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 Un modèle d'alerte précoce de difficultés bancaires pour les

pays émergents
 Faouzi Abdennour, Siham Houhou
https://www.cairn.info/revue-economie-internationale-2008-2-page-69.html

L ’évolution de l’environnement des établissements bancaires nécessite une adaptation des


autorités prudentielles et de leurs méthodes de suivi des risques. Cela confère au processus de
supervision bancaire un rôle primordial dans la stabilité des systèmes bancaires. Le nouvel
accord sur l’adéquation du capital dit Bâle II, à travers son pilier II dont l’objet est d’établir un
processus de surveillance prudentielle, confirme l’importance de cette problématique.

2Pour évaluer la fragilité des banques et identifier les établissements les plus vulnérables aux
risques, les organes de supervision disposent d’un large éventail d’instruments allant d’une
surveillance « on-site » à une surveillance « off-site ». La surveillance « on-site » consiste en un
examen qualitatif des banques au cas par cas. Les régulateurs se déplacent sur le site et effectuent
un examen détaillé de l’état financier de la banque. La surveillance « off-site » consiste en un
suivi et un examen d’informations purement statistiques provenant de documents et de données
fournis par la banque en question, ce qui permet aux analystes financiers de l’autorité de contrôle
de calculer les différents ratios financiers et d’estimer la probabilité de faillite de la banque.

3Ces dernières années ont vu le développement de modèles d’alertes précoces ou d’indicateurs


avancés des difficultés bancaires (early warning systems) par les autorités de supervision
bancaire. Ces modèles ont pour objet d’identifier rapidement les établissements dont la situation
financière apparaît préoccupante et mérite une attention particulière de la part des superviseurs et
cela via une analyse de la santé financière des banques.

4Dans le cadre de cette étude, nous proposons un modèle d’alerte précoce des difficultés
bancaires dans les pays émergents et excluons les défaillances bancaires. En effet, il est difficile
de prévoir les faillites des banques qui peuvent être dues à des facteurs externes (chocs externes,
contagion). Il sera bien plus utile de développer un outil qui permettra de prévoir quels
établissements feront face à des difficultés afin que les autorités puissent agir rapidement et
puissent prendre les mesures adéquates pour éviter les faillites bancaires.

5Par ailleurs, la prévision de la probabilité de faillite peut ne pas être appropriée pour les pays
émergents pour deux raisons :

 le nombre faible de faillites déclarées dans certains pays


émergents ; ceci s’explique par la stratégie du too big to fail,
mais également par la recapitalisation effectuée par les autorités
ou les organes d’assurance de dépôts ;
 la mauvaise qualité et le manque de données concernant les
banques en difficulté.

La spécificité de notre modèle d’alerte précoce des difficultés bancaires réside dans le fait qu’il
tient compte de la nature et de la qualité de l’environnement institutionnel et juridique dans
lequel opèrent les banques des pays émergents. Notre échantillon est formé uniquement de
banques de pays émergents [2][2]Pour la SFI (Société Financière Internationale), le concept….
L’intérêt pour ces pays est lié au fait que leur environnement institutionnel et juridique souffre de
nombreuses faiblesses. De plus, la majorité de ces pays ont connu, durant la période étudiée, des
difficultés bancaires qui ont occasionné des coûts de résolution de crises très importants.
6Les résultats de notre étude confirment que l’environnement juridique, réglementaire et
institutionnel influence la prise de risque de la part des banques. Un système d’alerte précoce de
difficultés bancaires incluant des variables financières type CAMEL mais aussi des variables
juridiques, réglementaires et institutionnelles est d’un grand intérêt dans le cas des banques des
pays émergents.

7Cet article expose d’abord une typologie des principaux systèmes d’alerte précoce utilisés dans
différents pays. Puis, il insiste sur le rôle des facteurs institutionnels, juridiques et réglementaires
dans l’explication des difficultés bancaires des pays émergents. Ensuite, il présente la
méthodologie et les résultats de l’analyse empirique. En conclusion, nous indiquons quelques
axes de recherches futures.

1 – Typologie des principaux systèmes de supervision

8L’objectif de ces modèles ou systèmes d’alertes précoces [3][3]L’annexe 1 décrit les principaux
systèmes de supervision… est de traduire les différents indicateurs de performance et de
solvabilité des banques en une estimation du risque de défaillance de la banque ou à l’attribution
d’une note qui permettra au régulateur d’identifier les établissements en difficulté dès les
premiers signes avant-coureurs. On recense dans la littérature empirique deux types d’approche :
l’approche paramétrique et l’approche non paramétrique.

1.1 – L’approche paramétrique


9Sahajwala et Van der Bergh (2000) dénombrent quatre catégories de systèmes d’évaluation du
risque utilisés par les autorités réglementaires des pays du G 10 :

 les systèmes de rating des banques (supervisory bank rating


systems) ;
 la peer analysis de ratios financiers (financial ratio and peer
group analysis systems) ;
 les systèmes d’évaluation exhaustifs ou complets des risques
bancaires (comprehensive bank risk assessments systems) ;
 les modèles statistiques (statistical models) appelés aussi early
warning systems (EWS).
La majorité des modèles statistiques (EWS) s’inscrit dans la typologie de type CAMEL(S).
CAMELS est un indicateur de santé financière des banques utilisé depuis le début des années
quatre-vingt par les autorités de supervision américaines (FDIC, OCC et la FED). La méthode
CAMELS consiste à évaluer chaque banque à partir de six critères et, sur cette base, à leur
attribuer une note. Ces six critères sont la solvabilité (capital adequacy), la qualité des actifs
détenus (asset quality), la qualité de gestion (management quality), l’aptitude à réaliser des
profits (earning ability), la trésorerie ou la liquidité (liquidity position) et la sensibilité au risque
de marché (sensitivity to market risk) [4][4]Ce dernier critère a été ajouté en 1997..
10Les méthodologies retenues par l’approche paramétrique sont l’analyse discriminante et les
modèles à variables qualitatives du type Logit ou Probit. La littérature distingue trois générations
de modèles d’alerte précoce fondés sur l’utilisation des modèles statistiques.

1.1.1 – Première génération


11Ce modèle cherche à attribuer une note traduisant l’état de fragilité (ou de solidité) de chaque
banque à partir de l’analyse des différents ratios financiers. Les établissements mal classés ou
mal notés feront l’objet d’une supervision plus intense de la part des autorités. Les ratios
financiers sont calculés sur la base des documents comptables fournis, complétés d’informations
recueillies suite à des inspections sur place. Comme exemple de cette première génération, nous
pouvons citer le système américain CAMELS et le système italien PATROL dans lesquels la
banque est appréhendée comme une entité globale et notée globalement. D’autres systèmes ont
également été mis en place par divers pays tels que le système anglais RATE (risk assessment
tools and evaluations), le système néerlandais RAST (risk analysis support tool) et le système
allemand BAKIS (bakered information system). Dans ces systèmes, la banque est découpée en
plusieurs éléments selon un critère d’activité (nature de l’activité et/ou de la taille). Chacun de
ces critères est noté sur une échelle de 1 à 5 (1 étant la note la plus élevée et 5 la plus basse). Les
notes obtenues sont pondérées afin d’obtenir une seule note qui synthétise l’ensemble des
informations fournies par les composantes du CAMELS. Les établissements notés 4 ou 5 sont
jugés en difficulté et font l’objet d’une surveillance accrue de la part des régulateurs.

1.1.2 – Deuxième génération


12Ce modèle tente de traduire les différents indicateurs de performance et de solvabilité de la
banque en une estimation de la probabilité de faillite de la banque à un horizon de temps donné.
L’attention des autorités de supervision se concentre alors sur les banques affichant une
probabilité de défaillance supérieure à un seuil jugé tolérable.

13L’identification précoce des banques en difficulté permet de prendre des mesures préventives
et correctives. Parmi ces modèles, on distingue le système SEER (system for estimating
examination ratings) utilisé par la Reserve fédérale américaine depuis 1993 et qui consiste à
estimer la prochaine note CAMEL de chaque banque, le système SCOR (statistical camels off-
site rating) utilisé par le FDIC, en France le système SAAB (système d’aide à l’analyse bancaire)
et le système anglais TRAM (trigger ratio adjusment mechanism).

14Le principal avantage de ces systèmes d’alerte précoce est leur faible coût de mise en œuvre
puisqu’ils ne nécessitent pas de déplacements. Ils peuvent être appliqués systématiquement à
l’ensemble des institutions du secteur et ils permettent de contrôler « en continu » et par
conséquent de réagir lorsque la situation se détériore (Chauveau et Capelle-Blancard, 2002).

15Ce type d’approche a connu et connaît un développement significatif depuis les travaux de
Sinkey (1975). En effet, Sinkey (1975) a appliqué une analyse discriminante multivariée (ADM)
à un échantillon de 220 petites banques commerciales américaines dont 110 défaillantes sur la
période 1969-1972. À partir de cent ratios, il choisit dix variables dont six significatives. La
variable la plus discriminante est la qualité de l’actif de la banque. Les autres variables sont la
composition de l’actif, les caractéristiques des crédits, l’adéquation du capital, les sources et
l’utilisation des revenus, l’efficience et la rentabilité. L’analyse discriminante multivariée
(ADM) permet juste de distinguer les banques saines des banques en difficultés et non pas de
déterminer les causes des défaillances ou des difficultés. C’est pour cela que plusieurs auteurs
ont préféré l’utilisation des modèles à variables dépendantes limitées du type Logit et Probit.

16Martin (1977) a été le premier à appliquer des modèles Logit pour détecter d’une manière
précoce les difficultés bancaires. D’autres auteurs tels que Barr et Siems (1994) ont appliqué un
modèle Probit intégrant un score d’efficience issu de la méthodologie non paramétrique DEA
(data envelopement analysis) comme proxy de la qualité du management. Cole et Gunther (1998)
montrent que sur la période 1988-1992, les prévisions de faillite des banques américaines
obtenues uniquement à partir de données publiques sont plus fiables que celles obtenues par le
système CAMELS dès lors que le dernier examen remonte au semestre précédent.

17Ainsi, les modèles de prévision des faillites bancaires font l’objet de nombreuses recherches
académiques surtout aux États-Unis (Estrella, Park et Prestiani, 2000 ; Kolari et al., 2000), mais
aussi dans une moindre mesure pour l’Europe (Logan, 2001 ; Chauveau et Capelle-Blancard,
2002).

18Pour les pays émergents, Ahumada et Bulnevich (2001) ont proposé un système d’alerte pour
le système bancaire chilien. Les auteurs ont adopté une mesure de la fragilité à travers deux
variables :

 le taux des prêts non performants par rapport au total des prêts
comme indicateur du risque du crédit ;
 le spread de taux d’intérêt sur le marché interbancaire comme
mesure de fragilité reflétant le risque de liquidité.

Les résultats suggèrent que si les variables spécifiques à la banque jouent un rôle important dans
la montée du risque de crédit, les variables macroéconomiques et de marché jouent un rôle plus
important dans l’explication du risque de liquidité.
19Il faut également relever les contributions de Bruno (2000) qui analyse les déterminants des
faillites bancaires dans les pays de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest, de
Wimboh (2001) sur les déterminants des problèmes bancaires en Indonésie, et celles de Shen
(2002) pour cinq pays du Sud-est asiatique. Enfin, Rojas-Suarez (2001) propose des indicateurs
alternatifs pour mesurer les difficultés bancaires dans six pays émergents d’Amérique latine et
d’Asie (Mexique, Colombie, Venezuela, Thaïlande, Malaisie et Corée du sud).
20Tous ces travaux empiriques s’interrogent sur la capacité de ces modèles de prévision à
détecter, avant le déclenchement d’une crise, les institutions en difficulté ou allant connaître des
difficultés.

1.1.3 – Troisième génération de modèle


21Elle est fondée sur l’intégration des facteurs institutionnels dans les modèles d’alerte précoces
en tant que variables déterminantes dans l’explication de la défaillance de la banque. La prise en
considération de facteurs institutionnels permet d’améliorer le pouvoir prédictif du modèle.

22Pour prendre en compte le rôle des facteurs institutionnels, cette nouvelle génération de
modèles d’alerte précoces procède par une modélisation à deux équations afin de dissocier les
facteurs de risques internes qui affectent la solvabilité de la banque, des facteurs externes
(réglementaires et institutionnels). Dans son étude, Thomson (1992) fait une distinction entre
l’insolvabilité et la faillite qui relève d’une décision juridique et réglementaire arbitraire. Puis il
propose de modéliser la décision de fermeture de la banque par le régulateur comme une option
d’achat (call). Le modèle proposé comporte deux équations : la première représente la valeur
nette de la banque (solvabilité de la banque) et la seconde la fermeture de l’établissement (c’est-
à-dire la propension du régulateur à intervenir dans une banque en difficulté).

23Bongini, Claessens et Ferri (2000) ont analysé la détresse financière de 186 banques et 97
institutions financières non bancaires de cinq pays asiatiques durant la crise asiatique. Après le
mois de juillet 1997, 42% de ces institutions ont connu des épisodes de détresse financière
(fermeture, fusion, recapitalisation, suspension temporaire de l’activité). Les auteurs ont
démontré que les variables CAMELS prévoient correctement les épisodes de détresse financière.
De plus, ils notent les éléments suivants :

 aucune institution contrôlée par l’extérieur n’a fait faillite ;


 les liens des institutions avec des groupes industriels ou des
familles augmentent la probabilité d’avoir des difficultés ;
 les grandes institutions qui sont les plus fragiles ont plus de
chance de ne pas faire faillite en raison de la stratégie du Too
Big to Fail.

Desrochers et Fisher (2002) ont analysé la relation entre la structure de gouvernance et de


propriété des institutions de dépôt d’un pays émergent, la Colombie, et les causes de leurs
faillites. Les résultats ont montré que les faillites bancaires s’expliquent par le risque d’aléa
moral et les coûts d’agence. Les institutions de dépôt à faible gouvernance où les intérêts des
dirigeants ne sont pas alignés sur ceux des propriétaires du fait d’une structure de propriété
diffuse (élargie) sont les institutions les plus enclines à faire faillite. La principale raison est
l’apparition de coûts d’agence élevés se manifestant sous forme d’augmentation des dépenses.
Par contre, les institutions de bonne gouvernance, où la structure de propriété est concentrée et
où la gestion de la banque est contrôlée par le marché ou par un conseil d’administration, sont
plus exposées aux faillites à cause du risque d’aléa moral qui se manifeste par des conflits
d’intérêt entre les actionnaires et les teneurs de dettes.
24Enfin, Godlewski (2003) propose aussi une modélisation en deux étapes pour distinguer d’une
part la relation entre les facteurs institutionnels, réglementaires et l’excès de risque (représenté
par la variable part des prêts non performants dans le portefeuille) et d’autre part la relation entre
ce facteur interne de défaut et d’autres facteurs de risque.

1.2 – L’approche non paramétrique


25Les modèles non paramétriques (trait recognition analysis, TRA), appelés aussi trait
recognition models (TRM) ont été utilisés comme modèle d’alerte précoce des défaillances
bancaires. Les modèles TRA ne se basent sur aucune hypothèse statistique concernant les
variables à prédire.

26Les travaux de Beaver (1966) et Altman (1968) ont été à l’origine du développement de ces
modèles basés sur des calculs informatiques (computed based models) utilisant des informations
comptables permettant de prévenir les défaillances des firmes. Par la suite, plusieurs auteurs,
dont Altman et Varetto [5][5]Pour une revue de la littérature voir Altman et Saunders,
1998. (1994) ainsi que Jagtiani, Kolari, Lemieux et Shin (2000, 2003), ont essayé d’appliquer
cette méthodologie dans la prévision des défaillances des firmes financières et ont confirmé la
performance de ces modèles. De même, les autorités de supervision se sont intéressées à
l’utilisation de ces modèles comme modèles d’alerte précoce.
27Les modèles TRA sont associés aux modèles de réseaux de neurones. Ils cherchent à exploiter
l’information contenue dans les interactions complexes entre les variables indépendantes
utilisées. Toutefois, si dans ces modèles de réseaux de neurones les interactions sont cachées
(dites « hidden » ou « latent layer »), les modèles TRA identifient toutes les interactions entre les
variables.

28Les interactions dans les modèles TRA sont des combinaisons de variables formées selon la
logique de l’analyse financière et non comme des interactions croisées arbitraires dans les
modèles de réseaux de neurone (par exemple, une faible profitabilité n’est pas associée à un
risque de crédit élevé pour une banque). Ainsi, l’interaction entre les variables financières et
comptables est susceptible de fournir des informations importantes sur les risques bancaires non
détectées lors d’une analyse individuelle de chaque variable (Kolari, Shin et Caputo, 2000).

29Les modèles TRA ne se basent sur aucune hypothèse statistique concernant les variables à
prédire. Toutefois, cette méthode demande trop de jugements discrétionnaires. Le jugement du
chercheur est très important dans la sélection des variables indépendantes et la définition des
seuils des variables [6][6]Il est important de connaître le niveau de chaque variable :…. Les
résultats sont sensibles à toutes ces décisions qui peuvent introduire un biais dans l’estimation
(Gaytan et Johanson, 2002).

2 – Rôle des facteurs institutionnels, juridiques et


réglementaires
30Plusieurs travaux ont essayé de montrer l’importance des facteurs institutionnels, juridiques et
réglementaires dans l’explication des difficultés bancaires. Ces travaux ont mis l’accent sur le
rôle de l’origine juridique de la législation, l’importance des mécanismes de gouvernance ainsi
que sur le rôle de la réglementation et de la supervision bancaire dans la stabilité et la solidité des
banques. Ces facteurs sont très utiles pour la construction de modèles d’alerte précoce des
difficultés bancaires dans les pays émergents.

2.1 – Origine juridique de la législation


31Les travaux de La Porta et al. (1997, 1998, 2000, 2002) ont mis en évidence l’impact de la
qualité de l’environnement juridique et institutionnel sur la protection des investisseurs
(apporteurs de fonds) contre, en particulier, l’expropriation des insiders. La nature et l’efficience
des marchés financiers se trouvent influencées par la qualité de l’environnement institutionnel et
juridique.

32La Porta et al. (1998) examinent les règles et le droit qui protègent les actionnaires et les
investisseurs ainsi que leurs origines et la qualité de leur application dans quarante-neuf pays. Ils
concluent que les investisseurs dans les pays appliquant le droit commun anglais sont davantage
protégés que leurs homologues opérant dans les pays appliquant le droit civil français. Les droits
liés à la détention d’actions ou de titres sont importants si l’on reconnaît que généralement les
dirigeants des firmes réagissent en fonction de leurs propres intérêts. Les droits donnés aux
investisseurs leur permettent de réclamer aux dirigeants les dividendes et les revenus provenant
de leurs investissements. La législation donne aux actionnaires le droit de vote et le droit
d’expulser les dirigeants qui refusent de leur donner leurs dividendes. La législation et la qualité
de son application sont très importantes dans la détermination des droits des actionnaires.

33Par ailleurs, La Porta et al. (1997) notent qu‘en particulier, les pays dont la législation est
d’origine française (appliquant le droit civil français), ayant les lois de protection des
investisseurs les plus faibles, ont des marchés financiers moins développés que les pays
appliquant le droit commun anglais où la protection des investisseurs est plus importante.

34La Porta et al. (2002) ainsi que Bongini, Classens et Ferri (2000) montrent que des lois de
protection des petits investisseurs améliorent la valeur de la firme. Quand les investisseurs sont
bien protégés, ils investissent plus sur le marché. Dans cette perspective, la qualité des lois de
protection des investisseurs permet aux petits actionnaires de freiner l’expropriation des
ressources de la banque de la part des actionnaires majoritaires et des dirigeants insiders.

35Toutefois, les travaux de Fagernäs, Prabirjit, et Singh (2007) ont réfuté ceux de La Porta
et al. (1997, 1998, 2000, 2002) concernant la supériorité des systèmes juridiques basés sur le
droit commun dans la protection des actionnaires. Fagernäs, Prabirjit, et Singh (2007) ont
analysé une base de données de soixante variables juridiques observées sur la période (1970-
2005) pour quatre pays : la France, l’Allemagne, les États-Unis et le Royaume-Uni. Les résultats
montrent que depuis le milieu des années quatre-vingt jusqu’à la fin de la période étudiée, les
pays appliquant une législation basée sur le droit civil (la France et l’Allemagne) disposent du
système juridique qui protège le mieux les actionnaires en comparaison aux pays appliquant le
droit commun tel que les États-Unis et le Royaume-Uni.
2.2 – Importance des mécanismes de gouvernance
36La Porta et al. (2000) mettent l’accent sur l’impact significatif de l’environnement juridique et
institutionnel sur les mécanismes de gouvernance qui régissent les relations entre les
investisseurs (Principal) et les dirigeants (Agent). Cette relation peut être positive (bon
environnement/bons mécanismes de gouvernance), négative (bon environnement/mauvais
mécanismes) ou opposé (compensation entre un bon/mauvais environnement et un bon/mauvais
mécanisme). La nature de cette relation peut favoriser l’excès de risque et réduire l’efficacité du
contrôle.

37Klapper et Love (2002) confirment l’effet de l’environnement réglementaire et institutionnel


sur les mécanismes de gouvernance de quatorze pays émergents. Les résultats confirment
l’existence d’une faible gouvernance dans un environnement réglementaire et institutionnel
faible. Ils suggèrent que les institutions peuvent compenser la faiblesse de l’environnement
juridique et réglementaire à travers une bonne gouvernance et une protection plus effective et
plus crédible des investisseurs.

38Mitton (2002) montre que des mécanismes de gouvernance défaillants se traduisant par une
faible protection des actionnaires minoritaires contre l’expropriation des dirigeants (managers
insiders) et des actionnaires majoritaires ont contribué à l’amplification de la crise asiatique de
1997-1998.

39Caprio, Lavean et Levine (2004) concluent que vue l’opacité et la complexité des opérations
bancaires, même des lois de protection solides des investisseurs ne permettent pas aux petits
actionnaires de contrôler la qualité de gouvernance de la banque. Ils évaluent l’impact des lois de
protection des actionnaires sur la valeur de la banque sous différents régimes de réglementation
et de surveillance et sous différentes structures de propriété. L’évaluation d’une banque nous
permet d’analyser directement le coût du capital de la banque et fournit indirectement une
évaluation de marché de la gouvernance de la banque. Les mécanismes de gouvernance qui
réduisent la capacité des insiders (les dirigeants) à s’approprier des ressources de la banque
tendent à améliorer la valeur de marché de la banque. Caprio, Lavean et Levine (2004) ont
analysé l’influence des interactions entre les lois de protection des actionnaires minoritaires, les
pratiques réglementaires et de supervision et la concentration de la propriété sur la valeur de la
banque.

40Ils concluent que dans la majorité des pays la structure de propriété est peu diversifiée à
l’exception de quelques pays ayant des lois de protection des actionnaires très strictes. En effet,
les banques sont largement contrôlées par un actionnaire majoritaire. Cet actionnaire représente
généralement soit une famille, soit l’État.

41En ce qui concerne l’évaluation de la banque, les auteurs notent que :

 de larges droits de cash-flow pour le propriétaire contrôleur


améliorent la valeur de la banque ;
 de faibles lois de protection des actionnaires affaiblissent la
valeur de la banque ;
 de larges droits de cash-flow atténuent l’effet adverse des
faibles lois de protection des actionnaires sur la valeur de la
banque.

Ces résultats montrent que l’expropriation des banques de la part d’une minorité d’actionnaires
est importante au niveau international, que les lois jouent un rôle important dans la réduction de
cette expropriation et que la concentration des droits de cash-flow représente un important
mécanisme de gouvernance de la banque.

2.3 – Amélioration du cadre réglementaire dans les pays émergents :


surveillance et réglementation bancaire
42Barth et al. (2000, 2001) ont étudié la relation entre les différents systèmes de régulation, de
surveillance et de structure de propriété, et la performance et la stabilité des banques. Ils ont
conclu que les stratégies de régulation financière et de supervision qui encouragent le contrôle
privé indépendant du gouvernement donnent des résultats plus satisfaisants. En effet, dans les
pays où le contrôle bancaire s’effectue par une agence privée, les banques semblent plus
performantes et plus stables.

43Barth et al. (2004) ont vérifié empiriquement que le développement des banques est
positivement associé à l’existence de politiques qui renforcent le contrôle privé et négativement
associé à l’existence d’une agence de supervision publique dominante. De plus, la diversification
des sources de revenus et des portefeuilles améliore la performance et la stabilité des banques.
Les mesures de restrictions sur les activités bancaires affectent négativement la performance des
banques. Les résultats montrent aussi l’importance de la discipline de marché comme élément
crucial dans les stratégies de surveillance et de régulation bancaires. Dans les pays ayant les
marchés les plus contestables, où les banques sont encouragées à diversifier leurs portefeuilles au
niveau national et international, la discipline de marché est plus effective et les banques sont plus
performantes et plus stables.

44Beck, Demirguç-Kunt et Levine (2003) ont étudié l’impact de la supervision bancaire sur les
obstacles et les difficultés de financement confrontés par 5000 firmes dans quarante-neuf pays.
Ils ont conclu que dans les pays à agence de supervision publique forte, les entreprises sont
confrontées à plus d’obstacles et à plus de difficultés pour se financer. Par contre, dans les pays
où la supervision est exercée par une agence privée indépendante, les entreprises ont accès plus
facilement aux financements externes nécessaires.

45Devant la nécessité de mettre en place un système de réglementation se basant sur les


standards internationaux de best practice (Études économiques de l’OCDE), un programme de
restructuration du secteur financier visant à maintenir le bon fonctionnement de ce système et à
l’assujettir davantage aux mécanismes de marché a été mis en place dans la majorité des pays
ayant traversé des crises bancaires. Parmi les réformes adoptées, nous pouvons citer les
suivantes.

46Les normes en matière de comptabilité et de divulgation d’informations ont été alignées sur
les normes comptables internationales.
47Un mécanisme de « prompte action corrective » a été introduit, visant les institutions
financières ne respectant pas les normes prudentielles. Ceci signifie que les autorités
réglementaires ont la possibilité d’une part, de prendre des mesures correctives rapides pour
éviter que le problème initial n’atteigne des proportions démesurées ; d’autre part, de fermer
rapidement des institutions présentant de graves faiblesses.

48Un système prospectif de classement des prêts qui vise à encourager les banques à prendre
davantage en compte les risques, ainsi que le système CAMELS pour surveiller les banques
(capital adequacy, assets quality, earnings, liquidity and sensitivity) ont été mis en pratique.

49Enfin, l’amélioration du calcul des normes de fonds propres de la BRI (Banque des
Règlements Internationaux) et des obligations plus rigoureuses en terme de provisionnement sont
entrées dans les faits.

50Ainsi, l’importance des facteurs institutionnels, juridiques et réglementaires dans l’explication


des difficultés bancaires est clairement soulignée dans la littérature. La prise en compte de ces
facteurs est nécessaire pour la mise au point de notre modèle d’alerte précoce des difficultés
bancaires.

3 – Analyse empirique

3.1 – Données et sélection des variables


51Les données de bilans et de comptes de résultats [7][7]Dans la littérature, les auteurs ne
semblent pas s’accorder sur… sont issues de la base de données Bankscope 2002. Les données
relatives aux variables réglementaires sont issues de la base de données de la Banque mondiale
(Caprio et al., 2001). Enfin, les variables juridiques et institutionnelles sont issues du Rapport sur
le développement humain (Banque mondiale, 1999) et de l’article de La Porta et al. (1998).
52Notre échantillon est composé de 174 banques commerciales issues de seize pays couvrant les
zones Asie du Sud-est, Amérique latine, PECO (pays d’Europe centrale et orientale) et le
Moyen-Orient. La période étudié est de sept ans (1994-2000). Le choix des pays et de la période
s’explique par :

 le fait que ces pays ont connu des difficultés bancaires durant la
période étudiée ;
 l’importance des coûts occasionnés par les crises bancaires dans
ces pays ;
 la disponibilité des données des banques sélectionnées.

Le TABLEAU I définit les variables financières type CAMEL et les variables juridiques et
réglementaires utilisées, ainsi que leurs effets attendus sur la probabilité d’avoir des difficultés
bancaires. L’ANNEXE 2 présente les statistiques descriptives des variables financières.
Tableau 1
Définition des variables

53Nous développons un modèle qui prévoit deux états : des banques capitalisées et des banques
sous-capitalisées. Ce dernier état reflète la détresse financière ou la fragilité de la banque qui doit
être prédite par les superviseurs bancaires.

54On définit la banque capitalisée comme étant la banque ayant au moins un ratio de fonds
propres (capital tier1) sur total actifs supérieur ou égal à 5,5%.

55Ce ratio coïncide avec les standards réglementaires des États-Unis dans les années quatre-
vingt (avant l’instauration du ratio Cooke). Jagtiani et al. (2000,2003), Estrella (1995) et Estrella
et al. (2000) ont étudié les faillites bancaires aux États-Unis et ont déduit que le niveau de 5,5%
était un bon proxy pour détecter les premiers signes de fragilité de la banque.
56En effet, le ratio de capital règlementaire (tiers 1) instauré par les accords de Bâle I est de 4%,
alors que le ratio de solvabilité dit ratio Cooke, qui concerne le tier 1 et le tier 2, est fixé par le
comité de Bâle à 8%. Comme pour la majorité des pays émergents, le ratio de solvabilité (tier 1 +
tier 2) est fixé à un niveau supérieur à 8% ( Brésil 11%, Hong Kong 10%, Bulgarie 12%).

57Selon la Commission économique des Caraïbes et d’Amérique latine (ECLAC [8][8]Economic


Commission for Latin America and the Caribbean., 2000) les pays en voie de développement
doivent maintenir des ratios supérieurs aux normes internationales étant donné les coûts élevés
des crises bancaires dans ces pays et l’environnement plus risqué dans lequel opèrent les banques
des pays émergents.
58De plus, en utilisant un ratio de capital de 4% le nombre de banques supposées en difficulté
(ratio de capital <4%) serait faible dans notre échantillon. Cela peut s’expliquer par le manque et
la non disponibilité de données concernant les banques des pays émergents constituant notre
échantillon. En effet, les comptes bancaires ne sont que partiellement alimentés. Dans les pays
émergents plusieurs banques en difficulté cessent la publication de leurs bilans et de leurs
comptes de résultats.

59Ainsi, nous estimons qu’un ratio de capital (tier 1) de 5,5% permet de mieux distinguer les
banques saines des banques en difficulté qu’un ratio de capital de 4%. Dès lors, notre variable
dépendante Y prendra deux valeurs :

3.2 – Méthodologie : le modèle économétrique


60Le modèle Logit [9][9]Pour un exposé plus détaillé des modèles Logit voir Maddala… est le
plus utilisé dans les modèles d’alerte précoce des défaillances bancaires. Ce choix du modèle
Logit [10][10]Le choix du modèle Logit plutôt que Probit s’explique par la… s’explique par le fait
que ce modèle simple donne des résultats aussi satisfaisants que les modèles plus complexes tels
que les méthodes non paramétriques (modèle TRA) (Jagtiani et al., 2003).
61La probabilité qu’une banque soit sous-capitalisée est estimée en se basant sur un modèle
Logit binomial (multivarié) sur des données de panel.

62Supposons Y*it, variable dépendante binaire latente. On ne modélise pas la variable Y*it elle-
même mais la probabilité (P (Yit = 1)) que cette variable prenne la valeur 1. Pour modéliser cette
probabilité, nous faisons l’hypothèse que la décision repose sur la valeur prise par une variable
inobservable Y*it, appelée variable latente selon le schéma où la variable observée, Yit, est reliée à
la variable latente par :

 Yit = 1 si la banque est sous-capitalisée, c’est-à-dire si Y*it > 0 ;


 Yit = 0 si la banque est bien capitalisée, c’est-à-dire si Y*it <= 0.

Nous supposons que la variable Y*it dépend linéairement d’un certain nombre de variables
explicatives Xit. D’où la formule de notre modèle :
63Y*it = ??Xit + ?it, avec i = 1, 174 banques, t = 1994, …, 2000.

64Par conséquent, , où F est la fonction répartition


logistique.

65Lors de l’utilisation des données de panel, l’ajout dans le modèle empirique d’un effet fixe
traduisant l’effet individuel de chaque banque (hétérogénéité individuelle) implique la possibilité
pour la variable dépendante de varier selon les banques indépendamment de toutes les variables
explicatives incluses dans la régression.

66Dans l’estimation du modèle Logit, l’intégration d’un effet fixe nécessite l’élimination dans
notre échantillon de toutes les banques n’ayant pas connu de difficultés c’est-à-dire toutes les
banques bien capitalisées (Greene, 1997). Dans notre cas, cela implique la perte d’une quantité
importante d’information. C’est pour cela que l’estimation du modèle sans effet fixe est
privilégiée (Demirguç-Kunt et Detragiache, 1998) [11][11]Une autre alternative consiste à estimer
un modèle Probit à….

3.3 – Résultats et interprétations


67En utilisant la méthode du maximum de vraisemblance, nous estimons trois spécifications
différentes du modèle Logit binomial. Dans le modèle I, seules les variables type CAMEL sont
utilisées comme variables explicatives (ELRTA, LLRGL, LC, ROA, LTA). Dans le modèle II,
nous ajoutons en plus des variables CAMEL, quatre variables réglementaires (Audit, Assu,
Sup et RSP). Enfin, le troisième modèle est composé des variables explicatives CAMEL et de
deux variables décrivant l’environnement juridique et institutionnel (OR et ESJ).

68Les résultats des estimations des trois modèles Logit binomial (multivarié) [12][12]On rappelle
que dans un modèle Logit, les coefficients estimés… sont indiqués dans le TABLEAU 2. Ceux-ci
montrent que toutes les variables retenues sont statistiquement significatives et ont les signes
attendus à l’exception de la variable LC qui affiche un signe négatif inattendu.
Tableau 2

Résultats de l’estimation des modèles Logit binomial


69Pour les trois modèles, un accroissement du niveau de la variable ELRTA représentant l’effort
de la banque en matière de fonds propres et de provisionnement affecte négativement la
probabilité d’avoir des difficultés bancaires. Un niveau élevé de ELRTA permet à la banque
d’absorber les éventuels chocs et améliore la solidité financière de la banque contribuant ainsi à
la baisse de sa probabilité d’être sous capitalisée. La qualité de l’actif de la banque (LLRGL) est
aussi significative et affecte positivement la probabilité que la banque soit sous capitalisée. Cela
signifie que les banques des pays émergents effectuent un effort de provisionnement lorsqu’elles
sont plus exposées aux risques. Un niveau élevé de LLRGL peut être considéré comme signe de
détection des institutions bancaires en difficulté.

70La liquidité est approximée par le ratio LTA. Les résultats montrent que plus un ratio est élevé
plus la banque présente des risques de liquidité augmentant par conséquent la probabilité d’avoir
des difficultés futures.

71La rentabilité économique de la banque (ROA) est aussi significative et affiche le signe négatif
attendu. Les banques sous-capitalisées sont souvent à faible rentabilité.

72La qualité du management approximée par la variable LC est statistiquement significative et


corrélée négativement avec la probabilité d’être en difficulté. Ce ratio est censé, en principe,
mesurer l’effort de couverture des prêts par des fonds de la banque à faibles coûts
essentiellement par les dépôts de court et de long terme et tout autres fonds que la banque
dispose à court terme dans des investissements qui génèrent des revenus. Un ratio faible est un
signe d’une bonne qualité du management car les prêts sont financés par des fonds faiblement
rémunérés ce qui implique des marges d’intérêt plus grandes. Inversement à l’effet attendu, le
coefficient de la variable LC affiche un signe négatif. Ce qui signifie paradoxalement que la
couverture des prêts par des fonds de la banque à faible coût exerce un effet positif sur la
probabilité d’avoir des difficultés.

73Cela peut s’expliquer par le fait que dans les pays émergents, lorsque les banques disposent de
ressources à coût faible tels que les dépôts, elles deviennent moins vigilantes dans la distribution
du crédit. Moins d’attention est portée à la qualité des projets d’investissement financés,
exposant les pays en question à une exposition aux risques de crédit plus importante, ce qui
augmente par conséquent la probabilité d’avoir des difficultés.

74L’introduction des variables réglementaires et juridiques améliore la qualité statistique du


modèle [13][13]Dans le contexte d’un modèle Logit, la statistique R2 ne peut…. Ainsi les deux
modèles estimés (modèle II incluant les variables réglementaires et modèle III incluant les
variables juridiques) sont meilleurs que le modèle I variables CAMEL uniquement selon les
critères d’information AIC et SC. Les valeurs AIC et SC sont plus faibles pour les modèles II et
III que dans notre premier modèle. La statistique pseudo-R2 censée fournir des coefficients
comparables au pourcentage de variance expliquée de la régression multiple ordinaire est aussi
plus élevée pour les deux derniers modèles.
75On note également que l’introduction des variables réglementaires et juridiques améliore le
pouvoir explicatif du modèle. La variable assurance (Assu) est statistiquement significative et
affiche un signe négatif, ce qui implique que l’existence d’un système d’assurance dépôts
explicite accroît la probabilité de la banque d’être bien capitalisée et d’avoir par conséquent
moins de difficultés. Au delà des problèmes d’aléa moral causés par ce système, l’existence d’un
système d’assurance dépôts explicite dans les pays émergents offre aux banques plus de stabilité.

76La variable supervision (Sup.) est aussi statistiquement significative. La supervision exercée
(monopolisée) par la banque centrale est corrélée positivement avec la probabilité d’être bien
capitalisée et donc de ne pas connaître de difficultés bancaires. Ce résultat qui paraît quelque peu
paradoxal peut être justifié par le fait que dans les pays émergents la supervision centralisée
exercée par la banque centrale paraît plus efficace et plus crédible que celle exercée par une
institution indépendante privée en raison d’une mauvaise qualité de l’état de droit et d’une
présence marquée de la corruption. D’autre part, la banque centrale possède un nombre
important d’informations non disponibles pour les autres organismes de supervision.

77La variable Audit qui représente la discipline réglementaire affiche le signe négatif attendu. La
loi oblige les auditeurs à rapporter aux superviseurs toute mauvaise conduite des gestionnaires de
la banque et toute implication des dirigeants et des cadres supérieurs de la banque dans des
activités illicites, de fraude ou d’abus interne, ce qui exerce un effet négatif sur la probabilité
d’avoir des difficultés. Plus les auditeurs seront disciplinés, plus la probabilité d’avoir des
difficultés sera faible.

78La variable responsabilité (RSP) est aussi significative. La possibilité de poursuivre en justice
les superviseurs pour leurs actions affecte négativement la probabilité d’être en difficulté. La
responsabilisation accrue des superviseurs entraîne plus de discipline réglementaire et donc plus
d’efficacité du processus de supervision.

79Concernant les variables juridiques, origine juridique (OR) et efficience du système juridique
(EJS) sont statistiquement significatives. Le coefficient OR affiche un signe positif ce qui
démontre un lien positif entre l’origine française de la législation et la probabilité d’avoir des
difficultés (sous-capitalisé). Cela signifie que les banques des pays émergents appliquant une
législation basée sur le droit civil français sont plus fragiles que les banques des pays dont les
législations sont d’origine anglo-saxonne ou allemande. En effet, comme l’ont démontré La
Porta et al. (1998), dans les pays à origine juridique française, les actionnaires et les investisseurs
sont moins protégés. Les banques se trouvent donc devant des risques plus importants.

80Ce résultat est confirmé par le signe négatif du coefficient EJS qui mesure l’impact de
l’efficience du système juridique et de la qualité de l’État de droit. Plus le système juridique est
efficace, plus la qualité de l’État de droit est meilleure, et plus faible sera la probabilité d’avoir
des difficultés bancaires. Un environnement juridique et institutionnel de qualité réduit les
incitations des banques à prendre des risques et les oblige à être bien capitalisées et donc plus
solides.

81Enfin, on note la complémentarité des facteurs juridiques, réglementaires et institutionnels


dans l’explication des difficultés bancaires. Un environnement juridique de qualité entraîne une
réglementation et une supervision efficaces conduisant à plus de discipline de marché et plus de
transparence.

3.4 – Evaluation de la performance des modèles


3.4.1 – Méthodologie
82Nous évaluons les performances prévisionnelles du modèle en utilisant l’approche du signal
(Kaminsky et Reinhart, 1998 ; Dermiguç-Kunt et Detragiache, 2000, 1998 ; Bussière et
Fratscher, 2006). Pour évaluer la performance des modèles d’alerte précoce, nous comparons la
probabilité prédite d’occurrence des difficultés bancaires obtenue par notre modèle d’alerte avec
la probabilité réelle. Puisque cette dernière n’est pas directement observable, nous comparons la
probabilité prédite avec l’occurrence effective des difficultés. Sachant que la probabilité prédite
est une variable continue, il est nécessaire de définir un seuil de probabilité au-delà duquel la
probabilité prédite peut être interprétée comme un signal d’occurrence de difficultés futures.

83La question est donc le choix du seuil optimal. Plus ce seuil sera faible, et plus important sera
le nombre de bons signaux envoyés par notre modèle. Toutefois, cela entraîne aussi une
augmentation du nombre de faux signaux (erreur type II [14][14]Erreur type II (false negative) :
lorsque l’on prédit les…). En revanche, un seuil élevé réduit le nombre de faux signaux mais
augmente le nombre de difficultés non signalées, c’est-à-dire l’absence d’un signal alors que la
banque est en difficulté (erreur type I) [15][15]Erreur type I (false positive) : lorsque l’on ne prédit
pas les….
84Ainsi le choix du seuil de probabilité nécessite le jugement quant à la relative importance des
erreurs type I et type II. Le seuil choisi dépend du degré d’aversion au risque du décideur ou de
l’organe de supervision utilisant ce type de modèle (Bussière et Fratscher, 2006). En pratique ce
seuil prend une valeur comprise entre 10% et 50% [16][16]Kaminsky et Reinhart (1998)
définissent le seuil de probabilité…. Dans notre application, nous choisissons de donner nos
résultats aux seuils de 20% et 50%.
85Un bon modèle d’alerte précoce est associé à une faible probabilité de commettre des erreurs
type I et doit donc permettre d’éviter la classification d’une banque en difficulté parmi les
banques saines.

86Les coûts associés aux deux types d’erreurs ne sont pas les mêmes. En effet, en cas d’erreur
type II, c’est-à-dire le fait de classer une banque saine comme une banque en difficulté, le coût
associé concerne uniquement les coûts d’une intervention non nécessaire des agents superviseurs
et d’un contrôle plus stricte de l’institution en difficulté. Par contre, les coûts sont plus élevés
pour les erreurs type I. En effet, le fait de ne pas anticiper les difficultés d’une banque et de la
considérer comme saine peut générer des dépenses importantes de la part des autorités afin de
pouvoir sauver l’institution en difficulté, éviter son éventuelle faillite et surtout prévenir la
propagation de cette faillite dans tout le système bancaire. La qualité de la spécification
(modèles) se mesure à l’aide du tableau de prédiction (TABLEAU 3).

Tableau 3

Tableau des prédictions


3.4.2 – Résultats
87Pour évaluer la performance des modèles d’alerte précoce, nous choisissons de donner les
résultats de nos estimations aux seuils de probabilité de 20 % et de 50 % [17][17]Voir l’annexe 3
pour le calcul.. Au-delà de ce seuil, la probabilité prédite peut être interprétée comme un signal
d’occurrence de difficultés futures [18][18]Les banques ayant une probabilité estimée supérieure
au seuil….
88Les résultats montrent que les pourcentages des observations correctement prédites par les
trois modèles sont élevés (TABLEAU 4). Ceci démontre qu’aux seuils respectifs de 20% et de
50%, les trois modèles classifient correctement les banques. Pour les trois modèles, le
pourcentage des erreurs type II est relativement faible.
Tableau 4

Tableau des prédictions, les résultats


89Quant à la performance en terme de prédiction, le modèle II affiche une meilleure
performance que les modèles I et III. Le taux d’erreur type I (le pourcentage des banques
classées bien capitalisées alors qu’elles sont en réalité sous-capitalisées) est de 9,67% et 31,45%
pour le modèle II respectivement aux seuils de 20% et 50%. Par conséquent, le modèle II permet
de prédire correctement 90,32% et 68,54% des situations de difficultés respectivement aux seuils
critiques de 20% et 50%.

90Toutefois, le modèle I affiche des résultats meilleurs en terme de prévision que le modèle III
qui inclut des variables juridiques. L’introduction de ces variables affecte la qualité de prévision
du modèle III. En effet, le taux d’erreur type I a augmenté aux seuils respectifs de 20% et 50%
de 23,77 % et 78,32 % pour le modèle I à 46,48 % et 81,92 % lorsqu’on introduit les variables
juridiques.

91Dans le contexte des banques des pays émergents, la prise en compte des facteurs
réglementaires et institutionnels en plus des variables financières type CAMEL, améliore le
pouvoir explicatif et discriminant de notre modèle d’alerte précoce des difficultés bancaires et
s’avère efficace pour prédire les banques sous-capitalisées. Un niveau faible de capitalisation
peut être considéré comme un signe de détresse financière ou de fragilité de la banque ce qui
exige des actions de supervision et de contrôle de la part des autorités.

4 – Conclusion
92Les résultats de cette étude confirment que l’environnement juridique, réglementaire et
institutionnel influence la prise de risque de la part des banques. Un système d’alerte précoce de
difficultés bancaires, incluant des variables financières type CAMEL ainsi que des variables
juridiques, réglementaires et institutionnelles, est d’un grand intérêt dans le cas des banques des
pays émergents.

93Un système d’alerte précoce des difficultés bancaires est préférable à celui qui prédit les
faillites bancaires car dans ce dernier cas, les superviseurs ne sont plus en mesure d’exercer des
actions de sauvetage de la banque en question. À l’inverse, le modèle exposé ici permet aux
superviseurs d’avoir le temps nécessaire pour prendre des mesures disciplinaires et éviter ainsi la
faillite totale de la banque pouvant induire un effet de contagion sur tout le système bancaire.

94Ce travail peut faire l’objet de plusieurs extensions. Le pouvoir prédictionnel de notre modèle
peut être amélioré en intégrant des variables décrivant la gouvernance et la structure de propriété
des banques. De même, on pourra prendre en considération une variable censée tenir compte de
la sensibilité des portefeuilles des banques aux risques de marché (S dans l’acronyme CAMELS)
surtout dans un environnement marqué par le développement des activités de marché des
banques.

95Enfin, afin d’éviter certaines critiques à l’encontre du modèle Logit, à savoir l’impossibilité de
déterminer les variables expliquant le mieux la variable endogène (ici les difficultés bancaires) et
l’incapacité d’analyser les interactions entre les variables, notre attention pourrait se porter, dans
un travail futur, sur les méthodes non paramétriques tel que la trait recognition
analysis considérées comme plus stables et permettant d’exploiter l’information disponible dans
les interactions entre les variables explicatives.

96F. A. & S. H.

Annexe 1
Tableau A1.1

Principaux systèmes de supervision du secteur bancaire


Annexe 2
Tableau A2.1

Statistiques descriptives

Annexe 3
Tableau A3.1

Tableau de prédictions

Tableau A3.2
Calcul des erreurs de classification

Notes

 [2]

Pour la SFI (Société Financière Internationale), le concept


d’économie à marché émergent désigne les pays qui ont des
marchés financiers en transition, augmentant continuellement
en taille, en activité et en degré de sophistication. Dans la
littérature économique, généralement sont considérés comme
pays émergents « les pays en développement qui constituent
des pôles d’attraction des investissements, qui accélèrent leur
croissance économique et qui s’intègrent avec succès dans
l’économie mondiale grâce à leurs capacités d’exportation ».

 [3]

L’ANNEXE 1 décrit les principaux systèmes de supervision


bancaire utilisés dans un certain nombre de pays
industrialisés.

 [4]

Ce dernier critère a été ajouté en 1997.

 [5]

Pour une revue de la littérature voir Altman et Saunders,


1998.
 [6]

Il est important de connaître le niveau de chaque variable :


faible, moyen ou élevé.

 [7]

Dans la littérature, les auteurs ne semblent pas s’accorder sur


la supériorité de l’approche comptable ou de l’approche par
les marchés boursiers. Ce choix est aussi dicté par la
disponibilité des données de marché pour les banques des
pays émergents.

 [8]

Economic Commission for Latin America and the Caribbean.

 [9]

Pour un exposé plus détaillé des modèles Logit voir Maddala


(1983), Alban (2000) et Svestre (2002).

 [10]

Le choix du modèle Logit plutôt que Probit s’explique par la


non-égalité des fréquences dans l’échantillon (Banques sous-
capitalisées/Banques capitalisées).

 [11]

Une autre alternative consiste à estimer un modèle Probit à


effet aléatoire. Cependant, ce modèle produit des estimations
non biaisées que si les effets aléatoires sont non corrélés avec
les variables indépendantes, ce qui est vrai en réalité.

 [12]

On rappelle que dans un modèle Logit, les coefficients


estimés n’indiquent pas une augmentation de la probabilité
de l’événement suite à une augmentation d’une unité de la
variable explicative correspondante.

 [13]
Dans le contexte d’un modèle Logit, la statistique R2 ne peut
être calculée puisque la variable dépendante est discrète. Pour
évaluer l’efficacité du modèle dans la prédiction des
difficultés, on utilise souvent la statistique pseudo-R2 et les
critères d’information type Akaike Information Criteria ou
Schwarz SC. Ces critères d’information fournissent une
mesure de la qualité d’information donnée par le modèle.

 [14]

Erreur type II (false negative) : lorsque l’on prédit les


difficultés de la banque alors qu’elle n’est pas réellement en
difficulté, c’est-à-dire considérer une banque comme en
difficulté alors qu’elle est saine.

 [15]

Erreur type I (false positive) : lorsque l’on ne prédit pas les


difficultés de la banque alors qu’elle est en difficulté i.e.
considérer une banque comme saine alors qu’elle est en
difficulté.

 [16]

Kaminsky et Reinhart (1998) définissent le seuil de


probabilité optimal comme le seuil qui minimise le
ratio noise-to-signal (NS) où noise est le faux signal i.e. le
signal non suivi par des difficultés observées, signalest le
vrai (bon) signal i.e les prédictions exactes des situations de
difficultés. NS = [B / (A+B)] / [D/(C+D)].

 [17]

Voir l’ANNEXE 3 pour le calcul.

 [18]

Les banques ayant une probabilité estimée supérieure au seuil


sont jugées en difficulté. En revanche, celles ayant une
probabilité inférieure sont jugées saines.

Mis en ligne sur Cairn.info le 05/02/2009


https://doi.org/10.3917/ecoi.114.0069

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