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Bernard B. DADIÉ Bernard B.

DADIÉ

LES VOIX DANS


LES VOIX
LE VENT DANS LE VENT

(Tragédie)
TRAGEDIE

NEI, Abidjan, 2001 — ISBN : 2.84487-132-1


(publié précédemment par :
—Edition CLE, Yaoundé, Cameroun, 1970.
—Nouvelles Editions Africaines, Abidjan, Dakar, Lomé, 1982.
ISBN : 2-7236-0568-x
—NEI, Abidjan, 1996 —ISBN : 2-910190-98-6).
e
Nouvelles Éditions Ivoiriennes
4 édition
Tous droits réservés pour les pays. 01 BP 1818 Abidjan 01
Au lever du rideau, de la pénombre montent crescendo des voix, un tas de -5-
bruits confus. Les voix devenant plus précises, on entend : NAHOUBOU 1er
Oui. Le ciel m'est témoin, (ricanements des fantômes qui
Il a tué son frère,
s'approchent). Sortez ! sortez ! vous dis-je... Ouvrez les portes. Non,
Il a tué sa mère...
fermez-les et que personne, ici, ne pénètre. Je suis pur, aussi blanc que le
Dans la semi-obscurité qui annonce l'aurore, Nahoubou 1 er de la
kaolin, il faut qu'on le sache.
tribu des Kwakwaboué et vers lui avance Vérité... Des ricanements
LES VOIX (fort)
proviennent de partout que dominent les voix :
Il a tué son frère
Il a tué son frère,
Il a tué sa mère...
NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er
Taisez-vous ! Voyez mes mains, qui ai-je tué ? Elles sont propres
Aussi blanc que le kaolin, mes mains pures...
(ricanements).
LES VOIX (plus fort)
LES VOIX
Il a tué son frère
Propres ses mains ! des mains rouges de sang, des mains sales…
Il a tué sa mère...
(ricanements).
NAHOUBOU 1er
Il a tué son frère,
Plus bas ! Plus bas ; que nulle oreille n'entende ce que vous dites, que
Il a tué sa mère…
nulle tâche ne vienne ternir la mémoire de Nahoubou 1er de la très noble tribu des
VERITE Kwakwaboué ; que jamais personne ne sache que... ne sache quoi ?... Que vous ne
Tes morts... comprenez plus rien aux choses de la terre, que j'ai joué aux échecs avec le destin
NAHOUBOU 1er des hommes, avec mon propre destin. Aujourd'hui autour de moi, le vide, les
Mes morts ! Quels morts ? ténèbres qui s'accumulent, montent, me submergent. (Aux fantômes) Venez, je
LES FANTÔMES (entrant) veux vous enrichir, faire de vous des compagnons, des ombres illustres, faire de
Nous voici. votre silence un silence de puissance. Je suis le maître. Je puis vous faire jeter hors
NAHOUBOU 1er du lieu où vous dormez, faire de vous des morts errants, des morts sans sépulture...
Sortez ! Sortez ! Fermez les portes, les lumières, éteignez le jour. mais ma bonté est immense et je veux vous enrichir. Tenez, vous, vous serez
Ministre du Temps, porte-canne de l'Aurore ; vous, ministre du Chant, porte-canne
Ne vous avait-il pas été ordonné de dormir en paix dans le silence des
de la danse ; vous, Ministre des Couleurs, porte-canne de l'Arc-en-Ciel ; vous
clairières ? Qu'avez-vous à revenir troubler ma paix ? (Ricanements des
Ministre des Rêves, Maître de ballet des Papillons... Vous !... Je puis créer pour
fantômes).
vous tous les titres du monde. Dites-moi ce que vous désirez. Une doléance, une
VÉRITÉ (se retirant dans l'ombre)
prière et vous aurez tout. Ces mains tiennent encore les rêves de tout
Sa paix !
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un continent. Ce palais devient votre palais, mes trésors, vos trésors NAHOUBOU 1er
(ricanement des fantômes. Il leur jette des pépites d'or, des cauris. Mépris Bien sûr ?
des fantômes qui ricanent). Oui, je vois, je comprends, vous n'êtes plus de LE GARDE (après avoir inspecté les lieux)
ce monde, nos horizons ne sont plus les mêmes. Pourquoi donc me Très sûr, et tout dans la ville dort.
poursuivez-vous ? NAHOUBOU 1er
LES VOIX Tout dort... Alors qui sont ces hommes et ces femmes ? Est-ce des
Il a tué son frère fantômes ? Entends-tu ces voix moqueuses, calomnieuses qui montent de-
Il a tué sa mère... ci, de-là, de partout ? Où suis-je ? Est-ce bien dans mon palais aux deux
NAHOUBOU 1er cents sentinelles, aux vingt-six enceintes ? Où suis-je ? Les vois-tu ? Les
Taisez-vous ! Je dis, taisez-vous ! Gardes ! Ah vous croyez pouvoir continuer à entends-tu ? garde ! garde ! les vois-tu ?
me narguer, moi Nahoubou 1er de la dynastie des Kwakwaboué. Me narguer, me LE GARDE
poursuivre, me harceler et cela pendant combien de temps ? Des voix ? C’est le vent qui souffle dans les arbres... c'est le vent
UN GARDE (apparaissant) qui joue avec les feuilles mortes.
Avez-vous appelé ? LES VOIX
NAHOUBOU 1er Il a tué son frère
Non ! Non ! Je n'ai appelé personne. Ces voix... Ces voix... Il a tué sa mère...
Arrête ! Fais-moi sortir ces hommes et ces femmes. NAHOUBOU 1er
LE GARDE Le vent, dis-tu ? Taisez-vous ! Les as-tu entendues ?
Lesquels ? LE GARDE
NAHOUBOU 1er Qui ?
Ne vois-tu pas ces hommes, ces femmes qui vont et viennent librement NAHOUBOU 1er
dans mon palais ? Que faites-vous donc, gardes ? que faites-vous donc ! Tous des
Les voix, les voix dans le vent... Fermez portes et fenêtres et que le
complices pour provoquer ma mort.
vent plus jamais dans ce palais ne vienne troubler mon repos. Fais-moi
LE GARDE
sortir ces hommes, ces femmes... Je veux dormir. Garde... Fais sortir tous
Tu es seul ici, Macadou.
NAHOUBOU 1er les fantômes et taire toutes les voix.
Tout seul ? En es-tu sûr ? LE GARDE
LE GARDE Allez ! sortez ! et que partout se fasse le silence...
Oui, Macadou. NAHOUBOU 1er
Ils sont encore là... je les vois qui me regardent, surtout
-8- NAHOUBOU 1er
Vérité. Chasses-les de mon palais, qu'ils ne trouvent asile et repos nulle Que ne suis-je le maître du sommeil ? Tant de fortune, et veiller
part dans mon empire, Vérité. Peut-il exister d'autre vérité que ma vérité ? sur elle en compagnie de gardiens qui eux passent le jour et la nuit à
Venir me narguer dans mon palais, moi Nahoubou 1er de la tribu des dormir ? Être la sentinelle de deux cents sentinelles ! C'est maintenant moi
qui veille sur ce monde qui dort ? Seul ! seul ! en compagnie de spectres,
Kwakwaboué ! Je vais vous livrer la plus terrible des guerres ! Soldats !
de fantômes ! J’ai cru tenir les hommes par la tête, je ne les ai tenus que
Soldats ! (Il rit), la plus sanglante des guerres... par le ventre. Ils m'ont tous glissé des mains et me voici seul, enlisé dans le
LE GARDE pouvoir, pataugeant dans le pouvoir ! Dormir ! Dormir ! Ricanez fantômes,
Le temps est un peu lourd, Macadou. La saison des pluies tarde, les je demeure le roi (défilé de masques, de fétiches de toutes les sortes).
cauchemars assiègent les sommeils. Même nous, il nous semble souvent Partez-vous aussi. Abandonnez-moi, c'est la règle de jeu. Fuir le bateau en
dans la nuit entendre des pas... perdition, l'homme qui a fait faillite. N'avons-nous pas tous profité de
NAHOUBOU 1er l'occasion ? de la faiblesse, de l'ignorance, de la peur, de la naïveté de
tous ? Gourmands et cupides, tous les mois gavés de prémices et les
Vous aussi, dans votre quartier, tout comme moi dans mon palais.
premiers à détaler ! (Bruits des masques). Oui, je le sais, vous êtes attachés
LE GARDE au triomphe et non à la défaite, à la vie et non à la mort, et moi je suis sur
Oui, et c'est le vent, apercevoir aussi des formes, des formes de le chemin de la mort (ricanements des fantômes...). Passez, allez rejoindre
femmes, d'hommes... la cohorte de mes ennemis, de tous ceux qui veulent ma mort et celle de
NAHOUBOU 1er ma dynastie. C’est l'heure où chacun se démasque. (Tam-tam et chants en
Tout comme moi ? coulisse). Même ceux de ma tribu ne m'ont-ils pas abandonné ? Qui parmi
LE GARDE eux songe à se charger de mes insomnies, à me donner un peu de son
sommeil ? (Ronflements). Ils dorment tous. Et pourtant, je la voulais tribu
Oui, Macadou, or c'est la brume. La pluie... des illusions... (il
par excellence, poutre maîtresse de la société, bracelet d'or aux poignets du
sort... les fantômes aussi). peuple. Je voulais la laver de toutes les éclaboussures, de tous les affronts,
NAHOUBOU 1er la laver des dizaines, des dizaines et les dizaines d'années de corvée, la
Oui vienne la pluie laver la nature, les hommes, les plantes, les bêtes... rendre plus brillante que pleine lune et faire du hameau le plus sordide un
vienne la pluie faire bourgeonner les rêves et germer le sommeil... paradis pour l'homme ! Dormir
Dormir ! (Ronflements). Heureux ceux qui peuvent dormir et ronfler... se trouver (Réapparition des fantômes et des masques, les coqs chantent). Les coqs
au paradis du sommeil (ronflements), que Dieu bénisse ceux qui ronflent. Eux chantent. Avez-vous entendu ? Les coqs ont chanté ! c'est l'heure de
seuls savent magnifier le sommeil. Mes ennemis ont arraché le sommeil de mes retourner chez vous ! la lune, votre soleil est sur son déclin. Les vivants
yeux et mis la fatigue dans mon corps (ricanements des fantômes).
vont reprendre possession de la scène... (coups de pilon, appels, bruits
LES VOIX
divers, chants d'oiseaux... À mesure que les bruits augmentent d'intensité
Il a tué son frère
masques et fantômes disparaissent). Mon rêve était immense.
Il a tué sa mère...
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Faire de tous les jours des jours de fête, des jours d'explosion de vie, même NABLI
pour les fantômes et les fantoches. Je ne sais rien. Je ne veux rien savoir. Ce phénomène...
UNE VOIX PAPA NAHOUBOU
Sors ! Sors ! Sors ! Les criquets ont détruit la rizière, le champ de maïs, mangé les
NAHOUBOU 1er tiges d'ignames, les haricots, tout. Six mois de travail perdu en un jour. Ce
Et voici le passé qui surnage, remonte en grosses bulles du fond de sont des faits que le Macadou ne saura jamais, dont on ne tient jamais
la vase ! Je le croyais à jamais enseveli. Il n'était qu'assoupi. Est-ce compte lorsque...
possible que j'aie pu subir la puissance des puissants et la puissance des NABLI
hommes de la puissance ? Ton fils est en train de mal tourner. Il faut le tenir ferme. Il est plus
dévastateur qu'une division de sauterelles.
Vision de la scène d'enfance PAPA NAHOUBOU
Papa Nahoubou dans un hamac fume la pipe, un canari de vin de Bientôt la famine, les dettes qui se multiplient...
palme posé près de lui. Alors qu'il va boire, sa femme Nabli entre NABLI
brusquement traînant le petit Nahoubou. Ton fils ! Ceux qui ne croient pas au diable, qu'ils viennent le voir.
NABLI Plus diable que le diable, ton fils !
Le voici, ton fils, ton vagabond de fils ! PAPA NAHOUBOU
PAPA NAHOUBOU (reposant le gobelet) Les enfants sont tous pareils. A cet âge ils commettent les mêmes
Qu'a-t-il fait encore ? fautes. Mon fils n'est pas plus mauvais que les autres enfants.
NABLI NABLI
Ce qu'il a fait ? Demande-le à lui-même, le voici ! qu'il parle. Que Il est pire. C’est le diable en personne, n'en faisant qu'à sa tête. Il
ne fait-il pas ? calamité que d'avoir un fils pareil ! risque de mettre le feu au monde.
PAPA NAHOUBOU PAPA NAHOUBOU (riant)
Qu'a-t-il fait encore, le pauvre ? Le feu au monde, tant mieux ! tant mieux.
NABLI NABLI
Oui, plains-le ! Prends sa défense contre moi. La honte de la Que dis-tu ?
famille (il boit). Et tu bois, tu bois avec plaisir, délices, lorsque ton fils est PAPA NAHOUBOU
en train de mal tourner ! Le feu au monde ! qui peut incendier le monde !
PAPA NAHOUBOU NABLI
Femme, si tu savais... Ton fils ! (Arrachant le gobelet), maintenant tu vas m’écouter. Il s'agit de l'avenir
de notre enfant.
-12- -13-
PAPA NAHOUBOU NABLI
L'avenir de notre enfant ? Que veut-il faire ? Parce qu'il tourne mal, c'est mon fils ! Eh bien, il a dans le village
NABLI tué lézards, oiseaux, chats, chiens, tout.
Demande plutôt ce qu'il a fait. PAPA NAHOUBOU
PAPA NAHOUBOU Tout ?
Eh bien qu'a-t-il fait ? NABLI
NABLI Tout.
Ce qu'il a fait ? Il va attirer sur nous toutes les foudres du ciel. PAPA NAHOUBOU (riant)
PAPA NAHOUBOU Mon fils sera un excellent chasseur. J'en faisais autant quand j'étais
Oh ! toutes les foudres du ciel, toutes les foudres du ciel sur nous... jeune, quand j'avais de bons yeux et des oreilles d’une acuité
(Il boit). exceptionnelle. Je n'avais pas mon pareil… Je ramenais de la chasse toutes
sortes de gibier. Et c'était la fête au village. T'en souviens-tu ?
NABLI NABLI
Et tu bois ! C’est vieux tout ça.
PAPA NAHOUBOU PAPA NAHOUBOU
Femme, que puis-je faire d'autre en attendant les foudres du ciel ? Ses beaux-parents ne manqueront de rien. N’est pas bon chasseur qui
Pourquoi gâcher les heures qui me restent ? C’est si beau, si merveilleux, veut. Savoir chasser, c'est avoir certaines qualités qui vous permettent de vous
la vie. Vivre ! Aller, venir, parler, chanter, danser, admirer des levers et des frayer un chemin dans la vie. Qu'on laisse donc faire mon fils.
NABLI
couchers de soleil splendides, écouter la musique berceuse de la pluie,
Oublies-tu qu'il ne doit jamais faire le moindre mal à tout ce qui rampe,
entendre le cri rageur du tonnerre, voir des hommes et des femmes
marche, sautille, vole ?
resplendissantes de bonheur se bousculer par les rues ! Dieu aurait-il paré
PAPA NAHOUBOU
son monde d'aussi belles couleurs s’il avait été de foudre ?
Et il a tué chiens, chats, lézards, oiseaux !
NABLI
NABLI
Ah, si je t'avais connu, comme je te connais maintenant, je ne
Tout.
t'aurais jamais épousé.
PAPA NAHOUBOU
PAPA NAHOUBOU
Tout, (bourrant sa pipe). On voit qu'il est de sang Kwakwaboué.
Et moi, si j'avais à recommencer, je recommencerais, je
N'est-on pas sanguinaire de naissance, rancunier par tradition, avare par
t'épouserais cent fois...
éducation et toujours distinguant mal le tien du mien (riant). Ah ! les
Enfin, qu'a-t-il fait vaurien de fils ?
Kwakwaboué quelle tribu... d'une adresse ! mais d’une
-14- -15-
adresse... On raconte même que l'ancêtre Kwakwaboué aurait vendu le PAPA NAHOUBOU
diable, le plus malin des malins... Elle se contente de sourire, le modèle des femmes ; et moi le
NABLI modèle des maris, le mari parfait (il boit, l'enfant se sauve).
Non seulement ce que tu viens de dire n'est pas gentil, mais c'est NABLI
une cause de divorce. N'est-ce pas une insulte à ma tribu ? Le voilà qui se sauve, ton vaurien de fils.
PAPA NAHOUBOU PAPA NAHOUBOU
Les Kwakwaboué ! Parler des Kwakwaboué prendrait des mois et Cela lui passera.
des mois... des drôles de gens dont il faut sans cesse se méfier. Pires que le NABLI
diable... Penses-tu... ! vous les hommes, vous n'avez aucune mémoire. Les
NABLI devins sont catégoriques.
Plus que les Kwakwaboué, j'en connais d'autres qui tirent leur PAPA NAHOUBOU
immense fortune du sang qu'ils font verser. De ceux-là, on ne parle jamais. Les prédictions, c'est toujours à longue échéance, on a donc le
PAPA NAHOUBOU (riant) temps.
Les Kwakwaboué, on les accuse même... NABLI
Non, mon ami, non, on n'a jamais le temps. Lui aussi passe. Il faut
NABLI le saisir dès qu'il montre le museau (elle le secoue) ; homme, les devins !
Il faut vraiment beaucoup tt aimer pour vivre avec toi, te supporter. PAPA NAHOUBOU
PAPA NAHOUBOU Femme, laisse faire mon fils ! Je ne veux pas, à force de le couver,
Me supporter ! me supporter ! Ne suis-je pas le modèle des maris ? que sa peau serve de descente de lit à d'autres. Je ne veux pas qu'il patauge
NABLI dans la même boue, que nous, qu'il traîne les mêmes soucis, les mêmes
Savais-tu donc que des femmes te jettent comme modèle à la tête ennuis que nous, qu'il soit grugé par les mêmes familles au nom des
de leur époux ? mêmes principes. Qu'il sache déjà se défendre. Qu'il montre les dents, les
PAPA NAHOUBOU griffes...
Ah ! moi ! modèle des maris ! Dans la bouche d'une femme cela a NABLI
du prix. Et que leur dis-tu ? Si tous les pères de famille étaient comme toi !
PAPA NAHOUBOU
NABLI Est-ce vraiment un malheur, lorsque l'homme est décimé à tous les
Je me contente de sourire, en me disant à moi-même : Ah ! si vous le coins de rue, de tuer oiseaux ?...
connaissiez ! NABLI
Les chiens, les chats, les oiseaux sont le chemin le plus Les chats du Macadou.
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court pour arriver à l'homme. Sur eux, on se fait la main. Les devins sont NAHOUBOU
formels... Oui, les chats du Macadou.
PAPA NAHOUBOU NABLI
Les devins peuvent se tromper et trop souvent même se trompent. Ceux auxquels il n'aurait jamais fallu toucher.
Moi par exemple, on m'a toujours dit de prendre garde aux flèches, eh NAHOUBOU
bien, j'ai pris part à vingt batailles des plus meurtrières. Les flèches, les Et pourquoi ? Regarde-les maman, comme ils sont beaux. Ils
lances ont sifflé à mes oreilles, des compagnons sont tombés à ma droite, étaient les rois des chats.
sans une égratignure. Jamais je n'ai laissé un poil à une épine (il rit). NABLI
NABLI Le malheur frappe à la porte.
Ne croirais-tu plus aux devins ? NAHOUBOU
PAPA NAHOUBOU À quelle porte ?
Plus à n'importe quel interprète. Les hommes d'aujourd’hui ne NABLI
comprennent plus le langage des dieux. La romance de l'or les a assourdis. À la nôtre...
Que mon fils devienne ce qu'il voudra. NAHOUBOU
NABLI Et pourquoi ?
Ce qu’il voudra ? PAPA NAHOUBOU (gourmand)
PAPA NAHOUBOU Les chats du Macadou...
Oui. NAHOUBOU
NABLI Ils sont beaux ! Mieux nourris que des hommes en cette terrible
Non ! Jamais ! Je refuse. Je suis la mère, je reste la mère. période de famine.
PAPA NAHOUBOU PAPA NAHOUBOU (Nabli lui parle à l 'oreille)
Et moi, je suis le père. Je reste le père... Oh ! Pas possible !
(Nahoubou réapparaît, arc, carquois, couteau, tenant deux gros chats). NABLI
NAHOUBOU (fier) Mais si...
Les derniers chats du village. PAPA NAHOUBOU
NABLI J’avais oublié. Il y a tant d’années de cela.
Mon Dieu ! Mon Dieu ! les chats du Macadou. NABLI
PAPA NAHOUBOU
Nous n'oublions jamais, nous. En cela réside l'essentiel de notre NAHOUBOU
force. Les chats...
-18- -19-
PAPA NAHOUBOU PAPA NAHOUBOU
Vous n'oubliez rien. Sors ! Sors ! (L’enfant sort). Interdit d'en faire cadeau, de les
NABLI enterrer, de les jeter, de les manger ! alors c'est la vanne ouverte à tous les
Nous pardonnons parce que nous avons un cœur de mère, mais malheurs.
rarement oublions. Notre cœur qui n'est ni de bois ni de fer garde les NABLI
cicatrices des blessures qui lui ont été faites. Et c'est parce que nous avons Les osselets sont formels.
fidèle mémoire que nous sommes gardiennes de la tradition. Les cauris PAPA NAHOUBOU
sont formels. La famine s'est installée partout dans le royaume. Les gens
PAPA NAHOUBOU meurent par centaines...
Les chats du Macadou ! De la viande bien tendre. NABLI
NABLI Les devins sont formels.
Interdit d'en faire cadeau. PAPA NAHOUBOU
PAPA NAHOUBOU
Il n'en est pas question. Tous déroutés... Hier n'est plus hier... aujourd'hui est-il aujourd’hui
NABLI ? Les criquets, les dettes, la famine, les sujétions… Demain sera-t-il
De les jeter. demain ? Un demain plus sûr, certain, radieux, où les tam-tams battront à
PAPA NAHOUBOU l'unisson, se répondront de village à de pays à pays, de continent à
Ce serait de la folie. continent !
NABLI NABLI
De les enterrer. Les devins sont formels !
PAPA NAHOUBOU PAPA NAHOUBOU
Pourquoi les enterrerait-on ? En cette période de famine atroce... Un avenir bouché, obstrué, affermé. Tous des objets, des produits,
NABLI du terreau...
Interdit de les manger. NABLI
PAPA NAHOUBOU Les devins sont formels !
Interdit de les manger… de les manger… Tes chats du Macadou, PAPA NAHOUBOU
va en faire ce que tu voudras... La vanne ouverte à tous les malheurs…
(Nahoubou réapparaît.) Vérité ! Vérité ! Quelle vérité peut être vérité sans être ma vérité ?
PAPA NAHOUBOU ET NABLI Gardes, boutez hors de mon palais et de mon empire Vérité et toute trace
Sors ! Sors ! (Nahoubou résiste, une flèche érafle le père qui tombe). de Vérité. Si ma propre vérité devait
-20-
NABLI -21-
Au secours, venez ! Les devins... Devenir pour moi un sujet de cauchemar, elle sortirait elle aussi de mon
PAPA NAHOUBOU empire. Je serais moi-même la vérité.
Traverser des forêts de flèches, des pluies de lances et tomber sous (Vérité avance, il tire… réapparaissent deux fantômes comme
l'éraflure d'une flèche d'enfant. Est-ce possible ? appelés par les coups de feu.) Non ! Non ! De grâce. Un peu de répit. J’ai
NABLI été mal compris… Je voulais qu’il n’y eût plus misère et opulence, grenier
Mon mari, au secours ! Les augures (des gens accourent, l'un lui plein et grenier vide ; je voulais libérer l’initiative, la confiance, redonner
touche le cœur, l’autre les pieds, tous remuent la tête). pour tous saveur à la vie. Ah ! si vous saviez ce que j’ai subi, ce que nous
NABLI avons subi, les mines de richesses inépuisables que nous avons été pour
Mon mari, les devins... Ah ! Est-ce possible... (aux autres). Dites- certains. Je voulais qu’il nous soit donné enfin le temps, la minute pour
moi, est-ce possible ? (Elle les fixe - gestes d'impuissance, tous remuent le regarder l’autre avec attention, affection, tendresse, amour, lui tendre la
tête) … Non ! Non ! Est-ce possible ? Est-ce possible ? (Elle pleure). main pour franchir le fossé. Combler marais et précipice… tout ce qui
divise et a odeur de puanteur. Si vous saviez… Si vous saviez !
OBSCURITÉ
Scène de la spoliation
(Coups de pilon, appels de tam-tams qui se réveillent…
KABLAN
Vérité avance…)
Viendra-t-il ?
NAHOUBOU 1er
PREMIER ACOLYTE
Qui ? Qui est-ce ? Qui va-là ? Mon palais serait-il devenu un palais
Ne viendra-t-il pas
sans murs ? Le lieu de rendez-vous de tous les spectres du monde ? Où
DEUXIÈME ACOLYTE
sont-elles, les sentinelles ? A quoi servent-ils, les deux cents hommes de
Sûrement qu'il viendra.
garde ? A quoi bon les vingt-six enceintes ? Qui va-là, dis-je ? (Il sort une
KABLAN
arme).
Est-il possible qu'il change de route ?
VERITE
PREMIER ACOLYTE
Vérité.
Non ! c'est le seul chemin qui mène à la rivière.
NAHOUBOU 1er
DEUXIÈME ACOLYTE Je comprends, nous autres, nous pouvons crever de faim.
Mais s’il lui prenait envie de changer de route. KABLAN
KABLAN La mort d'un Macadou peut être une catastrophe nationale, jamais
Est-ce possible ? Ce serait la fin du règne du Macadou et du nôtre aussi... celle d'un peuple. Cela parce que le Macadou est la
-22- -23-
PREMIER ACOLYTE tête, le cerveau, le cœur dans la cité. Si tu veux, si tu peux être Macadou, tu
Dieu est grand. seras la tête...
DEUXIÈME ACOLYTE PREMIER ACOLYTE
Il ne nous laissera pas mourir de faim. le cerveau...
KABLAN DEUXIÈME ACOLYTE
Ta prière a été exaucée. Voilà Nahoubou qui nous revient. Qu'apportes-tu le cœur...
aujourd’hui pour le Macadou ?
NAHOUBOU
NAHOUBOU
Pensez-vous donc que nous autres, dans la vie, ne devons jamais
Rien.
connaître aucun plaisir, que le jour le plus radieux doive toujours, à nos
KABLAN
yeux, paraître un temps orageux ?
Est-il possible qu'on revienne de la pêche sans le moindre petit
LES AUTRES (riant)
poisson ?
Le pauvre...
NAHOUBOU
NAHOUBOU
C’est très fréquent.
Etre sans cesse dans les nuages. Ah, vous êtes bien connu pour
KABLAN
votre esprit de sédition. Mais attendez... Macadou prend son temps et vous
Est-il possible qu'on ne puisse rien pêcher pour le Macadou ?
vous trouverez un dans cellules avec pour compagnons
NAHOUBOU
PREMIER ACOLYTE
Très possible.
Bien peu de gens de ces cellules sortent vivants...
KABLAN NAHOUBOU
Les eaux étant poissonneuses, les forêts giboyeuses... Naître pour produire et nourrir en produisant pour d'autres. Avoir pour
NAHOUBOU mission de porter le monde. Non ! Cela fut vrai au temps des cavernes, mais au
Ah, ignorez-vous les saisons, les époques ? jour d'aujourd'hui...
KABLAN KABLAN
Le Macadou n'a pas à s'occuper de saisons, d’époques... Son tribut seul Tant de bruit, de tapage pour quelque malheureux gibier et cinquante
compte. pauvres poissons. Est-ce vraiment le comble de l'injustice, de l'arbitraire ? Ah !
NAHOUBOU estimez-vous heureux de vivre sous un Macadou aussi humain que le nôtre !
Bénissez le ciel de vous l'avoir donné. Les autres, ils ne laissent rien au peuple... La coutume ! La coutume ! Violer une coutume, c'est lui redonner
Si, les yeux pour admirer... vigueur nouvelle, sang nouveau, esprit nouveau. Hommes dynamiques,
PREMIER ACOLYTE patriotes fervents et désintéressés, nous sommes pour le respect des lois...
fastes, par tous... Nous aussi respectons la loi... et c'est la respecter que de
-24- l'appliquer dans toute sa rigueur.
DEUXIÈME ACOLYTE -25-
réceptions,
PREMIER ACOLYTE PREMIER ACOLYTE
favorites couvertes de dorures (rires de tous). Nous sommes faits pour la loi.
KABLAN DEUXIÈME ACOLYTE
Et les mains pour applaudir lorsque le Macadou apparaît au balcon, Nous existons pour la loi.
ou que d'autres seigneurs viennent présenter leurs hommages au Macadou. KABLAN
NAHOUBOU Il ne comprend pas. Il ne peut pas comprendre. Pour saisir ces
Je veux comprendre pourquoi... imperceptibles nuances, il faut être d'un certain niveau, d'un certain milieu,
PREMIER ACOLYTE or il est du peuple.
Il veut comprendre (rires de tous). PREMIER ACOLYTE
KABLAN C’est tout dire.
Le Macadou comprend pour nous, nous n'avons plus ni à penser, ni DEUXIÈME ACOLYTE
à comprendre. Et il se croit spolié...
TOUS NAHOUBOU
Interdit de penser. Interdit de comprendre. Non ! Parlons plus sérieusement des affaires auxquelles nous ne
PREMIER ACOLYTE comprenons plus rien.
Un seul devoir, KABLAN
DEUXIÈME ACOLYTE L'exceptionnelle indulgence du Macadou part de cette
suivre le Macadou ! incompréhension congénitale... (rires).
NAHOUBOU NAHOUBOU
Depuis quand ces interdictions ? La coutume (rires des hommes de Quand le Macadou tousse, nous devons...
Macadou). PREMIER ACOLYTE
KABLAN cesser de respirer.
NAHOUBOU
Quand il éternue... Si notre Macadou n'était pas le bon Macadou qu'il est,
DEUXIÈME ACOLYTE voilà...
nous devons applaudir.
PREMIER ACOLYTE
NAHOUBOU
une langue qui devrait être raccourcie.
Quand il rote...
-27-
-26-
DEUXIÈME ACOLYTE
KABLAN
Des yeux qui ne devraient plus voir le soleil...
vous devez tous roter !
KABLAN
NAHOUBOU
Une tête qui devrait tomber avec toutes les idées
Même quand on n’a rien mangé ?
sataniques qu'elle contient.
KABLAN
TOUS
Surtout lorsqu’on n'a rien mangé (rires). On rote mieux.
Mais notre bon Macadou est si bon qu'il l'est trop.
NAHOUBOU
KABLAN
Où avez-vous été puiser des coutumes aussi détestables ?
Il se ruine à distribuer toute sa fortune aux pauvres.
TOUS
PREMIER ACOLYTE
Contre le Macadou ! Il est contre le Macadou !
Il ferme les yeux sur to
PREMIER ACOLYTE
DEUXIÈME ACOLYTE
Il pense.
Ayant horreur du scandale. Il ne veut qu'une chose...
DEUXIÈME ACOLYTE
KABLAN
Il raisonne.
Une seule, importante, capitale...
TOUS
TOUS
Nous le savions ! Contre le Macadou ! Le Macadou !
La paix !
PREMIER ACOLYTE
NAHOUBOU
Cela éclate au grand jour.
Le silence ?
DEUXIÈME ACOLYTE
TOUS
Tout le monde le saura.
La paix.
TOUS
NAHOUBOU
Contre le Macadou ! Notre bon Macadou, le favori de la
Hum ! la paix ! que deviennent les sommes que vous
fortune et des dieux.
encaissez depuis des années et des années ?
KABLAN
KABLAN de la cohorte de pauvres pendue à sa bourse,
C’est un exceptionnel honneur pour un peuple que son PREMIER ACOLYTE
Macadou lui demande de l'argent. de ses immenses, immenses chantiers,
PREMIER ACOLYTE KABLAN
Quand un Macadou demande de l’argent au peuple... peuplés de milliers et de milliers de travailleurs,
-28- -29-
DEUXIÈME ACOLYTE DEUXIÈME ACOLYTE
Le peuple n'a plus à en connaître la destination. des légions d'anges claironnant sa gloire dans le monde
NAHOUBOU entier...
Tout ça c'est du nouveau pour nous. Ne plus connaître la PREMIER ACOLYTE
destination de notre propre argent ? de tous les griots qui se relaient pour le hisser à la crête des
PREMIER ACOLYTE nues.
Le peuple n'a plus à être consulté qu'à titre... PREMIER ACOLYTE
DEUXIÈME ACOLYTE Mais la légende veut que sa naissance ait été différente de
Les choses désormais se passent au niveau le plus élevé. toute autre naissance. Né à l'aurore où…
TOUS DEUXIEME ACOLYTE
Purement consultatif. Les coqs,
NAHOUBOU PREMIER ACOLYTE
Enfin, messieurs, le Macadou, il existe parce que nous Les oiseaux,
existons... Nous ! (rires des autres). KABLAN
KABLAN la nature a salué cette naissance parce que cette naissance
Sans vous, le Macadou serait toujours Macadou. Ne était
parlons pas de sa fabuleuse fortune, de ses mines d'or... TOUS
PREMIER ACOLYTE un événement extraordinaire.
De ses multiples alliances, NAHOUBOU
DEUXIÈME ACOLYTE C’est à ne plus rien comprendre. Voulez-vous dire que le
de ses invincibles armées, Macadou n'est plus un homme ?
KABLAN KABLAN
de son extrême générosité, Il n'a jamais été un homme.
DEUXIÈME ACOLYTE NAHOUBOU
C’est tout nouveau (rires des autres). PREMIER ACOLYTE
La vigueur de ses vingt ans ?
KABLAN
Tout dans la vie est toujours nouveau. Aucun homme ne DEUXIÈME ACOLYTE
vit du passé. L'insouciance et la jovialité de ses vingt ans ?
-30- -31-
PREMIER ACOLYTE
Nous sommes tous des hommes actuels, TOUS
DEUXIÈME ACOLYTE Tout son dynamisme dynamique ! Un Macadou
des hommes du présent. Nous vivons avec notre époque... exceptionnel.
PREMIER ACOLYTE NAHOUBOU
Nous la comprenons, avec ses modes, ses problèmes Peut-on le voir ?
particuliers, ses rêves grandioses. PREMIER ACOLYTE
TOUS Qui ?
Nous faisons corps avec notre époque. NAHOUBOU
DEUXIÈME ACOLYTE Le Macadou
Nous en sommes l’image. DEUXIÈME ACOLYTE
PREMIER ACOLYTE Un Macadou doit le moins possible se montrer.
Quel triste individu avait affirmé que nous étions des PREMIER ACOLYTE
barques attelées à un passé décrépi et vermoulu ? Il ne peut de temps à autre que prendre un bain de foule.
DEUXIÈME ACOLYTE DEUXIÈME ACOLYTE
Hommes intelligents, sagaces, accotés au Macadou, nous Un Macadou qui s'exhibe à tout bout de champ est un dieu
avons l'avenir le plus radieux... diminué.
KABLAN KABLAN
Vivre au passé, du passé, c'est mourir de faim, Or un dieu qui se montre tous les jours n'est plus un dieu.
TOUS Voilà la vérité que vous devez désormais accepter.
Et tu vois comme nous sommes (rires).
KABLAN PREMIER ACOLYTE
Le Macadou aime voir de belles couleurs autour de lui, Sois Macadou si tu le veux,
N'a-t-il pas conservé le visage de ses vingt ans ?
DEUXIÈME ACOLYTE KABLAN
si tu le peux, argent,
TOUS
TOUS Tout (rire), tout…
et tu auras les mêmes privilèges. OBSCURITÉ
-32- -33-

KABLAN
Nahoubou et sa femme
Mais sache que n'importe quel individu ne saurait être Lorsque la lumière revient, la femme de Nahoubou assise
Macadou. dans la cour attend près du foyer, une marmite à ses côtés.
(Les acolytes enlèvent à Nahoubou son filet, lui prennent LA FEMME
sa bourse, son pagne). Qu'apportes-tu ?
NAHOUBOU NAHOUBOU
Vous me dépouillez ? Rien.
KABLAN LA FEMME
Au nom du Macadou. Ton pagne ?
NAHOUBOU NAHOUBOU
Rendre juste ce qui est injuste, tenir en ses mains débiles le Les hommes du Macadou.
destin des autres. Créer à sa volonté, typhon, zéphyr • affamer, LA FEMME
appauvrir, enrichir ; faire dire aux autres, c'est la nuit, alors que Ton filet ?
c'est bien le jour ! et qu'ils savent que c'est bien le jour (rires des NAHOUBOU
autres). La vanité au pouvoir devient le plus lourd des fardeaux. Les hommes du Macadou.
PREMIER ACOLYTE LA FEMME
Les intérêts de Macadou sont des intérêts capitaux. Que s'est-il encore passé ?
KABLAN NAHOUBOU
Sois Macadou et nous t'apporterons poisson, Les hommes du Macadou.
DEUXIÈME ACOLYTE LA FEMME
gibier, Ils deviennent un véritable fléau, les hommes du Macadou.
PREMIER ACOLYTE Non seulement ils t’ont pris ton pagne, ton filet.
femmes, NAHOUBOU
mais tout mon argent. Un véritable fléau. De mémoire d'homme on n'a jamais vécu une
LA FEMME période aussi affreuse.
Ton argent ? NAHOUBOU
NAHOUBOU Pas si fort, femme, des ennuis sont si facilement arrivés. Et il est
Mon argent... sage de nous tenir tranquilles.
-34- -35-
LA FEMME LA FEMME
C’est du brigandage manifeste. Tranquilles lorsque les injustices grouillent comme des asticots
NAHOUBOU dans une charogne ? Lorsque les hommes du Macadou nous attendent aux
Ne le crie pas trop fort. coins des routes comme des brigands attendent aux coins des bois ?
LA FEMME NAHOUBOU
Et pourquoi pas ? Le fait n'est-il pas patent, notoire ? N'est-tu pas Oui, femme, le silence et la tranquillité, la paix...
une des victimes ? LA FEMME
NAHOUBOU Fermer les yeux, la bouche, se boucher les oreilles. Peut-on voir le
Pas si fort, femme. Les hommes du Macadou. Macadou pour lui dire que les lois vont à l'encontre de nos traditions les
LA FEMME plus sacrées ?
Eh bien, les hommes du Macadou. Qui sont-ils ? NAHOUBOU
NAHOUBOU Voir le Macadou ?
Les hommes du Macadou. LA FEMME
LA FEMME Pourquoi pas ?
Comment sont-ils ? NAHOUBOU
NAHOUBOU Il n'est plus permis à quiconque de le voir, de lui parler.
Les hommes du Macadou. LA FEMME
LA FEMME Quoi ? On ne peut plus voir le Macadou ? Notre Macadou ?
Les hommes du Macadou, les hommes du Macadou. Enfin, sont-ils NAHOUBOU
des géants ? Sont-ils des nains ? Comment sont-ils ? Non !
NAHOUBOU LA FEMME
Les hommes du Macadou sont ce qu'ils sont ; les hommes du Alors, le Macadou de quel peuple est-il devenu ? On veut le savoir,
Macadou, à l’image du Macadou... nous !
LA FEMME NAHOUBOU
Femme, le silence, la tranquillité, la paix ! NAHOUBOU
LA FEMME Un songe-creux ! Un songe-creux ?
Au fait, pourquoi t'ont-ils pris le filet ? LA FEMME
NAHOUBOU Un songe-creux, c'est celui qui fait des projets en ayant le ventre
Ils voulaient de l'argent au nom du Macadou. vide. C’est ton cas. Fais comme les autres.
-36- -37-
LA FEMME NAHOUBOU
Je ne comprends pas... ton filet ? Il y a des choses interdites.
NAHOUBOU LA FEMME
L'ancienne logique n'est plus logique... Nous vivons sur des Les interdits ! les interdits c'est ce qu'ils se permettent tous. Les
nouvelles normes, n'ont-ils cessé de me crier aux oreilles. interdits. Que naïf !
LA FEMME NAHOUBOU
La force, la ruse... S’il en est ainsi, fais comme les autres. Dieu...
NAHOUBOU LA FEMME
Quels autres ? Mon pauvre vieux ! Dieu qu'en ont-ils fait ? Ils l'ont tous crucifié
LA FEMME et bâillonné pour qu'il ne dérange plus personne. Qui pense à Lui dans la
Les autres, tous les autres, mon ami. formidable mêlée ?
NAHOUBOU NAHOUBOU
Faire comme les hommes du Macadou ? Mais...
LA FEMME LA FEMME
Comme tous les autres qu'on voit se pavaner par les rues à ne rien faire, Mais quoi ? tu ne les vois pas tous chercher à gagner la
mais à s'enrichir on ne sait comment. Sont-ils plus intelligents que toi ? Non ! Ils terre et ses bonheurs, et ses honneurs ? Voudrais-tu être seul au paradis ?
savent tout simplement exploiter leurs amitiés, se faire accepter, se mettre au- NAHOUBOU
dessus des lois, tandis que toi tu restes dans ton coin, décidé à payer toutes les Comme les autres ?
taxes du monde, à supporter les affronts de n'importe qui... Secoue-toi un peu... LA FEMME
Montre les dents, les griffes, tout... Oui ! Ah si vous nous laissiez les mains libres, à nous les
NAHOUBOU femmes... vous verriez comme les choses marcheraient droit, car nous, on
Tout ? sait encore relever tous les défis. Il est de notre droit à tous que de vouloir
LA FEMME
sourire à la vie.
Oui, tout, tout ! enfin tu me comprends. Qui te dit que le Pays est la chose
NAHOUBOU
d'une compagnie ? Cesse d'être un songe-creux.
Faire comme les autres (il veut s’asseoir). Pourquoi pas ? Viens, (regarde la vie, elle est là, belle, généreuse...
LA FEMME qui passe sans nous attendre.
Lève-toi ! mon ami, lève-toi. Il y en a qui ne sont pas Macadou,
mais qui en fait sont plus Macadous que les Macadous. Il y a ceux que les NAHOUBOU
Macadous protègent, ceux que les Macadous entretiennent, ceux que les Tu me quittes ?
Macadous -39-
maintiennent ; entre dans la catégorie que tu veux. Fais quelque chose ; LA FEMME
sois quelqu'un et non plus le dernier des derniers. Que puis-je faire d'autre ? Penses-tu que je vais continuer à moisir
NAHOUBOU auprès d'un homme qui ne sait se montrer homme ? Rester ici pour vieillir
Faire quoi ? avant l'âge ? Non ! maintenant j'ai compris. L'amour, il a besoin d'un
LA FEMME minimum de sécurité, de soins, d'attentions.
Quelque chose, débrouille-toi, montre que tu as des dents, des NAHOUBOU
griffes, des crocs comme tout le monde. Tu pars ?
NAHOUBOU LA FEMME
N'est-ce pas trop me demander ? On m'a appris à pêcher et à Combien de fois faudrait-il te le dire ? Oui, je pars.
cultiver. Comment puis-je faire comme les autres ? C’est si difficile. NAHOUBOU
LA FEMME Tu m'abandonnes ?
Mais si facile d'être le dernier des derniers, de se laisser marcher LA FEMME
sur les pieds, sur la tête, de se laisser piétiner, de se relever et de crier, Non, je te quitte (elle ricane). Les hommes du Macadou, le gibier,
Merci ! Non ! J'en ai assez. L'existence est devenue un enfer... un enfer le poisson, le filet, le pagne, l'argent, la marmite constamment vide (rires).
dans ta maison... (elle fait mine de partir). Le vent a-t-il jamais de chez nous emporté un bon fumet ? Je vais me
NAHOUBOU chercher un homme qui soit homme (elle sort).
Tu pars ? NAHOUBOU
LA FEMME Un homme qui soit homme (elle réapparaît). Ah ! tu me reviens...
Il me faut de l'air, de l’air pur, vivifiant. Chez toi, on meurt LA FEMME
d'atrophie. On peut ici mourir à cent ans sans avoir jamais connu un seul Non, je te quitte (elle emporte des objets, puis le dévisage, rit et
jour de véritable bonheur. Je vois comment vivent les autres femmes... sort). Je te quitte...
NAHOUBOU
Tu pars ? NAHOUBOU
LA FEMME
Un homme qui soit homme. Elle a raison. Je traîne trop de poids... On m'a reconnaisse... Que Nahoubou d'hier soit l'opposé de Nahoubou de
chargé de trop de chaînes... Faire comme les autres, c'est faire tomber les chaînes, demain... tout comme le jour diffère de la nuit. Il faut que tout me revienne
se déchaîner... Que m'a-t-on dit, redit sur tous les tons ? Etre bon, être juste. Sans et que ceux qui n'ont rien, pour me faire la cour m'apportent même le peu
cesse penser aux autres. Qui pense aux autres ? Faire comme les autres, me mettre qu'ils ont... C’est ça être un homme, arracher la bouchée et le verre de
dans la peau d'un autre, me battre, devenir citadelle, hérisson, scorpion, vipère,
toutes les mains... (il rit...). Un seul homme peut m'aider à réaliser mon
mordre, écraser, tuer... tuer... moi aussi... (il regarde ses mains) tuer. Non ! si.
rêve : Bacoulou (il s 'équipe). Me voici prêt pour la grande aventure.
Elles peuvent demeurer propres et tuer... Ma femme est donc
-41-
-40-
définitivement partie... Elle va se chercher un homme... Je préfère rester tel que je Il faut qu'on entende parler de moi... et on entendra parler de moi,
suis pour pouvoir regarder les autres en face... Vieille éducation (il rit). Spolié, moi Nahoubou de la tribu des Kwakwaboué (il sort).
abandonné... Seul dans cette maison pleine de la présence de ma femme qui Nahoubou chez Bacoulou
m'aidait à tout supporter. Sans elle, que vais-je devenir ? Ne suis-je pas un obstacle
NAHOUBOU
? Un monstre ? Non ! Je veux rester moi-même.
(Transpirant, lance au poing, arc et carquois en bandoulière,
UNE VOIX
besace de vivres aussi, chasse-mouches sous l'aisselle, les jambes en sang
Sors ! Sors ! Sors !
labourées par les épineux, il avance ; s'arrêtant...)
VOIX DE KABLAN
Sois, Macadou, et nous t'apporterons poisson,
Qu'il fait bon sous cet arbre ! Dix jours de marche m'avait-on
VOIX DU DEUXIÈME ACOLYTE
affirmé, et voilà près de vingt jours par monts et par vaux sans rencontrer
gibier,
un village. Vingt jours (il boit). Qu'ont-ils donc à nicher si haut et si loin
VOIX DU PREMIER ACOLYTE
les sorciers-guérisseurs ? Quelle est donc cette montagne qu'on ne finit
femmes,
plus de grimper (il compte). C’est bien la sixième. Et on m'avait assuré que
KABLAN
la grotte de Bacoulou se trouvait au flanc d'une montagne pareille. Qu'ai-je
argent,
rencontré depuis cinq jours ? des lions des scorpions, des serpents, des
TOUS
iguanes de plus en plus monstrueux. Ne ferais-je pas mieux e revenir sur
tout (rires) tout...
mes pas ? (Il se lève, regarde ses jambes) fatiguées, elles sont fatiguées de
NAHOUBOU
monter, de descendre, de marcher, d’être griffées par les herbes, griffées
Chassé, abandonné. Que de sombres histoires courent sur l’origine
par les épines, d'enjamber les troncs d'arbres, de franchir torrents et
des fortunes de certaines personnes. Et pourtant ne sont-elles des hommes
ruisseaux. Me porter encore (il les tâte). Me mener vers un nouveau
considérables... les conseillers les plus écoutés du Macadou, les amis les
destin... Bacoulou, le sorcier guérisseur au flanc de la sacrée que personne
plus intimes de tous les notables ? Il me faut faire comme les autres, plus
n'a jamais visitée. Bacoulou ne serait-il pas le produit d'une imagination en
que les autres... devenir un autre homme, que plus personne ne me
fièvre ? Plus de vingt jours de marche ! (Montrant le chemin à parcourir). BACOULOU
Par ici c'est l’aventure, certainement le bonheur, par-là, derrière, c'est le Est-ce bien ce que tu veux ?
village avec... avec tout le passé des hommes installés, exposés, mais qui NAHOUBOU
ne vivent pas. Oui.
VOIX DE FEMME BACOULOU
Je pars ! Je vais me chercher un homme qui soit un homme ! Tout ce que tu veux ?
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LES VOIX NAHOUBOU
Sois Macadou si tu veux, si tu peux et tu auras droit à tout... Oui... oui, mais tout différent des autres hommes, si puissants qu'ils
NAHOUBOU aient pu être. Pour apprendre aux hommes comment on devrait régner, je
Derrière, le passé... avec des hommes qui ne vivent pas parce qu'ils ne voudrais aucune limitation à ma puissance.
vivent dans 'la peur, dans l'inquiétude. Se chercher un homme qui soit BACOULOU (riant)
homme (regardant la hauteur de la montagne, ses jambes). Vous m'avez La puissance !
beaucoup et longtemps porté. Pour avoir droit à tout, être plus que les NAHOUBOU
autres... il nous faut encore marcher, marcher, marcher... marcher, N'est-ce pas la puissance qui est le critère de valeur pour les
marcher... hommes et les États ?
BACOULOU
La puissance !
OBSCURITÉ NAHOUBOU
Un bandit puissant ne passe-t-il pas pour un honnête homme ? Un
Etat sauvage puissant ne devient-il pas un Etat civilisé, un Etat modèle ?
La richesse et les armes ne sont-elles pas les facteurs essentiels de
Lumière sur une grotte, des meubles rudimentaires, des masques, puissance ?
un feu allumé. Bacoulou, un vieil homme, est assis sur un tabouret ; devant BACOULOU
lui, sur un autre tabouret, Nahoubou. Par intervalles, on entend croître et Oui... oui... C’est ce qui est constant, fréquent, quotidien.
décroître les bruits de la forêt. Bacoulou souvent fixera les flammes
comme pour y puiser son inspiration. NAHOUBOU
Mais à ma puissance, aucune limitation. Je voudrais agir comme si
NAHOUBOU je tenais tout le peuple dans la main là, comme ça. C’est-à-dire, pouvoir
J’en ai fini... Mon avenir est entre tes mains... faire de lui, ce qui me plaît, en toute circonstance, agir à ma guise sans que
personne ne puisse broncher. S’il me plaisait de faire dévier de cours Le monde est grand, vaste, infini...
fleuve et océan... Que nul n'ose élever la voix... mais au contraire, que tous NAHOUBOU
applaudissent. Pour moi il devra être petit, tout petit, tenir dans ma main. Des
hommes à moi qui me serviraient. La revanche éclatante...
BACOULOU BACOULOU
Ce que vous appelez puissance n'est que la grande faiblesse des Le monde comprend les vivants, les morts, les génies, les eaux, les
faibles qui veulent se servir de la force comme bouclier. forêts...
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NAHOUBOU NAHOUBOU
Je veux être puissant, avoir droit à tout. Faire moi aussi la pluie et Tous me doivent être soumis. Je veux que les oiseaux chantent
le beau temps, être le bon dieu pour les uns, le diable pour les autres... Tout mes louanges, que l'enfant dans le ventre de sa mère sache déjà qui je suis,
me permettre, agir comme un dieu. que devant moi toute volonté s'efface, fonde comme beurre au soleil ; que
BACOULOU toute tête si couronnée soit-elle s'incline ; que même après ma mort, mon
C’est la mode, être puissant ! penser plus aux armes qu'aux ombre sur les villages, les eaux, les forêts, sur le monde entier continue de
hommes, plus au prestige qu'à la vie des autres. Evidemment qui planer.
maintenant sait observer, écouter ? Il y a inscrit dans le ciel de grands BACOULOU
changements futurs... proches... Qui maintenant comprend le langage des Je comprends. Longtemps, et beaucoup humilié...
choses, des hommes, le langage d'un regard ? d'un sourire, d'une main qui NAHOUBOU
se tend, mais qui n'aurait jamais dû se tendre ?... Qui, de sa forteresse de Trompé, humilié, volé... Nous avions tous pensé qu'en mettant
nom, de sa citadelle de fortune Nakata sur le trône, nous y mettions un homme, mais qu’est-il devenu ? Un
NAHOUBOU monstre de maître absolu, qui nous fait dépouiller par ses hommes, au
Bacoulou, moi je veux vivre dans l'esprit des hommes, collé à leur point que nos femmes nous abandonnent, que nous ne sommes plus en
peau, à leur âme. Etre pour eux indispensable, aussi indispensable que l'air sécurité nulle part. Un fléau…
qu’ils respirent. BACOULOU
BACOULOU Oublions...
Hum ! Indispensable ? NAHOUBOU
NAHOUBOU C’est la foire d'empoigne et l’on peut crier partout malheur aux
Creuser ma tombe dans la tête des hommes, me graver dans faibles, malheur à l’homme sans armes...
l’histoire du monde en lettres rouges indélébiles. BACOULOU
BACOULOU
Oublions... La faim déchaînée fait plus de ravages que l’inondation BACOULOU
la plus dévastatrice. Il y a de tout en nous... Difficile, très difficile de rester homme lorsqu'on veut à tout prix
Oublions... être célèbre...
NAHOUBOU NAHOUBOU
C’est bien ça. Oublier qu'on a été méprisé, maltraité, spolié ; qu'on Mettre un terme à tout ce qui porte atteinte à la dignité de l'homme.
tremble aujourd'hui devant ceux qu'on faisait hier trembler, oublier qu'on Est-ce un rêve trop ambitieux ? Vouloir sortir des masures, des enclos, des
s'est appauvri à soutenir Nakata, à hisser Nakata sur un trône, oublier que ghettos, de tout ce qui limite, borne, entrave, enchaîne... libérer les voies et
mon foyer a été brisé... Non ! Il faut que la société sente sa propre mettre les interdits dans le sens qui me plaira ! Moi ! Moi !
pestilence, et je veux que le monde entier entende parler de moi... BACOULOU
-46- Que Dieu sauve les aveugles et les sourds !
BACOULOU -47-
Il te faudrait avoir pouvoir sur tout ce qui se meut. Or cela n'est pas facile. NAHOUBOU
NAHOUBOU Trop loin, Dieu ! Et notre terre n'est-elle pas peuplée de sourds et
Je veux être le maître absolu des cœurs, des esprits. Je veux que rien ne se d'aveugles ! du moins de gens qu'on croit sourds et aveugles ! de gens
passe sans que je n'en sois l'unique ordonnateur ; que chacun tremble... en
qu'on aveugle et qu'on rend sourds ?
entendant prononcer mon nom Nahoubou. Je veux être maître du jour, maître de la
BACOULOU
nuit...
Oui, oui tu peux avoir raison.
BACOULOU
NAHOUBOU
On ne saurait être grand homme en écoutant ses appétits et ses
Non dis : Tu as raison ! Que les moutons un jour refusent de se
rancœurs.
NAHOUBOU laisser tondre ! de se laisser conduire docilement à rabattoir ; que les
moutons demain aient des griffes et des crocs et alors... alors il n'y aura plus de
Je veux tout changer ; redonner sécurité dans la cité, respect à
sacrifice, aucune tête ne se mettra plus sur le billot pour la grande apothéose de
l’homme.
sang.
BACOULOU
BACOULOU
Changer l'assiette de la société, remodeler les cœurs, les mêmes
Hum ! Hum ! Hum !
rêves, mais toujours les mêmes turpitudes de sauveur, de libérateur, de
NAHOUBOU
messie.
Qu'il ne descende plus jamais sur terre, le bon dieu, tant que nous
NAHOUBOU
n’aurons pas fait de la terre un lieu habitable pour tout homme. Je dis bien
Tenir les cœurs comme on tient les rênes d'une cavale ! craint et
tout homme. Et puis est-ce être aveugle et sourd que de vouloir être
béni, mon nom partout chanté. Le libérateur ! Le créateur de l'empire ! Moi
Macadou ?
!
BACOULOU et lumière... à tout prix mettant le monde à feu et à sang pour que leur nom
Emplir le monde du bruit de ses actes, lorsque la voix d'un homme figure dans nos annales. Je sais Nahoubou, je sais combien les peuples
peut à peine franchir un fleuve, un rideau de forêt. souffrent, nous savions peser le poids de la fatuité, de l'ambition, de de la
NAHOUBOU volonté morbide d'être le seul dont on puisse parler. Le maître...
La terre transformée en champ clos de bataille a fait de nous, non NAHOUBOU
des frères, mais de redoutables guerriers. Le soleil au coucher a toujours Bacoulou aide-moi à être Macadou, même aveugle, même sourd ;
couleur de sang. Chacun le sait. Bacoulou, laisse-nous nous battre dans la je ne serai pas le premier du genre dans l'histoire, mais dans l'histoire, on
plaine, nous les aveugles, nous les sourds. Aide-moi à triompher. Nous parlera longtemps, longtemps du Macadou aveugle qui fut un Macadou
avons tous soif de respect, d'un minimum de respect, de sécurité. Ne exceptionnel. Souvent levé dans la nuit, j'ai compté, recompté, compté et
monte-t-il pas de partout un bruit de ruche ? murmures confus, diffus... recompté sur mes doigts les jours de bonheur... Ils ont toujours été
flots de doléances informulées silences imposés, bâillons !... maigres... (Bacoulou fixe la flamme, bruits croissants de forêt... éclairs
-48- furtifs, grondement lointain de tonnerre). Je veux
BACOULOU -49-
Penses-tu à l'action des hommes du Macadou ? maintenant faire comme les autres, me battre. Je veux que désormais, on me
NAHOUBOU regarde comme on regarderait le soleil, qu'on m'attende comme on attendrait la
Je pense à tous ceux qui, à califourchon sur nos épaules, se pluie après une terrible sécheresse ; qu'on m'accueille comme on accueillerait un
demandent pourquoi il peut monter de partout le bruit de ruche qui n'est Dieu...
pas un chant d'allégresse. Ces forêts de mains tendues, de têtes ployées, les BACOULOU
larmes qui coulent le jour, la nuit, le sang qu'on verse comme on viderait Un Dieu...
des eaux de ménage, qui les voit ? La clameur quotidienne des êtres NAHOUBOU
affamés, qui l'entend ? J’ai vécu tout cela Bacoulou, tout cela... j'en suis Oui, Bacoulou, un Dieu, un dieu... et pourquoi pas ?
ivre. BACOULOU
BACOULOU Je lierai pour toi, en un seul faisceau, la terre et tout ce qu'elle
Que Dieu sauve les aveugles et les sourds. porte. Des hommes, tu en feras ce que tu voudras, parce qu'ils seront
NAHOUBOU constamment à tes pieds, les mains tendues.
Qui sont les aveugles et les sourds ? NAHOUBOU
BACOULOU Dieu parmi les hommes, plus qu'un Macadou.
Ils sont de toutes les classes et de toutes les conditions. Sourds du BACOULOU
ventre, sourds du cœur, sourds de la tête... aveugles de tous les sens, les As-tu jamais vu des phalènes autour d'une lampe les soirs, en
vrais aveugles, les vrais sourds… isolés dans le monde, et se voulant pôle saison de pluie ?
NAHOUBOU BACOULOU
Oui... Les hommes vont te porter avec plus de joie que leur propre joie de
BACOULOU vivre. Tes rêves les plus audacieux, les plus secrets, les plus extravagants
Tu seras la lumière pour les hommes que tu attireras vont prendre corps.
irrésistiblement. Il te faudrait cependant accepter d'immenses sacrifices. NAHOUBOU
NAHOUBOU Modeler l’histoire, travailler l'histoire, infléchir le cours de
Je veux être plus que les autres (coups de tonnerre dans le l’histoire, être le pivot de l'histoire, le moyeu autour duquel va tourner
lointain). l'histoire. En finir avec le temps des hommes du Macadou. Ah ! les temps
BACOULOU odieux des hommes du Macadou. Faire penser aux autres, au-delà des
Ai-je bien compris ? Ai-je compris que tu ne reculerais devant autres, à la multitude enlisée dans la vie, pataugeant dans les besoins,
aucun sacrifice, je dis bien aucun sacrifice... Réfléchis... engluée dans la misère. Enfin ! Faire voir à chacun plus loin que son seuil,
LA DE LA FEMME plus loin que soi... mêler, brasser tous les hommes qui se croient si
Fais comme les autres ! différents !... Allier couleurs, situations, langues !
-50- -51-
LA VOIX DE KABLAN BACOULOU
Sois Macadou et tu auras droit à tout. Attention... il importe que tu saches qu'un Macadou, surtout un
LA VOIX DE LA FEMME Macadou célèbre, n'est le parent de personne.
Vous me dépouillez ? NAHOUBOU
LA VOIX DE KABLAN (rires) Parent de mes parents, mais le Macadou de tous ; être le dieu qui
Au nom du Macadou. dispense bonheur, malheur, qui fait et défait les fortunes ; celui dont on
LA VOIX DE LA FEMME quête ardemment le regard, le sourire...
Je pars me chercher un homme qui soit un homme. BACOULOU
NAHOUBOU Ton ascension sera vertigineuse.
Devant aucun sacrifice. NAHOUBOU
BACOULOU Et fabuleuse ma fortune.
Je vais alors te hisser à l'extrême pointe de la gloire. Tes BACOULOU
mensonges les plus impudents passeront pour vérités premières. Les fortunes colossales et insolentes, les gloires impérissables
NAHOUBOU naissent du sang.
Nouveau soleil, je vais éclairer des chants, des danses, des rires ; NAHOUBOU
dans une cité qui ne sera plus la jungle. Du sang ?
BACOULOU L'amour a besoin d'un minimum de sécurité, de soins, d'attention...
Il n'est pas au monde une pièce d’or qui n'ait une odeur de sang ! (rires). Je te quitte... je pars... (ricanements).
sa goutte de larme ! BACOULOU
NAHOUBOU Je vais t'ouvrir grandes, toutes grandes, les portes de la fortune et
Du sang ! de la gloire...
BACOULOU (Nahoubou sort... bruits de la forêt, au lointain tam-tams,
Combien d'hommes disparaissent dont on ne retrouve jamais les chœurs... éclairs... obscurité... grondements sporadiques du tonnerre. Un,
traces ; du sang... deux coups de feu, cris, râles...).
NAHOUBOU LA VOIX DE LA FEMME
Du sang ! Il a tué son frère.
BACOULOU LES VOIX
Il me faudrait donc du sang pour t'ouvrir les portes de la fortune, (Alternativement) Il a tué sa mère. Il a tué son frère... (La lumière
les portes de la gloire. revient sur la grotte de Bacoulou. Même tableau que
-52- -53-
NAHOUBOU le précédent. Bacoulou, assis à la même place, a devant lui deux crânes
La fortune et la gloire ! Du sang ! Du sang ! Je t'en apporterai humains et une bouteille de sang. Nahoubou, assis, regarde tour à tour
autant que tu voudras. passer un lion, un crocodile, deux gros serpents, un scorpion, une hyène...)
BACOULOU NAHOUBOU
Du sang sorti de ta famille... de ton propre sang, le sang de ceux que tu C’est du sang authentique.
chéris le plus... le sang de ta mère et de ton frère. BACOULOU
LA VOIX Je le vois.
Sois Macadou si tu veux, si tu peux, et tu auras droit à tout... tout... tout...
NAHOUBOU
NAHOUBOU
J’ai tué.
Le sang de ma mère, de mon frère...
BACOULOU
LA VOIX DE LA FEMME
Qui n'a jamais tué dans sa vie ! Faisons le compte. Non, il faut à
Qu'attends-tu pour faire comme les autres ? Sois quelqu'un et non
l'histoire un visage propre.
plus le dernier des derniers !
NAHOUBOU
NAHOUBOU
J’ai tué !...
Du sang ! Mon propre sang !
BACOULOU
LA VOIX DE LA FEMME
Que font-ils les autres ? Les flèches ont-elles cessé de siffler ? Les BACOULOU
fusils ont-ils fini de hurler de par le monde, de cracher la mort... de tuer ? Le pouvoir rarement procure le sommeil. Continuons. Aux quatre coins
Ne sont-ils pas des milliers qui, comme toi, rêvent d'hégémonie ? Des de la maison, il faut enterrer vivants quatre hommes, la tête vers l'extérieur, la
milliers qui chaque jour avancent les limites de leur champ, les limites de bouche ouverte. Ils chanteront ta gloire.
leur État ? Des milliers qui, chaque jour, entassent, amassent, accumulent NAHOUBOU
tout ce qu'ils peuvent rafler sur la faim des autres, le bonheur des autres ? Ma gloire. Ici et là, chez les vivants et chez les morts.
Prends un masque. Choisis le masque que tu veux. Hein... C’était fatal... BACOULOU
Tu as pris le masque du scorpion, le venin mortel, le masque du serpent, le A un carrefour, à midi et à minuit, tu lâcheras aux quatre Points
renouveau, le masque de la hyène (l'hyène vient se coucher aux pieds de cardinaux quatre pigeons verts, quatre coqs rouges, quatre blancs... Ils
Nahoubou). Vous êtes maintenant des alliés, des parents... seront, nuit et jour, les chantres de la gloire (il prépare de la mixture, les
crânes servent de gobelet). Bois... Pas de grimaces... Le pouvoir est sans
LES VOIX grimaces. Il est toujours ce qu'il est, ce qu'il veut être... bois... Que l'amour
Il a tué sa mère. s'attache à ses pas. Que le respect s'attache à ses pas. Et q partout où il se
Il a tué son frère. présentera éclate la victoire...
-54- -55-
BACOULOU LES VOIX
Ne les écoute pas. Vouloir être riche, célèbre, c'est toujours se Il a tué sa mère.
mettre en dehors des règles, refuser de faire la queue dans la vie, être hors Il a tué son frère.
ligne, hors-série. Au masque que tu as choisi, il faudrait chaque année NAHOUBOU
sacrifier vingt personnes. Taisez-vous !
NAHOUBOU BACOULOU
De ma famille ? Ah ! Tu as bu dans les crânes de ta mère et de ton frère... Tu as bu
BACOULOU de leur sang, de ton sang. Désormais tu ne boiras plus que dans des crânes
Plus n'est besoin que le sang à verser soit de ta famille. L'essentiel humains. Ton festin sera un festin de rêves humains, de chants humains...
est qu'il soit du sang humain, du sang qui parle, hurle... du sang qui bouillonne LES VOIX
comme un volcan, du sang qui gronde comme le tonnerre — (tonnerre). Il a tué sa mère.
NAHOUBOU Il a tué son frère.
Du sang, toujours du sang, partout sur les mains, dans les villes... des NAHOUBOU
gaves des ruisseaux, des fleuves... des rouleaux de sang ! ou autour de moi prend Taisez-vous ! Ces voix qui me parviennent de partout comme si
couleur de sang. Mes nuits prennent couleur de sang ! (Coups de feu, cris, râles). j'avais été le premier et le seul à sacrifier mère, frère...
BACOULOU NAHOUBOU
N'y prête aucune attention. L'histoire est pleine d'homicides. Elle Les mien dormiront longtemps : longtemps je saurais les tenir, les
est même faite d'homicides. éblouir, les river à toutes les chaînes honorables. Des troupeaux à mes
NAHOUBOU pieds... Des marionnettes pour amuser les gens, pour les amuser eux-mêmes...
Je veux montrer aux gens qu'un règne peut être humain, que les Heureux d'amuser les gens et de s'amuser eux-mêmes (rires). Je sens bouillonner
fusils peuvent et doivent se taire, les flèches, les lances, les harpons en moi des forces prodigieuses, prodigieuses. A l'étroit dans le monde...
peuvent et doivent se reposer. Et l'homme dormir en toute quiétude... BACOULOU
Un Dieu ne saurait vivre parmi les hommes.
BACOULOU NAHOUBOU
Chaque matin, au premier chant du coq, tu boiras dans chaque Faites tomber les barrières qui me bouchent la vue, reculer les
crane. En buvant dans ces crânes, tu es censé boire l'intelligence des autres horizons qui me limitent, dissipez-moi les nuages qui Osent planer sur ma
hommes, boire leur vitalité. Voilà pourquoi non seulement tu vivras tête... ma tête auguste, ma tête céleste.
longtemps, mais tu seras considéré comme le plus intelligent, parce que le BACOULOU
plus rusé, le plus retors des hommes de ton temps. L’odeur du sang !
-56- -57-
NAHOUBOU NAHOUBOU
Rendre la liberté, la paix aux hommes ! Être à la fois homme, Je me sens des ailes... des ailes... des ailes... Monter, monter tout
Macadou, Dieu ! Ma vérité, la seule vérité. dominer.
BACOULOU BACOULOU
Libre à toi de renverser toutes les valeurs, de piétiner justice, L'ivresse du sang !
amour. Nul n’osera protester. Bien au contraire. Tu pourras, le jour, la nuit, NAHOUBOU
faire arrêter qui tu voudras, assassiner, écumer des pays, des continents, les Que le ciel est bas ! Aucune profondeur ! Un monde dans lequel on
hommes toujours t’applaudiront. Tu as bu ton propre sang. Eh bien, tu es étouffe. Un monde à recréer. Qu'ont-ils donc fait tous les Macadous qui
désormais un Dieu. depuis des millénaires se sont succédés ? Rien... Absolument rien. Tout
NAHOUBOU refaire, tout rebâtir. L'horizon à ma porte, le soleil si proche de ma tête, l'océan à
mes pieds... Une cage ! Non ! Faites-moi de la place ; que reculent océans et
Un Dieu... Un Dieu ! Régner pendant des millénaires...
montagnes, tout ce qui peut constituer borne, obstacle, limite, fossé...
BACOULOU
BACOULOU
Il importe cependant que je te dise : le sang n’a jamais été un très
Tu es devenu serpent, la seule bête qui peut changer de peau. Que jamais
bon ciment pour sceller une dynastie. La voie du sang toujours conduit à plus en ta présence il ne soit fait de mal à un serpent. Maintenant tu peux partir,
l'impasse, les peuples alors se réveillent… partir dans l'éclat de ta gloire.
LES VOIX NAHOUBOU
Il a tué sa mère. Moi, je suis Nahoubou 1er et ma victoire, c'est ma victoire.
Il a tué son frère. BACOULOU
NAHOUBOU Ta victoire.
Encore les voix. Taisez-vous ! NAHOUBOU
LES VOIX J'ai dit ma victoire et qui osera soutenir le contraire ? Je vais régner
Il a tué sa mère. sur toutes les peuplades du monde, être le Macadou des Macadous. Allons
Il a tué son frère. vite occuper le trône qui nous attend !
NAHOUBOU
Veux-tu les faire taire ? C’est un ordre.
BACOULOU OBSCURITÉ
Ne les écoute pas. Le monde est plein de voix. Un dieu n'a pas à
écouter les voix folles de l’histoire. Va ton chemin. Va et
-58- -59-
laisse dans la vie le sillon le plus lumineux (tam-tams de joie, bruits de
Nahoubou 1er, Roi
foule, coups de fusils...).
Le peuple, heureux d'avoir un nouveau Macadou, procède à
NAHOUBOU
l'intronisation - chants, danses...
Que se passe-t-il ?
UN NOTABLE (asseyant le Macadou sur le trône).
BACOULOU
Nous te plaçons sur le trône.
Le peuple attend un nouveau Macadou !
LE PEUPLE
NAHOUBOU
Oui, sur le trône,
Ma victoire !
LE NOTABLE
BACOULOU
de notre propre gré.
Jamais un seul homme, si grand et si puissant qu'il puisse être n'a
LE PEUPLE
remporté de victoire.
Oui, de notre propre gré !
NAHOUBOU
LE NOTABLE
Ma victoire...
Si aujourd'hui, nous comprenons en te faisant Macadou, il ne
BACOULOU
faudrait pas demain, nous faire dire que nous ne comprenons plus rien,
Ce sont toujours d'autres qui meurent pour lui apporter victoire,
parce que nous aurons refusé de subir tes caprices.
gloire, fortune...
LE PEUPLE
Non ! Ne jure pas. Tu es le quatrième roi que j'asseois sur le trône. Dieu fasse
LE NOTABLE que tu sois le meilleur, que tu ne voies pas seulement ton ventre à toi, le ventre des
Il ne faudrait pas demain, nous faire dire que tu n'as pas le temps, tiens mais e ventre de tout le peuple...
LE PEUPLE LE PEUPLE
Que tu n'as pas le temps Oui... Oui...
LE NOTABLE LE NOTABLE
que nous sentons mauvais Que tu ne penses pas uniquement à ton honneur, mais à l'honneur
LE PEUPLE du pays qui te fait ce que tu es.
que nous sentons mauvais LE PEUPLE
LE NOTABLE Oui...
que tu ne nous dois rien LE NOTABLE (appelant deux hommes)
LE PEUPLE Kouame, Koffi, vous serez les conseillers du Macadou. C’est le
Non ! peuple qui vous a choisis. Conselliez-le nuit et jours (au Macadou).
-60- Souviens-toi, on gouverne avec le cœur et non avec des caprices des
LE PEUPLE fureurs, des rancœurs.
que le peuple n'est plus le peuple. -61-
LE PEUPLE LE PEUPLE
Non ! Non ! Qu'il s'en souvienne.
LE NOTABLE LE NOTABLE
Que tu es le Macadou suprême, que toutes les intelligences ici Le malheur pour un Macadou est de se croire le maître de l'univers
réunies ne valent pas ton intelligence. parce qu'il règne sur la conscience de quelques hommes. Apprends donc à
LE PEUPLE être.
Non ! Non ! Non ! PREMIER GROUPE
LE NOTABLE juste,
Prends garde ! Le pouvoir plus que l'alcool enivre et conduit à la mort. DEUXIEME GROUPE
Garde-toi surtout, surtout de traiter en ennemis, demain, tes amis d'aujourd'hui.
Equitable,
NAHOUBOU 1er
TOUS
Je le jure...
LE NOTABLE Oui… oui…
KASSI (qui était à l’écart)
Je persiste à dire et je déclare que vous faites du chat le gardien du NAHOUBOU 1er
poisson Aigle, je vous apporte le bonheur comme la becquée à l'aiglon. A
LE PEUPLE mon ombre : croissance et prospérité. Je veux faire de vous des hommes
Tais-toi qui n’adressent aucune prière à aucun dieu. Le jour, vous le prendrez dans
KASSI vos mains pour le réchauffer. Je libère chants et danses, rêve et dialogue.
Drapé de rouge le soleil a pris son visage de sang, regardez-le Je libère tout ce qui était lié, entravé, condamné. Je recolore tout ce qui
vous-même... La lune ce soir va ceindre sa double couronne de halo… couleur avait perdu ; redonne force et forme à tout ce qui n'avait plus de
Vous avez tous ce que cela signifie. La nature nous prévient forme et de force. Que les tam-tams de joie, annoncent au on entier le
UN VIEUX nouveau règne qu'est le règne de Nahoubou 1er. Moi... tous, je redonne
Le soleil et la lune sont de la fête. visage d’aurore, que les chants longtemps ensevelis rejaillissent des
profondeurs.
KASSI Je suis l'homme des berceaux et non des tombes.
Non, toute la nature proteste. Il y a eu complot, assassinat, Je suis le jour et je fais le jour,
usurpation… du sang versé… (La scène s’éclaire violemment. Tam-tams, chants, danses, coups
LE PEUPLE de fusil…).
Sors ! homme de malheur… (on l’expulse). OBSCURITÉ
-62-
LE NOTABLE -63-
I1 est devenu fou depuis la mort de l'autre Macadou. Mais si le sort Nahoubou 1er, et Losy
devait se montrer contraire, nous saurions toujours le conjurer.
Nahoubou 1er dans son palais, attend, énervé, impatient Voyant
LE PEUPLE
entrer Losy.
Oui ! Nous le saurons conjurer... Salut, bon Macadou. Salut...
NAHOUBOU 1er
LE VIEUX (versant la boisson)
Ah ! enfin ! Je respire. Tout s'éclaire dans cette maison que tu
Que les dieux, les génies et les morts soient à nos côtés en ce jour
fleuris par ta présence (il lui désigne un siège). La femme ! Je ne sais pas,
solennel. Nous nous donnons un Macadou, non un maître un tyran. Que le
mais tiens, je me sentais fatigué ; tout me paraissait triste, je me disais à
malheur passant près de lui devienne bonheur ; que la mort passant près de
quoi bon... je me posais des tas et des tas de questions... tu parais et me
lui devienne vie. Vous êtes les maîtres, vous qui voyez ce que nous
voici revitalisé rajeuni, léger, virilisé. Je me sens de taille à renverser tous
n'entendons pas ; aidez-le, inspirez-le et qu'il soit le meilleur des nos
les obstacles... Losy... dans la foule lors de mon intronisation, tu paraissais
Macadous ; que le soleil rouge, la double couronne de halo autour de la
lune soient l'annonce de jours heureux (cris, tam-tams, coups de fusil).
une étoile dans un ciel d'orage, tellement tu attirais les regards. Je Les hommes ! (elle rit). Ils racontent tellement de choses que nous
t'observais, je suivais le moindre de tes gestes, du coin de l'œil... n'écoutons heureusement que d'une oreille, et parfois même pas du tout.
LOSY Nous vous connaissons aussi. Votre seul plaisir : vous entourer de dizaines
Un Macadou jouer à ce jeu lors d'un couronnement... et de centaines de femmes...
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
À quel jeu ne jouerait-on pas pour l’amour d'une femme ? Parce que vous êtes pour nous les plus belles parures.
LOSY
Les Macadous jouent d'autres jeux, à des jeux royaux. Losy
NAHOUBOU 1ER Votre fortune, les femmes, les enfants, des femmes partout, des
Par exemple ? enfants partout. Où s'arrête un Macadou, pousse un enfant... Nous le
LOSY savons.
Je ne sais pas. Je ne suis pas Macadou.
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
En amour, il n'y a pas de roi, Losy... Il me semble entendre une musique de source au soleil, un concert
Losy d'oiseaux dans un matin éclatant de bonheur. Losy y a-t-il sur terre un lieu,
Il y a des femmes plus belles que moi. où tu mettes les pieds sans que les fleurs accourent te saluer, te faire
NAHOUBOU 1er cortège ? Si tu voulais... Losy…
Non, il n'y aura jamais de femme plus belle que toi, Losy ! Losy
-64- Si je pouvais...
Losy -65-
Tu le dis. NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Les femmes peuvent tout ; par un sourire, par une colère vraie ou
Parce que c'est vrai. Si tu te voyais toi-même, si tu te voyais feinte ; elles peuvent tout renverser.
sourire, marcher, tu comprendrais... Losy
Losy Je me dois de te dire la vérité. Je suis fiancée et mon fiancé est de
Tu trouveras un jour une femme plus belle que moi. C’est dans ceux qui ne souhaitent avoir qu'une femme.
l'habitude des hommes ; une maladie que vous avez dans le sang. NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Les Macadous en toutes choses, ont le pas sur leurs sujets.
La femme que j'aime sera toujours la plus belle. LOSY
Losy
J’ai toujours pense qu’en avoir plusieurs c'est n'en aimer vraiment nos volontés sont des ordres. C’est pourquoi nous sommes formés pour
aucune. tout comprendre très vite.
NAHOUBOU 1er Losy
Autrement fait est le cœur d'un homme ; il vit par la multiplicité Ah, la vie et ses problèmes, l'amour et ses complications !
des amours. C’est cela qui vous déroute, vous abuse. NAHOUBOU 1er
LOSY Dans cette maison, tu ne connaîtras aucun des labeurs épuisants
Pauvres femmes, parures au cou des hommes. qui très tôt déciment les femmes du peuple ; tu ne connaîtras aucune
NAHOUBOU 1er maternité.
Ah ! si tu voulais accepter la main que je te tends, Losy. Losy
Losy Oh... Je n'aurai donc pas d'enfant ?
La femme d'un Macadou. NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Si ! Si ! SI Dieu le veut… et si…
Du plus puissant des Macadous. LOSY
Losy Ah ! tu me rassures, parce que nous les femmes, nous adorons les
Reine ! moi ! enfants et ne pas en avoir nous paraît une malédiction. Être mère, vous ne
comprendrez jamais ce que cela est pour nous ! Mère, mère !
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Une belle femme donne du lustre à son époux, Losy Losy, je te ferai mener l'existence la plus heureuse que femme de
Losy roi ait jamais connue... A quoi penses-tu ?
Je t'ai déjà dit…
-66- LOSY
NAHOUBOU 1er Il me semble entrer dans une ère nouvelle.
Fiancée ? Je rembourserai la dot au centuple... -67-
Losy NAHOUBOU 1er
Le remboursement n'est rien. Comment te dire cela ? Je te Mais c'est vrai, tu es dans un monde nouveau, dès ce seuil franchi.
l'expliquerai... Nous sommes ici dans un monde à part. La clameur des misères humaines,
NAHOUBOU 1er les fureurs populaires, le flot tumultueux des rivalités, tous viennent se
Il faut tout me dire. Mon amour saura tout comprendre, même ce briser aux pieds des gardes comme sur un récif. On ne peut commander
que tu n'auras pas dit. Nous les Macadous notre patience est très courte ; qu’en se plaçant sur des hauteurs...
Losy
Les murs vont-ils toujours garder la couleur du sang ? On raconte encore... Oh que les hommes ne racontent-ils pas ! que
NAHOUBOU 1er sous les montagnes de la forêt de Mohoua, coulent des fleuves de
Je les ferai laver pour toi. diamants.
Losy NAHOUBOU 1er
L’air colporte encore l'odeur âcre du sang. Je les ferai puiser pour toi, ainsi mesureras-tu l'extrême profondeur
NAHOUBOU 1er de mon amour.
Je vais le faire purifier pour toi. Des narines aussi délicates se Losy
doivent de respirer l'air le plus pur, le plus salubre. Pour toi, la nature fera On raconte que sous les eaux sont des fortunes fabuleuses.
toilette et revêtira ses plus belles couleurs, Losy ! À quoi penses-tu ? NAHOUBOU 1er
Losy Je commanderai aux génies de te les apporter.
On m'a dit que partout où l'arc-en-ciel prend sa source est une mine Losy
d'or. Aux génies de me les apporter !
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Pour toi les arcs-en-ciel joncheront de leurs trésors le sol que tu Ainsi comprendras-tu l'incommensurabilité de ma puissance. Les
fouleras. Ainsi mesureras-tu l'extrême ardeur de mon amour. fortunes du ciel et de l'onde, je les ferai cueillir pour toi... te mettre au cou
une corolle de jeunes étoiles émerveillées et palpitantes d'orgueil !
Losy Losy
J’ai toujours rêvé d'un pagne fait de la couleur de tous les papillons On raconte…
du monde.
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Tu auras des milliers de pagnes faits de la couleur de tous les Laisse les hommes conter et raconter. Ils content et racontent nos
papillons du monde. Ainsi mesureras-tu l'extrême densité de mon amour. prouesses, les hauts faits des maîtres ; ils content et racontent leurs propres
-68- rêves. Nous, nos rêves, nous les imposons, nous les vivons, nous les
Losy matérialisons. Nul besoin de dormir pour rêver.
On raconte que sous les montagnes fleurissent des champs de -68-
pierreries. Losy
C’est merveilleux la puissance...
NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er
Je commanderai aux hommes de les récolter pour toi.
Forme un vœu...
Losy N'importe lequel, le vœu le plus saugrenu, le plus stérile et tu le verras
prendre corps... visage... devenir réalité.
Losy L'amour n'aime pas être habillé en prince ; il ne serait plus accueilli dans
Je voudrais des canaris pleins d'or. les cases, les masures, les nids...
NAHOUBOU 1er (riant) NAHOUBOU 1er (riant)
Canaris pleins d’or... (il frappe trois fois les mains et des serviteurs Les femmes saura-t-on jamais où vous allez puiser vos idées ?
accourent apporter des canaris d'or). Les voici tes canaris d'or... J’ai pensé que tu Losy
allais me demander le soleil, la lune. J’aurais commandé aux génies de te les Dans les palais, l'amour très facilement s'enrhume, or l'amour que j'ai
apporter — (riant). Tu connais mal un Macadou. dans le cœur, est un amour de grand air. Il aime s'accrocher à tout ce qui vit.
Losy NAHOUBOU 1er
Je l'ai toujours pris pour un homme. Ah, si tu voulais...

NAHOUBOU Ier LOSY


Non ! Un Macadou est plus qu'un homme. Il n'est plus homme. Le pourrais-je ?

Losy NAHOUBOU 1
Plus un homme ? Pour un Macadou, on doit tout pouvoir.
Losy
NAHOUBOU 1er
Il partage le destin des dieux, parce qu'il est Dieu sur la terre. Certainement, mais il y a encore des amours aveugles, têtus, des amours
que ne peut acheter aucune fortune, que ne peut vaincre aucune infortune.
LOSY
Je comprends. NAHOUBOU 1er
Losy ! Losy !
NAHOUBOU 1er
Le peuple n'attend de moi qu'un geste pour niveler les plus hautes Losy
montagnes, combler les fleuves les plus profonds... A tes pieds, le plus Se marier, c'est unir deux destins, qui donc épouse une fortune n’est pas
incandescent des amours. marié, encore moins qui épouse les honneurs.
-70- -71-
Losy NAHOUBOU 1er
Dans les palais, l'amour se dégrade et perd ses couleurs. Toi, à mes côtés, je serai plus fort qu'un troupeau de buffles en colère. Et
NAHOUBOU 1er lorsque pour toi j'aurais empli ce palais de tout l'or du monde, je dirais aux gens :
Palais, serviteurs, fortune, considération, tout ce qui donne du goût à la venez voir ce que peut le courage...
vie, tout ce pour quoi les hommes se combattent et se tuent... sont à tes pieds. Losy
Losy Quelle fortune peut-on édifier sur la misère des autres !
je te convie, à laquelle je t'associe ; Mort à tout ce qui est mort pour l’homme,
NAHOUBOU 1er récession, rétention, restriction, condamnation... fais éclater mille soleils dans mon
Je les promènerai par les steppes fertilisées, par les rizières, par les cœur de messie... Le monde va entendre ma voix. Le moindre murmure va prendre
fleuves domestiques, l'océan amené à mon seuil et je leur dirai voilà ce que peut une puissante résonance !
l'intelligence. Losy
Comment te dire ?
Losy NAHOUBOU 1er
Quelle fortune peut-on amasser sur la faim des autres ! Ne dis rien.
Losy
NAHOUBOU 1er Comment t'expliquer ?
Femme, aie des idées plus saines sur le pouvoir. Viens à mes côtés et tu NAHOUBOU 1er
sauras ce qu'est le pouvoir. Il n'est pas dans mes habitudes de prier même les N'explique rien.
dieux. Losy ! la belle maternité qui va être la mienne : le père, la mère, l'aïeul de Losy
l'histoire. Couper dans le temps une nouvelle aurore et faire des matins les plus Que dois-je faire ?
radieux des manteaux pour les miens, ma famille, ma tribu ! C’est mon heure, ton
heure aussi Losy. NAHOUBOU 1er
On ne demande jamais ce qu'on doit faire lorsqu'un roi a exprimé sa
Losy volonté.
Comment pourrais-je oublier ce que nous avons toujours été ? Les rêves
que nous portons sur les bras comme des enfants morts dont on refuse partout la Losy
sépulture... Quand cesserons-nous de vivre de promesses et de danses ? Il y a des amours butés contre lesquels on bute soi-même et dans ce
monde...
NAHOUBOU 1er
Familles sans souches, racines au vent, dispersées, essaimées, fleuves de NAHOUBOU 1er
colère, torrents boueux de haines sordides, dressé au-dessus des éclairs humains, je de faims, de haines exacerbées, déchaînées, incontrôlées, les cités ne
trace à tous le chemin... seront plus des jungles et les tigres sur le seuil des
-72- -73-
Losy maisons ne joueront plus sur la peau des agneaux. Voilà le monde que je veux voir
Le chemin de ta gloire. fleurir autour de nous, le monde dont tu seras reine. Dans le grand matin, forger le
NAHOUBOU 1er destin, donner cœur et poumons à chaque homme pour un nouvel essor, pour
Soleil, Requin, Taureau, Lion, l'orgueil m'a déjà tout pris. Losy. Levain franchir les nouveaux siècles...
des jours heureux et des belles aurores, la terre lavée de toute pestilence, des Losy
hommes du Macadou des courtisans du Macadou... Une tâche immense à laquelle Cher Macadou.
NAHOUBOU 1er J’existe et tu ne saurais aimer autre personne. L’amour Macadou est
Être la flamme qui réchauffe les corps transis de misères, de peurs, le souvent un ordre, et ces mains que tu vois peuvent devenir étau pour quiconque
parfum qui redonne force aux poumons, le baume qui tonifie le muscle, la couleur tenterait d’entraver le cours de mon affection.
joyeuse, féerique qui fait des yeux des escarboucles dans la nuit. Je libère chants et LOSY
danses ! L'amour naïf est une force contre laquelle s'usent les Plus fortes armées.
Losy NAHOUBOU 1er
J’ai peur. Tu es encore Jeune. Et c'est cette pureté qui ravive mon amour : quelle
NAHOUBOU 1er femme aurait hésité un amour dénudé et un amour assorti d’or de diamants, de
Avoir peur dans ce palais ? respects de sujets ?
Losy LOSY
Je ne sais pourquoi et pourtant j'ai peur... Un amour nu n’est jamais esclave. L’amour, tu le sais n’aime pas les
chaines…
NAHOUBOU 1er
Déleste-toi du passé, moi aussi j'ai eu peur, j'ai tremblé, j'ai passé des NAHOUBOU 1er
nuits sans dormir... maintenant c'est moi qui effraie, c'est moi la loi... Même dorées.

Losy LOSY
J’ai peur de tout ce qui est force. Car le pouvoir même populaire reste Surtout lorsqu'elles sont dorées ·
toujours entre des mains partisanes.
NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Je ne t’admire que d’avantage. Je ne t’aime que plus fougueusement. Ah !
Ce bras devenu le plus puissant du monde saura te protéger ou t'atteindre si tu voulais, Losy… aux autres femmes, il me suffirait de jeter une œillade pour
où que tu sois. les voir accourir venir s’assujettir. Mais rarement on est maitre de son cœur, et me
voici ton sujet tout Macadou que je suis, Losy…
Losy
Connaître à quoi on lie son sort est le salut pour une épouse. LOSY
-74- Donne-moi le temps de réfléchir.
NAHOUBOU 1er -75-
Je suis le Macadou, cela devrait suffire. NAHOUBOU 1er
LOSY On ne devrait plus réfléchir lorsqu'on a à ses pieds, or, diamants,
Je pense plus à l’homme qu'au Macadou. respects de tout un peuple.
NAHOUBOU 1er Losy
Oui, tu as raison, or et diamants, arguments suprêmes pour les cernés par les insomnies, distinguent mal un porte-canne de malheur d'un
amours débiles, les cœurs infidèles. porte-canne du bonheur. Laisse-moi faire. Je sais comment aborder mes
NAHOUBOU 1er parents.
Ce cœur et ce palais t'appartiennent. Des palais je t'en ferai bâtir NAHOUBOU 1er
des centaines et des centaines, pour toi, pour tes parents, cousins, amis, Losy !
pour tous ceux qui le touchent de près et de loin... Losy
Losy Je devine d'avance leur joie, leur allégresse, leurs transports.
Devrait-on réfléchir après de tels présents ? NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Losy ! Losy !
Je me le demande. Losy
Losy Dans une semaine au plus tard tout sera réglé.
Peut-on même réfléchir ? NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Dans une semaine au plus tard !
Je me le demande encore.
Losy Losy
Donne-moi le temps d'en parler aux parents. Je t'aime peut-être plus que tu ne le supposes. Nous les femmes,
NAHOUBOU 1er nous étalons peu nos sentiments. Nous les laissons deviner (ils s
Je pourrai leur dépêcher un porte-canne. 'embrassent).

Losy NAHOUBOU 1er


Non, laisse-moi faire. Il faudrait leur annoncer la nouvelle Quel beau règne vais-je avoir ! Marquer ce jour d'une croix
avec beaucoup de ménagement. blanche, le graver en lettres de feu dans mon cœur, Losy (ils
s'embrassent). Prends ce mouchoir, tu le présenteras à la garde chaque fois
NAHOUBOU 1er que tu voudras venir dans ce palais, ton palais. Losy, mon étoile (ils
Y a-t-il au monde plus grand diplomate qu'un porte-canne ? s'embrassent... elle amorce sa sortie). Quel beau règne vais-je avoir. Losy
-76- mon étoile. Losy ma lumière (elle revient). T'imagines-tu ce qui va se
Losy passer ? Le monde entier à tes pieds... accroché au moindre de tes désirs,
Sa présence à elle seule tue toute diplomatie. Un porte canne n'est- -77-
t-il pas à la fois un messager de bonheur et de malheur ? Nos larmes ont- au plus ridicule de tes caprices (elle sort.) (Déchaînement de tam-tams. Il
elles jamais tari ? Nos yeux brouillés de larmes, étincelants de fièvres, danse).
Losy tu viens de faire de moi le Macadou de l’univers... et pour toi, KABLAN
pour notre amour, je danse... Quels dieux ? N'a-t-il pas sous ses talons le fourneau de la pipe de
nos vies ? On voit que c'est un dur métier que celui d'être courtisan. Je
OBSCURITÉ danse pour toi, pour ta famille, pour Losy.
NAHOUBOU 1er
Nahoubou et Sa cour Pour Losy... Pour Losy. Tiens, voilà pour Losy
KABLAN
Les plus grands règnes ont été ceux des monarques qui ont
Sous un auvent, le Macadou parle. A ses côtés quatre gardiens,
toujours donné sans compter. Losy !
deux joueurs de cor, un porteur de crachoir, assis les conseillers Kouame et
NAHOUBOU 1er
Koffi. Un homme l’évente.
Comment es-tu entré ici ?
NAHOUBOU 1er
KABLAN
Me voici maître et protecteur de tout ce qui respire dans le pays.
Soleil des soleils, depuis vingt ans, je fréquente ce palais (il danse).
Macadou, je suis devenu 'la mesure. On va donc rendre ma justice, la
À l'exemple des pique-bœufs, je suis les Macadous à la trace, à l'odeur,
justice de Nahoubou 1er de la dynastie des Nahoubou de la tribu des
surtout à l'odeur, or ta puissante odeur grisante a couvert tout le pays. Je
Kwakwaboué ! Le plus illustre des noms ! (Il rit). Je suis l'acajou qui défie
danse pour Losy et pour le bonheur du Macadou.
la foudre, le tambour dont le murmure emplit le monde de bruits ; que sous
NAHOUBOU 1er
moi prospèrent herbes sans racines, herbes qui rampent, se traînent, toute
Pour Losy ! Ma lumière, mon étoile. Tiens. Voilà encore pour
fluidité, arbustes et pierrailles en quête d'ombrage, toutes mains tendues,
Losy!
ouvertes pour la prière, cécité et mutisme. Provoquant le ciel, je suis la tige
KABLAN
droite que saluent le soleil et le temps. Faire de la nuit en plein jour, rendre
Je danse pour le mariage des dieux et des déesses, pour la
consistant ce qui ne l'était pas et inconsistant ce qui l'était (rires). Je danse
naissance des étoiles, pour la ronde des jours bleus, pour l'air que tu nous
sous le ciel mien.
permets encore de respirer.
KABLAN
NAHOUBOU 1er
(Surgit, étend son pagne sous les pas du Macadou).
Les hommes du Macadou, des hommes à pendre ?
Depuis quand le plus grand des plus grands Macadous du monde
KABLAN
danse-t-il pour la cour ?
Non, des hommes à ménager, des hommes dont il faut se servir
-78-
pour être bien servi... Servir quatre Macadous, c'est être
KOUAME
-79-
Un Macadou ne danse pas pour sa cour, mais pour les dieux.
initié à tous les problèmes et qui veut régner longtemps aura toujours NAHOUBOU 1er
besoin de nous. Il importe que le peuple sache de quelle éclatante naissance est son
NAHOUBOU 1er Macadou ; qu'on sache enfin d'un bout à l'autre du royaume que je
Je veux un règne nouveau. descends... que disais-je encore ?
KABLAN KABLAN
Nous l'avons toujours ardemment souhaité. Du génie Kaïman.
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Bâtisseur d'empire, je suis le bélier avec lequel on enfonce les Oui, du génie Kaïman (approbation de la cour).
portes de l'absurde ; trépan des opérations heureuses, forces du bonheur, KABLAN
voulant redonner au soleil son plein éclat et toute sa fécondité, à la lune sa Parler aux Macadous et au peuple est le plus difficile des rôles.
plus superbe lumière, je livre la guerre à la guerre, je libère les rêves NAHOUBOU 1er
enchaînés, les joies asservies... Je vous fais homme total. On ne sait pas encore assez qui je suis. Parle de moi partout. Que
KABLAN plus personne n'ignore qui est Nahoubou 1er de la dynastie des Nahoubou,
Dansons, messieurs. Dieu nous a donné le Macadou que nous de l'honorable tribu des Kwakwaboué (grondement de tonnerre). Même le
attendions depuis des siècles. Il nous apporte le bonheur au berceau. ciel m'approuve (approbation), les dieux m'approuvent (approbation), dire
NAHOUBOU 1er la vérité, proclamer la vérité, hurler la vérité est un devoir pour tous
Les hommes du Macadou plus que la peste... (approbation), un devoir plus impérieux, plus sacré pour les hommes du
KABLAN Macadou. Faites le jour autour de moi, le jour sur moi...
Nous nous inclinons devant le maître du tonnerre et de la foudre KABLAN
(le Macadou sourit). Voyez comme le jour s'éclaire lorsque notre Madacou On ne nous aime pas toujours.
daigne sourire ! La blancheur de ses dents nous donne le plus éblouissant NAHOUBOU 1er
des jours. La terre tremble de peur d'être foulée par un homme de son poids Par jalousie.
et d'une naissance aussi auguste que la sienne.
NAHOUBOU 1er KABLAN
Tu dis vrai. Je descends du Dieu Kaïman. On nous accuse de vivre un peu trop sur le pays.
(La cour applaudit... Chants, coups de fusil, bruit de cor).
KABLAN NAHOUBOU 1er
Un point essentiel de notre histoire enfin éclairci. Je l'avais Par jalousie. Sur qui peut-on vivre sinon sur le peuple ?
toujours soupçonné, mais comment le publier sans ton ordre ? Moquez-vous de ce que les gens peuvent conter et raconter.
-80- -81-
KABLAN -82-
Il nous suffit d'avoir une bien petite maison ici et là, de toutes KABLAN
petites affaires ici et là, de nous approprier quelques biens modestes Veux-tu que nous incendiions toutes les eaux du monde ? Cela sera
monopoles, de nous assurer le loyer, ô combien illusoire, des maisons de fait. Veux-tu que les hommes soient tous des culs-de-jatte ? Lève le petit
certains quartiers pour entendre toutes les langues se déchaîner contre doigt et nous serons tous des culs-de-jatte (le Macadou sourit). Qui êtes-
nous. vous ?
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Par jalousie. Les conseillers du Macadou.
KABLAN KABLAN
Alors, pour nous défendre, nous sommes obligés d'entretenir, dans Des conseillers qui ne savent même pas danser. Les dieux aiment
chaque case, des yeux et des oreilles. Ainsi pouvons-nous assurer la danse, messieurs. Les Macadou aussi. La danse est le premier pas dans
davantage la sécurité des Macadous que la nôtre qui... la carrière, l’a-b-c du métier de courtisan. La danse ! Des conseillers pour
NAHOUBOU 1er un Macadou qui s'appelle Nahoubou 1er ?
Vous êtes des hommes précieux. Quel trône, sans vous, résisterait KOUAME
à tempêtes et cyclones ? Pourtant une seule tête...
KABLAN KABLAN
Le trône de Nahoubou 1er (approbation). Nous allons prier Dieu Un trop vieux proverbe. Maintenant une seule tête peut diriger le
de t'accorder les songes les plus doux, les femmes les plus belles, les joies monde. Il est même nécessaire qu'une seule tête dirige le monde ; cette
les plus profondes, la santé la plus vigoureuse (le Macadou sourit). Maître tête, nous l'avons ; elle est là, grande, belle, superbe, rayonnante
de nos jours, donne nous un peu d'air, un peu de soleil pour pouvoir d'intelligence, malicieuse, patinée de sagesse, couronnée de gloire,
continuer à te servir. étincelante de rêves prodigieux, auréolée de la plus illustre des naissances.
NAHOUBOU 1er Elle descend... elle descend (il tousse). Le soleil avait brillé en pleine nuit,
Je te prends à mon service (Kablan danse). Tu seras le premier de la lune, brillé en plein jour, la conjonction de toutes les forces, de tous les
mes conseillers. Entre l'oubli, pardon suprême, et le pardon, oubli partiel, éléments pour la saluer. Les abeilles, les oiseaux, les couleurs, tout était de
j'ai choisi. Pour toi j'oublie le passé. N’auras-tu pas été pour moi la fête. Il est né dans le plus somptueux des décors.
l'instrument du destin ? NAHOUBOU 1er
KABLAN Et vous, qu'avez-vous à chanter ?
De quel passé pourrait-on s'occuper lorsque le présent seul existe ? KOUAME
Ta volonté Macadou ! Ta volonté ! Tu es le Macadou.
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Ma volonté ! Le Macadou, pas plus que cela ?
-83- -84-
KOFFI KOUAME
Le maître. Il n'est pas prouvé que toutes les têtes les plus couronnées plaisent
NAHOUBOU 1er à tout le monde. Une tête de Macadou n'est pas toujours un modèle de tête.
Le Macadou, le maître. Tu voudrais certainement dire celui dont le KABLAN
soleil guette le réveil pour se manifester ? Quelle audace ! Quelle audace !
KOUAME KOFFI
Non ! Une tête de Macadou n'est qu'une tête d'homme, donc sujette à...
NAHOUBOU 1er KABLAN
Celui dont la nature a salué la naissance par la plus formidable Quelle audace ! Quel puits de magnanimité insondable, de patience
explosion de joie ? inépuisable, de bonté infinie. Quoi ? Allez-vous prétendre condamner notre
KOFFI père le Macadou, notre mère le Macadou, à observer des heures durant des
Non ! têtes qui lui assombrissent le jour, des visages qui lui coupent l'appétit, des
KABLAN regards qui peuplent son sommeil de cauchemars ? De cauchemars ?
Et ceux-là, suprême erreur, se font appeler courtisans ! NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Qui êtes-vous pour tenir un langage aussi inconvenant ?
Courtisans ! Courtisans ! (il rit). Vos têtes ne me plaisent pas. KOUAME
KOUAME Les délégués du peuple...
Nous ne pouvons changer de tête.
KABLAN KOFFI
Ne provoquez pas le Macadou. Sans peuple, pas de Macadou.
NAHOUBOU 1er
C’est trop de supplice que de vous avoir eus à mes côtés. Suis-je KABLAN
un bambin, un prisonnier ? Rarement les intérêts du peuple coïncident avec ceux des
KOFFI dynasties, et notre intérêt commande de naître du peuple mais de servir les
On ne gouverne pas avec des têtes qui plaisent. Macadous. Il importe que nos têtes leur reviennent.
KABLAN
Si ! Si ! Il faut qu'autour de tout monarque digne de ce nom, or NAHOUBOU 1er
notre monarque est le modèle des monarques, il faut, dis-je, qu'autour de Je veux, moi, diriger, commander, gouverner, régner avec des têtes
lui règnent l'harmonie, la beauté. dociles, des têtes souriantes.
-85- -86-
UN HOMME (criant) NAHOUBOU 1er
Je veux voir le Macadou, Je veux voir le Macadou. Sous mon règne je libère la femme... Je libère tout ce qui était
KABLAN entravé... Si elle te quitte, tu la quittes... Vous vous quittez. Voilà la justice.
Qui fait tant de bruit ? KOFFI
UN GARDE C’est le désordre dans les ménages, les familles.
Un homme qui veut voir le Macadou. L'HOMME
NAHOUBOU 1er Je ne peux la quitter puisque je l'aime encore.
Fais-le entrer. NAHOUBOU 1er
L'HOMME Tu es obligé de la quitter puisqu'elle ne t'aime plus. Si elle t'avait
Macadou ! Ma femme, ma femme ! Elle veut me quitter, me dit de faire comme les autres, qu'aurais-tu décidé ?
quitter ! J’accours vers toi... L'HOMME
NAHOUBOU 1er Faire comme les autres. Comment faire comme les autres ?
Est-elle partie ? NAHOUBOU 1er
L'HOMME Par exemple, de suivre les exemples que tu vois autour de toi... de
Elle est en train de partir. faire comme lui (montrant Kablan) de chercher à être Macadou...
NAHOUBOU 1er L'HOMME
Que t'a-t-elle dit ? J’ai toujours suivi les conseils de ma femme.
L'HOMME NAHOUBOU 1er
Je te quitte. Te plairait-il donc d'être Macadou et franchirais-tu tout obstacle
NAHOUBOU 1er pour l'être ?
C’est tout ?
L'HOMME L'HOMME
Elle fait ses bagages. Si ma femme l'exigeait.

NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er


Et que veux-tu de moi ? Tu es donc un ennemi du trône. Ta femme a bien fait de
t'abandonner sans te demander de faire comme les autres. Et pour
L'HOMME t'empêcher de faire comme les autres, j'ordonne qu'on te coupe la tête.
Lui donner l'ordre de rester. Gardes ! (L'homme est entraîné, il se débat).
-87- -88-
L'HOMME KABLAN
Mais je ne suis pas Macadou. Il y a trop de tam-tams dans le pays...
NAHOUBOU 1er KOFFI
C’est pour t'empêcher de l'être. À peine monté sur le trône...
L'HOMME NAHOUBOU 1er
Je n'ai jamais pensé à être Macadou. Le trône ! Parlons-en messieurs. Le trône, je me le dois. C’est mon
NAHOUBOU 1er trône. Je sais combien cela m'a coûté de sueurs. Est-il donc si difficile de
Mort, tu n'y songeras plus jamais... (sortie de l’homme). suivre un Macadou, de penser comme pense le Macadou, de marcher
KOFFI comme marche le Macadou, de rire comme rit le Macadou ?
Un nouveau fléau... LES VOIX
KOUAME Il a tué sa mère
Nous qui pensions que tout allait changer ; que la paix et le Il a tué son frère...
bonheur allaient frapper enfin aux portes de nos masures ! La nuit KOFFI
davantage va s'épaissir... Les étoiles même déjà se voilent la face... Des voix... des voix qui ont dit...
NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Gardes ! je ne veux plus revoir ces têtes-là nulle part (les gardes se
Tout va changer. Je porterai le fer dans toutes les gangrènes et pour saisissent des trois conseillers).
ce faire, je veux à mes côtés des gens qui penseront ce que je veux qu'ils KABLAN (se débattant)
pensent, diront ce que je veux qu'ils disent, feront ce que j'aurai décidé. Je Lâchez-moi. De grâce, je veux vivre. Laissez-moi vivre. J’ai des
veux des têtes qui travaillent, non des têtes qui pensent... enfants, j'ai des femmes. Tout est beau dans la vie, le soleil, la lune, le
vent, la pluie... Vive le Macadou ! notre très grand Macadou. Qui servirai-
je désormais ? Vive le Macadou !
KABLAN NAHOUBOU 1er
Défense absolue de penser lorsque le Macadou pense pour tous ! Laissez-moi Kablan, le seul homme qui me comprenne, le seul qui
Oh, la charmante existence qui va être la nôtre. Le paradis ! sache prendre soin de mes intérêts.
KABLAN
NAHOUBOU 1er Les Macadous ne règnent que par les exemples qui frappent
Je veux faire de mon continent le plus bourdonnant et le plus l'imagination des peuples. Plus personne devant toi n'osera lever la tête,
débordant de vitalité des chantiers, le modèle des continents. Alors vous élever la voix (des coups de fusil au dehors). Vive le Macadou ! Que
comprenez qu'il me faut absolument le silence et des bras. coûte-t-il à certains d'être du
-89- -90-
Côté de l’ordre du jour puisqu’en face c’est toujours le désordre (des coups NAHOUBOU 1er
de feu… des râles). Tirez ! tirez ! (Des gens tombent, la foule recule, revient, recule).
LES VOIX KABLAN
Il a tué sa mère
Tirez ! Tirez ! Tirez !
Il a tué son frère...
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er (désignant les morts)
Ah ! (Retour des gardes, bruits croissants de foule). Qu'on Sur le tas d'ordures. Les opposants à mon gouvernement
m'appelle Amon, Aka, Kouassi... Régner en paix, sans trouble aucun, être deviennent des ordures. Je suis le maître et c'est moi seul qui commande
le modèle de tous les règnes, le point de mire des royaumes... Losy... Une (rires). Me tenir tête, moi qui ai sauvé le pays des violences des hommes
semaine sans nouvelles. Une éternité... Losy ! le plus beau des règnes ! du Macadou, moi qui vous ai libérés !
Qu'est-ce que j'entends ? C’est ça la reconnaissance du peuple... Le peuple (il rit) qu'on me
KABLAN
recherche tous les meneurs et qu'on les pende haut et court. Qu'à jamais le
La foule. Elle est folle.
NAHOUBOU 1er peuple perde le goût des jeux stupides et cesse d'écouter les brebis
Quel est ce tumulte ? galeuses.
KABLAN KABLAN
La foule, elle est folle. La pluie a toujours fait du bien à la terre assoiffée. De nouvelles
NAHOUBOU 1er idées vont germer dans la tête du peuple. Tu as très bien fait.
Se rebeller pour trois malheureux morts ? des gens qui ont osé me NAHOUBOU 1er
braver, moi, le Macadou ? Prendre leur parti, mais, c'est de la provocation.
N'est-ce pas ?
KABLAN
La foule, elle est folle.
KABLAN
NAHOUBOU 1er Tout autre à ta place aurait été plus impitoyable.
Folie ou pas folie, il y a des limites à ma patience et chacun le
saura maintenant. (La foule hurlante pénètre sur la scène). Assassin ! NAHOUBOU 1er
assassin ! assassin ! Un Macadou n'aurait-il plus droit de vie et de mort sur ses sujets ?
NAHOUBOU 1er (aux gardes)
Tirez ! KABLAN
Cela était nécessaire, impérieusement nécessaire. L'ordre
KABLAN l'exigeait ; la sécurité de l'empire le commandait. Plus personne n'osera
Tuez-les ! Tuez-les tous !
bouger, tousser, encore moins murmurer Tu viens de coudre toutes les KABLAN
bouches. Il faut maintenant prévenir les désordres futurs. Les sorciers en veulent à la vie de notre vénérable Macadou. Tuez-le.
-91- -92-
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Tu es un homme de bon conseil. Gardes, je vous charge de faire la Non ! Non ! La sécurité du royaume exige que plus jamais on ne
lessive du royaume ; que dans nulle case ne reste une tête qui ne pense fasse de mal à un serpent.
comme moi ; je suis la vérité, la seule vérité. KABLAN
KABLAN Plus de mal à un serpent ? Y a-t-il bête plus dangereuse qu’un
Chacun maintenant saura, s'il l'ignorait, que le feu toujours serpent ? Notre devoir de conseillers est de protéger le Macadou contre
triomphe de l'herbe, que l'eau toujours éteint le feu. Né pour bâtir l'empire, tous les serpents (les gens regardent le serpent s'en aller puis sur un geste
fais ce qui te plaît. Nous crierons toujours Vive le Macadou. Vive de Kablan un garde tue le reptile).
Nahoubou 1er (entrée de Kouassi, Amon, Aka). NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Qui a tué le serpent ?
Ah vous êtes là ! Je vous nomme mes conseillers (coups de feu - KABLAN (désignant le garde)
espacés - cris, hurlements). C’est lui.
LES VOIX NAHOUBOU 1er
Il a tué sa mère Qu'il soit tué à son tour.
LE GARDE
Il a tué son frère...
Mais... Mais... Mais...
KABLAN KABLAN
Servir notre Macadou est le plus grand honneur auquel puisse C’est lui... lui... le Macadou a raison. L'ordre était formel ; qu'on le
aspirer un homme (coups de feu). La grande lessive dont on parlera tue, c'est un ordre du Macadou, ordre de Macadou (le garde est entraîné,
longtemps. On dira plus tard, tel événement s'était passé tant d'années coup de feu...).
après la grande lessive. NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Plus d'une semaine, et pas de Losy... Que se passe-t-il ? Et des
Que les corps soient tous abandonnés aux vautours pour qu'on nuits sans dormir, guetter le moindre bruit, écouter les pas...
sache enfin que ma devise est et demeure "Des serviteurs et non des KABLAN
hommes ". (Un serpent passe. Kablan se précipite pour le tuer). Les sorciers, ils sont capables de tout, couper l'appétit, priver de
KABLAN sommeil...
Un serpent, un diable, un sorcier ; ils sont légions dans le pays. NAHOUBOU 1er
Fermer l'œil ne serait-ce qu'une nuit. Une nuit. Losy...
NAHOUBOU 1er
LES VOIX
Arrête. Ne le tue pas... Ne le tue pas.
Il a tué sa mère KABLAN
Il a tué son frère... La richesse la plus incalculable.
-93- -94-
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Qui me débarrassera d'elles... La richesse ! la richesse !
KABLAN KABLAN
De Losy ? Qui oserait ? C’est à elle que s'adressent respect, amour, prières. Nous pouvons
NAHOUBOU 1er t'apporter tout l'or du monde.
Non... d'elles... de toutes les voix que charrie le vent (musique). NAHOUBOU 1er
KABLAN Je n'y songeais plus. Tout l'or du monde. Losy !
Le vent ne nous apporte que de la musique, Macadou (le Macadou KABLAN
regarde ses mains). Elles sont le modèle des mains, des mains nettes, Nous le prendrons partout, aux hommes, aux morts aux, diables.
pures, des mains royales, des mains de Macadou. NAHOUBOU 1er (aux trois conseillers)
NAHOUBOU 1er Qu'attendez-vous pour me faire apporter tout l'or du monde ? Qu'il
Dormir !... ne reste nulle part un seul grain de poussière d'or (sortie des trois
KABLAN conseillers, bruits de troupes).
Pouvons-nous demander aux sorciers de collecter pour toi le KABLAN
sommeil de tous ceux qui dorment, ou alors empêcher tout le monde de Je connais un remède souverain contre l'insomnie.
dormir ? Qui a le droit de dormir lorsque le Macadou ne dort pas ? (Le NAHOUBOU 1er
Macadou bâille. Il regarde les autres qui tous bâillent. Il fait un geste et Lequel ? (Un solo, belle voix de femme).
un serviteur apporte une bouteille d'or). KABLAN
NAHOUBOU 1er La femme ! Les femmes ! Il t'en faut de toutes les tailles, de toutes
(faisant remettre la bouteille d'or à Kablan) les couleurs.
Pour le meilleur des serviteurs du Macadou. Les hommes du NAHOUBOU 1er
Macadou ont le devoir de mener une vie décente, de se couvrir de dorures, Losy ! Plus que des éternités...
de rehausser l'éclat de mon règne. KABLAN
KABIAN L'or et la femme, les deux valeurs sûres du monde. Pour toi nous
Père de nos jours, que sur toi pleuvent bonheur et richesses• irons tous à la pêche à la femme, à la chasse à la femme.
NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er
J’avais toujours pensé que l'homme...
La richesse !
KABLAN rit). Je sais prendre mes précautions (violent coup de tonnerre) mes
Tu as raison, toujours raison et auras toujours raison, précau... (il porte la main à son côté droit et s'effondre). Ils m'ont eu.
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mais regardons autour de nous-évidemment pas dans cet empire où le KABLAN
bonheur de l'homme est ton premier et unique souci, pas dans cet empire Appelez le guérisseur, Bacoulou...
où la préoccupation essentielle de sortir le peuple de toutes les misères (entrée du guérisseur suivi de deux acolytes dont I 'un bat le tam-
t'empêche de dormir mais ailleurs, partout l'homme, quelle valeur a-t-il ? tam. Pendant qu'on bat le tam-tam et qu'on chante, le guérisseur danse et
Voyez-le traqué ici, condamné là, à vivre de miettes, de mendicité voyez-le frappe Nahoubou de son « modoua » insigne de guérisseur. Il se penche
traîner là dans les bouges, grouiller comme vermine dans les taudis, partout sur lui et retire de ses flancs des pointes qu'il montre à l'assistance).
crever comme chien dans les rues... Ils ont failli l'avoir. Je lui ai toujours dit de se méfier des sorciers et
NAHOUBOU 1er de tous jeteurs de sort.
Et le peuple ose se rebeller lorsque pour l'exemple trois mauvais NAHOUBOU 1er (debout)
conseillers... Ils ne savent pas à qui ils ont affaire. Je savais que cela devait se
KABLAN
produire. J’avais tout vu en songe. Ah ! c'est la guerre à tous les sorciers,
Ne pense plus à ce lointain passé. Que fait-on de l'homme et que
ne lui fait-on pas faire pour l'or et au nom de l’or ? Inapprécié, cible dans la féticheurs et guérisseurs à tous ceux qui ont osé me provoquer. Je vais les
foire quotidienne, soumis à toutes les sujétions ; voilà l'homme ! Tandis exterminer tous, à commencer par toi.
que même déprécié, l’or demeure la valeur appréciable qu'on ne voit GUÉRISSEUR
traîner nulle part. Non, il n'y a que toi Nahoubou 1er de la dynastie des Moi ?
Nahoubou de la tribu des Kwakwaboué, pour penser à l’homme. Ce qui te NAHOUBOU 1er
rend unique dans l'histoire humaine. Oui toi, si tu sais guérir, c'est que tu peux aussi tuer.
NAHOUBOU 1er
LE GUÉRISSEUR (rires)
Unique dans l’histoire humaine.
KABLAN Elle est bien morte la reconnaissance. Tuer celui qui te sauve ? Ce
Entouré par des peuplades pourries d'or, farcies d'or, il est de notre que nous avons fait, nous pouvons le défaire. Tes jours sont plus comptés
tâche de t'apporter tout l'or de la terre. Je sais aussi où habite la plus belle que les miens...
fille du monde. Un geste, souverain enchanteur... Un geste... NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Je veux purger mon pays. Je veux purger mon pays de l'engeance
À boire ! À boire ! des sorciers et féticheurs, de la race des maîtres comploteurs. Savais-tu que
(Un serviteur apporte à boire ; il sert, le Macadou lui ordonne de c'est ton dernier jour aujourd’hui ? Non ! Eh bien tu vas le savoir. Prédire
boire le premier ; le serviteur boit et tombe mort). Ah ! Je m'en doutais. On l'avenir pour les autres et tout ignorer de son propre destin (il rit). Gardes !
veut se débarrasser de moi. La lutte sourde, mais combien implacable (il LE GUÉRISSEUR (impératif)
Ne bougez pas.
NAHOUBOU 1er l’honorable tribu des Kwakwaboué ? Moi le plus souverain des souverains,
Gardes ! (Les gardes restent figés). compter les pas pendant le
-97- -98-
LE GUÉRISSEUR
jour, compter les pas pendant la nuit, interroger les toux, le moindre bruit,
Ne bougez pas, dis-je... (il marche sur le Macadou qui effrayé,
être sans cesse aux aguets ? (Un garde entre apportant le mouchoir remis
tremblant, tombe, se relève, hurle : gardes ! gardes !).
à Losy). Enfin, qu’elle entre ! Losy ! qu’elle entre. Nous allons ensemble
KABLAN
faire l’histoire, tresser au peuple la plus magnifique des couronnes dont la
Il faut le tuer... C’est un serpent, c'est le diable. Braver le
pierre la plus brillante sera ma légende. Qu'elle entre ! Ici, la chaise sur
Macadou, faire tomber le Macadou...
laquelle elle va s'asseoir... Que fais-tu là ? N'entends-tu pas qu'il faut la
LE GUÉRISSEUR
faire entrer ? Entrer, je dis. Un ordre ne serait-il plus un ordre ? Attention,
Le pays va très bientôt pouvoir respirer. Il sera rendu justice de tes
la pagaille, le désordre, l'incompétence, je n’en veux pas.
injustices ! (Lui et ses hommes chantent, sortent... les gardes s'animent).
LE GARDE
NAHOUBOU 1er
Elle a fait envoyer le mouchoir par un messager.
Il me faut sa tête... la tête de tous les sorciers et féticheurs.
NAHOUBOU 1er
KABLAN
Que lui est-il donc arrivé ? Si quelqu'un touchait à un seul de ses
Un geste, souverain enchanteur. Un geste...
cheveux, le ciel deviendrait plus qu'une savane incendiée. Que lui est-il
NAHOUBOU 1er
donc arrivé ? Un messager ! Introduis-le (au messager). Où est-elle ?
(Fatigué, lève péniblement le bras, bâille et murmure) dormir,
LE MESSAGER
dormir... (les conseillers et les gardes bâillent aussi et répètent). Dormir...
Partie.
NAHOUBOU 1er
OBSCURITÉ
Partie ! Partie ! où ?
LE MESSAGER
On dit dans le pays des Goulokata.
NAHOUBOU 1er
Les guerres de Nahoubou 1er Goutakalo ?
LE MESSAGER
NAHOUBOU 1er (seul dans son palais, énervé, va et vient) Goulotaka.
Plus de trois semaines ! Devenir un enfant, un jouet entre les mains NAHOUBOU 1er
jeune fille ! Moi Nahoubou 1er de la dynastie des Nahoubou et de Goulotaka ! Goulotaka ! Depuis combien de jours ?
LE MESSAGER KABLAN
On dit près de vingt jours. Qui ? oh pardon, où avais-je la tête ? Vénéré, Vénérable,
-99- Grand Macadou, lorsqu'un cil de tes yeux bouge, tous nous
NAHOUBOU 1er -100-
Et moi qui l'attendais chaque jour, qui pensais à elle toutes les perdons la tête. Et saura-t-on jamais ce qu'une femme a dans la tête ?
nuits, qui rêvais d'elle en plein jour ! Je la voyais aller, venir ; je l'entendais NAHOUBOU 1er
rire... Où sont-ils partis ? Où se sont-ils réfugiés ?
Partie ! au pays des Goulotaka ! Un pays sauvage... situé je ne sais KABLAN
ou... Avec qui ? Dans le royaume des Goulotaka.
LE MESSAGER NAHOUBOU 1er
On dit avec son fiancé. Les gens de Goulo... de Goulotaka ont osé les accueillir, les
NAHOUBOU 1er abriter... Les gens de Goulotaka m'ont de propos délibéré, provoqué ?
Que dis-tu ? Mais répète donc ce que tu as dit. KABLAN
LE MESSAGER Il fut un temps où ce geste eût été régulier, honorable.
Son fiancé. NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er C’était une tradition, mais pas la tradition. Maintenant, la tradition,
Un fiancé ! Son fiancé. Préférer un sujet au Macadou, se moquer c'est ce que je veux, ce que j'ordonne. Faire crouler l’édifice que je
de moi, bafouer le Macadou, me ridiculiser, ridiculiser le Macadou, le bâtissais, déranger mes plans, protéger mes adversaires, mes ennemis...
pouvoir, la dynastie des Nahoubou, la tribu des Kwakwaboué... Préférer C’est la guerre, la guerre ! Soldats, c'est la guerre... la guerre sainte, la
une masure à un palais. Me braver, me provoquer. Il faut être bien folle
guerre du peuple... Toutes les guerres en une seule guerre (tam-tams).
pour mépriser or, diamant, honneurs... la garce ! la garce ! Les femmes...
les femmes ! m'avoir fait attendre pour mieux se moquer de moi... faire de KABLAN
moi la risée du peuple, de la populace qui ne vit que de cancans, qui ne se Ce que décide royalement un Macadou est bien royalement décidé
complait que dans les rumeurs... Maintenant dans les villages, dans les (bruits de troupes - tam-tams).
hameaux, dans la cabane la plus piteuse où la vermine et les rats disputent NAHOUBOU 1er
le terrain aux hommes, chacun sait que moi, Nahoubou 1er, j'ai été Brûler forêts, savanes, maisons, remplissez le monde d'éclairs,
supplanté dans le cœur d'une femme. Un soufflet à tout le royaume. Losy... d'explosions, d'orages ; jonchez les sentiers de fœtus de rêves ; chaudron,
que dis-je ? Je ne veux plus que nulle part ce nom soit prononcé...
chaudière, fournaise, ainsi doit être le pays de l'ennemi.
Messager de malheur, sors avant que je ne te fasse couper la tête...
Kablan ! Kablan ! Alors ? alors ! ces gens dans les cases, ces gens sur les
marchés, ces gens partout ? Savais-tu qu'elle était partie ? KABLAN
Tu as raison, parfaitement raison. Que tout devienne cendres, que Chacun doit sentir peser sur lui le poids de ta colère et la
les cendres obscurcissent le ciel et que le ciel sache qu'il n'y a plus qu’un puissance de ton bras.
Macadou, toi Nahoubou 1er. Enlever une femme, c'est plus qu'un vol, c'est NAHOUBOU 1er
Lavez mon honneur, votre honneur et qu'en la circonstance, votre
un pillage.
ressentiment soit plus terrible que le mien. Montrez-vous les plus braves
-101- parmi les plus braves. Prouvez à tous que pour l’honneur de votre
NAHOUBOU 1er souverain, vous préférez la mort à la vie.
Peut-on être Macadou et ne pas avoir toujours raison ? -102-
KABLAN KABLAN
Qui pourrait penser cela ? Un Macadou a toujours raison. Les Dieux qui s'abreuvent de trop de sang ne sont pas très loin du
NAHOUBOU 1er diable.
Il me les faut morts ou vivants, plutôt vivants que morts pour les NAHOUBOU 1er
voir mourir. Seraient-ils dans le sein de la terre. Je veux les voir ici à mes Que dis-tu ?
pieds (tam-tams continus). KABLAN
KABLAN Que l'extrême profondeur de ta bonté a certainement abusé les
Ce que décide royalement un Macadou est bien royalement décidé. gens.
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Que tout pays traversé par eux soit rasé, que tout cours d'eau Pouvais-je pardonner une telle offense ?
franchi par eux soit comblé, que toute source à laquelle ils auraient bu KABLAN
tarisse. Non !
KABLAN NAHOUBOU 1er
Soldats, c'est la guerre ! toutes les guerres en une seule guerre, la Peut-on être Macadou et ne pas être aimé ?
guerre totale. Que chacun sache qu'il combat pour la grandeur de la patrie. KABLAN
NAHOUBOU 1er Non !
Soldats que sur votre passage, fumées et poussières se disputent NAHOUBOU 1er
l'espace, que charognards et corbeaux, vautours et hyènes, des lunes et des Laissez la femme faire ce qu'elle veut serait ouvrir la vanne à
lunes, fassent bombance, ripaille ! que vers et mouches crèvent toutes les audaces, aux habitudes les plus détestables. N'est-il pas de mon
d'indigestion... que l'année soit pour eux tous l'exceptionnelle année devoir de prévenir tous les désordres, de veiller sur le bonheur de tous ?
d'abondance. Pouvais-je pardonner ?
KABLAN KABLAN
Non ! Tu fais bien.
NAHOUBOU 1er Je connais une belle jeune fille qui ferait une excellente reine. Elle
Trop bon ! j'ai été trop bon ! et voilà que tout se coalise contre moi. est du village de Napleka.
Ah ! Dormir ! NAHOUBOU 1er
KABLAN
Ma rancune est une rancune de marbre. Je réduirai à néant tous
Le remède le plus souverain que je connaisse contre l'insomnie est
une caresse de femme. ceux qui m'auront porté ombrage. Les têtes rebelles, je les fais trancher...
NAHOUBOU 1er KABLAN
Dormir ! Napleka est à quelques jours de marche seulement, mais
-103- -104-
KABLAN
Y a-t-il au monde fleur plus charmante qu'une femme ? pour nos valeureuses troupes, la distance constitue à une foulée. Et elle est
NAHOUBOU 1er charmante la jeune fille de Napleka.
Ne me parlez plus de femmes Kablan, plus jamais de femme ! NAHOUBOU 1er
KABLAN Oser me braver, moi Nahoubou 1er de la dynastie des Nahoubou
Que ton palais soit plein de fleurs souriantes, gesticulantes, de la tribu des Kwakwaboué... (On voit passer des prisonniers). Sont-ils de
murmurantes, caquetantes, mêlant à tes pieds leur parfum, leurs Goulotaka ?
chevelures, emplissant tes demeures de leur sublime éclat. KABLAN
NAHOUBOU 1er Oui…
Dormir d'abord, dormir. NAHOUBOU 1er
KABLAN (coquin) Que leurs têtes aillent ricaner au bout des piques dans les rizières...
Vaincre tous les bataillons sous tous les cieux est signe de Oser me braver moi le maître... (entrée d'Amon, Aka et Kouame).
puissance, de virilité (des chariots chargés d'or passent poussés par des AMON
hommes en loques et fatigués. Quelques-uns tombent, morts en route. On Vénérable Macadou, des délégations voudraient te parler.
les écarte du pied pour faire avancer les chariots, puis on en traîne NAHOUBOU 1er
certains par les pieds pour les jeter au dehors. Toujours dans le lointain le Depuis quand attendent-elles ?
rugissement continu, permanent du tam-tam de guerre). KABLAN
NAHOUBOU 1er Depuis deux mois.
C’était pour elle. Tout ça pour elle... Ah ! aussi malheureux qu’un NAHOUBOU 1er
pauvre sujet, elle me ramène au niveau des hommes. Deux mois ?
KABLAN KABLAN
Notre Macadou a à penser et non à se dépenser ; et le temps qu'on Que ne peut-on faire avec de l'or ? J’en ai semé dans toutes les
met à avoir une audience de toi en ajoute à ta gloire. Il faut que tout le maisons, et la colère a partout monté comme feu de brousse en saison
monde sache que tu es accablé de travail ; que mourant sous le poids du sèche, comme tornade dans un ciel sans nuages, tout d'un coup... Kpouf !
travail, c'est un sacrifice immense, une faveur exceptionnelle que de NAHOUBOU 1er
recevoir une délégation. Et depuis le feu s'étend partout.

NAHOUBOU 1er KABLAN


Tu es un homme précieux (il lui donne une bourse). Mais deux Il précède et suit les troupes. On peut résister à la voix d'une
mois... femme, à la force brutale, mais jamais à la muette persuasion de l'or, au
-105- reflet de l'or.
KABLAN -106-
Dans les antichambres du palais, nous prenons conscience de ta NAHOUBOU 1er
grandeur, de ta puissance ; Me faudra-t-il les attendre, ces délégations ?
NAHOUBOU 1er (bâillant) KABLAN
Et cette jeune fille de Napleka qui pourrait être la plus belle des Les voici (entrée des délégations).
reines ? LE PLUS ÂGÉ
KABLAN (De la première délégation, quatre hommes)
La troupe est à sa recherche. Macadou, auprès de qui l'éléphant devient fourmi, nous
NAHOUBOU 1er t'apportons le trône des Adjamans (entrée de la deuxième délégation, deux
Pouvoir dormir enfin. hommes).
KABLAN LE PLUS ÂGÉ
La jeune fille de Napleka te procurera le plus réparateur des Macadou, puissant dont le moindre murmure s'entend plus loin
sommeils. Elle est d'une région dont les femmes ont la réputation de que la voix du tonnerre, nous sommes heureux de venir nous abriter sous
réveiller même les morts. ton aile. Voici le trône que nous avons arraché à notre Macadou (entrée de
NAHOUBOU 1er la troisième délégation, un homme).
Régner sur des peuplades et des peuplades. Etre celui dont on L'HOMME
quête le sourire, la poignée de mains... Celui dont le moindre geste prend Partis vingt, j'arrive seul, après avoir marché pendant cent
des proportions incommensurables pour des familles, des continents. Sont- soixante-cinq jours.
elles contentes d'avoir renversé leurs Macadous ? NAHOUBOU 1er
KABLAN Deux cent soixante-cinq jours ?
L'HOMME Que Dieu prolonge ses jours et le bénisse ! L'avoir vu de nos yeux
Oui, six cent soixante-cinq jours pour venir te confier notre sort. est un suprême honneur et un suprême bonheur. (Les étrangers sortent.
Sois pour nous la pluie fertilisante. Entrée d'un messager en loques).
KABLAN LE MESSAGER
La terre ni a jamais connu de Macadou aussi puissant que le Macadou, il n'a pas été possible d'enlever la plus belle jeune fille
nôtre... du village de Napleka.
L'HOMME KABLAN
C'est un don du ciel. Vous êtes un peuple comblé. On nous a Que dis-tu ?
partout vanté la générosité du Macadou, son exceptionnelle intelligence. NAHOUBOU 1er
Où est-elle, la troupe ?
KABLAN (équivoque) LE MESSAGER
La plus exceptionnelle que le monde ait jamais eue. Morte.
-107- NAHOUBOU 1er
L'HOMME Que fait-elle ?
Nous allons avoir la chance de vivre sous un tel Macadou... le seul -108-
du reste dont le nom ait franchi les frontières... LE MESSAGER
KABLAN Morte sur place.
Notre Macadou est un Macadou-dieu. Même ses ennemis le les NAHOUBOU 1er
situations les plus difficiles, il les retourne en un clin d'œil. Il a le savoir- Bien ! Une troupe royale toujours meurt sur place. Que d'autres
faire, le secret des phrases qui apaisent, désarment, endorment. prennent la relève, car je la veux cette jeune fille de Napleka.
L'HOMME KABLAN
Un véritable don du ciel. Ça doit être un extrême plaisir que de Que toutes les troupes aillent se distinguer dans le village de
vivre sous un tel maître. Napleka.
KABLAN NAHOUBOU 1er (à Aka)
Un plaisir infini. Le seul maître qui ait toujours déclaré les guerres Va à la montagne sacrée et dis à Bacoulou que le Macadou des
pour de hautes raisons d'État et après mille et mille hésitations. Le sang Macadous veut le voir.
humain pour lui est très sacré. KABLAN
L'HOMME Te résister est une atteinte intolérable à l'honneur du pays.
AMON
Porter la guerre partout sans raison valable.
NAHOUBOU 1er C’est vrai. On dit toujours tel pays a été battu.
Quoi ? me braver n'est pas une raison assez valable ? AMON
AMON Que de ruines chaque jour accumulées, de détresses...
On fait la guerre sous trop de prétextes, et souvent même sans NAHOUBOU 1er
prétexte. Les ruines pour moi, les morts pour moi, c'est mon honneur, ma
KABLAN force qu'on voudrait braver. Ceux qui meurent, pourquoi ne refusent-ils pas
Vive le Macadou ! Vive le Macadou ! de mourir s'ils ne mouraient pas avec allégresse ? Au front, on se bat pour
AMON vivre. Il n'y a que vous pour penser à la mort.
Que dire aux gens des causes réelles des guerres actuelles ? AMON
NAHOUBOU 1er Le pays avait placé en toi sa confiance la plus totale quelle place
À quelles gens ? occupe-t-il maintenant dans tes rêves grandioses de dynastie à instaurer ?

AMON NAHOUBOU 1er (rire méchant)


Aux femmes, aux hommes. Le pays ! le pays ! argument suprême des conspirateurs
-109- -110-
NAHOUBOU 1er (méprisant). Les hommes, les femmes. Ah, cette volonté morbide de
Parlez-leur de violations de frontières, de protection de frontières, retourner au passé, de s'accrocher à un passé qui chaque jour davantage
d'intrusion dans les affaires intérieures, de dévastations de plantations, s'éloigne de nous ! Soyons du présent et sachez tous, et sachez-le bien, que
d'incendies de forêt, d'enlèvements de femmes, d'insultes à tout le pays... tout a changé. Il n'y a plus que moi. Que jamais plus donc on ne me parle
Le peuple n'a pas à connaître les causes réelles des guerres. de peuple.
AMON KABLAN
Quelle époque ! Nous étions mieux sous les Macadous précédents. Vive le Macadou ! Vive le Macadou !
KABLAN NAHOUBOU 1er
Vive le Macadou ! Un conseiller qui discute, raisonne, veut penser alors que je pense
NAHOUBOU 1er pour tous. Vouloir devenir mon rival. Chercher à comprendre... Ne pas
Cette guerre, je la veux. Dût-elle durer dix, vingt, cinquante, cent, savoir profiter en silence des bienfaits d'un Macadou est une véritable
mille ans u Je la ferai faire par vous, par vos enfants. Qu'est-ce que vous malédiction. Gardes, je l'ai assez vu (les gardes entraînent Amon).
croyez ! Mon honneur est en jeu, et mon honneur c'est aussi l'honneur du AMON (sortant)
royaume... Dieu fasse que tu te réveilles assez tôt de ta longue ivresse, que tu
KABLAN sortes de tes rancunes de marbre, qu’il y ait moins de sang sur les mains...
NAHOUBOU 1er (riant) Oh! Oh!
Du sang ! Pauvre homme ! Du sang ! Oublie-t-il que les empires KABLAN
poussent dans le sang, vivent dans le sang ! Qu'à un Macadou de ma De quel Macadou peut-on parler de nos jours ?
classe, il faut une couronne de sang, une auréole de sang ! (Passent des VÉRITÉ
prisonniers et des butins de guerre). Je ne sais pas, moi.
KABLAN LES CONSEILLERS
Oui, tu as raison, mille fois raison. Il faut porter la guerre chez les Oh! Oh!
voisins. Il faut les tuer, que le sang coule plus tumultueux que fleuve en KABLAN
saison de pluie, que la voix des mourants domine la voix de l'ouragan le N'as-tu jamais entendu parler du maître omnipuissant dont les
plus déchaîné. Il faut les dépouiller de tout, que la faim et la peur leur prouesses ne cessent de troubler les macadous morts depuis des millénaires
tiennent compagnie. Conquérir, c'est agir de telle sorte que chacun ait peur ?
de sa propre ombre (rumeur venant du dehors ; on entend : voleur ! voleur VÉRITÉ
! voleur ! On introduit Vérité.) Depuis quand est-il Macadou ?
KABLAN LES CONSEILLERS
Ton nom ? Oh ! Oh ! Quel insolent !
-111- -112-
VÉRITÉ NAHOUBOU 1er
Vérité. L'horizon effrayé à mon approche s'enfuit, et il y a encore sur terre
KABLAN des hommes qui n'ont jamais entendu gronder le tonnerre !
Un nom ou un surnom ? KOUASSI
VÉRITÉ De quel village es-tu ?
Mon nom ! VÉRITÉ
KOUASSI Mon village est à dix jours de marche.
Où as-tu caché l'or ? LES CONSEILLERS
VÉRITÉ Dix jours de marche.
Quel or ? KOUASSI
KOUASSI Et tu n'as pas encore entendu parler de notre Macadou, le maître du
L'or du Macadou. monde ?
VÉRITÉ VÉRITÉ
De quel Macadou ? Si ! Dans mon village, au moment du carnaval, il y a un Macadou
LES CONSEILLERS qu'on nomme le maître du monde, s'agit-il de celui-là ? Moi aussi je me
déguisais en Macadou. Je traînais à ma suite des centaines de courtisans et Il est mort depuis le jour où il a bu dans le crâne...
des milliers de sujets. C'était pour une semaine et pour rire. Pendant cette LES VOIX
semaine-là il était difficile de démêler le vrai du faux. Tout était illusion. Il a tué sa mère.
Etes-vous en période de carnaval ? Il a tué son frère...
LES CONSEILLERS NAHOUBOU 1er
Oh ! Oh ! Quel insolent ! Tais-toi ! (Un coup part au dehors). Il m'a tué (il tombe).
KABLAN KABLAN
Sais-tu que tu vas mourir ? Il a tué le Macadou. Je l'ai vu... (le Macadou se relève et regarde
les hommes de l'entourage l’un après l'autre... Vérité rit).
VÉRITÉ KOUASSI
La vérité ne meurt pas. Elle triomphe de tous les mensonges. Et moi aussi.

KABLAN LES GARDES


Sais-tu que tu vas mourir ? Et nous aussi.
-113- -114-
VÉRITÉ ENSEMBLE
Savez-vous que votre Macadou va mourir très bientôt ? Nous l'avons vu tuer le Macadou.
LES CONSEILLERS VÉRITÉ
Notre Macadou, Nahoubou 1er ? Mascarade ! Mascarade !
NAHOUBOU 1ER NAHOUBOU 1er
Qui vous dit que c'est moi ? Tuez-le ! Tuez-le ! Vérité. Depuis quand un homme porte-t-il ce
VÉRITÉ nom ? Vérité. (Vérité est emmené par les gardes.)
Il est même mort. LES CONSEILLERS
LES CONSEILLERS Tuez-le ! Tuez-le !
Que dis-tu ? LES VOIX
VÉRITÉ Il a tué sa mère.
Vous vivez sous le règne d'un mort. Un cadavre vous fait trembler. Il a tué son frère...
LES CONSEILLERS NAHOUBOU 1er
Un mort, un cadavre...
VÉRITÉ
Taisez-vous ! Maudites voix. Soldats, j'ordonne qu'on m'apporte Cela ne compte pas. Les enfants de Babakou ne comptent pas. La
ici arrêtées et enchaînées les voix qui ne cessent de me braver, de me mort de ma fille est un mauvais présage ! Dieu que t’ai-je donc fait pour
narguer. tant m'accabler ? (Pleurant) Ma fille! Oh! ma fille! Ma fille! (Regarde les
LES VOIX
conseillers).
Il a tué sa mère.
Il a tué son frère… LES CONSEILLERS (pleurant)
NAHOUBOU 1er Ma fille, ma fille, oh ! ma fille... (tam-tam monte crescendo).
Toutes les voix, même les voix au berceau ; je ne veux plus
entendre d'autres voix que la mienne... Ah, pouvoir dormir... dormir un
tout petit peu. Bacoulou lui seul peut m'aider à retrouver le sommeil, à ne
plus voir les spectres qui me poursuivent jour et nuit... (coup de feu au OBSCURITÉ
dehors). Voilà comment je traite la Vérité. Je l'enterre.
UN MESSAGER
Macadou, ta fille...
NAHOUBOU 1er
Eh bien ?
LE MESSAGER
Un serpent l'a mordue...
-115- -116-
NAHOUBOU 1er La révolte des femmes
Un serpent ? Mordre ma fille ! Mon unique enfant ?
KABLAN
Nahoubou 1er et sa cour
Si mes conseils avaient été suivis ce malheur aurait été évité. Je
connais la malfaisance des serpents de ce pays. NAHOUBOU 1er (à Aka qui entre)
NAHOUBOU 1er As-tu vu Bacoulou ?
Ma fille ! Ma fille ! Un serpent ! Est-ce possible ? Qu'ai-je donc AKA
fait à Dieu. Pourquoi sur moi seul déchaîner sa colère ? N’ai-je pas fait Nulle part, je n'ai trouvé trace de Bacoulou.
comme les autres ? NAHOUBOU 1er
KOUASSI C’est dans la forêt sacrée qu'il fallait partir.
Le vieux Babakou avait le même jour dans un accident perdu trois AKA
de ses enfants. La forêt sacrée n'existe plus.
NAHOUBOU 1er KABLAN
La forêt sacrée n'existe plus ? Nos dieux nous abandonneraient- la foi qu'on soulève les montagnes. Or je veux qu'ensemble nous
ils ? Qu'allons-nous devenir ? soulevions les montagnes, toutes les montagnes...
AKA AKA
A sa place un repaire de serpents, de vautours, de scorpions. Les hommes ont faim !
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Je comprends... Il le fallait. Il aurait pu parler... Mon honneur était Moi aussi j'ai faim !
en jeu... Pour asseoir sa réputation, pour ne tolérer aucune limitation à son KOUASSI
pouvoir, un bon potentat se doit de ruiner ou d'exterminer tous ceux qui Les hommes, eux, ont faim de faim véritable et non de puissance,
l'ont aidé à se hisser sur le trône. Lui seul pourtant pouvait me guérir. Alors de gloire.
que plus personne ne dorme dans mon royaume, qu'aucun animal, aucun NAHOUBOU 1er
oiseau, jamais plus ne se repose, ne ferme l'œil... (rires). On a ri ! Qui a osé Et pourquoi dansent-ils ?
rire ? (Aboiement de chiens). Un chien a aboyé. Un chien a aboyé. N'avais- KOUASSI
je pas ordonné d'arrêter toutes les voix ? Lorsque je parle, tout dans la Ils dansent pour tromper la faim et la soif. Ils font du bruit pour
nature doit se taire. (Aboiement de chiens.) Arrêtez-moi chiens et effrayer la faim et la soif.
propriétaires de chiens. Dresser les chiens pour me couper la parole, pour AKA
protester ! Me faire dialoguer avec les chiens ! Nous avons terriblement faim, atrocement faim de mille choses.
-117- -118-
KABLAN NAHOUBOU 1er
Tuez tous les chiens au nom du Macadou Nahoubou 1er Alors saisissez-moi tous les tam-tams si les hommes n'entendent
NAHOUBOU 1er plus danser pour moi.
Je disais donc (coups de pilon). Encore ! Des coups de pilon KOUASSI
lorsque je parle. Une imagination diabolique. Sortez de mon empire pilons Mais...
et mortiers. NAHOUBOU 1er
KOUASSI Pas de mais. Il faut obéir. Ce que tu es, tu me le dois. Je t'ai sorti de
Les hommes ne mangeraient-ils plus ? l'ombre, je t'y rejette. Va croupir dans la misère. Le trône, je l'ai acquis
avec le sang des miens (les autres se regardent). Je ne suis pas fait pour
NAHOUBOU 1er (surpris) amuser la galerie, pour jouer au Macadou. La loi, c'est moi. Des forces
Manger ! Manger ! Ne penser qu'à manger ! ... N'avoir pour immenses sont à ma disposition pour exécuter le moindre de mes caprices,
horizon que le ventre, pour objectif que le ventre ! Est-ce que je mange, pour étayer mon pouvoir. Gardes ! (Les gardes entraînent Kouassi.)
moi ? Il faut avoir faim pour accomplir des prodiges. C’est avec la faim et KOUASSI (sortant)
La loi n'est pas caprice d'un homme. La loi, c'est la volonté de tous À dire vrai, pas un très grand village ; par l'étendue, cela s’entend.
pour les intérêts de tous. NAHOUBOU 1er
LES VOIX On avait pourtant prétendu que c'était le village le plus important
Il a tué sa mère. qui ait jamais été assiégé.
Il a tué son frère. LE MESSAGER
NAHOUBOU 1er C’est vrai. Une résistance farouche, forcenée, folle ! Une
Ces voix ! Gardes ! Arrêtez-moi le vent. Fusillez-moi le vent ; insouciance absolue de la vie.
fusillez toutes les voix (les gardes sortent). Je ne veux plus les entendre NAHOUBOU 1er
(coups de fusil). Voilà qui est fait. Me narguer, moi, Nahoubou 1er de la Je ne comprends plus.
dynastie des Nahoubou, de l'impériale tribu des Kwakwaboué. Oui, tuez
tout ce qui est vent, brise, zéphyr, typhon, bourrasque, cyclone, tempête,
tout ce qui peut encore porter les voix diaboliques, les supporter, les LE MESSAGER
charrier, les drainer (coups de fusil). Coups de fusil, marque essentielle de Petit par l'étendue, mais combien sublime par le courage, par le
la puissance. Que s'élèvent de partout pleurs, supplications, prières, râles refus de se laisser corrompre d'abord, de se laisser battre ensuite ; tous les
d'agonie (pleurs d'enfant). Contre-moi dès le berceau ! Inculquer à l'enfant moyens ont, en vain, été employés. Et les plus acharnés à défendre le
la haine de la force, le mépris de ma dynastie (coups de fusil). Oui ! Oui ! village ce sont les femmes et les jeunes gens.
Je ne veux plus rien entendre, excepté l'écho de ma voix, de ma voix NAHOUBOU 1er
impériale.
Les femmes et les jeunes gens ?
-119-
-120-
KABLAN
LE MESSAGER
Vive le Macadou ! Vive le Macadou !
Oui, les femmes et les jeunes gens. Ils disent qu'ils défendent leur
NAHOUBOU 1er
avenir, leur liberté, leur dignité...
L'écho de ma propre voix, partir pure, revenir pure... dans le grand
NAHOUBOU 1er
silence respectueux. (Un messager en loques vient d’entrer.) Et cette belle
Leur dignité ? Peut-il exister une dignité hormis ma dignité ? Trois
jeune fille de Napleka ?
mois de siège et toujours rien ! Mais que font-elles donc les troupes ?
LE MESSAGER
LE MESSAGER
Le village est toujours imprenable.
Elles meurent toutes sur place, sans jamais pouvoir avancer, ni
NAHOUBOU 1er
reculer. Elles meurent encerclées, en criant vive Nahoubou 1er.
Le village est toujours imprenable. Un village me résister ?
NAHOUBOU 1er
Résister à toutes mes troupes ? Est-ce un grand village ?
Elles meurent pour moi, pour asseoir ma dynastie, pour ma
LE MESSAGER
fortune... La prestigieuse histoire qui va être la mienne demain...
LE MESSAGER Devant la passivité des hommes, devant le silence apeuré et
C’est le village du diable, où le vent, la pluie, les moustiques, les obstiné des hommes, nous avons décidé de parler, nous, les femmes.
maladies, le village où tout se ligue pour décimer les troupes. PREMIÈRE FEMME
NAHOUBOU 1er Il faut que nos enfants et nos maris rentrent chez eux.
Un petit village tenir en échec les troupes les plus aguerries du NAHOUBOU 1er
monde ! Me tenir en échec, moi à qui la victoire et la gloire ont mission de Où ne sont-ils pas chez eux ?
sourire ! LES FEMMES
LE MESSAGER Ton nom nous coûte trop cher.
Mortes les troupes ! DEUXIÈME FEMME
NAHOUBOU 1er Nous n'avons pas donné la vie à nos enfants pour qu'on les sacrifie
Qu'on en envoie d'autres pour la bataille. Je la veux à tout prix dans des guerres de rapine et de prestige.
cette jeune fille de Napleka. J'ai le sentiment qu'elle seule me guérira de LES FEMMES
mon insomnie. Pour elle, portez le feu partout, la mort partout : pour elle Non ! Mais pour qu'ils vivent.
que tout flambe, que les pierres se liquéfient, que le sol devienne braise, NAHOUBOU 1er
que la terre prenne couleur de sang que... (bruits au dehors et entrée de Des guerres de prestige ? Non, des guerres de nécessité (rires des
-121- femmes). Je veux que vos enfants...
LES FEMMES
Que tes enfants...
-122-
quatre femmes portant le deuil de leurs enfants, de leurs maris). Des NAHOUBOU 1er
femmes, porter le deuil, lorsque pour elles je pétris l'histoire, que je prépare Que vos enfants aient la même vie, que dis-je, une vie meilleure
pour tous le plus fabuleux festin ? que celle des autres, je veux faire d'eux des surhommes non plus les
LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES serviteurs des serviteurs, des mendiants de vie, de bonheur. Nous avons à
Nous ne voulons plus de guerre. nous battre, à nous battre (rires des femmes).
NAHOUBOU 1er LES FEMMES
Qui a jamais voulu la guerre ? Moi non plus je n'en veux pas. Elle À nous battre pour ta gloire.
m'a été imposée. (Rires des femmes). Viols de frontières, dévastations de NAHOUBOU 1er
plantations, intrusions dans les eaux territoriales (rires des femmes). Personne ne me comprend (soupirs). C'est le fossé. Il revient aux
LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES armes de me maintenir, de me porter, de m'imposer. Il me faut faire de
chaque homme le chien de garde de sa propre faim.
LES VOIX fièrement
Il a tué sa mère.
Il a tué son frère. LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES
NAHOUBOU 1er pour te dire que nos enfants n'iront plus à la guerre.
Taisez-vous ! Qui n'a jamais tué quelqu'un ? Ah ! pensez-vous qu'il
faille nécessairement verser du sang pour être homicide ? Regardez mes LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES
mains, elles sont propres (rires des femmes). Ai-je jamais été compris ? Que nos maris
LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES LES FEMMES
Nous avons compris. Nous avons compris que nos maris ont été N’iront plus à la guerre (rires du Macadou).
ruinés pour la gloire... KABLAN
LES FEMMES Plus à la guerre ! (Regard du Macadou.) Vive Nahoubou 1er !
d'un homme. Vive le Macadou !
LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES
LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES Caméléon.
Que nos frères sont morts pour la gloire. LES FEMMES
Serpent ! (Ironiques, imitant Kablan.) Vive le Macadou ! Vive le
LES FEMMES Macadou ! (Rires.) Ça un homme !
d'un homme. LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES
-123- La terre est assez grande pour que chacun ait un lopin à lui.
LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES -124-
Que nos enfants continuent de mourir pour la gloire... NAHOUBOU 1er
J’agrandis pour chacun le lopin de terre.
LES FEMMES LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES
d'un homme, toi ! tout le monde a compris. Ton nom, ton nom Nous refusons qu'on rende vaines nos souffrances de mères... qu'on
seul... méprise la vie de nos enfants. Nous avons risqué la mort en les mettant au
monde.
LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES LES FEMMES
Que les hommes courbent la tête ! Nous, on la relève fièrement... Oui !
LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES
LES FEMMES
Combien de monuments as-tu élevés à la mémoire des mères de Ai-je jamais été compris ?
famille et des femmes mortes en couches ? UNE TROISIÈME FEMME
UNE FEMME Qui nous a attaqués ?
On nous fait mourir deux fois, mourir en couches et mourir sur les LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES
champs de bataille. Apprendre à nos enfants à tuer, à piller. Non ! Nous donnons le
LES FEMMES jour à des hommes et non....
Ah !, on t'a trop longtemps laissé faire. LES FEMMES
UNE FEMME à des assassins.
Maintenant, c'est... NAHOUBOU 1er
LES FEMMES Les femmes ! Les femmes ! La grande inconnue, l'énigme dans la
fini... fini... fini... vie... Refuser l'or.
NAHOUBOU 1er (à Kablan en le fixant) KABLAN
Alors ! Refuser l'or !
KABLAN (baissant la tête) LES FEMMES
Je ne comprends plus. Oui, oui...
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Qui ? Quoi ? Des femmes refuser l'or ?
KABLAN
Les femmes. Les temps ont énormément évolué. Je ne comprends LES FEMMES
plus. Nos enfants valent plus que de l'or. Leur vie est plus précieuse.
-125- -126-
LES FEMMES (jetant des poignées d'or) KABLAN
Le voici, ton or. Les femmes (regard de Nahoubou 1er). Vive le Macadou ! Vive
LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES Nahoubou 1er !
Ton or qui empâtait la bouche des hommes. LA PLUS ÂGÉE DES FEMMES
UNE FEMME Plus aucune troupe ne sera levée dans le pays.
Qui alourdissait la langue des hommes. LES FEMMES
UNE DEUXIÈME FEMME Plus jamais ! Plus jamais, plus jamais (elles sortent).
Qui enivrait les hommes. NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Suis-je un bon ou un mauvais Macadou ?
KABLAN Je veux qu'on tue les batteurs de tam-tams ! Enfin qui
C'est le peuple qui est mauvais. commande ? Suis-je le Macadou, oui ou non ? (Coups de plus en plus
NAHOUBOU 1er furieux.) Mais...
Parle-moi très franchement, nous aimons qu'on nous dise la vérité. AKA
KABLAN Le peuple ne vit plus que de tam-tams et de danses...
Tu es le meilleur de tous les macadous du monde. NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Mais ! Ce sont des appels à la révolte.
Incompréhension humaine ! Me parler de mort, de vie, de soldats, AKA
Cela devait arriver.
lorsqu'il s'agit de grandeur, d'immortalité. Me parler de faim, de
NAHOUBOU 1er
souffrances ! Quelles souffrances ? (Coups de tam-tam). Encore des tam- Des tam-tams de colère. Dans quel monde sommes-nous entrés ?
tams dans le pays ? Et les battre lorsque je parle ? N'avais-je pas ordonné C’est le peuple qui se fâche, au lieu que ce soit moi, le Macadou.
AKA
de faire taire les tam-tams, tous les tam-tams ?
Oui, des tam-tams de colère. Longtemps contenue elle éclate
AKA enfin !
Comment faire taire un tam-tam ? NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Et pourquoi ? Pour quoi ?
Tuez tous les batteurs de tam-tams. KABLAN
Nous avions un si bon Macadou (regard de Nahoubou). Nous
Mais...
avons un si bon Macadou !
-127-
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Pas de mais. Dépeuplez l'empire s'il le faut, mais que les tam-tams Pourquoi la révolte ? N'ai-je pas tout fait pour le bonheur
se taisent. -128-
KABLAN de tous, le bonheur de l'empire ? Alors... dites-le moi, pourquoi la révolte ?
Les mains pures du Macadou brillent comme des étoiles dans les Une révolte insensée (silence). Dites-le moi.
ténèbres. KABLAN
NAHOUBOU 1er Tu es le meilleur et le modèle de tous les Macadous.
NAHOUBOU 1er
Pourquoi donc cette révolte insensée ?
AKA LA FOULE
Le bâillon, la faim, la guerre permanente... Elle est avec nous...
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
La guerre permanente. Je la fais pour vous enrichir. Mais c'est donc un complot ! Tirez ! tirez ! (il s'empare d'un fusil...
KABLAN les coups ne partent pas).
Oui, oui, c’est vrai… AKA
AKA Les fusils même sont fatigués de tuer. Les flots de sang ont noyé la
La vanne ouverte à tous les appétits qui permet, autorise toutes les poudre.
exactions. NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Fatigués de tuer ! Qu'ont-ils fait pour être si tôt fatigués ?
Peuple ingrat. Je ferai son bonheur malgré lui, moi, ma dynastie... AKA
La dynastie des Nahoubou dont l'ombre va couvrir le monde (rires). Les Depuis six mois, ils ne se sont jamais tus. Ils n'ont cessé d'aboyer
Nahoubous partout et puissants... à tous les carrefours, à tous les relais... à de par le monde.
tous les points d'eau. Nahoubou 1er, Nahoubou II, Nahoubou XV, NAHOUBOU 1er
Nahoubou XXVII... (rires). Le silence que j'exige est un silence salutaire. Fatigués de tuer. Suis-je, moi, fatigué d'être ce que je suis ? (La
Ah, qu'on ne fasse pas de moi l'homme terrible, le Macadou implacable, le foule hue).
maître sanguinaire que je refuse d'être !... Remerciez le ciel de vous avoir KABLAN
donné un maître aussi attentif et humain que moi (le tam-tam qui avait Silence ! (La foule hue). Quand le Macadou parle...
décru augmente d'intensité, bruit de foule). Le tam-tam ! Le tamtam ! Je LA FOULE (hue)
veux qu'il se taise. Je saurai mâter toute révolte. Les têtes indociles, je les On a compris... la bonté de Nahoubou... le courage de Nahoubou...
ferai tomber. J’ai encore des troupes à ma disposition. Je commencerai par (elle hue, apparaît un serpent). Tuez-le ! Tuez-le !
vous (fuite de Kablan et Aka). NAHOUBOU 1er
-129- Ne le tuez pas !
-130-
LA FOULE LA FOULE
(Faisant irruption sur la scène ramène Kablan. Aka. Elle hurle.) Un serpent. Un Nahoubou. Tuez-le !
Plus de guerre ! Plus de guerre ! Plus de guerre ! NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er (aux gardes) Ne le tuez pas ! Ne le tuez pas !
Tirez ! Tirez ! Tirez ! (Les coups ne partent pas. La foule hue, rit). LA FOULE
Appelez-moi la troupe de réserve à la lisière du village. Nahoubou ! Serpent ! Nahoubou ! Serpent ! (huée) On a compris.
UN HOMME n'ayant de maîtres que les mains qui les tiennent, je vous déteste, je vous
C'est l'homme qu'on peut tuer pour la grandeur de la dynastie des méprise... Vos victoires ne seront jamais des victoires. J’ai compris... j'ai
Nahoubou (rires de la foule). compris... Dieu, donne-moi encore assez de temps pour achever mon
(Kablan tue le serpent. Aussitôt coups de tonnerre, cris, râles œuvre. Ce que je veux, c'est rassembler les esprits, les cœurs, les âmes...
d'agonie.) mêler les couleurs que tu as essaimées de par le monde. Unifier les
LA FOULE langues, les mœurs, pacifier... Ah, dormir (il bâille), dormir. Qui veut me
Il est mort, le serpent... Nous l'avons tué (elle danse sur place, en prêter un peu de sommeil ? Me réchauffer ce palais d'un froid de marbre...
répétant) Tué ! Tué ! Tué ! Tué ! (puis elle hue, se retire en emportant Redonner vie à tout ce qui m'entoure, et sève à tout ce qui doit germer ?
trône, entraînant Kablan, Aka, gardes).
Qui ? J’ai failli. Je reconnais avoir failli. Mais est-ce vraiment une faillite ?
LES VOIX
Il a tué sa mère. Quel Macadou a jamais déposé un bilan ? Pourquoi serais-je le premier ?
Il a tué son frère. Et qui nie demande un bilan ? Ma faute, c'est d'avoir trop aimé ce peuple...
NAHOUBOU 1er de m'être pris pour un dieu... mais à voir toutes ces têtes courbées, ces
Taisez-vous ! (Il s'empare d'un fusil et tire.) forêts de mains tendues vers moi, à entendre les louanges et les hommages,
LES VOIX qui à ma place ne se serait pas pris pour un dieu ? Qui ? Qui ? Qui ?
Il a tué sa mère (il tire).
Il a tué son frère (il tire).
NAHOUBOU 1er
Je me charge moi-même de faire la police. Elle va être bien faite.
OBSCURITÉ
Soyez-en certains ! Bien faite !
LES VOIX
Il a tué sa mère.
Il a tué son frère.
(Il tire, tire, tire sur les voix qui se font entendre de partout ; le
fusil ne résonne plus.)
-131- -132-
NAHOUBOU 1er (au fusil) Mort de Nahoubou 1er
Tu es aussi devenu complice. Tu te tais au moment où j'ai le plus
besoin de toi (il le jette, le piétine). Voilà, c'est ainsi que je traite mes
NAHOUBOU 1er (seul en scène)
adversaires. M'affronter, moi, Nahoubou 1er de la dynastie des Nahoubou,
Incompris. Et pourtant je ne travaillais que pour ces hommes ! Je
de l'impériale tribu des Kwakwaboué ! (Il ramasse le fusil et le jette au
n'ai fait que cela nuit et jour. Je n'ai pensé qu'à cela des années durant, sans
dehors.) Voilà ce que je fais désormais des fusils. Fusils sans maîtres
jamais prendre de repos, sans jamais fermer l'œil. Usé ma santé, dilapidé VÉRITÉ
ma fortune... (entrée de Vérité). Je te reconnais. Tes mains ! Tes mains ! Et ses enfants ? Qu'as-tu fait d'eux ?
VÉRITÉ Assassinés.
Moi aussi je te reconnais. J’ai l'habitude de toujours rattraper ce NAHOUBOU 1er
qui n'est pas vrai. Ils me portaient ombrage.
NAHOUBOU 1er VÉRITÉ
Vérité… Vérité… Tu assassines par reconnaissance ! Que nombreuses ont été tes
VÉRITÉ victimes !
On ne tue pas Vérité. On n’enterre pas Vérité. Nahoubou 1 er de la NAHOUBOU 1er
dynastie des Nahoubou de l’honorable tribu des Kwakwaboué… Que As-tu pensé au trésor de patience qu'il m'a fallu dépenser pour
nombreuses ont été tes victimes. édifier l'empire ? Pour tenir les uns, maintenir les autres ? Pour donner à
NAHOUBOU 1er tous le même langage ? S’il y a eu quelques morts peut-on appeler cela
Quelles victimes ? C’est moi la victime. hécatombes de victimes ?
LES VOIX VÉRITÉ
Il a tué sa mère. Ils sont là, tes morts.
Il a tué son frère. NAHOUBOU 1er
NAHOUBOU 1er Regarde mes mains, je n'ai jamais tué.
Silence. Ah Bacoulou… lui seul… VÉRITÉ
Ils sont des milliers. Ta gloire et ta fortune ont été bien lourdes
VÉRITÉ
pour tous.
Bacoulou ! Bacoulou. Tu sais bien comment est mort Bacoulou. NAHOUBOU 1er (riant)
Ne l'avais-tu pas fait chasser de la montagne sacrée ? N'avais-tu pas lancé à Mes morts ! Qu'ils viennent ici témoigner.
ses trousses tous les sorciers et féticheurs de ton prétendu empire ? Oui, il VÉRITÉ
t'avait aidé, mais qu'as-tu fait de lui ? N’as-tu pas transformé la région en un immense cimetière ?
-133- -134-
NAHOUBOU 1er (Rire de Nahoubou.) Plus aucun tam-tam ne bat... plus aucun homme ne
Il est mort. parle.
VÉRITÉ NAHOUBOU 1er
Assassiné... assassiné sur tes ordres... Oui, telle a été ma volonté. Mais qu'ils viennent donc les morts
NAHOUBOU 1er (rires). Venir me conter des sornettes, jouer au thaumaturge ! Moi aussi, je
Non ! Vois mes mains ! suis thaumaturge (rires). Mais où sont-ils donc mes morts ?
LES FANTÔMES (apparaissant) NAHOUBOU 1er (à Vérité)
Nous voici. Toi au moins tu n'es pas un fantôme.
NAHOUBOU 1er (épouvanté) VÉRITÉ
Sortez ! Sortez ! Je suis la Vérité...
LES VOIX NAHOUBOU 1er
Il a tué sa mère. Qu'ai-je donc fait ?
Il a tué son frère. LES FANTÔMES (riant)
VÉRITÉ Qu'a-t-il donc fait ?
Tes sujets. Ils viennent te prendre. VÉRITÉ
NAHOUBOU 1er En ton nom, sur tes ordres...
Me prendre, moi ? LES FANTÔMES
LES FANTÔMES On a incendié pillé razzié
Oui, toi, Nahoubou de la dynastie des Nahoubou de la tribu des ENSEMBLE
Kwakwaboué (rires). Des villages
NAHOUBOU 1er VÉRITÉ
Laissez-moi, je veux vivre ! Je ne suis pas Macadou. J'ai joué au Qui fument encore, des enfants sous les cendres, des vieillards
Macadou. Allez ! Allez ! Laissez-moi vivre. livrés aux vautours, des femmes livrées aux hyènes affamées.
LES FANTÔMES NAHOUBOU 1er
On vit mieux chez nous… Qu'ai-je fait ? Regardez mes mains, elles sont nettes, elles sont
NAHOUBOU 1er propres... Jamais je n'ai tué.
Non, je préfère la terre. LES VOIX
LES FANTÔMES Il a tué sa mère.
C’est mieux chez nous. Or et diamant jonchent les rues... Il a tué son frère.
-135- -136-
LES FANTÔMES (riant)
NAHOUBOU 1er Jamais il n'a tué...
Je n'en veux pas ! Je n'en veux plus ! Laissez-moi vivre encore… On a trafiqué de tout humilié assassiné
Tout est si beau dans la vie... ENSEMBLE
LES FANTÔMES Les gens.
Viens, nous sommes des millions qui t'attendons... NAHOUBOU 1er
Je n'ai jamais fait de tort à personne. Quelques jours seulement. Chez nous il y a de tout cela, de plus belles choses encore.
Pitié, pitié... (apparition de sa mère et de son frère). Ma mère... ma mère... NAHOUBOU 1er
Est-ce possible... Les morts vivraient-ils ? Mon frère... Mon Dieu. Mon Non ! Laissez-moi savourer celles de la terre... pitié... pitié...
frère... LE FRÈRE
LES FANTÔMES Tuer la mère
Il n'a jamais tué. LA MÈRE
Les mains pures, les mains nettes (rires). Tuer le frère !
LA MÈRE LES FANTÔMES
Viens, mon fils… Pour la gloire, la fortune, la puissance...
LE FRÈRE NAHOUBOU 1er
Viens régner sur nous. Non Bacoulou ! Recule. Je connais trop ton infernale puissance...
LA MÈRE Va ! Va ! Je suis un imposteur, j'ai trompé tout le monde, Bacoulou je le
Il y a là-bas un immense empire pour toi... sais. Gardes ! Gardes ! Seul !
LE FRÈRE VÉRITÉ
Pétrir l'histoire avec du sang... Bien seul !
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Pas possible... Sortez ! Sortez ! Ah ! c'est donc ça la vie ! Ivresse de santé ! Ivresse de fortune !
Ivresse de puissance ! Aujourd'hui seul, face à des fantômes (une puissante
LES FANTÔMES sonnerie tinte, une fois).
Avec la vie des autres... LA MÈRE
C’est l’heure mon fils.
LE FRÈRE NAHOUBOU 1er
S'éclairer à la lueur du sang des autres ! L’heure ? L’heure ? Quelle heure ?
-137- -138-
NAHOUBOU 1er LES FANTÔMES
Bacoulou ! Bacoulou ! tu n'étais donc pas mort ! Ah ! Que viens-tu Viens !
me réclamer ? Le sang de tes enfants ? Laissez-moi vivre quelques heures NAHOUBOU 1er
seulement, écouter le chant des oiseaux regarder les nuages se chevaucher, Non ! Sortez, je veux vivre ! Je-veux-vivre ! (rires des fantômes).
les arbres mêler leur feuillage... le vent aller, venir... LE FRÈRE
LES FANTÔMES Allons, mon frère, l’heure a sonné.
LES FANTÔMES LES FANTÔMES
Viens ! Tess victimes ont-elles jamais eu grâce à tes yeux ? Viens ! Viens !
NAHOUBOU 1er NAHOUBOU 1er
Non ! Je veux encore voir ce qui se passe autour de moi dans la Pitié... Quelques minutes encore. Laissez-moi emporter un peu de
vie, admirer les pas hésitants du nouveau-né, écouter le chœur des tam- fortune. Mais comment m'y prendrais-je ? Mon trône... Ah ! ils me l'ont
tams, et des femmes par les soirs de clair de lune, écouter le rire des emporté... dans leur colère... Laissez-moi le temps d'apprécier une nuit, un
hommes, le gazouillis des sources ; entendre à l'aurore le chant des coqs jour, peser ce que peut contenir de joie, de bonheur, une heure... une
fuser de case en case pour nous dire c'est l'heure, l'heure de se souhaiter le heure ! Pensez à ce qu'on peut faire d'une heure de vie. J'ai dressé des
bonjour, de se souhaiter la paix, l'heure de s'embrasser, de travailler à temples, jamais je n'ai cessé de prier, d'assister à tous les offices, de faire
l'unisson... l'aumône. Cela ne devrait-il pas vous suffire ? Lorsque les dieux eux-
LES FANTÔMES mêmes approuvent mes actes par l'intermédiaire de leurs prêtres ? N'ont-ils
C’est aussi l’heure de payer. pas pour moi prié et fait prier ? Sortez ! dis-je, sortez !
LES VOIX
NAHOUBOU 1er Il a tué sa mère.
Ah ! la terre est pleine de si bonnes choses ! Tout à mes yeux Il a tué son frère.
prend sa véritable dimension, sa véritable valeur. L'or, la puissance, c'est la NAHOUBOU 1er
mort, la mort pour soi, la mort pour les autres. De grâce, quelques heures Taisez-vous ! (Un chant crescendo.) Un chant ! Un chant ! Une
seulement pour voir les couleurs du ciel, les couleurs des arbres, les voix d'homme. Laissez-moi l'apprécier. Un chœur... Chanter en chœur, à
couleurs des oiseaux, les couleurs des yeux... écouter le rire du vent dans l'unisson, joindre les mains, les voix, les cœurs... L'unité dans la diversité,
les ramures. le bonheur pour tous... Trop tard... me voici entouré de fantômes, révoltés,
belliqueux, entouré de gouffres... et seul à les affronter, moi dont le nom
LES FANTÔMES faisait trembler l'univers... (la sonnerie tinte plus fort... une fois, deux fois).
Viens tu as eu le temps de tout admirer. LES FANTÔMES (entraînant Nahoubou 1er qui se débat)
NAHOUBOU 1er Viens ! Viens ! (Un rayon filtre.)
Pitié, pitié. -140-
-139-
LES FANTÔMES NAHOUBOU 1er
As-tu jamais eu pitié de quelqu'un ? Une seconde ! Laissez-moi m'imprégner de la charge de vie que
NAHOUBOU 1er porte ce rayon de soleil. Rayon de soleil, rayon de vie, je m'accroche à toi.
De grâce !
Je me lie à toi... Tu es signe d'éternité, de joie... tu es... (la sonnerie tinte — Paris, l'Avant-Scène Théâtre, no 343, 15 octobre 1965.
trois fois). —Abidjan, CEDA, 1979,
Afrique debout ! (Poèmes)
— Paris, Seghers, 1950.
LES FANTÔMES (le tirant vivement) Légendes africaines (Contes et légendes)
Viens, il est temps... — Paris, Seghers, 1954.
VÉRITÉ — Varsovie, Czytelnik, 1957.
Et place ('fitre : Legendy Afrykanskie / fraduction : Maryla Rusinowa).
— Berlin, verlag und weld, 1975 - éd. 1979.
LES FANTÔMES
(Titre : Das Krokodil und der Kônigsfischer.
à la Vie... Sous-titre : Afrikanische Marchen und Sagen.
(Aussitôt : explosions de lumière, cris, tam-tams, chants. Traduction : Klaus Môchel.
Battements de mains... etc.) Illustrations : Irmhild und Hilmar Prom.
Le pagne noir (Conte)
— Paris, Présence Africaine, 1955, 20 éd. 1970, 3e éd., 1977.
— U.S.A. The University of Massachusette press, 1987 (Titre : The black
cloth).
La ronde des jours (Poèmes)
— Paris, Seghers, 1956.
Climbié (Roman)
RIDEAU — Paris, Seghers, 1956.
-- Londres, Heinemann Educational Books, 1971.
— New York, Africana Publishing Corporation, 1971.
(Titre : Climbi Traduction : Karen C. Chapman).
— Budapest, Europa Konyvakiado, 1977.
Abidjan, 2 mars 1969 (Titre : Eletantesontparti Tortene Traduction : Dutkay Magyar Katalin)
— Sâo Paulo, Editoria atica - 1982. (Titre : Climbié)
Un Nègre à Paris (Chronique)
— Paris, Présence Africaine, 1959.
Patron de New York (Chronique)
— Paris, Présence Africaine, 1964.
Min Adja-o (C'est mon Héritage !) Situation difficile - Serment
-141- d'amour (Théâtre)
— In Le théâtre populaire en République de Côte d'Ivoire pp. 87-123.
DU MÊME AUTEUR
Abidjan, Cercle Culturel et Folklorique de Côte d'Ivoire, 1965.
Assémien Déhylé, roi du Sanwi (Théâtre)
Légendes et Poèmes : Afrique debout - Légendes africaines
— Dakar, Album officiel de la Mission Pontificale, 1936.
Climbié - La ronde des jours.
— Dakar, Éducation Africaine - no spécial, 1937.
— Paris, Seghers, 1966, 2e éd., 1973. 3e éd., 1982 (Presses Pocket) Les histoires de Kakou Ananzè l'araignée (Livre scolaire)
— Sofia, Otetchestvo, 1981 (Titre : Afrikanski legendi — Paris, Nathan, s.d. (Coauteur : André Terrisse).
— Traduction : Krasimir Mirtchev).
Hommes de tous les continents (Poèmes).
—Paris, Présence Africaine, 1967.
—Abidjan, CEDA, 1985.
La ville où nul ne meurt (Chronique)
— Paris, Présence Africaine, 1969.
— Washington, Three Continents Press, 1986 (Titre : The city whete no
one dies.
—Trad : Janis A. Mayes). Achevé d'imprimer 4• trimestre 2001
Monsieur Thôgô-gnini (Théâtre) par SAFICA : 15 B.P. 504 Abidjan 15
—Paris, Présence Africaine, 1970, 20 éd., 1978. Dépôt légal no 4946
—U.S.A., Ubu Repertory Theater Publications, 1986 (trad, Townsend
Brewster)
Béatrice du Congo (Théâtre).
— Paris, Présence Africaine, 1970, 20 éd. 1976. Les voix dans le vent
(Théâtre)
—Yaoundé CLÉ, 1970.
—Abidjan - Yaoundé, Club Africain du Livre, CLÉ, 1973.
—Abidjan, NEA, 1982.
Îles de tempête (Théâtre)
— Paris, Présence Africaine, 1973.
Papassidi maître-escroc (Théâtre)
—Dakar, NEA, 1975.
Mhoi-Ceu1 (Théâtre)
— Paris, Présence Africaine, 1979.
Opinions d'un Nègre (Pensées)
— Dakar, NEA, Club Afrique Loisirs, 1979.
Commandant Taureault et ses nègres (Roman)
—Abidjan, CEDA, 1980.
Les jambes du fils de Dieu (Nouvelles)
—Abidjan, CEDA
—Hatier, 1980.
Carnet de Prison
—Abidjan, CEDA, 1981.
Les contes de Koutou - as - Samala
— Paris, Dakar, présence Africaine, 1982.

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