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Céline, Une Exception Sinistre
Céline, Une Exception Sinistre
1 Annick Duraffour, agrégée de Lettres, ancienne élève de l’ENS, a publié plusieurs essais sur Céline : « Céline
propagandiste », Politiques, n° 2, printemps 1992, p. 89-98 ; « Céline, un antijuif fanatique », in P.-A. Taguieff
(dir.), L’Antisémitisme de plume. 1940-1944, Paris, Berg International, 1999, p. 147-197 ; « Céline et la ville »,
Urbanisme, n° 334, janvier-février 2004, p. 79-85. Elle est l’auteur d’un ouvrage sur Céline (en collaboration
avec P.-A. Taguieff), à paraître en 2013 chez Fayard, et d’un article « Céline » in P.-A. Taguieff (dir.), Dictionnaire
historique et critique du racisme (à paraître en 2013 aux PUF).
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d’un parti politique : « Céline, à lui seul, par ses écrits, est une révolution en
puissance2. » Il est, sous l’Occupation, la caution et la référence majeure des
activistes de l’antisémitisme racial, au point que la figure de l’écrivain s’efface
alors derrière celle du guide idéologique. Robert Pierret, qui, en août 1941,
dénonce l’attentisme de Xavier Vallat et le refus « de traiter le problème [juif]
sur le plan racial », conclut son article par ce paragraphe :
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cette étude a, depuis, fait son chemin : elle a été abondamment recopiée,
résumée, plagiée, rarement citée, jamais dans les milieux céliniens autorisés8.
Nous rappellerons rapidement d’abord les vérités factuelles aujourd’hui à
peu près acceptées, à son corps défendant, par la communauté célinienne,
qui s’emploie simplement, ici ou là, à en euphémiser la formulation ou à en
passer pudiquement quelques-unes sous silence.
Sous l’Occupation, Céline fait rééditer ses deux premiers pamphlets en
obtenant de Karl Epting, directeur de l’Institut allemand, les tonnes de papier
nécessaires. Il ajoute à la réédition des photos : la plupart sont des photos
de propagande qui ridiculisent, souvent indignement, l’ennemi anglais,
gaulliste, juif ou franc-maçon. Il rédige en 1942, pour la réédition de L’École
des cadavres, une préface dénuée de toute ambiguïté, qui vante les mérites
de l’ouvrage : « L’École était le seul texte à l’époque (journal ou livre) à la
fois et en même temps : antisémite, raciste, collaborateur (avant le mot)
jusqu’à l’alliance militaire immédiate, antianglais, antimaçon et présageant
la catastrophe absolue en cas de conflit9. » Bref manifeste qui clarifie les
positions !
Céline publie aussi, en février 1941, un nouveau pamphlet, Les Beaux Draps. Il
y dessine, sur un mode lyrique et utopique, les perspectives d'un renouveau,
et accorde moins de place à la vitupération antijuive. Peut-on en déduire
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8 Mais cette méthode ne nous fut pas exclusivement réservée. Jean-Pierre Dauphin et Pascal Fouché remar-
quaient que la publication du Cahier Céline 7 (ci-après CC 7), en 1986, faisait suite à « un travail universitaire
qui a été beaucoup consulté », et mettait « un terme à des années de pratique du samizdat opportuniste et de
la recopie avantageuse » (ibid., p. 11).
9 ,
Céline L’École des cadavres, Paris, Denoël, 1938. Texte reproduit dans Cahiers Céline 7. Céline et l’actua-
lité, 1933-1961, textes réunis et présentés par Jean-Pierre Dauphin et Pascal Fouché, Paris, Gallimard, 1986,
p. 173-175.
10 Les Beaux Draps, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1941, p. 113.
11 Ibid., p. 195.
12 Ibid., p. 197.
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13 Ibid., p. 115.
14 Céline commente son épigraphe dans un entretien avec Henri Poulain : « T'en as vu, toi, des pendus, depuis la
débâcle ? », Je suis partout, 7 mars 1941, cité in CC7, p. 108. « La corde » revient en commentaire de la fusillade
bien réelle de Lucien Sampaix, député communiste et journaliste à L'Humanité, qui avait mis en cause Céline lors
de « l'affaire Abetz », en juillet 1939. Cf. « Une lettre de L.-F. Céline », Au Pilori, 10 septembre 1942, cité in CC7,
p. 169.
15 Cité d'après Michael R. Marrus et Robert O. Paxton, Vichy et les Juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981, p. 399. La
définition proposée par Vichy est très proche de celle qui est donnée dans le premier règlement d'applica-
tion de la loi sur la citoyenneté du Reich, promulguée le 14 novembre 1935. Voir Raul Hilberg, La Destruction
des Juifs d'Europe [2e édition, 1985], Paris, Fayard, 1988. Par cette définition est écartée, remarque Hilberg,
« la solution proposée par le parti, c'est-à-dire l'assimilation totale des demi-Juifs aux Juifs intégraux » (ibid.,
p. 66). Mais Céline va au-delà, en considérant comme Juifs les « quarts de Juifs ». La définition qu’il propose
est analogue à celle que donne l'Arierparagraph, règlement qui accompagne le décret du 7 avril 1933 qui
stipulait le renvoi des fonctionnaires « d'ascendance non aryenne » (ibidem, p. 62). Notons également que
cette définition correspond aussi, a contrario, à la condition d'admission posée par certains groupuscules
français racistes nationaux-socialistes : avoir quatre grands-parents aryens.
16 Interview avec Maurice-Ivan Sicard, membre du bureau politique du PPF en 1938, qui deviendra en 1942 secré-
taire à la presse et à la propagande du parti. Cette interview est parue dans L’Émancipation nationale, n° 273,
21 novembre 1941, p.1-3. Voir CC7, p. 128-136.
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17 Ibid., p. 135.
18 « Lettre à Jacques Doriot », Cahiers de l’Émancipation nationale, mars 1942, p. 231-236. Texte repris dans CC 7,
p. 155-161.
19 Manifeste publié dans Le Petit Parisien le 9 mars 1942, et repris dans les Cahiers de l’Émancipation nationale,
avril 1942, p. 341-348. Cité d’après CC 7, p. 236-238.
20 Les usines Renault, réquisitionnées, contribuaient à l’effort de guerre allemand.
21 « La Commission d’études judéo-maçonniques et le n° spécial de Weltkampf », L’Appel, 2e année, n° 88,
5 novembre 1942, p. 4. Ce déjeuner-conférence rassemble des responsables allemands de la lutte antijudéo-
maçonnique, et nombre de personnalités françaises, parmi les plus engagées dans le même combat, à l’occa-
sion de la sortie d’un numéro spécial du Weltkampf consacré à la question juive en France. Cette revue, créée
par Rosenberg, est devenue l’organe de l’Institut de Francfort pour l’étude de la question juive.
22 Le Cri du peuple de Paris, 23 décembre 1942 ; repris in CC 7, p. 175-176.
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23 .
« Pour trouver des révolutionnaires il faut d’abord montrer son pavillon son programme La troupe suit le
drapeau. Nous l’avons élaboré sommairement [mais très précisément add] avec Deloncle Au Pilori (où vous
n’êtes pas venu) ». Cf. Céline, Lettres, édité par Henri Godard et Jean-Paul Louis, Paris, Gallimard, 2009, 41-83,
p. 670.
24 Cette plate-forme commune fut publiée avec le compte-rendu de la réunion sous le titre « Vers le parti un
unique ? » dans Au Pilori, n° 77, 25 décembre 1941.
25 Voir la note du 11 novembre 1941 de l’état-major administratif, sous la signature du docteur Blanke, in Joseph
Billig, Le Commissariat aux Questions juives (1941-1944), Paris, CDJC, 1955, tome I, p. 182-185 ; sur la destitu-
.
tion de Vallat, ibid , p. 214-217. Le décret de création de l’UGIF est promulgué le 29 novembre 1941. L’union
obligatoire des Juifs est, dans l’esprit de Dannecker et du SD, un moyen de faciliter leur ségrégation et les arres-
.
tations à venir (ibid , p. 206-213). Vallat diffère la mise en œuvre des dispositions d’application qui rendraient
.
effective l’existence de l’UGIF, comme le lui reproche Lischka le 7 février 1942 (ibid , p. 214).
26 Le conseiller ministériel Schneider rencontre à ce sujet Xavier Vallat, le 9 décembre 1941. Voir Joseph Billig, Le
Commissariat aux Questions juives, op. cit., p. 138.
27 Cf. L’Année Céline 1994, Tusson et Paris, Éditions du Lérot et IMEC, 1995, p. 101 ; lettre 41-90, op. cit. , p. 674.
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28 Le capitaine Sézille, secrétaire de l’IEQJ, travaille sous l’autorité de Dannecker qui dirige la section juive de la
Gestapo. Sézille, qui a été le bras droit de Darquier dans son « Rassemblement antijuif », fonde après la défaite
« La communauté française », organisation de lutte contre les Juifs et les francs-maçons, à laquelle adhèrent
Deloncle et ses proches collaborateurs en janvier 1941 (cf. Joseph Billig, Le Commissariat aux Questions juives,
op. cit., tome II, p. 273-275). Deloncle, « en juin 1941, propose aux Allemands de faire la chasse aux Juifs et
aux gaullistes en échange de la libération de prisonniers de guerre. En octobre, il fait plastiquer sept syna-
gogues parisiennes, d’accord avec le SD qui lui fournit les explosifs ». Philippe Burrin, La France à l’heure
allemande, Paris, Seuil, 1995, p. 420. Le PPF est en relation avec la section IV du SD depuis le printemps 1941
au moins.
29 « Une lettre de L.-F. Céline à Alain Laubreaux », Je suis partout, 22 novembre 1941 ; in CC 7, p. 137.
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t-il dans les colonnes de Je suis partout. C’est pour lui le facteur explicatif
de l’histoire et des faits sociaux, et c’est la tâche impérative, urgente de la
politique : « Nous nous débarrasserons des Juifs, ou bien nous crèverons
des Juifs, par guerres, hybridations burlesques, négrifications mortelles. Le
problème racial domine, efface, oblitère tous les autres30. » Il apparaît, sous
l’Occupation allemande, comme le prophète, le « Pape de l’antisémitisme »
(Pierre-Antoine Cousteau), « l’antisémite-type le plus impatient, le plus
extrême, le plus courageux de tous » selon Fayolle-Lefort. Il est la preuve
et le symbole du retour de l’antisémitisme en France à la fin des années
trente. Ce n’est pas qu’il apporte une théorie originale dans le domaine : au
contraire, il compile, comme le font d’habitude les auteurs de pamphlets
antisémites, les anecdotes, les bons mots, les formules éternellement
reprises des grands auteurs, les brèves des journaux antijuifs, le détail
historique « pittoresque », les témoignages arrangés ou fictifs de Juifs,
les faux documents secrets tels que le « Discours du Rabbin » ou les
Protocoles des Sages de Sion. Il reprend, arrange ou plagie carrément les
antisémites professionnels contemporains comme Henry-Robert Petit et
Henry Coston : Alice Yaeger Kaplan a montré qu’il avait retranscrit plus ou
moins intégralement dix-sept pages de La Conspiration juive de Coston dans
Bagatelles pour un massacre31. Dans L’École des cadavres, il propose sa
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30 . .
Céline, L’École des cadavres, op. cit , p. 216
31 Relevé des sources et citations dans Bagatelles pour un massacre, Tusson, Éditions du Lérot, 1987, p. 19. Le
texte de Coston s’inspire lui-même du pamphlet canadien La Clé du mystère, rédigé par Adrien Arcand, leader
du plus important mouvement politique canadien d’inspiration nazie.
32 Céline, L’École des cadavres, op. cit., p. 215.
292
II . 2
33 .
Ibid , p. 285.
34 .
Ibid , p. 284.
35 .,
Ibid p. 285.
36 Ibid., p. 215.
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37 « Il a fallu imprimer vite because les circonstances si graves qu’on ne sait ni qui vit ni qui meurt ! », Guignol’s
Band, Paris, Gallimard, 1952, préface, p. 7.
294
II . 2
38 .
Ibid , p. 110.
39 Ibid., p. 143.
40 .,
Ibid p. 145.
41 Ibid., p. 146.
42 Ibid., p. 154.
43 Mais cette proximité idéologique, politique, ne fait pas pour autant de Céline un auteur de style fasciste,
comme on a parfois voulu le soutenir.
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Dénonciations
44 Cette question des dénonciations est aujourd’hui une ligne de front sur laquelle se rassemblent tous les céli-
niens. Il s’agit évidemment de défendre l’image d’un Céline certes coupable d’opinions condamnables, mais
auquel on ne saurait imputer des actes.
45 Il s’agit d’une interview avec Henri Poulain, « En parlant de leurs livres. Voyage au bout de la banlieue fief de
L.-F. Céline », Je suis partout, 11e année, n° 502, 7 mars 1941, p. 6. Cité d’après CC 7, p. 109.
46 Cf. Lettres des années noires, édition présentée par Philippe Alméras, Paris, Berg International, 1994, p. 22-23.
47 .
Cf. Céline, Lettres des années noires, op. cit , p. 22-23.
48 . ,
Ibid , p. 21 ; Céline Lettres, op. cit., 41-13, p. 623-624.
49 « Interlignes », Aujourd’hui, n° 173, 3 mars 1941, p. 2. Voir CC 7, p. 112-113.
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réponse à la « petite ordure rituelle » que Desnos est venu déposer sur
Les Beaux Draps. Après avoir accusé Desnos et le journal Aujourd’hui de
mener « campagne philo-youtre […] inlassablement depuis juin » : « Que ne
publie-t-il, M. Desnos, sa photo grandeur nature face et profil, à la fin de tous
ses articles ! La nature signe toutes ses œuvres – “Desnos”, cela ne veut
rien dire50. » Dénoncer, c’est mettre en œuvre et faire partager sa propre
capacité d’identification : Céline a reconnu le Juif dans la face de Desnos51,
et il faut que tous le sachent ! Cette dénonciation de Desnos comme juif est
la première : suivront celle de Pierre Pascal, rédacteur en chef de L’Appel, qui
écrit lui aussi une lettre à Georges Suarez, directeur du journal Aujourd’hui,
et celle d’Alain Laubreaux.
En décembre 1942, devant les membres du « groupement corporatif sanitaire
français » – organe doriotiste –, dans une salle pleine à craquer, Céline
« fulmina […] contre les facéties d’une Révolution nationale qui maintient
une Juive dans un dispensaire de banlieue à la place d’un médecin aryen52 ».
La Juive dont il parle, c’est le docteur Howyan qu’il connaît depuis 1935 :
c’est elle qui faisait ses remplacements au dispensaire de Clichy, jusqu’à
ce qu’il donne sa démission, fin 1938, avant la parution de Bagatelles ! Elle
« dit avoir reçu la visite d’un “Allemand”. Alertée par les sœurs Filipacchi-
Luchaire, elles-mêmes d’origine arménienne, elle avait pu se préparer et elle
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50 Voir CC 7, p. 114.
51 Desnos, à notre connaissance, n’est pas juif, mais que Céline se trompe ou non, cela ne change rien au fait de
la dénonciation par voie de presse.
52 « Céline parle. “La France s’est enjuivée jusqu’à la moelle”, constate le prophétique pamphlétaire », Le Cri du
peuple de Paris, 23 décembre 1942, cité in CC 7, p. 175-176.
53 ,
Philippe Alméras Céline. Entre haines et passion, Paris, Robert Laffont, 1994, p. 252-253.
54 Louis Tournayre, « Une confidence », Au Pilori, n° 2, 18 juillet 1940, p. 4.
55 Jean-Pierre Pastori, Serge Lifar. La beauté du diable, Lausanne, Favre, 2009, p. 112. « La SS ne parvient pas à
faire la lumière voulue. Les documents officiels français que la Sicherheitspolizei a examinés tant à la Sûreté
nationale qu’à la Préfecture de police ne font aucune référence à la religion. »
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Jean-Pierre Pastori note que « Lifar proteste de son aryanité ce qui conduit
Au Pilori à publier un rectificatif56 ». Cette dénonciation étonne a priori dans
les colonnes du journal Au Pilori qui n’a pas l’habitude de chroniquer la vie
artistique du pays et dont le directeur ne s’intéresse guère à la danse !
Nous pensons que Céline est à l’origine de cette dénonciation : il connaît
bien le directeur du journal, Henri-Robert Petit, qui est en quelque sorte
son documentaliste dans la rédaction des pamphlets et sera l’habitué du
samedi soir rue Girardon. Serge Lifar a refusé l’argument de ballet que Céline
lui a soumis d’entente avec Georges Auric57. En 1969, il déclare à Philippe
Alméras, non sans erreur sur la date donnée d’ailleurs comme imprécise
(« vers »), que « Céline l’a dénoncé, “vers 1942”, comme juif parce qu’il
refusait “des petites choses sans valeur”, des arguments de ballets imaginés
par Céline. La Gestapo est venue l’interroger. Cela a bien tourné, il est
devenu ami avec le type qui enquêtait58 ». Céline évoque par la suite à de
nombreuses reprises, dans sa correspondance59, Serge Lifar, avec mention
de sa naissance dans le « ghetto de Kiev », et l’anagramme réputé révélateur.
La correspondance privée atteste d’un autre motif d’intérêt de Céline pour
Lifar : « C’est une curieuse idée d’aller chercher un Juif d’Ukraine pour une
telle entreprise60. » Céline parle ici de l’exposition consacrée à la danse et
au ballet romantique, au pavillon de Marsan, organisée début 1942 par Lifar
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56 .
Ibid , p. 113. Pastori ne donne pas la référence du démenti publié dans Au Pilori. Il cite en revanche le brouillon
d’une note destinée à Jacques Rouché (Fonds Lifar, Archives Ville de Lausanne) : « J’ai fait mes études au Lycée
impérial de Kiev où les Juifs n’étaient pas tolérés. Mes origines excluent toute appartenance à la race juive et
prouvent de façon absolue que je suis de sang aryen pur. »
57 Ibid.
58 .
Philippe Alméras, Céline…, op. cit , p. 240.
59 Céline parle 11 fois de Serge Lifar à ses divers correspondants entre 1941 et 1951, dans le choix de lettres
publiées dans la Pléiade.
60 , .
Lettre du 13 février 1942 à Karen Marie Jensen, in Céline Lettres, op. cit , p. 685. Céline reparle de Lifar
comme juif dans une lettre à Henri Poulain de décembre 1943, ibid., p. 268.
61 .
Philippe Burrin, La France à l’heure allemande 1940-1944, op. cit , p. 351.
62 Voir à ce propos l’interview donnée à Maurice-Yvan Sicard, publiée le 21 novembre 1941 dans L’Émancipation
nationale ; citée in CC 7, p. 134.
63 ,
Voir lettre à Albert Paraz du 9 mars 1951, Céline Lettres, op. cit., p. 1397 : « Mme Abetz ne couchait qu’avec
Lifar. [front popu add.] (Raphil) juif de Kieff […]. Achenbach Abetz adoraient les youtres à genoux ! »
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II . 2
64 Victor Barthélemy, Du communisme au fascisme. L’histoire d’un engagement politique, Paris, Albin Michel,
1978, p. 366.
65 « Une lettre de Céline », Je suis partout, 3 mars 1944, citée in CC 7, p. 195-196.
66 .
Ibid , p. 196.
67 .
Sa nomination paraît le 3 octobre au Journal officiel Frédéric Empaytaz remplace dans son poste Émile Cals,
lui-même nommé un an auparavant à la place de l’ancien maire communiste de Bezons, Louis Péronnet,
destitué à l’automne 1939. Ce dernier sera arrêté, emprisonné, puis déporté en Algérie en 1941.
68 .
Cf David Alliot et Daniel Renard, Céline à Bezons, 1940-1944, Monaco, Éditions du Rocher, 2008, p. 47, note
14.
69 .
Cf David Alliot, D’un Céline l’autre, Paris, Robert Laffont, 2011, p. 632.
299
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70 Alliot, D’un Céline l’autre, op. cit., p. 634-635. Frédéric Empaytaz doit par ailleurs à Céline – à ses relations – sa
nomination au poste de sous-préfet de la Haute-Marne en février 1942.
71 .
Voir la lettre du 27 octobre à Frédéric Empaytaz, in Alliot et Renard, Céline à Bezons 1940-1944, op. cit , p. 62.
72 Ibid., p. 62.
73 Ibid., p. 65.
74 Lettre du 29 octobre 1940, in Alliot et Renard, Céline à Bezons, op. cit., p. 67.
75 .
Ibid , p. 67.
300
II . 2
Il ne doit pas être évident pour Frédéric Empaytaz, nommé par Vichy
le 30 septembre 194077, d’accueillir à Bezons l’auteur anticommuniste
et antisémite – même si on ne parle prudemment que du dénommé
Destouches – à la place du docteur Hogarth, médecin-chef titulaire du
poste depuis la création du dispensaire, en 1929 ! Le 9 novembre, Céline-
Destouches accepte la proposition que lui fait Empaytaz d’un poste à temps
partiel avec réduction des honoraires78, mais souligne : « Je maintiens
bien entendu ma candidature. J’écris à cet effet au Dr Branqui (sic) et au
ministère et j’écrirai à l’ordre des médecins si le besoin s’en fait sentir. Je
trouve qu’il y a un peu beaucoup de médecins juifs et maçons à Bezons
par les temps actuels. Je trouve qu’il serait harmonieux qu’un indigène
de Courbevoie – médaillé militaire et mutilé de guerre – y trouve sa place
naturelle, enfin !79. » La lettre de Céline laisse deviner les réticences, ou
l’embarras de Frédéric Empaytaz soumis aux pressions contradictoires
de la population, de sa conscience peut-être et des autorités de Vichy.
Céline ne craint pas de jouer ici le recours aux autorités, au-dessus de la
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76 .
Ibid , p. 69.
77 Bezons n’a pas oublié son ancien maire communiste destitué à la suite du pacte germano-soviétique : « Élu
maire de Bezons sans discontinuer depuis 1926, Louis Péronnet était une figure populaire, haute en couleur,
de la ville. Pendant l’Occupation, la quasi-totalité des Bezonnais le considéraient comme le seul maire légitime
de la ville, malgré son remplacement par la Délégation spéciale. » Alliot et Renard, Céline à Bezons, op. cit , .
p. 39, note 2. La note renvoie à l’ouvrage collectif Bezons, du village à la ville, Saint-Ouen-l’Aumône, Éditions du
Valhermeil, 1994.
78 On peut imaginer que le président de la Délégation spéciale tente à ce moment-là de concilier la nomination
de Céline-Destouches et le maintien partiel du docteur Hogarth apprécié de la population. Frédéric Empaytaz
ne commente ni sa décision de proposer un temps partiel à Céline ni la réponse de celui-ci à cette proposition,
bien qu’il cite sa lettre-réponse dans ses mémoires inédits.
79 Céline, Lettres, op. cit., p. 611.
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80 .
Alliot et Renard, Céline à Bezons, op. cit , p. 34.
81 La municipalité de Bezons attendra le 22 janvier 1942 pour arrêter un nouveau statut pour le personnel
.
communal (ibid , p. 133-134). Ce statut prend en compte les lois de l’été 1940 qui excluent de la fonction
publique les étrangers non naturalisés et les Français nés de père étranger, ainsi que le second statut des Juifs
du 2 juin 1941, qui étend aux fonctionnaires subalternes les interdictions professionnelles visant les Juifs.
82 Sur un horaire réduit, au dispensaire ? C’est possible, dans la mesure où Destouches-Céline n’est nommé que
comme « stagiaire médecin », avec un salaire annuel de 36 000 francs, à comparer au salaire mensuel de 4 147
francs de l’ancien médecin-chef que donnent les auteurs de Céline à Bezons. À moins que le docteur Hogarth
n’ait continué à exercer à Bezons comme médecin libéral, sa femme française étant toujours en poste au
dispensaire. Le maire est, en tout cas, informé « à toutes fins utiles ».
83 Alliot et Renard, Céline à Bezons, op. cit., p. 35.
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II . 2
Un témoignage crucial
84 Le Journal de la Société des Africanistes la présente comme « médecin conseil à l’Institut national d’Action
sanitaire des Assurances sociales », année 1943, vol. 13, n° 13, p. 205-208.
85 Ernst Jünger, Journal I 1941-1943, Paris, Julliard, 1951, p. 94-95.
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la belle âme de Jünger le méditant dont le courage restait très secret (il
participa au complot89 manqué contre Hitler), face au cauchemar sanglant
de la guerre. Jünger donc fut horrifié. Et Céline en était bien content90. »
Pour Vitoux, donc, rien de bien sérieux, rien de grave ici : Céline s’amuse
et provoque. Cette incitation au massacre des Juifs, en décembre 1941, à
l’Institut allemand, n’est qu’un jeu d’enfant, un enfant terrible (de 47 ans)
qui prend plaisir à provoquer un adulte coincé ! On pense forcément à la
réaction de Gide qui, en 1938, n’arrivait pas à prendre au sérieux Bagatelles
pour un massacre. Mais Gide avait quelques excuses : il ne connaissait pas
la suite de l’histoire et n’avait pas à sa disposition l’immense bibliographie
consacrée au « sujet » Louis-Ferdinand Céline !
François Gibault, auteur de la première biographie de Céline, écarte ce
témoignage de Jünger – qui concerne pourtant l’Occupation (décembre
1941) – du tome II, Céline. 1932-1944 : Délires et persécutions, pour le
« refouler » dans le tome III, Céline. 1944-1961 : Cavalier de l’Apocalypse91.
Le témoignage n’est cité qu’à l’occasion de la publication en traduction
française du Journal de Jünger et de la plainte déposée par Céline contre
les éditions Julliard92. Mais l’essentiel est évidemment dans la présentation
du terrible témoignage qui entache gravement l’image de l’écrivain dont
on s’occupe. Gibault s’emploie, comme Godard plus tard, à décrédibiliser
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89 Jünger était en fait au courant de tous les préparatifs de ce complot, mais ne participa pas à l’action elle-même.
90 Vitoux, La Vie de Céline, op. cit., p. 651.
91 François Gibault, Céline. 3, Cavalier de l’Apocalypse (1944-1961), Paris, Mercure de France, 1985, p. 280.
92 Céline, suivant les conseils de Me Dejean de La Batie, retira sa plainte, mais « le désistement de plainte ne fut
pas transmis au juge d’instruction ». Le procès se termina par une ordonnance de non-lieu. Voir Gibault, Céline,
op. cit., tome III, p. 287.
93 « Céline apparaît souvent dans le Journal d’Ernst Jünger, parfois sans être nommément cité et toujours de
façon très désagréable. » (ibid., p. 278.)
94 .
Ibid
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95 .
Ibid
96 À suivre cette logique, il ne faut donc croire que les témoignages de ceux qui aiment Céline !
97 Nous peignons l’homme des années d’Occupation, tel qu’il apparaît à la lecture de son Journal, et laissons aux
spécialistes le soin d’évaluer sa pensée politique et l’évolution de ses positions.
98 Ernst Jünger, Journal 1941-1943, Paris, Julliard, 1951, p. 95.
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Heller admire l’écrivain. Il témoigne du geste de Céline qui, lors d’une autre
rencontre en 1943, « tira de sa poche deux paires de lunettes de protection,
comme en utilisent les motocyclistes, donna l’une à Marie-Louise et [me]
tendit l’autre : “Elles vous rendront bien service, nous dit-il, quand les villes
allemandes s’en iront en fumée101.” » À Sigmaringen, en février 1945, Céline qui
« rouspétait contre tout le monde » se montra très gentil avec lui et attentif
à la paralysie qui le prenait aux bras et aux jambes. On ne peut cette fois
invoquer l’inimitié entre les deux hommes pour écarter le témoignage !
Il est vrai cependant que ce texte vient environ quarante ans après la
rencontre : il est publié en 1981, à la demande d’Antoine Spire, qui propose
99 On sait que Céline n’a jamais reculé devant aucun mensonge quand il s’est défendu d’une accusation de
collaboration ou d’antisémitisme. Nous parlons de trait de caractère au sens où Céline méprise radicalement la
morale et la probité. Il lui est d’ailleurs arrivé d’assumer publiquement et cyniquement cette position amorale.
100 Gerhard Heller, Un Allemand à Paris, Paris, Seuil, 1981, p. 153.
101 Ibid.
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à Gerhard Heller « l’aide d’un ami français » pour évoquer ses souvenirs qui
« ne pouvaient plus maintenant causer grand tort à personne102 ». Heller
fait lui-même allusion au problème que cause l’éloignement de la période
évoquée : « Tels ou tels noms, comme Drieu, Paulhan ou Jouhandeau,
suscitaient de longues files de souvenirs ; pour d’autres noms, pour préciser
des lieux, des dates, des événements, nous trouvions des suggestions,
des incitations pour le travail de la mémoire, dans des Journaux comme
ceux de Jünger ou de Léautaud, dans la suite des numéros de la NRF de
décembre 1940 à juillet 1943, dans les grandes histoires récentes, comme
celle d’Amouroux ou le Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale103. »
La rencontre avec Céline, qui dut être marquante, a-t-elle eu besoin de
ces « adjuvants » ? Cela n’est pas évident. Cela permet-il de déclarer,
comme le fait Henri Godard : « Il n’y a en revanche pas grand crédit à faire
à une phrase concernant la folie sanguinaire de Céline, qui reprend mot
pour mot les propos rapportés par Jünger (en 1980, date du témoignage
de Heller, le Journal de celui-ci avait déjà paru en Allemagne104) » ? On
constate seulement, en fait, l’utilisation de la même expression frappante,
« quartier par quartier », et celle du verbe « exterminer ». Ou Heller s’inspire
effectivement du Journal de Jünger, mais alors, en quoi l’invention de cette
scène et de ces paroles de Céline servent-elles le désir d’autoréhabilitation
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dans le chapitre qui suit, son admiration pour l’écrivain plagié105 ? Heller
évoquerait-il la rencontre entre Jünger et Céline à l’Institut allemand106 s’il
l’avait lui-même démarquée et transposée à sa propre personne quatorze
pages plus haut ?
Mais c’est une lettre privée de Céline adressée à Marie Canavaggia, le
26 octobre 1937, qui permet, à notre avis, de conclure. Marie Canavaggia,
l’assistante qui veille depuis 1936 à l’établissement des textes de Céline,
a osé, d’après la réponse qui lui est faite, exprimer ses réticences et des
objections à la lecture du manuscrit de Bagatelles pour un massacre. Céline
lui écrit donc pour se justifier. Il écarte sans ménagement ses reproches de
bassesse et de partialité. Le sens des nuances, la « noblesse d’attitude » et
le souci des distinctions, l’examen scrupuleux des responsabilités – dans
la guerre probablement que tout le monde redoute – « sont des propos de
Juifs », qu’il veut « égorger dans leurs mesquineries même ». C’est alors
qu’il invoque Hitler et sa « bonne méthode » comme modèles : « Lorsque
Hitler a décidé de “purifier” Moabit, à Berlin (leur quartier de la Villette)
il fit surgir à l’improviste dans les réunions habituelles, dans les bistrots,
des équipes de mitrailleuses et par salves, indistinctement, tuer tous les
occupants… mais il y avait parmi [sic] de parfaits innocents ! Il n’avait [sic]
qu’à ne pas être là ! Ce ne sont pas des endroits pour les honnêtes gens !
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.
105 Heller, Un Allemand à Paris, op. cit , p. 161-169, « La présence de Jünger ».
106 Ibid., p. 166.
107 Cahiers Céline, n° 9 : Lettres à Marie Canavaggia, 1936-1960, Paris, Gallimard, 2007, p. 59. Céline, Lettres, op.
cit., p. 540-541.
108 On s’étonne qu’Henri Godard ne fasse pas en 2011 le rapprochement entre ces deux « moments » : les lettres
à Marie Canavaggia ont été publiées en 2007. On s’étonne que Régis Tettamanzi n’y pense pas davantage en
2012 dans son dernier ouvrage. Est-ce par ignorance, mauvaise foi, ou est-ce l’aveuglement passionnel de qui
ne veut pas croire ?
109 À croire que ses désirs de massacre suivent l’extension concrète de la lutte antijuive menée par Hitler ! On sait
en effet que Céline suit de près l’actualité de la guerre et de la politique raciale du régime.
Céline est aujourd’hui reconnu comme un des plus grands écrivains français
du xxe siècle, beaucoup disent même le plus grand. C’est pour cela qu’il
importe de faire la vérité à son sujet, patiemment, sans évitement. La
personne de Céline n’en sort évidemment pas grandie. Nous voyons en lui un
spécimen de ce que l’humanité peut porter de plus vil et de plus dangereux
pour les autres. Céline est dans la littérature française une exception sinistre.
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