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aux génocides
La résistance
aux génocides
De la pluralité des actes
de sauvetage
Sous la direction de
Jacques Sémelin, Claire Andrieu
et Sarah Gensburger
Cartes 15
Bibliographie 519
Lee Ann FUJII est docteur en science politique et assistant professor à The
George Washington University (Washington, D. C.). Elle analyse les vio-
lences de voisinage perpétuées au cours du génocide rwandais et travaille
actuellement à une comparaison avec le cas bosniaque.
Laura HOBSON-FAURE achève une thèse sur le rôle des organisations juives
américaines dans la reconstruction de la communauté juive de France après
la Shoah, sous la direction du professeur Nancy L. Green, à l’EHESS. Elle
a notamment publié « Renaître sous les auspices américains et britanniques.
Le mouvement libéral juif en France après la Shoah, 1944-1970 », Archives
juives, 40 (2), octobre 2007.
Mark ROSEMAN occupe la chaire d’études juives Pat M. Glazer à Indiana Uni-
versity (Bloomington, Ind.). Il a notamment publié The Past in Hiding
(Penguin Press, 2000) et The Villa, the Lake, the Meeting. The Wannsee
Conference and the « Final Solution » (Penguin Press, 2002).
1. On ne doit cependant pas oublier que la Bulgarie a déporté les juifs de Macé-
doine (annexée en 1941 par Sofia). En revanche, les juifs bulgares ont bien
échappé à la déportation du fait de la mobilisation de députés, intellectuels et
représentants de l’Église orthodoxe.
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LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Nous avons d’abord à l’esprit l’action de ces « petites gens » qui, dans le
secret de leur maison, ont accepté un jour d’accueillir une ou plusieurs
personnes pourchassées, parce qu’elles étaient juives. Sans doute le fait
qu’il s’agisse d’initiatives dispersées, que par ailleurs, pour des raisons
évidentes, elles n’aient généré aucune archive, a-t-il nui au dévelop-
pement de leur étude scientifique. Il en va souvent ainsi des actions
civiques menées en dehors des cadres de la société établie, a fortiori
lorsqu’elles sont clandestines. En comparaison, les masses d’archives
produites par les États persécuteurs offrent une infinité de champs
propices à la recherche.
L’histoire du sauvetage a longtemps souffert d’un autre handicap,
celui de se définir souvent par des gestes ordinaires de la vie quotidienne
qui sont loin de revêtir l’éclat de la lutte armée ou d’éveiller la curiosité
du renseignement militaire. Pourtant, replacées dans leur contexte, ces
conduites de protection sont bien des gestes extraordinaires par les
conséquences qu’elles entraînent pour leurs auteurs et leurs bénéficiaires.
L’apparente banalité de tels gestes d’entraide préserve, même fugiti-
vement, un espace de civilisation dans un univers de barbarie. C’est
d’ailleurs ce que tend à refléter l’historiographie la plus récente qui
considère désormais ces actes de sauvetage comme une forme singulière
de résistance civile. Une résistance qui ne consiste pas à nuire aux forces
physiques et politiques de l’ennemi mais à sauver des vies que celui-ci
voudrait voir disparaître.
Si donc les archives relatives à des initiatives de sauvetage sont rares,
nous disposons en revanche de multiples témoignages de personnes sau-
vées, recueillis par l’institut Yad Vashem (Jérusalem) dont la mission est
entre autres de décerner le titre de « Juste parmi les nations » au non-
juif ayant sauvé un juif de manière désintéressée 2. Du fait des enquêtes
conduites par cet institut de l’État d’Israël se trouve ainsi réuni un corpus
riche de plusieurs milliers d’histoires de vies, aussi bouleversantes les
unes que les autres, collectées dans tous les pays qui ont été occupés
par l’Allemagne nazie. À preuve que la solidarité humaine ne reste pas
un vain mot, y compris quand la barbarie tient le haut du pavé. Or, un
constat s’impose : les profils de ces « Justes » sont d’une grande variété.
Les sauveteurs proviennent en effet de toutes les catégories sociales et
professionnelles, comme l’ont montré les travaux de Mordecai Paldiel
2. Cette distinction décernée par l’État d’Israël se concrétise par la remise d’une
médaille à celui qui est ainsi honoré pour son acte de sauvetage, sur laquelle
il est inscrit cette phrase du Talmud : « Quiconque sauve une vie, sauve
l’humanité. »
21
Introduction
3. Mordecai Paldiel, The Path of the Righteous, Gentile Rescuers of the Jews
during the Holocaust, Hoboken (N. J), Ktav, 1993. Lucien Lazare, Le Livre des
Justes, Paris, Hachette, 1995.
4. Enrico Deaglio, La Banalita del bene. Storia di Giorgio Perlasca, Milan,
Feltrinelli, 1993.
5. Cf. Rwanda, hommage au courage, African Rights, 2002, ainsi que le
colloque sur les Justes organisé à Kigali en décembre 2007, à l’initiative de
Gerd Ankel (Hamburger Institut für Sozialforschung). Pour la Bosnie, voir le
travail de la petite fille du maréchal Tito : Svetlana Broz, Des gens de bien
au temps du mal. Témoignages sur le conflit bosniaque (1992-1995), Paris,
Lavauzelle, 2005.
6. Gabriele Nissim, Le Jardin des justes. De la liste de Schindler au tribunal
du Bien, Paris, Payot, 2007 [trad.].
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LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
dépasse donc le seul cas de la Shoah, tend à en faire une figure univer-
selle du Bien ; comme si nous avions un impérieux besoin d’honorer les
conduites humaines les plus louables, pour compenser le désastre moral
des plus abjectes. En résulte alors une littérature hagiographique qui tend
à idéaliser le sauveteur, que d’aucuns vont même jusqu’à appeler leur
« sauveur ». La résonance religieuse de ce dernier mot traduit assurément
chez le sauvé l’expression d’une gratitude immense envers celui à qui il
ou elle doit la vie. Du point de vue des victimes, cette idéalisation est par-
faitement compréhensible, même si elle peut mettre mal à l’aise celui qui
est ainsi honoré, lui qui estime bien souvent n’avoir fait que son devoir.
Quoi qu’il en soit, cette distinction de « Juste parmi les nations »,
délivrée par l’État d’Israël, y compris pour des raisons de politique étran-
gère 7, attire l’attention de l’historien quant à l’étude de ces conduites
d’entraide. Nul doute en effet qu’il en a négligé l’importance, tout occupé
qu’il était à saisir l’extraordinaire monstruosité du crime nazi. Main-
tenant que le processus de l’extermination des juifs européens est bien
mieux connu, il devient plus aisé de regarder en amont ce qui a pu parfois
freiner, voire enrayer, cette logique de mort. Dans ce but, tout en prenant
en compte l’œuvre mémorielle considérable conduite par Yad Vashem,
il revient au chercheur de forger ses propres outils d’analyse des pra-
tiques de sauvetage. D’objet de mémoire, le chercheur se doit ainsi de
faire du sauvetage un objet d’histoire. Telle est l’ambition de cet ouvrage
qui vise à comprendre le passage à l’acte de sauver comme on a déjà
tenté de comprendre celui de massacrer. Comment alors faire de cette
question morale un véritable objet de recherche ?
9. À cette fin, notre colloque s’est conclu par deux tables rondes : la première
sur « Témoins et mémoires du sauvetage », avec Odette Christienne (Mairie de
Paris), Lucien Lazare (Yad Vashem Israël), Richard Prasquier (Yad Vashem
France), Esther Mujawayo (Rwanda), Paul Thibaud (Amitié judéo-chrétienne) ;
la seconde sur « Quelles leçons pour le présent et l’avenir ? », avec Anne-Marie
Revcolevschi (Fondation pour la mémoire de la Shoah), Karen Murphy (Facing
History and Ourselves), Valérie Rosoux (FNRS, Université catholique de
Louvain), Michel Marian (Les Nouvelles d’Arménie).
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LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
10. Helen Fein, Accounting for Genocide. Victims and Survivors of the Holo-
caust. National Responses and Jewish Victimization during the Holocaust, New
York (N. Y.), The Free Press, 1979, p. 4.
11. Nechama Tec, When Light Pierced the Darkness : Christian Rescue of Jews
in Nazi-Occupied Poland, Oxford, Oxford University Press, 1986.
12. Samuel P. et Pearl M. Oliner, The Altruistic Personality : Rescuers of Jews
in Nazi Europe, New York (N. Y.), The Free Press, 1988.
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LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
13. Lorsque la zone italienne du Sud de la France passe sous le contrôle alle-
mand en septembre 1943, les parents et les frère et sœur de Simone Veil sont
accueillis chacun dans une famille différente (cf. Simone Veil, Une vie, Paris,
Stock, 2007).
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LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
de ces milliers de maires qui ont fermé les yeux sur la venue dans leurs
communes de personnes « étrangères », bien que Vichy les pressât d’en
faire état. On est alors bien loin de la figure restreinte du « Juste », et de
la notion de résistance organisée avec ses filières d’évasion, etc. Sans
occulter pour autant des cas où la présence de juifs a pu être dénoncée
auprès des autorités, il s’agit bien davantage d’un phénomène social et
politique diffus et complexe : une société civile de la non-conformité,
comme le dirait Pierre Laborie, qui aide et camoufle celui ou celle placé
au ban de la société du fait de son identité ou de son action, pas seu-
lement le juif donc, mais aussi le réfractaire au Service du travail
obligatoire, le résistant en cavale, l’aviateur anglais (dont l’avion a été
abattu), comme le montre ici Claire Andrieu.
Les travaux sur le sauvetage recoupent une autre thématique au cœur
des recherches sur la résistance civile : celle du rapport à la loi et à la
désobéissance. Certes, il n’est pas vrai que les actes de sauvetage reposent
toujours sur une pratique illégale. Comme on le verra dans ces pages,
il est parfois possible d’être sauvé légalement, en faisant valoir tel ou
tel règlement ou procédure administrative. Mais dans la mesure où un
État institue de plus en plus la persécution d’un groupe sur des bases
légales, celui qui aide tout autant que celui qui est aidé a nécessairement
rendez-vous un jour avec l’illégalité. C’est ce basculement dans la déso-
béissance qu’il est aussi pertinent d’ausculter, que ce soit du côté du
possible sauveteur ou du côté de la victime. Car franchir ce tabou de
l’illégalité est loin d’être une conduite anodine et peut susciter bien des
réticences. Comment ces barrières vont-elles être ou non levées ? Comment
des organisations qui œuvraient au grand jour basculent-elles progressi-
vement dans la clandestinité ? Comment peuvent-elles combiner façade
légale et pratique illégale, telles sont quelques-unes des questions qui
seront abordées dans ces pages à travers une diversité d’études de cas.
Nous avons encore voulu donner à notre approche une dimension
résolument internationale. Ceci nous est apparu essentiel pour introduire
la question du risque. En effet, les dangers encourus par les sauveteurs
à l’Est ou à l’Ouest de l’Europe nazie ne sont pas du tout les mêmes. En
Pologne, qui est surpris à cacher un juif est exécuté sur le champ, tandis
que les risques sont moindres en Europe occidentale. Par ailleurs, la
connaissance des nouvelles relatives au sort réservé aux juifs à l’Est, la
circulation des rumeurs à cet égard, le rôle des médias, y compris d’une
radio comme la BBC, partout écoutée sur le continent occupé, sont égale-
ment des facteurs à prendre en compte.
29
Introduction
Étudier un processus
Finalement, une question s’est imposée à nous à mesure que nous
progressions dans cette recherche : le mot « sauvetage » est-il vérita-
blement le mieux à même de qualifier notre objet ? L’emploi du mot
« sauvetage » semble tout à fait légitime lorsqu’il y a véritablement per-
ception du danger. Or ce n’est pas toujours le cas, y compris chez les
victimes. Ceci recoupe d’ailleurs une observation psychologique : une
personne peut être dans une situation objective de danger extrême et
ne pas en avoir pris conscience ; ou dénier psychiquement la réalité de
ce danger. Étudier les étapes d’une persécution et les diverses réactions
que ces étapes suscitent tant chez les victimes que chez ceux qui pour-
raient potentiellement leur venir en aide, constitue donc une démarche
préalable pour évaluer chez les uns et les autres la prise de conscience
de la réalité de ce danger.
Cette notion de « sauvetage » reste encore équivoque dans la mesure
où elle fait penser à une opération de secourisme... en mer ou à la mon-
tagne... Elle laisse donc croire que la survie se joue en un instant très
court alors qu’il s’agit bien souvent d’une chaîne continue d’actes
accomplis par une série d’acteurs plus ou moins dispersés : aider une
personne à trouver une cachette, à lui procurer des faux papiers, à
s’enfuir dans un pays étranger, etc. C’est l’addition et l’articulation de
ces différents gestes d’assistance qui permettra – ou non – de parler in
fine de sauvetage.
Sans préjuger du dénouement heureux ou tragique de ces actions, ne
convient-il pas par conséquent de recourir à un mot plus neutre et plus
indéterminé, comme celui d’« aide » ? En somme, dans une situation his-
torique de persécution croissante envers certains individus, il y a ceux
qui aident et ceux qui demandent à être aidés. Il y a ceux qui accueillent
30
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Peu à peu, nous avons mis ainsi au jour les problématiques qui nous
semblent structurer la pensée sur ces pratiques de sauvetages en situa-
tions génocidaires. Elles construisent cet ouvrage en trois parties.
14. Signalons qu’à des fins de cohérence, nous avons harmonisé l’usage des
majuscules. Concernant les noms de peuple, nous réservons la majuscule aux
substantifs de nationalité.
I - ENTRE HISTOIRE
ET MÉMOIRE
LA NOTION DE SAUVETAGE
omment constituer en objet des sciences sociales les actes ayant
La proposition d’inclure les non-juifs ayant aidé des juifs parmi les per-
sonnes dont il s’agit d’honorer la mémoire apparaît seulement au cours
des débats parlementaires, par le biais d’un amendement.
La loi du 19 août 1953 compte finalement un neuvième et dernier
alinéa qui pose le principe de la commémoration des « Justes parmi les
nations qui ont risqué leur vie pour venir en aide à des juifs 12 ». Aucune
procédure concrète n’est cependant établie avant la tenue du procès
Eichmann en 1961. Lors de ce dernier, l’évocation des « Justes parmi les
nations » va à son tour permettre de soigner les liens entre Israël et les
pays dont l’État hébreu recherche le soutien. L’appel à la barre du « Juste »
Heinrich Grüber relève ainsi selon Ben Gurion de la politique étrangère
d’Israël à l’égard de la République fédérale d’Allemagne, un mécanisme
qui se répète tout au long du procès et pour un large éventail de pays.
Synthèse de l’événement, le réquisitoire du procureur général dresse une
liste de ces non-juifs secourables, qualifiés de « Justes parmi les nations ».
Leur description ne se fait pas sur la base de leurs identités nominales
mais sur celle de leurs appartenances nationales. À travers l’hommage
collectif à ces personnages du passé, un lien diplomatique est établi entre
pays « sauveteurs » et amis de l’État d’Israël. Un soin particulier est mis
à « n’oublier » aucun des États possiblement concernés.
À la suite du procès, de nombreuses demandes, émanant d’individus
et d’institutions, sont adressées à l’État d’Israël et à Yad Vashem pour
qu’ils mettent en place une politique effective de reconnaissance à
l’égard des « Justes parmi les nations ». Ces requêtes mettent en avant le
bénéfice diplomatique qu’Israël pourrait en tirer 13. En février 1962, l’ins-
titut crée un service administratif dédié à cette nouvelle mission 14. Celle-
ci s’effectuera à travers la plantation d’arbres honorifiques nominatifs
sur le mont du Souvenir à Jérusalem. Avec ce symbole, l’institut reprend
un insigne national ancien. En Israël, « l’arbre est chargé d’une forte
valeur symbolique : il devient une icône de la renaissance nationale,
incarnant la réussite sioniste en “faisant jaillir des racines” dans l’ancien
foyer national 15 ». Acte patriotique, l’inauguration de cette « allée des
21. Le département des Justes ayant indiqué ne pas avoir établi l’évolution des
nominations, celle-ci a été reconstituée à partir des listes des nominations de
1963 à 1989, conservées aux Archives de l’United States Holocaust Memorial
Museum, « Righteous among the Nations – Lists, 1963-1989 », puis entre 1990
et 1997, à partir des listes annuelles diffusées par Yad Vashem sur son site
internet ou reproduites à la fin de certains ouvrages.
45
De la mémoire du sauvetage...
Israël 40 14
France 55 80
Divers autres 5 6
Cette fois-ci, il n’est fait aucune mention d’un lien avec l’État hébreu
ni d’aucune mobilisation particulière à son égard. Le nom même d’Israël
ne figure ni dans la lettre de prise de contact ni dans le témoignage. À
l’inverse, l’expression « décorée de l’ordre des Justes » utilisée traduit le
cadre mental qui semble être celui du témoin, davantage proche de réfé-
rences républicaines et hexagonales comme celles de l’Ordre national
du Mérite, de l’Ordre de la Légion d’honneur ou encore de l’Ordre de
la Libération.
À ce stade, il apparaît que les récits d’actes de sauvetage traduisent
principalement la position du témoin dans l’espace social précis délimité
par les deux pôles que constituent la France et l’État hébreu. L’évolution
du rapport à la France et à Israël des survivants comme celle de leur
rapport à la pratique religieuse et au milieu collectif non juif ont joué
un rôle déterminant dans le recours au titre de « Juste parmi les nations »
depuis sa création. Le système de relations interindividuelles et de rap-
ports aux divers milieux collectifs doit être pris en compte pour
comprendre comment ce titre a été attribué depuis 1963.
Témoignages et migrations
25. Franck Leibovici, « Esquisse d’une histoire des Français en Israël », Ving-
tième Siècle. Revue d’Histoire, 78, avril-juin 2003, p. 4.
26. Il s’agit du père Roger Braun, DJYV, dossier Léon Platteau. Après le père
Roger Braun (13 juillet 1962), le deuxième Français attributaire du titre est
Eugène Van der Meersch (26 août 1962).
27. Données officielles de l’Agence juive pour Israël (www.jafi.org/) ; Amir
Ben-Porat, « Proletarian Immigrants in Israel, 1948-1961 », Social Inquiry, 60
(4), novembre 1990, p. 395-404.
28. Puisque les témoins doivent avoir vécu directement les faits dont il est
question.
29. Franck Leibovici, « Esquisse d’une histoire des Français en Israël », art.
cité, p. 6.
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LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
1. L’auteur établit ici une distinction entre les « Justes parmi les nations », « the
Righteous among the Nations » en anglais, et ce qu’elle appelle « the just per-
sons » que nous avons choisi de traduire par « les gens de bien » pour éviter toute
confusion. Le terme arabe d’‘adala désigne la justice sociale (NDT).
54
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
mettre l’accent sur l’expérience humaine avec la conviction ultime que l’huma-
nité finira par s’améliorer lorsqu’elle découvrira enfin le bien, le vertueux et le
juste dans son propre passé et dans son présent et qu’elle projettera alors ces
éléments vers l’avenir. Pour le moment, les États-Unis manquent malheureuse-
ment d’une telle vision.
7. Bert Adams et Rosalind A. Sydie, « Critical Theory : the Frankfurt School
and Habermas », Contemporary Sociological Theory, Thousand Oaks (Calif.),
Pine Forge, 2002, p. 59-88.
8. Michel de Certeau, « On the Oppositional Practices of Everyday Life », Social
Text, 3, automne 1980, p. 3-43, et The Practice of Everyday Life, Berkeley
(Calif.), University of California Press, 1988.
9. James C. Scott, Domination and the Hidden Arts of Resistance : Hidden
Transcripts, New Haven (Conn.), Yale University Press, 1990.
57
À la recherche des Justes : le cas arménien
12. Edward Said, Orientalism [L’Orientalisme : l’Orient créé par l’Occident, trad.
par Catherine Malamoud, Paris, Seuil, 1980], New York (N. Y.), Pantheon, 1978.
59
À la recherche des Justes : le cas arménien
14. Je devrais noter ici qu’à ce jour, il n’y a eu, à ma connaissance, que deux
travaux sur les turcs « altruistes ». Le plus récent a été présenté par Sarkis
Seropyan au colloque organisé à Istanbul en 2005 sur les arméniens de l’Empire
ottoman, qui s’est tenu à l’Université de Bilgi en septembre 2005. Une contribu-
tion plus ancienne a été présentée par Richard Hovannisian au Workshop on
Armenian Turkish Scholarship de 2003 organisé à l’Université du Michigan,
intitulée « Intervention and Altruism during the Armenian Genocide ».
15. On en trouvera un exemple dans l’article de Hassan le Circassien, également
connu sous le nom de « Hassan Amca » publié dans le journal Alemdar (1919)
où il mentionne les arméniens qu’il a sauvés du désert syrien sur ordre de Cemal
Pachal et malgré les intrigues de Talât Pacha.
16. Erik Zürcher, The Unionist Factor : The Role of the Committee of Union
and Progress in the Turkish National Movement, 1905-1926, Leyde, Bril, 1984.
61
À la recherche des Justes : le cas arménien
l’Empire ottoman trois minorités non musulmanes : les grecs, les armé-
niens et les juifs. Leurs représentants établis dans les Balkans finirent
par accéder aux droits politiques à la suite de la création d’abord de l’État
grec, puis des États serbe, roumain et bulgare. Les juifs commencèrent à
définir la Palestine comme leur patrie et à y acquérir des terres, fondant
des colonies.
La patrie des arméniens était quant à elle bien plus proche de
Constantinople, la capitale de l’Empire ottoman. Ils étaient dispersés à
travers toute l’Anatolie, dans les régions orientales entourant Van et au
Sud-Est, autour de la Cilicie. Le passage de sujets à citoyens se fit sous
diverses formes, souvent contrastées, la plupart collaborant avec empres-
sement avec l’État ottoman pour réaliser des réformes sociales, politiques
et économiques qui profiteraient à tous les Ottomans, tandis que certains
rejoignaient les rangs des partis révolutionnaires arméniens qui prô-
naient le recours à la violence et à la rébellion armée pour accéder à
l’indépendance en obligeant les puissances occidentales à intervenir dans
les affaires de l’Empire ottoman. Bien que ce dernier ait effectivement
entrepris une série de réformes et que des arméniens aient participé au
gouvernement ottoman au XIXe siècle et officiellement jusqu’en 1914,
les tentatives pour améliorer la situation de ceux qui vivaient dans les
régions rurales et dans de petites bourgades ou pour corriger leur statut
au sein d’un Empire ottoman dominé par les turcs musulmans finirent
par échouer.
À la veille de la Première Guerre mondiale, on assista à une bipolari-
sation due à l’avènement de l’idéologie nationaliste. Les fonctionnaires
réformateurs du CUP intervinrent d’abord en 1908 pour remplacer le
règne autocratique du sultan, fondé sur la religion, par un régime consti-
tutionnel reposant sur la loi et la raison. Mais le respect des nouvelles
lois, tant par les sujets que par les autorités elles-mêmes, eut bien du mal
à s’imposer. Alors que l’un après l’autre, les pays déclaraient la guerre à
l’Empire ottoman, les responsables du CUP durent recourir à une violence
croissante pour maintenir l’ordre social. En 1913, une fraction radicale
de responsables du CUP, aux tendances militaristes, décida d’exercer le
pouvoir direct, créant ainsi un contexte politique extrêmement dangereux.
Ce groupe protonationaliste se fixa comme objectif prioritaire et
comme devoir sacré de préserver son pouvoir et d’assurer la survie de
l’État ottoman quel qu’en fût le prix. Cela le conduisit à considérer toutes
les activités liées à la réforme de l’Empire comme des menaces majeures,
des actes de trahison. Les partis politiques arméniens et leurs dirigeants
qui avaient demandé aux grandes puissances d’intervenir pour faire exé-
cuter ces réformes constituaient à leurs yeux un danger pour le bien-être
63
À la recherche des Justes : le cas arménien
17. Abidin Nesimî, Yılların İçinden [De l’intérieur des années], Istanbul, Gözlem,
1977.
18. Ibid., p. 34.
19. Abidin Nesimî raconte aussi comment, pour finir, on empêcha l’Organisa-
tion spéciale de commettre des assassinats dans le pays ; on la chargea de
rassembler des informations et de fomenter des révoltes en Afrique du Nord, en
64
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Iran, en Inde et en Russie (Ibid., p. 36). Elle fut rebaptisée direction des Affaires
orientales (Umur-u Sarkiye Müdürlügü) et transformée ainsi en organisme
d’État, rattaché au chef d’état-major général (Genelkurmay).
20. Ibid., p. 37-39.
65
À la recherche des Justes : le cas arménien
été fondé en accord avec les principes de la sharia et étant donc tenu
de les respecter, seuls ceux qui avaient failli dans leur loyauté auraient
dû être assassinés. Les autres n’auraient pas dû être tués, mais déportés.
Ce point de vue a été défendu par les hommes mentionnés plus haut
[dont son père] qui ont eux-mêmes été assassinés [par la bande du circas-
sien Ahmed]. Le comité central d’Union et Progrès partageait cet avis
[...] et avait envisagé, par mesure de précaution, d’assassiner ceux qui
avaient failli dans leur loyauté et de déporter les arméniens innocents.
Mais l’organisation de la milice kurde établie par Şahingiray et d’autres
qui se sont chargés de la déportation ont transformé celle-ci en massacre.
Et le comité central d’Union et Progrès a partiellement fermé les yeux.
Il y a eu des moments où il n’y est pas très bien arrivé [...] comme dans
le cas de Vartkes, Kelekyan et d’autres [...]. Bref, alors que la décision
du comité central était de procéder à la déportation [des arméniens], ce
que la milice kurde et les membres du Teskilat-i Mahsusa ont fait était
un massacre ».
Ce texte est intéressant, car il avance une raison religieuse qui aurait
dû interdire le massacre des arméniens, en se fondant sur l’exemple cora-
nique du hadith de la tribu juive de Ben-i Kureysh, qui s’était révoltée
contre le Prophète. Cette suggestion est très significative à maints égards.
En effet, les membres du CUP étaient en général farouchement laïques,
et aucune de leurs actions ne reflétait l’adhésion à des principes reli-
gieux. Ils avaient en réalité remplacé leur foi dans le divin par la
croyance dans le caractère sacro-saint de l’État ottoman et justifiaient
leurs actions par le nationalisme et non par la religion. Le seul autre
recours à la religion islamique dans le cadre des déportations armé-
niennes est le fait de Vahakn Dadrian, qui affirme que la population
musulmane ignorante était souvent excitée contre les arméniens définis
comme des « infidèles », dont le massacre était censé ouvrir les portes du
paradis aux musulmans. Mais on connaît l’exemple de musulmans qui
refusèrent cette pratique parce qu’ils la jugeaient injustifiée ou estimaient
« injuste » de tuer un autre être humain, quel qu’il fût.
Ce point exige quelques précisions sur la conception de la justice
islamique (et ottomane), à savoir l’‘adala en arabe ou adalet en ottoman
ou en turc. Ce concept ne recouvre pas la notion judéo-chrétienne du
« comportement juste ». La notion musulmane d’‘adala est au fondement
de la gouvernance et du système judiciaire de l’Empire ottoman. Elle
constitue le cadre à l’intérieur duquel les musulmans jugent la conduite
humaine comme « juste » ou « injuste ». C’est dans ce cadre de référence
qu’ils agissent à l’égard des arméniens avec bienveillance et résistent aux
67
À la recherche des Justes : le cas arménien
23. De fait, comme les spécialistes l’ont souvent noté, on ne pouvait légitime-
ment retirer du pouvoir les dirigeants musulmans qu’en prouvant qu’ils avaient
agi « injustement » à l’égard de leurs sujets. Cf. Halil Inalcı, The Ottoman
Empire : The Classical Age, 1300-1600, New York (N. Y.), Praeger, 1973.
24. Hüsamettin Ertürk, İki Devrin Perde Arkası [Deux ères en coulisse], Istanbul,
Hilmi, 1957, p. 327.
25. Ibid., p. 306.
68
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
4. Jacques Sémelin, Sans armes face à Hitler, Paris, Payot, coll. « Petite Biblio-
thèque Payot », 1996 [1re éd. 1989].
5. François Marcot (dir.), avec la collaboration de Christine Levisse-Touzé et
Bruno Leroux, Dictionnaire historique de la Résistance, Paris, Robert Laffont,
coll. « Bouquins », 2006.
6. Dominique Veillon, « Les réseaux de résistance », dans Jean-Pierre Azéma et
François Bédarida, La France des années noires, tome 1, Paris, Seuil, 1993,
p. 453.
7. Michael Richard D. Foot et James M. Langley, MI9, The British Secret Service
That Fostered Escape and Evasion 1939-1945 and its American Counterpart,
Londres, The Bodley Head, 1979.
75
Approche comparée de l’aide aux juifs et aux aviateurs alliés
9. Lucien Lazare, Le Livre des Justes, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1996,
p. 263.
10. Pour la mise en évidence de ce paramètre, voir Sarah Gensburger, Essai
de sociologie de la mémoire..., thèse citée.
11. AN, 72 AJ 817, reproduite sur le site Archim.
78
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
moins jusqu’à l’invasion de la zone sud. Les risques encourus par les
hébergeurs étaient ceux liés à l’usage de faux papiers, de fausses cartes
de ravitaillement, et à la non-déclaration des hôtes, mesure qui était
devenue obligatoire pour le séjour de toute personne étrangère à la
commune en vertu d’une loi de février 1943. L’aide aux juifs encourait
les mêmes risques. Mais, à notre connaissance, la répression des civils
venant en aide aux fugitifs alliés a toujours été le fait de l’occupant.
Comparée à la répression de l’aide aux Alliés, celle de l’aide aux juifs
paraît presque inexistante. De la part de l’État français, en dehors des
mesures mentionnées dans le paragraphe précédent, l’intervention à
l’encontre des hébergeurs est rare. Deux seuls textes nouveaux sont à
signaler, dont l’application reste incertaine. Une loi du 10 août 1942
« réprimant l’évasion des internés administratifs et la complicité en
matière d’évasion » prévoit une peine de trois mois à un an de prison
pour « recel » d’évadés de camps d’internement 17. À l’inverse des disposi-
tions SS prises au même moment pour l’hébergement des aviateurs, la
famille de l’évadé est explicitement exemptée de toute peine. Mentionnée
dans le recueil de textes officiels Les Juifs sous l’Occupation publié par
le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) en 1945, et citée
dans un rapport de l’automne 1942 sur la situation des juifs en France 18,
cette loi visait vraisemblablement l’évasion de « travailleurs étrangers »
juifs. Dans le même été 1942, René Bousquet a pris la seule disposition
qui vise explicitement l’aide aux juifs : par télégramme, il a enjoint les
préfets régionaux de zone libre de lui « proposer éventuellement » « inter-
nement administratif personnes dont attitude ou actes entraveraient
exécution mes instructions sur regroupements israélites 19 ». Nous ne
connaissons pas les suites données à ce télégramme, s’il y en eut. Le
refus de coopérer aux rafles de l’été 1942 en zone sud a entraîné au
moins deux sanctions : trois mois d’assignation à résidence à Privas pour
le révérend père Chaillet, de l’Amitié chrétienne, et une mise à la retraite
d’office pour le général de Saint-Vincent qui avait refusé de mettre
l’armée à disposition pour encadrer la gare, à Lyon, au moment de l’opé-
ration de déportation 20. On peut citer aussi l’arrestation en février 1943
L’étude d’un mouvement social – l’aide aux fugitifs – par des moyens
extérieurs à l’objet, comme la bibliographie, la reconnaissance sociale
postérieure aux événements ou la répression des actes accomplis, ne per-
met pas de répondre à toutes les questions. Notamment, le croisement
des deux types d’aide se voit dans d’autres sources et à d’autres moments,
lors des passages de frontières 23 ou dans l’analyse fine des dossiers indi-
viduels. Mais l’approche par l’extérieur permet d’éviter le piège d’un
discours psychologique sur les motivations, toujours aléatoire, et de
détecter des mentalités collectives ou des cultures politiques nationales.
Par exemple, si la fréquence de l’aide était inversement proportionnelle
à l’intensité de la répression, la France n’aurait pas été l’un des pays
d’Europe de l’Ouest où les soldats et aviateurs alliés étaient recueillis et
protégés par 90 % de la population civile 24. Le constat oblige à introduire
le paramètre d’une conscience nationale qui, au mépris des mesures
nazies et des propagandes nazies et vichystes, persistait à considérer la
présence allemande comme illégitime, et les Anglo-Saxons comme les
alliés naturels de la France. Il est bien possible, aussi, que les mesures
de déportation, parce qu’elles étaient allemandes, se soient trouvées par
là même frappées d’illégitimité, tout en étant perçues comme inhumaines.
4. Leon Shapiro et Boris Sapir, « Jewish Population of the World », dans Harry
Schneiderman, Morris Fine et Jacob Sloan (eds), American Jewish Year Book,
50, Philadelphie (Pa.), The Jewish Publication Society of America, 1949, p. 697.
5. Abel Herzberg, Kroniek der Jodenvervolging, 1940-1945, Amsterdam, Em.
Querido’s Uitgeverij, 1985 [5e éd.], p. 322-324.
6. Pim Griffioen et Ron Zeller, « A Comparative Analysis of the Persecution of
the Jews in the Netherlands and Belgium during the Second World War », The
Netherlands’ Journal of Social Sciences, 34 (2), 1998, p. 126-164.
85
Pour une approche quantitative de la survie et du sauvetage des juifs
ont produit leurs résultats 11. Cependant, cette méthode ne peut au mieux
exclure que quelques-unes des explications concurrentes des différences
relevées dans les taux de mortalité. Malgré la réduction de leur nombre,
plusieurs de ces explications continuent à coexister.
Pour pouvoir affirmer de façon convaincante qu’une « cause » sup-
posée a effectivement joué un rôle à la différence d’une seconde, il faut
pouvoir évaluer les effets de ces deux causes au même moment sur la
variable résultante. C’est exactement ce que permet une analyse multi-
variable. Dans notre cas, la variable résultante est le taux de mortalité
national, alors que les facteurs étudiés, ou variables indépendantes, sont
par exemple ceux qu’utilise Helen Fein : le degré de contrôle de la SS
et le degré d’antisémitisme de la population non juive. En se servant
de logiciels de statistiques perfectionnés, on peut établir quelle variable
indépendante est en corrélation avec la variable résultante, tout en
contrôlant les effets des autres variables indépendantes analysées.
les juifs allemands qui s’étaient réfugiés aux Pays-Bas avant la guerre
savaient déjà ce qu’il fallait attendre d’une occupation allemande. Il
paraît raisonnable de penser qu’ils auront mis plus d’énergie que les juifs
hollandais à essayer d’échapper à la déportation. Mais il n’est pas exclu
non plus que les juifs allemands aient été tout simplement plus aisés
que les juifs hollandais et donc plus susceptibles de financer leur survie
dans la clandestinité ou leur fuite vers un pays neutre.
Une raison pour laquelle Helen Fein n’a pas utilisé d’analyse multi-
variable est le faible nombre d’unités de sa recherche. Ayant choisi de
concentrer son analyse au niveau national, elle a dû se contenter de
vingt-deux unités. En analyse statistique, ce nombre est trop limité pour
permettre une analyse multivariable. Ce choix l’a également obligée à
travailler avec des nombres globaux : le pourcentage national moyen de
juifs qui n’ont pas survécu à la guerre. Aussi a-t-elle ignoré la variation
des taux de mortalité à des niveaux d’analyse inférieurs au niveau natio-
nal comme ceux des échelles départementales ou municipales. Ce choix
l’a de plus contrainte à rechercher des explications des différences obser-
vées toujours à l’échelle nationale, excluant que les causes d’un taux de
mortalité élevé ou bas puissent se situer à des niveaux inférieurs et avoir,
par exemple, des origines régionales ou locales spécifiques. Dans le fond,
son travail a pris en compte les pays comme une « boîte noire ». On conti-
nue à ignorer ce qui s’est passé exactement à l’intérieur même de ces
pays. Il est pourtant évident qu’en examinant le résultat de processus
multifactoriels complexes comme le génocide des juifs au niveau natio-
nal, il faut tenir compte des variations locales, capables de peser de façon
significative sur les résultats nationaux 13.
La recherche de Marnix Croes et Peter Tammes 14 s’inscrit dans cette
perspective. Pour expliquer la variation du taux de mortalité à l’intérieur
même des Pays-Bas, nous avons vérifié la pertinence de divers facteurs
sur les chances individuelles de survie, que ceux-ci aient été identifiés
par les historiens au cours des précédentes décennies ou empruntés à la
théorie sociologique. Ces facteurs concernent d’abord l’identité sociale
des juifs eux-mêmes (caractéristiques du milieu socioculturel), la nature
15. Michael R. Marrus et Robert O. Paxton, « The Nazis and the Jews in Occu-
pied Europe, 1940-1944 », Journal of Modern History, 54, 1982, p. 687-714,
p. 713.
89
Pour une approche quantitative de la survie et du sauvetage des juifs
16. Ibid.
17. Aharon Weiss, « Quantitative Measurement of Features of the Holocaust.
Notes on the Book by Helen Fein », Yad Vashem Studies, 14, 1981, p. 319-334
et 326.
18. Coen Hilbrink, De ondergrondse. Illegaliteit in Overijssel, 1940-1945, La
Haye, Sdu uitgevers, 1998, p. 59-64.
19. Marnix Croes, « Gentiles and the Survival Chances of Jews in the Nether-
lands, 1940-1945. A Closer Look », dans Beate Kosmala et Feliks Tych (eds),
Facing the Nazi Genocide : Non-Jews and Jews in Europe, Berlin, Metropol,
2004, p. 41-72.
20. Aharon Weiss, « Quantitative Measurement... », art. cité, p. 334.
21. Johan C. H. Blom, « Geschiedenis, sociale wetenschap... », art. cité,
p. 579-580.
22. Cf. Coen Hilbrink, De ondergrondse..., op. cit., p. 58.
90
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
39. Marnix Croes, « Gentiles and the Survival Chances of Jews in the Nether-
lands... », art. cité.
40. Le nombre d’organisations catholiques dans les municipalités explique en
partie ce taux de survie supérieur des juifs dans des municipalités possédant
un plus fort pourcentage d’habitants catholiques. Cf. Peter Tammes et Anika
Smits, « De invloed va christenen op de overlevingskansen van joden in Neder-
landse gemeenten tijdens de Tweede Wereldoorlog : een katholieke paradox ? »,
Mens en Maatschappij, 80 (4), 2005, p. 353-375.
41. Marnix Croes et Peter Tammes, « Gif laten wij niet voortbeestaan »...,
op. cit., p. 410.
42. Pim Griffoen et Ron Zeller, « Anti-Jewish Policy and Organization of the
Deportations in France and the Netherlands, 1940-1944 : A Comparative
Study », Holocaust and Genocide Studies, 20 (3), 2006, p. 437-473.
43. Marnix Croes, « The Netherlands 1942-1945 : Survival in Hiding and the
Hunt for Hidden Jews », The Netherlands’ Journal of Social Sciences, 40 (2),
2004, p. 157-175.
44. Marnix Croes et Peter Tammes, « Gif laten wij niet voortbeestaan »...,
op. cit., p. 516-525. Généralement parlant, les chances de survie des juifs des
Pays-Bas à la guerre augmentèrent avec l’âge, mais l’importance de cet effet
diminuait avec l’âge.
45. Marnix Croes, « Jodenvervolging in Utrecht », dans Henk Flap et Marnix
Croes (eds), Wat toeval leek te zijn, maar niet was..., op. cit. Concernant le
95
Pour une approche quantitative de la survie et du sauvetage des juifs
Sauvetage et résistance
Une des questions les plus fascinantes concernant la Shoah aux Pays-
Bas est celle du rôle de la résistance organisée. 28 000 juifs au moins
se cachèrent aux Pays-Bas, et parmi eux, 16 100 environ survécurent à
la guerre. Ils dépendaient pour cela de l’aide de non-juifs, parmi lesquels
un certain nombre de familles isolées (parents, amis, voisins, etc.). Mais
les réseaux de résistance organisée jouèrent également un rôle. Dans la
province hollandaise d’Overijssel, plusieurs des réseaux de résistance en
activité considérèrent que leur tâche première, ou une de celles-ci, était
de s’occuper des juifs clandestins. Ce qui a conduit Marnix Croes et Peter
Tammes à supposer qu’un nombre supérieur de juifs avait dû survivre
dans les municipalités comptant le plus d’agents de la Résistance, dont
nous connaissons le nombre grâce au travail de l’historien Coen Hilbrink 46 ;
ils devaient en effet avoir plus de chances d’obtenir de l’aide, grâce à
cette plus grande proximité (potentielle). Or nos analyses ont montré que
le nombre d’agents locaux de la Résistance était inversement proportion-
nel au taux de survie des juifs dans ces municipalités : une résistance
plus active entraînait une moindre survie 47. Ce résultat est évidemment
remarquable dans la mesure où les résistants aidèrent les juifs clandestins
et ne les persécutèrent pas.
Marnix Croes et Peter Tammes ont cherché à expliquer cette situation
par le comportement de la Sicherheitspolizei. Celle-ci concentrait en effet
ses enquêtes en fonction de l’importance des activités de résistance. Il n’est
donc pas exclu qu’une résistance plus active ait entraîné une attention
accrue de la police allemande, et, par là, l’arrestation d’un nombre relati-
vement plus important de juifs cachés 48. Ce taux d’arrestations plus impor-
tant pourrait également contribuer à expliquer que les juifs vivant dans
des municipalités abritant un pourcentage relativement fort de catho-
liques aient eu de meilleures chances de survivre à l’occupation allemande
que ceux qui vivaient dans des municipalités à relativement fort pourcen-
tage de calvinistes. Par comparaison avec les catholiques, les calvinistes
étaient apparemment plus impliqués dans un type d’activités de résistance
susceptibles d’attirer l’attention de la Sicherheitspolizei, telles que le vol
à main armé de tickets de rationnement et de papiers d’identité 49.
Cela tenait d’une part au fait que l’église catholique romaine inter-
disait aux résistants catholiques tout recours à la violence, de l’autre au
fait qu’en raison de leur prédominance, les catholiques avaient plus de
chances de trouver dans l’administration locale un coreligionnaire qui
accepterait de faire « disparaître » des tickets de rationnement ou des
papiers d’identité 50. Autrement dit, les municipalités à relativement forte
proportion de calvinistes étaient sans doute plus souvent et/ou plus
attentivement passées au crible par la Sicherheitspolizei, ce qui tendait
à entraîner davantage d’arrestations de juifs cachés. Mais il ne suffit pas
de formuler cette hypothèse. Pour l’étayer, il faudrait la vérifier, ce qui
exigerait, une fois encore, le recours à des méthodes quantitatives. Cette
étude serait intéressante, car elle pourrait éclairer le fonctionnement
interne des processus de sauvetage et de persécution.
Dans cet article, nous plaidons donc pour le recours aux méthodes
quantitatives dans les recherches sur la survie et le sauvetage des juifs
pendant la Seconde Guerre mondiale. Helen Fein a utilisé cette méthode
en 1979 pour expliquer les différences de taux de survie des juifs dans
vingt-deux pays et territoires soumis à l’occupation allemande. Ses
analyses l’ont incitée à conclure que l’importance de l’influence de la
SS et le degré d’antisémitisme, variables en fonction des pays, pouvaient
expliquer ces différences. Sa conclusion comme ses méthodes ont suscité
bien des critiques, qui recouvraient largement celles qui ont été portées
contre l’étude quantitative de Marnix Croes et Peter Tammes sur les
chances de survie des juifs des Pays-Bas pendant l’occupation allemande.
48. Ibid.
49. Ibid., p. 437-441.
50. Alfred P. M. Cammaert, Het verborgen front. Geschiedenis van de georga-
niseerde illegaliteit in de provincie Limburg tijdens de Tweede Wereldoorlog,
Leeuwarden/Mechelen, Eisma v.v., 1994.
97
Pour une approche quantitative de la survie et du sauvetage des juifs
1. Marthe Cohn avec Wendy Holden, Behind the Enemy Lines. The True Story
of a French Jewish Spy in Nazi Germany, New York (N. Y.), Harmony Books,
2002, p. 76-77.
2. Théo Klein et Stéphane Zagdanski, « L’antisémitisme est-il de retour ? », Le
Nouvel Observateur, 2168, du 25 au 31 mai 2006, p. 102-103.
100
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Rapportant cette anecdote plus de soixante ans après les faits, Théo
Klein s’interrogeait sur le sens que pouvait bien avoir ce terme pour
celui qui l’avait employé. Il semble en effet paradoxal qu’un antisémite
accepte ou parfois même prenne l’initiative de sauver des juifs. Or les
termes d’antisémitisme et de sauvetage renvoient à des phénomènes de
nature différente : le premier, dans lequel la dimension idéologique en
même temps que psychosociale est centrale, s’inscrit historiquement
dans la longue durée et renvoie à l’évolution de l’antisémitisme français.
Le second s’appuie sur la seule période de l’Occupation et décrit une
pratique. Mais l’un comme l’autre aspirent à dépeindre l’attitude de la
population française à l’égard des juifs, en un temps où ces derniers
étaient persécutés, un sujet qui soulève des enjeux éthiques consi-
dérables. Tandis que l’existence d’un antisémitisme autonome de l’État
français est maintenant bien établie, les études consacrées à l’opinion
publique restent divergentes quant à leurs conclusions. Les uns décrivent
les Français comme antisémites, réceptifs à l’idéologie dominante, complices
dans l’application des mesures de ségrégation, de spoliation, puis au
mieux indifférents, au pire soulagés de voir les juifs déportés de France.
Pour d’autres en revanche, les opérations de sauvetage rendues possibles
par l’attitude de ces mêmes Français – la société civile opposée à l’État –
expliquent que les trois quarts de la population juive de France ont pu
échapper au sort qui leur était réservé par les Allemands. Une chrono-
logie plus fine s’est efforcée de concilier ces deux perspectives en
s’appuyant sur l’idée d’une rupture au cours de l’été 1942. Un anti-
sémitisme largement partagé, mais aucunement prioritaire au sein de
l’opinion, se serait alors dissipé devant l’horreur des rafles massives de
juifs, d’où une multiplication des pratiques de sauvetage.
Les deux exemples donnés plus haut nous invitent pourtant à une
réflexion plus approfondie sur cette dichotomie consacrée entre anti-
sémitisme et sauvetage. Car la nature des rapports entre juifs et non-
juifs en ces temps d’Occupation se nourrissait de traditions antérieures
à la défaite. Leur influence fut grande sur les réactions de la population
à l’heure de l’exclusion économique et sociale ; lorsque rafles et dépor-
tations occupèrent le devant de la scène, elles structurèrent aussi les
modalités du sauvetage et en délimitèrent les contours.
101
Antisémitisme et sauvetage des juifs en France
la race juive n’a pas d’État qui lui soit propre, et ses membres se
comportent comme s’ils appartenaient à la même nation. Entre eux,
il existe une unité absolue de langage, de traditions et d’éducation
morale et intellectuelle.
[...] Le juif étant rarement agriculteur – ce qui peut s’expliquer par
le fait qu’il lui a longtemps et dans beaucoup de pays été interdit
de l’être – ne s’attache pas à la terre, il est plus volontiers industriel,
commerçant ou banquier ; sa profession, au lieu de lui faire acquérir
des attaches plus solides avec le territoire sur lequel il vit, maintient
au contraire ses attaches internationales 9. »
13. L’Université libre, La France continue et bien sûr Les Cahiers du Témoi-
gnage chrétien constituent des exceptions à cet égard. Je me permets de renvoyer
à ce sujet à Renée Poznanski, Propagandes et Persécutions, op. cit.
14. Jean Moulin, Courrier de EX.20 [Moulin], no 14, 13 septembre 1942, cité
par Daniel Cordier, « La Résistance et les juifs », Annales, ESC, 48 (3), 1993,
p. 625-626.
107
Antisémitisme et sauvetage des juifs en France
22. André Labarthe, 8 août 1942, BBC French Transcripts, Institut d’histoire
du temps présent (IHTP), Microfilm B-76, août 1942.
23. « Contre l’immonde persécution », édité par Le Franc-Tireur, août 1942,
reproduit dans Jean-Pierre Lévy, avec la collaboration de Dominique Veillon,
Mémoires d’un franc-tireur, op. cit., p. 157.
110
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
contre les juifs) au régime humanitaire (les enfants juifs étaient brutale-
ment arrachés des bras de leurs mères).
Enfin, pour éviter tout amalgame et bien montrer que l’on restait
conscient de certaines sensibilités politiques, on évoquait le « problème
des étrangers » (ou parfois le problème juif) que l’on essayait de refor-
muler, dont on niait parfois l’existence ou la pertinence dans l’immédiat.
Les deux tiers de l’article de Combat étaient consacrés à cette clarifica-
tion. À l’automne 1942, la persécution des juifs disparaissait des colonnes
de la presse clandestine pour ne plus y revenir.
L’indignation était réelle et il ne s’agit pas ici d’en diminuer la portée.
Reste pourtant que pour tous les mouvements de résistance, elle s’ins-
crivait dans une lutte politique dans laquelle la population française
constituait l’un des acteurs principaux. Or tous les rapports sur l’opinion
reçus à Londres – et qui émanaient le plus souvent des mouvements de
la Résistance intérieure – rendaient le même son.
Gare au philosémitisme !
Ce court florilège est représentatif : « La persécution des juifs a profon-
dément blessé les Français, dans leurs principes humains ; elle a même,
à certains moments, rendu les juifs presque sympathiques. On ne peut
nier cependant qu’il y ait une question juive : les circonstances présentes
ont même contribué à l’implanter. Le ministère Blum qui débordait d’élé-
ments juifs, la pénétration en France de dizaines de milliers de juifs
exotiques, ont provoqué en France un sentiment de défense. On ne veut
à aucun prix voir se reproduire pareille invasion 24 » écrit l’un des auteurs
de ces rapports en février 1943.
« Les persécutions dirigées contre les juifs n’ont cessé d’émouvoir et
d’indigner la population. L’opinion n’en conserve pas moins quelques
préventions à leur égard. Elle redoute qu’après la guerre, certaines pro-
fessions dominantes (banque, radiophonie, journalisme, cinéma) soient
à nouveau envahies, et en quelque sorte coiffées par les israélites [...].
Certes, on ne désire pas que les juifs soient brimés et moins encore qu’ils
soient molestés. On souhaite sincèrement qu’ils soient remis, aussi lar-
gement que possible, en possession de leurs droits et de leurs biens.
24. « Note sur l’état de l’opinion en France », février 1943, AN, 3 AG 2/334.
Une autre version en mai 1943 : 3 mai 1943, 5 811, source : Fouquet, Champi-
gny, Archives du musée de la Résistance et de la Déportation.
111
Antisémitisme et sauvetage des juifs en France
25. « Rapport de Lavergne », sur la base d’un rapport concernant Paris le 2 mars
1943, AN, 3 AG 2/34.
26. « Note sur l’opinion française en matière de politique intérieure au début
de l’été 1943 », rédigée le 5 octobre 1943, AN, 3 AG 2/34.
27. Information 8 décembre 1943, référence 13 426, Champigny, Archives du
musée de la Résistance et de la Déportation.
28. Source Paris, information 1er décembre 1943, reçue le 9 février 1944, AN,
F1a 3756.
112
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
cas, ils purent vivre discrètement, sans être dénoncés comme juifs par
leurs voisins. Et tandis que l’écart se creusait entre la population et l’État,
certains des bras de l’État perdaient de leur efficacité, obligés qu’étaient
leurs fonctionnaires de tenir compte de la population au sein de laquelle
ils œuvraient : ainsi les mêmes gendarmes qui étaient venus sans état
d’âme arrêter des juifs en 1942, s’arrangeaient un an plus tard pour
prévenir à l’avance ceux qui étaient portés sur leurs listes de victimes
potentielles, sous peine de paraître exécuter les basses œuvres de
l’occupant. Les militants des organisations juives qui étaient engagés
dans des opérations de sauvetage trouvèrent dès lors les complicités
nécessaires soit au sein des organisations sociales, soit auprès des institu-
tions religieuses, soit encore au sein des services administratifs français
pour les aider dans la fabrication des faux papiers ou pour cacher adultes
et enfants juifs menacés.
Le sauvetage des juifs s’organisa donc à la confluence de plusieurs
facteurs : un rejet moral devant des horreurs avérées, la mobilisation
des organisations sociales et/ou juives, une délégitimation croissante du
pouvoir, le relais pris par les autorités spirituelles dispensatrices de légiti-
mité, notamment aux yeux des organisations de la Résistance. Aussi,
dans la plupart des cas, c’est à la fibre humanitaire qu’il fut fait appel,
c’est elle qui vibra.
En effet, lorsque les autorités religieuses s’exprimèrent contre les
rafles de juifs, ce fut « au nom de l’humanité et des principes chrétiens 30 » ;
lorsque les voix de la Résistance grondèrent leur indignation, l’émotion
des policiers fut souvent évoquée devant l’atrocité de ce qui était exigé
d’eux, le sort réservé aux enfants occupait le devant de la scène. Lorsque
des organisations – juives ou non juives – sollicitèrent des individus
pour les aider dans leur entreprise de sauvetage, c’est à leur compassion
qu’elles firent appel : en usant « d’un discours sans adversaires 31 », elles
augmentaient leur chance d’être entendues ; en focalisant l’attention sur
des « bénéficiaires individualisés et dotés de caractéristiques susceptibles
de provoquer l’émotion », et notamment sur les enfants juifs, elles neu-
tralisaient une critique qui, idéologique ou politique, aurait compromis
l’action elle-même. Cela permettait d’éviter la controverse que toute réfé-
rence, aussi indirecte fût-elle, au « problème juif » pouvait susciter.
30. Titre sous lequel sont reproduites certaines de ces protestations dans
Combat, 34, septembre 1942, BN, Rés. G. 1470 (68), YV Pfi-91, bobine 7.
31. Philippe Juhem, « La légitimation de la cause humanitaire : un discours
sans adversaires », Mots. Les langages du politique, 65, mars 2001, p. 9-26.
Je remercie Claire Andrieu d’avoir attiré mon attention sur cet article.
114
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
34. « As the handbills indicate, this public emotion may take political form.
It is too early to predict results in this direction, but it must be noted that for
the first time since the Armistice, deep public feeling has united all the decent
elements in France on a question of moral rather than political nature. At the
same time, this feeling gives each one something he can do, and the doing,
i. e. aid to hunted Jews involves resistance to the authorities at Vichy » (Genève
le 17 septembre 1942, Donald Lowrie à Tracy Strong, cité dans Jack Sutters
[ed.], American Friends Service Committee, Philadelphia, volume 2 : 1940-
1945, Archives of the Holocaust, New York (N. Y.) et Londres, Garland Publishing,
1990, p. 337-339, document no 357).
35. MAE, Guerre 1939-1945, 1 037, 212, Alger, 22 août 1944, Diplofrance
à Lisbonne.
116
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Sauvetage et altruisme
La masse des publications consacrées au sauvetage de juifs se réfère
à des non-juifs qui ont risqué leur vie par altruisme et générosité
pour sauver des juifs. Un grand nombre de ces recherches s’intéressent
118
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
plus précisément aux sauveteurs non juifs que l’institut Yad Vashem a
reconnus officiellement comme « Justes parmi les nations » 1. Pour pou-
voir prétendre à cette distinction, les actions entreprises par ces non-
juifs devaient répondre aux critères suivants : « apporter de l’aide pour
sauver une vie ; mettre sa propre vie en danger ; n’avoir recherché
aucune récompense, financière ou autre ; et des considérations similaires
qui situent les actes des sauveteurs au-dessus et au-delà de ce qu’on
peut qualifier d’aide ordinaire ». Ces conditions quelque peu ambiguës
indiquent pourtant clairement que ceux qui ont sauvé des juifs pour en
obtenir de l’argent ne peuvent prétendre au titre de Juste 2.
On admet généralement qu’un nombre bien plus élevé de sauveteurs
altruistes non juifs auraient mérité d’être distingués par Yad Vashem.
Un vaste éventail de facteurs, connus et non connus, intervient dans la
décision d’attribution. Ma recherche sur les sauveteurs altruistes non
juifs n’établit pas de distinction entre ceux qui ont ou n’ont pas obtenu
le titre de Juste. Quelles caractéristiques les sauveteurs altruistes non
juifs partagent-ils ? Qu’est-ce qui a pu inciter ces gens à risquer leur vie
pour des juifs que l’on présentait souvent comme des « assassins du
Christ 3 » ?
1. On peut citer ainsi Gay Block et Malka Drucker, Rescuers, New York (N. Y.),
Holmes and Meier Publishers, Inc., 1992 ; Eva Fogelman, Conscience and Cou-
rage, New York (N. Y.), Doubleday, 1994 ; Martin Gilbert, Les Justes. Les héros
méconnus de la Shoah, trad. par Élie Robert-Nicoud, Paris, Calmann-Lévy,
2004 ; Phillip Hallie, Lest Innocent Blood Be Shed [Le Sang des innocents : Le
Chambon-sur-Lignon, village sauveteur, trad. par Magali Berger, Paris, Stock,
1980], New York (N. Y.), Harper and Row, 1979 ; Peter Hellman, Avenue of
the Righteous, New York (N. Y.), Atheneum, 1980 ; Samuel P. et Pearl M. Oliner,
The Altruistic Personality, New York (N. Y.), The Free Press, 1988 ; Kazimierz
Iranek-Osmecki, He Who Saves One Life, New York (N. Y.), Crown Publishers,
1971 ; Mordechai Paldiel, The Path of the Righteous : Gentile Rescuers of Jews
during the Holocaust, New Jersey (N. J.), KTAV/JFCR/ADL, 1993 ; Michael
Phayer et Eva Fleischner, Cries in the Night, Women who Challenged the
Holocaust, Kansas City (Mo.), Sheed et Ward, 1997 ; Alexander Ramati, The
Assisi Underground : The Priests who Rescued Jews, New York (N. Y.), Stein
and Day, 1978 ; Nechama Tec, When Light Pierced the Darkness : Christian
Rescue of Jews in Nazi-Occupied Poland, Oxford, Oxford University Press, 1986.
2. Nechama Tec, When Light Pierced the Darkness..., op. cit., p. 3-4.
3. Par souci de cohérence, je n’ai cependant utilisé dans ce livre que des noms
imaginaires. Les témoignages sur lesquels se fonde cette analyse sont ceux de
189 Polonais non juifs qui ont sauvé des juifs de façon désintéressée et de 309
survivants juifs qui ont dû la vie à leur passage ou à leur cachette dans les
espaces chrétiens dont l’accès leur était pourtant interdit. Une partie de
ces témoignages proviennent de différents recueils d’archives, une autre des
entretiens approfondis que j’ai menés auprès de sauveteurs non juifs et de
survivants juifs.
119
Qui a osé sauver des juifs et pourquoi ?
partie des témoignages sur les actes désintéressés des sauveteurs nous
ont été livrés par des survivants qui présentaient leurs protecteurs
comme des gens gentils, dont la volonté d’aider leur prochain dans le
besoin n’était pas nouvelle. Risquer leur vie pour des juifs s’inscrivait
dans un système de valeurs et de comportement qui leur imposait d’aider
les gens faibles et dépendants.
Cette analogie possède des limites intrinsèques. La plupart des actions
désintéressées que l’on entreprend au profit d’autrui peuvent entraîner
des désagréments, parfois très graves. Mais il est rare que de tels actes
exigent le sacrifice suprême, celui de la vie. On relève cependant chez ces
sauveteurs, pendant la guerre, une convergence entre des circonstances
historiques réclamant le sacrifice suprême et leurs habitudes déjà bien
établies de secourir les autres. Nous trouvons toutes naturelles des
actions que nous reproduisons fréquemment. Et nous acceptons géné-
ralement ce que nous estimons naturel sans l’analyser et sans nous
interroger. En fait, plus les modèles de comportement sont solidement
ancrés, moins nous avons tendance à y réfléchir. De façon concrète, la
pression constante d’idées et d’actions et leur caractère familier ne
veulent pas dire que nous les comprenons. Au contraire, quand des
schémas habituels sont acceptés et considérés comme naturels, la
compréhension en est plus entravée qu’encouragée.
En outre, nous ne jugeons pas exceptionnel ce que nous sommes habi-
tués à faire, aussi exceptionnels que ces actes puissent paraître à d’autres.
Ainsi, c’est en partie parce que les sauveteurs avaient déjà l’habitude
d’aider les gens dans le besoin qu’ils ont eu tendance à considérer avec
modestie les actions qu’ils avaient entreprises au péril de leur vie. Cette
modestie s’est exprimée de diverses manières. Les deux tiers des sauve-
teurs considéraient que protéger les juifs était une réaction naturelle
à la souffrance humaine, et presque un tiers d’entre eux affirmaient
énergiquement que sauver des vies n’avait rien d’exceptionnel. En
revanche, ils n’étaient que 3 % à estimer qu’avoir sauvé des juifs était
un exploit extraordinaire.
Face à ces perceptions prosaïques du sauvetage, il n’est pas étonnant
que l’aide ait souvent débuté de façon spontanée, non préméditée,
qu’elle se soit mise en place progressivement ou soudainement. Plus
des trois quarts des survivants juifs ont affirmé que leur sauvetage avait
eu lieu sans préparation préalable. Quand on leur a demandé pourquoi
ils avaient sauvé des juifs, une très grande majorité des sauveteurs a
répondu avoir réagi à la persécution et aux souffrances des victimes et
121
Qui a osé sauver des juifs et pourquoi ?
non à leur judéité. Ils avaient été poussés à agir par la persécution, par le
traitement injuste infligé aux victimes, et non par l’identité de celles-ci.
J’attribue cette faculté d’indifférence à tous les attributs des néces-
siteux, hormis leur impuissance et leur dépendance, à des perceptions
universalistes. Plusieurs sources en confirment l’existence. La majorité
de ces sauveteurs (95 %) affirmaient avoir été poussés à accorder de l’aide
du fait du besoin dans lequel se trouvaient les juifs. Cela contraste vive-
ment avec les 26 % qui affirmaient avoir sauvé des juifs parce que c’était
un devoir chrétien et avec les 52 % qui y voyaient une expression
d’opposition politique. La force morale incontestable qui sous-tendait
le sauvetage des juifs, l’insistance générale sur la position de dépen-
dance des victimes et sur les persécutions injustes qu’elles subissaient
se combinaient pour rendre de tels gestes universalistes. En un sens, les
sauveteurs étaient motivés par une force morale, indépendamment de
leurs sympathies et de leurs antipathies personnelles. Certains étaient
conscients que pour aider les juifs dans le besoin, il n’était pas nécessaire
de les aimer.
Le débat qui précède permet de dégager six caractéristiques et condi-
tions communes étroitement liées. Ensemble, elles offrent une explication
théorique du sauvetage altruiste, tout en esquissant un profil de ces sau-
veteurs. L’image des sauveteurs d’autres pays révèle que ces explications
théoriques s’appliquent également à eux. En résumé, ces caractéristiques
et motivations communes sont les suivantes : individualisme et senti-
ment d’être à part, qui vont de pair avec une intégration imparfaite dans
leur environnement social respectif ; indépendance ou autonomie leur
permettant d’agir selon leurs convictions personnelles, sans tenir compte
du jugement d’autrui ; profond engagement à défendre les gens dans le
besoin et antécédents durables d’actes de charité ; tendance à concevoir
l’aide apportée aux juifs sous un jour prosaïque, modeste, avec un refus
d’admettre l’aspect extraordinaire ou héroïque du sauvetage ; début du
sauvetage non prémédité, non planifié, autrement dit, un sauvetage qui
s’est fait progressivement ou soudainement, voire de façon impulsive ;
et perceptions universalistes des juifs. Au lieu de considérer ceux qu’ils
décidaient de protéger comme des juifs, ils voyaient avant tout des êtres
entièrement dépendants de l’aide d’autrui. Ces perceptions s’accom-
pagnent de la faculté de négliger tous les attributs, hormis ceux qui
expriment la souffrance et la nécessité extrêmes 4.
4. Nechama Tec, When Light Pierced the Darkness..., op. cit., p. 150-183. Ces
analyses s’inspirent du chapitre 10.
122
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Rémunération et sauvetage
Ces sauveteurs altruistes non juifs ne représentent pas l’ensemble des
sauveteurs. Les témoignages suggèrent en effet l’existence d’autres caté-
gories. Lorsque j’ai interviewé une survivante, je lui ai demandé si elle
éprouvait de la reconnaissance pour celui qui l’avait sauvée. Elle m’a
répondu par une question : « Pourquoi devrais-je lui être reconnaissante ?
[...] Il aimait l’argent... Il n’a fait ça que pour l’argent ; en plus, il augmen-
tait le prix toutes les semaines... et menaçait, si la guerre s’éternisait, de
ne pas me garder 5. »
Ce dialogue a attiré mon attention sur un autre type de sauveteurs.
Je me suis rendu compte que la plupart des survivants juifs qui avaient
été protégés moyennant finance portaient un jugement négatif sur leurs
sauveteurs non juifs. Cette réprobation déteignait en outre sur les juge-
ments portés sur d’autres situations. Certains de ceux qui avaient protégé
des juifs par altruisme se faisaient insulter parce qu’on les soupçonnait
d’avoir agi par cupidité. Un sauveteur, reconnu comme Juste parmi les
nations, se plaignait ainsi : « Pendant des années, j’ai été accusé d’avoir
sauvé des juifs pour de l’argent. Ces idées étaient comme une malédiction
qui pesait sur moi. Il n’y avait aucun moyen de les [les accusateurs] faire
changer d’avis... »
Ce jugement invariablement négatif sur les sauveteurs de juifs dont
la principale motivation était le profit explique que la littérature sur la
Shoah ne comprenne pas de témoignages directs de ces gens-là. Ils n’ont
pas non plus rédigé de souvenirs de guerre sur l’aide qu’ils ont apportée
aux juifs. Peut-être étaient-ils gênés d’avouer qu’ils avaient gagné de
l’argent en sauvant des vies. Les informations sur la protection qu’ils
ont accordée aux juifs pendant la guerre proviennent précisément de
ces derniers.
Comment définir ce type de sauveteurs non juifs ? Tous les individus
qui recherchaient le profit ont risqué leur vie en sauvant des juifs, exac-
tement comme les sauveteurs altruistes. Pourtant, ils n’entrent pas, cela
va de soi, dans la catégorie de ceux qui ont accordé aux juifs une pro-
tection désintéressée. Je les qualifie d’« aides rémunérés » plutôt que de
sauveteurs. Les aides rémunérés sont des gens dont la principale moti-
vation en l’occurrence était le gain financier. Il faut exclure de cette
catégorie ceux qui ont éventuellement accepté d’être payés, sans que
l’argent soit pour autant la seule ni la principale raison qui les a poussés
à secourir des juifs. Que savons-nous de ces aides rémunérés ? Sur un
échantillon de plus de trois cents juifs ayant bénéficié de la protection
de non-juifs, seule une minorité (16 %) a été protégée par des personnes
recherchant principalement le profit. Les juifs qui décrivent leur expé-
rience avec des aides rémunérés relatent des pratiques mettant en œuvre
toute une série de mauvais traitements : demandes d’augmentation, sous-
alimentation délibérée, menaces de renvoi, voire assassinat 6.
Pourquoi le comportement des aides rémunérés fut-il si différent de
celui des sauveteurs altruistes ? Les réponses, aussi séduisantes soient-
elles, relèvent obligatoirement de la spéculation. Contrairement à la vie
humaine, l’argent en tant que moyen pour atteindre une fin est rationnel
et quantitatif ; il ne laisse guère de place aux émotions 7. Affranchies
de tout sentiment, les transactions monétaires sont des arrangements
impersonnels. La vie, en revanche, est une entité émotionnelle d’une
valeur suprême. Risquer sa vie et la sacrifier exige que l’on soit prêt à
renoncer à ce qu’on chérit profondément. Parce que nous tendons à
séparer la passion de la rationalité, le télescopage des forces rationnelles
et émotionnelles nous gêne. En raison de sa nature rationnelle, faire
de l’argent le fondement d’éléments émotionnellement précieux est une
parodie qui nie la qualité essentielle de la vie. Dans la mesure où des
actions qui mettent l’existence en danger comportent une forte dose
d’émotion, faire de l’argent le motif de ces actions périlleuses amoindrit
la valeur et l’essence mêmes de la vie.
À certains égards, les aides rémunérés étaient enfermés dans un cercle
vicieux. L’amélioration économique qu’apportait la présence juive faisait
en effet disparaître la raison même pour laquelle ils leur avaient accordé
un abri. Mais se dégager de cette relation était difficile et dangereux
pour eux. Cela mettait en effet leur vie en danger. Si le juif révélait que
l’aide rémunéré lui avait accordé sa protection, le protecteur devenait
tout aussi coupable que le juif. En l’absence d’impératifs moraux les
poussant à sauver des juifs, il n’y avait pas grand-chose qui pût éviter
à ces aides rémunérés de se sentir pris au piège et de céder à l’angoisse.
6. Nechama Tec, When Light Pierced the Darkness..., op. cit., p. 87-98. Un
exemple éloquent de mauvais traitements et de meurtre de la part d’une aide
rémunérée nous est livré par Thomas (Toivi) Blatt, From the Ashes of Sobibor,
Evanston (Ill.), Northwestern University Press, 1997, p. 181-187.
7. S. P. Altmann, « Simmel’s Philosophy of Money », American Journal of
Sociology, 9, 1903, p. 46-68 ; Georg Simmel, The Philosophy of Money [Philo-
sophie de l’argent, trad. par Sabine Cornille et Philippe Ivernel, Paris, PUF,
1987], Boston (Ma), Routledge and Kegan Paul, 1978.
124
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Antisémitisme et sauvetage
Ma recherche sur les sauveteurs polonais non juifs m’a fait découvrir
un autre type de sauveteurs, aussi inattendu que déconcertant : il s’agit
d’antisémites polonais convaincus. Ce thème était occasionnellement
apparu au cours de mes recherches, sans m’inciter pour autant à l’étudier
de près 9. Qui étaient ces sauveteurs antisémites et comment interpréter
le sauvetage de juifs par des antisémites ? Je définis les sauveteurs anti-
sémites de juifs comme des individus qui par leurs actions et/ou leur
idéologie avaient une réputation d’antisémites. Il s’agissait d’antisémites
conscients et déclarés. Certains survivants se sont intéressés à l’aide que
l’un d’eux, Jan Mosdorf, avait apportée aux juifs. Fervent catholique,
responsable national de l’extrême droite (ONR) et juriste distingué,
Mosdorf était issu d’une famille bien établie dans la société. Sa réputa-
tion d’antisémite n’était un secret pour personne. Il joua également un
rôle politique actif, avant et pendant la guerre. Son patriotisme et son
8. Nechama Tec, When Light Pierced the Darkness..., op. cit., p. 97.
9. Ibid., p. 99.
125
Qui a osé sauver des juifs et pourquoi ?
10. Ibid., p. 100-102 ; Sara Bender et Shmuel Krakowski (eds.), The Encyclo-
pedia of the Righteous among the Nations Poland, Jérusalem, Yad Vashem,
2004, p. 176.
126
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
11. Nechama Tec, In the Lion’s Den : The Life of Oswald Rufeisen, Oxford,
Oxford University Press, 1993.
12. Nechama Tec, Defiance : The Bielski Partisans, Oxford, Oxford University
Press, 1993.
127
Qui a osé sauver des juifs et pourquoi ?
les gens tendent à se concentrer sur leur propre survie plutôt que sur
celle d’autrui. Sous l’Occupation, l’impuissance et l’humiliation des juifs
ont éclipsé tous leurs autres attributs. Certains sauveteurs altruistes non
juifs affirmaient ne voir dans leurs protégés juifs que des êtres humains
hagards et persécutés et reconnaissaient que c’était leur souffrance qui
les avait incités à essayer de leur venir en aide. Souvent, ils ajoutaient
que la situation désespérée des juifs ne leur permettait même pas de se
secourir eux-mêmes 14. Sans doute ai-je tacitement admis que face à une
menace accablante, on est incapable de se secourir soi-même et, par
extension, de porter secours à autrui.
Le danger et le désespoir s’additionnent en effet souvent pour engen-
drer une absence totale de lutte. Aussi n’est-il pas rare que des individus
condamnés à mort perdent tout espoir. On sait ainsi qu’une fois prison-
niers, les révolutionnaires les plus héroïques ont marché à la mort sans
résistance 15. Peut-être mon indifférence initiale à l’égard de l’existence
de sauveteurs juifs reposait-elle sur l’idée qu’on ne pouvait pas être en
même temps victime et sauveteur ? Donnais-je raison aux sauveteurs
non juifs que j’avais étudiés et qui estimaient qu’en tant que victimes,
les juifs n’avaient aucun moyen d’essayer de s’en sortir ? Il n’empêche
qu’en théorie et dans des circonstances particulières, une victime peut
également être un sauveteur. Des situations extrêmes entraînent des
réactions extrêmes. Pour le moment, je ne peux que souligner la néces-
sité de poursuivre l’étude des juifs qui ont assumé le rôle de sauveteurs.
14. Nechama Tec, When Light Pierced the Darkness..., op. cit., p. 177. Un des
sauveteurs, le Dr Estowski, insista sur le fait que « après tout, un Polonais pou-
vait faire quelque chose pour essayer de s’en sortir mais le juif était dans une
situation bien plus atroce et ne pouvait strictement rien faire ».
15. On en trouve un bon exemple dans Hersh Smolar, The Minsk Ghetto, New
York (N. Y.), Holocaust Library, 1989, p. 61-63 ; l’auteur décrit une révolte
fomentée par des prisonniers de guerre russes et la façon dont ses chefs furent
massacrés par les Allemands.
129
Qui a osé sauver des juifs et pourquoi ?
« Monsieur,
Veuillez noter qu’en exécution des instructions que j’ai reçues du
Service de contrôle des administrateurs provisoires [SCAP] et en
vertu des pouvoirs qui me sont donnés, j’ai décidé de fermer votre
entreprise en attendant l’occasion de la rétablir en la limitant à la
réparation des chaussures. En conséquence, vous devrez prendre
toutes dispositions [suivantes] [...]. Faute par vous de ne pas avoir
observé ces instructions, je me verrai dans l’obligation de vous signa-
ler aux autorités avec demande de sanctions lesquelles peuvent aller
jusqu’à l’internement 3. »
L’AP, quel qu’il soit, quelle que soit son attitude, son rapport avec
son « administré », se trouve placé en position de force, à la fois du fait
de la politique d’« aryanisation » économique, mais également de par le
contexte de « chasse à l’homme ». Le cordonnier Israël Z. est incarcéré à
la prison de la Santé en 1941. Il semble avoir fait l’objet d’une dénoncia-
tion de la part de son AP pour dissimulation de marchandises. Acquitté
pour ces faits, il n’est toutefois pas libéré et se retrouve interné successi-
vement aux camps de Voves puis de Châteaubriant (Loire-Inférieure),
avant son transfert à Drancy. Le 11 novembre 1942, Israël Z. est déporté
par le convoi no 45 vers Auschwitz, pour n’en pas revenir.
Les deux processus, contre les biens, contre les personnes, convergent
dans une dimension de repérage et de fragilisation, s’agissant particuliè-
rement des plus petites entreprises, dans les milieux les plus populaires :
des personnes qui n’ont plus d’activités pour subvenir à leurs besoins
dans le courant de l’année 1941, étant juifs ont été envoyés dans leur
pays en Russie par les Allemands. Depuis cette époque, aucune nou-
velle 7. » Remarquons que la fin de l’Occupation ne marque pas la fin de
l’ignorance ou des préjugés.
Les travaux des historiens soulignent que le commissariat général aux
Questions juives (CGQJ), malgré sa volonté de contrôler l’ensemble de la
politique antisémite sur l’intégralité du territoire français, s’en est trouvé
progressivement écarté s’agissant des mesures d’arrestation, d’inter-
nement et de déportation. La Police des questions juives (PQJ) est créée
en dehors de lui ; les négociations avec les autorités d’occupation lui
échappent, notamment au profit de René Bousquet, secrétaire général à
la police, etc. 8. Sur le terrain de l’« aryanisation », les acteurs du processus
sont généralement informés d’une possible incarcération par des sources
et des traces périphériques : fermeture de l’entreprise, témoignages de
clients, de voisins, de proches, etc.
Enfin, le résultat d’une spoliation dépend lui-même bien plus de la
nature des entreprises frappées : les plus petites (en fait les plus nom-
breuses) sont le plus souvent liquidées ; les plus grandes sont généralement
maintenues sous administration ou vendues. Il s’agit dès lors de s’inter-
roger sur la place des individus, des acteurs, des groupes sociaux, de la
population dans son ensemble, à l’intersection des deux processus,
contre les biens, contre les personnes.
9. AN, AJ382056 (497), p. 170, Note Abt Wi IAZ 5634/4, 8 février 1941.
10. AN, AJ383319 (1267).
11. AN, AJ382210 (6115).
12. Ibid.
137
Sauvetage et intérêts
17. AN, AJ382045 (dossier Chaussures André), Lettre de Roger L. à l’AP pour
transmission au CGQJ, le 9 octobre 1941.
18. Voir par exemple AN, AJ382185 (37391).
19. Israel Gutman (dir.), Dictionnaire des Justes de France, édition établie par
Lucien Lazare, Jérusalem, Yad Vashem, Paris, Fayard, 2003, p. 157.
139
Sauvetage et intérêts
« Monsieur le directeur,
J’ai reçu avec un certain amusement votre lettre du 29 avril 1942
en raison des menaces qu’elle contient [...] et je fais les plus expresses
réserves de tous mes droits sur les menaces contenues dans votre
lettre du 29 avril 1942, lesquelles seront qualifiées comme il convien-
dra, et si une suite quelconque était donnée à celles-ci, je ne
manquerais pas de vous assigner devant le tribunal compétent pour
le nouveau délit contenu dans le texte de votre lettre du 29 avril
1942, bien malencontreusement écrite, et il est fort probable qu’à
ce moment vous ne pourrez pas vous arroger le droit de refuser les
assignations ou les citations s’il y avait lieu, ce qui est encore abso-
lument contraire à la loi et ce qui a valu une note à monsieur le
Procureur général sur ce point particulier. Je vous prie donc de vou-
loir bien vous abstenir d’écrire de telles lettres et je vous demande
instamment, avant de faire des menaces, de vouloir bien relire les
textes sur lesquels vous prétendez vous appuyer et dans cette affaire
aucune réponse ne vous sera faite désormais, estimant que moi aussi
je n’ai pas de temps à perdre à vous rappeler les lois 21. »
22. André Kaspi, Les Juifs pendant l’Occupation, op. cit., p. 289-290.
141
Sauvetage et intérêts
« Henri Gaudin était mon comptable jusqu’en 1940. C’est moi qui ai
demandé qu’il soit mon administrateur provisoire, ce qui fut accordé.
Quitus de sa gestion. Ai récupéré mon fonds de commerce 23. »
« Je vous informe que Monsieur Niedhammer [...] a accepté d’être
administrateur de mon affaire qu’à ma demande [sic] et pour me
rendre service, c’est à la suite d’un ordre de la préfecture de Versailles
me demandant de choisir moi-même mon administrateur que je lui
en avais donc fait part. Monsieur Niedhammer n’a touché aucun
honoraire et a fait tellement traîner cette affaire pour gagner du
temps qu’il a fini par être remplacé. Il m’a de ce fait rendu un grand
service, et n’ai absolument rien à lui réclamer [...] 24. »
« Ayant nommé moi-même mon ami M. Jamet comme commissaire
gérant de mon entreprise, celui-ci m’a aidé pour me faire cacher tous
mes biens [sic], ce qui fait que grâce à sa bonne action je n’ai absolu-
ment rien perdu et mieux j’ai tout récupéré mes biens intégralement
[sic] et n’ai donc rien à réclamer dans ce sens 25. »
Mme F. pour faire reconnaître son droit font qu’à la Libération aucune
spoliation n’a pu être réalisée et que son mari peut alors écrire au profes-
seur Terroine : « Grâce aux efforts de M. Cotel, mon commissaire gérant
et ami, ainsi que de ma femme, aryenne, la vente du fonds de commerce
a pu être évitée 26. »
Dans cet ordre d’idée, le plus beau document que nous ayons ren-
contré, mérite d’être cité intégralement :
« Monsieur,
Exerçant la profession de cordonnier, [...] à Paris 17e, je sollicite de
votre bienveillance la nomination d’un commissaire gérant à seule
fin de me permettre de continuer ma profession. En espérant une
prompte satisfaction. Veuillez accepter, monsieur le commissaire,
mes plus respectueuses salutations 28. »
Il est clair que celui-ci ne perçoit pas le risque qu’il prend. Après
enquête de la PQJ et constat que le bien n’a pas été déclaré précédem-
ment, un AP est nommé le 15 septembre 1942. Plik M., quant à lui, est
arrêté lors de la rafle du Vél’ d’hiv’.
Une minorité de personnes, appelons-les « des enragés », se trouvent
impliquées dans le processus, au sein du CGQJ, dans d’autres structures
administratives ou dans des branches de l’économie, en tant qu’AP, en
tant qu’acquéreur de biens, parce qu’ils adhèrent à l’idéologie et à la
politique menée par les autorités. A contrario, une très large majorité
paraît nettement moins concernée par ces préoccupations que par la
recherche d’un moyen de subsistance ou de profit. Ces derniers sont-ils
précisément conscients des conséquences de leurs actes ? Dans le cas
d’Odette Renault, qui s’est engagée comme AP, il semble que la réponse
soit positive, puisqu’elle préserve les biens et sauve les personnes ; de
même d’ailleurs, pour les « enragés » qui agissent selon des convictions
idéologiques. Mais pour les autres, tous les autres qui se font le rouage
de cette machine antisémite à voler, à détruire et à exterminer, quel est
leur degré de conscience ? Le fait que les deux processus (« aryanisation »
et internement en vue de déportation) soient disjoints renforce l’écran
de fumée. Toutefois, nous avons pu constater que l’implication dans les
spoliations rend peu crédible l’idée d’une possible ignorance des rafles
alors en cours.
29. Albert Camus, La Peste, Paris, Gallimard, coll. « Folio plus », 1996 [1re éd.
1947], p. 147-148, nous soulignons.
Chapitre 8
LES JUIFS D’ITALIE
ET LA MÉMOIRE DU SAUVETAGE
(1944-1961)
Paola BERTILOTTI
n Italie, les juifs ont dû affronter entre 1938 et 1945 deux types
1. Ces chiffres ont été avancés par Liliana Picciotto Fargion, Il libro della
memoria, Milan, Mursia, 2002, p. 27.
2. Il a été possible d’établir avec certitude que, sur un total de 7 013 arres-
tations, 2 444 arrestations furent réalisées par les Allemands, 1 951 par les
Italiens, tandis que 332 firent l’objet d’une collaboration (cf. Liliana Picciotto
Fargion, Il libro della memoria, op. cit., p. 29).
148
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
3. Cf. Anna Bravo, « Giusti tra le nazioni in Italia », dans Walter Laqueur (dir.),
Dizionario dell’olocausto, éd. italienne établie par Alberto Cavaglion, Turin,
Einaudi, 2007, p. 348-351. La liste des Justes italiens reconnus par Yad
Vashem est publiée dans Israel Gutman, Bracha Rivlin et Liliana Picciotto
Fargion (dir.), I Giusti d’Italia. I non ebrei che salvarono gli ebrei 1943-1945,
Milan, Mondadori, 2006 [1re éd. Jérusalem, Yad Vashem, 2004].
4. Federica Barozzi, « I percorsi della sopravvivenza : salvatori e salvati durante
l’occupazione nazista di Roma (8 settembre 1943-4 giugno 1944) », La Rasse-
gna Mensile di Israel, 64 (1), 1998, p. 95-144.
5. Un résultat que corrobore le travail mené actuellement par Raffaella Di
Castro sur des témoignages recueillis en 1999-2000 pour le Fondo Svizzero per
vittime della Shoah in stato di bisogno (c’est-à-dire auprès d’anciens persécutés
en situation de grande difficulté économique). Les possibilités de recevoir de
l’aide dépendaient largement de la position sociale et des relations du persécuté,
et les plus pauvres furent pour beaucoup d’entre eux réduits au vagabondage
et à la mendicité (nous remercions Raffaella Di Castro pour ces informations).
6. Voir, par exemple, Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, Paris, Gallimard,
1991, p. 289-292. Certaines contributions du récent ouvrage sur les « Justes
d’Italie » publié sous l’égide de Yad Vashem reprennent à leur compte ce lieu
commun (Israel Gutman, Bracha Rivlin et Liliana Picciotto Fargion (dir.), I
Giusti d’Italia..., op. cit., en particulier p. XVII-XX).
7. Cf. Filippo Focardi, « La memoria della guerra e il mito del “bravo italiano”.
Origine e affermazione di un autoritratto collettivo », Italia contemporanea,
220-221, 2000, p. 393-399 ; David Bidussa, Il mito del bravo italiano, Milan,
Il saggiatore, 1993. L’expression « bravo italiano » (« bon Italien ») renvoie au
titre du film de Giuseppe De Santis, Italiani brava gente (1964) qui retrace
l’odyssée d’un régiment italien sur le front russe en 1941 et qui a contribué à
149
Les juifs d’Italie et la mémoire du sauvetage (1944-1961)
fixer l’image d’un soldat italien inoffensif et débonnaire (voir sur ce point Mario
Isnenghi, Le guerre degli italiani, Milan, Mondadori, 1989, p. 153-154).
8. Sur les persécutions antisémites en Italie, nous nous limiterons ici à renvoyer
à Enzo Collotti, Il fascismo e gli ebrei. Le leggi razziali in Italia, Rome-Bari,
Laterza, 2003 ; Marie-Anne Matard-Bonucci, L’Italie fasciste et la persécution
des juifs, Paris, Perrin, 2007 ; Michele Sarfatti, Gli ebrei nell’Italia fascista.
Vicende, identità, persecuzione, Turin, Einaudi, 2000. Sur les politiques
d’occupation de l’Italie fasciste, voir Davide Rodogno, Il nuovo ordine mediter-
raneo. Le politiche di occupazione del’Italia fascista in Europa, 1940-1943,
Turin, Bollati Boringhieri, 2003.
9. Voir notamment Filippo Focardi, La guerra della memoria. La Resistenza
nel dibattito politico italiano dal 1945 a oggi, Rome-Bari, Laterza, 2005 ;
Claudio Pavone, « La Resistenza in Italia : memoria e rimozione », Rivista di
storia contemporanea, 23-24 (4), 1994-1995, p. 484-492.
10. Guri Schwarz, dans son ouvrage Ritrovare se stessi. Gli ebrei nell’Italia
postfascista (Rome-Bari, Laterza, 2004), avait proposé quelques premières pistes
d’analyse que nous entendons approfondir dans ce travail.
11. Nous empruntons l’expression à Marie-Anne Matard-Bonucci, « L’anti-
sémitisme en Italie : les discordances entre la mémoire et l’histoire », Hérodote,
89, 1998, p. 217-238. Voir la définition de la mémoire forgée par Pierre Nora,
qui repose sur l’opposition entre l’histoire – une reconstruction scientifique du
passé tendant à la vérité – et la mémoire – une reconstitution subjective du
passé potentiellement fausse et mythifiée (Pierre Nora, « La mémoire collective »,
dans Jacques Le Goff (dir.), La Nouvelle Histoire, Paris, CEPL, 1978, p. 398).
12. Voir la définition de la mémoire élaborée par Marie-Claire Lavabre (Le Fil
rouge, Paris, Presses de Sciences Po, 1994) qui, s’inspirant des recherches de
Maurice Halbwachs et de Roger Bastide, fait de la mémoire collective le résultat
du passage d’une multiplicité de mémoires individuelles à une mémoire partagée.
150
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Les années 1944 à 1947 sont, pour les juifs d’Italie, à la fois celles
de la prise de conscience progressive du génocide et celles de l’abroga-
tion de la législation antisémite et de leur réinsertion dans la société
italienne 13. C’est dans ce contexte qu’ils publient les premiers récits
de témoignages et les premiers essais consacrés aux persécutions anti-
sémites fascistes et nazies : de 1944 à 1947 paraissent sept ouvrages
consacrés aux persécutions sur le territoire italien 14 et huit témoignages
15. Alberto Cavaliere, I campi della morte in Germania : nel racconto di una
sopravvissuta, Milan, Sonzogno, 1945 ; Luigi Fiorentino, Cavalli 8 uomini... :
pagine di un internato, Milan, La Lucerna, 1946 ; Primo Levi, Se questo è un
uomo, Turin, De Silva, 1947 ; Liana Millu, Il fumo di Birkenau, Milan, La
Prora, 1947 ; Frida Misul, Fra gli artigli del mostro nazista, Livourne, Stabili-
mento poligrafico Belforte, 1946 ; Luciana Nissim, Ricordi della casa dei morti,
dans Luciana Nissim et Pelagia Lewinska, Donne contro il mostro, Turin,
Ramella, 1946 ; Giuliana Tedeschi, Questo povero corpo, Milan, Editrice ita-
liana, 1946 ; Alba Valech Capozzi, A 24029, Sienne, Soc. An. Poligrafica, 1946.
16. Archives de l’UCII (AUCII), fonds CRDE, cartons 1 et 2.
17. Luciano Morpurgo, Caccia all’uomo !..., op. cit., p. 138-142.
18. Silvia Lombroso, Diario di una madre..., op. cit., p. 195-198.
152
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
avant tout, une mémoire du sauvetage opéré par des non-juifs, et notam-
ment par l’Église.
Si les mémoires individuelles offrent un tableau contrasté des événe-
ments, au sein des institutions juives, et notamment des organisations
sionistes, la mémoire du sauvetage est une mémoire hypertrophiée. Le
Congrès des sionistes italiens qui se réunit à Rome en janvier 1945 exprime
« sa gratitude pour les preuves de solidarité silencieuse mais souvent
héroïque que la majeure partie du peuple italien opprimé – suivant en
cela l’exemple admirable de l’Église catholique – a donné aux persécutés
et aux réfugiés d’autres parties de l’Europe, qui ont ainsi pu trouver un
refuge malgré les lois barbares du nazisme 19 ». Les déclarations d’institu-
tions juives étrangères (Joint 20 et Congrès mondial juif) vont plus loin.
Lors du XXIIe Congrès sioniste, réuni à Bâle entre le 12 et le 22 décembre
1946, une motion exprimant la « gratitude » des juifs pour l’action de
sauvetage et l’« humanisme » du peuple italien est adoptée 21.
Au plan collectif, les prises de position des institutions communau-
taires ou des organisations sionistes ne suscitent aucune réaction parmi
les juifs d’Italie, d’autant qu’elles ne font qu’amplifier les témoignages
d’un certain nombre d’entre eux – ceux qui ont échappé à la déportation.
Bien plus, dans la mesure où les instances juives s’en tiennent dans leurs
déclarations à des considérations d’ordre général – les sauveteurs ne sont
jamais cités nommément, rien n’est fait pour leur rendre hommage à
titre individuel –, certains juifs italiens obtiennent une reconnaissance
de l’action de leurs sauveteurs en dehors du cadre communautaire. Cer-
tains signalent ces gestes de solidarité aux autorités vaticanes, d’autres
s’emploient à ce que leurs sauveteurs soient officiellement décorés – au
mérite ou de la Médaille de la Résistance 22.
Au total ce n’est pas la mémoire « à charge » qui l’emporte. De tous
les essais écrits par des juifs italiens et consacrés aux persécutions anti-
sémites, ce sont ceux de Giacomo Debenedetti et de Eucardio Momigliano,
23. 16 ottobre 1943 publié en 1944 et réédité dès 1945. La Storia tragica e
grottesca del razzismo fascista est une édition revue et corrigée de 40 000 fuori
legge paru deux ans auparavant.
24. Israel, éditorial du 7 décembre 1944.
25. Cf. Carla Forti, Il caso Pardo Roques, un eccidio del 1944 tra memoria e
oblio, Turin, Einaudi, 1998. Sur l’aspiration des juifs italiens à passer finale-
ment inaperçus après sept ans de persécutions, voir aussi Giacomo Debenedetti,
Otto ebrei, op. cit.
26. Voir notamment Mario Toscano, Ebraismo e antisemitismo in Italia. Dal
1848 alla guerra dei sei giorni, Milan, Angeli, 2003.
154
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Par ailleurs, les juifs d’Italie ont nécessairement été influencés, dans
leur reconstruction des événements, par les analyses et les schémas de
pensée dominants de l’immédiat après-guerre. Giacomo Debenedetti et
Eucardio Momigliano se font par exemple l’écho de points de vue large-
ment répandus dans l’Italie des années 1944-1947. À cette époque, le
monde politique et culturel se range dans son ensemble à l’idée que le
fascisme a été une parenthèse de l’histoire italienne 27. Les partis issus
de l’antifascisme et de la Résistance, notamment le parti communiste,
le parti socialiste et la démocratie chrétienne, associés au pouvoir dès
le printemps 1944, tendent, pour renforcer leur légitimité, à populariser
l’image d’une Italie tout entière antifasciste 28. Le régime et sa politique
antisémite sont censés n’avoir bénéficié d’aucun consensus. La mémoire
du sauvetage des juifs est en outre entretenue, dès 1945-1946, par les
autorités italiennes elles-mêmes. En 1946, par exemple, le ministère des
Affaires étrangères publie un rapport sur son action d’« assistance en
direction des communautés juives (1938-1943) 29 » dans le but de démon-
trer qu’il a, en tant qu’administration, résisté à la politique antisémite
voulue par Mussolini. Les gouvernements italiens successifs entendent
se servir de cette documentation – ainsi que de celle concernant la Résis-
tance et les massacres perpétrés par les nazis dans la Péninsule – pour
atténuer les sanctions prévues contre l’Italie dans le cadre des traités
de paix 30. Quant au Vatican, il n’évoque, dès 1945, la question des persé-
cutions antisémites que pour insister sur son rôle dans le sauvetage
des juifs 31.
Toutefois, si le contexte italien a pesé dans l’élaboration d’une mémoire
juive du sauvetage, les institutions juives ont elles-mêmes directement
27. Cf. Pier Giorgio Zunino, La Repubblica e il suo passato, Bologne, Il Mulino,
2003. L’emploi, courant dans l’après-guerre, du substantif « nazifasciste », uti-
lisé pour désigner en un seul mot les fascistes et les nazis, a également contribué
à renforcer l’image d’un fascisme étranger à la tradition italienne.
28. Cf. Giovanni Miccoli, « Cattolici e comunisti nel secondo dopoguerra :
memoria storica, ideologia e lotta politica », Studi storici, 38 (4), 1997, p. 951-
991 ; Giovanni Miccoli, « Tra memoria, rimozioni e manipolazioni : aspetti dell’
atteggiamento cattolico verso la Shoah », Qualestoria, 19 (2-3), 1991, p. 161-188.
29. Ministero degli Affari esteri, Relazione sull’opera svolta dal Ministero degli
Affari esteri per la tutela delle comunità ebraiche (1938-1943), Rome, 1946.
Cf. Guri Schwarz, Ritrovare se stessi..., op. cit., p. 124-140.
30. ASMAE, Secrétariat général, 1943-1951, carton 42, fascicule « 1945,
affaires réservées », sous-fascicule 3 « Questions israélites (divers) » et carton
28-2, dossiers « Exposition documentaire organisée par le Ministère de l’Italie
occupée sur la guerre de libération et les dommages subis par l’Italie » et
« Contribution italienne à la guerre ». Sur ce point, voir aussi les remarques de
Davide Rodogno (Il nuovo ordine mediterraneo..., op. cit., p. 432-433).
31. Voir par exemple La civiltà cattolica, 96 (1), 3 mars 1945, p. 327.
155
Les juifs d’Italie et la mémoire du sauvetage (1944-1961)
32. Sur ce point, voir aussi Guri Schwarz, Ritrovare se stessi..., op. cit.,
p. 124-140.
33. Voir sa correspondance avec le président du Conseil Ivanoe Bonomi et le
ministère des Affaires étrangères dans ASMAE, Cabinet 1943-1958, carton
107, fascicule « Juifs, Communauté israélite italienne ».
34. Voir la note du 8 novembre 1944 aux ambassades italiennes de Washington,
Londres et Moscou où le sous-secrétaire du ministère des Affaires étrangères,
Visconti Venosta, reprenant à son compte les stéréotypes antisémites sur la
puissance juive, évoque « la perspective alléchante de l’appui d’une organisation
extrêmement puissante aux futures conférences de la paix » (dans ASMAE,
« Affaires politiques », Grande-Bretagne, carton 63, fascicule 3 « Sionisme »,
nous traduisons). Le document est cité par Mario Toscano dans La « porta di
Sion ». L’Italia e l’immigrazione clandestina ebraica in Palestina (1945-1948),
Bologne, Il Mulino, 1990, p. 17-18.
35. Voir la promesse d’intercession du président de l’UCII, Raffaele Cantoni
(ASMAE, Cabinet 1943-1958, carton 107, fascicule « Juifs Communauté israé-
lite italienne », Note non signée du 27 août 1945 à l’attention de la direction
générale des Affaires politiques) et la copie de la lettre adressée le 13 février
1946 par le secrétaire général du WJC, Riegner, à Cantoni où est exposée
l’action du WJC en faveur de l’Italie (ASMAE, Secrétariat général 1943-1951,
carton 42, fascicule 1946, sous-fascicule 3).
156
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
1948-1952 : le sauvetage
« entre la mémoire et l’oubli 38 »
Après la signature et l’entrée en vigueur du traité de paix, respective-
ment en février et en septembre 1947, et avec la fin de l’aliya bet et la
création de l’État d’Israël en 1948, la mémoire du sauvetage cesse d’être
un enjeu politique pour le gouvernement italien comme pour les organi-
sations sionistes. Il s’agit désormais d’une mémoire presque silencieuse,
à laquelle la presse communautaire ne consacre que peu d’articles 39.
Pour autant, le souvenir du sauvetage ne sombre pas dans l’oubli. Il
est surtout présent, en creux, dans le refus exprimé par les juifs italiens
de coopérer avec le CRDE chargé par l’UCII de réunir des preuves contre
les collaborateurs et les délateurs 40, mais également dans le peu d’intérêt
que suscitent les travaux historiques du directeur du CRDE, Massimo
Adolfo Vitale, qui s’intéresse à la question des silences du Vatican 41 et
propose dans un essai intitulé La Persécution des juifs en Italie, 1938-
1945, publié en 1949, un tableau contrasté de l’attitude des Italiens face
aux persécutions, où l’indifférence l’emporte sur les marques de soli-
darité 42. Alors que les institutions juives italiennes, presse et éditions
communautaires en tête, ne donnent aucune publicité aux travaux de
Vitale, ceux de Poliakov font l’objet dès leur parution de recensions dans
le mensuel culturel juif italien, La Rassegna Mensile di Israel 43.
Entre 1948 et 1952, le souvenir du sauvetage, s’il ne fait pas l’objet
de commémorations ou de déclarations officielles, continue toutefois
d’influer sur l’appréciation globale que les juifs d’Italie font des respon-
sabilités italiennes dans l’extermination des juifs d’Europe.
44. Cf. Mooli Brog, « Yad Vashem » et Nechama Tec, « Giusti tra le Nazioni »,
dans Walter Laqueur (dir.), Dizionario dell’olocausto..., op. cit., respectivement
p. 829-834 et p. 342-348.
45. Israel, 8 octobre 1953.
46. Puisque les Justes seront appelés « Benemeriti » (citoyens « décorés au mérite »).
47. Annonce parue dans Israel, le 31 mars 1955. Certaines communautés
avaient également envoyé une lettre circulaire pour susciter les témoignages (cf.
ACDEC, carton 9.1, fascicule « Comunità di Firenze »).
48. Ce n’est, d’ailleurs, qu’en 1963 que sera instituée au sein de Yad Vashem
une commission chargée de décerner le titre de « Juste parmi les nations ».
49. « Medaglia di benemerenza » en italien.
50. Cf. Israel, 31 mars 1955, 21 avril 1955. Cf. ACDEC, cartons 9.2 et 9.3.
51. « Attestati di benemerenza » en italien.
52. Une cérémonie est notamment organisée à Rome, au Capitole, le 14 décembre
1956 (cf. Israel, 20 décembre 1956 ; Rassegna Mensile di Israel, janvier 1957,
159
Les juifs d’Italie et la mémoire du sauvetage (1944-1961)
p. 11-22 ; La Voce della comunità di Roma, janvier 1957). Sur les autres céré-
monies locales, voir Israel, 17 janvier 1957, 15 décembre 1955, 19 février 1959
et ACDEC, carton 9.1.
53. Cité dans Renzo De Felice, Storia degli ebrei italiani sotto il fascismo,
Turin, Einaudi, 1993, p. 472.
54. ACDEC, carton 9.1, fascicule « Comunità di Genova », express du 25 janvier
1956 de la communauté de Gênes au Comité pour le dixième anniversaire de
la Libération ; fascicule « Comunità di Milano », Lettre du 12 mai 1955 de
Ermete Sordo de l’Association nationale des ex-déportés politiques (ANED) à
la communauté de Milan.
55. Cf. ACDEC, carton 9.2, Lettre de Lelio Valobra du 14 février 1955 à
Giuseppe Ottolenghi. Voir aussi Israel, 28 avril 1955, et l’article publié par un
responsable de la communauté de Milan, Raoul Elia, dans Nuova repubblica,
8 mai 1955.
160
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
56. Cf. Israel, 21 avril 1955. Guri Schwarz cite et commente ce texte dans « Gli
ebrei italiani e la memoria della persecuzione fascista (1945-1955) », Passato
e presente, 17 (47), 1999, p. 120.
57. Voir l’impressionnante revue de presse réunie dans ACDEC, carton 9.3.
58. Voir, par exemple, les titres significatifs des éditions milanaises de
l’Avanti ! et de l’Unità à l’occasion de la cérémonie du 17 avril 1955 (« Rendono
omaggio agli antifascisti le comunità israelitiche italiane », Avanti !, 16 avril
1955 ; « Contro le persecuzioni e le deportazioni. 25 mila ebrei salvati dal corag-
gio degli antifascisti », Unità, 15 avril 1955).
59. Voir notamment l’article intitulé « Salvarono in nome di Cristo migliaia di
ebrei », L’osservatore romano della domenica, le 8 mai 1955.
60. Cf. Archives centrales de l’État (ACS), présidence du Conseil des ministres
(PCM), 1955-1958, fascicule 14.2, no 19036, sous-fascicule « Rome ».
61. Il s’agit de deux gouvernements de coalition DC-PSDI-PLI. Ils sont tous
deux conduits par des démocrates-chrétiens : Scelba entre février 1954 et juillet
1955, et Segni entre juillet 1955 et mai 1957.
62. ACS, PCM, 1955-1958, fascicule 14.2, no 22851, sous-fascicule « Mani-
festations nationales pour les camps de concentration italiens » et PCM, 1951-
1954, fascicule 3.3.3, no 8859.7, « Célébrations du dixième anniversaire de la
lutte pour la résistance et la libération ».
161
Les juifs d’Italie et la mémoire du sauvetage (1944-1961)
ils ont pu faire l’objet à partir de 1938 ont été ce qui leur a permis de
garder foi en l’homme et en leur pays 66. Au-delà, la publication, en
1955-1956, de la traduction italienne du Bréviaire de la haine puis de
celle Des juifs sous l’occupation italienne de Poliakov, a donné une cau-
tion historiographique aux thèses défendues par l’UCII 67.
Quoi qu’il en soit, les cérémonies organisées en 1955-1956 par l’UCII
auront une influence durable sur l’élaboration d’une mémoire italienne
des persécutions antisémites. Les points de vue exprimés à cette occasion
par les dirigeants des communautés juives seront repris tels quels d’abord
par l’ensemble de la presse italienne puis par l’historiographie. Chargé
par l’UCII d’écrire une « histoire des juifs italiens sous le fascisme » 68,
l’historien Renzo De Felice reprendra sans le remettre en question le
jugement énoncé par Sergio Piperno lors de la cérémonie organisée au
Capitole le 14 décembre 1956 69.
Le procès Eichmann ne modifiera pas ces représentations et donnera
au contraire un retentissement particulier au thème du sauvetage des
juifs d’Italie. Au cours du procès, l’accusation, se fondant sur les travaux
de Poliakov 70, utilisera en effet l’exemple de l’Italie pour battre en brèche
le système de défense d’Eichmann. Si l’ensemble de la société italienne
a pu résister à la politique antisémite du fascisme, c’est qu’il était possible
de résister aux ordres d’un pouvoir totalitaire : Eichmann doit donc être
jugé responsable de ses actes. La résonance médiatique donnée au procès
influencera sur le long terme les mémoires des persécutions antisémites
en Italie.
2. Cf. Kristen Renwick Monroe, The Hand of Compassion, Princeton (N. J.),
Princeton University Press, 2004. Dans ce livre, Monroe enquête sur les sauve-
teurs de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Son échantillonnage ne
comprend que des gens contrôlés et certifiés par l’institut Yad Vashem.
3. Les hutus pris pour cibles des tueries pendant le génocide comprenaient des
gens qui refusèrent de rejoindre le parti politique dominant de leur région et/ou
adhérèrent à un autre parti ; les élites et les dirigeants locaux qui se pronon-
cèrent publiquement contre le génocide ; et ceux qui sauvèrent ou essayèrent de
sauver des tutsis.
167
Sauveteurs et sauveteurs-tueurs durant le génocide rwandais
4. Scott Straus, « Local Dynamics », dans Scott Straus, The Order of Genocide,
Ithaca (N. Y.), Cornell University Press, 2006.
5. Jean Hatzfeld, Une saison de machettes, Paris, Seuil, 2003, p. 127-137.
168
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
6. Alison Des Forges, Leave None to Tell the Story, New York (N. Y.), Human
Rights Watch et Fédération internationale des ligues des droits de l’homme,
1999, p. 13.
7. Voir aussi Villia Jefremovas, « Acts of Human Kindness : Tutsi, Hutu and
the Genocide », Issue : A journal of Opinion, 23 (2), 1995, p. 28-31, qui relate
quatre histoires de tutsis qui survécurent grâce à l’aide de notables, dont un
officier supérieur de l’armée (hutu).
8. African Rights, Rwanda, hommage au courage, Kigali, African Rights, 2002.
169
Sauveteurs et sauveteurs-tueurs durant le génocide rwandais
10. Interahamwe est le terme que les personnes rencontrées au cours de mon
enquête utilisaient pour désigner les bandes de tueurs locaux, et non la milice
spécialement recrutée et formée à Kigali. Je suis ici l’usage local.
11. Alison Des Forges, « The Drum is Greater than the Shout : The 1912 Rebellion
dans Northern Rwanda », dans Donald Crummey (ed.), Banditry, Rebellion and
Social Protest in Africa, Londres, James Currey, 1986, p. 312.
12. Cf. African Rights, Rwanda, hommage au courage, op. cit., p. 39.
171
Sauveteurs et sauveteurs-tueurs durant le génocide rwandais
ami tutsi mort plusieurs années avant le génocide. Dans le même secteur,
un certain nombre de tutsis qui avaient épousé des hutus échappèrent
au génocide en se réfugiant dans leur belle-famille.
Ceux qui cachaient ou aidaient des tutsis risquaient évidemment d’être
dénoncés aux autorités par des voisins, voire par des membres de leur
propre famille. Pareille dénonciation équivalait à une condamnation à
mort, car les tueurs menaçaient de liquider tous ceux qui portaient
secours aux tutsis. La dénonciation était donc un excellent moyen
de se débarrasser de membres de la famille ou de rivaux importuns.
L’homme qui avait accepté de cacher les enfants de son défunt ami fut
ainsi dénoncé par son fils. Un autre, qui avait épousé une tutsie, fut
dénoncé par son frère. Dans ces deux cas, la motivation était d’ordre
purement personnel. Le fils voulait que son père meure pour « hériter »
de ses biens. Le frère voulait se débarrasser de son frère et de sa belle-
sœur pour avoir leur maison et ce qui leur appartenait.
Malgré le risque de dénonciation, certaines personnes se démenèrent
pour essayer d’aider les tutsis. Certains gestes de secours émanèrent
même de génocidaires actifs. Un habitant de Kimanzi, par exemple, nous
a raconté avoir survécu aux massacres de janvier 1991 13 grâce à l’aide
d’amis qui avaient eux-mêmes pris part aux tueries. Ces amis devenus
des tueurs, nous expliqua-t-il, l’épargnèrent en raison de leur longue
amitié. Un habitant de Ngali a fait un récit analogue. Il avait cherché
refuge chez un voisin quand les massacres commencèrent. Un ami qui
avait été obligé de rejoindre les interahamwe vint le trouver dans sa
cachette pour le prévenir qu’un groupe de tueurs était en route pour le
tuer. L’homme s’enfuit et échappa au génocide.
La catégorie de « sauveteur » se révèle inadéquate face à ces actes de
sauvetage observés au cours du génocide rwandais. Alors que certains,
comme Sula et le pasteur adventiste du Septième Jour, semblent corres-
pondre à cette catégorie, beaucoup d’autres en sont exclus ; pourtant,
leurs actes de sauvetage ne furent pas moins essentiels à la survie des
tutsis qu’ils aidèrent que les actions héroïques de Sula et du pasteur.
13. Ces massacres de tutsis locaux suivaient une attaque du FPR contre la ville
de Ruhengeri le 23 janvier 1991. Le FPR tint la ville pendant un jour et libéra
tous les détenus de la prison centrale.
172
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Outre des hutus ordinaires, certains tueurs actifs aidèrent eux aussi
des tutsis durant le génocide. Michel en fait partie. Lorsque nous fîmes
sa connaissance, il était en prison depuis le 15 mars 1995 et avait avoué
avoir participé à l’assassinat d’un tutsi à un barrage routier près de chez
lui. Lors de notre second entretien, Michel ne nous parla pas de ses
crimes mais nous raconta comment, avec ses frères et sœurs, il chercha
à sauver quatre voisins tutsis en les cachant.
J’ai vu que les tueries étaient terribles et j’ai vu surtout que nos voi-
sins souffraient, que je devais faire du bien. Je vous donne l’exemple
de la dame PT. Entre sa maison et la mienne, il y a une maison sœur.
Alors, comme avant nous partagions tout, j’ai décidé de la sauver.
Est-ce que PT t’a demandé de la sauver ?
Elle ne m’a pas demandé de la sauver. Elle est simplement arrivée
chez nous et nous avons accepté de la cacher et de partager avec
elle ce que nous avions à cette période jusqu’à la fin de la guerre.
Tu étais avec qui chez toi ?
Ma sœur [nom supprimé], mes petits frères [noms supprimés]. Sauf
que [un de mes frères] avait sa propre maison mais nous les avons
cachés ensemble.
Avez-vous hésité d’abord à cacher cette femme ?
Nous n’avons pas hésité à la cacher sauf que les tueurs venaient tout
le temps chercher des gens à tuer. Mais nous avons fait tout notre
possible pour la protéger. »
« Qu’est-ce qui s’est passé chez toi par la suite, après l’arrivée de
cet homme ?
Arrivé chez moi, il m’a demandé la piste qui mène vers la famille
d’[un voisin]. Je l’ai fait attendre chez moi et, au bout de quelques
minutes, un homme qui s’appelait MG est arrivé chez moi et lui a
demandé de le suivre. Cet homme a suivi MG jusqu’au barrage routier
où il travaillait.
Qui était ce MG ?
Il était le chef du barrage routier.
Qu’est-ce qu’il voulait faire de cet homme ?
Il voulait faire tuer cet homme et il a été tué au barrage routier.
Ce barrage routier se trouvait tout près de chez toi ?
Oui, ce n’était pas loin.
175
Sauveteurs et sauveteurs-tueurs durant le génocide rwandais
Comme Michel, cela faisait près de dix ans qu’Olivier était en prison
lorsque je l’ai interviewé en 2004. Il avait lui aussi bénéficié d’un pro-
gramme gouvernemental accordant des réductions de peine à ceux qui
avouaient avoir participé au génocide. Dans ses aveux écrits officiels au
procureur, Olivier admettait avoir pris part à l’assassinat de sept per-
sonnes. Mais lorsqu’il s’entretint avec moi, il reconnut sans émotion que
le groupe dont il faisait partie était responsable de presque tous les
meurtres commis à Ngali, un secteur qui abritait près de 300 tutsis au
début du génocide 14. Le plus surprenant ne fut cependant pas l’aveu de
sa participation active au génocide, mais ses remarques sur les possibi-
lités d’aider autrui.
Comme le démontre ce dernier cas, les tueurs les plus actifs eux-
mêmes – ceux qui appartiennent de toute évidence à la catégorie des
« exécuteurs » – purent accomplir des actes de sauvetage dans des cir-
constances favorables. Ces actes ne les ont évidemment pas absous et
ne changent rien à leur participation aux massacres. Les négliger revien-
drait cependant à fermer les yeux sur l’étendue et la forme que purent
prendre des activités de sauvetage au cours du génocide rwandais.
du génocide qui a facilité l’extermination des tutsis. Sur les trois mois de
son déroulement, ce génocide a dépassé le rythme moyen des assassinats
génocidaires organisés par les nazis sur quatre ans. Au Rwanda, comme
le montre Scott Straus, la résistance ouverte au génocide, lorsqu’elle a
eu lieu, n’a pas duré au-delà de dix jours. Le fait qu’elle ait pu exister,
même dans ce court intervalle, est également une caractéristique origi-
nale, inconnue des deux génocides précédents. Elle tient en partie aux
modalités décentralisées du massacre qui supposaient la participation
des populations locales. L’échelon de l’autorité situé sur place a parfois
résisté aux impulsions venues de la capitale, avant d’être submergé par
la vague de violence meurtrière.
Après la chronologie, c’est en effet l’échelon territorial de l’adminis-
tration qui joue un rôle déterminant dans l’organisation du sauvetage.
Raymond Kévorkian donne de nombreux exemples de fonctionnaires
ottomans des provinces qui temporisent avec les ordres de déportation,
voire refusent de les appliquer. Il cite aussi le cas du préfet de Der Zor
qui s’efforçait de protéger les arméniens des camps de concentration de
sa circonscription, et que les turcs surnommaient le « patriarche armé-
nien ». Irène Herrmann et Daniel Palmieri mentionnent une dichotomie
analogue, observable entre l’échelon dirigeant du Comité international
de la Croix-Rouge (CICR), globalement passif durant le génocide des juifs,
et le niveau de base de l’organigramme, où certains délégués du CICR pour
qui « l’idée d’assister impuissant et désarmé à ces événements funestes
[était] presque insupportable » se dépensaient activement. Laura Hobson-
Faure présente un débat comparable à l’intérieur du Joint, cette association
d’entraide juive américaine dont le comité directeur, siégeant aux États-
Unis, voulait rester dans la légalité, tandis que l’échelon de base, repré-
senté notamment par Jules Jefroykin en France, utilisait résolument les
fonds du Joint pour cacher des enfants juifs et financer la résistance juive.
En dehors de l’effet de proximité, les modalités de la répression du
sauvetage influent aussi directement sur celui-ci. On peut penser que plus
la répression est féroce – elle fut barbare en Pologne durant la Seconde
Guerre mondiale – moins le sauvetage est fréquent. Ce lien de cause à
effet doit cependant être modulé. Aux Pays-Bas, le taux de déportation
des juifs a été très élevé, mais comme l’indique Bob Moore, la répression
de l’aide aux juifs n’a commencé qu’au second semestre 1943, un an
après que les déportations eurent commencé. La répression de la solida-
rité n’explique pas complètement le caractère massif de la déportation.
Par ailleurs, sur la durée de la guerre, l’assistance aux juifs ne fut pas
sanctionnée en tant que telle en Belgique, ni en France comme le montre
183
autrui de la réalité des crimes commis. Hrant Dink, journaliste turc d’origine
arménienne, récemment assassiné par des nationalistes turcs parce qu’il
avait eu le courage de parler publiquement du génocide arménien dans
la Turquie d’aujourd’hui, est considéré comme un Juste par de nombreux
Arméniens. De même, Taner Akçam, historien en exil et premier universi-
taire turc à avoir utilisé le terme de « génocide » pour décrire la destruction
systématique des arméniens dans l’Empire ottoman, est souvent désigné
comme le « Juste de notre temps ». Ils prennent place aux côtés des figures
historiques des Justes qui furent les témoins du génocide arménien.
Aussi le concept de Juste parmi les nations ne doit-il pas se limiter
à une formule dogmatique et unique. Sa définition est largement influen-
cée par le contexte historique du génocide, par la position actuelle de
l’État coupable à l’égard des victimes ou de la nation victime, et par la
perception des figures de Justes dans la mémoire individuelle et collective
des survivants et des générations suivantes. Malgré sa valeur universelle,
le concept de Juste peut avoir une définition et une implication diffé-
rentes lorsqu’il est considéré dans la perspective comparative des études
sur le génocide, perspective que toute généralisation et toute conceptua-
lisation doivent prendre en compte en sociologie.
entière [...] des six vilayets [arméniens]. Un massacre serait humain par
comparaison. Un certain nombre de gens peuvent échapper à un mas-
sacre, mais une déportation massive de ce genre dans ce pays condamne
presque tout le monde à une mort lente et peut-être plus terrible 10. »
Les kurdes, les arabes et les turcs locaux n’étaient pas autorisés à
secourir les déportés arméniens et étaient menacés de prison par le gou-
vernement turc s’ils cherchaient à cacher des arméniens chez eux. Selon
les récits de nombreux survivants, les officiers turcs encourageaient les
groupes tribaux kurdes et tchétchènes à attaquer les convois de déportés
arméniens, qui étaient ainsi régulièrement la cible de pillages. Des femmes
et des filles étaient enlevées et un grand nombre des déportés restants
maltraités et tués. Ceux qui survécurent aux marches de déportation
furent assassinés par des membres de l’« Organisation spéciale » créée par
les ministères de la Justice et de l’Intérieur, et composée de criminels
et d’assassins récemment libérés des prisons turques. Ces brigades de la
mort, conduites par des officiers de l’Académie de la guerre ottomane,
commirent d’indicibles atrocités 11. Plus de la moitié de la population
arménienne de l’Empire ottoman fut exterminée au cours de ce génocide.
On estime à 1,5 million le nombre de victimes durant la brève période
qui s’écoula entre 1915 et 1923 12.
Méthodes de sauvetage
Les rescapés arméniens se rangeaient habituellement dans l’une des
catégories suivantes : arméniens habitant Constantinople et Smyrne (Izmir),
qui échappèrent aux déportations grâce aux nombreux fonctionnaires
étrangers présents dans ces villes de l’Empire ottoman ; enfants recueillis
et adoptés par des familles arabes, turques et kurdes ; arméniens qui, sous
la protection de l’armée russe, franchirent la frontière pour se réfugier
en Arménie russe ; arméniens qui possédaient des compétences rares et
précieuses ou exerçaient des métiers dont la société turque avait absolu-
ment besoin ; femmes qui épousèrent, souvent contre leur gré, des turcs
et des kurdes ; rescapés, le plus souvent orphelins, qui survécurent mira-
culeusement à des mois de déportation et furent sauvés par des organi-
sations missionnaires et charitables étrangères ; et enfin, un petit nombre
10. Ibid., p. 7.
11. Donald Miller et Lorna Touryan Miller, Survivors : An Oral History of the
Armenian Genocide, op. cit., p. 43.
12. Ibid., p. 44.
190
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
13. Hilmar Kaiser, « Beatrice Rohner and the Protestant Relief Effort at Aleppo
in 1916 », dans Ulianova Radice et Anna Maria Samuelli (eds), There is Always
an Option to Say « Yes » or « No »..., op. cit., p. 210.
191
Les pratiques de sauvetage durant le génocide des arméniens
Sauvetage contractuel
Sauvetage humanitaire
19. Nechama Tec, « Qui a osé sauver des juifs et pourquoi ? », chapitre 6 du
présent ouvrage, p. 119.
20. Interview de Gevorg Burnazyan, fils de Soghomon Burnazyan, rescapé du
génocide (né en 1883 à Bayazed), réalisée par l’auteur.
21. Interview du rescapé du génocide, aujourd’hui décédé, Taron Khachatryan
(né en 1911 à Sassoun), réalisée par l’auteur.
196
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Henry Riggs ajoute qu’il vaut mieux ne pas approfondir les raisons
pour lesquelles certains turcs défendirent leurs amis et voisins arméniens.
Richard Hovhannisian, dans son étude sur l’intervention et l’altruisme
pendant le génocide arménien, remarque ainsi qu’il est difficile, dans
bien des cas, de distinguer précisément les motifs d’intervention et de
sauvetage purement humanitaires de ceux strictement économiques, car
de multiples motivations pouvaient souvent se recouvrir. Il conclut
néanmoins qu’en se fondant sur la définition de l’altruisme utilisée dans
les études sur la Shoah, il a pu rejeter un nombre important de cas
qu’il avait initialement qualifiés d’humanitaires dans son étude du
génocide arménien 23.
Compte tenu des difficultés inhérentes à l’établissement des profils
sociopsychologiques des sauveteurs du premier génocide du XXe siècle,
l’analyse de leurs motivations profondes peut être délicate. Hovhannisian
a pu ainsi se demander s’il convient de classer un cas dans la catégorie
des sauvetages altruistes, alors que la personne sauvée a été obligée de
travailler pour son sauveteur 24. En pareille situation, les variables de
contexte et de situation peuvent jouer un rôle capital. Nous pourrions
ranger le cas évoqué ci-dessus dans la catégorie des actes altruistes ou
humanitaires si le sauveteur était un paysan, dans la famille duquel
(enfants du sauveteur compris) tout le monde était censé travailler ou
contribuer d’une manière ou d’une autre aux tâches ménagères. Par ail-
leurs, l’attitude personnelle du survivant et la description qu’il fait de
son sauveteur peuvent également constituer des critères de classification.
Conversion à l’islam
« Ils nous conduisaient comme des moutons ; ils nous ont chassés de
nos maisons et de nos vergers. Ils nous ont dirigés vers le désert. Nous
avons marché dehors pendant cent dix jours presque sans repos [...].
Les vieux et les malades ne pouvaient pas marcher, ils sont restés sur
la route ou bien les gendarmes les ont tués. Ils nous poussaient en
avant, affamés ; ils ne nous permettaient même pas de boire de l’eau.
Les kurdes et les tchétchènes nous attaquaient, nous pillaient et enle-
vaient les filles et les jeunes femmes. Beaucoup de femmes et de filles
se jetaient à l’eau. Le Tigre et l’Euphrate étaient remplis de cadavres
[...]. Je suis resté seul. Un jour, j’étais couché dans le sable pour mou-
rir, affamé et nu. Un arabe s’est approché, il a abordé le gendarme,
lui a donné un peu d’argent et a dit : “Laisse-moi emmener celui-ci
pour qu’il travaille pour moi.” Il m’a emmené comme serviteur. Je
suis devenu berger. Cet arabe m’a sauvé la vie. Je le bénis toujours.
200
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Il est vrai que je vivais dans une étable ; je dormais avec les bêtes,
mais j’ai eu la vie sauve 28. »
28. Verjine Svazlian, The Armenian Genocide..., op. cit. et site cité.
29. Donald Miller et Lorna Touryan Miller, Survivors : An Oral History of the
Armenian Genocide, op. cit., p. 108.
30. Richard Hovhannisian, « Intervention and Shades of Altruism during the
Armenian Genocide », art. cité, p. 180.
201
Les pratiques de sauvetage durant le génocide des arméniens
« Ils [les soldats turcs] nous ont conduits comme des moutons ; ils
nous ont conduits dans les déserts : des femmes, des enfants, il n’y
avait pas d’homme parmi nous ; ils avaient déjà emmené les hommes
et les avaient tués [...]. Misère, faim ; nous n’avions pas de vêtements :
nous étions nus et nu-pieds. Ils ont enlevé mes trois sœurs [...]. Ils
m’ont poignardée, moi aussi, et m’ont jetée dans la fosse, mais j’étais
vivante. Sous les cadavres, baignée de sang, l’odeur du sang s’était
répandue tout autour. Quand les gendarmes ont eu fini leur travail,
ils ont versé de l’essence dans la fosse pour brûler les cadavres. Les
morts n’ont rien senti, mais les voix des vivants vous déchiraient le
cœur. J’étais sous les morts et j’ai senti quelqu’un qui me tenait la
main très fort. Je suis restée là, dans la fosse, toute une journée...
Finalement, il y a eu une femme courageuse. Elle est arrivée à redres-
ser la tête, a vu que les gendarmes étaient partis et s’est mise à crier :
“Tous ceux qui sont vivants, sortez, fuyons.” [...] Nous étions une
vingtaine de femmes et d’enfants. L’une était blessée, en sang, l’autre
avait les cheveux brûlés et le visage noirci. Nous avions tous faim
et soif [...]. Mais surtout, nous avions peur que les Turcs nous voient
et nous massacrent. Nous allions de-ci de-là, où allions-nous ? Nous
n’en savions rien. Voilà pourquoi nous nous cachions dans les grottes
le jour et marchions de nuit [...]. Nous sommes arrivés aux tentes
des arabes. Les arabes étaient des gens très gentils, très bons [...].
Ils nous ont accueillis et gardés. Ils m’ont demandé : “Comment
202
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
31. Verjine Svazlian, The Armenian Genocide..., op. cit. et site cité.
32. Donald Miller et Lorna Touryan Miller, Survivors : An Oral History of the
Armenian Genocide, op. cit., p. 121.
33. Verjine Svazlian, The Armenian Genocide..., op. cit. et site cité.
203
Les pratiques de sauvetage durant le génocide des arméniens
Les Justes n’ont pas besoin d’être des saints ni des héros. Ce sont
souvent des gens ordinaires, de simples voisins, qui reconnaissent leur
prochain dans la victime et attachent à une seule vie humaine suffisam-
ment de valeur pour accepter de prendre des risques, de consentir un
34. Pietro Kuciukian, « The “Righteous for the Armenians. Memory is the future.”
Plan for an International Committee », dans Ulianova Radice et Anna Maria
Samuelli (eds), There is Always an Option to Say « Yes » or « No »..., op. cit.,
p. 246.
204
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
sacrifice plus ou moins important pour protéger cette vie. Ce faisant, ils
préservent leur propre dignité, leur propre estime de soi en tant qu’être
humain digne du don de la vie. Les Justes sont capables de garder leur
indépendance d’esprit malgré la tentative du régime en place pour ratio-
naliser son crime, pour le nier, en rejeter la faute sur les victimes, et
pour déshumaniser l’humanité.
Le journaliste juif spécialiste de la résistance Gabriele Nissim écrit à
propos du génocide arménien : « Le pire qui pouvait arriver à une victime
était qu’on fasse disparaître le crime qu’elle avait subi 35. » La Turquie
suit toujours une politique de déni en affirmant que les arméniens otto-
mans ont péri à la suite de la guerre civile, en combattant pour leur
indépendance. Nous vivons dans un monde où l’on cherche encore à
rationaliser, voire à légitimer, ce génocide en rejetant la culpabilité sur
les victimes elles-mêmes. Dans ces circonstances, quand ces dernières
se voient refuser le respect ou la commémoration auxquels elles ont
droit, la notion de Juste parmi les nations peut jouer un rôle majeur de
« purification morale » et même inciter un pays responsable de ce crime
contre l’humanité à admettre la vérité. Le souvenir des Justes peut mon-
trer la voie d’une réconciliation entre victime et exécuteur.
Dans son journal, Etty Hillesum, écrivain juive et victime de la Shoah,
écrit : « S’il n’y avait qu’un Allemand correct, il faudrait le chérir malgré
toute cette bande barbare, et à cause de cet Allemand correct, on a tort
d’accabler de haine un peuple tout entier 36. » La notion de Juste est extrê-
mement importante dans le contexte arménien, dans la mesure où plusieurs
générations d’arméniens ont affronté et affrontent toujours le déni turc
et l’indifférence du monde. Aussi, pour surmonter le traumatisme collec-
tif du génocide oublié et méconnu et pour retrouver quelque espoir dans
l’humanité, les arméniens doivent-ils se convaincre que tous les turcs
ne les haïssaient pas, que tous les turcs n’ont pas approuvé le plan géno-
cidaire du gouvernement et que la totalité du monde occidental ne s’est
pas montrée accommodante ou indifférente à leur souffrance inhumaine.
35. Gabriele Nissim, « The Universal Value of the Concept of “the Righteous”
in Connection with the Genocides of our Century », art. cité, p. 16.
36. Ibid., p. 9.
Chapitre 11
L’OPPOSITION
DE FONCTIONNAIRES OTTOMANS
AU GÉNOCIDE DES ARMÉNIENS
Raymond KÉVORKIAN
S
urvivre à l’extermination programmée d’un groupe relève appa-
remment du hasard, voire de la chance. L’âge, le sexe, la confession
religieuse, le lieu de résidence, le statut social, les qualités intellec-
tuelles, les aptitudes physiques, la beauté sont toutefois des éléments
objectifs qui expliquent plus sûrement encore pourquoi, dans le cadre
de l’Empire ottoman, un individu ou un groupe, plutôt qu’un autre, a
parfois pu échapper à la mort, se sauver. Le projet central de l’État-parti
jeune-turc, la fondation d’une nation turque, était l’expression d’une
idéologie s’inspirant du darwinisme social, de l’exclusion des « corps
étrangers », des « microbes » qui polluaient le corps social turc comme
non conforme à son projet national. Détruire l’autre pour se construire
soi-même est devenu, dans sa phase la plus radicale, l’unique obsession
du comité Union et Progrès (CUP), à laquelle toute la « nation turque » se
devait d’adhérer. Cette idéologie d’exclusion prévoyait toutefois d’intégrer
dans la nation en construction certaines catégories du groupe victime
susceptibles d’être assimilées, en renforçant son plan d’homogénéisation
ethnique de l’Asie Mineure. Cette partie du projet génocidaire, qui révèle
un rejet du groupe arménien, mais aucune répugnance « biologique »
pour ses membres à condition qu’ils s’intègrent au turquisme, a ouvert
la voie à la formation de plusieurs catégories de personnes « sauvées ».
206
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
9. Ibid.
10. Basbakanlik Osmanli Arsivi (BOA, Archives ottomanes, Istanbul), DH.SFR
53/93, télégramme de Talât aux vilayet de Van, Erzerum et Bitlis, daté du
23 mai 1915 dans Osmanli Belgelerinde Ermeniler, 1915-1920 [Armenians in
Ottoman Documents, 1915-1920], T. C. Basbakanlik Devlet Arsivleri Genel
Müdürlügü, Osmanli Arsivi Daire Baskanligi, 25, Ankara, 1995, p. 36-37.
11. Bibliothèque Nubar, Fonds Andonian, P. J. 1/3, liasse 11, Bayburt, f o 1,
témoignage de Mgrditch Mouradian.
12. Clarence D. Ussher, An American Physician in Turkey, Londres, Gomidas
Institute, 2002 [2e éd.], p. 143 ; A-To (Hovhannès Ter Martirossian), Les Grands
Événements au Vasbouragan, 1914-1915, Erevan, Kultura, 1917, p. 427.
13. Hans-Lukas Kieser, « Dr Mehmed Reshid (1873-1919) : A Political Doctor »,
dans Hans-Lukas Kieser et Dominik J. Schaller (eds), Der Völkermord an den
Armeniern und die Shoah, Zürich, Chronos, 2002, p. 261.
212
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
14. Ishaq Armalto, Al-Gosara fi nakabat annasara [Les Calamités des chré-
tiens], Beyrouth, Kaslik, 1970 [reprint de l’édition anonyme de 1919], p. 145 ;
Ara Sarafian, « The Disasters of Mardin during the Persecutions of the Chris-
tians, Especially the Armenians, 1915 », Haigazian Armenological Review, 18,
1998, cite un témoin chaldéen qui précise que le Dr Rechid a demandé à l’un
de ses collègues de Mésopotamie de faire assassiner Hilmi en route pour Mosul.
15. Jacques Rhétoré, Les Chrétiens aux bêtes ! Souvenirs de la guerre sainte
proclamée par les Turcs contre les chrétiens en 1915, manuscrit, Paris, biblio-
thèque du Saulchoir, p. 200-201.
16. Ishaq Armalto, Al-Gosara fi nakabat annasara, op. cit., p. 149. Le rempla-
çant, Hamid bey, nommé le 30 juin 1915, reste en poste jusqu’au 2 mai 1916,
c’est-à-dire le jour même où la liquidation des chrétiens de Derik s’achève.
17. Le meurtre des deux kaïmakam est mentionné lors de la première séance
du procès des unionistes, le 27 avril 1919 : Takvim-ı Vakayi, 3540, daté du
5 mai 1919, p. 8, col. 1, lignes 15-20 ; nous possédons également, à ce sujet,
le rapport d’une mission d’enquête dirigée par Mazhar bey sur les exactions du
Dr Rechid : Archives du Patriarcat de Constantinople/Patriarcat arménien de
Jérusalem, bureau d’information du Patriarcat, L 119 (original ottoman) et
H 465 (transcription).
18. Mehmed Rechid, Hayatı ve Hâtıraları, Izmir, Necet Bilgi, 1997, p. 79-91,
dans Mülâhazât, Ermeni Meselesi ve Dyarbekir Hatıraları, cité par Hans-Lukas
Kieser, « Dr Mehmed Reshid (1873-1919) », art. cité, p. 265, n. 109.
213
L’opposition de fonctionnaires ottomans au génocide des arméniens
sentiment qu’il était plus humain que bien d’autres 23. » Dans son vilayet,
la zone montagneuse du Nord, le Dersim, était encore sous le contrôle
de Kızılbachs (ou Zazas) et a de ce fait été, au cours des événements de
1915, un refuge pour 10 000 à 15 000 arméniens de la plaine de Harpout
et des zones ouest du sandjak d’Erzincan 24. Les témoignages du pasteur
Henry Riggs et de Nazareth Piranian y attestent de sauvetages monnayés
au prix fort : les premiers fuyards règlent jusqu’à 100 livres turques pour
leur passage ; plus tard, les exigences des beg kurdes sont revues à la
baisse, jusqu’à 10 livres turques. On observe néanmoins le cas de per-
sonnes dépourvues de moyens qui y sont accueillies.
À l’extrémité sud du vilayet, la région de Malatia voit transiter
des centaines de milliers de déportés et abrite notamment l’abattoir de
Fırıncilar, géré par l’Organisation spéciale. Un homme a vainement tenté
de dénoncer ces meurtres de masse, Mustafa aga Azizoglu, le président
de la municipalité (belediye reisi) de Malatia. Issu d’une famille originaire
de Bagdad établie dans la région depuis plusieurs générations, Mustafa
aga a rapidement pris la mesure de la situation et a travaillé à atténuer les
effets des dispositions appliquées sur place par le sous-préfet (mutesarif)
désigné par Constantinople. Le pasteur allemand Hans Bauernfeind qui
dirigeait par intérim l’établissement allemand pour aveugle de Malatia,
connu sous le nom de « Bethesda », l’a d’abord pris pour un « aliéné »
lorsqu’il évoquait devant lui les tueries locales, et note qu’il « hébergeait
parfois jusqu’à 40 arméniens » chez lui 25. Le pasteur lui-même a abrité
dans le jardin de sa mission, sous des tentes prêtées par Mustafa aga,
jusqu’à 240 personnes 26.
Plus à l’Ouest, en Anatolie, où des colonies arméniennes fleurissaient
depuis des siècles en milieu turc, la situation était bien moins tendue
qu’à l’Est. Le vilayet d’Angora avait en outre la particularité d’abriter
une population arménienne très majoritairement de rite catholique, de
surcroît turcophone (mais écrivant en caractères arméniens), laquelle
avait la réputation d’être très peu politisée et parfaitement inoffensive.
Mais tous ces faits relèvent d’actes de courage qui n’ont pas véritable-
ment permis de sauver des arméniens. Il en est allé tout autrement à
Kütahya, une préfecture de l’Ouest d’Angora, dont la population armé-
nienne n’a jamais été déportée. Le mutesarif Faik Ali bey n’a pas appliqué
les ordres de déportation, sans pour autant être démis. D’après le journa-
liste Sébouh Agouni, qui lui a personnellement demandé après-guerre
comment il était parvenu à maintenir les arméniens de la région dans
leurs foyers, il semble que la population turque locale se soit fermement
opposée à la déportation des arméniens, sous l’impulsion de deux familles
de notables, les Kermiyanzâde et les Hocazâde Rasık. Ce qui n’a pas été
sans effet sur le pouvoir. Tout en menaçant le mutesarif et ces notables
de représailles, Mehmed Talât a fait preuve d’une certaine mansuétude
dans ce cas précis, une sorte d’exception confirmant la règle. Alors
qu’initialement cette disposition ne devait s’appliquer qu’à moins de
5 000 personnes, plusieurs milliers de déportés originaires de Bandırma,
Bursa et Tekirdag ont profité de la bienveillance du mutesarif et de
la population locale pour échapper au sort qui les attendait sur l’axe
Konya-Bozanti-Alep 34.
Un sort similaire attendait les arméniens de la ville de Smyrne et
d’une partie du vilayet d’Aydin. La nomination à Smyrne d’un membre
aussi influent du CUP que Mustafa Rahmi, vraisemblablement liée aux
projets jeunes-turcs d’« homogénéisation » des rives ottomanes de l’Égée,
visant à éradiquer la population grecque des zones côtières 35, pouvait
laisser présager le pire. Mais le vali, très impliqué dans ces opérations,
ainsi que le commandant en chef du 4e corps d’armée, le général Pertev
Pacha (Demirhan), se sont contentés de liquider les élites arméniennes
locales. La population arménienne de la ville a globalement été épargnée.
Certains observateurs affirment toutefois que c’est le général allemand
Liman von Sanders qui a obtenu le maintien des arméniens de Smyrne.
Dans le contexte du temps – la Turquie travaillait à maintenir la neutra-
lité de la Grèce dans le conflit mondial –, nous pouvons aussi penser
que l’élimination des arméniens de Smyrne aurait sans doute entraîné
des tensions en milieu grec et y aurait été ressentie comme une menace
pouvant également les viser 36. Dans le reste du vilayet, dans le sandjak
de Manisa, d’autres arméniens ont été épargnés grâce au mutesarif,
amis arméniens pour qu’ils ne soient pas pillés 41. Selon la même source,
les musulmans des bourgs voisins de Feke et de Yerebakan se sont
montrés hostiles aux déportations, les turcs de Feke faisant preuve d’un
comportement « particulièrement honorable 42 ».
Dans les déserts de Syrie, dans les régions de Ras ul-Ayn et Der Zor,
on observe des attitudes bienveillantes de quelques fonctionnaires civils :
le sous-préfet de Ras ul-Ayn, Yusuf Ziya bey, qui est resté en poste
jusqu’au mois de février 1916, qui a essayé de sauver une partie des
arméniens détenus dans le camp de concentration voisin de la ville – il
sera démis lors du déclenchement de la deuxième phase du génocide 43 ;
le préfet de Der Zor, Ali Suad bey, qui avait en charge la région de
l’Euphrate abritant les camps de concentration les plus importants de
Meskéné (il abrita jusqu’à 100 000 personnes jusqu’à l’automne 1916
et on y dénombra environ 80 000 morts), de Dipsi (il fonctionna de
novembre 1915 à avril 1916 et fit 30 000 morts) et celui de Der Zor
(Marat) (ouvert en novembre 1915, 192 750 victimes). Parmi le personnel
administratif et militaire présent à Der Zor sous le mandat d’Ali Souad,
il faut aussi signaler l’action bienveillante de Nureddin bey, inspecteur
délégué (menzil mufettis) et Nakı bey, commandant de marine, qui se
sont tous deux battus avec Ali Suad pour qu’un grand nombre de
déportés restent à Der Zor ; Haci Faroz et son parent Ayial, notables
originaires de Der Zor, qui avaient une grande influence sur les tribus
bédouines de la région. Un rescapé arménien rapporte que « la protection
dont Ali Suad couvrit les arméniens du coin était connue, comme une
fable, jusqu’à Alep et les milieux turcs le surnommait ironiquement le
“patriarche arménien” 44. »
Nous pourrions ajouter, pour compléter notre étude du comportement
des hauts fonctionnaires locaux, que certains préfets ou sous-préfets,
notamment dans les régions abritant les camps de concentration, ont
sauvé des arméniens ou leur ont épargné la déportation en échange de
sommes énormes, tandis que d’autres récupéraient effectivement une
41. « Rapport d’Edith M. Cold, daté du 16 décembre 1915 », dans James Bryce
et Arnold Toynbee, The Treatment of Armenians in the Ottoman Empire, op. cit.,
doc. 126, p. 507.
42. Ibid.
43. Raymond Kévorkian, Le Génocide des Arméniens, op. cit., p. 802.
44. Raymond Kévorkian, L’Extermination des déportés arméniens ottomans
dans les camps de concentration de Syrie-Mésopotamie, la deuxième phase
du génocide (1915-1916), RHAC II, 1998, p. 174 ; T. C. Basbakanlik Arsivi,
2R1334, 3R1334, 6R1334, 7R1334, 7, 8, 11 et 12 Subat [février] 1916, DN,
télégrammes d’Ali Suad [DH. EUM, 2.S.69/6, 7, 8, 9], doc. no 158, 159, 161,
160.
220
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
5. Raymond Kévorkian, « Pour une typologie des “Justes” dans l’Empire otto-
man face au génocide des Arméniens », article présenté à la conférence Si può
sempre dire un sı̀ o un no : I Giusti contro i genocidi degli Armeni e degli
Ebrei, Université de Padoue, 30 novembre 2000.
6. Boghos Levon Zekiyan, « The Conceptual Relationship Between “Tehcir” and
“Genocide”, with a Special Reference to the Armenian Case, both from an
Anthropological and a Legal Philosophical Viewpoint », article (travail en cours)
présenté à la conférence New Approaches to Turkish-Armenian Relations,
Istanbul University, 17 mars 2006.
7. Pour la notion de « fait social », voir Steven Lukes (ed.), From Émile
Durkheim : The Rules of the Sociological Method, New York (N. Y.), Free Press,
1982, p. 50-59 [trad. W. D. Halls].
225
Conversion et sauvetage
10. Speros Vryonis, The Decline of Medieval Hellenism in Asia Minor and the
Process of Islamization from the Eleventh through the Fifteenth Century,
Berkeley (Calif.), University of California Press, 1971.
11. Selim Deringil, « “There is No Compulsion in Religion” : On Conversion and
Apostasy in the Late Ottoman Empire, 1839-1856 », Comparative Studies in
Society and History, 42 (3), 2000, p. 547-575.
12. Speros Vryonis, « The Experience of Christians under Seljuk and Ottoman
Domination, Eleventh to Sixteenth Century », dans Michael Gervers et Jibran
Bikhazi (eds), Conversion and Continuity : Indigenous Christian Communities
in Islamic Lands, Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies, 1990,
p. 185-216.
13. Basbakanlik Osmanli Arsivi (Archives ottomanes, Istanbul), DH.SFR 53/91,
53/92 et 53/93, Talât aux provinces, 23 mai 1915. C’est un exemple où la
nature globale des déportations à l’échelle de l’Empire est reflétée dans un seul
ordre, au niveau le plus central.
14. BOA, DH.SFR 53/85, Talât à Cemal Pacha, 23 mai 1915.
227
Conversion et sauvetage
« Ma mère disait que le maire nous avait fait une offre par l’inter-
médiaire de ma tante, une institutrice qui avait créé six écoles
maternelles turques, les premières de la ville. Il proposait que ma
25. Kerop Bedoukian, The Urchin : An Armenian’s Escape, Londres, John Murray,
1978, p. 8.
26. Aurora Madiganian, The Auction of Souls, Londres, Phœnix Press,
1934, p. 185.
27. Khachadoor Pilibosian, They Called Me Mustafa : Memoir of an Immigrant,
Watertown (N. Y.), Ohan Press, 1992.
230
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
pas assez perspicace pour tenir compte du fait suivant, exposé par Mercedes
Arenal : « La conversion forcée entraîne d’ordinaire un rejet et une méfiance
accrus de la société dominante à l’égard du groupe converti 28. » Cela
explique l’existence de problèmes d’identité extrêmement traumatisants
chez certains convertis, révélant souvent une « piété compensatoire » des-
tinée à masquer le manque évident de « pedigree islamique » et donc de
confiance en soi. Un homme politique kurde se rappelait avoir grandi
à Van auprès de sa grand-mère arménienne et n’avoir jamais compris
pourquoi cette femme bougonne et déprimée maudissait sa propre famille
en la traitant d’« ordure kurde 29 ». Une étude plus approfondie de ces événe-
ments au niveau provincial pourrait éclairer ces événements complexes.
« Fuite comportementale »
dans la province de Diyarbekir
Les relations interethniques et interconfessionnelles à Diyarbekir dans
les années qui précédèrent 1914 étaient moins idylliques que certains
observateurs ne les ont décrites. La crise prolongée qui affecta l’Empire
ottoman les avait en réalité fragilisées. L’éviction progressive des Ottomans
des Balkans coïncida avec les massacres perpétrés contre des musulmans
ottomans, en Crète notamment 30, et conduisit à s’interroger sur la loyauté
des citoyens chrétiens à l’égard de l’État ottoman. Des massacres eurent
lieu sous le règne d’Abdülhamid et frappèrent Diyarbekir le 1er novembre
1895 31. Dans l’ensemble de cette province, près de 25 000 arméniens se
convertirent sous la contrainte à l’islam, 1 100 furent tués dans la seule
ville de Diyarbekir ainsi que 800 ou 900 dans les villages des environs,
tandis que 155 femmes ou jeunes filles étaient emmenées par des membres
des tribus kurdes. Dans le comté de Silvan, 7 000 arméniens se conver-
tirent et 500 femmes furent enlevées. À Palu et à Siverek, ce furent res-
pectivement 3 000 et 2 500 arméniens qui se convertirent pour échapper
au massacre. À Silvan, ainsi qu’à Palu, « 7 500 [personnes] sont réduites
32. Blue Book Turkey, 8, 1896, pièce jointe au document 140, p. 127.
33. Raymond H. Kévorkian et Paul B. Paboudjian, Les Arméniens dans l’Empire
ottoman à la veille du génocide, Paris, ARHIS, 1992, p. 398.
34. Entretien avec M. S. en kurde dans la ville de Diyarbekir, août 2004.
35. Fethiye Çetin, Anneannem, Istanbul, Metis, 2004.
36. Disponible sur le site www.frederike.nl/
232
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
37. Entretien avec une famille arménienne anonyme (district de Lice) en hollan-
dais à Amsterdam, février 2003.
38. Liana Sayadyan, « A Wound That Wouldn’t Heal », Hetq Online : Investiga-
tive Journalists of Armenia, disponible sur le site http://archive.hetq.am/eng/
society/0603-gender.htlm/
39. Entretien avec D. E. (district de Piran/Dicle) en turc à Amsterdam, mai 2005.
233
Conversion et sauvetage
L
« a Croix-Rouge internationale ne saurait rester indifférente ou
inactive quand une calamité générale plonge dans la détresse une
partie de l’humanité 1. » En vertu de cette maxime, formulée en
1909 après les massacres d’arméniens à Adana, on pourrait penser que
le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) s’est immédiatement
impliqué dans l’aide aux victimes des génocides qui ont ensanglanté le
e
XX siècle. En réalité, l’ampleur des actions menées par l’institution gene-
voise a considérablement varié dans le temps et en intensité. En apparence,
l’intervention du CICR dessine une courbe d’implication croissante pour
les victimes. Ainsi, il ne mentionne pas l’anéantissement des héréros
entre 1904 et 1908 ; il s’indigne « [...] contre l’extermination systématique
des arméniens 2 » en 1915, dont il dénonce explicitement les instigateurs 3,
mais sans tenter d’action concrète ; puis il se contente d’une prudente
pusillanimité lors de la Shoah.
Sans doute cette évolution reflète-t-elle le développement du mandat
du CICR. Fondé en 1863, pour secourir des militaires blessés lors des
guerres internationales, le Comité international a progressivement étendu
son action aux civils 4 comme aux victimes de conflits fratricides 5. Jusqu’en
1949 toutefois, l’institution ne dispose pas d’un instrument juridique
ad hoc protégeant les populations civiles des effets du conflit et pouvant
donner un fondement légal à ses interventions. C’est sur cette lacune
que se base l’argumentation la plus souvent avancée par le CICR lui-
même quand il s’agit de comprendre son (in)action pendant la plupart
des massacres perpétrés au XXe siècle 6.
Sans être inexacte, cette explication aux accents justificatifs ne saurait
être entièrement satisfaisante. De fait, elle ne répond qu’imparfaitement
à une réalité historique : celle d’un CICR prenant, dans un cas, fait et
cause pour les arméniens durant la Première Guerre mondiale ; et, dans
l’autre, faisant preuve d’une carence d’initiative face à l’Holocauste, alors
même que ces populations victimes étaient toutes deux dépourvues de
protection conventionnelle. En outre et plus profondément, cette interpré-
tation semble privilégier une conception ontologique du cadre juridique
dans lequel s’inscrit l’action humanitaire et dérobe ainsi le comportement
de la Croix-Rouge à l’analyse.
Pour déchiffrer l’attitude du CICR et ses ambivalences devant l’extermi-
nation des héréros, des arméniens et des juifs, il importe de reconsidérer
les liens tissés entre les principaux protagonistes de ces « calamités géné-
rales » et ceux qui déclaraient ne rester ni indifférents ni passifs face
à elles.
Les victimes
La victime de la violence de guerre est au cœur du mandat du CICR
dont elle constitue en quelque sorte la raison d’être. Cependant, l’histoire
de l’institution genevoise montre que toutes les victimes de conflits ne
sont pas traitées de la même façon. La distinction entre civils et militaires
reste longtemps le critère normatif justifiant ou non une intervention
4. Cette protection s’exerce dès le début de la guerre de 1914, mais la IVe conven-
tion de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre
n’est adoptée qu’en 1949.
5. Résolution XIV, Dixième conférence internationale de la Croix-Rouge tenue
à Genève du 30 mars au 7 avril 1921. Compte rendu, Genève, Imprimerie Albert
Renaud, 1921, p. 217-218.
6. L’activité du CICR en faveur des civils détenus dans les camps de concentra-
tion en Allemagne (1939-1945), Genève, CICR, février 1946 ; Rapport du Comité
international de la Croix-Rouge sur son activité pendant la Seconde Guerre
mondiale (1er septembre 1939-30 juin 1947), 3 vol., Genève, CICR, mai 1948.
237
Humanitaire et massacres
7. Cf. Bulletin, 107, juillet 1896, p. 194-196, et 113, janvier 1898, p. 11-12.
8. ACICR, AF, carton 21, dossier 13, Monténégro et Herzégovine, 1875-1876,
« Mission au Monténégro. Rapport présenté au Comité international de la Croix-
Rouge par ses délégués, MM. Aloïs Humbert, Dr Frédéric Ferrière et M. Goetz,
6 avril 1876 ».
9. Bulletin, 136, octobre 1903, p. 206.
10. Bulletin, 137, janvier 1904, p. 7-9.
11. Das Rothe Kreuz, 2, janvier 1908, p. 36.
238
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
avec les victimes noires : « Aucun État nègre [...], explique ainsi le prési-
dent du CICR Gustave Moynier, n’a encore adhéré à la convention de
Genève ; il n’est même pas à désirer qu’ils le fassent, car les peuples noirs
de l’Afrique sont, pour la plupart, trop sauvages encore pour pouvoir
s’associer à la pensée humanitaire qui a inspiré ce traité et pour la mettre
en pratique 12. »
Ce dernier élément semble d’ailleurs crucial dans la (non-)appréhen-
sion du statut victimaire, si l’on en croit la pusillanimité du CICR envers
les juifs européens persécutés par le système nazi. L’attitude ambiguë de
la Croix-Rouge internationale face à la Shoah 13 s’explique largement
par les préjugés culturels et raciaux qui circulaient en Suisse. Composé
de citoyens helvétiques, issus pour la plupart de la grande bourgeoisie,
le CICR n’échappe pas à « l’imprégnation antisémite 14 » qui affecte alors
le pays. Dès le début du XXe siècle, au nom de la « défense de la patrie »
et de peur d’une surpopulation étrangère, les élites de la droite bour-
geoise ont développé une xénophobie antisémite dont plusieurs membres
du CICR se font l’écho, de sorte qu’il n’est pas rare de trouver des allu-
sions reflétant cet état d’esprit dans les documents de l’institution. Que
cette « imprégnation » ait exercé un effet néfaste sur le secours à apporter
aux victimes juives du nazisme n’est pas improbable. Tout comme il n’est
pas à exclure qu’elle ait contribué à reléguer « le juif » dans une catégorie
de victimes de second rang ; c’est-à-dire qui n’était pas d’emblée à rejeter,
sans être non plus à sauver en priorité.
La définition de la victime juive serait donc moins tranchée que dans
le cas des héréros ou des arméniens. Cette attitude de demi-mesure est
résumée de façon significative en avril 1945. Chargé de rapatrier quelque
300 juives du camp de Ravensbrück, le CICR prévient : « Il faut aussi
12. Bulletin, 41, janvier 1880, p. 5. Cette perception négative de l’Afrique per-
dure durant des décennies au sein d’une institution profondément marquée par
un européocentrisme mâtiné d’accents racistes, et partageant encore largement
le credo sur la mission civilisatrice de l’Occident. Ainsi, lors des événements
du Rwanda en 1959-1960, le CICR qualifie la situation de l’Afrique de « pré-
moyenâgeuse » (ACICR, A PV, Conseil de présidence, séance du jeudi 15 décembre
1960 à 14 h 30) et les troubles rwandais de « guerres féodales » (ACICR, A PV,
Conseil de présidence, séance du jeudi 11 novembre 1965 à 14 h 30, ou A PV,
Comité, séance plénière du jeudi 13 février 1964).
13. Jean-Claude Favez, Une mission impossible ? Le CICR, les déportations
et les camps de concentration nazis, en collaboration avec Geneviève Billeter,
Lausanne, Payot, 1988 ; Arieh Ben-Tov, Facing the Holocaust in Budapest. The
International Committee of the Red Cross and the Jews in Hungary, 1943-1945,
Genève, Henry-Dunant Institute, 1988.
14. Daniel Bourgeois, « La Suisse, les Suisses et la Shoah », Revue d’histoire
de la Shoah, 163, 1998, p. 150.
239
Humanitaire et massacres
tenir compte du fait que ces femmes ont été soumises à une grande
tension nerveuse qui se relâche maintenant et qu’elles sont ainsi amenées
à parler et à laisser aller leur imagination 15. » Ainsi, tout en reconnaissant
explicitement ces femmes en tant que victimes, l’institution leur déniait
ce statut... comme si elle était incapable de donner aux nazis celui
de bourreaux.
Les bourreaux
rejoints en cela par les Allemands devenus leurs complices dans l’exter-
mination des arméniens. Ce que le CICR ne se fait pas faute de leur
rappeler. Ainsi, le Reich ayant dénoncé les atrocités commises par les
troupes alliées de couleur et ayant réclamé « dans l’intérêt de l’humanité
et de la civilisation » leur retrait du théâtre de la guerre en Europe,
la réponse de l’institution genevoise est mordante : « On ne peut que
déplorer sincèrement des atrocités de ce genre. Mais on ne peut aussi
s’empêcher de regretter [...] que le Gouvernement allemand n’ait pas
“dans l’intérêt de l’humanité et de la civilisation” imposé une tout autre
conduite à ses propres troupes en Belgique, aux armées austro-allemandes
en Serbie et à ses alliés les Turcs en Arménie 19. »
Reste qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, le CICR semble
revenir à des sentiments plus « modérés ». Alignant sa politique sur celle
de la Confédération helvétique, le CICR adopte alors une attitude conci-
liante envers l’omniprésent voisin allemand. En outre, la crainte de mettre
en péril ses activités traditionnelles en Allemagne, notamment les visites
aux prisonniers de guerre, par des demandes portant sur les détenus
civils des camps de concentration, peut expliquer l’attentisme de la Croix-
Rouge. Enfin, il n’est pas à exclure que les affinités personnelles de cer-
tains membres du CICR 20 avec des personnalités allemandes de premier
rang aient pesé dans cette volonté d’accommodement, et par contrecoup
sur les efforts déployés pour aider les victimes. Cette affinité idéologique
avec un régime totalitaire, voire l’assentiment tacite des plus hautes
instances de l’institution à certains aspects de l’idéologie qu’il prônait,
s’inscrirait dans une continuité, les exemples de l’Italie fasciste 21 et de
l’Espagne franquiste 22 faisant office de précédents. Plus que tout autre,
peut-être, cette sympathie permettrait de comprendre qu’il ait été difficile
de classer les Allemands dans la catégorie des bourreaux et, partant,
difficile de traiter les juifs comme de « véritables » victimes.
L’occultation des bourreaux ne résulte pas toujours d’a priori idéolo-
giques. Bien au contraire, elle peut naître de la confrontation immédiate
23. Diego Fiscalini, Des élites au service d’une cause humanitaire : le Comité
international de la Croix-Rouge, 2 tomes, mémoire de licence, Faculté des
lettres, Université de Genève, 1985.
24. Irène Herrmann et Daniel Palmieri, « Genève ou la neutralité, 1914-1945 »,
dans Philippe Chassaigne et Jean-Marc Largeaud (dir.), Villes en guerre, 1914-
1945, Paris, Armand Colin, 2004, p. 219-228.
242
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
33. L’utilisation des termes d’« extermination systématique » lors des événe-
ments d’Arménie démontre que le CICR avait pourtant pris conscience de la
nature particulière de ces actes.
245
Humanitaire et massacres
publicly what everybody knew and what nobody had the courage to
say [...] 34. »
Ainsi, même lors d’un des derniers génocides du XXe siècle, la Croix-
Rouge internationale n’a reconnu l’ampleur du massacre qu’à la faveur
d’initiatives privées qui, tout en émanant de son sein, ont dû batailler
contre elle pour perfectionner la mission que se donne l’institution. Dans
son actualité, cette configuration rappelle qu’expliquer l’attitude du CICR
en se référant exclusivement à son mandat revient à inverser le problème
et les causalités. Sans doute le CICR a-t-il été fondé pour « humaniser »
la guerre, mais ce sont les hommes qui ont conféré à ce rôle un carac-
tère humanitaire.
Neutralité et adaptation
Xénophobie et antisémitisme
Brèches d’humanité
’Œuvre de secours aux enfants (OSE) est bien connue pour son
5. La colonie des 2 000 enfants de Kreslavka (en Latgalie lettonne) doit son
existence grâce aux dons du sculpteur Aronson en 1921.
6. The Society for the Protection of Jewish Health. Figthing for a Healthy New
Generation, New York (N. Y.), Yivo, 2005.
264
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
7. La première réunion eut lieu le 29 août 1942, puis il y en eut cinq autres
jusqu’au 30 octobre 1942. Le comité cessa ensuite de se réunir pendant un an,
jusqu’au 23 septembre 1943 et tint une dernière réunion le 30 novembre 1943
(Archives OSE, fonds Tschlenoff, boîte XV, dossier 11).
265
L’OSE et le sauvetage des enfants juifs
8. En mars 1942, l’Union des sociétés OSE fut dissoute et intégrée dans diffé-
rents services de l’UGIF-zone nord. Voir Michel Laffitte, Un engrenage fatal,
l’UGIF face aux réalités de la Shoah, Paris, Liana Levi, 2003. Du même auteur,
Juifs dans la France allemande, Paris, Taillandier, 2006.
9. Voir les souvenirs d’Eugène Minkowski, les carnets d’Enéa Averbouh et les
archives du Comité de la rue Amelot conservées au YIVO Institute de New York.
10. Munie de vrais-faux papiers et sans porter l’étoile, la psychiatre Irène Opollon
cacha dans la région parisienne les enfants, qu’elle visita et dont elle paya les
pensions. Elle continua de collaborer à l’OSE après la guerre.
267
L’OSE et le sauvetage des enfants juifs
11. Jenny Masour-Ratner, Mes vingt ans à l’OSE, 1941-1961, édité par Katy
Hazan, Paris, Le Manuscrit, coll. « Témoignages de la Shoah », 2006. Sur les
départs d’enfants vers l’Amérique, voir Sabine Zeitoun, L’Œuvre de secours aux
enfants sous l’Occupation en France, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 137-144.
La Cimade a rajouté plus tard à son sigle « Service œcuménique d’entraide ».
12. Archives AJDC, New York (N. Y.), Child Care, 611.
13. Voir Ernst Papanek, Out of the Fire, New York (N. Y.), William Morrow,
1975, p. 217-228. Il tenta vainement de faire venir tous les enfants de Mont-
morency, mais les Américains refusèrent catégoriquement de regrouper les
enfants dans un foyer.
268
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
De la protection au sauvetage
17. Les autorités retinrent, pour les déporter, les enfants dont les parents
étaient encore internés. D’autres furent bloqués par le débarquement allié en
Afrique du Nord. Le Nyassa repartit avec beaucoup moins d’enfants que prévu.
200 enfants prêts à partir de Marseille furent ramenés dans leurs institu-
tions respectives.
18. Archives AJDC, Child Care, 611, note de Lisbonne à New York du 14 jan-
vier 1943.
270
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
La reconstruction,
prolongement naturel du sauvetage
Un exemple de prévision :
l’enquête de Ruth Lambert dans les camps suisses
23. Archives OSE, fonds Tschlenoff, boîte V, dossier 13. Il s’agit des camps
de La Chasselotte (Fribourg), de Tivoli (Lucerne), de Davesco, de Mezzovico, de
Magliasso, de Brissago, de Cordola, de Mont-Bré (Tessin), de Herberg et de
Hilfikon (Argovie).
24. Dont 279 nourrissons, 565 enfants jusqu’à 8 ans, 1 194 de 8 à 19 ans
(fonds Tschlenoff, boite V, dossier 13).
25. Fabienne Regard, La Suisse, paradis de l’enfer ? Mémoires de réfugiés
suisses, Yens-sur-Morges, Cabédita, 2002.
273
L’OSE et le sauvetage des enfants juifs
33. À laquelle il faut rajouter 2 152 enfants encore en Suisse, 1 300 enfants
sous la protection de l’OSE belge, 474 sous la protection de l’OSE Roumanie
et 800 enfants encore en Allemagne, soit 10 726 fiches répertoriées. Fonds
Tschlenoff, boite V, service du fichier central au 31 décembre 1946.
276
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
34. Katy Hazan et Eric Ghozlan, À la vie ! Les enfants de Buchenwald du Shtetl
à l’OSE, Paris, Le Manuscrit, coll. « Témoignages de la Shoah », 2005.
35. Les mêmes opérations furent entreprises en Pologne et Roumanie. Voir le
fonds de l’Amerose, la branche américaine de l’OSE, déposé à l’institut YIVO
de New York. On y trouve également les parrainages des enfants et des maisons.
36. Message adressé en juin 1953 à Israël Weksler, président d’Amerose,
conservé dans sa version manuscrite allemande dans les Albert Einstein Archives,
microfilm, série 28, nos 958 et 1046.
Chapitre 16
LE CONTEXTE DU SAUVETAGE
DANS L’EUROPE DE L’OUEST OCCUPÉE
Bob MOORE
3. Voir, par exemple, Marnix Croes et Peter Tammes, « Gif laten wij niet
voortbestaan » Een onderzoek naar de overlevingskansen van joden in de
Nederlandse gemeenten, 1940-1945, Amsterdam, Aksant, 2004 ; J. C. H. Blom,
« Gescheidenis, sociale wetenschappen, bezettingstijd en jodenvervolging. Een
besprekingsartikel », Bijdragen en Mededelingen betreffende de Geschiedenis
der Nederlanden (BMGN), 120 (4), 2005, p. 562-580 ; Marnix Croes, « De zesde
fase ? Holocaust en geschiedschriving », BMGN, 121 (2), 2006, p. 292-301.
4. A. J. van der Leeuw, « Meer slachtoffers dan elders in West-Europa », Nieuw
Israëlitisch Weekblad, 15 novembre 1985.
5. Johan Cornelis Hendrik Blom, Crisis, Bezetting en Herstel. Tien Studies over
Nederland, 1930-1950, Rotterdam, Nijgh et Van Ditmar Universitair, 1989,
p. 134-150 ; Pim Griffioen et Ron Zeller, « The Persecution of the Jews : Compa-
ring Belgium and the Netherlands », The Netherlands’ Journal of Social Sciences,
34 (2), 1998, p. 126-164.
6. Cornelis J. Lammers, « Persecution in the Netherlands during World War
Two. An Introduction », art. cité, p. 112 ; Pim Griffioen et Ron Zeller, « The
279
Le contexte du sauvetage dans l’Europe de l’Ouest occupée
Persecution of the Jews... », art. cité, p. 152-153. Dans le cas français, cela
peut s’expliquer en partie par l’existence de la zone libre jusqu’en novembre
1942 et de la zone d’occupation italienne jusqu’en septembre 1943 davantage
que par des données purement topographiques.
7. Bob Moore, « The Rescue of Jews in Nazi-Occupied Belgium, France and the
Netherlands », Australian Journal of Politics and History, 50 (3), 2004, p. 395.
280
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Structures d’occupation
dans les différents pays
Quel est le contexte politique de l’Occupation pendant la Seconde
Guerre mondiale ? Nous le savons, les structures du régime allemand
dans l’Europe de l’Ouest sous occupation n’avaient rien d’uniforme.
12. Bien que cette attitude reposât sur certains fondements idéologiques, elle
répondait aussi à un impératif militaire : il fallait limiter le nombre de troupes
consacrées à la sécurité intérieure à un moment où on en avait besoin ailleurs
pour des campagnes actives.
283
Le contexte du sauvetage dans l’Europe de l’Ouest occupée
13. Pour des études récentes de comportement administratif voir Peter Romijn,
Burgemeesters in Oorlogstijd. Besturen onder Duitse bezetting, Amsterdam,
Balans, 2006.
14. Lisa Fittko, Escape Through the Pyrenees, Evanston (Ill.), Northwestern
University Press, 1991, p. 133.
15. Marjolein J. Schenkel, De Twentse paradox. De lotgevallen van de joodse
bevolking van Hengelo en Enschede tijdens de Tweede Wereldoorlog, Zutphen,
Walburg, 2003, p. 88.
284
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
16. Guus Meershoek, Dienaren van het Gezag. De Amsterdamse Politie tijdens
de Bezetting, Amsterdam, van Gennep, 1999 ; Guus Meershoek, « De Amster-
damse hoofdcommisaris en de deportatie van de joden », Oorlogsdocumentatie
’40-’45 Derde Jaarboek van het Rijskinstituut voor Oorlogsdocumentatie, Zut-
phen, Walburg Pers, 1992, p. 9-43 ; Walter de Maesschalk, Gardes in de oorlog.
De Antwerpse politie in WO II, Anvers et Rotterdam, C. de Vries-Brouwers,
2004, p. 295-300.
285
Le contexte du sauvetage dans l’Europe de l’Ouest occupée
17. Michael R. Marrus et Robert O. Paxton, Vichy France and the Jews, Stan-
ford (Calif.), Stanford University Press, 1995, p. 306.
18. Maxime Steinberg, L’Étoile et le Fusil, tome 2, op. cit., p. 210-213.
19. Ad van Liempt, Kopgeld. Nederlandse premiejagers op zoek naar joden
1943, Amsterdam, Balans, 2002, Belgique, Ministerie van Justitie-Belgique,
CPG dossier Lauterborn I. Rechtpleging tegen Lauterborn en anderen.
20. Bob Moore, Victims and Survivors. The Nazi Persecution of the Jews in
the Netherlands, 1940-1945, Londres, Arnold, 1997, p. 207-210.
21. Sur la France, voir Limore Yagil, Chrétiens et juifs sous Vichy (1940-1944).
Sauvetage et désobéissance civile, Paris, Éditions du Cerf, 2005.
286
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
24. Voir par exemple la disparité marquée entre les sauvetages dans les régions
néerlandophones et francophones de Belgique. Lieven Saerens, « Die Hilfe für
Juden in Belgien », dans Wolfgang Benz et Juliane Wetzel (Hrsg.), Solidarität
und Hilfe für Juden während der NS-Zeit, 2, Berlin, Metropol, 1998, p. 231-232.
25. Coen Hilbrink, De Illegalen. Illegaliteit in Twente en de aangrenzende
Salland, 1940-1945, ’s-Gravenhage, SDU, 1989, p. 73.
289
Le contexte du sauvetage dans l’Europe de l’Ouest occupée
Le jeune patriote Raymond Fresco qui essayait de fuir devant les agents
de la Gestapo venus pour l’arrêter fut atteint d’une balle de mitraillette.
Lorsqu’il tomba à terre les assassins tirèrent encore sur lui 10 balles 15 ».
Parmi les rares documents de la police allemande concernant l’action
Brunner parvenus jusqu’à nous, il subsiste une série de rapports ayant
trait aux arrestations de Jacques Weintrob, de Claude Gutmann et de
Germaine Meyer 16. Ces rapports montrent l’importance qu’a, aux yeux
de la police allemande, la lutte contre les organisations œuvrant au
sauvetage. Comme l’indique l’un de ces rapports, les arrestations ont eu
lieu « au cours d’une action contre les juifs importants à Nice 17 », ce qui
confirme clairement que le démantèlement de la résistance juive est l’un
des objectifs poursuivis dès les débuts de l’« Aktion ».
Le traitement des personnes arrêtées est identique à celui que réserve
la police allemande à n’importe quel résistant. Détenus durant des périodes
plus ou moins longues (Germaine Meyer est ainsi détenue un mois à
Nice) avant d’être envoyés à Drancy en tant que juifs 18, chacun d’entre
eux est soumis à des interrogatoires destinés à récolter des informations
sur l’organisation à laquelle il appartient et le rôle qu’il y tient. Ainsi,
Jacques Weintrob est-il identifié comme le « chef de la jeunesse juive et
[l’]organisateur de convois d’enfants » (Kindertransporte) à destination
de la Suisse 19. L’activité des réseaux de sauvetage est systématiquement
décortiquée et leurs ramifications mises à jour : « Les juifs susnommés
[Meyer, Weintrob, Gutmann] étaient soutenus de la façon la plus large
par la population et les autorités françaises : la femme Meyer était cachée
chez un Français âgé de 70 ans [...] ; Gutmann put être arrêté dans la
maison des Jésuites, 8, rue Mirabeau, Nice, où il était en train de discuter
de la question de l’assistance que l’Église catholique pouvait apporter à
la jeunesse juive. D’après les papiers que nous avons trouvés sur lui, il
résulte que les Compagnons de France, le Comité national des unions
chrétiennes des jeunes de France ainsi que le mouvement des Éclaireurs
unionistes de France lui ont apporté leur plein soutien. Weintrob avait
15. Union des juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE), Cinq mois de persé-
cutions anti-juives à Nice, s. l. n. d.
16. Rapport et interrogatoire de Germaine Meyer par le SD de Nice adressés
à Brunner, 21 octobre 1943 (CDJC, I-59), rapport de l’EK Marseille à la sec-
tion IV à Paris, 18 novembre 1943 (CDJC, I-60), et sa transmission par Röthke
au IV-B-4 à Berlin le 27 décembre suivant (CDJC, I-61).
17. CDJC, I-60.
18. Puis déportés à Auschwitz.
19. CDJC, I-60.
296
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
20. Ibid.
21. Sur les territoires de l’Est et la lutte contre le sauvetage, voir par exemple
Leonid Smilovitsky, « Righteous Gentiles, the Partisans, and Jewish Survival in
Belorussia, 1941-1944 », Holocaust Genocide Studies, 11, 1997, p. 301-329,
ou encore Wladyslaw Bartoszewski, Zegota. juifs et Polonais dans la résistance,
1939-1945, Paris, Critérion, 1992.
22. Deux articles de cette loi permettent de sanctionner l’aide apportée aux
étrangers. L’article 4, qui sanctionne « tout individu qui par aide directe ou
indirecte aura facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour
irréguliers d’un étranger », de 100 à 1 000 francs d’amende et un mois à un
an de prison. L’article 6, qui contraint « toute personne logeant ou hébergeant
un étranger en quelque qualité que ce soit, même à titre gracieux, ou louant des
locaux nus à un étranger » à effectuer une déclaration auprès du commissariat de
sa commune, ou de la gendarmerie, ou de la mairie, sous peine de tomber sous
le coup des sanctions prévues par l’article 4 (Journal officiel de la République
française, 3 mai 1938, p. 4967-4969).
23. Pour un exemple, voir Archives départementales de l’Isère (ADI), 57M 9,
procès-verbal de la brigade de gendarmerie de Moirans, 124, 17 mars 1944.
297
La lutte contre le sauvetage durant l’« action Brunner » en France
peuvent entraîner des sanctions 24. Mais, de fait, les coups portés par
l’équipe de Brunner mettent à bas la plupart des organisations juives
œuvrant à Nice, soit en les démantelant, soit en les contraignant à se
replier à nouveau vers des zones alors encore moins exposées, en parti-
culier Grenoble 25.
24. Même si la Sipo-SD agit à sa guise, elle n’en est pas moins tenue à certaines
limites, l’arrestation de Français en dehors de toute infraction ou d’« activités
terroristes » ne pouvant que tendre les relations entre Vichy et les autorités
allemandes.
25. Voir Lucien Lazare, La Résistance juive en France, op. cit., p. 252-254.
26. ADI, 7291W 394, dossier 106 032 (Herta Hauben).
298
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
30. « On commença par faire une visite de leur anatomie pour déclarer leur
race » (ADI, 13R 1043, témoignage de monsieur Godlewski, 28 février 1947).
31. Les opérations contre les centres polonais semblent s’être prolongées durant
tout le mois de mars 1944, le départ du Kommando de Grenoble n’y mettant
apparemment pas fin.
300
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Cette attitude est une constante que l’on retrouve tant à Nice qu’à
Grenoble. Le préfet de l’Isère lui-même est contraint, dans un rapport
à Vichy, de faire part du « fanatisme anti-allemand des Grenoblois 33 »
provoqué par la chasse à l’homme menée par Brunner. Les agissements
du Kommando ont pour effet d’accroître le soutien aux juifs au sein de
la population. Mais au début de l’année 1944, le changement d’attitude
des Allemands à l’égard de la population fournissant de l’aide devient
perceptible. À Grenoble, le Kommando met en œuvre différents moyens
afin de dissuader la population de venir en aide aux juifs. Toute personne
soupçonnée d’héberger ou de protéger des juifs est désormais arrêtée, ce
32. UJRE, Cinq mois de persécutions antijuives à Nice, op. cit., p. 13. Nombre
de témoignages sur l’assistance prêtée par la population figurent parmi les
archives du CDJC (certains sont reproduits dans Serge Klarsfeld, La Shoah en
France, volume 1, op. cit., p. 306-308).
33. AN, F1cIII 1158, rapport mensuel pour le mois de février 1944 (chapitre
spécial : relations avec les autorités allemandes).
301
La lutte contre le sauvetage durant l’« action Brunner » en France
France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de
persécution, 1940-1945, 4 volumes, Paris, Éditions Tirésias, 2004). Il demeure
cependant la possibilité qu’il ait été effectivement envoyé à Compiègne.
40. ADI, 13R 971.
41. ADI, 7291W 285, dossier 84 498 (Paul Croux).
42. Durant la phase grenobloise de l’opération, Aloïs Brunner est cité à l’ordre
du jour de la direction de la Gestapo à Berlin à deux reprises, les 26 février
et 18 mars 1944 (Didier Epelbaum, Aloïs Brunner, op. cit., p. 204). Les raisons
de l’attribution de ces distinctions nous sont inconnues, mais pourraient faire
suite aux démantèlements des réseaux.
43. CDJC, CCXVI-53a, témoignage de Sala Hirth (membre de l’« équipe juive »
amenée de Drancy à Grenoble chargée de s’occuper à l’hôtel Suisse et Bordeaux
des juifs capturés).
303
La lutte contre le sauvetage durant l’« action Brunner » en France
D
Depuis 1914, date de sa création, l’American Jewish Joint Dis-
tribution Committee (JDC), également appelé le « Joint », est la
grande organisation philanthropique américaine d’aide de la
communauté juive à l’étranger 1. Tout au long de la Première Guerre
mondiale et dans l’entre-deux-guerres, le JDC a cherché à améliorer la
vie des juifs établis hors des États-Unis en leur fournissant de la nourri-
ture, des soins médicaux et une aide économique. Afin de préserver sa
liberté d’action, le JDC observait une neutralité politique absolue, tant
à l’étranger qu’aux États-Unis. Devant la situation de plus en plus diffi-
cile des juifs d’Europe dans les années 1930, les juifs américains établirent
1. La première formule du titre, citée par Yehuda Bauer, American Jewry and
the Holocaust : The American Jewish Joint Distribution Committee, 1939-1945,
Detroit (Mich.), Wayne State University Press, 1981, p. 177, est tirée d’une
note de Joseph Schwartz à l’administration du JDC. La seconde d’un rapport
de Jules Jefroykin, toujours à l’administration du JDC. Archives de l’American
Jewish Joint Distribution Committee, New York (infra JDC-NY), dossier 596
général, dossier 2 sur 2, France 1942-1944, Report on the General Situation
in France, November 1942-June 1944 (traduit du français), août 1944. L’auteur
tient à remercier Nancy L. Green, Diane Afoumado et Veerle Vanden Daelen
pour leurs précieux commentaires sur cet article. Elle souhaite également remer-
cier le ministère français de l’Éducation nationale, la Fondation du judaïsme
français et l’American Jewish Archive pour leur soutien.
306
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
2. Sur l’United Jewish Appeal, voir Abraham J. Karp, To Give Life. The UJA
in the Shaping of the American Jewish Community, New York (N. Y.), Schocken
Books, 1981 ; Marc Lee Raphael, A History of the United Jewish Appeal, Chico
(Calif.), Scholars Press, 1982. Le JDC recevait approximativement 57 % des
fonds rassemblés par l’UJA, mais cela variait selon les années, en fonction des
besoins. Voir Abraham Karp, To Give Life..., op. cit., p. 84-87.
3. Cf. Yehuda Bauer, My Brother’s Keeper : A History of the American Jewish
Joint Distribution Committee 1929-1939, Philadelphie (Pa.), The Jewish Publi-
cation Society, 1974 ; American Jewry and the Holocaust..., op. cit. ; Out of
the Ashes : the Impact of American Jews on Post-Holocaust Jewry, Oxford,
Pergamon Press, 1989. Sur l’important rôle du JDC en France, voir notamment
Lucien Lazare, La Résistance juive en France, Paris, Stock, 2001.
4. Dans son article, « Jewish Organizations and the Creation of the U. S. War
Refugee Board », The Annals, 450, 1980, p. 136, Monty Penkower affirme :
« Quant au JDC plus solidement établi, il insista pour observer l’ensemble des
réglementations américaines et refusa tout au long de la guerre d’envisager un
quelconque modus vivendi avec le CJM alors qu’à l’étranger, les juifs étaient
victimes d’une destruction massive. » Tout se concentrant sur les organisations
sionistes, Sarah Peck reproche également aux organisations juives américaines
leur inaction dans son article « The Campaign for an American Response to the
Nazi Holocaust, 1943-1945 », Journal of Contemporary History, 15 (2), 1980,
p. 367-400. Dans son article, « “Courage First and Intelligence Second” : The
American Jewish Secular Elite, Roosevelt and the Failure to Rescue », American
Jewish History, 72 (4), 1983, p. 424-460, Henry Feingold propose une approche
plus nuancée, se demandant quelle raison on avait de croire les juifs américains
et leurs organisations assez puissants pour sauver les juifs d’Europe.
5. Discours de Paul Baerwald, président, JDC, 29e assemblée annuelle, 5 décembre
1943. Ce rapport figure dans une lettre de Baerwald à sir Herbert Emerson de
l’Intergovernmental Refugee Committee, 23 décembre 1943, Archives nationales,
AJ/43/13.
307
« Guide et moteur » ou « trésor central » ?
La résistance juive :
terminologie et considérations théoriques
Le rôle joué par le JDC en France entre 1942 et 1944 révèle les ten-
sions liées aux notions mouvantes de légalité au gré de l’évolution des
conditions de guerre. Cette réalité apparaît avec une évidence particulière
lorsqu’on étudie les points d’intersection entre le JDC et la résistance
juive. Avant de nous intéresser aux mécanismes que le JDC mit en œuvre
dans le cadre de cette activité, il convient de définir les termes que
nous utiliserons pour décrire son rôle dans la résistance juive en France.
Précisons d’emblée que celle-ci ne doit pas être considérée comme un
mouvement monolithique, mais comme une nébuleuse d’organisations
et de réseaux issus de multiples secteurs de la vie juive. De fait, alors
que certains juifs combattirent au sein du mouvement général (ou natio-
nal) de résistance, d’autres individus ou organisations se mobilisèrent
pour constituer une résistance spécifiquement juive. Les objectifs de la
résistance générale et de la résistance juive en France n’étaient pas les
mêmes. Pour la première, la nécessité de sauver les juifs s’inscrivait dans
le cadre plus général de la volonté de mettre fin à l’occupation allemande
de la France. En revanche, la résistance juive combattait spécifiquement
la guerre menée contre les juifs par les occupants nazis et par l’État
français 8. Ces objectifs n’étaient pas contradictoires ; d’où un certain
nombre de cas de coopération et de recoupements, surtout vers la fin
Le JDC en France
21. Voir Yehuda Bauer, American Jewry and the Holocaust..., op. cit., p. 42.
22. Jefroykin date son embauche par le JDC de décembre 1940, dans Jules
Jefroykin, OHD (1) 61, p. 1, alors que Bauer la situe un mois plus tard, voir
Yehuda Bauer, American Jewry and the Holocaust..., op. cit., p. 163.
23. Anny Latour date la nomination de Jefroykin au poste de directeur pour
la France du printemps 1942, alors que Bauer la date de juin 1942 ; Anny
Latour, La Résistance juive en France, op. cit., p. 120 ; Yehuda Bauer, American
Jewry and the Holocaust..., op. cit., p. 241.
24. Voir Anny Latour, La Résistance juive en France, op. cit., p. 120.
25. Voir Yehuda Bauer, American Jewry and the Holocaust..., op. cit., p. 174-
177.
313
« Guide et moteur » ou « trésor central » ?
38. Sur ce système, voir Lucien Lazare, La Résistance juive en France, op. cit.,
p. 279 et 284-285 ; Anny Latour, La Résistance juive en France, op. cit.,
p. 119-124 ; Dana Adams Schmitt, « Six Millions [sic] Lent Jews by French »,
New York Times, 11 janvier 1945, p. 8 ; et Yehuda Bauer, American Jewry
and the Holocaust..., op. cit., p. 159. Ce système fut interrompu par Mayer et
Schwartz quand ils furent informés des faibles taux de change pratiqués en
France en 1944, mais il avait cessé de fonctionner correctement depuis le milieu
de 1943, voir Yehuda Bauer, ibid., p. 243 ; JDC-NY, Saly Mayer Archive, 1939-
1950, dossier 33, « SM-Lisbon Conversation March 22, 1944 ».
39. Voir Lucien Lazare, La Résistance juive en France, op. cit., p. 280.
40. Le dossier « American Joint Distribution Committee » (CDJC, dossier CCCLXVI-
14) livre quelques indications sur les organisations financées par le JDC. On
ignore si des organisations communistes obtinrent des fonds du conseil du JDC.
41. Voir Yehuda Bauer, American Jewry and the Holocaust..., op. cit., p. 280.
42. Voir interview de Marc Jarblum, OHD (27) 86, p. 20 ; Lucien Lazare, La
Résistance juive en France, op. cit., p. 286. Jefroykin prétend avoir connu
Mayer avant la guerre, mais il n’eut absolument aucun contact avec lui pendant
cette période, OHD (1) 61, p. 15.
317
« Guide et moteur » ou « trésor central » ?
43. Sur les affiliations politiques de Jarblum, voir Philippe Boukara, « L’ami
parisien : les relations politiques et personnelles entre David Ben Gourion et
Marc Jarblum », dans Doris Bensimon et Benjamin Pinkus (eds), Les Juifs de
France, le sionisme et l’État d’Israël. Actes du colloque international 1987,
Langues Orientales, Paris, Publications Langues O, 1987, p. 153-170.
44. Voir Asher Cohen, Persécutions et Sauvetages..., op. cit., p. 381.
45. Voir Haim Avni, « The Zionist Underground in Holland and France and
the Escape to Spain », dans Yisrael Gutman et Efraim Zuroff (eds), Rescue
Attempts during the Holocaust. Proceedings of the Second Yad Vashem Inter-
national Historical Conference. Jérusalem, 8-11 avril 1974, Jérusalem, Yad
Vashem, 1977, p. 575.
46. Voir Lucien Lazare, La Résistance juive en France, op. cit., p. 287. Alors
que Lazare précise que les allocations de Mayer à Weill furent fournies à Brener
(et donc distribuées par l’intermédiaire du conseil du JDC), Bauer note que Weill
reçut des fonds directement de Mayer pour l’OSE, ce qui fut une source de conflit
parmi les organisations juives ; dans Yehuda Bauer, American Jewry and the
Holocaust..., op. cit., p. 244.
47. Voir Lucien Lazare, La Résistance juive en France, op. cit., p. 282.
48. Bauer ne précise pas les dates de cette requête, ni comment le JDC transféra
l’argent, voir Yehuda Bauer, American Jewry and the Holocaust..., op. cit., p. 258.
318
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
49. Voir Joseph Schwartz, IHD (47) 19, p. 2-3. Lazare affirme aussi que le
JDC reçut du département du Trésor à la fin de 1943 l’autorisation de contracter
des emprunts en France jusqu’à un plafond de 600 000 dollars, notant que
Schwartz avait autorisé le recours au système d’emprunts un an auparavant ;
Lucien Lazare, La Résistance juive en France, op. cit., p. 280-281.
50. Sur la création du WRB, voir Monty Penkower, « Jewish Organizations and
the Creation of the U. S. War Refugee Board », art. cité, p. 122-139, et David
S. Wyman, The Abandonment of the Jews : America and the Holocaust, 1941-
1945, New York (N. Y.), Pantheon Books, 1984, p. 209-307.
51. Voir Yehuda Bauer, American Jewry and the Holocaust..., op. cit., p. 292.
52. Lucien Lazare, La Résistance juive en France, op. cit., p. 282.
53. Il ne faut pas confondre le Vaad Hatzalah de la Jewish Agency avec l’orga-
nisation orthodoxe du même nom. Selon Renée Poznanski, « A Methodological
Approach to the Study of Jewish Resistance in France », art. cité, p. 32, ce
groupe attribua 8 800 dollars par mois à Jarblum, mais on ne sait pas quel
montant exact fut touché. Le CJM a cherché à prouver qu’il avait joué un rôle
plus important que le JDC dans les opérations de sauvetage, surtout dans le
passage de la frontière espagnole, voir Haim Avni, « The Zionist Underground
in Holland and France and the Escape to Spain », art. cité, p. 555-590. Selon
un mémorandum interne, le CJM versa au total 90 000 dollars pour les activités
de sauvetage en France. American Jewish Archives, WJC (coll. 361) dossier
D49/19, France (enfants), Gerhard Riegner, « Note sur l’action de sauvetage
d’enfants en France », 4 décembre 1945. Bauer et Lazare s’abstiennent de
déterminer le montant officiel fourni par ces deux organisations, faute de
documentation suffisante.
54. Cf. note 10.
320
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
la part d’une certaine exagération des souvenirs, les sources orales sou-
lignent qu’il faut accepter un minimum d’ambiguïté et d’incertitude, les
vies étant manifestement plus importantes que les archives pour le direc-
teur des opérations européennes du JDC.
Revenons-en, pour finir, à la question de la propriété – à qui faut-
il accorder le crédit de la résistance juive ? – pour appréhender comment
la guerre a influencé la période d’après-guerre, mais aussi comment la
période d’après-guerre a déterminé notre vision du JDC et de la résis-
tance juive. La période 1942-1944 est capitale si l’on veut comprendre
comment le JDC a pu revenir en France avec une direction américaine et
s’exprimer avec crédibilité. Nous constatons qu’à la différence de l’entre-
deux-guerres, le JDC a choisi de nouveaux points de contact au sein de
la population juive française : la faction de l’immigration sioniste a pris
une nouvelle importance dans la vie juive et est devenue l’interlocutrice
privilégiée du JDC en assumant la direction des institutions juives
d’après-guerre. Cette évolution a débuté bien avant la libération, comme
le montre le choix de Jefroykin comme représentant de la France en
1942. Pour ajouter à ces commentaires une note personnelle mais sym-
bolique, on pourrait évoquer le mariage entre Laura Margolis, directrice
du JDC pour la France de 1946 à 1953, avec le sioniste Marc Jarblum 65.
Deuxièmement, le soutien du JDC à la résistance juive et aux organisa-
tions juives d’après-guerre, en permettant leur existence et en l’organisant,
a indirectement encouragé un mélange entre ces deux formes d’aide à
la population juive 66. La résistance juive regroupait des jeunes gens mus
par un puissant sens du devoir et qui avaient été largement privés d’édu-
cation et d’emploi au cours d’années essentielles de leur développement.
Cet engagement idéologique les incita à considérer le travail social
comme une forme de résistance en temps de paix. Il fut également au
cœur des malentendus entre les travailleurs sociaux américains du JDC,
qui mettaient l’accent sur la distance, le professionnalisme et la respon-
sabilité, et les travailleurs communautaires juifs français qui considéraient
65. Ce mariage a choqué beaucoup de gens, surtout dans les hautes sphères
de l’establishment juif français d’origine. Interview de Tito et Gaby Cohen, réali-
sée par l’auteur, Paris, 2 août 2005.
66. Les Anciens de la Résistance juive en France (dir.), Organisation juive de
combat..., op. cit., dédié aux membres de l’Organisation juive de combat, peut
se lire comme une énumération des services sociaux juifs d’après-guerre. Les
exemples, suivis par des affiliations d’après-guerre, comprennent Maurice
Brener et Ignace Fink (Cojasor), Gaby Wolff Cohen (OSE, JDC, FSJU) et Vivette
Samuel (OSE), pour n’en citer que quelques-uns.
323
« Guide et moteur » ou « trésor central » ?
67. Gaby Cohen, interview réalisée par l’auteur, Paris, 28 mai 2004.
68. Lettre de Joseph Fisher à Joseph Schwartz, 17 avril 1944, JDC-NY, Saly
Mayer Archive, 1939-1950, dossier 33, indique que le JDC ne reconnut pas,
dans un premier temps, une partie des prêts obtenus en son nom. Entre-temps,
les autorités new-yorkaises du JDC cherchaient à trouver un moyen de limiter
leurs frais, suggérant que ceux qui seraient remboursés devraient faire des dons
au profit de la reconstruction d’après-guerre ; mémorandum (sans auteur,
interne au JDC), 6 décembre 1944, JDC-NY, dossier 596 général, dossier 2 sur 2,
France 1942-1944.
324
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
À Londres
Quand les Alliés ont-ils été informés du massacre des juifs ? En
novembre 1941, les Einsatzgruppen allemands avaient tué près d’un
demi-million de juifs, et des rapports sur ces crimes commençaient à
parvenir à la Jewish Telegraphic Agency, qui les publia dans la Jewish
Chronicle. En juin 1942, la BBC diffusa des témoignages issus de diffé-
rents comptes rendus en provenance d’Europe de l’Est, dont certains du
Bund socialiste juif, révélant qu’au printemps 1942, 700 000 juifs avaient
déjà été assassinés. Le Daily Telegraph de Londres résuma ces rapports
dans deux articles publiés ce même mois de juin. Le premier commençait
par cette phrase : « Plus de 700 000 juifs polonais ont été assassinés par
les Allemands au cours des plus grands massacres de l’histoire mon-
diale. » Suivaient des détails, fournis par Shmuel Zygielbojm du Bund
polonais, faisant état de l’utilisation de camions à gaz mobiles. Le second
article, publié quelques jours plus tard, annonçait que plus d’un million
de juifs avaient été tués de sang-froid et que les nazis prévoyaient « de
rayer du continent européen toute la race [juive] », juifs d’Europe occi-
dentale compris. En septembre 1942, un million et demi de juifs au moins
avaient été tués, et le ghetto de Varsovie avait été presque intégralement
vidé de sa population. Le fait que les nazis s’apprêtaient à exécuter systé-
matiquement tous les juifs d’Europe à l’aide d’un gaz toxique fut confirmé
par un télégramme, reposant sur des informations d’un industriel allemand
327
Le Service hongrois de la BBC et le sauvetage des juifs de Hongrie
« Depuis tous les pays occupés, des juifs sont transportés dans des
conditions d’une horreur et d’une brutalité effroyables vers l’Europe
de l’Est [...]. Les gouvernements mentionnés ci-dessus et le Comité
national français condamnent dans les termes les plus vigoureux
cette politique bestiale d’extermination de sang-froid [...]. Ils réaf-
firment solennellement leur détermination à faire en sorte que les
responsables de ces crimes n’échappent pas au châtiment [...]. »
4. State Department Press Release, 16 décembre 1942, cité dans Richard Breitman
et Alan M. Kraut, American Refugee Policy and European Jewry : 1933-1945,
Bloomington (Ind.), Indiana University Press, 1987, p. 160.
5. Voir BBC Written Archives, R34/178, Foreign Adviser News, 2 novembre
1942, cité dans Jean Seaton, « Reporting Atrocities : The BBC and the Holocaust »,
dans Jean Seaton et Ben Pimlott (eds), The Media in British Politics, Aldershot,
Avebury, 1987, p. 167 et note 53, p. 181.
329
Le Service hongrois de la BBC et le sauvetage des juifs de Hongrie
En Hongrie
En mars 1944, les juifs de Hongrie constituaient le groupe de
survivants le plus important de la sphère d’influence allemande. Au len-
demain des accords de Munich de 1938, la Hongrie comptait environ
500 000 juifs, soit près de 5 % des dix millions d’habitants du pays, et
100 000 de plus, qui s’étaient convertis au christianisme. Un grand
nombre de ces derniers furent cependant considérés comme membres de
la « race juive » en vertu de la troisième loi antijuive hongroise, adoptée
par le gouvernement de Hongrie en 1941 12.
Les juifs hongrois se divisaient en deux groupes distincts. Le premier
était constitué des juifs orthodoxes de la Hongrie rurale, qui « menaient
une existence misérable » de petits boutiquiers, d’artisans et d’agriculteurs
sans ressources et souffraient d’« un taux de natalité et de mortalité
extrêmement élevé ». Les juifs de Budapest et des faubourgs, beaucoup
plus aisés, comprenaient des « marchands, quelques négociants et un très
fort pourcentage de médecins, juristes, ingénieurs, salariés, employés,
journalistes, comédiens, etc. » Budapest comptait près de 200 000 juifs
sur un million d’habitants 13. Le caractère économiquement indispensable
des juifs urbains de Hongrie et leur survie jusqu’au milieu de 1944
14. Raul Hilberg, The Destruction of European Jews, Chicago (Ill.), Quadrangle
Books, 1961, p. 510 et 514.
15. Christian Gerlach, « The Decision-Making Process for the Deportation of
Hungarian Jews », un aperçu sur les recherches du Dr Gerlach sur la prise de
décision allemande pour la Hongrie en 1944 aimablement fourni par l’auteur,
2006.
16. Andrew Salamon, Childhood in Time of War, Montréal, Concordia Univer-
sity Chair in Canadian Jewish Studies, 2001, disponible sur le site http://
migs.concordia.ca/
332
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
17. Ibid.
18. Helen Fein, Accounting for Genocide : National Responses and Jewish
Victimization during the Holocaust, New York (N. Y.), The Free Press, 1979,
p. 324-325.
19. Asher Cohen, « Resistance and Rescue in Hungary », dans David Cesarani
(ed.), Genocide and Rescue : The Holocaust in Hungary, 1944, Oxford, Berg,
1997, p. 124-126.
20. Ibid., p. 126.
21. Yehuda Bauer, « Conclusion : The Holocaust in Hungary – Was Rescue Pos-
sible ? », dans David Cesarani (ed.), Genocide and Rescue..., op. cit., p. 196.
333
Le Service hongrois de la BBC et le sauvetage des juifs de Hongrie
« Quand les Allemands leur ont dit qu’on les envoyait en camps de
travail, ils l’ont cru, dans bien des cas, on peut même dire qu’ils se
sont empressés de le croire, car cela leur évitait d’affronter une vérité
qui mettait leur vie en danger [...]. Ils se sont comportés, en tant que
groupe [...], d’une façon assez proche de celle d’un patient atteint
d’une maladie mortelle qui refuse d’admettre son état 22. »
22. Ibid.
23. On suppose que cette appellation vient de l’expression « Auntie knows best »
(« Fais confiance à Tantine »).
334
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
24. Voir Political Warfare Executive, « Plan of Political Warfare for Hungary »,
Draft, 3 février 1942, FO371/30965, 1942 Hungary, File no 116, UK, National
Archives (PRO), Kew.
335
Le Service hongrois de la BBC et le sauvetage des juifs de Hongrie
25. Carlisle A. Macartney, Foreign Resarch and Press Service, Balliol College,
Oxford, Memorandum, 17 février 1942, FO371/30965, 1942 Hungary, File
no 116, PRO.
26. Carlisle A. Macartney, Foreign Resarch and Press Service, Balliol College,
Oxford, Memorandum, 17 février 1942, FO371/30965, 1942 Hungary, File
no 116, PRO.
27. Ibid.
336
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
28. Ibid.
29. Ibid.
30. Major Peter Broughey, SOE, à Frank Roberts, FO, 27 septembre 1942,
FO371/30965/Hungary, PRO.
31. Political Warfare Executive Weekley Directive for BBC Hungarian Service,
1-8 septembre 1944, FO371/39272, PRO.
337
Le Service hongrois de la BBC et le sauvetage des juifs de Hongrie
Les Allemands, en revanche, avaient les yeux rivés sur les juifs de
Hongrie comme une meute de loups affamés pistant un mouton blessé.
En septembre et en octobre 1942, ils intensifièrent leurs pressions sur
le gouvernement hongrois pour obtenir que la Solution finale s’applique
aux juifs de Hongrie. Döme Sztójay, ambassadeur de Hongrie à Berlin,
rapporta que les Allemands avaient fait de la question juive le problème
majeur entre la Hongrie et l’Allemagne. Sztójay recommandait au gou-
vernement hongrois d’accélérer le transfert des juifs hongrois vers la
Russie occupée sans dissimuler que le terme de « transfert » signifiait en
réalité « extermination ». Mais le Premier ministre Miklos Kalláy refusa 32.
En janvier 1943, 850 000 soldats de l’Axe, dont au moins 120 000
Hongrois, furent tués, blessés ou faits prisonniers par les Russes au cours
de la bataille de Stalingrad. Les dirigeants hongrois et roumain cher-
chèrent alors à prendre leur distance par rapport aux Allemands et à se
rapprocher du camp des Alliés. Cette nouvelle attitude n’échappa pas aux
Allemands qui relevèrent également le refus persistant de Kalláy d’envoyer
les juifs hongrois dans des ghettos et des camps de concentration 33.
Le bureau de l’Agence juive en Grande-Bretagne craignait les consé-
quences que pourrait avoir pour les juifs hongrois une décision prématurée
de l’amiral Horthy de renoncer à l’alliance de la Hongrie avec l’Allemagne.
Obliger l’Allemagne à transférer une partie de ses troupes en Hongrie
était certes l’un des quatre objectifs à long terme définis par le plan de
propagande britannique de février 1942, mais les conséquences d’une
occupation militaire allemande pouvaient être catastrophiques pour les
800 000 juifs de Hongrie. Lewis B. Namier, qui représentait le départe-
ment politique de l’Agence juive de Londres, se rendit au Foreign Office
le 13 octobre 1943 pour évoquer ce point. Il affirma :
32. Résumé dans Nathaniel Katzburg, Hungary and the Jews..., op. cit., p. 221-
222, note 20.
33. Political Warfare Executive Weekley Directive for BBC Hungarian Service,
19-25 décembre 1942, FO371/39272, PRO.
34. FO 371/34498 C12035, cité dans Nathaniel Katzburg, Hungary and the
Jews..., op. cit., p. 223.
338
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
35. Alec Walter George Randall, cité dans Nathaniel Katzburg, Hungary and
the Jews..., op. cit., p. 223.
36. M. Petrovic, « Yugoslavia’s Fight », Hungarian News Talk, 21 janvier 1944,
FB, Folder Hungarian News Talks, 1er janvier 1944-31 mars 1944, BBC Written
Archives Centre, Hungarian Talks Scripts (en hongrois), janvier-décembre
1944, Karolyi Statements Scripts, 1944-1945 ; voir aussi N. Szusz, « Questions
for the Workers », Hungarian News Talk, 28 janvier 1944, ibid.
339
Le Service hongrois de la BBC et le sauvetage des juifs de Hongrie
pas des atrocités contre les juifs qui n’étaient pas vraiment des êtres
humains ». Rosenman, qui était juif, répondit à Pehle : « Je ne suis pas
d’accord avec vous. Voulez-vous que je dise que je suis d’accord avec
vous alors que ce n’est pas le cas ? » Selon la note confidentielle de Pehle
relatant cette entrevue, Rosenman affirma ensuite qu’il avait conseillé
au président de ne pas signer la déclaration à cause de son allusion
lourde de sous-entendus aux juifs, car il craignait qu’une telle déclara-
tion n’intensifie l’antisémitisme aux États-Unis 37.
N’ignorant rien des ouvertures de paix hongroises en direction des
Alliés grâce à l’interception de messages diplomatiques hongrois et à
la présence de sympathisants au sein du régime Horthy, les Allemands
occupèrent la Hongrie le 19 mars 1944 38. Un gouvernement hongrois
approuvé par les Allemands fut mis en place le 22 mars. Adolf Eichmann
arriva peu après à la tête d’un groupe d’intervention spéciale (Sondereinsatz-
kommando) formé de membres de la Gestapo et de la SS. Un Judenrat fut
rapidement créé 39. Le 7 avril, les juifs provinciaux de Hongrie reçurent
l’ordre de se rendre dans des ghettos. Cette directive commença à être appli-
quée le 15 avril 1944. Les Allemands et leurs alliés hongrois déportèrent
et tuèrent 450 000 juifs hongrois, soit près de 70 % des juifs de Grande
Hongrie 40. En février 1945, les Russes libérèrent Budapest des Allemands
et des forces fascistes hongroises dirigées par Szálasi ; 119 000 juifs
avaient survécu dans la ville. 11 000 revinrent des camps de travail forcé
sur les fortifications aux frontières. En août 1945, 72 000 autres rega-
gnèrent la Hongrie, dont ceux qui avaient été déportés en Autriche en
juin 1944 (environ 15 000) et ceux qui avaient survécu à Auschwitz et
d’autres camps 41.
Il est parfaitement exact que l’invasion allemande de la Hongrie et
l’arrivée de Sztójay au poste de Premier ministre poussèrent la BBC à
agir. Non contente d’exhorter les Hongrois à résister aux Allemands et
à saboter l’effort de guerre allemand, la BBC changea son fusil d’épaule
et consacra une partie de ses nombreuses émissions à l’importance de
37. John W. Pehle, Memorandum for the Files, 8 mars 1944, dans David
Wyman (ed.), War Refugee Board : Special Problems, vol. 9 : America and the
Holocaust, 13 volumes, New York (N. Y.), Garland Publishing, 1990, p. 4-5.
38. Robert Hanyok, Eavesdropping on Hell : Historical Guide to Western
Communications Intelligence and the Holocaust, 1939-1945, Washington
(D. C.), National Security Agency, 2004, p. 97 et note 116.
39. Raul Hilberg, The Destruction of European Jews..., op. cit., p. 526-530.
40. Lucy S. Dawidowicz, The War Against the Jews : 1933-1945, New York
(N. Y.), Bantam Books, 1986, p. 517.
41. Ibid.
340
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
l’aide que les chrétiens hongrois pouvaient apporter aux Hongrois juifs
et à des mises en garde à l’adresse de tous ceux qui participaient à la
politique de persécution nazie des juifs. Ce sont les émissions de la BBC
que mentionnent William Rubinstein et Yehuda Bauer. Elles arrivaient
trop tard : au moment où elles furent diffusées, les gendarmes hongrois
avaient déjà entrepris de rassembler les juifs et toute fuite était devenue
beaucoup plus difficile.
46. Bernard Wasserstein, Britain and the Jews of Europe, 1939-1945, préface,
Londres, Leicester University Press, 1979 et 1999 [2e éd.], p. XII.
Chapitre 20
L’ÉCHEC DE L’OPPOSITION LOCALE
AU GÉNOCIDE RWANDAIS
Scott STRAUS
1. L’auteur souhaite remercier Lee Ann Fujii pour ses précieux commentaires
sur une première ébauche de ce texte, ainsi que Claire Andrieu, Sarah Gensburger
et Jacques Sémelin pour leur rôle de pionniers. Ce chapitre s’inspire d’argu-
ments et de documents présentés dans Scott Straus, The Order of Genocide :
Race, Power and War, Ithaca (N. Y.), Cornell University Press, 2006.
346
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
3. Voir par exemple les principaux arguments présentés dans Alison Des
Forges, Leave None to Tell the Story : Genocide in Rwanda, New York (N. Y.),
Human Rights Watch, 1999 ; Linda Melvern, Conspiracy to Murder : The Rwandan
Genocide, Londres, Verso, 2004 ; et Peter Uvin, Aiding Violence : The Develop-
ment Enterprise in Rwanda, Hartford (Conn.), Kumarian Press, 1998.
349
L’échec de l’opposition locale au génocide rwandais
On ne peut pas se battre pour son pays en tuant des gens, surtout
des innocents.
Mais d’autres l’ont fait. Pourquoi pas vous ?
Certains voulaient garder leur poste. Je me suis dit que si je n’étais
pas bourgmestre, je pourrais être professeur, mais je ne voulais pas
verser le sang. »
« Nous savions qu’il y avait des tueries à Kigali. Avec notre préfet,
nous avons pris la décision de contrecarrer cela, de rejeter cela, et
chaque commune s’est organisée pour lutter contre cela.
Y a-t-il eu une réunion ?
Oui. Après avoir entendu des témoignages sur le début des tueries
dans certaines régions, nous nous sommes organisés dans l’objectif
d’éviter ce qui se passait ailleurs.
Que pouvait-on faire ?
Dans ma commune, j’ai donné ordre à la police communale de se
tenir prête sur les limites de la commune... Nous avons pris la police
et l’avons mise en place là où un problème se posait, et nous avons
pris contact avec la population pour qu’elle aide la police en cas
de besoin.
5. Sur Butare, voir Alison Des Forges, Leave None To Tell the Story..., op. cit.,
p. 432-594.
352
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
« Après avoir tué ces gens, les soldats de la garde présidentielle ont
dit : “Nous vous avons donné l’exemple, allez tuer des gens et en
dédommagement, prenez leurs biens.” Des gens qui n’avaient pas bon
cœur commencèrent à se promener dans les parages. D’autres soldats
se trouvaient dans un centre et ils leur disaient : “Allez mettre le
feu, et ensuite mangez leurs vaches, prenez toutes leurs affaires et
si quelqu’un essaie de vous arrêter, tuez-le, même s’il est hutu.”
Et ensuite ?
C’est à ce moment-là que la guerre a commencé. Les gens ont
commencé à se cacher partout. Certains se sont fait tuer sur la route.
D’autres ont été tués chez eux. D’autres ont été tués dans leur
cachette. D’autres ont été tués là où ils s’enfuyaient. Il n’y avait
aucun endroit où se cacher. C’est comme ça que la guerre est devenue
très mauvaise. Même si vous aviez caché quelqu’un et qu’ils le trou-
vaient chez vous, ils vous disaient de le tuer vous-même. C’est ce
qui a provoqué beaucoup de morts : tout le monde avait peur de
cacher quelqu’un parce qu’on disait que si on vous trouvait avec lui,
on vous demanderait de le tuer. »
de le faire, car il n’a jamais essayé et qu’il existe des preuves établis-
sant sans l’ombre d’un doute qu’il a délibérément choisi de collaborer
avec la violence contre les tutsis plutôt que de les en protéger 7. »
Du sauvetage à la violence
Le génocide
Entre 1990 et 1994, la vie politique au Rwanda a été riche en
événements tumultueux, notamment la rébellion du Front patriotique
rwandais (FPR), le multipartisme et la crise économique depuis la fin
des années 1980. C’est aussi en 1990 que l’idéologie de haine est apparue
dans la presse écrite. Dans cette compétition politique et militaire pour
le pouvoir entre le régime et les partis de l’opposition politique et militaire,
le régime Habyarimana choisit de définir le conflit en termes ethniques 4.
À Gishamvu et à Kigembe, la violence contre les tutsis débuta surtout
à partir de 1993 5. Cette violence a été à la fois verbale et physique, verti-
cale et horizontale.
Le préfet de Butare, Jean-Baptiste Habyarimana, a pu empêcher l’exé-
cution du génocide à Butare depuis le 6 avril 1994 jusqu’à sa destitution
le 18 avril 1994 6. Cette attitude protectrice des autorités de la ville attira
les populations vulnérables de Gikongoro 7 où le génocide avait commencé
juste après la mort du président Juvénal Habyarimana 8. La situation
14. Alison Des Forges, Leave None to Tell the Story..., op. cit., p. 445-446.
15. African Rights, Rwanda. Death, Despair, and Defiance, op. cit., p. 338.
16. Témoignage de Mukantabana.
17. Témoignages de Hakizimana Théoneste, de Nsengimana, de Musabyemariya
et de Murindwa.
18. Témoignage de Nsengimana.
19. African Rights, Rwanda. Death, Despair, and Defiance, op. cit., p. 51-52.
20. African Rights, The History of the Genocide in Sector Gishamvu. A Collec-
tive Account, janvier 2003 ; Alison Des Forges, Leave None to Tell the Story...,
op. cit., p. 459 ; PRI (Penal Reform International), Rapport de la recherche sur
la Gacaca, 5, septembre 2003, p. 45.
21. Témoignage de Nsengimana.
22. Cf. Minaloc, Dénombrement des victimes du génocide, rapport final,
Kigali, novembre 2002.
365
Le sauvetage dans la zone frontière de Gishamvu et de Kigembe...
Le sauvetage
Comment un certain nombre des rescapés de Gishamvu et de Kigembe
ont-ils pu être sauvés ?
23. African Rights, Tribute to Courage, Londres, African Rights, 2002 ; Jean-
Marie Quéméner et Éric Bouvet, Femmes du Rwanda, Paris, Catleya Éditions,
1999 ; Hildebrand Karangwa (abbé), Le Génocide au centre du Rwanda.
Quelques témoignages des rescapés de Kabgayi (le 2 juin 1994), s. l., 2000 ;
Esther Mujawayo et Souâd Belhaddad, SurVivantes. Rwanda, dix ans après le
génocide, suivi de entretien croisé entre Simone Veil et Esther Mujawayo, La
Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2004 ; Maria Augusta Angelucci et al., C’est
ma taille qui m’a sauvée. Rwanda : de la tragédie à la reconstruction, Johannes-
burg, Colorpress, 1997 ; Johan Pottier, « Escape from Genocide. The Politics of
Identity in Rwanda’s Massacres », dans Vigdis Broch-Due (ed.), Violence and
Belonging. The Quest for Identity in Post-Colonial Africa, Londres, Routledge,
2005, p. 195-213.
24. Témoignages de Kandanga et de Mutwarasibo.
25. Témoignage de Rwandema. Voir aussi celui de Murindwa.
366
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Autres sauveteurs
D’autres personnes que les soldats burundais ont aidé les victimes à
franchir la frontière du Burundi ou du Congo voisin pour qu’ils trouvent
refuge dans les camps de réfugiés ou chez des particuliers. Les sauveteurs
sont, dans ce cas, à la fois les personnes qui ont caché et accompagné
la victime, les personnes qui l’ont accueillie et hébergée, et plus tard les
personnes qui l’ont aidée à retourner puis à vivre au Rwanda. Trois per-
sonnes ont caché Ndayisaba Innocent et l’ont accompagné à la rivière
Kanyaru pour traverser vers le Burundi. Ces personnes qui l’ont aidé
sont Évariste, Thomas et un autre 41.
Certains rescapés n’ont pas traversé la frontière du Burundi. C’est le
cas de Brigitte Mukantabana, originaire de la commune de Gishamvu,
mais qui vivait entre 1990 et 1994 à Kigali la capitale, dans le camp de
Kanombe. Femme d’un militaire hutu, nommé Mugemangango Calixte,
elle quitta Kigali vers le 15 avril 1994 et arriva à Gishamvu deux jours
plus tard. Témoin du génocide à Gishamvu, elle assista au massacre des
membres de sa famille et de proches, se cacha dans les champs de sorgho
et fut protégée par son beau-père Augustin Sebashongore qui était hutu.
À plusieurs reprises, ils donnèrent de l’argent aux bourreaux pour qu’ils
ne la tuent pas. Et le 13 mai 1994, elle put fuir à Cyangugu aidé par
Rwagasore, un militaire envoyé par son époux 42.
L’une des raisons du sauvetage fut la bienveillance. Même s’il est clair
que les soldats du Burundi et du FPR répondaient aux ordres de leurs
chefs, leur sollicitude et le courage avec lequel ils ont accompli leur
tâche leur donnent grand crédit aux yeux des rescapés. La majorité de
ces derniers n’ont pas pu retenir les noms des soldats qui les ont aidés,
mais ils ont gardé le souvenir de protecteurs infaillibles pendant les
moments extrêmes. Presque tous ces soldats ne connaissaient pas leurs
protégés. Nzabirinda Félix se souvient de deux militaires burundais qui
l’ont aidé pendant son séjour au Burundi, il s’agit de Sylvestre et de
Ndikumana 51. Rwandema mentionne le nom d’un autre officier burun-
dais, le lieutenant Cyiza 52.
Des sauveteurs hutus ont aussi agi par bienveillance. Après avoir vécu
longtemps en bons termes avec les tutsis, ils se sentaient obligés de les
sauver, au risque de perdre leur propre vie. Voici le récit de Nsengimana
Vincent, qui complète les cas mentionnés précédemment :
Des hommes hutus ont pu sauver des jeunes filles et des femmes tutsies
dans le but de les épouser. Cela s’est notamment passé dans les secteurs
de Kivuru et de Karama à Kigembe 56. Il est clair que, dans ces conditions,
ces soi-disant mariages ne résultaient pas du consentement des deux par-
ties : les filles ou les femmes se trouvaient dans l’obligation d’accepter ces
unions juste pour avoir la vie sauve. C’est ce que Florence Mukamugema 57
a appelé l’esclavage sexuel. Un livre de témoignage relate l’histoire de
Francine, 30 ans, sauvée par son mariage forcé avec un hutu 58.
Le sauvetage des tutsis a été limité en raison notamment de la minutie
avec laquelle le génocide a été préparé. Ensuite, ceux qui étaient pris
en train de cacher des tutsis étaient aussi tués ou dépouillés de leurs
biens 59. Enfin, la frontière étant gardée par des tueurs, les interahamwe
et des populations civiles, les chances de traversée étaient faibles pour
les fugitifs 60.
et aux autres. Je vous dois la vie et c’est beaucoup 63. » De façon générale,
tous les rescapés sont reconnaissants envers les personnes qui les ont
aidés. Leurs témoignages dépeignent souvent la gravité des contextes
dans lesquels ces bienfaiteurs ont dû prendre la décision de les secourir
et de les protéger. « Avoir survécu relève d’un concours de circonstances
tellement exceptionnel que l’on reste effaré 64. »
Nous avons montré ici les circonstances dans lesquelles quelques res-
capés de Gishamvu et de Kigembe ont échappé au génocide, leurs expé-
riences, leurs bourreaux, leurs sauveteurs. La plupart des victimes ont
survécu en traversant la frontière, très peu ont été sauvés ou protégés
par leurs voisins hutus. Les militaires burundais apparaissent ainsi comme
les acteurs les plus importants dans le sauvetage des rescapés de Gishamvu
et de Kigembe. Seuls quelques individus hutus, connus ou inconnus des
rescapés, ont été d’un secours irremplaçable. Les organisations humani-
taires ont aidé les rescapés dans les camps des réfugiés. Les militaires
du FPR sont intervenus surtout lors du retour des rescapés au Rwanda.
L’existence de sauveteurs révèle qu’il est possible de combattre une
machine forte de tuerie par des moyens faibles, par une volonté ferme
à faire le bien. Ces héroïnes et ces héros 65 sont pour la plupart effacés.
Très peu ont été célébrés et reconnus 66, mais ceux qu’ils ont sauvés les
connaissent bien et leur sont reconnaissants. Les travaux sur le sauve-
tage ont le mérite de célébrer la bravoure et de perpétuer la mémoire de
ces bienfaiteurs. En outre, d’un point de vue historiographique, puisque
chaque récit de rescapé traite à la fois du déroulement du génocide et
du sauvetage, l’histoire du sauvetage enrichit celle du génocide. Enfin,
les travaux sur le sauvetage devraient également aborder l’absence du
sauvetage là où on l’espérait 67.
63. René Abandi, « Dieudonné (témoignage de) », art. cité, p. 15. Le Dr Zachariah
Rony de MSF est aussi mentionné dans Alison Des Forges, Leave None to Tell
the Story..., op. cit., p. 463, 471, 482, 503-504, et dans Linda Melvern, Conspi-
racy to Murder..., op. cit., p. 211, 219.
64. Claudine Vidal, « Questions sur le rôle des paysans durant le génocide des
Rwandais tutsis », Cahiers d’études africaines, 38 (150-152), 1998, p. 342.
65. David Newbury, « Understanding Genocide », African Studies Review, 41
(1), avril 1998, p. 81.
66. Cf. African Rights, Tribute to Courage, op. cit. ; Jean-Marie Quéméner et
Éric Bouvet, Femmes du Rwanda, op. cit.
67. Cf. Larry Minear et Philippe Guillot, Soldats à la rescousse. Les leçons
humanitaires des événements du Rwanda, Paris, OCDE, 1996 ; Elizabeth Neuffer,
The Key to my Neighbor’s House : Seeking Justice in Bosnia and Rwanda, New
York (N. Y.), Picador, 2001 ; Vénuste Kayimahe, France-Rwanda : les coulisses
du génocide. Témoignage d’un rescapé, Paris, Dagorno, 2002 ; Esther Mujawayo
et Souâd Belhaddad, SurVivantes. Rwanda, dix ans après le génocide, op. cit.
374
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Alors, il faut accepter de fuir, d’aller vers d’autres lieux que l’on espère
plus sûrs. Ainsi est-il préférable dans la France occupée de quitter Paris
pour aller se réfugier à la campagne, de préférence en zone sud, voire
passer en Suisse. Au Rwanda, le salut consiste à se rendre au Burundi
voisin. Assurer ainsi l’acheminement des victimes (adultes ou enfants)
suppose la mise en place de chaînes de solidarité de lieu en lieu. Avec
le temps et l’expérience, des filières de fuite se sont ainsi mises en place
et se sont professionnalisées, ce qui peut en conséquence induire un
service financier.
Car ne l’oublions pas : sauver une vie coûte de l’argent. Cette réalité
tend souvent à être sous-estimée dans une littérature hagiographique
consacrée aux Justes, attachée à mettre en valeur le geste désintéressé.
Ainsi, les paysans du Chambon-sur-Lignon qui accueillaient un enfant
juif recevaient-ils une pension pour le nourrir. Doit-on pour autant
dévaloriser leur accueil ? Il est vrai que l’acte de sauver peut constituer
une source de revenus dans un temps de pénurie. À la ferme, cette nou-
velle « bouche à nourrir » peut aussi participer à des travaux agricoles.
Mais comment définir le seuil au-delà duquel l’accueillant en vient à
exploiter l’accueilli ? Sans doute y a-t-il toujours des abus qui conju-
guent l’intérêt et l’altruisme. Par-delà cette question morale, il convient
d’admettre cette simple réalité : comme toute autre activité résistante,
celle orientée vers le sauvetage suppose des moyens y compris financiers.
Penser les actes de protection et de sauvetage implique ainsi de prendre
en compte tout à la fois leur dimension morale et leurs contingences
matérielles, qui conditionnent leur réussite, toujours incertaine.
Chapitre 22
LA MISSIONNAIRE
BEATRICE ROHNER FACE
AU GÉNOCIDE DES ARMÉNIENS
Hans-Lukas KIESER
décembre 1915. Aucune idylle ne s’est nouée entre ces deux êtres. Néan-
moins, grâce à la protection au moins partielle de Jemal, Rohner veilla
sur un millier d’orphelins arméniens. Elle réussit également à entreprendre
des opérations illégales de sauvetage dans les camps, dépensant d’impor-
tantes sommes d’argent que lui versaient des cercles philanthropiques
américains, suisses et allemands.
Hilmar Kaiser, qui a consacré une publication à ces efforts de sauve-
tage à Alep, a eu le mérite de rappeler à la mémoire des milieux universi-
taires les noms de Beatrice Rohner et d’Hovhannes Iskijian, pionnier de
cette « résistance humanitaire au génocide 2 ». La présente contribution
adopte une perspective biographique qui dépasse le cadre des années
1915-1916. Elle retrace les grandes lignes de la vie de Rohner et évoque
notamment son expérience à Alep. Elle s’attache tout particulièrement
à éclairer les conséquences de cette entreprise sur sa vie, ses difficultés
à surmonter cette expérience et la place de sa spiritualité piétiste dans
son œuvre de sauvetage et au-delà. Le texte laisse en suspens la question
plus générale d’une forme de « spiritualité du sauvetage », mais souligne
qu’elle existe bien chez Beatrice Rohner. Sa pensée, son comportement
et ses relations étaient conditionnés dans une large mesure par sa vie
spirituelle. Cette dernière apparaît à travers ses écrits, qu’il convient de
replacer dans le contexte du temps, du lieu et de ses réseaux personnels 3.
2. Hilmar Kaiser, At the Crossroads of Der Zor. Death, Survival and Humanita-
rian Resistance, Princeton (N. J.), Taderon, 2001. Cf. Hans-Lukas Kieser, A
Quest for Belonging. Anatolia beyond Empire and Nation (19th-21st Centuries),
Istanbul, Isis, 2007, p. 219-234.
3. Tous mes remerciements à Hannelore Graf, Mutterhausarchiv der evan-
gelischen Diakonissenanstalt Stuttgart (MEDS), à Bruno Blaser, Christlicher
Hilfsbund e. V., et à Daniel Kress, Archives nationales du canton de la ville de Bâle.
4. « Le non-arménien le plus fréquemment mentionné dans nos interviews était
Papa Kuenzler, un missionnaire suisse », écrivent Donald E. Miller et Lorna Tou-
ryan Miller dans leur livre Survivors. An Oral History of the Armenian Genocide,
Berkeley (Calif.), University of California Press, 1999 [1993], p. 130. Rohner
n’est pas mentionnée dans ce livre. Sur Künzler, voir l’introduction à Jakob
Künzler, Im Landes des Blutes und der Tränen. Erlebnisse in Mesopotamien
während des Weltkriegs (1914-1918), Zurich, Chronos, 2004.
385
La missionnaire Beatrice Rohner face au génocide des arméniens
père mourut. Sa sœur Anni avait à peine 1 an. Leur mère, Maria Magdalena
Rohner-Thoma, dut semble-t-il travailler pour gagner sa vie à la mort
de son mari, un boutiquier, et la petite Beatrice fut confiée à sa grand-
mère. Elle vécut chez elle « une merveilleuse enfance ensoleillée », écrivait-
elle vers 1901. Après quatre années d’école primaire, elle passa six ans
au lycée de jeunes filles puis deux ans dans un institut de formation
d’institutrices. Elle travailla cinq ans comme institutrice privée essen-
tiellement à Paris, avant de rejoindre le Hülfsbund für christliches
Liebeswerk im Orient, une organisation caritative fondée à Francfort en
1896. Le pasteur Otto Stockmayer, l’un des responsables de la renais-
sance piétiste (Gemeinschaftsbewegung) de la fin du XIXe siècle, l’y avait
invitée 5. Le Hülfsbund était de caractère plus piétiste que la Deutsche
Orient-Mission plus libérale du Dr Johannes Lepsius, mais l’un comme
l’autre trouvaient leur origine dans le mouvement de secours lancé en
1896 à la suite des massacres perpétrés contre les arméniens en 1895 6.
Beatrice Rohner enseigna à l’école de l’orphelinat du Hülfsbund de
Bebek, à Istanbul, en 1899. À l’automne de 1900, elle partit pour Marache
en Anatolie centrale, où elle fut responsable de maison et institutrice à
l’orphelinat du Hülfsbund appelé « Beth-Ullah » ou « Bethel ». Elle fut le
premier membre de sa famille désormais exclusivement féminine à fran-
chir le pas, suivie de sa mère en 1908, puis de sa sœur en 1913. Un auteur
arménien qui avait vécu à Marache et qui ne tarit pas d’éloges à son
égard écrit que son « travail n’était pas seulement d’adopter des enfants
dans son cœur et de diriger un orphelinat. [...] Au milieu de ses responsa-
bilités considérables et astreignantes à l’orphelinat, elle trouvait et prenait
le temps d’organiser des réunions pour le renouveau de la foi [...]. Le
témoignage de Beatrice Rohner méritait d’être pleinement apprécié et
imité. C’était une femme pleine de douceur et d’humilité, pétrie de compas-
sion et de tendre sollicitude à l’égard des faibles et des nécessiteux, et
généreuse avec ce qui était confié à ses soins 7. » À la veille de la Première
Guerre mondiale, Rohner vivait ainsi dans sa « Jérusalem personnelle »,
5. Curriculum vitae manuscrit de Beatrice Rohner, vers 1901, dans les archives
du Christliches Hilfsbund, Bad Homburg (ACH), et Gedenkschrift für Schwester
Beatrice Rohner, Wüstenrot, Kurt Reith Verlag, 1947, p. 5 ; Civilstand L 1 1876
no 475, Archives nationales du canton de la ville de Bâle.
6. Sur le contexte précis de la protestation humanitaire et du mouvement de
secours lancé en Suisse après 1896, voir Hans-Lukas Kieser (Hrsg.), Die arme-
nische Frage und die Schweiz, 1896-1923 [La question arménienne et la
Suisse], Zurich, Chronos, 1999.
7. Vartan Bilezikian, Apraham Hoja of Aintab, Winona Lake (Ind.), Light and
Life Press, 1951, p. 98-99. Tous mes remerciements à Mehmet Ali Dogan, qui
m’a envoyé des copies de ces pages.
386
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Alep, 1915-1917
Les réseaux de missionnaires protestants cherchèrent à secourir les
centaines de milliers de survivants des déportations qui souffraient dans
des camps aux alentours d’Alep. Le 11 octobre, Schuchardt demanda
l’argent que nous avons.” Quelle lueur d’espoir ! Je compris que Dieu
voulait agir ! Alep fermée, infestée, ce lieu de nécessité et de misère,
devait s’ouvrir ! » Désormais, l’« appel d’Alep occupa mon âme de façon
urgente et impérieuse », écrivait Rohner en 1934, quand elle put enfin
prendre un peu de recul et rédiger un récit rétrospectif des événements
de 1915-1916 17.
Lorsqu’elle fut de retour à Marache, la force de cet « appel » fut telle
qu’elle ne put y rester pour fêter Noël comme elle en avait eu l’intention.
Elle partit immédiatement pour Alep avec sa « sœur de mission », Paula
Schäfer. Au cours de ce voyage, elles enquêtèrent sur la situation qui
régnait dans plusieurs camps 18. Dans une lettre du 29 décembre adressée
à Schuchardt depuis Alep, Rohner écrit que ce jour-là, Jemal Pacha lui
avait accordé par télégramme l’autorisation de diriger le grand orphe-
linat arménien d’Alep. Peu de temps auparavant, elle avait rencontré
Jemal et Abdülhalik Mustafa (Renda), le gouverneur (vali) d’Alep, un
jusqu’au-boutiste qui avait remplacé Jelal bey, un modéré qui jouissait
du respect de tous. Le 22 décembre, elle avait eu un premier entretien
avec Jemal, qu’elle revit le lendemain. Le 21 décembre, ce dernier avait
discuté de la question urgente des orphelins avec des Allemands d’Alep,
parmi lesquels le général von Kressenstein et le directeur de la construc-
tion du chemin de fer de Bagdad à Alep 19. Cette réunion ne fut peut-
être pas étrangère au succès final de l’entrevue de Rohner avec Jemal. Ce
dernier lui fit cependant comprendre clairement qu’il n’était pas question
qu’elle circule à l’extérieur d’Alep. « Je crois que nous devons faire tout
ce que nous pouvons dans cette affaire, bien que la collaboration avec
les fonctionnaires puisse être déplaisante » concluait-elle 20.
En ville, Rohner était libre de ses mouvements. Elle engagea des
employés, parmi lesquels des fugitifs arméniens qui jouirent ainsi de
sa protection, et organisa les secours en faveur des orphelins. Elle prit
pour collaborateur Sisag Manughian, un pasteur qu’elle avait connu à
Marache et qui vivait caché à Alep, le sauvant, lui et sa famille, de la
mort. Anna Jensen de Mamuretülaziz, membre du Hülfsbund comme
Rohner, faisait également partie de ses collaborateurs permanents 21.
22. Beatrice Rohner, « Pfade in grossen Wassern », art. cité, p. 39. Voir les
lettres de Rohner du 13 février et du 3 mai 1916 dans Sonnenaufgang, 18
(1916), p. 61 et 78-79.
23. Voir sa lettre à Peet, le 17 janvier 1916, jointe au courrier de Peet à l’am-
bassade d’Allemagne, 10 février 1916.
24. Beatrice Rohner, « Pfade in grossen Wassern », art. cité, p. 31.
25. Lettre de Rohner à Peet du 17 janvier 1915, jointe au courrier de Peet à
l’ambassade d’Allemagne, 10 février 1916.
26. Des copies de ce document (une réponse à un questionnaire du Comité de
secours suisse) et d’une lettre de Rössler à Vischer étaient jointes au courrier
de Metternich, ambassade d’Allemagne, au chancelier d’Empire, 28 avril 1916.
27. Beatrice Rohner, « Pfade in grossen Wassern », art. cité, p. 38.
390
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
28. John Minassian, Many Hills yet to Climb, Santa Barbara (Calif.), Jim Cook,
1986, p. 104 et 121 (citation). Cf. M. H. Shnorhokian, A Pioneer during the
Armenian Genocide : Rev. Hovhannes Eskijian, 1989. Je remercie vivement
Nancy Eskidjian, la petite-fille d’Hovhannes Eskidjian, qui m’a envoyé ce docu-
ment inédit, dans lequel figurent des récits de première main.
29. Voir le rapport détaillé de Rohner sur les secours entre le 1er janvier et le
1er juin 1916, inclus dans Rössler au chancelier du Reich, 17 juin 1916.
30. Lettre de Rohner, 3 mai 1916, dans Sonnenuntergang, 18 (1916), p. 78-
79. L’hommage biographique de Rohner à Garabed dans Beatrice Rohner, Die
Stunde ist gekommen. Märtyrerbilder aus der Jetztzeit, Francfort-sur-le-Main,
Verlag Orient, s. d. (vers 1920), p. 7-14.
31. Beatrice Rohner, Die Stunde ist gekommen..., op. cit., p. 30.
32. Raymond Kévorkian, L’Extermination des déportés arméniens ottomans...,
op. cit., p. 37-44.
391
La missionnaire Beatrice Rohner face au génocide des arméniens
80 000 personnes qui venaient à peine de jouir d’un léger répit, furent
rassemblés dans des camps pour être conduits par groupes sur l’autre
rive de l’Euphrate. Une nouvelle errance désespérée commença. Là, loin
des regards de tout Européen, des bandes d’irréguliers les attendaient
sur ordre de leur gouvernement, pour leur ôter la vie dans le sang »,
résuma Rohner à partir des récits que lui avaient faits des fugitifs blessés
au cours de ces massacres 33.
Les messagers arrivaient généralement chez Rohner à la nuit tombée,
après la journée de travail à l’orphelinat. « [L’un d’eux] nous a parlé des
différents camps. [...] Les fellahs [paysans] seraient toujours prêts à nous
donner du blé ou du pain contre de l’argent. Nous sommes rapidement
allés chercher notre caisse [...] et pendant que le messager prenait quelques
heures de repos, nous avons cousu dans ses vêtements autant de pièces
d’or que nous avons pu y mettre. Pendant ce temps, j’ai lu le courrier
qu’il nous avait apporté. Quel courrier ! Des lettres, des feuilles venant
d’amis dont nous nous sentions proches [...] Quelle masse de misère et
de détresse contenaient ces lettres ! J’ai dû répondre rapidement quelques
lignes pour leur dire que Dieu ne les avait pas abandonnés, que son
amour était immuable même si tout ce qui pouvait être ébranlé l’était.
Au bout de quelques heures, bien avant l’aube, notre ami a dû partir,
[...] notre cœur l’accompagnait. Avec quelle impatience nous avons attendu
un message nous annonçant qu’il était arrivé à bon port 34. » Les traduc-
tions de quelques-unes de ces lettres bouleversantes adressées à Rohner
depuis Deir ez-Zor et ailleurs ont été conservées dans les archives
diplomatiques allemandes 35, d’autres extraits figurent dans des citations
ultérieures de Rohner 36, mais nous ne possédons aucune des lettres de
réconfort qu’elle-même envoya. Elle écrivait à propos d’un autre messa-
ger : « Il a réussi de cette façon-là à apporter de l’aide à plusieurs reprises
avant que les hommes de main ne s’emparent enfin de lui et qu’il ne
scelle son service par le sacrifice de sa vie. “Nul n’a d’amour plus grand
que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime” [Jean 15, 13] 37. »
33. Beatrice Rohner, Die Stunde ist gekommen..., op. cit., p. 13-14.
34. Beatrice Rohner, « Pfade in grossen Wassern », art. cité, p. 54-55.
35. Inclus dans Rössler, Alep, au chancelier d’Empire Bethmann-Hollweg,
29 juillet 1916.
36. Beatrice Rohner, Die Stunde ist gekommen..., op. cit., plusieurs citations.
37. Beatrice Rohner, « Pfade in grossen Wassern », art. cité, p. 55.
392
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Dans la même lettre, elle écrit qu’on a pu ouvrir à Alep des ateliers où
des milliers d’arméniennes tissaient et cousaient pour l’armée, mais où,
au moins, elles étaient en sécurité. Le colonel Kemal bey, responsable
de ce travail, se montrait coopératif 40.
En septembre, quand Rohner renonça provisoirement à ses activités
de secours dans les camps, la répression meurtrière avait déjà commencé,
comme nous l’avons dit à propos de Deir ez-Zor. Ce ne fut pas l’impru-
dence mais la politique brutale de turquisation qui priva finalement Rohner
de la base même de son engagement, ses orphelins. « À Alep, le gouver-
nement a pris 70 garçons dans les orphelinats dirigés par sœur Beatrice
Rohner pour les conduire dans un orphelinat gouvernemental au Liban,
où ils seront élevés avec les enfants de réfugiés musulmans d’Anatolie
orientale. Il est prévu de procéder à d’autres transferts de ce type vers
des orphelinats du gouvernement » rapporta Rössler le 14 février 1917
au chancelier d’Empire. Certains orphelins de Rohner étaient partis pour
l’orphelinat gouvernemental d’Antoura, au Liban, que Jemal avait confié
à Halide Edib, un écrivain connu et un patriote turc qui n’avait pas
accepté cependant la politique d’extermination menée par le CUP 41.
Le 16 mars, Rössler confirma que le travail de Rohner avait intégra-
lement pris fin, ajoutant que le consul américain lui avait demandé de
réorganiser les secours à Alep. Elle assista ainsi quelque 20 000 nécessi-
teux présents dans la ville, dont 1 200 enfants. Le 17 mars, elle s’effondra
et se retira définitivement, confiant son « œuvre à une commission
d’arméniens supervisée par Zollinger 42 ». Déjà épuisée, Rohner avait été
profondément affectée par le départ de ses orphelins. Karl Meyer, qui a
rédigé la chronique des secours suisses en faveur des arméniens et qui
avait lui-même travaillé parmi les réfugiés arméniens au Liban, écrit que
Rohner « fit une dépression le 17 mars. Jakob Künzler fut appelé d’Ourfa,
il arriva à Alep et l’accompagna à Constantinople d’où elle retourna par
la suite en Allemagne 43 ». Künzler la conduisit probablement à Marache,
et non à Istanbul, pour une première période de repos 44. Vers la fin de
1917, elle partit effectivement pour l’Allemagne via Istanbul, après avoir
obtenu l’autorisation de voyager des autorités ottomanes le 5 octobre 45.
Rohner, les deux femmes purent correspondre. « Je n’ai pas de mots pour
vous décrire cette misère [...]. Nous vivons la présence de Dieu parmi
nous comme jamais encore ; les prières sont ferventes et toutes les
scissions ont disparu » écrivait Araxia. Rohner reçut un dernier message
d’elle à l’instant même où on l’emmenait pour l’ultime massacre. « La
vie dont nous attendions tant a été fracassée si tôt. Était-ce en vain 55 ? »
Le texte que Rohner écrivit en 1933-1934 se distingue de celui de
1920 car il s’agit d’un récit complet. Dix-sept ans plus tard, elle se sentait
enfin capable de raconter toute l’histoire. Plus encore qu’en 1920, elle
affirmait que malgré tout, le Dieu d’amour n’avait jamais été totalement
absent. Quand bien même elle n’établit pas de lien spécifique, il est diffi-
cile de ne pas penser que sa volonté d’écrire était également une réaction
à l’arrivée au pouvoir des nazis. Il ne fait pas de doute qu’elle voulait
donner à ses lecteurs la force de résister aux « démons » qu’elle avait
elle-même affrontés pendant la Première Guerre mondiale. « Oui, notre
maison [d’Alep] serait peut-être devenue une oasis dans le désert, mais
n’oublions jamais que le Pharaon de la haine turque et de la volonté de
destruction [Vernichtungswillen] nous pourchassait et voulait à tout prix
empêcher un petit peuple d’échapper à son pouvoir 56. » Malheureuse-
ment, aucune source ne nous renseigne sur le jugement concret qu’elle
porta sur l’ascension des nazis.
Rohner tenait à montrer qu’un être aussi frêle qu’elle avait pu organi-
ser une résistance humanitaire efficace. « Combien nous étions détestés
à Alep ! Notre simple présence était une épine constante au pied de ceux
qui étaient décidés à détruire les vestiges du peuple arménien. La moindre
possibilité de disperser une nouvelle fois ces enfants qui représentaient
l’espoir de l’avenir, de m’expulser d’Alep, de chasser mes collaborateurs
dans le désert, aurait été chaleureusement accueillie. Mais quelque chose
entrava les ennemis, quelque chose paralysa tous les espions et leurs
comparses qui étaient à nos côtés tous les jours, quelque chose empêcha
les autorités turques de tout détruire d’un simple ordre, alors que nous
étions entièrement à leur merci. » Rohner donne plusieurs exemples de
situations critiques avant de conclure : « Qu’est-ce qui a retenu les enne-
mis ? Eux-mêmes du moins ne le savaient pas, mais nous le savions et
chaque jour nous le confirmait lorsque, priant ensemble, nous parlions au
Seigneur de notre détresse totale et de notre situation impossible [...] 57. »
58. Cf. Jakob Künzler, Im Landes des Blutes und der Tränen, op. cit., p. 128.
59. Cf. Beatrice Rohner, « Pfade in grossen Wassern », art. cité, p. 14-15, et
Worte für Wanderer zur Herrlichkeit..., op. cit., p. 111.
Chapitre 23
L’IMPOSSIBLE SAUVETAGE
DES ARMÉNIENS DE MARDIN
LE HAVRE DU SINDJAR
Yves TERNON
1. Les nestoriens sont absents du vilayet de Diarbékir. Ils sont regroupés dans
les montagnes du Hakkâri au Sud du vilayet de Van, qu’ils partagent avec
des tribus kurdes. Au XIXe siècle, les missions protestantes recrutent des fidèles
parmi les arméniens apostoliques et les jacobites.
402
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
partie des arméniens enlevés par les kurdes est vendue sur les princi-
paux marchés du vilayet. À Mardin, les ventes publiques commencent le
15 août 1915 – alors que la déportation des arméniens est achevée – et
se poursuivent en 1916. On peut acheter un enfant de 5 à 7 ans pour
cinq à vingt piastres, un adolescent pour deux à trois medjidié, une
femme pour une livre, mais les enchères peuvent monter à plus de trente
livres s’il s’agit d’un membre d’une famille renommée 10. Les chrétiens
de Mardin préservés de déportation, pour la plupart syriens catholiques,
s’efforcent de racheter des « esclaves » pour les sauver et font, au besoin,
monter les prix. Mgr Tappouni procède à l’achat avec les fonds qu’il a
recueillis. Il aurait réparti ainsi des centaines de chrétiens – dont certains
sont des arméniens de Mardin, mais cela n’est pas précisé – dans des
familles chrétiennes. Lorsque la police perquisitionne pour vérifier que
l’on ne cache pas des arméniens, il déclare n’avoir acheté que des syriens
catholiques. Quelques musulmans traitent les « esclaves » qu’ils ont achetés
comme des membres de leur famille. Un notable de Savour recueille
une vingtaine de jeunes filles pour les sauver sans exiger qu’elles se
convertissent 11.
Les tribus kurdes participent massivement au génocide. Cependant,
quelques chefs de village accueillent des réfugiés, en majorité jacobites
ou syriens catholiques. Ainsi, 30 habitants de Gulié sont reçus comme
des hôtes par Khalil agha qui refuse de les livrer aux kurdes qui ont rasé
le village et il les protège jusqu’à la fin de la guerre. L’imam de la tribu
Hafir, Ali Batti, ami du chef jacobite du village de Bâsabrina, héberge
les survivants de la famille de son ami jusqu’à la fin de la guerre. Dans
plusieurs villages jacobites autour de Nisibe, les cheiks refusent de parti-
ciper au massacre et aident même les chrétiens à fuir au Sindjar. Ainsi,
le cheikh Mohamed interdit à ses hommes de toucher aux chrétiens et
refuse tout présent 12. Ces sauvetages, réalisés au terme d’odyssées tra-
giques, font exception. Les déportés le savent : pour échapper à la mort,
il faut quitter la province de Diarbékir, fuir au Sud, atteindre le chemin
de fer à Ras ul-Aïn et gagner Alep ; ou bien de Nisibe, à l’Est, atteindre
Mossoul, mais surtout parvenir au Sindjar.
10. Une livre turque vaut 23 francs (de 1915), un medjidié, 3 francs, une
piastre 30 centimes.
11. Le père Rhétoré (manuscrit cité, p. 325-330) parle de 2 000 chrétiens, mais
c’est sans doute un chiffre trop élevé, car il ne correspond pas aux chiffres des
survivants qu’il donne dans ses statistiques.
12. Yves Ternon, Mardin 1915, op. cit., p. 162, 178 et 322.
406
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Alep est une grande ville arabe. Les arméniens y résidant depuis plus
de dix ans sont exemptés de déportation. Des milliers d’autres en fuite
affluent dans la ville. En soudoyant des policiers, ceux qui ont encore
de l’argent peuvent trouver un logis clandestin. Mais ces cachettes ne
sont pas sûres et la police poursuit sans relâche la traque des arméniens
dissimulés dans Alep. Seuls bénéficient d’une sécurité relative ceux qui
ont de la famille à Alep et sont parvenus à la rejoindre. Ainsi, quelques
arméniens de Mardin, lorsque leur convoi a atteint Ras ul-Aïn, achètent
un billet de train et gagnent Alep.
Le petit village tchétchène de Ras ul-Aïn prend, pendant la guerre,
de l’importance avec la construction du chemin de fer de Bagdad. Les
rares survivants des convois du vilayet de Diarbékir qui y parviennent
sont protégés jusqu’en mars 1916 par les deux administrateurs ottomans
qui les incorporent dans les équipes d’ouvriers dirigées par des ingénieurs
allemands. Dénoncés, les deux hommes sont remplacés. De mars à
novembre 1916, tous les déportés sont assassinés.
Le vali de Mossoul, Ali Haïdar, refuse d’obéir aux ordres de la capitale
concernant les arméniens. Les rares survivants des convois partis de
Mardin, de Djezireh ou de Nisibe atteignent Mossoul dans un état de
détresse extrême. Les chaldéens et les syriens catholiques sont autorisés
à les prendre en charge. Témoin de ces événements, le directeur de l’école
de l’Alliance israélite universelle, David Sasson, rapporte la misère de
ces réfugiés qui meurent en masse du choléra, du typhus, du paludisme
et aussi de faim 13. À Mossoul, des femmes arméniennes, survivantes des
convois, travaillent comme domestiques dans des maisons riches. D’autres
se cachent sous des noms arabes, se font passer pour des musulmanes
et aident leurs compatriotes – tous les arméniens de Mardin parlent
arabe. Les boulangers, les domestiques des hauts fonctionnaires turcs,
des arméniennes mariées à des syriens catholiques ou à des chaldéens,
des employés des recherches pétrolières aident sans cesse ces réfugiés.
Cette solidarité, surtout chrétienne et juive, permet à de nombreux réfu-
giés de survivre 14.
Le havre du Sindjar
15. Basile Nikitine, Les Kurdes, Paris, Éditions d’aujourd’hui, 1956, p. 226-
254.
16. Ara Sarafian, « The Disasters of Mardin during the Persecutions of the
Christians, Especially the Armenians, 1915 », Haigazian Armenological Review,
volume 18, Beyrouth, 1998.
408
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Hammo Chero réserve à ces réfugiés des maisons et des tentes, il leur
fournit du travail et les nourrit. Il leur donne un emplacement en face
de son village où ils construisent des cabanes, puis des maisons en
brique. Ils ont même un lieu de prière. Dès l’été, ils travaillent dans les
vergers et les vignes. Certains envoient des lettres à Mardin pour que
les chrétiens restés là leur fassent parvenir des aiguilles, du sucre et de
l’argent qu’ils vont alors échanger d’un village à l’autre contre du blé,
de l’orge ou des lentilles. Lorsque, en octobre 1915, éclate une épidémie
de typhus, plusieurs cheikhs, dont celui de Marussa, contraignent les
réfugiés à quitter leurs maisons. Hammo Chero propose d’isoler une par-
tie du village et d’y regrouper les malades jusqu’à ce qu’ils guérissent.
Lorsque le Sindjar est menacé de famine, les arméniens se rendent chez
les arabes de la tribu taï pour se procurer des céréales. Au printemps
1917, après la prise de Bagdad par les Anglais, des arabes montent au
Sindjar proposer aux chrétiens de les conduire à Bagdad, moyennant
trois livres par personne. Trente Mardiniens les suivent. Ils envoient des
messages à ceux qui sont restés au Sindjar pour les engager à venir.
Mais la plupart hésitent à quitter leur refuge. Au cours de l’été 1917,
certains se font employer par la direction du chemin de fer de Bagdad
– dont la construction se poursuit au-delà de Ras ul-Aïn – afin de gagner
de l’argent et de l’envoyer à leur famille réfugiée dans la montagne. En
mars 1918, un corps d’armée ottoman tente de détruire ce réduit rebelle.
Le commandant exige que Hammo Chero lui remette ses armes et les
chrétiens qu’il protège. Celui-ci convoque les cheiks de la montagne,
leur transmet l’ordre du commandant et leur propose de refuser. L’assem-
blée est partagée. Hammo Chero exige une décision unanime. Les cheikhs
se retirent pour délibérer. Chero n’attend pas et, avec un petit groupe
d’hommes, massacre un groupe de soldats ottomans. L’armée envahit
alors la montagne et, en dépit des embuscades tendues par les yézidis,
les soldats ottomans parviennent au village de Chero qu’ils pillent et
incendient. Les chrétiens sont déjà partis et se sont réfugiés dans les
sommets de la montagne ou ont gagné le Sud. Dès que le gros de l’armée
s’est retiré, les yézidis harcèlent les soldats maintenus sur place et les
désarment. Les turcs abandonnent alors le Sindjar. Les chrétiens regagnent
les villages où ils demeurent jusqu’à la fin de la guerre. Ceux qui ont
quitté la montagne parviennent chez les arabes taï qui les accueillent
et les guident tant qu’ils peuvent payer.
Après la guerre, les rares survivants arméniens du sandjak de Mardin
subissent les contraintes de l’administration turque. Après la proclama-
tion de la république de Turquie en 1923, ils sont regroupés à Mardin.
409
L’impossible sauvetage des arméniens de Mardin
É
voquer les activités de sauvetage à propos de l’Union générale
des israélites de France (UGIF) est à première vue un paradoxe.
Cette organisation fut en effet fondée, sur injonction des Allemands,
par une loi du gouvernement de Vichy de novembre 1941, dans le but
de présider la fusion des organisations juives d’assistance et de servir
d’instrument à la politique de repérage et de persécution. Par son origine
et par les finalités qui lui sont assignées, cette organisation obligatoire
apparaît d’emblée comme un obstacle aux activités de sauvetage. La
compromission présumée de ses dirigeants dont la myopie politique et
l’isolement intellectuel auraient trouvé leur source dans des préjugés de
classe, a été tour à tour opposée au front du refus des dirigeants du
Consistoire, demeuré le conservatoire institutionnel des valeurs républi-
caines, ou à l’engagement des juifs étrangers dans la Résistance armée.
Cette opposition rigide a dominé une partie de l’historiographie. L’UGIF
fut cependant et avant tout une fusion des œuvres juives d’assistance,
dont l’histoire mérite d’être pensée à la fois dans la dimension euro-
péenne de la Shoah – puisqu’elle a son équivalent simultané en Belgique
et aux Pays-Bas –, mais aussi en relation constante avec une histoire
institutionnelle, politique, culturelle et sociale propre à la France 1.
7. Vicki Caron, The UGIF : The Failure of the Nazis to Establish a Judenrat on
the Eastern European Model, New York (N. Y.), Columbia University Press, 1997.
415
L’UGIF fut-elle un obstacle au sauvetage ?
le sort a déjà été fixé 8. De la même manière, les négociations que Georges
Edinger, administrateur puis dernier président de l’UGIF d’octobre 1943
à la Libération, entame par le canal des associations d’anciens combat-
tants n’ont au mieux qu’un effet de retardement sur la persécution 9.
Vaines sont les démarches officielles cantonnées à des courriers adminis-
tratifs, sans écho dans l’opinion, tant demeurent discrets les relais des
Églises en zone occupée, à l’image du soutien confidentiel du cardinal
Suhard à André Baur, fin juillet 1942, à propos de démarches de l’UGIF
visant à épargner le port de l’étoile aux « conjoints d’aryens », à l’image
de ce qui se passe dans le Reich et en Belgique 10. Quant aux réactions
spontanées de la société civile, elles sont transmises par l’appareil juif
d’assistance à son ministère de tutelle, le commissariat général aux Ques-
tions juives (CGQJ), avec la même discrétion, tant le contact même avec
des non-juifs peut apparaître comme un motif d’accusation. André Baur
en fait les frais en juillet 1943, quand sa demande d’audience auprès de
Laval, afin de protester contre les brutalités de la SS au camp de Drancy,
se solde par son arrestation. A priori, toute démarche légaliste est ainsi
vouée à l’échec, tant est restreinte la marge de manœuvre promise aux
dirigeants juifs et tant le terme de négociation qui suppose un véritable
partenariat, n’est pas adapté à leur situation. Discours et postures léga-
listes sont-ils pour autant les marques d’une opposition résolue aux
activités de sauvetage ?
que j’ai bien fait, car sauf moi (et c’était la moindre des choses) aucun
d’entre nous n’a été arrêté ou inquiété 13. »
Ces activités de résistance sont confirmées par des témoignages
recueillis après la guerre. Ancien condisciple de Lucienne Scheid-Haas
à la faculté de droit de Strasbourg, magistrat à Sarreguemines à partir
de 1937, Paul Lévy est mobilisé en 1939 et interné l’année suivante dans
un stalag près de Leipzig. Prisonnier de guerre évadé en juillet 1943,
Lucienne Scheid-Haas le recueille à Paris et, au bout de deux jours, grâce
à ses amis non juifs, lui fournit des faux papiers au nom de Lefebvre.
Paul Lévy peut ainsi trouver refuge dans la région de Limoges et pour-
suivre après guerre sa carrière au parquet de Mulhouse, avant de prendre
sa retraite comme avocat général près la cour d’appel de Paris 14. Le
domicile parisien de Lucienne Scheid-Haas, au 11, rue de Verneuil, sert
de plaque tournante au trafic de faux papiers, des actes de baptême en
blanc étant dissimulés dans sa bibliothèque, dans des volumes de Racine,
tandis qu’un ancien poêle de faïence de sa salle à manger sert de cache
aux fausses cartes d’identité apportées par Valabrègue. Le récit de
Lucienne Scheid-Haas fait également la part belle aux protections mul-
tiples dont elle a bénéficié jusqu’au cœur de l’appareil administratif de
l’État français. Parmi ces protections, celle du commissaire Charles
Permilleux, responsable du service des affaires juives à la préfecture de
Police de Paris, dont les hommes ont été les grands pourvoyeurs du camp
de Drancy en juifs étrangers, et qui la prévient, début juillet 1944, d’une
arrestation imminente.
Étudiante en anglais à la Sorbonne, empêchée par la législation de
Vichy de passer le concours de l’agrégation, Hélène Berr, 21 ans, a rejoint
les assistantes sociales bénévoles de l’UGIF. À l’image de Lucienne
Scheid-Haas, son journal 15 traduit un puissant sentiment d’appartenance
à la nation française et un profond souci de maintenir intactes les œuvres
d’assistance légale. Cependant, assistante sociale bénévole du service des
internés de l’UGIF, Hélène Berr devient dans le même temps la secrétaire
de Denise Milhaud au sein de l’Entraide temporaire, aux côtés de sa
cousine germaine Nicole Schneider 16. L’Entraide temporaire est une orga-
nisation clandestine constituée depuis février 1941 à l’ombre du Service
13. Témoignage publié en annexe de Michel Laffitte, Juif dans la France alle-
mande..., op. cit., p. 385-391.
14. Témoignage de Paul Lévy à Lucienne Scheid-Haas, 1954, réitéré en 1995
à l’adresse du professeur Charles Haas. Archives familiales.
15. Michel Laffitte, Juif dans la France allemande..., op. cit.
16. CDJC-DCXLI, 1 à 11.
419
L’UGIF fut-elle un obstacle au sauvetage ?
17. Lucien Lazare, La Résistance juive. Un combat pour la survie, Paris, Édi-
tions du Nadir, 2001, p. 147 ; Madeleine Comte, Sauvetages et Baptêmes. Les
religieuses de Notre-Dame de Sion face à la persécution des juifs en France,
1940-1944, Paris, L’Harmattan, 2001.
420
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
18. « L’OSE de 1942 à 1944 : une survie périlleuse sous couvert de l’UGIF »,
Revue d’histoire de la Shoah, « Les conseils juifs dans l’Europe allemande »,
185, juillet-décembre 2006, p. 65-86.
421
L’UGIF fut-elle un obstacle au sauvetage ?
22. Israel Gutman (dir.), Dictionnaire des Justes de France, op. cit., p. 200.
23. Jacques Fijalkow (dir.), Vichy, les juifs et les Justes. L’exemple du Tarn,
Toulouse, Privat, 2003, p. 201.
24. Gaston Lévy, Souvenirs d’un médecin d’enfants à l’OSE en France occupée
et en Suisse 1940-1945, Paris-Jérusalem, Éditions du Centre, 1978 [rééd. Paris,
Le Manuscrit, 2008], p. 24-25.
25. CDJC YIVO 68-500.
423
L’UGIF fut-elle un obstacle au sauvetage ?
auprès desquels elle reçoit « le meilleur accueil », comme de tous les ser-
vices publics. Elle annonce avoir réussi à placer, au cours du même mois,
sept enfants dans des familles du département dont un seul lui a été
confié par des parents internés au centre de Douadic. Odette Schwob va
en outre nouer des contacts avec Pierrette Poirier de l’Amitié chrétienne
de Châteauroux et lui permettre d’entrer en relation avec le cardinal
Gerlier. Devenue une antenne du réseau de placement clandestin des
enfants juifs, dirigé depuis Lyon par Georges Garel, Pierrette Poirier rece-
vra d’Odette Schwob, à partir de janvier 1943, une partie des fonds du
Joint transitant par la Suisse. Malgré ces relais administratifs et privés,
le bureau de l’UGIF demeure un dispositif essentiel de survie, en raison
de la politique suivie par le délégué du Secours national qui, agissant
indépendamment des services de la préfecture de Châteauroux, refuse
aux juifs l’accès de son vestiaire et de sa cantine. L’historien doit donc
se déprendre du tableau idyllique de terres d’accueil, tant la fonction
d’assistance de l’UGIF à ses assistés démunis est vitale jusqu’aux der-
nières semaines précédant la Libération.
Enfin, cette situation mouvante propre à la zone sud est vivement
ressentie au moment où l’appareil de l’UGIF doit sonder l’opinion des
régions d’accueil, trouver des relais et des complicités. En zone sud, avant
même l’entrée des troupes allemandes qui y précipite les mouvements
des réfugiés juifs, l’UGIF envoie des délégués prospecter de véritables
terrae incognitae. Les premiers rapports sont mitigés. Ils esquissent une
cartographie de l’opinion dont quelques exemples seront ici donnés tra-
duisant un véritable souci de préserver ou de construire des relais entre
l’UGIF et les élites de la vocation et du service. En mai 1942, Raymond
Geissmann, responsable de la 1re direction de l’UGIF d’assistance aux
juifs français, signale déjà « certains refus de secours » formulés par la
section niçoise du Secours national. De même, de septembre 1941 à mai
1942, la section du Secours national de Marseille a pratiqué une discri-
mination dans l’assistance, refusant la remise gratuite aux juifs indigents
d’un certain nombre de bons de soupe égale au quart des bons achetés.
Raymond Geissmann note à propos des rapports entre ses assistés et le
reste de la population : « Le préjugé racial qui leur est souvent opposé,
même pour des emplois très humbles, se révèle plus fréquent, plus
obstiné à Nice qu’à Marseille, à Marseille qu’à Lyon 26. » Envoyés en
prospection à Alès en terre huguenote où ils sont logés par le pasteur,
À la veille de la guerre, Paris concentre deux tiers des 330 000 juifs
de France, soit un peu plus de 200 000 individus 1. En juillet 1944,
104 622 juifs sont censés se trouver dans le département de la Seine
(cf. tableau 9, p. 442-443). Or le grand rabbin Jacob Kaplan fait état de
30 000 juifs à Paris en août 1944 et un nombre équivalent de cachés,
soit environ 60 000 au moment de la Libération 2. Environ 40 000 juifs
auraient donc quitté la Seine à une date se situant entre octobre 1941
et juillet 1944, et 15 000 entre octobre 1940 et octobre 1941.
1. Le nombre de 330 000 constitue une estimation. Cf. Serge Klarsfeld dans
Le Calendrier de la persécution des juifs, 1940-1944, New York (N. Y.), Beate
Klarsfeld Foundation, Paris, Fils et filles des déportés juifs de France, 1993,
p. 1103.
2. Jacob Kaplan, « French Jewry under the Occupation », dans The American
Jewish Year Book 5706, 1945-1946, Philadelphia (Pa.), The Jewish Publication
Society of America, volume 47, 1945 [sic], p. 71-118.
3. Il s’agit de la police municipale, avec le concours de certains éléments de
la police judiciaire et des Renseignements généraux.
4. Les arrondissements les plus touchés sont le 11e (591), le 20e (533), le 10e
(316), le 18e (274) et le 4e (268).
427
Rafles, sauvetage et réseaux sociaux à Paris (1940-1944)
12. Michael Marrus et Robert Paxton, Vichy et les juifs, Paris, Calmann-Lévy,
1981, p. 332.
13. Renée Poznanski, Être juif en France, op. cit., p. 291.
14. Témoignage d’Annette Schmer, 11 pages, fait en 2002, CDJC, Aloumim,
1510-4, témoignage no 173.
430
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
16. Témoignage d’Yvette Audo, cinq pages manuscrites, fait en 1990, CDJC,
Aloumim 1510-4, no 96.
17. Document intitulé « Consignes pour les équipes chargées des arrestations »,
daté du 11 septembre 1942, APP, BA 1813.
433
Rafles, sauvetage et réseaux sociaux à Paris (1940-1944)
18. Témoignage de Suzanne Baron, six pages, fait en 1993, CDJC, Aloumim,
1510-1, no 79.
19. Témoignage de Rivka Avihail, trente pages, fait en 1994, CDJC, Aloumim,
1510-2, non numéroté.
434
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
ou religieux. Une jeune fille sauvée par une femme se souvient que
« Madame Le Bris, très catholique, avait fait le vœu de sauver un enfant
juif pour que son fils revienne 20 ». Le sentiment d’appartenance à une
même communauté de destins est parfois entré en jeu. Ainsi, le couple
Dalian précise :
23. JO, p. 3594-3595, dans Claire Andrieu (dir.), La Persécution des juifs de
France 1940-1944..., op. cit.
24. Circulaire de la préfecture de Police datée du 6 juin 1942, APP, BA 1813.
25. Article de La France libre, daté du 27 septembre 1942, AIU, Archives OSE,
XV (bobine no 6).
436
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Les réseaux formels préexistants qui ont œuvré pour le sauvetage sont
principalement religieux. La foi et l’appartenance, spirituelle ou concrète,
à une communauté alimentent l’esprit de solidarité et le sentiment qu’il
est possible de faire quelque chose : protester, aider, cacher, s’engager
sont autant d’actions conditionnées par les principes caritatifs de la
morale chrétienne. Ainsi, dans ses sermons, le pasteur de l’oratoire du
Louvre, Paul Vergara, exhorte ses ouailles à résister 26. Il a parallèlement
œuvré pour le sauvetage de nombreux enfants, et a été reconnu comme
Juste en 1988.
Fondée en France au XIXe par des juifs convertis, la congrégation fémi-
nine de Notre-Dame-de-Sion avait pour vocation majeure, outre l’aide
aux juifs les plus déshérités, leur conversion. Jusqu’en 1942, l’aide
apportée a concerné surtout des personnes qui lui étaient envoyées indi-
viduellement, juifs étrangers ou réfugiés de la zone occupée empêchés
de rejoindre leur domicile. Ensuite ont afflué les groupes d’enfants.
Il s’agit donc d’une organisation qui n’a pas été créée ad hoc pour le
sauvetage, et dont quelques membres ont œuvré collectivement et clan-
destinement pour aider les juifs persécutés. On connaît de façon précise
l’importance des sauvetages organisés à partir du 68, rue Notre-Dame-
des-Champs. Le père Devaux a en effet tenu, de mars 1943 à 1945, une
liste des enfants placés (nom, âge et lieu de placement) qu’il cachait sous
les marches de l’autel de sa chapelle. Le Bulletin des enfants cachés a
publié une liste de 404 noms 27.
L’appartenance religieuse n’est cependant pas le seul élément déclen-
chant une action collective de sauvetage : réseau spécifiquement pari-
sien, l’Entraide temporaire est un regroupement laïc et doit sa création
à Lucie Chevalley, présidente du Service social d’aide aux émigrants
L’étude des dossiers des Justes s’est avérée précieuse mais délicate.
En effet, nous nous basons sur le nombre de dossiers acceptés, qui dépen-
dent forcément d’une volonté extérieure : volonté de la personne qui a
fait la demande de reconnaissance, volonté de Yad Vashem qui a accepté
ou non le dossier. En comparant le nombre de dossiers déclarés dans
les villes principales et dans le reste des régions françaises, on constate
qu’à l’exception de la région parisienne, les Justes sont en majorité
reconnus dans les villages autour de la ville principale et dans les petites
villes (cf. tableau 10, p. 444). Ainsi dans le Centre, seul un cas a été
reconnu à Orléans, contre 131 dans le reste de la région ; en Bourgogne,
aucun Juste n’a été reconnu à Dijon, mais 64 l’ont été dans le reste de
la région. Aucun cas n’a été signalé à Caen, mais 35 en Basse-Normandie.
28. Étudié par Lucienne Chibrac dans sa thèse de doctorat intitulée Assistance
et secours auprès des étrangers. Le service d’aide aux émigrants (SSAE), 1920-
1945, sous la direction d’Yves Lequin, Lyon, Université Lumière-Lyon II, juin
2004.
29. Katy Hazan, Les Orphelins de la Shoah, Paris, Les Belles Lettres, 2000,
p. 60.
438
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
30. Jacques Sémelin, Sans armes face à Hitler. La résistance civile en Europe,
1939-1943, Paris, Éditions Payot, 1989, p. 207.
31. Annie Kriegel, « De la résistance juive », Pardès, 2, Paris, Les Éditions du
Cerf, février 1985, p. 202, cité par Jacques Sémelin, Sans armes face à Hitler...,
op. cit., p. 207.
439
Rafles, sauvetage et réseaux sociaux à Paris (1940-1944)
32. Beate Kosmala, « Verbotene Hilfe. Rettung für Juden in Deutschland, 1941-
1945 », Bonn, Friedrich-Ebert-Stiftung, Historisches Forschungszentrum, 2004
(article issu d’un colloque ayant eu lieu à Bonn le 28 septembre 2004).
33. Erna Paris, L’Affaire Barbie, analyse d’un mal français, Paris, Ramsay,
1985, p. 89.
34. Françoise Bayard et Pierre Cayez (dir.), Histoire de Lyon, tome 3, Lyon,
Horvath, 1990, p. 398.
440
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
À Lyon, 39 % des actes de sauvetage ont été menés par des hommes,
à peine plus que les 36 % menés par des femmes, nombres bien supé-
rieurs aux 22 % concernant les couples. Des résultats différents de ceux
que l’on a établis à Paris, où les hommes seuls ont sauvé dans 18 %
des cas, contre 40 % pour les femmes seules et 40 % pour les couples.
Il faudrait croiser ces données avec l’analyse des structures socio-
professionnelles des femmes parisiennes avant et pendant la guerre. On
peut en effet poser la question du lien entre leur engagement dans le
sauvetage et leur place dans la société, à laquelle sont liés leur pouvoir
de décision et leur influence. En ce qui concerne la nature des actes
de sauvetage, elle est sensiblement la même, et dans des proportions
semblables. On remarque qu’il y a plus de cas à Paris où les individus
sauvés sont cachés avant d’être évacués, contrairement à Lyon où il
existe plus de cas où les individus sauvés l’ont été en étant évacués
directement, supposant moins d’attache personnelle entre le sauveteur
et le(s) sauvé(s).
Davantage de différences apparaissent entre les deux villes lorsque
l’on s’intéresse aux individus sauvés. La catégorie « divers » est beaucoup
plus représentée à Lyon qu’à Paris, confirmant la forte représentation
d’un sauvetage systématisé, anonyme. On aide globalement des individus
sans savoir qui est concerné. À Paris, la prédominance du nombre de
cas où les individus se connaissent par rapport au nombre de cas où
la rencontre n’est que furtive indique une implication majoritairement
individuelle et personnelle du sauveteur. Il aide un ami, un voisin, un
collègue, avec ou sans famille. Les sentiments de solidarité, de charité,
et d’amitié semblent donc primer sur l’idéologie et la volonté de systé-
matiser le sauvetage. De même, à Paris, on sauve en plus grand nombre
les familles que les femmes et les hommes seuls, proportion inversée
dans le cas de Lyon. Troisième élément corroborant la forme spécifique
du sauvetage lyonnais : l’aide à des hommes et à des femmes qui se sont
pris en charge jusque-là, contrairement aux enfants qui dépendent du
bon vouloir de ceux qu’ils croisent. Il faut d’ailleurs souligner l’impor-
tance, parmi les sauveteurs lyonnais, de l’appartenance religieuse dans
le sauvetage collectif, comme le montre le grand nombre de religieux
reconnus, la plupart ayant œuvré par le biais de l’Amitié chrétienne 35.
35. L’Amitié chrétienne est une organisation créée à la fin de l’année 1941,
qui rassemble des dirigeants d’organisations de jeunesses catholiques et protes-
tantes, unis par la volonté de lutter contre l’antisémitisme ambiant. Elle est
animée, pour les catholiques, par le père jésuite Pierre Chaillet et l’abbé Glasberg,
juif converti au catholicisme, ainsi que par Jean-Marie Soutou. Les pasteurs
Marc Boegner et Roland de Pury co-animent l’œuvre. Ils ont tous été reconnus
441
Rafles, sauvetage et réseaux sociaux à Paris (1940-1944)
Justes parmi les nations. Il faudrait mener une étude globale, précise et docu-
mentée sur les actions de sauvetage menées par l’Amitié chrétienne.
36. Nous citons à titre d’exemple le cas tragique de monsieur Marsat : il fait
passer sa collaboratrice et la sœur de cette dernière en zone libre. Elles désirent
ensuite revenir à Paris voir leur mère, ce à quoi il s’oppose formellement. Elles
se mettent tout de même en route mais sont dénoncées le 22 décembre 1942
à la ligne de démarcation à Vierzon. Après un passage par Drancy, elles sont
déportées le 30 juillet 1943 à Auschwitz. Cf. dossier Marsat, no 6793, CFYV.
442
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Poitou-Charentes 64 Poitiers : 14 78 22
Lorraine 41 Nancy : 11 73 27
Picardie 33 Amiens : 2 94 6
Franche-Comté 28 Besançon : 5 82 18
Champagne-Ardenne 26 Reims : 4 85 15
Haute-Normandie 16 Rouen : 1 – –
Bretagne 5 Rennes : 1 – –
Alsace 1 Strasbourg : 0 – –
Corse 0 Ajaccio : 0 – –
Chapitre 26
PROTESTANTISMES MINORITAIRES,
AFFINITÉS JUDÉO-PROTESTANTES
ET SAUVETAGE DES JUIFS
Patrick CABANEL
P
armi les quelque 22 000 personnes qui ont reçu le titre de Juste
parmi les nations pour avoir sauvé des juifs au cours du génocide,
on trouve deux personnes morales, alors même que la loi israé-
lienne qui a fondé l’institut Yad Vashem en 1953 interdisait ce type
de reconnaissance. Il s’agit (en 1988) du Chambon-sur-Lignon et des
communes avoisinantes, qui forment le « plateau du Vivarais-Lignon »,
aux confins de la Haute-Loire et de l’Ardèche ; et du bourg hollandais
de Nieuwlande, dans la région de la Drenthe, limitrophe de l’Allemagne,
couronné en 1985 après que 117 des siens l’eurent été à titre individuel.
Le mémorial de Yad Vashem honore d’un monument chacun de ces deux
« villages sauveurs » : c’est un privilège unique pour deux communautés
qui sans cela seraient restées en dehors de l’histoire et dépourvues de
notoriété internationale. Il se trouve que l’une et l’autre sont protestantes,
plus exactement réformées (calvinistes), au moins pour la majorité de
leur population. Les leaders de l’accueil des juifs au Chambon et dans
sa région sont des pasteurs ou des protestants notoires, les pasteurs
Trocmé, Theis, Curtet, Bettex, etc., les laïcs Roger Darcissac, Daniel
Trocmé, Mireille Philip, etc. Protestants également, à Nieuwlande, les
deux principaux dirigeants, le paysan et conseiller municipal Johannes
Post puis Arnold Douwes, un fils de pasteur, d’abord arrêté pour avoir
volontairement porté l’étoile jaune. Post fit revenir au village, en 1942,
son ancien pasteur de 1927 à 1930, Fredrik (Frits) Slomp, qui exhorta
446
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
les habitants à faire leur devoir de chrétiens et à aider les juifs 1. Ajoutons
un chiffre : les protestants, moins de 2 % de la population de la France
en 1940, ont donné environ 10 % des Justes de ce pays.
Quelle conclusion tirer de ces quelques faits, qui ne soit pas hâtive,
sur le mode « tous les protestants ont sauvé des juifs » ? La question est
d’autant plus complexe que les protestantismes sont très divers sur le
plan théologique et que les rapports de leurs différentes Églises avec les
États et les nations varient du tout au tout. L’Église anglicane et la plu-
part des Églises luthériennes sont ainsi « établies », c’est-à-dire officielles,
le souverain de l’État étant leur évêque suprême, la nation se reconnais-
sant en elles, alors que les calvinistes français, les héritiers du hussisme
en Bohême (autour de 2 % de la population), les vaudois italiens (0,35 %
de la population en 1911), mais aussi les Églises nées de la dissidence
ou du Réveil (des mennonites aux méthodistes et Témoins de Jéhovah),
tous ces groupes presque infinitésimaux ont connu au cours de leur his-
toire la persécution, la dispersion, le refus de l’institutionnalisation, la
solitude sociale. Ce type d’expérience, uni à une culture religieuse pro-
fondément biblique, et même vétéro-testamentaire, explique les affinités
des protestantismes minoritaires avec les juifs et permet de comprendre
pourquoi leurs attitudes face à l’antisémitisme et au génocide ont été
différentes de celles du catholicisme mais aussi des protestantismes
« nationaux », à l’allemande 2...
Protestants et juifs :
les retrouvailles bibliques
Si l’on veut comprendre pourquoi les protestants français et leurs
pasteurs ont à ce point contribué à sauver des juifs, il faut recourir à
au moins quatre types d’affinités : théologique, culturelle, historique et
sociologique. Les deux premiers types appartiennent à l’ensemble du
calvinisme, voire du protestantisme, les deux derniers sont de vraies spé-
cificités. D’un point de vue théologico-culturel – je ne distingue pas,
qui ont frayé la voie à l’Évangile pour ne pas se sentir meurtris des coups
qui frappent les fils d’Israël 9. » Quant au Tchèque Josef Fisera, étudiant
en France à la fin des années 1930 et proclamé Juste pour avoir sauvé
des enfants dans les Alpes-Maritimes, ce n’est sans doute pas un hasard
si, témoignant dans un colloque en 1992, il a immédiatement placé son
action sous le signe du « martyr Jean Hus et [du] grand exilé et fondateur
de la pédagogie moderne Jean-Amos Comenius, évêque de l’Unité des
Frères tchèques 10 ».
Il importe également d’observer les expériences sociales qu’ont faites
protestants et juifs dans les sociétés modernes, en voie de sécularisation
et/ou de laïcisation, depuis la fin du XVIIIe siècle. Ces processus leur ont
ouvert de nouveaux espaces et de nouvelles opportunités : ils ont occupé
les premiers et saisi les secondes avec une réussite souvent insolente qui
n’a pu manquer d’agacer des majorités catholiques impuissantes ou
imbues du sentiment d’une perte et d’une injustice. En France comme
en Italie, protestants et juifs ont accédé au même moment à la citoyen-
neté : en 1789 puis 1791 dans le cas français, en 1848 pour les vaudois
et une partie des juifs italiens, grâce à l’article 24 de la Constitution du
Piémont, le Statuto Albertino. Le législateur, dans les deux cas, ne pen-
sait pas nécessairement ensemble les deux minorités, mais cherchait à
mettre sur un pied d’égalité, devant la loi, la masse catholique et les
non-catholiques. Le royaume d’Italie, une fois l’unité achevée, devait
confirmer cette révolution juridique, dont la conséquence fut pour les
juifs une intégration croissante, sur le modèle européen de l’israélitisme,
et pour les paysans vaudois jusque-là confinés dans leurs vallées la sortie
de leur sanctuaire et la constitution d’une classe moyenne. Ainsi a-t-on
assisté en France et en Italie, de manière très nette dans le cas de la
première, au surgissement de protestants et de juifs dans les élites de
l’État et de la société moderne 11.
« Il mit aux mains de ses créatures toutes les fonctions publiques et,
dans cette curée formidable, organisée par lui, juifs et calvinistes se
partageaient avidement les dépouilles de la patrie hongroise. [...] Le
royaume de saint Étienne n’était-il pas devenu un fief du calvinisme
et du judaïsme 13 ? »
n’en observe pas moins que dans bien des chantiers objectifs de la laïci-
sation, le droit des cultes, la neutralité de l’enseignement, le droit de
la famille, l’émancipation des femmes, etc., des membres des minorités
confessionnelles ont agi au premier plan, et que les affinités entre protes-
tants et juifs ont eu une véritable efficacité sociale, aussi bien dans le
bonheur de la modernisation pluraliste que dans l’épreuve des haines
catholiques et nationalistes (de l’affaire Dreyfus aux années 1940). C’est
là plus qu’une hypothèse : je parlerai volontiers d’un idéal-type des
affinités judéo-protestantes en situation minoritaire, forgé à partir de
l’expérience française, et qui demanderait à être confronté à d’autres
situations historiques concrètes, notamment en Bohême et en Hongrie.
14. Giorgio Spini, « Gli evangelici italiani di fronte alle leggi razziali », Il Ponte,
numéro spécial, « La difesa della razza », 11-12, 1978, p. 1353-1358.
15. A. M. De Giglio, « Il giudaismo, fomentatore del protestantesimo », La difesa
della razza, 5 juillet 1940, p. 42-44, et Gino Sottochiesa, « Lo spirito ebraico
del puritanesimo », La difesa della razza, 20 octobre 1940, p. 34-38, textes
publiés et commentés par Alberto Cavaglion et Gian Paolo Romagnani, Le inter-
dizioni del Duce. A cinquant’anni dalle leggi razziale in Italia, 1938-1988,
Turin, Albert Meynier, 1988, p. 170-178.
453
Protestantismes minoritaires, affinités judéo-protestantes...
16. « Ce que l’humanité lui doit. Exactement : “de quelles choses l’humanité fut
et reste débitrice d’Israël”. »
17. Texte publié et commenté par Alberto Cavaglion et Gian Paolo Romagnani,
Le interdizioni del Duce..., op. cit., p. 165-169, et par Giorgio Spini, « Gli evan-
gelici... », art. cité, p. 1356-1358. Le pasteur français Freddy Durrleman a
publié dès avril 1933 un texte très comparable, Plaidoyer pour les juifs, Paris,
La Cause, 1933.
18. Les barthiens sont les disciples du Suisse Karl Barth, théologien calviniste
de langue allemande, expulsé de l’Université de Bonn en 1935, fer de lance
d’une opposition spirituelle au nazisme ; l’Église confessante comprenait une
minorité de pasteurs et laïcs hostiles au régime et au ralliement qu’il sut obtenir
de l’Église luthérienne.
19. Au sens de l’attestation publique de sa foi, jusqu’au martyre si nécessaire.
454
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
sévère sur le silence de l’Église vaudoise, n’en relève pas moins que les
juifs firent publier dans le journal local de la Résistance, Il Pioniere, le
7 mai 1945, un texte de « Ringraziamento » (« Remerciement ») à l’égard
de la population des vallées 20. Sandro Sarti rappelait dans un article
de 1962 que les communautés vaudoises de la région de Pignerol ont
accueilli de très nombreuses familles israélites du Piémont et que des
liens très forts ont été établis à cette occasion, outre ceux qui unissaient
jeunes juifs et vaudois combattant au coude à coude dans la Résistance 21.
La thèse de théologie de Maria Bonafede, soutenue en 1984, permettrait
d’en savoir plus, mais je n’ai pu y avoir accès 22. Peut-être estimera-t-on
qu’un dernier témoignage, celui du théologien vaudois Giovanni Miegge,
publié dès 1946, suffit à dire l’essentiel, qui est que ce texte pourrait
fort bien expliquer d’autres refuges juifs en pays protestant, au Chambon-
sur-Lignon, dans les Cévennes, à Nieuwlande, etc. :
20. Jean-Pierre Viallet, La chiesa valdese di fronte allo stato fascista 1922-
1945, préface de Giorgio Rochat, Turin, Claudiana, 1985, p. 225.
21. Sandro Sarti, « Il mondo protestante e la questione raziale : note sulla
rivista Gioventù Cristiana, 1933-1940 », dans Guido Valabrega (dir.), Gli Ebrei
in Italia durante il fascismo, 2, Varèse, « La Lucciola » Arti Grafiche Varesine,
1962, p. 86.
22. Maria Bonafede, Azione a favore degli Ebrei da parte di Pastori Metodisti e
Valdesi in Italia dopo l’emanazione delle leggi razziali (1938-1945) : une prima
panoramica sulla base delle testimonianze, thèse, Rome, Facoltà Valdese di
Teologia, 1984 (inédite).
23. Giovanni Miegge, L’Église sous le joug fasciste, Genève, Labor et Fides,
coll. « La chrétienté au creuset de l’épreuve », volume 11, 1946, p. 57.
455
Protestantismes minoritaires, affinités judéo-protestantes...
des persécutions). Et le mot même d’affinités dont j’ai usé tout au long
de cet article. On le trouve, au XIXe siècle, sous la plume du penseur
anglais Matthew Arnold, pour caractériser le lien particulier qui unit « le
génie et l’histoire » du peuple anglais et de ses descendants américains
avec ceux du peuple hébreu. Et sous celle de... Charles Maurras, dénon-
çant entre protestants et juifs « de profondes sympathies de culture, des
affinités mentales et morales indiscutables (Bible et Talmud, culture
anglaise, culture allemande, rituel maçonnique), la communauté de
position naturelle aux conquérants dans le peuple conquis 24 ». Une fois
advenus les statuts, les marquages, les persécutions des années 1930 et
des années 1940, de telles affinités ont pu aider les juifs à ne pas se
retrouver seuls, rejetés du sein des peuples auxquels la promesse israélite
les avait conduits à se fondre, et à bénéficier de solidarités agissantes.
24. Pour les références de ces textes, je prends la liberté de renvoyer à mon
ouvrage, Juifs et protestants en France, les affinités électives, XVIe-XXIe siècle,
Paris, Fayard, 2004.
25. Voir plusieurs des contributions réunies dans « Ailleurs, hier, autrement :
connaissance et reconnaissance du génocide des Arméniens », Revue d’histoire
de la Shoah, 177-178, janvier-août 2003.
456
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
26. Les baptistes ont eu le même type d’attitude que les réformés ou les dar-
bystes. Voir Sébastien Fath, Une autre manière d’être chrétien en France. Socio-
histoire de l’implantation baptiste, 1810-1950, Genève, Labor et Fides, 2001,
p. 425-439.
27. Étienne François, « Du patriote prussien au meilleur des Allemands », dans
Michelle Magdelaine et Rudolf von Thadden (dir.), Le Refuge huguenot, Paris,
Armand Colin, 1986, p. 229-244.
Chapitre 27
NIEUWLANDE, PAYS SAUVETEUR
(1941/1942-1945)
Michel FABRÉGUET
2. Ce terme, que l’on peut traduire en français par « clandestins », signifie litté-
ralement « ceux qui ont plongé sous l’eau », métaphore aquatique très explicite
dans le contexte néerlandais.
3. « Ils ne pouvaient pas faire autrement. Souvenirs de la Résistance à
Nieuwlande, 1940-1945 » (Zuidwolde, Stichting Het Drentse Boek, 1985).
4. Beit Lohamei Haghetaot, Dossier 1262, Guide to temporary exhibition
« Nieuwlande, 1940-1945 ».
5. « Nieuwlande, village aux cinq mairies » (ouvrage publié à compte d’auteur,
s. l., 1988).
6. « Nieuwlande, 1940-1945. Un village où tout le monde se taisait » (ouvrage
publié à compte d’auteur, s. l., 1990).
459
Nieuwlande, pays sauveteur (1941/1942-1945)
7. Bob Moore, Victims and Survivors. The Nazi Persecution of the Jews in the
Netherlands, 1940-1945, Londres, Arnold, 1997, p. 24-25.
460
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Du refus de l’accommodation
à la résistance civile
(mai 1940-avril/mai 1943)
Dans la nuit du 9 au 10 mai 1940, la Wehrmacht força les lignes de
défense néerlandaises en face de la ville de Coevorden 8. La Blitzkrieg
vint rapidement à bout de la résistance néerlandaise. Dès le 18 mai,
Arthur Seyss-Inquart fut nommé par Hitler à la tête de l’autorité civile
d’occupation avec le titre de commissaire du Reich. Le choix de l’homme
qui avait exercé la fonction de dernier chancelier autrichien lors de
l’Anschluβ laissait supposer que le Führer envisageait d’annexer les
Pays-Bas au Grand Reich. Cependant, la capitulation militaire n’avait
pas mis fin formellement à la souveraineté néerlandaise, et Seyss-Inquart
laissa subsister une administration sous la direction des secrétaires géné-
raux des ministères. La méthode était habile, car elle encouragea la mise
en œuvre par l’administration d’une politique d’accommodation avec
l’occupant, destinée en principe à soulager la population civile, mais
qui favorisa en fait l’opportunisme, le sens traditionnel de la discipline
et le respect de l’autorité dont témoignaient assez spontanément les
Néerlandais. Dans le désarroi des consciences engendré par la défaite et
le départ précipité des autorités légales à Londres, l’été 1940 constitua,
selon l’heureuse formule de Christophe de Voogd, une « saison de dupes »
sous les auspices de la politique d’accommodation. Hendrik Colijn, poli-
ticien conservateur du juste milieu et leader du parti antirévolutionnaire,
exprima alors dans une brochure de circonstance, À la frontière de deux
mondes, sa conviction en la victoire inéluctable de l’Allemagne et la
nécessité qui en résultait de collaborer avec la puissance qui dirigerait
à l’avenir le continent européen 9.
Face aux ambiguïtés de la politique d’accommodation, le développe-
ment de la résistance civile connut une longue et difficile maturation.
10. Article « Johannes Post », dans The Encyclopedia of the Righteous among
the Nations. Rescuers of Jews during the Holocaust. The Netherlands, volume 2,
Jérusalem, Yad Vashem, 2004, p. 607-608 ; Lammert Huizing, Zij konden niet
anders..., op. cit., p. 14 et 47.
11. Jo Schonewille, J. Engels et J. van der Sleen, Nieuwlande 1940-1945...,
op. cit., p. 35-36 ; Christophe de Voogd, Histoire des Pays-Bas, op. cit.,
p. 206-207.
12. Article « Arnold Douwes », dans The Encyclopedia of the Righteous...,
op. cit., volume 1, p. 223-224.
462
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
13. Lammert Huizing, Zij konden niet anders..., op. cit., p. 36.
14. Jo Schonewille, J. Engels et J. van der Sleen, Nieuwlande 1940-1945...,
op. cit., p. 14-16 ; Yad Vashem, Dossier 1148/1, Témoignage de Max Nico
Léons, p. 18.
15. Lammert Huizing, Zij konden niet anders..., op. cit., p. 8 ; Jo Schonewille,
J. Engels et J. van der Sleen, Nieuwlande 1940-1945..., op. cit., p. 14-15 et
108-110.
463
Nieuwlande, pays sauveteur (1941/1942-1945)
29. Lammert Huizing, Zij konden niet anders..., op. cit., p. 23 ; Yad Vashem,
Dossier 1148/1, Témoignage de Max Nico Léons, p. 14.
30. Article « Hemke and Frederika van der Zwaag », dans The Encyclopedia of
the Righteous..., op. cit., volume 2, p. 865-866.
468
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
36. The Encyclopedia of the Righteous..., op. cit., volume 1, p. XXVI. Sous
l’occupation allemande, le florin s’échangeait contre 1,32 reichsmark (RM), et
le RM du début des années 1940 équivaut à peu près à 10 de nos actuels euros.
37. Yad Vashem, Dossier 1148/1, Témoignage de Max Nico Léons, p. 15.
38. Le réseau d’Arnold Douwes assura à l’intérieur de cette aire géographique
le sauvetage de 120 à 200 enfants et adultes juifs selon l’estimation fournie
par Yad Vashem, mais il ne semble pas avoir constitué la seule organisation
de sauvetage active à l’intérieur de cette zone : R. Norden, réfugié à Nieuwlande
puis à Nieuw Amsterdam, souligne en effet que la résistance ne se limita pas
au seul mouvement calviniste Trouw, mais qu’un sauveteur de ses amis appar-
tenait à une organisation « plus socialiste ». Yad Vashem, Dossier 1148/2,
Aérogramme de R. Norden du 14 novembre 1985.
470
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
46. Yad Vashem, Dossier 1148/1, Témoignage de Max Nico Léons, p. 21.
47. Lammert Huizing, Zij konden niet anders..., op. cit., p. 41.
473
Nieuwlande, pays sauveteur (1941/1942-1945)
48. Lammert Huizing, Zij konden niet anders..., op. cit., p. 46.
49. Jo Schonewille, J. Engels et J. van der Sleen, Nieuwlande 1940-1945...,
op. cit., p. 120-122.
50. Article « Arnold Douwes », art. cité, p. 224.
Chapitre 28
SURVIVRE DANS LA CLANDESTINITÉ
LE « BUND » DANS L’ALLEMAGNE NAZIE
Mark ROSEMAN
2. Histoire de Marianne Ellenbogen née Strauss, dans Mark Roseman, The Past
in Hiding, Londres, Allen Lane, 2000.
3. Eva Fogelman, Conscience and Courage : The Rescuers of the Jews during
the Holocaust, New York (N. Y.), Anchor Books, 1994 [1re éd.] ; Eva Fogelman
et Valerie Lewis Wiener, The Few, the Brave, the Noble, Washington (D. C.),
Psychology Today, 1985 ; Ellen Land-Weber, To Safe a Life : Stories of Holo-
caust Rescue, Urbana (Ill.), University of Illilois Press, 2000 ; Kristen
R. Monroe, The Hand of Compassion : Portraits of Moral Choice during the
Holocaust, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 2004 ; Samuel P. Oliner
et Pearl M. Oliner, The Altruistic Personality : Rescuers of Jews in Nazi Europe,
New York (N. Y.), The Free Press, 1988 ; Nechama Tec, Dry Tears : The Story
of a Lost Childhood, Westport (Conn.), Wildcat Publishing Company, 1982 ;
Nechama Tec, Resilience and Courage. Women, Men, and the Holocaust, New
Haven (Conn.), Yale University Press, 2004.
4. Samuel P. Oliner et Kristen R. Monroe, par exemple, ont effectué leur travail
sur le sauvetage dans le sillage de projets de recherche plus généraux sur
l’altruisme. Cf. Kristen R. Monroe, The Heart of Altruism : Perceptions of a
Common Humanity, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 1998 [1re éd.
poche].
477
Survivre dans la clandestinité
5. Bob Moore, « The Rescue of Jews in Nazi-Occupied Belgium, France and the
Netherlands », Australian Journal of Politics and History, 50 (3), 2004 ; Gunnar
S. Paulsson, Secret City : The Hidden Jews of Warsaw, 1940-1945, New Haven
(Conn.), Yale University Press, 2002.
478
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
7. « Wer die bescheidenste Erkenntnis ins Leben umsetzt, ist der Wahrheit
näher, als wer die erhabenste nur erforscht und verkündet », dans Der Bund.
Orden für sozialistische Politik und Lebensgestaltung, Essen-Stadtwald, Verlag
des Bundes, 1929, p. 41.
8. Archives de l’école Dore-Jacobs (ADJS), « Der Bund. Eine sozialistische
Lebens – und Kampfgemeinschaft im Industriegebiet », brochure, s. l. s. d.
480
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Après la nuit de Cristal, le Bund révéla sa vraie nature. Pour rendre visite
à une riche famille juive dans son appartement détruit, un de ses membres,
Tove Gerson, avait dû traverser une foule vociférante.
Lorsque les déportations commencèrent, le Bund prêta toute l’assis-
tance qu’il pouvait à ceux qui devaient partir pour Lublin, Minsk ou
Riga, les aidant à porter leurs bagages, leur offrant un soutien psycho-
logique et leur envoyant des colis dans les ghettos. En 1983, la WDR,
une station de radio allemande, a diffusé un extrait émouvant de la
correspondance qu’échangèrent Trude Brandt, déportée de Poznan en
Pologne en 1939, et Lisa Jacob qui, avec l’aide d’autres membres du
Bund, lui fit régulièrement parvenir des colis de nourriture et de vête-
ments 12. Par la suite, on ne put plus envoyer de colis qu’à Theresienstadt.
Comme Marianne Strauss le constata, le Bund s’adressa également aux
bureaux communautaires des différentes localités, fournissant des aliments
secs et d’autres articles qui n’étaient pas soumis au rationnement 13.
La plupart des membres juifs du Bund réussirent à quitter le pays
avant la guerre. Tove Gerson, qui avait épousé un demi-juif, quitta
l’Allemagne pour les États-Unis en 1939. Erna Michels se cacha en
Hollande. Dore Jacobs, grâce à sa situation maritale (« couple mixte
privilégié »), était temporairement à l’abri de la déportation. Le groupe
eut à relever un vrai défi en avril 1942, quand Lisa Jacob se retrouva
sur la liste de déportation pour Izbica. Depuis longtemps, le Bund se pré-
parait à cette éventualité. Lisa fut cachée dans différents lieux, nourrie
et soutenue par les autres membres du Bund pendant trois ans. Comme
Marianne Strauss, cachée par le groupe pendant vingt mois, une certaine
Eva Seligmann trouva un asile provisoire dans le Blockhaus, le siège du
Bund. Hannah Jordan, une demi-juive, fut protégée par des contacts du
Bund. Dore Jacobs fut directement menacée après septembre 1944 quand,
non sans incohérence, le régime commença à déporter les membres juifs
de couples mixtes. Au total, le groupe sauva sans doute huit juifs et
demi-juifs 14.
Dans l’ensemble, ceux qui bénéficièrent de cette protection ne furent
pas « cachés » à proprement parler. Il serait plus juste de dire qu’ils quittè-
rent discrètement leur vie et leur lieu de résidence antérieurs et prirent
de nouvelles identités. Les dimensions réduites des logements des membres
Engagement et succès
Comment expliquer l’engagement du Bund et son succès ? Un facteur
majeur fut, de toute évidence, la place importante qu’y occupaient les
juifs, lesquels avertirent l’organisation des dangers de la pensée raciste
völkisch bien avant la prise du pouvoir par les nazis. Après 1933, les
amis et les parents de membres du Bund découvrirent directement la
réalité de la politique nazie. Les études ont régulièrement mis l’accent
20. Samuel P. Oliner et Pearl M. Oliner, The Altruistic Personality..., op. cit.,
p. 115.
21. Stadtarchiv Essen (StAE), Bestand 626 Nachlaß Jacobs, journal d’Artur
Jacobs, 13 juin 1942.
22. Ibid., notices du journal de Jacobs, 18 septembre 1942, 30 octobre,
13 décembre.
23. Monika Grüter, Der Bund. Gemeinschaft für sozialistisches Leben : Seine
Entwicklung in den 20er Jahren und seine Widerständigkeit unter dem National-
sozialismus, Staatsexamensarbeit Universität Essen, 1988, p. 57.
24. « Ein Auslandsbrief », dans Dore Jacobs et Else Bramesfeld, Gelebte Uto-
pie..., op. cit., p. 116.
485
Survivre dans la clandestinité
28. Der Bund. Orden für sozialistische Politik und Lebensgestaltung, op. cit.,
p. 76-77.
29. Ibid., p. 83.
30. Ibid., p. 86.
31. « Redegefechten » et « demokratische Gleichmacherei » ; cf. Der Bund. Orden
für sozialistische Politik und Lebensgestaltung, op. cit., p. 84.
32. Dore Jacobs, dans la revue Sozialistische Jugend, 1928, p. 13 et suiv.
487
Survivre dans la clandestinité
35. Der Bund. Orden für sozialistische Politik und Lebensgestaltung, op. cit.,
p. 85.
36. Je remercie infiniment Martin Bauer pour nos conversations sur les paral-
lèles et les racines piétistes du Bund.
37. ADJS, Bund, « Dritter Auslandsbrief », 1947, p. 7.
489
Survivre dans la clandestinité
38. Entretiens avec Helmut et Helga Lenders (Düsseldorf), Kurt et Jenni Schmit
(Wuppertal), Alisa Weyl (Meckenheim), Ursul Jungbluth (Wuppertal), Friedl
Speer (Wuppertal).
490
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Aux yeux des historiens allemands de gauche qui participèrent dans les
années 1970 à la redécouverte de la résistance de gauche contre Hitler,
le Bund ne ressemblait pas à la résistance politique telle qu’ils l’enten-
daient. Le sauvetage de juifs fut marginalisé sous les traits d’une activité
localisée, de peu d’envergure ; son poids moral, la nature de la solidarité
de groupe, son statut de communauté d’amis plus que de parti politique,
tout cela empêchait l’organisation d’être prise au sérieux 39. Ce qui l’avait
aidée à échapper à la Gestapo conduisit également l’histoire à la négliger.
Quand Marianne et d’autres cherchèrent à faire reconnaître le Bund
par l’institut Yad Vashem, ils n’obtinrent pas gain de cause. Le modèle
de Yad Vashem est celui de l’individu vertueux et héroïque. Les autorités
de Jérusalem ne pouvaient donc pas reconnaître le groupe en tant que
tel ; elles devaient savoir exactement quels membres n’étaient pas juifs
et tenaient à définir précisément ce que chacun avait fait, afin de déter-
miner qui, au juste, il fallait reconnaître. C’était bien difficile à établir,
et ne pouvait qu’entraîner des divisions. En tout état de cause, le groupe
s’écartait trop du modèle du sauveteur institué par l’institut Yad Vashem.
Il fallut attendre plusieurs dizaines d’années pour que le Bund soit
reconnu publiquement et presque soixante ans pour que l’institut Yad
Vashem honore certains de ses membres en leur accordant le titre de
Justes parmi les nations 40.
39. Voir l’unique note en bas de page sur le Bund, dédaigneuse, dans Hans-
Josef Steinberg, Widerstand und Verfolgung in Essen, 1933-1945, Hanovre,
Verlag für Literatur und Zeitgeschehen, 1969, p. 23.
40. Grâce à de récentes interventions, un certain nombre de membres du Bund
ont enfin été reconnus comme Justes en 2005.
Chapitre 29
LES MUSULMANS DE MABARE
PENDANT LE GÉNOCIDE RWANDAIS
Emmanuel VIRET
Les faits décrits ici ne racontent pas l’histoire d’un « sauvetage », mais
celle d’une résistance active et violente aux tueries. En d’autres lieux,
les initiatives de sauvetage impliquèrent souvent des individus, les
marges contre leur norme, des interstices contre l’espace public. Rien de
tout cela à Mabare où la résistance aux massacres en fut l’envers et non
l’inverse. De part et d’autre, les mêmes dispositifs, les mêmes modes de
mobilisation, les mêmes canaux hiérarchiques locaux furent employés
pour protéger la colline ou s’en assurer la prise, défendre les populations
menacées ou contribuer à leur assassinat.
Le génocide des Rwandais tutsis qui toucha l’ensemble du pays en
un peu plus de trois mois, accompagné de l’élimination de toute opposi-
tion à la faction Power installée au pouvoir à Kigali, fut réalisé en une
dizaine de jours dans la région de Mabare. Au lendemain de l’assassinat
de Juvénal Habyarimana qui constitua son point de départ, le bourgmestre
de Bicumbi et les principales personnalités de la commune firent quadril-
ler le territoire, dirigèrent les bandes de tueurs et orientèrent les victimes
désignées vers des lieux publics pour se faciliter la tâche. À Bicumbi, le
nombre des victimes est estimé à plus de 15 000 personnes 3.
Il a souvent été dit qu’au cours du génocide, les musulmans rwandais
ont aidé les populations menacées à échapper à leurs bourreaux 4, au
moment même où prêtres et pasteurs devenaient parfois les instruments
des massacres. Rien ici ne contribue à cette idée : l’ensemble des habi-
tants de Mabare au-delà des musulmans prit part à sa défense, tandis
qu’à quelques kilomètres au Nord, les musulmans de Gahengeri pourtant
plus nombreux ne protégèrent pas les tutsis menacés. Pas plus qu’ils
n’adoptèrent une attitude générale et cohérente, les musulmans rwandais
n’exprimèrent d’intention univoque. Il en va de même à Mabare où
il serait impossible de trouver des motifs profonds et partagés par
l’ensemble de ceux qui, face à l’extension des massacres, mirent en jeu
leur vie. Mais le fait que les musulmans y furent les derniers à se battre,
à rester sur le champ de bataille au moment où la fuite devenait le seul
langage commun, indique pourtant l’existence de liens antérieurs à la
crise mais comme révélés par celle-ci. On ne reviendra pas ici sur
5. Voir José Hamim Kagabo, L’Islam et les « swahili » au Rwanda, Paris, Édi-
tions de l’EHESS, 1988.
6. Illustrée notamment par la plaisanterie suivante parue dans un journal
national proche du MDR (voir infra) au début des années 1990 : « Quatre pêchés
capitaux. Un homme se présente sur un chantier pour demander du travail.
Malchance : il est tutsi, musulman, adhérent du PL et originaire de Gitarama »,
Rukukoma, 1, 15 septembre 1991, p. 3.
7. Nicolas Mariot, « Les Formes élémentaires de l’effervescence collective, ou
l’état d’esprit prêté aux foules », Revue française de sciences politiques, 51 (5),
octobre 2001, p. 707-738.
8. Scott Straus, The Order of Genocide. Race, Power and War in Rwanda,
Ithaca (N. Y.), Cornell University Press, 2006, p. 225.
9. Albert O. Hirschman, Exit, Voice and Loyalty : Responses to Decline in
Firms, Organizations, and States, Cambridge (Mass.), Harvard University Press,
1970. Il s’agit des trois dispositions, des trois possibilités d’action qui se sont
présentées aux habitants de Mabare, que la crise en cours leur proposait en
quelque sorte. Rien de commun avec l’idée de « régression vers les habitus » (voir
Michel Dobry, Sociologie des crises politiques, Presses de Sciences Po, Paris,
1992, p. 239-259), laquelle évoque la réduction tendancielle des comporte-
ments des acteurs en temps de crise non à des possibilités limitées, mais aux
schèmes de perception, d’appréciation et d’action intériorisés par l’individu au
cours de son existence.
10. Voir Pierre Favre, « Y a-t-il un rapport ordinaire au politique ? », dans Jean-
Louis Marie, Philippe Dujardin et Richard Balme (dir.), L’Ordinaire. Mode
d’accès et pertinence pour les sciences sociales et humaines, Paris, L’Har-
mattan, 2002, p. 275-305, et Michel Dobry, Sociologie des crises politiques,
op. cit., p. 13-46.
494
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
du Coran, dite du Rang, dont la dernière strophe dit : « Nous avons sou-
tenu contre leurs ennemis ceux qui croyaient et ils ont remporté la
victoire. » On considère qu’Ansar Allah propose une interprétation plus
stricte du Coran que celle de l’AMUR.
Dans les premiers temps, les quatre jeunes convertis prièrent chez
eux, se rendant à Rwamagana pour juma, le vendredi. Les conversions
progressèrent par cercles concentriques : la famille, les voisins, puis les
protestants 19, et enfin les catholiques. On construisit en 1983 une petite
maison pour prier et accueillir un plus grand nombre de croyants. Rachid
Bagabo, l’un des quatre jeunes gens, en devint l’imam. En 1986, le
rapport communal indiquait trente fidèles pratiquants à Mabare. La
correspondance de la commune reste muette au sujet de l’islam, qui ne
semble digne d’intérêt qu’à partir du moment où il développe des asso-
ciations caritatives. Deux ans plus tard, une nouvelle mosquée était
construite à quelques dizaines de mètres de la maison de l’imam, grâce
à une cotisation des croyants et une aide venue de Rwamagana.
Les familles musulmanes vivent dispersées sur l’ensemble du secteur,
mais la plupart d’entre elles et les plus influentes habitent à Rusanza,
près de l’endroit où la mosquée a été construite. Il n’existe pas de chiffres
relatifs à l’appartenance ethnique des musulmans de Mabare 20. La conver-
sion en milieu rural n’implique certes pas la rupture totale qui conjugue
adhésion à l’islam et installation en ville, mais redéfinit la place de
chacun et sa vie sur la colline : apprentissage de l’arabe, même limité,
changement de nom, et surtout modification de la représentation que
peut prendre la parenté aux yeux de tous. Le parrain en conversion, s’il
ne remplace pas le père à la première génération, s’y substitue à la
seconde, en devenant l’équivalent du grand-père des enfants du converti.
Ce glissement n’est pas anodin, dans la mesure où il redessine jusqu’aux
contours de la famille la plus proche, le rugo. De la même manière
que dans l’espace un foyer est ceint de tiges sèches qui le protègent et
l’affirment, cette famille nucléaire s’inscrit dans un ensemble plus vaste,
qui ne repose pas seulement sur des liens de parenté (umulyango).
19. « Les protestants étaient les plus fragiles » (entretien, Mabare, 27 juillet
2006) ; « Les prêtres et les pasteurs s’étaient relâchés, ils vivaient au dessus
des gens. Étaient visés ceux qui, à la messe, trainaient les pieds » (entretien,
Kigali, 16 juillet 2006).
20. Les musulmans interrogés pendant les entretiens ont d’une manière géné-
rale mis en avant le fait qu’il y avait autant de pratiquants hutus que tutsis.
Les membres d’autres confessions ont parfois indiqué que comparativement, les
tutsis étaient plus représentés au sein de l’islam que parmi les autres religions.
497
Les musulmans de Mabare pendant le génocide rwandais
26. Il s’agit ici de l’activité normale des partis politiques, et non de leurs mou-
vements de jeunesse, transformés en milices, qui ne s’implantèrent pas à
Mabare.
27. La consommation de bière est un élément fondamental de socialisation au
Rwanda. Cf. Danielle de Lame, A Mill among a Thousand, Transformations and
Ruptures in Rural Rwanda, Madison (Wis.), The University of Wisconsin Press,
2005 p. 303-340.
28. On parle de kubohoza, verbe kinyarwanda signifiant « libérer » dont l’emploi
ironique désignait le recrutement forcé d’adhérents organisé par le MDR (mais
pas seulement) essentiellement vis-à-vis de l’ancien parti unique MRND ;
cf. Alison Des Forges (dir.), Aucun témoin ne doit survivre, Paris, Human
Rights Watch-Karthala, 1999, p. 69-71. Une autre interprétation rattache le
verbe à son étymologie : kuboha, c’est-à-dire lier, attacher la paille qui vient
d’être coupée, ou les bras d’un criminel. Ainsi kubohoza signifierait délier les
liens anciens, par exemple les anciens liens de clientèle (Danielle de Lame,
communication personnelle).
499
Les musulmans de Mabare pendant le génocide rwandais
« À Gatare, nous ne savions pas que les assaillants venaient tuer les
tutsis. Je ne peux pas accepter que les musulmans aient défendu la
société. Tout le monde se battait. Nous nous battions contre les kiga.
Et beaucoup d’entre eux s’étaient installés à Rubona, d’où venaient
les assaillants 40. »
38. Ainsi, un tiers des 85 postes les plus importants de l’État échut à des
individus originaires de Gisenyi, région dont le président de la République, Juvé-
nal Habyarimana, était originaire. Cf. Filip Reyntjens, L’Afrique des Grands
Lacs en crise. Rwanda, Burundi : 1988-1994, Paris, Karthala, 1994, p. 33.
39. La phrase attribuée au colonel Théoneste Bagosora, principal organisateur
du génocide, lors de la formation du gouvernement intérimaire après l’assassinat
de Juvénal Habyarimana, « La guerre aux bakiga, la politique au banyaduga »,
illustre la surreprésentation des éléments nordistes dans les forces armées rwan-
daises ; cf. André Guichaoua, Rwanda 1994. Les politiques du génocide à
Butare, Paris, Karthala, 2005, p. 63.
40. Entretien, Mabare, 28 juillet 2006.
41. MRND, hutu, adventiste.
42. Entretien, Mabare, 19 juin 2006.
43. Entretien, Mabare, 28 juillet 2006.
44. « Il y a même eu un adolescent tutsi. Il ne s’était pas rendu compte. Il a
suivi Naason et il a été tué plus tard, de l’autre côté » (entretien, Mabare,
28 juillet 2006).
502
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
45. « Ceux qui sont restés dans la mosquée avaient déjà accepté de mourir »
(entretien, Mabare, 19 juillet 2006).
46. Pour une démonstration magistrale et absurde, voir Patrick Ourednik, Euro-
peana, une brêve histoire du XXI e siècle, Paris, Éditions Allia, 2004.
47. L’attention portée à ces micro-événements peut à la limite constituer uni-
quement une rationalisation a posteriori, autorisant l’enchaînement des faits
et permettant leur récit : « Les rationalisations a posteriori ne doivent pas faire
perdre de vue, par quelque illusion réaliste, que l’événement déclencheur se donne
dans la configuration d’un récit », Daniel Cefaï, Pourquoi se mobilise-t-on ? Les
théories de l’action collective, Paris, La Découverte-Mauss, 2007, p. 144.
503
Les musulmans de Mabare pendant le génocide rwandais
48. Ainsi, le 28 août 2005, lors d’un mariage entre deux membres d’Ansar
Allah, l’AMUR fit irruption pour en empêcher la lecture et les policiers du
secteur durent intervenir pour mettre fin au pugilat qui s’en suivit.
504
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
tirées d’un seul cas de génocide, nous avons misé sur la comparaison
de trois génocides. Ces décentrements successifs, du sujet vers les déter-
minants objectifs, et du seul génocide des juifs vers un ensemble de trois
cas, nous ont permis d’avancer dans la définition des actes de sauvetage.
Comme l’indique Jacques Sémelin dans l’introduction de cet ouvrage,
l’acception traditionnelle des mots « sauvetage » et « sauveteur » peut
paraître mal adaptée aux actions qui accompagnent le refus du génocide.
Le caractère ponctuel, unique et décisif du sauvetage en mer par une
équipe de sauveteurs s’applique mal à une chaîne d’actes individuels
accomplis parfois sans visibilité de la situation d’ensemble, et dans
laquelle les différents acteurs ignorent souvent les maillons qui les pré-
cèdent ou les suivent. Le caractère segmenté et étalé dans le temps du
sauvetage des êtres menacés de génocide donne au sauvetage un sens
nouveau. Pris dans cette seconde et nouvelle acception, ce terme est plus
adapté que celui d’aide, trop faible, ou de sauveur, trop connoté par la
religion. Nous avons donc adopté ce néologisme de sens.
tués sur place avec leurs huit hôtes. Le dénonciateur, membre de la police
polonaise, avait auparavant caché certains des juifs qui se trouvaient
dans la ferme. De sauveteur, il était donc passé dans le camp des bour-
reaux. Et cela lui avait été possible en raison de l’imprudence de ses
anciens protégés qui avaient continué d’entretenir des relations avec lui
après qu’il les eut chassés lorsque le danger de la répression s’était accru.
Il fut exécuté par la Résistance polonaise en septembre 1944. En sens
inverse, les persécutés sont dans la dépendance du sauveteur et de son
habileté à cacher sa nouvelle maisonnée. Comment tenir secrète l’aug-
mentation des achats de nourriture nécessités par ces hôtes clandestins ?
Les villageois de Markowa avaient certainement remarqué l’ampleur nou-
velle des achats de la fermière, sans parler de l’augmentation du nombre
de peaux tannées par le fermier. Ces témoins se sont-ils tus ? Pour les
dix-sept autres juifs du village qui y ont survécu cachés (sur une popula-
tion juive initiale d’environ cent vingt personnes), on peut l’affirmer.
Cet exemple suggère à la fois une limite et un élargissement possibles
du corpus des sauveteurs. En premier lieu, l’opposition bourreau/sauve-
teur n’est pas absolue. Dans le cadre du génocide arménien, à Mardin
notamment, on a aussi constaté des cas d’inversion du comportement.
À la bienveillance et à la protection peut succéder, sous la pression des
événements ou d’une menace précise, et parfois même sans raison identi-
fiée, la dénonciation, voire le meurtre. C’est peut-être le génocide rwandais,
souvent perpétré par des civils sur d’autres civils, qui a suscité le plus
de sauveteurs-tueurs. Le sauveteur n’est donc pas forcément doté d’une
« personnalité » stable. Inversement, le bourreau par position, comme tout
Allemand sous uniforme dans l’Europe occupée, n’agit pas nécessairement
dans le sens attendu. Gunnar Paulsson signale des cas de sauvetages
en nombre réalisés par des Allemands en Pologne. Tout magistrat ou
fonctionnaire, d’autorité ou non, ne peut pas non plus être rangé sans
précaution dans la catégorie des bourreaux. Sa position lui permet de
prévenir les victimes de l’imminence de l’arrestation, et de ralentir ou
limiter l’exécution des ordres sous divers prétextes. Dans le vilayet de
Diarbékir, en 1915, près de la moitié des sous-préfets ont été tués ou
démis de leurs fonctions pour avoir résisté aux ordres d’exécution et de
déportation. Dans la France de Vichy aussi, des policiers, des préfets et
des maires ont tenté de limiter le nombre des déportés. À Nancy, en
juillet 1942, une équipe de policiers a prévenu les 400 juifs de la ville
de la rafle imminente. Le chef du bureau des étrangers du commissariat
de police et son adjoint ont reçu de Yad Vashem le titre de Juste parmi
les nations. Même au Rwanda, où le génocide eut la soudaineté d’un
510
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Élargir la notion
L’histoire de Markowa souligne aussi l’importance du rôle du témoin.
C’est l’un des apports de cet ouvrage que de rompre avec la vulgate qui
tend à faire de la triade « bourreau-victime-témoin » la clé de compréhen-
sion des génocides, en faisant peser sur le « témoin » la coresponsabilité
du crime. Dans ce cadre de pensée, le témoin finit par désigner l’ensemble
de la population non victime du génocide. Cette simplification vient
peut-être d’un usage erroné du titre de l’ouvrage de Raul Hilberg, Exécu-
teurs, victimes, témoins 5. Dans les témoins, Hilberg inclut pourtant les
sauveteurs. En fait, le sauvetage s’analyse dans une relation quadrangu-
laire entre le bourreau, la victime, le sauveteur et le témoin. Le témoin
est celui qui sait – ce qui limite déjà le champ de cette catégorie –, sans
être partie prenante de l’action. Il a vu passer des pourchassés ou il sait
que telle ou telle maison en abrite certains. Selon qu’il se tait ou qu’il
parle, il se place dans le camp des bourreaux ou dans celui des sauve-
teurs. Ici intervient une donnée sociopolitique variable selon les pays,
la propension à s’adresser aux autorités pour signaler des infractions
constatées. L’acte de dénonciation qui est valorisé dans certaines cultures
nationales est dévalorisé dans d’autres. Les traditions de contrebande ou
de fraude, les habitudes diverses d’indiscipline citoyenne peuvent faci-
liter une certaine loi du silence qui vient au secours des persécutés et
de leurs aides. Puisque le témoin détient ainsi un pouvoir décisif dans
le processus du sauvetage, le cercle de la société impliquée dans celui-
ci se trouve considérablement élargi. La frontière entre les sauveteurs et
les témoins silencieux n’est pas tranchée.
Le sauvetage,
produit de la société ordinaire ?
soit les effectifs examinés sont trop modestes 6. L’étude la plus fine
demeure celle de Nechama Tec 7. Limitée aux sauveteurs altruistes de
Pologne, son analyse conclut à l’hétérogénéité de ceux-ci en termes de
classe sociale, de niveau d’instruction, d’engagement politique, de
croyance religieuse et même de degré d’antisémitisme. Aucun des para-
mètres usuels de la prédictibilité des comportements sociaux ne lui paraît
déterminant. En l’état actuel des connaissances, cette voie de compré-
hension est une impasse, et l’extrême diversité des sauveteurs rencontrés
dans le présent ouvrage semble confirmer le constat.
L’économie du sauvetage pourrait-elle étayer un savoir plus cons-
truit ? Le financement des réseaux de sauvetage est jusqu’à présent assez
mal étudié, mais, entrepris systématiquement, il ferait apparaître les
forces sociales, locales ou internationales, qui se sont attachées à la
protection des persécutés. Les Églises et les ordres religieux ont joué un
rôle, notamment. Dans l’Empire ottoman, Beatrice Rohner, missionnaire
suisse d’un ordre protestant allemand, monta à Alep, au prix de mille
difficultés, un orphelinat et un service d’assistance aux arméniens. Elle
recevait des fonds de son ordre, mais aussi du Protestant American Board
of Commissioners of Foreign Missions, du tout récent Near East Relief,
et du Comité de secours de Bâle : toutes organisations qui, insérées dans
leurs sociétés respectives, représentaient des forces financières. On peut
aussi s’interroger sur le mode de financement de l’hébergement offert
par l’Église ou certains ordres religieux en France, durant la Seconde
Guerre mondiale. Par exemple, le diocèse de Nice a-t-il pris sur ses fonds
lorsque Mgr Rémond donna instruction aux établissements catholiques
de son ressort de cacher les quelque 500 enfants du réseau Abadi ?
L’approche par les finances réinsère l’analyse du sauvetage dans la
société préexistante. Ainsi le Joint, l’American Jewish Joint Distribution
Committee qui existait depuis 1914 comme organisation d’aide aux juifs
de l’étranger, a-t-il puissamment contribué à financer l’hébergement
clandestin des juifs en France. De même l’American Friends Service
Committee, une organisation caritative quaker qui était déjà intervenue
en Europe pendant la Première Guerre mondiale, a fourni une importante
aide matérielle et morale aux juifs réfugiés ou internés en zone sud.
6. Lucien Lazare, Le Livre des Justes. Histoire du sauvetage des juifs par des
non-juifs en France, 1940-1944, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1996 ; Samuel
P. Oliner et Pearl M. Oliner, The Altruistic Personality, op. cit., p. 279 et 325.
7. Nechama Tec, « Qui a osé sauver des juifs et pourquoi ? », chapitre 6 du
présent ouvrage, et When Light Pierced the Darkness : Christian Rescue of Jews
in Nazi-Occupied Poland, Oxford, Oxford University Press, 1986.
514
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
La société du sauvetage,
une société du risque
Il reste à examiner ce qui pourrait constituer la spécificité du sauve-
teur : l’acceptation d’un risque parfois ou souvent mortel, pour lui et sa
famille. Le risque encouru était vital et flagrant durant le génocide rwan-
dais qui était parfois commis au porte-à-porte par des milices et des
forces armées, avec la complicité d’indicateurs locaux. Le danger était
aussi mortel et patent dans l’Europe nazie de l’Est. Il devint sérieux aux
Pays-Bas, lorsqu’à partir du second semestre 1943, les sauveteurs furent
menacés de six mois de camp de concentration. Il l’était moins en France,
sauf par endroits, comme dans le Dauphiné entre septembre 1943 et mars
1944, lors de l’action Brunner. Et il fut souvent mortel pour les sujets
de l’Empire ottoman. Mais même lorsque le risque n’était pas vital, ou
n’était pas perçu comme tel, le fait d’enfreindre la politique de l’État
en « recelant » des fugitifs représentait une transgression notable, qui en
entraînait d’autres destinées à assurer le ravitaillement et les soins dus
aux hébergés. C’est probablement la dimension du risque qui réunit le
plus grand nombre de sauveteurs, avec l’appréhension qu’elle engendre
et qu’ils ont surmontée par des comportements variés allant de l’intéres-
sement au désintéressement et au sacrifice.
Il serait excessif de parler d’une « société du sauvetage » ou d’une
« société du risque » si le mot « société » devait évoquer un milieu stable
et enraciné. Mais, incluant les sauveteurs et les persécutés, la société du
sauvetage est aussi une société du risque à un autre titre. Le risque ne
8. Sergey A. Kizima, « If One Minority Helps the Other One. The Example
of Tatars and Jews during the Nazi Occupation in Belarus », communication
au colloque Pratiques de sauvetages en situations génocidaires. Perspectives
comparatives, Paris, Sciences Po, décembre 2006.
516
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
se limite pas à la seule prise de risque par les sauveteurs ou par les per-
sécutés. Les uns comme les autres ont une connaissance, une prescience,
voire un simple pressentiment, du risque majeur qui les menace ensemble :
la destruction active de l’humanité comme principe. Une perception nette
ou confuse de la catastrophe en cours les réunit à un moment où leur
clairvoyance ou leur sensibilité n’est pas universellement partagée. Il y
a société du risque au double sens du terme.
Cette recherche collective et comparée a réinséré le sauveteur dans
une société et dans l’épaisseur de l’histoire. Il est clair que le sauveteur
modèle, celui qu’on appelle parfois le « Juste », n’est pas le seul de sa
catégorie, loin de là. Il ne s’agit pas, cependant, de « déconstruire le
mythe du sauveteur » car, si mythe il y a, il se fonde sur la répétition
effective d’un phénomène, le sacrifice d’individus qui ont préféré encou-
rir la mort plutôt que de laisser détruire le principe d’humanité. Les
exemples exemplaires fourmillent en ce sens dans les trois génocides.
Le cas de Sula Karuhimbi est déjà connu, mais nous le mentionnerons
ici car il montre l’universalité du principe de sauvetage par-delà les fron-
tières nationales, économiques, sociales ou culturelles. Cette vieille femme
de 75 ans, modeste guérisseuse à Musamo, un hameau du Rwanda,
réussit à cacher dans son étable une vingtaine de tutsis sur la durée
du génocide, malgré les menaces répétées de bandes de tueurs. Elle les
chassait en les menaçant d’attirer sur eux les esprits malfaisants. Même
les offres d’argent ne la firent pas changer d’avis 9. Si le nombre des
victimes de la répression du sauvetage n’est pas connu et si la grande
majorité des sauveteurs des trois génocides a vraisemblablement survécu,
il est de fait que le sauveteur ou la sauveteuse idéal(e), désintéressé(e)
et humain(e) jusqu’au sacrifice de sa vie, a bien existé. Il ou elle repré-
sente la civilisation, fût-elle archaïque ou moderne, rurale ou industrielle.
Mais il faut bien conclure que l’équation du sauveteur reste à décou-
vrir. Ni essentiellement bon puisqu’il peut changer de rôle brutalement
ou profiter sans vergogne de sa situation, ni seul auteur de son action
puisque le sauvetage s’accomplit dans une configuration sociale complexe,
ni socialement prédéterminé, le sauveteur reste-t-il indéfinissable ? Plu-
tôt qu’une catégorie, l’ensemble des sauveteurs ressemble à ce que les
statisticiens appellent un phénomène stochastique, dont le déterminisme
n’est pas absolu et qui provient pour partie du hasard, comme par exemple
le hasard de s’être trouvé sur le chemin d’une victime. Bien qu’aucun
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258, 259, 261-272, 274-282, 287, 193, 213, 214, 399, 400
288, 289, 291-299, 305-324, 327, Kharpout : voir Kharpert (Empire
379-382, 411, 412, 416, 422, 426, ottoman)
429, 435, 436, 438, 439, 443, 444, Kigali (Rwanda) : 18, 168, 173, 350,
446, 449, 450, 451, 453, 454, 477, 351, 352, 354, 355, 357, 368, 375,
507, 508, 509, 511, 513, 514, 515 492, 493, 495, 500
Frise (Pays-Bas) : 457, 465, 466 Kigembe (Rwanda) : 361-367, 369-375
Konya (Empire ottoman) : 215, 216,
Genève : 238, 241, 242, 243, 251, 254, 217, 386
256, 260-264, 269, 271-275, 317, Kurdistan (Empire ottoman) : 400, 407
416 Kütahya (Empire ottoman) : 216
Gikongoro (Rwanda) : 18, 362, 363,
364, 369 La Haye : 459,
Gishamvu (Rwanda) : 361-370, 373, Le Chambon-sur-Lignon (France) : 22,
374, 375 30, 80, 114, 118, 379, 382, 445,
Giti (Rwanda) : 167, 347-352, 354, 454-457, 511
356, 357 Léman (lac, Suisse/France) : 254
Göttingen (Allemagne) : 479 Lisbonne : 264, 268, 269, 271, 312,
Grenoble (France) : 80, 99, 183, 292, 320, 321, 323
293, 297-302 Londres : 58, 74, 103, 105-108, 110,
Gueldre (Pays-Bas) : 457, 469 326, 337, 417, 460, 469
Gulié (Empire ottoman) : 405 Lublin (Pologne) : 481
Lyon (France) : 79, 287, 317, 380, 420,
423, 439, 440, 444
Hakkâri (Empire ottoman) : 407
Hambourg (Allemagne) : 479
Harpout : voir Kharpert (Empire Mabare (Rwanda) : 379, 380, 491-504
ottoman) Maïdanek (Pologne) : 17, 250
Hongrie : 84, 247, 261, 276, 325, 326, Malatia (Empire ottoman) : 214
330-342, 451, 452 Malines (Belgique) : 17, 257
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Marache (Empire ottoman) : 16, 383, Paris : 17, 47, 58, 78, 103, 105, 107,
385-388, 390, 393-396, 398 109, 137, 142, 144, 260, 261, 263,
Marburg (Allemagne) : 478 265, 281, 301, 310, 381, 383, 385,
Mardin (Empire ottoman) : 16, 211, 416, 418, 419, 425-431, 433, 438-
212, 379, 399-408, 509 444
Marseille (France) : 19, 291, 307, 310, Pays-Bas : 44, 45, 50, 76, 80, 84-89,
314, 317, 423, 444 93-97, 182, 277-283, 285-290, 379,
Marsovan (Empire ottoman) : 197 380, 411, 457, 459-464, 471, 477,
Maurice (île) : 331 515
Megève (France) : 256, 257 Pignerol (Italie) : 454
Mésopotamie (Empire ottoman) : 188, Pologne : 24, 28, 38, 44, 45, 49, 76, 77,
201, 207, 208, 401, 402, 407, 514 80, 84, 91, 125, 147, 182, 260-263,
Metz Yeghern (Empire ottoman) : 186, 268, 276, 286, 331, 413, 429, 475,
187 481, 509, 513
Minsk (URSS) : 17, 261, 481 Portugal : 264, 267
Montauban (France) : 106
Mossoul (Empire ottoman) : 16, 401, Ras ul-Aïn (Empire ottoman) : 16, 219,
405, 406, 407 405-408, 514
Mouch (Empire ottoman) : 16, 194 Ras ul-Ayn : voir Ras ul-Aïn (Empire
Mparamirundi (Burundi) : 367 ottoman)
Mubuga (Burundi) : 362, 367, 374 Reich : 24, 29, 76, 183, 240, 242, 252,
Mugesera (lac, Rwanda) : 18, 494, 495, 282, 292, 392, 415, 458, 460, 461,
499, 501 464, 465, 466, 472, 488
Mureke (Burundi) : 367, 368 Riga (Lettonie) : 17, 481
Musa Dagh (Empire ottoman) : 190 Rome : 17, 148, 149, 150, 152, 154,
Musambira (Rwanda) : 347, 351-354, 159, 160, 401
356, 357, 358 Rotterdam (Pays-Bas) : 459, 466
Royaume-Uni : 75
New York : 263, 264, 267, 307, 321, Runyinya (Rwanda) : 364, 369, 374
443 Russie : 17, 135, 226, 259, 260, 336,
Ngoma (Rwanda) : 364, 366, 375 337, 342, 399
Nice (France) : 292-295, 297, 300, 314, Rwanda : 18, 21, 23, 38, 39, 43, 167,
315, 423, 513 168, 170, 172, 182, 244, 345-348,
Nieuwlande (Pays-Bas) : 379, 380, 445, 350, 353, 356, 358, 359, 361, 362,
454, 457-473 367-370, 373, 379-382, 493, 495,
Nisibe (Empire ottoman) : 405, 406, 500, 501, 509, 514, 515, 516
407
Nkomero (Rwanda) : 361, 363, 366 Sassoun (Empire ottoman) : 194, 195,
Nord - Pas-de-Calais (France) : 77, 444 196
Nyakizu (Rwanda) : 364, 369, 371 Savour (Empire ottoman) : 405
Nyumba (Rwanda) : 361, 364, 366 Sebastia (Empire ottoman) : 198, 199
Sindjar (Empire ottoman) : 379, 399,
Ouganda : 169, 331 405, 407, 408, 514
Ourfa (Empire ottoman) : 386, 387, Sivas (Empire ottoman) : 16, 197, 209,
393 399, 400
552
LA RÉSISTANCE AUX GÉNOCIDES
Smyrne/Izmir (Empire ottoman) : 16, Varsovie (Pologne) : 17, 125, 326, 477,
189, 217, 390 508
Sobibor (Pologne) : 17, 464 Vaudoises (vallées, Piémont, Italie) :
Stanoz (Empire ottoman) : 215 449, 453, 454
Suisse : 29, 75, 183, 238, 239, 241, Vichy (France) : 27, 28, 77, 78, 80, 99,
242, 243, 247-258, 261, 263, 269- 103-106, 111, 112, 114, 115, 137,
273, 295, 296, 310, 312, 316, 317, 183, 253, 254, 259, 264, 268, 269,
319, 321, 382, 385, 398, 417 270, 282, 283, 291, 296, 300, 307,
311, 324, 381, 411-415, 418, 425,
Taba (Rwanda) : 347, 351, 354-357 435, 509
Taron (Empire ottoman) : 202 Voves (France) : 133
Theresienstadt (Tchécoslovaquie) : 17,
94, 476, 481 Walzenhausen (Suisse) : 398
Torre Pellice (Italie) : 453 Westerbork (Pays-Bas) : 17, 464, 470
Tortum (Empire ottoman) : 209 Wüstenroth (Allemagne) : 394, 398
Toulouse (France) : 106, 287, 444
Trébizonde (Empire ottoman) : 16, 209, Zeytoun (Empire ottoman) : 201, 386,
399, 406 396
Tur Abdin (Empire ottoman) : 401, Zone libre (France) : 78, 79, 99, 138,
402, 407 181, 264, 266-270, 279, 287, 291,
293, 296, 310, 313, 314, 382, 412,
Valais (Suisse) : 254 414, 416, 417, 419-421, 423, 424,
Van (Empire ottoman) : 16, 62, 192, 439, 441, 507, 513
209, 211, 218, 230, 399, 400, 401 Zone sud : voir Zone libre (France)
Domaine Histoire
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