En
effet, si cela coûte environ 0,5 % – le taux d’intérêt – d’emprunter de la
monnaie centrale à la banque centrale, alors le taux du marché interbancaire
devrait se situer autour de ce niveau 1. Si la banque centrale décide
d’augmenter son taux directeur, cela va ensuite augmenter quasi
mécaniquement le taux sur le marché interbancaire.
« Mais, Captain’, quel est le lien entre le taux sur le marché
interbancaire et le volume de crédits accordés ? » La banque centrale peut
donc directement jouer sur le taux des crédits en monnaie centrale ; mais
aussi indirectement sur le taux des crédits accordés par les banques
commerciales aux agents économiques. En effet, lorsque les taux sur le
marché interbancaire augmentent, les banques vont avoir tendance à
reporter cette hausse de taux sur le taux des crédits accordés aux entreprises
et aux ménages. Il est important de noter ici le « vont avoir tendance ». Il ne
s’agit en effet pas d’un effet mécanique ou d’un impact direct. Les banques
sont libres de choisir le taux auquel elles souhaitent prêter aux agents
économiques. Mais si la monnaie centrale coûte plus cher sur le marché
interbancaire, alors cela a tendance à augmenter les coûts pour les banques
qui, in fine, « vont avoir tendance » à reporter cela sur le taux des crédits.

LE TAUX DE RESERVES
OBLIGATOIRES
Un autre outil permettant aux banques centrales d’influencer les crédits à
l’économie est le taux de réserves obligatoires. Les banques commerciales
doivent en effet avoir en réserves à la banque centrale – en monnaie
centrale donc – un certain pourcentage du total des dépôts de leurs clients.
Plus ce taux est élevé, plus cela limite les crédits accordés par les banques
commerciales – et donc la masse monétaire. Par exemple, si le taux de
réserves obligatoires est de 2 % et que la banque vous accorde un crédit
pour un montant de 100 euros – comme les crédits font les dépôts –, la
banque devra augmenter ses réserves en monnaie centrale sur son compte à
la banque centrale de 2 euros. Si la banque n’a pas de réserves
excédentaires à ce moment-là, cela implique qu’elle se procure cette
monnaie centrale sur le marché interbancaire ou bien en empruntant – via
une opération de cession temporaire – ce montant auprès de la banque
centrale.
Politique monétaire conventionnelle
et non conventionnelle

Supposons que vous soyez le président de la Banque centrale européenne


dans une période de crise économique. Qu’allez-vous pouvoir faire ? Vous
souhaiteriez contrecarrer les effets négatifs de la crise – récession, déflation
ou chômage – en relançant l’investissement des entreprises. Vous ne
contrôlez pas directement le taux auquel les banques prêtent aux
entreprises, mais vous souhaiteriez que ce taux baisse pour favoriser le
crédit. Pour cela, différentes solutions s’offrent à vous. Comme nous
l’avons vu précédemment, vous pouvez baisser votre taux directeur – le
taux auquel les banques commerciales peuvent vous emprunter de la
monnaie centrale – avec l’objectif que cette baisse de taux se répercute
ensuite sur le taux des crédits aux entreprises et aux ménages. Vous pouvez
aussi baisser le taux de réserves obligatoires, ce qui permet de baisser
indirectement le coût des réserves – les banques ayant besoin de moins de
monnaie centrale. Idem, en baissant le coût de refinancement pour les
banques commerciales, vous espérez que cela fera baisser le taux d’intérêt
proposé par les banques aux agents économiques. Mais que faire si vous
avez déjà utilisé ces deux instruments et que votre taux directeur est déjà
très proche de 0 %. Qu’allez-vous pouvoir faire de plus ?
TAUX DE FACILITE DES DEPOTS
ET TAUX DE FACILITE DES PRETS
La banque centrale est chargée de fixer le taux directeur – c’est-à-dire le
taux auquel les banques peuvent emprunter de la monnaie centrale dans le
cadre des opérations principales de refinancement. Mais ce n’est pas le seul
taux qu’elle fixe. Dans le cadre de sa politique monétaire, la banque
centrale fixe aussi deux autres taux : le taux de la facilité de dépôt et le taux
de la facilité de prêt marginal.
Comme nous l’avons vu précédemment, les banques commerciales ont
des réserves en monnaie centrale sur une sorte de compte courant auprès de
la banque centrale. Or, ces réserves sont rémunérées à un taux d’intérêt : le
taux de facilité des dépôts. Ce taux d’intérêt est bien sûr toujours inférieur
au taux directeur : si ce n’était pas le cas, une banque pourrait tout
simplement emprunter à la banque centrale (au taux directeur), garder la
monnaie centrale en réserves (rémunéré au taux marginal des dépôts) et
gagner de l’argent avec cette opération.
Les banques commerciales ont aussi la possibilité d’emprunter de la
monnaie centrale pour une durée d’un jour, et cette opération se fait au taux
de facilité de prêt marginal. Par construction aussi, le taux de facilité de prêt
marginal est toujours supérieur au taux directeur. Si ce n’était pas le cas, les
banques n’auraient aucun intérêt à emprunter au taux directeur – pour une
durée d’une semaine en zone euro – et emprunteraient uniquement au taux
de facilité de prêt marginal chaque jour. Les banques utilisent les facilités
de prêt marginal en cas de besoin urgent de liquidités – les opérations de
politique monétaire permettant d’emprunter pour une durée d’une semaine
au taux directeur n’ayant lieu qu’une fois par semaine.
Le taux de facilité des dépôts (taux de rémunération des réserves au jour
le jour) est donc toujours inférieur au taux directeur (taux d’emprunt à une
semaine dans le cadre des opérations principales de refinancement), qui est
lui-même toujours inférieur au taux de facilité de prêt marginal (taux
d’emprunt pour une journée). Ces deux taux influencent aussi le taux sur le
marché interbancaire. Lorsque les banques se prêtent ou empruntent de
l’argent entre elles pour une durée d’une journée, le taux auquel elles
réalisent cette transaction est nécessairement compris entre le taux de
facilité des dépôts et le taux de facilité des prêts. En effet, lorsqu’une
banque commerciale a besoin de monnaie centrale, elle peut se procurer
cette monnaie soit directement auprès de la banque centrale, soit auprès
d’une autre banque sur le marché interbancaire. Le taux sur le marché
interbancaire ne peut pas être supérieur au taux de facilité des prêts : si
c’était le cas, les banques emprunteraient uniquement à la banque centrale.
De la même manière, le taux sur le marché interbancaire est toujours
supérieur au taux de facilité des dépôts : si ce n’était pas le cas, les banques
ayant des excédents de monnaie centrale préféreraient en effet déposer leur
monnaie centrale à la banque centrale plutôt que de le prêter à une autre
banque.

TAUX NEGATIFS
En période de crise ou de déflation, une banque centrale va donc avoir
tendance à baisser son taux directeur ainsi que le taux de facilité des dépôts
et de facilité des prêts. Mais que faire lorsque les taux s’approchent de
zéro ? Peut-on imaginer que la banque centrale prête de la monnaie centrale
à un taux négatif ; et donc que les banques soient « payées pour
emprunter » ? La mise en place d’un taux directeur négatif n’est pas
inconcevable : il faut se rappeler que les banques doivent apporter des actifs
en garantie pour emprunter, et donc que cela limite le montant des
emprunts. Mais cela est très rare, et on ne retrouve dans l’histoire que
quelques exemples de pays ayant mis en place ce type de politique 1.
Cependant, dans une période récente, de nombreuses banques centrales ont
mis en place un taux négatif sur la facilité des dépôts. Cela implique donc
que les réserves excédentaires en monnaie centrale des banques
commerciales à la banque centrale peuvent être taxées. L’objectif étant à
nouveau de diminuer le taux d’intérêt sur le marché interbancaire, en
espérant que cela se répercute à nouveau sur les taux pratiqués par les
banques auprès des ménages et des entreprises.
« Mais, Captain’, pourquoi une banque accepterait d’être taxée sur ses
réserves en monnaie centrale qu’elle détient sur son compte auprès de la
banque centrale ? La banque pourrait très bien demander de convertir cette
monnaie centrale scripturale en monnaie centrale fiduciaire ; ou bien, pour
le dire autrement, acheter des billets à la banque centrale en utilisant ses
réserves. » C’est vrai ! La monnaie centrale est composée des billets et des
réserves des banques commerciales à la banque centrale, et une banque peut
parfaitement convertir ses réserves en billets. Or un billet bien au chaud
dans le coffre-fort de la banque ne rapporte certes rien, mais n’est pas non
plus taxé. Dans le cas d’un taux négatif sur la facilité des dépôts de – 0,5 %,
si une banque a 100 de réserves au début de l’année, elle n’aura plus que
99,5 de réserves si elle laisse cela sur son compte à la banque centrale. Si
elle demande à convertir ces réserves en billets, elle aura toujours 100 à la
fin de l’année.
Le problème est que le stockage de billets n’est ni simple ni gratuit. Et
cela est vrai pour un individu tout comme pour une banque. En effet,
stocker physiquement un grand nombre de billets exige de construire un
entrepôt hypersécurisé et de transférer matériellement les billets dans cet
entrepôt. Le stockage a donc un coût. Bien qu’il ne soit pas exclu que
certaines banques stockent un peu plus de billets en période de taux négatif,
cet effet est très marginal étant donné les coûts et les risques du stockage. Il
faudrait que le taux de facilité des dépôts soit fortement négatif durant une
longue période pour que le coût de stockage de billets soit inférieur à celui
de la taxe sur les réserves excédentaires.

LES POLITIQUES MONETAIRES


NON CONVENTIONNELLES
Lorsque les outils conventionnels de la politique monétaire ne sont plus
efficaces – donc principalement lorsque le taux directeur est déjà égal ou
très proche de zéro et qu’il n’est plus possible de le baisser –, les banques
centrales disposent d’autres armes que l’on regroupe sous le terme de
politiques monétaires non conventionnelles 2.
Comme nous l’avons vu, dans le cadre de sa politique monétaire
conventionnelle, la banque centrale tente de jouer sur les taux d’intérêt de
l’économie en passant toujours par les banques commerciales et en
influençant le taux sur le marché interbancaire à court terme. Mais la
banque centrale peut aussi influencer les taux de manière plus directe en
rachetant des actifs sur les marchés financiers. Cette politique monétaire est
connue sous le nom d’assouplissement quantitatif (quantitative easing). En
rachetant directement des actifs financiers – principalement des obligations
souveraines –, qui peuvent être détenus certes par des banques, mais aussi
par des investisseurs institutionnels tels que des fonds de pension ou des
fonds d’investissement, la banque centrale injecte des liquidités dans
l’économie et fait directement baisser les taux d’intérêt des obligations.
« Mais, Captain’, comment une banque centrale achète de manière
ferme des obligations à des acteurs qui ne sont pas des banques – et donc
qui ne disposent pas d’un compte auprès de la banque centrale ? »
La banque centrale pourrait bien évidemment imprimer des billets, payer
directement en billets l’investisseur qui détient l’obligation, et ce dernier
pourrait ensuite déposer ces billets à la banque. Cela pourrait fonctionner,
mais ce n’est pas très pratique ! Ces transactions vont donc – comme la
quasi-totalité des transactions de la banque centrale – être réalisées de
manière électronique. L’investisseur ayant un compte dans une banque
commerciale, et la banque commerciale disposant d’un compte auprès de la
banque centrale, c’est la banque commerciale qui va servir d’intermédiaire.
La banque commerciale va tout d’abord créditer le compte de l’investisseur
d’un montant correspondant à la valeur de l’obligation, puis vendre cet actif
financier à la banque centrale qui achète cela en augmentant le montant des
réserves excédentaires de la banque commerciale. L’assouplissement
quantitatif – financé par de la nouvelle monnaie centrale émise sous la
forme de réserves des banques commerciales auprès de la banque centrale –
entraîne donc mécaniquement une augmentation de la base monétaire.
L’effet sur la masse monétaire est un peu plus compliqué. Au tout départ,
lorsque l’investisseur vend son obligation à la banque, il se retrouve donc
avec une hausse du montant de ses dépôts. S’il ne fait rien d’autre, cela va
entraîner une hausse de la masse monétaire. Mais en réalité, il y a de fortes
chances pour que l’investisseur utilise cet argent d’une manière ou d’une
autre. S’il achète un titre financier à un autre investisseur, alors cela ne fera
que déplacer un dépôt : tout comme lorsque vous achetez un ordinateur
dans un magasin. Si en revanche l’investisseur utilise cet argent pour
rembourser un de ses prêts, alors il détruira à ce moment de la masse
monétaire 3. À noter d’ailleurs que ces actifs peuvent aussi être rachetés à
des investisseurs étrangers, dont les dépôts ne font pas partie de la masse
monétaire domestique.
Derrière cet effet « direct » lié à l’achat, par la banque centrale, d’un
actif financier détenu par un acteur non bancaire, l’assouplissement
quantitatif permet surtout de faire diminuer le taux d’intérêt à moyen et
long terme. En effet, lorsque la banque centrale se place en acheteur sur le
marché, cela fait augmenter la demande des titres financiers qu’elle
souhaite racheter. Cette hausse de la demande implique une baisse du taux
d’intérêt pour les émetteurs 4. Et l’on en revient à notre boucle classique
« baisse de taux → hausse du crédit → hausse de l’investissement » ; sauf
qu’ici, la banque centrale joue de manière plus directe sur le taux d’intérêt.
Il existe deux autres grands types de politique monétaire non
conventionnelle : l’assouplissement qualitatif et la forward guidance. En ce
qui concerne le premier, et contrairement à l’assouplissement quantitatif qui
joue directement sur la taille du bilan de la banque centrale,
l’assouplissement qualitatif implique une modification de la composition du
bilan de la banque centrale. Par exemple, si une banque centrale détient à
son actif des titres de dette à long terme et qu’elle choisit de les revendre
pour acheter des titres de dette à court terme, alors elle réalise un
assouplissement qualitatif. La modification de sa demande aura un impact
sur le taux de différentes maturités : par exemple, dans notre cas, cela aura
tendance à augmenter le taux à long terme (moins de demande) et à
diminuer les taux à court terme (plus de demande). La forward guidance est
quant à elle une politique monétaire non conventionnelle dont l’objectif va
être d’influencer les anticipations des agents économiques en ce qui
concerne le taux d’intérêt directeur à plus long terme. Par exemple, une
banque centrale peut dire « le taux directeur est actuellement à 0,5 % et il
restera à ce niveau encore pendant plusieurs mois ». En effet, comme nous
l’avons vu précédemment, le taux directeur est un taux à court terme et
n’influence donc directement que les taux à court terme sur le marché
interbancaire. Mais, lorsque la banque centrale annonce et s’engage à ce
que ce taux reste à un certain niveau à moyen terme, cela aura tendance à
influencer plus facilement les taux d’intérêt que les banques appliquent à
leur client à moyen terme. Bien sûr, pour que cela fonctionne, il faut que les
banques et les investisseurs économiques fassent confiance à la banque
centrale et que cet engagement soit crédible. Bien qu’il ne s’agisse ici que
d’une parole, n’ayant pas d’impact sur la taille ou sur la composition du
bilan de la banque centrale, la communication est un outil qui peut se
révéler extrêmement efficace pour ancrer les anticipations et rassurer les
marchés.
TROISIÈME PARTIE

Les grands débats

www.lienmini.fr/34212-3
Les banques centrales et les banques commerciales sont au cœur du
système monétaire actuel. La banque centrale – ou banque de premier
rang – contrôle le prix et le volume de monnaie centrale qui circule entre les
banques. Les banques commerciales – ou banques de second rang – gèrent
les moyens de paiement, l’épargne et l’octroi de crédit des entreprises et des
particuliers. Ce système à de nombreux avantages : la concurrence entre les
banques permet de diminuer les taux d’emprunt, la création de monnaie
répond automatiquement à la demande et aux besoins des agents
économiques, et les risques de dérives liés à un chef d’État souhaitant
imprimer de la monnaie pour financer une guerre sont limités. Mais ce
système a aussi des désavantages : la banque centrale ne contrôle la création
monétaire que de manière indirecte, ce qui limite donc son pouvoir en
période de crise ; les États doivent financer leurs déficits sur les marchés, ce
qui peut créer des instabilités et limiter certaines dépenses de long terme ; et
la méthode d’intervention des banques centrales via l’achat d’actifs
financiers peut avoir tendance à favoriser les plus riches.
La monnaie et l’inflation

Lorsque la monnaie était liée à un stock d’or – ou bien lorsque la monnaie


était composée directement de pièces d’or –, la valeur de la monnaie était
garantie par la quantité de métal composant les pièces ou la quantité de
métal effectivement présente dans un coffre-fort. Cela permettait – en
général – une relative stabilité de la valeur de la monnaie. La masse
monétaire était directement liée à une quantité d’or dans l’économie et il
était difficile de faire varier rapidement cette quantité d’or – contrairement à
la situation actuelle où il est possible de créer de la monnaie par une simple
écriture comptable. Mais cela n’avait pas que des avantages : pour que les
prix dans l’économie soient stables, il fallait donc que le rythme
d’augmentation du volume des biens et des services produits soit à peu près
équivalent à la variation du stock total d’or présent dans l’économie. En cas
de pénurie d’or ou de découverte d’un gisement important, la valeur de la
monnaie pouvait fortement varier. Trop d’or en circulation et la valeur de la
monnaie se dépréciait : on parle alors d’inflation. Trop peu d’or en
circulation et la valeur de la monnaie s’appréciait : on parle alors de
déflation.

QUANTITE DE MONNAIE ET PRIX


Il existe en théorie un lien entre la quantité de monnaie en circulation et le
niveau des prix. Pour expliquer cela, revenons sur notre île déserte où les
noix de coco sont utilisées comme monnaie. Supposons qu’une nuit, des
noix de coco tombent du ciel, venant doubler le volume total de noix de
coco en circulation dans notre économie. Que va-t-il se passer pour les prix
des autres biens exprimés en nombre de noix de coco ? Il y a donc – alors
que le volume des autres biens produits n’a pas changé du jour au
lendemain – relativement plus de noix de coco que de biens à acheter. La
valeur relative des noix de coco va par conséquent diminuer ; c’est-à-dire
qu’il va falloir plus de noix de coco pour acheter un même bien. « Mais,
Captain’, est-ce que cela veut dire que, s’il y a deux fois plus de noix de
coco, alors le prix des biens exprimés en noix de coco va doubler ? » Pour
voir cela, nous allons nous intéresser à l’équation des échanges et à la
théorie quantitative de la monnaie.
L’équation des échanges d’Irving Fisher exprime la relation entre la
masse monétaire, c’est-à-dire le stock de monnaie présent dans l’économie
« M », la vitesse/vélocité de circulation de la monnaie « V », l’indice
général des prix « P » et le volume total des transactions effectuées sur la
période « Y ». Cette équation des échanges s’exprime sous la forme
M × V = P × Y. Le montant total des choses produites et échangées dans une
économie (P × Y) est égal au montant total de monnaie disponible multiplié
par le nombre de fois où la monnaie change de mains (M × V). Si l’on se
base uniquement sur cette équation, une hausse de la masse
monétaire M pourrait certes entraîner une hausse des prix P, mais aussi une
hausse de la production Y ou bien encore une baisse de la vitesse des
échanges V.
Pour établir un lien direct et causal entre la masse monétaire et le niveau
des prix, il va donc falloir introduire certaines hypothèses – et comme toute
hypothèse, elles peuvent être contestées. C’est ce qu’ont fait les adeptes de
la théorie quantitative de la monnaie en supposant que la vélocité de la
monnaie est constante et que le niveau de production ne dépend pas de la
quantité de monnaie. Et là, mathématiquement, tout devient plus simple ! Si
l’on repart de notre équation M × V = P × Y, et si l’on suppose donc que V
est une constante et que Y est à son maximum (plein emploi des capacités
de production), alors une hausse de M aura un impact direct sur P ; et
uniquement sur P. Dans notre exemple de la pluie de noix de coco, le
doublement du nombre de noix de coco en circulation aura comme impact
direct le doublement des prix. La hausse de la quantité de monnaie a
simplement des effets nominaux (via les prix) mais aucun effet réel. Le
pouvoir d’achat des individus reste le même, car les salaires doublent aussi,
et il n’y a aucun changement de la production en volume – normal, cela fait
partie d’une hypothèse directe de la théorie.
L’un des grands défenseurs de la théorie quantitative de la monnaie est
Milton Friedman – économiste américain et prix Nobel en 1976 –, dont la
phrase suivante est utilisée encore aujourd’hui pour justifier les effets
néfastes d’une hausse de la masse monétaire : « l’inflation est toujours et
partout un phénomène monétaire en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut
être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus
rapide que celle de la production ». « Mais, Captain’, si le nombre de noix
de coco double durant la nuit, est-ce que les prix vont s’ajuster directement
dès le lendemain matin ? Et est-ce que les salaires vont suivre
instantanément ? » C’est une excellente question et c’est le cœur du débat
entre monétaristes et (néo-)keynésiens.

LA NEUTRALITE DE LA MONNAIE
La théorie quantitative de la monnaie suppose une dichotomie – une
séparation – entre les sphères réelle et financière La monnaie serait neutre
au sens où elle n’influence pas la production réelle de l’économie. Ce n’est
pas parce qu’il y a plus ou moins de monnaie en circulation que cela va
changer le nombre de machines, le nombre de travailleurs ni encore la
disponibilité des ressources naturelles. La production de biens et de services
étant liée à l’utilisation de facteurs de production réels – et en supposant
que la quantité de monnaie n’a pas d’impact sur la quantité de facteurs de
production –, alors la monnaie est neutre et n’a pas d’effet sur l’économie
réelle.
Mais si la monnaie n’avait pas d’effet sur l’économie réelle, pourquoi
est-ce que l’on passerait tant de temps à en discuter ? Eh bien, tout
simplement parce que tout le monde n’est pas d’accord avec cette idée de
neutralité de la monnaie, loin de là. Selon le courant de pensée keynésien ou
néokeynésien, les prix et les salaires ne s’ajustent pas instantanément après
une hausse de la masse monétaire. Il existe une certaine rigidité des prix – il
faut du temps pour que les entreprises ajustent le prix des biens et services –
et une rigidité encore plus grande des salaires – il faut du temps pour que
les employés se rendent compte de l’inflation, demandent des
augmentations de salaire et que ces augmentations se traduisent par une
hausse du coût de production pour les entreprises. De plus, la monnaie en
circulation n’est pas nécessairement dépensée : elle peut être accumulée
(thésaurisée) par précaution ou pour une future spéculation. La quantité de
monnaie en circulation, en ayant un impact sur le taux d’intérêt et donc sur
le coût de financement des projets, peut exercer une influence sur des
variables réelles de l’économie.
« Mais, Captain’, qui a raison entre Friedman et Keynes ? » Sans avoir
la prétention de synthétiser des décennies de débats entre différents courants
de pensée économique, il semble difficile d’affirmer que la monnaie n’ait
pas d’impact sur l’économie réelle à court terme. Les partisans de la théorie
quantitative de la monnaie eux-mêmes postulent que leur relation de
neutralité de la monnaie est une relation de long terme, sans nier un effet
possible à court terme. En revanche, la neutralité (ou non) de la monnaie à
long terme fait davantage l’objet de débats. Il y a plusieurs manières
d’aborder cette question. La première serait de se baser sur la fameuse
phrase de Keynes, « à long terme, nous sommes tous morts », pour se dire
qu’il faut se concentrer sur les effets à court terme et non pas sur un
hypothétique effet à long terme. La seconde serait de supposer qu’un choc à
court terme – par exemple, une baisse de l’investissement consécutive à une
crise – peut avoir des répercussions importantes sur la croissance et la
production de long terme. L’effet d’hystérèse implique la transformation
possible d’un chômage conjoncturel (de court terme) en chômage structurel
(de long terme) et donc peut permettre de justifier la nécessité
d’intervention à court terme. En définitive, les différents courants de pensée
économique sont d’accord pour dire qu’il existe un lien entre quantité de
monnaie et inflation à long terme (même les keynésiens). La différence
repose dans la magnitude de l’effet : est-ce qu’une hausse de la quantité de
monnaie crée uniquement de l’inflation à long terme ou bien est-ce que cela
engendre certes de l’inflation mais aussi des impacts sur l’économie réelle à
long terme (chômage de long terme, croissance de long terme…) ?

DECOUVERTE DE L'AMERIQUE
ET INFLATION
La théorie quantitative de la monnaie ne date pas de Friedman ni de l’école
monétariste. Cette théorie aurait été développée dès le XVIe siècle, au
moment justement où une vague d’inflation toucha l’Europe. À cette
époque – nous sommes avant l’apparition des premiers billets de banque –,
la monnaie est métallique (or, argent ou cuivre, principalement) et la
création monétaire est donc limitée par la quantité de métal en circulation.
Mais un évènement majeur va avoir un impact sur l’inflation : la découverte
de l’Amérique.
L’Empire espagnol – quelques années seulement après la découverte de
Christophe Colomb – a commencé à largement exploiter et piller les
ressources présentes sur ses nouveaux territoires. Les navires espagnols
ramenèrent de nombreuses marchandises en Europe via la flotte des Indes,
dont deux marchandises un peu spéciales : de l’or et de l’argent qui étaient
présents en quantité importante dans des mines encore inexploitées. D’un
point de vue monétaire, cette arrivée massive d’or et d’argent en Europe
constitue donc une augmentation de la quantité de monnaie en circulation.
Comme n’importe quel bien répondant à la loi de l’offre et de la demande,
les découvertes de mines d’or et d’argent et l’importation de quantités
importantes de métal en Espagne ont entraîné une baisse du prix de ces
métaux. L’or et l’argent étant utilisés comme monnaie, cela a entraîné une
augmentation des prix des autres biens exprimés en or ou en argent : ce qui
n’est rien d’autre que de l’inflation. C’est d’ailleurs à cette époque, en 1552,
que le théologien espagnol Martin Azpilicueta énonça – en observant l’effet
de l’afflux de métal en provenance des Amériques sur le niveau des prix
dans son pays – que c’est la quantité de métal précieux dans un pays qui
détermine le pouvoir d’achat de la monnaie.
Cet afflux d’or et d’argent en Espagne a ensuite eu un impact sur
l’ensemble des pays européens : le métal pouvant circuler entre les pays
pour ensuite être fondu et frappé afin de constituer des pièces et des lingots,
la hausse du volume d’or en Espagne s’est petit à petit diffusée à d’autres
pays d’Europe de l’Ouest. Durant cette période de « révolution des prix »,
le niveau des prix a été multiplié par 4 environ sur une période de 100 ans ;
cela peut a priori paraître énorme, mais ne représente en réalité qu’une
inflation annuelle autour de 1,4 % 1. Ce taux d’inflation semble relativement
normal – voire faible – par rapport à nos standards actuels. Mais au
e
XVI siècle, ces mouvements de prix étaient considérés comme importants

dans un monde où les prix étaient plutôt stables. Il est de plus important de
noter que cette période est aussi caractérisée par une augmentation de la
population, une hausse de l’urbanisation, et l’occurrence de guerres :
différents phénomènes non monétaires ayant pu aussi entraîner une hausse
de l’inflation.
Cela illustre d’ailleurs la difficulté de mesurer l’impact d’une
augmentation de la masse monétaire sur l’inflation. À long terme, de
nombreux autres facteurs peuvent en effet influencer le niveau des prix à la
hausse comme à la baisse : des découvertes technologiques, des
catastrophes naturelles, des changements de préférences des agents
économiques. De plus, il existe souvent un décalage entre l’augmentation
de la monnaie en circulation et un potentiel impact sur le prix des biens et
des services – ce qui complique de fait l’analyse. Et d’ailleurs, lorsque l’on
parle ici d’inflation, on parle de l’augmentation du prix des biens et services
de consommation. Mais une variation de la quantité de monnaie peut ne pas
causer d’inflation – au sens d’une hausse du prix de biens de
consommation – mais entraîner une hausse du prix des actifs financiers si la
monnaie sert davantage à acheter ces actifs que des biens. Une sorte
d’« inflation financière » qui entraîne des risques de bulles sur les marchés ;
et de crises en cas d’éclatement de la bulle.
La monnaie et l’État

Pendant plusieurs millénaires, le pouvoir de création monétaire se trouvait


dans les mains des rois, des empereurs ou des chefs religieux. Mais ce n’est
plus le cas aujourd’hui ! La vision de la planche à billets contrôlée par
l’État, qui lui permet de financer la dépense publique, n’est rien d’autre
qu’un mythe. Aujourd’hui, lorsqu’un État a besoin de s’endetter, il va
devoir passer par les marchés financiers pour se financer – principalement
via l’émission d’obligations souveraines. Mais pourquoi a-t-on retiré ce
pouvoir à l’État ? Et peut-on dire que la monnaie n’est donc plus une
« créature de l’État » ?

L'INDEPENDANCE DES BANQUES


CENTRALES
Que se passerait-il si la banque centrale était contrôlée par l’État ? Si l’on
reste dans notre système monétaire hiérarchisé avec une banque centrale et
des banques commerciales, il est possible d’imaginer une situation où l’État
forcerait la banque centrale à acheter toutes les dettes qu’il émet afin de
permettre un financement « gratuit » de l’État. Ce financement pourrait être
direct – via un rachat de dette sur le marché primaire – ou indirect – via un
rachat de dette sur le marché secondaire à des acteurs financiers (banques,
fonds de pension, fonds d’investissement…). Dans les deux cas,
l’obligation émise par l’État se retrouverait donc à l’actif du bilan de la
banque centrale, ce qui implique que l’État paierait des intérêts à la banque
centrale ; mais comme il contrôlerait cette banque, cela reviendrait
finalement dans sa poche par la suite (la banque centrale lui restituerait les
intérêts). Cette méthode de financement via la banque centrale permettrait
donc à l’État de financer des dépenses publiques. Cet argent se retrouvera
donc in fine en dépôt dans les banques commerciales, entraînant une hausse
de la masse monétaire.
« Mais, Captain’, c’est génial, un financement gratuit des dépenses
publiques ! C’est mieux que de devoir payer des intérêts sur la dette ! » Dit
comme ça, oui ! Mais attention, cela n’est pas sans risque. Le financement –
direct ou indirect – de la dette publique par une banque centrale fait peser
un risque sur l’inflation. En effet, la hausse de la quantité de monnaie en
circulation – sans nécessairement supposer un effet parfaitement mécanique
et proportionnel comme dans la théorie quantitative de la monnaie – aura
tendance à créer de l’inflation. Les salaires ne s’ajustant pas directement,
cette hausse des prix à la consommation entraînera donc une perte de
pouvoir d’achat. Et pour toutes les personnes détenant de l’épargne sous
forme de monnaie ou de titres de dette, l’inflation viendra en réduire la
valeur. Il existe donc un risque qu’un gouvernement, par exemple à
l’approche des élections, augmente massivement les dépenses publiques
afin de faire diminuer temporairement le chômage et augmenter sa
popularité, tout en sachant que cette politique sera inflationniste par la suite.
Par exemple, et pour caricaturer, un gouvernement pourrait très bien choisir
d’envoyer un chèque de 1 000 euros à l’ensemble des habitants de son pays
quelques mois avant l’élection, en finançant cela par de la création
monétaire grâce à son contrôle de la banque centrale. Le cycle électoral est
court – le mandat de président en France durant par exemple cinq ans –
alors que la politique économique et monétaire nécessite de voir à long
terme. Difficile donc de confier la politique monétaire à un État – sauf à
supposer un État parfaitement bienveillant et agissant uniquement pour le
bien commun à long terme.
Depuis le début des années 1980 – pour éviter ce genre de problème et
assurer la crédibilité et l’efficacité de la politique monétaire –, les banques
centrales sont petit à petit devenues indépendantes vis-à-vis de l’État. Les
grandes banques centrales conduisent donc désormais leur politique
monétaire sans que les acteurs du monde politique puissent leur imposer
quoi que ce soit. Ce qui ne veut pas dire qu’elles peuvent faire n’importe
quoi, au contraire ! Ni qu’il n’existe aucun lien entre les banques centrales
et les gouvernements.
Si l’on prend l’exemple de la Banque centrale européenne, celle-ci a été
créée lors du traité de Maastricht en 1992. C’est ce traité – fondateur de
l’Union européenne et à la base de la création de l’euro, qui entrera en
vigueur en 1999 – qui institue la Banque centrale européenne et en définit
alors l’objectif principal : le maintien de la stabilité des prix dans la future
zone euro. Depuis sa création, la Banque centrale européenne revendique
un haut degré d’indépendance par rapport aux gouvernements des pays
membres : une indépendance d’autant plus importante dans une zone
monétaire pour s’assurer que la banque centrale n’avantage pas un pays
plutôt qu’un autre. De par ses statuts, la Banque centrale a d’ailleurs
l’interdiction d’accorder des prêts directement au secteur public et est –
selon les mots utilisés par la BCE elle-même – « ainsi préservée des
pressions venant des autorités publiques ». Et nous verrons que le mot
« directement » a de l’importance ici.

BANQUE CENTRALE
ET OBLIGATIONS SOUVERAINES
Si rien n’oblige la banque centrale à acheter la dette des États si ces derniers
lui demandent, rien ne l’empêche non plus d’en acheter si elle le souhaite –
sur le marché secondaire – dans le cadre de sa politique monétaire non
conventionnelle. L’objectif de la BCE est la stabilité des prix, et plus
précisément une inflation proche de 2 % en zone euro. « Attends, Captain’,
je croyais que l’objectif, c’était la stabilité des prix ; pourquoi l’objectif
n’est donc pas une inflation de 0 % ? » La BCE – comme d’ailleurs toutes
les banques centrales – veut éviter à tout prix de tomber dans la baisse
générale du niveau des prix : ce que l’on appelle la déflation. Le risque, en
fixant un niveau cible à 0 %, est que – comme il est impossible pour une
banque centrale de garder l’inflation exactement à ce taux – l’inflation
fluctue autour de ce chiffre, et soit donc à certains moments négative.
Lorsqu’une économie est en déflation, il y a un risque de cercle vicieux :
comme les prix diminuent, les agents économiques peuvent avoir tendance
à repousser leurs dépenses : pourquoi acheter aujourd’hui si cela coûte
moins cher demain. Le problème est que, si beaucoup de personnes font
cela, alors la consommation va ralentir et faire baisser à nouveau les prix.
Pour éviter de se retrouver fréquemment face à ce risque de boucle
déflationniste, la BCE a fixé à 2 % sa cible d’inflation. Ce qui lui permet
d’avoir un peu de marge avant de tomber en déflation tout en gardant des
prix relativement stables : une hausse de 2 % par an du niveau des prix reste
relativement faible.
Pour respecter son mandat, la banque centrale doit donc utiliser la
politique monétaire afin d’influencer le comportement des banques, des
ménages et des entreprises. Comme nous l’avons vu dans la section
précédente, lorsque la banque centrale a épuisé ses outils conventionnels –
et principalement lorsque le taux directeur est déjà proche de 0 % –, elle
peut alors utiliser des outils non conventionnels, dont l’assouplissement
quantitatif. Cette politique monétaire a comme objectif de faire remonter
l’inflation autour de son niveau cible – en cas d’inflation trop faible ou de
risque de déflation – en faisant baisser les taux d’intérêt à moyen et long
terme via le rachat (principalement) d’obligations souveraines auprès des
banques et des investisseurs. Cette politique monétaire implique donc que la
banque centrale détienne ensuite effectivement la dette des États.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’une monétisation de la dette ni
d’un financement de l’État sans contrepartie : les obligations souveraines
détenues par la banque centrale viendront un jour à échéance et, à ce
moment, l’État devra rembourser la banque centrale. Pour rembourser les
obligations arrivant à échéance, l’État devra s’endetter sur les marchés
financiers en émettant de nouvelles obligations qui seront achetées par des
investisseurs traditionnels. Une politique monétaire de ce type est donc
théoriquement réversible. La banque centrale augmente la taille de son bilan
en achetant des obligations souveraines pour combattre la déflation. Et –
une fois l’inflation de retour à son niveau cible ou au-dessus – la banque
centrale peut choisir d’attendre que ces obligations arrivent à maturité et ne
pas renouveler les achats lorsque c’est le cas. Mécaniquement, cela va donc
faire baisser la taille de son bilan. C’est ce que l’on appelle le resserrement
quantitatif (quantitative tightening).
La Banque centrale européenne peut aussi intervenir directement – via
le nouvel Instrument de protection de la transmission – en achetant des
obligations publiques et privées émises dans les pays connaissant une
détérioration de leurs conditions de financement. Et ce, pour éviter
justement, en cas de montée de l’inflation et de période de hausse des taux,
que des pays fragiles voient leur taux d’intérêt augmenter trop fortement au
point de créer une nouvelle crise de la dette pouvant peser sur la stabilité de
la zone euro. Cette illustration montre le pouvoir important laissé dans les
mains de la BCE ; et même si ces programmes sont menés de manière
indépendante et – tout du moins officiellement – toujours dans le but
d’assurer la stabilité des prix, cela peut poser des questions en ce qui
concerne la légitimité d’une institution non élue d’agir directement sur les
conditions de financement et donc sur les choix politiques des pays de la
zone euro.

LEGITIMITE ET AUTORITE
D'UNE INSTITUTION NON ELUE
Une critique souvent émise envers les banques centrales – et d’autant plus
présente de par l’importance prise par ces dernières depuis une vingtaine
d’années – est que les membres de ces institutions ne sont pas élus
démocratiquement. Cela est vrai pour toutes les principales banques
centrales, dont les gouverneurs et les membres les plus importants ne sont
pas élus lors d’un suffrage ouvert au grand public mais sont nommés par les
institutions politiques au pouvoir : en général le chef de l’État – la décision
étant parfois aussi soumise au vote du Sénat ou du Parlement. « Attends,
Captain’, tu nous as dit avant que les banques centrales étaient
indépendantes ? Comment peut-on être indépendant si on est nommé par un
président ou un gouvernement ? » Le pouvoir politique a en effet la
possibilité – en choisissant qui nommer à la tête de la banque centrale –
d’avoir un effet indirect sur la conduite de la politique monétaire en
nommant un président de banque centrale proche de sa vision politique.
Mais en dehors de cette nomination – et sans en sous-estimer cependant
l’importance –, l’État n’a plus ensuite le droit d’exiger quoi que ce soit de la
part des membres nommés, qui sont libres de leur action et doivent mettre
en place une politique monétaire afin de répondre à leur mandat.
Les banques centrales souffrent d’un déficit démocratique au sens où le
grand public n’a pas la possibilité d’en élire directement les membres. Cela
est d’ailleurs le cas pour de nombreuses institutions publiques –
indépendantes ou non – dont les responsables sont nommés par les
responsables politiques. Mais la banque centrale n’est pas n’importe quelle
institution. Elle a certes un rôle technique à jouer – celui d’utiliser au mieux
ses outils et d’en créer de nouveaux afin d’assurer la stabilité des prix ou
toute autre mission de son mandat. Mais les décisions des banques centrales
ne sont pas uniquement techniques ni basées sur des chiffres : si c’était le
cas, on laisserait des ordinateurs décider de la politique monétaire à mener.
Les décisions reposent aussi sur une vision du fonctionnement de
l’économie, sur des croyances, sur des idéologies, sur des conflits de valeur.
Faut-il racheter directement de la dette des pays en difficulté en cas de
hausse de taux ? Faut-il acheter des obligations d’entreprises privées
polluantes dans le cadre de la politique monétaire ? Faut-il sauver ou non
une banque en difficulté ? Faut-il en général laisser le marché s’autoréguler
ou bien être davantage interventionniste ?
Pour pallier ce problème, les banques centrales communiquent de
manière claire et fréquente les raisons de leurs décisions et de la mise en
place de telle ou telle politique monétaire au grand public, au monde
politique et aux acteurs des marchés financiers 1. La communication est
aussi un moyen pour la banque centrale de gagner en crédibilité – et donc
de renforcer l’impact de ses actions. En étant crédible, une banque centrale
peut « ancrer les anticipations d’inflation » des acteurs économiques : si les
entreprises et les ménages pensent que l’inflation va être basse à l’avenir,
alors leurs décisions en ce qui concerne les hausses de prix ou les hausses
de salaires vont être influencées par ces anticipations, et donc cela va avoir
un effet autoréalisateur.
La monnaie et les inégalités

« Mais, en fait, Captain’, qui possède la monnaie ? » Une réponse rapide


serait de dire « c’est facile, ce sont les riches » ! Eh oui, les riches
détiennent les richesses : mais c’est un pléonasme et, avec ça, nous n’avons
pas beaucoup avancé. Pour répondre (correctement) à cette question, il y a
deux points importants à prendre en compte. Premièrement, il faut toujours
regarder le patrimoine net : c’est-à-dire ce qu’une personne détient moins
ses dettes. Pour prendre un exemple, supposons que votre banque vient de
vous accorder un crédit à la consommation de 10 000 euros. À ce moment-
là, vous détenez effectivement 10 000 euros de monnaie – sous forme de
monnaie scripturale sur votre compte courant – mais, en face, vous avez
une dette envers la banque du même montant. Difficile de dire que vous
êtes plus riche après votre crédit qu’avant. Deuxièmement, il est important
de regarder l’ensemble du patrimoine. En effet, un individu peut certes
avoir de l’argent sous forme de monnaie – des pièces, des billets ou des
dépôts à la banque –, mais une grande partie de son patrimoine est
constituée d’autres actifs : de l’immobilier, des actions, des obligations, une
assurance-vie… Une personne qui a 0 euro sur son compte en banque mais
possède deux yachts et trois villas ne peut pas vraiment être classée dans la
catégorie des « pauvres ».
Le patrimoine net est composé du patrimoine non financier –
principalement de l’immobilier, des terrains et de divers objets de valeur
comme des bijoux – et du patrimoine financier – des billets, de l’argent sur
des comptes courants et livrets, des actions ou autres produits financiers
risqués. La monnaie – au sens du numéraire et des dépôts – ne représente
qu’une petite partie du patrimoine net des ménages en France : environ
1 500 milliards d’euros sur un patrimoine net total de 12 500 milliards
d’euros selon l’INSEE. Le patrimoine, en France, est en réalité
essentiellement immobilier : 8 000 milliards d’euros environ.
Mais pourquoi parler alors de la monnaie dans un chapitre sur les
inégalités ? Il est vrai que la différence entre les plus pauvres et les plus
riches d’un pays va se voir principalement au niveau de la possession de
biens immobiliers et de la détention d’actifs risqués. Bien évidemment, les
plus riches vont aussi détenir plus de billets et avoir davantage d’argent sur
leur compte courant et leur livret A, mais cette différence sera somme toute
relativement marginale pour expliquer l’évolution des inégalités. Ce n’est
donc pas la quantité de monnaie effectivement détenue qui va nous
intéresser ici, mais deux autres variables étroitement liées à la monnaie : le
taux d’inflation et le taux d’intérêt.

INEGALITES ET INFLATION
Commençons donc par le lien entre inégalités et inflation. Que se passe-t-il
en cas de hausse non anticipée de l’inflation dans un pays ? Par exemple –
et c’est ce que l’on a observé en zone euro en 2021-2022 –, un passage
d’une inflation proche de 2 % à une inflation proche de 10 %. Il va y avoir
bien évidemment des perdants, mais il y aura aussi des gagnants. L’effet sur
chaque personne va dépendre principalement de la composition de son
patrimoine (niveau d’endettement, type d’actifs détenus), de sa capacité à
négocier une hausse de salaire pour faire face à l’inflation et de son niveau
de richesse initial.
L’inflation est en général dévastatrice pour les individus les moins aisés,
dont le revenu ne s’ajustera pas à la suite de la hausse des prix 1. Les foyers
les plus modestes consacrent en effet une part plus importante de leur
revenu aux dépenses de consommation. Ils ont une propension marginale à
consommer proche de 1, ce qui veut dire que l’intégralité de leur revenu est
utilisée pour acheter des biens et des services (loyer, électricité, nourriture,
loisirs…) et qu’il en va ainsi de chaque euro supplémentaire. Logique –
impossible d’épargner quand vous touchez 1 000 euros par mois et que
vous habitez dans une grande ville. L’inflation est de plus un impôt
régressif au sens où les moins aisés ont une partie plus importante de leur
(maigre) patrimoine sous la forme de pièces, de billets ou en dépôt sur un
compte courant. Ce patrimoine ne rapportant pas d’intérêt, l’inflation
entraîne un taux réel négatif et donc une perte de pouvoir d’achat.
L’inflation aura aussi un impact différent en fonction de l’endettement
d’un individu. En général, l’inflation non anticipée est une bonne nouvelle
pour les personnes endettées. Lorsque vous contractez un crédit, vous
empruntez en général à un taux d’intérêt fixe. Cela implique donc que
l’inflation ne changera rien au montant que vous allez devoir rembourser en
euros. En revanche, et bien sûr en supposant que l’inflation entraîne à un
moment ou à un autre une hausse des salaires, le coût de cet emprunt – en
pourcentage de vos revenus – va diminuer. L’inflation permet de réduire le
poids de la dette : et cela est aussi vrai pour un État 2. Cela implique donc
que si vous vous êtes endetté à un taux bas, il y a quelques années, pour
acheter un bien immobilier et que vous avez réussi à négocier une hausse de
salaire à la suite de l’inflation, vous allez globalement ressortir gagnant en
cas de hausse non anticipée de l’inflation – en supposant aussi qu’à moyen
terme, cette hausse des prix et des salaires dans l’économie se traduise
également par une hausse des prix immobiliers (et donc de la valeur de
votre patrimoine).
À l’inverse, les créanciers et les détenteurs d’obligations n’aiment en
général pas l’inflation. Le raisonnement est tout simplement l’inverse de
celui des emprunteurs. Si j’ai prêté de l’argent pour une durée de 10 ans à
un taux nominal de 3 % au moment où l’inflation était à 2 %, le taux réel –
approximativement égal au taux nominal moins l’inflation – était donc de
1 %. En cas de hausse de l’inflation au taux de 10 %, et comme cela ne
change rien au taux nominal – qui reste à 3 % –, j’ai désormais un taux
d’intérêt réel fortement négatif (– 7 %). Les revenus générés par le taux
d’intérêt ne me permettent même pas de compenser la hausse des prix
chaque année, et je perds donc en pouvoir d’achat.

EFFET DE LEVIER
ET ENDETTEMENT
Les ménages aisés disposent aussi d’un avantage particulier par rapport aux
ménages pauvres : la capacité de s’endetter et de bénéficier de l’effet de
levier. Et ce, principalement afin de se constituer un patrimoine immobilier.
En effet – vous connaissez sûrement le proverbe –, on ne prête qu’aux
riches. Et c’est vrai. Enfin, plus précisément : « on ne prête qu’aux
personnes disposant d’un emploi stable et d’un bon salaire ». Ce n’est
d’ailleurs pas une mauvaise idée de ne pas prêter n’importe comment à
n’importe qui, pour éviter les spirales de surendettement ou bien des bulles
comme ce fut le cas sur le marché immobilier américain avant la crise des
subprimes. Grâce à l’endettement et à l’effet de levier, il est ainsi possible
d’acheter un bien immobilier en ayant un capital faible – à condition, bien
évidemment, d’avoir un revenu important et stable. Avec 50 000 euros
d’économies, si votre banque exige 10 % d’apport minimum, vous pouvez
par exemple acheter un bien d’une valeur de 500 000 euros 3 ! On dit alors
que vous avez un effet de levier de 10 : vous avez désormais à votre actif un
bien ayant 10 fois la valeur de votre capital initial. Alors, bien sûr, vous
avez à votre passif un crédit immobilier de 450 000 euros – et sûrement
davantage en incluant les frais de notaire. Mais, si le coût de votre crédit est
inférieur au rendement de votre investissement – par exemple, au
rendement locatif si vous décidez de louer la maison que vous venez
d’acheter –, vous allez réaliser une plus-value sur votre actif total après
effet de levier. L’accès au crédit – une contrepartie de la création monétaire
par les banques commerciales – permet donc aux plus aisés de faire croître
leur capital plus rapidement et de démultiplier leur capacité
d’investissement. L’immobilier est d’ailleurs devenu un facteur majeur des
inégalités de patrimoine – entre les propriétaires et les locataires – mais
aussi de revenus – entre ceux qui touchent des revenus locatifs et les autres.
Le recours à l’endettement – bancaire ou via les marchés financiers –
est aussi utilisé massivement par les entreprises ou les banques afin de
maximiser leur effet de levier. L’idée est ici la même : afin d’améliorer le
rendement versé à ses actionnaires, une entreprise peut s’endetter sur les
marchés financiers afin d’augmenter la taille de son bilan – sans toucher à
son « capital initial » versé par les actionnaires – et donc augmenter son
niveau de risque afin de réaliser plus de bénéfices. Et il est important de
bien comprendre que, dès que l’on parle d’endettement, et à partir du
moment où cet endettement se retrouve à l’actif d’une banque commerciale,
cela a été permis par de la création monétaire. Sans dette, il n’y a pas de
monnaie scripturale ! Penser au rôle de la monnaie dans nos économies
modernes conduit automatiquement à réfléchir au système de dette et à la
soutenabilité de ces dernières. Un monde sans dette serait aussi un monde
sans monnaie bancaire.

LA POLITIQUE MONETAIRE EST-


ELLE INEGALITAIRE ?
La politique monétaire menée par la banque centrale peut aussi avoir un
impact sur les inégalités. Et ce, par deux principaux canaux : un impact
direct sur le prix des actifs financiers et un impact indirect sur la situation
économique d’un pays. Premièrement, comme nous l’avons vu
précédemment, la banque centrale peut racheter et détenir directement des
actifs financiers dans le cadre de sa politique monétaire non
conventionnelle. En période de crise pouvant entraîner des pressions
déflationnistes, une banque centrale peut donc directement racheter des
actifs – principalement des titres de dette souveraine mais aussi parfois des
dettes d’entreprises ; voire, pour certaines banques centrales, directement
des actions – afin de faire baisser les taux d’intérêt. En tant qu’acheteur sur
les marchés et étant donné les volumes d’achat très importants réalisés par
les différentes banques centrales depuis la crise des subprimes, cela a un
impact haussier direct sur le prix des actifs 4. Or, qui détient majoritairement
des actifs financiers ? Les plus riches, bien évidemment. La politique
monétaire – et plus particulièrement l’assouplissement quantitatif consistant
en des rachats d’actifs sur le marché secondaire – peut donc entraîner une
hausse des inégalités. À noter cependant qu’une autre conséquence possible
de la baisse de taux engendrée par ce type de politique monétaire est la
réduction des coûts d’emprunt pour les ménages ayant un taux d’emprunt
variable ou ceux qui contractent de nouveaux prêts. Les emprunteurs étant
en général plus jeunes et moins aisés que les épargnants, cela peut au
contraire avoir un effet inverse sur les inégalités.
Mais la politique monétaire a aussi un impact indirect sur les inégalités.
Une baisse de taux – ou bien une politique monétaire non conventionnelle –
peut entraîner une hausse de l’investissement et de la demande agrégée et
venir contrecarrer les effets négatifs d’une crise financière ou économique
sur l’emploi et les salaires. A priori, c’est ce qui est recherché. En
définitive, l’effet sur les inégalités est souvent difficile à mesurer et fait
l’objet de controverses au sein des économistes. Il faudrait en effet, pour
mesurer l’effet net – prenant en compte à la fois l’effet sur le prix des actifs,
sur les taux d’emprunt et sur l’emploi –, disposer de ce que l’on appelle un
contrefactuel afin de comparer la situation à la suite de l’intervention de la
banque centrale à une situation hypothétique sans intervention de la banque
centrale. Comme il est impossible de savoir précisément ce qu’il se serait
passé sans intervention de la banque centrale, il est difficile de mesurer
l’effet net sur les inégalités de la politique monétaire. En général, les
travaux des banques centrales vont conclure que cela n’a pas aggravé les
inégalités, voire les a diminuées en protégeant l’emploi. Mais il peut y avoir
bien évidemment un biais à ce genre d’études : les banquiers centraux ayant
tendance à défendre leurs actions et à être plus positifs à l’égard des effets
de la politique monétaire que les autres économistes hors banque centrale –
dont de nombreuses études pointent un impact sur le creusement des
inégalités. Les conclusions de ces études peuvent aussi dépendre du type
d’inégalités que l’on regarde – inégalités de patrimoine ou inégalités de
revenus –, de la zone monétaire et de la période étudiée. Mais une chose est
sûre : la politique monétaire n’est pas neutre et a des effets redistributifs
importants en jouant sur l’inflation, le prix des actifs, le taux d’intérêt ou
bien encore le taux de chômage.
La monnaie et la transition
écologique

« OK, Captain’, c’est bien sympa, tes histoires de monnaie, mais pour
discuter de ce sujet, encore faut-il qu’il reste des humains sur la planète ! Et
je te rappelle que la planète brûle et que le réchauffement climatique va
rendre la Terre inhabitable dans quelques décennies si on ne fait rien ! »
Oui. Mais justement ! Le financement de la transition écologique – étape
nécessaire pour limiter les émissions de gaz à effet de serre et les effets de
ces derniers sur les températures – demande dès maintenant des
investissements massifs. Et qui dit investissement dit dette ; et qui dit dette
dit monnaie bancaire. Voilà, vous voyez, les deux sujets ne sont pas si
éloignés.
Le problème avec les investissements verts, c’est qu’ils ne sont pas
rentables. Ou tout du moins qu’ils sont moins rentables – en moyenne – que
d’autres investissements. En effet, si les investissements nécessaires à la
transition écologique étaient aussi rentables que les investissements pour
construire des centrales à charbon ou des puits de pétrole, autant vous dire
que la transition écologique aurait été faite depuis belle lurette. Pour
favoriser le financement de projets verts – de vrais projets verts, pas ceux
d’une entreprise qui construit des pistes de ski dans le désert et qui
compense ses émissions en plantant des arbres pour se donner bonne
conscience –, il va falloir diminuer les coûts de financement de ces projets.
Et il va donc falloir réfléchir au rôle joué par les deux acteurs au cœur de la
monnaie : les banques centrales et les banques commerciales.

LE ROLE DE L'ETAT
Dans cette transition énergétique et écologique, l’État va avoir un rôle
central à jouer pour se substituer au secteur privé là où : (1) les
investissements ne sont pas rentables (financièrement parlant),
(2) les investissements pourraient être rentables mais à très, très long terme,
(3) les investissements sont tellement importants qu’une entreprise ne peut
pas supporter une telle charge. La grande question qui se pose ensuite est
naturellement : « mais où l’État va-t-il trouver tout cet argent ? ». Pour
financer son déficit – et donc sa dette –, l’État emprunte sur les marchés
financiers. Lorsque les banques commerciales achètent de la dette de l’État
sur le marché primaire, cet achat s’effectue en monnaie centrale : l’État
disposant lui aussi d’un compte en monnaie centrale auprès de sa banque
centrale. À ce moment-là, il n’y a pas de création de masse monétaire au
sens de M1. Mais l’État va ensuite réaliser des paiements et des versements
(fournisseurs, fonctionnaires, aides aux ménages…), ce qui va entraîner une
hausse des dépôts et donc de la masse monétaire 1. Et lorsque c’est la
banque centrale qui rachète la dette de l’État sur le marché secondaire à un
investisseur domestique, cela entraîne aussi une hausse de la base monétaire
et de la masse monétaire 2. Dans les deux cas, il est ainsi possible de
financer l’État à partir de monnaie qui n’existait pas avant. Il s’agit donc
bien d’un financement par création monétaire, aussi appelé monétisation de
la dette.
Par conséquent, il est faux de dire qu’il n’y aurait pas assez d’épargne
disponible pour financer la transition écologique. La monnaie peut se créer
– de manière importante mais limitée par la régulation et les fuites
interbancaires par les banques commerciales – et de manière illimitée par
les banques centrales. S’il y a besoin de monnaie, il est possible d’en créer !
Mais attention : cela ne signifie pas qu’il soit possible de créer de la
monnaie sans que cela ait d’impact sur d’autres variables économiques. En
premier lieu, sur l’inflation – surtout si l’économie tourne déjà à un niveau
proche du plein régime – et indirectement sur de nombreuses autres
variables comme le taux de change ou les taux d’intérêt.
Cette idée que l’État peut théoriquement se procurer autant de monnaie
qu’il en a besoin est portée depuis quelques années par les partisans de la
théorie monétaire moderne selon qui le déficit et la dette publique ne sont
pas un problème – voire un mythe – étant donné que l’État désigne lui-
même ce qui sert de monnaie 3. Et si l’on regarde ce qu’il s’est passé durant
la pandémie de Covid, cela n’est pas si éloigné de cette idée : les
gouvernements ont à ce moment massivement augmenté le déficit public
afin de sauver l’économie en aidant les ménages et les entreprises. Le
fameux « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron en étant une
illustration. La « dette Covid » a été financée par les investisseurs et les
banques, certes, mais aussi très largement par les banques centrales qui ont
acheté une grande partie de cette dette sur le marché secondaire. La Banque
centrale européenne détient par exemple à ce jour environ 25 % des dettes
publiques des pays de la zone euro et aurait acheté en 2020 – au moment de
la crise Covid – plus de deux tiers des dettes émises cette année ! Un « quoi
qu’il en coûte climatique » est donc techniquement possible aussi !

LE VERDISSEMENT
DE LA POLITIQUE MONETAIRE
L’État a donc un rôle très important à jouer pour accélérer la transition
écologique. Que ce soit pour financer directement certains investissements
ou bien pour « changer les règles du jeu » afin de favoriser les
investissements verts et/ou pénaliser les investissements polluants. Mais un
autre acteur va être amené à jouer un rôle majeur : les banques centrales.
Comme nous l’avons vu précédemment, dans le cadre de ses opérations
conventionnelles et non conventionnelles, la banque centrale est amenée à
accepter des titres en garantie – pour les opérations de refinancement des
banques – ou bien à acheter et à détenir directement des titres financiers –
comme dans le cas d’un assouplissement quantitatif. Ces titres financiers
sont majoritairement des obligations souveraines, mais la banque centrale
peut aussi être amenée à détenir des obligations d’entreprises ou d’autres
actifs financiers émis par le secteur privé.
Durant de nombreuses années, les banques centrales ont mis un point
d’honneur à assurer la neutralité de marché de leur politique monétaire : le
terme « neutralité » s’entendant ici au sens de ne pas favoriser un secteur ou
un émetteur en particulier lors des programmes de rachat d’actifs ou de
refinancement. Et ce, pour ne pas créer de distorsions de prix : le prix des
actifs doit être fixé par un équilibre entre l’offre et la demande sur les
marchés financiers et ne doit pas être « faussé » par les actions d’une
banque centrale dont le rôle est uniquement d’assurer la stabilité des prix.
Cette politique de neutralité implique donc que – en cas de mise en place
d’un programme de rachats d’actifs incluant des obligations émises par le
secteur privé – la banque centrale rachète des obligations de toutes les
entreprises sans distinction en fonction, entre autres, du caractère polluant
ou non des activités de ces entreprises. Ce choix de la neutralité fait que –
aujourd’hui encore – la Banque centrale européenne détient des obligations
émises par des géants pétro-gaziers (TotalEnergies, Shell, Eni…), qui ont
été achetées sur les marchés secondaires dans le cadre des programmes
d’assouplissement quantitatif à l’époque où le risque déflationniste pesait
sur la zone euro. Cela participe à un abaissement du coût de financement de
ces entreprises alors que l’effet inverse serait souhaitable pour limiter le
réchauffement climatique 4.
Notons tout de même que certaines choses sont en train de changer. En
septembre 2022, la Banque centrale européenne a annoncé la mise en place
d’un système de notation des émetteurs privés en ce qui concerne leur
impact sur l’environnement et l’utilisation de cette notation pour les achats
futurs d’obligations privées. Cela implique donc que la BCE achètera à
terme davantage d’obligations émises par des entreprises « vertes » et
moins d’obligations émises par des entreprises « polluantes ». Quelques
mois plus tôt, la BCE avait aussi annoncé qu’elle allait – dans les années à
venir – limiter la part des actifs émis par des entités ayant une empreinte
carbone élevée qui peuvent être apportés en garantie dans le cadre de ses
opérations de refinancement. Tout cela n’est peut-être qu’un détail pour
vous, mais pour une banque centrale bercée par le dogme de la neutralité de
ses interventions, cela veut dire beaucoup !

LE FINANCEMENT
DU VERDISSEMENT
PAR LES BANQUES
Après l’État et les banques centrales, c’est au tour des banques de verdir !
Mais ce qui rend le changement encore plus complexe dans le cas des
banques, c’est que l’on parle ici d’entreprises privées dont l’objectif est de
réaliser le maximum de bénéfices. Or, les investissements verts rentables à
court ou moyen terme ont déjà été réalisés : quand il y a de l’argent à
gagner, le marché fonctionne très bien sans autres incitations. Lorsqu’une
banque choisit d’accorder ou non un crédit – ou bien de financer un projet
en achetant un titre de dette –, elle le fait en créant de la monnaie.
Le processus de création monétaire par les banques ne dépend donc pas du
caractère polluant ou non d’un projet mais uniquement de sa rentabilité et
de son niveau de risque.
Les banques ne sont pas les seuls acteurs à financer des projets
polluants : les titres de dette émis par les géants pétro-gaziers sont certes
achetés pas des banques, mais aussi par un ensemble d’investisseurs
institutionnels. Il y a d’ailleurs de fortes chances que – si vous avez une
assurance-vie en unités de compte ou que vous ayez investi dans des fonds
indiciels – vous déteniez vous-même de manière indirecte des titres ou des
actions d’entreprises polluantes. Le sujet est donc bien évidemment plus
large que celui des banques, et différentes initiatives existent pour « verdir
la finance » : green bonds, critères ESG, labélisation ISR… Des initiatives
louables mais qui se perdent bien souvent dans un océan de greenwashing 5.
Mais revenons-en aux banques. Lorsqu’elles accordent un prêt ou achètent
un titre de dette par la création monétaire, cela augmente la taille de leur
bilan. À l’actif avec un prêt ou un titre. Et au passif avec un dépôt sur le
compte du vendeur du titre ou de l’emprunteur. Pour influencer les prêts et
activités des banques – dans le but de pénaliser, par exemple, le
financement de projets polluants par les banques –, il faut donc rendre ces
projets plus coûteux. Et il existe pour cela différentes solutions.
Premièrement, il est possible d’exiger que les banques commerciales
détiennent davantage de fonds propres en contrepartie de la détention dans
leurs bilans d’actifs liés à des entreprises polluantes. Tout comme cela se
fait d’ailleurs déjà en fonction du niveau de risque des actifs : les banques –
en vertu de la réglementation Bâle III – doivent avoir un niveau de fonds
propres qui dépend entre autres de leur montant d’actifs détenus pondérés
du niveau de risque. Alors pourquoi pas un niveau de fonds propres
dépendant aussi du risque – non pas financier mais climatique. Les banques
détiennent aussi massivement des actifs liés à des entreprises polluantes car
ces actifs sont faciles à vendre, faciles à titriser et peuvent être apportés en
garantie dans le cadre des opérations de refinancement ou rachetés en cas
d’assouplissement quantitatif. Même si, sur certains de ces points, les
choses sont en train de changer, il n’est pas encore réellement pénalisant
pour une banque de détenir un actif polluant. Et si ce dernier rapporte plus
qu’un actif vert, alors son incitation à changer est minime.
Certaines banques se sont tout de même engagées à sortir du
financement de l’industrie du gaz et du pétrole dans les années à venir.
En France, la Banque Postale s’est engagée à sortir d’ici 2030 du
financement du charbon, du gaz et du pétrole en devenant une « entreprise à
mission ». Mais, malheureusement, à l’échelle mondiale, le cas de la
Banque Postale – une banque publique, par ailleurs, ce qui explique
sûrement ce choix fort – est l’exception plutôt que la règle. L’ONG Reclaim
Finance a à ce propos développé un outil permettant de suivre la position
des banques et des gestionnaires d’actifs sur le sujet du financement des
énergies fossiles ; et ce n’est pas très encourageant 6. À l’échelle mondiale,
la grande majorité des banques continuent ainsi à financer les énergies
fossiles, et les nouveaux grands projets arrivent facilement à trouver des
capitaux. Alors certes, c’est bien beau de financer des projets verts d’un
côté, mais si c’est pour, dans le même temps, financer un projet d’extraction
de pétrole en Antarctique, pas sûr que l’on puisse vraiment appeler cela un
« verdissement du financement ».
QUATRIÈME PARTIE

Le futur de la monnaie

www.lienmini.fr/34212-4
L’organisation du système monétaire – avec une banque centrale qui
assure la liquidité en monnaie centrale et des banques commerciales qui
accordent les crédits et gèrent des dépôts – existe depuis plusieurs siècles.
Ce système a de nombreux avantages en ce qu’il permet à la fois que la
quantité de monnaie s’ajuste facilement au niveau de demande des agents
économiques – via le crédit des banques commerciales – tout en permettant
d’avoir un contrôle indirect sur le niveau des prix – via la politique
monétaire de la banque centrale. Mais ce système a aussi des limites :
manque de contrôle de la banque centrale sur la masse monétaire, difficultés
de financer des investissements de long terme liés à la transition
écologique, impact redistributif de la politique monétaire, création
monétaire basée sur la dette…
La monnaie a profondément changé au cours des siècles : l’euro
d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec les premières monnaies-
marchandises ou les pièces d’or en Lydie au VIe siècle avant J.-C. Il n’y a
donc pas de raisons pour que la monnaie reste pour toujours ce qu’elle est
aujourd’hui. Dans cette dernière section, nous allons nous intéresser au
futur de la monnaie et discuter de propositions et d’initiatives permettant de
penser la monnaie autrement. Certaines de ces propositions sont
révolutionnaires et nécessitent une réorganisation complète du système et
de notre vision des choses. D’autres sont déjà en marche et peuvent
coexister dans un système organisé autour d’une banque centrale et de
banques commerciales – mais souvent avec un rôle beaucoup plus
important donné à la banque centrale.
Les cryptomonnaies

« Mais, Captain’, pourquoi est-ce que, moi aussi, je ne pourrais pas créer
ma monnaie, d’ailleurs ? Pourquoi ce privilège serait réservé aux banques et
aux banques centrales ? » Eh bien, bonne nouvelle : vous pouvez le faire !
Sans rentrer en détail dans les questions légales dès maintenant, vous
pouvez en effet très bien prendre une feuille A4, la découper en 24 petits
rectangles et inscrire sur chaque feuille « 1 CaptainEuro ». Et voilà, vous
avez créé une monnaie ! Enfin, pas tout à fait. Pour que vos bouts de papier
puissent être considérés comme de la monnaie, il va falloir que des
individus l’utilisent pour réaliser des transactions, que des prix soient
exprimés en « CaptainEuros » et que votre monnaie ait une valeur
relativement stable dans le temps. Et il va falloir aussi éviter les
contrefaçons et les manipulations ; pour le moment, n’importe qui peut
fabriquer des CaptainEuros en prenant une feuille de papier chez soi.
Ce que vous pouvez faire sur une feuille de papier, vous pourriez très
bien le faire de manière numérique. Vous pouvez en effet créer des « e-
CaptainEuros » sous forme de fichiers informatiques que des individus
pourraient se transférer pour réaliser des transactions. Bon, dit comme ça, le
projet a l’air complètement bancal : on voit rapidement les risques de
création monétaire trop importante et de falsification de la monnaie ! En
effet, rien ne vous empêche de créer des fichiers à l’infini et rien n’empêche
les autres individus de faire des copier-coller de ces fichiers pour réaliser
plusieurs achats avec un même « e-CaptainEuro » de départ. Tout cela
n’inspire donc pas confiance, et – rappelez-vous – sans confiance, pas de
monnaie. Bref, vous avez créé des fichiers informatiques, mais vous n’avez
pas pour autant créé une monnaie.

LA BLOCKCHAIN ET LE PRINCIPE
DE DOUBLE DEPENSE
Le risque majeur d’une monnaie numérique est celui de la falsification et de
la double dépense. Il est nécessaire de vérifier – à chaque transaction – que
l’acheteur dispose bien de la monnaie numérique nécessaire, mais aussi que
ce dernier n’a pas réalisé plusieurs transactions avec une même unité de
monnaie numérique.
Ce problème est relativement simple à gérer dans un système centralisé
où une administration centrale conserve les données du solde de chaque
individu et vérifie à chaque transaction que celle-ci est valide. C’est
globalement ce qu’il se passe lorsque vous payez dans un magasin avec
votre carte bancaire : avant que votre paiement soit validé, votre banque est
interrogée afin de vérifier que vous êtes bien en mesure de réaliser le
paiement (argent disponible sur votre compte, montant maximal de
dépenses hebdomadaires non atteint…). Le magasin accepte votre paiement
par carte bancaire grâce à la vérification de la banque qui élimine pour lui le
risque de fraude 1. La solution centralisée a de nombreux avantages, mais ne
fonctionne que si les individus ont confiance dans le système central. Vous
faites confiance à votre banque – enfin, en théorie –, mais vous n’allez pas
accorder votre confiance à n’importe qui facilement. La centralisation
implique donc de donner un grand pouvoir à l’institution centralisant les
transactions et entraîne d’ailleurs un risque important en cas de défaillance
ou de faillite de l’organe central.
D’un point de vue technique, on aimerait donc pouvoir régler le
problème de double dépense et de falsification tout en ayant un système
décentralisé. Et, jusqu’à une période récente, on ne savait pas vraiment
comment faire ! En effet, un système décentralisé a en général l’avantage
d’être plus solide, car moins sensible à la défaillance de l’organe
centralisateur. Mais cela implique aussi de nombreux problèmes en ce qui
concerne la confiance des individus, qui ne peut plus être inspirée par
l’autorité centrale. Pourquoi un individu accepterait – dans un système
numérique décentralisé – un fichier numérique en guise de paiement s’il ne
peut pas compter sur une autorité centrale pour lui garantir que ce fichier
existe et n’est pas une copie ? Pour répondre à cette question, une
innovation technique a révolutionné le monde de la monnaie : la
blockchain.
La blockchain peut se voir comme un grand livre sur lequel l’ensemble
des opérations et des transactions est inscrit. Jusque-là, rien de bien
nouveau : des livres sur lesquels des transactions sont enregistrées existent
depuis des millénaires – cette comptabilité étant autrefois le plus souvent
gérée par des rois ou chefs religieux. L’originalité de la blockchain est de
faire que ce livre n’est pas détenu par un propriétaire unique – ce qui ferait
sinon peser un risque de falsification de la part de ce propriétaire – mais
distribué publiquement à l’ensemble des individus d’un réseau. Le livre
n’appartient donc à personne : il est décentralisé, et chaque personne peut
en détenir une copie.

CRYPTOMONNAIES
OU CRYPTOACTIFS
Un actif numérique virtuel qui repose sur la technologie de la blockchain à
travers un registre décentralisé et un protocole informatique crypté est…
une cryptomonnaie ! Enfin, une cryptomonnaie pour certains, et un
cryptoactif pour d’autres ! « Attends, Captain’, c’est quoi ce débat de
terminologie entre cryptomonnaie et cryptoactif ? » Dans le terme
cryptomonnaie, il y a le mot monnaie ! Ce qui laisse penser implicitement
que ces « objets » numériques remplissent les fonctions de la monnaie :
intermédiaire des échanges, unité de compte et réserve de valeur. Et sont
juridiquement reconnus comme des monnaies. Or, sur ces deux points, il y a
matière à discussion. Premièrement, les cryptomonnaies sont très peu
utilisées pour réaliser des transactions : vous ne pouvez pas acheter un café
au bistrot du coin en bitcoins, et peu de magasins acceptent les
cryptomonnaies 2. Deuxièmement, les prix des biens et services ne sont pas
exprimés en bitcoins ni en toute autre cryptomonnaie, mais en monnaie
traditionnelle telle que l’euro ou le dollar. Troisièmement, la valeur des
cryptomonnaies varie très fortement – à la hausse comme à la baisse –, ce
qui en fait de très mauvaises réserves de valeur. Un bitcoin en octobre 2022
permet d’acheter trois fois moins de choses en euros ou en dollars qu’un
bitcoin en mars 2021 3. Enfin, sur le plan juridique – en France tout du
moins –, une cryptomonnaie n’est tout simplement pas une monnaie et ne
bénéficie pas d’un cours légal. La loi oblige les commerçants à accepter
l’euro, mais il n’existe aucune obligation d’accepter un paiement en
cryptomonnaie. C’est pour cela que de nombreux régulateurs et autorités
publiques préfèrent parler de cryptoactifs plutôt que de cryptomonnaie, afin
de souligner l’aspect spéculatif de ces actifs numériques et leur relative
déconnexion de l’économie réelle. En dehors de ce débat de terminologie –
et le Captain’ utilisera le terme cryptomonnaie tout de même dans le reste
de ce chapitre pour des raisons de simplicité –, il est important de bien
comprendre les similarités et les différences entre les cryptomonnaies et les
monnaies traditionnelles.
Une question importante pour tout actif voulant être une monnaie
concerne son processus de création. Est-il limité par un bien physique –
comme c’était le cas pour la monnaie lors de l’étalon-or ? Est-il endogène
en variant en fonction de la demande des agents économiques ? Est-il
exogène et parfaitement maîtrisé par un organisme central ou un
algorithme ? Comme il existe plusieurs milliers de cryptomonnaies, il est
difficile de répondre de manière simple à cette question : chaque créateur de
cryptomonnaie pouvant justement choisir la manière dont la monnaie va
être créée. Mais dans la grande majorité des cas, des nouvelles unités de
cryptomonnaie sont créées au moment du processus de vérification des
transactions et utilisées pour rémunérer les personnes réalisant ce travail :
les « mineurs ». Cela implique donc que – contrairement à la monnaie
traditionnelle – la création de cryptomonnaie ne se fait pas en contrepartie
d’une dette et ne peut pas être influencée par une autorité centrale. La
création monétaire de cryptomonnaie est une simple récompense permettant
le maintien d’un consensus au sein de la blockchain. Dans le cas de
certaines cryptomonnaies, comme le bitcoin, le nombre maximum d’unités
de cryptomonnaie pouvant être produites est même limité et prédéfini par le
protocole informatique. La politique monétaire du bitcoin est donc un
simple programme de distribution dont l’ensemble des paramètres sont
connus à l’avance 4.

VOLATILITE
DES CRYPTOMONNAIES
ET STABLECOINS
L’un des plus gros freins à l’adoption des cryptomonnaies – en dehors des
questions liées à la régulation – est la volatilité de ce marché. Le prix des
cryptomonnaies varie en effet très fortement chaque jour. Ce qui peut être
vu comme un avantage pour les spéculateurs souhaitant parier sur les
mouvements des cryptomonnaies est un désavantage dans l’utilisation des
cryptomonnaies pour réaliser des échanges de biens et de services. Les
cryptomonnaies ne sont pas une bonne réserve de valeur dans le sens où
elles ne permettent pas de maintenir leur pouvoir d’achat dans le temps.
Vous savez ce que vous pouvez acheter aujourd’hui avec un bitcoin, mais
vous n’avez aucune idée de ce que vous pourrez acheter dans un an avec ce
même bitcoin.
Mais comment faire pour disposer des avantages de monnaies
traditionnelles – dont la relative stabilité dans le temps – tout en ayant une
monnaie décentralisée basée sur la blockchain ? C’est à ce moment
qu’arrivent les stablecoins. Un stablecoin est un jeton de cryptomonnaie
dont l’objectif est de reproduire la variation d’autres actifs financiers.
Le principal stablecoin – le tether 5 – est par exemple indexé au dollar
américain. Selon les créateurs de ce stablecoin – une entreprise privée basée
à Hong Kong –, chaque jeton tether est garanti à 100 % par sa monnaie
d’origine et peut être racheté à tout moment sans risque de change. Cela
signifie donc que, s’il y a un milliard de tethers en circulation, l’entreprise
doit disposer d’un milliard de dollars en réserve afin de pouvoir assurer à
tout moment la conversion des tethers en dollars. Dès qu’une personne veut
se procurer des tethers en apportant des dollars, cela entraîne une création
de tethers. Et inversement, dès qu’une personne veut échanger ses tethers en
dollars, cela entraîne la destruction de tethers.
« Ah, mais c’est génial, ça, Captain’, il n’y a donc aucun risque grâce à
ça ! » Attention cependant : tout dépend de ce que l’entreprise appelle
« avoir les dollars en réserve ». Si les réserves sont effectivement des
dollars – au sens de la monnaie sur un compte de dépôt ou bien des billets
en dollars dans un coffre-fort, alors oui, en effet, le risque est très faible.
Mais ce n’est pas vraiment comme cela que ça marche ! À la suite d’une
assignation de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), la
maison mère de Tether a dû détailler en 2021 la manière dont ses réserves
étaient couvertes. Et – ô grande surprise –, l’entreprise gérant le tether a
alors révélé que les réserves étaient en réalité investies dans des titres de
dette d’entreprises, de la dette souveraine américaine et divers autres actifs
financiers. L’entreprise peut certes toujours revendre ces actifs afin de se
procurer des dollars et les verser à ses clients souhaitant reconvertir des
tethers en dollars. Mais avouez que ce n’est tout de même pas la même
chose : cela introduit un risque de liquidité et un risque de défaut. Tether a
d’ailleurs par la suite payé 41 millions de dollars pour mettre un terme aux
allégations selon lesquelles l’entreprise aurait menti en affirmant que ses
jetons numériques étaient entièrement garantis par des monnaies
fiduciaires 6.
La monnaie numérique de banque
centrale

Les banques centrales ne voient pas d’un bon œil l’émergence de


cryptomonnaies privées. Dans un monde où la majorité des individus
utiliseraient une cryptomonnaie plutôt que l’euro ou le dollar pour réaliser
des transactions, les banques centrales perdraient leur pouvoir d’influence
sur l’économie. Une banque centrale ne peut pas créer de bitcoins ni
influencer le taux d’intérêt d’éventuels prêts en bitcoins ; et donc sa
capacité de contrer des crises économiques ou financières serait très limitée.
Cela peut d’ailleurs être vu comme un avantage par les partisans des
cryptomonnaies : le bitcoin étant apparu justement comme une contestation
à l’égard du système bancaire classique. Moins de banques, moins d’État,
moins de centralisations seraient selon certains partisans justement la
solution pour une économie plus stable. Mais ce n’est bien évidemment pas
l’avis des banquiers centraux.
Il y aurait bien une solution à cela : l’interdiction pure et dure de toutes
les cryptomonnaies. Certains pays ont mis en place ce type de régulation :
interdiction de posséder ou d’échanger des cryptomonnaies, fermeture de
l’accès aux plateformes d’échange de crypto, interdiction pour les
commerçants d’accepter des cryptomonnaies. Mais cette « solution
offensive » entraînerait aussi la disparition de tout un écosystème
d’entreprises innovantes dont les projets basés sur la blockchain ou les
cryptomonnaies pourraient être utiles. Et, au passage, cela entraînerait de
nombreux mécontents au sein de la population : même s’il est difficile
d’obtenir un chiffre précis à ce propos, entre 5 % et 10 % des Français
détiendraient aujourd’hui des cryptomonnaies.

LA MONNAIE NUMERIQUE
DE BANQUE CENTRALE
Pour contrecarrer l’émergence des cryptomonnaies et s’assurer un contrôle
de la monnaie dans un monde de plus en plus numérisé, les banques
centrales réfléchissent et commencent à mettre en place une riposte : la
monnaie numérique de banque centrale (MNBC). Il existe de nombreuses
implémentations possibles de MNBC, mais nous allons nous concentrer ici
sur ce que l’on appelle la MNBC « de détail ». D’un point de vue
opérationnel, des projets de MNBC sont actuellement en discussion dans
plus de 60 pays, et 14 % des banques centrales sont en phase de
développement et de pilotage. Dont la Banque de France !
Pour bien voir l’innovation proposée par les MNBC, rappelons une
nouvelle fois que la monnaie, de nos jours, est composée de la monnaie
fiduciaire (pièces et billets) et de la monnaie scripturale (dépôts sur des
comptes bancaires). Lorsque vous payez aujourd’hui au moyen d’une Carte
bleue, vous transférez de la monnaie scripturale d’un compte bancaire à un
autre. La monnaie numérique est donc de la monnaie de banque privée.
Lors d’un achat, vous pouvez choisir de régler en monnaie fiduciaire ou en
monnaie scripturale : chaque méthode pouvant avoir des avantages pour
vous ou pour le vendeur. Par exemple, un paiement en liquide a l’avantage
d’être anonyme et de ne pas engendrer de frais ; mais comporte un risque de
falsification et tend à être plus contraignant qu’un paiement par carte
bancaire (nécessité pour le vendeur de disposer de monnaie, temps à la
caisse pour rendre la monnaie…).
« Mais, Captain’, est-ce qu’il ne serait pas possible d’avoir une monnaie
à la fois numérique ET publique ? » C’est exactement l’idée de la monnaie
numérique de banque centrale ! Pour qu’une transaction entre deux
personnes se fasse de manière numérique sans passer par les banques
commerciales, il faut que les deux agents économiques disposent d’un
compte en monnaie numérique auprès de la banque centrale. Cela veut donc
dire que vous pourriez avoir de la monnaie à la fois sous forme de billets,
sous forme de dépôt bancaire classique, ou bien sous forme de dépôt à la
banque centrale. Et cela comporte de nombreux avantages ! Premièrement,
la MNBC étant transférée entre des comptes qui sont tous détenus auprès de
la banque centrale, les transferts se font dans un réseau fermé, ce qui peut
très largement diminuer les frais des transactions et la vitesse de celles-ci.
Cela est d’autant plus vrai pour les transferts internationaux – aujourd’hui
très coûteux – qui pourraient être grandement simplifiés si de nombreuses
banques centrales adoptaient une MNBC et si les MNBC étaient
convertibles entre elles. La mise en place d’une MNBC permettrait aussi
aux banques centrales de garder un contrôle sur la monnaie dans un monde
où le cash tend à disparaître au profit des paiements numériques. Du point
de vue de la politique monétaire, cela peut aussi offrir de nouvelles
possibilités, comme la monnaie hélicoptère dont le Captain’ vous parlera
dans le prochain chapitre.
Mais la mise en place d’une MNBC pose aussi de nombreuses
questions. Est-ce que les transactions seront anonymes ou bien l’État – via
sa banque centrale – pourra-t-il surveiller vos transactions tel un Big
Brother ? Comment assurer, d’un point de vue technique, cet anonymat tout
en limitant les risques de transaction illégale, de fraude fiscale ou de
financement d’activités illicites ? Comment faire pour intégrer l’ensemble
de la population dans ce projet, y compris certaines personnes plus âgées
n’ayant pas une bonne maîtrise des outils technologiques ? Et comment
assurer la sécurité et la robustesse de ce réseau ? Toutes ces questions font
bien évidemment l’objet de débats au sein des banques centrales, et les
réponses apportées varieront en fonction des préférences de chaque État et
des choix techniques réalisés lors de l’implémentation et de la mise en
production des MNBC. Mais il est important que la MNBC fasse l’objet
d’un réel débat démocratique et ne reste pas cantonnée au sein d’un groupe
d’experts dans les grandes banques centrales.

UNE CONCURRENCE ENTRE


LES BANQUES CENTRALES
ET LES BANQUES COMMERCIALES
La mise en place d’une MNBC pourrait entraîner une concurrence entre la
banque centrale et les banques commerciales en faisant disparaître une
partie du rôle de ces dernières : la gestion des comptes courants. En effet,
pourquoi garder de l’argent sur votre compte courant dans une banque
commerciale plutôt que sur votre compte auprès de la banque centrale si ces
deux comptes ont la même fonction ? Et ce, plus encore en période de
turbulences financières où les clients des banques – craignant une faillite
bancaire – pourraient massivement transférer l’argent présent sur leur
compte bancaire courant vers leur compte en monnaie numérique auprès de
la banque centrale. Les banques commerciales garderaient tout de même un
avantage en ce qui concerne la gestion des livrets et celle de certains dépôts
moins liquides proposant une rémunération, mais cela pourrait
effectivement entraîner une baisse de leurs revenus en fonction de la
rémunération ou non des dépôts à la banque centrale. Il est possible
d’imaginer que certains individus – principalement les plus démunis,
n’ayant pas d’épargne – choisiraient même de ne plus avoir de banque
traditionnelle pour limiter les frais de gestion. Ce qui, au passage, est certes
une mauvaise nouvelle pour les banques, mais une bonne nouvelle pour les
inégalités : l’usage de la monnaie pourrait être pleinement gratuit 1. La
monnaie numérique de banque centrale rétablirait un service public de la
monnaie.
Le lobby des banques est déjà à l’œuvre depuis quelques années pour
insister sur le fait que la MNBC pourrait représenter « un risque pour la
stabilité bancaire » en « réduisant la rentabilité et la solvabilité des
banques ». Et ce, afin d’agiter sa menace favorite : un risque de hausse du
coût de financement pour les emprunteurs 2. Pour contrecarrer ces effets
négatifs – enfin, négatifs pour leurs bénéfices –, les banques commerciales
poussent pour que des limites de détention des avoirs en monnaie
numérique soient mises en place ou pour que les dépôts en MNBC ne soient
pas rémunérés, afin d’éviter qu’un montant trop élevé de dépôt bancaire soit
converti en MNBC. Les banques commerciales souhaitent aussi garder un
rôle d’intermédiaire dans l’ouverture des comptes en MNBC, afin de
conserver la gestion de l’interface client. À ce propos, dans une allocution
en juillet 2022, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy
de Galhau, a souligné qu’« une MNBC sera créée avec les banques, pas
contre elles ni malgré elles » et que la distribution de la monnaie numérique
aux utilisateurs finaux sera confiée banques commerciales. Le gouverneur
de la Banque de France a aussi indiqué qu’un plafond maximum d’euros
numériques devrait être mis en place pour que l’euro numérique reste un
moyen de paiement plutôt qu’un actif d’épargne ou d’investissement.
Bravo, Messieurs les lobbyistes !

LA TRANSMISSION
DE LA POLITIQUE MONETAIRE
A L'ERE DU NUMERIQUE
La mise en place d’une MNBC permettrait à la banque centrale de disposer
de nouveaux outils pour sa politique monétaire. En période d’inflation, la
banque centrale pourrait en effet augmenter le taux de rémunération des
dépôts en monnaie numérique. Cela inciterait les agents à davantage
épargner et – en théorie – pousserait aussi à la hausse la rémunération des
comptes de dépôt des banques commerciales. Cela permettrait de diminuer
la demande agrégée et ainsi de réduire le niveau d’inflation. En période de
déflation, la banque centrale pourrait ne plus rémunérer les dépôts, voire –
question est un peu plus sensible – mettre en place un taux négatif sur les
dépôts en MNBC. Cela veut donc dire que les dépôts seraient taxés – le but
étant justement d’inciter les ménages et les entreprises à consommer pour
relancer l’économie.
La mise en place d’un taux négatif sur les dépôts des agents
économiques – bien que très intéressante du point de vue de la politique
monétaire – n’est cependant pas sans limite. En cas de taux négatif, il est en
effet possible de vider son compte auprès de la banque centrale pour
convertir cela en billets et stocker son épargne sous son oreiller. Certes, un
billet ne rapporte rien, mais au moins, le taux n’est pas négatif. Les
individus pourraient aussi retourner vers le système bancaire traditionnel si
les dépôts ne sont pas taxés dans les banques commerciales. Tant que les
billets existeront, l’influence des taux négatifs restera limitée. Mais est-ce
que les billets existeront toujours ? Et sera-t-il toujours facile – et gratuit –
de convertir de la monnaie numérique en monnaie papier ?
Pour le moment, les espèces – pièces et billets – restent le moyen de
paiement le plus utilisé en France pour bon nombre de petits achats du
quotidien. Mais l’utilisation des espèces diminue au profit des paiements
par carte bancaire ; davantage encore depuis la mise en place du paiement
« sans contact » et la hausse du plafond de ce dernier à 50 euros au moment
de la pandémie. Les frais de transaction ont aussi baissé pour les
commerçants acceptant le paiement par carte bancaire, ce qui fait qu’il est
désormais possible – dans de nombreux magasins – de payer par carte à
partir de 1 euro. Cependant, nous sommes actuellement encore très loin –
sauf dans certains pays comme la Suède – d’un monde où les paiements
seraient 100 % numériques. La fin du cash est sûrement plus éloignée que
ce que souhaiteraient certains économistes 3 !
La monnaie hélicoptère

Dans le système monétaire actuel, en cas de crise et si le taux directeur est


déjà à sa borne inférieure de 0 %, une banque centrale va mettre en place un
assouplissement quantitatif afin de faire baisser les taux et relancer
l’économie. La banque centrale ne peut donc agir que de manière indirecte
sur l’économie réelle : ce qui limite son pouvoir et sa capacité d’action. En
période de crise, une banque centrale aimerait pourtant avoir un outil plus
direct pour modifier le comportement des ménages sans avoir à passer par
les banques. Il serait possible d’imaginer que la banque centrale finance
l’État – en dehors de certaines contraintes légales – puis que l’État distribue
massivement cet argent aux ménages sous la forme de chèques-cadeaux à
dépenser. Cela serait sûrement inflationniste – mais, justement, c’est ce que
l’on souhaite pour combattre une période de crise et un risque de récession.
« Mais, attends, Captain’, si les individus ont un compte en monnaie
numérique auprès de la banque centrale, comme dans le cas de la MNBC
discuté juste avant, est-ce qu’il ne serait pas possible que la banque centrale
crédite directement ces comptes sans passer par l’État ? » Bingo ! Vous
venez d’inventer la monnaie hélicoptère.

DISTRIBUTION GRATUITE
DE MONNAIE
Imaginez un hélicoptère qui se balade au-dessus de votre ville et qui se
mette à lâcher des billets de 100 euros depuis le cockpit. De l’argent qui
tombe littéralement du ciel ! Comme par magie, les billets tombent
équitablement dans le jardin de chaque habitant, dans une quantité faisant
exactement doubler l’encours de trésorerie de chaque ménage. Cette
expérience – un peu étrange à première vue – a été décrite en 1969 par
Milton Friedman dans son ouvrage The Optimum Quantity of Money 1. Oui,
le même Milton Friedman de la théorie quantitative de la monnaie qui a dit
que l’inflation était « partout et toujours un phénomène monétaire ». Selon
Friedman, cette distribution de monnaie n’aurait aucun impact sur
l’économie réelle et entraînerait uniquement une hausse de l’inflation 2.
Mais justement, en période de déflation, augmenter l’inflation est
précisément ce que la banque centrale souhaite faire ; et dans ce cas, la
monnaie hélicoptère est parfaitement adaptée.
Longtemps considérée comme une anecdote, la monnaie hélicoptère a
fait son retour dans les débats économiques à la suite de la crise des
subprimes et de la crise de la zone euro. Durant les années 2010 et au début
de la pandémie en 2020 – malgré des politiques monétaires non
conventionnelles massives –, l’inflation en zone euro était faible et
inférieure à la cible de 2 %. C’est dans ce contexte que le sujet de la
monnaie hélicoptère a commencé à refaire son apparition : un transfert
direct aux ménages par la banque centrale pouvant en effet être une solution
directe au problème de la déflation 3.
« Mais, cet argent, il sort d’où ? Et comment est-ce qu’il va m’être
versé ? » La monnaie peut tout simplement être créée de manière
numérique par la banque centrale et versée sur votre compte en MNBC.
C’est finalement l’implémentation numérique de l’exemple de Friedman,
sauf qu’au lieu de créer des billets et de les lancer depuis un hélicoptère, la
banque centrale crée des euros numériques et les distribue via une ligne de
code. Avouez que c’est tout de même plus simple et moins coûteux. Avec la
monnaie hélicoptère, la banque centrale pourrait donc avoir à nouveau un
contrôle direct de la masse monétaire et ainsi accroître l’efficacité de sa
politique monétaire.
En ce qui concerne la distribution – bien que cela puisse varier d’une
proposition à l’autre –, l’approche la plus communément acceptée consiste
à verser la même somme à tous les individus. Même aux milliardaires !
Cette méthode permet d’éviter que la politique monétaire ne chevauche le
rôle de la politique budgétaire : c’est le rôle de l’État de réaliser des
transferts ciblés aux ménages, pas celui de la banque centrale. Mais en
taxant cette distribution par l’impôt sur le revenu, cela permettrait que les
plus démunis reçoivent davantage que les plus riches et donc de réduire les
inégalités de manière directe. Et en plus, comme les plus pauvres ont
tendance à consommer une partie plus grande de leur revenu – et ainsi à
moins épargner –, l’effet sur la relance serait plus important.

MONNAIE HELICOPTERE
OU ASSOUPLISSEMENT
QUANTITATIF
La monnaie hélicoptère est très différente de l’assouplissement quantitatif
pour de nombreuses raisons. Si l’on regarde l’impact de cette politique
monétaire sur le bilan de la banque centrale, une différence importante est
l’absence d’un actif en contrepartie qui pourrait ensuite être revendu pour
réabsorber un potentiel excès de monnaie. En effet, dans le cas d’un
assouplissement quantitatif, la banque centrale augmente la base monétaire
(monnaie centrale) à son passif et détient ensuite à son actif un titre
financier (dette souveraine ou dette d’entreprises). Si l’inflation augmente
par la suite au risque de dépasser la cible d’inflation, la banque centrale
peut revendre ces actifs sur les marchés afin de faire augmenter les taux et
réduire la base monétaire 4. Ce que l’on appelle un resserrement quantitatif.
Mais dans le cas de la monnaie hélicoptère, cette monnaie est distribuée de
manière définitive sans possibilité directe de réabsorption par la banque
centrale. Sauf à imaginer que cette dernière puisse ponctionner/taxer
directement vos comptes en MNBC ; mais ce n’est pas souhaitable ni facile
à mettre en place pour de nombreuses raisons. Notons cependant que la
banque centrale pourrait tout de même resserrer les conditions de crédit en
augmentant ses taux directeurs en cas d’inflation trop élevée. La politique
monétaire non conventionnelle de monnaie hélicoptère serait là pour
combattre la déflation, et la politique monétaire conventionnelle de hausse
de taux serait là pour combattre l’inflation.
Il ne faut pas oublier qu’il est – peu importe la méthode choisie –
beaucoup plus simple d’injecter des liquidités dans le système que d’en
retirer. Pas vraiment pour des raisons techniques, mais surtout par peur
qu’un durcissement trop rapide n’entraîne une crise financière ou une
récession économique 5. C’est ce que l’on voit actuellement un peu partout
dans le monde en conséquence de la forte hausse de l’inflation en 2022. Les
banques centrales augmentent les taux, et certaines mettent en place des
programmes de resserrement quantitatif, mais cela ne se fait pas sans dégât
sur les marchés financiers et sur le risque de récession.
Dans le cas de la monnaie hélicoptère, il est donc nécessaire de bien
calibrer la durée et les montants distribués afin que cette politique
n’entraîne pas plus d’inflation que souhaité. Le montant des transferts
pourrait ainsi être conditionné au niveau d’inflation et s’arrêter dès que
l’inflation – ou dès que les anticipations d’inflation – retrouve un niveau
proche de la cible d’inflation de la BCE de 2 %.

RELANCER LA CROISSANCE
PAR LA CONSOMMATION
Pour que la monnaie hélicoptère soit efficace, il faut que les individus
dépensent effectivement cette monnaie. Et qu’ils dépensent relativement
rapidement – quand l’économie est en risque de déflation – pour éviter des
effets retardés ou indésirés de la monnaie hélicoptère. Mais plus de
consommation, c’est aussi plus d’émissions de gaz à effet de serre et plus
d’extraction de matières premières. Ne faudrait-il pas financer directement
les États pour qu’ils investissent dans la transition écologique – ou bien
racheter des actifs verts dans un programme d’assouplissement quantitatif –
plutôt que de financer l’achat de biens de consommation par les ménages en
leur distribuant de l’argent ? Et finalement, un ralentissement économique,
n’est-ce pas une bonne nouvelle pour la planète ? Une décroissance à
marche forcée.
Dans le cercle des partisans de la monnaie hélicoptère, l’impact d’un
transfert aux ménages et d’une relance via la consommation sur le
réchauffement climatique suscite les débats. Pour certains, il faudrait en
effet mettre en place une « monnaie hélicoptère verte » qui ne pourrait être
dépensée que pour réaliser des achats verts ou responsables – ou pour
investir dans des actifs verts. Pour d’autres, il ne faut pas cibler les
dépenses, car cela serait trop complexe à mettre en place et entraînerait des
distorsions de prix et un risque de « bulle verte ». Il faudrait en effet se
mettre d’accord sur une liste de produits que l’on considère comme verts –
en mettant donc en place une taxonomie verte – puis être capable de
contrôler les dépenses que fait chaque individu de sa part de monnaie
hélicoptère.
Gardons en tête que la banque centrale ne peut pas tout faire. Et cela est
encore plus difficile pour la Banque centrale européenne dans une zone
monétaire à 19 pays où les chocs peuvent être différents d’un pays à
l’autre 6. La banque centrale peut essayer de limiter les dégâts collatéraux de
ses interventions – entre autres les impacts environnementaux –, mais elle
n’est pas là pour mettre en place toute seule la transition écologique. Son
rôle est d’assurer une stabilité des prix et de bonnes conditions de
financement des États et des acteurs privés – entre autres dans le cadre
d’investissements écologiques. D’un point de vue légal, la Banque centrale
est de plus limitée par son mandat : l’article 123 du Traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne interdit le financement direct des
États membres. Mais derrière son objectif principal de stabilité des prix, la
BCE a aussi un objectif secondaire : « d’apporter son soutien aux politiques
économiques générales dans l’Union, en vue de contribuer à la réalisation
des objectifs de l’Union ». Le réchauffement climatique faisant peser un
risque à long terme sur la stabilité des prix et la stabilité financière, cela
laisse tout de même pas mal de marge de manœuvre, à mandat constant, à la
BCE 7.
La monnaie pleine

La majorité de la monnaie dans le système actuel est créée par les banques
commerciales. Ce mode de création de la monnaie est relativement bien
adapté aux besoins d’une économie capitaliste tournée vers l’investissement
et la consommation – et où l’objectif de chaque entreprise est de maximiser
son profit. La quantité de monnaie s’ajuste automatiquement à la demande
de crédit des agents, et le taux d’intérêt vient agir pour jouer sur la
rentabilité des investissements et par conséquent sur le niveau de la
demande de crédit. La monnaie est donc aujourd’hui la contrepartie d’une
dette : dans un monde sans dette, il n’y aurait plus de monnaie créée par les
banques commerciales ! Il ne resterait plus que la monnaie émise par la
banque centrale.
Mais depuis une dizaine d’années, des projets radicaux – ou innovants
selon le point de vue –, soutenus par des mouvements citoyens, proposent
de remettre en cause ce pouvoir de création monétaire par les banques
commerciales afin que la banque centrale retrouve le contrôle de la
monnaie. Pour prêter, une banque devrait donc disposer des ressources
nécessaires pour le faire et ne pourrait pas créer de la monnaie à cette
occasion. Finalement un peu comme vous : pour prêter votre calculatrice à
un voisin, vous devez effectivement avoir une calculatrice sur votre bureau
et vous ne pouvez pas en créer une comme ça pour répondre à la demande.
Pas si bête, non ?
INTERDIRE LA CREATION
MONETAIRE PAR LES BANQUES
L’idée d’interdire la création monétaire par les banques n’est pas nouvelle.
Dès le XVIIIe siècle – à une époque où la monnaie scripturale n’existait pas
mais où les banques privées pouvaient émettre des billets –, on retrouve
déjà des critiques fournies de ce système de la part de grands philosophes et
économistes 1. Puis, dans les années 1930, l’économiste Irving Fisher 2
proposait un système dans lequel les dépôts servant de moyens de paiement
seraient soumis à 100 % de réserves en monnaie légale, conférant à l’État le
monopole de la création monétaire. Dans un système de ce type, les
banques ne seraient alors plus que de simples intermédiaires : elles
pourraient toujours octroyer des prêts mais uniquement à partir de l’argent
disponible sur les comptes d’épargne d’autres clients, tandis que l’argent
sur les comptes courants serait couvert à 100 % par des réserves.
D’un point de vue théorique, cette proposition peut être une réponse au
risque de panique bancaire. Dans le système actuel, les banques procèdent
en effet à ce que l’on appelle une transformation de maturité : elles
disposent de ressources à court terme (dépôt et dette) et financent des
investissements à long terme (prêt et titres). Cette activité est
nécessairement risquée : si une grande partie des déposants se précipitent
aux guichets d’une banque pour retirer leur dépôt, aucune banque n’est en
mesure de satisfaire la demande de tous les clients. La banque ne détient en
effet qu’un petit pourcentage de réserves à son actif selon le système de
réserves fractionnaires. Une banque pourrait bien essayer de revendre les
éléments qu’elle détient à l’actif, mais les prêts et titres sont relativement
peu liquides, et une vente rapide impliquerait des pertes. Un peu comme si
vous possédiez une maison et que vous vouliez absolument la vendre dans
la journée : vous devriez alors sûrement accepter un prix inférieur à son prix
de marché pour trouver un acheteur très rapidement. Mais, dans un système
« 100 % monnaie », le risque de panique bancaire n’existe plus ! Le
montant des dépôts sur les comptes courants est égal au montant des
réserves à l’actif. Et les réserves étant parfaitement liquides, toute demande
de retrait peut être satisfaite sans risque.
Un système « 100 % monnaie » permettrait aussi – selon ses partisans –
de contrecarrer les effets procycliques du crédit. Dans le système actuel, en
période de croissance économique, les demandes de crédit sont nombreuses,
les banques accordent de nombreux prêts, et la création monétaire par les
banques centrales amplifie les mouvements haussiers et l’inflation. À
l’inverse, en période de crise économique, les demandes de crédit sont
faibles, les banques accordent peu de prêts et la destruction monétaire par
les banques commerciales amplifie la déflation. Sans contrainte de réserves,
la création monétaire par les banques commerciales peut donc entraîner une
instabilité plus forte du système : en facilitant la formation de bulles et en
amplifiant les périodes de crise.
« Mais, Captain’, c’est génial, ce système ! Pourquoi est-ce qu’on ne
l’adopte pas ? ». En effet, cela a des avantages – mais cette solution pose
tout de même certains problèmes. La première critique possible – la même,
d’ailleurs, dès que l’on touche à l’organisation du système bancaire actuel –
est le risque que cela renchérisse les coûts de financement des
investissements en rendant l’accès au crédit plus difficile. En effet, dans ce
système, un prêt ne peut être réalisé qu’à partir d’une épargne existante : il
est donc nécessaire que le montant total d’épargne soit suffisamment
important pour ne pas entraver trop le crédit. L’impact du passage d’un
système du type « les crédits font les dépôts » à un système du type « les
comptes d’épargne font les crédits » n’est pas facile à anticiper.
Deuxièmement, limiter la capacité des banques à octroyer des crédits risque
d’entraîner un développement du financement de l’économie par des
intermédiaires financiers non bancaires. Or ces acteurs du shadow banking
sont moins régulés que les banques, et un transfert des activités bancaires
vers le shadow banking pourrait augmenter en définitive l’instabilité du
système.

UN REGAIN D'INTERET
A LA SUITE DE LA GRANDE
DEPRESSION
Il est intéressant de noter que les initiatives de refonte du système monétaire
connaissent souvent un regain d’intérêt au moment des crises économiques
et financières. Dans le cas de la proposition de Fisher, celle-ci a été
formulée dans le contexte de la Grande Dépression des années 1930 ayant
mis en avant les instabilités du système bancaire et financier aux États-
Unis. Durant la Grande Récession de 2008, les fragilités du système
bancaire ont refait surface : faillite de Lehman Brothers, panique bancaire
de Northern Rock, interventions massives des États pour sauver les
banques… C’est dans ce contexte que les propositions de « monnaie
pleine » sont revenues dans le débat public durant les années 2010.
Un pays s’est tout particulièrement distingué sur ce sujet : la Suisse. Il
existe en effet en Suisse ce que l’on appelle « l’initiative populaire
fédérale », permettant aux citoyens de proposer une modification totale ou
partielle de la Constitution fédérale et de la soumettre à la votation
populaire à partir du moment où l’initiative est soutenue par un minimum
de 100 000 citoyens ayant le droit de vote. Portée par l’association
Modernisation monétaire, l’initiative populaire « Monnaie pleine » a ainsi
reçu en 2014 et 2015 plus de 110 000 signatures et a donc fait l’objet d’une
votation dans l’ensemble des cantons Suisse en 2018. La proposition portée
par l’initiative « Monnaie pleine » était très proche de la proposition de
« 100 % monnaie » de Fisher des années 1930 : interdire aux banques
commerciales de créer de la monnaie scripturale et rendre intégralement le
pouvoir de création monétaire à la banque centrale suisse. Pour répondre à
la critique de l’assèchement du crédit et de la potentielle hausse du coût de
financement, les partisans de cette initiative proposaient d’ailleurs que la
banque centrale suisse puisse prêter aux banques commerciales, impliquant
donc une gestion plus centralisée du volume de crédit 3.
Sans grande surprise, les banques, la banque centrale, le Parlement et le
conseil fédéral suisse n’ont pas vu d’un très bon œil cette proposition. Le
conseil fédéral a par exemple – dans un rapport avant la votation – présenté
cette initiative comme une réforme « hasardeuse » faisant peser des
« risques considérables, notamment pour le secteur financier ». Idem pour
la Banque nationale suisse, qui a mis en avant la perte d’efficacité du
système et la menace que cela ferait planer sur l’indépendance de la banque
centrale. Selon les détracteurs de cette initiative, le système bancaire est sûr
et fonctionne correctement – et ce, grâce à la régulation et à la garantie des
dépôts. En partant de ce constat, pourquoi réformer le système en sachant
que la mise en place de cette initiative serait nécessairement source
d’incertitude et de risque – tout du moins à court terme – étant donné
l’absence d’expérience similaire dans d’autres pays ?
« Mais, Captain’, ça a donné quoi alors, le vote ? Arrête avec le
suspense, là ! » Lors de la votation de 2018, l’initiative a été largement
rejetée dans l’ensemble des cantons : 75,7 % de rejet avec une participation
à la votation de 34 %. À noter cependant le relativement bon score dans le
canton de Genève avec près de 40 % de « oui », un score qui peut
s’expliquer par le soutien de cette initiative par divers partis de gauche et
par les partis écologistes dans ce canton. Au bout du compte, malgré une
défaite nette, cette initiative aura eu le mérite de remettre sur la table le
débat de la création monétaire et l’impact du choix de l’organisation du
système monétaire sur l’économie et la société.
BUREAUCRATIE
ET CENTRALISATION
Les choix d’organisation du système monétaire – derrière des
considérations techniques complexes – sont en réalité intimement liés à la
vision du rôle des marchés dans l’économie. Si vous pensez que les
individus sont rationnels, que les marchés sont efficients et que la libre
concurrence et la main invisible permettent la meilleure allocation possible
des ressources, alors il y a de fortes chances pour que vous souteniez le
système actuel et la création monétaire par les banques commerciales. À
l’extrême, il serait même possible d’imaginer un système sans banque
centrale et sans régulation, où la monnaie pourrait être émise de manière
totalement libre par des banques commerciales en concurrence. Mais si
vous pensez, à l’inverse, que les individus ne sont pas rationnels, que les
marchés ne savent pas allouer les capitaux là où il le faut et que l’économie
a besoin d’un pouvoir central fort pour corriger les défaillances de marché,
alors il y a de fortes chances pour que vous souteniez les projets de réforme
du système monétaire permettant de donner davantage de pouvoir aux États
par un financement direct auprès de leur banque centrale. À l’extrême, il
serait même possible d’imaginer un monde où les banques commerciales ne
peuvent plus créer de monnaie et où la banque centrale a les pleins
pouvoirs !
Tout cela est bien évidemment un peu caricatural mais permet de
montrer la grande diversité des systèmes monétaires possibles. « Mais,
Captain’, il doit bien y avoir un système qui est meilleur que l’autre ! On
n’a qu’à choisir celui-là et basta ! » Malheureusement, ce n’est pas si
simple. Tout d’abord, parce que cela impliquerait de définir sur quels
critères on estime qu’un système est meilleur qu’un autre : est-ce par sa
capacité de créer de la richesse, de réduire les inégalités, d’assurer la
stabilité économique, de permettre la transition écologique, de maximiser le
bien-être de la population ? Et en supposant que le ou les critères à
maximiser soient connus par suite d’un débat démocratique, il reste toujours
très difficile de prévoir les effets d’une transition d’un système vers un
autre. Sans tomber dans les arguments du lobby bancaire, il est vrai que
certaines réformes complètes du système monétaire impliquent un
changement assez radical du rôle des banques et que ces modifications
peuvent entraîner – au moins à court terme – de l’instabilité et un effet sur
les coûts de financement. L’effet peut aussi dépendre du cycle économique
et de la santé des institutions financières dans le pays : l’objectif d’une
refonte du système n’est pas non plus de créer une nouvelle crise et la
faillite du système actuel ! Enfin, nombre de ces réformes supposent un
pouvoir politique efficace et porté vers le bien public. Est-ce que l’État –
avec sa bureaucratie, son aversion au risque et sa relative lenteur – est ainsi
le mieux placé pour administrer le crédit en cas de mise en place d’un
système centralisé où la banque centrale créerait et distribuerait la monnaie
aux entreprises ? Et même dans les projets de réforme moins radicaux –
comme ceux facilitant le financement de l’État directement par la banque
centrale –, est-ce que l’État ferait bon usage de cette monnaie ?
Il faut donc trouver le bon arbitrage entre les marchés et l’État, entre les
banques commerciales et la banque centrale, entre la décentralisation et la
centralisation, entre la recherche de rendement et la recherche de bien-être.
« Attends, Captain’, tu ne vas pas t’en sortir comme ça et terminer ce
livre sans nous donner ta solution ! » Allez, le Captain’ se lance – même si
cela pourrait faire l’objet de débats interminables. En partant du constat que
la lutte contre le changement climatique doit être la priorité des décennies à
venir, il est important de permettre à l’État de financer massivement
l’investissement pour la transition écologique. Pour cela, il est nécessaire
que la banque centrale permette un financement de l’État – directement ou
indirectement – au moins pour la partie des dépenses liées à la transition
écologique et énergétique. D’un point de vue technique, cela pourrait se
faire via l’émission de green bonds souverains 4 qui auraient la garantie
d’être achetés par la banque centrale. L’État pourrait payer des intérêts à la
banque centrale, mais ces intérêts lui seraient directement reversés et donc
ce financement serait gratuit 5. Commençons déjà par cela – en développant
en parallèle les monnaies numériques de banque centrale qui offrent des
opportunités importantes – et gardons en réserve la monnaie hélicoptère
pour une future crise déflationniste 6.
Conclusion

Et voilà, le vaisseau du Captain’ se prépare à l’atterrissage. Notre seconde


aventure, dans l’univers fascinant de la monnaie, touche à sa fin. Comme
pour toute mission d’exploration, nous n’avons bien évidemment visité
qu’une infime partie de la galaxie de la monnaie. Et nous n’avons souvent
pu qu’effleurer ou apercevoir les questions et débats qui se posent sur les
différentes planètes de cette galaxie. Chaque chapitre aurait pu être le sujet
d’un ouvrage entier et de nombreuses problématiques discutées dans cet
ouvrage font l’objet de débats animés – parfois houleux – dans le monde
académique.
À vous désormais de continuer cette mission et de devenir un
superhéros de la monnaie ! Pour reprendre une citation attribuée – peut-être
d’ailleurs de manière erronée – à Henry Ford : « Il est appréciable que le
peuple de cette nation ne comprenne rien au système bancaire et monétaire.
Car si tel était le cas, je pense que nous serions confrontés à une révolution
avant demain matin. » Mais ce n’est plus votre cas – enfin, en tout cas, le
Captain’ l’espère ! À vous maintenant de voir si vous voulez faire la
révolution ou non. La monnaie n’a pas toujours été ce qu’elle est
aujourd’hui : des changements sont possibles et même souhaitables étant
donné l’ampleur des bouleversements nécessaires pour assurer la transition
écologique et énergétique de nos économies. Une monnaie au service du
bien commun et de la transition écologique, pour reprendre le titre d’une
Note récente de l’institut Veblen 1.
Transformer le système monétaire actuel ne sera pas simple et devra se
faire par étapes. Les banques vont s’accrocher à leur business model et
tenter de décrédibiliser tous les projets de réforme. Tout d’abord en disant
que c’est inutile (« le système actuel fonctionne bien »), puis que cela va
entraîner des effets secondaires néfastes (« nous allons devoir diminuer les
crédits et augmenter les taux pour compenser nos pertes ») et enfin en
essayant de démontrer que cela menacera nos libertés (« est-ce que vous
voulez vraiment d’une société communiste ? »).
Mais la monnaie a un réel rôle à jouer dans la transformation de la
société. Et le plus tôt une transition sera opérée pour remettre la monnaie au
service de l’économie – et de la planète –, le mieux le monde se portera.
Bonne chance à tous – et bon courage aux superhéros de la monnaie dans ce
combat face aux lobbyistes !

Le Captain’
© De Boeck Supérieur s.a., 2023
Rue du Bosquet, 7 – B-1348 Louvain-la-Neuve

ISBN : 978-2-8073-3483-0

« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage
privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit
ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue
une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la
Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à
ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »

Ce document numérique a été réalisé par PCA


Notes
1. La quantité totale d’or extraite à ce jour dans le monde tiendrait – selon diverses estimations –
dans un cube de 21 mètres de côté.
2. Il faut dire que, les noix de coco, ça pousse tous les ans et que, comme il commençait à y avoir
beaucoup de noix de coco en circulation, la valeur des choses exprimées en noix de coco augmentait
chaque année. Mais nous aborderons ce lien entre quantité de monnaie et prix ultérieurement.
3. Des pièces – datant à peu près de la même époque – ont aussi été retrouvées en Grèce, sur l’île
d’Égine.
Notes
1. Mais nous verrons que cette victoire du currency principle ne fut que de courte durée.
2. Pour simplifier le raisonnement, nous nous concentrons sur la balance commerciale et donc
uniquement sur les flux de biens et de services. En réalité, il faut aussi prendre en compte les flux
financiers et donc considérer la balance des paiements.
3. Voir à ce sujet Meissner, C. M. (2003). Exchange-rate regimes and international trade: Evidence
from the classical gold standard era. American Economic Review, 93(1), pp. 344-353.
Notes
1. Le livret A est un compte d’épargne rémunéré dont les fonds sont disponibles à tout moment.
Notes
1. Nous verrons dans la partie suivante le rôle joué par le taux de facilité des dépôts et le taux de
facilité des prêts. Mais dans un souci de simplification, nous nous concentrons ici sur le taux
directeur.
Notes
1. Le Japon et la Suisse en sont deux exemples, respectivement en 2016 et 2015. En zone euro et aux
États-Unis, le taux directeur est cependant toujours resté supérieur ou égal à zéro.
2. La mise en place d’un taux négatif fait d’ailleurs partie des outils non conventionnels.
3. Il en est d’ailleurs de même si l’investisseur achète, par exemple, un titre de dette émis par la
banque ; ce qui se traduirait comptablement par une baisse des dépôts et une hausse d’un autre
élément du passif de la banque.
4. La hausse de la demande entraîne une hausse du prix des obligations et une baisse du taux
d’intérêt via ce que l’on appelle l’effet balançoire.
Notes
1. Il faut pour cela utiliser la formule du taux de variation moyen annuel. En supposant une valeur de
départ de 1, une valeur de fin de 4 et une variation sur 100 ans : TVAM = (4/1)^(1/100) – 1 = 1,4 %.
Notes
1. La BCE présente par exemple un rapport annuel au Parlement européen, et un « dialogue
monétaire » a lieu chaque trimestre avec des parlementaires.
Notes
1. En France, le salaire minimum s’ajuste en fonction du niveau de l’inflation. Mais ce n’est pas le
cas des prestations sociales, des retraites, des revenus des travailleurs indépendants, des étudiants,
des personnes juste au-dessus du SMIC… Les revenus ne s’ajustent en général que lentement et
partiellement à l’inflation.
2. L’État s’endette majoritairement à taux fixe. En cas d’inflation non anticipée, le produit intérieur
brut nominal (en valeur) va augmenter du fait de la hausse du prix des biens et services, ce qui, toutes
choses égales par ailleurs, va réduire le poids de sa dette mesurée de la manière suivante : dette
publique (en euros) / PIB (en euros).
3. En France, le taux d’endettement maximum est de 35 % ; c’est-à-dire que le montant de vos
remboursements mensuels ne doit pas dépasser 35 % de vos revenus mensuels. Dans notre exemple –
et simplement pour avoir un ordre de grandeur –, il faut un revenu net d’environ 6 000 euros par
mois pour emprunter cette somme sur 25 ans – en supposant un taux d’intérêt de 1,25 %.
4. En plus de l’impact direct sur les actifs rachetés, les programmes d’assouplissement quantitatif ont
aussi un impact indirect haussier sur les autres marchés tels quel le marché action.
Notes
1. Voir Louis, B. D., Jean-Charles, B., Matthieu, B., Cristina, J., Adrian, P., Franck, S. et Yann, W.
(2022). L’augmentation de la masse monétaire pendant la crise Covid : analyse et implications.
Bulletin de la Banque de France, (239).
2. En cas de rachat à un investisseur étranger ou directement à une banque, cela entraîne une hausse
de la base monétaire. Voir aussi : Deutsche Bundesbank (2017). The role of banks, non-banks and the
central bank in the money creation process. Monthly Report, 69(4), pp. 13-34.
3. Voir Kelton, S. (2021). Le mythe du déficit. Paris : Les Liens qui libèrent.
4. Jourdan, S. et Kalinowski, W. (2019). Aligner la politique monétaire sur les objectifs climatiques
de l’Union européenne. Positive Money & Veblen Institute.
5. Un chapitre est d’ailleurs dédié à ce sujet dans le précédent ouvrage du Captain’ : Comprendre la
Bourse avec Captain Economics.
6. https://oilgaspolicytracker.org/
Notes
1. C’est d’ailleurs pour cela que, dans le cas d’un paiement par chèque, le vendeur – étant dans
l’incapacité de vérifier en temps réel votre solvabilité – pourra parfois vous demander une pièce
d’identité, voire refuser un paiement par chèque si le montant est trop élevé pour éviter les « chèques
en bois ».
2. Vous pouviez cependant, en 2021, acheter une Tesla en bitcoins, et les sites web de certaines
grandes marques acceptent désormais les paiements en bitcoins.
3. Le Captain’ a volontairement pris des valeurs extrêmes du bitcoin, ici. Depuis sa création, le
bitcoin s’est largement apprécié par rapport au dollar en moyenne – avec cependant de très fortes
phases de volatilité et une baisse marquée depuis 2021.
4. La quantité totale de bitcoins est par exemple limitée à 21 millions d’unités, et la vitesse de la
création monétaire diminue avec le temps.
5. Plus précisément l’USDT, dans le cadre du tether indexé sur le dollar. Il existe aussi un tether
indexé sur l’euro – l’EURT – dont le fonctionnement est similaire.
6. À noter tout de même qu’en septembre 2022, l’entreprise Tether – à la suite de ce scandale – a
annoncé avoir converti la quasi-totalité de ses réserves en bons du Trésor à court terme.
Notes
1. La détention d’un compte en MNBC pourrait être payante afin de financer le coût de
développement et de maintien des infrastructures. Une autre solution de financement serait de mettre
en place des frais de transaction – peu élevés – pour les commerçants acceptant la MNBC.
2. Voir, en ce qui concerne la rhétorique bancaire : Couppey-Soubeyran, J. (2015). Blablabanque. Le
discours de l’inaction. Paris : Michalon.
3. Voir Rogoff, K. S. (2017). The Curse of Cash. Princeton University Press, pour des arguments en
faveur de la suppression du cash.
Notes
1. Friedman, M. (1969). The Optimum Quantity of Money. Transaction Publishers.
2. La conclusion de Friedman ne tient d’ailleurs à court terme que si les prix et les salaires s’ajustent
parfaitement et instantanément ; et si la vélocité de la monnaie est constante. Voir le chapitre de ce
livre sur la monnaie et inflation.
3. À l’heure où le Captain’ écrit ces lignes, le problème est au contraire l’inflation – avec la forte
hausse des prix de l’énergie et les effets de la sortie de la pandémie. Dans ce contexte, la monnaie
hélicoptère n’est plus vraiment à la mode. Mais, au fond, tout dépend de la nature de l’inflation et du
soutien à apporter à la dépense des ménages. En stagflation et à condition que l’inflation ne soit pas
due à un excès de monnaie en circulation (pardon Milton !), cela reste un outil intéressant.
4. Ou bien ne pas renouveler ses achats et laisser les titres qu’elle détient arriver à échéance pour les
sortir plus doucement de son bilan. À noter cependant que la revente d’actifs peut entraîner des pertes
pour la banque centrale et une baisse du prix des obligations.
5. En sachant que les bulles peuvent d’ailleurs se former à cause justement de politiques monétaires
trop expansionnistes. D’où ce débat autour du rôle des banques centrales : doivent-elles prévenir la
formation des bulles ou simplement combattre leur éclatement ? Voir Jones, B. (2015). Asset
bubbles: re-thinking policy for the age of asset management. International Monetary Fund.
6. Les chocs asymétriques sont en effet plus difficiles à absorber en zone euro qu’ailleurs en
l’absence de transferts fiscaux et étant donné la faible mobilité des travailleurs. Voir, par exemple,
Krugman, P. (2013). Revenge of the optimum currency area. NBER Macroeconomics Annual, 27(1),
pp. 439-448.
7. Voir Monnet, E. (2021). La Banque Providence : Démocratiser les banques centrales et la
monnaie. Paris : Seuil, pour une discussion détaillée du mandat de la BCE et de son potentiel rôle
dans le financement de la transition écologique.
Notes
1. Voir la thèse de doctorat : Demeulemeester, S. (2019). La proposition 100 % monnaie des
années 1930 : clarification conceptuelle et analyse théorique. Université de Lyon.
2. Oui, le même Fisher que celui de l’équation des échanges du chapitre IX.
3. Voir les détails de ce projet sur https://www.initiative-monnaie-pleine.ch/
4. Voir les travaux de la BRI sur le rôle des green bonds souverains dans la transition écologique :
Cheng, G., Ehlers, T., et Packer, F. (2022). Sovereigns and sustainable bonds: challenges and new
options.
5. En fonction du rôle joué par les banques commerciales, cela pourrait entraîner un coût via la
rémunération des réserves excédentaires des banques.
6. À l’heure où le Captain’ écrit ces lignes, l’inflation en zone euro est bien supérieure à la cible de
2 % de la BCE. Ce n’est donc pas le meilleur moment pour parler de la monnaie hélicoptère dans le
débat public. Mais bon, une prochaine crise déflationniste arrivera bien un jour ou l’autre ; et la
monnaie hélicoptère pourrait être une solution à ce moment-là !
Notes
1. Couppey-Soubeyran, J. et Delandre, P. (2021). La transition monétaire. Pour une monnaie au
service du bien commun. Institut Veblen, mai.

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