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CHAPITRE 5 :

LA POLITIQUE MONÉTAIRE

Dr NTONGA EFOUA Fabien Clive

(Suite du cours)
Les éléments qui suivent sont complémentaires à la première partie du cours. Il ne faut
donc pas hésiter à s’y référer en cas de besoin.
5|3. Les canaux de transmission de la politique monétaire
Les canaux de transmission de la politique monétaire sont les instruments et les
processus par l’intermédiaire desquels la politique monétaire agit sur la politique
économique et le comportement des agents économiques.
Les capacités de la politique monétaire à stimuler l’activité économique ont été mises en
évidence par les économistes de tradition keynésienne.
On distingue plusieurs canaux de transmission de la politique monétaire. Voici comment
ils fonctionnent généralement :
Le canal du taux d’intérêt : lorsque la BC augmente ou diminue ses taux directeurs, le
coût du crédit augmente ou diminue également (et inversement). Cela modifie de fait les
décisions de consommation et d’investissement.
Le canal du crédit bancaire : une hausse des taux d’intérêt réduit la demande de crédit ;
et donc en fin de compte, le volume global des crédits accordés. Réciproquement, une
baisse des taux conduit à un crédit plus abondant.
Le canal financier (le canal du ratio Q de Tobin) : les décisions prises par les autorités
monétaires peuvent affecter le cours des actifs financiers. Par exemple, une baisse des
taux directeurs entraîne toutes choses égales par ailleurs, une hausse du cours des
actions sur les marchés (cf. Bernanke (2003) ou Ntonga Efoua (2021) pour
approfondissement).
Théoriquement, ce mécanisme peut être schématisé de la manière suivante :
Taux d’intérêt ↓ → Demande (investissement) ↑ → Cours des actions ↑
Le canal du bilan (la théorie de l'accélérateur financier) : les effets de la politique
monétaire sur l'activité réelle dépendent aussi de la qualité de la structure du bilan des
agents économiques. Par exemple, une hausse des taux d’intérêt aura des effets
dépressifs sensiblement plus importants si les agents privés sont déjà très endettés et
peu solvables.
Ainsi, l'impact défavorable d'un durcissement monétaire sur la capacité des entreprises
à rembourser leurs dettes (canal du taux d'intérêt) et sur le coût de leur capital (canal du
Q de Tobin) est renforcé par un redressement de la prime de risque que les
intermédiaires financiers font peser sur les nouveaux emprunteurs.

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Les effets de la politique monétaire sur l’activité économique peuvent donc être
accentués par les comportements des agents.
Remarque : Le canal du crédit est souvent appelé : le canal strict (ou étroit) du crédit,
tandis que le canal du bilan correspond au canal large du crédit. Alors que le premier
fait jouer un rôle particulier aux banques, le second se concentre essentiellement sur le
financement des agents (entreprises, ménages) et sur leurs problèmes d’information
avec l’ensemble de leurs créanciers, sans distinction.
Le canal du taux de change : Ceteris Paribus, la hausse des taux d’intérêt entraîne une
appréciation du taux de change qui conduit les agents résidents à acheter davantage à
l’étranger (importations) et moins aux producteurs domestiques.
Nota Bene (1) Au total, une hausse des taux d’intérêt a de fortes chances de déprimer
l’activité économique ; et réciproquement, en cas de baisse des taux.
(2) Le canal du taux de change a moins d’importance pour les pays dont les parités (par
rapport aux autres monnaies) ont été fixées ; puisque théoriquement, par ce billet, la
politique monétaire n’influence (presque) pas les termes des échanges. Il [le canal du
taux de change] peut toutefois avoir une influence sur les échanges, en raison de
l’asymétrie des marchés (voir Beaudu & Heckel, 2001).
5|4. Les cadres de la politique monétaire
En général, l’on distingue traditionnellement trois types de politique monétaire :
La fixité des taux de change : La politique monétaire peut avoir pour objectif de
maintenir fixe, le taux de change de la monnaie nationale avec une monnaie ou un panier
de monnaies. La fixité des taux de change peut être obtenue par la BC en vendant ou en
achetant des devises au jour le jour pour atteindre le taux objectif.
Exemples :
(1) Le « Gold Standard » (étalon-or), qui consistait à maintenir la parité de la monnaie
avec l'or constante, peut être considéré comme un cas particulier de fixité des
taux de change. Dans ce cadre, les autorités pouvaient fixer la valeur de leur
monnaie par rapport à un poids d'or. Ce système n'est plus utilisé par aucun pays
depuis 1976.

(2) Le « currency board » (la caisse d’émission monétaire) est un autre cas particulier
de la fixité des taux de change. Dans ce cas extrême, la BC adosse totalement sa
monnaie sur une autre monnaie, généralement le Dollar ou L’Euro. La BC
conserve alors une unité de la monnaie d'ancrage pour chaque unité de monnaie
nationale en circulation : elle ne dispose plus d'aucune latitude pour mener une
politique adaptée aux besoins de l'économie nationale. Cette solution permet d’ «
importer » la crédibilité de la monnaie étrangère. Les currency board sont
souvent mis en place à la suite d'épisodes d'hyperinflation.
Remarque : Le système du CFA ne doit pas être confondu avec celui d’une caisse
d’émission. Dans ce dernier, en l’absence de convertibilité de la monnaie locale, les

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émissions monétaires sont entièrement fondées sur une ou plusieurs devises
accumulées par la Banque Centrale. Un pays utilisant une caisse d’émission ne dispose
donc d’aucune autonomie en matière de politique monétaire. Le système du CFA est de
fait rigide en termes de change (dont le régime est fixe par rapport à l’Euro), mais il offre
davantage de souplesse (qu’une caisse d’émission) du point de vue de la politique
monétaire.
Le ciblage de la croissance des agrégats monétaires : À la suite de l’essor du monétarisme
dans les années 1970, certains pays ont adopté une politique monétaire basée sur un
ciblage de la croissance des agrégats monétaires.
En effet, dans une optique monétariste, la masse monétaire doit croître au même rythme
que le produit national : si la masse monétaire est sous contrôle, alors l'inflation est
stable. Actuellement, cette politique est rarement mise en œuvre. Elle implique en effet
mécaniquement une très grande volatilité des taux d'intérêt.
Le ciblage de l'inflation : Il s’agit d’une politique visant à maintenir l'inflation proche d'un
objectif sans passer par un objectif intermédié. La BC peut définir une cible numérique
(par exemple 3 % en zone BEAC), une zone d'indifférence (par exemple comprise entre
2% et 4 %) ; ou encore une cible entourée d'une certaine marge de fluctuation (par
exemple 3 % à ±1 %).
Une telle politique offre plusieurs avantages :
- Elle permet de fixer les anticipations des agents à un niveau relativement bas
(proche de la cible), ce qui contribue à assurer la stabilité des prix à moyen/long terme
et à limiter la variabilité de l'inflation ;
- Elle accroît la transparence de la BC ;
- Elle s'inscrit ainsi dans une logique de « discrétion contrainte », selon Ben
Bernanke (ex-Gouverneur de la FED). Il s'agit en effet d'un ciblage « flexible », par
opposition à un ciblage strict dans lequel les autorités monétaires chercheraient à
atteindre leur objectif d'inflation à chaque instant.
Nota Bene :
L'utilisation du ciblage de l'inflation repose sur l’argument selon lequel elle rend la BC
plus crédible, ce qui renforce l'efficacité de sa politique. Ce raisonnement liant règles et
crédibilité a été développé par Kydland & Prescott (1977) dont les travaux ont été
récompensés par la Fondation Nobel en 2004.
La Nouvelle-Zélande fut le premier pays à réformer sa politique monétaire dans ce sens.
Confrontée au début des années 1980 à une situation économique très difficile (inflation
élevée, déficits de la balance des paiements et déficits du budget), elle a inauguré en
1989, le ciblage direct de l’inflation (inflation targeting), une stratégie de politique
monétaire d’un nouveau type se caractérisant par un objectif d’inflation annoncé
publiquement ; ainsi qu’un rôle important donné à la transparence et à la responsabilité
de l’autorité monétaire.

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Depuis la fin des années 1980, un nombre croissant de pays ont choisi d'adopter ce
modèle monétaire original ; entre autres, le Canada, le Royaume-Uni et de nombreux
pays d'Europe Centrale et Orientale. Cependant, suite aux risques auxquels leurs
économies ont dû faire face après la crise des Subprimes de 2007 (déflation, récession,
risque systémique), les BC occidentales ont mis en place des cadres de politique
monétaire non-conventionnelle.
5|5. Les politiques monétaires non conventionnelles
Lorsque les circonstances le justifient, une BC peut prendre des mesures non
conventionnelles. Ces circonstances exceptionnelles peuvent être : l’apparition d’un
risque de déflation, un krach boursier ou obligataire, la faillite d’un établissement de
crédit de taille importante ; ou plus généralement, une crise de confiance du secteur
financier.
En effet, après la crise financière de 2007, les politiques monétaires « conventionnelles »
risquaient de se retrouver complètement inefficaces. D’une part, le canal du taux
d’intérêt s’est retrouvé bloqué lorsque les taux directeurs étaient proches de zéro, les
économies étant de facto dans une situation tendant vers la trappe à liquidité. Dans le
même ordre d’idée, le canal du crédit risquait de se retrouver inopérant, puisque les
banques avaient subi des pertes importantes.
Ces mesures non conventionnelles ont alors pris la forme de mesures d’assouplissement
de certaines normes de la politique monétaire (conventionnelle) ou d’injections
massives de liquidités dans le système financier. Dans le premier cas, on parle
d’assouplissement qualitatif, dans le second, d’assouplissement quantitatif. Elles
auraient également pu prendre la forme de la « monnaie hélicoptère ».
L’assouplissement qualitatif : Il consiste pour la BC, à alléger les règles d’accès à ses
opérations de refinancements bancaires ; en élargissant la catégorie des actifs
éligibles que les banques sont tenues de lui apporter en échange des liquidités fournies.
Pour la BC, il s'agit alors de « ranimer » le marché interbancaire. Cette politique de «
Credit Easing » consiste dans le refinancement ou le rachat par la BC, de titres
représentatifs de crédits à l'économie tels que les billets de trésorerie, les obligations
privées ou encore les bons hypothécaires.
L’assouplissement quantitatif : Encore appelé « Quantitative Easing (QE) » en anglais,
stricto sensu, il consiste pour la BC, à acheter massivement des actifs financiers (titres
de dette publique). Le QE accroît ainsi la quantité de monnaie en circulation dans une
économie, ce qui aura théoriquement pour effet de relancer l'économie et de maintenir
l'inflation à un niveau correct (afin d'éviter tout risque de déflation).
L'Helicopter money ou la création de monnaie permanente : Elle correspond à la
situation où la BC injecte de la monnaie directement dans l'économie, sans actif en
contrepartie du bilan (ou des actifs dits fictifs tels que des dettes perpétuelles). Selon les
propositions, la création monétaire peut alors être directement distribuée à la
population ou transférée sur le compte du gouvernement.

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Remarque : De nombreux spécialistes (théoriciens et autres analystes) regroupent
souvent les politiques d’achat par la BC, de titres représentatifs des crédits à l’économie
- pour réduire le volume des créances bancaires (bilan des banques, voir supra) - sous
l'appellation unique d'assouplissement quantitatif (voir Beitone & al., 2010).

Pour aller plus loin :

Beaudu A. & Heckel T. (2001) : « Le canal du crédit fonctionne-t-il en Europe ? »,


Économie & Prévision N°147, Pp. 117-139.
Bernanke B. (2003) : « Quels liens entre la politique monétaire et la Bourse ?»
Conférence Widener University Chester, États-Unis, Document HTML.
Carré E. (2014) : « Une histoire du ciblage de l'inflation : science des théoriciens ou arts
des banquiers centraux ? », Cahiers d'économie Politique N° 66, Pp. 127-171.
Beitone & al. (2012) : Dictionnaire de la science économique, Armand Colin.
Mishkin F. (2010) : Monnaie, banque et marchés financiers, Nouveaux Horizons.
Mishkin F. (1996) : « Les canaux de transmission monétaire : leçons pour la politique
monétaire », Bulletin de la Banque de France N° 27, Mars.
Ntonga Efoua F.C. (2021) : Marchés financiers en Afrique Centrale : Enjeux, bilan et
perspectives, Les Trois Colonnes.
Okah E.F. (2019) : « La transparence des banques au Cameroun », Conference Paper,
accessible à : https://www.researchgate.net/publication/342720005.
Ottavj C. (1995) : Monnaie et financement de l'économie, Hachette.
Saint Seine S. de (2017) : La Banque d’Angleterre, Une marche erratique vers
l’indépendance, 1977-2007, Presses de Sciences Po.

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