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COMMENT ÉCRIRE UNE NOUVELLE POLICIÈRE

Objectif : Écrire une nouvelle policière de plusieurs pages en vous laissant guider par les douze étapes
du parcours suivant.

Étape 1 : Construire l’intrigue

Vous savez maintenant comment est écrite une nouvelle et vous connaissez sans doute beaucoup de
romans policiers, par la lecture ou les feuilletons télévisés. Un récit policier pose un mystère, une
énigme à découvrir : un meurtre a été commis. Qui est l’assassin ?
La seule grande difficulté que vous allez rencontrer pour écrire une nouvelle policière sera d’inventer
la solution en même temps que le mystère : vous n’êtes plus le simple lecteur qui découvre
progressivement l’énigme. Vous êtes le scénariste qui la construit.
Le pari est de construire une intrigue rigoureuse et de mener le suspens jusqu’à la fin. Donc,
abandonnez tout de suite les idées de meurtres en série, de détails horribles, d’inondations
d’hémoglobine. La meilleure histoire de la classe sera celle qui ne permettra la découverte du coupable
que dans le dernier épisode !
Voici une suite d’éléments qui doivent obligatoirement figurer dans votre énigme. Seul (e) ou par
groupes de trois élèves, vous allez l’inventer pas à pas.

➢ Le crime
Qui a tué qui ?
Pourquoi ?
Où ? Quand ? Comment ?
Choisissez la victime, le coupable, le mobile, les circonstances.
Inventez dès maintenant une fausse piste : deux suspects possibles, dont le vrai coupable, deux
mobiles, deux alibis.

Pour vous inspirer, consultez les catalogues d’éditeurs spécialisés dans les collections policières. Les
résumés des livres vous donneront des idées d’intrigues.

Par exemple
• La malédiction du corbeau, Jean-Paul Nozière, Collection Je Bouquine, Bayard Presse.
Maxime et son grand-père ont découvert que le précédent propriétaire de leur maison a été assassiné.
Par qui ? Pourquoi ? Cet assassinat a-t-il un rapport avec le sabotage de la fusée Ariane qui vient
d’exploser ?

• George Baxt, Par élimination


L’héritage du millionnaire Andrew Graymoor échoira au dernier survivant de ses dix enfants adoptés.
Le compte à rebours peut commencer…

• John Dickson Carr, Meurtre après la pluie


Un homme étranglé sur un court de tennis, une demi-heure après un violent orage. Et sur le sol
détrempé, aucune autre trace que celles de la victime…

• Agatha Christie, Le crime de l’Orient-Express


Un wagon de l’Orient-Express bloqué par les neiges, et dans un compartiment, un Américain lardé de
douze coups de couteau.

1
• Agatha Christie, La fête du potiron
Au cours des réjouissances de Halloween, une fillette bavarde et menteuse s’est vantée publiquement
d’avoir assisté à un meurtre des années plus tôt. Ce n’était guère prudent… Elle a été assassinée. Poirot
enquête…

• Ruth Rendell, La danse de Salomé


Patrick Selby est mort d’un arrêt du cœur consécutif à des piqûres de guêpes. Mais les gens parlent,
parlent… Et le Dr Greenleaf, qui a donné le permis d’inhumer, commence à se poser des questions…

➢ Le mobile

Les mobiles des crimes sont toujours un peu les mêmes. Choisissez-en un parmi ceux-ci et développez-
le :
• argent (capter un héritage ; bénéficier d’une assurance vie ; s’approprier un billet de loto gagnant,
etc), vol (d’un tableau, d’un bijou, d’un timbre de collection, des actions d’une mine d’or, d’un
manuscrit miraculeusement retrouvé, des plans d’une nouvelle fusée, etc)
• amour, jalousie (toutes les situations du crime passionnel)
• ambition (pour obtenir un poste de dirigeant dans une société quelconque…)
• mauvaise conscience (faire taire un maître chanteur ou un témoin gênant)
• vengeance…

➢ Le brouillage des pistes

Déterminez la manière dont le coupable a brouillé les pistes pour éviter d’être accusé :
• alibi bien préparé (préciser : lieux, heures, témoins)
• meurtre déguisé en suicide ou en accident
• disparition du cadavre (de l’hôpital, de la morgue…)
• déguisement de l’assassin (perruque, postiche, imperméable, hauts talons, etc)
• faux indices : pièces à conviction qui accusent quelqu’un d’autre
• détails mystérieux et insolites : cadavre caché dans un étui de contrebasse, étranglée de six bas de
tailles et de couleurs différentes, victime aux pieds bandés, etc.
• effacement ou trucage des empreintes
• arme du crime inattendue et diabolique (coups de téléphone affolants, piqûre de guêpe déclenchant
une allergie mortelle, poison dans le gâteau de mariage, etc.)
•… sans oublier le traditionnel meurtre en lieu clos : chambre fermée de l’intérieur, bateau en pleine
mer, chalet de montagne isolé par la neige

➢ Les indices et les preuves

Des indices doivent trahir le coupable et amener le détective à la vérité : des indices matériels, une
phrase prononcée, deux témoignages qui ne concordent pas, un testament truqué, la copie d’un acte
d’état civil…
Les preuves, qui vont confondre le coupable et servir au procès, peuvent être de différents ordres :
journaux anciens, décalage horaire, ticket d’autoroute, film de caméra de surveillance, empreinte
digitale, test scientifique…

➢ La narration de l’histoire

Le plus simple est d’écrire votre nouvelle à la troisième personne : le récit se raconte de lui-même et
le narrateur n’apparaît pas. Dans ce cas, personne ne dit JE en dehors des dialogues, et vous-même,
témoin ou enquêteur, enquêtrice, n’apparaissez pas dans l’histoire.

2
Dans les récits classiques, l’histoire de l’enquête est souvent racontée par un ami du détective qui
observe, note, et… ne comprend rien : c’est le personnage auquel le lecteur s’identifie. De la même
manière, vous pouvez écrire votre récit à la première personne, en faisant raconter l’histoire par un (e)
journaliste témoin. Vous pouvez également, dans ce cas, apparaître dans l’histoire, en tant que témoin,
ou ami (e) de l’enquêteur.
Il n’est pas conseillé d’être à la fois le détective et le narrateur de l’histoire : en effet, dans ce cas, il est
très difficile de ne pas révéler trop vite la solution !

Voici un exemple, tiré d’une nouvelle d’Agatha Christie. Vous pourrez comparer l’exposé du mystère,
au tout début de la nouvelle, et la solution qui, à la dernière page, y répond exactement :

« LA TRAGÉDIE DE MARDSON MANOR »1

1. Le mystère

J’avais été appelé hors de la capitale durant quelques jours et, à mon retour, je trouvai Poirot occupé à
boucler sa petite valise.
— A la bonne heure, Hastings, je craignais que vous ne soyez pas revenu à temps pour m’accompagner.
— On vous a donc appelé à l’aide quelque part ?
— Oui, bien que je doive admettre, d’après les apparences, que l’affaire ne semble pas passionnante.
La compagnie d’assurances, L’Union de l’Ouest, m’a demandé d’enquêter sur la mort d’un certain
Maltravers qui avait contracté chez eux, quelques semaines plus tôt, une assurance sur la vie pour la
belle somme de cinquante mille livres !
— Vraiment ? m’exclamai-je intéressé.
— Il y avait, bien sûr, la clause habituelle soulignant l’éventualité d’un suicide. Dans le cas où le client
se serait tué volontairement au cours de la première année, l’assurance aurait été annulée. Mr.
Maltravers a été dûment examiné par le médecin de la compagnie et, bien qu’il soit un homme ayant
légèrement dépasse le bel âge, il fut reconnu comme jouissant d’une santé robuste. Quoi qu’il en soit,
mercredi dernier, c’est-à-dire avant-hier, le corps de Maltravers a été trouvé sur le terrain de sa
propriété en Essex, Mardson Manor, et la cause de sa mort serait une sorte d’hémorragie interne. Ce
fait, par lui même, n’aurait rien de singulier, mais de sinistres rumeurs se rapportant aux difficultés
financières de Maltravers traînaient dans l’air depuis peu et l’Union de l’Ouest a découvert, sans doute
possible, que le gentleman en question était à deux doigts de la faillite. Cela change considérablement
les choses. De plus, il avait une femme jeune et belle. On soupçonne qu’il aurait pu ramasser tout
l’argent liquide dont il disposait pour payer l’assurance-vie dont son épouse bénéficierait et qu’ensuite,
il se serait suicidé ! Une telle histoire n’a rien d’exceptionnel. En tout cas, mon ami, Alfred Wright, qui
est un des directeurs de l’Union de l’Ouest, m’a demandé de découvrir la vérité sur cette affaire, mais,
comme je vous l’ai dit, je n’ai pas grand espoir de réussir. Si sa mort avait été causée par un arrêt du
cœur, je serais plus optimiste. C’est là un verdict qui peut toujours passer pour un aveu d’incapacité du
médecin local, ignorant la véritable cause du décès de son malade. Mais, quand il y a hémorragie,
aucune erreur n’est possible. Cependant, tout ce que nous pouvons faire est de chercher des
renseignements utiles. Cinq minutes pour boucler votre bagage, Hastings, et nous prendrons un taxi
pour gagner la gare.

2. La solution

J’avouai :
— Même à présent, je ne réalise pas très bien ce crime et son exécution !
— Commençons par le commencement. Nous avons une jeune femme clairvoyante et calculatrice qui,
connaissant la débâcle financière de son mari et lasse d’un compagnon vieillissant qu’elle n’avait

1
Agatha Christie, La tragédie de Mardson Manor, in Les enquêtes d’Hercule Poirot, © Librairie des Champs Élysées, 1968.

3
épousé que pour son argent, pousse ce dernier à contracter une importante assurance sur la vie en sa
faveur. Ceci fait, elle cherche le moyen d’accomplir son dessein. La chance le lui offre ! L’étrange
aventure racontée par le jeune officier ! L’après-midi suivant, lorsque Monsieur le Capitaine est en
haute mer, comme elle le pense, elle et son mari flânent sur les pelouses et j’imagine leur dialogue : «
Quelle bizarre histoire Black nous a racontée, hier soir au souper, observe-t-elle. Un homme peut-il
vraiment se suicider de cette façon ? Montrez-moi si c’est possible ? ». Le pauvre fou lui montre, il place
l’extrémité du fusil dans sa bouche. Elle se baisse et pose la main sur la gâchette, riant en levant les
yeux sur lui : « Et maintenant, monsieur, conclut-elle friponne, supposons que je presse la gâchette ? ».
Et alors… Et alors, Hastings… Elle la presse !

Étape 2 : Vérifier la présence des éléments indispensables à l’intrigue

Petite liste pour vérifier la construction de votre énigme :

• Qui est la victime ?


• Où, quand, comment et par qui a-t-elle été trouvée ?
• Par qui l’intrigue est-elle racontée ?
• Quels sont les indices ?
• Qui est coupable ?
• Qui est d’abord suspecté (e) ?
• Pourquoi ?
• Comment le coupable s’y est-il pris ?
• Comment le coupable a-t-il dissimulé son crime ?
• Par quelles preuves le coupable est-il démasqué ?

Étape 3 : Rédigez un résumé de l’intrigue

Rédigez votre projet d’intrigue sous forme de fait-divers et en vous inspirant du fait-divers suivant.
Vous présenterez la fausse piste que vous aurez inventée en l’introduisant dans votre texte, par
exemple, par la phrase suivante : « On a d’abord soupçonné M. X. (ou Mme Y.) qui avait… Il a été arrêté
puis relâché, parce que… »

Étape 4 : Présenter oralement son texte à la classe

En présentant oralement votre texte à l’ensemble des camarades de la classe, vous pourrez vérifier si
votre intrigue est cohérente, si elle est assez complète pour être comprise.
Servez-vous du questionnaire de l’étape 2 pour apporter, à votre tour, des conseils à vos camarades,
pour leur faire des suggestions éventuelles au cas où leur histoire vous paraîtrait trop compliquée ou
peu originale.

Étape 5 : Créer des personnages2

Vous voici parvenus à une étape bien plaisante : il s’agit ici de créer les caractéristiques de vos
principaux personnages : la victime, le coupable, l’autre suspect, et surtout votre personnage principal :
le détective.
Utilisez une fiche bristol. Vous pourrez l’orner d’un dessin ou d’une photo découpée dans un magazine,
Ceci vous aidera pour décrire votre personnage.
Voici un modèle de fiche qui vous aidera à inventer. Bien entendu, tous les détails qui figureront sur la
fiche ne seront pas tous repris dans votre texte, mais ils vous aideront à imaginer vos personnages.

2
D’après Louis Timbal-Duclaux, J’écris des nouvelles et des contes, © Écrire aujourd’hui, 1993, numéro spécial

4
Fiche pour créer un personnage

Nom/Prénom/Surnom :
Portrait physique

1. Sexe :
2. Âge :
3. Taille et poids :
4. Visage (couleur des cheveux, yeux, peau, nez…) :
5. Silhouette :
6. Apparence (soigné/sale, beau/laid) :
7. Signes particuliers (cicatrices, tics…) :
8. Maladies :
9. Vêtements habituels :
10. Accessoires habituels (pipe, bijoux, lunettes…) :
Portrait psychologique

1. Caractère (nerveux, apathique, sentimental, rêveur, coléreux…)


2. Attitude face à la vie (actif, militant, suiveur, résigné, désillusionné…) :
3. Complexes personnels (peurs, superstitions, obsessions…) :
4. Niveau d’intelligence :
5. Capacités particulières (maths, littérature, cinéma, informatique…) :
6. Relations avec les autres (extraverti, introverti…) :
7. Qualités (imagination, logique, intuition…) :
Situation familiale et sociale

1. Classe sociale (modeste, moyenne, haute) :


2. Métier/fonction (travail, horaire, salaire) :
3. Éducation (durée, écoles, matières favorites ou pas, culture…) :
4. Vie familiale (parents vivants ? séparés ? divorcés ? orphelin ? Leur mentalité,
leur cadre de vie, leurs habitudes/qualités/défauts) :
5. Valeurs morales (honnêteté, honneur, courage, patience, respect, tolérance ou le contraire…) :
6. Situation familiale (célibataire, marié, divorcé…) :
7. Nationalité :
8. Place sociale : effacée ou forte (clubs, associations…) :
9. Activités de loisirs : lectures, journaux, sports, bricolage… :

Vérifier que tous ces éléments sont cohérents entre eux. En modifier certains au besoin.

Voici un modèle de fiche remplie pour un célèbre personnage d’enquêteur :

Nom : MAIGRET
Prénoms : Jules, François, Amédée
Né à : Saint Fiacre par Matignon, à 25 km de Moulins (Allier).

5
Portrait physique

Sexe : Masculin
Âge dans les romans : proche de 50 ans.
Taille : 1,80 m,
Poids : 110 kg
Cheveux : épais, châtain, avec les tempes argentées.
Silhouette : Puissante et forte. Embonpoint.
Vêtements habituels : Costume, chemise blanche, bretelles et gilet, épais pardessus, chapeau.

Situation familiale et sociale

Parents : Fils unique d’Evariste Maigret, régisseur du château de Saint Fiacre, honnête, scrupuleux,
taciturne. Orphelin vers l’âge de 8 ans ; se souvient peu de sa mère.
Études : études (inachevées) de médecine à Nantes.
Situation familiale : Marié à Louise, Alsacienne, fille d’un ingénieur des Ponts et Chaussées. Paisible,
grassouillette, bonne cuisinière, simple, solide, douce, calme, tendre, admirative. Excellente entente
conjugale. Sans enfant.
Adresse : 130, bd Richard-Lenoir, Paris-XIe, 4e étage.

Portrait psychologique

Habitudes : Fume la pipe ; se frotte la tête à rebrousse-poil ; ne danse pas ; n’a pas le permis de conduire ;
n’aime pas les sucreries ; aime les plats mijotés ; parle quelques mots d’allemand ; comprend l’anglais
et le breton.
Expressions favorites : « Je ne crois rien » ou « Rien du tout », « Vous ne pouvez pas comprendre »..
N’aime pas rester à Paris sans sa femme. Oublie régulièrement son écharpe.
Blessé trois fois dans sa carrière.
Méthode : écoute, réunit un faisceau d’indices mais se fie surtout à son intuition. Déteste la police
scientifique et le raisonnement logique.

Étape 6 : Se documenter

Pour que votre intrigue soit passionnante à lire, il est important d’apporter autant de soins au cadre
qu’aux personnages. Pour cela, vous vous documenterez au CDI avec votre équipe.
Cherchez des cartes de la région que vous avez choisie. Consultez un plan de la ville (calendrier des
PTT…). Écrivez à l’office du tourisme de la ville concernée.
Si vous avez choisi une autre époque que la nôtre pour un épisode, pour expliquer un mobile, vous
devez si possible consulter des manuels d’histoire, des journaux de l’époque, vous renseigner sur les
voitures, les objets de la vie quotidienne. L’aide de votre professeur d’histoire sera la bienvenue ; la
consultation de certains sites d’Internet souvent précieuse.
De même, pour éviter des erreurs, il est indispensable de se renseigner sur le fonctionnement de la
justice française. Votre connaissance des téléfilms américains sera ici un handicap… Consultez plutôt
le professeur d’éducation civique !

Étape 7 : Comment commencer ?

Le début du récit.
Vous allez écrire la scène d’exposition de l’intrigue. Il ne s’agit pas de la scène du crime, qui sera
racontée à la fin de l’histoire, mais de la scène de la découverte du méfait.
Cette scène comportera deux parties successives :

6
— la mise en scène d’un personnage décrit dans sa vie quotidienne, qui ne se doute de rien et qui va
découvrir le méfait. Vous décrirez des actions quotidiennes, banales ;
— la découverte du méfait, avec certains détails parmi lesquels figurent — bien cachés parmi de
nombreuses autres remarques — les indices qui trahiront le coupable à la fin.
N’oubliez pas de montrer l’émotion, la frayeur du personnage qui découvre le méfait.
Décrivez la scène de manière progressive, pour entretenir le suspens : le lecteur doit se poser des
questions importantes à la fin de cette scène.

Voici un exemple ;

« Le soir où cette histoire a commencé, on avait vraiment bien entendu le couinement de la micheline
au passage du Nantes-Lyon vers Les Rosiers. Le temps se mettait au doux. Parti comme c’était, ça devait
déjà s’être levé en mer, et ces sapristi de mouettes ne tarderaient point à s’en retourner chez elles. Ce
ne sont pas des oiseaux bien intéressants, ça, les mouettes…
Il devait être dans les cinq heures - cinq heures et demie au croisement de la route nationale qui longe
la Loire avec la côte de La Croix, entre Gennes et Saumur, ou, pour mieux dire, entre Saint-Hilaire-Saint-
Florent et Chênehutte-les-Tuffeaux, juste avant La Mimerolle.
Là, il y a d’abord eu comme un grand crac assez mou. Un fracas de tôle. Et puis juste après, le long
gargouillis de Périgault Marcel, comme un siphon moitié bouché :
— Nom de Dieu de Bon Dieu de Nom de Dieu de Bon Dieu ! clapotait la gorge en lavabo de Périgault ;
et il se mit à dévaler le coteau, les épaules en arrière et les bottes en avant, comme un ours dans un
cerceau. […]
La borne, on ne la voyait plus. Il y avait une deux-chevaux, une nouvelle, une Diane, empalée dessus.
Dedans, on distinguait un emberlificotis de voiles noirs, jupes noires, crucifix et chapelets noirs, tout
sens dessus dessous ; à l’avant, du côté du conducteur, un visage émergeait du pare-brise comme un
monstrueux bubon qui sanguinolait sur le capot blanc.
Au-delà, la Loire rosissait avec son sourire agaçant de vieille chatte sur un poêle. La borne Michelin,
moderne rempart de vertu, l’avait préservée de ces religieux cadavres. Sans elle, tout ce petit monde
aurait plongé tout droit.
Le mélange d’affûtiaux de bonnes sœurs et de sang aqueux comme le fond d’un saladier de tomates
avait laissé Périgault de l’autre côté de la route frappé d’une terreur sacrée qui avait arrêté net son
dégorgement de Nom de Dieu de Bon Dieu. […]
Il arrêta soudain : au milieu du front, il y avait un trou entouré de poudre grise…
Pour être morte, elle était morte, c’était sûr. »3

3
Alix de Saint-André, L’ange et le réservoir de liquide à frein, © Gallimard, Série noire, 1994.

7
Étape 8 : Corriger son brouillon

Voici un texte écrit par Julie, une élève de 5e. Vous allez l’améliorer de manière progressive :

Les consignes
1. Dans ce texte, pouvez-vous repérer les deux parties demandées dans la consigne ?
2. La première partie de la scène vous paraît-elle suffisamment développée ?
3. Le texte montre-t-il l’émotion, la frayeur du personnage qui découvre le méfait ?
4. Le lecteur se pose-t-il des questions à la fin de la scène ? Lesquelles ? Sous quelle forme ces questions
apparaissent-elles dans le texte ?

Deux gestes de correction du brouillon


1. Ajouter
A quel (s) endroit (s) du texte pouvez-vous ajouter des détails ? Pourquoi ? Lesquels ?
2. Déplacer
Pour mettre en relief un moment clef, vous connaissez la technique du retour en arrière.

8
Quelle phrase pourrait commencer le texte ?
Quels faits pourraient être racontés ensuite par un retour en arrière ?

Il existe aussi des cas où il faut pratiquer un déplacement, à l’intérieur même de la phrase, afin de la
rendre plus facile à lire. Effectuez ainsi un déplacement dans la phrase suivante, et donnez-en la raison :

La correction de la langue
Vérifiez l’accord sujet-verbe, surtout avec le sujet collectif « tout le monde »
Vérifiez la conjugaison de la 1e personne du singulier du passé simple (rencontrer, crier).
Vérifiez dans le dictionnaire : au moin, un crie, se ralumer, dégoutant, quelqun.

Étape 9 : Inventer des péripéties, maintenir le suspens

Dans un récit policier, certains passages sont quasiment obligatoires.


Les trois scènes indispensables au récit sont la découverte du méfait, que vous avez déjà écrite, une
scène d’interrogatoire d’un suspect, et la scène de découverte de l’énigme.
La scène d’interrogatoire est une scène de dialogue (voir p.00). C’est l’enquêteur qui la mène, et le
suspect doit mêler des paroles vraies et des mensonges ou des omissions. Elle contient des indices qui
serviront ultérieurement à l’enquêteur.

Voici une scène d’interrogatoire tirée d’un roman célèbre : l’interrogatoire de la vieille dame

« Dans un wagon isolé de l’Orient-Express, on a retrouvé le cadavre de Ratchett tué de douze coups de
couteau. Parmi les douze suspects interrogés tour à tour, figure une vieille princesse russe.

La porte venait de s’ouvrir et la princesse Dragomiroff entra dans le wagon-restaurant. Elle vint droit
vers les trois hommes qui se levèrent aussitôt.
Sans prêter attention aux deux autres, elle s’adressa à Poirot.
« Monsieur, je crois que vous avez un mouchoir à moi. »
Poirot jeta à ses compagnons un regard triomphant.
« Estce celui-ci, madame ? »
Il montra le petit carré de batiste.
« Oui, c’est cela même. Voici mon initiale dans ce coin.
— Pourtant, madame, s’écria M. Bouc, cette lettre est un H et, si je ne me trompe, votre prénom est…
Natalia. »
Elle le dévisagea froidement.
« C’est exact, monsieur. Mes mouchoirs sont toujours marqués en caractères russes : un N s’écrit H en
russe. »
M. Bouc en demeura un instant abasourdi. Cette vieille dame indomptable avait décidément le don de
le mettre mal à l’aise. Il murmura :
« Mais… ce matin vous ne nous avez pas dit que ce mouchoir vous appartenait.
— Me l’avez-vous demandé ? répondit la princesse d’un ton sec. »4

Le suspens

Vous pouvez vous contenter de rédiger les trois moments indispensables à votre récit. Mais il est
beaucoup plus amusant de rédiger l’histoire en totalité, même si cela doit nécessiter un gros effort.
Pour vous aider à créer une atmosphère ou à écrire un moment palpitant, voici quelques extraits de
nouvelles ou de romans, dont vous pourrez vous inspirer :

4
Agatha Christie, Le Crime de l’Orient-Express, L.G.F., 1981

9
- Marguerite Marranos s’enfuit vers la Côte d’Azur après avoir dépouillé ses cinq complices du
butin dont ils venaient de s’emparer.

« La Porsche crissa, vira, dérapa dans le sens des aiguilles d’une montre affolée et piqua du capot en
contrebas des rochers de bauxite, dans un embrouillamini de plantes jolies à regarder mais délétères
au toucher. Heureusement, la carrosserie efficace du véhicule l’en protégea ; mais Melle Marranos
écopa par contre d’une blessure au front qui la fit aussitôt pisser le sang, car elle avait heurté le volant
de plein fouet. Son minois en serait peut-être durablement défiguré, et c’est à quoi elle songea d’abord
quand elle se réveilla, assommée par le heurt malencontreux et le soleil impitoyable, sa Porsche étant
décapotable. Elle eut la force de se pencher vers la boîte à gants, repoussa le revolver tout neuf d’un
geste agacé, en extirpa un miroir de poche qu’elle maintint devant son visage et une bombe d’eau de
fraîcheur dont elle s’aspergea. Elle vit que ses dents étaient intactes, et elle en fut soulagée car elle
aimait beaucoup ses dents tendanciellement disjointes, signe de chance disait-on. Ce jour-là, elle n’en
manqua point. »5

- Restauratrice de tableaux, Julia travaille au musée du Prado. La nuit tombe. Elle reçoit un coup
de téléphone de l’assassin qui la traque et lui donne rendez-vous dans une salle déserte.

« Elle sortit dans le couloir, pistolet au poing. A cette heure, l’immeuble était désert, à part les gardiens
qui faisaient leur ronde, mais elle ne savait pas où les trouver en ce moment. Au bout du couloir,
l’escalier descendait en tournant trois fois à angle droit, avec un vaste palier à chaque changement de
direction. L’éclairage de sécurité laissait planer une pénombre bleutée qui permettait de deviner les
tableaux noircis par la patine sur les murs, la balustrade de marbre de l’escalier et les bustes des
patriciens romains qui montaient la garde dans leurs niches. »6

Étape 10 : La solution de l’énigme

Étant donné que vous l’avez inventée en même temps que le mystère, la solution ne doit pas vous
surprendre, mais elle doit surprendre le lecteur.

Deux difficultés doivent être résolues :


1. — Aucun élément de l’énigme ne doit être oublié (tous les détails — empreintes, horaires,
témoignages — doivent s’emboîter comme dans un puzzle terminé. Tout doit s’expliquer de manière
rationnelle : le fantastique n’est pas admis ici.
2. — Le lecteur ne doit pas avoir trop vite deviné qui est le coupable, de manière que la lecture reste
intéressante jusqu’à la fin.
La scène de résolution du mystère est la grande scène dans laquelle l’enquêteur déploie tous ses
talents : intelligence, mémoire, esprit de synthèse, lucidité, qualités humaines.

Étape 11 : S’évaluer et évaluer les autres équipes


Pour évaluer le récit, prêtez attention aux points suivants :

L’intrigue

• quel est le problème ?


• qui est la victime ?

5
Henri Raczymow, Villa Mimosas, © Le Monde Gallimard, 1996.
6
Arturo Perez Reverte, Le tableau du maître flamand, © J.C. Lattès, 1993.

10
• où, quand et par qui a-t-elle été trouvée ?
• quels sont les indices ?
• quelle est la solution ?
• qui est/sont le/s suspect/s ?
• qui est coupable ?
• quel est le mobile du coupable ?
• comment le coupable a-t-il procédé ?

La narration

• Quels sont les différents personnages ?


• que sait-on d’eux ?
• sont-ils variés (sexe, âge, milieu, caractère) ?
• Quels lieux, quels décors, quels objets sont évoqués ?
• Quel est le découpage du temps ?
• Quel est le narrateur ? A-t-il un rôle particulier dans l’histoire ou est-il simple témoin ?
• Le point de vue choisi (3e personne ou 1e personne) est-il maintenu avec cohérence dans l’ensemble
du récit ?

Les descriptions

• qui est décrit ?


• quels objets sont décrits ?
• à quels endroits du texte sont placées ces descriptions ?
• quel est le rôle des descriptions dans le texte ?

Étape 12 : Communiquer son histoire


Après ce grand effort, vous avez bien mérité de communiquer votre œuvre à la classe.
Vous pouvez la lire ou, mieux, si vous l’avez mise au net à l’aide d’un ordinateur, l’imprimer et la faire
lire autour de vous.

Et pourquoi ne pas faire un recueil des nouvelles écrites par la classe ? Pensez à la mise en pages, aux
illustrations.

Étude publiée dans TEXTES ET MÉTHODES 5e Nathan

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