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Manuel d’EMDR
Principes, protocoles, procédures
InterÉditions, 2007
Sandrine Willems
L’Animal à l’âme
De l’animal-sujet aux psychothérapies
accompagnées par des animaux
Patrick Coupechoux
Un homme comme vous
Essai sur l’humanité de la folie
2014
Ce livre est publié
dans la collection « Domaine psy »
et édité par Mony Elkaïm
ISBN 978-2-02-116182-3
www.seuil.com
Couverture
Du même auteur
Copyright
Dédicace
Pourquoi souffre-t-on ?
Pourquoi moi ?
L’objectif de ce livre
Chapitre 2 - L’esprit, le cerveau, et les choses qui comptent
Le plan d’action
La thérapie EMDR
Personnalité et retraitement
Conserver l’équilibre
En mode automatique ?
Tout enfermé
Et maintenant ?
Lien et attachement
Exploration personnelle
C’est dangereux
Exploration personnelle
Choisir de choisir
Arrête, tu me tues
Je ne sens rien
Le miroir brisé
Exploration personnelle
Remplir le vide
Exploration personnelle
Les addictions
Revêtir un masque
La maison des douleurs
Exploration personnelle
De l’échec à la liberté
Apprendre à exceller
De la survie à l’épanouissement
La grande égalisatrice
Profiter de la vie
Remerciements
Bibliographie succincte
CHAPITRE 1
En pilote automatique
Prenons comme exemple le deuxième cas évoqué plus haut. « Ben est
un homme d’affaires brillant. Pourquoi est-il angoissé chaque fois qu’il doit
faire une conférence ? »
Voici comment Ben décrivait sa difficulté : « D’aussi loin que je me
souvienne, prendre la parole devant un groupe a toujours été pour moi
source de beaucoup d’anxiété. J’ai les mains moites, ma voix ne m’obéit
plus, j’ai le cœur qui bat la chamade et je me dis que je suis un crétin, que je
n’y arriverai pas, que les gens vont me détester. J’ai même eu quelquefois
l’impression que ma vie était en jeu. Ça paraît ridicule, mais c’est vrai.
Pendant ma scolarité, il m’est arrivé souvent de devoir prendre la parole en
public, comme au cours de ma carrière professionnelle. J’ai toujours
affronté ces épreuves, mais sans aucun plaisir. En fait, je souffrais avant et
après chaque prise de parole, et j’ennuyais mes proches en repassant ensuite
chaque détail, ce qui, comme vous l’imaginez, ne les amusait pas. Rien ne
semblait améliorer les choses. J’ai essayé beaucoup de thérapies. Parfois les
choses semblaient aller un peu mieux, mais ça finissait toujours par
revenir. »
Ben commença une thérapie EMDR et employa toutes sortes de
procédures que nous apprendrons dans ce livre pour identifier l’origine de
son problème et modifier ses réactions. Voici ce qu’il découvrit : « L’origine
du problème est quelque chose qui m’est arrivé lorsque je n’avais que 3 ans
et demi. Je me promenais avec mon grand-père dans sa ferme, dans l’ouest
de la Caroline du Nord. Dans mon souvenir, je le regarde en levant la tête,
comme un enfant tout jeune. Je ne me rappelle pas si je bavardais avec lui,
mais c’est ce qu’on raconte dans la famille, et ça doit être vrai. Sur la route,
nous avons rencontré un drôle de bonhomme. Il était vieux, voûté, il avait
l’air en colère et il avait les narines très poilues. Il a dit à mon grand-père,
avec son accent traînant des montagnes : “Eh ben, si j’avais un gamin qui
parle autant que celui-là, je le noierais dans la rivière.” Je me suis glissé
derrière la jambe de mon grand-père, j’ai risqué un œil sur les narines du
bonhomme et je me suis tu. Je savais qu’on noyait dans la rivière les
chatons dont on ne voulait pas. Il n’était apparemment pas sans danger de
bavarder devant des inconnus. »
Ce moment terrifiant qu’il avait vécu enfant a jeté les bases de ses
difficultés. Le souvenir a été stocké dans son cerveau et l’a préparé à
échouer : « En CM1, j’ai fait mon premier compte rendu de livre devant ma
bien-aimée Mlle K., une jeune et jolie enseignante, dont c’était la première
année d’enseignement. J’adorais Mlle K. et j’étais très fier parce que mon
rapport faisait trois pages. J’y avais beaucoup travaillé. Mais j’avais aussi
développé un léger bégaiement, qui a duré environ six mois avant de
disparaître aussi mystérieusement qu’il avait commencé. Mes parents
avaient si bien géré ce problème que je n’en étais pas moi-même
pleinement conscient. Toujours est-il que j’avais des rêveries dans
lesquelles Mlle K. chantait mes louanges et disait à la classe quel beau
rapport j’avais fait là. La réalité a, hélas, été tout autre : Mlle K. est restée
au fond de la classe, en proie à un fou rire incontrôlable, pendant tout mon
exposé. Je me rappelle avoir pensé, tout en peinant dans ma lecture avec
mon bégaiement qui s’aggravait de plus en plus : “Je suis un crétin.” Deux
ans plus tard, j’ai été recruté à la dernière minute pour jouer dans une pièce
de théâtre à l’école. Au beau milieu du premier acte, j’ai oublié mon texte.
Je me tenais au centre de la scène, cloué sur place, et je me souviens de
m’être dit : “Ils vont me détester. J’ai ruiné la pièce. Je suis un crétin.” »
Remarquez comme Ben était envahi par des pensées du même ordre,
quarante ans plus tard, quand il devait faire une conférence pour son
travail : « Je suis un crétin. Je n’y arriverai pas. Tout le monde va me
détester. » Avant la thérapie EMDR, il n’avait pas la moindre idée des
raisons pour lesquelles il avait ces sentiments et ces idées. Il n’avait pas
d’image visuelle de la ferme de son grand-père, ni de son exposé en classe,
ni de la pièce à l’école : il avait seulement les sentiments et les pensées qui
accompagnaient ces événements. C’était une réaction automatique à un
« déclencheur » externe, tout comme « Les roses sont rouges » amène « Les
violettes sont bleues ».
Rien n’existe sans cause. Pourtant, on dirait que c’est le cas de ces
réactions, qui paraissent irrationnelles. « Irrationnel » ne signifie toutefois
pas qu’elles soient sans raison. Cela signifie que ces réactions proviennent
d’une partie de notre cerveau qui n’est pas gouvernée par la pensée
rationnelle. Les réactions automatiques qui contrôlent nos émotions
proviennent de connexions neuronales, au sein de nos réseaux mémoriels,
qui sont indépendantes de nos capacités supérieures de raisonnement. C’est
pourquoi vous pouvez vous observer, stupéfait, en train de faire quelque
chose que vous regretterez plus tard, vous le savez, ou en train d’être attiré
par des personnes peu fréquentables, ou de vous sentir blessé par quelqu’un
dont l’opinion vous est pourtant indifférente, ou d’invectiver un proche sans
raison véritable, ou encore de vous sentir impuissant à sortir d’une
dépression provoquée par quelque chose qui vous paraît pourtant
insignifiant. C’est irrationnel, mais c’est compréhensible et, surtout, c’est
réparable. La génétique joue un rôle important dans ce domaine, mais, en
général, l’origine de la souffrance tient à la façon dont les souvenirs de nos
expériences passées sont stockés dans le cerveau, et on peut modifier cela.
Heureusement, les souvenirs convenablement stockés sont également la
base de la joie et de la santé mentale. Plus loin, nous approfondirons le
fonctionnement du cerveau et des souvenirs.
Pourquoi moi ?
1.
Allusion à une comptine connue de tous aux États-Unis, dont la forme
moderne est : Roses are red, Violets are blue, Sugar is sweet, And so are
you : Les roses sont rouges, Les violettes sont bleues, Le sucre est doux,
tout comme vous. [N.d.T.]
2.
« Perlaborer » signifie revivre l’expérience dans le « transfert » avec le
thérapeute (au sens où on transfère les émotions de son enfance dans la
relation actuelle, cf. chap. 3). [N.d.T.]
CHAPITRE 2
L’esprit, le cerveau,
et les choses qui comptent
Nous interagissons tous avec le monde qui nous entoure grâce à des
cerveaux et des corps qui ont, d’une personne à une autre, davantage de
ressemblances que de différences. La plupart des gens, par exemple, font
tout leur possible pour leur famille et pour eux-mêmes. Pourtant, en dépit
de ces points communs, des obstacles se présentent souvent. Nous
comprendrons plus facilement les raisons de ces obstacles quand nous
aurons exposé l’arrière-plan des procédures que nous allons étudier. Des
facteurs génétiques entrent certainement en ligne de compte. Mais la façon
dont on considère le monde et dont on interagit avec les autres est
largement construite sur nos propres expériences individuelles ; celles-ci
sont stockées dans des réseaux mémoriels, qui forment la base de nos
perceptions, de nos attitudes et de nos comportements.
Ces réseaux relient entre eux les événements similaires. Par exemple,
si on me demande de nommer plusieurs fruits, je peux le faire sans
difficulté. Dans mon esprit, ils sont associés au sein d’un réseau mémoriel :
pommes, oranges, poires, myrtilles… Si je vois une pomme, je la reconnais
aisément comme un fruit parce que j’en ai déjà vu auparavant. Ce que je
vis, à tout moment, se relie à mon réseau mémoriel de vécus antérieurs, de
sorte que je peux y trouver du sens. Cependant, si un enfant n’a jamais vu
de pomme, il peut ne pas savoir quoi en faire : c’est rouge, et c’est rond :
c’est une balle ? La conscience que nous avons du monde extérieur, dans
tous ses aspects, passe par nos cinq sens (vue, toucher, odorat, ouïe, goût)
dans la mémoire de travail. Celle-ci se connecte ensuite automatiquement à
tout un éventail de réseaux mémoriels cérébraux, pour nous permettre de
comprendre ce que nous percevons.
C’est un processus permanent, chez tout le monde. Même les mots sur
cette page doivent se connecter à vos réseaux mémoriels pour que vous
puissiez comprendre ce que vous êtes en train de lire. Les gens que vous
voyez, les personnes avec lesquelles vous êtes en rapport, toutes vos
expériences du moment présent et les perceptions que vous en avez, tout se
relie à vos réseaux mémoriels pour que vous puissiez y trouver du sens. À
l’intérieur de ces réseaux mémoriels sont stockées toutes vos expériences
antérieures. Les réseaux mémoriels sont donc la base de vos émotions, de
vos pensées et de vos comportements du moment présent. Ainsi, vos
réactions aux autres, et leurs réactions envers vous, sont tout autant fondées
sur des expériences passées que sur ce qui se dit ou se fait dans le moment
présent.
Le plan d’action
La thérapie EMDR
Personnalité et retraitement
Avant d’aller plus loin, je veux être très claire sur ce qui est possible et
ce qui ne l’est pas. Tout d’abord, on ne peut pas éliminer complètement le
malheur de sa vie ; les choses arrivent, elles sont mouvantes. Des émotions
vont et viennent, comme la faim vient et s’en va, comme on perd et on
gagne, comme on reçoit de bonnes et de mauvaises nouvelles. Mais ces
émotions sont-elles envahissantes, et combien de temps durent-elles ? La
tristesse, la colère, la peur, l’angoisse, la solitude, la timidité, etc., sont-elles
là pour des raisons évidentes et sont-elles temporaires, ou sont-elles en
permanence en moi ? En quelque sorte, est-ce la météo du jour, ou le
climat ? Pour mieux nous représenter cela, voyons à quelle fréquence nous
avons l’impression d’être bloqué, et dans quels domaines.
Prenons le cas de Nancy, qui est venue en thérapie pour une peur de
prendre l’avion. Cette peur était apparue le jour où elle avait pris un petit
avion pour aller d’une île des Caraïbes à une autre, pendant un orage. Au fil
du temps, elle redoutait de plus en plus de devoir prendre l’avion. Elle avait
finalement décidé de suivre une thérapie, parce que, suite à une promotion,
elle allait devoir se rendre chaque mois dans plusieurs villes par avion.
En psychothérapie, la difficulté de Nancy aurait pu être comprise et
traitée de nombreuses façons. Un thérapeute psychodynamique, par
exemple, aurait encouragé Nancy à explorer sa peur de l’avion, dans le but
de découvrir les peurs et les conflits sous-jacents. Il l’aurait incitée à décrire
ce qui l’effrayait dans le fait de voler, ce qui l’inquiétait chez le pilote, chez
le copilote, etc. Avait-elle déjà ressenti cela envers des personnes qui
s’occupaient d’elle, autrefois ? Avait-elle des difficultés concernant la
confiance en soi, ou des sentiments d’incompétence ? Sa peur de l’avion
pourrait-elle représenter un sentiment d’insécurité dans l’univers qu’elle
avait connu étant enfant ? Son anxiété serait-elle une expression de son
insécurité générale, serait-elle en colère contre ses parents pour ne pas
l’avoir protégée ?
Quelles que soient les raisons mises au jour, le traitement se ferait
comme dans toutes les thérapies psychodynamiques, en identifiant les
« conflits » de Nancy, en les interprétant et en les perlaborant verbalement
avec le thérapeute pour découvrir le sens de sa peur dans un contexte
thérapeutique. Pour rappel, « perlaborer » signifie évoquer l’expérience et
la revivre dans le « transfert » (transférer les émotions de l’enfance dans la
relation actuelle) avec le thérapeute. En même temps, Nancy aurait une
meilleure compréhension de sa difficulté actuelle, de ses sentiments envers
ses parents et le thérapeute, et de la manière dont son vécu présent est relié
à son histoire. L’exploration de ces questions serait menée dans le cadre
d’une relation thérapeutique sûre, chaleureuse, pour encourager cette
compréhension en profondeur.
Au fil du temps, avec de nombreuses séances, Nancy finirait par mieux
comprendre ses relations avec ses parents, avec elle-même et avec le reste
du monde. Comprenant mieux ses difficultés et ses réactions, elle serait
davantage en mesure de relâcher son contrôle dans diverses circonstances.
Dans cette forme de thérapie, on reconnaît l’importance du passé, et on met
l’accent sur le fait de se reconnecter dans le présent avec les émotions et les
points de vue de l’enfance. Le principal agent du changement est la relation
au thérapeute, dans ce contexte de la « thérapie par la parole ». Au-delà de
prises de conscience et d’une meilleure compréhension, le thérapeute
psychodynamique pourrait aussi suggérer une forme ou une autre de
désensibilisation pour aider Nancy à surmonter sa réaction anxieuse.
Si Nancy avait été traitée par un comportementaliste (thérapie
cognitive comportementale, TCC), le traitement le plus recommandé pour
ce type d’anxiété aurait été une journée entière de thérapie, avec une
« expérience comportementale », en l’occurrence une exposition à une
situation de la vie réelle, le thérapeute prenant avec Nancy un vol de
quarante-cinq minutes : en partant du bureau du thérapeute, tous deux
prendraient un bus ou un train pour l’aéroport. Nancy dirait au thérapeute
toutes ses croyances négatives concernant tous les aspects du vol, depuis le
voyage vers l’aéroport jusqu’à l’atterrissage, en passant par l’attente de
l’avion, l’enregistrement, etc. À leur arrivée, ils vérifieraient
immédiatement les croyances de Nancy et prendraient un vol retour. Le rôle
du thérapeute TCC serait de prévoir les circonstances où Nancy peut avoir
des pensées négatives, de lui enseigner à penser différemment dans ces
situations, puis de comparer le voyage réel avec ce qu’elle redoutait. Au
cours du voyage de retour depuis l’aéroport, Nancy serait incitée à
synthétiser ce qu’elle aurait appris au cours du travail et à voir comment
elle pourrait s’appuyer sur cette expérience pour continuer de prendre
l’avion sans la présence du thérapeute. Dans d’autres formes de TCC, il y
aurait de nombreuses séances en cabinet, au cours desquelles elle répéterait
le vol en imagination, avec souvent, en plus, du travail personnel à faire
tous les jours.
Dans cette forme de thérapie, on reconnaît que c’est un événement
passé qui a causé l’anxiété, mais le traitement est centré avant tout sur les
symptômes actuels. La manipulation directe du comportement et des
croyances est l’agent du changement. Par exemple, les gens qui ont peur
veulent généralement éviter l’événement ou l’objet qu’ils redoutent, et la
thérapie inclut donc un face-à-face direct avec sa peur. Comme les
thérapeutes TCC pensent que les raisons de l’évitement sont les croyances
négatives et irrationnelles entretenues par le sujet à propos de ce qui
pourrait arriver, le thérapeute construit une « expérimentation
comportementale », une exposition réelle à l’objet ou aux circonstances,
pour mettre en cause ces croyances en démontrant que la catastrophe
redoutée (ici un crash) ne se produit pas. De cette façon, le patient est censé
apprendre que sa peur est infondée, et réagir en conséquence. Dans cette
forme de thérapie, on encouragerait Nancy à prendre d’autres vols dans
l’année et à surveiller ses réactions avec les techniques qu’elle aurait
apprises, pour prévenir les rechutes.
Quand Nancy se présenta avec son problème chez un thérapeute
EMDR, l’approche fut très différente. En EMDR, on se centre sur les
souvenirs stockés qui causent les peurs. Le thérapeute identifie les
expériences passées qui jouent un rôle dans la difficulté, les situations du
présent qui provoquent une perturbation, et ce dont la personne aura besoin
à l’avenir. Tous ces points seront abordés à travers le retraitement.
Cependant, on ne parle pas en détail de l’expérience perturbante, on traite
plutôt directement les souvenirs stockés, ce qui permet au cerveau de les
enregistrer avec des pensées et des émotions plus adaptées. Cette forme de
traitement produit en même temps des prises de conscience et une
« désensibilisation » de l’anxiété et de la peur.
Guidé par la perspective du « traitement adaptatif de l’information »,
le thérapeute de Nancy recueillit le récit de son passé afin d’examiner, en
particulier, ce qui se passait dans sa vie lorsque ses symptômes étaient
apparus pour la première fois. Il est évident que voyager dans un petit avion
pendant un orage peut être effrayant ; mais cela arrive à de nombreuses
personnes, qui ne développent pas pour autant une peur permanente de
prendre l’avion. Il avait pu se produire autre chose. Ce n’était pas non plus
le premier vol de Nancy. Elle avait souvent pris l’avion auparavant sans
présenter de symptômes. Au cours de cette phase, Nancy et son thérapeute
explorèrent la première, la pire et la plus récente des expériences de vol qui
la perturbaient ; et il apparut que ses symptômes avaient commencé pendant
un voyage au cours de sa première année universitaire. Ses parents venaient
de se séparer et allaient divorcer par la suite, un lien qu’elle n’avait pas fait
jusque-là, et dont elle ne voyait d’ailleurs pas du tout la pertinence.
Pourtant, en ciblant le vol où elle avait pour la première fois ressenti cette
peur, elle associa à ce souvenir la séparation de ses parents ; elle décrivit la
manière dont elle se sentait responsable de leur décision, et elle expliqua
tous les bouleversements qui accompagnaient cette dernière à cette période.
Elle était persuadée que si elle n’avait pas quitté la maison pour aller
étudier, ils seraient restés ensemble.
L’orage qui avait secoué l’avion dans les Caraïbes aggravait sa peur et
son anxiété vis-à-vis de sa situation familiale et devint le fondement de sa
peur de l’avion. Mais ce n’était pas tout. Son sentiment de responsabilité à
l’égard de la vie de ses parents ne se limitait pas à leur divorce ; il n’est pas
rare que les enfants et les adolescents se sentent coupables quand les
parents ne s’entendent pas. Cette culpabilité peut se trouver stockée dans
leur cerveau et engendrer des problèmes plus tard. Mais les choses étaient
encore plus compliquées : ce sentiment excessif de responsabilité était un
thème récurrent dans la vie de Nancy. Son père était alcoolique, sa mère
souffrait de dépression, et Nancy avait été mise dans le rôle de celle qui
devait s’occuper d’eux.
Après que les procédures de traitement de ce souvenir eurent été
menées à bien, Nancy n’avait plus peur de prendre l’avion, et elle pouvait
prendre ses vols professionnels sans difficulté. Mais, parvenue là, elle avait
un choix à faire : voulait-elle mettre fin à sa thérapie, maintenant que le
traitement avait éliminé sa peur de l’avion ? Ou voulait-elle aborder les
difficultés plus larges, puisqu’on voyait maintenant qu’elle avait un
sentiment de culpabilité et de responsabilité excessif envers sa famille – et
envers les hommes avec qui elle sortait ? Cela expliquait bon nombre des
difficultés qu’elle rencontrait dans ses relations amoureuses : elle présentait
beaucoup de comportements de « sollicitude » et de « soumission » qui la
desservaient, mais qu’elle mettait en œuvre automatiquement, sans s’en
apercevoir. Au cours des huit mois suivants, elle choisit de poursuivre sa
thérapie sur ces points où elle se sentait bloquée, et ses difficultés furent
résolues. Cela signifiait qu’elle était maintenant capable de trouver un
partenaire qui lui convenait et qu’elle avait le plaisir de se sentir « à
égalité » dans la relation ; elle se sentait le droit de recevoir de l’amour et
de l’attention, et pas seulement d’en donner.
Comme nous réagissons tous automatiquement au monde qui nous
entoure, il est important de se demander si une réaction perturbante est
adaptée ; si ce n’est pas le cas, est-elle excessive, ne se produit-elle qu’en
réponse à une situation particulière, ou est-elle plus générale ? J’ai travaillé
par exemple avec une patiente qui était enceinte et était terrifiée à l’idée
d’accoucher. De toutes les réactions qu’on peut avoir au cours d’une
grossesse, la terreur n’est certainement pas la plus souhaitable. Nous avons
remonté à la source de cette terreur et nous avons découvert qu’elle était
fondée sur le fait que ma patiente était l’aînée de sept enfants : pour elle,
accoucher, c’était devenir comme sa mère, qui avait vieilli prématurément.
Nous avons retraité cela et elle a pu avoir un accouchement heureux. Sa
peur affectait aussi la représentation qu’elle avait d’elle-même : elle se
rendit compte que, toute sa vie, elle s’était inquiétée de façon démesurée de
son apparence, se préparant par exemple pendant des heures avant d’aller
en soirée.
Ces émotions négatives, ces croyances et ces réactions physiques
inadaptées, quel qu’en soit le contenu, sont de façon générale causées par
des souvenirs non traités. Le passé est toujours présent. Il faut donc
déterminer si nos réactions sont appropriées ; si ce n’est pas le cas, se
produisent-elles seulement dans un domaine de notre vie, ou agissent-elles
de façon plus large ? Ici encore, est-ce seulement le temps, ou est-ce plus
largement le climat ?
Conserver l’équilibre
Nous avons tous des souvenirs non traités qui se trouvent « activés »,
« déclenchés », et nous nous sommes donc tous sentis anxieux, apeurés,
tristes, en colère ou en danger à divers moments, sans trop savoir pourquoi.
Avant que nous ne commencions à explorer certaines de ces difficultés
personnelles, il est important d’avoir un moyen de se débarrasser d’une
perturbation si celle-ci apparaît. Cela nous donnera l’équilibre nécessaire
pour garder un pied dans le présent pendant que nous explorerons notre
passé. Même si nous avons tous connu ces sentiments négatifs dans le
passé, nous serons plus à l’aise pour vérifier si nous n’avons pas peur des
émotions. Le mieux, pour y parvenir, est de savoir que nous pouvons nous
en débarrasser quand nous le voulons. C’est pourquoi nous allons apprendre
quelques techniques d’autocontrôle qui sont aussi utilisées dans la phase de
préparation en thérapie EMDR.
Une fois que vous avez ce lieu sûr ou calme, vous pouvez intensifier
les émotions positives en utilisant la stimulation bilatérale, avec ce qu’on
appelle un tapotement alterné. Cependant, il est important que vous
surveilliez vos sensations et vos pensées, et si elles commencent à passer
dans le négatif, arrêtez et revenez à votre schéma positif de respiration.
Voici deux sortes de stimulations que vous pouvez utiliser. La première
consiste à tapoter alternativement sur ses cuisses. Quand on se concentre
sur le lieu sûr ou calme, on tapote lentement de quatre à six fois seulement,
c’est-à-dire environ cinq secondes. On ne fait pas de longues séquences, car
les séquences très rapides ou longues utilisées dans le retraitement EMDR
peuvent parfois ramener des associations désagréables, en faisant émerger
de nouveaux souvenirs.
Une autre manière de faire une stimulation alternée est de faire le
papillon. Elle a été inventée au Mexique, pour travailler avec des groupes
d’enfants traumatisés après un ouragan. On s’en sert depuis lors, dans le
monde entier, pour renforcer les émotions positives d’un lieu sûr. Pour cela,
vous croisez les bras, en plaçant la main gauche sur votre épaule droite, et
la main droite sur votre épaule gauche. Puis vous tapez des deux mains
alternativement, lentement, quatre à six fois. Pour l’essayer, visualisez
l’image du lieu sûr ou calme et le mot positif que vous lui avez relié, et
laissez-vous aller à cet état de sécurité ou de calme. Quand vous le
ressentez, tapotez alternativement sur vos cuisses, ou faites le papillon,
quatre à six fois, puis prenez une respiration et voyez comment vous vous
sentez. Essayez maintenant de faire une séquence, puis ouvrez les yeux.
Si l’état positif se renforce, fermez à nouveau les yeux, ressentez ces
impressions positives et ramenez le mot. Puis tapotez alternativement
quatre à six fois. C’est une bonne manière de renforcer et d’accroître le
pouvoir du lieu sûr ou calme, pour pouvoir mieux vous en servir face à une
perturbation momentanée. Elle peut vous donner une sensation d’équilibre
quand vous commencerez à explorer certains de vos souvenirs non traités.
Essayez encore. Si la stimulation bilatérale vous aide, utilisez-la tous les
jours. Sinon, continuez à utiliser simplement l’image et le mot. Souvenez-
vous que vous pouvez aussi vous servir de la technique du changement de
respiration pour revenir dans les émotions positives si vous êtes perturbé.
Utilisez quotidiennement l’exercice du lieu sûr ou calme quand vous vous
sentez bien, pour vous assurer que les émotions positives sont rechargées et
assez fortes pour vous aider à vous débarrasser d’une perturbation le cas
échéant.
En mode automatique ?
1.
Le lecteur trouvera un glossaire des techniques décrites dans ce livre en
annexe A, p. 363. [N.d.É.]
CHAPITRE 4
Tout enfermé
Une des difficultés tient à ce que les gens, la plupart du temps,
considèrent simplement le passé comme un « apprentissage ». Ils se disent :
« Il m’est arrivé quelque chose et j’ai appris à ressentir et à me comporter
d’une certaine manière. Mais c’était il y a des années. Je suis plus âgé, plus
mûr, et je sais bien que je ne devrais pas agir ainsi ; alors pourquoi est-ce
que je continue malgré cela ? Je dois avoir quelque chose qui ne va pas. »
Il y a peut-être quelque chose qui ne va pas, mais ce n’est pas ce qui
nous définit, il faut garder cela à l’esprit. Cela signifie qu’il y a des
souvenirs non traités qui sont physiologiquement stockés dans le cerveau
avec les émotions et les sensations physiques présentes lors de l’événement.
Comme ils ne sont pas traités, ils continuent de produire des pensées et des
sentiments négatifs chaque fois qu’ils sont activés. C’est pour cela que vous
avez peut-être pu voir des amis, plutôt brillants par ailleurs, se mettre
brusquement à parler comme des enfants quand ils sont au téléphone avec
un membre de leur famille ; vous pouvez même les voir changer
d’expression et de posture parce qu’ils se sentent sans force quand ils
parlent à leurs parents ou à l’un de leurs frères et sœurs. Ces émotions, ces
pensées et ces sensations physiques peuvent agir à notre insu dans notre vie,
si nous ne faisons rien. « Je ne suis pas assez bien. Je vais souffrir. Je ne
peux pas réussir » : voilà le genre de pensées qui peuvent indéfiniment
surgir. Dans ce chapitre, nous allons explorer les souvenirs qui vous
enferment dans des réactions dont vous ne voulez pas.
Les questions d’ordre génétique et les situations concrètes qu’il
faudrait traiter dans le présent peuvent certainement jouer aussi un rôle, je
dois le souligner : la façon dont notre cerveau fonctionne, en fonction d’une
particularité génétique, peut en effet nous rendre plus ou moins vulnérable à
l’impact des événements. Nos gènes, si certaines conditions sont réunies,
peuvent également nous prédisposer à certains troubles mentaux.
Cependant, même dans ces cas, il faut souvent un événement pour
précipiter les symptômes, et d’autres expériences peuvent au contraire nous
aider à les combattre. Nous ne pouvons pas modifier notre patrimoine
génétique, mais nous pouvons travailler directement sur nos vécus.
En travaillant, en thérapie EMDR, avec des millions de gens, nous
avons découvert que les expériences enregistrées dans le cerveau en tant
que souvenirs non traités sont une cause essentielle des réactions
perturbatrices et incontrôlables des êtres humains. Au contraire, les
souvenirs qui ont été traités naturellement, ou qu’on travaille avec
l’assistance d’un thérapeute, se transforment en expériences
d’apprentissage, de sorte que les émotions, les croyances et les sensations
physiques ne sont plus contenues dans nos réseaux mémoriels. Par
conséquent, les souvenirs que nous cherchons, ceux qui sont brûlants, ceux
qui sont négatifs, correspondent parfois à un événement unique, par
exemple un traumatisme majeur qui engendrera un ESPT – mais il peut
s’agir aussi d’événements courants de l’enfance : des brimades, des
moqueries, une chute de vélo, une dispute des parents, la trahison d’un
copain, un petit ami qui vous plaque, une boum où vous n’avez pas été
invité… : la liste est sans fin. Ces événements, s’ils sont stockés et toujours
brûlants, peuvent avoir des effets néfastes dans votre présent.
Il est important également de se rappeler que parfois, c’est ce qui n’est
pas arrivé qui pose problème : par exemple, être victime de négligences, ou
avoir un père ou une mère qui ne sont pas disponibles une fois seulement,
ou au contraire la plupart du temps, ou pendant un orage particulier : ces
éléments peuvent devenir de graves points de difficulté. Les enfants
pleurent spontanément, parce qu’ils sont programmés pour exprimer des
demandes et recevoir de l’aide d’un protecteur. Si l’aide ne vient pas, cette
expérience peut facilement être enregistrée dans le cerveau en tant que
souvenir non traité. Cela explique pourquoi tant de baby-boomers ont
parfois des sensations de désespoir qui semblent incompréhensibles :
pensez au nombre de bébés qu’on laissait alors pleurer dans le noir,
affamés, à cause de « règles » sur la fréquence à laquelle il fallait les
nourrir…
En thérapie EMDR, l’évaluation commence dès que la personne entre
dans la pièce. En fait, le thérapeute se représente le problème comme une
boîte dont le couvercle est vissé, et dans laquelle le patient est enfermé.
Comment l’ouvrir ? Bien sûr, on peut taper dessus à coups de marteau ou
tenter de la forcer, mais il serait plus efficace de chercher les vis qu’il faut
dévisser pour ouvrir le couvercle.
C’est ce que nous allons faire dans ce chapitre : nous allons chercher
certains souvenirs spécifiques qui sont à la base de vos difficultés.
Ça vient toujours de l’enfance ?
LE SCAN D’AFFECT
REVENIR AU CALME
EXPLORATION PERSONNELLE
Dans l’exercice qui suit, vous allez rencontrer des croyances qui sont
peut-être les vôtres. Nous avons bien des façons de mettre en mots notre
perturbation, mais les formulations relèvent en général de trois catégories :
Manque de sécurité/vulnérabilité
Je ne peux faire confianceà personne Je peux choisir à qui je fais confiance
Je suis en danger C’est fini ; je suis en sécurité maintenant
Je ne suis pas en sécurité Je suis en sécurité maintenant
C’est dangereux de ressentir et de montrer ses Je peux sans danger ressentir et montrer mes
émotions émotions
Pour commencer, pensez aux trois dernières choses qui vous ont
perturbé récemment – ou qui vous ont perturbé le plus dans l’année
écoulée –, particulièrement celles qui vous ont fait réagir excessivement.
Inscrivez-les dans la colonne « Événements récents », en laissant quelques
lignes après chacune. Puis regardez la liste des cognitions négatives :
gardez le premier des trois incidents à l’esprit, cherchez la cognition
négative qui lui correspond le mieux, puis inscrivez-la sous l’incident. Par
exemple, si vous avez l’impression, la croyance, que « c’est ma faute,
j’aurais dû agir autrement », posez-vous cette question : « Qu’est-ce que
cela dit de moi ? » Cela vous fait-il penser que vous avez honte de vous-
même, que vous êtes stupide, que vous êtes quelqu’un de mauvais ?
Choisissez la cognition négative qui va le mieux et inscrivez-la sous
l’événement récent. Si vous n’arrivez pas à en trouver une, laissez l’espace
vide pour le moment.
Vous le voyez, j’ai mis aussi une colonne de cognitions positives qui
contredisent les premières. Elles représentent la façon dont vous vous
sentiriez si vous aviez reçu un message différent dans votre enfance, ou
dans une situation particulière : vous ne vous sentiriez pas « défaillant »,
mais « à la hauteur ». Ici encore, il ne s’agit pas de reproches : cela vous
donne simplement une idée des possibilités à venir.
En traduisant ses sentiments par les mots d’une cognition négative, on
obtient des informations sur ses propres processus inconscients et sur les
souvenirs qui dirigent sa vie. On n’a plus seulement « une impression », on
voit que des types particuliers de pensées et de croyances l’accompagnent.
Il n’y a pas lieu de se reprocher d’avoir cette cognition négative : c’est
simplement un symptôme des souvenirs emmagasinés qui déclenchent la
réaction. Voyons à présent combien de ces situations récentes qui vous ont
perturbé contenaient la même émotion et la même cognition. Quand vous
aurez identifié la cognition négative qui accompagne le premier incident,
passez à chacun des suivants et faites la même chose. Écrivez une courte
phrase qui décrit l’événement et inscrivez en dessous une des cognitions
négatives qui exprime le mieux la façon dont vous vous sentiez à ce
moment. Si vous n’arrivez pas à en trouver une pour l’un ou l’autre des
événements récents, laissez un blanc pour le moment.
Maintenant prenez une minute pour examiner ce que vous avez trouvé.
Les trois événements ont-ils la même cognition négative ? Ou bien les
cognitions sont-elles différentes, mais dans la même catégorie de
« Responsabilité », de « Sécurité » ou de « Contrôle » ? Ou sont-elles dans
des catégories différentes ?
Ici non plus les reproches ne sont pas de mise : si rien ne vient, ne
forcez pas. Si rien ne vient facilement pour un incident récent, essayez avec
un autre. Pour certaines personnes, l’assistance d’un thérapeute sera
nécessaire pour guider le processus. Chez d’autres, il peut y avoir de
nombreux souvenirs qui sont tous reliés par la même émotion. Ne vous
souciez donc pas de leur nombre. Notez par écrit, avec des mots clés, le
plus ancien et celui qui vous perturbe le plus. Utilisez la technique du
changement de respiration et du lieu sûr/calme pour revenir intérieurement
au calme.
La technique du pont d’affect
Et maintenant ?
Dans les chapitres qui viennent, nous ferons d’autres exercices et nous
explorerons d’autres situations, mais pour ceux d’entre vous qui ont pu
identifier des souvenirs, c’est un bon début. Pour ceux qui n’ont pas réussi à
le faire, les choses deviendront peut-être plus faciles lorsque nous
expliquerons différents aspects des réseaux mémoriels. Ici encore,
souvenez-vous que certaines personnes ont plus besoin d’assistance que
d’autres en raison de traits particuliers qui se sont inscrits en elles pendant
leur enfance. Il n’y a pas de reproche ici non plus, ce sont simplement des
informations. Si vous n’avez pas identifié de souvenir, mais que vous avez
identifié des cognitions négatives, cela signifie que vous allez pouvoir
commencer à repérer les moments où les émotions qui les accompagnent se
trouvent activées dans le présent. Nous ferons également quelques autres
exercices qui fonctionneront peut-être mieux pour vous.
Tout seuls ou avec l’aide d’un psychothérapeute, les gens identifient en
général de dix à vingt souvenirs qui leur posent problème dans le présent.
Ces souvenirs causent en général une réaction physique : si vous fermez les
yeux tout en songeant au souvenir, vous sentirez votre corps réagir et/ou
vous vous rappellerez les pensées et les souvenirs que vous avez eus sur le
moment. Ces souvenirs ne sont pas entièrement traités. Chacun d’entre eux
peut porter directement atteinte à votre bien-être dans le présent. Certains
ont contribué à former votre personnalité. D’autres peuvent vous faire du
mal chaque fois qu’ils sont activés.
Si de nombreux souvenirs peuvent causer des réactions physiques, les
expériences présentant des analogies sont généralement connectées à
l’intérieur du même réseau mémoriel. Des traumatismes majeurs peuvent se
produire à n’importe quel âge, et rester non traités. En dehors de ceux-là,
nos souvenirs les plus anciens ou les plus perturbants sont la clé de nos
difficultés actuelles. Si ces souvenirs sources sont traités, de nombreux
autres, associés dans le même réseau, se modifieront automatiquement en
même temps. Une fois les souvenirs stockés de façon appropriée, les
émotions, les pensées et les sensations physiques anciennes qui nous
perturbaient n’apparaissent plus. À la place, il peut apparaître
automatiquement des émotions et des pensées positives allant avec les
cognitions « je suis quelqu’un de bien » et « j’ai le choix ».
Il y a bien des manières de gérer ses réactions négatives. On peut par
exemple pratiquer l’autosurveillance et utiliser diverses techniques de
maîtrise de soi pour gérer la perturbation au moment où elle apparaît.
Maintenant que les exercices vous ont montré la façon dont les souvenirs
précoces sont reliés à certaines de vos croyances et de vos réactions
négatives actuelles, vous pouvez commencer à voir les schémas qui vous
contrôlent. Cela signifie que vous pouvez aussi être plus sensible à vos
réactions, et peut-être vous dire : « Ça, c’est bien moi ! », au lieu de vous
laisser envahir par l’émotion. Si vous vous sentez en colère, effrayé, triste,
en insécurité, etc., vous pouvez utiliser la technique du changement de
respiration et celle du lieu sûr/calme. Si vous vous trouvez face à des
critiques intérieures, vous pouvez utiliser la technique du personnage de
dessin animé. Si vous avez dans la tête une image qui vous obsède, vous
pouvez utiliser la technique du pot de peinture et mélanger l’image pour
qu’elle disparaisse, ou vous servir de la technique du tuyau d’arrosage ou de
l’effaceur pour la gommer. Ces techniques, et d’autres que nous
apprendrons plus loin dans le livre, vous aideront à changer d’état d’esprit
et d’émotion. On fait de bien meilleurs choix à partir d’un état de sécurité et
de calme, qu’à partir d’un état de colère ou d’insécurité.
D signifie Déclencheurs. Nous le savons, la situation présente se connecte à votre réseau mémoriel.
Si vous réagissez trop fort, c’est généralement parce que la situation déclenche un souvenir non
traité. Que s’est-il passé ? Était-ce une dispute dans la famille, un regard, un geste, un mot par
lequel vous vous êtes senti insulté ou rejeté, un collègue difficile ? Mettez quelques mots pour
vous rappeler ce qui s’est passé.
I veut dire Images. Quand vous pensez à cet événement maintenant, quelle image vous vient à
l’esprit ? Pour la plupart, ce sera la partie la pire de l’incident. C’est la partie qui vous perturbe
vraiment, celle qui vous fait rougir d’embarras, vous met en colère, vous attriste, etc.
C signifie Cognitions. Choisissez dans votre liste la cognition négative qui va le mieux avec vos
sentiments quand vous pensez à l’incident.
E signifie Émotions. Quelle(s) émotion(s) ressentez-vous en pensant à l’incident ?
S signifie Sensations et SUD. Où le sentez-vous dans votre corps, et quel est votre niveau de SUD ?
Une fois que vous avez noté vos réactions, veillez à utiliser la
technique du changement de respiration ou le lieu sûr/calme pour vous
ramener au calme.
Rappelez-vous que toutes les expériences ne viennent pas de l’enfance.
Les grands traumatismes peuvent avoir un impact à tout âge. Par exemple,
Derek, ancien combattant d’Irak, a utilisé en thérapie son journal des
DICES pour identifier les situations qui le faisaient souffrir et pour repérer
les réactions excessives : à son retour de la guerre, il avait découvert qu’il
se mettait en colère chaque fois que son petit garçon pleurait ; s’il l’avait
dans les bras à ce moment, il donnait l’enfant à sa femme. La cognition
négative était « je ne peux pas gérer ça ». Voici comment cela se présentait
dans son journal des DICES :
D I C E S
Le bébé pleure Les larmes sur son Je ne peux pas gérer Tristesse et Poitrine/ventre SUD
visage ça honte à8
Le paysage caché
Lien et attachement
SÉPARATION PHYSIQUE
⧫ La mère a été séparée du bébé au moment de la naissance, après
celle-ci, ou dans les mois qui ont suivi.
⧫ La mère a eu un accouchement très difficile.
⧫ Le bébé était prématuré ou malade à la naissance et/ou il a été
hospitalisé en soins intensifs ou en couveuse.
⧫ La mère était anesthésiée lors de la naissance.
⧫ La mère a été très malade après la naissance.
⧫ L’enfant a été adopté.
⧫ Une autre séparation importante a eu lieu.
SÉPARATION AFFECTIVE
⧫ La mère a souffert de problèmes émotionnels pendant la
grossesse.
⧫ La mère a souffert de problèmes émotionnels après la naissance.
⧫ Il y a eu un deuil dans la famille de la mère au cours des deux
années après la naissance.
⧫ La mère a fait une fausse couche dans les deux ans après la
naissance.
⧫ Il y a eu des difficultés conjugales graves, et/ou les parents se
sont séparés avant ou peu après la naissance.
⧫ La mère était toxicomane ou alcoolique à la naissance de son
bébé.
⧫ La mère a déménagé avant ou peu après la naissance.
⧫ Le couple a connu des problèmes financiers graves.
⧫ C’était une grossesse non désirée.
⧫ L’enfant était un jumeau ou un triplé.
⧫ Un autre événement s’est produit, qui a contrarié le lien
d’attachement.
L’important est que, pour ceux qui ont eu le sentiment que leur mère
ou leur père ne les aimait pas, cela pourrait très bien être vrai. Mais, on l’a
vu dans le chapitre précédent, sans psychothérapie, le parent pouvait être
dans l’impossibilité de faire autrement.
Le manque d’amour de Lucile pour Amy était une réaction physique et
émotionnelle automatique, fondée sur tout ce qui lui était arrivé. Imaginez
ses sentiments négatifs, avec le déménagement dans un nouvel endroit où
elle s’était sentie toute seule, loin de sa famille, avec des nausées et des
vomissements violents pendant sa grossesse, avec un travail long et
douloureux, puis une opération importante (la césarienne), et son
épuisement et ses sentiments dépressifs après la naissance du bébé. Son
système de traitement ne pouvait pas gérer autant d’éléments sans aide
extérieure. D’ailleurs, n’importe lequel de ces facteurs aurait pu suffire à
empêcher l’attachement émotionnel à son bébé.
Les pères, eux aussi, peuvent avoir les mêmes difficultés, selon leur
propre éducation et les stress qui ont entouré la naissance de leur enfant.
C’est aussi ce qui fait que certains enfants peuvent grandir avec
l’impression que leurs parents aiment leurs frères et sœurs, et pas eux. Et
cela peut être vrai, en raison des différences dans les situations entourant
leurs naissances respectives. Mais si un enfant se dit : « Papa et maman ne
m’aiment pas », cela va généralement de pair avec l’impression que : « Il y
a quelque chose qui ne va pas chez moi. » Ce n’est pas vrai, mais c’est
néanmoins encodé dans le système mnésique (la mémoire) de l’enfant. Si
tous les cas ne sont pas aussi évidents que celui de Lucile, comme nous le
verrons, il y a beaucoup de raisons qui font que les parents n’arrivent pas à
établir un lien et un contact avec leur enfant – et que cet enfant a
l’impression de ne pas être désiré et de ne pas être aimé.
Beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte dans les humeurs du
post-partum et dans la capacité à établir un lien avec l’enfant : une
naissance traumatisante, une relation difficile avec son conjoint ou sa
famille, un traumatisme d’enfance non résolu, des événements non traités
au cours de la grossesse, ou des changements physiologiques dans les
hormones maternelles. Une césarienne peut également contribuer à ces
difficultés. Comme on fait de plus en plus de césariennes, je dois souligner
le fait suivant : si ces opérations peuvent être nécessaires dans de nombreux
cas, il est utile aussi de savoir qu’on pourra avoir besoin d’aide pour se
remettre au plan psychologique aussi bien qu’au plan physique.
Par exemple, Marilyn, elle aussi, avait connu un travail long et
difficile, suivi d’une césarienne. À son réveil, elle délirait et ne se rappelait
pas vraiment les détails de la naissance ou ce qui s’était passé ensuite en
salle de réveil. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle souffrait atrocement,
qu’elle avait la nausée et qu’elle se sentait faible. Les semaines et les mois
suivants, elle eut peur que tout le traumatisme de cette naissance ait affecté
son fils, Donny. « J’étais terrifiée d’être maman, dit-elle. Il pleurait après
chaque repas et il avait beaucoup de régurgitations. Je me demandais tout le
temps ce que je pourrais faire. Ses problèmes d’alimentation venaient-ils du
traumatisme de sa naissance ? »
Cette peur n’est pas rare : les mamans qui n’ont pas établi de lien avec
leur bébé ont souvent peur, elles ne savent pas quoi faire les premières fois
qu’elles le prennent. En raison de ses souvenirs non traités, Marilyn se
sentait distante par rapport à Donny. Elle ne cessait de se surveiller. Elle
avait toujours l’impression de mal faire. Elle n’arrivait pas à le prendre dans
ses bras avec amour, elle avait peur de lui faire mal – et Donny devenait de
plus en plus difficile. Quand elle eut traité ces souvenirs en EMDR, Marilyn
put se détendre et profiter de son bébé ; elle put ressentir de l’amour pour
lui et le lui exprimer – et Donny y réagit positivement. Le paradoxe de tout
cela, avant le retraitement de ses souvenirs, c’était que l’incapacité de
Marilyn à ressentir de l’amour était liée à sa crainte de faire du mal à son
fils – alors que c’était justement l’incapacité de sa maman à ressentir de
l’amour pour lui qui lui faisait du mal.
Les effets de cette sensation de ne pas être aimé peuvent être
dévastateurs chez les enfants. Ces bébés et ces tout-petits peuvent donner
l’impression de n’être jamais satisfaits : ils sont déprimés, anxieux,
grognons.
Quand la carence d’attachement se poursuit, quand les parents ne sont
pas « accordés » à l’enfant (c’est-à-dire quand ils ne sont pas sensibles aux
besoins de l’enfant et n’y répondent pas), l’enfant peut avoir des difficultés
toute sa vie, à la fois sur le plan médical et psychologique. Beaucoup de ces
enfants seront catalogués comme « perturbateurs » à l’école, et resteront
dans cette catégorie encore après. Ils peuvent aussi avoir d’autres réactions
négatives, fondées sur ce qu’on appelle les styles d’attachement
« insécure ».
Tout cela permet d’expliquer comment tout le monde sélectionne un
certain nombre de traits particuliers qui vont affecter non seulement la
personne qu’on sera, mais aussi les relations qu’on aura avec les autres. En
fait, la communication entre le parent et le bébé produit des changements
réels dans le cerveau de celui-ci ; ces changements vont déterminer la façon
dont il gérera ensuite ses émotions et la représentation qu’il aura de lui-
même. Ces différents styles d’attachement peuvent expliquer les
particularités que vous repérez peut-être en vous-même, dans votre famille
ou chez des amis.
Quand les parents sont « accordés » à leurs enfants, on peut dire qu’ils
sont sur la même longueur d’onde. Cela constitue un style d’attachement
« sécure ». Au cours des premières années de sa vie, ces liens aideront le
cerveau de l’enfant à se développer complètement et d’une manière qui lui
permet de rester calme dans les moments de stress et d’entrer facilement en
contact avec les autres. Le bébé pleure et tend les bras vers ses parents, qui
réagissent avec amour. Le contact visuel et l’interaction entre le parent et
l’enfant sont comme une danse, où tous deux bougent au même rythme. À
travers toute l’enfance, cette interaction harmonisée, où les besoins
émotionnels de l’enfant sont satisfaits, devient le fondement de son
sentiment de sécurité et de relations heureuses plus tard. Évidemment, nous
l’avons vu, ce sentiment de bien-être et de bonheur peut être détérioré de
bien des façons. Mais une vie de famille harmonieuse donne aux enfants
une bonne base de départ.
Malheureusement, certains parents sont mal « accordés » à leurs
enfants. Les psychologues estiment que ce problème touche environ 35 %
de la population. On appelle ces accordages défaillants des « styles
d’attachement insécure ». Par exemple, pour des raisons diverses provenant
de leur propre éducation, certains parents sont mal à l’aise avec l’intimité et
les expressions d’amour, ou d’autres émotions intenses. Quand leur enfant
pleure ou leur tend les bras, ils se ferment automatiquement et s’écartent de
lui. C’est ainsi que Joan nous a raconté comment elle avait vu une vidéo
prise quand elle avait environ 10 ans, et en avait été considérablement
perturbée, trente ans après : sa mère était assise, et Joan venait l’embrasser.
Sa mère, de façon répétée, s’éloignait sur le côté, reculait, pour éviter le
baiser de sa fille. De même, sa mère ne la prenait jamais contre elle et ne lui
disait jamais « je t’aime » : elle disait qu’« être trop bisous, trop câlins »,
c’était « moche », selon son expression. Un jour, Joan l’entendit dire qu’elle
aimait bien les bébés, mais pas les enfants. Les enfants sont trop exigeants.
En grandissant, Joan apprit donc à ne rien demander et à ne pas
rechercher de réconfort auprès de sa mère et de son père. Elle pensait qu’on
ne pourrait jamais l’aimer, et gardait ses émotions pour elle : n’imaginant
pas qu’on réponde à ses besoins, elle n’avait aucune raison de les exprimer.
Les psychologues diraient que ses parents avaient un style d’attachement
« rejetant » – et qu’il y avait de bonnes chances pour que Joan élève ses
propres enfants de la même façon. C’est ainsi que les choses se transmettent
d’une génération à l’autre. Les parents de Joan l’élevaient comme on les
avait élevés : ils s’occupaient de ses besoins physiques, mais pas de ses
besoins affectifs. Ce n’était pas par méchanceté, ce n’était même pas
nécessairement par manque d’amour pour elle. Leur style d’éducation, de
« parentage », était simplement une réaction automatique, identique en tout
point à ce qu’ils avaient vu leurs parents et leurs frères et sœurs faire avec
leurs enfants. Cela leur semblait tout naturel.
Autre style d’attachement parental : le style « préoccupé », où le
parent, sous l’influence des vécus perturbants de sa propre vie, se met dans
des états d’anxiété ou de colère excessifs. Parfois, ils répondent aux besoins
de leurs enfants, mais quand leur matériel traumatique personnel est
enclenché, ils n’y sont plus accordés du tout. Ces enfants apprennent qu’il
faut insister beaucoup pour que les parents tiennent compte de leurs
besoins, et ils peuvent devenir eux-mêmes anxieux, exigeants, « collants »
et excessivement dépendants. Cette insécurité fondamentale va se
poursuivre dans les relations qu’ils vont nouer plus tard.
La dernière catégorie est l’attachement « désorganisé », où les
souvenirs de trauma et de violence du parent les lui font transmettre à ses
enfants à travers des comportements effrayants, comme des grimaces, des
éclats de colère, des gestes brutaux ou des coups, ou à travers des
comportements anxieux comme des sursauts ou des expressions faciales de
peur. Ces enfants se trouvent dans ce qu’on appelle un « double lien » : la
personne auprès de laquelle ils voudraient trouver refuge est aussi la source
de leur anxiété. À l’âge d’entrer en classe, les enfants « désorganisés » se
mettent parfois à contrôler et « punir » leurs parents : ils crient, aboient des
ordres, piquent une colère s’ils n’ont pas ce qu’ils veulent. Chez d’autres,
on a au contraire une attitude figée ou déprimée. Ils peuvent internaliser
leur anxiété et montrer une « perfection » qui cherche à contenter tout le
monde autour d’eux. Quoi qu’il en soit, comme dans les autres styles
d’attachement insécure, les « péchés » des parents sont transmis à la
génération suivante.
Pourtant, redisons-le, ce n’est pas nécessairement un manque d’amour.
Ces parents disent souvent qu’ils sont simplement mus par le souci de bien
élever leurs enfants. Il n’empêche que leurs modes éducatifs sont souvent
des réactions automatiques, provenant de leur propre éducation, et
déclenchées par le comportement de leurs enfants. Par exemple le père de
Jenna, Harry, avait grandi dans une famille où on élevait les enfants à la
cravache. Son père en avait une dont il se servait pour s’assurer que tous ses
enfants lui obéiraient et grandiraient en ayant le sens des responsabilités.
Plus tard, Harry allait réagir à son tour aux bêtises de ses enfants par des
hurlements, des fessées et des coups de ceinture.
Jenna, la plus grande, fut la cible principale de ses violences, et en
conclut qu’il lui fallait se contrôler en toutes circonstances pour éviter les
coups. Quant à sa petite sœur, Clara, qui se cachait sous le lit quand le père
battait Jenna, elle devint une enfant anxieuse et craintive. Elle était
tellement certaine qu’elle ne pourrait pas supporter d’être battue qu’elle
essayait de se rendre invisible et se repliait sur elle-même : c’était l’enfant
tranquille qui ne pose jamais de problème. Plus tard, elle développa une
dépression chronique. Le cours de la vie de Jenna et de Clara fut ainsi
déterminé par un père traumatisé dont l’attachement « désorganisé » était à
la source de son style de parentage. Ce n’est pas qu’il ne les aimait pas. Il
avait simplement été modelé par sa propre éducation et ses souvenirs non
traités.
Heureusement, les conséquences des styles d’attachement insécure
peuvent être corrigées par des expériences positives avec un enseignant, un
entraîneur sportif, d’autres personnes de l’entourage, ou une thérapie si
c’est nécessaire. Mais il est utile, en premier lieu, de reconnaître que les
difficultés que vous voyez chez vous-même ou chez d’autres peuvent venir
de ce genre de vécus d’enfance non traités. Ou peut-être êtes-vous un père
ou une mère qui a besoin d’examiner de plus près ses propres réactions
automatiques, qui peuvent avoir des effets à long terme sur ses enfants.
Peut-être vous dites-vous : « Je n’ai jamais été battu(e), et je ne frappe
pas mes enfants. » Mais les mots aussi peuvent causer des dommages
durables. La thérapeute de Michael disait ainsi qu’il souffrait d’une des
pires dépressions qu’elle ait jamais vues. Il avait une très mauvaise estime
de lui-même et pratiquement aucune motivation dans sa vie. Ses parents ne
l’avaient jamais battu. Mais il se rappelait de nombreuses occasions où son
père lui donnait des travaux à faire, comme de nettoyer la cour, puis lui
donnait la sensation de se recroqueviller intérieurement en lui disant par
exemple avec une grimace dégoûtée : « Ah, c’est tout ce que tu as été
capable de faire ? »
Bien des gens se sentent déprimés et regardent leurs propres traits de
caractère et les réactions qui les rendent malheureux en se disant : « Mes
parents étaient déjà comme ça, et je suis comme ça depuis toujours. Ça doit
être génétique. » Ce n’est pourtant pas la seule explication possible :
l’influence de vos parents a été là depuis le début de votre vie, et leurs
parents les avaient influencés aussi. Même si des facteurs génétiques sont à
l’œuvre, les études montrent que la part la plus importante vient de nos
expériences vécues. Mais, ici encore, quelles que soient les raisons, il ne
s’agit pas d’adresser des reproches à quiconque. Il s’agit de se libérer. Tout
ce qui a pu vous arriver dans votre enfance a contribué à faire de vous ce
que vous êtes. Quand vous étiez enfant, vous ne contrôliez rien, vous
n’aviez aucun choix ; mais, maintenant que vous êtes adulte, les choses sont
différentes. Une fois que vous avez identifié vos points de difficulté, vous
pouvez utiliser des techniques pour les traiter et repérer des souvenirs non
traités qui pourraient les alimenter. Pour vous aider dans cette exploration,
nous allons ajouter quelques techniques de contrôle de soi à celles que vous
avez déjà apprises, puis nous passerons à l’identification d’autres souvenirs
qui peuvent mener la danse dans votre vie à votre insu.
Voici une autre ressource qui peut améliorer votre accès à de bons
souvenirs : commencez par écrire dans votre carnet de notes une phrase qui
décrit un souvenir heureux, où vous avez ressenti une impression de bien-
être, d’accomplissement ou de joie. Cela peut être un souvenir récent ou un
souvenir de votre enfance – celui qui vous donnera le souvenir positif le
plus fort. Quelle est l’image qui représente le moment le plus fort ? Fermez
les yeux et prenez le temps de bien visualiser cette image. Quel est le mot
qui décrit le mieux ce moment ? Ensuite, comme vous l’aviez fait pour le
lieu sûr, gardez à l’esprit ce mot et cette phrase et notez à quels endroits
vous les ressentez dans votre corps. Profitez du souvenir, savourez-le.
Faites-le partir et revenir plusieurs fois. Vérifiez si vous pouvez ramener les
bonnes émotions avec l’image ou le mot.
Vous gagnerez deux choses, si vous trouvez un bon souvenir, solide et
positif : d’abord, il constituera une ressource que vous pourrez faire
remonter en cas de besoin, si vous êtes perturbé ou contrarié. Ensuite, c’est
une bonne façon de contrôler votre base de souvenirs. Si vous êtes déprimé,
vous aurez peut-être du mal à retrouver un souvenir qui vous apporte un pur
sentiment de joie et de bien-être. C’est peut-être que vous ne pouvez pas
trouver un bon souvenir, ou que vous vous rappelez qu’il était agréable
quand il s’est produit, alors qu’aujourd’hui il vous revient avec une pointe
de tristesse. La raison en est simple : les études montrent que la capacité à
retrouver les souvenirs est affectée par l’état émotionnel de la personne.
Quand on est déprimé, on a du mal à ressentir un événement quelconque
comme pleinement heureux, qu’il soit passé ou présent.
S’il y a déjà longtemps que vous êtes déprimé, si rien ne semble vous
apporter de plaisir, il serait utile pour vous d’envisager de vous faire aider
par un professionnel. Vous trouverez quelques indications à ce sujet dans
l’annexe B. De la même façon, il serait préférable que vous ne fassiez pas
les exercices de la section « Exploration personnelle », plus loin dans ce
chapitre. L’exercice qui suit peut vous aider à alléger des sentiments
négatifs, et les histoires peuvent vous aider à mieux comprendre ce qui vous
pose problème, mais il serait probablement mieux de ne pas plonger trop
profondément et tout seul dans vos réseaux mémoriels en ce moment. Si
c’est simplement que vous avez eu une mauvaise journée, vous pourrez
revenir une autre fois à ces exercices. Mais si votre sentiment de ne pas être
heureux est un état d’esprit habituel, ou s’il alterne avec d’autres émotions
très fortes, lisez plutôt ce chapitre avec pour objectif principal de
comprendre la raison de ces états d’esprit négatifs qui vous affectent
comme ils affectent des millions d’autres personnes. Ensuite, vous pourrez
décider des dispositions à prendre.
LA TECHNIQUE DE LA SPIRALE
Exploration personnelle
Faisons un pas de plus pour repérer ce qui pourrait être à retraiter chez
vous. Si vous me répondez par un mot comme « insécurité », c’est un peu
comme si je vous demandais de me décrire la couleur verte : je n’ai aucun
moyen de savoir à quelle nuance de vert vous pensez. De la même façon,
quand vous dites que vous êtes « en insécurité », cela ne dit pas tout. Selon
les circonstances, des sentiments différents se font jour, et ce sont des
souvenirs différents qui peuvent les déclencher. Par conséquent, il est utile
de savoir ce qui se passe précisément quand vous ne vous sentez pas en
sécurité à certains moments.
Dans le chapitre précédent, vous avez identifié les cognitions négatives
reliées à quelques événements récents, mais elles peuvent n’être que le
sommet de la partie émergée de l’iceberg. La liste des cognitions négatives,
ci-après, vous donnera l’occasion de mieux définir les domaines où vous
êtes en difficulté, parce que les mots eux-mêmes peuvent entrer en
résonance avec des réseaux mémoriels contenant des souvenirs non traités.
Dans le cerveau sont emmagasinées non seulement les pensées négatives
concernant l’événement d’origine, mais aussi les sensations physiques
négatives ; elles peuvent également vous renseigner sur ce qui vous mène à
votre insu. Nous allons commencer en examinant les cognitions négatives
de la première catégorie, pour voir lesquelles vous touchent le plus
fortement. En parcourant cette liste de cognitions négatives, vous
chercherez en vous-même les émotions négatives qui les accompagnent.
Dans votre carnet de notes, mettez en en-tête : « Responsabilité ». Puis
lisez les étapes ci-dessous jusqu’au bout, avant de commencer à suivre les
instructions.
EXPLORER LE PAYSAGE
Si vous avez identifié des cognitions négatives, ainsi que les souvenirs
qui les font apparaître, profitez de l’occasion pour avoir de la compassion
pour ce que vous avez vécu étant enfant. Ce n’est pas de l’auto-apitoiement.
Il s’agit du même sentiment de compréhension et de tendresse que vous
auriez pour n’importe quel enfant qui souffre. Comme les personnes qui ont
témoigné ici, chacun de nous est le produit du fonctionnement cérébral
humain – et des souvenirs qui ont été emmagasinés sans consentement et
sans contrôle de notre part dans notre cerveau. Voyez si vous pouvez
ressentir de la compassion pour vous-même, tel que vous êtes en ce
moment.
Nous allons vous indiquer d’autres exercices personnels dans les
chapitres qui viennent, et quand nous aurons fini, vous aurez une idée plus
claire de ce qui vous mène à votre insu, ainsi que des raisons pour
lesquelles vous avez peut-être des sensations d’anxiété, de tristesse ou de
colère. Si vos réactions négatives sont occasionnelles, vous aurez également
une bonne idée de ce qui risque de déclencher en vous les émotions qui
vous bouleversent. Vous pouvez alors vous préparer à l’avance avec
l’exercice du lieu sûr/calme quand vous savez que vous allez vous trouver
face à ces circonstances, ou bien vous en servir après coup, si des émotions
et des sensations négatives apparaissent. Vous pouvez aussi vous servir de
la spirale et d’autres techniques pour vous débarrasser de la perturbation.
Pour un rappel et une révision rapide, reportez-vous au glossaire et aux
techniques d’auto-assistance de l’annexe A.
Tout en avançant, nous apprendrons des techniques supplémentaires
pour vous aider à gérer vos réactions automatiques – et vous pourrez faire
beaucoup en surveillant vos réactions et en vous servant de ces outils. La
question, à plus long terme, est de savoir si cela va vous suffire. Si ce n’est
pas le cas, vous pourriez envisager de travailler vos souvenirs sources avec
un thérapeute. Un des objectifs de la thérapie EMDR est de « digérer » les
anciennes expériences bloquées, pour que ces sensations physiques et ces
émotions ne vous mènent plus là où vous ne voulez pas aller. Point plus
important, cela signifie que, de négatives, les émotions et les cognitions
deviennent positives, et que vous êtes libéré : vous ressentez dans votre vie
une impression de force et de bien-être. Comme vous avez déjà commencé
à le constater, ces souvenirs peuvent être la cause de vos difficultés et faire
disparaître votre joie de vivre, de façon extrêmement diverse et inattendue.
Maintenant que vous en avez pris conscience, vous pouvez faire vos
propres choix pour remodeler à votre gré ce paysage jusque-là caché.
CHAPITRE 6
Si seulement je pouvais…
PAS D’ÉCHAPPATOIRE
Les gens qui ont été victimes d’une agression majeure – qu’il s’agisse
d’abus sexuels, d’accidents, de catastrophes naturelles ou de la guerre –
peuvent être atteints d’ESPT. Ils peuvent revivre interminablement en
boucle cette expérience au travers de cauchemars, de pensées intrusives ou
de flashbacks, au cours desquels c’est vraiment comme si l’événement se
produisait à nouveau. Une large gamme de symptômes peuvent survenir, et
leurs sentiments incessants de peur et de perte de contrôle peuvent perturber
leurs relations avec leur famille et leurs amis, avec de soudains accès de
colère, ou des périodes de dépression et de repli sur soi.
Un des buts de ce livre est de mieux faire comprendre ce qui nous fait
agir – et ce que nous pouvons y faire. C’est aussi de contribuer au
développement d’une meilleure compréhension, d’une plus grande
compassion envers ceux qui nous entourent. C’est pourquoi vous trouverez
dans cette section les témoignages d’un vétéran qui désire aider ses
camarades anciens combattants, et d’une femme qui souhaite aider d’autres
personnes victimes d’abus sexuels. Comme je l’ai déjà indiqué, nous avons
tous davantage en commun que de différences. Bien sûr, la façon dont les
souvenirs nous affectent varie d’une personne à l’autre, mais tout le monde
vit des émotions, des pensées et des réactions physiques négatives. Des
millions de gens souffrent de traumatismes liés à des accidents, à des
catastrophes naturelles, à des attaques terroristes ou à des agressions
physiques ou sexuelles. Et cela peut arriver brutalement à chacun d’entre
nous, n’importe quand. Si ces problèmes ne vous concernent pas
directement, vous ou un proche, ils vous toucheront en raison de notre
humanité et de notre fragilité communes. En lisant ces deux histoires, vous
vous demanderez peut-être : « Comment aurais-je réagi, dans la même
situation ? »
GARDER LE SECRET
C’est une femme victime d’agression sexuelle qui nous fait partager le
récit qui va suivre dans l’espoir de venir en aide à d’autres personnes dans
la même situation, et pour enseigner aux gens à reconnaître certains des
signes d’alerte et des effets de ce type d’agression. Le père de Stéphanie
avait commencé à abuser d’elle très tôt, aussi loin que remontent ses
souvenirs, et jusqu’à ses 12 ans :
Exploration personnelle
MANQUE DE SÉCURITÉ/VULNÉRABILITÉ
Nous avons déjà vu un certain nombre d’exemples qui avaient trait à la
peur et à l’angoisse. Si vous savez que vous souffrez de phobie ou d’un
ESPT, il vous sera facile d’identifier quelles sont les cognitions négatives
(listées ci-dessous) qui vous concernent. Pour les autres, ou si vous voulez
voir si vous avez d’autres fragilités de ce côté-là, prenez une nouvelle page
de votre carnet, et mettez en titre « Manque de sécurité ». Tenez-vous prêt à
utiliser, si vous en avez besoin, vos techniques de changement de
respiration, de respiration abdominale ou de lieu sûr/calme. Ensuite,
inscrivez dans votre carnet la première chose qui vous vient à l’esprit pour
compléter la phrase suivante :
MANQUE DE SÉCURITÉ/VULNÉRABILITÉ
Je ne peux faire confiance à personne.
Je suis en danger.
C’est dangereux si… [complétez par vous-même, et/ou choisissez dans
la liste ci-après]
C’est dangereux si je commets des erreurs.
Je suis en danger si je ressens quelque chose.
Je suis en danger si je laisse paraître mes émotions.
Je suis en danger si je ne suis pas sur mes gardes.
Je suis en danger si je m’affirme.
Je suis en danger si je me montre vulnérable.
Je suis en danger si je dépends des autres.
Je suis en danger sauf si c’est moi qui tiens la barre.
Je suis en danger, sauf si je peux satisfaire mes envies et mes besoins.
Il est dangereux d’être proche.
Il est dangereux d’aimer.
Ces types de ressentis proviennent généralement d’événements non
traités qui constituent l’origine cachée de beaucoup de réactions du présent.
À titre d’illustration, Max était très en colère contre une de ses collègues
qui ne faisait jamais ce qu’elle avait dit. Lorsqu’il traita son expérience
récente avec les cognitions négatives « C’est dangereux/je ne peux pas faire
confiance », une connexion se fit avec un souvenir de son passé : quand
Max était petit, lors d’une visite chez le médecin, celui-ci lui avait dit que la
piqûre qu’on allait lui faire ne lui ferait pas mal. Mais Max avait eu mal ; ce
que le médecin avait dit ne s’était pas réalisé. Une fois ce souvenir traité, la
colère de Max à l’encontre de sa collègue disparut : maintenant, cette
collègue était simplement quelqu’un dont on pouvait prédire qu’elle n’irait
pas au bout des choses. Le passé de Max ne déterminait plus ses réactions
présentes. Un incident avec un médecin, très ancien, était donc à l’origine
de son problème au travail, des décennies plus tard : voilà encore un
exemple de l’inextricable écheveau d’extensions formé par notre réseau
mémoriel. Donc, si vous utilisez la technique du pont d’affect pour
retrouver le souvenir sous-jacent, tâchez de laisser simplement votre esprit
vagabonder là où il a besoin d’aller. Et laissez les choses arriver.
MANQUE DE CONTRÔLE/IMPUISSANCE
MANQUE DE CONTRÔLE/IMPUISSANCE
Je ne contrôle rien.
Je suis impuissant (désemparé).
Je ne peux pas obtenir ce que je veux.
Je n’arrive pas à défendre mes propres intérêts.
Je ne peux pas en parler.
Je ne peux pas me faire confiance.
Je suis un raté (je vais échouer).
Je suis incapable de réussir.
Je dois être parfait.
Je ne peux pas gérer ça.
Choisir de choisir
Je l’ai dit, la peur et l’angoisse sont des signaux : elles nous avertissent
qu’il faut évaluer une situation, décider s’il y a danger et, si oui, comment y
réagir. Mais ces émotions peuvent être les restes d’une histoire ancienne. Si
vous avez tenu votre journal des DICES, vous avez maintenant un large
échantillon des types de situations qui vous perturbent. Si vous avez
identifié vos cognitions négatives et les souvenirs qui les provoquent, vous
avez un bon aperçu de ce qui agit à votre insu dans votre vie. Pour venir à
bout de phobies, d’ESPT et d’autres peurs intenses, il faut en général
l’assistance d’un thérapeute. Dans des cas moins difficiles, les techniques
d’autocontrôle peuvent vous rendre la vie plus facile à gérer et augmenter
vos sentiments positifs.
Si vous avez dressé une liste des situations présentes et des cognitions
négatives, vous pouvez aussi identifier les émotions négatives que vous
ressentez souvent, et enrichir votre collection de techniques. Regardez votre
liste et observez à quelle fréquence surviennent certaines émotions et
pensées négatives. Si vous avez trouvé un lieu sûr/calme, vous pouvez aussi
y trouver d’autres sentiments et d’autres émotions que vous pourrez utiliser
en cas de perturbation. Si vous vous dites souvent : « Je ne suis pas assez
bien », avez-vous des souvenirs positifs de situations où vous avez ressenti
une impression de réussite ? Si c’est le cas, ayez recours à l’exercice du lieu
sûr/calme que vous avez appris au chapitre 3, et connectez les différentes
émotions positives à d’autres mots clés ou images que vous ferez revenir à
volonté. S’il vous arrive fréquemment de penser : « Personne ne peut
m’aimer », voyez si vous pouvez vous rappeler une époque où vous vous
sentiez en sécurité et accepté comme vous êtes. Utilisez cet exercice pour
pouvoir rendre ces émotions disponibles si vous êtes activé.
Si vous avez des difficultés à retrouver des souvenirs positifs, cela
vous donne, en soi, des informations importantes. Ces souvenirs peuvent
parfois être difficiles à se rappeler, surtout si vous êtes déprimé. Des
recherches ont montré que lorsqu’on se sent déprimé, il est difficile de
penser à quoi que ce soit de positif, parce que le cerveau n’est prêt à faire
remonter que des souvenirs qui comportent ces émotions négatives. Si c’est
votre cas, ou si vous trouvez que les connexions avec le lieu sûr/calme et les
autres techniques ne suffisent pas à venir à bout de vos émotions négatives
dans différentes situations, alors envisagez de travailler avec un
psychothérapeute afin de traiter les souvenirs qui vous font souffrir. Vous
trouverez en annexe B des indications pour vous aider à choisir un
thérapeute.
Nous ne sommes pas responsables des expériences négatives que nous
avons vécues quand nous étions enfants. Mais, en tant qu’adultes, il nous
appartient de décider ce que nous voulons en faire. Si vous avez découvert
en vous des choses que vous voulez modifier, il faut vous demander si vous
pouvez y arriver tout seul ou si vous avez besoin d’aide.
Parfois je m’interroge : à quoi ressemblerait le monde si nous étions
tous élevés dans des foyers où l’on saurait nous aimer, nous chérir et nous
éduquer correctement ? Deux de mes collègues ont un fils, un beau garçon
prénommé Adam. Quand il avait 3 ans, cet enfant a glissé dans une piscine,
dans la partie la plus profonde, et il a commencé à couler. Son père a
immédiatement plongé pour le rattraper, et l’a remis à sa mère au bord de la
piscine. Ç’avait été un moment effrayant pour tout le monde ; mais la mère
a eu recours à une des techniques que vous avez déjà apprises, et elle a géré
sa peur personnelle pour pouvoir se concentrer sur Adam. Elle n’a rien
laissé voir de la frayeur qu’elle avait eue, elle n’a pas essayé de faire rire le
petit garçon pour lui faire oublier sa peur. Simplement, elle l’a serré dans
ses bras en lui répétant : « C’est fini, maintenant tu es en sécurité », et en lui
faisant prendre de lentes et profondes inspirations. Ils ont parlé ensemble de
l’incident tout au long de la journée. Et, chaque fois, elle le rassurait et lui
faisait prendre de lentes et profondes inspirations.
Et puis, environ six mois plus tard, alors que sa maman le soulevait
pour le sortir de la baignoire, il l’a regardée droit dans les yeux, a jeté les
bras autour de son cou, et lui a dit : « Je suis en sécurité, maintenant »,
puis : « Je t’aime, maman. » Et il lui a demandé si elle se souvenait qu’elle
l’avait tiré hors de la piscine et l’avait rassuré. Bien sûr, elle lui a dit qu’elle
se rappelait tout à fait ce moment, et qu’elle était heureuse qu’il se sache en
sécurité, protégé et aimé.
Un jour, Adam avait alors 6 ans, ses parents et moi nous nous
promenions ensemble en bavardant, et nous avons fait halte devant une aire
de jeux. Adam a grimpé dans un ensemble de tunnels et de filets. Au bout
d’un moment, nous nous sommes rendu compte qu’il se faisait tard, et nous
lui avons demandé de redescendre. Il a commencé à venir, mais il bougeait
très doucement, puis s’arrêtait. Ne sachant pas ce qui se passait, nous
l’avons appelé à nouveau, mais il continuait d’avancer lentement puis de
s’arrêter. Et d’un coup, nous avons compris ce qui se passait. Une petite
fille qui pouvait avoir 4 ans, et dont la mère n’était pas là, avait réussi à
grimper jusqu’aux filets, mais elle avait peur de redescendre. Adam
l’exhortait sans cesse à le suivre ; il avançait doucement, puis s’arrêtait pour
qu’elle puisse le rattraper. Il ne voulait pas la laisser. Finalement, une fois
qu’ils eurent retrouvé la terre ferme, il la regarda droit dans les yeux et lui
dit : « C’est fini, tu es en sécurité, maintenant. » Comme la mère de la petite
fille arrivait en courant, il put s’en aller.
Je me demande à quoi ressemblerait le monde si nous avions toute une
génération d’enfants comme Adam, élevés par des parents aimants et
présents. Des petits garçons et des petites filles suffisamment conscients,
confiants et bienveillants pour aider les autres, au lieu de se moquer des
faibles ou de se détourner de ceux qui ont besoin d’aide. Beaucoup n’ont
pas eu une enfance comme celle d’Adam. Mais la bonne nouvelle, c’est
qu’il n’est trop tard pour aucun de nous pour se « re-parentaliser », avec
l’aide appropriée.
LE PAPILLON
2.
Dans les programmes en douze étapes, initialement celui des Alcooliques
Anonymes, la personne reconnaît (étape 2) qu’une puissance spirituelle
supérieure à elle (Dieu…) « peut la ramener à la santé ». C’est en
admettant ainsi son impuissance personnelle qu’elle peut retrouver de
l’espoir. [N.d.T.]
CHAPITRE 7
La connexion cerveau-corps-
esprit
Arrête, tu me tues
LE SOUFFLE COUPÉ
Une des femmes qui participaient à l’étude contrôlée que j’ai publiée
en 1989 m’a raconté que la thérapie avait éliminé une sensation
d’étouffement qu’elle éprouvait plusieurs fois par semaine depuis un viol
oral. Peu après cela, j’ai travaillé avec une autre patiente, Élisabeth, qui
souffrait d’une phobie de la conduite automobile ; elle avait eu des
accidents de la route et ils nous servaient de cible pour le travail. Au cours
d’une des séances, Élisabeth me dit qu’elle ressentait dans son dos une
sensation de traction, qui céda alors brusquement. Ensuite, elle me dit que
cette sensation était la même que celle qui la faisait aller pratiquement tous
les mois chez le kinésithérapeute. Elle n’avait jusque-là jamais fait le lien
avec l’accident de la route qui s’était produit des années auparavant, et au
cours duquel elle avait été physiquement blessée. Après cette séance, elle
n’a plus jamais ressenti cette sensation, et n’eut plus besoin d’aller voir le
kinésithérapeute. La posture recroquevillée d’un autre patient s’est
redressée spontanément après le traitement de souvenirs d’humiliation dans
son enfance. Ce genre d’expériences montre clairement que, pour ces trois
personnes, les sensations n’étaient pas « dans leur tête » ; elles étaient dans
leur cerveau, mais elles étaient ressenties dans leur corps.
Je ne sens rien
Le miroir brisé
DÉBARRASSEZ-MOI DE ÇA !
Nous l’avons vu, quand on pense sans cesse, avec une inquiétude
excessive, à la manière dont son corps réagit, les coupables sont en général
des souvenirs non traités qui agissent en coulisses. Mais il arrive que
l’émotion provenant des souvenirs non traités ne soit pas de la peur, mais du
soulagement.
Pam avait 42 ans quand elle a commencé sa thérapie, après des années
de maladies physiques et d’accidents. Elle souffrait de douleurs chroniques
et se plaignait de ne pas se sentir complètement vivante. À 10 ans, des
parties de son corps s’étaient paralysées. Le médecin ne trouva rien
d’anormal et dit aux parents de Pam que ce devait être psychosomatique.
Au retour de ce rendez-vous chez le médecin, les parents essayèrent de la
convaincre de « se secouer », mais Pam passa la nuit suivante à hurler de
douleur.
Apparemment, le médecin avait tort. Le lendemain matin, les parents
de Pam l’emmenèrent à l’hôpital. Après de nouveaux tests, on l’opéra en
urgence. À son réveil, sa mère lui dit qu’on lui avait enlevé une tumeur
cancéreuse dans le cerveau. Et cette enfant de 10 ans fut contente de savoir
qu’elle avait un cancer, parce que ses parents la croyaient enfin. Cette
expérience scella en elle la croyance suivante : « On m’acceptera si j’ai un
diagnostic médical inquiétant. » Ce genre d’expérience amène bien des gens
à penser qu’ils ne peuvent obtenir de l’attention que s’ils sont malades. Pour
d’autres, être malade est la seule manière de pouvoir s’arrêter de s’occuper
de quelqu’un d’autre ou de dire « non ». Mais dans les deux cas, des
souvenirs non traités sont en général à la racine de ces difficultés.
D’autres fois, la cause du problème implique des gens que nous
n’avons vus qu’une fois, que nous ne reverrons jamais, et qui ont poursuivi
leur petit bonhomme de chemin sans même se douter du mal qu’ils ont fait.
Ils seraient même probablement horrifiés de découvrir les difficultés qu’ils
ont provoquées. Par exemple, Rita allait finir ses études secondaires et
partait au Brésil étudier pendant un semestre. Elle avait 19 ans. Sa mère
voulait que Rita fasse de l’EMDR avant de partir, en raison des peurs et de
l’anxiété de sa fille : chaque fois qu’elle avait un rhume ou un petit
symptôme quelconque, Rita s’affolait et appelait compulsivement sa mère
pour qu’elle la rassure. Sa mère voulait donc s’assurer qu’elle allait bien
avant de partir pour le Brésil. Un pont d’affect révéla qu’à l’âge de 8 ans,
Rita avait été emmenée aux urgences pour une morsure de chien. Les
soignants, autour d’elle, s’étaient mis à échanger des plaisanteries sur le fait
qu’elle allait sûrement mourir de cette morsure. Même si elle comprenait
maintenant qu’ils étaient en train de la taquiner, l’incident était stocké dans
ses circuits mémoriels et, depuis, elle avait peur de mourir.
Cela dit, il y a certainement quelquefois des choses très graves.
L’EMDR ne traitera pas une maladie physique. Par exemple, il y a des
milliers d’enfants traités médicalement pour ce qu’on appelle un trouble du
déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Si le diagnostic est
correct, il s’agit d’une maladie neurologique innée et l’EMDR ne la traitera
pas. Cependant, beaucoup des symptômes du TDAH sont exactement les
mêmes que ceux qu’un enfant peut avoir à la suite d’un incident perturbant
ou traumatisant. Par exemple, la maman de Bradley pensait qu’il souffrait
d’une blessure à la tête parce qu’il avait fait une chute en jouant dans la
semaine où ses symptômes avaient commencé, avec d’abord un pipi au lit et
du somnambulisme. Voici la description par la mère de certains des autres
changements de comportement de Bradley :
« Au fil des semaines, la situation a empiré. Bradley, qui était un
enfant heureux, sociable, brillant, est devenu maussade, anxieux et irritable.
Il ne voulait plus rester seul dans une pièce, ni prendre un bain. C’est moi
qui l’instruisais à la maison ; il avait toujours été brillant, concentré, lui
faire les cours était facile. Il était maintenant devenu extrêmement distrait, il
ne tenait pas en place, incapable de rester assis pour la tâche la plus simple.
Il pleurait facilement et avait des pensées négatives qui revenaient sans
cesse. Il me disait souvent qu’il n’arrivait pas à “s’enlever les vilaines idées
de la tête”. Il a commencé à rester couché. Ses mains tremblaient tout le
temps. Des amies me demandaient ce qu’avait mon fils. Même le moniteur
de natation avait remarqué une nette baisse de sa capacité d’attention aux
entraînements et aux compétitions ; ses performances avaient
significativement baissé, et sa maladresse et son incoordination étaient
frappantes – comme s’il ne savait plus nager. »
Ensuite on a compris que c’était le film Predator qui avait traumatisé
ce petit garçon de 6 ans. Sa chute était une simple coïncidence. Quand le
souvenir du film eut été traité, les symptômes disparurent. On trouve aussi
beaucoup de ces difficultés chez les enfants diagnostiqués TDAH.
Cependant, pour un grand nombre de ces enfants, le diagnostic est faux,
quand la distractibilité, les troubles du comportement, l’irritabilité et la
capacité attentionnelle réduite résultent de souvenirs non traités. Si vous
avez un de ces enfants dans votre entourage, ce pourrait être une bonne idée
de demander à un professionnel de voir si des vécus perturbants ne sont pas
à l’œuvre derrière ses troubles.
L’EMDR n’éliminera pas les déficits cérébraux causés par une
blessure, une toxine ou des facteurs génétiques. Cependant, même dans les
vrais cas de TDAH, on peut l’utiliser pour traiter les souvenirs d’échecs et
d’humiliations qui vont souvent de pair avec ce trouble. Cela peut amener
une réduction des symptômes, et donc du besoin de médicaments. De
même, des chercheurs en EMDR ont récemment rapporté des cas de
personnes handicapées mentales, dont certaines considérées comme
autistes. Après le retraitement de leurs souvenirs, non seulement les
symptômes traumatiques ont été éliminés, mais les éducateurs ont relevé
que leurs capacités sociales et cognitives s’étaient améliorées. Ils se
livraient plus volontiers à leurs activités, se montraient plus autonomes et
acquéraient de nouvelles compétences. Par exemple, un homme de 54 ans,
diagnostiqué autiste à 3 ans, avait passé toute sa vie dans des institutions
depuis l’âge de 5 ans, parfois en isolement pour des agressions physiques.
Après la thérapie, il dit qu’il se sentait « plus détendu, moins sombre, plus
amical avec les autres, le cœur plus léger, moins fanatique qu’avant ». Un
garçon handicapé mental de 22 ans, qui vit dans une institution accueillant
des handicapés physiques, et qui a été diagnostiqué à la fois autiste et IMC 1,
résumait ainsi les changements qu’il ressentait après l’EMDR : « J’ai
retrouvé ma force. » Même si le trouble vient d’un problème neurologique
inné, on peut diminuer les symptômes de la personne lorsque des souvenirs
non traités sont en jeu.
Il est également important de garder à l’esprit que nous apprenons de
nouvelles choses tous les jours. Par exemple, des études ont indiqué
récemment que des milliers d’enfants peuvent être diagnostiqués TDAH par
erreur, simplement parce qu’ils ont commencé l’école plus tôt et qu’on les
compare à des enfants plus âgés de la même classe ; comme ils sont plus
jeunes, ils peuvent être moins attentifs ou incapables de suivre. Cela signifie
qu’on leur attribue un diagnostic et qu’on leur prescrit un traitement
médicamenteux sans nécessité. Cela signifie également qu’il faudrait peut-
être traiter les nombreux échecs et les humiliations qui peuvent
accompagner ces situations. Souvenez-vous que les mêmes difficultés et les
mêmes causes s’appliquent si vous êtes un adulte : quel que soit votre âge,
des souvenirs non traités peuvent être la cause de vos symptômes, ou du
moins aggraver les problèmes existants.
Quelquefois, on a une maladie physique qui ne changera pas. En ce
cas, on peut traiter les émotions qu’elle nous fait vivre. Beaucoup de gens
qui ont eu des blessures physiques se sentent laids et ont peur d’affronter la
vie. Souvent, quand ils essaient de comprendre ce qui leur est arrivé, la peur
et la culpabilité s’inscrivent profondément en eux ; pourtant, comme le
disait la victime d’un jet d’acide au Bangladesh, après son traitement
EMDR : « La honte est pour lui, pas pour moi ! » Une autre femme, en
Inde, qui avait perdu la vue quand la première épouse de son mari l’avait
attaquée en lui jetant de l’acide au visage, n’a plus peur aujourd’hui :
auparavant illettrée, elle a appris le braille et s’occupe de l’éducation de ses
enfants.
Non seulement on peut surmonter la douleur, mais beaucoup de gens
trouvent une façon de rendre productif ce qui leur est arrivé. Il y a souvent
le désir d’aider les autres par sa souffrance. Et on n’est jamais trop jeune
pour le faire : par exemple, une enfant de 10 ans, appelée Maria, était en
train de prendre une douche quand se produisit un tremblement de terre. La
porte de verre de la douche se brisa, lui laissant des coupures sur tout le
corps. En plus de la souffrance d’être traitée de « monstre » par les garçons
de son école, elle dut subir de nombreuses interventions chirurgicales et des
traitements médicaux douloureux. Ses parents lui firent suivre une thérapie
EMDR. Lors de la dernière séance, elle ouvrit grand les yeux et s’exclama :
« Maintenant je sais pourquoi ça m’est arrivé ! C’est pour que les enfants
qui ont eu des coupures, qui ont été brûlés ou blessés puissent me croire
quand je leur dirai qu’il y a de l’espoir pour eux ! »
Quel que soit leur handicap, les gens sont capables de retrouver de la
fierté : voilà ce qui est important. Je pense souvent aux paroles d’un
collègue et ami qui est aujourd’hui décédé. Ron Martinez était un athlète
brillant, très fier de son corps. En plongeant un jour dans une piscine, il
s’est brisé le cou et il a fallu le sortir de l’eau. En une seconde, il était
devenu tétraplégique. Mais il n’a pas abandonné. Il est devenu le premier de
sa famille à fréquenter l’université, et le thérapeute qu’il est devenu a été
ensuite une référence pour ceux qui l’ont connu. Sa devise était la suivante :
« Ce n’est pas ce qui arrive qui compte. C’est ce qu’on en fait. » On n’est
peut-être pas la cause de son propre malheur, mais on peut aujourd’hui en
prendre le contrôle et faire changer les choses.
Exploration personnelle
a) une forme
b) une taille
c) une couleur
d) une température
e) une texture
f) un son (aigu ou grave)
1.
Infirme moteur cérébral : personne souffrant d’une infirmité motrice due à
des lésions survenues durant la période périnatale. [N.d.T.]
CHAPITRE 8
Qu’attendez-vous de moi ?
JE TE POUSSE, TU ME TIRES
LA LIBERTÉ DE CHOISIR ?
Sonia était issue d’une famille ouvrière italienne. Au départ, elle avait
entrepris une thérapie pour une dépression et parce qu’elle avait un
sentiment de désespoir et de manque de sens dans sa vie. Elle ne s’était
jamais mariée, à la différence de ses deux sœurs qui avaient mari et enfants.
À 34 ans, elle se voyait comme le vilain petit canard, dans une famille qui
valorisait beaucoup le fait d’avoir des enfants. Elle était solitaire,
socialement isolée, et semblait incapable de trouver un homme qui puisse
s’occuper d’elle et la soutenir.
Ses échecs dans les relations amoureuses venaient d’un « triangle »
dans lequel elle s’était trouvée prise dans son enfance : son père se servait
en effet d’elle comme de sa « favorite », pour satisfaire ses propres besoins
de proximité affective. Ce père avait été très maltraité dans son enfance ;
c’était l’explication qu’il donnait de son mauvais caractère. C’était aussi
son « excuse » pour les gifles, les insultes, les hurlements qu’il faisait subir
à Sonia et à ses autres enfants lorsqu’ils se « tenaient mal ». Toutefois, avec
son statut d’enfant particulière, Sonia était la seule de la famille à pouvoir
se dresser face à lui ou le réconforter. Pour cette raison, sa mère lui en
voulait et se montrait glaciale envers elle. Au lieu de se tourner vers sa
femme pour obtenir d’elle un soutien affectif adapté, le père de Sonia
s’adressait souvent à sa fille pour se plaindre de la dureté de sa femme.
Sonia apprit ainsi à rechercher l’attention de son père et à partager son point
de vue à propos de son « impossible » mère. Cela ne lui était pas difficile,
étant donné l’attitude négative de sa mère (et sa jalousie) à son égard.
Ce triangle entre Sonia et ses deux parents la conditionna par la suite à
chercher un type d’hommes qui n’étaient pas prêts à accepter une proximité
émotionnelle ou une intimité avec elle. Cela lui fit accepter facilement les
fables que lui servaient des hommes très peu présents pour elle, qui lui
expliquaient que leur femme ou leur petite amie avaient certes beaucoup de
défauts, mais qu’ils étaient obligés de rester avec elles. Cela l’amena encore
à accepter les explosions de colère d’un partenaire, qu’elle excusait du fait
de son « passé douloureux ». À l’adolescence, Sonia s’était résignée à sortir
avec des garçons qui s’amusaient d’elle, ne l’estimaient pas vraiment et ne
lui offraient pas la légitimité du statut de petite amie. Son histoire
relationnelle était emplie de triangles douloureux et d’hommes
émotionnellement maltraitants, qui « avaient besoin » d’elle, mais qui
n’étaient pas vraiment capables d’être là pour elle dans la durée. Le fait de
traiter les souvenirs douloureux, avec les croyances encodées : « Je suis
mauvaise », « On ne peut pas m’aimer » et « Je ne mérite pas d’être
aimée », libéra Sonia sur de nombreux plans. Aujourd’hui, elle repère les
signaux de danger et choisit des hommes qui sont libres également de la
choisir. Elle n’est plus intéressée par le rôle de « l’autre femme ».
OÙ ES-TU PASSÉ ?
Exploration personnelle
1.
Allusion à la déclaration sacramentelle du mariage chrétien : « Moi, X, je
te prends pour mari et époux/femme et épouse, afin de t’avoir et de te
garder dès ce jour et à l’avenir, dans le bonheur et dans la peine, dans la
maladie et la santé, jusqu’à ce que la mort nous sépare, et sur cela j’engage
ma foi. » [N.d.T.]
CHAPITRE 9
J’ai dit dans le premier chapitre que le but de ce livre était de mieux se
comprendre soi-même et de mieux comprendre les autres. J’ai dit aussi
qu’il ne s’agissait pas de distribuer des blâmes. Mais franchement, cela peut
être très difficile. Parfois notre sens de la justice se révolte. Nous
condamnons ces gens qui semblent ne jamais comprendre, surtout lorsqu’ils
portent sans cesse atteinte aux autres. Ils savent quelquefois que leurs
actions sont « mauvaises » selon les critères de la société, mais ils les
commettent quand même, sans compassion, sans empathie. D’autres savent
aussi que leur comportement est mauvais, et cela les gêne, ils en ont honte –
mais ils prétendent ne pas pouvoir s’en empêcher. D’autres encore estiment
que leurs actions sont justifiées.
Il ne se passe pas un jour sans que les journaux rapportent des
tragédies qui auraient pu être évitées. On entend parler d’existences ruinées
par des gens qui ne semblent avoir aucun sentiment de responsabilité pour
les actes qu’ils ont commis ; on dirait qu’ils passent leur vie à détruire les
objets (et les autres) autour d’eux. Néanmoins, la vérité est que même dans
ce cas, notre jugement doit être tempéré de compréhension : si l’on ne
comprend pas les raisons de ces comportements, en effet, on ne peut pas
changer les choses. Oui, ils devraient se contrôler. Oui, ils causent souvent
un mal terrible. Et oui, dans la plupart des cas, ils peuvent apprendre à agir
autrement. Mais alors, on peut les blâmer encore plus : s’ils peuvent
apprendre à ne plus le faire, pourquoi continuent-ils à le faire ?
Il faut se souvenir que la raison même pour laquelle ils n’apprennent
pas à contrôler leur comportement destructeur fait partie du problème dans
lequel ils sont englués. Malheureusement, la société a souvent renoncé à
s’occuper d’eux, et eux-mêmes y ont renoncé. On considère peut-être qu’ils
sont définitivement fichus, ou qu’ils ne veulent pas changer. Mais ces points
de vue ne vont ni à la racine du problème ni à ses éventuelles solutions. Les
raisons de leurs actes sont celles de tout le monde : des réactions
automatiques provoquées par des processus inconscients. Certes, cela
n’excuse pas leurs actes, mais les individus qui provoquent ces souffrances
font eux aussi partie de l’humanité. Nous n’aimons pas leurs schémas
destructeurs ; mais si nous n’apprenons pas à comprendre et à soigner les
agresseurs, il continuera à y avoir des victimes. C’est pourquoi, dans ce
chapitre, nous nous intéresserons aux agresseurs d’enfants, aux auteurs de
violence domestique, aux violeurs et aux toxicomanes. Ils peuvent avoir
déjà affecté certains d’entre vous, directement ou au travers d’un être cher.
En fin de compte, au niveau global de la société, ce qu’ils font nous affecte
tous, ne serait-ce que parce que nous pourrions bien être un jour au nombre
de leurs victimes.
Les addictions
RECHERCHER L’ORIGINE
Pour gérer les émotions négatives, tout le monde ne se tourne pas vers
la drogue. Certains font un usage excessif de la pornographie, du sexe, du
jeu, de la nourriture ou de n’importe quelle activité qui leur donne
momentanément un sentiment d’évasion, de calme ou de satisfaction. Mais
il y a bien d’autres moyens, sains ceux-là, d’atteindre des sentiments
positifs durables. Les comportements addictifs ne sont que des apaisements
temporaires, qui ne durent pas parce qu’ils ne vont pas à la racine du
problème. Une fois la « défonce » dissipée, les émotions négatives
reviennent. Pour tous ceux qui, dans leur famille, se sont toujours sentis
seuls, à l’écart, pas assez bien, ou qui n’ont jamais appris à gérer de fortes
émotions négatives, le risque est évident. Pour traiter efficacement les
addictions, il faut non seulement aborder les sources de souffrance, mais
également apprendre à gérer ses émotions perturbantes, et trouver de
nouvelles façons pour gérer ses relations avec les autres.
Les gens qui ont été traumatisés dans leur enfance ont nettement plus
de risques que le reste de la population de développer une addiction. À
cause de leur souffrance et de leur impression d’être « différents », ces
enfants ne s’entendent pas avec leurs pairs et n’apprennent pas les
compétences sociales nécessaires pour avoir de bonnes relations. Sans
thérapie, ils ne peuvent souvent pas faire les connexions nécessaires pour
guérir. Par exemple, la sensation d’appartenir à une communauté, d’être
bien accueilli, l’ouverture et l’honnêteté qu’on rencontre dans un
programme en douze étapes comme celui des Alcooliques Anonymes,
peuvent être très utiles. Mais certains ont également besoin de la thérapie
EMDR pour répondre aux exigences du programme, parce que le fait d’être
dans un groupe, l’obligation de révéler des choses sur eux-mêmes
déclenchent en eux des sentiments de honte et d’insécurité. Comme vous
vous en doutez maintenant, ces sentiments viennent d’expériences
antérieures qui doivent être traitées. L’essentiel est là : quel que soit le
nombre de fois où on a échoué auparavant, cela vaut la peine de réessayer
avec l’aide adéquate. Comme le montre l’exemple de Tom, c’est possible.
Revêtir un masque
Un de mes premiers patients est venu me voir pour des difficultés qu’il
éprouvait dans ses rapports aux autres. José m’expliqua : « Lorsque je suis
entouré de gens, une peur me submerge, si forte qu’elle interrompt tout ce
qui se passe sur le moment, et elle m’envahit tellement que j’ai envie de
m’enfuir et de me cacher. » Quand je lui demandai de mettre ses émotions
en mots, il me dit : « Je me sens différent des autres, comme si je n’étais pas
à ma place. » Il voulait de l’aide parce que, disait-il : « Ça a pris une telle
place dans ma vie que je suis tombé dans l’alcool et la drogue pour m’en
débarrasser. Je m’abrutis jusqu’à ce que je ne ressente plus cette impression.
Mais la souffrance est encore plus forte en ce moment, où j’essaie de sortir
de mes addictions. »
En grandissant, José s’était toujours demandé ce qui n’allait pas chez
lui. Il m’expliqua : « J’ai un frère plus jeune. Il a toujours été le préféré. Il
était toujours le meilleur en tout et il était mieux accepté. Mon beau-père de
l’époque (je ne connaissais pas mon vrai père) l’aimait plus que moi. Il le
félicitait toujours davantage que moi, et j’en souffrais tellement que je
pleurais pour qu’il s’occupe de moi. Je crois que je faisais tout ce que je
pouvais, je cafouillais, je faisais tout de travers, pour qu’on s’occupe enfin
de moi. Pour dire à mon beau-père : “Regarde. Je suis là moi aussi. Tu
vois ? Je fais plein de choses bien, moi aussi. Et quelquefois même mieux
que lui.” Je détestais mon frère. Il avait plus de petites copines que moi, et il
y a eu un moment où ça m’a tellement affecté que je suis devenu très
timide, au point de me dire que, de toute façon, personne n’avait envie de
parler avec moi. J’en étais arrivé à prêter à mon frère beaucoup de pouvoir,
je crois. »
Lorsque je demandai à José si sa peur avait d’autres causes, il
répondit : « Les bagarres de rue. Le centre pour mineurs. La taule. Les
bagarres avec mes frères. »
Je lui posai d’autres questions et il m’expliqua : « C’est la peur que
j’avais, l’impression que j’avais d’être différent, pas aimé. Qu’on ne
s’occupait pas de moi. Je crois que ça m’a fait penser que j’étais différent et
que je n’avais pas le droit d’être là et je me posais plein de questions. Ça
faisait des embrouilles. La haine que j’avais de plus en plus causait toujours
des embrouilles entre mes frères, mes sœurs et moi. Avec pour résultat des
bagarres permanentes. »
Je l’interrogeai à propos du centre de détention pour mineurs. Il me
dit : « Ça m’arrivait d’y aller. Ça remonte à l’époque où je vivais au Texas,
quand j’étais adolescent. Ça continue encore maintenant, mais, au Texas, il
y avait un gros truc de heavymetal, avec le Nord contre le Sud : on appelait
ça des “turfs”. Moi et mon autre frère, on s’est retrouvés dans ces “turfs” en
grandissant et c’était toujours un “turf” contre un autre, ou un “turf” qui
était sur le territoire d’un autre et qui se faisait virer. Et c’est là que le centre
de détention intervenait. »
Je lui demandai : « Comment est-ce que votre peur d’être différent
vous a mené dans tout ça ? » José m’expliqua : « Pour moi, le gang, c’était
un endroit où on pouvait m’accepter, où j’étais accepté. Et c’est là que
l’alcool est entré en scène. Ça me donnait un faux courage pour gérer ces
sentiments. Bizarrement, j’y croyais. Être macho. Traîner. Picoler. Dire des
gros mots. Fumer. Se moquer des gens et leur faire du mal. Là, je me sentais
accepté. À l’époque, c’était ma seule façon d’arriver à vivre. Autrement,
j’avais par moments des idées suicidaires. »
José est représentatif de ces personnes qui ont recours à la violence à
cause de sentiments sous-jacents de colère et de souffrance. Beaucoup de
gens pensent que ceux qui ne ressentent aucune empathie, et qui n’hésitent
pas une seconde à faire du mal aux autres, sont des « psychopathes » qu’on
ne peut pas soigner, mais de récentes recherches ont montré que ce n’était
pas toujours le cas. Nos prisons surpeuplées sont pleines de gens ayant eu
des enfances difficiles, qui leur ont laissé l’impression d’être seuls au
monde. Comme tout le monde a besoin de s’identifier à quelque chose,
c’est la bande qui devient souvent une « famille » de substitution. Qu’ils
soient dans une bande ou non, l’absence de soutien de la part de parents qui
les rejettent, les abandonnent, les humilient ou les battent leur donne le
sentiment de ne rien valoir : ils sont dès lors prêts à faire du mal aux autres.
José agissait comme Zach.
Quand on se sent abandonné, sans valeur, étranger à sa propre famille,
comment s’identifier au reste de la société ? Et si on ne s’identifie pas à la
société, pourquoi obéir à ses règles ? On se fait plutôt les siennes : de cette
manière, c’est vous qui commandez et qui infligez la souffrance. Cela peut
vous faire finir dans des endroits vraiment effrayants. Mais le début est
généralement le même : un enfant vulnérable, en colère et perdu. Le
traitement de leurs souvenirs a libéré Zach et José de leur souffrance et de
leur impression de solitude. Il est préférable de le faire tôt, à l’âge de Zach,
à la fois pour l’enfant et la société. Mais comme on l’a vu pour José et Tom,
même le fait d’être allé en prison ne veut pas dire qu’il est trop tard.
Rien ne révolte davantage les gens que les abus sexuels sur les enfants.
Là encore, même s’il arrive que les agresseurs soient des femmes, la plupart
sont des hommes, et trop d’enfants subissent ces agressions. On trouve
quotidiennement dans les journaux des histoires d’enfants qui ont été
abusés par des professeurs, des entraîneurs ou des animateurs de toute sorte.
En fait, des études ont montré qu’environ 20 % des filles et 10 % des
garçons à travers le monde ont subi des abus sexuels. Il est également
préoccupant de savoir que les traitements les plus répandus pour les auteurs
de sévices sexuels ont produit des résultats décevants. C’est pourquoi de
nombreux États exigent que les agresseurs d’enfants soient pistés toute leur
vie, souvent avec des bracelets électroniques pour qu’on puisse contrôler
leurs allées et venues. Il y a, en dessous de cela, le sentiment que ces gens
sont trop malades pour être soignés, et il est vrai que les programmes de
soins les plus couramment utilisés n’ont pas beaucoup changé depuis vingt
ans : il s’agit surtout de thérapies de groupe visant à aider les agresseurs à
clarifier leurs motifs, à leur apprendre des techniques pour se contrôler et
pour éviter les situations qui peuvent déclencher en eux des émotions
sexuelles déviantes, et des techniques pour essayer de se débarrasser de ces
désirs. Si ces programmes, souvent, ne fonctionnent pas, c’est peut-être
parce qu’ils ne s’adressent qu’au comportement, sans remonter aux causes.
Si la thérapie de groupe et les techniques d’autocontrôle peuvent être
utiles, parfois les agresseurs sexuels ne sont pas capables d’y participer. La
thérapie de groupe est censée les aider à prendre la responsabilité de ce
qu’ils ont fait et à clarifier leurs motivations. Mais un des symptômes des
délinquants sexuels est le déni : souvent, ils pensent tout simplement que ce
qu’ils ont commis n’était pas vraiment leur faute, et qu’ils n’ont fait de mal
à personne. Malgré tous les efforts des thérapeutes pour briser ce déni, les
agresseurs apprennent souvent à dire ce qu’on attend d’eux, tout en
conservant profondément en eux leurs croyances erronées. Cela peut venir
du fait qu’ils ne sont pas en contact avec leurs émotions, en raison de leur
propre passé d’enfant abusé. Il s’avère, en effet, que beaucoup d’agresseurs
d’enfants ont été eux-mêmes victimes d’abus lorsqu’ils étaient enfants. Cela
ne veut absolument pas dire que tous ceux qui ont subi des abus vont abuser
d’autres personnes, loin de là. Mais cela signifie que quand certaines
conditions sont réunies, le fait d’avoir soi-même été agressé sexuellement
paraît être un facteur contributif.
Comme on l’a déjà vu dans ce livre, les expériences traumatiques sont
verrouillées dans le cerveau, accompagnées des émotions, des pensées et
des sentiments qui étaient présents lorsque l’événement a eu lieu. Quand un
enfant est agressé sexuellement, il peut en garder un certain nombre de
fausses perceptions, par exemple : « C’est comme ça. C’est ce qu’il faut que
je fasse si je veux avoir de l’amour et de l’attention. C’est un bon moyen
pour obtenir ce que je veux. J’ai détesté subir ça, mais ça m’a rendu plus
fort », et ainsi de suite. En fait, toutes sortes de réactions peuvent contribuer
aux émotions et aux croyances non dites, qui peuvent ensuite conduire
elles-mêmes à commettre des abus sexuels.
Malheureusement, de nombreux enfants abusés se sentent responsables
d’avoir été agressés, comme Bonnie quand son père battait sa mère. De
plus, à la différence d’un viol qui est généralement une démonstration
soudaine de force brute, de colère et de pouvoir, les abuseurs « préparent »
souvent leurs victimes. Alors que certains forcent par des menaces l’enfant
à se soumettre, d’autres ont une approche différente : ils font en sorte que
leurs victimes se sentent à l’aise avant l’abus. Lorsque les enfants viennent
d’une famille où ils ont l’impression de n’avoir aucune importance ou
d’être rejetés, le fait de recevoir tant d’attentions est pour eux une
expérience nouvelle et agréable. Ensuite, ils acceptent parfois toutes les
demandes de l’agresseur. Puis, comme un corps en bonne santé réagit
souvent aux stimulations physiques, si c’est le cas les agresseurs disent à
leurs victimes qu’elles aiment ce qui s’est passé et qu’elles l’ont cherché ; et
les enfants les croient. Cela jette ces derniers dans la confusion et met à mal
leur confiance et leur capacité à discerner le bien et le mal dans les relations
entre adultes et enfants.
Très souvent, avec la honte et la culpabilité ainsi bloquées dans le
souvenir stocké dans leur cerveau, les enfants abusés peuvent se
« rappeler » qu’ils l’ont « cherché » et que c’est leur faute. Ainsi, au lieu de
diriger sa colère et ses reproches contre l’agresseur, la victime les dirige
contre elle-même. « C’est ma faute. Je l’ai bien cherché ! » Ensuite, s’ils
agressent eux-mêmes un enfant, une fois adultes, cela devient pour eux une
technique simple pour rendre leur victime responsable : « C’est sa faute, il
en avait envie. » « Je l’ai fait parce qu’elle me draguait un peu. Elle y a pris
du plaisir. » Chez beaucoup de ces gens, les sensations physiques qui
étaient bloquées dans leur cerveau se trouvent déclenchées lorsqu’ils voient
un enfant. La nouvelle victime a souvent le même âge qu’eux au moment
de l’agression originelle. Ajoutez à cela le fait que beaucoup de ces
agresseurs viennent de foyers où ils étaient ignorés et maltraités. Ils n’ont
jamais appris à gérer leurs émotions et finissent même souvent par être
déconnectés de celles-ci. C’est là que la thérapie EMDR intervient.
Une étude sur les agresseurs d’enfants qui participaient à un
programme utilisant une approche traditionnelle, avec des thérapies de
groupe et des techniques de maîtrise de soi, a été publiée dans le Journal of
Forensic Psychiatry and Psychology 1. Dix agresseurs, eux-mêmes agressés
lorsqu’ils étaient enfants, ont été traités de cette façon, mais on y a ajouté
huit séances d’EMDR dirigées sur les souvenirs des abus qu’ils avaient
subis. Les résultats ont été comparés à ceux d’autres agresseurs qui
n’avaient pas reçu de thérapie EMDR. Les bénéfices de celle-ci étaient
évidents chez neuf de ces dix agresseurs. Pour la première fois, ils
assumaient pleinement la responsabilité de ce qu’ils avaient fait. Au lieu
d’accuser leurs victimes, ils prenaient conscience des dommages qu’ils leur
avaient causés. Puis les chercheurs et les cliniciens, pour repérer les
éventuels récidivistes, ont procédé à un test avec un appareil appelé
« pléthysmographe pénien » qui enregistre le flux sanguin du pénis pour
mesurer l’excitation sexuelle. Ils considèrent que c’est le meilleur indice du
risque de récidive. Ce test, chez neuf des dix agresseurs, montrait une forte
diminution de leur excitation sexuelle face aux enfants, ce que les
agresseurs expliquaient en disant qu’ils percevaient maintenant les enfants
comme des « personnes » plutôt que comme des « objets sexuels ». Les
résultats furent les mêmes lorsqu’on les testa à nouveau, un an plus tard.
D’autres recherches sont prévues, mais, depuis lors, beaucoup d’agresseurs
ont été traités avec succès par l’EMDR.
Il est important de comprendre les causes d’un problème pour pouvoir
le résoudre : pour la première fois, les agresseurs traités par l’EMDR ont pu
entrer en contact avec les émotions qu’ils avaient vécues lorsqu’ils avaient
été eux-mêmes agressés. Cela les a changés ; et maintenant ils souhaitent en
encourager d’autres à suivre le même traitement. Nous commencerons par
Kevin, qui avait agressé sexuellement sa belle-fille. Il avait lui-même été
sodomisé par un groupe de garçons plus âgés quand il était enfant. Il avait
toujours été convaincu d’être responsable de ce qui lui était arrivé. Au cours
du traitement, il put entrer en contact avec ce qu’il ressentait face à son
agression. Il se souvenait d’avoir vu quelqu’un passer devant la remise
pendant le viol, et il retrouva la solitude et la douleur qu’il avait ressenties à
ce moment-là. Il reconnut qu’il avait aimé l’attention qu’il avait reçue de
ces garçons plus âgés, et qu’ils s’étaient servis de lui. Mais aussi, pour la
première fois, il comprit que sa belle-fille avait pu apprécier l’attention
qu’il lui portait – mais pas l’acte sexuel.
Voici comment il explique ce qui a changé pour lui grâce au traitement
EMDR de l’agression qu’il avait lui-même subie :
« Je me reprochais encore ce qui s’était passé, tout comme je rejetais la
faute sur ma victime, comme si c’était elle qui avait provoqué les choses.
Jusque-là, en pensant à ce qui m’était arrivé, je me disais : “Tu n’es pas une
victime, parce que tu l’as provoqué toi-même. Tu l’as cherché.” Mais je n’ai
rien fait du tout. Je n’ai rien fait. Je ne suis pas responsable. Et ça m’a aidé,
de mieux comprendre l’agression que j’avais subie et de me rendre compte
que ce n’était pas ma faute. Pas plus que ce n’était la faute de ma victime.
C’est dur. C’est dur à regarder en face. Mais plus on le fait, et plus on est
clair sur ce qu’on a fait, et sur la réalité. Une fois qu’on voit ça vraiment
clairement, on peut revenir en arrière et se dire : “Mais comment est-ce que
j’ai pu faire ça ?” Ou “Comment ont-ils pu me faire ça ?” et “Comment est-
ce que j’ai pu leur faire ça ?”. Et ça fait mal. C’est une grande confrontation
avec la réalité. Je ne comprenais rien à mes sentiments, à mes propres
sentiments. Pour pouvoir comprendre les leurs, il fallait que je comprenne
vraiment les miens.
« Il faut aussi pouvoir ressentir la douleur de quelqu’un d’autre. C’est
comme le film qu’on a vu l’autre jour, Les Accusés. Ça m’a mis la mort, ça
m’a vraiment rendu dingue, parce que merde, ils faisaient comme si c’était
elle l’agresseur. Alors que merde, c’est elle qui était la victime ! Et ils en
faisaient la criminelle. Avant la thérapie, j’aurais dit : “C’est elle qui est
venue dans ce bar. Elle y est allée habillée comme ça. Elle a eu ce qu’elle
méritait. Elle n’aurait pas dû y aller, déjà.” Mais même si c’était une
prostituée et qu’elle avait couché avec quatre personnes, si j’arrivais et
qu’elle me disait : “Non, je ne veux pas”, ce serait mal de la violer, parce
qu’elle ne veut pas. Avant, je n’avais jamais vu les choses comme ça. »
Louis, un autre agresseur, emprisonné pour avoir abusé de sa belle-
fille, a avoué avoir commis un certain nombre de viols. Son oncle, de vingt
ans son aîné, avait commencé à abuser de lui quand il avait environ 10 ans.
Puis, à son tour, il commença à passer à l’acte sur des garçons de son âge
qu’il connaissait de l’école. À l’âge de 17 ans, Louis partit de chez lui pour
s’engager dans les forces armées et fut envoyé à l’étranger. Là-bas, il eut de
fréquentes relations avec des prostituées, des femmes qu’il rencontrait dans
les bars, et des hommes qui le payaient. De retour aux États-Unis, il commit
quatre viols. Il rencontrait des femmes dans des soirées, les emmenait dans
un endroit à l’écart, et les forçait à avoir un rapport sexuel.
Plus tard, Louis se maria et reconnut les deux jeunes enfants de sa
femme. Alors que sa belle-fille approchait de la puberté, à peu près à l’âge
où il avait lui-même été agressé, Louis commença à l’inviter à chahuter
avec lui. Ces moments l’excitaient sexuellement – il oscillait entre un
sentiment de honte pour sa réaction et un sentiment de colère contre elle
parce qu’elle « dégageait une énergie sexuelle ». Louis finit par la caresser.
Ce comportement continua et s’accrut pendant un certain nombre de mois.
Entre-temps, il devenait de plus en plus agressif, verbalement, avec sa
femme et les enfants. Sa femme finit par insister pour qu’ils aillent tous voir
un thérapeute et, au cours de la thérapie, sa belle-fille révéla les abus
sexuels. Louis fut arrêté, inculpé et emprisonné. Il suivit un traitement
jusqu’au bout et fut libéré sous contrôle judiciaire. Bien qu’il eût entrepris
une thérapie pour délinquant sexuel en ambulatoire et semblât « motivé », il
ne progressait pas beaucoup. Il continuait à croire que les filles « dégagent
une énergie sexuelle » qui le poussait à les agresser. Puis il entra dans le
programme de traitement EMDR.
Au cours de la thérapie, Louis entra en contact avec la rage et la honte
qu’il avait ressenties au moment de sa propre agression. Pensant que
personne ne se souciait de lui, il ne se souciait guère de quiconque. Il prit
également conscience que sa croyance au fameux « dégagement d’énergie
sexuelle » venait d’une idée qu’il avait plaquée sur ses propres abus. À la
place de cette croyance, il devint clair pour lui que son oncle l’avait
manipulé et utilisé, et cela l’amena à prendre la pleine responsabilité de ce
qu’il avait fait subir à sa belle-fille et à en éprouver de vrais remords. Les
membres de son groupe remarquèrent à quel point il répondait
différemment, comment il montrait davantage d’empathie et de sollicitude.
Mais il n’avait toujours pas les idées claires quant aux viols qu’il avait
commis.
Le retraitement d’autres cibles le mit en contact avec les sentiments de
rage qu’il éprouvait envers sa mère. Non seulement elle ne disait rien
lorsque son père, ivre, le maltraitait, mais elle lui avait fait subir des
humiliations extrêmes. Il avait fréquemment mouillé son lit jusqu’au début
de son adolescence (au temps où il subissait des abus) et c’était une source
de honte et de conflits dans la famille. Sa mère devenait folle de rage, lui
frictionnait le visage et le corps avec les draps trempés d’urine et l’envoyait
à l’école avec cette odeur sur lui pour qu’il ne recommence plus. Une fois
que Louis fut en mesure de traiter sa rage contre sa mère et les femmes en
général, il assuma aussi pleinement sa responsabilité dans les viols.
Il est important ici de noter qu’il fallait cibler séparément les actes de
Louis en tant qu’agresseur et ses actes en tant que violeur, parce qu’ils
étaient liés à des ensembles différents de souvenirs. Cela souligne la
nécessité d’évaluer toutes les voies menant à différentes sortes d’abus
sexuels. Même si les victimes de Louis étaient principalement adultes,
c’était ses réactions physiques lors des agressions d’enfants qui le
déroutaient le plus, au début.
Voici comment Louis décrit son expérience de la thérapie :
« Après ma sortie de prison, je voulais comprendre pourquoi j’avais
agressé ma belle-fille et pourquoi, alors que j’étais un adulte, j’étais attiré
par une enfant. Pourquoi est-ce que j’avais une érection devant une enfant ?
« Je me suis rendu compte que j’avais été émotionnellement bloqué, en
tant qu’enfant, au cours des agressions que j’avais subies. Il y a aussi que je
n’avais pas de relation affective avec mes parents. Il y avait huit enfants à la
maison. Tout le monde était stressé, chacun faisait ce qu’il avait à faire pour
que la maison tourne. Je n’avais pas de relation directe avec ma mère ou
mon père. Donc je ne pouvais pas aller voir mes parents pour leur dire que
je subissais des abus.
« Quand j’ai fait de l’EMDR, je suis passé de l’enfant qui avait vécu
cela à l’adulte que je suis devenu. Et j’ai compris comment j’étais capable
d’agresser et de violer mes copines, à partir de la colère, de la honte et de la
culpabilité associées à cet enfant. Toute ma vie, j’ai été un adulte immature
avec des émotions d’enfant ; j’ai laissé ces émotions me guider, et elles ne
m’ont pas très bien guidé. J’ai fini par blesser beaucoup de gens, aller en
prison, détruire des vies. »
Pourquoi c’est important
L’essentiel ici est que les souvenirs non traités amènent les gens à
réagir à ce qui les entoure à travers les émotions, les croyances et les
sensations physiques qui étaient présentes en eux au moment de leurs
expériences traumatiques. Parfois, ils sont les seuls à en souffrir : ils
ressentent du danger alors qu’il n’y en a pas, ils ont des phobies, font une
dépression ou ont des attaques de panique. À d’autres moments, ils font du
mal aux autres. Certains agissent par douleur, par rage, par haine ou par
désespoir et se moquent de savoir si quelqu’un en souffre. D’autres ne
comprennent même pas que ce qu’ils font est mal. Cela ne les excuse
évidemment pas, mais c’est une explication. Nous sommes membres de la
société, nous faisons partie d’un tout. Le « pire » d’entre nous peut blesser
le plus vulnérable d’entre nous. Au cours de la décennie qui vient, il faudra
faire bien d’autres recherches, bien d’autres investigations dans tous ces
domaines. Mais jusqu’à maintenant, les résultats indiquent qu’il est possible
de ne plus abandonner personne. Et ce sont là de bonnes nouvelles pour
nous tous.
Je ne dis pas que tout le monde peut être traité dès maintenant avec
succès. Il nous reste encore beaucoup à apprendre. Par exemple, certaines
recherches indiquent que les blessures traumatiques du cerveau peuvent
également contribuer à un comportement criminel. Mais le comportement
destructeur de millions de gens qui commettent des crimes est régi par des
problèmes de santé mentale qu’on peut traiter. Les raisons peuvent remonter
à leur enfance, ou bien être liées à un traumatisme qui a pu les frapper sans
prévenir lorsqu’ils étaient adultes et les ébranler au plus profond de leur
être.
Sam en est un bon exemple. Détenu, il alla trouver le psychologue de
la prison parce qu’il avait des attaques de panique chaque fois qu’il voyait
un accident d’avion à la télévision. Sam avait été flic, et un bon flic. Selon
lui, il « travaillait pour les autres ». C’était son travail de « les protéger quoi
qu’il arrive ». Il faisait plus que ses heures, patrouillait à pied, arrivait tôt et
partait tard. Mais, un jour, il assista à un terrible accident : un avion s’était
écrasé sur la ville, rasant douze blocs d’immeubles.
Comme Sam le raconta au thérapeute de la prison, il avait été appelé
sur des centaines de scènes tragiques et avait vu énormément de blessés et
de morts. Mais ce crash l’affecta tout particulièrement, au point de quitter
son travail. Durant les dix années qui suivirent, il sombra de plus en plus,
jusqu’à commettre des infractions qui le conduisirent en prison. Il disait que
c’était ce « paysage post-nucléaire, là où il y avait auparavant des quartiers
habités » qui le hantait le plus. Et puis il y avait aussi ces choses qui se
trouvaient ensemble « mais qui n’auraient pas dû l’être » : une chaise, une
table avec un verre d’eau toujours dessus, et un torse humain. Une poupée,
un bras avec une bague encore sur un doigt, et un livre d’enfant. Des scènes
comme ça.
Leur cible EMDR fut le « paysage post-nucléaire ». La première
séquence de mouvements oculaires produisit dans l’image des changements
spontanés : elle était toujours sinistre, mais comme « nettoyée », les débris
en moins. La séquence suivante fit sursauter Sam : il voyait de l’herbe verte
et des arbres pousser là. Le thérapeute lui dit : « Restez avec ça. » Au cours
de la séquence suivante, il vit qu’un parc avait été construit. Il l’avait
oublié. Finalement, il put se rappeler calmement l’accident en se centrant
principalement sur le fait qu’il n’aurait rien pu y faire, et que la zone avait
été reconstruite pour le plaisir de futurs résidents.
Sam n’eut plus jamais d’attaque de panique en voyant à la télévision
un accident d’avion. Il revint également à son moi dévoué et « correct ». À
l’instar des autres personnes citées dans ce chapitre, quelle que soit la
gravité de leurs crimes, il est important de se rappeler qu’elles font partie de
notre société. Comme l’écrivait le journal médical The Lancet dans un
récent article recensant des publications sur le sujet : « La maladie mentale,
qui accroît le risque de criminalité et de récidive, est courante dans la
population carcérale. » Le fait de soigner les problèmes de santé mentale
qui contrôlent la vie d’un si grand nombre de ces agresseurs nous protège et
nous renforce tous. En les soignant, on leur permet d’entrer dans un
sentiment partagé d’humanité. Et on peut participer à la réduction du
nombre de nouvelles victimes.
Sam disait que ce souvenir d’un bel endroit surgissant d’un cataclysme
représentait une métaphore salutaire dans sa propre vie. Je crois, quant à
moi, que cela constitue une bonne métaphore pour nous tous. Que l’horrible
paysage apocalyptique surgisse quand on est adulte ou soit apparu dans
notre enfance, on peut le modifier. Il faut seulement demander l’aide
nécessaire pour y parvenir. Et il faut essayer d’apporter cette aide à ceux qui
n’ont même pas les informations requises pour la demander.
1.
Revue de psychiatrie et de psychologie médico-légales. [N.d.T.]
CHAPITRE 10
RESTER ATTENTIF
Ce qu’a vécu Ted illustre la raison pour laquelle j’ai inclus toutes ces
histoires dans ce livre. J’espère que vous vous êtes reconnu vous-même, ou
un proche, ou bien quelqu’un avec qui vous êtes en difficulté, et que vous
pouvez maintenant mieux comprendre ce qui fait agir les gens. Comme le
disait Ted, il prévoyait de continuer avec son thérapeute, afin « d’utiliser la
thérapie EMDR comme arme principale contre le passé ». Toutefois, si vous
vous servez déjà des techniques EMDR que vous avez apprises, cela peut
vous faire comprendre ce qui est à la base de vos propres difficultés, et
parfois c’est suffisant.
Prenons l’exemple de Jennifer. Elle aimait son mari de tout son cœur.
Alors pourquoi, depuis une semaine, l’agressait-elle chaque fois qu’il lui
posait une question ? Jennifer et Alan vivaient ensemble depuis presque
trente ans. Ils savaient tous les deux qu’ils avaient trouvé l’âme sœur et se
manifestaient leur affection chaque fois qu’ils étaient ensemble. Mais même
si Jennifer se sentait tranquille et heureuse dans les bras d’Alan, elle
commença à noter quelque chose de bizarre : sans raison apparente, chaque
fois qu’Alan lui demandait quelque chose, elle lui répondait agressivement,
avec impatience. Elle avait le sentiment qu’on lui en demandait trop, et plus
les jours passaient, plus elle se sentait perturbée. Elle remarqua qu’à chaque
fois, elle concluait intérieurement : « Tout repose sur moi ! » Cela n’avait
pourtant pas de sens : Alan participait autant qu’elle aux tâches ménagères
et aux autres contraintes du quotidien d’un couple marié. Mais même si elle
respirait profondément pour se calmer et lui présentait souvent ses excuses
après ces incidents, cela se reproduisait.
Dans le premier chapitre, je vous rappelais la comptine américaine
« Les roses sont rouges/Les violettes sont bleues ». Jennifer était dans une
phase « Les roses sont rouges ». Les roses sont rouges – parfois. Comme
elle était soumise à d’importantes contraintes de temps à son travail,
Jennifer mettait ses émotions de côté à la maison, en espérant qu’elles
disparaîtraient. Peut-être les questions d’Alan représentaient-elles une
contrainte excessive pour elle à ce moment-là, et peut-être ce qu’elle
ressentait était-il justifié. Peut-être. Mais ensuite elle remarqua
qu’apparaissait sans cesse en elle, en même temps que l’impatience, le
sentiment désespérant que leur mariage était fichu. Oui, l’impression que
c’était « fini » montait en elle – mais c’était absurde. Et, prenant conscience
que « les violettes ne sont jamais bleues », elle finit par se décider à agir.
En utilisant la technique du pont d’affect sur les mots : « Je ne
supporte pas que tout repose sur moi », et en se concentrant sur son
impression d’être submergée, elle laissa son esprit revenir en arrière. Un
souvenir surgit et elle se frappa le front en disant : « Bon sang, mais c’est
ça ! » Elle était revenue à l’année précédente, dans la maison où elle avait
grandi, et elle rangeait les affaires de sa mère qui allait partir en maison de
retraite médicalisée. Sa mère était à l’hôpital, et Jennifer était revenue
précipitamment d’un déplacement professionnel pour s’occuper d’elle.
Toutes les affaires de sa maman devaient être apportées au foyer de
personnes âgées avant qu’elle reparte. Son frère habitait à côté, mais il ne se
sentait pas bien et ne pouvait pas l’aider. Jennifer fut forcée de se charger de
tout, toute seule. Elle vécut ainsi une semaine terrible, surmontant son
épuisement pour terminer ce qu’elle avait à faire.
Quand elle était repartie, tout était fait, certes, mais elle était exténuée,
émotionnellement et physiquement. Il y avait exactement un an qu’elle
avait fait ce déménagement et qu’elle était rentrée en avion retrouver Alan.
Sa mère n’était jamais ressortie de l’hôpital et était décédée quelques
semaines plus tard. Pas étonnant que Jennifer se dise « tout repose sur moi »
et « c’est fini ». C’était une de ces « dates anniversaires » qui peuvent faire
remonter des sentiments négatifs liés à un événement pénible, parfois
pendant des années et des années.
La prise de conscience par Jennifer de l’origine de sa détresse fut
suffisante pour que tout rentre dans l’ordre. Les connexions thérapeutiques
se firent immédiatement. Les sentiments négatifs disparurent, et Jennifer
arrêta de se fâcher contre Alan. La vie redevint normale. Il n’en faut parfois
pas davantage.
Exploration personnelle
Jennifer avait un atout : elle pratiquait tous les jours les techniques
d’auto-assistance, de sorte que son expérience générale de la vie était calme
et heureuse. C’est pourquoi elle avait été capable de remarquer que quelque
chose n’allait pas, et d’agir pour y remédier. Cela nous ramène à ce que
vous pouvez choisir de faire dans votre vie de tous les jours.
Apprendre à exceller
Des études ont montré que le fait de répéter mentalement une tâche
avant de passer à sa réalisation peut être extrêmement utile. Par exemple, on
a démontré l’amélioration de la performance par la visualisation de lancers
francs réussis avant un match de basket-ball, par rapport aux matches où on
avait seulement utilisé un entraînement physique réel. Les athlètes
olympiques eux-mêmes utilisent des exercices de visualisation pour ajuster
leurs réactions. En fait, une enquête conduite dans un centre d’entraînement
d’athlétisme olympique américain a constaté que 90 % des sportifs de haut
niveau utilisaient la visualisation pour se préparer à la compétition. De plus,
94 % des coachs olympiques interrogés disaient utiliser la visualisation
dans leurs programmes d’entraînement. Dans toutes sortes de professions,
les coachs personnels enseignent à leurs clients à utiliser les techniques de
visualisation. Vous pouvez améliorer vos propres capacités au travail ou au
jeu en vous servant de votre imagination d’une façon ciblée.
Des études ont prouvé que ce sont les mêmes zones du cerveau qui
sont activées lorsqu’on demande aux gens de se souvenir de quelque chose
qu’ils ont fait dans le passé ou d’imaginer le faire dans le futur. Comme on
l’a vu, si on a des souvenirs non traités, ils peuvent teinter notre façon de
voir le présent ainsi que la manière dont on se voit agir dans le futur. En
conséquence, le traitement EMDR complet comporte trois étapes : on traite
les souvenirs du passé qui sont à l’origine des problèmes, on traite les
déclencheurs du présent, et on encode de nouveaux souvenirs de succès en
imaginant qu’on réussit à l’avenir. Au cours de la thérapie, les souvenirs
perturbants se transforment en des expériences d’apprentissage qui sont la
base de la santé mentale. Après la thérapie, les gens s’aperçoivent qu’ils
réagissent à ce qui les entoure de façon nouvelle et positive. Toutefois, nous
utilisons la troisième étape, appelée le « modèle du futur », pour apprendre
des compétences supplémentaires et ancrer davantage dans le système
mémoriel un schéma de réussites futures.
On suit en général les étapes dans cet ordre (passé, présent, futur), car
les souvenirs non traités du passé peuvent perturber le nouvel encodage
positif. Par exemple, un sportif doit parfois traiter des souvenirs de
blessures ou d’échecs pour pouvoir résoudre un manque de confiance ou de
motivation, ou une peur de la performance. J’ai inclus ici quelques
procédures pour le modèle du futur, afin que vous puissiez les utiliser chez
vous. Si aucun souvenir non traité ne vous bloque sur ce point, vous pouvez
quand même utiliser cet exercice pour vous préparer à des rencontres ou à
des entretiens d’embauche à venir, ou pour améliorer vos affaires ou vos
performances sportives.
S’il y a une situation future pour laquelle vous auriez besoin d’aide,
vous vous imaginerez, dans cet exercice, en train de l’accomplir gaiement et
avec succès. Même si vous avez du mal à imaginer une issue heureuse, cet
exercice vous donnera des informations importantes. Si vous rencontrez des
obstacles, ouvrez les yeux et utilisez une de nos techniques de respiration
pour revenir au calme. Puis essayez d’identifier les cognitions négatives qui
peuvent apparaître. Pensez au scan d’affect ou à la technique du pont
d’affect pour identifier tout souvenir non traité qui peut bloquer. Voyez s’il
faudrait ajouter un ou plusieurs souvenirs à votre liste de base. Si vous avez
des difficultés avec des souvenirs non traités, voyez si vous pouvez
renforcer votre palette de lieux sûrs pour y faire mieux face. Si cela ne
fonctionne pas, envisagez de les traiter avec l’aide d’un thérapeute formé à
l’EMDR.
Tout d’abord, identifiez la situation future sur laquelle vous désirez
travailler. Examinez-la de façon réaliste : avez-vous les informations
nécessaires pour réussir ? Si c’est un examen, l’avez-vous suffisamment
préparé ? Si vous devez faire une conférence, le matériel est-il prêt ? Si
vous vous produisez en public, avez-vous bien mémorisé votre texte ?
Sinon, déterminez d’abord ce qui vous en a empêché. Imaginer un succès,
alors qu’on n’a pas ce qu’il faut pour réussir, est un problème concret. Si
vous avez sans cesse remis au lendemain ce que vous deviez faire, alors
utilisez la technique du pont d’affect ou bien le scan d’affect afin
d’identifier un possible souvenir non traité. Peut-être le fait de trouver la
cause du problème vous permettra-t-il de relâcher son emprise sur vous.
Utilisez certaines de vos techniques de maîtrise de soi pour aborder une
anxiété éventuelle. Dans tous les cas, il est important de terminer votre
préparation avant d’affronter l’épreuve qui vous attend. Vous pouvez
également utiliser la technique du modèle futur afin de vous imaginer
terminant la préparation avec succès. Commencez par écarter tout ce qui
peut vous distraire. Décidez de ne vous en occuper qu’après l’exercice et
concentrez-vous sur les étapes suivantes.
LE MODÈLE FUTUR
De la survie à l’épanouissement
Être en thérapie a été parfois mal considéré, comme s’il s’agissait d’un
signe de faiblesse. Personnellement, je considère plutôt que c’est un signe
de courage. Des millions de personnes souffrantes continuent pourtant à
avancer, à mettre un pied devant l’autre, tout en gardant des relations ou des
emplois qu’ils détestent. Souvent ils les conservent pour de très bonnes
raisons : « Je ne veux blesser personne » ; « J’ai des responsabilités » ; « Je
ne peux pas laisser tomber les autres ». À ceux qui sont assez courageux
pour faire face à leurs peurs, la thérapie offre une nouvelle chance, celle
d’une vie où ils valent autant que tout le monde, où l’expression : « Aime
ton prochain comme toi-même » signifie qu’ils peuvent aussi s’aimer eux-
mêmes. Mais il faut être d’accord pour essayer. Et si vous craignez
d’échouer, cela provient de ces réseaux de mémoire qui font émerger en
vous des peurs que vous n’avez pas demandées et que vous n’avez pas eu la
force de rejeter quand elles ont été implantées en vous. Vous avez
maintenant l’occasion de vous en débarrasser.
Je veux également souligner le fait que c’est votre propre cerveau qui
se charge de la guérison. Si le système de traitement des informations du
cerveau est bloqué, vous demandez simplement de l’assistance pour le
remettre en route. C’est ainsi que Jeanne est venue en thérapie parce qu’elle
se sentait angoissée par la promotion qu’elle allait avoir : elle aurait
dorénavant à superviser 250 personnes et à leur parler régulièrement. Au
cours de la première séance, lors du recueil de son histoire, elle dit au
thérapeute : « Il n’y a rien de vraiment important là-dedans. » Le thérapeute
lui enseigna la technique du lieu sûr, et, au cours de la séance suivante, il
cibla l’angoisse de Jeanne et son sentiment : « Je ne suis pas importante. »
Ils tentèrent d’identifier un souvenir source, mais Jeanne insistait : « J’ai
toujours eu cette impression. » Alors ils se concentrèrent sur la première
conférence qu’elle aurait à faire après sa promotion. La cognition négative
était : « Je ne suis pas importante », associée à des émotions de peur et de
honte. Son mal-être était très intense, avec un SUD à 9 et des sensations
négatives dans la gorge et la poitrine.
Le thérapeute guidant le retraitement, l’esprit de Jeanne pouvait
maintenant faire les connexions appropriées. Elle se vit à l’âge de 3 ans,
assise sur les genoux de sa maman et babillant avec elle. Puis son beau-père
entrait, l’enlevait des genoux de sa mère, la posait par terre et commençait à
parler à sa femme. Jeanne avait raison : son sentiment de ne pas compter
était là depuis très longtemps. Ensuite un autre souvenir lui revint : à 7 ans,
alors que Jeanne venait juste d’entrer dans une nouvelle école, dans une
nouvelle ville, les enfants, à la récréation, lui dirent qu’elle était grosse et
laide. Quand les informations de ses réseaux mnésiques adaptatifs se
connectèrent, elle prit conscience que son beau-père était ignorant en
matière éducative, et que les enfants de l’école étaient des gamins
classiques, qui s’en prenaient à « la nouvelle ». Elle arriva à se visualiser
elle-même à 7 ans et se rendit compte combien elle était importante. Avec
cette nouvelle façon de se voir, elle ressentit un amour de maman pour la
petite fille qu’elle avait été. Quand ce fut terminé, son thérapeute et elle
ciblèrent la conférence qu’elle aurait à faire prochainement, et elle ressentit
comme complètement vraie, au cours du modèle du futur, sa cognition
positive : « Je suis importante. »
Ils avaient pris un rendez-vous pour la semaine suivante, mais Jeanne
appela ensuite le thérapeute pour l’annuler. Elle lui dit : « La conférence
s’est très bien passée ! Je n’ai eu aucun problème. C’était incroyable !
Merci, je ne ressens pas le besoin de venir à la prochaine séance ; mais si
j’en ai besoin à l’avenir, je vous appellerai. »
On voit ici que les thérapeutes peuvent être des coachs. Ils savent vous
guider jusqu’à ce que votre propre système prenne le relais. Une fois que
c’est le cas, vous pouvez vous en aller et gérer les choses tout seul. Si des
souvenirs non traités bloquent vos capacités de réussite, envisagez
l’assistance d’un thérapeute. La durée d’une thérapie dépend de la
préparation qui sera nécessaire pour le retraitement, du nombre de souvenirs
à traiter et du nombre des nouveaux apprentissages dont vous aurez besoin.
Si cela vous intéresse, vous trouverez dans l’annexe B des informations et
des recommandations pour choisir un thérapeute.
Rappelez-vous que réussir dans la vie ne consiste pas uniquement à
réduire le stress et la souffrance. Il s’agit aussi d’être bien dans tous les
aspects de votre existence. Les souvenirs négatifs non traités peuvent être
en train d’étouffer votre vie et de tirer vers le bas tout votre potentiel. Pour
orienter votre vie vers les objectifs qui sont les vôtres, il est utile
d’identifier les domaines où vous êtes bloqué et de vous servir des
techniques que vous avez apprises ici. On le sait : il est bien plus facile
d’être performant quand on a une vie équilibrée, relativement exempte
d’angoisse et de dépression. Il était donc logique d’inclure dans ce chapitre
des outils d’amélioration des performances.
En travaillant avec des sportifs de haut niveau, on voit clairement que
le talent et la capacité personnels ne sont qu’une partie de ce qu’il faut pour
être constamment performant. Afin de rester motivé et de contrôler le stress
et l’anxiété, certaines des techniques d’entraînement mental les plus
répandues comprennent les techniques de centrage et de visualisation que
vous venez d’apprendre.
Leur efficacité ne se limite d’ailleurs pas à un seul domaine de
réussite. Par exemple, au lycée, Kyle était un sportif de haut niveau, qui vint
en thérapie pour son manque d’assurance et de motivation. Il traita des
souvenirs de blessures et de perturbations, comme l’arrogance de certains
adversaires, certains commentaires de ses parents et des expressions de
déception sur le visage de son coach. On utilisa un certain nombre de
techniques, y compris celles que vous avez apprises ainsi que la technique
du modèle futur, pour l’aider à rester concentré sur le jeu. Après l’obtention
de son diplôme, Kyle reçut une bourse pour étudier dans une prestigieuse
université comme membre de leur meilleure équipe de première division.
Comme il le disait : « Cela ne m’a pas seulement aidé pour le sport : j’ai
plein de A pour la première fois ! » Il avait autrefois fréquenté une école
catholique de très bon niveau et avait dû lutter contre des handicaps
d’apprentissage.
Il n’est jamais trop tard, ni trop tôt, pour commencer à prendre le
contrôle de sa vie.
1.
L’histoire de Jonas se trouve dans l’ouvrage Des yeux pour guérir, de
Francine Shapiro et Margot Silk Forrest, Éditions du Seuil, coll. « Couleur
Psy », 2005. [N.d.T.]
CHAPITRE 11
La citation ci-dessus est extraite d’un mail que j’ai reçu d’une
collègue, il y a un an. Cela illustre assez bien la condition humaine : on
s’efforce d’être quelque chose, mais nos émotions refusent souvent de
suivre. On peut appeler cela comme on voudra – « le haut et le bas », ou
« la lumière et les ténèbres » –, il n’en reste pas moins que ces
contradictions sont présentes en chacun de nous. Souvent, on n’arrive pas à
être à la hauteur de ce qu’on aimerait être, et le monde ne ressemble pas du
tout à ce qu’on voudrait. Ainsi, la manière de gérer sa vie jour après jour est
ce qui déterminera en fin de compte le bonheur – et aussi le stress – qu’on
connaîtra dans sa vie. C’est là qu’entrent en jeu la conscience de soi et
l’implication de chacun dans sa propre santé mentale et physique.
Nous avons déjà vu tout au long de ce livre comment on peut mieux se
comprendre soi-même, et comment on peut évoluer. Dans ce chapitre, nous
allons voir comment la culture et la société auxquelles nous appartenons
peuvent influer sur nous. Par ailleurs, nous nous focaliserons sur certaines
difficultés importantes que chacun d’entre nous sera amené à traverser à un
moment ou à un autre de sa vie. Ces situations délicates sont des occasions
d’exploration de soi, et elles peuvent vous aider à comprendre certains
problèmes auxquels vous-même, ou d’autres personnes autour de vous,
pouvez être confrontés. Je vais proposer également d’autres suggestions
pour prendre soin de vous-même, ce qui vous donnera de nouvelles
possibilités de bien-être personnel. Les choix qu’on fait dans la vie ont des
conséquences importantes, pas seulement sur soi mais aussi sur ses proches.
En fin de compte, chacun de nous est peut-être plus important qu’il ne le
croit.
Nous pouvons tous, d’une façon ou d’une autre, surmonter notre passé
personnel, familial et même social. Nous pouvons passer outre ces
problèmes douloureux et profiter pleinement de notre vie, sans que de vieux
souvenirs nous tirent vers le bas. C’est ce qu’a vécu Hélène. Sa vie a été
l’enchevêtrement de deux histoires, l’une où elle a franchi allégrement les
obstacles, l’autre émaillée de phases d’autodestruction. Elle a reçu une
bourse pour entrer à l’université et a fini ses études avec, à la fois, un
diplôme de sociologie et un début de toxicomanie. Elle devint ensuite
psychologue pour enfants polyhandicapés pendant la journée, et barmaid et
dealer la nuit. À 27 ans, elle est entrée dans un centre de désintoxication.
Deux de ses amis venaient de succomber à une mort violente en rapport
avec la drogue, l’un par suicide et l’autre assassiné. Elle sut alors qu’elle
était en danger : ce n’était qu’une question de temps avant que ses activités
relatives à la drogue ne lui fassent perdre son travail, son appartement, sa
liberté, ou la vie.
Après avoir quitté le centre de désintoxication, elle a pu rester clean,
mais elle souffrait d’accès de dépression et d’angoisse. Elle est passée
ensuite par des années de diagnostics erronés, d’échecs thérapeutiques et de
désespoir, jusqu’au jour où elle s’est elle-même diagnostiqué un ESPT, et
où, après quelques recherches, elle a entamé une thérapie EMDR. À cette
période, elle commençait à entrevoir l’origine de son addiction.
Enfant, Hélène était souvent séparée de ses parents et on l’envoyait
chez des parents proches, alcooliques. C’était pendant ces périodes que sa
tante Jeanne abusait physiquement et sexuellement d’elle et de ses frères et
sœurs. Tout le monde savait que Jeanne « terrorisait » la famille, mais
personne ne faisait rien pour l’en empêcher. Une épaisse chape de déni et de
silence couvrait toute la famille élargie. Malgré l’extrême difficulté de ce
travail pour elle, Hélène a abordé ces vécus douloureux et a pu résoudre ses
problèmes en trois ans. Cependant, cinq ans plus tard, elle revenait en
thérapie, cette fois avec un but différent.
Hélène était une personne active, qui allait bien d’une façon générale,
mais elle continuait à avoir des problèmes dans un domaine particulier.
Depuis qu’elle avait terminé sa thérapie, elle se sentait exclue de sa famille
parce qu’elle était la seule à aller bien et à ne pas être « addicte » aux
drogues ou à l’alcool. Pourquoi sa famille semblait-elle vouée à la
destruction ? Elle voyait les enfants plus jeunes commencer à prendre la
même voie qu’elle. Que pouvait-elle y faire ? Elle voulait aussi comprendre
comment certains membres de sa famille avaient été capables de telles
cruautés. Elle explora leurs histoires respectives et en fit part à son
thérapeute pour qu’il fasse caisse de résonance. Ensemble, ils ciblaient les
émotions qui remontaient en elle. Hélène se sentait écartelée : elle se sentait
impuissante à mettre fin au drame de sa famille et elle éprouvait la
« culpabilité du survivant » – celle d’aller mieux. Elle voulait se sentir en
paix et équilibrée, et elle espérait y parvenir à travers la compréhension de
l’histoire de sa famille et du rôle qu’elle y jouait.
Elle commença par sa tante maternelle, Jeanne, la femme qui avait fait
le plus de dégâts, et avec qui Hélène avait vécu une bonne partie de son
enfance. En étudiant l’histoire de Jeanne, elle comprit que cette femme était
née dans le mauvais milieu et à la mauvaise époque. Sa tante était une
marginale : elle était lesbienne, très intelligente, d’allure très masculine,
dans un monde qui exigeait qu’elle fût autrement. Toutes les possibilités
professionnelles et tous les styles de vie dont elle aurait eu envie lui étaient
interdits. Elle vivait sous une pression constante de sa famille et de son
milieu pour être ce qu’elle ne pouvait pas être. Se sentant méprisée,
invisible, elle bouillait intérieurement de rage.
Évidemment, être obligé de vivre toute sa vie dans le mensonge ne
peut être sans conséquences. Mais il faut d’autres facteurs pour transformer
la souffrance en violence. Pour Jeanne, c’étaient les maltraitances et les
négligences qu’elle avait subies dans son enfance. Elle avait eu un père très
absent : il travaillait quatorze heures par jour, six jours par semaine. Sa
mère n’arrivait pas à gérer ses enfants et passait souvent sa frustration sur
Jeanne. La mère de Jeanne, la grand-mère maternelle d’Hélène donc, était
une immigrée allemande qui avait travaillé dur pour s’intégrer dans une
culture qui ne l’accueillait pas à bras ouverts. C’était une femme d’une
grande détermination, qui s’était sentie obligée, par convention sociale, de
suivre les rêves de son mari, et non les siens. Elle recourait à l’alcool pour
noyer sa souffrance, et s’en prenait à ses enfants quand l’alcool ne suffisait
pas. Tout cela se passait à une époque où la stigmatisation des femmes
alcooliques était tellement forte qu’il n’y avait guère de traitements
disponibles pour elles. Jeanne, la tante d’Hélène, a ainsi vu sa mère mourir
lentement d’alcoolisme, entourée de proches que le secret et la honte
paralysaient. En fin de compte, Jeanne a donc été élevée par une femme qui
s’effondrait peu à peu, dans une culture qui n’accordait pas de valeur aux
femmes et ne les écoutait pas, à une époque où les différences n’étaient pas
acceptées, et dans des lieux où on ne pouvait pas trouver d’aide.
Hélène a retrouvé le même alcoolisme et le même désespoir dans la
famille de son père : elle a appris que sa grand-mère paternelle était une
Amérindienne. Cette grand-mère avait farouchement caché ses origines,
après avoir subi maintes expériences de discrimination et de racisme. Il
s’agissait d’un secret de famille tellement enfoui qu’Hélène n’a jamais pu
en découvrir tous les détails.
Le fait de remonter son arbre généalogique a aidé Hélène à mieux
comprendre ce qui y circulait depuis des générations : une substance
toxique, la honte. Elle a aussi regardé en face les visages hideux de
l’oppression : le racisme, l’homophobie et les discriminations sexistes. Son
histoire et celle de sa famille faisaient maintenant sens pour elle, et cette
connaissance l’aidait à avancer. Elle a terminé cette partie de sa thérapie en
prenant conscience de ce qu’elle pouvait faire : en veillant à sa santé et à sa
propre sécurité, elle pouvait être un bon exemple pour les enfants de ses
frères et sœurs et elle pouvait leur offrir des conseils et un recours quand ils
en auraient besoin. Et dans sa profession, elle pouvait aussi défendre les
enfants opprimés.
Comme elle le dit elle-même :
« C’est uniquement grâce aux circonstances de ma naissance, à la
couleur de ma peau et à d’autres privilèges que j’ai eu l’opportunité de
traiter et de surmonter mon passé. J’ai vu où me menait ma souffrance : j’ai
enfreint la loi, je me suis fait souffrir et j’ai fait souffrir d’autres gens, et j’ai
expérimenté sur moi-même ma capacité à infliger des dégâts beaucoup plus
importants. La souffrance non traitée engendre la répétition des mêmes
choses. Je n’approuve pas tous les détails de mon passé, mais je peux
maintenant les dépasser. Je pense que je comprends mieux la souffrance de
ma tante Jeanne, mais cela ne sera jamais complètement clair pour moi :
c’est son histoire et je ne la connaîtrai jamais entièrement. Je pardonne à
Jeanne et aux autres membres de ma famille, car cela met le passé à
distance, mais mon pardon ne veut pas dire que j’accepte la violence dans
ma vie. On doit tous choisir comment on fait face à la souffrance, et ma
famille aurait pu mieux gérer la sienne. Je vois maintenant mon
traumatisme comme le résultat de générations de haine, de souffrance et de
malentendus, et c’est bien au-delà de ma famille et de moi. Je suis
reconnaissante d’avoir eu la chance d’aller mieux, mais je ne suis pas
d’accord avec le fait que d’autres ne le puissent pas. Je ne suis pas d’accord
avec le fait qu’à travers le monde ce genre de douleur se perpétue, et j’ai
l’intention de faire ce que je pourrai pour remédier à cela. »
Que chacun de nous pense à sa propre histoire familiale : combien y
trouverons-nous de gens soumis à des violences, exilés, ou dont la vie a été
bouleversée par une dictature, la guerre ou d’autres forces hors de leur
contrôle ? On voit bien qu’il ne s’agit pas là de notions abstraites : ce sont
ces expériences qui ont fait de nos ascendants ce qu’ils ont été, et qui nous
ont fait ce que nous sommes aujourd’hui. Beaucoup de gens sont
aujourd’hui encore exclus, ou exposés à des violences, à cause de leur
genre, de leur nationalité, de leur religion ou de leur orientation sexuelle.
Reste à savoir ce qu’on peut faire dans sa propre vie pour surmonter ces
schémas destructeurs. Pas seulement pour soi-même, mais aussi pour les
générations futures.
Ceux d’entre nous qui ont été brimés ou rejetés à l’école parce qu’ils
étaient différents – petit, grand, maigre, gros, portant des lunettes,
handicapé, premier ou dernier de la classe – savent combien on peut se
sentir pris au piège et seul. Les insultes et les humiliations peuvent nous
faire perdre confiance et provoquer des années de douleur. Imaginez
combien c’est pire encore lorsque des adultes en situation d’autorité se
sentent le droit de formuler des commentaires sur des choses dont nous, les
humains, nous permettons qu’elles nous séparent – couleur de peau,
religion, genre ou culture. Aujourd’hui, alors même que la technologie
rapproche le monde, les informations quotidiennes et les guerres qui
semblent ne jamais finir provoquent en nous un sentiment de peur de
« l’autre ». C’est un autre exemple qui montre que la solution est en nous,
qu’on la donne aux autres ou qu’on la reçoive d’eux. L’important, c’est que,
pour faire changer le monde, le changement doit venir de l’intérieur.
Kate était obligée de faire cette thérapie. Elle n’en avait aucune envie,
surtout pas avec la petite femme blonde qui lui ouvrait la porte. Que diable
s’imaginait-elle pouvoir faire pour elle ? Mais Kate n’avait pas le choix.
Dans son entreprise, elle avait été la directrice de son département pendant
vingt ans et n’avait reçu que des éloges pour son travail. Elle était la
première Afro-Américaine à avoir été promue à ce poste. Mais maintenant
la direction générale de cette multinationale demandait à ce que toutes les
personnes, à son niveau de responsabilités, se soumettent à un examen –
qu’elle avait déjà raté deux fois. La compagnie lui avait assigné cette
thérapeute et il n’y avait rien à y faire. Elle ne parvenait pas seule à gérer
son anxiété de performance, et si elle refusait l’aide de cette femme, son
patron serait furieux. Elle regardait donc Sylvia avec colère – mais sans rien
pouvoir faire. Elle ne pouvait s’empêcher de montrer qu’elle se sentait
piégée dans cette pièce avec elle, et qu’elle n’aimait pas ça.
Sylvia lui dit qu’elle comprenait et qu’elle compatissait. Puis elle lui
expliqua que, comme elles n’avaient pas beaucoup de temps, elles allaient
se centrer sur ce qui empêchait Kate de réussir cet examen. Après un court
exercice de préparation pour trouver un lieu sûr, Sylvia demanda donc à
Kate de se concentrer sur le sentiment d’être « coincée dans une pièce ».
Après avoir traité la cognition négative « Je suis coincée » et le sentiment
de colère et de rancune qui l’accompagnait, elles commencèrent le
traitement. Le thème se déplaça rapidement sur « Je ne vous fais pas
confiance ! ». Sylvia lui dit : « Continuez avec ça » et, dès la séquence de
mouvements oculaires suivante, les choses se mirent en route. Kate revit
des images et des scènes de toutes les injustices qu’elle avait subies. Elles
poursuivirent ce voyage dans le temps, et Kate n’hésitait pas à exprimer ses
colères. Elle était étonnée de voir toutes les insultes et de tous les obstacles
qu’elle avait dû surmonter pour arriver là où elle en était aujourd’hui. Elle
se souvenait d’un professeur qui ressemblait tout à fait à Sylvia, et qui
l’humiliait. Elle dit à la thérapeute : « Vous êtes exactement comme elle. Je
vous déteste. » Maintenant, cela faisait sens. Sylvia lui dit simplement :
« Continuez avec ça. »
Kate se rappelait en particulier qu’on l’avait traitée d’idiote et qu’on
lui avait dit qu’elle n’arriverait jamais à rien – qu’elle était juste bonne à
devenir femme de ménage. Elles poursuivirent le traitement pendant les
cinq heures suivantes, et à la fin, son SUD était à 0 et la cognition positive
« J’ai des choix » était complètement vraie.
Elle se rendit compte qu’elle était capable de passer l’examen le week-
end suivant, même si elle n’avait jamais pu, auparavant, étudier ou retenir
correctement des informations. Pendant l’examen, elle sut tout de suite
qu’elle l’avait raté. Mais maintenant c’était différent : elle ne ressentait pas
d’angoisse, et elle se mit avec assurance à étudier pour l’examen suivant –
qu’elle réussit.
Elle n’hésita pas, par la suite, à envoyer des membres du personnel à
Sylvia. À présent, Kate avait le sentiment qu’elles étaient deux personnes à
égalité, travaillant ensemble pour aider les autres.
EXPLORATION PERSONNELLE
La grande égalisatrice
Jane, une femme d’une cinquantaine d’années, avait perdu son mari
Mike environ six mois avant de venir en thérapie. Elle continuait à vivre –
elle travaillait dans le commerce de son mari et gérait ses affaires – mais
intérieurement elle se sentait bloquée dans son deuil. Elle était déprimée et
la vie semblait avoir perdu toutes ses couleurs. Le passage du temps
n’arrangeait rien ; tout le monde lui avait pourtant dit que ça deviendrait
plus facile, mais on le lui disait depuis des mois et pourtant rien ne
changeait. Elle n’avait pas pu pleurer et tout semblait être complètement
refoulé en elle. Sa croyance négative était : « Je suis impuissante. Je n’en
sortirai jamais. »
La mort de Mike fut ciblée en thérapie EMDR et, au cours du
retraitement, Jane pensa spontanément à la perte de sa mère, morte d’un
cancer quand elle était enfant. Elle se rappela qu’avant sa mort, sa mère lui
avait dit : « Tu dois être forte. » Jane et sa mère savaient en effet toutes les
deux qu’elle allait mourir. Ce fut un moment de réelle prise de conscience
pour Jane. Elle comprit qu’elle avait vraiment pris à cœur les instructions de
sa mère. Elle n’était qu’une enfant – seulement 9 ans –, mais elle avait
l’impression de devoir être là pour son père. Même après la mort de sa
mère, elle ne s’était pas autorisée à la pleurer. Elle avait refoulé tous ses
sentiments de tristesse et de perte, qui étaient pour elle des signes de
faiblesse.
Grâce au traitement de ces souvenirs, Jane a pu vivre les émotions
qu’elle avait besoin de ressentir. Elle a reconnu que sa mère n’avait pas
voulu qu’elle s’interdise de pleurer : elle voulait simplement que sa fille
aille bien. Jane a eu soudain la permission de se laisser aller à ressentir ses
émotions et à vivre toute la tristesse emmagasinée en elle. Comme elle l’a
dit alors à son thérapeute : « Je peux maintenant pleurer et avancer. » Elle
comprenait que c’était normal ; c’était très bien de ressentir ses émotions.
Elle a alors beaucoup pleuré Mike et, enfin, sa mère. Soulagée, libérée de
tout ce poids, elle a enfin pu avancer peu à peu dans le processus de deuil,
avec l’apaisement que lui apportaient les souvenirs positifs de sa mère et de
son mari.
Beaucoup de gens en deuil ont la sensation d’être bloqués dans la
tristesse, avec d’horribles images qui leur déchirent le cœur. C’est
particulièrement le cas lorsqu’une personne décède brutalement : les gens
peuvent être hantés par un sentiment de culpabilité en pensant à toutes les
choses qu’ils « auraient dû » dire ou faire – et qu’ils n’ont pas fait lorsqu’ils
en avaient l’occasion. Ces sentiments de culpabilité sont souvent aggravés
par des images de la douleur de leurs proches. Ces souvenirs demeurent
souvent non traités et peuvent faire durer le chagrin pendant des années.
Pour d’autres personnes, même s’il n’y a pas de sentiment de culpabilité, ce
sont seulement des souvenirs négatifs qui continuent d’alimenter le chagrin.
Heureusement, le traitement EMDR ne fait pas qu’éliminer les associations
négatives intrusives, il permet aussi le retour de celles qui sont positives :
par exemple, deux jeunes frères que j’ai traités n’avaient que des mauvais
souvenirs de leur père. Cet homme avait fini sa vie alcoolique et, chaque
fois qu’ils pensaient à lui, il leur venait des images où il était assis, portant
un peignoir miteux et entouré de canettes de bières. Le traitement de ces
souvenirs a permis à cette image de s’estomper, et ensuite, lorsqu’ils
pensaient à leur père, il leur venait des images où ils étaient tous ensemble à
la pêche ou en camping.
Une étude sur l’EMDR a montré que, comparée à une autre forme de
traitement, l’EMDR produisait un rappel bien plus important de bons
souvenirs du proche, accompagné d’un sentiment de soulagement.
Parfois certains restent bloqués parce qu’ils ont peur de perdre leur
chagrin : ils pensent qu’ils n’honoreraient alors plus le défunt et perdraient
leur lien avec lui. Ce n’est absolument pas vrai : même si la souffrance
disparaît, les connexions émotionnelles seront toujours là. C’est exactement
ce qu’un proche pourrait vous souhaiter.
À travers tous ces récits de souvenirs non traités qui peuvent affecter le
corps, l’esprit et les émotions, nous avons vu comment on peut être
prisonnier de sa peur et de son sentiment d’impuissance. Ces mêmes choses
qui font obstacle à notre croissance personnelle peuvent aussi nous freiner
dans ce qu’on appelle le « développement spirituel », cette amplification de
notre compréhension et de notre sentiment de connexion à l’univers, par-
delà notre condition de mortels sur cette planète. Dans de nombreuses
traditions et religions, le développement spirituel se traduit par un grand
sentiment d’amour et de sollicitude pour l’humanité tout entière.
En EMDR, ces sentiments de connexion spirituelle plus forte sont
parfois produits naturellement par le processus de retraitement. Par
exemple, une femme que son père avait violée bien des années plus tôt se
sentait prisonnière d’un sentiment de ne rien valoir. En travaillant avec son
thérapeute, elle vit ses sentiments changer : après une séquence de
mouvements oculaires, elle lui dit : « Je pensais à l’amour. Et les mots qui
me sont venus, c’était : “Dieu m’aime” ! » Un beau sourire sur le visage,
elle poursuivit le travail. Elle ne pouvait pas vivre cette impression de
« l’amour de Dieu » tant qu’elle était prisonnière de son aversion pour elle-
même. Dans ce cas, c’était un changement spontané ; pour d’autres
personnes, en revanche, il faudra aborder spécifiquement ce qui bloque en
elles l’accès à cette sorte de paix intérieure.
LA DÉCONNEXION SPIRITUELLE
LA PORTE FINALE
EXPLORATION PERSONNELLE
Pour des millions de gens, la foi est une partie importante de leur vie,
et ils trouvent du réconfort dans la prière. D’autres croient en une puissance
supérieure, mais se sentent séparés d’elle, seuls, et incapables de prier. Des
millions de personnes ont recherché la paix intérieure par la méditation, et
beaucoup d’entre elles semblent bloquées de la même façon. Dans les deux
cas, l’EMDR peut traiter ces obstacles, qui sont souvent causés par des
souvenirs non traités de douleur, de chagrin ou de déception. Une fois ces
barrières ôtées, on est libre d’approfondir sa spiritualité à travers les
pratiques qui nous conviennent le mieux. Cela nous permet de choisir la
prière, ou la méditation, ou encore une combinaison des deux, pour
améliorer notre vie quotidienne.
Bien sûr, il faut avoir la foi ou au moins des croyances spirituelles pour
pouvoir prier. Mais pour ce qui concerne la méditation, il suffit de regarder
ce que la science nous dit pour nous y engager. Dans les pays occidentaux,
on associe la méditation à la tradition bouddhiste ; mais il en existe en
réalité de multiples formes, venant de maintes cultures différentes. De
nombreuses études, récemment, ont évalué certaines pratiques de
méditation après les avoir dissociées de tout système de croyance
particulier. Ces recherches ont montré que la pratique de ces techniques
d’« attention centrée » facilite la gestion du stress et améliore les fonctions
immunitaires. C’est donc un excellent complément aux activités
autothérapeutiques quotidiennes.
Parmi ces techniques de méditation, on trouve la « pleine conscience »,
qui consiste à être simplement attentif, sans attachement, sans jugement. La
pleine conscience fait partie des procédures de l’EMDR, car on donne pour
consigne au patient, au cours du retraitement, de « simplement observer » :
ne pas essayer de provoquer quelque chose, simplement observer. Pendant
que le thérapeute vous guide à travers le réseau mémoriel pour permettre le
retraitement, le fait de « simplement observer » le mouvement de vos
pensées peut vous aider à repérer que vous êtes pris dans une boucle sans
issue. Parfois, cette seule observation suffit à desserrer l’emprise du
souvenir. Les personnes qui méditent renforcent leur stabilité émotionnelle
et leur capacité à rester en pleine conscience dans la vie quotidienne ; elles
peuvent effectuer des choix plus avisés, pour elles-mêmes et pour les autres.
Vous trouverez des ressources pour la visualisation guidée et la
méditation dans l’annexe A. Mais une façon simple de commencer consiste
à s’asseoir tranquillement et à observer comment votre ventre se gonfle et
se contracte pendant que vous respirez. Observez simplement, tout
tranquillement. Si vous sentez que votre esprit commence à s’évader,
ramenez doucement votre attention sur votre ventre. Voyez si vous pouvez
le faire pendant cinq minutes de suite. Puis augmentez votre temps de
méditation quotidien jusqu’à pouvoir rester confortablement assis pendant
vingt à trente minutes.
Si vous voulez mêler vos pratiques religieuses à votre méditation, vous
pouvez ajouter une phrase correspondant à votre orientation spirituelle :
« Dieu est bon », ou « Dieu est grand », ou « Dieu est un ». Vous pouvez
également utiliser le mot « Om », qui vient de la tradition hindoue, ou un
mot comme « paix » ou « amour ». Répétez cette phrase ou ce mot chaque
fois que vous inspirez et que vous expirez. Les pratiques de méditation qui
se centrent sur un sentiment de gratitude peuvent également être très utiles.
Asseyez-vous tranquillement et pensez à tout ce qui, dans votre vie, éveille
en vous de la gratitude. Portez votre attention sur votre cœur et répétez
simplement : « Merci pour tout ce que tu m’as donné » tout en inspirant et
en expirant. Le « tu » peut être Dieu, l’Esprit, la Vie, ou votre personnalité.
Ces techniques de méditation peuvent apaiser tant votre esprit que
votre corps, ce qui aura de bons résultats physiques et mentaux à long
terme. De même, et c’est important, elles vous rappellent que vous êtes bien
plus que toutes les perturbations que vous pouvez subir dans votre vie.
Si vous ressentiez auparavant des connexions spirituelles, mais que
vous êtes bloqué aujourd’hui, cela peut être encore un exemple de l’action
des souvenirs non traités. Les raisons semblent parfois sans gravité, comme
dans le cas de Craig, dont le souvenir source était d’avoir été léché par une
vache à l’âge de 3 ans. D’autres fois, il peut s’agir d’un traumatisme majeur
qui a fait vaciller la représentation du monde de la personne. Ceux qui ont
perdu brusquement un être aimé peuvent se sentir coupés de lui et isolés
dans un chagrin qui ne cicatrise pas. Pourtant, le traitement de ces souvenirs
peut chasser la douleur, ramener un sentiment d’espoir et recréer du lien.
Même les parents d’enfants qui ont perdu la vie dans l’attaque du
11 Septembre, au Moyen-Orient ou dans des catastrophes naturelles comme
les tremblements de terre, les ouragans ou les tsunamis, peuvent témoigner
du sentiment nouveau de paix et de réconciliation qui les habite. Nous
sommes tous semblables, dans la douleur comme dans notre capacité à
guérir.
Si vous vous sentez bloqué sans pouvoir en trouver la raison, centrez-
vous sur les sensations que vous éprouvez physiquement quand vous
essayez de prier ou de méditer, et faites un pont d’affect pour voir si vous
trouvez la cause du blocage. Si le fait d’être attentif ne suffit pas à vous
libérer, envisagez de faire traiter l’événement : les résultats pourraient bien
vous étonner. Les cliniciens parlent de « croissance post-traumatique » : les
gens qui ont été traumatisés rapportent souvent que la guérison n’est pas
seulement l’élimination de la douleur ; ils peuvent donner des réponses
positives à des questions telles que : Qu’ai-je appris ? En quoi suis-je plus
solide ? De quoi suis-je reconnaissant ? Qui puis-je aider grâce à ce que j’ai
appris ? Si quelque chose est bloqué en vous, peut-être est-il temps qu’on
vous en guérisse.
Profiter de la vie
Nous l’avons dit tout au long de ce livre : ces réactions que nous
pouvions considérer jusque-là comme « folles » ou incontrôlables sont en
fait explicables. Nos connexions mémorielles inconscientes sont tout à la
fois la source de nos difficultés, mais aussi de notre capacité à vivre de
façon positive et satisfaisante. J’espère que les exemples et les exercices
donnés dans ce livre vous auront permis de voir que vous n’êtes pas tout
seul, ni dans la souffrance ni dans votre désir de ressentir de la joie et du
bonheur. Plus vous utiliserez les procédures d’auto-exploration, mieux vous
saurez ce qui contrôle secrètement votre vie. En pratiquant et en utilisant
tous les jours les techniques de maîtrise de soi que vous avez apprises, vous
améliorerez votre niveau de contrôle sur vous-même. Si vous avez
l’impression d’être bloqué dans un domaine de votre vie, vous savez
maintenant qu’il y a des options qui vous permettraient de passer de ce
sentiment d’être « coincé » à une vie pleine de nouvelles opportunités. Vous
avez la possibilité de choisir, et c’est important.
Un autre objectif de ce livre est de vous aider à être plus en sympathie
avec vous-même et avec les personnes qui vous entourent. J’espère que
vous ressentez de la compassion à la fois pour votre enfance, cette période
où le cours futur de votre vie s’établissait, et pour vous-même, adulte, qui
avez aujourd’hui la responsabilité et la capacité d’opérer les changements
nécessaires. Et j’espère qu’en regardant ceux que vous côtoyez, vous
ressentez la même compréhension pour leurs combats personnels. Ils
devront prendre eux-mêmes leurs propres décisions, mais, à l’instar
d’Hélène, à travers vos propres choix positifs, vous pouvez être « une
lumière qui les guide ». Nos actions créent autour de nous un effet de
vague, dont les conséquences peuvent avoir une grande portée.
Au cours des vingt dernières années, plus de 70 000 cliniciens ont été
formés en EMDR dans le monde entier. Dans le même temps, des
associations EMDR rassemblaient des gens de toute la planète, qui
échangeaient leurs histoires et ce qu’ils avaient appris. Ce qui m’a toujours
rendue heureuse, c’est qu’un si grand nombre de ces récits soient
finalement des récits de victoire ; ce sont des exemples de la résilience des
hommes, de leur capacité à sortir de la douleur et de l’adversité. Ils
montrent la capacité des humains à aimer, même dans les circonstances les
plus terribles. Ces récits nous font voir que les gens sont capables de
surmonter tous les obstacles que la vie peut mettre sur leur chemin.
Que nous habitions un appartement luxueux ou une hutte de boue
séchée, nous sommes davantage reliés par nos ressemblances que par nos
différences. Peut-être croyons-nous que notre religion, notre culture, nos
traditions valent mieux que celles des autres, mais, en réalité, nos cerveaux,
nos corps, nos âmes évoluent au même rythme. Ce qui fait souffrir l’un
ferait aussi souffrir les autres. C’est pourquoi je me suis sentie si honorée de
partager avec vous quelques-unes de ces histoires : après tout, quand nous
parlons de « chez nous », il s’agit de l’endroit, sur cette planète, où nous
sommes nés et qui a contribué à construire notre destin. Même si nous
avons quitté notre terre natale, nous portons en nous la marque de notre
famille et de notre pays d’origine. Ce qu’il y a d’admirable, c’est que, où
que nous soyons sur terre, nous partageons tous les mêmes systèmes
physiques, et un corps, un cerveau et un inconscient qui fonctionnent de la
même façon. Si nous nous coupons, notre corps se guérit, sauf si quelque
chose l’en empêche. Et ce dont nous avons eu la preuve quotidienne en
EMDR, c’est que le système de traitement de l’information du cerveau
fonctionne de la même manière. La douleur peut se transformer en quelque
chose d’utile. On peut choisir le chemin qu’on veut suivre. Et tous ces
chemins convergent, dans le monde entier.
TENDRE LA MAIN
Servez-vous quotidiennement de ce tableau personnel pour vous aider à rester dans la bonne
voie. En évaluant chaque journée, demandez-vous : qu’est-ce qui pourrait
l’améliorer ? Que devrais-je ajouter ou enlever pour mieux vivre ? Me faut-il plus
de temps de relaxation ? Devrais-je être plus à l’aise avec les techniques d’auto-
assistance ? Ai-je une sensation de bien-être ? Ou ai-je besoin de l’assistance d’un
professionnel ?
Les problèmes personnels et les sentiments de détresse émotionnelle peuvent parfois
paraître insurmontables, mais vous avez vraiment des choix. Pensez bien à
pratiquer vos techniques d’autocontrôle et utilisez votre journal des DICES pour
construire votre liste de base et votre ligne de temps. Cela vous permettra de
repérer plus facilement vos schémas de réaction dans la vie quotidienne. Cela vous
donnera aussi une meilleure idée des types d’émotions et de sentiments positifs
qu’il vous faut ajouter à votre palette de lieux sûrs/calmes. En outre, si vous
choisissez de faire une thérapie EMDR, ces pratiques vous permettront en général
d’aller plus vite dans l’étape de recueil de l’histoire et de préparation du
traitement. Une thérapie personnelle, c’est un partenariat avec un thérapeute
responsable. Comme le disait un patient : « Mon thérapeute, c’est ma rampe
d’escalier. »
Annexe B
L’INSTITUT D’EMDR
EMDR CANADA
EMDRIA LATIN-AMERICA
HAP, organisme à but non lucratif, est un réseau de cliniciens qui vont
là où il faut mettre fin à la souffrance émotionnelle et empêcher les
séquelles psychologiques des traumatismes ou de la violence. HAP a reçu
en 2011 le Sarah Haley Memorial Award for Clinical Excellence de la
Société internationale d’étude du stress traumatique (ISTSS). Il a pour
objectif de rompre le cycle de la souffrance qui ruine des vies et détruit des
familles.
Le modèle HAP met l’accent sur la formation et l’apport de soutien
professionnel aux cliniciens locaux pour poursuivre le travail de soins. Ce
modèle centré sur la formation a plusieurs avantages. En enseignant
l’EMDR aux thérapeutes locaux, nous leur fournissons un outil efficace de
traitement des effets émotionnels du trauma. Les professionnels appartenant
à la communauté affectée ne sont pas remplacés par des thérapeutes
étrangers ; on leur apporte au contraire une ressource importante, qu’ils
utilisent quand et comme ils le jugent utile. Les réactions au trauma sont
parfois différées dans le temps, et les personnes essaient souvent de
résoudre leurs difficultés par elles-mêmes avant de demander de l’aide à un
professionnel : la formation de cliniciens locaux permet de s’assurer que,
lorsqu’elles viendront demander de l’aide, on pourra répondre à leurs
besoins. De cette façon, l’efficacité du traitement psychologique du trauma
va bien au-delà des paramètres d’un événement unique.
HAP propose une formation à l’EMDR à très faible coût, sur place, à
des thérapeutes qui travaillent dans des organismes publics ou dans des
organisations à but non lucratif. Les organisations américaines ou
internationales qui souhaitent sponsoriser ces formations peuvent contacter
HAP directement.
Outre les formations, le réseau HAP de traitement du trauma
coordonne des cliniciens pour traiter les victimes et les intervenants des
services d’urgence après des crises comme l’attentat d’Oklahoma City ou
les attaques terroristes du 11 Septembre.
Depuis l’attentat d’Oklahoma City, en 1995, un réseau de plus en plus
large de volontaires EMDR-HAP a répondu aux appels à l’aide en
provenance du monde entier, que ce soit après l’ouragan Katrina, les graves
inondations du Dakota du Nord, des tremblements de terre en Turquie, en
Inde, en Chine et en Haïti, des ouragans ou des inondations dans toute
l’Amérique latine, ou des éruptions volcaniques et des tsunamis en Asie.
Nous avons tendu la main à des communautés traumatisées par la guerre et
le terrorisme en Palestine et en Israël, en Croatie et en Bosnie, en Irlande du
Nord et au Kenya, et à celles que des épidémies avaient dévastées en
Éthiopie. Nous avons aidé à combler les manques dans les services de santé
mentale, en ville, de Bedford-Stuyvesant à Oakland, ou pour des
populations mal desservies, dans des communautés rurales ou de banlieue,
dans des réserves indiennes, en Hongrie, en Pologne, en Chine, en Afrique
du Sud, en Ukraine, au Mexique, au Nicaragua, au Salvador, etc. Nous
avons traité, formé, préparé les soins à venir dans les suites du crash de la
TWA, des massacres de Columbine et de Dunblane, en Écosse, et des
attaques terroristes du 11 Septembre sur New York et Washington.
De manière générale, les volontaires d’EMDR-HAP donnent au moins
une semaine par an de leur temps pour faire des thérapies ou donner une
formation, pour rendre le traitement accessible à des personnes qui
souffrent mais qui peuvent au moins s’offrir financièrement la thérapie.
Cependant, il faut des dons pour faire venir les thérapeutes là où on en a le
plus besoin. Si des formations individuelles en Asie, dans les Balkans et en
Afrique ont été co-sponsorisées par des organisations comme les
International Relief Teams ou les Catholic Relief Services, la plupart sont
soutenues exclusivement par des dons individuels.
Pour en savoir davantage sur HAP et sur ce que nous avons réalisé,
visitez le site HAP américain (www.emdrhap.org) et le site d’HAP-France
(http://hap-france.blogspot.fr).
Les dons à HAP sont partiellement déductibles des impôts.
Bibliographie succincte
Jacques ROQUES
EMDR
Une révolution thérapeutique
La Méridienne-Desclée de Brouwer, 2004
Jacques ROQUES
Guérir avec l’EMDR
Traitement, théorie, témoignages
Éditions du Seuil, 2007
Jacques ROQUES
Découvrir l’EMDR
Bouger les yeux pour guérir
Marabout Poche, 2013
David SERVAN-SCHREIBER
Guérir le stress, l’anxiété et la dépression
sans médicaments ni psychanalyse
Pocket 2011
Francine SHAPIRO
(avec Margot Silk FORREST)
Des yeux pour guérir
EMDR : la thérapie pour surmonter
l’angoisse, le stress et les traumatismes
Seuil, 2005
Francine SHAPIRO
Manuel d’EMDR
Principes, protocoles, procédures
InterÉditions, 2007