Vous êtes sur la page 1sur 319

Du même auteur

EMDR et Thérapies familiales


Manuel pratique
(sous la direction de Francine Shapiro,
Florence Whitheman Kaslow, Louise Maxfield)
InterÉditions, 2013

Manuel d’EMDR
Principes, protocoles, procédures
InterÉditions, 2007

Des yeux pour guérir


EMDR : la thérapie pour surmonter
l’angoisse, le stress et les traumatismes
(avec Margot Silk Forrest)
Seuil, 2005
Dans la même collection

Sandrine Willems
L’Animal à l’âme
De l’animal-sujet aux psychothérapies
accompagnées par des animaux

Patrick Coupechoux
Un homme comme vous
Essai sur l’humanité de la folie
2014
Ce livre est publié
dans la collection « Domaine psy »
et édité par Mony Elkaïm

Titre original : Getting Past your Past


Éditeur original : Rodale Inc., New York
ISBN original : 978-1-59486-425-4
© original : 2012 by Francine Shapiro, PhD

ISBN 978-2-02-116182-3

© Éditions du Seuil, février 2014, pour la traduction française

www.seuil.com

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


À mon mari bien-aimé, Bob
Welch
TABLE DES MATIÈRES

Couverture

Du même auteur

Dans la même collection

Copyright

Dédicace

Chapitre 1 - En pilote automatique

Pourquoi souffre-t-on ?

Qu’est-ce que l’esprit inconscient ?

Nous sommes tous dans le même bateau

Pourquoi moi ?

L’objectif de ce livre
Chapitre 2 - L’esprit, le cerveau, et les choses qui comptent

Pourquoi le temps ne referme pas toutes les blessures

Le plan d’action

La thérapie EMDR

Pourquoi l’EMDR est-elle efficace ?

Comment l’EMDR traite les souvenirs

Personnalité et retraitement

Quand les réseaux se télescopent

Qui nous sommes

Chapitre 3 - C’est le temps, ou c’est le climat ?

Est-ce pour moi ?

Les points de blocage

Conserver l’équilibre

Une source fréquente de souffrance

Le serpent caché dans l’herbe

En mode automatique ?

Chapitre 4 - Qu’est-ce qui agit à votre insu dans votre vie ?

Tout enfermé

Ça vient toujours de l’enfance ?

Trouver les souvenirs sources


Les cognitions négatives

Identifier les cognitions négatives

Identifier les souvenirs

La technique du pont d’affect

Et maintenant ?

Chapitre 5 - Le paysage caché

Lien et attachement

Des longueurs d’onde différentes

Élargir le filet de sécurité

Les cognitions négatives revisitées

Exploration personnelle

Prenez soin de vous

Chapitre 6 - Si seulement je pouvais…

Encore les parents ?

C’est dangereux

Un traumatisme à l’intérieur d’un autre

Pourquoi ai-je du mal à faire des choix ?

Exploration personnelle

Choisir de choisir

La palette du lieu sûr/calme


Chapitre 7 - La connexion cerveau-corps-esprit

Arrête, tu me tues

Les fardeaux du passé

Je ne sens rien

Le miroir brisé

Je sais que quelque chose ne va pas

Exploration personnelle

La technique du rayon de lumière

Chapitre 8 - Qu’attendez-vous de moi ?

Les besoins négligés

Remplir le vide

Une danse de destruction

Avoir ou ne pas avoir

Tu es insupportable, et je suis en colère

Quelques recommandations pour vos relations

Exploration personnelle

Chapitre 9 - Une partie de l’ensemble

Comment cela commence-t-il ?

Les addictions

Revêtir un masque
La maison des douleurs

Les délinquants sexuels

Pourquoi c’est important

Chapitre 10 - Passer du stress à un grand bien-être

Une pression incroyable

Exploration personnelle

Pour réduire le stress : les quatre éléments

De l’échec à la liberté

Apprendre à exceller

De la survie à l’épanouissement

Chapitre 11 - S’en servir autour de soi

Les liens de l’humanité

La grande égalisatrice

Nous ne sommes pas seuls

Profiter de la vie

Remerciements

Annexe A - Glossaire et techniques d’auto-assistance

Annexe B - Le choix d’un thérapeute, les formations et les programmes

Le choix d’un thérapeute

Formations à la thérapie EMDR


Les programmes EMDR d’assistance humanitaire (HAP)

Bibliographie succincte
CHAPITRE 1

En pilote automatique

Pourquoi cette femme belle et intelligente tombe-t-elle toujours


amoureuse d’hommes qui ne sont pas pour elle, et pourquoi, lorsqu’ils
essaient de rompre avec elle, se jette-t-elle à leurs pieds, s’accroche à leurs
jambes en les suppliant de ne pas la quitter ?
Ben est un homme d’affaires brillant. Pourquoi est-il angoissé chaque
fois qu’il doit faire une conférence ?
Florence va voir un thérapeute après l’autre depuis des années afin de
comprendre d’où lui viennent ce sentiment presque permanent de terreur,
ses peurs d’être abandonnée et ses troubles alimentaires. Le plus étrange, ce
sont ces images récurrentes d’une bougie et d’une couleur rouge. Tout cela
n’a aucun sens pour elle, et pourtant cela remonte aussi loin que ses tout
premiers souvenirs.

En fait, il existe une explication simple aux difficultés de ces trois


personnes, une explication qui tient à la façon dont le cerveau fonctionne.
Dans ce livre, nous allons explorer à la fois les raisons de la souffrance et
les moyens de l’apaiser.
Pourquoi souffre-t-on ?

À la vérité, tout le monde souffre à un moment ou un autre. Sans cesse,


des situations nous affectent. Mais si nous continuons de ressentir de la
douleur longtemps après l’expérience elle-même, c’est parce que le
« câblage » de notre cerveau influence notre esprit. Tentons l’expérience
suivante afin que vous puissiez vous en rendre compte par vous-même. Je
vais vous donner une phrase et vous noterez simplement la première chose
qui vous vient à l’esprit :

Les roses sont rouges,


……………………...

Il y a de grandes chances pour que la première chose à laquelle vous


ayez pensé soit : « Les violettes sont bleues 1. » Pour un natif des États-Unis,
tout du moins, c’est presque de l’ordre du réflexe. Il s’agit là d’une notion
importante, car les réactions mentales s’appuient sur des réactions
physiques. Votre cerveau est programmé pour répondre de la même manière
que le reste de votre corps. Quel que soit votre âge, ou votre sexe, lorsqu’on
frappe votre genou d’une certaine façon, votre jambe sursaute. De la même
manière, quelle que soit par ailleurs votre intention, votre esprit réagit lui
aussi automatiquement. Par exemple, quand avez-vous entendu cette
comptine pour la dernière fois ? Vous l’avez probablement apprise dans
votre enfance. Donc, sauf si vous vivez avec de jeunes enfants, cela
remonte sans doute à un lointain passé. Néanmoins, vous vous en êtes
souvenu automatiquement. Ces sortes de réponses automatiques peuvent
être valables et utiles, et elles montrent la puissance de notre esprit ; mais
elles ne nous servent pas toujours.
Regardez les phrases elles-mêmes. La suite que vous avez donnée à
« Les roses sont rouges » n’était pas une évaluation critique du sens de cette
phrase. Votre esprit a simplement ajouté cette suite comme si la première
proposition était vraie. Mais en fait, les roses ne sont pas toujours rouges : il
en existe des jaunes, des roses, des violettes et d’à peu près toutes les
couleurs. Cela dit, avant qu’on l’examine, cette phrase paraît vraie au
premier coup d’œil. Et qu’en est-il de la deuxième : les violettes sont
bleues ? Est-ce tout à fait vrai ? Non, en réalité elles sont violettes. Mais la
phrase, vraie ou non, vous viendra quand même. Certes, il est peu probable
que ces vers aient provoqué en vous le moindre sentiment de détresse. Mais
ce même type de réponse automatique est également à l’origine d’une large
gamme de problèmes qui gâchent le bonheur des gens, perturbent des
familles et des communautés entières. Les processus mentaux/cérébraux qui
nous permettent de reconnaître une comptine ou de reprendre une mélodie
que nous n’avons pourtant pas entendue depuis vingt ans sont les mêmes
qui peuvent aussi nous plonger dans l’anxiété, la dépression, une peine de
cœur ou, parfois, la douleur physique.
Allons plus loin dans la comptine. Vous rappelez-vous le vers qui vient
après « Les violettes sont bleues » ? « Le sucre est doux, tout comme
vous. » Un sentiment charmant, et le vers vous revient à l’esprit, lui aussi,
automatiquement. Mais, nous le savons tous, s’il est vrai que le sucre est
doux, les gens, eux, sont beaucoup plus compliqués : nous sommes tous un
mélange de sucré et de salé, et de toutes les autres saveurs et variations
qu’on peut trouver sur terre. Chacun, selon les moments, est en colère,
triste, jaloux, amer, blessé, inquiet, heureux ou doux. Et nous agissons
suivant ce que nous ressentons. Un jour, on chérit la personne avec qui on
vit et on la couvre de baisers. Le lendemain, on peut se mettre en colère
contre elle et lui crier des horreurs. Donc, en pratique, une partie de ce
qu’on a appris en grandissant est vraie, mais (comme pour toutes les
expériences de l’enfance) d’autres choses ne le sont pas. Souvent, étant
enfant, on ne peut pas faire la différence ; et ce nous semble vrai – comme
de se croire inférieur parce qu’on est brimé ou rejeté, ou de se penser
responsable du divorce de ses parents – n’est en réalité qu’une perception
erronée. Néanmoins, ces expériences ont des effets qui refont surface
automatiquement tout au long de nos vies, en dehors de notre contrôle
conscient.
Chaque expérience de notre vie devient au fil du temps un élément de
construction de notre monde intérieur, qui va commander nos réactions à
tous les événements et à toutes les rencontres. Lorsqu’on apprend quelque
chose, l’expérience est physiquement stockée au sein de réseaux de cellules
cérébrales, les neurones. Ces réseaux forment en fait notre esprit
inconscient, ils déterminent la façon dont le cerveau interprète le monde
environnant et ils gouvernent la façon dont on se sent, à chaque instant. Ces
souvenirs concernent des événements qui ont eu lieu il y a des années et,
souvent, notre esprit conscient ignore qu’ils ont encore le moindre impact
sur nous. Mais comme les souvenirs sont physiquement stockés dans le
cerveau, ils peuvent surgir en dehors de notre contrôle en réponse à « Les
roses sont rouges », exactement comme ils colorent notre vision de chaque
nouvelle situation que nous rencontrons. Ils peuvent nous donner le
sentiment de ne pas être attirant alors que c’est faux, ou d’être déprimé
alors que tout le monde alentour est heureux. Et ils peuvent nous laisser la
mort dans l’âme si quelqu’un nous quitte – même si nous savons
consciemment que cette personne était détestable avec nous et que
poursuivre la relation aurait été une grosse erreur. En fait, beaucoup des
sentiments et des actions qui sapent notre bonheur sont des symptômes
provenant de ce système mémoriel qui forme l’inconscient.

Prenons le premier cas évoqué en début de chapitre. « Pourquoi cette


femme belle et intelligente tombe-t-elle toujours amoureuse d’hommes qui
ne sont pas pour elle, et pourquoi, lorsqu’ils essaient de rompre avec elle, se
jette-t-elle à leurs pieds, s’accroche à leurs jambes en les suppliant de ne
pas la quitter ? »
Justine n’a aucune difficulté à rencontrer des garçons. Son problème
est de les garder. Âgée de 25 ans, cette jeune femme choisit en général des
hommes durs, émotionnellement peu présents. Puis, chaque fois qu’elle
s’implique dans la relation, elle devient « collante » et son petit ami finit par
rompre avec elle. Quand cela arrive, elle se met à pleurer de façon
hystérique, tombant à genoux, tentant de le retenir en s’accrochant à ses
jambes et en le suppliant de rester. Au cours de sa thérapie, on trouva la
cause de ce comportement, en remontant à un événement qui s’était passé
un dimanche soir, l’année de ses 6 ans. Justine habitait avec ses parents une
maison à deux étages. Cette nuit-là, il y eut un violent orage qui la terrorisa.
Dans sa chambre à l’étage, elle commença à pleurer et à crier pour faire
venir son père et sa mère. Mais ils se trouvaient dans la cuisine, au rez-de-
chaussée, l’orage couvrait ses cris et ils ne l’entendirent pas. Ils ne vinrent
donc pas à son secours, et la petite fille finit par s’endormir en pleurant.
Comment quelque chose d’aussi courant peut-il être aujourd’hui
responsable de ses difficultés ? Tout le monde a vécu une fois dans son
enfance un gros orage, mais peu de gens resteront affectés par cette
expérience. Nous en détaillerons les raisons dans les chapitres suivants.
Pour l’instant, il nous suffit de savoir que lorsque des réactions et des
comportements négatifs du présent peuvent être directement reliés à un
souvenir antérieur, nous définissons ce souvenir comme « non traité » – ce
qui signifie qu’il est stocké dans le cerveau de telle façon qu’il contient
toujours les émotions, les sensations physiques et les croyances dont nous
avions fait l’expérience à ce moment-là. Lors de cette nuit d’orage, l’enfant
qu’était Justine fut profondément terrifiée et eut l’impression d’être en
danger. Elle appelait ses parents, mais ils ne vinrent pas, ce qui lui donna
aussi le sentiment qu’elle se retrouverait abandonnée si elle avait vraiment
besoin d’eux. Aujourd’hui, ce souvenir, stocké dans son cerveau avec la
peur intense qu’elle avait ressentie à 6 ans, est stimulé chaque fois qu’un
garçon rompt avec elle. Lorsque cela arrive, elle ne réagit plus comme une
jeune femme mûre et brillante de 25 ans, mais comme une petite fille
terrifiée qu’on laisse seule dans le noir. On voit le lien : l’orage et la rupture
sont tous les deux associés à la solitude et à l’abandon. De ce fait, elle vit
inconsciemment toute rupture comme une mise en danger.
Nous vivons tout le temps ce genre de connexions, qui expliquent
généralement tout ce que nous aimons ou détestons en nous-mêmes et chez
les gens qui nous entourent. Cela fait simplement partie de la façon dont le
cerveau donne sens au monde. Mais identifier les connexions mémorielles
n’est que la première étape, si on veut modifier sa façon de penser, d’agir et
de ressentir. L’important, c’est non seulement de comprendre d’où quelque
chose vient, mais aussi de savoir comment agir dessus. Dans ce livre, nous
allons voir tout d’abord comment on peut identifier les souvenirs qui sous-
tendent les problèmes personnels et relationnels, puis ce qu’on peut faire
pour les gérer soi-même, et enfin comment déterminer quand une aide
professionnelle serait utile.
Nous explorerons également le fonctionnement de l’esprit – le réseau
de connexions qui forme notre conscience – à travers des histoires que nous
ont relatées quelques-uns des 70 000 thérapeutes du monde entier qui
pratiquent une forme de thérapie connue sous le nom d’EMDR (Eye
Movement Desensitization and Reprocessing, désensibilisation et
retraitement par les mouvements oculaires). Cette thérapie a aidé des
millions de personnes au cours des vingt dernières années et beaucoup
d’entre elles ont donné pour ce livre des comptes rendus détaillés de leur
thérapie dans le but de « démythifier » le processus du changement. Les
recherches l’ont montré, des changements majeurs peuvent se produire au
cours d’une seule séance de retraitement EMDR. Les témoignages de ces
patients nous ouvrent une fenêtre sur le fonctionnement du cerveau : les
connexions qu’ils ont établies répondent aux questions qu’on peut se poser
sur nos réactions, qui sont si variables.
La thérapie EMDR cible les souvenirs non traités qui contiennent les
émotions, les sensations et les croyances négatives. L’activation par
l’EMDR du système de traitement de l’information du cerveau (qui sera
expliqué au chapitre 2) permet aux souvenirs anciens d’être « digérés » :
cela signifie que ce qui est utile est appris, ce qui est inutile est éliminé et
que le souvenir est désormais stocké de telle sorte qu’il ne cause plus de
dégâts. Par exemple, le thérapeute de Justine s’est centré à la fois sur
l’orage et sur sa sensation de danger et de solitude. Une fois le souvenir de
l’orage traité, les sensations de terreur de son enfance ont disparu et ont été
remplacées par un sentiment de sécurité, avec la pensée qu’en tant
qu’adulte, elle savait maintenant prendre soin d’elle-même. Parallèlement,
le problème concernant ses petits amis a été résolu : sa nouvelle vision
d’elle-même l’a conduite à des choix amoureux différents. Il aurait fallu,
bien sûr, traiter d’autres problèmes encore si, en plus, les parents de Justine
avaient été maltraitants ou négligents. Mais, quel que soit le nombre de
souvenirs en jeu, avec cette forme de thérapie, on peut entrer dans l’esprit
« inconscient » de la personne de telle manière qu’elle procède rapidement,
au cours des séances de retraitement, à des prises de conscience, des
créations de liens et des changements de comportement.

Qu’est-ce que l’esprit inconscient ?

La plupart des gens associent l’inconscient à la psychanalyse et à des


films présentant un point de vue freudien sur les conflits psychiques, avec
des rêves et des gestes symboliques. Du point de vue de la psychanalyse, il
faut généralement des années de thérapie par la parole et de ce qu’on
appelle « perlaboration » 2 pour comprendre et contrôler les forces qui sont
cachées à notre vue. Cette forme de thérapie peut être de grande valeur.
Mais les premiers écrits de Freud datent de 1900 et les choses ont beaucoup
changé depuis lors. Au cours du siècle dernier, de nouvelles avancées des
technologies neurobiologiques ont élargi notre compréhension de ce que
sont en réalité ces « forces ». L’exploration de l’inconscient que nous
abordons dans ce livre se fonde sur le fonctionnement du cerveau lui-même.
Grâce à une meilleure compréhension de la façon dont les expériences
vécues jettent les bases physiques de nos réactions émotionnelles et
somatiques, nous pouvons déterminer la manière dont sont apparus nos
points de blocage et nos réponses mentales automatiques, et la façon dont
on peut les modifier.

Prenons comme exemple le deuxième cas évoqué plus haut. « Ben est
un homme d’affaires brillant. Pourquoi est-il angoissé chaque fois qu’il doit
faire une conférence ? »
Voici comment Ben décrivait sa difficulté : « D’aussi loin que je me
souvienne, prendre la parole devant un groupe a toujours été pour moi
source de beaucoup d’anxiété. J’ai les mains moites, ma voix ne m’obéit
plus, j’ai le cœur qui bat la chamade et je me dis que je suis un crétin, que je
n’y arriverai pas, que les gens vont me détester. J’ai même eu quelquefois
l’impression que ma vie était en jeu. Ça paraît ridicule, mais c’est vrai.
Pendant ma scolarité, il m’est arrivé souvent de devoir prendre la parole en
public, comme au cours de ma carrière professionnelle. J’ai toujours
affronté ces épreuves, mais sans aucun plaisir. En fait, je souffrais avant et
après chaque prise de parole, et j’ennuyais mes proches en repassant ensuite
chaque détail, ce qui, comme vous l’imaginez, ne les amusait pas. Rien ne
semblait améliorer les choses. J’ai essayé beaucoup de thérapies. Parfois les
choses semblaient aller un peu mieux, mais ça finissait toujours par
revenir. »
Ben commença une thérapie EMDR et employa toutes sortes de
procédures que nous apprendrons dans ce livre pour identifier l’origine de
son problème et modifier ses réactions. Voici ce qu’il découvrit : « L’origine
du problème est quelque chose qui m’est arrivé lorsque je n’avais que 3 ans
et demi. Je me promenais avec mon grand-père dans sa ferme, dans l’ouest
de la Caroline du Nord. Dans mon souvenir, je le regarde en levant la tête,
comme un enfant tout jeune. Je ne me rappelle pas si je bavardais avec lui,
mais c’est ce qu’on raconte dans la famille, et ça doit être vrai. Sur la route,
nous avons rencontré un drôle de bonhomme. Il était vieux, voûté, il avait
l’air en colère et il avait les narines très poilues. Il a dit à mon grand-père,
avec son accent traînant des montagnes : “Eh ben, si j’avais un gamin qui
parle autant que celui-là, je le noierais dans la rivière.” Je me suis glissé
derrière la jambe de mon grand-père, j’ai risqué un œil sur les narines du
bonhomme et je me suis tu. Je savais qu’on noyait dans la rivière les
chatons dont on ne voulait pas. Il n’était apparemment pas sans danger de
bavarder devant des inconnus. »
Ce moment terrifiant qu’il avait vécu enfant a jeté les bases de ses
difficultés. Le souvenir a été stocké dans son cerveau et l’a préparé à
échouer : « En CM1, j’ai fait mon premier compte rendu de livre devant ma
bien-aimée Mlle K., une jeune et jolie enseignante, dont c’était la première
année d’enseignement. J’adorais Mlle K. et j’étais très fier parce que mon
rapport faisait trois pages. J’y avais beaucoup travaillé. Mais j’avais aussi
développé un léger bégaiement, qui a duré environ six mois avant de
disparaître aussi mystérieusement qu’il avait commencé. Mes parents
avaient si bien géré ce problème que je n’en étais pas moi-même
pleinement conscient. Toujours est-il que j’avais des rêveries dans
lesquelles Mlle K. chantait mes louanges et disait à la classe quel beau
rapport j’avais fait là. La réalité a, hélas, été tout autre : Mlle K. est restée
au fond de la classe, en proie à un fou rire incontrôlable, pendant tout mon
exposé. Je me rappelle avoir pensé, tout en peinant dans ma lecture avec
mon bégaiement qui s’aggravait de plus en plus : “Je suis un crétin.” Deux
ans plus tard, j’ai été recruté à la dernière minute pour jouer dans une pièce
de théâtre à l’école. Au beau milieu du premier acte, j’ai oublié mon texte.
Je me tenais au centre de la scène, cloué sur place, et je me souviens de
m’être dit : “Ils vont me détester. J’ai ruiné la pièce. Je suis un crétin.” »
Remarquez comme Ben était envahi par des pensées du même ordre,
quarante ans plus tard, quand il devait faire une conférence pour son
travail : « Je suis un crétin. Je n’y arriverai pas. Tout le monde va me
détester. » Avant la thérapie EMDR, il n’avait pas la moindre idée des
raisons pour lesquelles il avait ces sentiments et ces idées. Il n’avait pas
d’image visuelle de la ferme de son grand-père, ni de son exposé en classe,
ni de la pièce à l’école : il avait seulement les sentiments et les pensées qui
accompagnaient ces événements. C’était une réaction automatique à un
« déclencheur » externe, tout comme « Les roses sont rouges » amène « Les
violettes sont bleues ».
Rien n’existe sans cause. Pourtant, on dirait que c’est le cas de ces
réactions, qui paraissent irrationnelles. « Irrationnel » ne signifie toutefois
pas qu’elles soient sans raison. Cela signifie que ces réactions proviennent
d’une partie de notre cerveau qui n’est pas gouvernée par la pensée
rationnelle. Les réactions automatiques qui contrôlent nos émotions
proviennent de connexions neuronales, au sein de nos réseaux mémoriels,
qui sont indépendantes de nos capacités supérieures de raisonnement. C’est
pourquoi vous pouvez vous observer, stupéfait, en train de faire quelque
chose que vous regretterez plus tard, vous le savez, ou en train d’être attiré
par des personnes peu fréquentables, ou de vous sentir blessé par quelqu’un
dont l’opinion vous est pourtant indifférente, ou d’invectiver un proche sans
raison véritable, ou encore de vous sentir impuissant à sortir d’une
dépression provoquée par quelque chose qui vous paraît pourtant
insignifiant. C’est irrationnel, mais c’est compréhensible et, surtout, c’est
réparable. La génétique joue un rôle important dans ce domaine, mais, en
général, l’origine de la souffrance tient à la façon dont les souvenirs de nos
expériences passées sont stockés dans le cerveau, et on peut modifier cela.
Heureusement, les souvenirs convenablement stockés sont également la
base de la joie et de la santé mentale. Plus loin, nous approfondirons le
fonctionnement du cerveau et des souvenirs.

Nous sommes tous dans le même bateau

Nous passons tous par des successions de souffrance et de joie, de


maladie et de bonne santé, de familles qui nous ont mis en difficulté et
d’autres qui nous ont apporté leur amour et leur soutien. De même, nous
avons connu des expériences qui vont des plus classiques – humiliations,
échecs, rejets, disputes de l’enfance – jusqu’aux événements extrêmes qui
font poser le diagnostic d’état de stress post-traumatique (ESPT) : accidents
majeurs, violences physiques, sexuelles ou psychologiques, guerre ou
catastrophes naturelles. De plus, pour pouvoir porter un diagnostic d’ESPT,
il faut que le patient présente des symptômes tels que des pensées
intrusives, des troubles du sommeil (des cauchemars ou des rêves
récurrents), de l’angoisse, de « l’hyperactivation » (la personne est
extrêmement vigilante au danger et sursaute par exemple en cas de bruit
fort), ou un « engourdissement » (la personne se sent comme éteinte et
déconnectée). Les personnes qui souffrent d’ESPT tâchent de se tenir à
l’écart de tout ce qui pourrait leur rappeler l’événement, mais elles en ont
tout de même des souvenirs récurrents, qui ne cessent de revenir.
Visiblement, chez les personnes ainsi atteintes, l’expérience négative
est stockée dans leur cerveau de telle manière qu’elle provoque en elles de
très fortes perturbations. Lorsqu’un vétéran de guerre américain souffrant
d’ESPT repense à un événement qui lui est arrivé en Irak ou en Afghanistan
trois ans auparavant, il le ressent physiquement, avec les pensées et les
images du moment. Un vétéran de la guerre du Vietnam peut penser à
quelque chose qui s’est passé il y a plus de trente ans, et la même chose se
produit pour lui. Un Marine envoyé plusieurs fois au combat, et qui a vu
beaucoup de victimes, peut être hanté par le souvenir d’une seule en
particulier. Lorsqu’il y pense, il peut ressentir les mêmes émotions –
désespoir, douleur, tristesse ou colère – que sur le moment. Et il réagit au
monde qui l’entoure à partir de ces émotions.
De la même manière, que quelqu’un souffre d’ESPT pour avoir subi
un viol il y a un an ou pour des abus sexuels vécus il y a cinquante ans, le
passé est toujours présent pour lui. Lorsque ces personnes pensent à
l’événement qui s’est produit, elles peuvent avoir l’impression qu’il se
reproduit sans cesse, ou se sentir effrayées et anxieuses en présence de
certaines personnes ou dans certains lieux. Mais que cet événement
traumatique soit ancien ou récent, que ces symptômes soient présents
depuis longtemps ou non, ces réactions n’ont pas besoin d’être là en
permanence pour qu’on diagnostique un ESPT. Les études sont claires sur
ce point. Autre fait important, s’il faut un traumatisme majeur tel qu’un vol
à main armée ou une agression pour poser un diagnostic formel d’ESPT, de
nombreuses études récentes ont montré que des expériences du quotidien,
par exemple des problèmes relationnels ou le chômage, peuvent produire
tout autant (et parfois même davantage) de symptômes d’ESPT.
Ces points ont des implications importantes : on voit qu’il n’y a pas de
séparation claire entre les différents types d’événements, ni entre les divers
symptômes. À l’instar des personnes qui souffrent d’ESPT, tout le monde
s’est déjà senti anxieux, effrayé, nerveux ou coupé des autres ; tout le
monde a eu des pensées impossibles à éliminer, de la culpabilité ou des
rêves perturbants. Parfois, ces réactions sont provoquées par une situation
du présent et il nous faut y réfléchir pour trouver les informations
nécessaires pour y faire face. Dans d’autres cas, les symptômes
disparaissent lorsque la situation change. Mais beaucoup d’entre nous
ressentent fréquemment ces émotions, et elles n’ont parfois aucune raison
apparente. C’est généralement le signe que des souvenirs non traités en sont
la cause sous-jacente. On peut identifier et traiter ces souvenirs. Il est donc
utile de se souvenir que, quels que soient l’émotion, la croyance ou le
comportement persistants qui vous causent fréquemment du souci, ils ne
sont pas la cause de vos souffrances – mais leur symptôme. La cause de ce
symptôme est probablement un souvenir. Les souvenirs sont à la base aussi
bien de nos symptômes que de notre santé mentale. La différence, c’est la
façon dont ils sont stockés dans le cerveau. Tant qu’ils ne sont pas traités,
ils peuvent nous amener à réagir de manière excessive ou à faire du mal à
nous-mêmes ou à notre entourage. Lorsqu’ils sont traités, on est en mesure
de réagir d’une manière utile à ses proches et à soi-même.

Pourquoi moi ?

Ceux dont les parents ne leur apportaient aucun soutien ou se


montraient violents ont une idée du genre de souvenirs qui pourraient être à
la base de certaines de leurs difficultés. En revanche, d’autres ont eu
connaissance d’histoires de familles très perturbées et d’enfances dévastées
et se disent : « Mon histoire ne ressemble pas à ça. Je viens d’une famille
équilibrée, et je ne vois pas du tout pourquoi je me sens comme ça. »
Cependant, même avec une famille qui vous soutient beaucoup et qui pense
faire au mieux pour vous, vous pouvez vous retrouver pris dans un réseau
inextricable de symptômes et de souffrances, sans comprendre pourquoi. Et
parfois, la recherche d’explications dans une thérapie peut nous égarer si le
thérapeute n’a pas une idée claire de la façon dont fonctionne la mémoire.
Voyons par exemple notre troisième cas. « Florence ne comprend pas
d’où lui viennent ce sentiment presque permanent de terreur, ses peurs
d’être abandonnée et ses troubles alimentaires. Le plus étrange, ce sont ces
images récurrentes d’une bougie et d’une couleur rouge. Tout cela n’a
aucun sens pour elle, et pourtant cela remonte aussi loin que ses tout
premiers souvenirs. »
Florence a vu un thérapeute après l’autre pendant des années. Il existe
plus d’une centaine de thérapies différentes, et chaque thérapeute a sa façon
personnelle de travailler, ce qui change encore la manière dont le traitement
est mis en pratique. Il est donc parfois difficile de trouver le bon traitement
– et le bon thérapeute. Il arrive aussi que les situations cliniques soient
compliquées parce qu’un événement remontant à l’enfance a été si violent
qu’il submerge complètement la capacité normale du cerveau de le traiter ;
il n’est alors pas stocké du tout, ou bien il est complètement isolé du reste
de la mémoire, de sorte que la personne ne peut pas s’en souvenir. C’était
une des difficultés de Florence.
Après des années de thérapie sans beaucoup d’amélioration de ses
symptômes, elle arriva chez un thérapeute qui tenta de nombreuses
approches sans obtenir de résultats non plus. Comme Florence ne savait pas
du tout d’où venaient ses difficultés et qu’elle avait des problèmes
d’abandon, des difficultés liées à l’intimité, des troubles de l’alimentation,
des crises de panique et d’angoisse, son thérapeute lui dit : « Vos
symptômes me font penser à une agression sexuelle. » Il lui suggéra même,
en raison de ces images récurrentes de rouge et d’une bougie, qu’il pouvait
s’agir d’une agression ritualisée, parce que ces images auraient bien cadré
avec le décor de cérémonies sataniques. Comme vous pouvez l’imaginer,
cela ne fit qu’aggraver l’anxiété de Florence. Pendant deux ans, ils
fouillèrent l’histoire de sa vie en tentant, sans le moindre succès, de trouver
des souvenirs d’abus rituels.
Comme elle souffrait toujours, Florence alla voir un autre thérapeute,
avec lequel elle découvrit l’EMDR. Comme elle n’avait aucun souvenir
qu’elle puisse consciemment relier à ses sentiments de terreur, d’anxiété, à
ses peurs d’abandon et à ses troubles de l’alimentation, le thérapeute cibla
les symptômes susceptibles de conduire de la façon la plus directe au
souvenir sous-jacent : l’image de la bougie et de la couleur rouge. Après la
préparation appropriée, au cours des procédures de traitement des
souvenirs, des images de son enfance émergèrent et elle se vit à l’âge de 5
ans. C’était son anniversaire. Son père lui avait donné une bougie parfumée
pour mettre dans sa chambre, puis ils étaient partis en voiture pour aller à
son goûter d’anniversaire. Alors qu’ils chantaient ensemble dans la voiture,
un véhicule brûla un feu rouge et les percuta. Son père fut tué dans
l’accident.
Si son père était mort à côté d’elle alors qu’ils allaient à son goûter
d’anniversaire, les symptômes devenaient explicables : comme vous pouvez
l’imaginer, il est facile, à partir d’un tel événement, de développer des
troubles de l’alimentation, des peurs d’abandon et une anxiété permanente.
Mais, parfois, les souvenirs peuvent être trompeurs, parce qu’ils
peuvent être simplement des images qui se conforment à nos émotions. Par
exemple, les enfants peuvent s’imaginer que quelque chose de mal leur est
arrivé parce qu’ils ont entendu une histoire ou vu quelque chose à la
télévision. Pensez à tous les enfants qui font des cauchemars après avoir vu
un film effrayant. Florence était-elle réellement dans la voiture lorsque son
père avait été tué ? Elle savait que son père était mort dans un accident de
voiture, mais elle ne se souvenait pas d’avoir été avec lui ce jour-là. On ne
sait pas jusqu’à ce qu’on ait la confirmation. Elle téléphona à sa mère et lui
demanda : « Maman, est-ce que j’étais avec papa quand il est mort ? » Sa
mère répondit : « Eh bien oui, ma chérie, tu y étais, mais nous avons pensé
que tu ne voulais pas en parler, car tu ne l’as jamais mentionné. » Ainsi,
même si Florence avait une mère très aimante qui voulait la protéger et si
elle n’avait aucun souvenir direct de la mort de son père, elle avait eu,
pendant des années, des symptômes qui semblaient totalement irrationnels.
Désormais, ils prenaient sens. Et le plus important, c’est qu’ils disparurent
après le traitement du souvenir.
Il faut se souvenir qu’il n’est pas nécessaire de subir un traumatisme
majeur tel que la mort de son père ou un accident de voiture pour
développer des symptômes qui vont durer des années. Par exemple, Janice
commença une thérapie pour avoir consommé pendant très longtemps trop
d’antiacides. Elle en était arrivée à un stade où elle mettait sa vie en danger,
car elle en prenait si souvent que la paroi de son estomac risquait de se
déchirer. Elle non plus ne se rappelait pas comment cela avait commencé ;
tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle était horrifiée à l’idée de vomir. Le
thérapeute appliqua les procédures EMDR, que vous allez apprendre, afin
de découvrir l’origine de ce sentiment. Janice se souvint alors qu’une fille
assise à côté d’elle, à l’école primaire, s’était mise à vomir. Pour essayer de
s’en empêcher, cette fille avait mis ses mains devant sa bouche et le vomi
était sorti par les côtés et avait éclaboussé les cheveux de Janice. Elle était
sortie de la classe en courant, affolée, se sentant humiliée et sale. C’était ce
souvenir qui était à l’origine de son abus des antiacides. Après avoir traité le
souvenir, elle ne ressentit plus le besoin d’en prendre.
Donc, s’il y a un symptôme, retenez qu’il y a en général une
expérience quelconque qui l’a causé ou qui y contribue. Il s’est passé
quelque chose, qu’on s’en souvienne consciemment ou non. Bien que nous
ayons appris à compter beaucoup sur les médicaments pour nous sentir
bien, ils ne font bien souvent que masquer les symptômes. L’origine de ces
problèmes n’est généralement pas une difficulté neurologique innée ou un
problème purement biochimique. Bien sûr, la constitution génétique joue un
rôle important et peut nous rendre très réactifs à certains vécus. Parfois, on
hérite de prédispositions à toutes sortes d’états de fragilité, comme la
dépression ou l’anxiété. Cependant, même dans ce genre de cas, certains
types d’expériences de vie sont généralement nécessaires pour créer une
perturbation. En fait, notre constitution génétique se combine avec nos
expériences, de telle façon que notre vie peut passer en « pilote
automatique ».
L’autre point à retenir est que, si des symptômes durent depuis
longtemps ou sont graves, cela n’implique pas nécessairement qu’ils
proviennent d’un traumatisme majeur. Même des événements apparemment
mineurs du point de vue d’un adulte peuvent en être la cause, car, aux yeux
de l’enfant, ils étaient traumatisants quand ils se sont produits et leur
souvenir a été verrouillé dans son cerveau. Ces expériences peuvent s’être
produites il y a longtemps et nous ne savons pas forcément à quel point
elles nous ont affecté. Mais les émotions, les conduites et les croyances
négatives qui sont la cause des problèmes chroniques peuvent en général
être rapportées à ces souvenirs non traités : en ce sens, le passé est encore
présent. Ce livre va vous proposer des techniques qui vous aideront à
donner du sens à vos symptômes et à en identifier la cause. Nous vous
montrerons également comment transformer vos pensées, vos sentiments et
vos réactions, ce qui vous aidera à réduire votre mal-être et augmentera
votre assurance et votre bien-être.
L’objectif de ce livre

Nous cherchons tous des réponses à des milliers de questions, que ce


soit dans les livres ou dans une thérapie. Certains d’entre nous ont
simplement besoin d’informations pour faire face à une nouvelle situation.
D’autres admettent que quelque chose les bloque et se sentent poussés à
faire ce qu’ils ne voudraient pas faire, ou au contraire empêchés de poser
des actes qui leur seraient pourtant bénéfiques. Ce livre vous aidera à
comprendre ce qui vous pose question chez vous-même et chez votre
entourage. Et, plus important, il vous aidera aussi à savoir comment agir.
Tout le monde connaît des moments de souffrance et d’incertitude. La
question n’est pas de savoir si nous souffrirons, mais plutôt de savoir
combien de temps nous souffrirons et de combien de façons différentes.
Certains traversent rapidement certaines souffrances, mais n’arrivent pas à
en traverser d’autres. Certains d’entre nous sont joyeux, alors que d’autres
ressentent rarement – voire jamais – de la joie. Le but de ce livre est de
nous aider à comprendre pourquoi nous sommes ce que nous sommes, et ce
que nous pouvons faire de la douleur et des réactions négatives qui ne nous
sont pas utiles. Il s’agit aussi d’identifier nos blocages et de nous ouvrir au
bonheur et au bien-être. En vous servant d’un certain nombre de ces
techniques, vous pourrez faire les bons choix.
Je veux également souligner que, si on constate souvent que les
expériences de l’enfance sont à l’origine de nombreux problèmes
psychologiques, l’objectif de ce livre n’est pas de distribuer des blâmes.
Tout le monde, dans son enfance, a souffert de ne pas maîtriser les choses,
d’être ignoré, de se sentir moins important que les autres. Nous étudierons,
dans les prochains chapitres, ce qui fait que des symptômes et des
problèmes psychologiques se développent chez certaines personnes et pas
chez d’autres. Mais il est important de se souvenir que toutes ces choses se
sont produites avant que nous ayons le moindre choix ou le moindre
pouvoir sur elles. Nous n’avons pas voulu, enfant, ce qui nous est arrivé. Et
quelle que soit l’éducation que nous avons reçue, nos parents sont aussi ce
qu’ils sont en fonction de leurs propres expériences, avec l’éducation qu’ils
ont reçue. En fait, si on veut chercher des coupables, il faut en général
remonter à des générations en arrière. Néanmoins même les schémas
négatifs les plus durables peuvent être interrompus. Nous sommes des
adultes responsables, et nous avons des connaissances suffisantes : nous
avons la capacité de prendre le contrôle de nos vies.
En identifiant les forces qui sont à l’œuvre dans son existence, on est
mieux à même de comprendre ce qui nous fait courir – et on comprend
aussi mieux ceux qui nous entourent. Nous sommes tous aux prises avec
des processus et des souvenirs inconscients qui gouvernent nos sentiments
et nos actions. En définitive, la question est : qu’allons-nous pouvoir y
faire ? Par exemple, Joe est venu me voir parce que, même s’il n’était pas
heureux dans son travail et voyait que ça n’allait pas, il ne pouvait pas se
résoudre à changer d’emploi. Pendant que nous explorions ce qu’il
ressentait, il me dit qu’il avait toujours eu cette impression : « J’ai beau
courir après ce que je veux, je ne parviens pas à l’obtenir. » En utilisant les
procédures EMDR, nous avons pu découvrir et traiter le souvenir qui le
bloquait. Joe se souvint en effet d’un jour où, enfant, il jouait à la balle en
haut des escaliers. Sa mère lui avait dit de ne pas descendre. Mais la balle
avait roulé en bas des escaliers et, dans son excitation, il lui avait couru
après. Sa mère l’avait attrapé par le bras et lui avait donné une fessée : il
était puni pour avoir poursuivi ce qu’il désirait. Ce simple événement avait
verrouillé pour les trente années suivantes les émotions négatives de Joe et
la croyance qui leur était associée.
Autre chose à garder à l’esprit. Il ne s’agit pas ici d’un cas de
maltraitance : la plupart du temps, la mère de Joe était gentille et pleine
d’amour, mais ce jour-là, elle a réagi par peur que, si Joe lui désobéissait, il
se fasse du mal. Son style parental avait été forgé par sa propre éducation.
C’était simplement un événement isolé dans la vie de Joe. Mais les
souvenirs individuels peuvent se retrouver stockés de telle sorte que les
émotions, les sensations physiques et les croyances négatives qui les
accompagnent restent intactes, quoi qu’il arrive par ailleurs dans la vie de
quelqu’un.
Les souvenirs étant à la base des caractéristiques de notre personnalité
et de notre façon de réagir au monde qui nous entoure, nous allons voir
comment repérer ceux qui peuvent être à la racine des souffrances
émotionnelles et physiques. Certains chapitres de ce livre aborderont
également des problèmes touchant à l’estime de soi, à la dépression, à
l’anxiété, à l’addiction, aux difficultés relationnelles et aux problèmes
d’éducation des enfants, ainsi qu’aux difficultés professionnelles, aux deuils
et même aux maladies physiques. Vous trouverez également ici des
techniques particulières pour vous aider face à chacune de ces questions, de
même que des indications pour savoir si vous avez plutôt besoin d’une aide
extérieure. Il est important de se rappeler que, si les souvenirs non traités
sont souvent à la source de nos symptômes et de nos souffrances, les
souvenirs traités sont, eux, à la base de notre santé mentale. Nous
explorerons donc quelques-unes des procédures qui peuvent vous rendre
plus fort et qui ont été utilisées, entre autres, par des athlètes olympiques
pour atteindre leurs objectifs de performance.
Le point fondamental est que, quelle que soit la façon dont nous avons
été élevés, nous ne sommes pas des victimes et nos difficultés ne sont pas
un signe de faiblesse : certains de nos héros les plus admirés, ceux qui ont
risqué leur vie pour les autres, ceux qui ont couru tous les dangers pour
sauver quelqu’un, sont aussi quelquefois ceux qui, sans nécessité, peuvent
souffrir le plus de culpabilité, pour la personne qu’ils n’ont pas pu sauver ou
pour ce qu’ils n’ont pas réussi à accomplir.
Quand on s’aperçoit qu’on est bloqué par quelque chose, dans sa vie,
la question est de savoir ce qu’on va pouvoir faire pour y remédier.

1.
Allusion à une comptine connue de tous aux États-Unis, dont la forme
moderne est : Roses are red, Violets are blue, Sugar is sweet, And so are
you : Les roses sont rouges, Les violettes sont bleues, Le sucre est doux,
tout comme vous. [N.d.T.]

2.
« Perlaborer » signifie revivre l’expérience dans le « transfert » avec le
thérapeute (au sens où on transfère les émotions de son enfance dans la
relation actuelle, cf. chap. 3). [N.d.T.]
CHAPITRE 2

L’esprit, le cerveau,
et les choses qui comptent

Nous interagissons tous avec le monde qui nous entoure grâce à des
cerveaux et des corps qui ont, d’une personne à une autre, davantage de
ressemblances que de différences. La plupart des gens, par exemple, font
tout leur possible pour leur famille et pour eux-mêmes. Pourtant, en dépit
de ces points communs, des obstacles se présentent souvent. Nous
comprendrons plus facilement les raisons de ces obstacles quand nous
aurons exposé l’arrière-plan des procédures que nous allons étudier. Des
facteurs génétiques entrent certainement en ligne de compte. Mais la façon
dont on considère le monde et dont on interagit avec les autres est
largement construite sur nos propres expériences individuelles ; celles-ci
sont stockées dans des réseaux mémoriels, qui forment la base de nos
perceptions, de nos attitudes et de nos comportements.
Ces réseaux relient entre eux les événements similaires. Par exemple,
si on me demande de nommer plusieurs fruits, je peux le faire sans
difficulté. Dans mon esprit, ils sont associés au sein d’un réseau mémoriel :
pommes, oranges, poires, myrtilles… Si je vois une pomme, je la reconnais
aisément comme un fruit parce que j’en ai déjà vu auparavant. Ce que je
vis, à tout moment, se relie à mon réseau mémoriel de vécus antérieurs, de
sorte que je peux y trouver du sens. Cependant, si un enfant n’a jamais vu
de pomme, il peut ne pas savoir quoi en faire : c’est rouge, et c’est rond :
c’est une balle ? La conscience que nous avons du monde extérieur, dans
tous ses aspects, passe par nos cinq sens (vue, toucher, odorat, ouïe, goût)
dans la mémoire de travail. Celle-ci se connecte ensuite automatiquement à
tout un éventail de réseaux mémoriels cérébraux, pour nous permettre de
comprendre ce que nous percevons.
C’est un processus permanent, chez tout le monde. Même les mots sur
cette page doivent se connecter à vos réseaux mémoriels pour que vous
puissiez comprendre ce que vous êtes en train de lire. Les gens que vous
voyez, les personnes avec lesquelles vous êtes en rapport, toutes vos
expériences du moment présent et les perceptions que vous en avez, tout se
relie à vos réseaux mémoriels pour que vous puissiez y trouver du sens. À
l’intérieur de ces réseaux mémoriels sont stockées toutes vos expériences
antérieures. Les réseaux mémoriels sont donc la base de vos émotions, de
vos pensées et de vos comportements du moment présent. Ainsi, vos
réactions aux autres, et leurs réactions envers vous, sont tout autant fondées
sur des expériences passées que sur ce qui se dit ou se fait dans le moment
présent.

Pourquoi le temps ne referme pas toutes


les blessures

Si nous nous coupons, notre corps cicatrise, sauf cas particulier. Si on


supprime ce qui, dans la situation particulière, l’empêchait de cicatriser, le
corps reprend le processus de cicatrisation. C’est pour cela que nous
acceptons d’être incisé au cours d’une intervention chirurgicale : nous
savons que l’incision va cicatriser.
Le cerveau fait partie du corps. En plus des millions de réseaux
mémoriels que je viens d’évoquer, nous avons tous, dans le cerveau, un
mécanisme de guérison : le système de traitement de l’information. Il a la
capacité de faire passer n’importe quelle perturbation émotionnelle à un
niveau de santé mentale ou à ce que j’appelle un niveau de « résolution
adaptée ». Il s’agit d’une résolution comprenant les informations utiles qui
vont nous permettre d’être mieux à même de survivre. Le système de
traitement de l’information est conçu pour faire des connexions avec ce qui
nous est utile, et laisser tout le reste de côté.
Voici comment cela fonctionne : imaginez que vous avez eu un conflit
avec un collègue de travail. Vous vous sentez perturbé, en colère, ou encore
effrayé, avec toutes les réactions physiques qui accompagnent ces
différentes émotions. Vous pouvez aussi avoir des idées négatives sur
l’autre personne ou sur vous-même. Et vous imaginez peut-être comment
vous pourriez vous venger de lui, mais espérons que vous résistez à ces
idées, qui, entre autres choses, pourraient vous faire licencier. Vous rentrez
chez vous. Vous y pensez. Vous en parlez. Vous vous couchez, et vous en
rêvez. Et le lendemain matin, vous n’êtes peut-être plus aussi mal que la
veille. Vous avez en quelque sorte « digéré » ce qui s’est passé, et à présent
vous voyez mieux quoi faire. Voilà comment le système de traitement de
l’information prend une expérience perturbante et vous permet d’en tirer un
apprentissage. Cela se passe essentiellement au cours du sommeil
paradoxal. Les scientifiques pensent que c’est au cours de cette phase du
sommeil que le cerveau traite les désirs, les informations nécessaires à la
survie, et ce qui a été appris au cours de la journée précédente. C’est-à-dire
tout ce qui est important. Le cerveau est programmé pour remplir ce rôle.
Quand un traitement de l’information a eu lieu sans interruption, le
souvenir de l’altercation s’est en général connecté à des informations plus
utiles déjà présentes dans votre cerveau. Il peut s’agir d’expériences
antérieures que vous avez pu avoir, avec ce collègue ou avec d’autres. Vous
pouvez par exemple dire maintenant : « Oh, il est comme ça, voilà tout. Et
puis j’ai déjà vécu quelque chose de ce genre avec lui, et ça s’est bien
terminé. » Pendant que ces souvenirs se connectent à l’incident désagréable,
votre vécu de celui-ci se modifie. Vous apprenez ce qui peut vous être utile
dans la dispute, et votre cerveau se débarrasse de ce qui ne l’est pas.
Comme les émotions et les pensées négatives ne vous servent à rien, le
cerveau les évacue. Mais ce que vous deviez apprendre subsiste, et
maintenant le cerveau stocke le souvenir de l’événement sous une forme
vers laquelle il pourra vous guider à l’avenir.
Maintenant, vous savez mieux ce que vous avez à faire. Vous pouvez
échanger avec votre collègue sans ressentir l’intense perturbation
émotionnelle de la veille. Le système adaptatif de traitement de
l’information du cerveau s’empare ainsi d’un vécu difficile, et nous permet
d’en tirer un apprentissage. C’est exactement le rôle pour lequel il est
prévu.
Malheureusement, qu’il s’agisse de traumatismes majeurs ou d’autres
sortes d’événements, des vécus perturbants peuvent submerger ce système.
Dans ces cas, l’intense perturbation physique et émotionnelle causée par la
situation empêche le système de traitement de l’information de faire les
connexions intérieures qui permettraient de la résoudre. Au lieu de cela, le
souvenir de la situation est stocké de façon brute dans le cerveau, comme
elle a été vécue : ce que vous avez vu et ressenti, l’image, les émotions, les
sensations physiques et les pensées, tout est encodé dans la mémoire sous sa
forme d’origine, sans avoir été traité. Et, chaque fois que vous voyez le
collègue avec lequel vous vous êtes disputé, au lieu d’être capable d’avoir
avec lui une conversation calme, vous êtes à nouveau envahi par la colère
ou la peur. Vous pouvez essayer, pour vous préserver, de gérer de votre
mieux vos émotions, mais, chaque fois que cette personne apparaîtra, vous
allez être fortement affecté.
Quand des réactions comme celles-là refusent de disparaître, c’est
souvent parce qu’elles se connectent aussi à des souvenirs non traités du
passé. Ces connexions inconscientes se font automatiquement. Par exemple,
on peut détester instantanément quelqu’un qu’on vient seulement de
rencontrer, parce qu’on a des souvenirs de quelqu’un d’autre qui lui
ressemble, et qui vous a fait du mal. Imaginez par exemple le cas d’une
femme qui a subi un viol. Des années plus tard, elle est au lit avec un
homme qu’elle sait plein d’amour pour elle. Mais quand il la touche d’une
certaine façon, ses émotions et son corps réagissent automatiquement ; elle
est envahie par la terreur et les sensations d’impuissance vécues au cours du
viol. Si son système de traitement de l’information n’a pas fonctionné
correctement après l’agression, un contact physique similaire à celui du
violeur peut se connecter à son réseau mémoriel et déclencher chez elle les
émotions et les sensations physiques qui appartiennent à ce souvenir stocké
mais non traité.
Perturbé, le système de traitement de l’information a en effet stocké ce
souvenir dans un endroit à l’écart ; il n’a pas été intégré au sein des réseaux
mémoriels. Cette situation ne peut pas se modifier, puisque le souvenir ne
peut se relier à rien de plus utile ou de plus adapté. C’est pour cela que le
temps ne referme pas toutes les blessures, et qu’on peut toujours ressentir
de la colère, de la rancune, de la douleur, du chagrin ou toutes sortes
d’autres émotions en pensant à des événements qui se sont pourtant produits
il y a des années. Ces événements sont figés dans le temps, et leurs
souvenirs non traités peuvent être le fondement de difficultés d’ordre
émotionnel, et parfois physique. Même si vous n’avez pas eu de
traumatisme majeur dans votre vie, les études ont montré que d’autres
sortes de vécus peuvent créer les mêmes difficultés. Et comme les
connexions mémorielles se font automatiquement, en dessous du niveau de
la conscience, vous pouvez très bien n’avoir aucune idée de ce qui agit à
votre insu dans votre vie.

Le plan d’action

Au fil de l’ouvrage, vous allez apprendre à interpréter les réactions


négatives que vous-même, ou un proche, pouvez avoir dans toutes sortes de
situations. Vous apprendrez aussi des exercices et des techniques vous
permettant d’identifier les souvenirs non traités qui causent ces réactions, et
des façons de faire immédiatement face aux émotions, aux pensées et aux
sensations perturbantes. Ces mesures que vous pouvez prendre sont fondées
sur de nouvelles connaissances du fonctionnement du cerveau. Elles
peuvent vous libérer de liens qui ont pu jusque-là vous freiner dans vos
relations, l’exercice de votre profession, et votre bien-être en général.
La plupart des techniques et des récits que vous trouverez dans ce livre
proviennent d’une thérapie appelée EMDR. Dans ce chapitre, je vais donc
vous présenter l’EMDR, puis je vous montrerai comment les différents
types de connexions mémorielles que l’EMDR a révélées peuvent être à
l’origine de vos difficultés personnelles. Nous verrons aussi comment on
peut transformer ces connexions en une source de joie, de paix et de bien-
être. Dans les chapitres suivants, vous commencerez à apprendre quelques-
unes des techniques utilisées par des milliers de psychothérapeutes dans le
monde entier. Elles aident des personnes souffrant de toutes sortes de
difficultés, et peuvent aussi vous être utiles.

La thérapie EMDR

D’où vient l’EMDR ? Comment s’est-elle développée ? Pourquoi est-


elle efficace ?
Tout a commencé grâce à une découverte que j’ai faite concernant les
mouvements oculaires. Je marchais dans un parc public, en juillet 1987, et
je me suis brusquement rendu compte que certaines pensées perturbantes
que j’avais venaient de disparaître. Je ne sais plus de quoi il s’agissait.
C’était le genre de pensées agaçantes, tenaces, qui tournent autour d’une
difficulté du moment et qui vous obligent en général à faire quelque chose
pour vous en débarrasser. Quand j’ai ramené ces pensées, elles n’avaient
plus la même « charge ». Elles ne m’ennuyaient tout simplement plus.
Surprise, je me suis demandé ce qui avait causé cette réaction. Tout en
poursuivant ma promenade, je suis devenue très attentive. Et j’ai remarqué
que, quand ce genre de pensée me venait à l’esprit, mes yeux se mettaient à
aller et venir très vite, en diagonale, toujours de la même manière ; et la
pensée disparaissait de ma conscience. Quand j’y pensais de nouveau, elle
avait perdu sa force. Fascinée, je me suis mise à le faire délibérément : j’ai
pensé à quelque chose qui m’ennuyait, et j’ai commencé à faire les
mouvements des yeux ; et ça s’est reproduit : mes émotions changeaient.
Au fil des années, on m’a souvent demandé comment j’avais remarqué
ce changement de mes pensées après les mouvements oculaires. C’est un
exemple de découverte due au hasard, je crois – mais c’est aussi le fruit
d’années de préparation. Par chance, depuis dix ans, en effet, je me servais
de mon esprit et de mon propre corps comme d’un « laboratoire », après un
cancer. Les médecins m’avaient dit : « C’est fini pour l’instant, mais ça peut
revenir. On ne sait pas pourquoi, et on ne sait pas non plus chez qui ça va
revenir. Alors, bonne chance. » Sur le moment, j’ai été frappée par cette
étrangeté : on savait envoyer des hommes sur la Lune, mais on ne savait pas
s’occuper de ce qui se passe dans l’esprit et le corps des humains. Le champ
de la neuro-psycho-immunologie (l’étude des effets du stress sur nos
systèmes immunitaires) venait tout juste d’apparaître, sous l’impulsion des
travaux de Norman Cousins et d’autres chercheurs. J’ai alors décidé de me
lancer dans la recherche de toutes les informations pratiques disponibles, et
de les faire connaître au grand public.
Pendant des années, j’ai fréquenté des dizaines d’ateliers, j’ai étudié
avec de nombreux professeurs, et j’ai commencé des études universitaires
de psychologie. C’est pour ces raisons que, dans le parc, quand mes pensées
se sont mises à changer de façon inattendue, cela a attiré mon attention. J’ai
alors pensé que j’étais tombée sur le processus naturel de guérison du
cerveau. Cela correspondait exactement à ce que j’explorais depuis dix ans :
la façon dont le corps et l’esprit étaient connectés. Je me suis demandé si
mon observation au sujet des mouvements des yeux avait un rapport avec
les processus qui se produisent au cours de la phase du sommeil paradoxal,
qui comporte des mouvements oculaires rapides : en effet, comme des
mouvements des yeux se produisent spontanément au cours de cette phase,
et qu’on se réveille souvent mieux disposé par rapport aux situations qui
nous posent problème, peut-être les mouvements oculaires ont-ils le même
effet quand on est éveillé ?
Après avoir constaté que je pouvais modifier les émotions liées à mes
pensées en me servant intentionnellement des mouvements oculaires, je me
suis demandé si cela fonctionnerait aussi chez les autres. J’ai donc essayé
avec les personnes que je connaissais et qui étaient d’accord pour se prêter
au jeu. Je leur demandais de penser à quelque chose qui les perturbait. Bien
entendu, tout le monde avait une situation problématique sur laquelle se
concentrer : une dispute avec un parent, un souci au travail, une mauvaise
décision prise… Je commençais par leur demander de se centrer sur le
souvenir. Je leur faisais alors suivre ma main des yeux pendant environ
trente secondes pour recréer le même genre de mouvements oculaires que
les miens. J’appelais cela une « séquence » de mouvements oculaires – et je
leur demandais comment ils se sentaient après.
La plupart commençaient par se sentir mieux, mais ensuite, leurs
émotions ne changeaient plus. Dans ce cas, je leur demandais de se centrer
sur une partie différente du souvenir ou de ce qui s’était dit. Ou bien je
modifiais la direction ou la vitesse des mouvements oculaires. Avec les
commentaires de la personne après chaque séquence, j’ai ainsi avancé par
essais et erreurs avec environ soixante-dix personnes, jusqu’à ce que mes
résultats soient stables. Comme les changements se produisaient
rapidement, si quelqu’un restait en plan après une séquence, je pouvais
facilement explorer différentes solutions alternatives pour obtenir à nouveau
les effets positifs des mouvements oculaires.
À la fin de mon doctorat, pour ma thèse, j’ai décidé de faire une étude
contrôlée de ma procédure. Le plus pertinent semblait être d’étudier le
traitement de souvenirs anciens. Je me suis demandé qui aurait le plus de
problèmes de cet ordre ; c’étaient évidemment les victimes d’abus sexuels
et les anciens combattants. Cela m’a amenée à travailler avec des gens qui
avaient un diagnostic d’état de stress post-traumatique (ESPT).
En 1987, l’ESPT était un diagnostic reconnu depuis seulement sept
ans. À l’époque, il n’y avait aucune étude scientifique rigoureuse validant
une forme quelconque de thérapie pour ce trouble, et il était considéré
comme extrêmement difficile à traiter. Je décidai donc de tester l’efficacité
de ma procédure avec des gens souffrant de ce trouble.
Les résultats de mon étude randomisée contrôlée furent publiés en
1989 dans le Journal of Traumatic Stress. Comme vous pouvez le penser,
cet article, décrivant un tout nouveau type de thérapie qui utilisait des
mouvements oculaires et qui apportait des bénéfices très rapides aux
victimes de trauma, a soulevé beaucoup de controverses. Comme dans
n’importe quel autre domaine, quand on s’écarte de la compréhension
communément admise, on voit des sourcils se lever et des poils se hérisser.
Comment de simples mouvements oculaires auraient-ils le moindre
effet ? Comment une thérapie, quelle qu’elle soit, peut-elle donner des
résultats en seulement une séance ? Un des « pères » de la thérapie
comportementale présenta mes découvertes comme « une avancée
majeure » lors d’une importante conférence, mais d’autres demandèrent
comment quelque chose qui paraissait aussi simple pouvait produire des
résultats aussi spectaculaires. Certains demandèrent tout de suite à se
former, parce que rien de ce qu’ils pratiquaient jusque-là ne marchait bien
pour les ESPT. D’autres estimaient au contraire qu’il ne fallait former
personne.
Un membre du conseil éditorial du Journal of Traumatic Stress, où
mon premier article avait été publié, contacta le rédacteur en chef pour lui
dire qu’il était certain que la revue avait été dupée. Cependant, comme il
était responsable d’un programme de traitement des ESPT pour le ministère
des Anciens Combattants, il vint se former lui-même à l’EMDR. Il y cibla
un de ses propres souvenirs et il constata l’effet de cette thérapie. Il l’essaya
ensuite avec ses patients et fut convaincu de son efficacité. Et c’est ainsi
que la reconnaissance de l’EMDR s’est faite depuis 1990 : ceux qui
l’expérimentent personnellement en deviennent en général les défenseurs.
Ceux qui ont été influencés par la controverse des débuts restent sceptiques.
Mais aujourd’hui, plus de vingt études scientifiquement contrôlées de
l’EMDR ont prouvé son efficacité dans le traitement des traumatismes et
d’autres expériences perturbantes. À ce jour, toute une série d’organismes
dans le monde, y compris l’Association psychiatrique américaine et le
ministère américain de la Défense, reconnaissent l’EMDR comme une
forme efficace de traitement du trauma.
Je pensais initialement que l’effet des mouvements oculaires était de
réduire la perturbation émotionnelle de la personne, ce qu’on appelle
« désensibilisation » en thérapie comportementale : aussi ai-je appelé
d’abord cette thérapie « désensibilisation par les mouvements oculaires ».
Ce n’est qu’après ma première publication de 1989 que je me suis rendu
compte de tout ce qu’on pouvait faire avec cette thérapie, au-delà de la
réduction de l’anxiété. En modifiant les procédures, on pouvait accéder à
des prises de conscience et à des transformations automatiques de toutes
sortes d’émotions, de réactions physiques et de comportements. Les
croyances à propos de soi-même, des autres et du monde en général
pouvaient changer, ouvrant de nouvelles possibilités à la personne. Il
apparut qu’en modifiant encore mes techniques, je pouvais m’assurer que
les souvenirs que je ciblais étaient entièrement retraités, c’est-à-dire
connectés aux autres souvenirs, réorganisés et mieux stockés. C’est
pourquoi, après avoir développé encore la thérapie, j’ai fini par introduire le
mot « retraitement » dans son nom.
J’ai découvert que d’autres formes de mouvements d’aller et retour
pouvaient également être efficaces : les thérapeutes pouvaient utiliser, en
plus des mouvements oculaires, des tapotements et des sons alternés.
Certains scientifiques pensent que toutes ces techniques provoquent un
recentrage permanent de l’attention, une « réponse d’orientation » qui se
relie aux fonctions cérébrales qui apparaissent au cours du sommeil
paradoxal. D’autres estiment que le fait de centrer l’attention sur le trauma,
avec en même temps la stimulation extérieure (mouvements oculaires,
tapotements ou sons), perturbe la « mémoire de travail ». Aujourd’hui,
suffisamment d’études ont été réalisées pour que je pense que les deux
interprétations sont vraies. Et si j’avais la possibilité de le faire,
j’appellerais aujourd’hui cette thérapie « thérapie de retraitement ». Mais de
nos jours, l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing,
c’est-à-dire désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires)
est connue sous ce nom dans le monde entier, et il est trop tard pour le
modifier.

Pourquoi l’EMDR est-elle efficace ?

Aujourd’hui, des milliers de thérapeutes, dans le monde entier, ont


traité avec succès des millions de gens par l’EMDR. L’EMDR a évolué ;
elle est devenue une thérapie globale en huit étapes, avec des procédures et
des techniques nombreuses. Les cliniciens guident leurs patients dans
l’abord des vécus passés qui sont à la base de leurs difficultés ; puis ils
traitent ensemble des situations du présent où le patient est perturbé, et ils
incorporent dans ses réseaux mémoriels des éléments nouveaux (psycho-
éducation, techniques et perspectives) qui lui seront nécessaires pour réussir
à l’avenir. La personne qui fait une thérapie EMDR n’aborde pas seulement
les symptômes évidents de ses difficultés, elle peut aussi obtenir toutes
sortes de changements positifs dans tous les domaines de sa vie. Cela vient
du fait que les réseaux mémoriels à la base du traitement EMDR ont des
associations à longue portée. Quand on modifie les souvenirs sous-jacents à
la représentation qu’on a de soi-même, on change aussi la façon dont on
regarde les autres. Et ses relations, sa carrière professionnelle, ce qu’on a
envie de faire ou de ne pas faire, tout se modifie dans un sens positif.
Ces dix dernières années, les effets rapides de cette thérapie ont ouvert
aux neurobiologistes une « fenêtre sur le cerveau ». On a ainsi fait près
d’une quinzaine d’études utilisant l’imagerie cérébrale (comme l’IRM) pour
établir la façon dont l’EMDR modifie réellement la structure cérébrale. Par
exemple, des études ont montré que les gens souffrant d’ESPT ont une
diminution du volume de leur hippocampe, le centre de contrôle de la
mémoire. On a cru quelque temps que, dans la mesure où c’était une
modification physique du cerveau, elle était permanente. Heureusement,
comme les scanners cérébraux l’ont montré, il est possible à l’hippocampe
de regagner sa taille initiale. Si les recherches dans ce domaine sont encore
peu nombreuses, une étude récente a montré que huit à douze séances de
traitement des souvenirs par l’EMDR chez des patients souffrant d’ESPT
amenaient une croissance moyenne de 6 % du volume de leur hippocampe.
Ces effets se maintenaient un an après.
En fait, le premier patient évalué dans cette étude était le fils d’une
femme atteinte d’un trouble bipolaire. Il avait subi toutes sortes
d’expériences traumatiques dans son enfance et avait un hippocampe très
réduit. Après huit séances d’EMDR, son hippocampe avait grossi de 11 %.
Des résultats comme celui-là donnent à penser qu’il faut d’autres études,
non seulement pour savoir comment fonctionne la thérapie EMDR, mais
également pour comprendre comment un cerveau humain est capable de se
modifier et de grandir. Cette « neuroplasticité » est un élément que les
scientifiques ont longtemps cru impossible. Mais, maintenant qu’on sait que
le cerveau adulte peut changer, cela ouvre de nouvelles perspectives pour
beaucoup de maladies considérées aujourd’hui comme incurables.
Même si on a prouvé que l’EMDR est efficace, il reste, comme avec
n’importe quelle forme de thérapie – et la plupart des médicaments – des
questions ouvertes autour du pourquoi de cette efficacité. Il s’agit d’un
processus complexe, beaucoup d’éléments sont en jeu et les recherches se
poursuivent. Cependant, l’utilisation des mouvements oculaires dans la
thérapie a intrigué beaucoup de chercheurs dans le domaine de la mémoire.
C’est pourquoi quelque vingt-cinq études supplémentaires ont exploré les
changements qui se produisent avec les mouvements oculaires seuls. Elles
ont montré que, sur des gens qui gardent à l’esprit des souvenirs perturbants
ou des inquiétudes sur leur avenir, des séquences de mouvements oculaires
entraînent une réduction de la perturbation émotionnelle, une moindre
netteté des images, des modifications dans les pensées et une meilleure
précision de la mémoire. Bien sûr, les mouvements oculaires seuls ne
suffisent pas à assurer la permanence des changements obtenus. C’est
pourquoi ils sont incorporés au reste des procédures EMDR. Au cours des
séances, les gens restent éveillés et gardent le contrôle total de leurs
facultés ; cependant, la théorie la plus admise est que les mouvements
oculaires stimulent le même genre de connexions biologiques et de
processus positifs que ceux créés dans le sommeil paradoxal : c’est en effet
pendant la consolidation et l’intégration des pensées et des informations, au
cours du sommeil paradoxal, que l’apprentissage se fait. Des études ont
d’ailleurs montré que si on enseigne une nouvelle technique à quelqu’un,
mais qu’on le prive de sommeil paradoxal la nuit suivante, l’apprentissage
peut être perdu. Au cours du sommeil paradoxal, le cerveau permet aux
liaisons neuronales appropriées de faire entre elles les connexions
nécessaires. Le souvenir est ainsi traité et transformé, et revêt une forme
plus adaptée, plus facile à utiliser. C’est pour cela que vous pouvez aller
vous coucher, perturbé par quelque chose, et vous réveiller en vous sentant
mieux, ou en ayant trouvé une solution. À l’état de veille, vous sauriez
quelles prises de conscience se seraient produites en vous ; mais les mêmes
processus bénéfiques ont lieu pendant que vous dormez.
Malheureusement, comme vous le savez, certains souvenirs pénibles
subsistent. Le niveau de perturbation entraîné par certains incidents de la
vie est tel que le système de traitement de l’information du cerveau en est
bouleversé et ne peut pas, tout seul, résoudre le souvenir. C’est un point qui
vous paraîtra évident si vous vous êtes déjà réveillé en plein milieu d’un
cauchemar. Le cauchemar, c’est simplement votre cerveau qui essaie de
traiter les informations. Les images reflètent les émotions qui sont
réactivées. Par exemple, une femme qui a subi des abus sexuels étant petite
peut avoir des cauchemars dans lesquels un monstre la pourchasse. Quand
on travaille le souvenir dans les séances EMDR, c’est comme si les écailles
lui tombaient des yeux, et elle comprend la raison de ce qui la bouleverse :
le monstre est l’agresseur qui la poursuivait à travers la maison de son
enfance.

Comment l’EMDR traite les souvenirs

En thérapie EMDR, tout le travail a lieu dans le temps des séances ; on


ne demande pas au patient de décrire en détail son souvenir ou de faire du
travail chez lui ensuite. Au lieu de cela, le clinicien aborde le souvenir
perturbant, met en route le système de traitement de l’information du
cerveau de son patient, guide ce dernier dans les procédures et surveille
leurs effets. Suite au traitement EMDR, des connexions internes peuvent
avoir lieu rapidement au cours de la séance, ce que l’on va constater à
certains changements positifs dans les émotions, à des prises de conscience,
à l’apparition de nouveaux souvenirs et à une meilleure compréhension
générale des difficultés de la vie. On considère que le souvenir original est
abordé, que ses connexions sont modifiées, puis qu’il est stocké avec ces
modifications au cours d’un processus neurobiologique appelé
« consolidation ».
Nous entrerons plus en détail dans les différentes étapes de la thérapie
EMDR dans les chapitres prochains. Pour l’instant, concentrons-nous sur la
façon dont elle « retraite » directement les souvenirs, c’est-à-dire dont elle
va directement dans l’inconscient et permet à l’apprentissage de se faire. La
recherche sur les victimes de trauma a montré que l’EMDR est capable
d’éliminer les symptômes sans le travail personnel à domicile que
requièrent d’autres formes de thérapie. De plus, comme il n’est pas
nécessaire de raconter en détail les souvenirs pénibles, les gens qui ont
honte de ce qui leur est arrivé ou de ce qu’ils ont fait n’ont pas besoin de le
dire. Des changements importants peuvent se produire en peu de temps.
Nous allons voir tout cela dans la transcription d’une séance EMDR, dans
les pages suivantes.
Avant de commencer, permettez-moi de souligner que nous allons
apprendre dans ce livre de nombreuses techniques et procédures EMDR qui
vous seront utiles à la fois pour comprendre et pour savoir gérer les
souvenirs pénibles. Cependant, en EMDR, au cours du traitement des
souvenirs, du matériel très chargé émotionnellement peut surgir. En
conséquence, il est essentiel que ce soit seulement un psychothérapeute
formé et agréé qui conduise la thérapie. Cela garantit que le système de
traitement de l’information reste actif, et que la personne soit complètement
préparée et à même de garder, comme on dit, « un pied dans le présent ».
Les psychothérapeutes formés savent où ils doivent centrer leur attention, et
ce qu’il faut faire si le système de traitement de l’information s’arrête à
nouveau de fonctionner, ou au cas où émergerait quelque chose d’inattendu.
Comme nous allons le voir dans le cas suivant, même s’il y avait au départ
un trauma majeur (un tremblement de terre au cours duquel la patiente,
Mélanie, a eu peur pour sa vie et pour celle de son enfant), il y avait bien
davantage à travailler en dessous du niveau de la conscience.
Mélanie vivait en Californie ; elle a pris un jour rendez-vous dans un
centre de recherche thérapeutique pour un grave ESPT, survenu à la suite
d’un tremblement de terre. Elle avait déjà vécu deux tremblements de terre
auparavant, mais cette fois, les symptômes étaient si importants que sa vie
devenait impossible. Un des tremblements de terre précédents s’était
produit alors qu’elle était dans un cours d’hypnose à la fac. Le professeur
venait de la mettre en transe quand le tremblement de terre avait eu lieu.
Cependant, c’est seulement des années après qu’elle a été profondément
perturbée par un autre tremblement de terre, qui s’est produit alors qu’elle
se trouvait seule à la maison avec son tout jeune fils.
Nous allons décrire ici une partie de la séance, puis nous reproduirons
une partie transcrite consacrée au dernier tremblement de terre, pour que
vous puissiez voir le traitement adaptatif de l’information à l’œuvre.
Au début de cette séance d’EMDR, la psychothérapeute et Mélanie
avaient déjà repéré ce qu’il fallait cibler. Mélanie avait été préparée à laisser
les connexions mémorielles se faire automatiquement. La psychothérapeute
l’a alors aidée à ramener le souvenir à sa conscience d’une certaine façon ;
elle lui demanda en particulier de lui donner des évaluations, dont elle avait
besoin pour contrôler sa progression. L’image que Mélanie choisit comme
étant le pire moment du souvenir était celle où elle essayait de se cacher
dans le couloir avec son fils alors que le sol tremblait et que des objets
tombaient des étagères et s’écrasaient par terre autour d’eux. Entre autres
choses, elle identifia aussi les idées négatives qu’elle avait au sujet du
tremblement de terre (« Je suis impuissante ») et les émotions qu’elle
ressentait aujourd’hui en y pensant. Elle avait un niveau d’anxiété élevé : 8
sur une échelle de 0 à 10.
Puis la psychothérapeute fit, à plusieurs reprises, aller et venir les yeux
de Mélanie, rapidement, pendant environ trente secondes. C’est ce que l’on
appelle une « séquence de mouvements oculaires ». À chaque séquence,
elle donnait à Mélanie la consigne suivante : « Remarquez simplement tout
ce qui vous vient à l’esprit et acceptez tout ce qui se passe. » Même si la
patiente était complètement consciente à ce moment, de nouvelles
connexions s’établirent ; des idées, des émotions, des sensations et d’autres
souvenirs lui traversèrent l’esprit, comme ils auraient pu le faire pendant
une phase de sommeil paradoxal. À la fin de chaque séquence, la thérapeute
demandait à Mélanie de « laisser aller tout ça » et de prendre une grande
respiration. Après quoi, elle lui demandait, sous une forme ou sous une
autre, ce qui lui était venu à l’esprit. Selon la réponse, la thérapeute dirigeait
l’attention de la patiente pour la séquence suivante de mouvements
oculaires. De cette façon, elle put mener Mélanie plus profondément dans
les souvenirs non traités stockés dans son esprit, et les travailler jusqu’à ce
qu’ils soient résolus.
Dès les premières séquences de mouvements oculaires, Mélanie
remarqua toutes sortes de choses, y compris des connexions de souvenirs en
rapport avec une impression d’« impuissance » et d’absence de maîtrise.
Par exemple, elle se rappela avoir écouté une fois une bande magnétique
dans laquelle des gens en observaient d’autres qui se faisaient « écraser par
des trains ». Après d’autres séquences de mouvements oculaires, il apparut
des sentiments de tristesse et de mélancolie, contrastant avec l’anxiété que
Mélanie avait exprimée plus tôt dans la séance. L’anxiété peut être un
fourre-tout pour toutes sortes d’émotions qui sont sous la surface de la
conscience. Après encore d’autres séquences de mouvements oculaires, elle
plongea encore plus loin dans le passé. En riant, elle se rappela qu’elle avait
un jour couru autour de la maison avec son frère, quand elle avait 6 ans.
« Je voulais être un garçon, dit-elle, et il m’avait dit que si je courais assez
longtemps autour de la maison, j’en serais un. J’ai été déçue que ça n’ait
pas marché. »
Ici, nous allons continuer avec la transcription mot à mot de la séance,
pour que vous puissiez voir comment l’EMDR travaille à travers le réseau
mémoriel associé, sans que Mélanie ait besoin de donner beaucoup de
détails sur ce qu’elle est en train de vivre. Quand le signe >>>> apparaît,
cela signifie que l’on guide la patiente dans une séquence de mouvements
oculaires. C’est à ce moment que les associations et les connexions se font.
Avant chaque séquence, la thérapeute lui demande de se concentrer sur une
certaine partie du souvenir, et de « simplement remarquer » ce qui se passe.
Après chaque séquence, elle lui demande : « Qu’est-ce qui vous vient
maintenant ? » Mélanie lui raconte un peu ce qui lui est venu à l’esprit, de
sorte que la thérapeute puisse contrôler sa progression et la réorienter si
nécessaire. Vous verrez au travers des réponses de Mélanie comment son
esprit passe d’un souvenir ou d’une prise de conscience à l’autre après
chaque séquence. Cela montre la forte imbrication des réseaux de souvenirs
dans le cerveau. Nous ajouterons aussi quelques commentaires entre
crochets pour vous aider à comprendre ce qui se passe au fil de la séance.
Vous remarquerez que chaque séquence révèle un autre aspect des
associations inconscientes entre les souvenirs.
Mélanie se concentre ici sur le souvenir qui lui est revenu, où son frère
lui a dit que, si elle courait assez longtemps autour de la maison, elle
deviendrait un garçon. Pendant ce temps, la thérapeute la guide dans une
séquence de mouvements oculaires :

>>>> MÉLANIE : Oui, j’étais en train de penser à


mon impression d’avoir été trahie, avec mon frère
qui m’a fait des attouchements, et combien je
l’admirais [elle pleure].
[Même si, en surface, le premier souvenir qui a
émergé à propos de son frère semblait amusant, la
difficulté plus profonde de la trahison et de
l’impuissance se révèle ici. D’ailleurs, même dans
le premier exemple, elle avait fait confiance à son
frère et il lui avait menti.]
>>>> MÉLANIE : [elle pleure] Oui, il m’est venu
quelque chose comme « Berk ! »… ça faisait
vaciller mon sens de la réalité.
[Ici, on voit combien les diverses associations
inconscientes de souvenirs, dans le cerveau,
peuvent être inattendues et importantes : le sol
vacille littéralement lors d’un tremblement de
terre, et cet aspect est connecté dans l’esprit de
Mélanie à un événement majeur de son enfance où
sa confiance a été trahie. Dans les deux cas, ce qui
aurait dû être une fondation solide a vacillé.]
>>>> MÉLANIE : Je me suis rappelé qu’on jouait
aux cartes avec mon papa.
>>>> MÉLANIE : J’ai pensé au jour où mon papa
m’a emmenée acheter un manteau ; il a boutonné
le manteau et il m’a pincé le sein, je devais avoir
11 ans, et j’étais absolument sidérée qu’il ait fait
ça.
[Tout comme le premier souvenir avec son frère
semblait être innocent, cette série d’associations
avec le père commence innocemment, mais elle se
retrouve à nouveau avec l’impression d’avoir été
trahie. Là encore, les actes du père lui donnent
l’impression que la réalité « vacille ».]
>>>> MÉLANIE : Ce qui m’est revenu clairement,
c’est que, vers la même époque, j’ai été malade.
J’ai été vraiment malade, avec une douleur dans le
côté ; personne n’arrivait à savoir ce que j’avais, et
on m’a emmenée à toute allure à l’hôpital. Je ne
pouvais plus déplier ma jambe, et personne
n’arrivait à trouver ce que j’avais. J’avais vraiment
très mal dans le côté, et alors ils ont simplement
décidé que j’avais un problème psychologique.
Mais je crois que c’était la seule façon que j’avais
pour exprimer ce qui n’allait pas.
[Mélanie savait qu’elle avait une forte douleur,
mais personne ne l’a crue, et ils ont conclu qu’elle
ne pouvait pas faire confiance à ses propres
perceptions. Encore une fois, il n’y avait pas de
terrain solide sur lequel s’appuyer.]

Comme vous pouvez le voir, à la différence d’autres formes de


thérapie, les associations avec de nouveaux souvenirs et les nouvelles prises
de conscience se produisent après chaque séquence de mouvements
oculaires. La concentration et la stimulation guidées par la thérapeute
permettent au système de traitement de l’information de Mélanie de faire
remonter à sa conscience tout ce qui est nécessaire pour amener le souvenir
à une résolution adaptée. La thérapeute maintient actif le système de
traitement de l’information de sa patiente et guide le processus pour
s’assurer que l’intégralité du réseau mémoriel a été abordée. Maintenant
que vous avez vu comment les associations spontanées émergent, nous
allons décrire le reste de la séance puis nous reviendrons à la transcription à
la fin.
Comme Mélanie se concentrait sur sa douleur au côté lors d’une autre
séquence de mouvements oculaires, elle prit conscience du chaos et de
l’insécurité qui régnaient dans le milieu familial où elle avait grandi. Elle se
rappelait sa mère et son père se battant et se jetant des objets à la tête,
pendant qu’elle était censée dormir ; elle se cachait en fait avec sa sœur
sous le lit, trop effrayée pour pouvoir se coucher et s’endormir. L’image
d’enfants effrayés se cachant sous le lit faisait écho à son image de départ,
dans laquelle, au cours du tremblement de terre, elle se cachait dans le
couloir, au milieu du chaos des objets qui tombaient autour d’elle. Cela peut
expliquer également pourquoi c’était ce tremblement de terre qui allait
donner à Mélanie un ESPT, alors qu’elle en avait déjà vécu deux autres
auparavant : le fait de se tenir recroquevillée avec son fils dans le chaos
environnant la renvoyait directement à son enfance perturbée.
Poursuivant le traitement de ses souvenirs, Mélanie prit conscience
qu’elle avait voulu protéger son père contre sa mère, parce que « ça
paraissait complètement fou ». Cette idée la ramena au tremblement de terre
le plus récent. Elle était sortie en trombe de la douche, avait couru jusqu’à
la chambre de son fils, pris le bébé dans le berceau, et couru en bas avec lui
en essayant de le protéger de son corps. Un parallèle intéressant émergea
entre la protection qu’elle apportait à son fils et celle qu’elle aurait voulu
apporter à son père. Mais cela l’amena aussi à l’idée qu’elle devait protéger
son fils quand le père de l’enfant l’accueillait ; on avait diagnostiqué chez
cet homme un trouble bipolaire et il était sous lithium. Mélanie se sentait
toujours écartelée entre l’envie, à la fois, de laisser l’enfant avec son père et
de le protéger de lui.
Cela jette un jour intéressant sur les connexions possibles entre notre
enfance et nos relations ultérieures : la famille d’origine de Mélanie était
chaotique, sa sécurité était constamment en danger. Elle avait plus tard
épousé un homme qui souffrait d’un trouble bipolaire, trouble qui produit
des changements d’humeur majeurs. Ses choix de partenaires masculins
étaient dans la continuité de son sentiment d’insécurité, en même temps
qu’ils la plaçaient encore dans un rôle de « protectrice ».
Nous allons passer maintenant à la fin de cette séance, dix minutes
plus tard environ. Elle avait maintenant pris conscience qu’elle n’était pas
« impuissante » : elle avait fait ce qui était nécessaire pour se protéger elle-
même et protéger son petit garçon. Elle se sentait capable de gérer les
choses dorénavant.
>>>> PSYCHOTHÉRAPEUTE : D’accord, et quand
vous pensez à l’incident d’origine, où vous êtes
dans le couloir avec Tim, comment le ressentez-
vous ?
>>>> MÉLANIE : Ce qui me vient, c’est : ben oui,
c’était un tremblement de terre [elle rit]. Oui, un
bon tremblement de terre.

Rappelez-vous qu’on avait diagnostiqué chez Mélanie un ESPT. Au


début de la séance, quand elle pensait au tremblement de terre, elle
ressentait le même niveau élevé d’anxiété et d’impuissance qu’au moment
de l’événement original. C’est là un des symptômes de l’ESPT : le passé
paraît présent. Cependant, en se servant des procédures EMDR pour
aborder le souvenir et stimuler son système de traitement de l’information,
les connexions neuronales appropriées s’étaient faites et diverses
associations étaient automatiquement devenues conscientes. Elle avait
appris ce qu’il était utile qu’elle apprenne, et elle avait retrouvé son
impression de maîtrise. Ce qui était inutile (les émotions, les pensées et les
sensations physiques négatives) avait disparu. Maintenant, le souvenir du
tremblement de terre se trouvait stocké dans son cerveau de façon adaptée.
Comme elle ne ressentait plus la frayeur du tremblement de terre, il avait
pris sa juste place, dans le passé. En fait, il suscitait même chez elle un rire :
« Oui, un bon tremblement de terre. »
On ne traite pas aussi rapidement tous les ESPT. Il peut y avoir toutes
sortes de complications qui ralentissent le progrès du patient. Un
psychothérapeute agréé et bien formé en EMDR doit mener avec soin la
thérapie. Cependant, les études sur l’EMDR montrent qu’après le recueil
approprié de l’histoire du patient et la préparation de ce dernier, 84 à 100 %
des traumas uniques peuvent être traités en trois séances de quatre-vingt-dix
minutes. Plus les souvenirs impliqués sont nombreux, plus le retraitement
est long. Mais il n’est pas nécessaire de cibler tous les souvenirs, dans la
mesure où ceux qui sont associés à celui que l’on cible peuvent être affectés
positivement par le retraitement.
La séance de Mélanie illustre bien ce qui se passe dans le retraitement.
Elle montre également le type de souvenirs qui provoquent des problèmes
émotionnels. Par exemple, la tristesse que Mélanie ressentait pendant son
enfance peut également jouer un rôle dans sa dépression. Et, bien entendu,
ses expériences d’enfance peuvent directement influencer ses choix de
partenaire masculin et ses réactions dans les relations amoureuses. De plus,
la douleur qu’elle avait dans le côté et qui l’a envoyée à l’hôpital est un
exemple de « somatisation », où la douleur émotionnelle s’exprime sous la
forme d’une douleur physique.
Ce dernier point est plus courant que vous ne pourriez le croire. Par
exemple, Jenny avait fait de la gymnastique et avait été une fervente
joueuse de tennis, jusqu’au jour où elle eut une douleur à l’épaule qui la
contraignit à arrêter. En thérapie EMDR, elle s’aperçut que cette douleur
avait commencé un jour où elle avait joué avec son père. Il n’aimait pas
perdre. Il avait fallu qu’elle bloque ses propres compétences, sinon elle
allait le battre – et il ne le supporterait pas. Après avoir traité ces souvenirs,
elle n’eut plus jamais de problème avec son épaule. Nous examinerons de
près ce genre de problèmes dans les chapitres qui viennent, et nous
apprendrons des techniques pour les résoudre.

Personnalité et retraitement

Les souvenirs non traités de Mélanie ne provoquaient pas seulement


son ESPT ; ils affectaient l’ensemble de sa personnalité. Chez tout le
monde, les souvenirs non traités sont, de façon générale, la base des
réactions, des attitudes et des comportements négatifs. Les souvenirs qui
ont été traités, à l’inverse, constituent le fondement des réactions, des
attitudes et des comportements adaptés et positifs. Quand les psychologues
parlent de « personnalité », ils parlent de nos réactions habituelles face aux
autres et face aux événements. En plus des facteurs génétiques, chaque trait
de la personnalité est fondé sur un ensemble de réseaux de souvenirs qui
modèlent nos comportements et nos émotions. Ces réseaux de souvenirs
sont créés tout au long de la vie ; ils reflètent ce que nous étions, l’endroit
où nous étions, ce qui se passait au moment de leur création. C’est pour cela
qu’on peut paraître très différent selon qu’on est au travail ou à la maison :
on peut en effet avoir des manières de réagir très variables selon les lieux,
parce que, par exemple, on avait une vie familiale très chaotique dans son
enfance, tout en étant très bon élève à l’école.

Quand les réseaux se télescopent

Maintenant que nous avons les bases pour pouvoir comprendre


comment le cerveau d’un individu établit ses connexions, intéressons-nous
à ce qui peut arriver quand deux personnes ayant des difficultés
psychologiques se mettent ensemble.
Hubert est ainsi arrivé en thérapie, extrêmement mal, au bord du
suicide. Sa femme, Simone, venait de le quitter, et il paraissait brisé : « J’ai
fait vraiment tout ce que je pouvais pour être un bon mari, disait-il.
Comment a-t-elle pu me quitter ? »
Simone est revenue, mais le couple était vraiment en péril. En
cherchant à lui plaire, Hubert s’était complètement perdu lui-même. Cet
homme sensible voyait fort bien que sa femme était en souffrance. Elle
avait été blessée pendant son enfance, et il cherchait désespérément à la
guérir. Il essayait d’agir comme elle le désirait, et disait rarement ce dont il
avait envie, lui. Malheureusement, rien ne marchait : plus elle était en
colère, plus elle devenait tyrannique, et plus il était passif et soumis. Tous
deux, inconsciemment, étaient contrôlés par des souvenirs d’enfance ;
chacun mettait en œuvre des schémas qui aggravaient les choses pour le
conjoint.
Simone était la benjamine de six enfants. Au moment de sa naissance,
sa mère entrait dans une période de dépression et de repli sur elle-même.
Les frères et sœurs de la petite Simone la brimaient et la maltraitaient, et
leur mère ne faisait rien pour les arrêter. Pour Simone, l’attitude passive
d’Hubert entrait ainsi en résonance avec les souvenirs qu’elle avait de sa
mère : face à cette passivité, elle avait automatiquement l’impression de
n’avoir aucune importance et de ne pas mériter qu’on la protège. Elle
réagissait en se mettant en colère et en devenant tyrannique, exactement
comme elle le faisait, enfant, pour essayer de faire réagir sa mère.
Évidemment, ce n’était pas « rationnel » : à l’inverse de sa mère, Hubert
cherchait à faire plaisir à Simone. Mais quand les émotions du passé
remontent, elles colorent complètement notre façon de voir le présent.
Pour identifier d’où provenaient les réactions d’Hubert, je lui
demandai de se concentrer sur le dernier conflit entre Simone et lui. Quelles
étaient les pensées et les émotions qui remontaient en lui ?
« L’impuissance », répondit-il. J’utilisai donc une technique que nous
verrons dans un prochain chapitre, et son esprit revint immédiatement à un
moment de son enfance où il écoutait ses parents se disputer ; il se sentait
bouleversé et impuissant. Ces scènes se produisaient souvent quand il était
enfant, et avaient modelé ses futurs schémas de comportement en couple.
Son père, très traditionaliste, était un homme coléreux qui se montrait très
critique envers Hubert et sa mère. Il avait inculqué, à force de coups, la
soumission à son fils. Pour ne pas être frappé, l’enfant évitait tout conflit
avec son père et essayait toujours de lui faire plaisir. Ainsi, face à la colère
de Simone, la passivité d’Hubert était une réaction automatique. Hélas,
cette attitude se connectait aux réseaux mémoriels de Simone où sa mère ne
faisait rien pour la défendre, et cela ne faisait qu’alimenter la colère de
l’épouse. Chez chacun, les actions de l’autre déclenchaient ainsi une
sensation de danger. Ils s’aimaient beaucoup, mais le passé restait présent.
Et il détruisait leur mariage.
Personne n’est à l’abri de ce genre d’associations mentales. Le cerveau
est construit pour cela, et elles ont lieu continuellement. Faites cette
expérience : mettez-vous dans un endroit tranquille, et décidez que pendant
les dix minutes qui viennent, vous ne ferez rien d’autre que de vous
concentrer sur vos narines tout en respirant naturellement. Voyez combien
de temps vous arrivez à le faire avant de vous rendre compte que votre
esprit a vagabondé sans votre permission. Il est très difficile de maintenir ce
type de concentration. C’est pour cela qu’il existe des cours de méditation
dans le monde entier. C’est pour cela que les maîtres zen passent des années
à s’entraîner à rester centrés sur leur respiration, sur des chants ou des
mantras. Le cerveau fait automatiquement des associations avec chacune de
nos actions, de nos pensées et de nos émotions. À nous de repérer les
moments où nous avons des pensées, des émotions ou des réactions
physiques qui sont destructives, négatives, nuisibles – et de prendre des
dispositions pour y remédier.
Qui nous sommes

Comme vous le voyez, même si nous sommes tous le produit de la


génétique, nos expériences passées exercent une influence considérable sur
la plupart de nos traits de personnalité et sur nos réactions face au monde
qui nous entoure. Il n’y a pas de doute que la façon dont nous avons grandi
influence notre vie. Les expériences que nous avons vécues ont été
encodées dans nos réseaux mémoriels et constituent, à l’âge adulte, la base
de notre perception du monde. Et même dans les familles les plus aimantes,
on peut trouver des enfants qui ont des souvenirs non traités.
Ces difficultés se produisent parce que l’enfance est une époque où on
est vulnérable : on est petit dans un monde de géants. On n’a aucun pouvoir.
Donc, même dans la meilleure des enfances, on peut avoir des expériences
qui sont stockées sans traitement, avec toutes les émotions, les sensations
physiques et les croyances qu’on avait sur le moment. Ces expériences
restent « brûlantes », même si elles se sont produites très longtemps
auparavant. En thérapie EMDR, on repère et on traite ces souvenirs, parce
qu’ils sont souvent à la base des symptômes actuels du patient.
Dans la vie quotidienne, toutes sortes d’événements peuvent se relier
en nous à des réseaux de souvenirs non traités. Quand cela arrive, nous ne
pouvons plus gérer nos relations avec les gens et les événements comme un
adulte : ce sont nos émotions et nos sensations d’enfance qui remontent et
qui influencent à notre insu nos réactions. On n’a pas une image de
l’événement ancien qui nous ferait dire : « Ah oui, je me comporte ainsi
parce que maman a oublié de venir me chercher à la crèche » : on a
simplement les émotions qui s’y rapportent. En revanche, une fois ces
souvenirs inconscients identifiés et traités, les émotions et les sensations
physiques négatives n’apparaissent plus. Alors, on peut se comporter
pleinement en adulte dans le présent, et agir de façon adaptée.
Je dois également souligner que tout ne vient pas de l’enfance.
Beaucoup d’expériences terribles à l’âge adulte peuvent causer des
symptômes d’ESPT ou d’autres troubles. Quelquefois, c’est l’accumulation
de ces expériences qui nous fait basculer. Mais souvent, ce sont des vécus
de l’enfance qui nous rendent vulnérables, comme dans le cas de Mélanie.
De la même façon, on le sait, des événements de l’adolescence peuvent
parfois causer des dommages considérables. C’est ainsi que Mégane a
commencé une thérapie à cause d’un malaise, d’une timidité et d’un
manque d’assurance extrêmes. Elle avait toujours l’impression que les gens
la regardaient et la jugeaient, même quand elle faisait la queue à l’épicerie.
Il s’avéra que les difficultés de Mégane provenaient d’une expérience, à
l’adolescence, dont elle avait pourtant espéré beaucoup : ses parents avaient
divorcé quand elle avait 2 ans, et elle n’avait pas revu son père jusqu’à ses
13 ans. Elle était allée en Floride voir des gens de sa famille, et son père
vint la rejoindre et l’emmena passer deux jours avec lui. Elle fut ravie qu’il
l’emmène à la plage. Malheureusement, elle n’était jamais allée à la mer
auparavant et elle ne connaissait pas les crèmes solaires : elle attrapa de
graves coups de soleil.
Le lendemain, chez son père, elle fut incapable de l’aider à ranger
l’appartement, tant elle souffrait de ses coups de soleil. Son père la regarda
alors avec mépris et lui dit : « Je n’arrive pas à croire que tu aies été assez
bête pour ne pas te mettre de crème solaire. » Et ce fut la dernière fois
qu’elle vit son père ou même qu’elle entendit parler de lui. En retrouvant ce
souvenir pour le travailler, des années plus tard, Mégane avait encore
l’impression de « recevoir un coup de pied dans le ventre ». La honte
associée à ce souvenir remontait chaque fois que quelqu’un la regardait, lui
donnant une impression d’insécurité et de malaise. En fait, la honte
empoisonnait sa vision d’elle-même depuis vingt ans.
Le cerveau fait continuellement des connexions en dehors de notre
conscience. Même au cours de la thérapie, seules certaines de ces
connexions arrivent à la conscience. Par exemple, quand je vois une
pomme, elle se relie en moi à des réseaux de souvenirs en rapport avec les
notions de rouge, de rond, de fruit, de peler, de queue, de tarte, c’est-à-dire
avec toutes les expériences que j’ai pu avoir avec des pommes. Le fait que
je la mange ou non est en rapport avec la sensation qui me vient : ai-je faim
ou non ? Si j’ai été malade après avoir mangé une pomme gâtée, il se peut
que je ne veuille plus jamais en toucher une. La question est la suivante :
nos souvenirs nous guident-ils de façon adaptée, ou nous poussent-ils à
faire des choses que nous devrions éviter de faire – ou, au contraire, nous
empêchent-ils de faire des choses qui nous seraient bénéfiques ? Manger la
pomme ou ne pas la manger ? Prendre des médicaments – ou une grande
respiration ? Me défendre, ou me recroqueviller ? Savourer ma réussite, ou
la gâcher en me faisant du souci pour autre chose ? Choisir une relation qui
sera bonne pour moi, ou une qui va m’attirer des ennuis ? Être défini par
des réactions « irrationnelles » provenant de souvenirs non traités, ou par
une bonne santé mentale ?
Comme nous allons le voir dans les tout prochains chapitres, il existe
différentes façons de repérer les souvenirs inconscients qui agissent en
coulisses dans notre vie, et des techniques pour gérer ces réactions qui nous
posent problème. D’abord, il nous faut admettre que certaines de nos
réactions ne sont pas fondées sur la réalité présente, mais sur des souvenirs
du passé. Quelquefois, c’est clair, la colère, le chagrin, la peur ou
l’inquiétude sont appropriées ; mais, d’autres fois, elles ne le sont pas. Et il
arrive qu’on soit poussé par ses propres réactions à croire qu’elles sont
adaptées, simplement parce qu’on les ressent. Pourtant, le fait qu’on ait
peur ne veut pas dire qu’il y a vraiment un tigre dans la pièce. Les roses
sont rouges – quelquefois. Et les violettes ne sont pas bleues – même si
notre esprit prétend le contraire.
CHAPITRE 3

C’est le temps, ou c’est


le climat ?

Certes, il existe des milliers de façons de souffrir. Pourtant, depuis une


vingtaine d’années, il devient de plus en plus clair que ce qui fait venir les
gens en thérapie tourne autour d’un thème majeur : « Je suis bloqué. »
Souvent, ils disent : « Je ne sais pas pourquoi je fais toujours la même
chose. » Ou bien : « Je ne sais pas pourquoi je ne m’aime pas », ou encore :
« Je sais que je ne devrais pas me dire ça, mais c’est plus fort que moi. »
Autrement dit, ils se sentent obligés de réagir à ce qui les entoure d’une
façon qui les fait souffrir et qui les empêche de faire ou d’obtenir ce qu’ils
veulent. Et puis il y a ceux qui ont tenté de trouver de l’aide et qui disent :
« J’ai fait une thérapie, mais ça n’a rien donné. » Ce qu’ils ne savent pas,
c’est qu’il existe plus de cent formes de thérapie, et que trouver la bonne
thérapie et le bon thérapeute peut être une question de hasard. Il y a
pourtant des choses à apprendre de toutes les formes de thérapie, et nous
allons en explorer quelques-unes dans ce chapitre.
Est-ce pour moi ?

Au cours de ma carrière, j’ai participé à des centaines de conférences


dans le monde entier. J’ai eu ainsi l’occasion de parler à des milliers de
personnes, appartenant à de nombreuses cultures, et d’explorer à la fois nos
différences et nos points de ressemblance. Ce qui m’a toujours frappée,
c’est de voir que les mêmes principes concernant le cerveau, l’esprit, le
corps s’appliquent, quels que soient l’âge et le sexe de la personne, et
l’endroit où elle vit. Pour mieux vous faire comprendre comment les
concepts expliqués dans ce livre vous concernent, nous allons faire
quelques expériences que j’ai utilisées dans la quasi-totalité de mes
conférences. Nous avons exposé plus haut la manière dont les souvenirs
non traités affectent les gens, dans la mesure où les sensations physiques et
les émotions perturbantes apparaissent automatiquement. Le corps joue en
cela un rôle très important ; essayons donc notre première expérience :
d’abord, prenez une grande respiration, puis expirez lentement. Ensuite,
fermez les yeux un moment et observez comment vous vous sentez
physiquement. Rouvrez les yeux pour lire les lignes suivantes. J’espère que
vous n’avez pas ressenti de perturbation et que votre corps est au calme.
Maintenant, prenez une autre grande respiration et observez comment votre
corps se sent si vous fermez les yeux à nouveau et répétez des mots. Ouvrez
les yeux après avoir répété – si possible à haute voix, ou dans votre esprit si
vous n’êtes pas seul – le mot « non » pendant une dizaine de secondes :
Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non.
Observez. Par exemple, y a-t-il eu un changement dans vos épaules,
votre poitrine, votre ventre ? Maintenant, prenez une autre grande
respiration, fermez les yeux et observez ce qui se passe dans votre corps
quand vous répétez le mot « oui » : Oui. Oui. Oui. Oui. Oui. Oui. Oui. Oui.
Voyez-vous une différence ? Chez la plupart d’entre nous, la réaction
est différente, même pour un seul mot. C’est que les mots ont de
nombreuses associations avec les choses, dans notre vie, et le corps réagit
automatiquement à ce qui se passe dans notre tête. C’est pourquoi, dans le
prochain chapitre, nous chercherons quels sont les vécus enregistrés en vous
qui déclenchent ces réactions émotionnelles et physiques automatiques qui
vous bloquent. Mais avant cela, nous allons encore explorer des éléments de
base et apprendre des outils permettant de faire face aux perturbations qui
pourraient apparaître.
Je dois aborder maintenant le fait que, parmi vous, certaines personnes
n’auront eu absolument aucune réaction en faisant l’exercice ci-dessus.
Pour le comprendre, nous pouvons nous servir de quelque chose que j’ai vu
au cours d’un atelier de formation.
Dans les programmes de certification EMDR, il y a toujours des
exercices d’entraînement, pour que les cliniciens qui apprennent la thérapie
puissent aussi la vivre en direct. Ils sont répartis en petits groupes, ce qui
donne à chacun l’occasion d’être tour à tour en position de « patient » et de
thérapeute. Chaque « patient » parle d’un souvenir perturbant bien réel de
sa propre vie, pour que ce soit une véritable expérience d’apprentissage. Il y
a aussi un expert formé qui supervise et contrôle leurs progrès.
C’est ainsi qu’au cours d’un exercice, le superviseur vit une
« patiente » qui avait les larmes aux yeux, et le thérapeute qui travaillait
avec elle lui disait : « Non, non, tu ne peux pas faire ça ici ! »
Heureusement, le thérapeute était d’accord pour se faire coacher et la
patiente put traiter son souvenir sans qu’on lui demande de taire ses
émotions. Vous vous souvenez peut-être de ce que nous avons dit dans le
chapitre précédent : il est important de « simplement observer tout ce qui
vous vient à l’esprit, et de laisser arriver ce qui arrive ».
Ensuite, ce fut au tour de ce thérapeute de faire le « patient » et de
travailler sur un élément de sa propre histoire. Il déclara n’avoir rien à
travailler, à part le fait qu’il était perturbé par le son de la voix de sa fille
quand elle disait « papa », il ne savait pas pourquoi. On décida donc de
cibler ce point.
Au bout de quelques minutes de travail, il lui revint un souvenir : il
avait 6 ans, et il se tenait devant sa maison avec sa mère ; elle lui disait que
son père avait perdu son emploi et qu’il était parti dans une autre ville, où il
cherchait du travail. Ils allaient devoir quitter la maison où il était né. Le
petit garçon se mettait à pleurer, mais sa mère lui caressait le dos en disant :
« Allons, allons… sois mon petit homme. Ne fais pas pleurer maman ! » Et
donc, à 6 ans, il se forçait à arrêter de pleurer et à être « un homme ». Il
avait enfermé en lui cette expérience, avec cette impression qu’il ne fallait
pas ressentir les choses. Il avait dès lors refoulé ses émotions et s’était
retrouvé coupé de toutes ses sensations physiques de perturbation. Même si
des années avaient passé et qu’il était devenu thérapeute ensuite, cette
expérience d’enfance régissait toujours sa vie, et c’est ainsi qu’il se
comportait envers ses patients.
Ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on est ; les souvenirs que nous avons
stockés physiologiquement sont à la base de nos perceptions présentes. Non
seulement les souvenirs non traités peuvent exagérer nos sensations et nos
réactions émotionnelles, mais ils peuvent tout autant nous empêcher de
ressentir ce qui se passe. Donc, si vous n’avez pas senti de différence dans
votre corps entre le « non » et le « oui », dans l’exercice ci-dessus, il faut
vous demander si l’exercice n’était pas adapté pour vous, ou si c’est une
illustration d’un manque général, chez vous, de contact avec votre corps et
vos émotions. Si c’est cette deuxième explication qui est la bonne, peut-être
est-ce en rapport avec des souvenirs non traités : en effet, que vous soyez ou
non en contact avec vos sensations physiques et vos émotions, les
connexions inconscientes de votre système mémoriel influencent toujours
vos réactions dans le présent. On pourrait dire par métaphore que
l’ordinateur tourne toujours, même si l’écran est éteint.

Les points de blocage

Avant d’aller plus loin, je veux être très claire sur ce qui est possible et
ce qui ne l’est pas. Tout d’abord, on ne peut pas éliminer complètement le
malheur de sa vie ; les choses arrivent, elles sont mouvantes. Des émotions
vont et viennent, comme la faim vient et s’en va, comme on perd et on
gagne, comme on reçoit de bonnes et de mauvaises nouvelles. Mais ces
émotions sont-elles envahissantes, et combien de temps durent-elles ? La
tristesse, la colère, la peur, l’angoisse, la solitude, la timidité, etc., sont-elles
là pour des raisons évidentes et sont-elles temporaires, ou sont-elles en
permanence en moi ? En quelque sorte, est-ce la météo du jour, ou le
climat ? Pour mieux nous représenter cela, voyons à quelle fréquence nous
avons l’impression d’être bloqué, et dans quels domaines.
Prenons le cas de Nancy, qui est venue en thérapie pour une peur de
prendre l’avion. Cette peur était apparue le jour où elle avait pris un petit
avion pour aller d’une île des Caraïbes à une autre, pendant un orage. Au fil
du temps, elle redoutait de plus en plus de devoir prendre l’avion. Elle avait
finalement décidé de suivre une thérapie, parce que, suite à une promotion,
elle allait devoir se rendre chaque mois dans plusieurs villes par avion.
En psychothérapie, la difficulté de Nancy aurait pu être comprise et
traitée de nombreuses façons. Un thérapeute psychodynamique, par
exemple, aurait encouragé Nancy à explorer sa peur de l’avion, dans le but
de découvrir les peurs et les conflits sous-jacents. Il l’aurait incitée à décrire
ce qui l’effrayait dans le fait de voler, ce qui l’inquiétait chez le pilote, chez
le copilote, etc. Avait-elle déjà ressenti cela envers des personnes qui
s’occupaient d’elle, autrefois ? Avait-elle des difficultés concernant la
confiance en soi, ou des sentiments d’incompétence ? Sa peur de l’avion
pourrait-elle représenter un sentiment d’insécurité dans l’univers qu’elle
avait connu étant enfant ? Son anxiété serait-elle une expression de son
insécurité générale, serait-elle en colère contre ses parents pour ne pas
l’avoir protégée ?
Quelles que soient les raisons mises au jour, le traitement se ferait
comme dans toutes les thérapies psychodynamiques, en identifiant les
« conflits » de Nancy, en les interprétant et en les perlaborant verbalement
avec le thérapeute pour découvrir le sens de sa peur dans un contexte
thérapeutique. Pour rappel, « perlaborer » signifie évoquer l’expérience et
la revivre dans le « transfert » (transférer les émotions de l’enfance dans la
relation actuelle) avec le thérapeute. En même temps, Nancy aurait une
meilleure compréhension de sa difficulté actuelle, de ses sentiments envers
ses parents et le thérapeute, et de la manière dont son vécu présent est relié
à son histoire. L’exploration de ces questions serait menée dans le cadre
d’une relation thérapeutique sûre, chaleureuse, pour encourager cette
compréhension en profondeur.
Au fil du temps, avec de nombreuses séances, Nancy finirait par mieux
comprendre ses relations avec ses parents, avec elle-même et avec le reste
du monde. Comprenant mieux ses difficultés et ses réactions, elle serait
davantage en mesure de relâcher son contrôle dans diverses circonstances.
Dans cette forme de thérapie, on reconnaît l’importance du passé, et on met
l’accent sur le fait de se reconnecter dans le présent avec les émotions et les
points de vue de l’enfance. Le principal agent du changement est la relation
au thérapeute, dans ce contexte de la « thérapie par la parole ». Au-delà de
prises de conscience et d’une meilleure compréhension, le thérapeute
psychodynamique pourrait aussi suggérer une forme ou une autre de
désensibilisation pour aider Nancy à surmonter sa réaction anxieuse.
Si Nancy avait été traitée par un comportementaliste (thérapie
cognitive comportementale, TCC), le traitement le plus recommandé pour
ce type d’anxiété aurait été une journée entière de thérapie, avec une
« expérience comportementale », en l’occurrence une exposition à une
situation de la vie réelle, le thérapeute prenant avec Nancy un vol de
quarante-cinq minutes : en partant du bureau du thérapeute, tous deux
prendraient un bus ou un train pour l’aéroport. Nancy dirait au thérapeute
toutes ses croyances négatives concernant tous les aspects du vol, depuis le
voyage vers l’aéroport jusqu’à l’atterrissage, en passant par l’attente de
l’avion, l’enregistrement, etc. À leur arrivée, ils vérifieraient
immédiatement les croyances de Nancy et prendraient un vol retour. Le rôle
du thérapeute TCC serait de prévoir les circonstances où Nancy peut avoir
des pensées négatives, de lui enseigner à penser différemment dans ces
situations, puis de comparer le voyage réel avec ce qu’elle redoutait. Au
cours du voyage de retour depuis l’aéroport, Nancy serait incitée à
synthétiser ce qu’elle aurait appris au cours du travail et à voir comment
elle pourrait s’appuyer sur cette expérience pour continuer de prendre
l’avion sans la présence du thérapeute. Dans d’autres formes de TCC, il y
aurait de nombreuses séances en cabinet, au cours desquelles elle répéterait
le vol en imagination, avec souvent, en plus, du travail personnel à faire
tous les jours.
Dans cette forme de thérapie, on reconnaît que c’est un événement
passé qui a causé l’anxiété, mais le traitement est centré avant tout sur les
symptômes actuels. La manipulation directe du comportement et des
croyances est l’agent du changement. Par exemple, les gens qui ont peur
veulent généralement éviter l’événement ou l’objet qu’ils redoutent, et la
thérapie inclut donc un face-à-face direct avec sa peur. Comme les
thérapeutes TCC pensent que les raisons de l’évitement sont les croyances
négatives et irrationnelles entretenues par le sujet à propos de ce qui
pourrait arriver, le thérapeute construit une « expérimentation
comportementale », une exposition réelle à l’objet ou aux circonstances,
pour mettre en cause ces croyances en démontrant que la catastrophe
redoutée (ici un crash) ne se produit pas. De cette façon, le patient est censé
apprendre que sa peur est infondée, et réagir en conséquence. Dans cette
forme de thérapie, on encouragerait Nancy à prendre d’autres vols dans
l’année et à surveiller ses réactions avec les techniques qu’elle aurait
apprises, pour prévenir les rechutes.
Quand Nancy se présenta avec son problème chez un thérapeute
EMDR, l’approche fut très différente. En EMDR, on se centre sur les
souvenirs stockés qui causent les peurs. Le thérapeute identifie les
expériences passées qui jouent un rôle dans la difficulté, les situations du
présent qui provoquent une perturbation, et ce dont la personne aura besoin
à l’avenir. Tous ces points seront abordés à travers le retraitement.
Cependant, on ne parle pas en détail de l’expérience perturbante, on traite
plutôt directement les souvenirs stockés, ce qui permet au cerveau de les
enregistrer avec des pensées et des émotions plus adaptées. Cette forme de
traitement produit en même temps des prises de conscience et une
« désensibilisation » de l’anxiété et de la peur.
Guidé par la perspective du « traitement adaptatif de l’information »,
le thérapeute de Nancy recueillit le récit de son passé afin d’examiner, en
particulier, ce qui se passait dans sa vie lorsque ses symptômes étaient
apparus pour la première fois. Il est évident que voyager dans un petit avion
pendant un orage peut être effrayant ; mais cela arrive à de nombreuses
personnes, qui ne développent pas pour autant une peur permanente de
prendre l’avion. Il avait pu se produire autre chose. Ce n’était pas non plus
le premier vol de Nancy. Elle avait souvent pris l’avion auparavant sans
présenter de symptômes. Au cours de cette phase, Nancy et son thérapeute
explorèrent la première, la pire et la plus récente des expériences de vol qui
la perturbaient ; et il apparut que ses symptômes avaient commencé pendant
un voyage au cours de sa première année universitaire. Ses parents venaient
de se séparer et allaient divorcer par la suite, un lien qu’elle n’avait pas fait
jusque-là, et dont elle ne voyait d’ailleurs pas du tout la pertinence.
Pourtant, en ciblant le vol où elle avait pour la première fois ressenti cette
peur, elle associa à ce souvenir la séparation de ses parents ; elle décrivit la
manière dont elle se sentait responsable de leur décision, et elle expliqua
tous les bouleversements qui accompagnaient cette dernière à cette période.
Elle était persuadée que si elle n’avait pas quitté la maison pour aller
étudier, ils seraient restés ensemble.
L’orage qui avait secoué l’avion dans les Caraïbes aggravait sa peur et
son anxiété vis-à-vis de sa situation familiale et devint le fondement de sa
peur de l’avion. Mais ce n’était pas tout. Son sentiment de responsabilité à
l’égard de la vie de ses parents ne se limitait pas à leur divorce ; il n’est pas
rare que les enfants et les adolescents se sentent coupables quand les
parents ne s’entendent pas. Cette culpabilité peut se trouver stockée dans
leur cerveau et engendrer des problèmes plus tard. Mais les choses étaient
encore plus compliquées : ce sentiment excessif de responsabilité était un
thème récurrent dans la vie de Nancy. Son père était alcoolique, sa mère
souffrait de dépression, et Nancy avait été mise dans le rôle de celle qui
devait s’occuper d’eux.
Après que les procédures de traitement de ce souvenir eurent été
menées à bien, Nancy n’avait plus peur de prendre l’avion, et elle pouvait
prendre ses vols professionnels sans difficulté. Mais, parvenue là, elle avait
un choix à faire : voulait-elle mettre fin à sa thérapie, maintenant que le
traitement avait éliminé sa peur de l’avion ? Ou voulait-elle aborder les
difficultés plus larges, puisqu’on voyait maintenant qu’elle avait un
sentiment de culpabilité et de responsabilité excessif envers sa famille – et
envers les hommes avec qui elle sortait ? Cela expliquait bon nombre des
difficultés qu’elle rencontrait dans ses relations amoureuses : elle présentait
beaucoup de comportements de « sollicitude » et de « soumission » qui la
desservaient, mais qu’elle mettait en œuvre automatiquement, sans s’en
apercevoir. Au cours des huit mois suivants, elle choisit de poursuivre sa
thérapie sur ces points où elle se sentait bloquée, et ses difficultés furent
résolues. Cela signifiait qu’elle était maintenant capable de trouver un
partenaire qui lui convenait et qu’elle avait le plaisir de se sentir « à
égalité » dans la relation ; elle se sentait le droit de recevoir de l’amour et
de l’attention, et pas seulement d’en donner.
Comme nous réagissons tous automatiquement au monde qui nous
entoure, il est important de se demander si une réaction perturbante est
adaptée ; si ce n’est pas le cas, est-elle excessive, ne se produit-elle qu’en
réponse à une situation particulière, ou est-elle plus générale ? J’ai travaillé
par exemple avec une patiente qui était enceinte et était terrifiée à l’idée
d’accoucher. De toutes les réactions qu’on peut avoir au cours d’une
grossesse, la terreur n’est certainement pas la plus souhaitable. Nous avons
remonté à la source de cette terreur et nous avons découvert qu’elle était
fondée sur le fait que ma patiente était l’aînée de sept enfants : pour elle,
accoucher, c’était devenir comme sa mère, qui avait vieilli prématurément.
Nous avons retraité cela et elle a pu avoir un accouchement heureux. Sa
peur affectait aussi la représentation qu’elle avait d’elle-même : elle se
rendit compte que, toute sa vie, elle s’était inquiétée de façon démesurée de
son apparence, se préparant par exemple pendant des heures avant d’aller
en soirée.
Ces émotions négatives, ces croyances et ces réactions physiques
inadaptées, quel qu’en soit le contenu, sont de façon générale causées par
des souvenirs non traités. Le passé est toujours présent. Il faut donc
déterminer si nos réactions sont appropriées ; si ce n’est pas le cas, se
produisent-elles seulement dans un domaine de notre vie, ou agissent-elles
de façon plus large ? Ici encore, est-ce seulement le temps, ou est-ce plus
largement le climat ?

Conserver l’équilibre

Nous avons tous des souvenirs non traités qui se trouvent « activés »,
« déclenchés », et nous nous sommes donc tous sentis anxieux, apeurés,
tristes, en colère ou en danger à divers moments, sans trop savoir pourquoi.
Avant que nous ne commencions à explorer certaines de ces difficultés
personnelles, il est important d’avoir un moyen de se débarrasser d’une
perturbation si celle-ci apparaît. Cela nous donnera l’équilibre nécessaire
pour garder un pied dans le présent pendant que nous explorerons notre
passé. Même si nous avons tous connu ces sentiments négatifs dans le
passé, nous serons plus à l’aise pour vérifier si nous n’avons pas peur des
émotions. Le mieux, pour y parvenir, est de savoir que nous pouvons nous
en débarrasser quand nous le voulons. C’est pourquoi nous allons apprendre
quelques techniques d’autocontrôle qui sont aussi utilisées dans la phase de
préparation en thérapie EMDR.

UN LIEU SÛR OU CALME


En termes de traitement adaptatif de l’information, nous augmentons
votre accès à vos réseaux de souvenirs positifs. Il s’agit des réseaux qui
contiennent les expériences heureuses que vous avez vécues dans votre vie,
par exemple des souvenirs de moments où vous vous êtes senti calme et
détendu. Ainsi, si vous vous sentez perturbé dans un exercice et que vous
voulez vous arrêter, vous avez un accès immédiat à des émotions positives.
Il s’agit de techniques de modification des états émotionnels, grâce
auxquelles on peut changer de centre d’attention et d’état d’esprit en même
temps : par exemple, compter jusqu’à 10 quand vous êtes en colère peut
quelquefois vous calmer suffisamment pour vous permettre de gérer la
situation. Cela ne modifie pas la raison de votre colère, mais cela vous
donne un moment de répit entre cette cause et votre réaction automatique.
Nous avons tous besoin de techniques pour retrouver notre équilibre,
indépendamment de la raison qui nous a mis en colère.
Pour commencer, nous allons donc apprendre la technique du « lieu
sûr » 1. Elle comprend une imagerie guidée, couramment utilisée en hypnose
et en méditation. Mais avec cette technique, vous serez totalement
conscient. Et vous disposerez ensuite d’une bonne procédure de contrôle de
soi. Certaines personnes peuvent trouver plus facile d’enregistrer elles-
mêmes les instructions et de les suivre ensuite les yeux fermés. Vous
pourrez le faire si nécessaire. J’indique aussi quelques autres possibilités
dans l’annexe A.

Commençons avec une image positive. Nous recherchons ici une


image provenant d’une expérience positive que vous avez vécue dans le
passé. Vous adorez peut-être aller à la plage, ou peut-être avez-vous de
beaux souvenirs de forêt ou de montagne. Il faut que ce soit une expérience
positive, sans rien de négatif. Certains patients disent : « Mon lieu sûr,
c’était quand j’allais dans le placard avec mon ours en peluche. Chaque fois
que papa et maman se disputaient, c’est là que j’allais. » Ce n’est pas un
bon lieu sûr. Ou : « Ah oui, la plage, c’était un endroit magnifique, sauf la
fois où je m’y suis fait violer. » Ce n’est pas non plus un bon choix. Par
ailleurs, on notera que certaines personnes se sentent vraiment en sécurité
en s’imaginant auprès d’une figure religieuse.
Identifiez un endroit qui vous procure un sentiment de sécurité, ou, si
vous préférez, un sentiment de calme. Nous recherchons ici un souvenir qui
vous aide à retrouver une émotion positive que vous pourrez faire remonter
pour remplacer une émotion perturbante. Ne poursuivez pas cet exercice si
vous n’arrivez pas à identifier un lieu de sécurité ou de calme qui ne soit
connecté à rien de négatif. De même, arrêtez-vous si des émotions négatives
émergent. Dans ces cas, il y a clairement des souvenirs non traités qui
nécessiteront l’aide d’un thérapeute pour être abordés.
Si vous êtes certain d’avoir une bonne connexion à un souvenir qui
puisse vous amener des sentiments de sécurité et de calme, nous pouvons
passer à l’exercice. Finissez d’abord de lire ce paragraphe, puis passez à la
première étape. Dans un petit moment, je vous demanderai de fermer
simplement les yeux et de faire ce qui suit pendant une minute ou deux :
amenez à votre esprit une image de cette scène, et observez les couleurs
ainsi que tout autre élément d’ordre sensoriel qui l’accompagne. Observez
ce que vous ressentez, notez les sensations qui viennent dans votre corps –
votre poitrine, votre ventre, vos épaules, votre visage. Notez si vous avez
de belles émotions positives, puis ouvrez les yeux. Et maintenant, c’est à
vous.
Le fait d’amener une image, de vous y plonger, d’en noter les couleurs,
de noter ce qui s’y trouvait, a-t-il permis à des émotions positives
d’émerger ? Si elles ont émergé, trouvez maintenant un mot unique qui va
avec ce sentiment – comme « paisible », qui peut décrire le sentiment, ou
« forêt », qui décrirait plutôt la scène. Ce sera en quelque sorte l’étiquette
de cette expérience. À la fin de ce paragraphe, je vous demanderai de
fermer les yeux, de ramener cette image en vous, de noter les sentiments
agréables qui émergent et de dire ce mot intérieurement. Notez les émotions
qui viennent lorsque vous vous laissez vous plonger dans la scène tout en
répétant le mot dans votre esprit. Puis, après un moment, rouvrez les yeux.
Maintenant, fermez les yeux et allez-y.
Si des émotions positives sont venues, répétez cet exercice cinq fois,
en y passant chaque fois une minute environ. Vous consoliderez ainsi les
connexions. À vous, maintenant.

LA TECHNIQUE DU CHANGEMENT DE RESPIRATION


Refaites maintenant l’exercice, mais cette fois, remarquez le
changement de votre respiration lorsque vous faites apparaître l’image et le
mot. Après que vous aurez senti les émotions positives émerger, placez
votre main sur la partie de votre ventre ou de votre poitrine où votre
respiration commence.
C’est votre schéma de respiration quand vous êtes au calme et en
sécurité. C’est aussi une technique utile, parce que, chaque fois que vous
serez stressé, votre schéma respiratoire changera ; il passera en général plus
haut dans votre corps. Si vous remarquez cela, vous pouvez ramener votre
respiration plus bas, vers ce schéma détendu. Fermez les yeux et essayez
maintenant.

TESTEZ LES EFFETS

Maintenant, si vous avez pu entrer et sortir confortablement sans


inconfort de votre souvenir, en sentant les émotions positives et en pensant
à votre mot, faisons un test. Lisez successivement chacun des paragraphes
suivants, puis suivez les instructions. Observez votre corps, puis faites venir
l’image et le mot. L’émotion positive monte-t-elle alors avec eux ? Fermez
les yeux pour essayer, puis rouvrez-les quand vous avez la réponse.
Maintenant, allez-y.
Si des émotions positives sont venues lorsque vous avez amené à votre
esprit l’image et le mot, voici la dernière étape : pensez à un incident récent
qui vous a perturbé de façon légère, et notez la façon dont votre corps
change. Puis ramenez l’image positive et le mot, et voyez si la bonne
sensation revient. Essayez cela maintenant.
Si cela a marché, vous pouvez utiliser cette technique pour vous sentir
mieux quand vous êtes perturbé. En ramenant l’image et le mot, vous devez
revenir à votre lieu sûr ou calme, ce qui vous aidera à gérer les difficultés
momentanées qui vous perturbent quelquefois. Pour vous assurer que cela
marche toujours, il faut faire cet exercice une fois par jour, quand vous
n’êtes pas perturbé. Il vous sera ensuite plus facile de passer d’un état de
perturbation à un état de sécurité et de calme. Essayez aussi de le faire avec
la technique du changement de respiration : si vous avez à l’esprit quelque
chose qui vous préoccupe un peu, fermez les yeux et notez votre schéma
respiratoire, puis changez votre respiration pour la ramener au schéma
détendu, en la faisant passer de cette zone à une zone plus basse de votre
poitrine ou à votre ventre.

AJOUTEZ DES STIMULATIONS BILATÉRALES

Une fois que vous avez ce lieu sûr ou calme, vous pouvez intensifier
les émotions positives en utilisant la stimulation bilatérale, avec ce qu’on
appelle un tapotement alterné. Cependant, il est important que vous
surveilliez vos sensations et vos pensées, et si elles commencent à passer
dans le négatif, arrêtez et revenez à votre schéma positif de respiration.
Voici deux sortes de stimulations que vous pouvez utiliser. La première
consiste à tapoter alternativement sur ses cuisses. Quand on se concentre
sur le lieu sûr ou calme, on tapote lentement de quatre à six fois seulement,
c’est-à-dire environ cinq secondes. On ne fait pas de longues séquences, car
les séquences très rapides ou longues utilisées dans le retraitement EMDR
peuvent parfois ramener des associations désagréables, en faisant émerger
de nouveaux souvenirs.
Une autre manière de faire une stimulation alternée est de faire le
papillon. Elle a été inventée au Mexique, pour travailler avec des groupes
d’enfants traumatisés après un ouragan. On s’en sert depuis lors, dans le
monde entier, pour renforcer les émotions positives d’un lieu sûr. Pour cela,
vous croisez les bras, en plaçant la main gauche sur votre épaule droite, et
la main droite sur votre épaule gauche. Puis vous tapez des deux mains
alternativement, lentement, quatre à six fois. Pour l’essayer, visualisez
l’image du lieu sûr ou calme et le mot positif que vous lui avez relié, et
laissez-vous aller à cet état de sécurité ou de calme. Quand vous le
ressentez, tapotez alternativement sur vos cuisses, ou faites le papillon,
quatre à six fois, puis prenez une respiration et voyez comment vous vous
sentez. Essayez maintenant de faire une séquence, puis ouvrez les yeux.
Si l’état positif se renforce, fermez à nouveau les yeux, ressentez ces
impressions positives et ramenez le mot. Puis tapotez alternativement
quatre à six fois. C’est une bonne manière de renforcer et d’accroître le
pouvoir du lieu sûr ou calme, pour pouvoir mieux vous en servir face à une
perturbation momentanée. Elle peut vous donner une sensation d’équilibre
quand vous commencerez à explorer certains de vos souvenirs non traités.
Essayez encore. Si la stimulation bilatérale vous aide, utilisez-la tous les
jours. Sinon, continuez à utiliser simplement l’image et le mot. Souvenez-
vous que vous pouvez aussi vous servir de la technique du changement de
respiration pour revenir dans les émotions positives si vous êtes perturbé.
Utilisez quotidiennement l’exercice du lieu sûr ou calme quand vous vous
sentez bien, pour vous assurer que les émotions positives sont rechargées et
assez fortes pour vous aider à vous débarrasser d’une perturbation le cas
échéant.

LA TECHNIQUE DU PERSONNAGE DE DESSIN ANIMÉ

Voici un autre outil qui peut être utile en cas d’autocritique.


Quelquefois, nous faisons une chose et notre esprit se met à nous dire à quel
point nous avons eu tort. Que nous avons commis une grosse erreur, ou que
nous sommes « nul ». Vous pouvez alors essayer une autre expérience :
pensez à un personnage de dessin animé qui a une voix amusante, comme
Donald, Daffy Duck, Elmer ou Homer Simpson. Fermez les yeux, laissez
venir la voix critique, et observez comment votre corps change. Puis
modifiez la voix dans votre tête pour qu’elle ressemble à celle du
personnage de dessin animé, et observez ce qui se passe alors. Essayez de le
faire maintenant. Pour la plupart des gens, les émotions désagréables qui
vont avec la voix disparaissent. Ces dessins animés sont associés à des
souvenirs si agréables et si drôles que le négatif ne tient pas face à eux. En
utilisant ce type de technique, on voit qu’on peut contrôler beaucoup de ses
réactions si on remarque à quel point elles sont perturbantes – et si on prend
le temps de s’en occuper.
Comme je l’ai dit plus haut, ces techniques n’élimineront pas les
raisons qui vous ont perturbé, mais elles peuvent vous ramener à une
position d’équilibre qui vous permettra de gérer la situation présente de
façon plus adaptée. Si vous faites face à des réactions perturbantes
chroniques (c’est-à-dire des émotions, des pensées, des sensations et des
comportements négatifs récurrents), il vaut en général mieux les traiter en
abordant leurs causes sous-jacentes. Cela peut prendre du temps, mais il est
réconfortant de savoir que nous disposons de ces techniques d’auto-
assistance. Nous en apprendrons d’autres plus loin dans le livre.

Une source fréquente de souffrance

Au cours de mes centaines de conférences dans le monde entier, je me


suis rendu compte avec étonnement du nombre de points que nous
partageons tous, quels que soient notre pays ou notre culture d’origine. Je
demande par exemple souvent au public : « Combien d’entre vous se
rappellent avoir subi une humiliation à l’école ? » Quels que soient le lieu
ou le type de public, au moins 95 % des personnes présentes lèvent la main.
Faisons donc une expérience pour voir si vous avez des souvenirs de cet
ordre – et vérifier si cette expérience a été traitée ou non. Si elle n’est pas
traitée, vous risquez de vous sentir perturbé ; si c’est le cas, vous serez
généralement en mesure, pour vous en débarrasser, d’utiliser une des
techniques que vous avez apprises. Cependant, si vous êtes déjà en
psychothérapie pour un trouble complexe, ou si vous avez le sentiment que
vous pourriez en avoir un, ne faites pas cet exercice. Dans ce cas, en effet,
l’exploration personnelle doit se faire sous la guidance d’un thérapeute, et
ce livre ne doit être utilisé que pour des informations générales sur la
condition humaine et sur ce qui fait agir les gens.
Si vous vous sentez prêt à faire cette expérience, fermez les yeux,
observez comment votre corps se sent, puis faites apparaître l’humiliation
subie à l’école, avec les pensées qui l’accompagnent. Puis imaginez que
vous effacez l’image avec un tuyau d’arrosage ou un effaceur, et ouvrez les
yeux. Voilà encore une technique que vous pouvez utiliser pour modifier les
images mentales négatives. Essayez-la maintenant.
S’il vous reste une perturbation quelconque après l’expérience, utilisez
la technique du changement de respiration ou l’exercice du lieu sûr ou
calme pour vous en débarrasser. Lorsque vous êtes entré dans cette
expérience, peut-être avez-vous remarqué que votre corps se recroquevillait
– et vous avez peut-être senti la chaleur de l’émotion qui était présente à ce
moment, et peut-être les pensées qui s’y trouvaient aussi. On peut dire que
votre souvenir n’avait pas été traité convenablement, parce que, en même
temps que l’image, vous avez retrouvé des pensées, des émotions, des
sensations physiques ou des croyances négatives, perturbantes, qui font
partie de ce qui est stocké dans votre système mémoriel. Vous l’avez peut-
être ressenti dans votre poitrine ou dans votre ventre, mais son origine est
en réalité dans votre tête. C’est le résultat de la transmission neuronale
depuis votre cerveau jusqu’aux glandes et aux muscles de votre corps, et
retour. Le fait de se souvenir d’une expérience perturbante déclenche les
sensations physiques qui lui étaient associées.
Maintenant, examinez ce qui se passait dans le souvenir auquel vous
avez accédé. Voyez s’il est en rapport avec un enseignant, un groupe de
copains/copines, ou un gamin violent. S’est-il déroulé dans une classe, lors
d’un jeu, lors d’une danse ? Observez simplement les différents aspects de
ce souvenir, et voyez si cette expérience plante encore ses griffes dans votre
présent : avez-vous par exemple des difficultés avec l’autorité ou certains
types de personnes, du mal à parler en public, des difficultés à apprendre ou
à apparaître en public, un malaise quand vous êtes en groupe ? Voyez si
vous avez des difficultés qui pourraient être en rapport avec cet incident.
Quels sont les aspects de ce souvenir non traité qui pourraient être
responsables de certaines difficultés que vous éprouvez dans le présent ?
Peut-être pourriez-vous les noter quelque part pour vous en servir plus tard.
Pour certains d’entre vous, la pensée qui leur est venue en revoyant ce
souvenir aura été quelque chose comme : « Comment peut-on laisser
enseigner des gens comme ça ? » Ou vous avez ri en vous-même en vous
disant : « J’étais vraiment un gamin impossible ! » En d’autres mots, une
expression adulte vous est venue avec le souvenir, et votre corps n’a pas
particulièrement réagi en y repensant. Nous dirons alors que cette
expérience a été entièrement traitée et ne contient plus les émotions
négatives, les réactions physiques et les croyances que vous aviez eues à
l’époque des faits. Vous vous rappelez que vous vous étiez senti mal sur le
moment, mais vous ne le ressentez plus aujourd’hui ; le souvenir traité a été
intégré au reste de vos réseaux mémoriels, et ce qui vous en reste
maintenant, c’est une réaction adulte adaptée face à quelque chose qui s’est
passé dans votre enfance. Par conséquent, il ne devrait pas y avoir, dans
votre vie présente, de difficulté provenant de cet incident, parce que ce qui
n’était pas utile (le négatif : émotions, sensations et croyances) a été évacué.
Alors, pourquoi cela nous affecte-t-il parfois, et d’autres fois non ?
Cela relève essentiellement du hasard. Peut-être le bruit d’un camion vous
avait-il réveillé la nuit précédente, et vous étiez si fatigué le lendemain que
l’incident vous a fait une forte impression négative. Peut-être aviez-vous
connu plus tôt dans votre enfance des événements qui vous avaient apporté
une base solide, de sorte que vous n’avez pas été affecté ce jour-là. Peut-
être que quand c’est arrivé, un copain est venu, vous a passé un bras autour
des épaules et vous a dit : « C’est bon, ça va aller. » Il y a en effet un
moment, une « fenêtre d’opportunité », juste après l’événement, qui permet
un lien positif et le traitement du souvenir. Ou bien c’était d’ordre
génétique : il existe des fragilités respiratoires et cardiaques, et des
sensibilités différentes au stress, qui peuvent submerger le système de
traitement. Mais ça n’a pas grande importance.
Les jugements n’ont pas leur place ici. Quelle que soit la raison pour
laquelle le souvenir n’a pas été traité, il faut garder à l’esprit, en effet, qu’il
n’y a aucune honte à cela. Vous n’avez pas demandé, étant enfant, que ce
souvenir difficile soit stocké négativement dans votre tête, et vous n’avez
pas souhaité non plus les contrecoups négatifs de ce qui s’est passé alors.
Également, le fait que ce souvenir ne corresponde pas point par point à ce
que les adultes trouvent « horrible » n’a aucune importance. Si vous
repensez à cette humiliation d’enfance, vous allez vous rendre compte que
c’est un incident courant. Tout le monde en a vécu, et cependant, pour
beaucoup d’entre nous, cela a eu un impact négatif durable. Voici pourquoi :
si, aux yeux d’un adulte, c’était un petit incident, aux yeux d’un enfant ce
n’en était pas un. C’était très grave. Se faire humilier à l’école, c’est
l’équivalent, au plan de l’évolution, d’être rejeté du troupeau, et on peut
craindre pour sa survie : l’exclusion peut signifier la mort. Beaucoup
d’expériences de l’enfance sont en rapport avec cette crainte pour sa
survie : ne pas être aimé = mourir. Ne pas être désiré = mourir. Ne pas être
accepté = mourir. Toutes ces peurs pour sa propre survie surviennent
automatiquement et peuvent submerger le système de traitement de
l’information. C’est fondamentalement ainsi que les expériences négatives
peuvent se retrouver stockées. Il n’est donc pas important de savoir si un
adulte considérerait cela comme un trauma. Si cet événement a eu un
impact négatif dans votre enfance, il peut être la cause de problèmes dans le
présent.

Le serpent caché dans l’herbe

Il est important de garder à l’esprit que, si les souvenirs non traités


existent et qu’ils peuvent être à la racine de beaucoup de réactions et de
traits de caractère négatifs en nous, nous sommes bien plus complexes que
cela. En parlant de traitement, nous voulons dire que les événements
perturbants sont capables de se lier, dans nos réseaux de mémoire, à des
informations positives et adaptées. Ainsi, l’humiliation à l’école se relie à
des souvenirs d’autres copains ou copines dont on s’est moqué ou qui ont
été rejetés, et nous nous apercevons que nous ne pensons pas pour autant du
mal d’eux. Ou que cet enseignant n’aurait vraiment pas dû être autorisé à
enseigner, comparé à d’autres que nous avons connus. Ou que ces enfants
brutaux étaient cruels et que nous n’avons pas envie de leur ressembler.
Nous nous sentons mieux parce que nous avons eu de bonnes expériences,
de bons copains, et le souvenir de l’humiliation s’y connecte.
Mais si l’événement est trop perturbant, il est stocké d’une façon telle
qu’il ne peut pas se lier à quelque chose de plus adapté – même si les
informations adaptées existent dans notre tête. Par exemple, si on pense aux
vétérans du Vietnam qui plongent encore à terre pour se protéger ou qui
sont toujours pleins de rage, il est clair qu’ils ont pourtant connu des
expériences positives dans leur vie. Ils ont lu des livres d’auto-assistance.
Ils ont fait de la thérapie de groupe. Tout cela a eu lieu, et se trouve stocké
aussi dans leur tête. Ils fonctionnent bien dans certaines circonstances, mais
pas dans d’autres. Ils peuvent être pleins d’amour pour leur famille, grâce à
leurs souvenirs positifs, et hurler de rage l’instant d’après parce que quelque
chose a activé leurs souvenirs négatifs ; les deux réseaux de mémoire n’ont
pas pu se relier. Pourtant, il n’est jamais trop tard.
Nous explorerons dans le chapitre 6 ce type d’événements et de
symptômes extrêmes. Mais, pour montrer ce que je veux dire, je vais
donner un exemple : récemment, une femme de 80 ans a demandé
instamment à son thérapeute de me contacter. Elle était enfant, pendant la
Seconde Guerre mondiale au Japon. Elle était venue en thérapie en se
plaignant de dépression et d’anxiété. Son mari avait une importante perte
d’audition, et elle était perturbée par sa façon de parler fort et de monter
beaucoup le volume de la télévision. Inutile de le dire, elle connaissait de
très grandes difficultés. Sa mère avait abandonné la famille alors qu’elle
avait 3 ans ; un jour qu’elle était à l’école, son père était parti, enrôlé dans
l’armée japonaise, et elle ne l’avait jamais revu ; elle avait survécu au
milieu des bombardements, et avait subi un viol. Vous pouvez imaginer les
horreurs qu’elle avait endurées. Mais, après quelques semaines de
traitement, sa vie changea. Elle dit à son thérapeute : « Je me sens libre,
pour la première fois de ma vie. » Même à 80 ans, son cerveau était capable
de digérer et de stocker de façon appropriée les informations non traitées
qu’elle portait depuis sept décennies en elle. On le voit encore ici : il n’est
jamais trop tard.
En fait, personne n’est à l’abri d’avoir des souvenirs inconscients non
traités. Peut-être voyez-vous autour de vous des gens qui, pensez-vous, s’en
tirent beaucoup mieux que vous. Mais cela peut n’être qu’une apparence :
quelquefois une personne peut réussir extrêmement bien dans le monde
grâce à des expériences positives et adaptées, malgré une image de soi
épouvantable provoquée par des événements non traités. Prenez le cas de
Samuel, un prêtre âgé de 60 ans qui allait prendre la tête d’une prestigieuse
organisation caritative. Malgré ses capacités, il s’était toujours débattu avec
une faible estime de lui-même et des sentiments de honte et d’anxiété. Il
voulait se libérer de ces sentiments qui nuiraient à sa nouvelle situation, il le
savait.
Au cours du recueil de son histoire, en EMDR, il devint évident que
ses souvenirs d’enfance et ses situations adultes étaient en rapport avec des
émotions et des croyances désagréables comme « Je suis bête », « Je suis
incompétent », « Je ne suis pas fiable » et « Je suis inférieur ». Au cours de
ses séances d’EMDR, il aborda un certain nombre de souvenirs d’enfance,
parmi lesquels une fois où il avait fait une maladresse au restaurant, une
autre où il s’était replié sur lui-même sur un terrain de base-ball, et une
autre encore où il avait eu des ennuis en cours de latin. C’est alors
qu’émergea son pire souvenir : c’était un souvenir très ancien où son père
hurlait, jetait de la nourriture à travers la pièce et menaçait sa mère, hors de
lui. Samuel était allé se cacher derrière le poêle. Il ne pouvait pas aider sa
mère et se sentait complètement impuissant. Cet événement prépara le
terrain aux difficultés qu’il allait avoir, plus tard, avec ses pairs.
Les symptômes de Samuel disparurent après le changement, au cours
du retraitement EMDR, de ses émotions, de ses sensations physiques et des
croyances qu’il avait associées à ses souvenirs. Il arriva à l’opinion qu’il
était « un adulte valable ». Il était dès lors prêt à accepter sa nouvelle
situation professionnelle et à faire son travail sans les sentiments
d’incompétence et d’anxiété qu’il avait connus jusque-là. Maintenant,
c’étaient clairement les expériences positives de sa vie qui définissaient qui
il était, la façon dont il réagissait, et ce qu’il choisissait de faire.
Mais il arrive que des gens pensent que leur vie est complètement sous
leur contrôle, et n’aient pas la moindre idée qu’un de leurs souvenirs non
traités la dirige à leur insu. Ils ne s’en rendent compte que quand il émerge
et les frappe. Par exemple, Paul était un homme d’affaires d’une
quarantaine d’années. Il venait en thérapie parce que, pour la première fois
de sa vie, il souffrait de dépression et d’anxiété (difficultés à se détendre, à
se concentrer et à dormir) ; cela entravait sa productivité au travail et ses
relations avec sa femme et ses enfants. Il disait avoir eu une vie agréable
jusque-là. Il avait réussi dans les affaires, avait gagné beaucoup d’argent, et
sa famille était à l’abri du besoin. Il avait à peu près réussi tout ce qu’il
avait voulu faire. La cause de sa dépression et de son anxiété lui semblait
évidente : il avait récemment perdu la quasi-totalité de ses investissements,
suite à la combinaison d’une crise économique et de la trahison d’un
collègue. Joseph, un homme auquel il avait fait confiance, avait manqué à
ses engagements sur des emprunts qu’ils avaient contractés conjointement.
Il avait quitté la région, et refusait de répondre aux appels de Paul.
Superficiellement, la dépression de Paul paraissait faire sens. Il avait
accumulé des investissements sur de nombreuses années pour l’éducation
de ses enfants et la future retraite du couple. Jusque-là, sa femme, ses
enfants et lui avaient une relation heureuse et proche, ils avaient de bons
amis. Il était fier de veiller sur les membres de sa famille et sur leurs
besoins. Mais au cours du recueil de son histoire, des voyants rouges
s’allumèrent. Paul décrivait une enfance heureuse jusqu’à ses 7 ans, époque
où son père plongea dans l’alcool, perdit son emploi, et où la famille devint
pauvre. Paul affirmait, en racontant son histoire, que sa détresse actuelle
était due à ses difficultés financières et non pas à celles de son enfance,
dont, à son avis, il avait tiré des enseignements et qu’il avait laissées
derrière lui. Mais, juste pour être sûr, il vaut mieux explorer les
possibilités : est-ce le climat, ou la météo ?
Paul et le thérapeute utilisèrent une technique que nous apprendrons
dans le prochain chapitre, celle des « souvenirs sources », c’est-à-dire des
premiers événements qui peuvent causer les difficultés actuelles. Un de ces
souvenirs sources, pour Paul, remontait à ses 8 ans, quand on ne l’avait pas
emmené à un événement familial. Sa croyance négative était : « Je ne
compte pas. » Quand ce souvenir eut été traité, il émergea un nombre
considérable de moments dans sa vie où il avait cherché l’approbation des
autres, et particulièrement des hommes. Au cours du travail, il prit
conscience que ses difficultés d’adolescent et de jeune adulte – mauvaise
estime de lui-même, mauvaises relations avec les autres, et toxicomanie –
étaient en rapport direct avec ses relations avec son père alcoolique. À ce
moment, il comprit que ses vécus d’enfance l’avaient affecté toute sa vie, et
tout particulièrement dans sa relation avec Joseph, le collègue qui l’avait
trahi. Il avait voulu aider Joseph à démarrer dans les affaires ; il voyait
maintenant qu’il avait délibérément ignoré la fiabilité et l’éthique
professionnelle douteuses de Joseph. Au fond, il avait voulu lui offrir la
relation de protection qu’il aurait tellement désiré avoir lui-même pendant
son enfance et son adolescence.
Le père de Paul était absent la plupart du temps, et lorsqu’il était à la
maison, il était ivre. Il malmenait sa femme et Paul ne pouvait pas s’y
opposer, de peur de sa colère et de ses brutalités. Alors que son fils était un
bon joueur de football, le père n’allait à aucun de ses matches. Paul n’avait
jamais l’impression de mériter l’approbation de son père. De fait, ou bien
son père était en colère contre lui, ou bien il l’ignorait. Cela préparait le
terrain au « serpent » qui allait le mordre, le jour où il essaierait d’offrir à
un jeune collègue le soutien qu’il n’avait jamais eu lui-même. Ce n’est pas
là une situation rare. Nous sommes tous sujets à ces réactions que les
chercheurs appellent un « effet de halo » : nous aimons bien un trait chez
quelqu’un, et nous attribuons automatiquement à la personne toutes sortes
d’autres caractéristiques positives, qu’elle ne possède pas forcément. Par
exemple, nous aimons son sens de l’humour et nous pensons qu’elle partage
sûrement nos opinions politiques. Ou bien nous savons qu’elle travaille
dans une profession d’aide aux autres, et nous croyons qu’elle partage aussi
nos objectifs humanitaires. Ce sont là des associations automatiques et, tout
comme « les violettes sont bleues », elles peuvent se révéler complètement
fausses.
Quelquefois, ces associations ne posent pas de problème. D’autres
fois, elles proviennent de souvenirs qui nous rendent aveugle : c’est comme
cela que Paul a vu un jeune homme qui lui rappelait sa propre jeunesse, et
qu’il a eu envie de l’aider. Les ressemblances l’ont rendu aveugle à toutes
les caractéristiques négatives de Joseph, et il a cru que le jeune homme
méritait son aide. Malheureusement, Joseph avait été, lui aussi, malmené
dans sa propre enfance, mais, à l’inverse de Paul, on ne pouvait pas lui faire
confiance ; les souvenirs non traités nous affectent tous de façon différente.
Quand les souvenirs de Paul concernant son père et la trahison de Joseph
furent traités, ce fut comme si, d’un coup, toutes les pièces du puzzle se
mettaient en place ; et il se souvint de tout ce qu’il avait excusé ou ignoré
chez Joseph. Ces œillères engendrées par les souvenirs non traités sont
identiques à celles qui attirent bien des gens dans des relations amoureuses
qui, finalement, se révèlent malheureuses. Nous explorerons cela plus à
fond dans le chapitre 8.
L’extrême dépression de Paul s’expliquait aussi par son enfance :
l’alcoolisme du père avait appauvri la famille. Il avait l’impression que son
père avait « perdu son intégrité » et « ne faisait pas passer la famille avant
tout ». C’est pourquoi il s’était engagé dans une voie différente : il apportait
à sa famille une sécurité financière et s’efforçait d’être un bon mari et un
bon père. C’est pourquoi ses pertes financières avaient sur lui un effet
particulièrement dévastateur : il craignait de ne plus pouvoir subvenir aux
besoins de sa famille – comme son père autrefois.
En s’efforçant d’être différent de son père, Paul était devenu un
citoyen modèle, il avait accumulé de la richesse et fait de son mieux pour
être disponible pour sa famille. Des traits admirables. Mais, invisible
derrière ce tableau, l’influence de souvenirs non traités l’amenait à faire
toute confiance à quelqu’un qui allait le tromper – et à se sentir anéanti
quand ses finances allaient disparaître. Pourtant, après avoir traité ses
souvenirs de son père (et son impression d’avoir trahi sa famille), Paul vit
sa dépression disparaître. Il prit conscience que, s’il avait réussi à atteindre
une grande aisance financière auparavant, il avait assez de talent pour y
parvenir à nouveau. Mais maintenant, il pouvait le faire sans ses œillères.
Le repérage et l’élimination du « serpent caché dans l’herbe »
l’empêchent de venir vous mordre plus tard. Bien sûr, une fois qu’on a
décidé qu’on a besoin d’aide parce qu’on est déprimé, on peut agir de
beaucoup de façons différentes. Les gens choisissent souvent de prendre des
médicaments. Il serait pourtant utile d’essayer d’abord la psychothérapie, et
de voir après si les médicaments sont vraiment nécessaires. Si les
antidépresseurs ont certainement leur utilité dans certains troubles
particuliers, ils ne sont peut-être pas le meilleur choix dans d’autres
circonstances ; en plus de leurs effets secondaires, des études ont prouvé
qu’une fois le traitement arrêté, les symptômes peuvent revenir. Par
exemple, une étude publiée dans le Journal of Clinical Psychiatry montre
que l’EMDR est supérieure au Prozac pour les symptômes traumatiques et
la dépression ; au bout de huit semaines, les deux traitements ont été
interrompus et les personnes du groupe qui avait pris l’antidépresseur ont
commencé à faire une rechute, alors que ceux du groupe EMDR
continuaient d’aller mieux : si les antidépresseurs avaient modifié « l’état
cérébral » des patients, ceux-ci retournaient à leur état antérieur à l’arrêt des
médicaments. La thérapie EMDR, au contraire, éliminait la cause de la
dépression. En dernière analyse, nous recherchons un changement du
« climat », pas de la « météo » seulement.

En mode automatique ?

Vous le voyez probablement maintenant, les cas rapportés dans ce livre


montrent la façon dont les souvenirs inconscients gouvernent nos réactions
face au monde qui nous entoure. Comme Samuel, Paul ou Nancy, religieux
ou non, riche ou non, intelligent ou non – personne n’est à l’abri. Toutes nos
associations d’idées, bonnes ou mauvaises, sont construites à partir de nos
réseaux mémoriels. Le premier pas, pour tout le monde, consiste à repérer
ses réactions négatives. Ensuite, on peut se servir des techniques
d’autocontrôle que nous avons apprises, ou d’autres que nous allons voir
dans les chapitres suivants, pour contrôler ses réactions. Cela veut dire qu’il
faut se surveiller pour savoir quand on s’écarte de l’équilibre.
Malheureusement, ce n’est pas toujours facile, parce que nous sommes
en général en pilotage automatique. Je veux dire par là qu’on vit souvent en
réagissant simplement, à l’intérieur de soi, à des émotions, des pensées ou
des sensations, et à des situations extérieures. On peut décider quelque
chose, mais notre monde intérieur prend le dessus et on s’écarte de son
projet. Pour le vérifier, faisons une autre expérience : vous allez décider
que, durant tout le reste de cette journée, vous allez entrer ou sortir de
toutes les pièces en faisant franchir le seuil d’abord à votre pied gauche.
Écrivez dès à présent cette décision sur une feuille que vous poserez à côté
de votre lit, pour que ce soit la dernière chose que vous verrez ce soir avant
de vous endormir. Puis ce soir, avant de vous coucher, demandez-vous
combien de fois vous avez réellement fait ce que vous aviez décidé. Si vous
êtes comme la plupart des gens, vous aurez plus souvent oublié que respecté
votre décision : c’est parce que les associations de notre univers intérieur
sont plus immédiates, plus contraignantes, que de se souvenir de contrôler
son corps et de faire quelque chose de façon inhabituelle.
Un des objectifs de ce livre est de vous aider à repérer les souvenirs
non traités qui peuvent mener votre vie à votre insu, pour savoir ce qui est
ainsi activé en vous et les circonstances où cela s’active. Avec les
techniques d’autocontrôle, vous pouvez différencier ce que vous pouvez
faire tout seul, et les domaines où vous pouvez avoir besoin d’aide. Par
conséquent, après une petite préparation supplémentaire, nous verrons dans
le prochain chapitre comment repérer certains des souvenirs qui peuvent
être à la racine de réactions perturbantes que vous avez déjà identifiées, ou
d’autres réactions qui attendent les circonstances favorables pour passer à
l’attaque.
Pour le moment, commencez à vous servir tous les jours des
techniques d’autocontrôle que vous avez apprises. Pensez à pratiquer
quotidiennement la technique du lieu sûr ou calme pour l’affermir : si vous
vous sentez perturbé, vous pourrez ainsi revenir à des émotions positives. Si
votre esprit n’était pas en train de passer dans du négatif, utilisez les
tapotements bilatéraux sur les cuisses ou le papillon pour renforcer les
émotions et les sensations positives. Vous pouvez aussi utiliser la technique
du changement de respiration et la technique du personnage de dessin
animé pour éliminer les critiques internes. Ou la technique du tuyau
d’arrosage ou de l’effaceur pour les images négatives intrusives. Tous ces
outils vous aident à vous souvenir que vous pouvez contrôler votre esprit et
votre corps. En allant explorer vos propres processus inconscients, vous
découvrirez combien le fait de comprendre la raison des choses peut vous
aider.

1.
Le lecteur trouvera un glossaire des techniques décrites dans ce livre en
annexe A, p. 363. [N.d.É.]
CHAPITRE 4

Qu’est-ce qui agit à votre insu


dans votre vie ?

La plupart du temps, les gens viennent en thérapie parce qu’ils ont un


mystère à résoudre. En plus de vingt ans de travail comme thérapeute, je
n’ai jamais vu quelqu’un venir me demander de l’aide en disant : « Mon
père ne m’aimait pas. » Les gens cherchent à se faire aider pour quelque
chose qui se passe dans le présent. En général, ils ont une façon
destructrice, négative, d’agir, de ressentir les choses, ou de penser. Ils le
savent, mais c’est plus fort qu’eux. Généralement, ils s’imaginent que,
même s’ils ont eu une enfance malheureuse, ça remonte à des années, et que
ça ne « devrait pas » les influencer aujourd’hui. Ce genre de considération
aggrave les choses, parce qu’en se disant qu’on « devrait » agir, ressentir les
choses ou penser autrement, on a encore davantage une impression d’échec
et une opinion encore moins bonne de soi-même.

Tout enfermé
Une des difficultés tient à ce que les gens, la plupart du temps,
considèrent simplement le passé comme un « apprentissage ». Ils se disent :
« Il m’est arrivé quelque chose et j’ai appris à ressentir et à me comporter
d’une certaine manière. Mais c’était il y a des années. Je suis plus âgé, plus
mûr, et je sais bien que je ne devrais pas agir ainsi ; alors pourquoi est-ce
que je continue malgré cela ? Je dois avoir quelque chose qui ne va pas. »
Il y a peut-être quelque chose qui ne va pas, mais ce n’est pas ce qui
nous définit, il faut garder cela à l’esprit. Cela signifie qu’il y a des
souvenirs non traités qui sont physiologiquement stockés dans le cerveau
avec les émotions et les sensations physiques présentes lors de l’événement.
Comme ils ne sont pas traités, ils continuent de produire des pensées et des
sentiments négatifs chaque fois qu’ils sont activés. C’est pour cela que vous
avez peut-être pu voir des amis, plutôt brillants par ailleurs, se mettre
brusquement à parler comme des enfants quand ils sont au téléphone avec
un membre de leur famille ; vous pouvez même les voir changer
d’expression et de posture parce qu’ils se sentent sans force quand ils
parlent à leurs parents ou à l’un de leurs frères et sœurs. Ces émotions, ces
pensées et ces sensations physiques peuvent agir à notre insu dans notre vie,
si nous ne faisons rien. « Je ne suis pas assez bien. Je vais souffrir. Je ne
peux pas réussir » : voilà le genre de pensées qui peuvent indéfiniment
surgir. Dans ce chapitre, nous allons explorer les souvenirs qui vous
enferment dans des réactions dont vous ne voulez pas.
Les questions d’ordre génétique et les situations concrètes qu’il
faudrait traiter dans le présent peuvent certainement jouer aussi un rôle, je
dois le souligner : la façon dont notre cerveau fonctionne, en fonction d’une
particularité génétique, peut en effet nous rendre plus ou moins vulnérable à
l’impact des événements. Nos gènes, si certaines conditions sont réunies,
peuvent également nous prédisposer à certains troubles mentaux.
Cependant, même dans ces cas, il faut souvent un événement pour
précipiter les symptômes, et d’autres expériences peuvent au contraire nous
aider à les combattre. Nous ne pouvons pas modifier notre patrimoine
génétique, mais nous pouvons travailler directement sur nos vécus.
En travaillant, en thérapie EMDR, avec des millions de gens, nous
avons découvert que les expériences enregistrées dans le cerveau en tant
que souvenirs non traités sont une cause essentielle des réactions
perturbatrices et incontrôlables des êtres humains. Au contraire, les
souvenirs qui ont été traités naturellement, ou qu’on travaille avec
l’assistance d’un thérapeute, se transforment en expériences
d’apprentissage, de sorte que les émotions, les croyances et les sensations
physiques ne sont plus contenues dans nos réseaux mémoriels. Par
conséquent, les souvenirs que nous cherchons, ceux qui sont brûlants, ceux
qui sont négatifs, correspondent parfois à un événement unique, par
exemple un traumatisme majeur qui engendrera un ESPT – mais il peut
s’agir aussi d’événements courants de l’enfance : des brimades, des
moqueries, une chute de vélo, une dispute des parents, la trahison d’un
copain, un petit ami qui vous plaque, une boum où vous n’avez pas été
invité… : la liste est sans fin. Ces événements, s’ils sont stockés et toujours
brûlants, peuvent avoir des effets néfastes dans votre présent.
Il est important également de se rappeler que parfois, c’est ce qui n’est
pas arrivé qui pose problème : par exemple, être victime de négligences, ou
avoir un père ou une mère qui ne sont pas disponibles une fois seulement,
ou au contraire la plupart du temps, ou pendant un orage particulier : ces
éléments peuvent devenir de graves points de difficulté. Les enfants
pleurent spontanément, parce qu’ils sont programmés pour exprimer des
demandes et recevoir de l’aide d’un protecteur. Si l’aide ne vient pas, cette
expérience peut facilement être enregistrée dans le cerveau en tant que
souvenir non traité. Cela explique pourquoi tant de baby-boomers ont
parfois des sensations de désespoir qui semblent incompréhensibles :
pensez au nombre de bébés qu’on laissait alors pleurer dans le noir,
affamés, à cause de « règles » sur la fréquence à laquelle il fallait les
nourrir…
En thérapie EMDR, l’évaluation commence dès que la personne entre
dans la pièce. En fait, le thérapeute se représente le problème comme une
boîte dont le couvercle est vissé, et dans laquelle le patient est enfermé.
Comment l’ouvrir ? Bien sûr, on peut taper dessus à coups de marteau ou
tenter de la forcer, mais il serait plus efficace de chercher les vis qu’il faut
dévisser pour ouvrir le couvercle.
C’est ce que nous allons faire dans ce chapitre : nous allons chercher
certains souvenirs spécifiques qui sont à la base de vos difficultés.
Ça vient toujours de l’enfance ?

Avant de commencer, je tiens à préciser que nous sommes tous des


individus uniques, et que tout ne trouve pas son origine dans les souvenirs
d’enfance. Si les études montrent que des événements précoces peuvent
nous rendre ultérieurement plus vulnérables à certains problèmes, c’est
quelquefois au contraire une situation récente qui, par son horreur, peut
nous faire perdre pied. Je vais vous en donner un exemple : celui de Tony,
un des premiers vétérans avec lesquels j’ai travaillé.
Tony vivait très isolé depuis son retour du Vietnam, plus de dix ans
plus tôt. Il était parti vivre dans les bois, mais, comme j’offrais une thérapie
gratuite, il s’était décidé à venir, même si, me raconta-t-il ensuite, il se
disait : « Qu’est-ce que c’est que ce truc ? De toute façon, ça ne marchera
pas. Mais après tout, pourquoi ne pas essayer ? »
Tony venait me trouver parce qu’il avait constamment des attaques de
panique. Chaque fois qu’un avion passait, il se jetait par terre pour se
protéger. Ces niveaux très graves de réaction se voient dans certains cas
d’ESPT. Il me semblait, d’après le recueil de renseignements auquel j’avais
procédé auprès de Tony, qu’il avait de grandes difficultés autour de
questions de contrôle. Il essayait désespérément de garder la maîtrise des
choses, et quand il sentait qu’il la perdait, la panique s’emparait de lui. Je
lui proposai donc d’explorer avec lui ce sentiment de perte de contrôle en
traitant le souvenir qui l’illustrait le mieux. Il me dit : « OK, pas de souci. »
De toute façon, il pensait que rien ne marcherait. Il ne voulait aborder aucun
souvenir du Vietnam, mais il fut d’accord pour traiter le souvenir du jour où
sa femme l’avait fait arrêter : elle l’avait fait boire un soir et lui avait fait
quitter le mobile-home après avoir averti la police. Alors qu’il essayait de
s’en aller en voiture, il fut arrêté pour conduite en état d’ivresse. Ce
moment illustrait parfaitement son impression de perte de contrôle.
Après avoir traité ce souvenir, et un autre concernant un rapport sexuel
raté, Tony me dit qu’il ne pouvait pas contrôler les choses parce que, disait-
il, « je vais probablement foirer, comme j’ai toujours tout foiré ». Mais
maintenant, il était d’accord pour parler d’un souvenir du Vietnam.
Il est infirmier, et son unité est à court de plasma. Son commandant
l’envoie dans une autre unité pour en trouver. Il court à travers le champ de
bataille, prend le plasma et revient en courant, mais un obus explose au-
dessus de lui et il tombe assommé. Quand il se réveille, il ne sait pas
combien de temps il est resté évanoui ; ses deux épaules sont luxées, alors il
se penche, ramasse le sac de plasma avec les dents, et il court vers son
unité. Il lâche le sac, se retourne, et son commandant arrive en courant et lui
dit : « Ah bravo ! Deux hommes sont morts par ta faute ! » à cause du temps
qu’il a mis pour revenir.
Nous avons commencé ensemble à retraiter ce souvenir avec le
commandant et le problème de l’autorité, et le rapport qu’il y avait là avec
le père de Tony. Après avoir traité le souvenir, de sorte qu’il ne le perturbait
plus, Tony sentait qu’il maîtrisait maintenant plutôt bien les choses. Quand
je le revis, un mois plus tard, il me dit que les attaques de panique avaient
disparu. Il avait mis trois jours à s’apercevoir que, quand un avion passait
au-dessus de sa tête, il se disait simplement : « S’ils pouvaient aller voler
ailleurs ! » au lieu de plonger pour se mettre à l’abri. Comme c’est
généralement le cas, les changements après le traitement s’étaient faits
automatiquement, sans même que Tony s’en aperçoive au début. Ses
réactions de panique étaient déclenchées par des informations mal stockées
et non traitées. Au cours du retraitement, les souvenirs bloqués s’étaient
transformés en une expérience d’apprentissage, et ils étaient à présent
correctement stockés dans son cerveau. Ils pouvaient dorénavant servir de
base à des réactions adaptées chez Tony.
Ce qu’il faut retenir ici, c’est que, même si Tony avait des difficultés
avec l’autorité, difficultés qui provenaient de sa relation avec son père, c’est
une horrible expérience de guerre, enregistrée dans ses réseaux mémoriels,
qui était en rapport direct avec ses attaques de panique. Il était parti comme
infirmier à la guerre, et son souhait était d’aider à soulager la souffrance.
S’entendre dire qu’il avait tué ses camarades alors qu’il avait fait tout ce qui
était en son pouvoir pour les aider, tout en étant lui-même dans un état
extrême de douleur et d’épuisement, après avoir été assommé et avoir eu les
deux épaules luxées – tout cela aurait certainement engendré des troubles
chez n’importe qui. Mais il faut se demander depuis combien de temps les
difficultés existent : si elles ne disparaissent pas spontanément au fil du
temps, il faut s’en occuper.
Trouver les souvenirs sources

Comme nous l’avons expliqué, la plupart des symptômes, des traits de


caractère négatifs, des émotions et des croyances perturbantes chroniques
sont causés par des souvenirs non traités enregistrés dans le cerveau. Pour
qu’un vécu du présent ait du sens pour nous, il faut que nos perceptions (ce
qu’on voit, ce qu’on entend, ce qu’on ressent) se connectent à nos réseaux
de mémoire existants. Quand un souvenir non traité est activé par des
éléments analogues apparaissant dans la situation présente, il contient les
émotions, les croyances et les sensations perturbantes d’une autre période
de temps, et nous vivons donc le monde de façon déformée. Que nous
ayons 30, 40, 50, 60 ans ou davantage, c’est comme si un moi plus jeune
nous prenait la main et nous disait quoi faire.
En thérapie EMDR, le plus ancien souvenir non traité qui est à la base
d’un problème particulier est appelé le « souvenir source ». Dans cette
section, vous allez commencer à vous centrer sur certains des domaines où
vous êtes en difficulté, et sur les souvenirs qui leur sont associés. Comme
des perceptions perturbantes de l’enfance peuvent surgir quand le souvenir
source non traité est activé, il nous faut, avant de commencer notre
exploration, nous assurer que vous savez utiliser les techniques
d’autocontrôle que nous avons apprises dans le dernier chapitre. Il est
indispensable que vous les testiez. Nous utiliserons une échelle de
perturbation émotionnelle, de 0 à 10, dont on se sert beaucoup dans les
domaines du travail clinique et de la recherche : c’est l’échelle SUD
(Subjectives Units of Distress, unités subjectives de perturbation). À partir
de maintenant, si je vous demande de noter votre niveau de SUD, cela
signifiera votre niveau de perturbation, de 0 (pas de perturbation en vous) à
10 (perturbation extrême).
Prenez un moment maintenant pour laisser remonter dans votre esprit
quelque chose qui vous ennuie à un niveau de 4 ou 5 sur l’échelle SUD,
puis servez-vous de votre technique du changement de respiration ou de
votre lieu sûr ou calme. Si vos émotions négatives s’en vont, vous pouvez
faire les exercices de ce chapitre, parce que cela indique que vous serez
capable de vous servir de ces techniques pour gérer une éventuelle
perturbation qui surgirait. Dans la plupart des cas, prenez quelques grandes
respirations et, si nécessaire, pensez à l’image positive de votre lieu
sûr/calme, et cela devrait vous permettre de revenir au calme. Cependant,
prenez en compte l’avertissement que j’ai donné plus haut : si vous êtes
déjà en thérapie pour un trouble complexe ou si vous pensez en avoir peut-
être un, abstenez-vous de faire ces exercices servant à faire remonter les
souvenirs : dans ce cas, l’exploration personnelle se fait au mieux sous la
guidance d’un thérapeute, et vous ne devez utiliser ce livre que pour des
informations générales.
Il y a habituellement, dans la vie des gens, entre dix et vingt souvenirs
non traités qui sont responsables de l’essentiel de leurs souffrances. Ces
souvenirs contiennent les émotions, les perceptions et les sensations
physiques ressenties lors de l’incident d’origine. L’image de cet événement
n’est pas forcément envahissante, comme elle le serait dans un ESPT, mais
les paroles négatives que vous percevez peut-être en vous sont directement
reliées à votre point de vue au cours de cet incident. Vos sensations de nœud
à l’estomac, d’oppression dans la poitrine, vos sentiments de peur, de honte
ou d’impuissance sont touts directement reliés à cet événement. Les deux
exercices qui suivent peuvent vous permettre d’identifier en vous certaines
expériences qui provoquent aujourd’hui vos difficultés.
Nous explorerons différents domaines de la vie au cours de chaque
chapitre. Donc, si vous voulez garder une trace de ce que vous trouverez,
prenez un carnet pour noter par écrit vos réactions.

COMMENCER PAR DES ÉVÉNEMENTS RÉCENTS

Comme dans n’importe quelle autre forme de thérapie, en EMDR, on


demande au patient d’identifier les circonstances du présent qui le
perturbent. Si la personne doit simplement recueillir des informations ou
déterminer quelle succession d’étapes il lui faut suivre pour résoudre une
situation difficile pour elle, sa perturbation va rapidement disparaître. Dans
beaucoup de cas, dans les séances de thérapie comme dans la vie, le
traitement peut se produire spontanément, par une lecture ou une
conversation, suite auxquelles on fait les connexions appropriées. C’est
comme cela qu’on apprend : en reliant des réseaux mémoriels.
Mais si les symptômes ne cèdent pas de cette façon, il faut en général
un traitement plus directif. Comme la façon dont les souvenirs non traités
sont enregistrés ne permet pas l’apprentissage, il est important de savoir
reconnaître s’ils sont impliqués. Donc, quand vous pensez à des incidents
qui vous ont récemment perturbé, y en a-t-il qui peuvent être gérés en
rassemblant des informations supplémentaires, ou en faisant une action
particulière qui va éliminer la perturbation ? Ou bien la réaction perturbée
que vous avez est-elle le plus récent exemple d’une longue liste de réactions
similaires ?
Les raisons que vous donnez à votre réaction peuvent sembler pleines
de bon sens : « Je suis toujours extrêmement en colère, au travail, si
quelqu’un est incompétent. Tout le monde doit faire son boulot
correctement. C’est ce que je fais, moi, en tout cas ! » Mais vous vous
rendez compte que ces situations se produisent tout le temps dans votre vie ;
et si vous regardez autour de vous, au travail, vous voyez que vos collègues
ne se montrent pas aussi en colère que vous. Pourquoi donc ? Un de mes
patients, informaticien, a pris conscience que c’était en raison de ce qu’il
avait vécu pendant la guerre du Vietnam : à l’époque, l’incompétence de
quelqu’un signifiait la mort pour d’autres. Au cours du retraitement, il s’est
dit : « Personne ne va mourir. Ce sont simplement des ordinateurs. On ne
risque pas de faire quelque chose d’irréparable. » Avec un autre patient, on
a vu que la source de sa colère provenait d’une humiliation qu’il avait subie
en classe, quand un copain sur lequel il comptait avait fait de travers un
devoir qu’ils devaient rendre à deux.
Si vous repérez quelque chose qui vous a ennuyé récemment, et que
cela s’accompagne d’une perturbation importante, cherchons le souvenir
source. Comme vos perceptions présentes sont connectées à un réseau
mémoriel, si celui-ci contient une expérience non traitée, il peut faire
remonter en vous des émotions et des sensations physiques d’autrefois, et
tout ce que vous ressentez va déformer votre perception du moment présent.
Dans ces cas, la situation présente déclenche la perturbation ancienne. Pour
garder systématiquement trace de ce que vous trouvez, inscrivez sur la
première page de votre carnet de notes « Liste de base », puis faites deux
colonnes au-dessous. Appelez la colonne de gauche « Événements récents »
et la seconde « Souvenirs ».
Pour commencer, identifiez une situation qui vous a perturbé
récemment ou qui vous soucie encore. Cela peut être une situation où vous
savez que vous avez réagi excessivement, mais où vous êtes néanmoins
toujours dans l’émotion. Dans certains cas, vous vous dites peut-être que
c’était justifié ; dans d’autres cas, vous avez pu penser qu’un problème
allait se produire si vous faisiez quelque chose, ou au contraire ne le faisiez
pas. Sur l’échelle SUD, où le 0 est calme et 10 la pire perturbation que vous
puissiez imaginer, cette émotion récente doit être au moins à 6. Sur la
première page de votre carnet de notes, sous le titre « Événements récents »,
décrivez en une phrase courte ce qui s’est passé : quelques mots pour vous
rappeler plus tard de quoi il s’agissait.

LE SCAN D’AFFECT

Maintenant, suivez les instructions ci-après tout en vous concentrant


sur l’événement qui vous a perturbé. Pensez à utiliser la technique du
changement de respiration ou le lieu sûr/calme quand vous aurez fini.
Avancez point par point, en faisant bien les dix étapes. Cette technique est
appelée « scan d’affect », parce qu’elle se centre avant tout sur l’émotion
(l’affect) et la sensation physique que vous ressentez. Si cette technique ne
donne rien, ne vous inquiétez pas. Nous utiliserons d’autres techniques
d’accès aux souvenirs décrites plus loin.
Lisez les étapes 1 à 5 une fois avant de commencer, et voyez si vous
avez besoin de noter par écrit l’une ou l’autre des réponses pour que cela
vous soit plus facile.

1. Quand vous pensez à cet incident, quelle est la partie qui


vous perturbe le plus ?
2. Quelle est l’image du souvenir qui représente cette partie la
plus perturbante ? Par exemple, l’apparence de la personne,
ce qu’elle a dit, le moment où elle est partie. Si aucune
image ne représente l’incident, ou si vous avez seulement
redouté l’apparition d’un problème, pensez simplement à la
partie la plus difficile.
3. Quand vous gardez à l’esprit l’image/l’incident, quelle
émotion vous vient ?
4. Où la sentez-vous dans votre corps ?
5. Quelle pensée négative l’accompagne ?
6. Maintenant, gardez ensemble l’image et la pensée négative,
et observez les sensations physiques dans votre corps.
7. En vous centrant sur les émotions, laissez votre esprit
retourner à votre enfance, et remarquez le premier souvenir
qui vous revient, où vous ressentiez la même chose.
8. Sur l’échelle SUD de 0 à 10, à combien est cet ancien
souvenir pour vous aujourd’hui ?
9. Si vous sentez votre corps aller plus mal et si le SUD est à 3
ou plus, ce souvenir ancien n’a probablement pas été traité
complètement. Si c’est le cas, trouvez quelques mots qui
vous serviront de repère pour identifier ce souvenir
d’enfance (par exemple perdu dans le grand magasin, giflé
en colonie de vacances, ignoré par mes parents, seul dans
l’appartement, pris à voler en classe…)
10. Écrivez le souvenir en face de l’événement récent, en y
ajoutant l’âge que vous aviez, dans la colonne « Souvenirs »,
avec son score SUD.

REVENIR AU CALME

Veillez à utiliser la technique du changement de respiration ou le lieu


sûr/calme pour vous ramener au calme. Si l’image d’enfance est trop
perturbante, imaginez-la à la surface d’un pot de peinture et mélangez la
peinture. La technique du pot de peinture peut vous aider à chasser l’image,
comme celle du personnage de dessin animé peut vous aider à faire face aux
phrases intérieures négatives. C’est une bonne façon de prendre une pause,
et d’accéder plus facilement au lieu sûr/calme.
Si l’exercice a fonctionné pour vous et si vous avez identifié un
souvenir ancien qui provoque encore en vous une perturbation, c’est
probablement lui qui a ouvert la voie à vos réactions actuelles. Le seul fait
de le savoir peut vous aider à comprendre ce qui vous fait agir
involontairement. En outre, le fait de savoir que vos réactions du présent
sont déterminées par le passé peut vous donner la distance nécessaire pour
gérer les émotions négatives quand elles apparaissent. Quand vous prenez
conscience que vous êtes ainsi activé, vous pouvez vous ramener au calme
avec certaines des techniques que nous avons déjà apprises, et avec d’autres
que nous allons apprendre dans les chapitres à venir.
La section suivante vous aidera à comprendre encore davantage vos
réactions. Vous serez alors mieux à même de repérer leur origine chaque
fois que vous les trouverez excessives. L’objectif est d’avoir davantage de
choix dans votre façon de ressentir, au lieu d’être mené inconsciemment par
des émotions que vous ne maîtrisez pas.

Les cognitions négatives

Servons-nous d’un exemple pour expliquer la partie suivante du


processus :
Jonathan avait des difficultés dans son travail. Il s’était fixé des
objectifs très modestes dans sa vie, car il s’attendait sans cesse à échouer. Il
avait souvent des crises de colère et de rage, chez lui et au travail. Cela
mettait en danger tant son couple que sa carrière.
En EMDR, on parle de cognitions négatives, qui sont des sortes
particulières de croyances négatives. Dans d’autres formes de thérapie, on
mettrait en cause les croyances de Jonathan en le questionnant, en lui
faisant faire des exercices écrits et en lui présentant des suggestions pour lui
permettre de voir autrement ses croyances. En EMDR, on identifie les
croyances négatives pour accéder aux souvenirs à traiter, et pour les activer.
Ces cognitions négatives sont la traduction verbale des émotions et des
pensées qui font partie des souvenirs non traités. Quand Jonathan pensait au
dernier incident survenu sur son lieu de travail, sa cognition négative était :
« Je suis un raté. »
Jonathan et son thérapeute EMDR utilisèrent la technique du pont
d’affect (floatback en anglais), que nous allons apprendre dans ce chapitre,
pour repérer le souvenir à la source de sa difficulté. Ce souvenir source
montrait son père en train de le battre, sans raison, quand il avait 4 ans. Le
père l’avait battu ainsi jusqu’à ses 16 ans. Il apparut que Jonathan était
activé quand les gens en face de lui avaient un ton ou une expression
analogues à ceux qu’il avait vus chez son père pendant toute son enfance.
Le ton qu’employaient parfois certaines personnes, au travail et chez lui, se
connectait à ses vieux souvenirs et ramenait des sentiments anciens
d’incompétence, de colère et de douleur – et il laissait alors libre cours à sa
colère. Après le retraitement du souvenir, ses crises de rage disparurent. Les
tons de voix autrefois insupportables ne l’activaient plus, et ses impressions
d’être un raté disparurent aussi et furent remplacées par la croyance positive
« Je suis capable de réussir ».

EXPLORATION PERSONNELLE

Pour identifier les cognitions négatives qui provoquent vos réactions,


revenez à l’événement perturbant récent avec lequel vous avez commencé,
plus haut dans ce chapitre. Une cognition négative va correspondre à
l’incident – ainsi qu’à l’événement de votre enfance – qui a provoqué votre
réaction négative. Vous pouvez la trouver tout seul, ou vous servir de la liste
de cognitions négatives ci-après. La cognition négative n’est pas une
description : donc, si vous êtes furieux contre des collègues qui font du
mauvais travail, ce ne serait pas « je suis en colère » ou « il est
incompétent », mais en général quelque chose comme « je me sens
impuissant », parce que la cognition négative décrit ce que vous ressentez
par rapport à vous-même dans la situation.
La même chose s’applique aux événements de l’enfance : « Papa était
violent » n’est pas une cognition négative. Cela peut être la description d’un
fait, comme chez Jonathan. « Maman ne m’aimait pas » n’est pas non plus
une cognition négative : cela peut être aussi la description d’un fait. Mais, si
c’est vrai, quelle opinion ce fait vous donne-t-il de vous-même ? Peut-être
« Je ne vaux rien », ou « Je ne suis pas digne d’être aimé » ; ces deux
phrases sont des cognitions négatives. De même, si une victime de viol dit
en thérapie : « J’étais en danger », c’est vrai et ce n’est pas une cognition
irrationnelle. Mais si le souvenir du viol n’est pas traité et qu’elle y pense,
les émotions qui remontent contiendront l’impression qu’elle est encore en
danger dans le présent : « Je suis en danger » est une croyance irrationnelle,
parce qu’elle est en sécurité dans le présent, dans le cabinet du thérapeute.
C’était une bonne évaluation dans le passé, mais la question est : comment
se sent-elle maintenant ? Après un traitement réussi du souvenir, ramener la
pensée du viol ne doit pas faire surgir la pensée « Je ne suis pas en
sécurité ». Mais la cognition négative irrationnelle traduit en mots ce que la
personne ressent maintenant, dans le présent, et ces mots sont un symptôme
qui exprime les informations enregistrées. Nous nous servons donc des
cognitions négatives que nous ressentons dans le présent pour identifier les
souvenirs non traités qui les alimentent. Si vous avez trouvé la cognition
négative qui va avec l’événement récent que vous avez noté dans votre
carnet de notes, inscrivez-la en dessous de celui-ci, dans la même colonne.
La même cognition négative doit aussi aller avec le souvenir dans la
colonne voisine. Par exemple, dans le cas de Jonathan, ce qu’il noterait
ressemblerait à ceci :

ÉVÉNEMENTS RÉCENTS SOUVENIRS


Je crie sur Pierre au travail 4 ans. Battu par mon père
« Je suis un raté » (SUD à 8)

Identifier les cognitions négatives

Dans l’exercice qui suit, vous allez rencontrer des croyances qui sont
peut-être les vôtres. Nous avons bien des façons de mettre en mots notre
perturbation, mais les formulations relèvent en général de trois catégories :

⧫ La responsabilité (je ne suis pas quelqu’un de bien ou j’ai fait


quelque chose de mal)
⧫ Le manque de sécurité
⧫ Le manque de contrôle/de pouvoir

Quand je vous demanderai de regarder la liste des cognitions (pages


suivantes), vous verrez un certain nombre de phrases différentes ; elles
traduisent en mots les cognitions négatives qui tombent dans ces trois
catégories. Par exemple, sous la rubrique « responsabilité » figure une liste
des façons dont on peut sentir qu’on a un « défaut », qu’on est
« défaillant » : « Je ne suis pas digne d’être aimé », « Je ne suis pas assez
bien », etc. Même si nous savons que ces cognitions négatives ne sont pas
vraies, elles mettent en mots ce que nous ressentons – et en définitive, ce
qui contrôle notre vie, dans toutes les circonstances, c’est bien le sentiment
qu’on a de soi-même.
Essayons : laissez votre esprit repartir en arrière, et identifiez le
premier souvenir négatif de votre vie. Comme vous étiez enfant, ce
souvenir est probablement en rapport avec l’idée de se sentir impuissant,
pas assez bien, ou en danger. Ou un mélange des trois. Examinez ce
souvenir : dans laquelle des trois catégories va-t-il le mieux ? Ne pas être à
la hauteur ? Ne pas être en sécurité ? Ne pas maîtriser les choses ? Il serait
peut-être intéressant de regarder si les mêmes sentiments vont avec
certaines des situations actuelles où vous réagissez de façon excessive.
Dans la liste ci-dessous, vous trouverez, rangés dans chacune des trois
catégories, ces sentiments mis en mots. Cela vous aidera à mieux vous
comprendre et à repérer les souvenirs qui provoquent ces émotions
négatives.
En parcourant cette liste, souvenez-vous que les cognitions négatives
décrivent les sentiments que nous éprouvons dans les pires moments de
notre vie. En général, ils ont commencé dans l’enfance, au temps où nous
n’avions pas le moindre choix. Parfois, ils sont apparus parce que les autres
ont été cruels ou insensibles envers nous. Ou encore à cause d’un
malentendu complet, comme ce petit garçon qui ne voulait plus mettre ses
chaussures parce qu’il en avait peur : le thérapeute a découvert que, lors du
décès de sa grand-mère, ses parents lui avaient dit que « son âme (soul) était
montée au ciel ». Et ce petit garçon avait peur que la semelle (sole) de ses
chaussures ne le fasse disparaître, lui aussi…
COGNITIONS NÉGATIVES COGNITIONS POSITIVES

Responsabilité : je ne suis pas à la hauteur


Je ne mérite pas qu’on m’aime Je mérite d’être aimé,
je peux recevoir de l’amour
Je suis mauvais Je suis quelqu’un de bien
Je suis insupportable Je suis bien comme je suis
Je ne vaux rien Je suis quelqu’un de valable
J’ai honte de moi Je suis honorable
Je ne peux pas être aimé Je suis digne d’être aimé
Je ne suis pas assez bien Je suis bien comme je suis,
je suis OK
Je ne mérite rien de bien Je mérite d’avoir de bonnes choses
Je suis irrémédiablement abîmé Je suis (je peux être) en bonne santé
Je suis laid (mon corps est haïssable) Je suis plaisant (attirant/digne d’amour)
Je ne mérite pas… Je peux avoir…
(je mérite d’avoir…)
Je suis bête (pas assez intelligent) Je suis intelligent
(je peux apprendre)
Je ne suis pas important Je suis important
Je suis décevant Je suis bien comme je suis
Je mérite de mourir Je mérite de vivre
Je mérite une vie misérable Je mérite une vie heureuse
Je ne suis pas comme les autres (pas à ma place) Je suis comme je suis
et c’est bien

Manque de sécurité/vulnérabilité
Je ne peux faire confianceà personne Je peux choisir à qui je fais confiance
Je suis en danger C’est fini ; je suis en sécurité maintenant
Je ne suis pas en sécurité Je suis en sécurité maintenant
C’est dangereux de ressentir et de montrer ses Je peux sans danger ressentir et montrer mes
émotions émotions

Manque de contrôle/de pouvoir


Je ne contrôle rien J’ai le contrôle
Je suis impuissant Maintenant, j’ai des choix possibles
Je ne peux pas avoir ce qu’il me faut Je peux avoir ce qui m’est nécessaire
Je ne peux pas demander Je peux manifester mes besoins
Je ne peux pas le dire Je peux choisir de le dire
Je ne peux pas me faire confiance Je peux (apprendre à) me faire confiance
Je suis un raté (je vais rater) Je peux réussir
Je ne peux pas réussir Je suis capable de réussir
Je dois être parfait Je peux être moi-même (et me tromper)
Je ne peux pas m’en charger Je peux m’en occuper
Je ne peux faire confiance à personne Je peux choisir à qui je fais confiance

Pour commencer, pensez aux trois dernières choses qui vous ont
perturbé récemment – ou qui vous ont perturbé le plus dans l’année
écoulée –, particulièrement celles qui vous ont fait réagir excessivement.
Inscrivez-les dans la colonne « Événements récents », en laissant quelques
lignes après chacune. Puis regardez la liste des cognitions négatives :
gardez le premier des trois incidents à l’esprit, cherchez la cognition
négative qui lui correspond le mieux, puis inscrivez-la sous l’incident. Par
exemple, si vous avez l’impression, la croyance, que « c’est ma faute,
j’aurais dû agir autrement », posez-vous cette question : « Qu’est-ce que
cela dit de moi ? » Cela vous fait-il penser que vous avez honte de vous-
même, que vous êtes stupide, que vous êtes quelqu’un de mauvais ?
Choisissez la cognition négative qui va le mieux et inscrivez-la sous
l’événement récent. Si vous n’arrivez pas à en trouver une, laissez l’espace
vide pour le moment.
Vous le voyez, j’ai mis aussi une colonne de cognitions positives qui
contredisent les premières. Elles représentent la façon dont vous vous
sentiriez si vous aviez reçu un message différent dans votre enfance, ou
dans une situation particulière : vous ne vous sentiriez pas « défaillant »,
mais « à la hauteur ». Ici encore, il ne s’agit pas de reproches : cela vous
donne simplement une idée des possibilités à venir.
En traduisant ses sentiments par les mots d’une cognition négative, on
obtient des informations sur ses propres processus inconscients et sur les
souvenirs qui dirigent sa vie. On n’a plus seulement « une impression », on
voit que des types particuliers de pensées et de croyances l’accompagnent.
Il n’y a pas lieu de se reprocher d’avoir cette cognition négative : c’est
simplement un symptôme des souvenirs emmagasinés qui déclenchent la
réaction. Voyons à présent combien de ces situations récentes qui vous ont
perturbé contenaient la même émotion et la même cognition. Quand vous
aurez identifié la cognition négative qui accompagne le premier incident,
passez à chacun des suivants et faites la même chose. Écrivez une courte
phrase qui décrit l’événement et inscrivez en dessous une des cognitions
négatives qui exprime le mieux la façon dont vous vous sentiez à ce
moment. Si vous n’arrivez pas à en trouver une pour l’un ou l’autre des
événements récents, laissez un blanc pour le moment.
Maintenant prenez une minute pour examiner ce que vous avez trouvé.
Les trois événements ont-ils la même cognition négative ? Ou bien les
cognitions sont-elles différentes, mais dans la même catégorie de
« Responsabilité », de « Sécurité » ou de « Contrôle » ? Ou sont-elles dans
des catégories différentes ?

Identifier les souvenirs

Si vous avez envie de savoir d’où viennent vos réactions négatives,


nous pouvons essayer un autre exercice dont nous nous servons en thérapie
EMDR : la technique du pont d’affect. Elle ajoute au scan d’affect une
composante qui peut souvent faire remonter des souvenirs supplémentaires.
Si vous vous servez des cognitions négatives pour accéder au souvenir, le
pont d’affect peut aussi vous donner une meilleure idée de ce qui agit en
coulisses dans votre vie. Rappelez-vous que cela reste plus facile à faire
avec l’aide d’un thérapeute, mais cet exercice ouvre la voie à une
exploration personnelle, si vous savez que votre lieu sûr/calme et votre
technique du changement de respiration sont suffisants pour calmer la
perturbation. Si c’est le cas, choisissez l’un des incidents récents que vous
avez identifiés, et suivez pas à pas les instructions ci-après ; veillez à vous
arrêter après avoir identifié le souvenir et à utiliser les deux techniques ci-
dessus pour revenir au calme. Puis inscrivez le souvenir source que vous
avez trouvé dans la colonne « Souvenirs ».
Voici un court exemple :
Sandra, dans le cadre de son travail, était amenée à prendre la parole
devant de grands auditoires. Mais son anxiété était telle qu’elle essayait de
« s’y préparer » en buvant d’abord quelques verres de vin. Elle identifia la
cognition négative « Je ne suis pas assez bien ». La technique du pont
d’affect fit émerger un souvenir : en CM1, son institutrice avait sélectionné
quelques enfants pour les présenter à la maîtresse qu’elles auraient l’année
suivante. Elle demanda à Sandra de se mettre debout, et dit alors à l’autre
maîtresse : « Celle-ci, c’est un cas. »

ÉVÉNEMENTS RÉCENTS SOUVENIRS


Conférence à Houston 10 ans. Mme Alpert dit de moi : « C’est un cas »
Je ne suis pas assez bien (SUD à 7)

Ici non plus les reproches ne sont pas de mise : si rien ne vient, ne
forcez pas. Si rien ne vient facilement pour un incident récent, essayez avec
un autre. Pour certaines personnes, l’assistance d’un thérapeute sera
nécessaire pour guider le processus. Chez d’autres, il peut y avoir de
nombreux souvenirs qui sont tous reliés par la même émotion. Ne vous
souciez donc pas de leur nombre. Notez par écrit, avec des mots clés, le
plus ancien et celui qui vous perturbe le plus. Utilisez la technique du
changement de respiration et du lieu sûr/calme pour revenir intérieurement
au calme.
La technique du pont d’affect

1. En rassemblant la cognition négative et l’incident récent


dans votre esprit, quelles sont les sensations corporelles qui
apparaissent ? Où se situent-elles dans votre corps ?
2. En pensant à l’incident récent et à votre cognition négative,
observez les sensations dans votre corps, et laissez votre
esprit repartir vers votre enfance. Quel souvenir vous
revient, au cours duquel vous vous sentiez déjà ainsi ? Si
quelque chose vous revient immédiatement, notez-le dans la
colonne « Souvenirs », avec l’âge que vous aviez et le
niveau de SUD que le souvenir éveille en vous.
3. Avec des mots clés, dressez la liste des souvenirs les plus
anciens et de ceux qui ont le niveau de SUD le plus élevé.
4. Inscrivez-les dans la colonne « Souvenirs », face à l’incident
récent.

Si vous n’arrivez à trouver de cognition négative adaptée pour aucun


des incidents, retournez en arrière et utilisez la technique du scan d’affect
que nous avons décrite plus haut dans le chapitre. Si vous identifiez un
souvenir source, choisissez dans la liste des cognitions négatives celle qui
lui correspond le mieux. Quand vous pensez à cet ancien souvenir,
comment vous sentez-vous maintenant ? Il est parfois plus facile
d’identifier la cognition négative en pensant à un ancien souvenir qu’en
étant pris dans ses réactions aux situations du présent. De toute façon, une
fois que vous en aurez repéré une, vous vous rendrez souvent compte
qu’elle va à la fois avec le souvenir ancien et avec la situation du présent.
Vous pourrez alors l’inscrire dans la colonne appropriée.
Prenez maintenant quelques minutes pour examiner ce que vous avez
trouvé. Quand vous regardez les expériences anciennes que vous avez
listées dans la colonne « Souvenirs », voyez-vous la manière dont elles
alimentent vos réactions ? Ont-elles d’autres façons d’enrouler des
tentacules autour de votre vie présente ? Par exemple, vous rendez-vous
compte maintenant que les réactions que vous avez au travail ou chez vous
sont alimentées par les mêmes émotions que dans votre enfance – ou s’agit-
il au contraire d’événements différents pour chacune de ces réactions ?

Et maintenant ?

Dans les chapitres qui viennent, nous ferons d’autres exercices et nous
explorerons d’autres situations, mais pour ceux d’entre vous qui ont pu
identifier des souvenirs, c’est un bon début. Pour ceux qui n’ont pas réussi à
le faire, les choses deviendront peut-être plus faciles lorsque nous
expliquerons différents aspects des réseaux mémoriels. Ici encore,
souvenez-vous que certaines personnes ont plus besoin d’assistance que
d’autres en raison de traits particuliers qui se sont inscrits en elles pendant
leur enfance. Il n’y a pas de reproche ici non plus, ce sont simplement des
informations. Si vous n’avez pas identifié de souvenir, mais que vous avez
identifié des cognitions négatives, cela signifie que vous allez pouvoir
commencer à repérer les moments où les émotions qui les accompagnent se
trouvent activées dans le présent. Nous ferons également quelques autres
exercices qui fonctionneront peut-être mieux pour vous.
Tout seuls ou avec l’aide d’un psychothérapeute, les gens identifient en
général de dix à vingt souvenirs qui leur posent problème dans le présent.
Ces souvenirs causent en général une réaction physique : si vous fermez les
yeux tout en songeant au souvenir, vous sentirez votre corps réagir et/ou
vous vous rappellerez les pensées et les souvenirs que vous avez eus sur le
moment. Ces souvenirs ne sont pas entièrement traités. Chacun d’entre eux
peut porter directement atteinte à votre bien-être dans le présent. Certains
ont contribué à former votre personnalité. D’autres peuvent vous faire du
mal chaque fois qu’ils sont activés.
Si de nombreux souvenirs peuvent causer des réactions physiques, les
expériences présentant des analogies sont généralement connectées à
l’intérieur du même réseau mémoriel. Des traumatismes majeurs peuvent se
produire à n’importe quel âge, et rester non traités. En dehors de ceux-là,
nos souvenirs les plus anciens ou les plus perturbants sont la clé de nos
difficultés actuelles. Si ces souvenirs sources sont traités, de nombreux
autres, associés dans le même réseau, se modifieront automatiquement en
même temps. Une fois les souvenirs stockés de façon appropriée, les
émotions, les pensées et les sensations physiques anciennes qui nous
perturbaient n’apparaissent plus. À la place, il peut apparaître
automatiquement des émotions et des pensées positives allant avec les
cognitions « je suis quelqu’un de bien » et « j’ai le choix ».
Il y a bien des manières de gérer ses réactions négatives. On peut par
exemple pratiquer l’autosurveillance et utiliser diverses techniques de
maîtrise de soi pour gérer la perturbation au moment où elle apparaît.
Maintenant que les exercices vous ont montré la façon dont les souvenirs
précoces sont reliés à certaines de vos croyances et de vos réactions
négatives actuelles, vous pouvez commencer à voir les schémas qui vous
contrôlent. Cela signifie que vous pouvez aussi être plus sensible à vos
réactions, et peut-être vous dire : « Ça, c’est bien moi ! », au lieu de vous
laisser envahir par l’émotion. Si vous vous sentez en colère, effrayé, triste,
en insécurité, etc., vous pouvez utiliser la technique du changement de
respiration et celle du lieu sûr/calme. Si vous vous trouvez face à des
critiques intérieures, vous pouvez utiliser la technique du personnage de
dessin animé. Si vous avez dans la tête une image qui vous obsède, vous
pouvez utiliser la technique du pot de peinture et mélanger l’image pour
qu’elle disparaisse, ou vous servir de la technique du tuyau d’arrosage ou de
l’effaceur pour la gommer. Ces techniques, et d’autres que nous
apprendrons plus loin dans le livre, vous aideront à changer d’état d’esprit
et d’émotion. On fait de bien meilleurs choix à partir d’un état de sécurité et
de calme, qu’à partir d’un état de colère ou d’insécurité.

LE JOURNAL DES DICES

L’un des objectifs de l’EMDR est de traiter les souvenirs qui


provoquent les difficultés du présent ; nous demandons donc à nos patients
de repérer les situations qui déclenchent en eux la perturbation. La tenue
quotidienne d’un journal des DICES est une façon pratique de le faire ;
vous pouvez commencer à vous en servir pour surveiller vos réactions.
Prenez une nouvelle page de votre carnet de notes, et tracez cinq colonnes.
Mettez la lettre D en haut de la première colonne, la lettre I en haut de la
seconde, etc. Dans chaque colonne, vous mettrez seulement quelques mots,
pour décrire vos réactions dans les situations du présent qui vous
perturbent.

D signifie Déclencheurs. Nous le savons, la situation présente se connecte à votre réseau mémoriel.
Si vous réagissez trop fort, c’est généralement parce que la situation déclenche un souvenir non
traité. Que s’est-il passé ? Était-ce une dispute dans la famille, un regard, un geste, un mot par
lequel vous vous êtes senti insulté ou rejeté, un collègue difficile ? Mettez quelques mots pour
vous rappeler ce qui s’est passé.
I veut dire Images. Quand vous pensez à cet événement maintenant, quelle image vous vient à
l’esprit ? Pour la plupart, ce sera la partie la pire de l’incident. C’est la partie qui vous perturbe
vraiment, celle qui vous fait rougir d’embarras, vous met en colère, vous attriste, etc.
C signifie Cognitions. Choisissez dans votre liste la cognition négative qui va le mieux avec vos
sentiments quand vous pensez à l’incident.
E signifie Émotions. Quelle(s) émotion(s) ressentez-vous en pensant à l’incident ?
S signifie Sensations et SUD. Où le sentez-vous dans votre corps, et quel est votre niveau de SUD ?

Une fois que vous avez noté vos réactions, veillez à utiliser la
technique du changement de respiration ou le lieu sûr/calme pour vous
ramener au calme.
Rappelez-vous que toutes les expériences ne viennent pas de l’enfance.
Les grands traumatismes peuvent avoir un impact à tout âge. Par exemple,
Derek, ancien combattant d’Irak, a utilisé en thérapie son journal des
DICES pour identifier les situations qui le faisaient souffrir et pour repérer
les réactions excessives : à son retour de la guerre, il avait découvert qu’il
se mettait en colère chaque fois que son petit garçon pleurait ; s’il l’avait
dans les bras à ce moment, il donnait l’enfant à sa femme. La cognition
négative était « je ne peux pas gérer ça ». Voici comment cela se présentait
dans son journal des DICES :

D I C E S
Le bébé pleure Les larmes sur son Je ne peux pas gérer Tristesse et Poitrine/ventre SUD
visage ça honte à8

Après avoir examiné le journal des DICES de Derek, ils utilisèrent la


technique du pont d’affect. Elle montra que le problème remontait à un
incident survenu pendant la guerre : dans un moment où les combats étaient
dans une impasse, une femme était retenue en otage. Lors de la reprise des
tirs, elle avait été tuée et son petit garçon était sorti en pleurs en appelant sa
mère. Il aurait été impossible, de toute façon, d’empêcher la reprise des
combats, mais cet incident avait naturellement bouleversé tout le peloton.
Pour Derek, cette perturbation émotionnelle datant de la guerre était restée
bloquée dans ce souvenir non traité, et elle se trouvait déclenchée dans le
présent par la détresse de son petit garçon. Le souvenir traité, Derek ne
réagit plus excessivement aux pleurs de son bébé et put profiter de tous ses
moments avec lui.
Que la difficulté apparaisse au travail ou chez soi, envers des amis ou
des étrangers au-dehors, une réaction excessive est généralement causée par
un souvenir non traité. Si vous vous servez du journal des DICES, vous
pouvez trouver les informations de plusieurs façons :

1. Vous pouvez utiliser vos réponses pour identifier le souvenir


qui amène cette réaction en utilisant le pont d’affect ou le
scan d’affect : écrivez alors l’événement récent, la cognition
négative et le souvenir (avec votre âge du moment et le
SUD) dans la colonne appropriée dans votre liste de base. Si
c’est un souvenir que vous aviez déjà identifié, accolez-lui
une étoile. Cela vous aidera à repérer les souvenirs qui
jouent un rôle particulièrement actif dans votre vie. Je vous
montrerai dans les chapitres suivants des façons différentes
d’organiser votre liste d’événements sources.
2. Vous pouvez aussi noter le nombre de fois où vous avez
réagi négativement à différentes situations et voir si celles-ci
semblent se rassembler autour de certaines émotions et
cognitions négatives.
3. Vous voyez que vos réactions ne sont pas mystérieuses. Elles
n’ont pas lieu par hasard. Ce sont des réactions précises, face
à certains types de situations qui déclenchent en vous des
souvenirs non traités, et qui provoquent en retour les
pensées, les émotions et les réactions physiques qui vous
perturbent.

Vous vous sentez peut-être toujours effrayé, triste, furieux, en danger


ou impuissant – mais maintenant vous savez pourquoi vous réagissez ainsi.
Vous pouvez observer vos réactions et travailler à les modifier. L’utilisation
quotidienne du journal des DICES vous donnera l’occasion de revoir la
journée écoulée et de préciser les points sur lesquels vous voulez travailler.
Avez-vous des réactions négatives de temps en temps, ou souvent ? Se
produisent-elles avec une seule personne, ou avec plusieurs ? Surtout quand
vous êtes en famille ? Ou au travail ? Avec certains amis, certaines
connaissances, des inconnus ? Ou bien quand vous êtes seul ?
Les réactions que vous notez dans le journal des DICES vous
permettront d’avoir davantage conscience non seulement de vous-même,
mais aussi du type de vécus et de souvenirs qui agissent à votre insu dans
votre vie. De cette façon, vous pourrez vous préparer avant d’aller affronter
réellement ces situations ; vous parviendrez mieux à rester vigilant et à
utiliser vos techniques d’autocontrôle pour maîtriser vos réactions négatives
et les rendre plus adaptées. Nous apprendrons d’autres techniques de cet
ordre au fil de l’ouvrage.
Vos expériences avec ces méthodes vous aideront aussi à déterminer si
l’assistance d’un thérapeute vous serait utile. Certains souvenirs sont plus
douloureux que d’autres. Il ne suffit pas toujours d’être vigilant envers soi-
même et déterminé. Il arrive que les émotions négatives soient trop
puissantes pour qu’on puisse les éviter. Si vous êtes sans cesse déclenché
par les mêmes choses, probablement l’assistance d’un thérapeute formé
vous serait-elle utile pour traiter vos souvenirs. Vous trouverez dans
l’annexe B des recommandations pour en choisir un. Au fond, c’est la
même chose que pour n’importe quel problème physique : votre cerveau
n’est pas différent du reste de votre corps. Vous iriez voir un médecin pour
faire soigner un bras cassé – et puis le processus naturel prendrait le relais ;
mais sans aide pour aligner d’abord les os de votre bras, cela ne marcherait
pas. Il en est de même de vos souvenirs et du système de traitement de
l’information de votre cerveau.
Dans les chapitres qui suivent, nous identifierons d’autres souvenirs
qui vous influencent. Nous explorerons aussi divers domaines dans lesquels
des millions de personnes, dans le monde entier, sont en difficulté. Si
certaines descriptions vous parlent, cela vous fournira plus d’informations
sur ce qui agit à votre insu, dans votre vie, envers vous-même et les autres :
ceux que vous aimez, ceux que vous aimez bien, et les autres.
CHAPITRE 5

Le paysage caché

Dans ce chapitre, nous allons commencer à examiner plus en


profondeur des difficultés dans lesquelles on se débat très souvent. Je
donnerai des exemples tirés de la vie réelle, pour montrer les processus et
les courants souterrains qui expliquent pourquoi on développe une
mauvaise opinion de soi-même. Nous explorerons aussi les raisons pour
lesquelles beaucoup de gens ne parviennent pas à trouver de satisfaction et
de bien-être dans leur vie.
Nous allons commencer par le début : on considère en général que
l’amour des parents est un tremplin pour toutes les créatures vivantes. Nous
sommes par nature programmés pour la survie de notre espèce : nous
nourrissons nos bébés et nous les protégeons. C’est à travers l’amour de nos
parents que nous apprenons à connaître le monde et que nous découvrons
que nous sommes capables d’atteindre nos objectifs. C’est en étant aimés
que nous apprenons à aimer en retour. Sauf que ça ne marche pas toujours
comme ça.
Voici une situation, plus courante que vous ne pourriez le croire :
Lucile attendait son premier bébé. Bien qu’elle fût la troisième et la
dernière de sa fratrie, elle était la première à attendre un enfant. Tout le
monde, dans la famille, était ravi et attendait avec impatience ce grand
événement. Mais Lucile n’avait qu’une hâte : en finir avec cette grossesse.
Juste au moment où elle avait appris qu’elle était enceinte, son mari avait
dû changer de région pour des raisons professionnelles, ce qui les avait
obligés à déménager loin de leurs amis et de leurs familles. Pour ne rien
arranger, elle avait eu une grossesse très difficile, avec des nausées et des
vomissements plusieurs fois par jour pendant la majeure partie de la
grossesse. L’accouchement ne fut pas plus facile : le travail fut long et
douloureux, et se termina par une césarienne en urgence. Quand elle se
réveilla de l’anesthésie, elle demanda à voir son bébé. Les infirmières lui
répondirent qu’elle devait attendre le lendemain matin. Mais lorsqu’on lui
amena enfin sa petite fille et qu’on la lui plaça dans les bras, Lucile la
regarda et se dit : « Il y a quelque chose qui ne va pas. Je ne ressens rien. »
Lucile voulait aimer sa petite Amy, mais elle en était incapable. Elle
avait envie de faire de son mieux pour sa fille, mais ne se sentait pas en lien
avec elle. Au lieu de cela, elle se sentait très mal physiquement et
complètement déprimée. En fait, elle se sentait terriblement coupable de ne
pas éprouver de sentiments d’amour pour son bébé. Pourtant, ce n’était ni la
faute de Lucile ni celle d’Amy. Les souvenirs non traités de la grossesse et
de l’accouchement étaient emmagasinés dans le cerveau de Lucile, et ses
émotions et ses sensations physiques négatives étaient continuellement
déclenchées par la présence d’Amy.
Lucile essaya les antidépresseurs et des entretiens psychologiques,
mais cela ne modifia pas son attitude envers son bébé. Même si elle
nourrissait et portait Amy, même si elle lui donnait un biberon quand elle
pleurait ou la changeait quand elle était mouillée, Lucile n’éprouvait pas
d’amour ni d’intérêt pour l’enfant. Au contraire, ses émotions allaient de la
tristesse à la colère, en passant par l’angoisse. Lucile communiquait son
désarroi à Amy, à travers sa façon de la porter et de s’en occuper. En retour,
sa fille devenait grognon et avait des coliques, ce qui ne fit qu’aggraver les
choses. Ce fut le début d’un ensemble de problèmes causés par le manque
de véritables sentiments d’intérêt et d’amour. Ni Amy ni Lucile n’étaient en
faute dans cette situation. Amy risquait de grandir en croyant qu’on ne
pouvait pas l’aimer, alors que ce n’était pas vrai ; elle aurait été aimée si la
situation avait été différente. Malheureusement, le système de traitement de
l’information de sa mère avait été débordé par les expériences qu’elle avait
vécues autour de la grossesse et de l’accouchement. Lucile ne pouvait pas
ressentir d’amour envers Amy, malgré son désir désespéré d’y arriver, à
cause de ces expériences négatives non traitées qui l’en empêchaient.
L’EMDR résolut les difficultés de Lucile en retraitant les souvenirs de
la grossesse et les situations du présent qui la perturbaient, et en lui
permettant de vivre les émotions heureuses qui auraient existé si la
grossesse et l’accouchement avaient été différents. Aux dires de Lucile,
après la thérapie EMDR, Amy est alors passée « du statut de corvée à celui
d’amour de ma vie ». Ce changement chez sa mère a peut-être sauvé Amy
d’une vie de chagrin et de doute de soi. Mais d’autres n’ont pas eu cette
chance. En dernière instance, la relation parents/enfants est un des éléments
de construction qui nous définissent tous.
Ici encore, je veux souligner qu’il y a parfois des facteurs génétiques
qui nous amènent, ou du moins nous prédisposent, à réagir d’une certaine
façon au monde qui nous entoure. Par exemple, certains enfants sont nés
avec une réactivité importante au stress. Cela peut représenter une difficulté
considérable pour leurs parents. Comme je l’ai dit plus haut, cet ouvrage
n’a pas pour but de distribuer les blâmes ; nous cherchons à comprendre la
condition humaine. Nous allons explorer les processus qui influencent les
relations précoces parents/enfants ; il serait utile de voir si vous en
reconnaissez certains qui sont à l’œuvre dans votre propre famille.

Lien et attachement

Peut-être ceux qui grandissent en ayant l’impression que leurs parents


ne les aiment pas ont-ils raison. Des milliers de femmes sont dans la
situation de Lucile et ne savent pas quoi faire. Ces femmes, alors que toutes
leurs amies mettent au monde leurs enfants avec joie, restent en retrait, avec
le sentiment d’être incompétentes et vides de sentiment. Des expériences
non traitées concernant une séparation physique ou émotionnelle au cours
de la grossesse, de l’accouchement, ou du post-partum (la période après la
naissance) sont généralement en cause : il peut s’agir d’une grossesse ou
d’un accouchement difficiles, d’une séparation forcée d’avec le bébé après
la naissance, et de deuils ou de difficultés émotionnelles de tous ordres, qui
ont pu débuter des années avant la naissance. On trouvera ci-dessous une
liste des causes potentielles les plus courantes.

SÉPARATION PHYSIQUE
⧫ La mère a été séparée du bébé au moment de la naissance, après
celle-ci, ou dans les mois qui ont suivi.
⧫ La mère a eu un accouchement très difficile.
⧫ Le bébé était prématuré ou malade à la naissance et/ou il a été
hospitalisé en soins intensifs ou en couveuse.
⧫ La mère était anesthésiée lors de la naissance.
⧫ La mère a été très malade après la naissance.
⧫ L’enfant a été adopté.
⧫ Une autre séparation importante a eu lieu.

SÉPARATION AFFECTIVE
⧫ La mère a souffert de problèmes émotionnels pendant la
grossesse.
⧫ La mère a souffert de problèmes émotionnels après la naissance.
⧫ Il y a eu un deuil dans la famille de la mère au cours des deux
années après la naissance.
⧫ La mère a fait une fausse couche dans les deux ans après la
naissance.
⧫ Il y a eu des difficultés conjugales graves, et/ou les parents se
sont séparés avant ou peu après la naissance.
⧫ La mère était toxicomane ou alcoolique à la naissance de son
bébé.
⧫ La mère a déménagé avant ou peu après la naissance.
⧫ Le couple a connu des problèmes financiers graves.
⧫ C’était une grossesse non désirée.
⧫ L’enfant était un jumeau ou un triplé.
⧫ Un autre événement s’est produit, qui a contrarié le lien
d’attachement.

L’important est que, pour ceux qui ont eu le sentiment que leur mère
ou leur père ne les aimait pas, cela pourrait très bien être vrai. Mais, on l’a
vu dans le chapitre précédent, sans psychothérapie, le parent pouvait être
dans l’impossibilité de faire autrement.
Le manque d’amour de Lucile pour Amy était une réaction physique et
émotionnelle automatique, fondée sur tout ce qui lui était arrivé. Imaginez
ses sentiments négatifs, avec le déménagement dans un nouvel endroit où
elle s’était sentie toute seule, loin de sa famille, avec des nausées et des
vomissements violents pendant sa grossesse, avec un travail long et
douloureux, puis une opération importante (la césarienne), et son
épuisement et ses sentiments dépressifs après la naissance du bébé. Son
système de traitement ne pouvait pas gérer autant d’éléments sans aide
extérieure. D’ailleurs, n’importe lequel de ces facteurs aurait pu suffire à
empêcher l’attachement émotionnel à son bébé.
Les pères, eux aussi, peuvent avoir les mêmes difficultés, selon leur
propre éducation et les stress qui ont entouré la naissance de leur enfant.
C’est aussi ce qui fait que certains enfants peuvent grandir avec
l’impression que leurs parents aiment leurs frères et sœurs, et pas eux. Et
cela peut être vrai, en raison des différences dans les situations entourant
leurs naissances respectives. Mais si un enfant se dit : « Papa et maman ne
m’aiment pas », cela va généralement de pair avec l’impression que : « Il y
a quelque chose qui ne va pas chez moi. » Ce n’est pas vrai, mais c’est
néanmoins encodé dans le système mnésique (la mémoire) de l’enfant. Si
tous les cas ne sont pas aussi évidents que celui de Lucile, comme nous le
verrons, il y a beaucoup de raisons qui font que les parents n’arrivent pas à
établir un lien et un contact avec leur enfant – et que cet enfant a
l’impression de ne pas être désiré et de ne pas être aimé.
Beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte dans les humeurs du
post-partum et dans la capacité à établir un lien avec l’enfant : une
naissance traumatisante, une relation difficile avec son conjoint ou sa
famille, un traumatisme d’enfance non résolu, des événements non traités
au cours de la grossesse, ou des changements physiologiques dans les
hormones maternelles. Une césarienne peut également contribuer à ces
difficultés. Comme on fait de plus en plus de césariennes, je dois souligner
le fait suivant : si ces opérations peuvent être nécessaires dans de nombreux
cas, il est utile aussi de savoir qu’on pourra avoir besoin d’aide pour se
remettre au plan psychologique aussi bien qu’au plan physique.
Par exemple, Marilyn, elle aussi, avait connu un travail long et
difficile, suivi d’une césarienne. À son réveil, elle délirait et ne se rappelait
pas vraiment les détails de la naissance ou ce qui s’était passé ensuite en
salle de réveil. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle souffrait atrocement,
qu’elle avait la nausée et qu’elle se sentait faible. Les semaines et les mois
suivants, elle eut peur que tout le traumatisme de cette naissance ait affecté
son fils, Donny. « J’étais terrifiée d’être maman, dit-elle. Il pleurait après
chaque repas et il avait beaucoup de régurgitations. Je me demandais tout le
temps ce que je pourrais faire. Ses problèmes d’alimentation venaient-ils du
traumatisme de sa naissance ? »
Cette peur n’est pas rare : les mamans qui n’ont pas établi de lien avec
leur bébé ont souvent peur, elles ne savent pas quoi faire les premières fois
qu’elles le prennent. En raison de ses souvenirs non traités, Marilyn se
sentait distante par rapport à Donny. Elle ne cessait de se surveiller. Elle
avait toujours l’impression de mal faire. Elle n’arrivait pas à le prendre dans
ses bras avec amour, elle avait peur de lui faire mal – et Donny devenait de
plus en plus difficile. Quand elle eut traité ces souvenirs en EMDR, Marilyn
put se détendre et profiter de son bébé ; elle put ressentir de l’amour pour
lui et le lui exprimer – et Donny y réagit positivement. Le paradoxe de tout
cela, avant le retraitement de ses souvenirs, c’était que l’incapacité de
Marilyn à ressentir de l’amour était liée à sa crainte de faire du mal à son
fils – alors que c’était justement l’incapacité de sa maman à ressentir de
l’amour pour lui qui lui faisait du mal.
Les effets de cette sensation de ne pas être aimé peuvent être
dévastateurs chez les enfants. Ces bébés et ces tout-petits peuvent donner
l’impression de n’être jamais satisfaits : ils sont déprimés, anxieux,
grognons.
Quand la carence d’attachement se poursuit, quand les parents ne sont
pas « accordés » à l’enfant (c’est-à-dire quand ils ne sont pas sensibles aux
besoins de l’enfant et n’y répondent pas), l’enfant peut avoir des difficultés
toute sa vie, à la fois sur le plan médical et psychologique. Beaucoup de ces
enfants seront catalogués comme « perturbateurs » à l’école, et resteront
dans cette catégorie encore après. Ils peuvent aussi avoir d’autres réactions
négatives, fondées sur ce qu’on appelle les styles d’attachement
« insécure ».
Tout cela permet d’expliquer comment tout le monde sélectionne un
certain nombre de traits particuliers qui vont affecter non seulement la
personne qu’on sera, mais aussi les relations qu’on aura avec les autres. En
fait, la communication entre le parent et le bébé produit des changements
réels dans le cerveau de celui-ci ; ces changements vont déterminer la façon
dont il gérera ensuite ses émotions et la représentation qu’il aura de lui-
même. Ces différents styles d’attachement peuvent expliquer les
particularités que vous repérez peut-être en vous-même, dans votre famille
ou chez des amis.

Des longueurs d’onde différentes

Quand les parents sont « accordés » à leurs enfants, on peut dire qu’ils
sont sur la même longueur d’onde. Cela constitue un style d’attachement
« sécure ». Au cours des premières années de sa vie, ces liens aideront le
cerveau de l’enfant à se développer complètement et d’une manière qui lui
permet de rester calme dans les moments de stress et d’entrer facilement en
contact avec les autres. Le bébé pleure et tend les bras vers ses parents, qui
réagissent avec amour. Le contact visuel et l’interaction entre le parent et
l’enfant sont comme une danse, où tous deux bougent au même rythme. À
travers toute l’enfance, cette interaction harmonisée, où les besoins
émotionnels de l’enfant sont satisfaits, devient le fondement de son
sentiment de sécurité et de relations heureuses plus tard. Évidemment, nous
l’avons vu, ce sentiment de bien-être et de bonheur peut être détérioré de
bien des façons. Mais une vie de famille harmonieuse donne aux enfants
une bonne base de départ.
Malheureusement, certains parents sont mal « accordés » à leurs
enfants. Les psychologues estiment que ce problème touche environ 35 %
de la population. On appelle ces accordages défaillants des « styles
d’attachement insécure ». Par exemple, pour des raisons diverses provenant
de leur propre éducation, certains parents sont mal à l’aise avec l’intimité et
les expressions d’amour, ou d’autres émotions intenses. Quand leur enfant
pleure ou leur tend les bras, ils se ferment automatiquement et s’écartent de
lui. C’est ainsi que Joan nous a raconté comment elle avait vu une vidéo
prise quand elle avait environ 10 ans, et en avait été considérablement
perturbée, trente ans après : sa mère était assise, et Joan venait l’embrasser.
Sa mère, de façon répétée, s’éloignait sur le côté, reculait, pour éviter le
baiser de sa fille. De même, sa mère ne la prenait jamais contre elle et ne lui
disait jamais « je t’aime » : elle disait qu’« être trop bisous, trop câlins »,
c’était « moche », selon son expression. Un jour, Joan l’entendit dire qu’elle
aimait bien les bébés, mais pas les enfants. Les enfants sont trop exigeants.
En grandissant, Joan apprit donc à ne rien demander et à ne pas
rechercher de réconfort auprès de sa mère et de son père. Elle pensait qu’on
ne pourrait jamais l’aimer, et gardait ses émotions pour elle : n’imaginant
pas qu’on réponde à ses besoins, elle n’avait aucune raison de les exprimer.
Les psychologues diraient que ses parents avaient un style d’attachement
« rejetant » – et qu’il y avait de bonnes chances pour que Joan élève ses
propres enfants de la même façon. C’est ainsi que les choses se transmettent
d’une génération à l’autre. Les parents de Joan l’élevaient comme on les
avait élevés : ils s’occupaient de ses besoins physiques, mais pas de ses
besoins affectifs. Ce n’était pas par méchanceté, ce n’était même pas
nécessairement par manque d’amour pour elle. Leur style d’éducation, de
« parentage », était simplement une réaction automatique, identique en tout
point à ce qu’ils avaient vu leurs parents et leurs frères et sœurs faire avec
leurs enfants. Cela leur semblait tout naturel.
Autre style d’attachement parental : le style « préoccupé », où le
parent, sous l’influence des vécus perturbants de sa propre vie, se met dans
des états d’anxiété ou de colère excessifs. Parfois, ils répondent aux besoins
de leurs enfants, mais quand leur matériel traumatique personnel est
enclenché, ils n’y sont plus accordés du tout. Ces enfants apprennent qu’il
faut insister beaucoup pour que les parents tiennent compte de leurs
besoins, et ils peuvent devenir eux-mêmes anxieux, exigeants, « collants »
et excessivement dépendants. Cette insécurité fondamentale va se
poursuivre dans les relations qu’ils vont nouer plus tard.
La dernière catégorie est l’attachement « désorganisé », où les
souvenirs de trauma et de violence du parent les lui font transmettre à ses
enfants à travers des comportements effrayants, comme des grimaces, des
éclats de colère, des gestes brutaux ou des coups, ou à travers des
comportements anxieux comme des sursauts ou des expressions faciales de
peur. Ces enfants se trouvent dans ce qu’on appelle un « double lien » : la
personne auprès de laquelle ils voudraient trouver refuge est aussi la source
de leur anxiété. À l’âge d’entrer en classe, les enfants « désorganisés » se
mettent parfois à contrôler et « punir » leurs parents : ils crient, aboient des
ordres, piquent une colère s’ils n’ont pas ce qu’ils veulent. Chez d’autres,
on a au contraire une attitude figée ou déprimée. Ils peuvent internaliser
leur anxiété et montrer une « perfection » qui cherche à contenter tout le
monde autour d’eux. Quoi qu’il en soit, comme dans les autres styles
d’attachement insécure, les « péchés » des parents sont transmis à la
génération suivante.
Pourtant, redisons-le, ce n’est pas nécessairement un manque d’amour.
Ces parents disent souvent qu’ils sont simplement mus par le souci de bien
élever leurs enfants. Il n’empêche que leurs modes éducatifs sont souvent
des réactions automatiques, provenant de leur propre éducation, et
déclenchées par le comportement de leurs enfants. Par exemple le père de
Jenna, Harry, avait grandi dans une famille où on élevait les enfants à la
cravache. Son père en avait une dont il se servait pour s’assurer que tous ses
enfants lui obéiraient et grandiraient en ayant le sens des responsabilités.
Plus tard, Harry allait réagir à son tour aux bêtises de ses enfants par des
hurlements, des fessées et des coups de ceinture.
Jenna, la plus grande, fut la cible principale de ses violences, et en
conclut qu’il lui fallait se contrôler en toutes circonstances pour éviter les
coups. Quant à sa petite sœur, Clara, qui se cachait sous le lit quand le père
battait Jenna, elle devint une enfant anxieuse et craintive. Elle était
tellement certaine qu’elle ne pourrait pas supporter d’être battue qu’elle
essayait de se rendre invisible et se repliait sur elle-même : c’était l’enfant
tranquille qui ne pose jamais de problème. Plus tard, elle développa une
dépression chronique. Le cours de la vie de Jenna et de Clara fut ainsi
déterminé par un père traumatisé dont l’attachement « désorganisé » était à
la source de son style de parentage. Ce n’est pas qu’il ne les aimait pas. Il
avait simplement été modelé par sa propre éducation et ses souvenirs non
traités.
Heureusement, les conséquences des styles d’attachement insécure
peuvent être corrigées par des expériences positives avec un enseignant, un
entraîneur sportif, d’autres personnes de l’entourage, ou une thérapie si
c’est nécessaire. Mais il est utile, en premier lieu, de reconnaître que les
difficultés que vous voyez chez vous-même ou chez d’autres peuvent venir
de ce genre de vécus d’enfance non traités. Ou peut-être êtes-vous un père
ou une mère qui a besoin d’examiner de plus près ses propres réactions
automatiques, qui peuvent avoir des effets à long terme sur ses enfants.
Peut-être vous dites-vous : « Je n’ai jamais été battu(e), et je ne frappe
pas mes enfants. » Mais les mots aussi peuvent causer des dommages
durables. La thérapeute de Michael disait ainsi qu’il souffrait d’une des
pires dépressions qu’elle ait jamais vues. Il avait une très mauvaise estime
de lui-même et pratiquement aucune motivation dans sa vie. Ses parents ne
l’avaient jamais battu. Mais il se rappelait de nombreuses occasions où son
père lui donnait des travaux à faire, comme de nettoyer la cour, puis lui
donnait la sensation de se recroqueviller intérieurement en lui disant par
exemple avec une grimace dégoûtée : « Ah, c’est tout ce que tu as été
capable de faire ? »
Bien des gens se sentent déprimés et regardent leurs propres traits de
caractère et les réactions qui les rendent malheureux en se disant : « Mes
parents étaient déjà comme ça, et je suis comme ça depuis toujours. Ça doit
être génétique. » Ce n’est pourtant pas la seule explication possible :
l’influence de vos parents a été là depuis le début de votre vie, et leurs
parents les avaient influencés aussi. Même si des facteurs génétiques sont à
l’œuvre, les études montrent que la part la plus importante vient de nos
expériences vécues. Mais, ici encore, quelles que soient les raisons, il ne
s’agit pas d’adresser des reproches à quiconque. Il s’agit de se libérer. Tout
ce qui a pu vous arriver dans votre enfance a contribué à faire de vous ce
que vous êtes. Quand vous étiez enfant, vous ne contrôliez rien, vous
n’aviez aucun choix ; mais, maintenant que vous êtes adulte, les choses sont
différentes. Une fois que vous avez identifié vos points de difficulté, vous
pouvez utiliser des techniques pour les traiter et repérer des souvenirs non
traités qui pourraient les alimenter. Pour vous aider dans cette exploration,
nous allons ajouter quelques techniques de contrôle de soi à celles que vous
avez déjà apprises, puis nous passerons à l’identification d’autres souvenirs
qui peuvent mener la danse dans votre vie à votre insu.

Élargir le filet de sécurité


Si vous avez pu trouver un lieu sûr ou un lieu calme, vous disposez
déjà d’une technique très utile pour vous débarrasser des perturbations qui
peuvent surgir. Il est important de vous en servir quotidiennement en dehors
des moments où vous êtes perturbé, pour être sûr que cela reste assez
puissant pour être efficace : en effet, si vous ne vous en servez que dans les
situations perturbantes, son efficacité peut baisser. Par conséquent, si vous
n’avez trouvé aucune association négative dans votre esprit en le faisant,
faites régulièrement l’exercice du lieu sûr/calme, et renforcez-le en faisant
le papillon ou des tapotements alternés et lents sur vos cuisses.

AGRANDIR L’ARSENAL DU LIEU SÛR

Voici une autre ressource qui peut améliorer votre accès à de bons
souvenirs : commencez par écrire dans votre carnet de notes une phrase qui
décrit un souvenir heureux, où vous avez ressenti une impression de bien-
être, d’accomplissement ou de joie. Cela peut être un souvenir récent ou un
souvenir de votre enfance – celui qui vous donnera le souvenir positif le
plus fort. Quelle est l’image qui représente le moment le plus fort ? Fermez
les yeux et prenez le temps de bien visualiser cette image. Quel est le mot
qui décrit le mieux ce moment ? Ensuite, comme vous l’aviez fait pour le
lieu sûr, gardez à l’esprit ce mot et cette phrase et notez à quels endroits
vous les ressentez dans votre corps. Profitez du souvenir, savourez-le.
Faites-le partir et revenir plusieurs fois. Vérifiez si vous pouvez ramener les
bonnes émotions avec l’image ou le mot.
Vous gagnerez deux choses, si vous trouvez un bon souvenir, solide et
positif : d’abord, il constituera une ressource que vous pourrez faire
remonter en cas de besoin, si vous êtes perturbé ou contrarié. Ensuite, c’est
une bonne façon de contrôler votre base de souvenirs. Si vous êtes déprimé,
vous aurez peut-être du mal à retrouver un souvenir qui vous apporte un pur
sentiment de joie et de bien-être. C’est peut-être que vous ne pouvez pas
trouver un bon souvenir, ou que vous vous rappelez qu’il était agréable
quand il s’est produit, alors qu’aujourd’hui il vous revient avec une pointe
de tristesse. La raison en est simple : les études montrent que la capacité à
retrouver les souvenirs est affectée par l’état émotionnel de la personne.
Quand on est déprimé, on a du mal à ressentir un événement quelconque
comme pleinement heureux, qu’il soit passé ou présent.
S’il y a déjà longtemps que vous êtes déprimé, si rien ne semble vous
apporter de plaisir, il serait utile pour vous d’envisager de vous faire aider
par un professionnel. Vous trouverez quelques indications à ce sujet dans
l’annexe B. De la même façon, il serait préférable que vous ne fassiez pas
les exercices de la section « Exploration personnelle », plus loin dans ce
chapitre. L’exercice qui suit peut vous aider à alléger des sentiments
négatifs, et les histoires peuvent vous aider à mieux comprendre ce qui vous
pose problème, mais il serait probablement mieux de ne pas plonger trop
profondément et tout seul dans vos réseaux mémoriels en ce moment. Si
c’est simplement que vous avez eu une mauvaise journée, vous pourrez
revenir une autre fois à ces exercices. Mais si votre sentiment de ne pas être
heureux est un état d’esprit habituel, ou s’il alterne avec d’autres émotions
très fortes, lisez plutôt ce chapitre avec pour objectif principal de
comprendre la raison de ces états d’esprit négatifs qui vous affectent
comme ils affectent des millions d’autres personnes. Ensuite, vous pourrez
décider des dispositions à prendre.

LA TECHNIQUE DE LA SPIRALE

Il s’agit d’une technique issue de la tradition de l’imagerie guidée ; elle


est utile pour gérer les émotions perturbantes comme la peur, l’angoisse ou
la colère. Si vous vous y entraînez au calme, chez vous, vous pourrez
l’utiliser ensuite rapidement à tout moment. Lisez les étapes de la page
suivante à peu près trois fois, jusqu’à ce que vous sentiez que vous les savez
par cœur. Puis fermez les yeux et suivez-les dans l’ordre. Si vous avez du
mal à vous les rappeler, dictez-les lentement sur un enregistreur et laissez
votre propre voix vous guider à travers les quatre étapes. Ici encore,
souvenez-vous qu’aucune technique ne marche pour tout le monde. C’est la
raison pour laquelle nous vous en apprenons un certain nombre, pour que
vous puissiez trouver celles qui marchent pour vous.
Repérez quelque chose qui vous préoccupe à un niveau de 3 sur une
échelle de 0 à 10.
1. Trouvez une image qui représente cela pour vous.
2. En pensant à cette image, notez à quel endroit vous sentez la
perturbation dans votre corps.
3. Faites maintenant comme si cette sensation dans votre corps
était de l’énergie. Si c’était une spirale d’énergie, dans quelle
direction tournerait-elle ? Dans le sens des aiguilles d’une
montre, ou en sens inverse ?
4. Maintenant, dans votre esprit, inversez doucement la
direction de la spirale dans votre corps ; par exemple, si elle
allait dans le sens des aiguilles d’une montre, faites-la
doucement tourner en sens inverse.

Remarquez le changement des sensations dans votre corps. Chez


beaucoup de gens, les sensations vont commencer à disparaître avec le
changement de direction de la spirale. Si elles commencent effectivement à
disparaître, continuez jusqu’à ce que vous vous sentiez apaisé. Si une
direction n’a pas marché, essayez l’autre et voyez si cela réduit la
perturbation. Si la technique de la spirale a eu un effet, pratiquez-la sur
d’autres situations, au calme, chez vous, jusqu’à ce que vous ayez
mémorisé les étapes. Cette technique peut vous aider chaque fois que vous
êtes perturbé, et elle pourra nous servir si nous tombons sur un problème ou
un souvenir qui vous bouleverse. Si elle ne marche pas, ne vous faites pas
de souci. Vous pouvez utiliser le lieu sûr/calme ou le changement de
respiration, ou d’autres techniques que vous avez apprises dans les
chapitres 3 et 4.

Les cognitions négatives revisitées

Dans le chapitre précédent, vous avez identifié les cognitions négatives


qui traduisaient en mots ce que vous ressentez devant certaines situations
perturbantes. La liste des cognitions négatives est divisée en trois
catégories : responsabilité, manque de sécurité, manque de contrôle et de
pouvoir. Vous avez gardé à l’esprit l’image de l’événement et identifié une
cognition négative, appartenant à l’une de ces trois catégories, qui allait
avec les émotions qui apparaissaient en vous : je ne suis pas digne d’être
aimé, je ne suis pas assez bien, je vais être abandonné, je suis en danger, je
suis impuissant, je suis nul, etc. Considérez cela comme un échantillon,
dans la mesure où les situations que vous avez choisies sont celles qui sont
apparues le plus récemment. Maintenant, il est temps de nous livrer à une
exploration plus approfondie, en examinant les différentes sortes de
situations qui nous affectent.
Pour commencer, nous allons identifier certaines des cognitions
négatives de la première des trois catégories (la responsabilité) qui peuvent
ne pas encore être apparentes. Ces croyances négatives peuvent être
déclenchées à n’importe quel moment, et affecter tous les domaines de
votre vie. Nous allons donc suivre la liste méthodiquement, en cherchant les
cognitions négatives qui peuvent vous prendre à votre insu. Considérez cet
exercice comme une chasse au trésor. Puis, quand vous aurez déterminé ce
qui agit en coulisses, vous pourrez décider ce que vous voulez faire. Les
cognitions négatives ne sont pas la cause de vos difficultés, ce sont
simplement des symptômes. Je l’ai dit, la cause est généralement à
rechercher parmi les souvenirs non traités qui les font apparaître.
Nous avons déjà vu dans ce chapitre comment les styles d’attachement
de nos parents ont contribué à nous modeler. Mais les parents ne sont pas
toujours impliqués, vous avez pu vous en rendre compte dans l’exercice que
nous avons fait plus haut dans le livre ; au cours de l’enfance et de
l’adolescence, de nombreuses sortes d’humiliations peuvent avoir des effets
aussi terribles que durables : exclusions, brimades, moqueries, insultes d’un
professeur… Vous savez que les enfants peuvent être cruels et qu’il y a des
gens qui ne devraient pas être dans l’enseignement. Mais quand les
souvenirs ne sont pas traités, ce sont les émotions anciennes qui tirent les
ficelles. Toutes ces expériences avec les parents, d’autres figures d’autorité
ou les pairs peuvent créer des difficultés, et ces difficultés peuvent être
traduites en mots par des cognitions négatives tirées de l’une ou l’autre des
trois catégories. Cependant, la première catégorie peut revêtir une
importance particulière et présenter davantage de nuances que les deux
autres combinées. Nous allons donc jeter un coup d’œil à cette catégorie de
cognitions négatives et tâcher de voir si certaines d’entre elles vous
affectent aujourd’hui.

LA RESPONSABILITÉ – C’EST MA FAUTE

Dans cette catégorie, la personne a l’impression que toutes ses


difficultés proviennent d’elle-même. Dans son psychisme, elle a enregistré
le sentiment qu’elle présente une déficience quelconque ; elle a le sentiment
de ne pas être comme elle le devrait, ou de ne pas agir comme elle le
devrait, ce qui signifie aussi « je ne suis pas normale ».
Si beaucoup de ces vécus peuvent provenir de notre éducation, ils ne
sont pas nécessairement en rapport avec des violences ou des négligences
familiales. Par exemple, Ethan, un garçon de 12 ans, fut amené en thérapie
par ses parents parce qu’il était extrêmement anxieux, souffrait d’attaques
de panique et avait peur d’aller en classe. Il avait une très mauvaise estime
de lui-même, il se tenait recroquevillé comme s’il voulait se cacher, et il
était timide et mal à l’aise. On s’aperçut que ses difficultés étaient
largement en rapport avec des parents surprotecteurs qui contrôlaient
chacun de ses mouvements. C’était parce qu’Ethan était prématuré : il
pesait seulement trois livres à la naissance, et il était resté des mois à
l’hôpital sous respirateur, avec des problèmes cardiaques et respiratoires.
L’inquiétude permanente, extrême, de ses parents pour sa santé – ils
s’inquiétaient même s’il se mettait à courir – lui donnait l’impression d’être
physiquement inférieur aux autres et d’être une charge pour sa famille.
Cette mauvaise opinion de lui-même se manifestait aussi en classe, où sa
posture recroquevillée et son extrême timidité faisaient de lui l’objet des
railleries et des humiliations des autres élèves. Il finit par avoir peur d’aller
au collège. Ainsi, les souvenirs sous-tendant les problèmes d’estime de soi
d’Ethan concernaient à la fois ses parents et la cruauté de ses pairs. Mais le
fond du problème provenait, à l’origine, de leur amour et de leur inquiétude
pour lui, non pas de leur indifférence ou de leur méchanceté. Les actes des
parents provenaient de leurs propres souvenirs non traités des mois qu’ils
avaient passés à l’hôpital, puis à la maison, avec la peur que leur bébé,
fragile, prématuré, ne vienne à mourir.
Heureusement, Ethan a commencé une thérapie à 12 ans. Mais s’il
était arrivé à 40 ans se plaignant d’avoir des relations insatisfaisantes et de
ne jamais se sentir en sécurité, la base aurait été la même : des sentiments
d’incompétence provenant de son enfance. Voici, comme exemple de cela,
le cas d’Élaine, une infirmière d’une soixantaine d’années, qui était venue
en thérapie EMDR pour des difficultés de lecture. L’exploration de ses
plaintes montra clairement qu’elle avait souffert de dépression et de
mauvaise estime de soi toute sa vie, et qu’elle n’avait jamais compris
pourquoi elle n’avait pas pu résoudre ses difficultés malgré des années de
psychothérapie.
Elle avait conscience que la dépression postnatale de sa mère l’avait
affectée. En sa qualité d’infirmière, elle avait vu des milliers de femmes et
elle savait bien qu’une mère qui souffre de dépression postnatale est tout
simplement incapable d’offrir à son bébé le lien d’attachement dont il a
besoin pour grandir. Elle savait que ce n’était pas sa faute si, chaque fois
qu’elle avait essayé d’entrer en contact avec sa mère, elle n’avait trouvé que
le vide. Elle savait aussi que la perte de sa grand-mère, quand elle avait
6 ans, l’avait gravement affectée. C’est elle qui s’était occupée jusque-là
d’Élaine. Mais le fait d’avoir conscience de l’impact de ces événements
n’avait rien changé aux années de profonde dépression qu’elle avait
connues.
Au cours du recueil de son histoire, on put identifier de nombreuses
expériences dont la conclusion générale était qu’elle sentait qu’elle « ne
valait rien ». Le premier retraitement EMDR se fit sur un souvenir de son
instituteur de CM2 qui avait dit à la classe qu’Élaine et d’autres élèves, dont
les notes étaient dans le quart inférieur, ne feraient jamais d’études
supérieures. Ce moment fut pour elle une expérience dévastatrice qui,
quarante ans après, et alors qu’elle avait un diplôme universitaire,
provoquait toujours chez Élaine une forte réaction émotionnelle. Ce
souvenir reflétait clairement ses difficultés de lecture, ainsi que sa croyance
selon laquelle elle était idiote et « ne valait rien » – à la différence de son
frère, intelligent et compétent.
Pendant le retraitement de ce souvenir du CM2, il apparut dans le
réseau mémoriel une association avec la mort de sa grand-mère et la
manière dont elle l’avait apprise. On l’avait emmenée à la maison de sa
grand-mère. Comme elle ne trouvait pas sa mamie, Élaine passa dans le
salon et prit son livre de Cendrillon pour lire en l’attendant. Pendant qu’elle
lisait, sa tante se pencha au-dessus d’elle et pointa du doigt le mot
« morte », pour lui faire comprendre que sa grand-mère était décédée. Dans
son processus de retraitement, ce fut un moment clé pour elle de
s’apercevoir que son association inconsciente entre la nouvelle de la mort
de sa grand-mère et le livre de Cendrillon était le début de ses difficultés à
lire, particulièrement à lire pour le plaisir. En quelques séances, le souvenir
cible fut complètement résolu, avec un SUD à 0, et une nouvelle croyance
positive (« je suis quelqu’un de bien ») était solidement en place. Encore
une fois, il faut se rappeler que la tante d’Élaine n’avait pas agi par cruauté
ou dans l’intention de blesser l’enfant. Mais beaucoup d’expériences de cet
ordre peuvent se trouver verrouillées dans le cerveau en tant que souvenirs
non traités. Ceux-ci modèlent notre personnalité et influencent notre vie
d’une façon néfaste.
Même si nous nous reprochons d’avoir des émotions négatives, elles
appartiennent simplement, la plupart du temps, au paysage caché de nos
réseaux mémoriels. Personne n’en est exempt, car ces difficultés
comportant des sentiments de honte peuvent affecter n’importe qui, quel
que soit son âge, son intelligence ou ses qualifications. C’est ainsi que
Raphaël s’était battu toute sa vie contre son impression d’incompétence. Il
avait été élevé par sa mère. Elle était divorcée, et avait un petit ami dans la
ville voisine. Le père de Raphaël n’étant pas disponible, elle travaillait toute
la journée chez elle comme couturière, faisait le dîner pour ses enfants et, à
18 heures, prenait le train pour la ville voisine, où elle passait la nuit avec
son ami. Elle prenait un autre train pour rentrer le matin, faisant en sorte
d’être là pour leur préparer le petit déjeuner. Malheureusement, Raphaël
avait souvent des otites sévères, dans son enfance, au cours desquelles,
laissé tout seul à souffrir dans le noir, il avait honte et se disait : « Je ne suis
pas important. »
Au début de sa thérapie, Raphaël avait une cinquantaine d’années. Si
on lui avait demandé s’il était bien de laisser de jeunes enfants seuls la nuit,
sa réponse aurait été un « NON » catégorique. Mais, quelles que soient les
informations dont nous disposons par ailleurs, nos vieux souvenirs non
traités sont bloqués dans leur propre réseau et n’ont pas de liens avec des
points de vue plus adaptés. C’est aussi pour cette raison qu’un vétéran de
guerre peut écouter avec compassion des soldats parler de leur expérience
du combat, puis se trouver lui-même « nul » pour s’être comporté de la
même manière dans des circonstances analogues.
Dans le même registre, voyez le cas de Marcia, une femme agent
immobilier de 69 ans, qui avait pour cognitions négatives : « Je ne peux pas
être aimée » et « Je ne suis pas intelligente ». Son père était décédé quand
elle avait 3 ans, et sa mère était alors entrée dans des comportements de
violence physique, verbale et psychologique envers sa fille. Elle avait
répété à Marcia pendant toute son enfance : « Si tu n’étais pas là, j’aurais
une vie bien meilleure. » Marcia n’avait jamais l’impression d’être assez
bien pour sa mère. Il est pourtant évident que celle-ci avait de nombreuses
difficultés psychologiques et déraillait complètement : on ne traite pas un
enfant ainsi. Mais le savoir et le ressentir sont deux choses différentes, et, si
Marcia savait ce qui aurait été normal, cette connaissance était
emmagasinée dans un réseau différent de celui qui contenait ses expériences
violentes avec sa mère.
Aujourd’hui, ses vécus d’enfance retraités, Marcia se sent solide, avec
une bonne estime d’elle-même. Son passé est toujours le même, mais elle a
modifié la manière dont ses souvenirs étaient stockés dans son cerveau.

Exploration personnelle

Faisons un pas de plus pour repérer ce qui pourrait être à retraiter chez
vous. Si vous me répondez par un mot comme « insécurité », c’est un peu
comme si je vous demandais de me décrire la couleur verte : je n’ai aucun
moyen de savoir à quelle nuance de vert vous pensez. De la même façon,
quand vous dites que vous êtes « en insécurité », cela ne dit pas tout. Selon
les circonstances, des sentiments différents se font jour, et ce sont des
souvenirs différents qui peuvent les déclencher. Par conséquent, il est utile
de savoir ce qui se passe précisément quand vous ne vous sentez pas en
sécurité à certains moments.
Dans le chapitre précédent, vous avez identifié les cognitions négatives
reliées à quelques événements récents, mais elles peuvent n’être que le
sommet de la partie émergée de l’iceberg. La liste des cognitions négatives,
ci-après, vous donnera l’occasion de mieux définir les domaines où vous
êtes en difficulté, parce que les mots eux-mêmes peuvent entrer en
résonance avec des réseaux mémoriels contenant des souvenirs non traités.
Dans le cerveau sont emmagasinées non seulement les pensées négatives
concernant l’événement d’origine, mais aussi les sensations physiques
négatives ; elles peuvent également vous renseigner sur ce qui vous mène à
votre insu. Nous allons commencer en examinant les cognitions négatives
de la première catégorie, pour voir lesquelles vous touchent le plus
fortement. En parcourant cette liste de cognitions négatives, vous
chercherez en vous-même les émotions négatives qui les accompagnent.
Dans votre carnet de notes, mettez en en-tête : « Responsabilité ». Puis
lisez les étapes ci-dessous jusqu’au bout, avant de commencer à suivre les
instructions.

1. Regardez la liste de cognitions négatives et lisez la première,


lentement et attentivement. Observez les sensations de votre corps pendant
que vous la lisez.
2. Quand vous lisez la croyance négative, vous donne-t-elle une
sensation désagréable dans le corps, ou modifie-t-elle votre respiration (plus
rapide, plus courte, bloquée) ? Si c’est le cas, écrivez-la dans votre carnet
de notes sous la rubrique « Responsabilité ».
3. Prenez quelques respirations profondes pour vous débarrasser des
émotions négatives, attendez que votre corps revienne au calme. Si vous
avez besoin d’une aide supplémentaire, utilisez les techniques du lieu
sûr/calme ou du changement de respiration que vous avez apprises dans les
chapitres précédents.
4. Continuez de parcourir chaque cognition de la liste, lentement et
attentivement, en observant si vous avez ou non une réaction corporelle.
5. Écrivez chaque cognition qui provoque une réaction, en prenant
quelques grandes respirations après chacune d’elles.

Ne jugez pas ce qui « devrait » se passer, observez simplement.


Comme je l’ai mentionné dans un chapitre précédent, certaines personnes
ne sont pas sensibles à leurs changements physiques. Si c’est votre cas, ne
vous désolez pas si l’exercice ne fonctionne pas pour vous.
Maintenant, commencez :

RESPONSABILITÉ : il y a quelque chose qui ne va pas chez moi


Je ne mérite pas qu’on m’aime
Je suis mauvais(e)
Je suis insupportable
Je ne vaux rien (je ne suis pas à la hauteur)
J’ai honte
On ne peut pas m’aimer
Je ne suis pas assez bien
Je ne mérite rien de bon
Je suis définitivement abîmé(e)
Je suis laid(e) (mon corps est horrible)
Je ne mérite pas…
Je suis stupide (pas assez intelligent)
Je ne suis pas important (je ne compte pas)
Je suis décevant
Je mérite de mourir
Je mérite d’être malheureux
Je ne suis pas comme les autres (je ne devrais pas être ici)

Maintenant, essayez les phrases ci-dessous. Si elles semblent vous


aller, demandez-vous : « Que disent-elles de moi ? » Par exemple : j’ai
honte, ou je suis stupide, ou je ne suis pas à la hauteur…

J’aurais dû faire quelque chose


J’ai fait quelque chose de mal
J’aurais dû le savoir

EXPLORER LE PAYSAGE

Quelles sont les cognitions négatives qui résonnent en vous ? Peut-être


un certain nombre, peut-être aucune. Souvenez-vous que les mots de
chaque croyance représentent simplement l’émotion et le point de vue qui
sont emmagasinés dans vos réseaux mémoriels non traités. Jetez un coup
d’œil à certains des événements qui vous ont le plus perturbé ces dernières
années ; ces mots correspondent-ils aux sentiments que vous éprouviez ?
Voyez-vous quel est le genre de situation qui déclenche vos réactions
négatives ?
Si c’est le cas, vous pouvez alors vous préparer à l’avance à ces
situations en pratiquant les techniques de contrôle de soi, par exemple le
lieu sûr ou d’autres connexions mémorielles positives que vous avez pu
identifier plus haut dans ce chapitre. De cette manière, si vous êtes
« déclenché », vous pourrez gérer votre perturbation en vous servant du
changement de respiration, du lieu sûr/calme, ou du souvenir positif. Après,
s’il reste encore des émotions négatives, vous pouvez utiliser les techniques
du pot de peinture, du personnage de dessin animé ou de la spirale. En fait,
vous allez voir que vos émotions négatives sont simplement des réactions
prévisibles, quand les situations du présent interagissent avec vos réseaux
mémoriels, et qu’émergent les émotions et les sensations physiques du
passé. Au lieu de vous y trouver pris, vous aurez peut-être alors assez
d’espace pour pouvoir les modifier.

IDENTIFIER LES SOUVENIRS

Si vous le souhaitez, vous pouvez maintenant identifier d’autres


souvenirs sources qui font remonter ces émotions négatives. Les cognitions
qui résonnent pour vous sont celles qui correspondent le plus aux émotions
que vous vivez peut-être couramment, la honte, la peur, la colère, la
tristesse ou l’impuissance. Souvenez-vous que votre situation n’est pas
différente de celle des gens dont vous avez lu l’histoire dans ce chapitre. Il
n’y a pas de honte à avoir des souvenirs non traités ; tout le monde en a.
C’est une question de hasard, avec une combinaison de génétique,
d’éducation et d’un certain nombre d’autres facteurs que personne ne
contrôle. Aucun jugement n’est de mise ici.
Pour chacune des cognitions négatives que vous avez marquées sur
votre carnet de notes, vous pouvez peut-être utiliser la technique du pont
d’affect pour identifier le souvenir en suivant, étape par étape, les directives
que je vous indique ci-dessous. Pour certaines, vous aurez peut-être besoin
de l’assistance d’un thérapeute. Souvenez-vous d’Élaine : ce n’est qu’au
cours d’une séance de thérapie qu’elle a pu se rappeler comment elle avait
appris la mort de sa grand-mère en lisant un livre. Mais, qu’un souvenir
vous revienne ou non à chaque cognition négative, je vous suggère de ne
pas en essayer plus de deux chaque fois. Accordez-vous ensuite un moment
de répit de quelques jours. Également, veillez à vous arrêter après avoir fini
l’exercice pour chaque croyance, et servez-vous du changement de
respiration ou du lieu sûr pour revenir au calme. Si la technique du pont
d’affect ne marche pas, laissez-la de côté pour le moment et revenez-y plus
tard. Ne forcez pas, laissez venir ce qui vient.
Lisez les étapes suivantes jusqu’à les savoir par cœur, puis suivez-les
pour la première cognition négative de votre liste :

1. Pensez à votre cognition négative ; quand l’avez-vous


ressentie récemment ? Qu’est-ce qui s’était passé ? Gardez
l’incident à l’esprit. Si aucun incident ne vient à l’esprit,
concentrez-vous sur la croyance. Où la ressentez-vous dans
votre corps ?
2. En pensant à cet incident récent (si vous en avez un) et à la
croyance négative (par exemple, si vous pensez aux mots
« Je ne suis pas comme les autres »), remarquez l’impression
que cela vous donne, et laissez votre esprit flotter en arrière
jusqu’à votre enfance. Quel souvenir apparaît quand vous
vous étiez senti ainsi ? Quelque chose peut automatiquement
vous venir à l’esprit. Notez par écrit l’événement récent, la
cognition négative et le souvenir dans la colonne
correspondante de votre liste.
3. Si vous trouvez un souvenir, comment le ressentez-vous
aujourd’hui, sur une échelle SUD de 0 à 10 ? Notez-le, avec
l’âge que vous aviez lors de cet incident.

Si rien ne vous revient, conservez à l’esprit la croyance et la sensation


corporelle, et pensez à vos parents. S’il vous revient un souvenir précoce,
inscrivez-le. Sinon, voyez s’il vous en revient un, en pensant à chacun de
vos frères et sœurs, individuellement, ou à d’autres membres de votre
famille. Toujours rien ? Cherchez un souvenir de vos enseignants, de vos
pairs (école, colonie de vacances, voisins…) ou d’autres personnes qui ont
été importantes pour vous : pensez à chacun d’eux individuellement, avec la
cognition négative à l’esprit et voyez si un souvenir émerge. Notez avec des
mots clés tout souvenir précoce qui résonne avec cette cognition négative.
Veillez à vous servir de la technique du changement de respiration et du lieu
sûr pour revenir au calme. Vous pouvez aussi essayer la respiration par le
ventre, qui peut vous aider à réduire la perturbation : inhalez lentement et
profondément en comptant lentement jusqu’à cinq. Sentez votre ventre se
gonfler en se remplissant d’air. Puis expirez lentement. Concentrez-vous sur
votre ventre qui s’élargit quand vous inhalez, puis se contracte quand vous
relâchez votre respiration. Répétez cela une douzaine de fois pour revenir
au calme.

Prenez soin de vous

Si vous avez identifié des cognitions négatives, ainsi que les souvenirs
qui les font apparaître, profitez de l’occasion pour avoir de la compassion
pour ce que vous avez vécu étant enfant. Ce n’est pas de l’auto-apitoiement.
Il s’agit du même sentiment de compréhension et de tendresse que vous
auriez pour n’importe quel enfant qui souffre. Comme les personnes qui ont
témoigné ici, chacun de nous est le produit du fonctionnement cérébral
humain – et des souvenirs qui ont été emmagasinés sans consentement et
sans contrôle de notre part dans notre cerveau. Voyez si vous pouvez
ressentir de la compassion pour vous-même, tel que vous êtes en ce
moment.
Nous allons vous indiquer d’autres exercices personnels dans les
chapitres qui viennent, et quand nous aurons fini, vous aurez une idée plus
claire de ce qui vous mène à votre insu, ainsi que des raisons pour
lesquelles vous avez peut-être des sensations d’anxiété, de tristesse ou de
colère. Si vos réactions négatives sont occasionnelles, vous aurez également
une bonne idée de ce qui risque de déclencher en vous les émotions qui
vous bouleversent. Vous pouvez alors vous préparer à l’avance avec
l’exercice du lieu sûr/calme quand vous savez que vous allez vous trouver
face à ces circonstances, ou bien vous en servir après coup, si des émotions
et des sensations négatives apparaissent. Vous pouvez aussi vous servir de
la spirale et d’autres techniques pour vous débarrasser de la perturbation.
Pour un rappel et une révision rapide, reportez-vous au glossaire et aux
techniques d’auto-assistance de l’annexe A.
Tout en avançant, nous apprendrons des techniques supplémentaires
pour vous aider à gérer vos réactions automatiques – et vous pourrez faire
beaucoup en surveillant vos réactions et en vous servant de ces outils. La
question, à plus long terme, est de savoir si cela va vous suffire. Si ce n’est
pas le cas, vous pourriez envisager de travailler vos souvenirs sources avec
un thérapeute. Un des objectifs de la thérapie EMDR est de « digérer » les
anciennes expériences bloquées, pour que ces sensations physiques et ces
émotions ne vous mènent plus là où vous ne voulez pas aller. Point plus
important, cela signifie que, de négatives, les émotions et les cognitions
deviennent positives, et que vous êtes libéré : vous ressentez dans votre vie
une impression de force et de bien-être. Comme vous avez déjà commencé
à le constater, ces souvenirs peuvent être la cause de vos difficultés et faire
disparaître votre joie de vivre, de façon extrêmement diverse et inattendue.
Maintenant que vous en avez pris conscience, vous pouvez faire vos
propres choix pour remodeler à votre gré ce paysage jusque-là caché.
CHAPITRE 6

Si seulement je pouvais…

Tout comme l’amour, le chagrin et la colère, l’anxiété et la peur sont


des émotions importantes et utiles. En effet, elles nous alertent sur des
situations potentiellement difficiles ou dangereuses qu’il faut peut-être
prendre en compte. Elles émettent des signaux d’alerte pour guider nos
prochaines actions, par exemple vérifier s’il y a réellement un danger, et
voir ce qu’il faut faire pour y faire face. Nous vivons tous de temps en
temps ces émotions. Ce sont des réactions naturelles face à certaines
situations ou à certaines personnes que nous rencontrons, et elles nous sont
très utiles – sauf quand elles sont mal placées : en effet, dans de nombreux
cas, l’anxiété et la peur sont disproportionnées par rapport à ce qui se passe,
et elles sont alors connectées à des objets, des situations ou des activités où
elles n’ont pas grand sens. Bien sûr, devant un rottweiler qui grogne et se
précipite sur vous, il y a de quoi ressentir de la peur et reculer. Ce n’est en
revanche pas le cas devant un caniche tenu en laisse et qui trottine
tranquillement sur le trottoir. Mais pour une personne qui a la phobie des
chiens, le simple fait de voir la photo d’un chien peut provoquer une
réaction de peur.
Il y a des millions de personnes qui souffrent de peurs irraisonnées,
mais elles ne font pas toutes une thérapie. Même si elles ne sont pas aussi
heureuses qu’elles pourraient l’être, on constate que la peur accompagne
généralement la réaction naturelle qui consiste à rester à l’écart des choses
et des situations qui nous dérangent : si on arrive à les éviter, on organise
souvent sa vie en fonction de cela. Par conséquent, même si, aux États-
Unis, des études ont montré que la crainte de parler en public arrive en tête
des peurs de la population, avant même celle de la mort, la plupart des gens
se contentent d’éviter de prendre la parole en public sans y penser plus que
ça : habituellement, ils n’ont recours à la thérapie que si parler en public
devient tout d’un coup une exigence pour leur travail, ou bien s’ils se
rendent compte que la peur les freine, d’une façon ou d’une autre, par
exemple lorsqu’elle les empêche de parler publiquement en faveur d’une
cause à laquelle ils croient. Mais il y a d’autres personnes à qui il sera
impossible d’éviter certaines situations génératrices de peur et d’anxiété. Ce
chapitre se propose d’examiner les connexions complexes qui peuvent
provoquer ces troubles.

Commençons par le cas de James, un adolescent de 14 ans qui était


angoissé chaque fois qu’il devait aller se coucher. Il craignait de se faire
tuer pendant son sommeil par quelqu’un qui se glisserait dans sa chambre à
un moment où il serait seul chez lui. Cela devint tellement angoissant qu’il
dut choisir entre dormir face à la porte ou en lui tournant le dos. Il décida
qu’il valait mieux tourner le dos à la porte, car il préférait encore se faire
tuer par quelqu’un qui arriverait par-derrière, sans qu’il le sache, que de
voir l’assassin s’approcher et d’être incapable de faire quoi que ce soit.
Comme c’est souvent le cas, James ne parvenait pas à identifier la
source de sa peur, mais elle l’affectait depuis des années, et allait en
empirant. C’est pourquoi son thérapeute lui demanda de se rappeler ce qu’il
avait ressenti la nuit précédente, afin d’accéder à son réseau mémoriel.
Comme James se concentrait sur l’image et sur sa peur d’aller dormir tout
seul dans sa chambre, le processus se mit en marche. Il lui revint que six
ans plus tôt, alors qu’il avait 8 ans, ses parents étaient partis en voyage et
l’avaient laissé chez sa grand-mère. À cette époque, les journaux et la
télévision faisaient leurs gros titres sur les meurtres de celui qu’on appelait
le « rôdeur de la nuit 1 » en Californie ; les gens se demandaient avec
angoisse où aurait lieu sa prochaine agression, et une grande inquiétude
régnait au sein de la population. Le cerveau de James avait établi un lien
entre l’absence de ses parents et les meurtres. À partir de là, quand il allait
se coucher, seul dans sa chambre, l’impression de danger et d’anxiété
apparaissait. Ses symptômes disparurent quand le souvenir fut traité.
Par chance, les parents de James lui avaient fait commencer une
thérapie à 14 ans. Mais des millions d’autres personnes souffrent sans
nécessité et se sentent angoissées et effrayées par toutes sortes de choses.
Parfois ces émotions sont liées à des circonstances précises, mais d’autres
fois elles sont permanentes. Quelle qu’en soit la cause, il serait bon de se
rappeler qu’en général, elles sont apparues en rapport avec une situation qui
est stockée quelque part dans le réseau mémoriel – même si l’on n’a pas pu
repérer de quoi il s’agit.

Encore les parents ?

On ne sera pas étonné de constater que lorsque quelqu’un a en


permanence un sentiment d’anxiété et de peur, cela peut provenir
d’émotions liées aux styles d’attachement insécures dont nous avons parlé
dans le chapitre précédent. Est-ce à dire qu’on en revient encore aux
parents ? En effet. Malheureusement, les sentiments de manque de
protection et de sécurité peuvent venir du fait que, dans l’enfance, on ne
s’est pas senti suffisamment valorisé et protégé. On en a gardé le sentiment
de ne pas être assez bien, avec un souci permanent d’être mal jugé par les
autres.
Parfois, ces sentiments sont aggravés par des difficultés
supplémentaires. La petite Laura a ainsi dû être hospitalisée durant les huit
premiers mois de sa vie pour des opérations esthétiques visant à corriger
une défiguration de naissance. Ces opérations avaient été couronnées de
succès, mais cette absence de chez elle pendant huit mois a prélevé un lourd
tribut : elle ne s’est jamais sentie proche de ses parents. À l’âge adulte, les
angoisses de Laura l’ont amenée en thérapie, car elle ne se permettait
jamais d’être proche des autres. Elle en était même à redouter les accolades
affectueuses de ses amis. Si elle avait sa propre affaire, qui marchait très
bien, elle avait des croyances négatives : « Il n’est pas prudent d’être proche
des gens. Ils ne s’intéressent pas réellement à moi. » Il y avait deux
souvenirs d’enfance à traiter. Dans le premier, elle était obligée de s’asseoir
sur les genoux de son père pour se faire photographier : elle avait eu
l’impression que son papa « faisait semblant » de l’aimer. Le second était
un souvenir du même genre, où sa mère « faisait semblant » de s’intéresser
à elle. Laura a pu traiter ces souvenirs puis traiter les déclencheurs actuels
dans ses rapports avec ses amis. Elle s’est alors sentie capable d’accepter
leurs embrassades. Et elle a pu alors vivre pleinement ces croyances
positives : « Il est sans danger d’être proche des gens ; ils s’intéressent
vraiment à moi. »
En fait, il importe peu de savoir si ses parents l’aimaient vraiment, tout
en ayant du mal à le montrer, ou si leur séparation forcée d’avec Laura, dès
son plus jeune âge, avait perturbé leur capacité à nouer un lien avec elle.
Les enfants endossent la responsabilité des erreurs des parents. Ils adoptent
également les émotions générées au sein du foyer familial. Si un parent est
très perturbé du fait d’une situation quelconque, les besoins des enfants
peuvent très bien ne pas être pris en compte. Par exemple, Ava avait sans
doute de « bons » parents. Mais malheureusement, pendant toute son
enfance, elle vit sa mère lutter contre un cancer, et cela affecta le sentiment
de sécurité de l’enfant. Puis lorsque Ava eut 16 ans, elle finit par perdre sa
mère, emportée par la maladie.
Quand on grandit ainsi, on peut en garder des sentiments permanents
d’anxiété et une vision négative de soi. Toutefois, les gens peuvent ne pas
repérer cette faible tension en eux, parce qu’ils n’ont jamais connu autre
chose. En général, il faut subir une escalade de la souffrance émotionnelle
pour admettre qu’on a besoin d’aide. Ava commença une thérapie parce
que, après une rupture, elle s’était aperçue qu’elle était devenue dépendante
des hommes et se trouvait sans cesse prise dans des relations malsaines. La
cognition négative qu’elle avait identifiée disait : « C’est dangereux pour
moi de rester seule » ; et il apparut clairement que c’était en lien avec des
souvenirs précoces de sa maman, malade et perturbée. Ce fut sa première
cible, puis elle passa au décès de sa mère. Ensuite, on traita des souvenirs
de ses relations malsaines, ainsi que sa récente rupture. Ce travail fit
disparaître les peurs d’Ava, et elle put passer à autre chose, avec maintenant
une bonne opinion d’elle-même. La thérapie modifia également ses choix
concernant les hommes et ce qu’elle était prête à tolérer de leur part : en
effet, son sentiment de sécurité était désormais à l’intérieur d’elle.
C’est dangereux

Un sentiment d’insécurité peut revêtir d’innombrables formes. Cela


peut être une anxiété ressentie face à de nouvelles personnes ou à de
nouvelles situations : certains se croient incapables de faire face à certaines
situations, ou ont l’impression d’être des « imposteurs » et s’attendent à être
démasqués. D’autres sont angoissés à l’idée de passer des tests parce que,
sans motif particulier, mais s’estimant « nuls », ils se sentent « stupides » ou
incapables de les réussir. D’où que proviennent ces sentiments, qu’il
s’agisse d’humiliations à l’école ou de problèmes dans la famille, le résultat
final est que, dans certaines situations, on ressent une réaction physique de
peur ou d’anxiété qui modifie la représentation qu’on a du monde et de ses
propres capacités. Ces peurs peuvent s’intensifier avec le temps parce que
chacune de ces nouvelles expériences est à son tour encodée dans le
cerveau, et que le réseau mnésique associé au problème s’étend donc : plus
on accumule des expériences où on rate effectivement un examen, où on
reste dans son coin au cours d’une soirée sans que personne ne vienne vous
voir, et plus on se convainc de sa propre incompétence et de son incapacité
à gérer les situations.

LES COGNITIONS NÉGATIVES

Dans cette section, nous allons passer en revue de façon approfondie


des difficultés liées à la seconde catégorie de cognitions négatives : la
catégorie « manque de sécurité/vulnérabilité ». Ces cognitions concernent
des émotions perturbantes, la peur et le manque de sécurité. Alors que les
personnes qui souffrent d’un ESPT ou de phobies peuvent avoir des
croyances négatives dans n’importe laquelle des trois catégories, elles
identifient très facilement les cognitions appartenant à cette seconde
catégorie, car les sentiments d’anxiété et de peur sont dès le départ un
élément de ces troubles. Dans la plupart des cas, un événement particulier a
provoqué une réaction de peur, et cette expérience reste non traitée : le fait
de s’engager dans une situation similaire, ou même de penser à certaines
choses – parler en public, ou penser à des serpents… – fait donc surgir les
émotions et les sensations physiques négatives. La plupart des personnes
qui ont un ESPT ou une phobie sont capables d’identifier la cause réelle de
leur peur – par exemple un viol ou une morsure de chien. Pour d’autres, en
revanche, les peurs sont ancrées depuis si longtemps qu’elles ne s’en
rappellent pas l’origine. Quoi qu’il en soit, avec une assistance appropriée,
il est possible de traiter les réseaux mémoriels qui encodent les peurs.

PAS D’ÉCHAPPATOIRE

Il y a un vieil adage indien d’Amérique qui dit : « On n’échappe pas à


ce qui est en soi. » Où qu’on soit, où qu’on aille, la peur reste tapie dans nos
réseaux mémoriels, attendant d’être déclenchée. Parfois les émotions
négatives sont mineures, mais parfois aussi il s’agit de phobies complètes :
dans ce cas, les gens organisent leur vie de façon à ne jamais se trouver à
proximité de ce qui leur fait peur. En général, les phobies comportent une
peur de la peur. En fait, les gens disent qu’ils évitent telle ou telle activité
depuis si longtemps qu’ils ne savent plus s’ils en ont réellement encore
peur. Ce qu’ils craignent plutôt, c’est d’être submergés par la peur si elle
surgit. C’est là une attitude tout à fait adaptée, si on n’a jamais pu gérer sa
peur.
Pour traiter ce problème, certaines formes de thérapie se centrent sur
l’enseignement à leurs patients de toute une série de méthodes
d’autocontrôle, dont vous avez déjà appris quelques-unes. Elles utilisent
aussi, parfois, une « thérapie par exposition » ou des « expérimentations
comportementales » pour amener la personne à faire face aux objets ou aux
situations qu’elle redoute, ou bien lui faire vérifier ses croyances négatives
quant au caractère dangereux de la situation, jusqu’à ce que son anxiété
cède. Ce sont les formes de thérapie des phobies sur lesquelles ont porté le
plus grand nombre de recherches. Même si le nombre de succès et les taux
de rechute varient selon la nature de la phobie, il n’en reste pas moins que
ces thérapies sont souvent d’excellentes solutions. La recherche en matière
d’EMDR dans ce domaine est bien moins étendue. Cependant, une étude
menée auprès de cliniciens EMDR de par le monde a révélé un taux élevé
de réussite dans le traitement de ces problèmes. De plus, des expériences,
au cours des vingt dernières années, ont également apporté plus
d’informations sur les associations mémorielles qui ont lieu dans le cerveau.
Fondamentalement, en EMDR, la thérapie est centrée sur le traitement des
souvenirs qui provoquent la peur elle-même. En d’autres termes, on va tout
droit à la source.
Pour la plupart des gens, la cause originelle de la peur est assez
simple : elle est reliée à une expérience au cours de laquelle, d’une façon ou
d’une autre, ils ont été effrayés ou ils ont eu mal. Si un chien m’a mordu, je
peux me mettre à avoir peur des chiens. Pour d’autres gens, une peur dans
un domaine peut avoir pour origine autre chose, mais qui s’est passé à la
même époque. Par exemple, Emma avait peur de conduire depuis environ
dix ans. Sa phobie avait débuté alors qu’elle était à l’université, au cours
d’un échange étudiant qui l’avait amenée en Europe. Peu après son arrivée,
de nouvelles connaissances l’invitèrent à une soirée. Elle s’y rendit avec
plaisir, espérant s’y faire de nouveaux amis. Il y avait là un saladier de
punch, dont elle but un peu. Se sentant mal, elle retourna à son appartement,
et là, dans son lit, elle fut victime d’hallucinations toute la nuit, sans rien
pouvoir contrôler : quelqu’un avait mis du LSD dans le punch.
Imaginez-vous, seul dans un pays où vous ne connaissez absolument
personne, et pris soudain d’hallucinations incontrôlables, sans famille ni
amis que vous puissiez appeler à votre secours ! Emma fut terrifiée, mais
elle résista à l’épreuve. Mais, deux jours plus tard, alors qu’elle se rendait
en voiture à son université, une voiture fit une embardée vers elle. Même
s’il n’y eut pas d’accident, cela provoqua chez elle le même sentiment de
perte de contrôle qu’elle avait ressenti dans son appartement, et sa peur se
transféra sur la conduite en voiture. Voilà quelle était la cause de sa phobie
de la conduite. De plus, suite à cette soirée, la terreur lui avait donné aussi
le sentiment qu’il était dangereux pour elle de baisser sa garde quand il y
avait du monde autour d’elle – car elle se reprochait d’avoir été trop
« confiante » en buvant de ce punch.
Un autre exemple : Stacy, une autre étudiante, soupçonnait sa
meilleure amie d’avoir une liaison avec son petit ami. Elle les questionna, et
ils lui répondirent : « Mais non, bien sûr que non ! » Elle se fit alors des
reproches : « Mon Dieu, mais comment ai-je pu seulement les
soupçonner ? » Mais tout au fond d’elle-même, elle sentait que quelque
chose clochait. Avez-vous déjà connu cela ? Cela continua quelque temps,
jusqu’au jour où, dans le bus, regardant par la fenêtre, elle les vit à un coin
de rue, s’embrassant avec fougue. Ils lui avaient menti, ils avaient bien une
liaison ! Elle se sentit écœurée. À l’arrêt suivant, elle se rua hors du bus et
vomit dans la rue. C’est cet événement qui provoqua en elle une phobie
complète des transports en commun. Il lui donna aussi le sentiment qu’elle
ne pouvait se fier à personne.
Donc, les gens qui ont des cognitions négatives de la catégorie
« manque de sécurité/vulnérabilité » se disent : « Je vais être blessé si je fais
ceci ou cela… » La blessure peut être physique ou émotionnelle : je risque
d’avoir un accident d’auto ou d’avion, je peux me faire mordre par un chien
ou un serpent, me noyer, ou toute autre peur parmi les milliers de
possibilités – ou bien je peux être humilié, dépouillé, ou quelqu’un va
profiter de moi. Par exemple, Catherine voulait faire une thérapie pour
traiter la dépression et la très forte anxiété qu’elle ressentait depuis
longtemps, et qui étaient devenues si graves qu’elle ne pouvait plus
travailler. Pour elle, son anxiété et sa dépression étaient liées à la violence
de son père à la maison, dirigée particulièrement contre ses deux frères.
Cela avait du sens, mais un recueil soigneux de l’histoire clinique met
souvent en évidence des connexions cachées avec d’autres souvenirs, on va
le voir.
Durant la phase de recueil de son histoire, Catherine mentionna
également qu’elle n’arrivait pas à pleurer, mais qu’elle ne savait pas
pourquoi et ne pouvait pas dire quand cela avait commencé. Au cours du
traitement d’un souvenir en rapport avec les brutalités de son père, un
nouveau souvenir émergea. Elle dit : « Un jour, quand j’avais 3 ans, à
l’église, je me suis pliée en deux de douleur, et j’ai dû m’évanouir, parce
que quand je suis revenue à moi, j’étais à l’hôpital, en unité pédiatrique. Il
faisait nuit, ma mère était partie, et j’ai réclamé ma maman en pleurant.
L’infirmière m’a dit : “Si tu ne t’arrêtes pas de pleurer, je ne laisserai pas ta
maman venir te voir.” Ça remonte à des années, mais voilà pourquoi je me
retiens tant : j’ai peur de pleurer. Je me cachais pour pleurer, quand j’étais
petite. Je me cachais sous mon lit pour pleurer. C’est bizarre, non ? »
Les peurs peuvent avoir pour origine des événements réels qui nous
blessent, physiquement ou sur le plan émotionnel, ou le fait d’entendre
parler de blessures semblables chez d’autres gens ; ou encore, pour certains,
de regarder des films d’horreur, comme les enfants le font parfois. Mais
l’essentiel est que nos peurs et notre manque de sécurité sont ancrés dans
ces souvenirs non traités ; et parfois ce qui aurait pu être facilement réglé à
l’époque devient un problème durable. Par exemple, Billy présentait une
peur panique des serpents. Un jour, à 7 ans, il se rendit compte qu’une
couleuvre lui rampait sur la jambe. Il fut affolé. Lorsqu’il se précipita,
terrifié, vers sa mère, elle lui donna une punition « pour lui apprendre à être
une poule mouillée ». Cette nuit-là, dans son lit, il s’imagina que des
serpents grimpaient le long des pieds de son lit. Pour Billy, les cognitions
négatives découlant de cet incident n’étaient pas seulement : « Je suis en
danger », mais « je ne peux me fier à personne » : en effet, il s’était senti
encore plus mal après s’être adressé à celle dont il attendait de l’aide. Il y
avait aussi dans cette expérience l’idée qu’il n’était pas assez bien pour
mériter qu’on l’aide. Tous ces problèmes disparurent quand le souvenir eut
été traité.
Il en fut de même pour Greg, qui arrivait à la quarantaine et avait une
telle frayeur des petits animaux qu’il ne pouvait même pas se joindre à des
amis pour une sortie ou un pique-nique dans le parc. On découvrit que,
quand il avait 5 ou 6 ans, il avait été mordu par un petit chien. Mais le pire,
pour lui, était que son père – tout en nettoyant le sang et pansant la
blessure – riait et n’attachait aucune importance à ce que l’enfant avait
vécu. Le fait de minimiser la réaction émotionnelle de Greg, au lieu de le
réconforter, bloqua en lui non seulement la peur, mais aussi les sentiments
de honte et d’auto-accusation.
Le père de Greg avait commis une erreur très courante : souvent, un
adulte, face à un ami qui n’est pas bien, va essayer de lui changer les idées
en blaguant ou en se moquant gentiment de lui. Mais quand ce sont des
enfants qui sont effrayés et qui viennent chercher du réconfort, ils veulent
un parent qui soit accordé à leur besoin. Il est donc important pour les
parents de réagir positivement aux peurs de leurs enfants et de les apaiser
tendrement, d’une façon qui leur permette de se sentir maintenant en
sécurité et de se dire qu’ils ont bien fait de s’adresser à eux. Cela peut
transformer une expérience effrayante en un élément de construction d’une
résilience et d’un succès. Sinon, l’expérience peut devenir une source
durable de souffrance.
Parfois le traitement de phobies peut se trouver compliqué quand la
peur a un autre objectif. C’est ce qu’on appelle « le bénéfice secondaire »,
situation où la personne tire un bénéfice quelconque de sa peur. Par
exemple, si j’ai un patient qui a peur des serpents parce qu’on lui a dit et
répété qu’ils étaient dangereux, ou parce qu’il a été mordu, ou qu’il connaît
quelqu’un qui l’a été, alors le simple fait de traiter les souvenirs associés
suffira à régler le problème. Mais j’ai eu une patiente qui était l’épouse d’un
fou du camping. Elle avait peur des serpents, et cela lui évitait de devoir
aller camper avec lui. Elle détestait le camping pour toutes sortes de
raisons, mais, comme dans d’autres situations dans sa vie de couple, elle
sentait qu’elle ne pouvait tout bonnement pas lui dire « non ». Sa peur ne
céda pas jusqu’à ce que nous parvenions à traiter les souvenirs qui sous-
tendaient son incapacité à avoir le courage de ses opinions. C’est pourquoi
il est important de se poser la question : est-ce que, d’une façon ou d’une
autre, je trouve mon compte dans cette situation ? Si oui, c’est une zone
importante à explorer.

Un traumatisme à l’intérieur d’un autre

Les gens qui ont été victimes d’une agression majeure – qu’il s’agisse
d’abus sexuels, d’accidents, de catastrophes naturelles ou de la guerre –
peuvent être atteints d’ESPT. Ils peuvent revivre interminablement en
boucle cette expérience au travers de cauchemars, de pensées intrusives ou
de flashbacks, au cours desquels c’est vraiment comme si l’événement se
produisait à nouveau. Une large gamme de symptômes peuvent survenir, et
leurs sentiments incessants de peur et de perte de contrôle peuvent perturber
leurs relations avec leur famille et leurs amis, avec de soudains accès de
colère, ou des périodes de dépression et de repli sur soi.
Un des buts de ce livre est de mieux faire comprendre ce qui nous fait
agir – et ce que nous pouvons y faire. C’est aussi de contribuer au
développement d’une meilleure compréhension, d’une plus grande
compassion envers ceux qui nous entourent. C’est pourquoi vous trouverez
dans cette section les témoignages d’un vétéran qui désire aider ses
camarades anciens combattants, et d’une femme qui souhaite aider d’autres
personnes victimes d’abus sexuels. Comme je l’ai déjà indiqué, nous avons
tous davantage en commun que de différences. Bien sûr, la façon dont les
souvenirs nous affectent varie d’une personne à l’autre, mais tout le monde
vit des émotions, des pensées et des réactions physiques négatives. Des
millions de gens souffrent de traumatismes liés à des accidents, à des
catastrophes naturelles, à des attaques terroristes ou à des agressions
physiques ou sexuelles. Et cela peut arriver brutalement à chacun d’entre
nous, n’importe quand. Si ces problèmes ne vous concernent pas
directement, vous ou un proche, ils vous toucheront en raison de notre
humanité et de notre fragilité communes. En lisant ces deux histoires, vous
vous demanderez peut-être : « Comment aurais-je réagi, dans la même
situation ? »

COMMENT TROUVER LA PAIX APRÈS LA GUERRE ?

Les sauveteurs et les vétérans ont en commun d’être volontaires pour


affronter le danger afin de protéger et de sauver les autres. Même s’ils se
donnent à fond, ils sont souvent minés par des sentiments de culpabilité et
d’impuissance. Souvent, c’est parce qu’ils exigent d’eux-mêmes de réussir
à 100 % dans 100 % des cas, même quand ils ne sont pas en mesure de
maîtriser la situation à 100 %. Peut-être connaissez-vous aussi des
difficultés qui proviennent de ce type de pression intérieure. Si vous êtes
vous-même sauveteur ou ancien combattant, ou si vous êtes un parent ou un
ami de l’un d’entre eux, cette section peut tout particulièrement vous parler.
Si vous n’appartenez à aucune de ces catégories, ces témoignages peuvent
vous aider à mieux comprendre ce que vivent nos équipes de premiers
secours et nos vétérans de guerre, et à avoir plus de compassion pour eux.
De plus, si vous présentez un des symptômes évoqués ici, cela vous aidera à
en savoir davantage sur vous-même. Un trauma peut créer toutes sortes de
perturbations physiques, et une fois installé, il ne disparaît pas de lui-même
en général. Pour les gens qui souffrent d’ESPT parce qu’ils ont choisi de
servir leur pays, soit dans les combats, soit comme sauveteur, la vie peut
être particulièrement difficile, parce qu’ils ont souvent des sentiments
d’échec. Le plus souvent, les symptômes qu’ils présentent ne sont pas en
rapport avec une peur pour eux-mêmes, mais en rapport avec des personnes
qu’ils auraient pu blesser – ou qu’ils n’ont pas réussi à sauver. Les
expériences vécues pendant une guerre suffiraient à perturber n’importe qui,
mais il y a parfois des raisons additionnelles qui mettraient à mal les
défenses émotionnelles des meilleurs combattants eux-mêmes. L’exemple
suivant vous donnera une idée du degré de souffrance qu’endurent nos
vétérans de guerre, et vous montrera l’enchevêtrement de nos réseaux
mémoriels.
Hal Walters a 37 ans, il est marié et il a le grade de sergent au sein du
corps des Marines, où il a été médaillé. Il a passé plus de onze ans en
service actif. Le médecin, à l’armée, l’avait adressé à un spécialiste pour un
ESPT de retour de mission et un trouble dépressif majeur. Le sergent
Walters rapportait que, au cours de la semaine qui avait suivi son retour de
son deuxième et dernier engagement en Irak, deux ans plus tôt, il avait
commencé à ressentir de plus en plus de difficultés, auxquelles s’ajoutaient
quotidiennement des intrusions de souvenirs de scènes de combats,
déclenchées par toutes sortes de stimuli très courants, tels que la simple vue
de vieilles dames, d’enfants, ou d’endroits pleins de monde.
Hal avait des insomnies, des cauchemars, des crises de larmes
intermittentes, des états d’irritation ou de dépression, des maux d’estomac,
une fatigue chronique, des difficultés de concentration et de mémoire, un
sentiment de rupture de ses liens sociaux, des maux de tête fréquents, une
alternance de périodes d’engourdissement émotionnel et de violentes crises
de rage ou de crises de larmes sans raison apparente, une hypervigilance (où
il était tendu et sur ses gardes), des réactions de sursaut excessives au
moindre bruit inattendu, une perte d’appétit, des impressions d’épuisement
et d’intense culpabilité en rapport avec de nombreux souvenirs de guerre.
Des milliers de nos combattants souffrent d’un ou plusieurs symptômes de
cette liste. Depuis qu’on répertorie ces cas, cela fait des millions de
personnes.
Hal avait beaucoup de souvenirs à traiter, mais l’un d’entre eux avait
une signification vraiment particulière. Ce jour-là, Hal était de garde, et sa
section fut contrainte d’ouvrir le feu sur une voiture qui fonçait sur eux.
Fumante, criblée d’impacts de balles, la voiture finit par s’arrêter.
Quelques-uns de ses occupants tentèrent péniblement d’ouvrir les portières.
Par la portière arrière sortit une Irakienne âgée, mortellement blessée, qui
saignait abondamment. Hal et ses hommes la virent s’effondrer, secouée de
spasmes, criant d’angoisse et de souffrance. Comme il le raconta au
thérapeute, tous les autres occupants de la voiture, grièvement atteints,
étaient morts ou mourants. Toutefois, le règlement ne permettait pas aux
soldats de s’approcher tant que les démineurs n’avaient pas inspecté la
voiture pour s’assurer qu’elle n’était pas piégée. La vieille femme irakienne
se tordit de douleur au sol en hurlant pendant ce qui parut à Hal des heures,
jusqu’à ce que, vidée de son sang, elle finisse par mourir.
En racontant cet horrible incident, l’expression du visage de Hal et de
ses émotions se modifia spectaculairement. Tremblant, il secouait la tête
entre ses mains, en se rappelant, en larmes, le supplice que, disait-il, il
revivait à plusieurs reprises chaque jour, et même la nuit. Même s’il niait
avoir des penchants suicidaires, il se demandait, plein d’un intense
sentiment de honte et de culpabilité, pourquoi il continuerait à vivre. Il
faisait fréquemment allusion à l’âge de la femme qu’il avait vue mourir, et
son thérapeute lui demanda si cette femme lui rappelait quelqu’un d’autre
qu’il aurait connu auparavant. Il sembla réfléchir soigneusement à la
question, et répondit d’abord « non ». Puis il se reprit vivement et déclara :
« C’est vrai qu’en y repensant, elle me rappelait ma grand-mère. » Invité à
être plus précis, il répondit : « Ma grand-mère venait du Nigeria, mais elle a
vécu quelques années avec nous quand j’avais 8 ans. » Il marqua un temps
d’arrêt puis poursuivit. « Ma mère et elle n’arrêtaient pas de se disputer, des
vraiment grosses disputes. Et je me rappelle qu’un jour ma grand-mère m’a
dit qu’elle ne pouvait plus vivre ici, et qu’elle allait repartir en Afrique. »
Le thérapeute lui demanda si elle était effectivement repartie chez elle.
Il répondit : « Oui, elle est partie quasiment le lendemain. Je me rappelle
que le jour où elle a repris l’avion, elle pleurait en me disant au revoir, et je
ne l’ai jamais revue.
– Vous ne l’avez jamais revue ? demanda le thérapeute.
– Non : elle n’avait pas le téléphone, elle ne savait pas écrire et elle ne
pouvait pas envoyer d’e-mail. La dernière fois que j’ai entendu parler de ma
grand-mère, c’est à peu près deux ans après son départ : ma mère me dit
qu’on lui avait trouvé un cancer et qu’elle était morte. » Hal dit en secouant
la tête : « J’aurais dû l’empêcher de partir. Elle serait peut-être toujours en
vie. » Quand le thérapeute lui demanda ce qu’il entendait par là, il
répondit : « Si on avait diagnostiqué son cancer ici, aux États-Unis, elle
aurait été traitée ici, pas au Nigeria, et ça aurait pu la sauver. »
Il poursuivit, exprimant sa culpabilité de ne pas être intervenu entre sa
mère et sa grand-mère, et de ne pas avoir empêché la rupture des liens
familiaux. Quand le thérapeute lui demanda comment il pensait qu’il y avait
un lien entre sa grand-mère et la vieille femme irakienne, il leva les yeux et
dit : « Je n’avais jamais vu ça avant, mais elle avait à peu près le même âge
que ma grand-mère, et dans les deux cas je me suis senti responsable de leur
mort. »
Le thérapeute demanda à Hal de se concentrer sur ce qu’il ressentait au
niveau de l’estomac et de laisser son esprit dériver jusqu’à la première fois
où il avait connu ces sensations en se sentant responsable ou coupable du
mal subi par une personne. Presque instantanément il se remémora une
promenade avec son jeune frère, où lui avait environ 6 ans et son frère 4. Ils
marchaient sur des rochers, près d’une mare, lorsque son frère glissa, tomba
et se cogna la tête. Les mains de Hal commencèrent à trembler en racontant
combien il avait été « effrayé » et s’était senti coupable en voyant son frère
se mettre à crier, le visage en sang. Il courut à la maison chercher son père,
qui le gronda d’abord et le frappa plus tard pour n’avoir pas fait attention à
son frère. Ce souvenir et celui du départ de sa grand-mère furent traités
avec succès. Il reconnut qu’à 6 ans, il était petit et qu’il avait fait ce qu’il y
avait de mieux à faire en courant chercher de l’aide ; de même, à 8 ans, il
n’aurait rien pu faire pour empêcher sa grand-mère de partir.
À ce stade, on cibla et on traita le souvenir de l’Irak. À la fin de la
séance, on lui demanda d’évaluer son niveau de perturbation (SUD) et Hal
indiqua un SUD à 1. Quand on lui demanda ce qui l’avait empêché de
répondre zéro, il répondit : « Cette vieille femme innocente est morte et ça
ne pourra jamais tomber à zéro. Pourtant, j’ai beau savoir que je ne suis pas
étranger à sa mort, je sais aussi que nous n’avions pas le choix. Tout ce
qu’on a vu, c’est une voiture qui fonçait droit sur nous et qui ne réagissait
pas à nos signaux d’avertissement. Si nous n’avions pas tiré, il y aurait eu
peut-être bien plus de morts. C’est une tragédie regrettable, comme il y en a
d’autres, mais c’est la guerre. »
Comme je l’ai dit précédemment, le traitement intègre ce qui est utile
et laisse le reste de côté. Les vétérans n’y perdent ni leur humanité ni la
vigilance qui peut être nécessaire à leur survie. Mais ils peuvent se
débarrasser de la douleur de ce qu’ils ont été obligés de faire dans des
situations qu’ils ne contrôlaient pas.
On peut aussi se rappeler que nous avons tous eu, dans notre enfance,
des vécus qui peuvent nous fragiliser face à certains problèmes. Il suffira
d’une accumulation d’expériences, ensuite, pour nous faire basculer. Ce
genre d’événements se rencontre tout particulièrement en temps de guerre,
où ils peuvent porter des coups si terribles qu’il est impossible d’en guérir
par ses propres moyens : ce sont des combinaisons d’épuisement, d’effort
physique, de responsabilité, de relations avec ceux qui sont morts, d’images
horribles : la liste est sans fin. Mauvais moment, mauvais endroit, hasard…
Quelle qu’en soit la raison, les études sont formelles : après trois mois, on
considère l’ESPT comme « chronique » ; les symptômes peuvent persister
toute la vie s’ils ne sont pas traités. Il peut aussi, des années plus tard, y
avoir des réactions à retardement, où quelque chose déclenche les émotions
négatives ou la mauvaise opinion de soi. Il en résulte que les symptômes
peuvent apparaître n’importe quand. Nos soldats, hommes et femmes,
peuvent rentrer au pays avec des blessures, visibles ou invisibles, et
méritent notre assistance, notre compréhension et notre respect. Qui sortirait
indemne de telles expériences ?
L’ESPT rend la vie impossible. Il pousse les gens à tout essayer pour
tenter de survivre dans leur chaos intérieur. Certains se tournent vers la
drogue ou l’alcool, ce qui ne fait qu’empirer les choses. Il faut saluer le
courage et la force de volonté de ceux qui demandent de l’aide pour
combattre leurs démons. Qu’il s’agisse de pensées intrusives, de
cauchemars ou de flashbacks liés à un événement spécifique, si vous
souffrez au quotidien d’un des symptômes que présentait le sergent Walters,
vous avez deux solutions : vous pouvez continuer d’essayer de lutter tout
seul, ou bien, comme l’a fait notre vétéran, vous pouvez demander de
l’aide. Vous n’aurez pas besoin de parler en détail de ce qui vous est arrivé,
et vous serez soulagé après une douzaine de séances seulement. Pour
trouver un thérapeute, consultez l’annexe B. Demandez de l’aide !

GARDER LE SECRET

Dans de nombreux cas de viols ou d’agressions sexuelles, les victimes,


quel que soit leur âge, ressentent souvent de la culpabilité et de la honte,
avec une sensation de danger et d’impuissance. On fait parfois croire aux
victimes d’un viol qu’elles l’ont elles-mêmes provoqué, en raison de leurs
vêtements, ou par le fait d’avoir emprunté telle ou telle rue. Ces sentiments
sont injustifiés : nul n’est en droit d’exercer un pouvoir d’ordre sexuel sur
une autre personne, de quelque façon que ce soit. La responsabilité en
incombe entièrement au violeur, et il en est de même pour tout abuseur
d’enfant.
Les émotions négatives qui sont verrouillées dans le cerveau des
victimes d’abus sont des symptômes, et non la réalité. Nous l’avons vu, les
trois catégories : « responsabilité », « manque de sécurité » et « manque de
contrôle/impuissance » servent à verbaliser nos émotions négatives. Elles
donnent également leurs noms aux différents niveaux de retraitement qui
ont lieu en EMDR. Comme les victimes d’autres traumatismes, les
personnes rescapées d’abus sexuels sont ensuite capables :

1. tout d’abord d’en faire porter l’entière responsabilité à


l’agresseur, qui est effectivement le seul responsable ;
2. puis de perdre progressivement leur sentiment de peur, à
mesure que le souvenir rejoint les réseaux mémoriels
appropriés et prend ainsi place dans le passé ;
3. et enfin d’éprouver un sentiment de force, avec la capacité
de faire maintenant des choix différents dans le présent.

C’est une femme victime d’agression sexuelle qui nous fait partager le
récit qui va suivre dans l’espoir de venir en aide à d’autres personnes dans
la même situation, et pour enseigner aux gens à reconnaître certains des
signes d’alerte et des effets de ce type d’agression. Le père de Stéphanie
avait commencé à abuser d’elle très tôt, aussi loin que remontent ses
souvenirs, et jusqu’à ses 12 ans :

« J’avais 36 ans, et j’étais venue assister, dans la salle de spectacle de


l’école primaire de mes enfants, à une réunion destinée aux parents, qui
avait pour thème : “Préserver nos enfants des abus sexuels”. Alors que
l’orateur décrivait l’abuseur type (une personne connue de l’enfant, qui
gagne sa confiance par des jeux qui peuvent passer du jeu innocent au jeu
intrusif), j’éclatai soudain en sanglots incontrôlables. Je ne pouvais plus
m’arrêter de pleurer et je ne pouvais pas davantage me lever pour quitter la
salle. J’étais comme figée sur place. Même si je m’étais toujours souvenue
de mon père qui se glissait la nuit dans ma chambre, se frottait contre moi,
me touchait entre les jambes et me faisait promettre le secret, je n’avais
jamais pris conscience jusqu’à cet instant que ces schémas d’abus étaient
typiques et que je n’étais pas la seule à avoir été dans cette situation.
« Lorsque j’étais enfant, la crainte de mon père et du contrôle qu’il
exerçait sur mon corps faisaient partie de ma vie de tous les jours. C’était
comme si mon corps ne m’appartenait pas. Je n’osais en parler à personne :
je croyais que mon père me tuerait, ou qu’il en parlerait à ma mère, et
qu’alors elle nous quitterait. Je ne savais pas que j’avais le droit de lui dire
d’arrêter, ni que je n’étais pas responsable de ce que faisait mon père.
Parfois j’avais l’impression qu’il me punissait pour avoir fait quelque chose
de mal. D’autres fois, il cherchait à me convaincre que c’était moi qui le lui
avais demandé. Comme j’appréciais d’autres attentions qu’il avait pour
moi, je me disais que finalement, c’était peut-être ma faute. Chaque fois, je
sentais que j’étais prise dans quelque chose de mal, de honteux, où je me
trouvais désespérément engluée.
« Toute ma vie d’adulte, j’ai entrepris des psychothérapies pour des
dépressions et des angoisses. Bien sûr, ces traitements m’aidaient un peu,
mais ils ne parvenaient pas à me débarrasser complètement de mes
symptômes. Au moindre bruit, je m’éveillais en criant, j’étais toujours à
l’affût du danger, réel ou supposé, et je me sentais hantée par mon père, qui
était mort pendant mon adolescence. J’avais peur qu’il ne revienne à la vie
pour me tuer parce que j’avais révélé les abus sexuels qu’il m’avait fait
subir. Mes accès de dépression étaient graves, ils m’empêchaient de
travailler et ne me permettaient de faire que le minimum vital. Ma mauvaise
opinion de moi-même m’amenait à m’attacher désespérément à des
hommes qui ne me traitaient pas bien ou qui ne se souciaient pas de mes
besoins. Je n’avais pas de droits sur mon propre corps, et mon intelligence
ne comptait pas. Tout ce qui comptait pour moi, c’était d’être séduisante et
attirante, pour que quelqu’un veuille bien de moi.
« Il y a quelques années, alors que j’étais dans une de ces dépressions
profondes, une amie m’a recommandé l’EMDR. Mon nouveau thérapeute et
moi avons mis sur pied quelques mesures de sécurité pour les moments où
j’aborderais des souvenirs douloureux : ainsi, je savais que je pourrais faire
face à toutes les émotions qui émergeraient. Nous pouvions nous
interrompre, remettre les choses en perspective, marquer une pause, aller
doucement. La sûreté de ce processus m’a tout de suite convenu, et nous
avons pu traiter rapidement un grand nombre de souvenirs – un par séance.
Nous avons traité les souvenirs l’un après l’autre. Mes sentiments et mes
souvenirs semblaient devenir spontanément plus positifs. Au début, ma
mère venait à mon secours. Plus tard, j’ai trouvé des moyens de m’en sortir
par moi-même. Les nouvelles images arrivaient d’elles-mêmes. Je suis à
présent capable de penser à ces événements sans avoir l’impression qu’ils
viennent juste de se produire. Je sais que c’était une période effrayante, je
me rappelle ce que je ressentais, mais je ne revis plus ces émotions
aujourd’hui.
« Un des premiers souvenirs sur lesquels j’ai travaillé remonte à mes
5 ans. J’étais avec mon père dans le centre-ville de Chicago. Il s’est mis en
colère, je ne sais plus pourquoi, et il m’a laissée. Je me suis sentie perdue,
désarmée, effrayée. Je ne savais pas comment le retrouver. Nous n’habitions
pas Chicago et je ne savais absolument pas comment rentrer à la maison.
C’est tout ce que je me rappelle de cet incident, mais, chaque fois que j’y
repensais, je me sentais projetée à travers les années dans le passé, vers mon
moi de 5 ans qui se sentait abandonnée et se retrouvait toute seule. Depuis
lors, chaque fois que quelqu’un était en retard pour passer me prendre ou
oubliait un rendez-vous, j’éprouvais le même sentiment de peur, d’abandon
et de colère. Mais tout cela est derrière moi, désormais.
« Je ne connais pas les théories qui expliquent la façon dont cette
thérapie agit sur les gens. Tout ce que je sais, c’est que c’était un peu
comme si les traumatismes de mon enfance et mon fragile sentiment
d’identité se transformaient. Ce que je ressentais auparavant comme
dangereux, très présent et hors de mon contrôle est devenu un souvenir au-
dedans de moi ; il ne représente plus une menace externe. »

Si vous-même ou une de vos connaissances se débat avec ce type de


passé, sachez que vous pouvez avoir de l’aide. Rappelez-vous bien que
votre honte et vos auto-accusations ne sont que des SYMPTÔMES, pas la
réalité. Vous vous souvenez de l’exemple de la comptine que j’ai donné au
début de ce livre ? Si on entend « Les roses sont rouges », aussitôt il nous
vient à l’esprit « Les violettes sont bleues », même si ce n’est pas vrai. Eh
bien, ces sentiments de honte et d’auto-accusation, c’est la même chose que
« Les violettes sont bleues », mais à un degré bien supérieur. Ce n’est pas
parce que vous ressentez quelque chose que c’est vrai. Ces émotions
peuvent vous mettre en difficulté pour raconter votre histoire. Mais comme
le traitement EMDR se déroule en vous, vous n’avez pas nécessairement à
expliquer en détail ce qui vous est arrivé. Vous pouvez le faire à votre
rythme, au moment qui vous convient. Les techniques d’autocontrôle
expliquées dans ce livre pourront vous aider à gérer plus facilement votre
vie. Mais, comme pour les ESPT de guerre, une fois que le traumatisme
s’est enraciné en soi, il faut en général l’aide d’un professionnel pour le
traiter. On peut faire beaucoup mieux, dans la vie, que de s’arranger tant
bien que mal de la souffrance. Vous n’êtes pas responsable de votre
souffrance, et, comme l’a dit Stéphanie, vous n’êtes pas tout seul.

Pourquoi ai-je du mal à faire des choix ?

Nous l’avons vu, les événements traumatisants peuvent nous effrayer,


nous angoisser, et nous ôter aussi la capacité d’effectuer des choix. De bien
des façons, sans que nous en ayons conscience, notre vie est régie par des
événements passés qui nous poussent à faire des choses qui semblent avoir
du sens, mais qui, en réalité, ne sont pas bonnes pour nous. Par exemple,
Susan, à 67 ans, s’est tournée vers l’EMDR pour avoir de l’aide, car elle se
sentait débordée : elle était incapable de dire non. Très désireuse de
changer, elle avait déjà commencé à repérer des éléments stressants et des
obligations qu’elle pouvait supprimer. Néanmoins, il était visible que la
plus grande difficulté de la thérapie allait être la manière dont elle concevait
ses relations avec sa fille, sa petite-fille et son mari : « Ils ont tous besoin de
moi », disait-elle. Qu’il s’agisse de donner de l’argent, d’intervenir en cas
de conflit ou de venir à leur secours, elle était celle vers qui beaucoup trop
de gens se tournaient, et elle se sentait à la fois perdue et épuisée. Au cours
d’un entretien avec sa thérapeute, elle admit qu’elle devait changer sa façon
de leur répondre tout en restant affectivement proche. Mais c’était plus
facile à dire qu’à faire.
Interrogée par sa thérapeute, Susan lui répondit qu’elle n’était
perturbée par aucun souvenir traumatique sérieux. « Enfin, il y aurait bien
ce qui m’est arrivé avec mon cousin, ajouta-t-elle, mais ça ne peut pas être
important : je n’y pense jamais. Et là, quand j’y pense, c’est vraiment trois
fois rien. Ça arrive à plein de gens, et la vie continue ! » Lorsque sa
thérapeute lui proposa de travailler cet événement, elle fut légèrement
irritée : « Pour moi, ce serait une perte de temps. » Toutefois, elle accepta
d’essayer de voir si cela menait à quelque chose. Il s’agissait d’un viol
qu’elle avait subi à l’âge de 8 ans de la part d’un cousin adolescent. Elle fut
étonnée des sentiments de douleur, de colère, de rage et d’abandon qui
surgirent lors du traitement. Le plus frappant pour elle, ce fut à la fois son
sentiment d’une agression sexuelle, et son désir de plaire : elle ne voulait
pas que son cousin soit en colère contre elle, et il avait menacé de ne plus
jouer avec elle si elle ne se laissait pas faire.
Lors de la séance suivante, Susan déclara d’emblée qu’elle ne
comprenait pas vraiment encore pourquoi, mais qu’elle savait maintenant
de façon absolument certaine que jamais, plus jamais, elle ne laisserait
personne profiter d’elle. Au cours de la semaine écoulée, elle avait vu plus
clairement à quel point sa famille et d’autres personnes avaient abusé de sa
gentillesse, et elle n’était pas contente. Poursuivant sa thérapie, Susan mit
peu à peu en place des relations plus saines avec les membres de sa famille.
Elle était à présent parfaitement capable de dire « non » sans s’imaginer
qu’on allait la rejeter si elle se défendait. C’est là un problème très répandu.
Si vous êtes concerné, vous aussi, il serait utile de voir ce qu’il y a derrière.
Y a-t-il chez vous des souvenirs non traités qui vous poussent à ces
comportements ?
À l’autre bout du spectre, on trouve Benjamin, qui évitait d’aider les
autres, surtout dans les situations de crise. Il était très ennuyé de se sentir
différent des autres, de ne pas être, comme eux, plein d’empathie et de
bienveillance, et de ne pas réagir « normalement » en période de stress. Le
recours à la technique du pont d’affect lui fit revenir à la mémoire un
incident au cours duquel il avait été témoin d’un accident de voiture
impliquant des amis à lui. Il était avec des copains, et l’accident eut lieu
sous leurs yeux ; ils se précipitèrent vers la voiture pour faire ce qu’ils
pouvaient. Benjamin essaya d’aider une amie qui était à l’intérieur, mais
quand il ouvrit la portière, elle tomba du véhicule et sa tête heurta le trottoir.
Elle ne reprit jamais conscience et mourut quelques jours plus tard. Il
s’estimait responsable de sa mort parce qu’il ne l’avait pas empêchée de se
cogner la tête.
Au cours des retraitements EMDR, il lâcha des commentaires,
comme : « Vraiment, c’est trop bête ! », ou bien « Je n’arrive pas à croire
que je suis en train de faire ça » pour finir par dire : « C’est bon, maintenant
je comprends : en fait, ce n’était pas ma faute ! »
Peu de temps après, il s’installa dans une autre ville. Quelques mois
plus tard, il adressa un e-mail à son thérapeute pour lui raconter qu’un jour,
dans un aéroport, une femme qui marchait juste devant lui avait perdu
connaissance et était tombée. Il avait aussitôt lâché son bagage, écrivait-il,
et été le premier à se précipiter auprès d’elle pour l’aider. C’est plusieurs
jours après qu’il s’était rendu compte qu’il avait réagi de façon tout à fait
normale face à une situation de crise. Il s’était inquiété pour elle et il avait
agi comme il pensait que d’autres l’auraient fait dans la même situation,
non comme il l’aurait fait jusque-là. Il se rendait compte qu’il avait établi
jusque-là un lien d’équivalence entre le fait d’intervenir, de réagir, et le fait
de provoquer la mort de son amie. Aujourd’hui, ses réactions provenaient
de souvenirs traités, et non plus, comme avant, de souvenirs non traités. Et
il pouvait maintenant choisir sa propre façon d’être.

Exploration personnelle

L’angoisse comme la peur peuvent venir d’une situation vécue qui a


causé une souffrance d’ordre physique ou psychique. Ça ne fait aucune
différence. Les deux sortes de situations peuvent provoquer des symptômes
d’ESPT, des phobies aiguës, des angoisses diffuses ou une mauvaise
opinion de soi. Au cours du chapitre précédent, nous avons passé en revue
un ensemble de cognitions négatives qui mettent l’accent sur le sentiment
que « quelque chose cloche chez moi ». Celles que nous allons traiter dans
cette section portent sur les deux autres catégories, le manque de sécurité et
le manque de contrôle/l’impuissance.

MANQUE DE SÉCURITÉ/VULNÉRABILITÉ
Nous avons déjà vu un certain nombre d’exemples qui avaient trait à la
peur et à l’angoisse. Si vous savez que vous souffrez de phobie ou d’un
ESPT, il vous sera facile d’identifier quelles sont les cognitions négatives
(listées ci-dessous) qui vous concernent. Pour les autres, ou si vous voulez
voir si vous avez d’autres fragilités de ce côté-là, prenez une nouvelle page
de votre carnet, et mettez en titre « Manque de sécurité ». Tenez-vous prêt à
utiliser, si vous en avez besoin, vos techniques de changement de
respiration, de respiration abdominale ou de lieu sûr/calme. Ensuite,
inscrivez dans votre carnet la première chose qui vous vient à l’esprit pour
compléter la phrase suivante :

C’est dangereux si _________________________.

Maintenant, lisez lentement la liste ci-dessous, et observez les


réactions de votre corps pendant la lecture. Notez par écrit les cognitions
négatives qui semblent vous concerner. Quand vous avez fini, si vous le
souhaitez, vous pouvez utiliser la technique du pont d’affect que vous avez
apprise au chapitre 4, et identifier les événements actuels et les souvenirs,
que vous reporterez dans votre liste de base.

MANQUE DE SÉCURITÉ/VULNÉRABILITÉ
Je ne peux faire confiance à personne.
Je suis en danger.
C’est dangereux si… [complétez par vous-même, et/ou choisissez dans
la liste ci-après]
C’est dangereux si je commets des erreurs.
Je suis en danger si je ressens quelque chose.
Je suis en danger si je laisse paraître mes émotions.
Je suis en danger si je ne suis pas sur mes gardes.
Je suis en danger si je m’affirme.
Je suis en danger si je me montre vulnérable.
Je suis en danger si je dépends des autres.
Je suis en danger sauf si c’est moi qui tiens la barre.
Je suis en danger, sauf si je peux satisfaire mes envies et mes besoins.
Il est dangereux d’être proche.
Il est dangereux d’aimer.
Ces types de ressentis proviennent généralement d’événements non
traités qui constituent l’origine cachée de beaucoup de réactions du présent.
À titre d’illustration, Max était très en colère contre une de ses collègues
qui ne faisait jamais ce qu’elle avait dit. Lorsqu’il traita son expérience
récente avec les cognitions négatives « C’est dangereux/je ne peux pas faire
confiance », une connexion se fit avec un souvenir de son passé : quand
Max était petit, lors d’une visite chez le médecin, celui-ci lui avait dit que la
piqûre qu’on allait lui faire ne lui ferait pas mal. Mais Max avait eu mal ; ce
que le médecin avait dit ne s’était pas réalisé. Une fois ce souvenir traité, la
colère de Max à l’encontre de sa collègue disparut : maintenant, cette
collègue était simplement quelqu’un dont on pouvait prédire qu’elle n’irait
pas au bout des choses. Le passé de Max ne déterminait plus ses réactions
présentes. Un incident avec un médecin, très ancien, était donc à l’origine
de son problème au travail, des décennies plus tard : voilà encore un
exemple de l’inextricable écheveau d’extensions formé par notre réseau
mémoriel. Donc, si vous utilisez la technique du pont d’affect pour
retrouver le souvenir sous-jacent, tâchez de laisser simplement votre esprit
vagabonder là où il a besoin d’aller. Et laissez les choses arriver.

MANQUE DE CONTRÔLE/IMPUISSANCE

Cette catégorie concerne la capacité d’effectuer des choix positifs et


d’exercer un contrôle sur son environnement. Quelqu’un qui a réussi à
éliminer une cognition négative relevant de la catégorie précédente peut
alors avoir le sentiment que rien ni personne ne lui fera plus de mal. La
présente catégorie, elle, est centrée sur les émotions négatives telles que
« Je ne suis pas assez fort pour affronter ce que la vie m’apporte » ou « Je
ne contrôle ni moi-même ni ma vie ». Par essence, il est ici question de
pouvoir personnel, de ce que les psychologues nomment « le centre de
contrôle interne » : cette expression signifie que la source du pouvoir est
plutôt en moi qu’en dehors de moi.
Comme dans les deux autres catégories de cognitions négatives, ce
sont des souvenirs non traités qui sont à l’origine des émotions et des
croyances négatives, et qui donnent à la personne l’impression d’être
inadaptée ou « moins que ». Voici l’exemple de Judy, une femme de 50 ans,
qui n’était pas efficace dans ses relations aux autres et dans sa vie
professionnelle. Quand elle était avec son mari, elle se sentait reléguée au
second plan et gênée. Bien que douée d’une grande créativité, elle avait du
mal à faire avancer sa carrière d’écrivain. Une de ses difficultés était que,
quand elle parlait avec des gens en rapport avec le milieu professionnel
dont elle avait besoin pour produire ses scénarios, elle se sentait intimidée,
elle avait beaucoup de mal à s’exprimer, et elle se trouvait stupide et
« lente ». Pour son thérapeute, elle paraissait vivre dans un état chronique
de honte dont le niveau d’intensité oscillait entre « léger » et « moyen ». La
cognition négative, dans le cas de Judy, était « Je ne peux pas réussir ».
Durant la phase de recueil de son histoire, la raison en apparut clairement :
son père, homme très ambitieux, organisait régulièrement des compétitions
entre ses enfants, à propos de n’importe quoi, depuis les jeux de lettres
jusqu’aux activités sportives. Étant la plus jeune des quatre, Judy ne gagnait
pas souvent.
À l’autre extrémité du spectre, voici David, qui, lui, devait exceller en
tout. Sa cognition négative était « Il faut que je sois parfait », et ce stress,
combiné aux longues heures de travail qu’il s’imposait, n’était pas sans
conséquences sur sa santé. On identifia un souvenir source qui s’était
produit quand il avait une dizaine d’années. Son père faisait des journées de
douze heures et rentrait la plupart du temps exténué à la maison. Sa propre
éducation et son état d’épuisement faisaient que cet homme se mettait très
vite en colère. Un jour, alors que David terminait un devoir d’orthographe,
son père entra et l’interrogea pour tester ses connaissances. L’enfant savait
les réponses, mais, trop tendu, il n’arrêtait pas de se tromper – et son père
s’énervait de plus en plus. Finalement, après une mauvaise réponse de trop,
il explosa et donna dans le mur un coup de poing qui traversa la cloison. Le
père en riait encore des années après, mais, pour David, ce fut un moment
décisif : « Ça aurait pu aussi bien être ma tête ! » expliquait-il. En fait, après
cet incident avec son père, il n’était plus envisageable pour lui d’échouer,
quel que soit le moyen utilisé pour réussir. Et quand il avait quelque chose à
faire, il devait le faire intégralement, sinon il se sentait anxieux et effrayé.
Qu’on ait une impression d’impuissance ou bien le sentiment de devoir
tout maîtriser, on peut en général en trouver les raisons sous-jacentes en
examinant les réseaux mémoriels. Alors commencez par identifier, dans
cette catégorie, les cognitions négatives qui vous correspondent. Nous
cherchons des ressentis négatifs et des sensations physiques qui vont avec la
croyance. Par exemple, se dire « Je suis impuissante » va générer des
émotions négatives chez la victime d’un viol dont le souvenir n’a pas été
traité. Mais ces mêmes mots peuvent au contraire engendrer une émotion
positive chez quelqu’un qui a mené à terme un programme en
douze étapes 2. Comme précédemment, lisez lentement la liste ci-dessous, et
observez les réactions de votre corps au cours de la lecture. Reportez les
phrases de votre choix dans votre carnet, sous l’en-tête « Manque de
contrôle/impuissance ». De la même façon, si vous le souhaitez, quand vous
avez terminé, vous pouvez utiliser la technique du pont d’affect et repérer
les événements récents et les souvenirs pour votre liste de base.

MANQUE DE CONTRÔLE/IMPUISSANCE
Je ne contrôle rien.
Je suis impuissant (désemparé).
Je ne peux pas obtenir ce que je veux.
Je n’arrive pas à défendre mes propres intérêts.
Je ne peux pas en parler.
Je ne peux pas me faire confiance.
Je suis un raté (je vais échouer).
Je suis incapable de réussir.
Je dois être parfait.
Je ne peux pas gérer ça.

Choisir de choisir

Je l’ai dit, la peur et l’angoisse sont des signaux : elles nous avertissent
qu’il faut évaluer une situation, décider s’il y a danger et, si oui, comment y
réagir. Mais ces émotions peuvent être les restes d’une histoire ancienne. Si
vous avez tenu votre journal des DICES, vous avez maintenant un large
échantillon des types de situations qui vous perturbent. Si vous avez
identifié vos cognitions négatives et les souvenirs qui les provoquent, vous
avez un bon aperçu de ce qui agit à votre insu dans votre vie. Pour venir à
bout de phobies, d’ESPT et d’autres peurs intenses, il faut en général
l’assistance d’un thérapeute. Dans des cas moins difficiles, les techniques
d’autocontrôle peuvent vous rendre la vie plus facile à gérer et augmenter
vos sentiments positifs.

La palette du lieu sûr/calme

Si vous avez dressé une liste des situations présentes et des cognitions
négatives, vous pouvez aussi identifier les émotions négatives que vous
ressentez souvent, et enrichir votre collection de techniques. Regardez votre
liste et observez à quelle fréquence surviennent certaines émotions et
pensées négatives. Si vous avez trouvé un lieu sûr/calme, vous pouvez aussi
y trouver d’autres sentiments et d’autres émotions que vous pourrez utiliser
en cas de perturbation. Si vous vous dites souvent : « Je ne suis pas assez
bien », avez-vous des souvenirs positifs de situations où vous avez ressenti
une impression de réussite ? Si c’est le cas, ayez recours à l’exercice du lieu
sûr/calme que vous avez appris au chapitre 3, et connectez les différentes
émotions positives à d’autres mots clés ou images que vous ferez revenir à
volonté. S’il vous arrive fréquemment de penser : « Personne ne peut
m’aimer », voyez si vous pouvez vous rappeler une époque où vous vous
sentiez en sécurité et accepté comme vous êtes. Utilisez cet exercice pour
pouvoir rendre ces émotions disponibles si vous êtes activé.
Si vous avez des difficultés à retrouver des souvenirs positifs, cela
vous donne, en soi, des informations importantes. Ces souvenirs peuvent
parfois être difficiles à se rappeler, surtout si vous êtes déprimé. Des
recherches ont montré que lorsqu’on se sent déprimé, il est difficile de
penser à quoi que ce soit de positif, parce que le cerveau n’est prêt à faire
remonter que des souvenirs qui comportent ces émotions négatives. Si c’est
votre cas, ou si vous trouvez que les connexions avec le lieu sûr/calme et les
autres techniques ne suffisent pas à venir à bout de vos émotions négatives
dans différentes situations, alors envisagez de travailler avec un
psychothérapeute afin de traiter les souvenirs qui vous font souffrir. Vous
trouverez en annexe B des indications pour vous aider à choisir un
thérapeute.
Nous ne sommes pas responsables des expériences négatives que nous
avons vécues quand nous étions enfants. Mais, en tant qu’adultes, il nous
appartient de décider ce que nous voulons en faire. Si vous avez découvert
en vous des choses que vous voulez modifier, il faut vous demander si vous
pouvez y arriver tout seul ou si vous avez besoin d’aide.
Parfois je m’interroge : à quoi ressemblerait le monde si nous étions
tous élevés dans des foyers où l’on saurait nous aimer, nous chérir et nous
éduquer correctement ? Deux de mes collègues ont un fils, un beau garçon
prénommé Adam. Quand il avait 3 ans, cet enfant a glissé dans une piscine,
dans la partie la plus profonde, et il a commencé à couler. Son père a
immédiatement plongé pour le rattraper, et l’a remis à sa mère au bord de la
piscine. Ç’avait été un moment effrayant pour tout le monde ; mais la mère
a eu recours à une des techniques que vous avez déjà apprises, et elle a géré
sa peur personnelle pour pouvoir se concentrer sur Adam. Elle n’a rien
laissé voir de la frayeur qu’elle avait eue, elle n’a pas essayé de faire rire le
petit garçon pour lui faire oublier sa peur. Simplement, elle l’a serré dans
ses bras en lui répétant : « C’est fini, maintenant tu es en sécurité », et en lui
faisant prendre de lentes et profondes inspirations. Ils ont parlé ensemble de
l’incident tout au long de la journée. Et, chaque fois, elle le rassurait et lui
faisait prendre de lentes et profondes inspirations.
Et puis, environ six mois plus tard, alors que sa maman le soulevait
pour le sortir de la baignoire, il l’a regardée droit dans les yeux, a jeté les
bras autour de son cou, et lui a dit : « Je suis en sécurité, maintenant »,
puis : « Je t’aime, maman. » Et il lui a demandé si elle se souvenait qu’elle
l’avait tiré hors de la piscine et l’avait rassuré. Bien sûr, elle lui a dit qu’elle
se rappelait tout à fait ce moment, et qu’elle était heureuse qu’il se sache en
sécurité, protégé et aimé.
Un jour, Adam avait alors 6 ans, ses parents et moi nous nous
promenions ensemble en bavardant, et nous avons fait halte devant une aire
de jeux. Adam a grimpé dans un ensemble de tunnels et de filets. Au bout
d’un moment, nous nous sommes rendu compte qu’il se faisait tard, et nous
lui avons demandé de redescendre. Il a commencé à venir, mais il bougeait
très doucement, puis s’arrêtait. Ne sachant pas ce qui se passait, nous
l’avons appelé à nouveau, mais il continuait d’avancer lentement puis de
s’arrêter. Et d’un coup, nous avons compris ce qui se passait. Une petite
fille qui pouvait avoir 4 ans, et dont la mère n’était pas là, avait réussi à
grimper jusqu’aux filets, mais elle avait peur de redescendre. Adam
l’exhortait sans cesse à le suivre ; il avançait doucement, puis s’arrêtait pour
qu’elle puisse le rattraper. Il ne voulait pas la laisser. Finalement, une fois
qu’ils eurent retrouvé la terre ferme, il la regarda droit dans les yeux et lui
dit : « C’est fini, tu es en sécurité, maintenant. » Comme la mère de la petite
fille arrivait en courant, il put s’en aller.
Je me demande à quoi ressemblerait le monde si nous avions toute une
génération d’enfants comme Adam, élevés par des parents aimants et
présents. Des petits garçons et des petites filles suffisamment conscients,
confiants et bienveillants pour aider les autres, au lieu de se moquer des
faibles ou de se détourner de ceux qui ont besoin d’aide. Beaucoup n’ont
pas eu une enfance comme celle d’Adam. Mais la bonne nouvelle, c’est
qu’il n’est trop tard pour aucun de nous pour se « re-parentaliser », avec
l’aide appropriée.

LE PAPILLON

Même si une thérapie EMDR doit nécessairement être menée par un


thérapeute formé et agréé, vous pouvez recourir à un de ses éléments pour
vous soigner vous-même. Vous ne pouvez pas traiter des souvenirs, parce
que cela nécessite toutes les procédures thérapeutiques de l’EMDR. En
revanche, vous pouvez essayer une forme de la composante de stimulation
bilatérale, le tapping, ou tapotement, qui peut être utile pour apaiser les
angoisses mineures. Les chercheurs pensent que le tapping alterné
déclenche une réaction de détente. Cependant, il peut parfois faire passer
votre esprit dans un matériel associé de nature négative. Il est donc
important d’en surveiller les effets.
Comme je l’indiquais au chapitre 3, le papillon a été inventé au
Mexique pour aider des personnes à faire de la thérapie EMDR en groupe.
Vous avez peut-être déjà utilisé cette forme de stimulation bilatérale pour
consolider votre lieu sûr/calme, quand vous avez ajouté le tapping alterné
pour voir si les émotions positives s’en trouvaient renforcées. Si vous l’avez
utilisé avec succès, vous pouvez aussi l’essayer quand vous vous sentez
stressé ou angoissé. Toutefois, comme avec le lieu sûr/calme, il est
important que vous veilliez bien à ne pas faire émerger d’émotions
négatives. Comme vous le savez à présent, vos réseaux mémoriels sont des
réseaux serrés d’associations. Vous devez donc surveiller vos réactions pour
ne pas faire remonter de souvenir perturbant. Si cela arrive, il est important
de refermer le souvenir en recourant à une des techniques d’autocontrôle :
vous avez le choix entre la palette du lieu sûr/calme, la spirale, le pot de
peinture, le personnage de dessin animé, ou les techniques de respiration.
Vous pouvez faire des essais en vous mettant d’abord dans la position
du papillon, les bras croisés devant votre poitrine, avec votre main gauche
posée sur votre épaule droite et la main droite sur l’épaule gauche. À
présent, faites revenir à votre esprit quelque chose qui provoque en vous
une anxiété avec un SUD à 3 environ. D’abord, savez-vous pourquoi c’est
là, est-ce l’indication d’un problème à traiter ? Dans ce cas, avez-vous
décidé ce que vous allez faire ? Maintenant, à ce stade, il convient de
s’occuper directement de l’anxiété. Pour cela, gardez à l’esprit une image
de la situation en question, et observez vos émotions tout en tapotant
lentement vos épaules l’une après l’autre, chacune entre quatre et six fois.
Cela fait une séquence. Maintenant inspirez profondément. Si vous vous
sentez mieux, poursuivez en faisant cinq séquences. Mais si vous sentez au
contraire que ça empire, ou qu’autre chose de plus négatif remonte, arrêtez
l’exercice et utilisez vos autres techniques d’autocontrôle.
Si le papillon a donné de bons résultats, vous pouvez également
essayer de tapoter sur vos cuisses, l’une après l’autre, avec le même rythme
lent et pendant la même durée. Si cela marche aussi, vous avez ainsi une
technique de plus pour faire face à différentes situations. Toutes deux
peuvent vous aider pour gérer des situations de stress ou d’angoisse
modérée (jusqu’à un SUD de 4). Surveillez simplement si elles réduisent
votre perturbation ou si elles tendent au contraire à l’aggraver : nos réseaux
mémoriels sont parfois imprévisibles, et ce qui fonctionne bien dans un
domaine peut ne pas marcher dans un autre. Mais avec les techniques
d’autocontrôle que vous apprenez ici, la vie peut devenir plus facile à gérer.
La question qui se pose alors à vous est celle-ci : la vie est-elle
suffisamment facile à gérer, ou est-ce plutôt vous qui êtes trop modeste sur
le plan des satisfactions et du plaisir que la vie peut vous apporter ?
1.
Night Stalker : Richard Ramirez, auteur d’une dizaine de viols et d’une
quinzaine de meurtres et tentatives de meurtre en 1984-1985, en
Californie. [N.d.T.]

2.
Dans les programmes en douze étapes, initialement celui des Alcooliques
Anonymes, la personne reconnaît (étape 2) qu’une puissance spirituelle
supérieure à elle (Dieu…) « peut la ramener à la santé ». C’est en
admettant ainsi son impuissance personnelle qu’elle peut retrouver de
l’espoir. [N.d.T.]
CHAPITRE 7

La connexion cerveau-corps-
esprit

Les problèmes physiques peuvent revêtir de nombreuses formes. Il y a


un poème qui commence ainsi : « Ô corps, mon corps, mon ami, mon
compagnon, toi, le pire traître que j’aie jamais connu… » Ces vers résument
le sentiment de bien des gens à l’égard de leur propre corps : impossible de
s’en passer, mais impossible de le contrôler. J’ai envie de faire une chose,
mais mon corps en fait une autre. J’ai décidé d’essayer le plongeoir du haut,
mais j’ai les genoux qui tremblent. Je sors pour rencontrer des gens, mais je
me mets à bégayer dès que je veux engager une conversation. Je voudrais
vivre tranquillement, mais j’ai des douleurs que les médecins ne savent pas
expliquer. Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser à un certain nombre
de plaintes touchant de graves problèmes physiques. Ces plaintes sont très
courantes, et sont souvent très simples à traiter si l’on prend en compte le
contexte dans lequel elles sont apparues.
Nous allons commencer par explorer toute une série de maladies qu’on
croit souvent purement physiques, mais qui peuvent en réalité être
provoquées par des souvenirs non traités. Nous clôturerons ce chapitre avec
une activité d’exploration personnelle et une technique d’autocontrôle que
beaucoup de gens apprécient pour maîtriser la douleur.
Quand les psychologues parlent de problème « psychosomatique », ils
font en général allusion aux effets de la « psyché » (l’esprit), sur le
« soma » (le corps). Aux yeux de beaucoup de gens, cela revient
simplement à disqualifier leurs souffrances en leur disant que « cela se
passe dans leur tête ». Ce n’est pas vrai. Certes, le centre de contrôle du
corps est dans le cerveau. Mais il y a toujours des interactions entre le
cerveau, le corps et l’esprit. Parfois, nos réactions corporelles affectent
notre sérénité intérieure. Tout le monde connaît ces moments où on se sent
déprimé parce qu’on est malade ou très fatigué. Il est également vrai que
l’état d’esprit dans lequel on se trouve affecte le corps. De nombreuses
études montrent que le stress psychologique affecte les systèmes cardiaque,
respiratoire et immunitaire. Cela dit, quand nous explorerons diverses
difficultés possibles corps/esprit, rappelons-nous que c’est la façon dont les
souvenirs sont stockés dans le cerveau qui affecte peut-être directement la
manière dont on se sent et dont on réagit, tant mentalement que
physiquement. Même s’il y a un problème physique évident, comme dans
un cas de maladie ou d’amputation d’un membre, la façon dont la personne
se situe par rapport à son état peut être influencée par ses souvenirs non
traités. D’autres fois, les symptômes causés par ces souvenirs peuvent être
dissimulés sous l’apparence d’un problème médical.

Arrête, tu me tues

Commençons avec l’histoire de Carl, qui souffrait d’un trouble qui


affecte des milliers de personnes. Voici comment il se sentait depuis trente
ans :

« Mes symptômes ont commencé quand j’avais 14 ou 15 ans. Je ne me


rappelle pas exactement le moment où j’ai commencé à être malade, ou ce
que je faisais, mais ça fait partie de ma vie depuis très, très longtemps.
Quand ça m’arrive, j’ai la tête qui tourne, je tremble, je suis en sueur et j’ai
un vertige tel que je ne peux pas marcher ; je ne peux plus rien faire. À la
fin, je vomis. Toute ma vie, j’ai vu des médecins ; ils avaient tous des
théories, mais aucun n’avait la réponse. La seule chose que je pouvais faire
pour aller mieux, c’était d’aller dormir deux heures. J’ai pu constater que
ces symptômes existent dans beaucoup de maladies. Rien de ce que les
médecins m’ont donné ne m’a aidé.
« J’ai grandi, j’ai fait des études et je me suis marié, mais ces
symptômes m’ont sans cesse posé problème et m’ont empêché de vivre.
J’avais ces troubles en faisant du sport, en passant des examens, en parlant
en public, en draguant une fille, dans les entretiens, en sortant avec des
copains, etc. Ce “monstre” contrôlait ma vie et je ne savais pas comment y
remédier. Ma maladie a mis beaucoup de pression sur mon mariage et sur
mes relations avec mes enfants, et, un jour, le divorce a fini par apparaître
comme une possibilité raisonnable. Pendant que mes enfants grandissaient
et pratiquaient des activités diverses (du sport, de la musique…), ça a
commencé à affecter aussi mes relations avec eux : j’étais entraîneur de
l’équipe de foot de mon fils depuis quelques années, et j’ai dû arrêter parce
que je ne supportais pas le stress et que j’avais une crise presque à chaque
match. Et même après avoir arrêté d’être entraîneur, je ne pouvais même
pas aller voir un de ses matches sans faire une crise. Une fois, j’ai entendu
mon fils dire à sa mère qu’il voulait “un nouveau papa” parce que j’avais
trop souvent des crises. Ça m’a blessé et je me suis rendu compte qu’il
fallait que je trouve TOUT DE SUITE une solution. »

Après trente ans de souffrances, Carl a découvert qu’il avait ce qu’on


appelle un trouble panique, et il a pu en éliminer les symptômes en traitant
les souvenirs qui déclenchaient ses réactions physiques, dont certains
concernaient un changement d’école et des pressions pour faire du sport,
pour tenter de s’adapter à la nouvelle école. On peut être traumatisé par sa
première attaque de panique : on se sent très malade, on a l’impression de
mourir. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, de nombreux
souvenirs d’enfance peuvent renfermer des impressions de peur, et ces
souvenirs se trouvent activés par toutes sortes de situations stressantes du
présent. Ce qui complique encore les choses, c’est que le cerveau, se
préparant à affronter un danger, réagit à la peur en activant le corps. Mais
les émotions dominantes sont la peur et l’impuissance. Dès lors, les
réactions du corps paraissent impossibles à contrôler. Les sensations
physiques (palpitations cardiaques, vertige, respiration rapide), qui n’ont
pas de raison apparente, deviennent alors une source de terreur, et la pensée
« Je vais en mourir » peut aussi se trouver enfermée dans le réseau
mémoriel. Où aller se réfugier quand vous avez l’impression que votre
propre corps est en train de vous tuer ? Le souci de savoir quand la
prochaine attaque de sensations physiques incontrôlables va vous frapper
ajoute au stress, qui ajoute aux réactions corporelles, et cela devient un
cercle vicieux. De plus, les sensations physiques sont bien réelles. À quoi
rime de soutenir que « c’est dans la tête », face à quelqu’un qui est en train
de vomir ou qui perd connaissance ? Alors les gens, cherchant à résoudre
leur problème, passent d’un médecin à un autre, souvent pendant des
années, comme Carl. Mais c’est la connexion cerveau/corps/esprit qui
recèle les réponses, et la libération peut venir du ciblage des souvenirs non
traités qui commandent ces réactions.
Beaucoup d’événements qui semblent incontrôlables à l’enfant
peuvent produire chez lui des réactions de peur durables. Par exemple, les
études faites sur les troubles paniques montrent que plus de la moitié de
ceux qui en sont atteints ont été séparés de leurs parents à un moment de
leur enfance ou de leur adolescence, en raison d’un décès, d’un divorce ou
pour toute autre raison. Ces événements provoquent fréquemment des
sentiments d’abandon chez les enfants, qui peuvent en rester gravement
affectés. Ils se demandent : « Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? » et trouvent
toujours quelque chose. Il y a aussi le sentiment tout naturel de se retrouver
tout seul et d’avoir peur, quand quelqu’un, qui était censé vous aimer et
vous protéger, est parti. Tous ces sentiments peuvent se trouver enfermés
dans les réseaux mémoriels et plus tard, avec une accumulation de stress
dans la vie de la personne, ces souvenirs non traités peuvent être activés
sous forme de réactions somatiques incontrôlables.

LE SOUFFLE COUPÉ

Nous avons vu dans les chapitres précédents que les styles de


parentage insécurisant peuvent être à la source de nombreux problèmes. Les
conséquences pour les enfants peuvent être situées sur le plan émotionnel,
mais il peut y avoir aussi des séquelles physiques, qui commencent parfois
très tôt. Par exemple, on peut souvent trouver l’origine de l’asthme infantile
dans un manque de lien maternel avec l’enfant. La petite Gianna, à
seulement 7 mois, était déjà considérée comme asthmatique. Elle avait en
permanence du mal à respirer, il lui fallait souvent l’aide d’un nébulisateur,
et ses difficultés à respirer réveillaient sa mère au moins quatre nuits par
semaine. Elle prenait deux médicaments, mais il fallait encore l’emmener
parfois aux urgences. Sur une échelle de A à F, les médecins classaient à
« D » son état de santé général.
Sa mère, Juanita, pensait que Gianna avait de l’asthme parce qu’il y en
avait dans la famille. Elle avait trois neveux, une nièce et deux tantes qui
souffraient de formes graves d’asthme. Du côté de son mari, il y avait sept
cousins asthmatiques. Cependant, on sait que l’asthme infantile est souvent
associé au stress de la mère. Ce que Juanita raconta à son thérapeute allait
dans ce sens : issue d’une famille stricte, très croyante, elle était tombée
enceinte hors mariage. Très ennuyée, elle avait caché son état à sa famille ;
elle disait avoir « mal au cœur ». Quand elle avait fini par tout avouer, la
famille avait été si en colère contre elle qu’ils n’étaient même pas venus à
son mariage. Elle avait horriblement honte d’avoir causé une telle déception
à ses parents.
Pendant sa grossesse, Juanita eut peur tout le temps, et elle se sentait
déprimée ; l’absence de soutien de sa famille lui brisait le cœur. Elle eut un
accouchement difficile, et la petite Gianna naquit par césarienne. L’enfant
fut immédiatement enlevée à la mère, et lorsqu’on la lui rendit trois heures
plus tard, le bébé ne parvenait pas à téter. Juanita raconta que lorsqu’elle
avait pris sa fille pour la première fois dans ses bras, elle ne ressentait pas
d’amour pour elle – elle avait peur, rien d’autre. Elle se sentait incapable
d’entrer en contact, émotionnel ou physique, avec Gianna. Pour des
problèmes d’assurance sociale, elle fut renvoyée de la maternité avant d’y
être prête, et son mari dut reprendre le travail plus vite qu’elle n’aurait
voulu.
Au cours de trois séances de retraitement, on cibla les souvenirs de
Juanita : le choc de découvrir qu’elle était enceinte, la réaction de ses
proches, sa tristesse et sa peur tout au long de la grossesse, et
l’accouchement, avec la tristesse de l’absence de sa fille et la peur qui
l’avait envahie la première fois qu’elle l’avait eue dans les bras. Alors, au
cours du retraitement, elle vit une autre naissance, cette fois sans peur : elle
se sentait excitée à l’idée de découvrir qu’elle était enceinte, et elle se rendit
compte de ce que cela pouvait être de vivre cette excitation tout au long de
la grossesse. Elle en pleurait de joie. Ensuite, elle imagina Gianna née sans
césarienne ; elles restaient ensemble après la naissance, et Juanita pleura à
nouveau de joie d’être maintenant capable de ressentir cela. Elle restait
ensuite à l’hôpital aussi longtemps qu’elle en avait besoin. Tout se passait
magnifiquement.
À la fin de la séance, le thérapeute demanda à Juanita de rentrer chez
elle et de passer le reste de la journée à se reposer. La semaine suivante, elle
revint en disant qu’à sa grande surprise, elle était heureuse comme elle ne
l’avait jamais été. Mieux encore, son nouveau sentiment de bien-être et
d’amour semblait avoir affecté sa fille. L’asthme de la petite Gianna avait
disparu : plus de symptômes, ni le jour ni la nuit, plus de sifflement dans les
bronches quand elle jouait. Elle n’avait plus besoin de médicament, tout
semblait parfait. Un an plus tard, les symptômes de Gianna n’étaient pas
revenus.

L’ESPRIT, LE CERVEAU ET LE CORPS

Il faut retenir ici qu’il existe toutes sortes de sensations émotionnelles


et physiques qui peuvent provenir de souvenirs non traités. Comme nous
l’avons vu dans le chapitre 5, ces souvenirs peuvent provoquer une absence
de lien qui empêche les sentiments maternels d’amour et de protection, ce
qui s’accompagne d’une sensation physique d’engourdissement et de vide
intérieur. À l’autre extrémité du spectre, ils peuvent causer des réactions
physiques intenses. Les sensations physiques du trouble panique, ou celles
qui accompagnent l’asthme infantile, sont des sensations réelles que le
corps produit en réponse à un sentiment de danger. Ces sensations de
danger qui sont encodées dans les souvenirs non traités stockés dans le
cerveau peuvent être déclenchées par des événements du présent.
Même si ces émotions puissantes et ces sensations physiques
désagréables sont provoquées par des souvenirs non traités, elles ne sont
pas seulement « dans la tête », puisque votre cerveau envoie des signaux au
reste du corps. Le cerveau fait partie du corps, et il est à l’origine de toutes
ses réactions. Des maladies comme le trouble panique ou l’asthme infantile
peuvent être des réponses physiques à la réalité physique d’un stockage
mémoriel inadapté. C’est un point important à prendre en compte si, malgré
de nombreuses tentatives médicales, on n’a pas obtenu de résultats. Il est
possible que ce ne soit pas seulement un trouble d’ordre médical, et qu’un
autre type d’intervention soit nécessaire. Il ne sera alors pas très long de
vérifier si ce sont des souvenirs non traités qui sont à la racine du problème.

Les fardeaux du passé

Une des femmes qui participaient à l’étude contrôlée que j’ai publiée
en 1989 m’a raconté que la thérapie avait éliminé une sensation
d’étouffement qu’elle éprouvait plusieurs fois par semaine depuis un viol
oral. Peu après cela, j’ai travaillé avec une autre patiente, Élisabeth, qui
souffrait d’une phobie de la conduite automobile ; elle avait eu des
accidents de la route et ils nous servaient de cible pour le travail. Au cours
d’une des séances, Élisabeth me dit qu’elle ressentait dans son dos une
sensation de traction, qui céda alors brusquement. Ensuite, elle me dit que
cette sensation était la même que celle qui la faisait aller pratiquement tous
les mois chez le kinésithérapeute. Elle n’avait jusque-là jamais fait le lien
avec l’accident de la route qui s’était produit des années auparavant, et au
cours duquel elle avait été physiquement blessée. Après cette séance, elle
n’a plus jamais ressenti cette sensation, et n’eut plus besoin d’aller voir le
kinésithérapeute. La posture recroquevillée d’un autre patient s’est
redressée spontanément après le traitement de souvenirs d’humiliation dans
son enfance. Ce genre d’expériences montre clairement que, pour ces trois
personnes, les sensations n’étaient pas « dans leur tête » ; elles étaient dans
leur cerveau, mais elles étaient ressenties dans leur corps.

CHASSER LES FANTÔMES


Lorsque les douleurs vont et viennent, il est parfois difficile de
déterminer leur origine et leur explication. Mais ce n’est jamais autant le
cas qu’avec les douleurs du membre fantôme. On estime, aux États-Unis, à
environ 1,6 million le nombre de gens qui ont perdu un membre par
accident, suite à la guerre ou à la maladie ; c’est à peu près le même
pourcentage de la population générale que dans les autres pays développés.
Les mines antipersonnel causent des milliers d’amputations de membres
dans le monde entier, dont les victimes sont pour la plupart des civils,
surtout des enfants. Environ 80 % des amputés continuent de ressentir le
membre absent, et plus de la moitié de ceux-ci y ont des douleurs
chroniques, souvent intenses.
Il est très triste de penser à tous ces gens qui souffrent sans nécessité et
qui se croient fous, parce qu’ils ont mal à un membre qui n’est plus là.
Nombre d’entre eux se sont entendu dire : « C’est dans votre tête », puisque
cette partie du corps n’est plus là et que les antalgiques sont sans effet. À
une certaine période, des médecins ont pensé que ce pouvait être un nerf
endommagé, et des chirurgiens ont tenté de sectionner, soit des parties de la
moelle épinière, soit la partie restante du membre, en cherchant un nerf
« sain ». Les deux procédés n’ont rien donné. Aujourd’hui, on comprend
mieux les douleurs du membre fantôme : pour les scientifiques, le problème
vient de la façon dont le cerveau se modifie pour organiser le vécu
d’amputation. Grâce à l’EMDR, nous avons découvert aussi que la douleur
du membre fantôme est simplement l’une des sensations qui peuvent se
trouver stockées dans le souvenir non traité de la blessure.
La douleur du membre fantôme est différente pour chaque personne,
parce qu’elle contient les sensations qui ont été vécues au moment de
l’événement. Si la personne a eu le pied broyé, ou le bras arraché, ce sont là
les sensations qu’elle peut avoir, en même temps que toute la souffrance des
opérations chirurgicales qui se sont ensuivies. Par exemple, Jim était un
Marine en service actif, qu’on a dû amputer d’une jambe suite à des
blessures subies dans un accident. Il souffrait d’une douleur classique du
membre fantôme. On a demandé à ce Marine, entraîné, courageux, de
décrire toutes ses douleurs et de donner leur intensité sur une échelle
graduée de 1 à 10. En plus de sensations de « démangeaisons » (à 3) et de
fourmillements permanents, « comme si la jambe allait s’endormir » (5), il
avait :
⧫ une douleur sourde – 6
⧫ une douleur fulgurante environ une fois par jour – 8
⧫ une douleur irradiant du pied (fantôme) à la cuisse – 8
⧫ des crampes sévères – 9
⧫ une fois par semaine environ, une épouvantable sensation de
« sciage » – 10

Imaginez devoir faire face à tout cela, et sans aucun espoir


d’amélioration. Jim est arrivé en thérapie sans croire vraiment qu’on puisse
faire quoi que ce soit pour ses douleurs, mais pour tenter de faire face aux
autres symptômes liés à l’accident : ESPT massif avec tous les jours des
pensées intrusives, une hypervigilance (toujours sur le qui-vive), des
difficultés à conduire, de la dépression, de l’anxiété, de l’irritabilité, des
difficultés à dormir, peu d’énergie, de la culpabilité. Il n’espérait plus rien
de l’avenir, et il était en difficulté dans ses relations avec les autres parce
qu’il avait l’impression qu’ils le regardaient comme « un monstre ».
Jim étant démobilisé et devant rentrer dans la ville où il habitait, il ne
put avoir que quatre séances d’EMDR. Mais il fit de grands progrès pendant
ces séances. Avec son thérapeute, ils ciblèrent le souvenir de son accident,
où il s’était retrouvé assis par terre, la jambe presque détachée du corps,
essayant de contenir l’hémorragie. Malgré la brièveté de la thérapie, l’ESPT
et la dépression cédèrent. De plus, toutes les sensations de douleur
disparurent, sauf une sensation de fourmillement à 2-3, qu’il parvenait
facilement à ignorer. Au cours du travail, Jim exprima son sentiment de
résilience personnelle à travers cette devise : « L’acier s’étire et se plie,
mais ne casse pas. » Il rapporta aussi une image de lui-même qui lui était
apparue spontanément : il marchait avec confiance, avec une nouvelle
prothèse, et se sentait « fort et puissant ».
Comme celui de Jim, certains cas de douleur du membre fantôme sont
évidents : on traite le souvenir de l’accident, les déclencheurs du présent et
enfin les peurs de l’avenir. Mais ce n’est pas toujours aussi facile. Il y a
ainsi eu un cas très complexe en Allemagne. Un automobiliste ivre avait
percuté la moto de Dieter. Au cours de l’accident, il avait eu la jambe
pratiquement arrachée, avec en plus de nombreuses blessures internes. Il
souffrait tellement que les médecins le mirent en coma artificiel après
l’amputation de sa jambe. Il entama ensuite divers programmes de
rééducation, mais sans résultat, et il continua à souffrir d’intenses douleurs
du membre fantôme (10 sur 10) pendant huit ans. Enfin, il essaya encore un
nouveau programme de rééducation ; il y rencontra un psychiatre, qui le
traita par l’EMDR.
Il fallut neuf séances de traitement pour éliminer les souffrances de
Dieter. Outre le souvenir de l’accident de moto, il fallut traiter la culpabilité
et le chagrin qu’il ressentait pour la fausse couche que sa femme avait faite
en apprenant son accident. Il y avait aussi la visite d’un prêtre dans sa
chambre d’hôpital, qui lui avait dit que « Dieu voit toujours tout et veille
sur chacun d’entre nous ». Il se rappelait à la fois sa colère, mais aussi son
sentiment durable de culpabilité après la visite du prêtre : il n’était « pas
assez bien pour que Dieu le protège ». À la fin de cette séance, Dieter
reconnut qu’il n’avait rien fait qui méritât une punition, et qu’il devait
réorienter son énergie pour reconstruire sa vie. Après deux autres séances
sur la scène de l’accident, la douleur disparut complètement, et elle n’est
jamais réapparue depuis – comme le confirma son thérapeute dix-huit mois
plus tard, et maintenant, cinq ans après.
On le voit, si la douleur physique de Jim ou de Dieter était restée
bloquée dans leur cerveau (huit ans dans le cas de Dieter), elle a été
éliminée quand le souvenir a été traité. Ce ne sont pas là des cas isolés,
puisque des chercheurs de quatre pays différents ont publié des articles
rapportant des traitements réussis de douleur du membre fantôme avec
l’EMDR. Il y a certainement des cas de lésions graves des nerfs, ou des
situations impliquant une blessure d’un autre type ; mais, dans un très grand
nombre de situations, la douleur appartient simplement au souvenir
traumatique. Autre exemple : beaucoup de femmes qui ont subi une
mastectomie peuvent souffrir de douleurs du sein fantôme. Aussi longtemps
que le souvenir d’une opération reste « bloqué », on peut ainsi avoir des
sensations de douleur fantôme à l’endroit de l’opération ou de la blessure, et
elles ne disparaissent pas forcément toutes seules. Pour la même raison, des
gens qui ont subi des brûlures ou une agression peuvent continuer à
ressentir des douleurs longtemps après leur guérison. Dans ces cas, les
sensations de douleur du traumatisme peuvent être encore présentes dans
leurs réseaux mémoriels. Si vous êtes dans ce cas, il est peut-être intéressant
de voir si le traitement de votre souvenir ne soulagerait pas votre douleur.
DE LA TÊTE AUX PIEDS

D’autres types de douleurs corporelles inexpliquées, y compris les


maux de tête, peuvent être causés aussi par des souvenirs non traités. Par
exemple, une des victimes d’abus sexuel que j’ai traitées me disait que les
maux de tête quotidiens qu’elle avait depuis des années avaient disparu
après ses séances de retraitement EMDR. Des témoignages de ce genre sont
assez courants. Une guide touristique, très active, avait toutes les deux
semaines des migraines qui la contraignaient chaque fois à un repos forcé
pendant deux jours. Elle était allée voir un neurologue, avait passé des
scans cérébraux et pris tous les antimigraineux possibles, sans aucun
résultat. Son thérapeute remarqua qu’elle se donnait entièrement à son
travail, et qu’elle était légèrement perfectionniste. Et on s’aperçut que la
journée ou la nuit avant une crise de migraine, elle avait l’impression
d’avoir fait quelque chose de travers. Ensemble, ils ciblèrent les souvenirs
qui alimentaient son impression d’être « décevante » et « pas assez bien »,
et les migraines disparurent. Un autre patient avait des maux de tête tous les
dimanches soir, depuis ses 8 ans. Or, ses parents s’étaient séparés à cette
époque ; il devait passer tous les week-ends chez son père et revenait chez
sa mère tous les dimanches soir. En traitant la façon dont il avait vécu la
séparation de ses parents, on put voir que ses maux de tête étaient une
expression de la tension qu’il ressentait en passant d’un logement à l’autre.
Donc, si vous (ou un de vos proches) souffrez de maux de tête, il ne serait
peut-être pas très long, grâce au retraitement, de découvrir s’ils sont causés
par le stress ou si ce sont les vestiges d’un ancien souvenir.
Notez ce point : même s’il y avait, à l’origine, une cause physique, il
pourrait être utile de vérifier la source de la douleur qui a perduré. Un
dernier exemple devrait suffire à montrer que les effets de la douleur
stockée peuvent revêtir bien des formes : une éducatrice de 45 ans, un an
avant le début de sa thérapie, avait eu un accident de voiture dans lequel
elle était au volant. Patricia avait des flashbacks, des sentiments
d’impuissance, des cauchemars et des pensées intrusives, ainsi que des
douleurs dans le dos et dans une jambe, qui l’handicapaient beaucoup dans
la vie de tous les jours. Il lui fallait un déambulateur pour marcher, et elle
traînait la jambe droite. Le fait que son mari avait, lui aussi, été blessé,
renforçait encore sa culpabilité et son sentiment d’être responsable de
l’accident. Au cours de la séance où ce dernier fut ciblé, Patricia vit l’image
des phares arrivant sur elle, et sa jambe droite s’avança en un éclair, comme
si elle était en train de freiner. La jambe resta dans cette position tout le
temps du retraitement, pendant que Patricia prenait conscience qu’elle avait
fait tout ce qu’elle pouvait ; en même temps, elle disait qu’elle « guérissait
de son impuissance et de ses douleurs ». À la fin de la séance, elle se leva et
sortit de la salle de consultation sans utiliser son déambulateur.
On a là encore un exemple de douleur fantôme. Le handicap de
Patricia était bien réel ; la douleur ne lui permettait pas de marcher. La
cause originelle de sa douleur était partie, mais les sensations en étaient
toujours stockées dans le souvenir non traité de l’accident. Comme dans les
cas de douleurs qui ne s’en vont pas après certains types d’opérations
chirurgicales, on a là encore un exemple de la façon dont les souvenirs
stockés apparaissent parfois sous la forme de symptômes physiques.

Je ne sens rien

Comme nous l’avons vu, les impressions liées à un événement stocké


dans nos réseaux mémoriels peuvent produire des sensations de douleur.
Mais elles peuvent aussi nous empêcher de sentir quoi que ce soit, même
les émotions que nous voudrions avoir. C’est un aspect courant en
sexothérapie. Les gens ressentent de l’amour pour leur partenaire, ils
veulent être proches de lui ou d’elle, avoir ensemble une relation intime,
mais ils n’ont pas de désir sexuel. Pour une raison qu’ils ne comprennent
pas, c’est bloqué en eux. Ici encore, ce sont souvent les souvenirs d’une
expérience. Par exemple, Bill a été adressé à un thérapeute EMDR parce
qu’il souffrait d’impuissance. La cause de son trouble remontait à ses 6 ans,
à la période où ses parents avaient divorcé. Sa difficulté venait de ce que sa
mère lui avait dit, à l’époque, qu’il n’arrivait pas à remplacer son père. Bien
sûr, ce n’est pas là le rôle d’un enfant de 6 ans. Mais, on le sait, les jeunes
enfants prennent très souvent à leur charge les erreurs de leurs parents. Et, à
l’âge adulte, la maladie récente de sa mère, qui l’avait conduite à partir en
maison de retraite, avait réactivé sa culpabilité, le souvenir de la déception
qu’il lui avait causée et les paroles qu’elle avait eues, disant qu’il « n’était
pas un homme ». Son « impuissance » était une expression physique du
sentiment de son incompétence à s’occuper de sa mère. Au cours du
retraitement, ses sentiments passèrent de « Je suis nul » à « Je suis bien
comme je suis », et il retrouva son désir et ses capacités sexuelles.
Alors que les difficultés de Bill étaient déclenchées par un événement
du présent, les problèmes d’ordre sexuel peuvent être très sévères et durer
très longtemps. À 34 ans, Barbara était dans un groupe de thérapie sexuelle
accueillant des femmes qui n’éprouvaient pas de désir et ne parvenaient pas
à l’orgasme. Elle était très amoureuse de son ami, mais ne pouvait pas faire
l’amour. Lorsqu’un membre du groupe lui demanda quand elle avait eu
envie de faire l’amour pour la dernière fois, elle répondit, très en colère :
« Jamais ! »
Le thérapeute lui proposa des séances d’EMDR individuelles et la
technique du pont d’affect ramena le souvenir de sa première expérience
amoureuse, à 15 ans. Son petit ami l’avait ramenée chez elle et, devant la
porte d’entrée, ils avaient échangé un premier baiser très chaste. Elle se
rappelait s’être sentie « toute chose » pour la première fois, mais son père
avait brusquement ouvert la porte en la traitant de « pute ». Elle s’était
immédiatement fermée, et pendant les vingt années suivantes n’avait plus
ressenti aucun désir sexuel. Après avoir retraité le souvenir, elle retrouva ses
capacités, y compris celle d’atteindre l’orgasme. La porte qui avait claqué si
violemment sur sa sexualité s’était enfin rouverte.
Des milliers de gens souffrent de symptômes qui font croire à une
maladie classique. On peut parfois repérer facilement qu’ils sont issus d’un
souvenir unique, parce que les liens de l’un à l’autre sont clairs : dans le cas
de Barbara, il s’est passé quelque chose qui a bloqué sa capacité à éprouver
des émotions d’ordre sexuel. Dans d’autres cas, en revanche, c’est plus
complexe, parce que de nombreux facteurs sont en jeu. Une difficulté
semble causée par un trouble d’ordre médical ; la personne a bien eu ce
trouble autrefois, mais il avait disparu. Maintenant, bien des années plus
tard, il réapparaît. Les médicaments sont sans effet, mais les médecins sont
certains que c’est simplement une rechute. C’est parfaitement plausible,
mais ce n’est peut-être pas vrai. Dans la plupart des cas, en EMDR, les gens
ne viennent pas chercher des réponses à leurs problèmes physiques. Ils
veulent être soulagés d’autres symptômes, d’ordre émotionnel. Cependant,
nous l’avons vu, les réseaux mémoriels sont complexes et leurs effets
peuvent être de longue durée.
Aaron était un homme de 50 ans ; il était en thérapie pour traiter des
souvenirs remontant à une manifestation étudiante contre la guerre du
Vietnam, bien longtemps auparavant. Il avait essayé d’empêcher les
affrontements entre les étudiants et la police, mais dans le chaos, il avait été
battu et roué de coups de matraque partout sur le corps. Il s’était retrouvé à
l’hôpital pour une longue période, avec de douloureuses blessures à la tête
et des engourdissements des jambes, mais, avec une importante
rééducation, il avait fini par guérir. Et maintenant, plus de trente ans après,
ces engourdissements étaient revenus. Depuis dix-huit mois, il devait
circuler avec un déambulateur, parce qu’il ne sentait plus ses jambes. Les
médecins avaient diagnostiqué une neuropathie due à des nerfs
endommagés autrefois lors des coups reçus à la manifestation.
Mais ce n’était pas ce qui l’avait poussé à venir en thérapie. Il était
venu en thérapie parce que, depuis que les troupes américaines
intervenaient en Irak, il avait des flashbacks des manifestations contre la
guerre du Vietnam auxquelles il avait participé.
Pendant le travail sur ces souvenirs, d’autres associations émergèrent :
il fit partager à son thérapeute quelque chose qu’il n’avait jamais dit à
personne, parce qu’il pensait qu’on allait le prendre pour un fou. Il se disait
parfois qu’il avait dû vivre une autre vie, au cours de laquelle il était mort
dans un camp de concentration. C’était la seule conclusion possible pour
lui : toute sa vie, il avait eu des flashbacks et des cauchemars, avec tous les
détails, précis, horribles, de la vie et de la mort dans un de ces camps. Dans
ces visions, il se sentait impuissant, incapable de bouger, de réagir ou de
faire quoi que ce soit pour changer les horreurs qu’il voyait autour de lui.
Le thérapeute cibla l’image du camp ; après quelques séquences de
mouvements oculaires, Aaron sursauta et dit : « Mon Dieu, ce n’est pas moi
– ce sont les souvenirs de mon oncle ! » Les récits de son oncle, à l’écoute
desquels il se voyait lui-même dans la situation et ressentait tout si
vivement, si clairement, avec les odeurs, les goûts, les bruits – ces récits
avaient fini par devenir, pour lui, les siens. On a là un exemple parfait de
« traumatisation secondaire », où on peut développer un ETSP simplement
en entendant parler d’un événement. C’est un phénomène très courant chez
les jeunes enfants, qui voient par exemple quelque chose qui les perturbe à
la télévision et qui ont l’impression que cela leur arrive à eux.
Aaron n’avait que 4 ans quand son oncle Herschel arriva aux États-
Unis. C’était un survivant des camps de la mort, et, à sa libération par
l’armée russe, les parents d’Aaron l’avaient parrainé pour qu’il vienne vivre
avec eux aux États-Unis. Comme l’appartement était petit, ils lui firent
partager la chambre d’Aaron. Pour protéger son neveu, pour empêcher
l’histoire de se répéter, pour s’assurer qu’il n’oublierait pas ce qui pouvait
arriver, l’oncle racontait à l’enfant des histoires horribles de sa vie dans les
camps. Dans sa souffrance, il racontait sans cesse ses luttes de tous les
jours, sa peur, les morts brutales autour de lui. Aaron avait repris ces
histoires à son compte.
Des années plus tard, en travaillant les souvenirs, il comprenait
comment ils se reliaient à sa propre prise de décision à l’âge adulte. Il
commença à voir sa neuropathie comme un symbole d’impuissance, de
paralysie dans sa vie, et d’incapacité à réagir dans son environnement.
C’étaient là les histoires et les croyances qu’il avait absorbées dans les
récits de son oncle, et il prenait peu à peu conscience qu’elles n’avaient pas
à définir sa vie à lui. Il s’aperçut que les impressions d’impuissance qu’il
avait ressenties au cours de son matraquage dans la manifestation contre la
guerre du Vietnam avaient été réactivées par l’invasion de l’Irak. Quand ces
souvenirs d’avoir été battu avaient été activés, la neuropathie qu’il avait
subie était revenue aussi. Tous ces vécus étaient également reliés aux
histoires d’impuissance de l’oncle, dans le camp de concentration.
Sur une période d’un an, Aaron et son thérapeute ciblèrent les
souvenirs de la guerre du Vietnam, les récits qu’il avait entendus des camps,
et sa difficile relation avec ses parents. Au fil du travail, il commença à ne
plus se servir que d’une canne, et à la dernière séance, il marchait sans
assistance. Il pouvait agir de nouveau, libéré des souvenirs qui
l’handicapaient. Il est évident que nous pouvons tous absorber bien des
choses qui ne nous appartiennent pas.
Si vous avez des symptômes médicaux inexpliqués, il est possible que
les problèmes physiques soient dans les réseaux mémoriels de votre cerveau
– pas dans la partie du corps qui vous fait mal ou que vous ne sentez plus.
Les sensations de douleur du membre fantôme, ou d’engourdissement, sont
absolument réelles. Elles peuvent provenir de sensations stockées dans nos
réseaux mémoriels, mais il n’y a aucune différence entre la manière dont
nous ressentons ces sensations passées et une maladie physique dans le
présent : par exemple, si quelqu’un pique votre main engourdie avec une
épingle, vous ne le ressentirez pas, qu’il s’agisse d’une véritable
neuropathie causée par des nerfs endommagés, ou d’un manque de
sensibilité provoqué par des souvenirs anciens non traités. Si vous avez des
troubles physiques inexpliqués, c’est peut-être une voie à explorer pour
vous.

Le miroir brisé

Dans la section précédente, nous avons traité de symptômes physiques


provenant de réseaux mémoriels. Cependant il y a toute une variété de
« problèmes physiques » qui peuvent amener quelqu’un en thérapie.
Certes, nous aimerions presque tous pouvoir changer quelque chose
dans notre apparence, mais il y a des gens que cela trouble très
profondément. Lorsqu’ils se regardent, ils ont l’impression que des parties
de leur corps sont mal formées ou hideuses. On les considère souvent
comme des schizophrènes ou des paranoïaques, parce qu’on pense que leurs
visions sont des hallucinations : personne d’autre ne voit de problème, mais
la personne en est convaincue. Les conséquences de ces troubles vont de
l’évitement des autres à des opérations chirurgicales sans nécessité et à des
tentatives de suicide. Par exemple, Stéphanie était dans l’impossibilité de
travailler, depuis deux ans, parce qu’elle pensait que ses collègues la
méprisaient. Elle était sûre de sentir mauvais à cause d’une transpiration
excessive, malgré deux bains par jour, des changements fréquents de sous-
vêtements et l’usage de quantité de poudres et de déodorants. Elle ne
pouvait pas supporter de sortir avec des amis, parce qu’elle pensait qu’on
parlait d’elle.
Au cours des quinze dernières années, elle avait été fréquemment
hospitalisée pour des idées suicidaires, et prenait trois traitements
médicamenteux différents. Rien n’y faisait. La goutte qui fit déborder le
vase fut le jour où Stéphanie trouva un flacon de déodorant près de son
bureau au travail. Submergée de honte, croyant qu’il s’agissait d’un
commentaire sur son odeur corporelle, elle prit délibérément une dose
excessive de somnifères en rentrant chez elle et dut être à nouveau
hospitalisée. Au cours de sa thérapie EMDR, elle se souvint du jour qui
avait marqué le début de ses difficultés. Elle avait 12 ans, et elle avait
apporté de la nourriture pour le cours de cuisine du vendredi.
Malheureusement, le cours de cuisine fut annulé. En revenant en cours le
lundi, Stéphanie alla à son casier et prit le sac qu’elle pensait contenir ses
affaires de gymnastique. Quand elle l’ouvrit, une odeur de poisson pourri
emplit le vestiaire : c’était la nourriture qu’elle avait oublié de remporter
chez elle après l’annulation du cours de cuisine. Ses camarades se
moquèrent d’elle, l’accusant de porter des sous-vêtements sales. Elle fut
envoyée chez le principal, qui la gronda pour son manque d’hygiène. Elle
rentra en courant chez elle, en larmes, et ne put se résoudre à revenir en
classe de la semaine. Puis, deux ans après, elle alla voir un médecin, qui lui
dit qu’elle avait les glandes sudoripares d’un homme.
Stéphanie souffrait depuis trente ans de cette croyance, parce que ses
expériences anciennes étaient restées non traitées. En trois séances, ses
symptômes cédèrent, et ils n’étaient toujours pas revenus quand on
l’interrogea cinq ans après. Pour beaucoup d’entre nous, comme pour
Stéphanie, la cause des symptômes n’est pas toujours un « trauma majeur »
comme une catastrophe naturelle ou une agression physique. Il peut souvent
s’agir d’humiliations, qui ont eu lieu à un âge précoce. L’adolescence est un
âge très vulnérable, et se retrouver la tête de Turc des autres peut laisser des
cicatrices toute une vie. La thérapie de Stéphanie dura trois séances, mais
elle ne se souvint de l’événement critique que lors de la dernière. Les cibles
initiales étaient des événements plus récents où elle pensait que les gens
étaient dégoûtés par son odeur. Mais ces réseaux de mémoire sont tous
interconnectés. Donc, même si vous ne vous rappelez pas l’incident ancien
qui a causé vos difficultés, l’exploration peut être utile : ce peut être la voie
pour vous libérer de vos symptômes.
Ce même type de souvenirs peut être à la racine d’émotions qui
causent des troubles des conduites alimentaires, comme chez ces personnes
qui se trouvent grosses, alors que tout le monde les trouve maigres. On a
beaucoup de récits de gens qui ne peuvent plus manger à cause de
remarques désobligeantes que des proches leur ont faites au cours de leur
adolescence. Ou d’impressions d’étouffement provoquées par des souvenirs
d’enfance d’incidents alimentaires ou de forçage violent au cours d’un
repas. La thérapie EMDR n’est pas une panacée, mais elle peut aider les
gens à retrouver une maîtrise de leur corps en traitant les souvenirs
d’expériences qui les empêchent d’avoir un mode de vie sain et adapté.
On peut avoir toutes sortes de croyances négatives à propos de son
apparence, alors que ces croyances n’ont aucun sens pour l’entourage ; par
exemple, les hommes peuvent être extrêmement soucieux de la perte de
leurs cheveux, passant des heures devant une glace pour essayer de la
dissimuler, ou ayant des pensées intrusives concernant le fait de devenir
chauve. Cela peut indiquer qu’un souvenir non traité les amène à cette
vision d’eux-mêmes. Parfois, il y a un souvenir net d’avoir été insulté ; mais
parfois, c’est la remarque innocente d’un ami qui est en jeu. Maria souffrait
ainsi depuis vingt-quatre ans de la croyance qu’elle était couverte de poils
disgracieux, à cause d’une remarque d’une tante à propos de ses dessous de
bras à l’adolescence. Le problème devint si grave qu’elle ne pouvait plus
sortir sans s’épiler pendant des heures devant le miroir, tous les jours. Trois
séances vinrent à bout de la croyance et elle put, pour la première fois de sa
vie, aller nager joyeusement avec sa sœur, en bikini. Comme je l’ai dit plus
haut, on ne met pas longtemps à découvrir si des souvenirs non traités
jouent un rôle dans le problème de la personne.

Je sais que quelque chose ne va pas

Beaucoup de gens ont l’impression qu’ils ont quelque chose qui ne va


pas dans leur corps, et ils consacrent un temps infini à chercher des
réponses et des diagnostics. Leurs amis et leur famille les traitent souvent
d’hypocondriaques et tentent de leur faire oublier leurs peurs, mais cela
fonctionne rarement. Il s’agit par exemple de gens qui ont une crainte
excessive de tomber malades : chaque fois que la personne tousse, c’est
pour elle l’indication qu’elle a un cancer du poumon, parce qu’elle a eu
précédemment un cancer ou a perdu un parent ou un ami d’un cancer.
Quelquefois, la cause du problème passe complètement inaperçue. Quelle
que soit la raison, il est important d’aborder la peur et l’inquiétude de la
personne, non seulement parce que cela rend sa vie très difficile, mais aussi
parce que ce stress continuel peut aussi avoir des effets physiques négatifs
sur elle.

DÉBARRASSEZ-MOI DE ÇA !

Laurence vint en thérapie après un cancer. Elle expliqua au thérapeute


que, deux ans avant le diagnostic, elle soupçonnait de plus en plus, sans en
avoir la preuve, qu’elle avait un cancer du sein ; les médecins, considérant
sa conviction comme « irrationnelle », lui donnèrent des anxiolytiques.
Malgré des autopalpations et des mammographies une fois par an, on ne
découvrit son cancer qu’à un stade extrêmement avancé. Heureusement,
elle fut traitée avec succès. Pourtant, alors que les marqueurs du cancer
étaient revenus à la normale, elle ne se sentait pas soulagée, comme elle s’y
serait attendue. Elle avait plutôt l’impression d’une sensation incontrôlable
de panique, et elle « savait qu’elle allait mourir ». Cela se déclencha le plus
nettement lorsqu’elle vit sur les bus de la ville des panneaux publicitaires
disant : « La détection précoce sauve des vies », lors d’une campagne de
détection du cancer du sein. Elle se sentait anxieuse, désespérée, frustrée, et
elle disait que, même si elle n’avait jamais encore vécu une rechute du
cancer, elle la craindrait toute sa vie. Elle ne savait pas comment vivre,
maintenant qu’elle avait survécu. Sa peur du cancer devenait de plus en plus
forte au fil du temps.
En se centrant sur les affiches des bus et en se servant du pont d’affect,
son thérapeute et elle ramenèrent le moment où on lui avait annoncé le
diagnostic. Elle avait eu le même sentiment de panique et l’impression
d’une mort certaine. C’est très courant chez les malades atteints du cancer.
Il y a le choc du diagnostic lui-même, souvent combiné avec quelque chose
que le médecin a dit ou, au contraire, n’a pas dit. Au cours de sa première
séance de traitement en EMDR, le SUD de Laurence tomba de 8 à 1.
Une semaine plus tard, devant ces affiches, Laurence ne vivait plus ces
sentiments de panique, ni son impression qu’elle allait mourir. Réévaluant
son souvenir, elle lui donna un SUD de 1, sans aucune émotion associée au
souvenir, mais avec une sensation inconfortable de brûlure dans la poitrine.
En ciblant cette sensation, elle put traiter des sensations brûlantes dans le
sein amputé, des scènes où elle imaginait qu’on lui enlevait le sein pendant
l’opération, et le souvenir de la première fois où elle avait vu sa vilaine
cicatrice, avec les agrafes, dans le miroir. Les sensations de brûlure
augmentèrent, puis disparurent à travers son bras, sa poitrine, son cou et sa
tête – et elle n’eut plus aucune sensation de douleur fantôme après cette
séance. La cognition positive qui lui vint était celle-ci : « Je suis une dure à
cuire. Même si ça m’a fait très peur, je savais que j’aurais la force d’arriver
là où j’en suis. J’ai réussi. » Cela lui paraissait complètement vrai. De
soulagement, Laurence éclata en larmes en disant : « Je croyais que je ne
pourrais pas dire ça avant dix ans ! »
Lors de la séance suivante, Laurence repéra une croyance : elle aurait
attiré sur elle le cancer. Des souvenirs de multiples expériences d’enfance,
figées dans leur forme originelle et accompagnées de la croyance « c’est ma
faute », furent traités et disparurent en deux séances. Elle finit la thérapie
avec une croyance solide : « Je n’ai rien fait de mal. C’est arrivé, c’est
tout », en même temps qu’une certitude : « J’ai beaucoup à offrir. » Sept ans
après son diagnostic, tous les tests indiquent que Laurence n’a pas de
cancer. Elle n’a plus l’anxiété qu’elle avait en allant aux mammographies,
tous les ans. Outre la résolution de ses peurs extrêmes d’une rechute, la
thérapie lui a apporté une bien meilleure confiance en son corps, en son
intuition et en sa capacité de surmonter tout ce que la vie pourra lui
apporter.
Des résultats de ce genre sont très importants, pour de nombreuses
raisons. D’abord, on ne peut pas profiter de la vie quand on est tenaillé par
la peur de mourir. Ceux qui ont eu une maladie comme un cancer, un
infarctus ou un AVC ont le choix de revenir complètement dans la vie ou de
continuer de vivre dans l’ombre de la mort. L’esprit et le corps ne sont pas
séparés. Outre le fait que cela empoisonne notre vie quotidienne, un chaos
émotionnel permanent peut aussi avoir un effet négatif sur notre santé. Les
études sont formelles : les symptômes de dépression et de trauma sont
corrélés avec une probabilité accrue de rechute ou de décès chez les
personnes qui ont connu un infarctus. Heureusement, une étude récente
montre qu’en seulement huit séances l’EMDR est à même de traiter
efficacement la détresse psychologique de ceux qui viennent d’avoir une
attaque cardiaque. Dans une autre étude, on a montré que des enfants
souffrant d’ESPT depuis plus de trois ans après le passage d’un ouragan
allaient moins souvent voir leur généraliste dans l’année suivant leur
traitement EMDR. Donc, si vous n’arrivez pas à traiter votre dépression ou
votre anxiété avec les techniques d’autocontrôle décrites dans ce livre,
pensez à traiter le trauma. Car c’est un trauma : quand on a l’impression
qu’on ne peut plus faire confiance à son corps, ou qu’on ne le contrôle plus,
il est temps de faire quelque chose.

QUE CE SOIT VRAI OU FAUX

Nous l’avons vu, quand on pense sans cesse, avec une inquiétude
excessive, à la manière dont son corps réagit, les coupables sont en général
des souvenirs non traités qui agissent en coulisses. Mais il arrive que
l’émotion provenant des souvenirs non traités ne soit pas de la peur, mais du
soulagement.
Pam avait 42 ans quand elle a commencé sa thérapie, après des années
de maladies physiques et d’accidents. Elle souffrait de douleurs chroniques
et se plaignait de ne pas se sentir complètement vivante. À 10 ans, des
parties de son corps s’étaient paralysées. Le médecin ne trouva rien
d’anormal et dit aux parents de Pam que ce devait être psychosomatique.
Au retour de ce rendez-vous chez le médecin, les parents essayèrent de la
convaincre de « se secouer », mais Pam passa la nuit suivante à hurler de
douleur.
Apparemment, le médecin avait tort. Le lendemain matin, les parents
de Pam l’emmenèrent à l’hôpital. Après de nouveaux tests, on l’opéra en
urgence. À son réveil, sa mère lui dit qu’on lui avait enlevé une tumeur
cancéreuse dans le cerveau. Et cette enfant de 10 ans fut contente de savoir
qu’elle avait un cancer, parce que ses parents la croyaient enfin. Cette
expérience scella en elle la croyance suivante : « On m’acceptera si j’ai un
diagnostic médical inquiétant. » Ce genre d’expérience amène bien des gens
à penser qu’ils ne peuvent obtenir de l’attention que s’ils sont malades. Pour
d’autres, être malade est la seule manière de pouvoir s’arrêter de s’occuper
de quelqu’un d’autre ou de dire « non ». Mais dans les deux cas, des
souvenirs non traités sont en général à la racine de ces difficultés.
D’autres fois, la cause du problème implique des gens que nous
n’avons vus qu’une fois, que nous ne reverrons jamais, et qui ont poursuivi
leur petit bonhomme de chemin sans même se douter du mal qu’ils ont fait.
Ils seraient même probablement horrifiés de découvrir les difficultés qu’ils
ont provoquées. Par exemple, Rita allait finir ses études secondaires et
partait au Brésil étudier pendant un semestre. Elle avait 19 ans. Sa mère
voulait que Rita fasse de l’EMDR avant de partir, en raison des peurs et de
l’anxiété de sa fille : chaque fois qu’elle avait un rhume ou un petit
symptôme quelconque, Rita s’affolait et appelait compulsivement sa mère
pour qu’elle la rassure. Sa mère voulait donc s’assurer qu’elle allait bien
avant de partir pour le Brésil. Un pont d’affect révéla qu’à l’âge de 8 ans,
Rita avait été emmenée aux urgences pour une morsure de chien. Les
soignants, autour d’elle, s’étaient mis à échanger des plaisanteries sur le fait
qu’elle allait sûrement mourir de cette morsure. Même si elle comprenait
maintenant qu’ils étaient en train de la taquiner, l’incident était stocké dans
ses circuits mémoriels et, depuis, elle avait peur de mourir.
Cela dit, il y a certainement quelquefois des choses très graves.
L’EMDR ne traitera pas une maladie physique. Par exemple, il y a des
milliers d’enfants traités médicalement pour ce qu’on appelle un trouble du
déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Si le diagnostic est
correct, il s’agit d’une maladie neurologique innée et l’EMDR ne la traitera
pas. Cependant, beaucoup des symptômes du TDAH sont exactement les
mêmes que ceux qu’un enfant peut avoir à la suite d’un incident perturbant
ou traumatisant. Par exemple, la maman de Bradley pensait qu’il souffrait
d’une blessure à la tête parce qu’il avait fait une chute en jouant dans la
semaine où ses symptômes avaient commencé, avec d’abord un pipi au lit et
du somnambulisme. Voici la description par la mère de certains des autres
changements de comportement de Bradley :
« Au fil des semaines, la situation a empiré. Bradley, qui était un
enfant heureux, sociable, brillant, est devenu maussade, anxieux et irritable.
Il ne voulait plus rester seul dans une pièce, ni prendre un bain. C’est moi
qui l’instruisais à la maison ; il avait toujours été brillant, concentré, lui
faire les cours était facile. Il était maintenant devenu extrêmement distrait, il
ne tenait pas en place, incapable de rester assis pour la tâche la plus simple.
Il pleurait facilement et avait des pensées négatives qui revenaient sans
cesse. Il me disait souvent qu’il n’arrivait pas à “s’enlever les vilaines idées
de la tête”. Il a commencé à rester couché. Ses mains tremblaient tout le
temps. Des amies me demandaient ce qu’avait mon fils. Même le moniteur
de natation avait remarqué une nette baisse de sa capacité d’attention aux
entraînements et aux compétitions ; ses performances avaient
significativement baissé, et sa maladresse et son incoordination étaient
frappantes – comme s’il ne savait plus nager. »
Ensuite on a compris que c’était le film Predator qui avait traumatisé
ce petit garçon de 6 ans. Sa chute était une simple coïncidence. Quand le
souvenir du film eut été traité, les symptômes disparurent. On trouve aussi
beaucoup de ces difficultés chez les enfants diagnostiqués TDAH.
Cependant, pour un grand nombre de ces enfants, le diagnostic est faux,
quand la distractibilité, les troubles du comportement, l’irritabilité et la
capacité attentionnelle réduite résultent de souvenirs non traités. Si vous
avez un de ces enfants dans votre entourage, ce pourrait être une bonne idée
de demander à un professionnel de voir si des vécus perturbants ne sont pas
à l’œuvre derrière ses troubles.
L’EMDR n’éliminera pas les déficits cérébraux causés par une
blessure, une toxine ou des facteurs génétiques. Cependant, même dans les
vrais cas de TDAH, on peut l’utiliser pour traiter les souvenirs d’échecs et
d’humiliations qui vont souvent de pair avec ce trouble. Cela peut amener
une réduction des symptômes, et donc du besoin de médicaments. De
même, des chercheurs en EMDR ont récemment rapporté des cas de
personnes handicapées mentales, dont certaines considérées comme
autistes. Après le retraitement de leurs souvenirs, non seulement les
symptômes traumatiques ont été éliminés, mais les éducateurs ont relevé
que leurs capacités sociales et cognitives s’étaient améliorées. Ils se
livraient plus volontiers à leurs activités, se montraient plus autonomes et
acquéraient de nouvelles compétences. Par exemple, un homme de 54 ans,
diagnostiqué autiste à 3 ans, avait passé toute sa vie dans des institutions
depuis l’âge de 5 ans, parfois en isolement pour des agressions physiques.
Après la thérapie, il dit qu’il se sentait « plus détendu, moins sombre, plus
amical avec les autres, le cœur plus léger, moins fanatique qu’avant ». Un
garçon handicapé mental de 22 ans, qui vit dans une institution accueillant
des handicapés physiques, et qui a été diagnostiqué à la fois autiste et IMC 1,
résumait ainsi les changements qu’il ressentait après l’EMDR : « J’ai
retrouvé ma force. » Même si le trouble vient d’un problème neurologique
inné, on peut diminuer les symptômes de la personne lorsque des souvenirs
non traités sont en jeu.
Il est également important de garder à l’esprit que nous apprenons de
nouvelles choses tous les jours. Par exemple, des études ont indiqué
récemment que des milliers d’enfants peuvent être diagnostiqués TDAH par
erreur, simplement parce qu’ils ont commencé l’école plus tôt et qu’on les
compare à des enfants plus âgés de la même classe ; comme ils sont plus
jeunes, ils peuvent être moins attentifs ou incapables de suivre. Cela signifie
qu’on leur attribue un diagnostic et qu’on leur prescrit un traitement
médicamenteux sans nécessité. Cela signifie également qu’il faudrait peut-
être traiter les nombreux échecs et les humiliations qui peuvent
accompagner ces situations. Souvenez-vous que les mêmes difficultés et les
mêmes causes s’appliquent si vous êtes un adulte : quel que soit votre âge,
des souvenirs non traités peuvent être la cause de vos symptômes, ou du
moins aggraver les problèmes existants.
Quelquefois, on a une maladie physique qui ne changera pas. En ce
cas, on peut traiter les émotions qu’elle nous fait vivre. Beaucoup de gens
qui ont eu des blessures physiques se sentent laids et ont peur d’affronter la
vie. Souvent, quand ils essaient de comprendre ce qui leur est arrivé, la peur
et la culpabilité s’inscrivent profondément en eux ; pourtant, comme le
disait la victime d’un jet d’acide au Bangladesh, après son traitement
EMDR : « La honte est pour lui, pas pour moi ! » Une autre femme, en
Inde, qui avait perdu la vue quand la première épouse de son mari l’avait
attaquée en lui jetant de l’acide au visage, n’a plus peur aujourd’hui :
auparavant illettrée, elle a appris le braille et s’occupe de l’éducation de ses
enfants.
Non seulement on peut surmonter la douleur, mais beaucoup de gens
trouvent une façon de rendre productif ce qui leur est arrivé. Il y a souvent
le désir d’aider les autres par sa souffrance. Et on n’est jamais trop jeune
pour le faire : par exemple, une enfant de 10 ans, appelée Maria, était en
train de prendre une douche quand se produisit un tremblement de terre. La
porte de verre de la douche se brisa, lui laissant des coupures sur tout le
corps. En plus de la souffrance d’être traitée de « monstre » par les garçons
de son école, elle dut subir de nombreuses interventions chirurgicales et des
traitements médicaux douloureux. Ses parents lui firent suivre une thérapie
EMDR. Lors de la dernière séance, elle ouvrit grand les yeux et s’exclama :
« Maintenant je sais pourquoi ça m’est arrivé ! C’est pour que les enfants
qui ont eu des coupures, qui ont été brûlés ou blessés puissent me croire
quand je leur dirai qu’il y a de l’espoir pour eux ! »
Quel que soit leur handicap, les gens sont capables de retrouver de la
fierté : voilà ce qui est important. Je pense souvent aux paroles d’un
collègue et ami qui est aujourd’hui décédé. Ron Martinez était un athlète
brillant, très fier de son corps. En plongeant un jour dans une piscine, il
s’est brisé le cou et il a fallu le sortir de l’eau. En une seconde, il était
devenu tétraplégique. Mais il n’a pas abandonné. Il est devenu le premier de
sa famille à fréquenter l’université, et le thérapeute qu’il est devenu a été
ensuite une référence pour ceux qui l’ont connu. Sa devise était la suivante :
« Ce n’est pas ce qui arrive qui compte. C’est ce qu’on en fait. » On n’est
peut-être pas la cause de son propre malheur, mais on peut aujourd’hui en
prendre le contrôle et faire changer les choses.

Exploration personnelle

Si vous souffrez de l’une ou l’autre des difficultés physiques qui sont


décrites dans ce chapitre, vous pouvez utiliser la technique du pont d’affect
présentée au chapitre 4 pour identifier des souvenirs qui pourraient les
provoquer. Centrez-vous sur les émotions que vous ressentez envers votre
maladie, et voyez si l’une des cognitions négatives, parmi les trois
catégories, leur conviendrait. Si ce n’est pas le cas, observez simplement le
genre d’idées qui vous viennent quand vous vous centrez sur la dernière
fois où vous avez senti cette perturbation, et laissez votre esprit remonter le
temps pour voir si des souvenirs apparaissent. Inscrivez-les alors sur votre
liste de base.
Comme je l’ai dit plus haut, la thérapie EMDR n’éliminera pas une
maladie purement physique. Mais beaucoup de nos émotions autour d’une
maladie ou d’un handicap proviennent des souvenirs non traités de
remarques blessantes, ou de notre propre désir d’être quelqu’un ou quelque
chose d’autre. Nombre d’entre nous ont été soumis à la dureté de parents,
de professeurs ou d’entraîneurs sportifs qui leur ont fait entrer dans la tête
des exigences déraisonnables. Si beaucoup ont oublié, au niveau conscient,
ces prescriptions, elles sont toujours présentes dans nos réseaux de
mémoire. À vrai dire, ce peut être une bonne chose que les enfants
présentent des symptômes visibles, parce qu’ils auront une chance d’avoir
tout de suite l’aide dont ils ont besoin, au lieu de souffrir des années et des
années.
Prenons l’exemple de Britney : c’était une enfant de 11 ans, athlétique,
brillante, jolie, que sa mère amena en thérapie parce qu’elle s’arrachait les
cils. Elle s’était mise à le faire au début de l’année scolaire quand son
nouvel instituteur, un homme très dur avec les élèves, avait commencé à
hurler après la classe. Il y avait eu d’autres sources de stress à la même
période : sa mère avait créé sa propre entreprise, et par ailleurs Britney ne
voulait plus aller à son bien-aimé cours de gym, parce qu’elle était trop
effrayée par les colères de son entraîneur. Au début du traitement EMDR, la
thérapeute cibla la première fois où l’instituteur avait crié. Cela réduisit les
arrachages de cils à une fois par mois, mais sans les éliminer complètement.
Elles décidèrent donc de cibler les colères de l’entraîneur. Quand la
thérapeute demanda à Britney quel était pour elle le pire moment, elle
ouvrit grand les yeux et dit : « C’est quand il a crié, puis qu’il s’est retourné
en disant, entre ses dents serrées : “Je vais toutes vous tuer, je vais toutes
vous tuer.” »
Quelquefois, ce que les enfants ont vu ou entendu peut créer
immédiatement des symptômes puissants, comme le fait de s’arracher les
cheveux ou les cils, ou les symptômes du petit Bradley. Ou bien le souvenir
peut rester stocké dans les réseaux mémoriels et revenir des années après.
Quand vous faites le pont d’affect, veillez bien à recenser tous les souvenirs
de vos copains/copines d’école, de professeurs, d’entraîneurs, de médecins,
de prêtres, ou de toute autre figure qui a été importante dans votre vie.
L’instituteur et l’entraîneur de Britney pensaient peut-être simplement faire
leur travail. Ils ne voyaient peut-être pas qu’ils risquaient de blesser
gravement les enfants dont ils avaient la charge. Ou peut-être cela leur était-
il égal. En fait, ce qu’ils en pensent n’a pas d’importance ; ils ont fait des
dégâts, et c’est maintenant notre travail de les réparer.

La technique du rayon de lumière


Pour celles et ceux d’entre vous qui souffrent de douleurs physiques, la
technique d’imagerie guidée qui suit peut vous être utile. Elle fait souvent
disparaître la douleur émotionnelle en vous aidant, au moins
momentanément, à modifier ce que vous ressentez. Elle peut aussi vous
aider à mieux gérer la douleur physique. Comme avec les autres techniques
d’autocontrôle, c’est à vous de décider si celle-ci vous aide suffisamment,
ou s’il serait mieux de vous adresser à quelqu’un d’extérieur pour obtenir
de l’aide.
C’est une technique très utile pour certains types de douleurs
physiques aussi bien qu’émotionnelles. Elle peut aussi vous servir à
recharger rapidement votre énergie. Il faut la pratiquer au calme, chez vous
ou au bureau. Après l’avoir utilisée, laissez-vous un petit moment pour vous
détendre avant de faire quoi que ce soit d’important. Lisez l’exercice
jusqu’à ce que vous l’ayez mémorisé, puis suivez les étapes. Si vous avez
du mal à le faire, enregistrez-vous pour que votre voix vous guide d’un bout
à l’autre de l’exercice.
Si vous vous sentez perturbé, centrez-vous sur les sensations physiques
que cela produit en vous. Demandez-vous ensuite : « Si ça avait
__________, qu’est-ce que ce serait ? » Remplissez les blancs avec les mots
qui suivent :

a) une forme
b) une taille
c) une couleur
d) une température
e) une texture
f) un son (aigu ou grave)

Remarquez simplement cette forme et les autres caractéristiques.


Puis : quelle est votre couleur préférée, ou celle que vous associez à la
guérison ?
Maintenant, imaginez une lumière de cette couleur arrivant par le
sommet de votre tête, et se dirigeant vers la forme, dans votre corps. Disons
que la source de cette lumière est le cosmos, de sorte qu’elle est
inépuisable. La lumière se dirige vers la forme, elle résonne et vibre autour
d’elle et en elle. Pendant ce temps, qu’est-ce qui arrive à la forme, à la taille
ou à la couleur ?
Si les émotions négatives changent, continuez à utiliser le rayon de
lumière jusqu’à ce que vous soyez bien. Si elles ne changent pas, utilisez
votre palette de lieux sûrs/calmes, la spirale ou les techniques respiratoires
pour revenir au calme.
Il y a des années que les patients rapportent les effets positifs de la
technique du rayon de lumière. Une étude récente montre qu’elle peut être
également intéressante contre l’insomnie : en Indonésie, par exemple, on a
combiné les techniques du lieu sûr et du rayon de lumière pour soigner des
troubles du sommeil. Les chercheurs ont rapporté leurs effets sur cinq
femmes qui avaient été traumatisées en apprenant qu’elles avaient le sida.
Toutes étaient accablées de terribles sentiments de peur, de honte et
d’insécurité, parce qu’elles avaient une vision horrible de cette maladie, en
plus de l’opprobre culturel qui les déshonorait. Leurs thérapeutes leur
apprirent le lieu sûr pour faire émerger des sentiments de réconfort et de
détente. Puis le rayon de lumière fut dirigé sur toutes les sensations
corporelles négatives qu’elles pouvaient avoir. En trois jours, elles
dormaient de nouveau toutes les cinq sans difficulté. Depuis lors, cette
équipe a traité encore 106 personnes, et 75 % rapportent une amélioration
de leur sommeil. Celles qui n’y parvenaient pas ne pouvaient pas non plus
imaginer un lieu sûr. Il y avait parmi celles-ci un certain nombre de
personnes en prison – où il y a très peu de sécurité. Il faut poursuivre les
recherches, mais ces résultats me paraissent assez prometteurs pour que je
vous suggère d’essayer ces techniques si vous avez des troubles du
sommeil. Il n’y a naturellement pas d’effets secondaires, et il arrive à tout le
monde d’avoir parfois besoin d’aide dans ce domaine.

1.
Infirme moteur cérébral : personne souffrant d’une infirmité motrice due à
des lésions survenues durant la période périnatale. [N.d.T.]
CHAPITRE 8

Qu’attendez-vous de moi ?

Pourquoi a-t-on si souvent du mal à s’entendre avec sa famille, ses


amis ou ses collègues de travail ? « Les liens du sang sont plus forts que
tout, non ? Alors pourquoi ai-je parfois envie d’étrangler mon frère ? »
« Ma femme me harcèle sans arrêt. Ça me donne envie de m’enfuir. »
« Nous sommes mariés depuis dix ans, et il continue à faire des choses qui
me mettent hors de moi, il le sait très bien. » « Comment a-t-il pu ? »
« Comment ose-t-elle ? » « Pourquoi ont-ils fait ça ? » Indignation
vertueuse, colère, douleur, culpabilité – et puis on finit le plus souvent par
se sentir blessé, incompris, disqualifié, mal aimé. Regarde-moi ! Respecte
mes désirs, mes besoins ! Ces demandes paraissent raisonnables. Mais il
s’agit d’une question d’équilibre entre des points de vue différents, avec des
blessures de part et d’autre, et parfois un puits sans fond qui surgit quand on
s’y attend le moins. Prenez les problèmes cités dans les précédents chapitres
et multipliez-les par le nombre de gens auxquels vous avez affaire au
quotidien. Il n’est pas difficile de voir que nos relations peuvent éveiller des
émotions difficiles à gérer ou à comprendre.
Les besoins négligés

Nous sommes compliqués. Nous sommes le produit de l’interaction de


notre patrimoine génétique et de nos vécus. Parfois, on peut hériter de
prédispositions à toutes sortes de fragilités. Néanmoins, la majorité des
problèmes que l’on peut rencontrer ne sont pas dus au seul patrimoine
génétique. Notre sentiment d’identité et nos attentes envers le monde qui
nous entoure sont gouvernés à la fois par des souvenirs traités et non traités,
qui sous-tendent nos réactions conscientes et inconscientes. Nous avons
déjà du mal à nous comprendre nous-mêmes : comment comprendrions-
nous les autres ? Souvent, il nous faudra une aide extérieure.
Il existe environ quinze sortes de thérapies familiales, qui aident les
gens à comprendre leurs schémas et leurs difficultés de communication. La
plupart des thérapeutes de famille et de couple pensent que si on change la
façon dont les gens interagissent, leurs relations deviennent bonnes et
fructueuses. Malheureusement, cela revient souvent à nager à contre-
courant, car les souvenirs de la petite enfance continuent à produire des
réactions inadaptées : les gens ont beau vouloir changer leurs
comportements, ils se trouvent bloqués dans des schémas répétitifs qu’ils ne
contrôlent pas. Cependant, nous l’avons déjà vu, comprendre l’origine de
ses actes est déjà une étape importante pour savoir comment les modifier.

ET MOI, DANS TOUT ÇA ?

Les cliniciens considèrent souvent les relations par rapport aux


catégories d’attachement que nous avons recensées dans le chapitre 5. Les
parents qui ont un attachement dit insécure traitent leurs enfants d’une
certaine manière. Puis, quand ces enfants grandissent, ils tombent eux-
mêmes souvent dans des types de relations analogues, avec le même genre
d’interactions.
Alexandra, par exemple, est venue en thérapie parce qu’elle se sentait
déprimée. Elle avait 37 ans, avait divorcé deux fois, et vivait une relation
malheureuse avec Joe depuis cinq ans. Elle disait : « Je ne peux pas vivre
avec lui et je ne peux pas vivre sans lui. » Ils avaient rompu à maintes
reprises, mais elle revenait toujours vers lui.
Soit Joe la critiquait, soit il l’ignorait : c’était là le principal reproche
d’Alexandra envers lui. Elle n’arrivait pas à se défendre, alors qu’elle savait
qu’elle aurait « dû » le faire. Elle abandonnait toujours, en se disant : « À
quoi bon ? Cela ne changera rien, de toute façon. » Dans les pires moments,
Alexandra pensait qu’elle ne méritait sûrement pas mieux : il en avait
toujours été ainsi dans sa vie. D’une façon ou d’une autre, toutes ses
relations avec les hommes avaient tourné de la même manière : elles
semblaient toujours très prometteuses au début, mais Alexandra se
retrouvait finalement blessée, avec l’impression qu’il en serait toujours
ainsi.
Le passé d’Alexandra expliquait facilement tout ce qu’elle traversait
là. Benjamine d’une fratrie de quatre enfants, elle était souvent critiquée par
sa mère et ignorée par son père. Ses frères la brimaient et sa mère l’en tenait
pour responsable, même si elle n’avait rien fait pour les provoquer. Elle
raconta à son thérapeute qu’une fois, au cours préparatoire, personne n’était
là pour l’accueillir au retour de l’école ; elle avait été punie pour être allée
chez une voisine en attendant l’arrivée de ses parents. Le seul qui semblait
l’aimer était son grand-père, mais il était décédé quand elle avait 6 ans.
Alexandra se rappelait son désespoir à ce moment : elle en était certaine,
plus personne ne l’aimerait comme lui. Personne ne semblait se soucier
d’elle : par exemple, à 8 ans, elle se trouvait dans un parc avec toute sa
famille, et une abeille l’avait piquée. Personne ne s’en était soucié et elle se
souvenait d’avoir essayé « d’enfouir » en quelque sorte sa douleur, en
décidant que « cela ne faisait pas mal ». À partir de cet incident, ses
sentiments étaient passés à la trappe, car elle pensait que ses besoins et ses
émotions n’étaient pas importants. En effet, elle n’était « pas assez bonne »
pour avoir droit, elle aussi, à l’amour et à l’attention que ses frères
recevaient.
Les parents d’Alexandra présentaient ce qu’on appelle un style
d’attachement « rejetant » (où l’on n’est pas à l’aise avec la proximité et les
émotions intenses). Les parents qui ont ce type d’attachement se
désengagent et fuient souvent les émotions et les manifestations des besoins
de leurs enfants. Réciproquement, le manque de valorisation et de soutien
qui en résulte pour les enfants conduit généralement ceux-ci à supprimer
leurs propres émotions et leurs besoins de réconfort. Ils en gardent souvent
le sentiment de n’être de toute façon pas assez bien, et d’être indignes d’une
attention quelconque. Alexandra ne pouvait pas s’exprimer avec son
compagnon, parce que les réactions de Joe et celles de ses parents étaient
très similaires. Comme dans son enfance, elle avait le sentiment de ne pas
compter.
En se centrant sur la dernière fois où Joe l’avait ignorée, un pont
d’affect ramena Alexandra à l’isolement qu’elle ressentait, enfant, dans sa
famille. La thérapie révéla de multiples moments où elle avait été, soit
critiquée et rejetée, soit négligée et ignorée par sa famille, ce qui
correspondait tout à fait à ses relations ultérieures avec les hommes.
Alexandra ne faisait pas seulement de mauvais choix sentimentaux : il lui
manquait également les compétences nécessaires pour repérer et exprimer
ses sentiments et ses besoins. Avec tout ce qui s’était passé dans son
enfance, en particulier la mort de son grand-père, des sentiments
d’indignité, d’isolement et de désespoir se déclenchaient en elle dès qu’elle
tentait de mettre fin à une relation. Il y avait beaucoup de choses à traiter.
En l’espace d’un an, toutefois, elle quitta Joe pour de bon. Désormais elle
pouvait supporter d’être seule sans plonger dans la détresse qui avait
accompagné les premières années de sa vie.
Quand elle recommença à faire des rencontres masculines, Alexandra
remarqua l’émergence d’un nouveau schéma : avant, elle « se perdait elle-
même » à tenter de découvrir ce que l’autre voulait qu’elle soit, et elle se
conformait ensuite à cette demande, en espérant ainsi être aimée et
acceptée. À présent, Alexandra remarquait que ce vieux schéma changeait,
parce qu’elle pouvait « se sentir elle-même ». Maintenant qu’elle avait une
certaine estime d’elle-même, elle ne se sentait plus capable de « s’oublier »
comme avant. Elle commença à choisir les hommes différemment, mettant
sans regret un terme aux relations si elles ne lui apportaient pas ce dont elle
avait besoin. Son partenaire actuel lui est d’un grand soutien (y compris
dans les défis permanents qu’elle affronte, dans sa propre famille, avec ses
parents et ses frères, dont elle exige le respect et l’amour qu’elle mérite en
tant que femme adulte, aimante et compétente). Si Alexandra a eu besoin
d’aide pour apprendre à communiquer autrement, elle ne nage plus à
contre-courant : ses souvenirs d’enfance ne déclenchent plus chez elle ces
impressions d’indignité et ce sentiment que « tout le monde s’en moque ».
DES TECHNIQUES DE COMMUNICATION UTILES

Certaines des compétences qu’Alexandra a acquises peuvent vous être


utiles si vous rencontrez les mêmes difficultés qu’elle pour être en contact
avec vos émotions, ou pour les exprimer. Par exemple, avant qu’elle ne
quitte Joe, Alexandra et son thérapeute avaient travaillé sur un certain
nombre de situations génératrices d’anxiété, pour l’aider à exprimer à Joe
ce qu’elle ressentait. D’abord, elle eut besoin d’aide pour se connecter à ses
émotions : elle se concentra donc d’abord sur des moments où Joe
l’ignorait. Ensuite elle s’interrogea : « Si je ressentais quelque chose en ce
moment, qu’est-ce que ce serait ? » Ou bien : « Quelles seraient les pensées
qui me viendraient ? » Ou : « En fonction de ces pensées, que dirais-je ou
que ferais-je ensuite ? »
Il y avait, parmi les situations ainsi explorées, son envie de parler avec
lui au lieu de le voir regarder un jeu télévisé, ou de lui faire savoir que cela
la mettait mal à l’aise qu’il traîne dans son salon toute la soirée sans faire le
moindre effort pour entrer en relation avec elle. Elle développa avec son
thérapeute une hiérarchie de réactions, allant de la plus calme : « Voilà
comment je me sens…, j’aimerais que tu… » à la plus pressante : « Si tu
dois continuer à agir comme ça, je te demanderai de partir. »
Alors si vous n’êtes pas sûr de ce que vous ressentez, essayez
d’imaginer ce que ressentirait, dans la même situation, un ami en qui vous
avez confiance, ou bien quelqu’un que vous admirez. Ensuite, comment,
d’après vous, cette personne exprimerait-elle son émotion et son désir ? Si
vous êtes dans le cas contraire et que vous ressentez trop de choses, alors
tentez d’observer votre réaction, plutôt que d’être emporté par elle. Est-ce
que cette réaction est utile ? Va-t-elle me servir ? Il est également important
de vous demander : « Ma réaction vient-elle d’une position d’enfant ou
d’adulte ? » Parfois, en effet, ce que l’on ressent le besoin d’exprimer
provient d’émotions non traitées. C’est la question que nous allons explorer
dans la section ci-après.

QUI PUIS-JE INCRIMINER ?


Alexandra avait appris à accepter des traitements inacceptables de la
part des autres, pour éviter de se sentir rejetée, isolée et abandonnée, parce
que ses parents avaient des attitudes de rejet et de jugement. Dans une
situation similaire, Georges avait, pour sa part, appris quelque chose
d’entièrement différent.
Georges est arrivé extrêmement déprimé en thérapie : il avait
l’impression de ne jamais pouvoir garder une relation amoureuse à long
terme. La dernière en date d’une série de petites amies venait encore de
rompre avec lui parce qu’il la critiquait trop. Si elle mettait un peu trop de
temps à se préparer pour sortir avec lui, il lui reprochait de ne pas avoir de
considération pour lui. Si elle cuisinait, il y avait de grandes chances pour
qu’il trouve quelque chose à redire, par exemple que le plat n’était pas assez
chaud. En fait, au lieu de la complimenter ou de montrer qu’il était content
de ce qu’elle faisait pour lui, il protestait avec colère contre ce qui lui
déplaisait. Il aspirait à de l’intimité et de l’amour, mais sa réaction
systématique était de dire que sa compagne faisait les choses de travers. Là
encore, on pouvait faire remonter l’origine du problème à la façon dont
réagissaient les parents de Georges, non seulement vis-à-vis de lui, mais
également l’un envers l’autre.
Ses parents avaient eu une vie extrêmement difficile et avaient émigré
vers notre pays pour fuir un régime dictatorial. Souvent, ils étaient
angoissés et perturbés par leurs propres déclencheurs, avec donc un style
d’attachement « préoccupé » : pris dans leur propre souffrance, ils ne
remarquaient pas toujours ce que demandaient leurs enfants. Pour pouvoir
survivre, les enfants qui ont ce genre de parents passent souvent par la
colère, par des accès de rage ou par des exigences verbales pour obtenir la
satisfaction de leurs besoins. Dans ces conditions, Georges, en compétition
avec ses frères et sœurs pour obtenir l’attention des parents, n’était pas
proche d’eux. Ils se disputaient et se battaient souvent. Ajoutez à cela que le
père de Georges critiquait énormément sa mère et se montrait très coléreux
à la maison, et vous avez le prototype parfait de l’attitude actuelle de
Georges. Comme pour son père vis-à-vis de sa mère ou de lui, rien n’était
jamais assez bien pour Georges et il le disait systématiquement.
Bien sûr, nous avons tous nos désirs et nos façons d’agir, mais il peut
être bénéfique d’évaluer si nos actes sont réfléchis, ou si nous réagissons de
façon réflexe. Quelle est l’intensité de notre réaction ? Faisons-nous
seulement attention à la manière dont nos mots affectent les autres ? Notre
réaction vient-elle d’une position adulte ou non ? Les types de réactions
sous forme de critique permanente, comme celles de Georges, peuvent
souvent être rapportées à des expériences particulières de l’enfance qui se
trouvent déclenchées à nouveau par les relations présentes. En revenant sur
son passé, Georges se souvenait de beaucoup d’exemples des colères et des
perpétuelles critiques de son père, ainsi que d’une mère toujours prompte à
juger. Car, pour sa mère, rien n’était assez bien non plus. Même s’il
décrivait une mère manipulatrice et exigeante, son père était pourtant
encore plus écrasant qu’elle. Il n’hésitait pas à humilier sa femme ou ses
enfants pour leurs prétendus défauts. Georges se rappelait que son père le
grondait constamment pour avoir fait quelque chose de mal, la première
fois, à 4 ans, parce qu’il n’avait pas rangé ses jouets ou qu’il faisait trop de
bruit. Au fil du temps, Georges avait eu de plus en plus l’impression d’être
anormal, mais aussi d’être en danger, ce qu’il traduisit en mots par les
croyances négatives : « Je ne suis pas assez bien », « Je ne suis pas en
sécurité », « Je ne peux pas faire confiance aux autres ». Ainsi, chaque fois
qu’une petite amie ne répondait pas à ses besoins, les émotions anciennes
s’enclenchaient et produisaient chez lui le genre de réactions de colère et de
critique dont il avait été le témoin entre son père et sa mère. Ce n’est pas
exactement le genre d’interactions que la majorité des femmes recherchent
dans une relation.
Généralement, les femmes qui supportent quand même ce genre de
comportement ont eu une enfance similaire à celle d’Alexandra : elles sont
habituées à ne jamais voir leurs besoins pris en considération. Au bout du
compte, l’objectif pour les deux partenaires est de pouvoir réagir face à
l’autre à partir d’une perspective saine, adulte, non distordue par une
douleur d’enfance. Tout comme Alexandra, Georges a été libéré de ses
automatismes destructeurs par le traitement de ses souvenirs d’enfance. Un
changement essentiel s’est opéré en lui quand il a pu abandonner sa colère
contre ses parents en reconnaissant leurs limites – et la façon dont leur
passé les poussait à agir de la sorte. En se débarrassant de toute la colère
qu’il avait en lui depuis l’enfance, ainsi que de son impression d’être
anormal, il a pu être davantage présent dans ses relations comme un adulte,
et non plus comme un enfant blessé.
Remplir le vide

Anisha est une jeune femme de 21 ans, originaire de l’Inde, qui


souhaite vous faire partager son histoire, après une thérapie réussie. Cela
peut éclairer ce que l’on ressent lorsqu’on est « aveuglé par l’amour », et
qu’on se cramponne à la mauvaise personne pour combler des besoins
qu’on devrait satisfaire autrement. Anisha avait toujours été une enfant
confiante, désireuse de plaire. Mais à 17 ans, elle a vu son univers
s’effondrer. Voici comment elle le décrit :
« Mon oncle a perdu son calme au cours d’une petite dispute et a laissé
éclater sa rage en me battant sans retenue. Mon père était présent, mais il
n’est pas venu à mon aide. Je suis restée anéantie, brisée, et le sentiment de
sécurité que j’avais connu dans ma famille avait disparu. J’avais perdu ma
joie de vivre, et la relation que j’avais avec mes parents et ma famille s’était
détériorée. »
Tout cela l’a poussée dans les bras de Gorakh, un jeune homme qu’elle
avait rencontré environ deux ans avant. Ce n’était pas une relation d’égal à
égal. Gorakh est devenu tout pour elle :
« J’essayais d’oublier ce que je ressentais à l’égard de ma famille et
d’aller de l’avant. J’avais Gorakh. J’avais une chance d’être heureuse. J’en
suis venue à croire que Gorakh était la seule personne que je puisse aimer.
Que c’était quelqu’un en qui je pouvais placer tous mes espoirs et tous mes
désirs. Je l’aimais seulement pour ce qu’il était, ou au moins pour l’idée que
je m’étais faite de lui. Je me suis donnée tout entière dans cette relation.
Mais ce que j’ai réalisé bien trop tard, c’est que Gorakh se délectait d’être
ainsi mis sur un piédestal et de me voir organiser ma vie pour répondre à
tous ses besoins. Je faisais toutes les courses, je lavais son chien, je faisais
tout ce qu’il me demandait. Absolument n’importe quoi pour lui plaire.
Malheureusement, ce n’était apparemment pas suffisant, et quand la
nouveauté a perdu de son attrait, il m’a rejetée brutalement, comme si je ne
valais plus rien. Mais mon amour pour lui n’était pas fini. Son désintérêt
permanent envers moi, son arrogance, tout cela ne changeait rien : je le
voyais toujours comme l’amour de ma vie. Lorsque cela lui convenait, il
aimait bien m’avoir à ses côtés. J’étais la seule personne qui l’aimait
inconditionnellement. Et puis je suis tombée enceinte et Gorakh m’a
abandonnée. Il n’a plus rien voulu avoir à faire avec moi. À partir de ce
moment-là, je n’étais plus qu’une charge dont il voulait absolument se
débarrasser.
« Tout ce que je me rappelle ensuite, c’est l’échographie qui confirmait
que j’étais enceinte, le choc et la peine de ma mère, la froide déception de
mon père, ainsi que la culpabilité insoutenable de devoir mettre un terme à
cette grossesse. Je me souviens de certains matins où je me réveillais et où
je voyais mes poignets ouverts presque jusqu’à l’os, mes taies d’oreiller
trempées de sang et de larmes, et la douleur permanente dans ma poitrine et
mes poumons qui m’empêchait de respirer : c’était comme un vide en moi.
J’avais tout perdu. Plus rien n’avait de sens. »
Là encore, le message est le même : quelle que soit l’intensité de la
souffrance, ce sont les souvenirs non traités qui mènent la danse.
Aujourd’hui, Anisha se sent très différente. Elle le dit elle-même :
« Au cours des huit mois de ma thérapie, je suis progressivement
devenue plus calme et plus rationnelle. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’être
une autre personne. Et je serai toujours reconnaissante à la thérapie pour
ça. »
Si vous vous sentez bloqué dans la souffrance parce que vous vous
accrochez désespérément à quelqu’un qui n’a pas de considération pour
vous, ou parce que vous avez l’impression d’avoir été utilisé et abandonné,
vous pouvez choisir une autre voie. Nous avons tous droit à des relations
heureuses, qui soutiennent notre estime de nous-même. Si ce n’est pas ce
que vous ressentez, cherchez ce qui vous bloque. En même temps que vous
apprendrez de nouvelles façons d’affronter les choses et que vos souvenirs
non traités se modifieront, vous vous transformerez, vous aussi.

Une danse de destruction

Devant des récits de violences conjugales, beaucoup d’entre nous ne


comprennent pas comment des choses pareilles peuvent se produire.
« Comment a-t-il pu faire ça ? » « Pourquoi s’est-elle laissé faire ? » En
général, dans ces situations, il s’agit simplement d’un exemple extrême des
types de souvenirs qui peuvent se retrouver bloqués dans le cerveau et de la
façon dont ils influencent ensuite nos pensées, nos émotions et nos
comportements. Il y a une grande variété d’interactions destructrices dans
les couples, qui peuvent aller d’une violence verbale permanente à des
maltraitances physiques. Si certains conflits peuvent être résolus par le
couple seul, il arrive que la violence devienne un cycle que les conjoints ne
peuvent plus arrêter. Dans ce cas, il faut un travail individuel avec une
assistance thérapeutique. La thérapie de couple n’est en effet pas une
indication évidente, ni même une bonne indication, pour la plupart des
couples violents. Il est important de se rappeler que « les violences
verbales » où l’on subit des pressions, où l’on est menacé, rabaissé ou
humilié, peuvent également avoir des effets émotionnels dévastateurs. On a
même découvert que cela jouait un rôle non négligeable dans les
dépressions du post-partum. La violence, verbale ou physique, est un
problème individuel. Chaque partenaire a donc d’abord besoin d’un
traitement séparé. Ensuite, s’il y a toujours des problèmes « de couple », on
pourra consulter un thérapeute qualifié dans les difficultés conjugales (voir
la liste de recommandations en annexe B).
Il est facile, pour certaines personnes qui ont ce type de schémas
relationnels destructeurs, de paraître aller bien lors des premiers rendez-
vous ou avant d’être plus intime avec l’autre : en fait, c’est ainsi qu’ils
entrent en relation au début. Et c’est souvent seulement lorsque la relation
devient sérieuse, ou que le couple s’installe ensemble, que les problèmes
commencent. Chez d’autres, au contraire, où l’un des partenaires a toujours
eu dans le passé la volonté de tout contrôler, la domination commence
souvent dès les premiers rendez-vous. Toutefois, dans beaucoup de ces
situations, comme chez Anisha, l’aveuglement provoqué par le nouvel
amour semble masquer la signification du comportement de celui qui veut
tout contrôler. Les difficultés s’aggravent à mesure que l’intimité grandit et
que les anciens déclencheurs se mettent plus fréquemment en route. Dans la
plupart des cas, ce sont les douleurs non réglées du passé qui déclenchent
ces réactions automatiques dans la nouvelle situation « familiale ».
La manière dont les gens réagissent aux souffrances d’ordre
émotionnel est variable, en fonction de leurs histoires traumatiques et de
l’environnement dans lequel ils ont été élevés. Cela comprend les
interactions qu’ils ont vues chez eux pendant leur enfance. Par exemple,
l’idée que « Je ne suis pas assez bien » ou que « Je ne vaux rien » peut se
traduire par de la colère et des passages à l’acte violents, ou par une
soumission et un effondrement parce que « Tout le monde s’en moque ».
Parfois, cela va jusqu’à des violences verbales ou physiques permanentes.
La personne qui se fait maltraiter réagit alors à l’insécurité et à la douleur
que la situation présente provoque en elle. Et pourtant, des gens peuvent
rester dans de telles relations, à cause de leur propre passé traumatique.
Bien sûr, il y a des exceptions : certains se trouvent durablement piégés
dans des relations malsaines en raison de difficultés financières, d’attentes
d’ordre social et culturel de leur entourage ou encore d’une emprise
extrême sur eux. Mais notre but ici est d’explorer la dynamique
psychologique qu’on trouve couramment dans ces types de rapports de
couple. Ceux-ci sont plus fréquents que vous ne pourriez le penser, et ils
peuvent vous affecter, vous ou les gens de votre entourage. Dans la
prochaine section, nous allons parler de couples dont les conflits se
traduisent par des violences verbales. En général, la principale question est
de savoir combien de temps un des partenaires va attendre avant d’exiger
que les choses changent.

UNE MAUVAISE GESTION DE LA COLÈRE

Jack fut envoyé en thérapie par la psychothérapeute de sa femme, qui


lui avait demandé de venir pour une séance de couple. La clinicienne lui
avait posé quelques questions et avait vu un lien entre son comportement
actuel et son passé. Elle l’adressa en EMDR parce qu’elle trouvait
inquiétants son comportement agressif, son besoin de maîtrise absolue et
son passé traumatique.
Mary et lui étaient ensemble depuis trois ans. Même s’il ne l’avait
jamais agressée directement, Jack avait déjà brisé des objets qui lui
appartenaient, et leurs disputes, en ce moment, devenaient plus fréquentes
et plus explosives. Ce sont là des signes qui peuvent annoncer d’autres
violences. Mary lui avait récemment fixé une limite : il devait entreprendre
une thérapie individuelle et changer de comportement, ou il devrait quitter
leur appartement. Grâce à sa propre thérapie EMDR, elle avait traité ses
difficultés d’enfance ; capable maintenant de rompre, et financièrement
indépendante, elle avait vraiment l’intention de le quitter s’il ne changeait
pas.
Jack avait déjà tenté de faire une thérapie, mais cela n’avait pas
marché pour lui. Ce n’est pas surprenant, car les émotions de l’enfance qui
empêchent les bonnes relations à l’âge adulte peuvent aussi jouer dans le
cabinet du thérapeute. Heureusement, cette fois, Jack fut envoyé chez un
clinicien très compétent dans ce genre de difficultés. Toutefois, au cours des
premières séances, tout en éludant les tentatives du thérapeute pour
recueillir une histoire complète, il refusa toute introspection et se concentra
au contraire sur des anecdotes qui illustraient, à ses yeux, les nombreux
« défauts » de Mary (aucune de ces anecdotes ne semblait en réalité très
probante). Il manqua plusieurs des premiers rendez-vous et se présenta en
retard à d’autres. Au cours des séances auxquelles il se présenta, il évoqua
un schéma répétitif d’usage d’alcool et de marijuana, de symptômes
dépressifs et parla d’une tentative de suicide, à l’âge de 21 ans, après une
rupture brutale. En fait, le Jack qui tourmentait Mary était lui-même plein
de souffrances.
Son état d’esprit présent, ainsi que le fait que son comportement
poussait Mary à s’éloigner de lui, semblaient des éléments inquiétants. Le
thérapeute les rencontra donc tous les deux pour établir une stratégie claire :
il fallait prévenir le passage à la violence. Mary avait besoin d’une stratégie
pour se protéger si Jack devenait violent, et Jack devait trouver un moyen
pour changer de comportement, pour leur bien à tous les deux. Ses actes ne
faisaient qu’augmenter son impression d’échec, ce qui alimentait le cercle
vicieux. Le thérapeute demanda à Jack de noter les moments où il se sentait
tomber dans la colère, de mettre alors les problèmes de côté et de quitter le
domicile, au lieu de s’en prendre à Mary. Il l’encouragea à amener les
problèmes en thérapie, afin de développer une réaction plus positive. Jack
refusa d’abord, mais, en en discutant davantage avec le thérapeute, il
reconnut que « sa propre façon de s’y prendre » ne marchait effectivement
pas.
Mary, de son côté, était d’accord pour quitter temporairement la
maison si Jack s’énervait de plus en plus et semblait incapable de s’en aller
lui-même. Jack n’avait jamais empêché Mary de partir si elle le voulait, et
le fait que Mary ou lui s’en aille en cas de nécessité ne lui posait pas de
problème. Cela constituait donc une stratégie de court terme envisageable.
La motivation de Jack était renforcée par le fait que Mary avait déjà décidé
(et les deux thérapeutes en étaient d’accord) qu’il devrait partir
immédiatement s’il ne suivait pas le plan prévu, et de toute façon si aucun
changement ne se produisait à brève échéance. S’il n’était pas très
enthousiaste à l’idée de devoir suivre une thérapie, Jack voulait sincèrement
sauver sa relation avec Mary : il accepta d’essayer.
Lors de la séance suivante, Jack accepta volontiers de fournir à son
thérapeute le déroulement « minute par minute » des pensées agressives
qu’il avait eues récemment envers Mary, en particulier l’anxiété que
provoquaient en lui certains comportements et certains choix de Mary avant
leur rencontre. Lors de cette conversation, derrière la colère, on voyait
clairement l’insécurité, la peur de l’échec, la honte et le profond sentiment
d’incompétence et d’impuissance de Jack. Il se débattait pour comprendre
et aborder ses difficultés et ses actes, qu’il ne parvenait pas à considérer
complètement comme mauvais. Il pouvait fulminer contre Mary et, l’instant
d’après, fondre en larmes en exprimant sa peur de perdre l’une des plus
belles relations qu’il ait jamais eues. Il accepta d’essayer l’EMDR.
Au cours de la séance suivante, Jack commença par se plaindre d’une
dispute qu’ils avaient eue récemment. Son thérapeute remarqua qu’il
mettait ses mains sur sa poitrine en en parlant. Ils utilisèrent le pont d’affect
à partir de cette sensation et trouvèrent leur première cible : le souvenir,
quand Jack avait 10 ans, d’une violente dispute entre ses parents, une des
nombreuses batailles de la guerre sans fin qui les opposait. C’était la
première fois qu’il percevait et qu’il ressentait un lien entre son passé et son
présent. Sa cognition négative était : « Je suis impuissant. » Il choisit la
cognition positive : « Maintenant, j’ai des choix. » Beaucoup de choses
commençaient à prendre sens.
Il fallut plusieurs séances pour traiter complètement ce souvenir
particulier, mais à chaque réévaluation, Jack et son thérapeute se rendaient
compte que ce travail se révélait payant. La capacité d’intuition de Jack
augmenta considérablement, ainsi que sa compassion à la fois pour lui-
même et pour Mary. À mesure qu’il traitait la dispute dont il avait été le
témoin dans son enfance, ses impulsions à provoquer des conflits dans son
foyer actuel décroissaient. Pour la première fois, il pouvait ouvertement
exprimer l’impuissance qu’il avait ressentie en voyant les deux personnes
qu’il aimait le plus se détruire l’une l’autre, et dire à quel point cela avait
affecté son aptitude à voir les relations autrement que comme des zones de
guerre, des lieux de souffrance et de lutte sans fin, où les problèmes ne se
résolvaient jamais. Enfin, il commença à accepter une douloureuse réalité :
son comportement actuel, avec en particulier sa jalousie à propos du passé
de Mary, ressemblait de très près aux comportements pleins de violence de
son père.
Une fois le retraitement de cette cible initiale terminé, Jack travailla
sur d’autres souvenirs liés à son sentiment d’impuissance. Il arrêta de boire
et de se droguer, commença à s’entraîner au club de gym local, et conserva
un dialogue ouvert et calme avec Mary, laquelle continuait à travailler en
EMDR ses propres difficultés. Le thérapeute et Jack continuèrent à
surveiller les réactions de celui-ci, au cas où des bouleversements
émotionnels réapparaîtraient, mais Jack ne se sentait plus activé de la même
manière. Il dit à son thérapeute que, même s’il était parfois en colère et
frustré, quelque chose avait réellement changé en lui. Il en fit la
démonstration en plaçant ses mains sur sa poitrine, comme il l’avait fait au
cours du pont d’affect initial, et dit : « Je n’éprouve plus cette sensation.
Pourtant, d’aussi loin que je me souvienne, elle avait toujours été là ; mais
c’est tout simplement parti. »
Le retraitement de leurs souvenirs terminé, Jack et Mary furent
adressés en thérapie de couple avec pour objectif de construire des
compétences relationnelles, puisque ni l’un ni l’autre n’avaient appris dans
leur enfance que l’on peut gérer ses désaccords tout en conservant son lien
avec l’autre. Tous deux reconnurent que leurs parents ne possédaient tout
simplement pas ces compétences. Eux, en revanche, pensaient pouvoir les
apprendre et voulaient les transmettre aux enfants qu’ils projetaient d’avoir
un jour. Loin de se sentir « impuissant », Jack montre maintenant par son
attitude qu’il se sait capable d’amener des changements positifs dans sa vie
et dans celle de la famille qu’il veut fonder.
Au cours de sa première séance, le thérapeute de Jack lui avait
demandé de mettre par écrit ses raisons de faire ce travail. Il avait écrit :
« Je veux surmonter le passé. » Pour expliquer cette phrase, il avait dit au
thérapeute qu’il souhaitait surmonter le passé de Mary. Il ne pensait pas
avoir besoin de travailler sa propre histoire ; il croyait simplement devoir
trouver un moyen de faire face à son passé à elle. Heureusement, il a réalisé
cet objectif, même si cela ne s’est pas fait exactement comme il l’avait
imaginé.
DES TECHNIQUES RELATIONNELLES UTILES

Certaines des techniques que Jack et Mary ont apprises de leurs


thérapeutes respectifs peuvent être utiles dans toutes les relations, quelles
qu’elles soient. Il est important de penser les interactions de couple sur un
continuum. Certes, la relation entre Jack et Mary devenait de plus en plus
dangereuse à mesure que la colère et les disputes s’intensifiaient, mais nous
avons tous des moments où nous sommes activés et en colère. Cela va
parfois jusqu’au point où l’on déballe tout ce que l’on a sur le cœur à son
partenaire. J’inclurai à la fin de ce chapitre une section avec d’autres
techniques qui peuvent être utiles, mais en voici quelques-unes qui ont
directement trait aux relations conflictuelles :

– Déterminez une stratégie, un accord solide entre votre partenaire et


vous, sur la façon dont vous gérerez une montée de la colère, pour éviter de
vous faire mutuellement du mal et empêcher les enfants d’être témoins de
ces disputes. Les querelles entre les parents peuvent avoir des effets
dévastateurs sur les enfants et affecter leur sentiment de sécurité. Cet accord
peut inclure des « temps morts » : cela consiste à dire à votre partenaire que
vous avez besoin d’une pause, et à décider ensemble du moment où on se
retrouvera pour discuter calmement du problème. Si vous ne constatez pas
des résultats immédiats en respectant ce contrat, consultez un thérapeute ou
un programme local contre les violences domestiques pour bénéficier d’une
assistance professionnelle. Un accord ne fonctionne que si les deux parties
s’engagent réellement à le respecter. Pour certains couples, cela n’est tout
simplement pas possible sans l’intervention professionnelle d’un thérapeute
spécialisé dans les violences domestiques. Pour d’autres, même une
assistance extérieure ne suffira pas. Il faut savoir reconnaître quand « ça ne
peut plus aller ».
– Cherchez les tendances, ne vous laissez pas trop prendre par le
contenu des disputes. Essayez de repérer leur schéma typique, remarquez
les moments où cela se produit habituellement, l’endroit où cela se passe, le
sujet de la dispute, et la manière dont le conflit se résout ou ne se résout
pas. Lors d’un moment neutre ou sans colère, abordez les sujets et essayez
de les travailler ensemble, acceptez de faire une pause ou trouvez un tiers
neutre pour vous assister si vous êtes bloqués. Tâchez d’adopter cette
position : vous examinez le problème ensemble, en équipe.
– Repérez vos propres déclencheurs, c’est-à-dire les difficultés ou les
scénarios qui déclenchent en vous de fortes émotions ou des réactions
inutiles. Donnez ces informations à votre partenaire et trouvez ensemble un
moyen de l’avertir que vous vous sentez activé, pour que vous puissiez vous
dégager de l’interaction en attendant de vous sentir plus calme. Renseignez-
vous aussi auprès de votre partenaire pour connaître ses déclencheurs. Cela
augmentera votre compréhension, et donc votre compassion, pour les
difficultés générées par ces déclencheurs chez l’un et l’autre. Faites des jeux
de rôles pour montrer à votre partenaire comment vous aimeriez qu’il ou
elle réagisse face à vous.

JE TE POUSSE, TU ME TIRES

Si, pour la plupart, nous avons hérité toutes sortes de blessures de


notre enfance, certains ont vécu des choses qui s’apparentent plus à des
cauchemars. Linda fait partie de cette catégorie, et cela a affecté autant son
bonheur que ses relations. Lorsqu’elle était tout bébé, sa mère la confia à
une parente pour pouvoir poursuivre une carrière de danseuse. Deux ans
plus tard, elle revint récupérer Linda : la petite fille fut littéralement
arrachée, hurlante, des bras des seuls parents qu’elle ait connus. Linda fut
ensuite agressée verbalement et physiquement toute son enfance par sa
mère alcoolique, qui lui donnait l’impression d’être quelqu’un d’horrible.
De plus, Linda fut abusée par son beau-père lorsqu’elle était toute petite, et
ensuite par une cousine quand elle avait 10 ans. Quand elle en parla à sa
mère, celle-ci lui fit sentir que c’était sa faute. Son adolescence ne fut
qu’une suite de brimades et d’humiliations à la maison et à l’école, et
l’arrivée à l’âge adulte ne lui apporta que peu de soulagement : après sept
ans de mariage, elle découvrit que son mari, la personne qu’elle croyait être
son âme sœur, avait une liaison avec une parente à elle. Elle apprit par la
suite que son fils de 3 ans et sa fille, un peu plus âgée, avaient été abusés
par sa cousine, qui avait alors 15 ans.
À l’âge de 43 ans, déprimée, anxieuse, elle commença une thérapie
pour une faible estime d’elle-même et des problèmes conjugaux importants.
Le chaos généré par sa jalousie pathologique, ses crises de colère et ses
accès de rage était devenu trop dur à supporter pour son mari, Leonard. Il
finit par la menacer de divorcer si elle ne changeait pas. Elle avait déjà fait
une thérapie pendant deux ans et avait ainsi mieux compris son histoire,
mais sa réactivité n’avait pour autant pas changé. Leonard avait assumé la
responsabilité de son propre adultère, il était aujourd’hui pleinement engagé
dans leur union et le montrait de toutes les manières possibles. Mais, si
Linda le savait intellectuellement, ses réactions émotionnelles étaient
toujours alimentées par tous ses traumatismes antérieurs.
Quand on a été aussi maltraité que Linda, toutes les relations peuvent
en souffrir. Nous avons souvent des parents, des connaissances, des
collègues de travail que nous n’arrivons pas à comprendre. Pourquoi se
comportent-ils sans cesse comme des enfants ? Leurs échecs relationnels de
toutes sortes (mariages, amitiés, beaux-parents, belle-famille ou collègues)
sont souvent le produit de la montagne d’émotions stockées dans leurs
réseaux de souvenirs non traités. Parfois gentils, d’autres fois insensibles ou
furieux : il est souvent difficile de comprendre ce qui « déclenche » ainsi
ces personnes. Ajoutez à cela le fait qu’enfants, ils n’ont jamais appris de
techniques pour s’apaiser, sans oublier leurs difficultés à ressentir de
l’empathie pour les autres, puisqu’ils n’en ont jamais reçu de leurs parents :
il n’est pas difficile de voir pourquoi leur vie devient souvent une simple
succession de chocs entre personnalités. Anxiété, dépression, tentatives de
suicide font souvent partie du tableau : derrière tout cela, il y a un réseau de
souvenirs non traités, qui fait qu’ils sont terrifiés et ont l’impression de ne
compter pour rien.
Linda a aujourd’hui traité tous ses traumatismes, y compris l’infidélité
de son mari ; Leonard et elle ont maintenant une union heureuse, et ils
souhaitent partager leur expérience, dans l’espoir d’aider les autres. Voici
donc le message qu’ils veulent faire passer aux couples dans leur situation,
ou à ceux qui cherchent désespérément à améliorer leur relation avec
quelqu’un qui semble hors de contrôle.
Linda en dit ceci :
« Nous étions dans un schéma dysfonctionnel répétitif. J’étais
extrêmement sensible à tout ce qui ressemblait à un abandon, comme le fait
que mon mari m’ignore ou qu’il quitte la pièce alors que je lui parle. Je
devenais folle de rage quand il s’éloignait. C’était bizarre, et moi-même je
ne le comprenais pas ! Nous ne savions vraiment pas communiquer. Nous
ne nous écoutions pas l’un l’autre. Je pleurais beaucoup, parfois à propos de
choses qui semblaient importantes ; d’autres fois, j’avais juste envie de
pleurer.
« Il me semblait normal de devoir vivre toute ma vie des situations
dramatiques ; cela venait de mon enfance, de ma vie avec une maman
alcoolique. J’avais des attentes irréalistes envers mon mari et je sabotais
souvent nos bons moments ; s’il y avait longtemps qu’on ne s’était pas
disputés, je trouvais le moyen de provoquer une querelle. J’avais besoin de
ce stimulant, bon ou mauvais. Je me mettais facilement en colère, j’avais
très peu de patience. C’était difficile pour mon mari. J’étais frustrée quand
j’essayais de lui faire comprendre quelque chose et qu’il se fermait à la
seconde même où je me mettais en colère. J’avais alors l’impression qu’il
n’avait aucune estime pour moi, et il se disait que je n’avais pas de respect
pour lui. Je n’aimais pas être seule et je l’interrogeais toujours sur ses allées
et venues. Bien sûr, cela l’exaspérait, et il me tombait dessus.
« Après l’EMDR, ce qui m’a vraiment sidérée, ça a été de découvrir
qui j’étais réellement. J’aimais être seule. Je recherchais même ces
moments de solitude. Je n’étais plus aussi effrayée, aussi peu sûre de moi.
J’avais une nouvelle image de moi-même. J’étais capable de définir ce que
je voulais, et de l’obtenir. J’étais également plus confiante. Les disputes
sont devenues beaucoup moins fréquentes. Nous avons appris à faire des
compromis sans avoir le sentiment d’y perdre. J’ai appris à aimer
différemment. Je me suis rendu compte que notre relation m’apportait plus
qu’auparavant. Je demandais ce que je voulais, au lieu de croire qu’il le
savait.
« Mon conseil, pour d’autres couples, serait celui-ci : évaluez bien si
votre relation est précieuse pour vous, et ce que vous y avez investi. Ne
prenez pas trop vite la décision d’en rester là. Si vous vous aimez vraiment
l’un l’autre, faites ce qu’il faut. Il est facile de s’en aller, mais qu’est-ce que
vous aurez appris ? Comment allez-vous empêcher que les mêmes erreurs
ne se répètent avec quelqu’un d’autre ? Ce n’est pas pour rien que les gens
divorcés ont de multiples mariages. Il y a peut-être des difficultés sous-
jacentes, venant de votre passé, qui bloquent vos capacités à aimer, à faire
confiance, à respecter l’autre. »
Le fait d’avoir de fortes disputes ne signifie pas que le mariage est
voué à l’échec. Voici ce que dit Leonard de la façon dont une aide
appropriée peut changer les choses :
« Avant la thérapie, j’étais soit flatté et ravi, soit perdu et en colère.
D’un côté, Linda était une femme douée, généreuse et imaginative. Mais,
d’un autre côté, elle pouvait être très tyrannique, avec des sautes d’humeur
qui me laissaient anéanti. J’étais bien en peine de comprendre pourquoi ces
deux personnalités étaient si différentes.
« Nous avons tous les deux appris qu’il y avait des moyens plus
efficaces que les émotions pour résoudre les conflits conjugaux. On peut
éviter les querelles stériles où on est emportés par ses émotions, en réglant
de façon réfléchie les désaccords qui surgissent dans la construction d’une
relation d’amour durable. La grande différence avant/après l’EMDR, c’est
vraiment la confiance. Après la thérapie, il y avait une base solide et stable
dans notre relation. Une fois cette nouvelle dynamique installée, il y a eu
ensuite de nombreuses années consacrées à créer une confiance comme
nous n’en avions jamais eue auparavant. Nous nous sommes servis de cette
base nouvelle pour rendre, à long terme, notre mariage plus solide. »

Comme vous le voyez, Linda et Leonard communiquent maintenant de


manière très différente. Avant leur thérapie, Linda se sentait souvent
dévalorisée, elle se disait que Leonard ne tenait aucun compte de ce qu’elle
ressentait. Leonard ressentait la même chose, pensant que Linda
disqualifiait son sens logique à lui. Comme chez de nombreux couples, la
relation s’est renforcée lorsqu’ils ont pu communiquer sans se
« déclencher » mutuellement. Comme le dit Leonard : « Nous avons appris
qu’un mariage réussi demande à la fois de la passion, des sentiments ET de
la réflexion, mais tout cela au bon moment et là où il faut. » Pour tous les
couples, la vie conjugale devient plus facile quand les souvenirs non traités
ne se mettent plus en travers du chemin.

QU’EST-CE QUI SE TROUVE AINSI ACTIVÉ ?


Il est important de se rappeler que, parfois, la situation du présent peut
activer quelque chose de complètement insoupçonné et apparemment sans
rapport. Eva en est un exemple : elle non plus n’arrivait pas à avoir de
relation amoureuse saine avec un homme. Eva avait été élevée par une mère
célibataire, toxicomane. De plus, parmi les relations plus durables de sa
mère, il y avait eu un homme qui était un sadique, et qui avait abusé
sexuellement d’Eva pendant tout le début de son adolescence.
Même si Eva savait convenablement choisir ses amies, toutes ses
relations passées avec des hommes avaient été marquées de violence, aux
plans sexuel, physique et émotionnel. Elle était actuellement dans une
relation décousue avec Guillaume. Même s’il ne la maltraitait pas
physiquement ni sexuellement, il avait montré, dans le passé, qu’il pouvait
devenir violent verbalement, et il laissait souvent Eva sans la prévenir. Le
couple avait des disputes explosives, à l’issue desquelles Eva se trouvait
souvent dans un état de frustration extrême. En traitant un certain nombre
de ses souvenirs d’enfance, parmi lesquels les maltraitances infligées par le
petit ami de sa mère, elle se sentit beaucoup mieux avec elle-même – mais
cela ne changea pas le schéma relationnel du couple. C’est pourquoi, après
une évaluation globale de la situation, on demanda à Guillaume de
participer à une séance conjointe avec Eva.
Guillaume décrivait Eva comme une femme calme, auprès de qui il
trouvait du soutien, indépendante et douce, mais qui était également jalouse,
colérique et qui cherchait à tout contrôler. Eva, quant à elle, disait de
Guillaume que c’était « un homme bon », envers qui elle se sentait
complètement engagée, mais elle notait qu’elle redoutait sa tendance à fuir
la relation lorsque « les choses devenaient difficiles ». Elle expliqua qu’elle
se sentait « hors d’elle » quand Guillaume la contrariait, ce qui déclenchait
chez lui, en retour, une réaction de fuite, parce qu’il redoutait une escalade
de la violence, comme il en avait souvent vu dans son enfance. Il était
également rebuté par « la jalousie et la rage paranoïaques » d’Eva lorsqu’il
était question de ses amitiés avec d’autres femmes.
La thérapeute demanda la permission à Eva de faire un pont d’affect en
présence de Guillaume, en partant du sentiment d’être « hors d’elle »
qu’elle avait éprouvé au cours d’une récente dispute. Le pont d’affect la
ramena à ses 9 ans : elle était dans le salon et elle criait à sa mère de rester à
la maison et de ne pas la laisser seule toute la soirée. Dans son souvenir,
Eva avait frappé le mur à coups de poings jusqu’au sang, afin d’attirer
l’attention de sa mère et pour éviter cet abandon, car sa mère était
préoccupée à ce moment-là par sa relation amoureuse. En réalité, le
problème d’Eva était son impression de n’avoir aucune importance et sa
peur qu’on la laisse seule. Guillaume et Eva finirent la séance en
comprenant mieux la souffrance que leur dispute avait activée. Eva avait
également découvert la prochaine cible qu’elle allait travailler en EMDR.
Le fait de traiter ce souvenir d’enfance changea la dynamique relationnelle
entre eux : elle fut désormais capable d’exprimer ses besoins et ses désirs
sans avoir peur et sans faire de drame.

UN AUTRE CONSEIL EN MATIÈRE DE RELATIONS

Ne vous sentez pas gêné de demander de l’aide. Les émissions de


télévision montrent souvent les joies et les peines que l’on rencontre en
cherchant l’amour, mais ne s’attachent jamais à expliquer ou à mettre en
lumière combien il est difficile de parvenir à une relation stable. Si vous
n’avez pas appris, étant enfant, comment vivre une relation amoureuse, il
vous faut peut-être trouver un livre, prendre des cours sur ce thème, ou voir
un thérapeute pour vous faire aider. Ce n’est pas inné. Nous sommes censés
l’apprendre de nos parents, mais ils n’ont pas pu nous enseigner ce qu’ils ne
savaient pas eux-mêmes. Pourtant, pour le bien de nos enfants et de ceux
que nous aimons, il faut absolument l’apprendre. Ce qu’il faut retenir ici,
c’est que, pour avoir une relation amoureuse saine, les deux adultes du
couple doivent être en bonne santé au plan émotionnel.

Avoir ou ne pas avoir


On entend souvent des gens dire que, malgré le temps qu’ils y
consacrent, ils n’arrivent pas à trouver quelqu’un qui soit prêt à s’engager
dans une relation durable. D’autres disent que le mariage est peut-être très
bien pour les autres, mais qu’ils n’y croient tout simplement pas pour eux-
mêmes : lorsqu’on les interroge, ils décrivent parfois à quel point leurs
parents étaient malheureux ensemble, et disent qu’ils ne veulent pas
s’enfermer dans le même genre de prison. D’autres encore, qui ont dû vivre
le chagrin du divorce de leurs parents, ne veulent pas s’y risquer : ils croient
leur histoire condamnée à se répéter. Bien que cela puisse être le cas si le
passé n’est pas abordé, ce n’est cependant pas inéluctable. On peut
apprendre des erreurs de ses parents, et également réparer les dommages
subis lors d’une enfance difficile. Même si on a eu dans le passé des
relations qui n’ont pas fonctionné, on peut apprendre de ses propres erreurs
et faire à l’avenir de meilleurs choix.

LA LIBERTÉ DE CHOISIR ?

Comme on l’a vu, il y a toujours des raisons aux difficultés


relationnelles qu’on peut rencontrer. On peut avoir des peurs d’enfance
bloquées dans nos réseaux mémoriels, qu’on le sache ou non. On peut aussi
se retrouver pris dans des schémas destructeurs qui nous font choisir de
mauvais partenaires. Beaucoup de ces schémas proviennent de relations que
nous avons eues avec nos parents, et qui étaient construites sur leurs
solutions, inadaptées, que nous ne pouvions absolument pas éviter. Par
exemple, on peut être sous le contrôle des « valises émotionnelles » que
nous ont transmises nos parents parce qu’on s’est trouvé prisonnier de ce
que beaucoup de thérapeutes familiaux appellent un « triangle », c’est-à-
dire une relation avec nos parents qui aidait ceux-ci à gérer leurs
difficultés : parfois, lorsque leur relation conjugale est tendue, les parents se
centrent ainsi sur un enfant qu’ils déclarent « particulier », pour soulager la
pression existant entre eux. Que l’enfant soit « particulier » en raison d’une
réussite ou d’une déficience quelconque, il peut ainsi se retrouver au centre
de l’attention des parents. D’autres fois, quand il y a un conflit conjugal,
c’est un des parents qui va choisir un des enfants pour en faire son « enfant
particulier ». Ce fut le cas pour Sonia.

Sonia était issue d’une famille ouvrière italienne. Au départ, elle avait
entrepris une thérapie pour une dépression et parce qu’elle avait un
sentiment de désespoir et de manque de sens dans sa vie. Elle ne s’était
jamais mariée, à la différence de ses deux sœurs qui avaient mari et enfants.
À 34 ans, elle se voyait comme le vilain petit canard, dans une famille qui
valorisait beaucoup le fait d’avoir des enfants. Elle était solitaire,
socialement isolée, et semblait incapable de trouver un homme qui puisse
s’occuper d’elle et la soutenir.
Ses échecs dans les relations amoureuses venaient d’un « triangle »
dans lequel elle s’était trouvée prise dans son enfance : son père se servait
en effet d’elle comme de sa « favorite », pour satisfaire ses propres besoins
de proximité affective. Ce père avait été très maltraité dans son enfance ;
c’était l’explication qu’il donnait de son mauvais caractère. C’était aussi
son « excuse » pour les gifles, les insultes, les hurlements qu’il faisait subir
à Sonia et à ses autres enfants lorsqu’ils se « tenaient mal ». Toutefois, avec
son statut d’enfant particulière, Sonia était la seule de la famille à pouvoir
se dresser face à lui ou le réconforter. Pour cette raison, sa mère lui en
voulait et se montrait glaciale envers elle. Au lieu de se tourner vers sa
femme pour obtenir d’elle un soutien affectif adapté, le père de Sonia
s’adressait souvent à sa fille pour se plaindre de la dureté de sa femme.
Sonia apprit ainsi à rechercher l’attention de son père et à partager son point
de vue à propos de son « impossible » mère. Cela ne lui était pas difficile,
étant donné l’attitude négative de sa mère (et sa jalousie) à son égard.
Ce triangle entre Sonia et ses deux parents la conditionna par la suite à
chercher un type d’hommes qui n’étaient pas prêts à accepter une proximité
émotionnelle ou une intimité avec elle. Cela lui fit accepter facilement les
fables que lui servaient des hommes très peu présents pour elle, qui lui
expliquaient que leur femme ou leur petite amie avaient certes beaucoup de
défauts, mais qu’ils étaient obligés de rester avec elles. Cela l’amena encore
à accepter les explosions de colère d’un partenaire, qu’elle excusait du fait
de son « passé douloureux ». À l’adolescence, Sonia s’était résignée à sortir
avec des garçons qui s’amusaient d’elle, ne l’estimaient pas vraiment et ne
lui offraient pas la légitimité du statut de petite amie. Son histoire
relationnelle était emplie de triangles douloureux et d’hommes
émotionnellement maltraitants, qui « avaient besoin » d’elle, mais qui
n’étaient pas vraiment capables d’être là pour elle dans la durée. Le fait de
traiter les souvenirs douloureux, avec les croyances encodées : « Je suis
mauvaise », « On ne peut pas m’aimer » et « Je ne mérite pas d’être
aimée », libéra Sonia sur de nombreux plans. Aujourd’hui, elle repère les
signaux de danger et choisit des hommes qui sont libres également de la
choisir. Elle n’est plus intéressée par le rôle de « l’autre femme ».

TOUT TENIR FERMÉ

Chez la plupart d’entre nous, il y a un désir de vraie intimité avec la


personne que l’on aime. Nous voulons pouvoir partager avec elle sans nous
sentir en danger, être dans ses bras, être réconforté en cas de besoin, rire,
jouer, être transporté par la passion sans crainte d’être critiqué.
Malheureusement, beaucoup n’ont connu que très peu de vraie intimité, et
pour d’autres elle disparaît au fil du temps. Dans la plupart des cas, c’est
parce que quelque chose a perturbé la capacité de la personne à faire
confiance. Le manque de sécurité émotionnelle nous empêche de partager
ce qui nous fait souffrir avec notre partenaire, parce que nous avons peur de
la façon dont il ou elle va réagir.
On l’a vu, certains d’entre nous ont des peurs anciennes qui les
empêchent d’être proches de la personne qu’ils aiment. Par exemple, Emily
avait épousé un homme qu’elle aimait vraiment. Mais pour une raison
qu’elle ne comprenait pas elle-même, elle croyait que, si elle baissait sa
garde, si elle s’exprimait, si elle était vraiment présente à ses côtés, il allait
« disparaître ». Elle ressentait de la honte, de la tristesse et de la peur. Les
croyances accompagnant ces émotions disaient : « Je suis indigne », « Je ne
suis pas importante » et « Je ne peux faire confiance à personne ». Il s’avéra
que ces sentiments trouvaient leur origine dans deux événements de son
enfance : dans l’un, sa mère avait oublié de venir la chercher après l’école
quand elle avait 6 ans. Le second avait eu lieu lorsqu’elle avait 8 ans, un
jour où elle et sa famille étaient dans un parc d’attractions : elle avait piqué
une colère, et ses parents étaient montés dans la voiture et l’avaient plantée
là. Bien sûr, dans les deux cas, la famille d’Emily était finalement revenue
la chercher. Mais le dommage était fait : la souffrance et la peur qu’elle
avait vécues étaient bloquées dans son réseau mnésique, préparant les
difficultés relationnelles à venir.
L’histoire d’Emily n’est pas un cas isolé. En cherchant où on se sent
insatisfait ou bloqué dans ses relations, il faut se demander : qu’est-ce qui
m’empêche de travailler en équipe avec mon/ma partenaire pour résoudre
nos problèmes ? Ai-je essayé, sans succès, de communiquer avec lui/elle ?
Ou me suis-je retenu/e de m’exprimer ? Très souvent, l’incapacité à
communiquer nos désirs vient de peurs d’exprimer sa colère, d’être rejeté
ou d’obtenir une réaction irritée. Chez d’autres, c’est la peur de dire non.
Mais ces peurs sont-elles justifiées ? Avez-vous essayé auparavant, dans
votre relation actuelle, et essuyé une rebuffade ? Si ce n’est pas le cas, il
serait utile de vous servir de la technique du pont d’affect pour voir si vous
pouvez trouver un souvenir source qui explique votre réaction, et d’utiliser
alors la spirale, le rayon de lumière ou d’autres techniques pour le modifier.
Si vous trouvez des éléments anciens qui influencent votre vie, essayez
d’utiliser l’exercice du lieu sûr/calme pour trouver le courage de vous
exprimer. Faites part à votre partenaire de la difficulté que vous avez à le
faire, et dites-lui pourquoi. Expliquez-lui que vous souhaiteriez résoudre le
problème avec lui/elle, ensemble. Envisagez éventuellement l’assistance
d’un professionnel pour vous aider. Malheureusement, beaucoup de gens
pensent que leur partenaire devrait « automatiquement savoir » ce qu’ils
ressentent et ce qu’il faudrait faire pour les aider. Ce serait agréable, en
effet, si nous étions tous télépathes, mais ce n’est pas le cas. Quand on a des
besoins non exprimés qui ne sont pas satisfaits, c’est souvent que
l’impression de ne pas compter et de « ne pas être quelqu’un d’assez bien »
fait partie du réseau mémoriel de nos expériences passées non traitées. À
partir de là, c’est à nous de faire quelque chose. Rappelez-vous : dans le
mariage, il s’agit de « t’avoir et de te garder » – pas de « me garder » 1.

OÙ ES-TU PASSÉ ?

Comme on l’a vu, certaines personnes choisissent des relations où


l’intimité est impossible dès le départ. Pour d’autres, quelque chose se
bloque progressivement. On se ferme, en laissant son partenaire perdu, en
colère ou en souffrance. Que s’est-il passé ? Pourquoi la relation est-elle
différente ? Où est passée la personne que j’ai épousée ? Dans ces cas-là, on
se met souvent à douter de soi-même. Parfois, les difficultés viennent d’une
invalidité physique, où on commence à se voir comme un fardeau pour le
conjoint, ou de difficultés financières, quand la personne qui avait le rôle de
faire vivre le foyer se sent en échec. L’équilibre des pouvoirs se modifie au
moment de la retraite ou quand les enfants quittent le nid familial. Parfois,
un incident, ou un autre trauma, réveille des sentiments de honte ou de
culpabilité. Ce sont des moments où un couple devrait se rapprocher. Mais
parfois la situation est trop perturbante pour cela. Ce fut le cas pour Bart et
Cindy : ce qui avait commencé comme une vraie histoire d’amour a failli
s’arrêter du fait d’un obstacle qu’aucun des deux ne pouvait résoudre. Ils
ont accepté d’être interviewés après le traitement, parce qu’ils voulaient
aider ceux qui peuvent se trouver dans la même situation qu’eux.
Bart et Cindy étaient mariés depuis plus de quinze ans quand ils ont
commencé une thérapie. Au début de leur rencontre et dans les premiers
temps de leur mariage, ils s’étaient beaucoup amusés et avaient établi entre
eux de profonds liens émotionnels et sexuels. Mais depuis dix ans, depuis
que Bart était revenu de l’opération Tempête du désert en Irak, leur relation
était à l’abandon.
Comme le dit Cindy :
« Nous étions de plus en plus éloignés. J’essayais très fort, vraiment,
de faire comme si les choses allaient bien, parce que je n’arrivais pas à
trouver précisément ce qui n’allait pas. Pourquoi étions-nous malheureux ?
Pourquoi n’étions-nous pas proches ? Quel était le problème ? Je n’arrivais
pas à trouver ce qui n’allait pas. Je n’en avais pas la moindre idée. Et j’ai
commencé à penser que, dans nos relations intimes, Bart utilisait le plaisir
qu’il retirait du sexe comme une drogue pour échapper à ce qui le faisait
souffrir, et pour avoir l’impression qu’il valait encore quelque chose ; mais
ce n’était plus l’expression de notre amour l’un pour l’autre. C’est ce que
j’ai commencé à penser. Je m’accrochais, en essayant de croire que c’était
toujours un mariage qui fonctionnait, avec cette relation sexuelle ; mais je
me sentais abandonnée par mon mari et j’étais en colère contre lui. »
Bart avait été mobilisé en tant qu’infirmier, et il ne s’était jamais
attendu à prendre une arme. Mais lors d’une embuscade, il avait été forcé de
tuer un homme, et cela lui avait laissé un énorme sentiment de culpabilité et
de honte. Il était tellement ravagé par la culpabilité qu’il ne pouvait pas en
parler à Cindy : il craignait qu’elle ne se détourne de lui définitivement.
C’est Cindy qui avait insisté pour qu’ils entreprennent une thérapie, car
Bart ne semblait plus être la personne qu’elle avait épousée. Affectivement,
il n’était plus disponible pour elle, et cela détruisait la confiance entre eux.
Par exemple, il était tellement préoccupé par sa propre souffrance et
tellement activé par tout ce qui avait trait à la mort que, quand Cindy s’est
effondrée après la mort de son père, Bart lui a ordonné d’arrêter de pleurer,
en lui disant : « Pleurer une journée, c’est suffisant. »
Mais Bart avait également peur de perdre Cindy. Alors, comme il avait
le sentiment d’être mauvais, il est devenu soumis, et il faisait tout ce qu’il
pouvait pour gagner son approbation, y compris des heures
supplémentaires. Quand elle se plaignait, il ne pouvait plus se défendre,
parce que, comme il le dit : « J’étais un monstre d’avoir fait ce que j’avais
fait. Et c’était totalement subconscient : j’avais seulement l’impression de
ne pas avoir le droit d’être heureux, de ne pas mériter de tirer du plaisir de
la vie. Il me fallait réparer mes torts, c’est tout ce que je méritais. » Mais les
humains sont complexes : comme Bart en voulait aussi à Cindy pour ses
critiques permanentes, il était irritable par d’autres biais. Ce schéma de mise
à distance affective et de discorde les éloignait de plus en plus l’un de
l’autre. « Le vide grandissait, grandissait, de plus en plus », dit Cindy.
Heureusement, grâce à la thérapie de couple et à la thérapie EMDR,
les choses sont redevenues normales ; Bart et Cindy se sentent à nouveau
sur un pied d’égalité. Leur conseil aux couples d’anciens combattants est
valable pour tous les couples qui se trouvent bloqués et qui s’éloignent de
plus en plus : quelle que soit la raison pour laquelle vous éprouvez de la
honte ou de la culpabilité, ne laissez pas ces émotions vous séparer de ceux
que vous aimez. Vous pouvez maintenant regarder les choses sous l’angle
d’émotions non traitées qui vous emprisonnent.
Par exemple, selon Bart :
« Avant, je me disais : “Tu es horrible d’avoir fait ce que tu as fait et tu
dois payer pour ça.” Maintenant c’est plutôt : “J’ai été placé dans une
terrible situation, une situation très malheureuse, mais j’ai fait ce qu’on
m’avait demandé de faire, et ce que j’avais accepté de faire au départ.” En
fait, c’est une question de vie ou de mort, et il faut accepter les
conséquences qui vont avec. C’est toujours une horrible tragédie qu’il soit
mort, et je ne suis toujours pas bien avec ça, mais je ne pense pas être
quelqu’un de mauvais pour ce que j’ai fait. […] Trouvez un thérapeute le
plus tôt possible, pour qu’il n’y ait pas trop de “valises” empilées. Cindy et
moi avons attendu dix ans avant de le faire, et nous avons maintenant
beaucoup de choses à guérir. »
Pour Cindy, les choses sont différentes aussi. Comme elle le dit, les
apparences peuvent également être trompeuses. Mais quand vous perdez la
proximité avec votre partenaire, votre compagnon, votre amour, la
souffrance est très réelle :
« Bart faisait parfaitement tout ce qu’il avait à faire, il gagnait sa vie,
c’était un bon père, il payait ses factures, il s’occupait de tout ce qu’il devait
faire. Il ne se battait pas, il ne se saoulait pas, il n’allait pas en prison, il ne
faisait rien de mal. Alors, comment aurais-je pu savoir que son estime de
lui-même était mortellement atteinte ? Et le vétéran qui a connu la guerre
n’est pas la seule personne qui puisse avoir besoin d’une thérapie EMDR.
Suite à ce qui s’est passé entre nous, du fait de ce qu’avait vécu Bart, j’ai eu
de très importantes difficultés psychologiques, que j’ai également dû
surmonter. Je recommanderais donc que les deux personnes du couple
participent à la thérapie. »
Les résultats en valent vraiment la peine. Comme le décrit Cindy, après
dix ans de souffrances cachées, de solitude et d’impression d’être
simplement utilisée dans les relations sexuelles, ils sont de nouveau tout à
fait intimes :
« Maintenant, je sens un véritable amour entre nous. Si vous regardez
notre relation sur le plan émotionnel, c’est le jour et la nuit : c’est
totalement différent de ce que c’était dans le passé, parce que je me sens
aimée et considérée. Et c’est merveilleux. »
Pour nous résumer, si votre relation change suite à un événement,
parlez-en ensemble. Si vous vous sentez bloqué, essayez d’utiliser nos
techniques d’autocontrôle pour modifier ce que vous ressentez. Si cela ne
suffit pas, envisagez de vous faire aider par un professionnel. Il ne faut pas
laisser traîner les choses pendant des mois ou des années en attendant
qu’elles se tassent : comme dit Bart, cela ne fait qu’ajouter aux « valises ».
Tu es insupportable, et je suis en colère

Nous connaissons tous des situations exaspérantes, au travail, avec nos


amis ou dans la famille où nous sommes absolument persuadé qu’une
certaine personne se comporte mal. Il se peut que nous ayons tout à fait
raison, mais prenons-nous la situation de façon adaptée ? Si notre réaction
est exagérée parce que la situation est, pour nous, en rapport avec certains
souvenirs non traités, ce n’est pas du tout sain.
Elena, par exemple, appartenait à une famille dont les nombreux
membres, très proches, se réunissaient régulièrement. Hélas, bien souvent,
son cousin Patrick ne tenait pas parole : s’ils devaient se rencontrer, il
arrivait couramment avec une heure de retard ; s’il avait dit qu’il
l’appellerait ou qu’il ferait telle ou telle chose, il le faisait rarement sans
qu’elle soit obligée de le rappeler plusieurs fois. Elena était continuellement
activée par ce cousin. Elle lui avait souvent répété que, pour elle, il était
important de tenir parole : s’il disait qu’il allait faire quelque chose, il
devait le faire. S’il ne pouvait le faire comme il l’avait dit, il devait l’en
prévenir. Cela semblait très simple, mais cela ne donnait rien : Patrick
promettait de s’amender, puis il recommençait.
Comme on dit : on choisit ses amis, pas sa famille. Elena avait
rarement rencontré ce genre de comportement chez d’autres personnes,
parce que, comme tout le monde, elle choisissait plutôt ses amis parmi les
gens avec qui elle était bien ; si une de ses connaissances avait agi comme
Patrick, elle n’aurait pas pris la peine d’aller plus loin dans la relation. Mais
elle était quelquefois contrainte de se mettre en rapport avec son cousin en
raison d’obligations familiales. C’est pourquoi il était important pour elle
d’évaluer à quel point cela la perturbait.
La plupart d’entre nous diraient que le comportement de Patrick est
inacceptable chez un adulte ; mais cela justifiait-il l’intensité de la réaction
d’Elena ? Autrement dit, jusqu’à quel point cela la dérangeait-il, et que
pouvait-elle y faire ? Nous avons tous connu des situations où la personne à
qui l’on se confie est d’accord avec nous pour dire que nous sommes
victime d’un comportement anormal, mais où elle ajoute qu’il ne faut pas
« en faire une question personnelle ». Si on admet que le fait de réagir de
façon excessive et « d’en faire une question personnelle » signifie
généralement que la situation se connecte à des souvenirs non traités, on
peut chercher d’où vient la forte réaction émotionnelle qu’on éprouve.
Toute seule, Elena se concentra sur la dernière fois où Patrick avait
promis de faire quelque chose et n’avait pas tenu parole. Les pensées qui lui
venaient à l’esprit étaient teintées de colère et de ressentiment : « Moi, j’ai
toujours tenu mes promesses envers lui. Quand je pense à tout ce que j’ai
fait pour lui ! » Puis elle se demanda : « Qu’est-ce que je ressens en ce
moment ? » Sa réponse fut : « Je ne suis pas suffisamment importante pour
qu’il fasse un effort. » En résumé : « Je ne suis pas importante. » Gardant à
l’esprit l’image de la dernière fois où Patrick n’avait pas tenu sa parole et la
pensée « Je ne suis pas importante », Elena utilisa la technique du pont
d’affect et laissa son esprit revenir au premier souvenir où elle avait ressenti
cela. Il lui revint alors une image d’elle-même à l’époque de son
adolescence. Ses copains et elle s’étaient donné rendez-vous à un arrêt de
train pour aller passer la journée en ville. Elena les avait attendus
jusqu’après l’heure convenue. Elle pensait les avoir vus dans un train qui
passait, mais personne n’était descendu à son arrêt. Elle était rentrée
tristement chez elle, déçue et blessée. Un peu plus tard, ils l’avaient appelée
pour lui dire qu’ils avaient été occupés à rectifier la coiffure et le
maquillage d’une des filles et que, ne pensant pas qu’elle les attendrait, ils
étaient partis en ville sans elle. Ils l’appelaient pour savoir si elle voulait
venir. Elena alla les rejoindre, mais avec le sentiment amer qu’elle n’était
pas assez importante aux yeux de ses copains pour qu’ils soient vraiment
attentifs à elle. Voilà ce qui était activé en elle par le comportement de son
cousin Patrick.
Cette prise de conscience fut suffisante pour lui permettre de se rendre
compte que son cousin se comportait en fait de la même manière avec toute
la famille : il était constamment en retard et oubliait souvent ses
engagements. Si Elena n’appréciait pas son comportement, elle pouvait du
moins, n’étant plus prisonnière de sa vertueuse indignation, utiliser le
changement de respiration et la spirale pour gérer ses émotions. Elle ne
pouvait pas faire changer son cousin. Elle pouvait seulement tâcher de
réduire au minimum les moments où elle avait besoin de lui.
On ne peut pas choisir sa famille. Souvent, on ne peut pas la faire
changer. Mais on peut sentir les moments où on est probablement activé, et
s’occuper alors de ses émotions négatives et de ses réactions physiques, au
lieu d’y adhérer en pensant avec indignation : « Comment ose-t-il ? » ou
« Comment a-t-elle pu ! ». Parfois, il peut être utile de considérer la
situation comme une occasion d’exploration et de croissance personnelles.
Elena a ainsi compris que son souvenir d’avoir été abandonnée à la gare
avait également influencé ses choix concernant ses amis et ses collègues :
elle avait fait disparaître de sa vie un bon nombre de personnes qui
n’avaient pas tenu parole, ne serait-ce qu’une seule fois. Elle se disait
qu’elle pouvait peut-être, maintenant, avoir envers les autres un peu plus
d’indulgence. Elle décida également d’appeler son ancien thérapeute pour
traiter le souvenir, ainsi que tous les autres souvenirs qui pouvaient avoir un
lien avec celui-là. Voilà une bonne chose à se rappeler lorsque l’on est
vraiment très contrarié : qu’il s’agisse de sa famille, de ses amis ou de ses
collègues, il est important de se demander : « Est-ce que ma réaction vient
d’une partie adulte de moi, ou bien d’une partie enfant ? »
Il est évidemment utile de réduire le stress dans votre vie : par
exemple, si vous êtes continuellement irrité ou perturbé par le
comportement de quelqu’un, en particulier alors que les actes de cette
personne ne vous ont pas directement porté atteinte, cela peut provenir de
difficultés personnelles en rapport avec des questions de pouvoir et de
contrôle. Vous êtes peut-être surtout contrarié que cette personne n’agisse
pas comme vous le souhaiteriez, et agacé de votre impuissance. Même si
c’est parfois difficile, il est important de se rappeler que les choix des autres
en matière de comportement leur appartiennent. Et que vos choix ne
concernent que vous. Essayez d’utiliser votre lieu sûr, puis pensez
tranquillement à la personne qui vous ennuie et dites cette phrase : « Je te
pardonne d’être comme tu es. » Faites-le plusieurs fois de suite. Vous
découvrirez peut-être, après l’avoir fait, que, quand vous penserez à cette
personne, vous ne serez plus aussi contrarié. Certes, vous n’appréciez pas
ce qu’elle fait, mais cette colère continuelle vous fait plus de mal à vous
qu’à elle.

Quelques recommandations pour vos relations


– Cherchez la cause. Quelquefois, la douleur que nous éprouvons à
l’égard du comportement d’un membre de notre famille est encore aggravée
par des sentiments d’incompréhension et d’indignation. Nous ne
comprenons tout simplement pas comment cette personne peut,
apparemment, se comporter correctement avec tout le monde et se montrer
aussi dure et insensible avec nous. Tâchez de vous rappeler que cela peut
être parce que chacun de nous a des réseaux mémoriels différents, selon
qu’il s’agit du travail, des amis ou de la famille. Des souvenirs non traités
différents peuvent être activés en fonction de la situation et du type de
relation. Si vous et votre partenaire avez des difficultés, préparez-vous en
faisant d’abord un lieu sûr/calme, puis essayez d’identifier ensemble les
situations et les déclencheurs. Engagez-vous à les travailler ensemble, car
votre engagement à tous les deux est nécessaire pour que la relation
fonctionne. Pensez à la technique du pont d’affect pour repérer les
souvenirs qui dirigent votre vie.
– Pratiquez la générosité. Être généreux avec son partenaire, c’est être
attentif à lui et lui offrir du temps, de l’assistance, un mot gentil, ou un
pardon pour une offense mineure. Cela consiste à aller chercher à l’intérieur
de soi ce qu’on a de mieux à offrir aux gens qu’on aime. Mais pour pouvoir
l’offrir, il faut aussi prendre soin de soi. Veillez à utiliser tous les jours les
techniques d’auto-assistance que vous avez apprises pour prendre soin de
vous et alléger votre stress.
– Tâchez de rester ouvert. Quelquefois, quand il s’est installé dans le
couple un schéma conflictuel, l’un des deux peut commencer à se fermer et
à se couper de son partenaire. C’est presque comme si on se mettait dans
une sorte de boîte en acier pour se protéger. Il est bien naturel d’avoir envie
de se protéger quand on a mal ; mais la difficulté avec ces boîtes, c’est que,
si elles vous gardent « en sécurité », elles vous isolent et empêchent toute
possibilité de changement aussi. Parfois, on cherche à punir son partenaire,
mais on se punit également soi-même, car on peut se sentir paralysé, replié
sur soi, déprimé. Observez comment vous êtes, pour essayer d’éviter de
vous fermer ; rappelez-vous que vous avez des choix : par exemple, les
techniques que vous avez apprises vous aideront souvent à passer de ces
états de « fermeture » à un état « ouvert », détendu, paisible et réceptif.
– Communiquez. Quand vient le moment de parler avec votre
partenaire de vos schémas problématiques et de la façon de les modifier,
veillez à être dans un état d’ouverture. Utilisez des phrases comme : « Je
t’aime, et quand il se passe X, je me sens Y. » Et non pas : « Tu me rends
Y ! » Chacun est responsable de ses réactions. Partagez les informations
comme vous aimeriez qu’on les partage avec vous. Pas de reproches,
simplement les informations qu’il est important d’aborder et de ressentir
tous les deux. Si cela ne donne rien, pensez à chercher l’assistance d’un
professionnel pour vous aider à évaluer la situation et pour vous proposer
des choix utiles. Quelquefois, il est important qu’un tiers, neutre, formé
pour cela, porte un regard neuf sur le couple.

Exploration personnelle

Mettez par écrit les trois pires souvenirs de relation, personnelle ou


amoureuse, que vous ayez pu avoir depuis votre adolescence. De quelle
catégorie de croyances relèvent-ils ? Les phrases qui les expriment sont-
elles les mêmes que celles des croyances que vous avez déjà identifiées, ou
sont-elles différentes ? Faites un pont d’affect pour trouver les souvenirs
d’enfance qui peuvent alimenter vos difficultés. Ajoutez-les à votre liste de
base.
Demandez-vous si vous pouvez faire face à vos problèmes relationnels
actuels avec des techniques d’autocontrôle et de communication. Si ce n’est
pas le cas, et si ces difficultés présentes sont le plus récent exemple d’autres
difficultés que vous avez déjà rencontrées dans votre vie, il peut être
intéressant de solliciter l’assistance d’un professionnel. Rappelez-vous :
vous avez des possibilités de choix.

1.
Allusion à la déclaration sacramentelle du mariage chrétien : « Moi, X, je
te prends pour mari et époux/femme et épouse, afin de t’avoir et de te
garder dès ce jour et à l’avenir, dans le bonheur et dans la peine, dans la
maladie et la santé, jusqu’à ce que la mort nous sépare, et sur cela j’engage
ma foi. » [N.d.T.]
CHAPITRE 9

Une partie de l’ensemble

J’ai dit dans le premier chapitre que le but de ce livre était de mieux se
comprendre soi-même et de mieux comprendre les autres. J’ai dit aussi
qu’il ne s’agissait pas de distribuer des blâmes. Mais franchement, cela peut
être très difficile. Parfois notre sens de la justice se révolte. Nous
condamnons ces gens qui semblent ne jamais comprendre, surtout lorsqu’ils
portent sans cesse atteinte aux autres. Ils savent quelquefois que leurs
actions sont « mauvaises » selon les critères de la société, mais ils les
commettent quand même, sans compassion, sans empathie. D’autres savent
aussi que leur comportement est mauvais, et cela les gêne, ils en ont honte –
mais ils prétendent ne pas pouvoir s’en empêcher. D’autres encore estiment
que leurs actions sont justifiées.
Il ne se passe pas un jour sans que les journaux rapportent des
tragédies qui auraient pu être évitées. On entend parler d’existences ruinées
par des gens qui ne semblent avoir aucun sentiment de responsabilité pour
les actes qu’ils ont commis ; on dirait qu’ils passent leur vie à détruire les
objets (et les autres) autour d’eux. Néanmoins, la vérité est que même dans
ce cas, notre jugement doit être tempéré de compréhension : si l’on ne
comprend pas les raisons de ces comportements, en effet, on ne peut pas
changer les choses. Oui, ils devraient se contrôler. Oui, ils causent souvent
un mal terrible. Et oui, dans la plupart des cas, ils peuvent apprendre à agir
autrement. Mais alors, on peut les blâmer encore plus : s’ils peuvent
apprendre à ne plus le faire, pourquoi continuent-ils à le faire ?
Il faut se souvenir que la raison même pour laquelle ils n’apprennent
pas à contrôler leur comportement destructeur fait partie du problème dans
lequel ils sont englués. Malheureusement, la société a souvent renoncé à
s’occuper d’eux, et eux-mêmes y ont renoncé. On considère peut-être qu’ils
sont définitivement fichus, ou qu’ils ne veulent pas changer. Mais ces points
de vue ne vont ni à la racine du problème ni à ses éventuelles solutions. Les
raisons de leurs actes sont celles de tout le monde : des réactions
automatiques provoquées par des processus inconscients. Certes, cela
n’excuse pas leurs actes, mais les individus qui provoquent ces souffrances
font eux aussi partie de l’humanité. Nous n’aimons pas leurs schémas
destructeurs ; mais si nous n’apprenons pas à comprendre et à soigner les
agresseurs, il continuera à y avoir des victimes. C’est pourquoi, dans ce
chapitre, nous nous intéresserons aux agresseurs d’enfants, aux auteurs de
violence domestique, aux violeurs et aux toxicomanes. Ils peuvent avoir
déjà affecté certains d’entre vous, directement ou au travers d’un être cher.
En fin de compte, au niveau global de la société, ce qu’ils font nous affecte
tous, ne serait-ce que parce que nous pourrions bien être un jour au nombre
de leurs victimes.

Comment cela commence-t-il ?

Il y a beaucoup de raisons pour que quelqu’un, en grandissant, adopte


ce qu’on appelle un « comportement antisocial ».
Certains disent qu’on peut en voir déjà les signes chez les
« sauvageons », ces enfants qui passent à l’acte à l’école, et avec qui toute
relation semble impossible.
Mais est-il vraiment impossible de communiquer avec eux ? Gary,
psychologue intérimaire dans une école primaire à la campagne, a rencontré
un de ces « sauvageons », peu après le 11 Septembre.
Gary apportait avec lui un sac tout neuf de matériel de thérapie par le
jeu, plein de jouets bien utiles, ainsi que du matériel artistique – du
« matériel d’expression », comme on dit, qui sert à aider les enfants à parler
de leurs difficultés et de ce qu’ils ressentent. Dans les écoles, les
psychologues travaillent souvent où ils peuvent : le « bureau » de Gary était
un grand placard où l’école entreposait des livres et un chariot de revues
abandonné depuis l’époque où un projecteur était un objet high-tech. Gary
vida le chariot et y installa ses jouets et le reste de son matériel. Il ne
connaissait pas encore la thérapie EMDR, mais il avait quelques techniques
de thérapie par le jeu qui marchaient très bien depuis des années.
Une des premières rencontres de Gary, ce jour-là, fut celle de Zach, un
garçon de 6 ans qui redoublait la maternelle. Son frère, sa sœur et lui
vivaient chez leur grand-mère. Leurs deux parents étaient en prison pour
trafic de métamphétamines. C’étaient sûrement là des informations
importantes, mais elles ne suffisaient pas vraiment à expliquer le
comportement de Zach à l’école. La raison pour laquelle il redoublait sa
classe de maternelle, sans grand succès d’ailleurs, était qu’il agressait
physiquement les autres enfants à la récréation presque tous les jours. Ce
type de comportement, souvent diagnostiqué comme « trouble de la
conduite », peut mener à des comportements violents et antisociaux à l’âge
adulte. Ces enfants sont très souvent en échec scolaire, ou bien on les fait
passer de classe en classe même s’ils n’apprennent rien. Très souvent, pour
les rendre dociles, on leur donne des traitements médicamenteux inadaptés
ou trop lourds. Ils finissent souvent par abandonner l’école, et, comme ils
n’ont aucune qualification, mais beaucoup de colère, leur vie suit
généralement un cours prévisible.
À la fin de sa première séance de thérapie par le jeu, Zach piqua une
crise de rage et jeta les jouets du chariot partout dans la pièce. Gary lui dit :
« Il doit y avoir une bonne raison pour que tu éprouves de si fortes
émotions. » Zach l’ignora. Ils firent deux séances de ce genre, où l’enfant
s’emparait du matériel de jeu qui était soigneusement rangé, pour le jeter
partout dans la pièce.
Finalement, Zach parut se calmer et commença à construire une
relation avec Gary. Ils travaillèrent tous les deux en thérapie par le jeu.
Cependant, après vingt séances, Zach était toujours aussi agressif à l’école.
Gary le croisait souvent, se dirigeant vers le bureau du principal pour y
recevoir une fois encore une punition corporelle : tête basse, tout petit, il se
préparait à recevoir une fessée d’un adulte exaspéré. Les châtiments
corporels étaient encore une pratique courante dans cette partie des États-
Unis. Gary avait parlé au principal, mais il ne pouvait l’empêcher de faire
ce qu’il pensait devoir faire. Il avait beau lui expliquer qu’il y avait
sûrement une raison au comportement déconcertant de Zach, cela ne
changeait rien, et malgré tous ses efforts, Gary ne parvenait pas à trouver
cette raison.
Quelques mois plus tard, Gary se rendit dans un autre État pour suivre
une formation EMDR, au cours de laquelle il put discuter avec d’autres
thérapeutes qui travaillaient comme lui auprès d’enfants. Ils lui dirent que
l’avantage avec les enfants, c’était que ce traitement donnait souvent des
résultats rapides. Quand il retrouva Zach deux semaines plus tard, Gary fut
en mesure de lui apprendre la technique du lieu sûr. Et lors du rendez-vous
suivant, tout changea : cinq minutes avant la fin de la séance, Zach
commença à sortir tous les jouets du chariot de revues et à les jeter à travers
la pièce. Il mit une minute à vider le chariot. Alors, accroupi face à lui,
parmi les jouets éparpillés, Gary lui dit : « Observe ce que tu ressens et à
quel endroit de ton corps tu le sens » et, en utilisant le tapping, il commença
le traitement EMDR.
Presque immédiatement, Zach se mit à pleurer toutes les larmes de son
corps, à sangloter éperdument. Au grand étonnement de Gary, l’enfant fut
plus connecté avec ses émotions durant ces quatre ou cinq minutes par terre
qu’il ne l’avait été pendant toutes les séances précédentes. Ils firent une
autre séquence de tapping qui produisit encore d’autres larmes et d’autres
sanglots. Puis Zach dit : « C’était horrible quand je jetais les jouets. » Puis il
demanda à Gary : « Vous pouvez garder un secret ? »
Gary acquiesça, sans avoir aucune idée de ce qu’il allait entendre. En
fait, il s’attendait à tout. Et Zach lui dit entre deux sanglots : « Mes parents
sont en prison et je serai très vieux quand ils sortiront. »
En contact avec ses émotions, Zach put les ressentir et les exprimer.
Puis il se concentra sur des souvenirs de ses parents qui alimentaient la
violence de ses émotions. Au cours de ce travail, Gary le voyait faire ces
connexions émotionnelles et avoir des prises de conscience qu’il pouvait
maintenant verbaliser facilement. C’était un grand changement dans ce qui
engendrait ses difficultés.
Chez beaucoup d’enfants, certaines émotions sont très difficiles à
gérer. Leur système de traitement des informations est en surcharge, et les
émotions puissantes se trouvent stockées dans une partie isolée de leur
mémoire. Un élément du présent peut cependant les déclencher. Par
exemple, à la fin de chaque séance, Gary, avec qui Zach avait maintenant
établi un lien, quittait l’enfant, comme ses parents l’avaient fait. La douleur,
la peur et la colère déclenchent alors des actions qui semblent
incontrôlables – comme ici de jeter les jouets à travers la pièce ou de faire
du mal aux autres enfants à la récréation. Ensuite, les émotions cèdent, et
l’enfant ne les ressent plus et ne les exprime plus. Ces enfants deviennent
ainsi des adultes pleins d’émotions de douleur, de colère et de peur,
verrouillées en eux, mais prêtes à exploser.
La semaine suivante, Gary alla trouver l’instituteur de Zach et apprit
que le petit garçon ne s’était plus attiré d’ennuis et qu’il travaillait bien en
classe. Il avait des difficultés depuis si longtemps qu’il fallut du temps à ses
professeurs et aux autres adultes pour accepter le fait qu’il aille mieux. Gary
continua à travailler avec lui en EMDR. Un jour, il découvrit que la grand-
mère de Zach avait de nouveau fait placer son grand frère, définitivement
cette fois, parce qu’elle ne voulait pas qu’il ait une mauvaise influence sur
Zach et sa sœur. Gary se dit : « Je vais devoir tout recommencer. » Mais ce
ne fut pas le cas : alors qu’ils travaillaient ensemble, cet après-midi-là, Zach
dit à Gary : « Mon frère faisait n’importe quoi. Il est allé dans un endroit où
on peut l’aider. »
À la fin de l’année scolaire, Zach passa au cours préparatoire, et Gary
fut transféré dans un autre secteur. Il se renseigna plus tard auprès d’un
collègue et apprit que Zach allait tout à fait bien. Nous ne savons pas ce
qu’il est advenu de son frère. Espérons qu’il aura pu rencontrer un
psychothérapeute comme Gary, qui l’aura aidé à dépasser sa souffrance.
On le voit dans cet exemple : de nombreuses actions qui blessent les
autres, qu’elles soient causées par des enfants ou des adultes, proviennent
directement de souvenirs non traités, qui tirent les ficelles en coulisses. Les
châtiments corporels ne modifiaient pas les comportements de Zach, ils
alimentaient seulement la colère, la souffrance et la peur stockées dans ses
réseaux mnésiques. Son échec à passer de la maternelle au cours
préparatoire et toutes les bagarres qu’il provoquait dans la cour de
récréation ne faisaient qu’ajouter à la douleur qui le rendait violent. Cela ne
veut pas dire que les règles et la discipline ne sont pas importantes : la
société doit évidemment fixer et assurer certaines règles pour la sécurité de
tous. Mais leurs parents n’ayant pas pu leur offrir un développement
émotionnel sain, beaucoup de personnes sont dans l’incapacité de ressentir
leurs émotions ou de pouvoir rester calmes lorsqu’elles y accèdent. Cela les
mène à toute une série de difficultés, que nous allons explorer dans ce
chapitre.

Les addictions

Toxicomanes, les parents de Zach ne pouvaient pas lui transmettre ce


dont il avait besoin et l’élever correctement. Les addictions ne sont pas
seulement un problème destructeur en soi, elles contribuent souvent aussi à
d’autres comportements négatifs que nous allons aborder tout au long de ce
chapitre. L’abus de drogue et d’alcool est aujourd’hui considéré comme un
énorme problème de santé mondiale. Et il est maintenant communément
admis qu’un passé de traumas non traités accroît les risques de toxicomanie.
Bien qu’il y ait peut-être une prédisposition génétique à l’addiction, il faut
généralement certains types d’événements pour déclencher le schéma
toxicomaniaque. Une prédisposition génétique rend peut-être la
désintoxication plus difficile, mais elle ne détermine pas tout.
Si certains ne sont pas en contact avec leurs émotions, d’autres s’en
trouvent au contraire complètement submergés. Lorsque la douleur devient
trop pénible à supporter, ils vont chercher du soulagement à l’extérieur.
Peut-être ont-ils vu leurs parents agir de cette manière, ou peut-être ont-ils
simplement découvert qu’ils s’étaient sentis mieux après avoir essayé la
drogue ou l’alcool avec leurs copains. Quelle qu’en soit la raison, les
personnes qui ont une addiction ont souvent l’impression de ne pas pouvoir
se contrôler et d’être incapables de s’arrêter, malgré tout leur désir de le
faire et le nombre de personnes qu’elles font souffrir autour d’elles. Des
milliers de gens prennent le volant alors qu’ils sont au-delà du taux
d’alcoolémie autorisé – sans autre intention que de se rendre d’un endroit à
un autre, mais avec pour conséquence des gens tués ou définitivement
handicapés. Que la cause en soit l’addiction ou un écart de jugement, ils ne
devraient pas prendre le volant dans cet état. Mais ils le font, et souvent
quelqu’un en pâtit. Malheureusement, c’est seulement après avoir touché le
fond que beaucoup admettent enfin avoir besoin d’aide.

IL N’EST JAMAIS TROP TARD

La toxicomanie est un cercle vicieux. Elle peut commencer comme le


symptôme d’un désespoir intérieur ou d’une grave dévalorisation ; mais une
fois qu’elle a pris le dessus, une fois que la course destructive de l’addiction
est lancée, elle ne fait qu’engendrer de nouvelles raisons de se détester soi-
même. Pour traiter sa toxicomanie, il est important d’apprendre d’autres
façons de gérer sa douleur émotionnelle, mais il est également important de
traiter les souvenirs qui, au départ, alimentent la perturbation. Une étude
menée au sein d’un programme du Tribunal des drogues de Washington
(Washington Drug Court Program) a combiné la thérapie EMDR et un
traitement préparatoire de groupe appelé « Chercher la sécurité », qui
comportait de la psycho-éducation, des techniques de gestion des traumas et
de l’addiction, et des techniques de relaxation. Des données préliminaires
montraient un taux de réussite de 91,3 % parmi les inscrits au programme
qui avaient accepté le traitement EMDR, contre seulement 62 % parmi ceux
qui l’avaient refusé. D’autres études sont nécessaires, mais les résultats de
ce programme de traitement intégré sont clairs : être acquitté par le Tribunal
des drogues est le meilleur indicateur de l’arrêt du cercle vicieux de la
toxicomanie et des peines de prison. Ces résultats le montrent : quelles que
soient la durée ou l’intensité de son addiction, on peut vraiment s’en sortir.
Du fait de son expérience du Tribunal des drogues, Tom est devenu un
chaud partisan du Programme de traitement des traumas par l’EMDR. Il
nous a offert une description de son long voyage « jusqu’en enfer et
retour », dans l’espoir que cela aiderait ceux qui connaissent des situations
similaires :
« J’ai commencé à boire à l’âge de 12 ans, à fumer de l’herbe à 14 et
puis, avec le temps, à prendre des drogues plus dures. Boire et fumer était
naturel pour moi : j’avais vu mes deux parents noyer régulièrement leurs
problèmes dans l’alcool. C’étaient des parents formidables – à ceci près
qu’ils étaient alcooliques. Et bien sûr, mes copains buvaient aussi et
prenaient de la drogue, comme leurs parents.
« Je me suis battu contre la dépendance à l’alcool et à la drogue
pendant vingt-huit ans. J’ai été quatre fois en désintoxication, y compris
soixante-dix jours d’incarcération dans un programme carcéral de lutte
contre les dépendances chimiques qui faisait partie de ma première
injonction thérapeutique au Tribunal des drogues. Cette injonction a été un
échec et a eu pour résultat trois condamnations pour acte délictueux grave,
un temps de prison plus long et le fait d’être fiché comme criminel
condamné. Je ne pouvais pas supporter ça. »
Tom avait une vie toute tracée dans l’affaire familiale de dépannage et
réparation automobile, et ses parents l’aimaient et le soutenaient dans ses
objectifs de vie. Mais, à 35 ans, il vit son père se battre contre un cancer
pendant deux ans, et cela le fit plonger encore davantage dans la drogue et
l’alcool. Puis son père mourut.
« Pendant l’année suivante, je me suis débattu, je ne savais pas quoi
faire. Les choses ont commencé à s’améliorer lorsque je suis entré dans une
grosse société de transport. Avec mon frère Steve, mon copilote, on a
commencé une nouvelle carrière de chauffeurs de poids lourds longue
distance. Tout avait l’air d’aller, et pendant un an on a rempli nos contrats
comme il fallait, on faisait tous les États du pays. Et puis le drame est
arrivé, en allant récupérer un chargement au Texas. On rentrait pour Noël.
« Steve et moi, on s’est arrêtés dans la petite ville de Hays, au Kansas,
pour faire quelques courses pour nos familles. Ensuite, on est allés au bar
local pour “fêter Noël”. Après la fermeture du bar, on est retournés au
camion, et on a commencé à se disputer pour savoir si on reprenait la route
tout de suite ou si on attendait le matin. Steve voulait y aller ; je voulais
rester. J’ai fini par céder et accepter d’y aller, mais tandis que je sortais le
trente-cinq tonnes du parking, la dispute est devenue vraiment violente, on
hurlait à pleins poumons. J’ai pris la bretelle d’autoroute et commencé à
prendre de la vitesse, sans cesser de hurler à mon frère de la fermer. On a
continué comme ça, en se criant dessus et en s’insultant ; aucun de nous
deux n’arrivait à mettre fin à la dispute. C’est alors qu’il a hurlé : “Ça serait
peut-être mieux que je sorte tout de suite !” Et de toute la force de mes
poumons, j’ai crié les derniers mots que j’aie dits à mon frère : “Eh bien,
vas-y !” J’ai passé la vitesse supérieure, le camion roulait à 100 km/h ; puis
mon frère s’est calé calmement dans son siège, il a enlevé sa ceinture de
sécurité, il a déverrouillé sa portière et il est sorti du camion. Il a fallu
presque trois cents mètres aux dix-huit roues pour s’arrêter. J’ai remonté la
route en courant, et j’ai trouvé finalement mon frère étendu dans un fossé,
les os sortant de partout et des flots de sang s’écoulant de son corps brisé. Il
est mort dans mes bras.
« Bien évidemment, j’ai géré la mort tragique de mon frère de la seule
manière que je connaissais : avec de la drogue et de l’alcool. J’allais mal, et
je le savais. Avec l’amour et le soutien de ma mère, je suis entré dans mon
premier programme de traitement hospitalier. Malheureusement, après
quelques courts mois de guérison, je suis revenu directement aux substances
qui semblaient marcher le mieux, même si elles ne suffisaient jamais à
supprimer la douleur. »
Pendant les quelques années suivantes, Tom n’a pas pu garder un
travail. Il a divorcé, a perdu sa mère d’une insuffisance hépatique éthylique,
et a dépensé tout son argent dans les drogues. Puis il a été arrêté pour
détention de métamphétamines et conduite sans permis.
« Pendant l’année suivante, j’allais être arrêté encore treize fois, être
libéré sous caution, manquer des audiences, faire l’objet d’un avis de
recherche, et je me cacherais pour fuir les flics. Ils allaient venir chez moi,
défoncer ma porte d’entrée, coucher ma famille en joue, et fouiller ma
maison pour me trouver. Ma plus grande crainte n’était pas d’aller en
prison. C’était de savoir qu’à partir du moment où je serais arrêté, je ne
serais plus en mesure de me droguer. J’ai été radié du programme du
Tribunal des drogues, condamné pour trois infractions, et j’ai fait ma
peine. »
Libéré, Tom retourna directement à la drogue, fut de nouveau arrêté et
remis en prison. Cette fois, pendant sa conditionnelle, sous la menace d’une
nouvelle incarcération s’il retouchait à la drogue, il décida d’entrer dans le
programme de recherche du Tribunal des drogues pour le traitement des
traumas par l’EMDR. Pendant les cinq mois suivants, il travailla sur les
difficultés qui étaient à la racine de son addiction, et aujourd’hui il veut que
les gens sachent que c’est ce qui lui a permis de guérir.
Parce qu’il souhaite que d’autres essaient le traitement EMDR, il
donne un aperçu de sa vie d’aujourd’hui :
« Au cours des six années de mon rétablissement, j’ai complètement
remis ma vie en ordre. J’ai remboursé plus de dix mille dollars d’amendes,
récupéré mon permis de conduire, empêché la saisie de ma maison, payé
mon avocat, terminé ma conditionnelle. Je gère ma propre entreprise avec
succès depuis un an et demi et je paye toutes mes factures. Je suis
maintenant un membre responsable de la société et, le plus beau dans tout
ça, c’est que j’ai une famille avec ma fiancée (qui est clean depuis dix-neuf
mois aujourd’hui), ma fille de 17 ans, qui est revenue vivre avec nous, et
ma fille de 8 ans, grâce à qui la vie est toujours intéressante. Je me réjouis
maintenant de chaque jour qui vient. »
Beaucoup de gens croient que l’addiction est simplement un manque
de « discipline ». Ils ne comprennent pas que la vie de quelqu’un puisse lui
échapper à ce point. J’espère que l’histoire de Tom aidera à clarifier cela.
Quand on utilise l’alcool ou la drogue pour gérer ses émotions, les
substances prennent une vie propre. Mais une fois que les souvenirs non
résolus qui déclenchent l’addiction sont traités, la vie peut reprendre son
cours. Ne laissez pas la honte de votre passé vous paralyser et ruiner votre
avenir. Demandez l’aide dont vous avez besoin pour faire de nouveaux
choix responsables. Même après presque trente ans à combattre ses démons,
l’histoire de Tom montre qu’il n’est jamais trop tard pour faire les choix et
les changements nécessaires pour mener une vie saine.

RECHERCHER L’ORIGINE

Le traitement EMDR de Tom comprenait 1) le traitement des souvenirs


passés qui alimentaient ses troubles, 2) celui des situations du présent qui
déclenchaient l’envie de drogue, 3) l’acquisition de nouveaux moyens pour
gérer les expériences difficiles. Pour empêcher les rechutes, il est important
de traiter les souvenirs qui déclenchent la souffrance. Dans le cas de Tom, il
s’agissait de traumatismes très graves, comme la mort de son frère et le
sentiment intolérable d’en être la cause. Chez d’autres personnes souffrant
d’addiction, même si elles ont vécu des événements d’une gravité extrême
dans leurs vies, le souvenir le plus important peut être quelque chose qu’on
ne soupçonnait pas.
Par exemple, d’aussi loin qu’elle pouvait se le rappeler, Karen avait
toujours souffert d’attaques de panique. Elle les gérait en prenant toutes
sortes de drogues, et par une addiction sexuelle. Dix ans de thérapie
n’avaient pas fait cesser les crises de panique, et malgré tous ses efforts, elle
ne parvenait pas non plus à se débarrasser de ses addictions. Elle aboutit
finalement chez un clinicien EMDR ; ensemble, ils ciblèrent ses sensations
physiques de peur, et son esprit remonta alors à un incident qui s’était passé
quand elle avait 4 ans. Ce jour-là, ses parents l’avaient déposée avec sa
sœur de 2 ans dans un parc public, en disant à la petite Karen de s’occuper
d’elle. Le temps lui parut interminable jusqu’à leur retour, et lorsqu’ils
revinrent, Karen était dans un état de panique totale, vomissant et sanglotant
de peur. Au lieu de la réconforter, son père la gronda et se moqua d’elle
pour avoir agi comme une « froussarde ». La peur, la honte et le sentiment
de perte de contrôle encodés dans ce souvenir préparèrent le terrain des
futures addictions. Elle prit sa première gorgée de bière à l’âge de 5 ans et
continua à partir de là. Comme c’est souvent le cas, les parents de Karen
étaient mal accordés aux besoins de leur fille et ne lui apportèrent aucun
soutien, aucun moyen positif et constructif pour gérer sa détresse. Tom, en
revanche, décrivait des parents « aimants » et « super » qui le soutenaient :
mais ces parents lui avaient aussi appris à boire, en lui montrant que le
moyen de gérer les émotions négatives et les problèmes était de les noyer
dans l’alcool. Dans un cas comme dans l’autre, quelle que soit la cause de
l’addiction, le chemin de la guérison est clair : il faut affronter la souffrance
directement – trouver de nouvelles manières de voir le passé, de s’occuper
du présent et de faire des projets pour l’avenir. Si l’on n’aborde pas ces
puissants germes d’addiction, les choses ne feront vraisemblablement
qu’empirer.

QUAND IL N’Y A AUCUNE PERSPECTIVE

Une thérapeute, qui travaille maintenant pour les Programmes EMDR


d’assistance humanitaire (HAP), dirigeait autrefois un centre d’accueil pour
sans-abri. Le centre proposait un traitement de l’addiction à la demande
pour ceux qui le désiraient, à côté d’autres types d’assistance : manteaux
d’hiver, nourriture, envoi à un médecin pour des soins. À un moment
donné, tous ses patients lui demandaient si leur vie serait meilleure après,
quand ils seraient devenus sobres. Elle leur répondait que oui, parce que
c’était vrai : elle savait qu’ils auraient ainsi accès à un logement plus sûr,
qu’ils augmenteraient leurs chances de trouver un emploi et de le garder, et
qu’ils auraient peut-être l’opportunité de renouer avec les gens qu’ils
aimaient. Mais elle savait aussi que sans l’aide des produits qui
dissimulaient leur souffrance, cela serait également difficile, très difficile
même, car ils avaient tous vécu des années traumatisantes. Elle s’inquiétait
particulièrement pour les hommes et les femmes que l’addiction avait
privés de leurs enfants, ainsi que pour les personnes qui avaient été
violentées sexuellement et physiquement dans la rue et dans leur propre
foyer à l’adolescence.
Des années ont passé, et on a maintenant une meilleure compréhension
de l’addiction en tant que maladie et de la manière dont les traumatismes
passés alimentent les processus destructeurs. Elle utilise maintenant la
thérapie EMDR en libéral et continue de suivre des personnes qui souffrent
de graves problèmes de toxicomanie. Elle raconte :
« Hier, une de mes patientes, qui allait mieux jusque-là, est arrivée
légèrement ivre et bouleversée par une perte récente. À un moment, elle
m’a regardée dans les yeux et m’a demandé tout de go : “Est-ce qu’un jour,
je me sentirai digne d’être aimée ? Est-ce que je serai un jour capable
d’accepter un homme qui m’aimera et qui prendra soin de moi ?”
« J’ai pensé à ce qu’elle avait déjà accompli avec l’EMDR : elle avait
quitté un mari alcoolique et violent, avait eu de longues périodes
d’abstinence de l’alcool, avait survécu en faisant face aux viols, aux abus
sexuels et aux négligences qui avaient commencé à l’âge de 5 ans et avaient
duré toute sa vie d’adulte.
« Je lui ai répondu avec assurance : “Oui, vous allez y arriver.” Toutes
les hésitations que je ressentais autrefois quand je travaillais au centre
d’accueil pour sans-abri avaient disparu. Je savais que cette femme
atteindrait ses objectifs, mais en fait elle ne voyait pas encore ce que je
voyais, moi : elle avait déjà fait la moitié du chemin. Un jour, elle m’a
donné un coup de fil pour me dire qu’elle arrêtait momentanément la
thérapie pour faire un tour chez elle. Et un ami digne de confiance,
quelqu’un qui s’occupait d’elle – quelqu’un qui l’aimait –, lui a proposé de
la ramener chez elle. Malgré les probabilités contraires, sa vie s’améliorait,
et je savais que je pouvais l’aider. »
Oui, on peut obtenir de l’aide. Mais pour cela, il vous faut au moins un
petit signe d’espoir.
APPRENDRE À ENTRER EN RELATION

Pour gérer les émotions négatives, tout le monde ne se tourne pas vers
la drogue. Certains font un usage excessif de la pornographie, du sexe, du
jeu, de la nourriture ou de n’importe quelle activité qui leur donne
momentanément un sentiment d’évasion, de calme ou de satisfaction. Mais
il y a bien d’autres moyens, sains ceux-là, d’atteindre des sentiments
positifs durables. Les comportements addictifs ne sont que des apaisements
temporaires, qui ne durent pas parce qu’ils ne vont pas à la racine du
problème. Une fois la « défonce » dissipée, les émotions négatives
reviennent. Pour tous ceux qui, dans leur famille, se sont toujours sentis
seuls, à l’écart, pas assez bien, ou qui n’ont jamais appris à gérer de fortes
émotions négatives, le risque est évident. Pour traiter efficacement les
addictions, il faut non seulement aborder les sources de souffrance, mais
également apprendre à gérer ses émotions perturbantes, et trouver de
nouvelles façons pour gérer ses relations avec les autres.
Les gens qui ont été traumatisés dans leur enfance ont nettement plus
de risques que le reste de la population de développer une addiction. À
cause de leur souffrance et de leur impression d’être « différents », ces
enfants ne s’entendent pas avec leurs pairs et n’apprennent pas les
compétences sociales nécessaires pour avoir de bonnes relations. Sans
thérapie, ils ne peuvent souvent pas faire les connexions nécessaires pour
guérir. Par exemple, la sensation d’appartenir à une communauté, d’être
bien accueilli, l’ouverture et l’honnêteté qu’on rencontre dans un
programme en douze étapes comme celui des Alcooliques Anonymes,
peuvent être très utiles. Mais certains ont également besoin de la thérapie
EMDR pour répondre aux exigences du programme, parce que le fait d’être
dans un groupe, l’obligation de révéler des choses sur eux-mêmes
déclenchent en eux des sentiments de honte et d’insécurité. Comme vous
vous en doutez maintenant, ces sentiments viennent d’expériences
antérieures qui doivent être traitées. L’essentiel est là : quel que soit le
nombre de fois où on a échoué auparavant, cela vaut la peine de réessayer
avec l’aide adéquate. Comme le montre l’exemple de Tom, c’est possible.
Revêtir un masque

Un de mes premiers patients est venu me voir pour des difficultés qu’il
éprouvait dans ses rapports aux autres. José m’expliqua : « Lorsque je suis
entouré de gens, une peur me submerge, si forte qu’elle interrompt tout ce
qui se passe sur le moment, et elle m’envahit tellement que j’ai envie de
m’enfuir et de me cacher. » Quand je lui demandai de mettre ses émotions
en mots, il me dit : « Je me sens différent des autres, comme si je n’étais pas
à ma place. » Il voulait de l’aide parce que, disait-il : « Ça a pris une telle
place dans ma vie que je suis tombé dans l’alcool et la drogue pour m’en
débarrasser. Je m’abrutis jusqu’à ce que je ne ressente plus cette impression.
Mais la souffrance est encore plus forte en ce moment, où j’essaie de sortir
de mes addictions. »
En grandissant, José s’était toujours demandé ce qui n’allait pas chez
lui. Il m’expliqua : « J’ai un frère plus jeune. Il a toujours été le préféré. Il
était toujours le meilleur en tout et il était mieux accepté. Mon beau-père de
l’époque (je ne connaissais pas mon vrai père) l’aimait plus que moi. Il le
félicitait toujours davantage que moi, et j’en souffrais tellement que je
pleurais pour qu’il s’occupe de moi. Je crois que je faisais tout ce que je
pouvais, je cafouillais, je faisais tout de travers, pour qu’on s’occupe enfin
de moi. Pour dire à mon beau-père : “Regarde. Je suis là moi aussi. Tu
vois ? Je fais plein de choses bien, moi aussi. Et quelquefois même mieux
que lui.” Je détestais mon frère. Il avait plus de petites copines que moi, et il
y a eu un moment où ça m’a tellement affecté que je suis devenu très
timide, au point de me dire que, de toute façon, personne n’avait envie de
parler avec moi. J’en étais arrivé à prêter à mon frère beaucoup de pouvoir,
je crois. »
Lorsque je demandai à José si sa peur avait d’autres causes, il
répondit : « Les bagarres de rue. Le centre pour mineurs. La taule. Les
bagarres avec mes frères. »
Je lui posai d’autres questions et il m’expliqua : « C’est la peur que
j’avais, l’impression que j’avais d’être différent, pas aimé. Qu’on ne
s’occupait pas de moi. Je crois que ça m’a fait penser que j’étais différent et
que je n’avais pas le droit d’être là et je me posais plein de questions. Ça
faisait des embrouilles. La haine que j’avais de plus en plus causait toujours
des embrouilles entre mes frères, mes sœurs et moi. Avec pour résultat des
bagarres permanentes. »
Je l’interrogeai à propos du centre de détention pour mineurs. Il me
dit : « Ça m’arrivait d’y aller. Ça remonte à l’époque où je vivais au Texas,
quand j’étais adolescent. Ça continue encore maintenant, mais, au Texas, il
y avait un gros truc de heavymetal, avec le Nord contre le Sud : on appelait
ça des “turfs”. Moi et mon autre frère, on s’est retrouvés dans ces “turfs” en
grandissant et c’était toujours un “turf” contre un autre, ou un “turf” qui
était sur le territoire d’un autre et qui se faisait virer. Et c’est là que le centre
de détention intervenait. »
Je lui demandai : « Comment est-ce que votre peur d’être différent
vous a mené dans tout ça ? » José m’expliqua : « Pour moi, le gang, c’était
un endroit où on pouvait m’accepter, où j’étais accepté. Et c’est là que
l’alcool est entré en scène. Ça me donnait un faux courage pour gérer ces
sentiments. Bizarrement, j’y croyais. Être macho. Traîner. Picoler. Dire des
gros mots. Fumer. Se moquer des gens et leur faire du mal. Là, je me sentais
accepté. À l’époque, c’était ma seule façon d’arriver à vivre. Autrement,
j’avais par moments des idées suicidaires. »
José est représentatif de ces personnes qui ont recours à la violence à
cause de sentiments sous-jacents de colère et de souffrance. Beaucoup de
gens pensent que ceux qui ne ressentent aucune empathie, et qui n’hésitent
pas une seconde à faire du mal aux autres, sont des « psychopathes » qu’on
ne peut pas soigner, mais de récentes recherches ont montré que ce n’était
pas toujours le cas. Nos prisons surpeuplées sont pleines de gens ayant eu
des enfances difficiles, qui leur ont laissé l’impression d’être seuls au
monde. Comme tout le monde a besoin de s’identifier à quelque chose,
c’est la bande qui devient souvent une « famille » de substitution. Qu’ils
soient dans une bande ou non, l’absence de soutien de la part de parents qui
les rejettent, les abandonnent, les humilient ou les battent leur donne le
sentiment de ne rien valoir : ils sont dès lors prêts à faire du mal aux autres.
José agissait comme Zach.
Quand on se sent abandonné, sans valeur, étranger à sa propre famille,
comment s’identifier au reste de la société ? Et si on ne s’identifie pas à la
société, pourquoi obéir à ses règles ? On se fait plutôt les siennes : de cette
manière, c’est vous qui commandez et qui infligez la souffrance. Cela peut
vous faire finir dans des endroits vraiment effrayants. Mais le début est
généralement le même : un enfant vulnérable, en colère et perdu. Le
traitement de leurs souvenirs a libéré Zach et José de leur souffrance et de
leur impression de solitude. Il est préférable de le faire tôt, à l’âge de Zach,
à la fois pour l’enfant et la société. Mais comme on l’a vu pour José et Tom,
même le fait d’être allé en prison ne veut pas dire qu’il est trop tard.

La maison des douleurs

De la même manière qu’il est facile, en regardant les membres d’un


gang dans la rue, de croire à l’image de force et de contrôle (« Me prends
pas la tête ! ») qu’ils cherchent à projeter, c’est également vrai des auteurs
de violences domestiques. Comme on l’a déjà vu plus haut, certains couples
sont engagés à part égale dans une danse destructive de jalousie, de
critiques, de manipulations et de frustrations. Cependant, la violence
domestique physique dans une relation est généralement toujours dans le
même sens. Si certaines femmes sont également les agresseurs, ceux qui ont
recours à la violence, à près de 85 %, sont des hommes. C’est également
plus fréquent qu’on ne pourrait le croire : la violence domestique est une
des raisons les plus citées par les femmes qui se retrouvent dans la rue.
En général, le comportement d’un homme violent peut représenter une
intention permanente d’effrayer, de faire du mal, ou de détruire sa conjointe
ou ce qui lui appartient. Il ne s’agit pas d’une explosion unique, liée à une
prise de drogue ou d’alcool. Il y a souvent le sentiment d’être « dans son
droit ». Le conjoint violent exerce son pouvoir pour contrôler le
comportement de sa femme et s’assurer de sa docilité. Elle est là pour lui
plaire et le réconforter. La violence suit souvent un processus en trois
étapes : la tension s’accumule, l’homme explose de rage, et enfin il exprime
son amour et essaye de se faire pardonner avec une période de « lune de
miel ». Ce cycle se répète indéfiniment. Il a été montré que la violence
domestique est une des principales causes de blessures et de décès des
femmes entre 19 et 44 ans à travers le monde.
Généralement, c’est la femme qui vient chercher de l’aide, parce que
sa vie est devenue ingérable. Le plus souvent, elle se dit déprimée, anxieuse
ou inquiète pour ses enfants. Pour Marie, le point de rupture est arrivé
quand Jacques est devenu violent physiquement avec leur fils de 8 ans
pendant sa fête d’anniversaire et s’est servi d’un couteau pour les effrayer
tous les deux. Il n’avait encore jamais fait cela. Auparavant, il n’avait été
violent qu’avec elle, et sans utiliser d’arme. Elle décida finalement de partir.
C’était une décision difficile à prendre pour elle, et elle était consciente du
risque que son mari devienne de plus en plus violent. Elle est donc partie
pendant qu’il était au travail. Jacques l’a dit plus tard au thérapeute :
lorsqu’il a découvert qu’elle était partie, il l’a cherchée partout. Pourquoi ?
« Pour la tuer et me suicider après. Mais ensuite j’ai pensé à mes enfants, et
je ne l’ai pas fait. J’ai commencé à me calmer au bout de trois jours. »
En fait, Jacques sentait qu’il ne pouvait pas vivre sans Marie. C’est
pour cela qu’il avait très peur chaque fois qu’elle essayait de faire preuve
d’indépendance. Par exemple, il emportait tous les téléphones de la maison
à son travail parce qu’il ne voyait pas pourquoi elle aurait besoin de parler à
quelqu’un d’autre qu’à lui. Il se disait en effet : « Si elle m’aime comme je
l’aime, elle n’a besoin de parler à personne d’autre. Si elle le fait, c’est
qu’elle veut me cacher quelque chose. » Ce genre d’acte est typique des
agresseurs domestiques. Ils essayent d’isoler le conjoint en contrôlant ses
ressources, ses relations extérieures ou d’autres aspects de sa vie de tous les
jours.
Marie acceptait les comportements de Jacques parce qu’elle avait une
très faible estime d’elle-même. Elle venait également d’une famille dans
laquelle on apprenait aux filles à prendre soin des hommes. Son travail était
de le nourrir, de l’habiller (c’est elle qui choisissait les vêtements qu’il
portait tous les jours) et d’être disponible pour lui. De même qu’elle
essayait de gagner l’amour de ses parents en s’occupant d’eux, elle disait à
son thérapeute qu’elle ne pourrait pas avoir une relation avec quelqu’un qui
n’aurait pas besoin d’elle. Jacques et elle répétaient des schémas de
comportement appris dans leurs familles d’origine : les hommes ne faisaient
rien à la maison ; les femmes faisaient tout. Les hommes n’existaient pas
par eux-mêmes, et pour les femmes, la vie consistait à s’occuper de leur
mari.
Comme ils n’étaient pas vraiment en contact avec leurs émotions, ou
n’avaient pas les compétences nécessaires pour les exprimer, Jacques
explosait souvent de colère et Marie se recroquevillait, et souvent recevait
des coups. À bien des égards, ayant l’impression de « marcher sur des
œufs », Marie restait en hypervigilance, dans un état constant de peur et
d’alerte maximales. Elle présentait ce que certains cliniciens ont décrit
comme un « gel cérébral » : son esprit logique, rationnel, n’était pas
vraiment actif. C’était analogue à la manière dont les animaux sauvages se
figent ou s’enfuient lorsqu’ils sont confrontés au danger. Et quand la fuite
est impossible, ils font le mort. Ainsi, quand Jacques devenait violent,
Marie le supportait, tout simplement.
Elle était également dans un état que d’autres thérapeutes appellent
une « impuissance apprise » : rien de ce qu’elle pourrait faire ne changerait
quoi que ce soit. De toute façon, elle avait appris que les hommes gagnaient
toujours face aux femmes. Elle aimait Jacques et elle croyait qu’elle ne
pouvait pas vivre sans lui. Elle pensait qu’il ne lui ferait jamais « trop » de
mal. Comme beaucoup d’autres victimes de violences domestiques, Marie
ne pouvait pas réagir tant que quelque chose ne brisait pas le schéma
existant : c’est seulement lorsque Jacques devint violent avec leur fils et
empoigna un couteau que Marie, ne pouvant plus tolérer ses actes, quitta la
maison.
Après avoir quitté la maison, elle vécut avec ses deux enfants dans un
foyer pour femmes. Marie et Jacques étaient séparés depuis six mois quand
elle entendit un thérapeute parler de violence domestique à la radio. Elle
appela pour prendre un rendez-vous pour Jacques, en le décrivant comme
« un homme un peu nerveux et qui se met vite en colère ». Il n’avait pas
encore pris la responsabilité de ses comportements violents, ajouta-t-elle, et
n’irait très probablement chez un thérapeute que pour lui faire plaisir. Le
thérapeute lui dit que Jacques devait appeler et prendre lui-même le rendez-
vous.
Quand Jacques vint voir le thérapeute, il lui dit qu’il voulait essayer de
comprendre ce qui lui était arrivé et ce qu’il pouvait faire pour récupérer sa
femme. Est-ce qu’il pensait être violent ? « Pas vraiment, seulement un
homme très jaloux et très soupe au lait. J’ai tout fait pour elle. C’est moi qui
ai construit notre maison ; je lui donnais tout mon argent. » Il ne comprenait
manifestement pas ce qui se passait en lui-même, mais il convenait qu’il
faisait du mal à Marie. Depuis combien de temps y avait-il de la violence ?
« Dix-neuf ans », répondit-il. Puis Jacques confessa qu’il avait plus de
respect pour Marie, maintenant qu’elle était partie : « Elle m’a montré
qu’elle en était capable. Avant, elle en parlait toujours, mais elle ne le faisait
jamais. Je suis fier d’elle. » Quand elle l’avait quitté, Jacques avait
commencé par chercher Marie pour la tuer et se tuer ensuite, et sa réaction à
ce moment n’était pas inhabituelle : elle n’était plus là pour s’occuper de
lui, pour qu’il se sente en sécurité. Quand elle était partie, il s’était senti
complètement impuissant, et il fallait qu’il trouve une solution en lui-même.
Habitant des appartements séparés, ils vinrent en thérapie pendant un
an. Le traitement comprenait de l’EMDR, de la thérapie conjugale et
familiale, ainsi que des séances de groupe. Le travail avait de multiples
objectifs, comme de développer chez tous deux une meilleure estime de soi
et un attachement sain à l’autre, aussi bien que de leur enseigner les
techniques de communication indispensables dans une relation entre
adultes. De plus, Jacques avait à traiter ses souvenirs précoces de violence
dans sa famille d’origine et à améliorer sa capacité à gérer les émotions
fortes. Quant à Marie, elle avait besoin d’apprendre à vivre heureuse sans
lui et à prendre soin d’elle-même. Elle se rendit compte que, dans sa famille
d’origine, elle « passait toujours loin après les autres ».
Certaines des cibles que chacun traita en EMDR sont très révélatrices
du processus de souvenirs inconscients qui dirigeait leur vie. Le premier
vrai objectif pour Jacques était son dernier éclat violent lorsqu’il avait
menacé son fils avec un couteau. Sa principale découverte face à cet
incident était qu’il n’avait jamais su être père. La seule personne qui
comptait pour lui était sa femme. Les enfants étaient toujours en travers du
chemin. Puis il cibla un autre souvenir, très important : il avait 8 ans, la
famille était réunie et il avait voulu aider sa maman en apportant le repas à
table. Son père lui avait hurlé : « Assieds-toi, il n’y a que les pédés qui se
lèvent pour aider ! » Il se souvenait d’être resté figé et de ne pas avoir su
quoi faire.
Il y avait d’autres souvenirs importants où Jacques avait peur de ne pas
être aimé par sa mère, et essayait toujours d’attirer son attention. Il en prit
conscience : « Si je m’étais senti vraiment aimé par ma mère, je n’aurais
pas été aussi dépendant de l’amour de ma femme. » La thérapie cibla
également des solutions pour pouvoir vivre seul, s’occuper de lui-même et
être moins dépendant de sa femme – comme d’aller voir un film tout seul,
pendant que sa femme passerait du temps avec des amies.
Pour Marie, la cible initiale fut la première fois où Jacques avait été
violent avec elle. Elle était enceinte de son premier enfant et se rappelait
comment il l’avait « frappée au ventre, alors qu’il savait qu’il y avait un
bébé dedans ». La découverte principale pour elle fut de comprendre qu’« il
était malade et d’une jalousie anormale » et qu’elle ne pouvait rien y faire.
Elle devait apprendre à se protéger. Autre cible clé : « Il me demandait
toujours de passer devant la lumière, quand on allait sortir, pour vérifier si
on pouvait voir à travers ma robe. » Elle vérifiait toujours elle-même
soigneusement si c’était le cas ; elle prit conscience qu’elle le laissait ainsi
la diriger. Elle traita ensuite les questions de contrôle qu’elle avait
observées entre ses parents : son père contrôlait sa femme sur le plan de
l’argent, de la voiture, des programmes télé ; et sa mère contrôlait son mari
sur sa manière de s’habiller, son alimentation, les enfants, ainsi que dans
toutes les décisions d’ordre affectif. Marie prit profondément conscience
qu’il lui fallait abandonner son propre besoin de contrôler et d’être
contrôlée. Elle devait découvrir et expérimenter la liberté pour elle-même.
Bien sûr, leurs enfants n’avaient pas été épargnés par les effets de cette
violence. Il fallut de l’EMDR pour aider leur fille, qui commençait à
montrer des comportements délinquants à l’école. Quant à leur fils, il avait
commencé à se conduire avec sa sœur comme papa, en utilisant la violence
physique. Des séances de thérapie familiale les aidèrent à stopper ces
passages à l’acte et à mettre en place de nouveaux schémas de
communication. Les deux parents devaient changer leur manière d’être
parents, et Marie devait apprendre à intervenir auprès des enfants sans
attendre que Jacques réagisse.
Pour comprendre la violence domestique, il est important de se
rappeler qu’il s’agit d’une situation complexe qui peut impliquer le passé
familial, des traumatismes non résolus ou d’autres facteurs culturels.
Souvent les sentiments d’impuissance et de désarroi proviennent d’histoires
traumatiques précoces. Au début du traitement, Marie et Jacques
partageaient tous les deux les mêmes cognitions négatives : « Je ne vaux
rien » et « Je suis bête ». Chacun avait peur d’exister sans l’autre. Tous les
deux avaient le même niveau d’attachement insécure à cause des violences
psychologiques (et, chez lui, physiques), qui avaient cours dans leurs
familles d’origine. À la fin du traitement, ils décrivaient l’un et l’autre un
sentiment général de liberté, comme si un poids leur avait été enlevé pour
leur permettre de vivre et de respirer. Ils se sont remis ensemble, et ont vécu
en paix de nombreuses années.
Mais d’autres couples peuvent ne pas être capables de soutenir l’effort
et l’engagement nécessaires pour guérir. Pour qu’une famille en sorte
intacte, il est crucial que l’homme violent participe pleinement au
traitement. Il est également utile pour tous les membres de la famille de se
demander si un traitement individuel leur est nécessaire. Souvent, la victime
a besoin de traiter les souvenirs des agressions subies. Il est aussi
absolument essentiel d’évaluer avec soin les enfants, car ils se reprochent
souvent ce qui relève de la responsabilité de leurs parents. Sans thérapie, ils
risquent de se retrouver dans les mêmes schémas que leurs parents, tout
comme ils peuvent porter en eux leurs sentiments de culpabilité et
d’insécurité.
Par exemple, voici la déclaration d’une jeune fille qui se cachait
autrefois sous les couvertures avec son frère, écoutant leur mère sangloter et
hurler pendant que son mari la battait. Bonnie disait, au début de sa thérapie
EMDR : « Dans ces moments-là, c’était comme si le monde se refermait sur
moi et qu’un grand trou noir m’engloutissait. À cause de papa, tout est
devenu noir. » En traitant son pire souvenir, celui qui lui déchirait le cœur,
disait-elle, chaque séquence de mouvements oculaires lui apportait une
nouvelle compréhension :

>>>> Je me sentais vraiment coupable, je pensais


que c’était ma faute, que j’avais été très vilaine et
que je l’avais mis en colère, et que c’était pour ça.
>>>> Je pensais que j’avais fait quelque chose de
vraiment mal sans m’en rendre compte et que
j’avais mis mon père vraiment en colère. Mais, en
y repensant, je ne pense pas que ce soit ma faute.
Si j’avais fait quelque chose de mal, c’est moi
qu’il aurait tapée, pas ma mère.
>>>> Je ne pense pas que ma mère avait fait
quelque chose de mal. Je pense que mon père avait
dû boire.

Bonnie a poursuivi la thérapie, et elle est maintenant libérée de sa


douleur ; mais elle ne pardonne pas à son père ce qu’il a fait. Que la famille
se retrouve ou pas va dépendre de nombreux facteurs. Un des plus
importants serait qu’il y ait un changement net dans les attitudes et les
comportements de son père.
Les délinquants sexuels

Rien ne révolte davantage les gens que les abus sexuels sur les enfants.
Là encore, même s’il arrive que les agresseurs soient des femmes, la plupart
sont des hommes, et trop d’enfants subissent ces agressions. On trouve
quotidiennement dans les journaux des histoires d’enfants qui ont été
abusés par des professeurs, des entraîneurs ou des animateurs de toute sorte.
En fait, des études ont montré qu’environ 20 % des filles et 10 % des
garçons à travers le monde ont subi des abus sexuels. Il est également
préoccupant de savoir que les traitements les plus répandus pour les auteurs
de sévices sexuels ont produit des résultats décevants. C’est pourquoi de
nombreux États exigent que les agresseurs d’enfants soient pistés toute leur
vie, souvent avec des bracelets électroniques pour qu’on puisse contrôler
leurs allées et venues. Il y a, en dessous de cela, le sentiment que ces gens
sont trop malades pour être soignés, et il est vrai que les programmes de
soins les plus couramment utilisés n’ont pas beaucoup changé depuis vingt
ans : il s’agit surtout de thérapies de groupe visant à aider les agresseurs à
clarifier leurs motifs, à leur apprendre des techniques pour se contrôler et
pour éviter les situations qui peuvent déclencher en eux des émotions
sexuelles déviantes, et des techniques pour essayer de se débarrasser de ces
désirs. Si ces programmes, souvent, ne fonctionnent pas, c’est peut-être
parce qu’ils ne s’adressent qu’au comportement, sans remonter aux causes.
Si la thérapie de groupe et les techniques d’autocontrôle peuvent être
utiles, parfois les agresseurs sexuels ne sont pas capables d’y participer. La
thérapie de groupe est censée les aider à prendre la responsabilité de ce
qu’ils ont fait et à clarifier leurs motivations. Mais un des symptômes des
délinquants sexuels est le déni : souvent, ils pensent tout simplement que ce
qu’ils ont commis n’était pas vraiment leur faute, et qu’ils n’ont fait de mal
à personne. Malgré tous les efforts des thérapeutes pour briser ce déni, les
agresseurs apprennent souvent à dire ce qu’on attend d’eux, tout en
conservant profondément en eux leurs croyances erronées. Cela peut venir
du fait qu’ils ne sont pas en contact avec leurs émotions, en raison de leur
propre passé d’enfant abusé. Il s’avère, en effet, que beaucoup d’agresseurs
d’enfants ont été eux-mêmes victimes d’abus lorsqu’ils étaient enfants. Cela
ne veut absolument pas dire que tous ceux qui ont subi des abus vont abuser
d’autres personnes, loin de là. Mais cela signifie que quand certaines
conditions sont réunies, le fait d’avoir soi-même été agressé sexuellement
paraît être un facteur contributif.
Comme on l’a déjà vu dans ce livre, les expériences traumatiques sont
verrouillées dans le cerveau, accompagnées des émotions, des pensées et
des sentiments qui étaient présents lorsque l’événement a eu lieu. Quand un
enfant est agressé sexuellement, il peut en garder un certain nombre de
fausses perceptions, par exemple : « C’est comme ça. C’est ce qu’il faut que
je fasse si je veux avoir de l’amour et de l’attention. C’est un bon moyen
pour obtenir ce que je veux. J’ai détesté subir ça, mais ça m’a rendu plus
fort », et ainsi de suite. En fait, toutes sortes de réactions peuvent contribuer
aux émotions et aux croyances non dites, qui peuvent ensuite conduire
elles-mêmes à commettre des abus sexuels.
Malheureusement, de nombreux enfants abusés se sentent responsables
d’avoir été agressés, comme Bonnie quand son père battait sa mère. De
plus, à la différence d’un viol qui est généralement une démonstration
soudaine de force brute, de colère et de pouvoir, les abuseurs « préparent »
souvent leurs victimes. Alors que certains forcent par des menaces l’enfant
à se soumettre, d’autres ont une approche différente : ils font en sorte que
leurs victimes se sentent à l’aise avant l’abus. Lorsque les enfants viennent
d’une famille où ils ont l’impression de n’avoir aucune importance ou
d’être rejetés, le fait de recevoir tant d’attentions est pour eux une
expérience nouvelle et agréable. Ensuite, ils acceptent parfois toutes les
demandes de l’agresseur. Puis, comme un corps en bonne santé réagit
souvent aux stimulations physiques, si c’est le cas les agresseurs disent à
leurs victimes qu’elles aiment ce qui s’est passé et qu’elles l’ont cherché ; et
les enfants les croient. Cela jette ces derniers dans la confusion et met à mal
leur confiance et leur capacité à discerner le bien et le mal dans les relations
entre adultes et enfants.
Très souvent, avec la honte et la culpabilité ainsi bloquées dans le
souvenir stocké dans leur cerveau, les enfants abusés peuvent se
« rappeler » qu’ils l’ont « cherché » et que c’est leur faute. Ainsi, au lieu de
diriger sa colère et ses reproches contre l’agresseur, la victime les dirige
contre elle-même. « C’est ma faute. Je l’ai bien cherché ! » Ensuite, s’ils
agressent eux-mêmes un enfant, une fois adultes, cela devient pour eux une
technique simple pour rendre leur victime responsable : « C’est sa faute, il
en avait envie. » « Je l’ai fait parce qu’elle me draguait un peu. Elle y a pris
du plaisir. » Chez beaucoup de ces gens, les sensations physiques qui
étaient bloquées dans leur cerveau se trouvent déclenchées lorsqu’ils voient
un enfant. La nouvelle victime a souvent le même âge qu’eux au moment
de l’agression originelle. Ajoutez à cela le fait que beaucoup de ces
agresseurs viennent de foyers où ils étaient ignorés et maltraités. Ils n’ont
jamais appris à gérer leurs émotions et finissent même souvent par être
déconnectés de celles-ci. C’est là que la thérapie EMDR intervient.
Une étude sur les agresseurs d’enfants qui participaient à un
programme utilisant une approche traditionnelle, avec des thérapies de
groupe et des techniques de maîtrise de soi, a été publiée dans le Journal of
Forensic Psychiatry and Psychology 1. Dix agresseurs, eux-mêmes agressés
lorsqu’ils étaient enfants, ont été traités de cette façon, mais on y a ajouté
huit séances d’EMDR dirigées sur les souvenirs des abus qu’ils avaient
subis. Les résultats ont été comparés à ceux d’autres agresseurs qui
n’avaient pas reçu de thérapie EMDR. Les bénéfices de celle-ci étaient
évidents chez neuf de ces dix agresseurs. Pour la première fois, ils
assumaient pleinement la responsabilité de ce qu’ils avaient fait. Au lieu
d’accuser leurs victimes, ils prenaient conscience des dommages qu’ils leur
avaient causés. Puis les chercheurs et les cliniciens, pour repérer les
éventuels récidivistes, ont procédé à un test avec un appareil appelé
« pléthysmographe pénien » qui enregistre le flux sanguin du pénis pour
mesurer l’excitation sexuelle. Ils considèrent que c’est le meilleur indice du
risque de récidive. Ce test, chez neuf des dix agresseurs, montrait une forte
diminution de leur excitation sexuelle face aux enfants, ce que les
agresseurs expliquaient en disant qu’ils percevaient maintenant les enfants
comme des « personnes » plutôt que comme des « objets sexuels ». Les
résultats furent les mêmes lorsqu’on les testa à nouveau, un an plus tard.
D’autres recherches sont prévues, mais, depuis lors, beaucoup d’agresseurs
ont été traités avec succès par l’EMDR.
Il est important de comprendre les causes d’un problème pour pouvoir
le résoudre : pour la première fois, les agresseurs traités par l’EMDR ont pu
entrer en contact avec les émotions qu’ils avaient vécues lorsqu’ils avaient
été eux-mêmes agressés. Cela les a changés ; et maintenant ils souhaitent en
encourager d’autres à suivre le même traitement. Nous commencerons par
Kevin, qui avait agressé sexuellement sa belle-fille. Il avait lui-même été
sodomisé par un groupe de garçons plus âgés quand il était enfant. Il avait
toujours été convaincu d’être responsable de ce qui lui était arrivé. Au cours
du traitement, il put entrer en contact avec ce qu’il ressentait face à son
agression. Il se souvenait d’avoir vu quelqu’un passer devant la remise
pendant le viol, et il retrouva la solitude et la douleur qu’il avait ressenties à
ce moment-là. Il reconnut qu’il avait aimé l’attention qu’il avait reçue de
ces garçons plus âgés, et qu’ils s’étaient servis de lui. Mais aussi, pour la
première fois, il comprit que sa belle-fille avait pu apprécier l’attention
qu’il lui portait – mais pas l’acte sexuel.
Voici comment il explique ce qui a changé pour lui grâce au traitement
EMDR de l’agression qu’il avait lui-même subie :
« Je me reprochais encore ce qui s’était passé, tout comme je rejetais la
faute sur ma victime, comme si c’était elle qui avait provoqué les choses.
Jusque-là, en pensant à ce qui m’était arrivé, je me disais : “Tu n’es pas une
victime, parce que tu l’as provoqué toi-même. Tu l’as cherché.” Mais je n’ai
rien fait du tout. Je n’ai rien fait. Je ne suis pas responsable. Et ça m’a aidé,
de mieux comprendre l’agression que j’avais subie et de me rendre compte
que ce n’était pas ma faute. Pas plus que ce n’était la faute de ma victime.
C’est dur. C’est dur à regarder en face. Mais plus on le fait, et plus on est
clair sur ce qu’on a fait, et sur la réalité. Une fois qu’on voit ça vraiment
clairement, on peut revenir en arrière et se dire : “Mais comment est-ce que
j’ai pu faire ça ?” Ou “Comment ont-ils pu me faire ça ?” et “Comment est-
ce que j’ai pu leur faire ça ?”. Et ça fait mal. C’est une grande confrontation
avec la réalité. Je ne comprenais rien à mes sentiments, à mes propres
sentiments. Pour pouvoir comprendre les leurs, il fallait que je comprenne
vraiment les miens.
« Il faut aussi pouvoir ressentir la douleur de quelqu’un d’autre. C’est
comme le film qu’on a vu l’autre jour, Les Accusés. Ça m’a mis la mort, ça
m’a vraiment rendu dingue, parce que merde, ils faisaient comme si c’était
elle l’agresseur. Alors que merde, c’est elle qui était la victime ! Et ils en
faisaient la criminelle. Avant la thérapie, j’aurais dit : “C’est elle qui est
venue dans ce bar. Elle y est allée habillée comme ça. Elle a eu ce qu’elle
méritait. Elle n’aurait pas dû y aller, déjà.” Mais même si c’était une
prostituée et qu’elle avait couché avec quatre personnes, si j’arrivais et
qu’elle me disait : “Non, je ne veux pas”, ce serait mal de la violer, parce
qu’elle ne veut pas. Avant, je n’avais jamais vu les choses comme ça. »
Louis, un autre agresseur, emprisonné pour avoir abusé de sa belle-
fille, a avoué avoir commis un certain nombre de viols. Son oncle, de vingt
ans son aîné, avait commencé à abuser de lui quand il avait environ 10 ans.
Puis, à son tour, il commença à passer à l’acte sur des garçons de son âge
qu’il connaissait de l’école. À l’âge de 17 ans, Louis partit de chez lui pour
s’engager dans les forces armées et fut envoyé à l’étranger. Là-bas, il eut de
fréquentes relations avec des prostituées, des femmes qu’il rencontrait dans
les bars, et des hommes qui le payaient. De retour aux États-Unis, il commit
quatre viols. Il rencontrait des femmes dans des soirées, les emmenait dans
un endroit à l’écart, et les forçait à avoir un rapport sexuel.
Plus tard, Louis se maria et reconnut les deux jeunes enfants de sa
femme. Alors que sa belle-fille approchait de la puberté, à peu près à l’âge
où il avait lui-même été agressé, Louis commença à l’inviter à chahuter
avec lui. Ces moments l’excitaient sexuellement – il oscillait entre un
sentiment de honte pour sa réaction et un sentiment de colère contre elle
parce qu’elle « dégageait une énergie sexuelle ». Louis finit par la caresser.
Ce comportement continua et s’accrut pendant un certain nombre de mois.
Entre-temps, il devenait de plus en plus agressif, verbalement, avec sa
femme et les enfants. Sa femme finit par insister pour qu’ils aillent tous voir
un thérapeute et, au cours de la thérapie, sa belle-fille révéla les abus
sexuels. Louis fut arrêté, inculpé et emprisonné. Il suivit un traitement
jusqu’au bout et fut libéré sous contrôle judiciaire. Bien qu’il eût entrepris
une thérapie pour délinquant sexuel en ambulatoire et semblât « motivé », il
ne progressait pas beaucoup. Il continuait à croire que les filles « dégagent
une énergie sexuelle » qui le poussait à les agresser. Puis il entra dans le
programme de traitement EMDR.
Au cours de la thérapie, Louis entra en contact avec la rage et la honte
qu’il avait ressenties au moment de sa propre agression. Pensant que
personne ne se souciait de lui, il ne se souciait guère de quiconque. Il prit
également conscience que sa croyance au fameux « dégagement d’énergie
sexuelle » venait d’une idée qu’il avait plaquée sur ses propres abus. À la
place de cette croyance, il devint clair pour lui que son oncle l’avait
manipulé et utilisé, et cela l’amena à prendre la pleine responsabilité de ce
qu’il avait fait subir à sa belle-fille et à en éprouver de vrais remords. Les
membres de son groupe remarquèrent à quel point il répondait
différemment, comment il montrait davantage d’empathie et de sollicitude.
Mais il n’avait toujours pas les idées claires quant aux viols qu’il avait
commis.
Le retraitement d’autres cibles le mit en contact avec les sentiments de
rage qu’il éprouvait envers sa mère. Non seulement elle ne disait rien
lorsque son père, ivre, le maltraitait, mais elle lui avait fait subir des
humiliations extrêmes. Il avait fréquemment mouillé son lit jusqu’au début
de son adolescence (au temps où il subissait des abus) et c’était une source
de honte et de conflits dans la famille. Sa mère devenait folle de rage, lui
frictionnait le visage et le corps avec les draps trempés d’urine et l’envoyait
à l’école avec cette odeur sur lui pour qu’il ne recommence plus. Une fois
que Louis fut en mesure de traiter sa rage contre sa mère et les femmes en
général, il assuma aussi pleinement sa responsabilité dans les viols.
Il est important ici de noter qu’il fallait cibler séparément les actes de
Louis en tant qu’agresseur et ses actes en tant que violeur, parce qu’ils
étaient liés à des ensembles différents de souvenirs. Cela souligne la
nécessité d’évaluer toutes les voies menant à différentes sortes d’abus
sexuels. Même si les victimes de Louis étaient principalement adultes,
c’était ses réactions physiques lors des agressions d’enfants qui le
déroutaient le plus, au début.
Voici comment Louis décrit son expérience de la thérapie :
« Après ma sortie de prison, je voulais comprendre pourquoi j’avais
agressé ma belle-fille et pourquoi, alors que j’étais un adulte, j’étais attiré
par une enfant. Pourquoi est-ce que j’avais une érection devant une enfant ?
« Je me suis rendu compte que j’avais été émotionnellement bloqué, en
tant qu’enfant, au cours des agressions que j’avais subies. Il y a aussi que je
n’avais pas de relation affective avec mes parents. Il y avait huit enfants à la
maison. Tout le monde était stressé, chacun faisait ce qu’il avait à faire pour
que la maison tourne. Je n’avais pas de relation directe avec ma mère ou
mon père. Donc je ne pouvais pas aller voir mes parents pour leur dire que
je subissais des abus.
« Quand j’ai fait de l’EMDR, je suis passé de l’enfant qui avait vécu
cela à l’adulte que je suis devenu. Et j’ai compris comment j’étais capable
d’agresser et de violer mes copines, à partir de la colère, de la honte et de la
culpabilité associées à cet enfant. Toute ma vie, j’ai été un adulte immature
avec des émotions d’enfant ; j’ai laissé ces émotions me guider, et elles ne
m’ont pas très bien guidé. J’ai fini par blesser beaucoup de gens, aller en
prison, détruire des vies. »
Pourquoi c’est important

L’essentiel ici est que les souvenirs non traités amènent les gens à
réagir à ce qui les entoure à travers les émotions, les croyances et les
sensations physiques qui étaient présentes en eux au moment de leurs
expériences traumatiques. Parfois, ils sont les seuls à en souffrir : ils
ressentent du danger alors qu’il n’y en a pas, ils ont des phobies, font une
dépression ou ont des attaques de panique. À d’autres moments, ils font du
mal aux autres. Certains agissent par douleur, par rage, par haine ou par
désespoir et se moquent de savoir si quelqu’un en souffre. D’autres ne
comprennent même pas que ce qu’ils font est mal. Cela ne les excuse
évidemment pas, mais c’est une explication. Nous sommes membres de la
société, nous faisons partie d’un tout. Le « pire » d’entre nous peut blesser
le plus vulnérable d’entre nous. Au cours de la décennie qui vient, il faudra
faire bien d’autres recherches, bien d’autres investigations dans tous ces
domaines. Mais jusqu’à maintenant, les résultats indiquent qu’il est possible
de ne plus abandonner personne. Et ce sont là de bonnes nouvelles pour
nous tous.
Je ne dis pas que tout le monde peut être traité dès maintenant avec
succès. Il nous reste encore beaucoup à apprendre. Par exemple, certaines
recherches indiquent que les blessures traumatiques du cerveau peuvent
également contribuer à un comportement criminel. Mais le comportement
destructeur de millions de gens qui commettent des crimes est régi par des
problèmes de santé mentale qu’on peut traiter. Les raisons peuvent remonter
à leur enfance, ou bien être liées à un traumatisme qui a pu les frapper sans
prévenir lorsqu’ils étaient adultes et les ébranler au plus profond de leur
être.
Sam en est un bon exemple. Détenu, il alla trouver le psychologue de
la prison parce qu’il avait des attaques de panique chaque fois qu’il voyait
un accident d’avion à la télévision. Sam avait été flic, et un bon flic. Selon
lui, il « travaillait pour les autres ». C’était son travail de « les protéger quoi
qu’il arrive ». Il faisait plus que ses heures, patrouillait à pied, arrivait tôt et
partait tard. Mais, un jour, il assista à un terrible accident : un avion s’était
écrasé sur la ville, rasant douze blocs d’immeubles.
Comme Sam le raconta au thérapeute de la prison, il avait été appelé
sur des centaines de scènes tragiques et avait vu énormément de blessés et
de morts. Mais ce crash l’affecta tout particulièrement, au point de quitter
son travail. Durant les dix années qui suivirent, il sombra de plus en plus,
jusqu’à commettre des infractions qui le conduisirent en prison. Il disait que
c’était ce « paysage post-nucléaire, là où il y avait auparavant des quartiers
habités » qui le hantait le plus. Et puis il y avait aussi ces choses qui se
trouvaient ensemble « mais qui n’auraient pas dû l’être » : une chaise, une
table avec un verre d’eau toujours dessus, et un torse humain. Une poupée,
un bras avec une bague encore sur un doigt, et un livre d’enfant. Des scènes
comme ça.
Leur cible EMDR fut le « paysage post-nucléaire ». La première
séquence de mouvements oculaires produisit dans l’image des changements
spontanés : elle était toujours sinistre, mais comme « nettoyée », les débris
en moins. La séquence suivante fit sursauter Sam : il voyait de l’herbe verte
et des arbres pousser là. Le thérapeute lui dit : « Restez avec ça. » Au cours
de la séquence suivante, il vit qu’un parc avait été construit. Il l’avait
oublié. Finalement, il put se rappeler calmement l’accident en se centrant
principalement sur le fait qu’il n’aurait rien pu y faire, et que la zone avait
été reconstruite pour le plaisir de futurs résidents.
Sam n’eut plus jamais d’attaque de panique en voyant à la télévision
un accident d’avion. Il revint également à son moi dévoué et « correct ». À
l’instar des autres personnes citées dans ce chapitre, quelle que soit la
gravité de leurs crimes, il est important de se rappeler qu’elles font partie de
notre société. Comme l’écrivait le journal médical The Lancet dans un
récent article recensant des publications sur le sujet : « La maladie mentale,
qui accroît le risque de criminalité et de récidive, est courante dans la
population carcérale. » Le fait de soigner les problèmes de santé mentale
qui contrôlent la vie d’un si grand nombre de ces agresseurs nous protège et
nous renforce tous. En les soignant, on leur permet d’entrer dans un
sentiment partagé d’humanité. Et on peut participer à la réduction du
nombre de nouvelles victimes.
Sam disait que ce souvenir d’un bel endroit surgissant d’un cataclysme
représentait une métaphore salutaire dans sa propre vie. Je crois, quant à
moi, que cela constitue une bonne métaphore pour nous tous. Que l’horrible
paysage apocalyptique surgisse quand on est adulte ou soit apparu dans
notre enfance, on peut le modifier. Il faut seulement demander l’aide
nécessaire pour y parvenir. Et il faut essayer d’apporter cette aide à ceux qui
n’ont même pas les informations requises pour la demander.
1.
Revue de psychiatrie et de psychologie médico-légales. [N.d.T.]
CHAPITRE 10

Passer du stress à un grand


bien-être

Dans les rapports familiaux, professionnels ou autres, ce qui n’est pas


examiné ou traité peut mener à des souffrances et au malheur. Si au
contraire on fait face à ces aspects de son passé, on peut s’en libérer et jouir
de la vie. Dans ce domaine, certains affrontent des problèmes présents
depuis longtemps, d’autres font face à des situations nouvelles, pour eux
difficiles à comprendre. Certains problèmes ne touchent qu’un seul aspect
de la vie, alors que d’autres paraissent tout affecter et empoisonnent tous les
aspects de l’existence. Dans les deux cas, vous pouvez vous servir des
techniques que vous avez apprises dans ce livre pour mieux comprendre ce
que vous ressentez, pourquoi vous réagissez de cette manière et ce que vous
pouvez faire face à cela.
Dans le présent chapitre, nous allons continuer notre exploration du
paysage caché de l’inconscient, et nous apprendrons encore d’autres façons
de gérer le stress. Je vous exposerai également certaines techniques que les
artistes, les cadres d’entreprise et les athlètes utilisent pour progresser. En
fait, vivre ne consiste pas seulement à ne pas souffrir. Il s’agit de
développer son potentiel, et d’en ressentir de la joie et du bien-être.
Une pression incroyable

On ne contrôle ni ses gènes, ni son enfance, ni, bien souvent, les


situations qui surviennent dans sa vie. Cependant, même lorsqu’il y a une
prédisposition génétique, les problèmes surviennent ou s’aggravent, dans la
plupart des cas, à cause d’une interaction entre cette prédisposition et les
expériences de la vie courante. Des études ont en effet montré que le stress
peut affecter les gènes, et même les endommager au point de raccourcir
l’espérance de vie. Il peut avoir également un effet négatif sur le cerveau
lui-même. Il est donc important de trouver des moyens de réduire le stress
dans sa vie, et dans bien des cas, la cause principale de ce stress se trouve
dans les souvenirs non traités qui régissent nos comportements.
Heureusement, il ne faut pas des années pour identifier et corriger ces
problèmes. On peut apprendre à mieux contrôler son corps et son esprit. Et
cela peut nous permettre de changer notre représentation du monde. Cela
peut également nous aider à modifier les réactions qui nous mettent dans
des situations stressantes ou qui aggravent simplement notre stress habituel.
Nous allons examiner le stress à partir de deux domaines qui nous
concernent tous. Le premier exemple concerne la vie familiale, le second le
travail. Nous verrons ensuite des techniques supplémentaires de maîtrise de
soi, dont certaines sont recommandées par des coachs travaillant avec des
sportifs de haut niveau ou des cadres. Les histoires qui suivent sont aussi
des exemples de la manière dont nous créons l’univers dans lequel nous
vivons.

POURQUOI M’AS-TU QUITTÉ ?

Je l’ai indiqué dans un chapitre précédent : les études montrent que


beaucoup de ceux qui souffrent de crises de panique ont été séparés de leurs
parents pendant un certain temps dans leur enfance. Mais les symptômes ne
sont pas toujours clairs, beaucoup de personnes sujettes aux attaques de
panique n’ont pas subi de séparations, et beaucoup de gens qui ont vécu des
séparations ne développent pas ce genre de trouble. À la place, ils ont
parfois d’autres symptômes qui leur empoisonnent l’existence. La vie de
Frank est un exemple de la façon dont ces souvenirs d’enfance non traités
peuvent faire le lit de toutes sortes de difficultés. Cela l’a mené à des
possibilités de choix réduites, à des échecs relationnels à l’âge adulte et à
une foule d’autres symptômes. Voyez si certains des nombreux symptômes
de Frank vous concernent aussi.
À 55 ans, Frank éprouvait le besoin de gérer le stress qui le
submergeait tous les jours. Il commença sa thérapie en se plaignant de
fréquents maux de tête, de pertes de mémoire, d’accès de colère,
d’irritabilité, de tristesse et d’un sentiment d’insécurité. Il était plutôt en
surpoids et souffrait aussi de diabète, d’hypertension artérielle et de
douleurs dorsales chroniques.
« Je suis quelqu’un qui contrôle tout », reconnut Frank devant le
thérapeute. « Il faut que je contrôle tout à chaque instant. » Il ne faisait pas
beaucoup confiance aux autres, y compris à sa femme actuelle, Annette,
ainsi qu’à ses enfants. Il avait peur de l’échec, surtout dans ses relations
personnelles. Il redoutait également les situations d’intimité et avait une
mauvaise estime de lui-même. Par son histoire personnelle, Frank voulait
plaire à tout le monde : il pensait que s’il arrivait à rendre tout le monde
heureux autour de lui, on ne l’abandonnerait pas. Et pourtant, en réalité,
tout le monde l’abandonnait. Ses deux ex-femmes et ses enfants l’avaient
tous quitté, de différentes manières. Il avait déjà été marié trois fois et
voulait à toute force réussir son mariage actuel. Il avait peur qu’Annette ne
demande le divorce si elle découvrait ce qu’il était vraiment, et il essayait
de garder par-devers lui la plupart de ses émotions et de ses opinions.
Malheureusement, lorsqu’on essaie d’enfouir ses émotions, elles
ressortent souvent d’une autre façon. Frank faisait état d’un cycle répétitif
où Annette était la cible de ses explosions de colère, exactement comme ses
précédentes épouses : un conflit potentiel apparaissait, la tension montait,
en général c’était lui qui « explosait », à la suite de quoi tous deux se
sentaient blessés, avec encore plus de colère entre eux. Frank et Annette
s’éloignaient ensuite l’un de l’autre. Puis, plusieurs jours après, ils se
réconciliaient sans avoir résolu le problème initial. Frank en parlait ainsi :
« Je suis incapable de discuter des problèmes qui se posent entre nous. Je
me mets en colère quand j’ai trop mal. Je ne pense qu’à une chose : me
protéger. »
En explorant ses cognitions négatives, Frank trouva : « Je ne vaux
rien », « On ne peut pas m’aimer », « Je ne suis pas important ». Pour
identifier la source de ses peurs et de son insécurité, le thérapeute utilisa la
technique du pont d’affect, qui fit surgir un souvenir source issu de sa petite
enfance : lorsque Frank avait 5 ans, sa mère, sans avertissement et sans
explication, le laissa chez ses grands-parents. Il n’avait aucune idée de ce
qu’il faisait là, ni du temps qu’il y resterait. L’image qu’il en gardait était
celle de sa mère s’éloignant alors qu’il se tenait sous la véranda avec sa
grand-mère. Sa mère ne s’était pas retournée pour lui dire au revoir et ne
l’avait pas regardé lorsqu’elle avait pris sa voiture pour partir. Il ne l’avait
plus revue pendant cinq mois. Sa cognition négative était : « Je ne sers à
rien », et cela s’accompagnait de sentiments de colère, de honte et
d’impuissance « dans les tripes ».
Avant que sa mère ne le laisse ainsi chez ses grands-parents, les
parents de Frank avaient divorcé et son père avait déménagé. Pour Frank, il
était insupportable de voir sa mère s’en aller aussi. Cependant, pour la
première fois, en retraitant le souvenir de sa mère qui le laissait sous la
véranda, il vit spontanément l’angoisse et la peur sur le visage de celle-ci
alors qu’elle fermait la porte de sa voiture et démarrait. Alors, un flot de
compréhension et de soulagement l’inonda : il réalisait enfin que ce n’était
pas de gaieté de cœur que sa mère l’avait laissé ce jour-là. Elle était en fait
obligée de le faire.
Chez Frank, son acceptation des autres, sa confiance en eux, ainsi
qu’en lui-même, changèrent spectaculairement après cette séance : il était
désormais beaucoup plus à l’aise et ne ressentait plus le besoin de plaire
constamment à ceux qu’il aimait. Après d’autres séances de retraitement,
les fréquents maux de tête de Frank, ses pertes de mémoire, ses explosions
de colère, son irritabilité, sa tristesse et son sentiment d’insécurité avaient
disparu. Il pouvait maintenant perdre le poids qu’il avait accumulé en
cherchant du réconfort dans la nourriture. Cela allait l’aider à mieux
contrôler son diabète, son hypertension et ses douleurs de dos chroniques.
En réalité, la mère de Frank l’avait laissé en de bonnes mains. Ses
grands-parents l’aimaient. Elle était partie quelques mois, puis était
revenue. Peut-être aussi avait-il été tellement contrarié par son départ qu’il
ne se souvenait plus qu’elle lui avait dit pourquoi elle s’en allait ou quand
elle allait revenir. Il l’avait peut-être oublié, comme il avait oublié
l’expression de son visage. Ce qui se passe dans la réalité n’est pas aussi
important que la façon dont cela nous affecte sur le moment. À 5 ans, la
situation avait tellement perturbé Frank que ce vécu était bloqué en tant que
souvenir non traité dans son cerveau. Ce souvenir contenait les émotions et
les sensations physiques qu’il avait ressenties lorsque sa mère était partie.
Comme c’est très fréquemment le cas chez les enfants, il se reprochait son
départ, pensant que c’était sa faute. Il avait fait ensuite face à sa peur d’être
abandonné en essayant de plaire à ses grands-parents, afin qu’ils ne
l’abandonnent pas eux aussi. Comme ils restaient avec lui, cela renforça sa
croyance : il fallait faire plaisir aux gens pour qu’ils restent. Au retour de sa
mère, il conserva ce schéma. Et comme elle ne repartait pas, cela prouvait
qu’il avait raison. Cela allait devenir la base de toutes ses relations à venir.
En fait, les anciennes émotions qu’il verbalisait dans ses cognitions
négatives avaient été stockées dans ses souvenirs d’enfance non traités.
Elles allaient diriger sa vie pendant les cinquante années suivantes, et mener
à l’échec deux mariages : son sentiment d’insécurité et sa colère faisaient le
vide autour de lui. Chaque échec relationnel se trouvait alors stocké à son
tour dans ses réseaux mnésiques et renforçait l’opinion négative qu’il avait
de lui-même : on ne pouvait pas l’aimer, il était nul et sans intérêt.
Beaucoup de ses symptômes étaient là depuis des années. Seules
l’aggravation de ses maux de tête et sa peur désespérée de perdre sa femme
actuelle l’avaient finalement amené à faire une thérapie. Pour chacun
d’entre nous, cette question se pose : à quel point de malheur faut-il arriver
avant d’entreprendre des soins ? Quand on reconnaît que le problème est à
l’intérieur de soi, on s’aperçoit qu’on l’emporte avec soi, partout où l’on va.
C’est la première étape pour décider d’agir.

JE ME RENDS FOU TOUT SEUL

Le traitement ne se fait pas uniquement dans le bureau d’un


thérapeute : beaucoup de choses peuvent se passer dans notre vie de tous les
jours, qui modifient nos émotions et provoquent des prises de conscience.
Ted, par exemple, a eu besoin d’une thérapie pour traiter un certain groupe
de souvenirs, mais une autre série de connexions lui est venue d’un livre
qu’il avait lu. Il m’a écrit ceci, depuis :
« [Quand j’ai décidé d’essayer la thérapie], je n’étais plus qu’un
ordinateur sur pattes, et il ne restait pas beaucoup d’émotions en moi. Mes
journées de travail étaient longues, souvent jusqu’à dix-huit heures par jour.
J’occupais trois postes très rémunérateurs et je ramenais onze mille dollars
par mois à la maison. Mais je grinçais des dents, au sens propre, et la
douleur que cela provoquait m’a d’abord conduit chez le dentiste, puis dans
une clinique spécialisée et finalement chez un psychologue. »
Ted avait eu une enfance terrible, avec un père extrêmement
maltraitant. Lui et son thérapeute ciblèrent un de ses souvenirs sources les
plus importants, et, comme le dit Ted :
« J’ai été étonné : après chaque séquence de mouvements oculaires, il
m’était de plus en plus facile de voir que je n’avais rien à me reprocher : je
n’étais qu’un enfant et j’étais absolument innocent. Je sais que mes autres
thérapeutes, dans d’autres formes de thérapie, avaient essayé maintes fois
de faire pénétrer cette idée dans ma tête, mais ça ne voulait pas rentrer.
Cette fois, avec l’EMDR, ça a marché, et j’ai été très soulagé que ce soit
enfin terminé. »
Il restait encore beaucoup de travail à faire en EMDR. Cependant, un
aspect de la vie de Ted avait changé, simplement parce qu’il avait compris
comment il contribuait à son propre inconfort. En lisant un chapitre d’un de
mes précédents livres 1, il s’est vu réagir exactement de la même manière
que le personnage du livre nommé Jonas, face à quelqu’un qu’il considérait,
lui aussi, comme incompétent. Jonas avait voulu communiquer son
expérience afin d’aider les autres.
Ted a aujourd’hui le même désir :
« J’ai découvert qu’un autre problème s’était résolu. C’était l’histoire
de Jonas. Maintenant que je suis directeur régional, j’ai des difficultés avec
certains membres du personnel et l’histoire de Jonas m’a touché
profondément. Je me suis complètement identifié à lui, j’avais même
l’impression que ses mots étaient exactement ceux que j’aurais utilisés :
impuissance et manque de contrôle.
« Tout en lisant l’histoire de Jonas, j’avais en tête des images de mon
assistante, Peggy, dont la lenteur m’énervait ; je ne parvenais pas à la faire
aller plus vite. Et puis j’ai eu une révélation. Tout à coup j’ai vu la situation
telle qu’elle était réellement : pendant que Peggy réalisait une tâche, moi je
lui demandais d’en mener cinq autres à la fois en quatre endroits différents.
Rien d’étonnant à ce que la pauvre femme me semble si lente. J’ai
commencé à rire de ce scénario ridicule : je voyais clairement ce que j’étais
en train de lui infliger.
« Mon stress venait de mes propres décisions. Je faisais faire à Peggy
trop de choses à la fois. J’ai ainsi découvert en moi un défaut que je peux
corriger aujourd’hui. Je suis peut-être capable de résoudre quatre ou cinq
choses à la fois mais c’est parce que, moi, je travaille uniquement de mon
bureau, et je ne peux pas demander à quelqu’un d’être à quatre ou cinq
endroits à la fois et d’atteindre ce niveau de performance. Je ne me sens
plus impuissant et je n’ai plus l’impression de ne rien maîtriser. Je pense
que c’est moi qui créais le problème. Peggy travaille bien mieux maintenant
que je ne suis plus constamment sur son dos et que je ne veux plus qu’elle
se mette en quatre pour aller plus vite et être partout à la fois. J’ai pu
retrouver l’incident à l’origine de tout cela : une exigence impossible de
mon père. J’avais l’impression de ne rien maîtriser, comme avec Peggy.
Tout ça, c’est maintenant réglé aussi. »

Comme chez Ted, le comportement de beaucoup d’entre nous peut être


dirigé par des attentes irréalistes. Souvent, nous ne voyons pas que nos
normes et notre conception du monde sont dictées non par la raison, mais
par des souvenirs non traités qui agissent en coulisses. Jusqu’où nos
difficultés de contrôle contribuent-elles à notre stress ? Lorsque nous
sommes bloqués derrière quelqu’un qui conduit lentement sur l’autoroute,
que faisons-nous ? Si nous ne trouvons pas un moyen de le contourner,
restons-nous là, à bouillir et à proférer des jurons, ou sommes-nous
capables de nous calmer pour apprécier nos propres pensées ou la radio ? À
quoi sert-il de rester dans la frustration ? Bien sûr, les gens devraient savoir
conduire, respecter les limitations de vitesse, ou se ranger sur le bas-côté
dans le cas contraire. On pourrait s’attendre à ce qu’ils agissent ainsi – mais
peut-être ce conducteur trop lent est-il préoccupé par la mort d’un proche ?
Ou peut-être est-il âgé et ne se rend-il pas compte qu’il décline au plan
cognitif ? Ou encore est-il simplement égocentrique et pense-t-il que le
monde tourne autour de lui ? On ne connaît pas ses raisons, mais il est clair
que le fait de nous énerver ne nous aide en rien. Alors on peut prendre un
moment pour observer ce qu’on ressent. Ensuite, on peut chercher à
améliorer son propre bien-être, en pratiquant les techniques de maîtrise de
soi, pour laisser s’en aller les émotions négatives. Et si on n’y arrive pas, il
pourrait être utile d’utiliser la technique du pont d’affect pour tâcher de
comprendre la cause de tout cela.

RESTER ATTENTIF

Ce qu’a vécu Ted illustre la raison pour laquelle j’ai inclus toutes ces
histoires dans ce livre. J’espère que vous vous êtes reconnu vous-même, ou
un proche, ou bien quelqu’un avec qui vous êtes en difficulté, et que vous
pouvez maintenant mieux comprendre ce qui fait agir les gens. Comme le
disait Ted, il prévoyait de continuer avec son thérapeute, afin « d’utiliser la
thérapie EMDR comme arme principale contre le passé ». Toutefois, si vous
vous servez déjà des techniques EMDR que vous avez apprises, cela peut
vous faire comprendre ce qui est à la base de vos propres difficultés, et
parfois c’est suffisant.
Prenons l’exemple de Jennifer. Elle aimait son mari de tout son cœur.
Alors pourquoi, depuis une semaine, l’agressait-elle chaque fois qu’il lui
posait une question ? Jennifer et Alan vivaient ensemble depuis presque
trente ans. Ils savaient tous les deux qu’ils avaient trouvé l’âme sœur et se
manifestaient leur affection chaque fois qu’ils étaient ensemble. Mais même
si Jennifer se sentait tranquille et heureuse dans les bras d’Alan, elle
commença à noter quelque chose de bizarre : sans raison apparente, chaque
fois qu’Alan lui demandait quelque chose, elle lui répondait agressivement,
avec impatience. Elle avait le sentiment qu’on lui en demandait trop, et plus
les jours passaient, plus elle se sentait perturbée. Elle remarqua qu’à chaque
fois, elle concluait intérieurement : « Tout repose sur moi ! » Cela n’avait
pourtant pas de sens : Alan participait autant qu’elle aux tâches ménagères
et aux autres contraintes du quotidien d’un couple marié. Mais même si elle
respirait profondément pour se calmer et lui présentait souvent ses excuses
après ces incidents, cela se reproduisait.
Dans le premier chapitre, je vous rappelais la comptine américaine
« Les roses sont rouges/Les violettes sont bleues ». Jennifer était dans une
phase « Les roses sont rouges ». Les roses sont rouges – parfois. Comme
elle était soumise à d’importantes contraintes de temps à son travail,
Jennifer mettait ses émotions de côté à la maison, en espérant qu’elles
disparaîtraient. Peut-être les questions d’Alan représentaient-elles une
contrainte excessive pour elle à ce moment-là, et peut-être ce qu’elle
ressentait était-il justifié. Peut-être. Mais ensuite elle remarqua
qu’apparaissait sans cesse en elle, en même temps que l’impatience, le
sentiment désespérant que leur mariage était fichu. Oui, l’impression que
c’était « fini » montait en elle – mais c’était absurde. Et, prenant conscience
que « les violettes ne sont jamais bleues », elle finit par se décider à agir.
En utilisant la technique du pont d’affect sur les mots : « Je ne
supporte pas que tout repose sur moi », et en se concentrant sur son
impression d’être submergée, elle laissa son esprit revenir en arrière. Un
souvenir surgit et elle se frappa le front en disant : « Bon sang, mais c’est
ça ! » Elle était revenue à l’année précédente, dans la maison où elle avait
grandi, et elle rangeait les affaires de sa mère qui allait partir en maison de
retraite médicalisée. Sa mère était à l’hôpital, et Jennifer était revenue
précipitamment d’un déplacement professionnel pour s’occuper d’elle.
Toutes les affaires de sa maman devaient être apportées au foyer de
personnes âgées avant qu’elle reparte. Son frère habitait à côté, mais il ne se
sentait pas bien et ne pouvait pas l’aider. Jennifer fut forcée de se charger de
tout, toute seule. Elle vécut ainsi une semaine terrible, surmontant son
épuisement pour terminer ce qu’elle avait à faire.
Quand elle était repartie, tout était fait, certes, mais elle était exténuée,
émotionnellement et physiquement. Il y avait exactement un an qu’elle
avait fait ce déménagement et qu’elle était rentrée en avion retrouver Alan.
Sa mère n’était jamais ressortie de l’hôpital et était décédée quelques
semaines plus tard. Pas étonnant que Jennifer se dise « tout repose sur moi »
et « c’est fini ». C’était une de ces « dates anniversaires » qui peuvent faire
remonter des sentiments négatifs liés à un événement pénible, parfois
pendant des années et des années.
La prise de conscience par Jennifer de l’origine de sa détresse fut
suffisante pour que tout rentre dans l’ordre. Les connexions thérapeutiques
se firent immédiatement. Les sentiments négatifs disparurent, et Jennifer
arrêta de se fâcher contre Alan. La vie redevint normale. Il n’en faut parfois
pas davantage.
Exploration personnelle

Jennifer avait un atout : elle pratiquait tous les jours les techniques
d’auto-assistance, de sorte que son expérience générale de la vie était calme
et heureuse. C’est pourquoi elle avait été capable de remarquer que quelque
chose n’allait pas, et d’agir pour y remédier. Cela nous ramène à ce que
vous pouvez choisir de faire dans votre vie de tous les jours.

PRENDRE SOIN DE SOI AU QUOTIDIEN

Tout le monde doit prendre soin de sa santé mentale, comme on prend


soin de sa santé physique. De nombreuses études ont démontré les bienfaits
physiques d’un exercice quotidien (comme de marcher trente minutes cinq
fois par semaine), et du fait de manger certains aliments (comme des
poissons d’eau froide et des noix) ou de prendre des compléments
alimentaires contenant des acides gras riches en oméga 3. Ces deux
stratégies sont également utiles pour notre santé mentale : des recherches
ont démontré comment toutes deux peuvent aider à sortir de la dépression.
En fait, d’après certaines études, une activité physique de trente minutes,
trois à cinq fois par semaine, sur une période de trois mois, a le même effet
qu’un antidépresseur classique. Inclure à la fois de l’exercice et des oméga
3 dans votre régime quotidien peut améliorer votre vie, tout comme une
alimentation correcte et un sommeil suffisant sont importants pour la santé
physique et mentale.
Les techniques de maîtrise de soi que vous avez déjà apprises
devraient également être une pratique quotidienne. Elles vous aideront à
rester à l’écoute de vos propres réactions. De cette manière, vous pourrez
reconnaître plus rapidement les états émotionnels négatifs et voir s’ils
deviennent incontrôlables – et ce qu’il y a alors à faire. Les techniques du
lieu sûr/calme, de la spirale, du pot de peinture, des personnages de dessins
animés, du tuyau d’arrosage, du papillon (ou des tapotements alternés sur
les cuisses), du rayon de lumière et les techniques de respiration peuvent
vous aider à vous débarrasser des troubles lorsqu’ils surviennent. Mais il est
important de pratiquer et de renforcer tous les jours votre arsenal de
techniques de lieu sûr pour vous assurer qu’elles restent assez puissantes
pour vous aider. Vous trouverez un tableau personnel dans l’annexe A, que
vous pouvez copier et utiliser comme liste de contrôle, pour arriver à mieux
suivre votre programme.
Il est également important de poursuivre les exercices quotidiens de
connaissance de soi, afin de s’assurer que les choses n’ont pas changé avec
le temps. Pour cela, il peut être utile de tenir régulièrement son journal de
DICES. Il est possible que certaines qualités personnelles qui vous ont
permis de réussir à une certaine étape de votre vie puissent entraîner des
difficultés par la suite. Par exemple, ce que vous étiez capable d’accomplir
à 20, 30 ou 40 ans pourrait vous demander trop d’énergie ou d’effort
physique à 60 ou 70 ans. Il est important de pouvoir reconnaître ses limites
physiques sans ressentir une impression d’échec. Cependant, si des
souvenirs non traités vous contrôlent, les processus inconscients qui vous
aidaient précédemment à réussir peuvent maintenant vous desservir. Il n’est
pas intéressant que des souvenirs contenant des états émotionnels comme :
« Ce n’est jamais assez ; je dois réussir à tout prix » vous poussent au-delà
de vos capacités physiques. Si vous regardez attentivement, vous
découvrirez peut-être qu’un « besoin de réussir » non traité vous en a
demandé trop, toute votre vie. À quoi sert cette pression interne vers la
réussite ? Pourquoi ne pas traiter vos peurs, afin de réussir tranquillement ?
D’autres fois, on peut être perturbé par les situations nouvelles à un point
qui semble n’avoir aucun sens.
C’est pourquoi une « phase de réévaluation » est incluse dans la
thérapie EMDR, afin de vérifier comment, après le traitement de ses
souvenirs, la personne s’adapte à la situation. Par exemple, Heather avait
des croyances négatives issues de l’enfance comme : « Je ne vaux rien » et
« Je ne peux pas réussir ». Dans sa profession, elle travaillait suffisamment
bien pour s’en sortir, mais elle était incapable, face à un reproche, de se
défendre. Son thérapeute et elle traitèrent les souvenirs négatifs en rapport
avec cette difficulté, et elle put ensuite savoir qu’elle était douée et qu’elle
avait vraiment le choix. Ses attitudes au travail changèrent : elle devint plus
performante et plus confiante. Comme son travail s’améliorait, les gens
commencèrent à le remarquer et à réagir en conséquence. Elle s’en trouva
bien pendant quelque temps. Mais elle fut soudain très en colère, parce
qu’elle avait eu une promotion. Pourquoi ? Ces nouvelles appréciations
positives au travail avaient déclenché un souvenir non traité avec les
émotions et la croyance négative suivantes : « Si je réussis trop bien, on va
m’abandonner. » Ces peurs associées n’avaient jamais été activées
auparavant, du fait que Heather n’avait jamais réellement beaucoup réussi
jusque-là. Elles venaient d’une expérience à l’école : certaines de ses
camarades de classe s’étaient moquées d’elle lorsqu’elle avait eu la
meilleure note à une fiche de lecture. Une fois les souvenirs sous-jacents
traités, elle put profiter pleinement de sa promotion. Soit dit en passant,
beaucoup de femmes peuvent se trouver chargées de cette croyance
négative, héritée de mises en garde mal avisées dans leur enfance : « Ne
sois pas trop intelligente, ou les garçons ne t’aimeront pas. » C’est courant
dans beaucoup de cultures.
Il est important de se rappeler que le stress peut revêtir diverses formes
et provenir de causes inattendues. Tout le monde peut en être affecté : il
suffit par exemple d’un excès de pression au travail et d’un manque de
sommeil. Des crises soudaines peuvent alors survenir et on se sent perturbé.
Il faut rester conscient de la manière dont on réagit à la vie quotidienne, et
utiliser ses ressources pour éviter de se retrouver aspiré dans des états
émotionnels négatifs ou de se reprocher des choses qui n’auraient « aucun
sens ». En fait, elles ont du sens. C’est simplement la cause et l’effet.
Parfois il se passe trop de choses en même temps et on n’en peut plus.
Quand cela se produit, il faut investir différemment son temps et son
énergie. Toutefois, lorsqu’on ne fait pas les bons choix, il faut penser à
regarder en soi. Qu’est-ce qui m’empêche de me placer moi-même sur la
liste des priorités ? Est-ce un schéma habituel chez moi ? Si c’est le cas, je
dois changer quelque chose. En déterminant de quoi il s’agit, rappelez-vous
que nos perceptions du monde extérieur sont reliées à nos réseaux
mnésiques, qui les colorent. Ce que l’on ressent est sans cesse influencé par
ce que contiennent ces réseaux. Qu’il s’agisse de notre regard sur notre
entourage ou sur nous-même, ce sont peut-être les souvenirs non traités qui
tirent les ficelles.

CRÉER UNE LIGNE DE TEMPS


Si vous avez tenu votre journal DICES, si vous utilisez la technique du
pont d’affect et la liste des cognitions négatives, vous devez avoir une liste
utile des événements du présent qui vous ont perturbé et des souvenirs qui y
sont associés. Si vous le souhaitez, vous pouvez maintenant commencer à
mettre ces souvenirs sur une ligne de temps, pour mieux comprendre votre
histoire. Commencez une nouvelle section de votre carnet de notes, et
inscrivez-y les souvenirs dans l’ordre chronologique où ils se sont produits.
Notez d’abord votre âge, puis le souvenir, la cognition négative puis le
niveau de SUD. Sautez quelques lignes après chaque note. Cela vous
permettra d’ajouter de nouveaux souvenirs sources, s’il en apparaît d’autres
au fil du temps, à mesure que vous rencontrerez de nouvelles expériences
difficiles ou examinerez d’autres aspects de votre vie. Une fois que vous
avez classé un souvenir sur la ligne de temps, placez une étoile à côté
chaque fois où il vous aura affecté ; cela vous indiquera ceux qui sont
importants et qui vous influencent souvent.
Prenez une minute et vérifiez vos souvenirs chronologiquement. Sur la
ligne de temps, écrivez les souvenirs que vous considérez comme les plus
difficiles de votre enfance. Par exemple, y a-t-il un souvenir
particulièrement perturbant où vos parents se sont disputés, ou des moments
où vous avez été ignoré, humilié ou rejeté ? Ramenez-les à votre esprit.
S’ils sont à plus de 4 sur l’échelle SUD, dans votre corps, alors notez le
chiffre sur la ligne de temps. Servez-vous bien d’une de vos techniques
d’autocontrôle pour laisser partir les émotions négatives après chacun
d’entre eux.
Maintenant vous pouvez regarder la ligne de temps pour avoir une idée
du moment où vous avez développé ces différentes réactions, ces émotions
et ces croyances négatives. Cela peut également vous donner une bonne
idée des personnes qui, dans votre vie, ont ajouté à ces difficultés. Vous
voudrez peut-être savoir si les personnes avec qui vous avez actuellement
des problèmes leur ressemblent. Cela devrait aussi vous aider à reconnaître
quand vous êtes activé dans le présent, et vous rappeler d’y remédier. En
vous servant de ces pratiques quotidiennes pour vous surveiller et renforcer
vos ressources d’autocontrôle, vous serez plus attentif à votre bien-être.
Cela peut avoir d’importantes implications, non seulement pour vous, mais
aussi pour votre entourage.
Pour réduire le stress : les quatre éléments

Pour tout le monde, le stress peut s’accumuler au cours de la journée.


On supporte mieux la vie lorsqu’on prend soi-même le contrôle de ses
réactions, au lieu de se laisser mener par des réactions excessives. Il faut
donc se surveiller et prendre des mesures pour revenir au calme lorsque le
stress menace de nous submerger. Comme beaucoup d’entre nous
considèrent leur lieu de travail comme une zone de guerre, j’inclus ici une
séquence de techniques initialement conçues pour des personnes vivant
dans des zones soumises à des attaques terroristes. Du fait du niveau
constant et élevé d’angoisse et d’alerte lié à ces situations dangereuses, ces
suggestions incluent des rappels pour un usage quotidien. Je pense que ces
procédures sont pertinentes pour tous ceux qui vivent avec un niveau élevé
de stress.

Même si on sait qu’il est important de se surveiller et d’utiliser des


techniques, on oublie parfois que l’on est pris dans une routine stressante.
Si vous avez tendance à vous laisser prendre à ses exigences, vous pouvez
vous aider à vous le rappeler en portant un bracelet coloré ou en plaçant un
autocollant sur votre téléphone portable ou votre ordinateur, ou bien une
image sur votre bureau. Chaque fois que vous remarquerez cet élément
visuel, vérifiez votre état intérieur. Si vous vous sentez stressé, évaluez
votre SUD. Puis utilisez les quatre techniques ci-dessous jusqu’à ce que le
SUD baisse. La séquence des quatre éléments, Terre-Air-Eau-Feu, est
construite pour suivre votre corps des pieds à la tête :

⧫ LA TERRE : ANCRAGE, SÉCURITÉ dans le PRÉSENT/dans la RÉALITÉ.


Prenez une minute ou deux pour « atterrir » et pour être ici et
maintenant. Placez vos deux pieds par terre et ressentez le siège qui
vous porte. Regardez autour de vous et remarquez trois choses
nouvelles. Que voyez-vous ? Qu’entendez-vous ?
⧫ L’AIR : RESPIRER pour SE CENTRER. Vous pouvez utiliser ici votre
exercice de respiration préféré. Autre option : inspirer par le nez en
comptant quatre secondes, puis retenir sa respiration pendant deux
secondes, et enfin expirer pendant quatre secondes. Prenez une
douzaine de respirations profondes et lentes de cette manière.
⧫ L’EAU : CALME et MAÎTRISÉE pour passer à la RÉACTION DE
RELAXATION. Vérifiez que vous avez de la salive dans la bouche.
Produisez-en davantage en faisant remuer votre langue et en imaginant
le goût du citron (ou du chocolat). Lorsqu’on est anxieux ou stressé, la
bouche est souvent sèche parce que le système digestif est bloqué par
la réponse d’urgence au stress impliquée dans la réaction de combat ou
de fuite. Il semble donc que, lorsqu’on recommence à produire de la
salive, cela remet en marche le système digestif, avec la réaction de
relaxation associée. C’est une théorie qui explique pourquoi on offre
souvent de l’eau, du thé ou un chewing-gum aux personnes qui ont
subi une expérience difficile. Si vous avez des difficultés à produire de
la salive, alors amorcez le processus en buvant un peu d’eau.
⧫ LE FEU : ÉCLAIREZ le chemin de votre IMAGINATION. Amenez à
votre esprit l’image de votre LIEU SÛR ou d’une autre ressource
positive. Où la sentez-vous dans votre corps ?

En associant les quatre éléments, rappelez-vous que vous pouvez


continuer à sentir LA SÉCURITÉ de vos pieds sur le SOL ; vous sentir CENTRÉ
quand vous INSPIREZ et EXPIREZ ; vous sentir CALME et MAÎTRE de vous-
même alors que vous produisez de plus en plus de SALIVE ; et vous pouvez
laisser le FEU ÉCLAIRER le chemin de votre IMAGINATION pour avoir à l’esprit
un endroit où vous vous sentez en SÉCURITÉ ou un souvenir où vous vous
êtes senti bien avec vous-même.
Souvenez-vous que vous connaissez maintenant une grande quantité
de techniques qui vous permettent de contrôler vos niveaux de stress.
Beaucoup de gens sont tellement centrés sur leurs tâches au travail ou à la
maison qu’ils ne s’aperçoivent pas qu’ils s’épuisent. Ils pensent : « Oh, je
prendrai soin de moi plus tard. » Mais l’effet du stress sur les systèmes
immunitaire, cardiaque, etc., est à la fois immédiat et cumulatif. Il serait
bon de se souvenir que la vie est un marathon, non un sprint. Et que ce
marathon peut même être agréable !
De l’échec à la liberté

De nombreux types d’expériences non traitées peuvent nous empêcher


de réussir. Si certaines difficultés proviennent de l’enfance, d’autres
peuvent aussi venir de toutes sortes de types d’éducation qui, en apparence,
peuvent sembler très différents. Par exemple, Monica a commencé une
thérapie à cause de l’anxiété insupportable qu’elle ressentait auprès de son
patron. Chaque fois qu’il s’adressait à elle (que ce soit de façon positive ou
négative), elle rougissait de manière incontrôlée, sa peau devenait moite et
son cœur battait à tout rompre. Ses réactions perturbaient considérablement
ses performances au travail et elle risquait de perdre son emploi. De plus,
elle considérait son patron comme « une brute ». Il criait parfois après ses
employés et les humiliait devant les autres, et ne se remettait jamais en
cause. Ce qui dérangeait le plus Monica, c’était sa propre incapacité à
contrôler son corps, alors qu’intellectuellement elle savait que son patron
était « un crétin ».
La source du problème apparut au cours du pont d’affect. La mère de
Monica avait l’habitude de la questionner sur toutes sortes de choses. Elle
pouvait lui demander indéfiniment, semble-t-il, ce qu’elle avait fait dans la
journée, voulait savoir ce que les autres disaient et faisaient, et pratiquement
tout ce que pensait et ressentait sa fille. Face à ces éternelles questions,
celle-ci se sentait phagocytée, impuissante et irritée. Monica se rappelait
qu’elle était, à l’époque, complètement incapable d’y mettre un terme. Sa
mère continuait, même si elle la suppliait d’arrêter. Au cours du retraitement
du souvenir, Monica se mit à sangloter, en disant que le pire était son
sentiment d’humiliation : souvent, quand elles étaient en public, sa mère
« lui rappelait » diverses choses qu’elle avait dites et finissait par « les
utiliser contre elle », en la mettant dans l’embarras et en l’humiliant dans de
nombreuses circonstances. Parvenue à ce point, Monica s’exclama : « Pas
étonnant que j’aie peur quand les gens commencent à s’occuper de moi !
J’ai toujours trouvé ça fou d’être aussi en colère quand les gens me
montraient une “attention bienveillante”. Mais maintenant je me rends
compte que j’avais toujours l’appréhension d’un retour de flamme : ils
allaient sûrement finir par me mettre dans l’embarras. Je n’arrive pas à
croire que ÇA vienne de LÀ ! »
Si l’anxiété de Monica venait d’un parent extrêmement intrusif, Ryan,
lui, avait le problème inverse. Lorsqu’il était enfant, il était plutôt ignoré par
ses parents. Il commença une thérapie EMDR parce qu’il se trouvait
paralysé devant un choix de carrière. Il était terrifié par l’opinion que sa
patronne avait de lui. Il s’attendait toujours à ce qu’elle trouve des erreurs
dans son travail. Les antidépresseurs ne l’avaient pas aidé, et son état
empirait. Cet exemple montre clairement qu’être élevé dans le luxe ne
garantit pas la santé mentale, car les parents de Ryan étaient riches et il
avait été élevé par des domestiques. Mais cela l’amena à se sentir
abandonné, et à penser qu’il ne méritait pas l’attention de ses parents.
Quand il avait l’occasion de passer du temps avec son père, par exemple, ils
jouaient à des jeux qu’il n’avait jamais la permission de gagner. Incapable
d’obtenir une attention bienveillante de la part de ses parents, Ryan en vint
à penser qu’il ne pourrait jamais obtenir ce qu’il désirait. Devenu adulte, les
cognitions négatives qui traduisaient en mots son état émotionnel étaient :
« Je ne vaux rien. Je ne peux pas réussir dans mon travail. » En les
retraitant, il décrivait la sensation physique d’une contraction au creux de
l’estomac, « comme une pierre ». Mais en poursuivant le travail, la pierre se
transforma en une présence chaude et douce, « comme un socle ». Ryan
disait que c’était pour lui « une force et un exemple spirituel ». Sa cognition
positive devint : « Je suis capable de réussir tout seul. Je vais m’en sortir. »
L’essentiel ici est que ces expériences fondatrices de l’enfance peuvent
être la base de ce qui vous freine dans le présent. Toutefois, avec de l’aide,
elles peuvent devenir une nouvelle source de santé. L’anxiété de
performance peut venir d’une humiliation quelconque au cours d’un jeu de
camp, ou de la douleur de ne jamais arriver à plaire à son père ou sa mère,
ou bien de quelque chose de totalement inattendu. Par exemple, Yves était
un commercial qui avait la cognition négative : « Je ne suis pas assez
bien », assortie d’un perfectionnisme obsessionnel. Il éprouvait de l’anxiété
avant de se montrer en public – que ce soit pour vendre des produits ou
pour jouer au golf. Il savait bien que sa réaction n’était pas logique, qu’il
avait l’intuition et les compétences nécessaires pour le faire, mais sa forte
anxiété mettait à mal sa capacité à réussir.
En se centrant sur son anxiété autour d’une récente situation au travail
et sur la cognition négative : « Je ne suis pas assez bien », le thérapeute
guida Yves dans la technique du pont d’affect. Il se rappela alors un texte
qu’il avait déclamé dans un cours d’art dramatique, son angoisse auparavant
et le soulagement qu’il avait ressenti quand ça avait été terminé. Au cours
du retraitement, il se rappela que les gens s’étaient levés pour l’applaudir.
Apparemment, le cerveau de Yves avait stocké, sans le traiter, le souvenir
de son intervention, mais pas l’information qu’il l’avait brillamment
réussie. Le traitement de ce souvenir l’amena à prendre conscience qu’il
pouvait désormais gérer n’importe quel événement. Par la suite, la
perspective de s’exprimer devant les autres produisait chez lui plus
d’excitation que d’anxiété et de peur.

PRENDRE SOIN DE SOI

Si vous êtes anxieux à l’idée de faire une apparition en public, vous


pouvez peut-être passer de vous-même de l’anxiété à l’excitation. Beaucoup
de gens pensent qu’il faut se sentir anxieux, à cause d’idées fausses sur les
réactions du corps face à une difficulté. Notre cerveau nous y prépare par un
certain niveau d’excitation. Les études sur la performance ont montré qu’il
y a des niveaux optimaux d’excitation selon les types de tâches à accomplir.
Cependant, la manière dont on considère et gère cette excitation peut faire
la différence entre la réussite et l’échec. En fait, certains psychologues du
sport utilisent dorénavant le mot « intensité » au lieu des mots
« excitation », « anxiété » ou « nervosité » afin d’éviter les connotations
négatives souvent associées à ces termes. Souvenez-vous qu’il y a de
nombreuses façons de ressentir le niveau adapté d’intensité, par exemple en
étant excité à l’idée d’apporter une contribution positive.
Essayez de vous concentrer sur les aspects positifs de ce que vous allez
faire. Vous pouvez également contrôler l’intensité de votre excitation grâce
à vos techniques respiratoires. Certaines fois, on peut s’aider à passer de
l’anxiété à l’excitation en se forçant à sourire ou en changeant de posture :
imaginez un super-héros donnant cette conférence. Entrez dans l’image et
prenez la même position. Les épaules des gens s’affaissent et leur posture
s’effondre lorsqu’ils se sentent vaincus ; relevez résolument les épaules,
redressez-vous, levez le menton et souriez : cela peut vous aider à sortir de
l’anxiété.
De plus, jetez un coup d’œil à votre liste de base d’événements
récents, de souvenirs et de cognitions négatives. Remarquez quelles sont les
cognitions négatives qui se déclenchent en vous. Quand il s’agit de vos
résultats professionnels, est-ce que c’est : « Je suis un raté », « Je ne suis
pas assez bien », « Je ne peux pas gérer ça » ou « Je n’ai pas le droit à
l’erreur » ? Regardez encore la liste des cognitions négatives pour voir
lesquelles sont le plus en rapport avec les émotions que vous vivez au
travail. Une fois que vous avez identifié celles qui se présentent, utilisez les
techniques que vous avez apprises pour ressentir les choses différemment.
Pensez à développer et à renforcer vos différents lieux sûrs/calmes pour
inclure les états émotionnels positifs dont vous avez besoin pour contrer les
cognitions négatives.
Prenez soin de vous. Si vous vous dites souvent : « Je ne suis pas assez
bien », pensez bien à accéder quotidiennement aux souvenirs qui vous
permettent de vous sentir digne d’intérêt. Si vous vous dites souvent : « Je
vais échouer », veillez à retrouver des souvenirs où vous avez réussi.
Ressentez les émotions liées à ces souvenirs positifs, et savourez-les
pleinement. Là encore, centrez-vous sur votre corps. Voyez comment vous
respirez, comment vous vous tenez et la posture de votre tête lorsque vous
évoquez les souvenirs positifs. Si vous sentez que vous allez être perturbé,
essayez de modifier votre respiration et votre posture pour revenir à ce que
vous ressentez quand vous êtes dans vos états positifs. Une pratique
quotidienne peut rendre disponibles les émotions, les croyances et les
sensations physiques positives aux moments où on en a besoin.

Apprendre à exceller

Pour la plupart, nous aimerions accomplir nos tâches de façon parfaite.


Mais il est très différent d’agir avec assurance, en paix avec soi-même, ou
au contraire d’agir sous la contrainte.
Par exemple, Spencer était un homme divorcé, avec deux enfants. Il
était kinésithérapeute. Il commença une thérapie EMDR à la demande de sa
petite amie pour traiter son addiction au travail. Il savait que ses inquiétudes
autour de l’argent et son excès de travail étaient la cause de ses crises de
colère. Son union précédente avait échoué pour cette raison, il le
reconnaissait, et il ne voulait pas que sa relation actuelle se termine de la
même façon. Il prit conscience que sa cognition négative : « Je dois être
parfait » lui venait de son père et de son grand-père. Leur message était :
« Travaille dur et sois parfait. » En thérapie, le thérapeute et lui ciblèrent un
souvenir de 6e, où Spencer étudiait les maths avec sa mère et où il avait
piqué une crise de colère parce qu’il n’arrivait pas à comprendre les
problèmes. Il put traiter ce souvenir avec succès en une séance et la
croyance positive qui surgit spontanément était : « Tout ce que je fais, je le
fais de mon mieux, et ça relativise le reste. »

UNE TECHNIQUE POUR SE CENTRER

Relativiser les choses, cela consiste entre autres à reconnaître qu’on


n’a pas besoin de l’angoisse ou de la peur pour être poussé aux plus hautes
performances. On peut simplement apprécier ce qu’on fait. La détente est
un bien meilleur tremplin que le stress. En plus de votre palette de lieux
sûrs et de la technique du changement de respiration, vous pouvez
également utiliser votre respiration pour une technique de centrage qu’on
enseigne à de nombreux sportifs, d’interprètes et de cadres.
En effet, il y a beaucoup de moyens de se « centrer ». Un des meilleurs
est de se concentrer sur sa respiration. Lisez jusqu’au bout le paragraphe
suivant, puis faites un essai :

Rentrez en vous-même et concentrez-vous sur votre respiration.


Veillez à inspirer LEN-TE-MENT par le nez. Ressentez l’air froid lorsqu’il
passe par vos narines et atteint le fond de votre gorge. Imaginez votre
trachée comme un tube de verre qui se déverse dans votre ventre.
Remarquez comment votre ventre s’élargit lorsque vous inspirez
doucement. Remarquez la condensation de l’air réchauffé sur le tube de
verre lorsque vous expirez. Détendez la mâchoire, en expirant à travers la
bouche, et remarquez la sécheresse qu’apporte l’air chaud qui passe sur
votre langue et sur votre palais. Refaites l’exercice plusieurs fois et laissez
les émotions positives se développer en vous.

RÉPÉTER POUR RÉUSSIR

Des études ont montré que le fait de répéter mentalement une tâche
avant de passer à sa réalisation peut être extrêmement utile. Par exemple, on
a démontré l’amélioration de la performance par la visualisation de lancers
francs réussis avant un match de basket-ball, par rapport aux matches où on
avait seulement utilisé un entraînement physique réel. Les athlètes
olympiques eux-mêmes utilisent des exercices de visualisation pour ajuster
leurs réactions. En fait, une enquête conduite dans un centre d’entraînement
d’athlétisme olympique américain a constaté que 90 % des sportifs de haut
niveau utilisaient la visualisation pour se préparer à la compétition. De plus,
94 % des coachs olympiques interrogés disaient utiliser la visualisation
dans leurs programmes d’entraînement. Dans toutes sortes de professions,
les coachs personnels enseignent à leurs clients à utiliser les techniques de
visualisation. Vous pouvez améliorer vos propres capacités au travail ou au
jeu en vous servant de votre imagination d’une façon ciblée.
Des études ont prouvé que ce sont les mêmes zones du cerveau qui
sont activées lorsqu’on demande aux gens de se souvenir de quelque chose
qu’ils ont fait dans le passé ou d’imaginer le faire dans le futur. Comme on
l’a vu, si on a des souvenirs non traités, ils peuvent teinter notre façon de
voir le présent ainsi que la manière dont on se voit agir dans le futur. En
conséquence, le traitement EMDR complet comporte trois étapes : on traite
les souvenirs du passé qui sont à l’origine des problèmes, on traite les
déclencheurs du présent, et on encode de nouveaux souvenirs de succès en
imaginant qu’on réussit à l’avenir. Au cours de la thérapie, les souvenirs
perturbants se transforment en des expériences d’apprentissage qui sont la
base de la santé mentale. Après la thérapie, les gens s’aperçoivent qu’ils
réagissent à ce qui les entoure de façon nouvelle et positive. Toutefois, nous
utilisons la troisième étape, appelée le « modèle du futur », pour apprendre
des compétences supplémentaires et ancrer davantage dans le système
mémoriel un schéma de réussites futures.
On suit en général les étapes dans cet ordre (passé, présent, futur), car
les souvenirs non traités du passé peuvent perturber le nouvel encodage
positif. Par exemple, un sportif doit parfois traiter des souvenirs de
blessures ou d’échecs pour pouvoir résoudre un manque de confiance ou de
motivation, ou une peur de la performance. J’ai inclus ici quelques
procédures pour le modèle du futur, afin que vous puissiez les utiliser chez
vous. Si aucun souvenir non traité ne vous bloque sur ce point, vous pouvez
quand même utiliser cet exercice pour vous préparer à des rencontres ou à
des entretiens d’embauche à venir, ou pour améliorer vos affaires ou vos
performances sportives.
S’il y a une situation future pour laquelle vous auriez besoin d’aide,
vous vous imaginerez, dans cet exercice, en train de l’accomplir gaiement et
avec succès. Même si vous avez du mal à imaginer une issue heureuse, cet
exercice vous donnera des informations importantes. Si vous rencontrez des
obstacles, ouvrez les yeux et utilisez une de nos techniques de respiration
pour revenir au calme. Puis essayez d’identifier les cognitions négatives qui
peuvent apparaître. Pensez au scan d’affect ou à la technique du pont
d’affect pour identifier tout souvenir non traité qui peut bloquer. Voyez s’il
faudrait ajouter un ou plusieurs souvenirs à votre liste de base. Si vous avez
des difficultés avec des souvenirs non traités, voyez si vous pouvez
renforcer votre palette de lieux sûrs pour y faire mieux face. Si cela ne
fonctionne pas, envisagez de les traiter avec l’aide d’un thérapeute formé à
l’EMDR.
Tout d’abord, identifiez la situation future sur laquelle vous désirez
travailler. Examinez-la de façon réaliste : avez-vous les informations
nécessaires pour réussir ? Si c’est un examen, l’avez-vous suffisamment
préparé ? Si vous devez faire une conférence, le matériel est-il prêt ? Si
vous vous produisez en public, avez-vous bien mémorisé votre texte ?
Sinon, déterminez d’abord ce qui vous en a empêché. Imaginer un succès,
alors qu’on n’a pas ce qu’il faut pour réussir, est un problème concret. Si
vous avez sans cesse remis au lendemain ce que vous deviez faire, alors
utilisez la technique du pont d’affect ou bien le scan d’affect afin
d’identifier un possible souvenir non traité. Peut-être le fait de trouver la
cause du problème vous permettra-t-il de relâcher son emprise sur vous.
Utilisez certaines de vos techniques de maîtrise de soi pour aborder une
anxiété éventuelle. Dans tous les cas, il est important de terminer votre
préparation avant d’affronter l’épreuve qui vous attend. Vous pouvez
également utiliser la technique du modèle futur afin de vous imaginer
terminant la préparation avec succès. Commencez par écarter tout ce qui
peut vous distraire. Décidez de ne vous en occuper qu’après l’exercice et
concentrez-vous sur les étapes suivantes.

LE MODÈLE FUTUR

1. Détendez-vous et prenez plusieurs respirations lentes et


profondes. Si vous vous apercevez que votre esprit
vagabonde, prenez une autre grande respiration et ramenez
votre attention sur l’exercice.
2. Concentrez-vous sur la situation future que vous voulez
gérer.
3. Déterminez la façon dont vous souhaiteriez regarder,
ressentir, agir et penser dans cette situation.
4. Utilisez votre exercice du lieu sûr/calme pour faire
apparaître en vous les émotions que vous souhaitez avoir, en
évoquant certaines expériences réussies de votre passé.
5. Évoquez ensuite la cognition positive : « Je peux réussir. »
Concentrez-vous sur les émotions positives qu’elle suscite en
vous : force, clarté, confiance, calme.
6. Concentrez-vous sur une image où vous réussissez dans la
situation future. Ressentez les émotions positives et les
sensations du corps qui lui sont associées. Vous pouvez
encore la renforcer en y entrant physiquement : adoptez la
posture qui vous permet de ressentir une impression de
succès et de confiance en vous-même.
7. Projetez mentalement un film où vous gérez parfaitement la
situation du début à la fin. Assurez-vous que le film ait un
commencement, un milieu et une fin. Prenez conscience de
ce que vous voyez, de vos pensées, de vos sentiments et de
ce que vous éprouvez physiquement. Passez-vous le film au
moins trois fois et savourez vos émotions et vos sensations.
8. Imaginez que des difficultés surviennent, par exemple un
problème de matériel lors d’une conférence, et imaginez que
vous le gérez avec calme et assurance. Passez-vous ce film
jusqu’à une conclusion positive.

Veillez à toujours finir vos séances en revenant à la visualisation


positive de votre succès. Si une nouvelle difficulté survient avant la
situation réelle, vous pouvez vous passer un nouveau film dans lequel vous
gérez la situation. Cela vous aidera à mettre en place un schéma de souvenir
de réussite. Si vous vous trouvez en difficulté au cours de la situation réelle,
pensez bien à utiliser vos techniques de maîtrise de soi. Tout le monde peut
être perturbé momentanément, et savoir y faire face est important pour les
cadres, les sportifs ou les artistes qui veulent réussir.

De la survie à l’épanouissement

Être en thérapie a été parfois mal considéré, comme s’il s’agissait d’un
signe de faiblesse. Personnellement, je considère plutôt que c’est un signe
de courage. Des millions de personnes souffrantes continuent pourtant à
avancer, à mettre un pied devant l’autre, tout en gardant des relations ou des
emplois qu’ils détestent. Souvent ils les conservent pour de très bonnes
raisons : « Je ne veux blesser personne » ; « J’ai des responsabilités » ; « Je
ne peux pas laisser tomber les autres ». À ceux qui sont assez courageux
pour faire face à leurs peurs, la thérapie offre une nouvelle chance, celle
d’une vie où ils valent autant que tout le monde, où l’expression : « Aime
ton prochain comme toi-même » signifie qu’ils peuvent aussi s’aimer eux-
mêmes. Mais il faut être d’accord pour essayer. Et si vous craignez
d’échouer, cela provient de ces réseaux de mémoire qui font émerger en
vous des peurs que vous n’avez pas demandées et que vous n’avez pas eu la
force de rejeter quand elles ont été implantées en vous. Vous avez
maintenant l’occasion de vous en débarrasser.
Je veux également souligner le fait que c’est votre propre cerveau qui
se charge de la guérison. Si le système de traitement des informations du
cerveau est bloqué, vous demandez simplement de l’assistance pour le
remettre en route. C’est ainsi que Jeanne est venue en thérapie parce qu’elle
se sentait angoissée par la promotion qu’elle allait avoir : elle aurait
dorénavant à superviser 250 personnes et à leur parler régulièrement. Au
cours de la première séance, lors du recueil de son histoire, elle dit au
thérapeute : « Il n’y a rien de vraiment important là-dedans. » Le thérapeute
lui enseigna la technique du lieu sûr, et, au cours de la séance suivante, il
cibla l’angoisse de Jeanne et son sentiment : « Je ne suis pas importante. »
Ils tentèrent d’identifier un souvenir source, mais Jeanne insistait : « J’ai
toujours eu cette impression. » Alors ils se concentrèrent sur la première
conférence qu’elle aurait à faire après sa promotion. La cognition négative
était : « Je ne suis pas importante », associée à des émotions de peur et de
honte. Son mal-être était très intense, avec un SUD à 9 et des sensations
négatives dans la gorge et la poitrine.
Le thérapeute guidant le retraitement, l’esprit de Jeanne pouvait
maintenant faire les connexions appropriées. Elle se vit à l’âge de 3 ans,
assise sur les genoux de sa maman et babillant avec elle. Puis son beau-père
entrait, l’enlevait des genoux de sa mère, la posait par terre et commençait à
parler à sa femme. Jeanne avait raison : son sentiment de ne pas compter
était là depuis très longtemps. Ensuite un autre souvenir lui revint : à 7 ans,
alors que Jeanne venait juste d’entrer dans une nouvelle école, dans une
nouvelle ville, les enfants, à la récréation, lui dirent qu’elle était grosse et
laide. Quand les informations de ses réseaux mnésiques adaptatifs se
connectèrent, elle prit conscience que son beau-père était ignorant en
matière éducative, et que les enfants de l’école étaient des gamins
classiques, qui s’en prenaient à « la nouvelle ». Elle arriva à se visualiser
elle-même à 7 ans et se rendit compte combien elle était importante. Avec
cette nouvelle façon de se voir, elle ressentit un amour de maman pour la
petite fille qu’elle avait été. Quand ce fut terminé, son thérapeute et elle
ciblèrent la conférence qu’elle aurait à faire prochainement, et elle ressentit
comme complètement vraie, au cours du modèle du futur, sa cognition
positive : « Je suis importante. »
Ils avaient pris un rendez-vous pour la semaine suivante, mais Jeanne
appela ensuite le thérapeute pour l’annuler. Elle lui dit : « La conférence
s’est très bien passée ! Je n’ai eu aucun problème. C’était incroyable !
Merci, je ne ressens pas le besoin de venir à la prochaine séance ; mais si
j’en ai besoin à l’avenir, je vous appellerai. »
On voit ici que les thérapeutes peuvent être des coachs. Ils savent vous
guider jusqu’à ce que votre propre système prenne le relais. Une fois que
c’est le cas, vous pouvez vous en aller et gérer les choses tout seul. Si des
souvenirs non traités bloquent vos capacités de réussite, envisagez
l’assistance d’un thérapeute. La durée d’une thérapie dépend de la
préparation qui sera nécessaire pour le retraitement, du nombre de souvenirs
à traiter et du nombre des nouveaux apprentissages dont vous aurez besoin.
Si cela vous intéresse, vous trouverez dans l’annexe B des informations et
des recommandations pour choisir un thérapeute.
Rappelez-vous que réussir dans la vie ne consiste pas uniquement à
réduire le stress et la souffrance. Il s’agit aussi d’être bien dans tous les
aspects de votre existence. Les souvenirs négatifs non traités peuvent être
en train d’étouffer votre vie et de tirer vers le bas tout votre potentiel. Pour
orienter votre vie vers les objectifs qui sont les vôtres, il est utile
d’identifier les domaines où vous êtes bloqué et de vous servir des
techniques que vous avez apprises ici. On le sait : il est bien plus facile
d’être performant quand on a une vie équilibrée, relativement exempte
d’angoisse et de dépression. Il était donc logique d’inclure dans ce chapitre
des outils d’amélioration des performances.
En travaillant avec des sportifs de haut niveau, on voit clairement que
le talent et la capacité personnels ne sont qu’une partie de ce qu’il faut pour
être constamment performant. Afin de rester motivé et de contrôler le stress
et l’anxiété, certaines des techniques d’entraînement mental les plus
répandues comprennent les techniques de centrage et de visualisation que
vous venez d’apprendre.
Leur efficacité ne se limite d’ailleurs pas à un seul domaine de
réussite. Par exemple, au lycée, Kyle était un sportif de haut niveau, qui vint
en thérapie pour son manque d’assurance et de motivation. Il traita des
souvenirs de blessures et de perturbations, comme l’arrogance de certains
adversaires, certains commentaires de ses parents et des expressions de
déception sur le visage de son coach. On utilisa un certain nombre de
techniques, y compris celles que vous avez apprises ainsi que la technique
du modèle futur, pour l’aider à rester concentré sur le jeu. Après l’obtention
de son diplôme, Kyle reçut une bourse pour étudier dans une prestigieuse
université comme membre de leur meilleure équipe de première division.
Comme il le disait : « Cela ne m’a pas seulement aidé pour le sport : j’ai
plein de A pour la première fois ! » Il avait autrefois fréquenté une école
catholique de très bon niveau et avait dû lutter contre des handicaps
d’apprentissage.
Il n’est jamais trop tard, ni trop tôt, pour commencer à prendre le
contrôle de sa vie.

1.
L’histoire de Jonas se trouve dans l’ouvrage Des yeux pour guérir, de
Francine Shapiro et Margot Silk Forrest, Éditions du Seuil, coll. « Couleur
Psy », 2005. [N.d.T.]
CHAPITRE 11

S’en servir autour de soi

« Un jour, je montais une route enneigée en voiture, quand ma boîte


automatique s’est mise brutalement au point mort. Ma voiture s’est arrêtée
net, et le véhicule qui me suivait m’a doublée en zigzaguant. Quand le
conducteur est passé à ma hauteur, il a brandi le poing, les traits déformés
de fureur. Comme il finissait de me doubler, j’ai vu sur son pare-chocs un
autocollant qui disait : “Visualisez la paix dans le monde.” Comment est-ce
possible ? Ou peut-être était-ce la voiture de sa femme ? »

La citation ci-dessus est extraite d’un mail que j’ai reçu d’une
collègue, il y a un an. Cela illustre assez bien la condition humaine : on
s’efforce d’être quelque chose, mais nos émotions refusent souvent de
suivre. On peut appeler cela comme on voudra – « le haut et le bas », ou
« la lumière et les ténèbres » –, il n’en reste pas moins que ces
contradictions sont présentes en chacun de nous. Souvent, on n’arrive pas à
être à la hauteur de ce qu’on aimerait être, et le monde ne ressemble pas du
tout à ce qu’on voudrait. Ainsi, la manière de gérer sa vie jour après jour est
ce qui déterminera en fin de compte le bonheur – et aussi le stress – qu’on
connaîtra dans sa vie. C’est là qu’entrent en jeu la conscience de soi et
l’implication de chacun dans sa propre santé mentale et physique.
Nous avons déjà vu tout au long de ce livre comment on peut mieux se
comprendre soi-même, et comment on peut évoluer. Dans ce chapitre, nous
allons voir comment la culture et la société auxquelles nous appartenons
peuvent influer sur nous. Par ailleurs, nous nous focaliserons sur certaines
difficultés importantes que chacun d’entre nous sera amené à traverser à un
moment ou à un autre de sa vie. Ces situations délicates sont des occasions
d’exploration de soi, et elles peuvent vous aider à comprendre certains
problèmes auxquels vous-même, ou d’autres personnes autour de vous,
pouvez être confrontés. Je vais proposer également d’autres suggestions
pour prendre soin de vous-même, ce qui vous donnera de nouvelles
possibilités de bien-être personnel. Les choix qu’on fait dans la vie ont des
conséquences importantes, pas seulement sur soi mais aussi sur ses proches.
En fin de compte, chacun de nous est peut-être plus important qu’il ne le
croit.

Les liens de l’humanité

Dans le premier chapitre de ce livre, j’ai écrit que nous allions


chercher des réponses : il ne s’agit donc pas d’adresser des reproches, mais
de comprendre. Nous ne pouvons nous reprocher les modèles qu’on nous a
inculqués quand nous étions enfants. D’ailleurs, si nos parents ont contribué
à façonner ce que nous sommes aujourd’hui, n’oublions pas qu’ils étaient
eux-mêmes façonnés par leurs propres vécus. Même si les gens sont
responsables de leurs actes, il faudrait souvent remonter plusieurs
générations en arrière pour comprendre vraiment nos racines. En outre,
nous avons également pu « hériter » de manières de considérer les autres
qui nous font croire que nous n’appartenons pas à la même humanité. Si on
veut faire les meilleurs choix de vie pour soi, il est important d’aller fureter
dans tous les coins sombres possibles pour voir ce qui pourrait s’y
dissimuler.
LES DÉCONNEXIONS FAMILIALES

Nous pouvons tous, d’une façon ou d’une autre, surmonter notre passé
personnel, familial et même social. Nous pouvons passer outre ces
problèmes douloureux et profiter pleinement de notre vie, sans que de vieux
souvenirs nous tirent vers le bas. C’est ce qu’a vécu Hélène. Sa vie a été
l’enchevêtrement de deux histoires, l’une où elle a franchi allégrement les
obstacles, l’autre émaillée de phases d’autodestruction. Elle a reçu une
bourse pour entrer à l’université et a fini ses études avec, à la fois, un
diplôme de sociologie et un début de toxicomanie. Elle devint ensuite
psychologue pour enfants polyhandicapés pendant la journée, et barmaid et
dealer la nuit. À 27 ans, elle est entrée dans un centre de désintoxication.
Deux de ses amis venaient de succomber à une mort violente en rapport
avec la drogue, l’un par suicide et l’autre assassiné. Elle sut alors qu’elle
était en danger : ce n’était qu’une question de temps avant que ses activités
relatives à la drogue ne lui fassent perdre son travail, son appartement, sa
liberté, ou la vie.
Après avoir quitté le centre de désintoxication, elle a pu rester clean,
mais elle souffrait d’accès de dépression et d’angoisse. Elle est passée
ensuite par des années de diagnostics erronés, d’échecs thérapeutiques et de
désespoir, jusqu’au jour où elle s’est elle-même diagnostiqué un ESPT, et
où, après quelques recherches, elle a entamé une thérapie EMDR. À cette
période, elle commençait à entrevoir l’origine de son addiction.
Enfant, Hélène était souvent séparée de ses parents et on l’envoyait
chez des parents proches, alcooliques. C’était pendant ces périodes que sa
tante Jeanne abusait physiquement et sexuellement d’elle et de ses frères et
sœurs. Tout le monde savait que Jeanne « terrorisait » la famille, mais
personne ne faisait rien pour l’en empêcher. Une épaisse chape de déni et de
silence couvrait toute la famille élargie. Malgré l’extrême difficulté de ce
travail pour elle, Hélène a abordé ces vécus douloureux et a pu résoudre ses
problèmes en trois ans. Cependant, cinq ans plus tard, elle revenait en
thérapie, cette fois avec un but différent.
Hélène était une personne active, qui allait bien d’une façon générale,
mais elle continuait à avoir des problèmes dans un domaine particulier.
Depuis qu’elle avait terminé sa thérapie, elle se sentait exclue de sa famille
parce qu’elle était la seule à aller bien et à ne pas être « addicte » aux
drogues ou à l’alcool. Pourquoi sa famille semblait-elle vouée à la
destruction ? Elle voyait les enfants plus jeunes commencer à prendre la
même voie qu’elle. Que pouvait-elle y faire ? Elle voulait aussi comprendre
comment certains membres de sa famille avaient été capables de telles
cruautés. Elle explora leurs histoires respectives et en fit part à son
thérapeute pour qu’il fasse caisse de résonance. Ensemble, ils ciblaient les
émotions qui remontaient en elle. Hélène se sentait écartelée : elle se sentait
impuissante à mettre fin au drame de sa famille et elle éprouvait la
« culpabilité du survivant » – celle d’aller mieux. Elle voulait se sentir en
paix et équilibrée, et elle espérait y parvenir à travers la compréhension de
l’histoire de sa famille et du rôle qu’elle y jouait.
Elle commença par sa tante maternelle, Jeanne, la femme qui avait fait
le plus de dégâts, et avec qui Hélène avait vécu une bonne partie de son
enfance. En étudiant l’histoire de Jeanne, elle comprit que cette femme était
née dans le mauvais milieu et à la mauvaise époque. Sa tante était une
marginale : elle était lesbienne, très intelligente, d’allure très masculine,
dans un monde qui exigeait qu’elle fût autrement. Toutes les possibilités
professionnelles et tous les styles de vie dont elle aurait eu envie lui étaient
interdits. Elle vivait sous une pression constante de sa famille et de son
milieu pour être ce qu’elle ne pouvait pas être. Se sentant méprisée,
invisible, elle bouillait intérieurement de rage.
Évidemment, être obligé de vivre toute sa vie dans le mensonge ne
peut être sans conséquences. Mais il faut d’autres facteurs pour transformer
la souffrance en violence. Pour Jeanne, c’étaient les maltraitances et les
négligences qu’elle avait subies dans son enfance. Elle avait eu un père très
absent : il travaillait quatorze heures par jour, six jours par semaine. Sa
mère n’arrivait pas à gérer ses enfants et passait souvent sa frustration sur
Jeanne. La mère de Jeanne, la grand-mère maternelle d’Hélène donc, était
une immigrée allemande qui avait travaillé dur pour s’intégrer dans une
culture qui ne l’accueillait pas à bras ouverts. C’était une femme d’une
grande détermination, qui s’était sentie obligée, par convention sociale, de
suivre les rêves de son mari, et non les siens. Elle recourait à l’alcool pour
noyer sa souffrance, et s’en prenait à ses enfants quand l’alcool ne suffisait
pas. Tout cela se passait à une époque où la stigmatisation des femmes
alcooliques était tellement forte qu’il n’y avait guère de traitements
disponibles pour elles. Jeanne, la tante d’Hélène, a ainsi vu sa mère mourir
lentement d’alcoolisme, entourée de proches que le secret et la honte
paralysaient. En fin de compte, Jeanne a donc été élevée par une femme qui
s’effondrait peu à peu, dans une culture qui n’accordait pas de valeur aux
femmes et ne les écoutait pas, à une époque où les différences n’étaient pas
acceptées, et dans des lieux où on ne pouvait pas trouver d’aide.
Hélène a retrouvé le même alcoolisme et le même désespoir dans la
famille de son père : elle a appris que sa grand-mère paternelle était une
Amérindienne. Cette grand-mère avait farouchement caché ses origines,
après avoir subi maintes expériences de discrimination et de racisme. Il
s’agissait d’un secret de famille tellement enfoui qu’Hélène n’a jamais pu
en découvrir tous les détails.
Le fait de remonter son arbre généalogique a aidé Hélène à mieux
comprendre ce qui y circulait depuis des générations : une substance
toxique, la honte. Elle a aussi regardé en face les visages hideux de
l’oppression : le racisme, l’homophobie et les discriminations sexistes. Son
histoire et celle de sa famille faisaient maintenant sens pour elle, et cette
connaissance l’aidait à avancer. Elle a terminé cette partie de sa thérapie en
prenant conscience de ce qu’elle pouvait faire : en veillant à sa santé et à sa
propre sécurité, elle pouvait être un bon exemple pour les enfants de ses
frères et sœurs et elle pouvait leur offrir des conseils et un recours quand ils
en auraient besoin. Et dans sa profession, elle pouvait aussi défendre les
enfants opprimés.
Comme elle le dit elle-même :
« C’est uniquement grâce aux circonstances de ma naissance, à la
couleur de ma peau et à d’autres privilèges que j’ai eu l’opportunité de
traiter et de surmonter mon passé. J’ai vu où me menait ma souffrance : j’ai
enfreint la loi, je me suis fait souffrir et j’ai fait souffrir d’autres gens, et j’ai
expérimenté sur moi-même ma capacité à infliger des dégâts beaucoup plus
importants. La souffrance non traitée engendre la répétition des mêmes
choses. Je n’approuve pas tous les détails de mon passé, mais je peux
maintenant les dépasser. Je pense que je comprends mieux la souffrance de
ma tante Jeanne, mais cela ne sera jamais complètement clair pour moi :
c’est son histoire et je ne la connaîtrai jamais entièrement. Je pardonne à
Jeanne et aux autres membres de ma famille, car cela met le passé à
distance, mais mon pardon ne veut pas dire que j’accepte la violence dans
ma vie. On doit tous choisir comment on fait face à la souffrance, et ma
famille aurait pu mieux gérer la sienne. Je vois maintenant mon
traumatisme comme le résultat de générations de haine, de souffrance et de
malentendus, et c’est bien au-delà de ma famille et de moi. Je suis
reconnaissante d’avoir eu la chance d’aller mieux, mais je ne suis pas
d’accord avec le fait que d’autres ne le puissent pas. Je ne suis pas d’accord
avec le fait qu’à travers le monde ce genre de douleur se perpétue, et j’ai
l’intention de faire ce que je pourrai pour remédier à cela. »
Que chacun de nous pense à sa propre histoire familiale : combien y
trouverons-nous de gens soumis à des violences, exilés, ou dont la vie a été
bouleversée par une dictature, la guerre ou d’autres forces hors de leur
contrôle ? On voit bien qu’il ne s’agit pas là de notions abstraites : ce sont
ces expériences qui ont fait de nos ascendants ce qu’ils ont été, et qui nous
ont fait ce que nous sommes aujourd’hui. Beaucoup de gens sont
aujourd’hui encore exclus, ou exposés à des violences, à cause de leur
genre, de leur nationalité, de leur religion ou de leur orientation sexuelle.
Reste à savoir ce qu’on peut faire dans sa propre vie pour surmonter ces
schémas destructeurs. Pas seulement pour soi-même, mais aussi pour les
générations futures.

FRÈRE ET SŒUR, OU AUTRE CHOSE ?

Ceux d’entre nous qui ont été brimés ou rejetés à l’école parce qu’ils
étaient différents – petit, grand, maigre, gros, portant des lunettes,
handicapé, premier ou dernier de la classe – savent combien on peut se
sentir pris au piège et seul. Les insultes et les humiliations peuvent nous
faire perdre confiance et provoquer des années de douleur. Imaginez
combien c’est pire encore lorsque des adultes en situation d’autorité se
sentent le droit de formuler des commentaires sur des choses dont nous, les
humains, nous permettons qu’elles nous séparent – couleur de peau,
religion, genre ou culture. Aujourd’hui, alors même que la technologie
rapproche le monde, les informations quotidiennes et les guerres qui
semblent ne jamais finir provoquent en nous un sentiment de peur de
« l’autre ». C’est un autre exemple qui montre que la solution est en nous,
qu’on la donne aux autres ou qu’on la reçoive d’eux. L’important, c’est que,
pour faire changer le monde, le changement doit venir de l’intérieur.
Kate était obligée de faire cette thérapie. Elle n’en avait aucune envie,
surtout pas avec la petite femme blonde qui lui ouvrait la porte. Que diable
s’imaginait-elle pouvoir faire pour elle ? Mais Kate n’avait pas le choix.
Dans son entreprise, elle avait été la directrice de son département pendant
vingt ans et n’avait reçu que des éloges pour son travail. Elle était la
première Afro-Américaine à avoir été promue à ce poste. Mais maintenant
la direction générale de cette multinationale demandait à ce que toutes les
personnes, à son niveau de responsabilités, se soumettent à un examen –
qu’elle avait déjà raté deux fois. La compagnie lui avait assigné cette
thérapeute et il n’y avait rien à y faire. Elle ne parvenait pas seule à gérer
son anxiété de performance, et si elle refusait l’aide de cette femme, son
patron serait furieux. Elle regardait donc Sylvia avec colère – mais sans rien
pouvoir faire. Elle ne pouvait s’empêcher de montrer qu’elle se sentait
piégée dans cette pièce avec elle, et qu’elle n’aimait pas ça.
Sylvia lui dit qu’elle comprenait et qu’elle compatissait. Puis elle lui
expliqua que, comme elles n’avaient pas beaucoup de temps, elles allaient
se centrer sur ce qui empêchait Kate de réussir cet examen. Après un court
exercice de préparation pour trouver un lieu sûr, Sylvia demanda donc à
Kate de se concentrer sur le sentiment d’être « coincée dans une pièce ».
Après avoir traité la cognition négative « Je suis coincée » et le sentiment
de colère et de rancune qui l’accompagnait, elles commencèrent le
traitement. Le thème se déplaça rapidement sur « Je ne vous fais pas
confiance ! ». Sylvia lui dit : « Continuez avec ça » et, dès la séquence de
mouvements oculaires suivante, les choses se mirent en route. Kate revit
des images et des scènes de toutes les injustices qu’elle avait subies. Elles
poursuivirent ce voyage dans le temps, et Kate n’hésitait pas à exprimer ses
colères. Elle était étonnée de voir toutes les insultes et de tous les obstacles
qu’elle avait dû surmonter pour arriver là où elle en était aujourd’hui. Elle
se souvenait d’un professeur qui ressemblait tout à fait à Sylvia, et qui
l’humiliait. Elle dit à la thérapeute : « Vous êtes exactement comme elle. Je
vous déteste. » Maintenant, cela faisait sens. Sylvia lui dit simplement :
« Continuez avec ça. »
Kate se rappelait en particulier qu’on l’avait traitée d’idiote et qu’on
lui avait dit qu’elle n’arriverait jamais à rien – qu’elle était juste bonne à
devenir femme de ménage. Elles poursuivirent le traitement pendant les
cinq heures suivantes, et à la fin, son SUD était à 0 et la cognition positive
« J’ai des choix » était complètement vraie.
Elle se rendit compte qu’elle était capable de passer l’examen le week-
end suivant, même si elle n’avait jamais pu, auparavant, étudier ou retenir
correctement des informations. Pendant l’examen, elle sut tout de suite
qu’elle l’avait raté. Mais maintenant c’était différent : elle ne ressentait pas
d’angoisse, et elle se mit avec assurance à étudier pour l’examen suivant –
qu’elle réussit.
Elle n’hésita pas, par la suite, à envoyer des membres du personnel à
Sylvia. À présent, Kate avait le sentiment qu’elles étaient deux personnes à
égalité, travaillant ensemble pour aider les autres.

EXPLORATION PERSONNELLE

La souffrance et le ressentiment nés de l’injustice sont toujours une rue


à double sens. Lorsqu’on rejette les autres, ou qu’on les marginalise, on
gâche, socialement parlant, les contributions positives qu’ils auraient pu
apporter. Quand nous réagissons aux gens par de la peur et de la colère,
nous éveillons les mêmes sentiments chez les autres. La question de base à
se poser est celle-ci : voulons-nous faire partie de la solution, ou du
problème ? Cela signifie de repérer là où nous sommes blessés – et où nous
blessons les autres. Cherchez la colère, la peur, la honte et la souffrance
dont vous pouvez être porteur et utilisez la technique du pont d’affect pour
identifier d’où cela provient. Utilisez les techniques d’autocontrôle que
vous avez apprises pour voir si vous pouvez modifier vos réactions. La
douleur n’a pas pour but de vous rendre cruel, critique et violent envers
vous-même, ni envers les autres. Les gens qui se sentent en sécurité ne sont
pas gouvernés par la peur. Ils ne voient pas en noir l’ensemble des membres
d’un groupe sous prétexte qu’une seule personne du groupe leur a fait du
mal. Ou parce que quelqu’un d’autre leur a dit de sentir les choses comme
cela.
Souvenez-vous que nous sommes tous vulnérables à « l’effet de
généralisation négative » : on n’aime pas quelque chose chez une personne
et on suppose qu’elle a toutes sortes d’autres défauts. C’est l’inverse de
« l’effet de halo », où on suppose qu’une personne a beaucoup de qualités
parce qu’on aime bien une chose chez elle. Les préjugés peuvent nous
mettre des œillères, et nous ne voyons dès lors rien de bien chez une
personne. Pour voir les autres clairement, il faut être prêt aussi à voir ses
propres défauts, pour pouvoir changer.
La plupart d’entre nous ont entendu l’adage « aime ton voisin ». Mais
que ce soit en famille ou individuellement, on peut se sentir de plus en plus
isolé dans sa propre communauté. Peut-être le meilleur point de départ est-il
simplement d’aller à la rencontre des autres. Cela peut nous aider à nous
comprendre nous-même en tant que membre de la famille humaine – une
famille qui possède une multitude de formes, de couleurs, de croyances et
de manières de vivre. Notez toute trace de peur ou de mépris des différences
qui peuvent se cacher en vous et commencez à vous poser tranquillement
quelques questions. Où avez-vous appris cela ? Est-ce que cela vous est
vraiment utile ? Que pouvez-vous faire pour réduire cela ? Est-ce que votre
méfiance provient d’une histoire racontée par quelqu’un d’autre, ou avez-
vous été blessé personnellement ? Si cela ne change rien pour vous de
repérer d’où provient votre impression de séparation ou de différence, est-
ce que le fait de rester sur votre position vous est utile ? Si ce n’est pas le
cas, envisagez de traiter le souvenir.
En dernière analyse, nous avons la liberté de choisir. Nous sommes
tous comme Kate, nous chantons peut-être la chanson de quelqu’un d’autre.
Les préjudices qu’elle a vécus dans sa vie l’ont isolée et l’ont rendue tout
aussi critique envers une personne d’une autre race que ceux qui lui avaient
fait du mal. En traitant ces souvenirs, elle a laissé aller sa colère et sa
rancune envers les autres, elle a évacué ce qui l’empoisonnait. Cette
libération lui a permis d’aller plus loin qu’elle n’était jamais allée.

La grande égalisatrice

Quel que soit le nombre de difficultés qui nous séparent en tant


qu’êtres humains, beaucoup plus de choses révèlent nos points communs.
Et les deux défis que nous partageons tous sont la maladie et la mort. À un
moment ou à un autre, chacun d’entre nous devra faire face à la perte d’un
être cher. La manière dont nous gérerons cette étape sera en partie
déterminée par nos connexions de souvenirs. Pour certains, au lieu d’un
deuil qui s’efface au fil du temps, le chagrin sera compliqué et restera
intense parce qu’il est relié à des souvenirs non traités.

LE MONDE EST GRIS

Jane, une femme d’une cinquantaine d’années, avait perdu son mari
Mike environ six mois avant de venir en thérapie. Elle continuait à vivre –
elle travaillait dans le commerce de son mari et gérait ses affaires – mais
intérieurement elle se sentait bloquée dans son deuil. Elle était déprimée et
la vie semblait avoir perdu toutes ses couleurs. Le passage du temps
n’arrangeait rien ; tout le monde lui avait pourtant dit que ça deviendrait
plus facile, mais on le lui disait depuis des mois et pourtant rien ne
changeait. Elle n’avait pas pu pleurer et tout semblait être complètement
refoulé en elle. Sa croyance négative était : « Je suis impuissante. Je n’en
sortirai jamais. »
La mort de Mike fut ciblée en thérapie EMDR et, au cours du
retraitement, Jane pensa spontanément à la perte de sa mère, morte d’un
cancer quand elle était enfant. Elle se rappela qu’avant sa mort, sa mère lui
avait dit : « Tu dois être forte. » Jane et sa mère savaient en effet toutes les
deux qu’elle allait mourir. Ce fut un moment de réelle prise de conscience
pour Jane. Elle comprit qu’elle avait vraiment pris à cœur les instructions de
sa mère. Elle n’était qu’une enfant – seulement 9 ans –, mais elle avait
l’impression de devoir être là pour son père. Même après la mort de sa
mère, elle ne s’était pas autorisée à la pleurer. Elle avait refoulé tous ses
sentiments de tristesse et de perte, qui étaient pour elle des signes de
faiblesse.
Grâce au traitement de ces souvenirs, Jane a pu vivre les émotions
qu’elle avait besoin de ressentir. Elle a reconnu que sa mère n’avait pas
voulu qu’elle s’interdise de pleurer : elle voulait simplement que sa fille
aille bien. Jane a eu soudain la permission de se laisser aller à ressentir ses
émotions et à vivre toute la tristesse emmagasinée en elle. Comme elle l’a
dit alors à son thérapeute : « Je peux maintenant pleurer et avancer. » Elle
comprenait que c’était normal ; c’était très bien de ressentir ses émotions.
Elle a alors beaucoup pleuré Mike et, enfin, sa mère. Soulagée, libérée de
tout ce poids, elle a enfin pu avancer peu à peu dans le processus de deuil,
avec l’apaisement que lui apportaient les souvenirs positifs de sa mère et de
son mari.
Beaucoup de gens en deuil ont la sensation d’être bloqués dans la
tristesse, avec d’horribles images qui leur déchirent le cœur. C’est
particulièrement le cas lorsqu’une personne décède brutalement : les gens
peuvent être hantés par un sentiment de culpabilité en pensant à toutes les
choses qu’ils « auraient dû » dire ou faire – et qu’ils n’ont pas fait lorsqu’ils
en avaient l’occasion. Ces sentiments de culpabilité sont souvent aggravés
par des images de la douleur de leurs proches. Ces souvenirs demeurent
souvent non traités et peuvent faire durer le chagrin pendant des années.
Pour d’autres personnes, même s’il n’y a pas de sentiment de culpabilité, ce
sont seulement des souvenirs négatifs qui continuent d’alimenter le chagrin.
Heureusement, le traitement EMDR ne fait pas qu’éliminer les associations
négatives intrusives, il permet aussi le retour de celles qui sont positives :
par exemple, deux jeunes frères que j’ai traités n’avaient que des mauvais
souvenirs de leur père. Cet homme avait fini sa vie alcoolique et, chaque
fois qu’ils pensaient à lui, il leur venait des images où il était assis, portant
un peignoir miteux et entouré de canettes de bières. Le traitement de ces
souvenirs a permis à cette image de s’estomper, et ensuite, lorsqu’ils
pensaient à leur père, il leur venait des images où ils étaient tous ensemble à
la pêche ou en camping.
Une étude sur l’EMDR a montré que, comparée à une autre forme de
traitement, l’EMDR produisait un rappel bien plus important de bons
souvenirs du proche, accompagné d’un sentiment de soulagement.
Parfois certains restent bloqués parce qu’ils ont peur de perdre leur
chagrin : ils pensent qu’ils n’honoreraient alors plus le défunt et perdraient
leur lien avec lui. Ce n’est absolument pas vrai : même si la souffrance
disparaît, les connexions émotionnelles seront toujours là. C’est exactement
ce qu’un proche pourrait vous souhaiter.

LE MONDE EST NOIR


Un chagrin qui s’éternise peut empoisonner la vie, et parfois, la perte
d’un être cher peut générer des sentiments de colère et un désir de
vengeance. C’est particulièrement vrai en cas de mort violente, et cela a
provoqué des siècles de guerres dans tous les pays. La douleur passe d’une
génération à l’autre, et elle produit de plus en plus de violence. En voyant
autant de régions du monde en guerre, on ne peut qu’approuver les
thérapeutes qui travaillent en humanitaire pour favoriser l’émergence d’une
solution. C’est le cas d’un psychothérapeute, au Pakistan, qui a traité de
nombreuses victimes d’attentats terroristes, ainsi que des soldats et des
pilotes d’avion qui ont participé à la « guerre contre le terrorisme »
américaine. Il raconte ici l’histoire de la thérapie qu’il a menée avec les
enfants d’un officiel pakistanais de très haut rang :
« Leur père a été tué par un kamikaze qui s’est fait exploser sur le
passage de sa voiture. Le fils et la fille ont été traumatisés par l’événement
et par les images de sang et morceaux de corps de leur père et de son
chauffeur répandus sur la route. Le fils voulait abandonner ses études
médicales et aller rejoindre un groupe d’activistes pour venger son père.
Quant à la fille, elle refusait de sortir de chez elle, et elle ne parlait plus.
« En quatre semaines, le travail sur le deuil et la thérapie EMDR les
ont aidés à remonter la pente et ils ont tous les deux repris leurs études. La
fille s’est mariée l’an dernier et attend un bébé. Le fils a fini ses études et
fait maintenant son internat en chirurgie. Il veut être chirurgien plasticien.
Tous les deux ont aidé leur famille à créer un hôpital de postcure de pointe
dans le village d’origine de leur père, qui est consacré aux familles des
survivants et des victimes de la guerre contre le terrorisme. L’EMDR a non
seulement soulagé leur douleur et leur chagrin, mais elle a aussi eu des
résultats positifs dans leur vie privée. Elle les a aidés en particulier à
transformer leur envie de se venger en un projet humanitaire plein de
sens. »

La transformation de la douleur en un désir d’aider les autres est


souvent le résultat naturel du processus thérapeutique. Cela témoigne du
potentiel que nous avons tous. Le système de traitement de l’information
chez l’homme est en effet prévu pour que nous apprenions ce qui nous est
utile, et que nous laissions de côté le reste. En ne nous attachant plus à la
douleur, nous sommes guidés vers un avenir heureux et productif. Et qu’y
a-t-il de plus utile que d’améliorer le monde ?
EXPLORATION PERSONNELLE

Repérez où vous pourriez être bloqué par rapport à une personne


décédée. Certains d’entre nous n’ont pas pu faire leur deuil ou retrouver la
sérénité parce que d’anciens souvenirs douloureux maintiennent en eux un
sentiment de rancœur longtemps après le décès de la personne. Par
exemple, Michelle a commencé une thérapie pour traiter son anxiété. En
travaillant une situation du présent où elle se sentait « bloquée et
impuissante », il lui revint en mémoire le souvenir de son père la tenant, à
4 ans, les jambes dans le vide, au-dessus d’un torrent : la petite fille avait
peur de l’eau et il essayait de la « désensibiliser ». Cela n’a pas fonctionné :
ce qui a été stocké dans le réseau mémoriel de la petite fille, c’était la peur
que son père la lâche si elle se débattait. Non seulement la thérapie l’a
débarrassée de son impression d’être « bloquée et impuissante », mais elle
l’a aussi conduite vers une réconciliation heureuse avec son père décédé.
Il n’est jamais trop tard pour faire la paix. Donc, pensez à vous servir
du pont d’affect pour découvrir où vous pourriez être bloqué dans des
sentiments de colère et de rancœur. À quoi tenez-vous vraiment, et sur quoi
pourriez-vous lâcher prise ?

Nous ne sommes pas seuls

À travers tous ces récits de souvenirs non traités qui peuvent affecter le
corps, l’esprit et les émotions, nous avons vu comment on peut être
prisonnier de sa peur et de son sentiment d’impuissance. Ces mêmes choses
qui font obstacle à notre croissance personnelle peuvent aussi nous freiner
dans ce qu’on appelle le « développement spirituel », cette amplification de
notre compréhension et de notre sentiment de connexion à l’univers, par-
delà notre condition de mortels sur cette planète. Dans de nombreuses
traditions et religions, le développement spirituel se traduit par un grand
sentiment d’amour et de sollicitude pour l’humanité tout entière.
En EMDR, ces sentiments de connexion spirituelle plus forte sont
parfois produits naturellement par le processus de retraitement. Par
exemple, une femme que son père avait violée bien des années plus tôt se
sentait prisonnière d’un sentiment de ne rien valoir. En travaillant avec son
thérapeute, elle vit ses sentiments changer : après une séquence de
mouvements oculaires, elle lui dit : « Je pensais à l’amour. Et les mots qui
me sont venus, c’était : “Dieu m’aime” ! » Un beau sourire sur le visage,
elle poursuivit le travail. Elle ne pouvait pas vivre cette impression de
« l’amour de Dieu » tant qu’elle était prisonnière de son aversion pour elle-
même. Dans ce cas, c’était un changement spontané ; pour d’autres
personnes, en revanche, il faudra aborder spécifiquement ce qui bloque en
elles l’accès à cette sorte de paix intérieure.

LA DÉCONNEXION SPIRITUELLE

Certaines personnes qui travaillent à s’élever spirituellement se


trouvent parfois bloquées par des souvenirs non traités : ceux-ci leur font
vivre des sentiments de dépression qui les empêchent d’atteindre leurs
objectifs. Par exemple, Craig, un homme entre deux âges, vint en thérapie
en se plaignant d’un état d’épuisement, de troubles du sommeil, de
sentiments de colère, ainsi que d’une impression d’éloignement à l’égard de
sa femme ; enfin, il se disait stressé par un conflit avec un ancien partenaire
commercial. Mais il évoquait surtout sa déception par rapport à son chemin
spirituel et à ses trente ans de pratique de la méditation.
Il choisit de cibler d’abord sa colère et sa désillusion par rapport à la
méditation. Pourquoi ne parvenait-il pas au calme et à la paix, comme ses
amis, pendant et après la méditation ? Les sentiments qui lui venaient sans
cesse disaient : « Le monde est plein de dangers. Pourquoi s’y engager ? »
Craig et le thérapeute utilisèrent la technique du pont d’affect et bientôt
émergea le souvenir source : il avait été, à 3 ans et demi, renversé par une
des vaches du voisin. Craig riait et secouait la tête en se lançant dans son
récit :
« C’est une histoire idiote, mais elle me tracasse toujours. La vache
m’a poussé avec son nez et elle a commencé à me lécher le ventre, et j’ai
cru qu’elle allait me manger. J’ai appelé ma mère, mais elle n’est venue que
très longtemps après – enfin, ça m’a semblé très long, mais ça ne devait
faire que cinq minutes, en réalité. Ce qui m’a choqué le plus, sur le
moment, c’est que ma mère riait en me prenant dans ses bras. »
Ce « désaccordage » entre sa mère et lui avait verrouillé en Craig des
sentiments de danger et de méfiance pendant plus de quarante ans. La
cognition positive avec laquelle Craig avait commencé était : « Je suis
capable de faire face », mais le retraitement la transforma en : « Grâce à ça,
je suis plus fort. » Cette prise de conscience émotionnelle était importante
sur plusieurs plans. Lorsqu’un souvenir nous bloque, le traitement de
l’information permet une expérience d’apprentissage, qui forme ensuite une
assise pour notre bien-être mental.
À la séance suivante, Craig dit à son thérapeute qu’il dormait mieux,
qu’il s’était recentré sur la spiritualité et qu’il pratiquait davantage ses
exercices de méditation. Sa colère avait aussi considérablement diminué, et
sa femme et lui communiquaient de nouveau.
Il traita ensuite un autre souvenir en rapport avec la cognition
négative : « Le monde est dangereux. Je ne peux pas y faire face. » Craig, à
l’adolescence, s’était fait braquer un jour en voiture, et son copain avait été
passé à tabac. Il était dégoûté de lui-même de ne pas être sorti se battre avec
leurs agresseurs. Cette fois-ci, la cognition positive était : « Je suis fort. » À
la séance suivante, Craig rapporta que son énergie était revenue et qu’il
dormait bien. Ses méditations lui donnaient à présent un sentiment de
sécurité, de paix et de calme. Il était content aussi d’avoir pu se sentir
spontanément assez fort pour gérer et résoudre le conflit en cours avec son
ancien partenaire commercial.
En dernière analyse, il n’y a pas de séparation entre le corps, l’esprit,
l’émotion et l’âme. Si des souvenirs non traités vous bloquent dans un de
ces domaines, il est probable que vous en êtes affecté dans d’autres
également.

LES SEPT PÉCHÉS CAPITAUX


Un des objectifs de la religion est de favoriser des rapports plus riches
avec notre monde intérieur et avec ceux qui nous entourent : ses principes
peuvent donc également nous aider à repérer où nous sommes bloqués. À
quel endroit nous débattons-nous et où avons-nous l’impression d’échouer ?
Par exemple, Simon, qui était pasteur protestant, voulait utiliser l’EMDR
pour avancer dans son développement spirituel. À partir de ses lectures sur
l’EMDR et de son propre travail personnel, il en était arrivé à penser que
« chacun des sept péchés capitaux est un traumatisme pour l’âme », un
traumatisme qui trouve son origine dans un événement antérieur de la vie
de la personne. Il avait l’impression que les péchés avec lesquels il se
débattait le rendaient moins efficace dans son rôle de mari, de père et de
pasteur, et il pensait qu’il était important pour lui de les traiter.
Il se trouvait paresseux pour ce qui concernait les corvées à faire à la
maison, ainsi que les tâches importantes à l’église. C’est pourquoi il choisit
de se concentrer sur la Paresse. La croyance négative de Simon était la
suivante : « Je dis une chose et j’en fais une autre. Je ne peux pas me faire
confiance. » Un pont d’affect révéla un événement source, à l’âge de 3 ans :
il faisait la sieste par terre, et sa maman se livra à une innocente taquinerie
avec lui : elle lui disait en riant : « Allez, debout ! » mais le bloquait par
terre dès qu’il essayait de se relever. Après le retraitement de ce souvenir,
Simon rapporta au thérapeute qu’il se sentait davantage conscient de ses
actes et qu’il avait, en choisissant ses projets, des attentes plus réalistes. Il
était aussi capable de s’atteler à des tâches plus lourdes, chez lui et à
l’église, et de les gérer beaucoup plus efficacement et avec bien moins
d’émotivité.
La Colère fut la seconde cible de Simon. Il raconta au thérapeute qu’il
avait depuis toujours des accès de fureur chez lui et qu’il frappait alors les
murs et les portes. Cela effrayait sa femme et sa fille, et il en avait honte.
L’événement source était un comportement qu’il avait vu chez sa mère :
quand elle était furieuse, elle jetait des objets sur la pendule de la cuisine.
Pour lui, c’était la permission d’exploser chaque fois qu’il était en colère,
avec l’idée que « si j’explose de colère, j’ai du pouvoir et je maîtrise la
situation ». La cognition positive qu’il souhaitait avoir était : « Je suis plein
d’amour. Je suis un artisan de paix. » Tandis qu’on traitait la cible, Simon
pleurait en disant : « Je veux avoir le courage d’être authentique et
vulnérable, et je veux être humble comme le Christ pendant la crucifixion. »
De l’avis général, il se montra par la suite plus souple, plus attentionné, plus
aimant, tant pour sa famille que pour lui-même. Aujourd’hui, Simon estime
qu’en se soignant il est devenu un individu plus complet, et qu’au regard de
son sacerdoce, il est un bien meilleur pasteur. Ce qu’il faut retenir ici, c’est
que, si on est en difficulté pour se sentir à la hauteur de ses propres opinions
religieuses ou spirituelles, il pourrait bien y avoir des souvenirs non traités
qui s’y opposent et qu’on peut traiter.

LA PORTE FINALE

Beaucoup de personnes trouvent un réconfort, au cours de leur vie,


dans leurs croyances spirituelles, mais le défi suprême vient souvent au
moment où l’on fait face à sa propre mort. La manière dont nous abordons
cette épreuve finale de courage et de fermeté dépend de la force de notre
peur.
Deux ans après leur diagnostic, les médecins dirent à Donna qu’ils ne
pouvaient plus rien faire, et qu’il fallait qu’elle se prépare à mourir. Le
cancer avait envahi tout son corps – mais il ne lui enlevait pas le désir de
guérir. Elle se tourna vers elle-même, pour se préparer à ce qui allait
advenir. Elle dit à son thérapeute qu’elle voulait écarter tous les obstacles en
elle, pour pouvoir « laisser son âme poursuivre son chemin ». Si elle n’avait
jamais cessé, au fil des années, de travailler sur elle-même, elle voulait
maintenant voir s’il y avait des « restes ».
Donna et son thérapeute commencèrent par établir un lieu sûr, qu’elle
pourrait utiliser si elle se trouvait perturbée ou si la douleur (physique ou
psychologique) devenait trop forte. Élevée dans la religion catholique, elle
choisit de se voir à côté de Jésus, le bras de Marie autour d’elle. Au début,
elle se mit à pleurer et à trembler. Pendant que le thérapeute poursuivait les
tapotements sur ses cuisses, elle prit de profondes respirations et dit :
« C’est très réconfortant. Tout mon corps se détend. C’est un grand bien-
être, comme je n’en avais jamais connu. » Son corps s’affaissa doucement
dans le fauteuil ; même ses pieds se détendirent. La tension permanente de
son visage s’apaisa visiblement.
Le thérapeute la questionna sur les « restes » qu’elle avait évoqués, et
lui demanda si quelque chose la mettait mal à l’aise. Donna leva les yeux
sur lui et lui dit : « C’est mon père. J’ai peur de le voir quand je mourrai. »
Ils se mirent en devoir de traiter cette peur. Elle disait : « J’ai peur qu’il soit
en colère contre moi. Je le sens dans mon cœur ; c’est lourd et ça me fait
mal. » Ils poursuivirent à travers ses pensées et ses souvenirs autour de cette
peur d’être désapprouvée par son père, et elle finit par dire : « Il a été avec
moi tout du long, et il est fier de moi. Je vois son sourire, et j’ai
l’impression que mon cœur s’ouvre. »
Il y avait un autre « reste », concernant sa maladie et son impression
d’en être responsable. Elle se demandait : « Est-ce moi qui l’ai provoquée ?
Est-ce ma faute ? Est-ce que quelqu’un me critique pour cela ? » Elle
explora sa colère contre le cancer, son impression d’être trahie par ce corps
incapable de revenir à la santé, et ses doutes : s’était-elle battue
suffisamment ? Au bout de ce travail, elle ressentit un grand sentiment de
pardon envers elle-même, et elle dit : « J’ai fait tout ce que j’ai pu, tout ce
que je savais faire à ce moment », et elle ajouta, avec un grand soupir de
soulagement : « Dans ma famille, tout le monde était aussi désemparé que
moi ; personne ne me reproche rien. »
Plus les jours passaient, plus Donna était fatiguée et avait besoin de
repos. Et chaque jour, le thérapeute lui rendait visite pour continuer le
travail. Les proches de Donna disaient qu’elle était passée d’une grande
agitation à une attitude de plus en plus paisible, et qu’elle prenait de moins
en moins de médicaments. Ses douleurs étaient moins difficiles à gérer, et
quand elle était éveillée, elle était plus alerte.
Elle se concentra sur ce qui se passerait à son décès. Elle visualisa ce
qu’elle appelait les « Portes de nacre ». Son thérapeute lui demanda :
« Comment aimeriez-vous que cela se passe ? Qui viendra vous
accueillir ? » Elle sourit et répondit : « Je suis toute légère, je bouge
facilement, et mon père est là, oui, et ma mère, et plein d’autres gens que
j’aime. Je suis souriante et eux aussi. Il n’y a ni tristesse ni douleur. Tout est
très brillant, et je sens que j’ai vécu une belle vie et que je continue ma
route. » Après un moment de silence, elle dit encore : « C’est un passage
beaucoup plus facile que celui que j’ai fait, quand j’étais enfant, en arrivant
aux États-Unis ; je laissais derrière moi mon pays natal et tout ce que je
connaissais. J’avais peur alors. Maintenant, je n’ai pas peur. » Elle
rayonnait pendant ce retraitement, comme si elle était toute souriante, loin
en elle-même. À ce moment, elle n’avait plus conscience de son corps
ravagé. Quand le thérapeute lui demanda ce qu’elle observait dans son
corps, elle lui dit : « Je me sens légère. Je me sens libre ! C’est étonnant… »
Quand elle rendit son dernier soupir, Donna avait un doux sourire sur
le visage. Comme me le disait plus tard son thérapeute : « La lumière de la
vie, qui avait toujours brillé à travers elle, l’avait maintenant libérée. »

EXPLORATION PERSONNELLE

Pour des millions de gens, la foi est une partie importante de leur vie,
et ils trouvent du réconfort dans la prière. D’autres croient en une puissance
supérieure, mais se sentent séparés d’elle, seuls, et incapables de prier. Des
millions de personnes ont recherché la paix intérieure par la méditation, et
beaucoup d’entre elles semblent bloquées de la même façon. Dans les deux
cas, l’EMDR peut traiter ces obstacles, qui sont souvent causés par des
souvenirs non traités de douleur, de chagrin ou de déception. Une fois ces
barrières ôtées, on est libre d’approfondir sa spiritualité à travers les
pratiques qui nous conviennent le mieux. Cela nous permet de choisir la
prière, ou la méditation, ou encore une combinaison des deux, pour
améliorer notre vie quotidienne.
Bien sûr, il faut avoir la foi ou au moins des croyances spirituelles pour
pouvoir prier. Mais pour ce qui concerne la méditation, il suffit de regarder
ce que la science nous dit pour nous y engager. Dans les pays occidentaux,
on associe la méditation à la tradition bouddhiste ; mais il en existe en
réalité de multiples formes, venant de maintes cultures différentes. De
nombreuses études, récemment, ont évalué certaines pratiques de
méditation après les avoir dissociées de tout système de croyance
particulier. Ces recherches ont montré que la pratique de ces techniques
d’« attention centrée » facilite la gestion du stress et améliore les fonctions
immunitaires. C’est donc un excellent complément aux activités
autothérapeutiques quotidiennes.
Parmi ces techniques de méditation, on trouve la « pleine conscience »,
qui consiste à être simplement attentif, sans attachement, sans jugement. La
pleine conscience fait partie des procédures de l’EMDR, car on donne pour
consigne au patient, au cours du retraitement, de « simplement observer » :
ne pas essayer de provoquer quelque chose, simplement observer. Pendant
que le thérapeute vous guide à travers le réseau mémoriel pour permettre le
retraitement, le fait de « simplement observer » le mouvement de vos
pensées peut vous aider à repérer que vous êtes pris dans une boucle sans
issue. Parfois, cette seule observation suffit à desserrer l’emprise du
souvenir. Les personnes qui méditent renforcent leur stabilité émotionnelle
et leur capacité à rester en pleine conscience dans la vie quotidienne ; elles
peuvent effectuer des choix plus avisés, pour elles-mêmes et pour les autres.
Vous trouverez des ressources pour la visualisation guidée et la
méditation dans l’annexe A. Mais une façon simple de commencer consiste
à s’asseoir tranquillement et à observer comment votre ventre se gonfle et
se contracte pendant que vous respirez. Observez simplement, tout
tranquillement. Si vous sentez que votre esprit commence à s’évader,
ramenez doucement votre attention sur votre ventre. Voyez si vous pouvez
le faire pendant cinq minutes de suite. Puis augmentez votre temps de
méditation quotidien jusqu’à pouvoir rester confortablement assis pendant
vingt à trente minutes.
Si vous voulez mêler vos pratiques religieuses à votre méditation, vous
pouvez ajouter une phrase correspondant à votre orientation spirituelle :
« Dieu est bon », ou « Dieu est grand », ou « Dieu est un ». Vous pouvez
également utiliser le mot « Om », qui vient de la tradition hindoue, ou un
mot comme « paix » ou « amour ». Répétez cette phrase ou ce mot chaque
fois que vous inspirez et que vous expirez. Les pratiques de méditation qui
se centrent sur un sentiment de gratitude peuvent également être très utiles.
Asseyez-vous tranquillement et pensez à tout ce qui, dans votre vie, éveille
en vous de la gratitude. Portez votre attention sur votre cœur et répétez
simplement : « Merci pour tout ce que tu m’as donné » tout en inspirant et
en expirant. Le « tu » peut être Dieu, l’Esprit, la Vie, ou votre personnalité.
Ces techniques de méditation peuvent apaiser tant votre esprit que
votre corps, ce qui aura de bons résultats physiques et mentaux à long
terme. De même, et c’est important, elles vous rappellent que vous êtes bien
plus que toutes les perturbations que vous pouvez subir dans votre vie.
Si vous ressentiez auparavant des connexions spirituelles, mais que
vous êtes bloqué aujourd’hui, cela peut être encore un exemple de l’action
des souvenirs non traités. Les raisons semblent parfois sans gravité, comme
dans le cas de Craig, dont le souvenir source était d’avoir été léché par une
vache à l’âge de 3 ans. D’autres fois, il peut s’agir d’un traumatisme majeur
qui a fait vaciller la représentation du monde de la personne. Ceux qui ont
perdu brusquement un être aimé peuvent se sentir coupés de lui et isolés
dans un chagrin qui ne cicatrise pas. Pourtant, le traitement de ces souvenirs
peut chasser la douleur, ramener un sentiment d’espoir et recréer du lien.
Même les parents d’enfants qui ont perdu la vie dans l’attaque du
11 Septembre, au Moyen-Orient ou dans des catastrophes naturelles comme
les tremblements de terre, les ouragans ou les tsunamis, peuvent témoigner
du sentiment nouveau de paix et de réconciliation qui les habite. Nous
sommes tous semblables, dans la douleur comme dans notre capacité à
guérir.
Si vous vous sentez bloqué sans pouvoir en trouver la raison, centrez-
vous sur les sensations que vous éprouvez physiquement quand vous
essayez de prier ou de méditer, et faites un pont d’affect pour voir si vous
trouvez la cause du blocage. Si le fait d’être attentif ne suffit pas à vous
libérer, envisagez de faire traiter l’événement : les résultats pourraient bien
vous étonner. Les cliniciens parlent de « croissance post-traumatique » : les
gens qui ont été traumatisés rapportent souvent que la guérison n’est pas
seulement l’élimination de la douleur ; ils peuvent donner des réponses
positives à des questions telles que : Qu’ai-je appris ? En quoi suis-je plus
solide ? De quoi suis-je reconnaissant ? Qui puis-je aider grâce à ce que j’ai
appris ? Si quelque chose est bloqué en vous, peut-être est-il temps qu’on
vous en guérisse.

Profiter de la vie

Nous l’avons dit tout au long de ce livre : ces réactions que nous
pouvions considérer jusque-là comme « folles » ou incontrôlables sont en
fait explicables. Nos connexions mémorielles inconscientes sont tout à la
fois la source de nos difficultés, mais aussi de notre capacité à vivre de
façon positive et satisfaisante. J’espère que les exemples et les exercices
donnés dans ce livre vous auront permis de voir que vous n’êtes pas tout
seul, ni dans la souffrance ni dans votre désir de ressentir de la joie et du
bonheur. Plus vous utiliserez les procédures d’auto-exploration, mieux vous
saurez ce qui contrôle secrètement votre vie. En pratiquant et en utilisant
tous les jours les techniques de maîtrise de soi que vous avez apprises, vous
améliorerez votre niveau de contrôle sur vous-même. Si vous avez
l’impression d’être bloqué dans un domaine de votre vie, vous savez
maintenant qu’il y a des options qui vous permettraient de passer de ce
sentiment d’être « coincé » à une vie pleine de nouvelles opportunités. Vous
avez la possibilité de choisir, et c’est important.
Un autre objectif de ce livre est de vous aider à être plus en sympathie
avec vous-même et avec les personnes qui vous entourent. J’espère que
vous ressentez de la compassion à la fois pour votre enfance, cette période
où le cours futur de votre vie s’établissait, et pour vous-même, adulte, qui
avez aujourd’hui la responsabilité et la capacité d’opérer les changements
nécessaires. Et j’espère qu’en regardant ceux que vous côtoyez, vous
ressentez la même compréhension pour leurs combats personnels. Ils
devront prendre eux-mêmes leurs propres décisions, mais, à l’instar
d’Hélène, à travers vos propres choix positifs, vous pouvez être « une
lumière qui les guide ». Nos actions créent autour de nous un effet de
vague, dont les conséquences peuvent avoir une grande portée.
Au cours des vingt dernières années, plus de 70 000 cliniciens ont été
formés en EMDR dans le monde entier. Dans le même temps, des
associations EMDR rassemblaient des gens de toute la planète, qui
échangeaient leurs histoires et ce qu’ils avaient appris. Ce qui m’a toujours
rendue heureuse, c’est qu’un si grand nombre de ces récits soient
finalement des récits de victoire ; ce sont des exemples de la résilience des
hommes, de leur capacité à sortir de la douleur et de l’adversité. Ils
montrent la capacité des humains à aimer, même dans les circonstances les
plus terribles. Ces récits nous font voir que les gens sont capables de
surmonter tous les obstacles que la vie peut mettre sur leur chemin.
Que nous habitions un appartement luxueux ou une hutte de boue
séchée, nous sommes davantage reliés par nos ressemblances que par nos
différences. Peut-être croyons-nous que notre religion, notre culture, nos
traditions valent mieux que celles des autres, mais, en réalité, nos cerveaux,
nos corps, nos âmes évoluent au même rythme. Ce qui fait souffrir l’un
ferait aussi souffrir les autres. C’est pourquoi je me suis sentie si honorée de
partager avec vous quelques-unes de ces histoires : après tout, quand nous
parlons de « chez nous », il s’agit de l’endroit, sur cette planète, où nous
sommes nés et qui a contribué à construire notre destin. Même si nous
avons quitté notre terre natale, nous portons en nous la marque de notre
famille et de notre pays d’origine. Ce qu’il y a d’admirable, c’est que, où
que nous soyons sur terre, nous partageons tous les mêmes systèmes
physiques, et un corps, un cerveau et un inconscient qui fonctionnent de la
même façon. Si nous nous coupons, notre corps se guérit, sauf si quelque
chose l’en empêche. Et ce dont nous avons eu la preuve quotidienne en
EMDR, c’est que le système de traitement de l’information du cerveau
fonctionne de la même manière. La douleur peut se transformer en quelque
chose d’utile. On peut choisir le chemin qu’on veut suivre. Et tous ces
chemins convergent, dans le monde entier.

LE GARDIEN DE MON FRÈRE

Il y a quelques années, l’ouragan Paulina dévastait une petite ville


mexicaine. Une équipe de thérapeutes du Programme humanitaire EMDR
d’assistance (HAP) arriva sur les lieux pour aider les personnes sinistrées.
Comme vous le savez, la technique du papillon a été créée à l’origine pour
faciliter la pratique de l’EMDR avec des groupes d’enfants traumatisés. Ce
protocole de groupe s’est répandu dans le monde entier et on a, grâce à lui,
traité avec succès des enfants et des adultes après des catastrophes
naturelles, ou provoquées par l’homme, y compris des deux côtés du conflit
israélo-palestinien. Dans le cas de cet ouragan, il s’agissait à nouveau
d’aider un groupe de jeunes qui étaient en souffrance. Les enfants ont formé
un cercle et la thérapeute leur a demandé de faire le papillon pour traiter
leurs souvenirs du vent, de la pluie et des torrents d’eau qui avaient tué tant
de personnes.
Deux frères, Carlos (16 ans) et Hector (18 ans), ne participaient pas à
ce travail thérapeutique, mais observaient la scène à quelque distance. À la
fin de l’exercice, le plus jeune s’est approché de la thérapeute pour lui
raconter ce qui lui était arrivé et lui demander comment son frère pourrait
faire le papillon, car il n’avait plus de bras.
Carlos raconta que la rivière en crue avait emporté tous les membres
de sa famille au cours de l’ouragan. Les eaux furieuses avaient d’abord
emporté ses parents lors de l’effondrement de la maison. Le grand frère,
Hector, avait fait tout ce qu’il avait pu pour sauver ses trois frères et sœur
en les tenant serrés contre lui. Mais la rivière lui avait arraché les deux plus
jeunes, et il n’avait pu sauver que Carlos. Ces efforts avaient donné à
Hector des douleurs extrêmes dans les bras pendant que les deux frères se
serraient l’un contre l’autre en attendant les secours. Ils furent retrouvés
deux jours plus tard. Mais quand ils purent enfin atteindre l’hôpital, les bras
d’Hector étaient gangrenés et il fallut l’amputer.
La thérapeute demanda à Carlos de la mener à son frère, pour qu’elle
puisse leur montrer comment faire le papillon. Elle lui demanda aussi s’il
pensait que son frère avait agi avec énormément d’amour pour le sauver. Il
répondit immédiatement et avec force : « Oui ! » Elle le fit alors se placer
derrière son frère, pendant qu’Hector restait assis sur sa chaise roulante.
Elle lui demanda de se pencher pour mettre sa joue contre la joue d’Hector,
tout en l’entourant de ses bras par-derrière. Elle aida ensuite Carlos à
croiser les bras sur la poitrine de son frère.
Les deux garçons respirèrent profondément pendant que Carlos, les
bras croisés sur le torse d’Hector, faisait le papillon sur les épaules de son
frère. Ensemble, la thérapeute et les deux frères traitèrent les souvenirs
traumatiques. Selon la clinicienne, « il n’y a pas de mots pour traduire la
transformation des visages de ces deux garçons, qui sont passés du
désespoir à un amour profond. C’est la plus belle chose que j’aie vue de ma
vie ».

TENDRE LA MAIN

La volonté de tendre la main aux autres pour les réconforter et


s’occuper d’eux est un autre trait que nous partageons tous. En voici un
exemple : un glissement de terrain avait englouti un village, laissant
derrière lui cinquante enfants orphelins. Les cliniciens de HAP-EMDR
vinrent apporter leur aide et se servirent du protocole de groupe. Mais cette
fois, au lieu du papillon, ils enseignèrent aux enfants à faire les stimulations
bilatérales en tapotant alternativement sur leurs cuisses. Le lendemain, en
revenant travailler avec les enfants, ils trouvèrent le groupe qui les
attendait ; les enfants se tapotaient les uns les autres.
Il semble clair que nous aussi, qui avons tellement plus de ressources
et de pouvoir que ces enfants, nous pouvons tendre la main. Tendre la main
pour offrir notre aide, ou tendre la main pour avoir de l’aide. Chacun de
nous peut avoir des inquiétudes différentes. Par exemple, que veut dire pour
vous le terme « chez moi » ? S’agit-il de vous-même, de votre famille, de
votre quartier, de votre pays, de l’humanité entière ? Chaque niveau requiert
notre attention, et les vrais changements doivent d’abord avoir lieu chez
ceux d’entre nous qui sont assez conscients pour s’en soucier.
Il y a une dizaine d’années, au cours d’un atelier de formation, un
événement m’a profondément touchée. Des thérapeutes étaient arrivés des
quatre coins du pays dans une petite ville de la côte, une semaine
auparavant ; la veille de leur départ, chacun se sentait si bien, si
enthousiaste, si heureux dans ce bel environnement qu’ils descendirent à la
plage. Il faisait nuit, mais le ciel était plein d’étoiles et ils voulaient se
baigner dans la baie comme ils l’avaient fait plusieurs fois auparavant. Ce
qu’ils ne savaient pas, c’est que la marée avait changé et qu’un courant de
reflux s’était établi.
Tout heureux, quelques stagiaires sont entrés dans l’eau et ont
commencé à nager – mais très vite ils ont été pris dans ce courant qui les
entraînait vers le large. Certains parvinrent à regagner la plage à grand
peine, mais une fois au sec ils sont restés là, aux côtés de ceux qui ne
s’étaient pas baignés, à regarder, complètement impuissants et désemparés,
les amis qu’ils s’étaient faits pendant la semaine être entraînés au large par
la marée et incapables de revenir. Ces derniers se sentaient complètement
seuls et se voyaient déjà mourir noyés. Alors quelqu’un sur le rivage a
soudain proposé : « On va se tenir par les mains et former une chaîne. »
Alors, tous ensemble, ils sont entrés très lentement dans l’océan, se tenant
mutuellement, et ils ont ainsi pu atteindre chacun de leurs camarades et
ramener tout le monde au rivage.
Voilà ce que de nombreuses personnes, dans le monde entier, essaient
de faire grâce aux programmes humanitaires d’assistance : se joindre à ceux
qui veulent bien former une chaîne humaine avec eux, pour ramener tout le
monde, pour que personne ne reste là-bas à se noyer tout seul dans le noir.
Alors, si vous vous sentez attiré par cela, merci d’envisager de rejoindre les
autres pour soutenir ce travail, car il y a tant à faire ! Et nous pouvons le
faire avec joie et reconnaissance pour tout ce que la vie nous a donné.
Comme me le disait une petite fille de 10 ans après le traitement de son
traumatisme : « Tu n’as pas envie d’embrasser le monde entier ? »
Remerciements

Ce livre est l’aboutissement d’un voyage de plusieurs décennies, avec


le soutien affectueux de mon merveilleux mari, Bob Welch, et de mon ami
et collègue Robbie Dunton. En ce qui concerne la création du livre lui-
même, je souhaite adresser d’abord des remerciements particuliers à Susan
Golant, pour la légèreté de sa main éditoriale et pour l’excellente assistance
qu’elle m’a apportée dans nombre des tâches nécessaires pour mener cet
ouvrage à son terme. Ma gratitude va à mon éditrice chez Rodale, Shannon
Welch, pour ses précieuses suggestions et pour la surveillance attentive
qu’elle a apportée au processus de production du livre, avec l’aide de sa
talentueuse équipe, Marie Crousillat et Amy King. Un grand merci à mon
agent, Susan Gluck, pour sa guidance et son soutien précieux. Merci
également à Del Potter pour ses interventions en urgence sur mon
ordinateur et son assistance technique.
L’écriture de ce livre a impliqué un large cercle de chercheurs et de
cliniciens, dont les nombreuses contributions, ces dernières années, méritent
d’être reconnues. Mes remerciements vont à Robert Stickgold pour ses
riches publications sur les relations entre l’EMDR, la mémoire et le
sommeil paradoxal, et pour ses intéressantes suggestions concernant les
descriptions neurobiologiques du présent volume. Un grand merci à Daniel
Siegel pour ses excellentes suggestions et son travail d’avant-garde dans le
domaine de la neurobiologie interpersonnelle. Je suis reconnaissante envers
Hope Payson, Deany Laliotis, Jennifer Lendl, Susan Brown, Tony Madrid
et Ronald Ricci, qui ont apporté des cas détaillés, et dont l’aide a été
irremplaçable pour cadrer les descriptions et les recommandations dans leur
domaine de spécialité. Tous mes remerciements aussi à Ad de Jongh, Steven
Silver, Deb Wesselman, Lenore Walker et Julie Stowasser pour avoir, en
tant que lecteurs, apporté leur expertise et leurs propositions dans certains
chapitres. Des remerciements supplémentaires vont à Deany Laliotis et Patti
Levin pour leurs belles contributions cliniques ; ils ont lu le manuscrit
entier à différentes étapes de son élaboration. Je suis également
reconnaissante envers Charlie Hitt, Robin Robbin, Jane Schuler-Repp, John
Linderman, Brian Tippen et Christina Peterson qui ont lu les chapitres avec
le regard de non-initiés, pour s’assurer que le livre restait « convivial ». De
plus, je voudrais citer ici les chercheurs innovants qui suivent, pour leurs
contributions professionnelles indépendantes : Cynthia Browning pour la
technique du pont d’affect, Elan Shapiro pour la procédure des quatre
éléments, et Lucy Artigas et Ignacio Jarero pour la technique du papillon.
Mes remerciements personnels vont particulièrement à Stephen et Ondrea
Levine, pour m’avoir enseigné la technique du rayon de lumière, il y a plus
de trente ans.
Ces vingt-cinq dernières années, j’ai eu l’honneur de faire partie d’un
groupe croissant de cliniciens et de chercheurs qui consacrent leur vie au
soulagement de la souffrance humaine. J’ai demandé l’assistance de
certains d’entre eux pour m’aider à expliquer au grand public ce que nous
avons appris sur les mécanismes cérébraux de traitement de l’information et
sur la « fabrique de l’esprit ». Leurs patients et eux ont répondu avec
enthousiasme, par des exemples venant de tous les points du globe. Quand
j’ai lu ces récits, j’ai éprouvé une grande joie en voyant non seulement
l’universalité de la condition humaine, mais aussi la manière dont, chaque
fois, l’esprit humain a triomphé et surmonté les pires obstacles. Je remercie
du fond du cœur ceux qui m’ont transmis ces récits. Le fait qu’ils figurent
ou non dans ce livre reflète uniquement le processus d’écriture lui-même,
où un exemple mène naturellement à un autre. Mais tous ont été pour moi
une merveilleuse source d’inspiration, et ils m’ont rappelé de façon
émouvante la raison de notre travail. Et pour cela, ma reconnaissance
éternelle leur est acquise.
Annexe A

Glossaire et techniques d’auto-


assistance

Centrage. Utilisation d’une respiration lente et profonde pour se détendre, technique


enseignée à de nombreux athlètes, artistes et cadres d’entreprise (chapitre 10,
p. 322).
Changement de respiration. Vous permet d’abaisser votre niveau d’anxiété en changeant
votre schéma respiratoire contre un autre, associé à une émotion positive
(chapitre 3, p. 74).
Changements corporels. Modifiez votre posture ou l’expression de votre visage pour
passer de l’anxiété à l’excitation ou à un autre état émotionnel positif (chapitre 10,
p. 320).
Cognitions négatives. Croyances négatives qui traduisent en mots les émotions et les
pensées perturbantes associées au souvenir non traité (chapitre 4, p. 103).
Échelle des unités subjectives de perturbation (SUD). Utilisée pour garder trace de
l’intensité de la détresse associée à une situation présente ou à un souvenir. Va de
0 (pas de perturbation) à 10 (pire détresse imaginable) (chapitre 4, p. 97).
Floatback : voir Pont d’affect.
Journal des DICES. Journal destiné à surveiller soi-même ses perturbations de la journée.
Lister le déclencheur, l’image, la cognition négative, l’émotion, les sensations
physiques et le niveau des unités subjectives de détresse (SUD) (chapitre 4,
p. 115).
Ligne de temps. Pour mieux comprendre votre passé, une liste de vos souvenirs sources, de
vos cognitions négatives, des niveaux de SUD et de votre âge suivant l’ordre
chronologique des souvenirs (chapitre 10, p. 313).
Liste de base. Liste de vos perturbations actuelles et des souvenirs qui sous-tendent vos
réactions du présent, avec l’âge, le SUD et les cognitions négatives du souvenir
(chapitre 4, p. 100).
Méditation. Techniques de pleine conscience pour accroître la concentration et les états
émotionnels positifs (chapitre 11, p. 352).
Modèle du futur. Utilisation de techniques d’imagerie pour acquérir des compétences et
obtenir des performances de pointe (chapitre 10, p. 324).
Palette du lieu sûr/calme. Vous permet de faire apparaître en vous toute une palette
d’émotions positives à travers différentes images ou divers signaux verbaux. Par
exemple, un sentiment de calme associé à l’image de soi au sommet d’une
montagne ou au bord de l’océan (chapitre 3, p. 71 ; chapitre 5, p. 133 ; chapitre 6,
p. 182).
Papillon. Stimulation bilatérale avec de petits tapotements alternés des épaules, qui peut
être utilisée pour renforcer le lieu sûr/calme, et pour réduire le stress (chapitre 3,
p. 75 ; chapitre 6, p. 184).
Personnage de dessin animé. Vous permet de faire face aux phrases négatives internes en
rendant comique la voix critique (chapitre 3, p. 77).
Pont d’affect. Partir de la situation, de la cognition négative et de la sensation physique
actuelles pour identifier un souvenir source (chapitre 4, p. 112).
Pot de peinture. Vous permet de gérer une image mentale désagréable en « mélangeant
l’image » (chapitre 4, p. 102).
Quatre éléments. Séquence de quatre techniques de réduction du stress (Terre, Air, Eau et
Feu) pour gérer le stress chronique ; également procédure d’aide à
l’autosurveillance périodique (chapitre 10, p. 314).
Rayon de lumière. Vous permet de gérer les émotions désagréables en vous centrant sur les
sensations physiques et en « dirigeant la lumière » sur la perturbation. Combiné
avec la technique du lieu sûr/calme peut aussi être utile pour traiter l’insomnie
(chapitre 7, p. 218).
Respiration abdominale. Pour réduire la perturbation, respirer lentement et profondément
tout en sentant votre ventre se gonfler. Puis expirez lentement en sentant votre
ventre se contracter (chapitre 5, p. 143).
Scan d’affect. Procédure utilisant une situation du présent et ses sensations corporelles pour
identifier un souvenir source (chapitre 4, p. 100).
Souvenirs sources. Les événements les plus précoces qu’on puisse se rappeler et qui
peuvent être la cause des symptômes et des difficultés du présent (chapitre 3,
p. 85).
Spirale. Permet de faire passer des émotions désagréables en « changeant la direction » des
sensations physiques (chapitre 5, p. X).
SUD. Voir Échelle des unités subjectives de perturbation.
Suggestions relationnelles. Pour améliorer la communication relationnelle, comprennent la
technique « Je te pardonne » (chapitre 8, p. 259).
Tuyau d’arrosage ou effaceur. Effacez les images mentales perturbantes (chapitre 3,
p. 78).

Pour information, il existe dans le commerce de nombreux enregistrements audio de


visualisation guidée et de méditation.
TABLEAU PERSONNEL
Jour/date Jour/date Jour/date Jour/date Jour/date Jour/date Jour/date
Utilisé enregistrement
méditation/relaxation
(20 minutes)
Exercé
(30 minutes)
Renforcé palette lieu
sûr/calme
(10 minutes)
Journal des DICES
Utilisé des techniques de
restauration
de
l’équilibre
(+/oui,
–/non, 0/pas
besoin)
Eu des contacts positifs
(famille, amis)
Eu repos/relaxation
(durée)
Mangé avec attention
Dormi toute la nuit
Sensation de bien-être ?
Évaluation des dernières
24 heures
(– 10 à +10)

Servez-vous quotidiennement de ce tableau personnel pour vous aider à rester dans la bonne
voie. En évaluant chaque journée, demandez-vous : qu’est-ce qui pourrait
l’améliorer ? Que devrais-je ajouter ou enlever pour mieux vivre ? Me faut-il plus
de temps de relaxation ? Devrais-je être plus à l’aise avec les techniques d’auto-
assistance ? Ai-je une sensation de bien-être ? Ou ai-je besoin de l’assistance d’un
professionnel ?
Les problèmes personnels et les sentiments de détresse émotionnelle peuvent parfois
paraître insurmontables, mais vous avez vraiment des choix. Pensez bien à
pratiquer vos techniques d’autocontrôle et utilisez votre journal des DICES pour
construire votre liste de base et votre ligne de temps. Cela vous permettra de
repérer plus facilement vos schémas de réaction dans la vie quotidienne. Cela vous
donnera aussi une meilleure idée des types d’émotions et de sentiments positifs
qu’il vous faut ajouter à votre palette de lieux sûrs/calmes. En outre, si vous
choisissez de faire une thérapie EMDR, ces pratiques vous permettront en général
d’aller plus vite dans l’étape de recueil de l’histoire et de préparation du
traitement. Une thérapie personnelle, c’est un partenariat avec un thérapeute
responsable. Comme le disait un patient : « Mon thérapeute, c’est ma rampe
d’escalier. »
Annexe B

Le choix d’un thérapeute,


les formations
et les programmes

Le choix d’un thérapeute

L’EMDR est une forme de psychothérapie reconnue dans le monde


entier pour son efficacité dans le traitement des traumatismes et d’autres
événements perturbants. Les huit étapes du protocole EMDR ont été
conçues pour garantir que les émotions, les pensées et les réactions
corporelles du patient évoluent pour aboutir à un état sain. Il y a de
nombreuses procédures à chaque phase et des protocoles spécialisés pour
divers problèmes. Les cas que vous avez lus dans ce livre ont été rapportés
par des cliniciens bien formés, qui se sont servi des procédures de
retraitement que les recherches ont testées et validées. Il est important que
le thérapeute que vous choisirez fasse de même.
Il est important de vous assurer que votre thérapeute a suivi une
formation approuvée par l’association professionnelle EMDR de votre pays.
Les organisations figurant sur la page suivante tiennent des listes de
thérapeutes qui vous serviront pour en trouver un dans votre région. Il est
important de vérifier leurs références, car certains peuvent avoir, sans le
savoir, suivi une formation de qualité inférieure aux standards reconnus. Par
exemple, aux États-Unis, on trouve des formations qui ne font qu’un tiers
de la longueur de l’enseignement approuvé.
L’EMDR ne doit être pratiquée que par un clinicien diplômé (ou
supervisé) spécifiquement formé à cette forme de thérapie. Prenez le temps
d’interroger les cliniciens que vous avez en vue. Assurez-vous qu’ils ont la
formation requise en EMDR (la formation de base fait au minimum six
jours entiers, avec des temps de supervision) et qu’ils se tiennent au courant
des derniers développements de la technique. Comme dans toute forme de
thérapie, il est également important d’évaluer d’autres facteurs. Choisissez
un clinicien expérimenté en EMDR et avec un bon taux de réussite.
Assurez-vous qu’il soit à l’aise avec le traitement de votre problème
particulier. En outre, il est important que vous ayez un sentiment de
confiance et un bon lien avec lui. Voyez autant de psychothérapeutes que
nécessaire pour en trouver un qui ait de solides connaissances et avec lequel
vous vous sentirez bien. C’est l’interaction entre un thérapeute, un patient et
la thérapie qui fait le succès du traitement.

LES QUESTIONS À LUI POSER

1. Avez-vous achevé la formation approuvée par l’organisme


professionnel EMDR ?
2. Vous êtes-vous tenu informé des derniers protocoles et
développements de la technique ?
3. Utilisez-vous la totalité des huit étapes telles qu’on les
enseigne dans les formations approuvées, et telles que les
études les ont validées ?
4. Combien de patients ayant ma difficulté ou mon trouble
particuliers avez-vous traités ?
5. Quel est votre taux de réussite avec les patients présentant
ces problèmes ?

Formations à la thérapie EMDR

L’INSTITUT D’EMDR

Depuis que je l’ai fondé en 1990, l’Institut d’EMDR a formé plus de


60 000 cliniciens dans le monde. L’Institut gère le répertoire international
de cliniciens formés dans les instituts agréés, on n’y forme que des
professionnels de santé mentale qualifiés, suivant les standards
professionnels les plus stricts. Les formations autorisées par l’Institut
affichent son logo. C’est maintenant l’un des nombreux organismes de
formation approuvés par l’EMDRIA.

ASSOCIATION INTERNATIONALE D’EMDR (EMDRIA)


L’Association internationale d’EMDR est une organisation
professionnelle de thérapeutes et de chercheurs formés à l’EMDR, qui se
consacre, pour le bien public, au développement des standards les plus
élevés d’excellence et d’intégrité dans la recherche, la pratique et la
formation en EMDR, aux États-Unis.

EMDR CANADA

EMDR Canada est une organisation sœur d’Amérique du Nord, qui


tient un répertoire des cliniciens canadiens formés. Rendez-vous sur
www.emdrcanada.org ou envoyez un mail à info@emdrcanada.org.

Toutes les organisations multinationales ci-après emplissent une


fonction similaire à celle de l’EMDRIA, en tant qu’organisme professionnel
de surveillance de leurs régions respectives. Elles se consacrent au
développement des standards les plus élevés d’excellence et d’intégrité dans
la recherche, la pratique et la formation en EMDR.

ASSOCIATION ASIATIQUE D’EMDR

C’est l’organisation dirigeante pour toutes les associations EMDR


nationales, à travers toute l’Asie, ainsi que l’Australie et la Nouvelle-
Zélande. On trouvera les liens vers les associations nationales sur le site
www.emdrasia.org ou en envoyant un mail à l’adresse
emdrasia@gmail.com.

ASSOCIATION EUROPÉENNE D’EMDR


C’est l’organisation dirigeante pour toutes les associations EMDR
nationales européennes, avec en plus la Turquie et Israël. On trouvera les
liens vers les associations nationales sur le site Web. Chacune des
associations nationales tient une liste de membres qui ont été formés selon
les standards accrédités. Voyez le site www.emdr-europe.org ou envoyez un
mail à l’adresse info@emdr-europe.org.
Les pays francophones. Pour la France, rendez-vous sur
http://www.emdr-france.org ; pour la Belgique, http://www.emdr-
belgium.be ; pour la Suisse http://www.iip.ch

ASSOCIATION LATINO-AMÉRICAINE D’EMDR

C’est l’organisation dirigeante pour toutes les associations EMDR


nationales d’Amérique latine. Chacune des associations nationales tient une
liste de membres qui ont été formés selon les standards accrédités. On
trouvera les liens vers les associations nationales sur le site
www.emdriberoamerica.org ou par mail à l’adresse
info@emdriberoamerica.org.

EMDRIA LATIN-AMERICA

On trouvera une liste d’autres thérapeutes sur leur site :


www.emdr.org.ar
Les programmes EMDR d’assistance humanitaire
(HAP)

HAP, organisme à but non lucratif, est un réseau de cliniciens qui vont
là où il faut mettre fin à la souffrance émotionnelle et empêcher les
séquelles psychologiques des traumatismes ou de la violence. HAP a reçu
en 2011 le Sarah Haley Memorial Award for Clinical Excellence de la
Société internationale d’étude du stress traumatique (ISTSS). Il a pour
objectif de rompre le cycle de la souffrance qui ruine des vies et détruit des
familles.
Le modèle HAP met l’accent sur la formation et l’apport de soutien
professionnel aux cliniciens locaux pour poursuivre le travail de soins. Ce
modèle centré sur la formation a plusieurs avantages. En enseignant
l’EMDR aux thérapeutes locaux, nous leur fournissons un outil efficace de
traitement des effets émotionnels du trauma. Les professionnels appartenant
à la communauté affectée ne sont pas remplacés par des thérapeutes
étrangers ; on leur apporte au contraire une ressource importante, qu’ils
utilisent quand et comme ils le jugent utile. Les réactions au trauma sont
parfois différées dans le temps, et les personnes essaient souvent de
résoudre leurs difficultés par elles-mêmes avant de demander de l’aide à un
professionnel : la formation de cliniciens locaux permet de s’assurer que,
lorsqu’elles viendront demander de l’aide, on pourra répondre à leurs
besoins. De cette façon, l’efficacité du traitement psychologique du trauma
va bien au-delà des paramètres d’un événement unique.
HAP propose une formation à l’EMDR à très faible coût, sur place, à
des thérapeutes qui travaillent dans des organismes publics ou dans des
organisations à but non lucratif. Les organisations américaines ou
internationales qui souhaitent sponsoriser ces formations peuvent contacter
HAP directement.
Outre les formations, le réseau HAP de traitement du trauma
coordonne des cliniciens pour traiter les victimes et les intervenants des
services d’urgence après des crises comme l’attentat d’Oklahoma City ou
les attaques terroristes du 11 Septembre.
Depuis l’attentat d’Oklahoma City, en 1995, un réseau de plus en plus
large de volontaires EMDR-HAP a répondu aux appels à l’aide en
provenance du monde entier, que ce soit après l’ouragan Katrina, les graves
inondations du Dakota du Nord, des tremblements de terre en Turquie, en
Inde, en Chine et en Haïti, des ouragans ou des inondations dans toute
l’Amérique latine, ou des éruptions volcaniques et des tsunamis en Asie.
Nous avons tendu la main à des communautés traumatisées par la guerre et
le terrorisme en Palestine et en Israël, en Croatie et en Bosnie, en Irlande du
Nord et au Kenya, et à celles que des épidémies avaient dévastées en
Éthiopie. Nous avons aidé à combler les manques dans les services de santé
mentale, en ville, de Bedford-Stuyvesant à Oakland, ou pour des
populations mal desservies, dans des communautés rurales ou de banlieue,
dans des réserves indiennes, en Hongrie, en Pologne, en Chine, en Afrique
du Sud, en Ukraine, au Mexique, au Nicaragua, au Salvador, etc. Nous
avons traité, formé, préparé les soins à venir dans les suites du crash de la
TWA, des massacres de Columbine et de Dunblane, en Écosse, et des
attaques terroristes du 11 Septembre sur New York et Washington.
De manière générale, les volontaires d’EMDR-HAP donnent au moins
une semaine par an de leur temps pour faire des thérapies ou donner une
formation, pour rendre le traitement accessible à des personnes qui
souffrent mais qui peuvent au moins s’offrir financièrement la thérapie.
Cependant, il faut des dons pour faire venir les thérapeutes là où on en a le
plus besoin. Si des formations individuelles en Asie, dans les Balkans et en
Afrique ont été co-sponsorisées par des organisations comme les
International Relief Teams ou les Catholic Relief Services, la plupart sont
soutenues exclusivement par des dons individuels.
Pour en savoir davantage sur HAP et sur ce que nous avons réalisé,
visitez le site HAP américain (www.emdrhap.org) et le site d’HAP-France
(http://hap-france.blogspot.fr).
Les dons à HAP sont partiellement déductibles des impôts.
Bibliographie succincte

La bibliographie en langue anglaise sur l’EMDR est très volumineuse. Nous


nous contentons de suggérer ici quelques titres essentiels, en français.

Jacques ROQUES
EMDR
Une révolution thérapeutique
La Méridienne-Desclée de Brouwer, 2004

Jacques ROQUES
Guérir avec l’EMDR
Traitement, théorie, témoignages
Éditions du Seuil, 2007

Jacques ROQUES
Découvrir l’EMDR
Bouger les yeux pour guérir
Marabout Poche, 2013

David SERVAN-SCHREIBER
Guérir le stress, l’anxiété et la dépression
sans médicaments ni psychanalyse
Pocket 2011

Francine SHAPIRO
(avec Margot Silk FORREST)
Des yeux pour guérir
EMDR : la thérapie pour surmonter
l’angoisse, le stress et les traumatismes
Seuil, 2005

Francine SHAPIRO
Manuel d’EMDR
Principes, protocoles, procédures
InterÉditions, 2007

(sous la direction de)


Francine SHAPIRO, Florence Whitheman KASLOW
et Louise MAXFIELD
EMDR et Thérapies familiales
Manuel pratique
InterÉditions, 2013

Vous aimerez peut-être aussi