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Année académique 2022-2023

Xavier Van Rooyen – Architecte, Docteur en architecture


Une théorie de la pièce

1/ De la distribution à la composition
2/ Le parti
Une théorie de la pièce

« Le premier but de l’architecture est de clôturer l’espace ; la plus simple


forme d’un bâtiment sera donc une seule pièce. La pièce est le noyau et le
point de départ de la composition architecturale. […] L’arrangement des
pièces dans une séquence et un ordre logiques peut être alors considéré
comme le premier objet de la composition architecturale. Leur harmonieuse
combinaison avec les vestibules nécessaires, les circulations, les cours et les
autres éléments en un tout unifié est la fin ultime de la composition. Concevoir
est combiner les éléments, la pièce étant l’un d’entre eux ». (Curtis, 1923)
Une théorie de la pièce

A partir du XVIII° siècle, dans les traités d’architecture, les mots distribution et
disposition, puis composition sont couramment employés.

Distribution et régularité des pièces


En 1737-1738, Jacques- François Blondel publie De la distribution des maisons
de plaisance et de la décoration des édifices en général. Il aborde la manière
française de traiter l’intérieur, alors que la « manière italienne » est
attentive au dehors.
Les architectes français se disent spécialistes de la distribution. A ce propos,
Marc-Antoine Laugier disait : « rendons justice à nos Artistes : la distribution
est une partie qu’ils possèdent au souverain degré ».
Une théorie de la pièce

Projet d’un plan au rez de chaussée pour la Maison de Mr. Le Marquis de Villefranche à Avignon du Dessein de François Franque Architecte du Roy;
Planche XXVI of the Recueil de planche sur les sciences, les arts libéraux et les arts mécaniques, avec leur explication; 1762
Une théorie de la pièce

Pour Blondel, la distribution intérieure des bâtiments s’attachent à deux choses :


1/ la distribution déterminant la répartition des avant-corps, des pavillons, des
arrière-corps.
2/ la division des pièces qui composent l’intérieur des appartements.

(Blondel, 1773)
Une théorie de la pièce

Division de pièces intérieures en 3 catégories :


1/ pièces de nécessité
2/ pièces de commodité
3/ pièces de bienséance

Ces pièces sont donc les vestibules, les salons, les antichambres, les salles de
compagnie, les salles d’assemblée, les cabinets, les chambres de parade,
les galeries,…
Elles répondent donc à un usage (notamment dans les hôtels particuliers
français)

Ces pièces s’enchaînent par des enfilades.


Une théorie de la pièce

Château de Bellevue, 1750


Une théorie de la pièce

Hôtel de la Vrillère Paris,1640


Une théorie de la pièce

Plan palais Pitti à Florence, 1446


Une théorie de la pièce

Palais Pitti à Florence, 1446


Une théorie de la pièce

« Le principal objet de la disposition intérieure d’un édifice, est d’observer,


que les enfilades les plus essentielles s’alignent les unes avec les autres, de
manière, que, des pièces de parade et celles de société, on puisse, non
seulement jouir de toute l’étendue de l’intérieur du bâtiment et de ses
dehors, mais aussi de sa profondeur ».
(Blondel, 1773)
Une théorie de la pièce

Plan du château de Versailles 1634


Une théorie de la pièce

Plan du château de Versailles 1634


Une théorie de la pièce

Plan du château de Versailles 1634


Une théorie de la pièce

Plan du château de Versailles 1634


Une théorie de la pièce

Pièces du château de Versailles 1634


Une théorie de la pièce

Pièces du château de Versailles 1634


Une théorie de la pièce

Pièces du château de Versailles 1634


Une théorie de la pièce

Galerie des glaces 1634


Une théorie de la pièce

Pièces du château de Versailles 1634


Une théorie de la pièce

La mise en relation des pièces par enfilades va de pair avec une mise en
symétrie de chacune des pièces individuelles. Blondel ajoute que « par la
symétrie, l’on entend la régularité respective des corps mis en opposition,
les uns vis-à-vis des autres ». Un plan articule donc des pièces de
configurations géométriques diverses, mais régulières (des carrés, des
rectangles, des cercles, des ovales, des octogones,…).

Pour Nicolas Le Camus de Mézières (1721-1789), il est important aussi


d’accompagner les enfilades de pièces par une augmentation progressive
du niveau d’ornementation.
Une théorie de la pièce

Hôtel Thélusson, Claude-Nicolas Ledoux, 1770-1778


Une théorie de la pièce

Pour d’autres architectes et théoricien de l’époque, comme Antoine-Chrysotome


Quatremère de Quincy, le palais Massimo alle Colonne de l’architecte
Baldassare Peruzzi (1481-1536) est une composition magistrale
synthétisant les propos que ci-avant.
« Le plan est d’une adresse stupéfiante. Rien n’y paraît irrégulier ; et chaque
élément a bien la dimension qui lui convient sans qu’il soit possible de
deviner nulle part que l’architecte ait eu à vaincre la moindre difficulté ;
c’est une composition magistrale ».
(Georges Gromort, 1922)
Une théorie de la pièce

Plan du palais Massimo


alle Colonne de
l’architecte Baldassare
Peruzzi, Rome, 1818
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La disposition
Selon Quatremère de Quincy, la « disposition offre une acception si générale
et si illimitée, qu’on pourrait ramener à cet article toute la théorie de
l’architecture », tandis que la distribution concerne « la division, l’ordre et
l’arrangement des pièces qui forment l’intérieur d’un édifice ».

Durand attribue lui aussi une signification générale à la disposition.


Pour ce dernier, « la disposition est le principal objet de l’architecture »
(Durand, 1802)

Pour Durand, la distribution est l’art de composer des bâtiments particuliers. La


disposition est l’art de composer les bâtiments publics.
Une théorie de la pièce

Composition
La première édition du Dictionnaire de l’Académie française, donnait en 1694
du mot « composer », la définition suivante : « Former, faire un tout de
l’assemblage de plusieurs parties »

En 1819, Durand, dans son premier volume du Précis des leçons d’architecture,
nous dit qu’il « s’est attaché surtout à la partie de la composition, qui chose
étonnante, n’avait jamais été traitée dans aucun ouvrage, ni aucun traité ».
Une théorie de la pièce

La question de l’unité est attachée à celle de la composition. En architecture,


les parties concourent à la fabrication d’un tout qu’et le bâtiment, ces
parties étant indissociables et en harmonie.
Une théorie de la pièce

Une telle conception s’illustre depuis la Renaissance.


Dans son De re aedificatorio, Alberti précise : « la beauté est l’harmonie,
réglée par une proportion déterminée, qui règne entre l’ensemble des
parties du tout auquel elles appartiennent, à telle enseigne que rien ne
puisse être ajouté, retranché ou changé sans le rendre moins digne
d’approbation ».
(Alberti, 1485)

Palladio ajoute en 1570, que « la beauté découlera de la belle forme, à


savoir de la correspondance du tout aux parties, des parties entre elles et
de celles-ci au tout : si bien que les édifices apparaissent un corps entier et
bien fini, où chaque membre convient à l’autre ».
Une théorie de la pièce

Villa Rotonda, Palladio, Vicenza, 1571


Une théorie de la pièce

Villa Rotonda, Palladio, Vicenza, 1571


Une théorie de la pièce

Principe de composition et symétrie

Villa Rotonda, Palladio, Vicenza, 1571


Une théorie de la pièce

Villa Rotonda, Palladio, Vicenza, 1571


Une théorie de la pièce

Les parties sont donc subordonnées au tout.


Cette conception sera maintes fois réaffirmée jusqu’au milieu du XX° siècle.
En 1867, Charles Blanc dans La Grammaire des arts du dessin parle d’unité
qu’on ne peut pas rompre. Pour lui, « une architecture a de l’harmonie
lorsque tous ses membres sont tellement liés entre eux qu’on n’en peut
retrancher ou transposer un seul sans rompre l’unité de l’édifice ».
Emmanuel Pontremoli (1865-1956), l’un des plus importants professeurs
d’atelier à l’Ecole des beaux-arts jusqu’à la moitié du XX° siècle, affirme
que « composer, […] c’est disposer les différentes parties d’un édifice
quelconque de telle façon que l’interdépendance de chacun des éléments
en fasse un corps organisé et où chacun d’eux soit à une si juste place que
rien ne paraisse pouvoir être modifié, changé, sans ruiner complètement
l’équilibre de la composition ».
Une théorie de la pièce

En 1935, Auguste Perret ne dit pas autre chose : « On reconnaîtra qu’un


édifice et bien composé à ce qu’il ne sera pas possible d’y retrancher ni
d’y ajouter quoi que ce soit sans le mutiler ».

En 1955, André Lurçat ajoute que « composer consiste à grouper selon un


mode harmonique, afin d’en faire un tout homogène, des éléments
disparates tant par leur fonction que par leurs dimensions et leur
configuration ».
Une théorie de la pièce

De 1786 à 1790, les architectes Percier et Fontaine vont à Rome pour étudier
les maisons de plaisance. Leur recueil remet au goût du jour l’importance
de l’enfilade, mais surtout la symétrie du plan.
Ce dont il est question, c’est la préoccupation de la composition d’un plan, fait
d’une suite symétrique de pièces, que celles-ci soient d’habitation, des cours
ou des jardins clos.
Une théorie de la pièce

Villa Giulia, Rome, 1553


Une théorie de la pièce

Villa Giulia, Rome, 1553


Une théorie de la pièce

A l’instar des pièces qui forment la suite symétrique d’une habitation comme la
villa Giulia, les contrastes doivent créer la diversité du paysage intérieur d’une
habitation, ce que précise une nouvelle fois Léonce Reynaud dans son traité
d’architecture : « les pièces, notamment les salons, affectent diverses formes ;
la plupart sont rectangulaires, mais il en est d’ovales, de circulaires et de
polygonaux, qui produisent de forts bons effets. Quand plusieurs salons se
suivent, il convient de varier leurs formes ou du moins le sens dans lequel se
présentent ceux qui sont rectangulaires ».
Cette enfilade de salons met en lumière la nécessaire variété de pièces, en
correspondance avec leur programme est spécifique.
Julien Guadet confirme cette nécessaire variété. Pour lui, « dans une succession
de salons, il faut chercher la variété : variété de formes et de décoration ». Le
salon, la pièce implique donc une spécificité, notamment fonctionnelle, mais
aussi ornementale.
Une théorie de la pièce

Palais Thiene, Vicenza, 1542


Une théorie de la pièce

Palais Pitti à Florence, 1446


Une théorie de la pièce

Palais Pitti à Florence, 1446


Une théorie de la pièce

Palais Pitti à Florence, 1446


Une théorie de la pièce

La notion de parti

Le parti « est le choix raisonné et exprimé le plus clairement possible de la


disposition d’ensemble adoptée ; en fait qu’il s’agisse de la façade ou d’un plan,
c’est ce qui détermine la composition ». (Gromort)

Le parti que nous prenons de « donner à l’ensemble telle ou telle masse, à ses
éléments principaux tel groupement plutôt qu’un autre ».

Le parti naît donc du choix de l’élément dominant. Autour de cette dominante, qui
est par exemple un hall pour une banque, la cour d’exercices pour une caserne, le
vestibule pour une gare, etc., viendront graviter les dominances
d’accompagnement, s’il en existe. Ces dominantes sont à leur tour environnées de
parties satellitaires et chaque ensemble constitue une masse. De la loi de
répartition, du balancement de ces masses, naît le parti ». (Umbdenstock, 1930)
Une théorie de la pièce

(Umbdenstock, 1930)
Une théorie de la pièce

Les architectes insistent sur la prévalence du plan. En 1884, le Dictionnaire de


l’Académie des beaux-arts mettait en exergue cette primauté du plan qui
opérait à cette époque. De la sorte, le plan « concilie toutes les exigences du
programme ; c’est le plan qui contient la pensée créatrice de l’architecte ».
Dictionnaire de l’Académie des beaux-arts, Tome IV, Firmin-Didot, Paris, 1884,
« Composition », p.205
Une théorie de la pièce

Du dehors, le foyer, la salle, la scène, toutes les parties constitutives de


l’ensemble se révèlent dans leurs forme snécessaires ; au-dedans, toutes les
nécessités sont abordées franchement, sans subterfuges ».
(Julien Guadet, 1899)

Charles Garnier, décrivant son projet, dira : « au premier plan, en avant, la


masse des vestibules et des escaliers ; au second plan, presque au centre du
monument, la grande coupole de la salle franchement dessinée ; puis ensuite le
grand comble ou pignon de la scène, immense, développé, arrêtant les
regards et faisant, pour ainsi dire, le fond du tableau ».
Une théorie de la pièce

Principe de hiérarchie
Une théorie de la pièce

Gromort nous parle de la hiérarchie compositionnelle de la sorte :


« Je pense qu’il n’est pas inutile d’indiquer par quelques exemples la nature
de ces principes fondamentaux ; ils surprendront par leur simplicité. On
s’efforce notamment :
-d’assurer l’unité en faisant dominer nettement l’élément principal ;
- de sacrifier par suite le plus possible les éléments secondaires pour résoudre
le plan à sa plus simple impression […]
- d’éviter les égalités entre les éléments qui ne sont pas identiques ;
-De ne pas admettre qu’un local ou une circulation ne soient pas éclairés
directement […] ;
- d’orienter franchement, chaque fois qu’on le pourra, toute la composition vers
le sens où l’horizon est le plus étendu, en ouvrant de plus en plus les corps de
bâtiment ».
Une théorie de la pièce

L’Opéra Garnier est unanimement reconnu comme remarquable, notamment au


niveau de son plan. Pour Gaudet, l’opéra est d’ »une beauté magistrale de
composition » dotée d’un plan « exceptionnel ».

Qu’est-ce qu’un plan exceptionnel ?


Une théorie de la pièce

Opéra de Paris,
Charles Garnier,
1875
Une théorie de la pièce

Opéra de Paris, Charles Garnier, 1875


Une théorie de la pièce

Opéra de Paris,
Charles Garnier,
1875
Une théorie de la pièce

Pour Etienne-Louis Boulée (1728-1799), « il est des sujets en poésie, en peinture,


comme en architecture, plus ou moins favorables : en architecture par exemple,
un théâtre, un cénotaphe, un temple, sont des sujettes marqués, par conséquent
susceptibles d’être saisis et caractérisés par une main habile. Les sujets stériles
sont ceux d’habitations ; on parvient à les faire distinguer que par un peu plus
ou moins de richesses, mais il est difficile d’y introduire de l’architecture. »

Cénotaphe = tombeau élevé à la mémoire d'un mort et qui ne contient pas son
corps
Une théorie de la pièce

Cénotaphe de Newton, Etienne-Louis Boulée, 1784


Une théorie de la pièce

Cénotaphe de Newton, Etienne-Louis Boulée, 1784


Une théorie de la pièce

Architecture without architects


Habitat modeste
Une théorie de la pièce

Architecture without architects


Une théorie de la pièce

Architecture without architects


Une théorie de la pièce
Une théorie de la pièce

Les Trulli
Italie du Sud, Alberobello (±1300 PCN)
Une théorie de la pièce
Une théorie de la pièce

Les architectes du XIX° siècle se sont attachés à l’amélioration du confort des


hôtels particuliers. Il reste à le faire pour les habitations modestes.

Dans la même perspective, selon Léonce Reynaud (1803-1880), c’est au XIX°


siècle qu’incombera la tâche de loger les « petites fortunes », siècle qui
correspond à l’avènement de la bourgeoisie (après la Révolution
Française).

« C’est à notre époque qu’appartient l’honneur d’avoir mis l’Architecture au


service de tous, établi une judicieuse théorie des distributions, et introduit
l’élégance de la forme dans les plus modestes habitations ».
(Léonce Reynaud, 1963)
Une théorie de la pièce

Julien Guadet (1834-1908), professeur de théorie de l’architecture à l’Ecole


des Beaux-arts de 1894 à 1908, dans Eléments et théorie de l’architecture
commence d’ailleurs son cours par les bâtiments privés et domestiques.
« On peut dire que l’habitation moderne prend naissance avec le XVIII° siècle,
et Blondel, dans son traité d’architecture, dit, non sans fierté, que depuis
peu, une révolution s’était faite dans l’architecture des hôtels et maisons, au
point de vue surtout de la distribution. Et, en effet, de grands efforts ont été
faits alors pour substituer aux anciennes enfilades des distributions doubles
en profondeur, avec les dégagements indispensables à la liberté de
l’habitation. […] L’indépendance dans l’habitation, tel est le but poursuive
par les architecte du XVIII° siècle ».
(Julien Guadet (1901-1904)
Une théorie de la pièce

Plan maison du XVIII° siècle Bruxelles


Une théorie de la pièce

Plan de Paris, 1643


Une théorie de la pièce

Transformation de Paris par Haussmann


1852-1870
Une théorie de la pièce

Plan de Paris après les tra


d’Haussmann
Une théorie de la pièce

Transformation de Paris par Haussmann; 1852-1870


Une théorie de la pièce

Immeuble Haussmannien
Une théorie de la pièce

Immeuble Haussmannien
Une théorie de la pièce

Plan appartement type Haussmannien

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