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Sans une histoire, sans une rencontre, notre liberté n'aurait pas perçu Jésus-Christ
comme un bien pour elle, comme l'idéal et comme le destin, comme ce qui doit la
guérir de sa volonté timide et obstinée dans le désarroi.
« Marthe désespérée à cause de la mort de son frère, dit à Jésus : “Seigneur, si tu
avais été là, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant, je sais que tout ce que tu
demanderas à Dieu, Dieu te l'accordera”. Jésus lui dit : “Je suis la Résurrection et la Vie.
Qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra
jamais. Le crois-tu ?” » (Jn 11, 21-26)
identique à lui : idéal et destin. Parce que la possibilité de carrière qui a brillé devant
moi m'a été donnée : l'idéal, c'est le destin. Parce que le visage de la femme furtive-
ment entrevu dans le tramway, qui a provoqué en moi un frémissement, m'a été
donné : l'idéal qui a été éveillé en moi s'appelle donc destin. Ce qui éveille mon geste
– mon affection, mon intérêt, ma curiosité –, c'est le destin. En tant qu'il éveille mon
intérêt, le destin s'accroche à mon cœur, l'idéal ne peut pas être le terme d'un dis-
cours – le contenu d'une imagination que j'ai eue avant de m'endormir ou d'un dis-
cours fait de mots, éventuellement soutenu par des citations poétiques –, mais le fait
d'avoir à côté de moi quelque chose d'humain, une personne ou, mieux, une pré-
sence.
Le mot “idéal”, qui rattache le destin au frémissement du cœur, n'est pas un dis-
cours, c'est avoir à côté de soi une réalité humaine. Un idéal ne s'identifie qu'à
quelque chose qui est déjà, autrement ce n'est pas un idéal (le rêve est donc l'exact
opposé de l'idéal et laisse vide).
On ne met en jeu un idéal que pour quelque chose qui est déjà. On ne peut en ef-
fet investir la liberté que pour quelque chose qui est déjà. Par exemple : « En jouant
toujours au loto les numéros 3, 7, 29, 42, je pourrais gagner mille milliards d'ici un
million d'années ! » Seul un fou pourrait investir sa liberté dans cette hypothèse. La li-
berté est pour quelque chose qui est déjà. En effet, la liberté est liée au bien, c'est
une « volonté du bien », et le bien est la satisfaction de l'intérêt, l'accomplissement
de l'exigence du cœur.
Idéal et destin se relient donc à une présence, autrement ce sont des mots totale-
ment vides, pure logorrhée. Percevoir ou pressentir l'idéal et le destin ne signifie
donc pas imaginer, inventer ou prédéterminer, mais avoir à ses côtés quelque chose
d'humain, une présence. La question que nous ont posée plusieurs fois quelques an-
ciens terroristes, le montre bien : « Qu'est-ce qui vous fait continuellement renaître,
être de nouveau ? Qu'est cette chose qu'il y a parmi vous, qui vous a fait être avant et
vous fait être à présent, alors que nous, nous étions avant, mais nous ne sommes
plus maintenant ? » Je désire répondre à l'interrogation – qui nous met en rapport
avec le centre de tout le problème – par cet extrait d'une lettre : « Grâce à cha-
cun de vous, rencontrer Jésus-Christ a été donner un nom à ce quelque chose de
plus que j'ai vu en vous ». C'est-à-dire : grâce à chacun de vous, j'ai pu savoir le nom
de ce quelque chose de plus que j'ai vu en vous : Jésus-Christ. Mais cela est le
contenu implicitement admis et sous-entendu par la question des terroristes : «
Qu'est cette chose qu'il y a parmi vous, qui vous a fait être auparavant et qui vous fait
être encore maintenant ? » Pour l'athée ou l'irreligieux également, ce qui nous tient
ensemble est visible. Et cela peut être visible sans qu'il en lise le nom, sans qu'il en
comprenne le visage.
2. « Le crois-tu ? »
Ici tombe à point nommé la question rappelée par l'affiche pour la fête de Pâques
de cette année 1 : « Le crois-tu ? » (Jn 11, 21-26). Car même la face la plus égarée
parmi nous ne pourrait nier le phénomène qui s'est produit ces dernières années et
Une histoire particulière (D.G.I.02.3) – A.17 –
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l'idéal – ce pour quoi nous sommes faits et ce pour quoi nous marchons – comme ré-
alité présente parmi nous, la première condition qu'il faut remplir, c'est donc la li-
berté. S'il s'agit du destin et de l'idéal qui brillent, fût-ce confusément, parmi nous,
c'est la liberté qui doit adhérer. Mais elle peut ne pas adhérer ! Quelle est l'objection
qui, normalement, décourage la liberté ? Que l'adhésion soit pleine de complica-
tions, qu'on exige je ne sais quoi pour adhérer à ce « quelque chose de plus grand »
qui est parmi nous : Jésus-Christ. Il y a alors, à ce sujet, deux observations impor-
tantes à faire.
dernier répondit : « Oui, tu le sais », lui le pauvre malheureux qui venait juste de le
trahir et qui aurait pu le trahir encore d'un moment à l'autre. Mais le fond du cœur de
Pierre criait : « Viens ! », je peux te trahir mille fois, mais je te dis : « Viens ! ». La
demande est tellement le premier mouvement de la liberté qu'elle est indépendante
de toutes les conditions où nous nous trouvons. Le oui qu'elle exprime est plus pro-
fond que n'importe quelle erreur.
Face à ce « quelque chose » qu'il y a entre nous, qui est plus grand que tout autre
intérêt, face à la présence du destin et de l'idéal que nous avons appris, un peu timi-
dement, à appeler du nom de Jésus-Christ (« Celui qui est parmi nous »). Face à cela,
la liberté n'a pas besoin d'armures et de conditions particulières pour se dé-
ployer. Son premier mouvement, et même son seul vrai mouvement, c'est le cri du
pauvre, l'acte du mendiant. Car l'homme « est » pauvre, et sa seule richesse est le cri
du mendiant : « Viens ! », qui est libre de toutes les conditions. Je pourrais être plus
délinquant que je ne suis, et pourtant, comme saint Pierre, répondre au Christ : « Oui,
tu le sais que je T'aime », tout en étant rempli de mal et de possibilités de mal. La de-
mande : « Viens ! » est un oui plus profond que tout. « Le crois-tu ? » Le premier fac-
teur mis en jeu est donc notre liberté, un oui qui est une demande : « Viens ! »
La seconde condition, c'est donc “une” histoire. Sans cette histoire, à savoir sans
cette rencontre (ou ces rencontres), notre liberté n'aurait pas perçu Jésus-Christ (ce «
quelque chose de plus grand ») comme un bien pour soi, comme l'idéal et le destin
propre, comme ce qui doit la guérir de sa timide et en même temps opiniâtre vo-
lonté d'égarement.
Une histoire est une compagnie en chemin. C'est une rencontre et c'est donc une
compagnie en chemin. Car ce qui ne reste pas et ne dure pas n'est pas une rencontre,
c'est seulement la tangence violente d'un grain de poussière contre un autre grain,
dans le nuage de poussière soulevé par le vent. Notre histoire « est » notre compa-
gnie ; une compagnie où se poursuit la grande compagnie de ce qui est parmi nous,
de Celui qui est parmi nous, de ce « quelque chose de plus grand », de l'idéal et du
destin : Jésus-Christ.
La présence que l'on rencontre, que l'on perçoit et que l'on pressent à l'intérieur de
cette compagnie et de cette histoire, nous change sans que nous nous en aperce-
vions, alimente notre action en la rendant différente, capable de défier les conditions
intérieures et extérieures, de défier le temps. La réalité présente et évidente parmi
nous, dans la compagnie, nous rend différents et nous fait rester fidèles. Et la fidélité
devient le commencement d'une connaissance nouvelle, c'est-à-dire d'une percep-
tion, d'une sensibilité, d'une estimation et d'un jugement nouveaux.
Notre compagnie est donc le lieu où le oui personnel de la liberté (« Le crois-tu ? »)
devient possible. Cela veut dire : la condition première pour dire oui est la liberté
comme soif de bonheur et d'accomplissement, c'est la liberté comme pressentiment
de vérité et de correspondance qui a surgi en nous en restant ensemble (autrement,
rester ensemble eût été déraisonnable). Mais la compagnie, à savoir “une” histoire
faite de rencontres, est le lieu où ce oui de la liberté (en réponse à la demande du
Christ) devient possible (je serais donc un imposteur dans cette compagnie, je men-
tirais à moi-même si je ne prononçais pas ce oui).
l'Esprit qui me suggère l'élan de l'affectivité, le premier pas de la liberté (cf. Rm 8, 19-
27 et aussi 1 Co 2, 1-16).
Qu'est-ce qui mobilise la réalité, le soleil, la terre, mais aussi toutes les actions et
tous les événements, et qui dissout le grouillement autrement absurde des situa-
tions, qui le rend lumineux au point de le faire devenir route, indication, chemin pour
chacun de ceux qui reconnaissent Jésus-Christ, chacun de ceux qui disent : « Oui, je
crois » (pour celui qui dit « oui, je crois », tout le grouillement si contradictoire des cir-
constances devient une route) ? Qui est-ce qui mobilise ainsi l'histoire ? C'est l'Esprit
du Christ, l'énergie avec laquelle Jésus-Christ, pénétrant le temps et l'espace, porte,
est en train de porter le monde vers son destin qui est Lui-même, Sa manifestation
finale (cf. Ep 1, ou bien la puissante tendresse de Jn 15, 26-27, ou la clarté du juge-
ment en Jn 16, 5-15). C'est pourquoi l'Esprit est appelé Créateur ou Vivificateur. La
merveilleuse séquence du Veni Sancte Spiritus décrit la Source Vivante et mysté-
rieuse dont notre vie tire sa vibration jusqu'à devenir pensée développée, frémisse-
ment affectif, œuvre. Car ce n'est pas de nous que la liberté, comme affection et ad-
hésion au vrai, ou qu' « une histoire » comme compagnie où le sens de moi-même
est véhiculé (je serais littéralement perdu, quant au sens de ma vie, sans cette com-
pagnie), ce n'est pas de nous que toutes deux naissent, mais de l'Esprit. Elles sont es-
sentiellement don de l'Esprit. Ce qui nous arrive nous est donné. Aussi l'Esprit, Jé-
sus-Christ, l'appelle-t-il également le Consolateur : non celui qui efface les conditions
où nous sommes, mais celui qui rend la vie pleine de solatium, pleine de joie, la vie
avec ses conditions. La joie est le pressentiment de l'accomplissement.
que Dieu est avec nous, que Jésus-Christ est Dieu, c'est que dans cette appartenance,
tout concourt au bien, tout devient route vers Jésus-Christ, même le mal, même mon
mal. Et cela est plus grand que créer à partir de rien, tout cela est divin.
Les trois dernières conséquences déterminent notre anthropologie : vivre le senti-
ment de soi comme gratitude, la conscience de soi comme appartenance, et le rap-
port avec n'importe quelle chose comme un bien.
C'est jusqu'à ce point que mûrira, que deviendra grand le oui et qu'il s'identi-fiera à
l'horizon du monde. Tout cela est seulement divin, la gratitude est divine. La recon-
naissance de son appartenance par chacun n'est rendue possible que par la pré-
sence du divin. Que tout coopère au bien, seul le divin à la puissance n, c'est-à-dire
un divin Rédempteur, Jésus-Christ, peut le rendre possible.