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S P I R I T U ALI TE
Dans quelques jours, nous partirons en pèlerinage à Lisieux, dans les lieux où Sainte
de Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face, consacrée par saint Pie X comme "la
plus grande sainte des temps modernes" a vécu, nous confiant à la prière de celle qui
a voulu "passer son ciel à faire du bien sur la terre" (DE). Mettons-nous déjà en
chemin sur les pas de cette jeune carmélite, dont la vie offerte à Dieu en un abandon
confiant à son Amour, nous montre que "vivre d’Amour" (P 17) est une chose
humainement possible...
En octobre 1997, pour le centenaire de "l’entrée dans la vie" (LT 244) de Thérèse, Jean-
Paul II la proclamait "Docteur de l’Eglise universelle" : "Son itinéraire spirituel ardent
montre tant de maturité et les intuitions de la foi exprimées dans ses récits sont si
vastes et si profonds, qu’ils lui méritent de prendre place parmi les grands maîtres
spirituels. (...)Thérèse est maîtresse de vie spirituelle par une doctrine, à la fois simple et
profonde, qu’elle a puisée aux sources de l’Évangile sous la conduite du Maître divin et
qu’elle a ensuite communiquée à ses frères et sœurs de l’Église d’une manière très
convaincante." (DAS)
Comment cette jeune religieuse carmélite sans grande formation théologique, décédée
à 24 ans de la tuberculose, a-t-elle pu mériter ce titre honorifique, réservé à ceux (33
seulement, dont elle est la plus jeune) qui ont particulièrement bien compris et mis en
valeur le message de l’évangile ?
Bien avant, en 1927, Pie XI, l’avait proclamée “Patronne toute spéciale des
missionnaires, hommes et femmes, existant dans le monde”, titre qui lui était conféré
“ à l’égal de saint François Xavier, avec tous les droits et privilèges
correspondants.”(AAS 20, 1928). En effet, Thérèse qui n’était jamais sortie du Carmel,
avait pourtant le désir ardent d’être missionnaire. "Jésus lui montra de quelle manière
elle pourrait vivre cette vocation : en pratiquant en plénitude le commandement de
l’amour, en étant plongée dans le cœur même de la mission de l’Eglise, en portant les
hérauts de l’Evangile avec la force mystérieuse de la prière et de la communion." (Jean-
Paul II)
Depuis sa plus tendre enfance, Thérèse était douée d’une profonde vie intérieure et
d’une ouverture à la contemplation. "Je préférais m’asseoir seule sur l’herbe fleurie...
mon âme se plongeait dans une réelle oraison ... je comprenais qu’au ciel seulement la
joie serait sans nuage."(MA, 14v)
En 1882, à 10 ans, lorsque sa sœur Pauline entra au
Carmel, elle eut la certitude que "le carmel était le
désert dans lequel le Bon Dieu voulait que j’aille aussi
me cacher !" (MA, 26r). Et ce n’était pas pour elle une
fuite des souffrances et séparations que la vie lui
imposait, mais l’habitude de ne jamais dire non aux
désirs divins : "Je ne cessais de répéter au Bon Dieu que
c’était pour Lui tout seul que je voulais être carmélite"
(MA, 26 v)
Une nouvelle expérience mystique en juillet 1887, mena Thérèse de la crèche au pied
de la croix, où elle entendit le cri de Jésus : "J’ai soif !" "Ces paroles allumaient en moi
une ardeur inconnue et très vive... Je voulais donner à boire à mon Bien-Aimé et je me
sentais dévorée par la soif des âmes... celles des grands pêcheurs, je brûlais du désir de
les arracher aux flammes éternelles" (MA, 45v). Sa vocation était établie : "Sauver les
âmes" pour "consoler" le Christ.
Quelques jours avant son entrée, Thérèse explique à sa sœur Pauline, le fil conducteur
de son existence de religieuse. "Quand Jésus m’aura déposée sur le rivage béni du
Carmel je veux me donner tout entière à lui, je ne veux plus vivre que pour lui. ... Je ne
désire qu’une chose..., c’est de toujours souffrir pour Jésus" (LT 43B). Contemplant Jésus
sur la croix, elle a bien compris que c’est avec douleur que le Christ a conquis les âmes.
Elle désire s’associer au mystère de la croix, car "il y a plus d’amour au Calvaire qu’au
Thabor" lui a écrit son conseiller spirituel, le père
Pichon. "Oui, la souffrance m’a tendu les bras et je
m’y suis jetée avec amour" (MA 69v), confie
Thérèse.
" ... mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien
courte, une petite voie toute nouvelle. Moi je voudrais aussi trouver un ascenseur pour
m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la
perfection... et voici ce que j’ai trouvé : « Comme une mère caresse son enfant, ainsi je
vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous balancerai sur mes genoux ! »
(Is 66,12-13) ... L’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus !
Pour cela je n’ai pas besoin de grandir, au contraire il faut que je reste petite, que je le
devienne de plus en plus." (MC, 3r). Cet ascenseur n’est pas du ressort de l’homme, il
est le fruit de l’amour maternel de Dieu, une merveille de sa miséricorde.
Nécessaire humilité
Thérèse est bien consciente de la faiblesse humaine, et du fait que les efforts inutiles
sont décourageants. Elle conseille à une novice découragée : "Soutenez votre effort,
faites-vous petits et humbles comme un enfant, .... espérez envers et contre tout la
grâce de renoncer à ce qui n’est pas lui ". Elle reprend l’image de l’escalier, "Ne vous
imaginez pas que vous pourrez monter même la première marche ! ... le Bon Dieu ne
vous demande que de la bonne volonté... Bientôt, vaincu par vos efforts inutiles, il
descendra lui-même... " (CS). A sa sœur Céline, elle écrit : " Nous voudrions ne jamais
tomber ?… Qu’importe, mon Jésus, si je tombe à chaque instant, je vois par là ma
faiblesse et c’est pour moi un grand gain… Vous voyez par là ce que je puis faire et
maintenant vous serez plus tenté de me porter en vos bras. " (LT 89)
Comment parvenir à l’amour ? Thérèse répond par sa "petite voie bien droite",
l’ouvrant à la confiance. "Jésus viendra nous chercher, si loin que nous soyons il nous
transformera en flammes d’amour ... C’est la confiance, rien que la confiance qui doit
nous conduire à l’Amour" (LT 197).
Cette confiance, n’est possible que dans l’abandon filial. " Jésus se plaît à me montrer
l’unique chemin qui conduit à cette fournaise Divine, ce chemin c’est l’abandon du petit
enfant qui s’endort sans crainte dans les bras de son Père… " (MB, 1r). Cela même qu’a
vécu le Christ cherchant à "faire la volonté de celui qui m’a envoyé " (Jn 4, 34).
Charité concrète
Pendant son séjour à l’infirmerie du 8 juillet au 30 septembre 1897, elle manifeste une
vie étonnante et une gaieté communicative, malgré ses grandes souffrances : jeux de
mots, imitations, humour... ; en dépit aussi de sa nuit intérieure, qui lui fait douter du
ciel et lui fait connaître les pensées des pêcheurs. Mais toujours elle rend grâce " à
cause des délicatesses du bon Dieu " et "ne se repent pas de s’être livrée à l’amour ".
Ses dernières paroles, "Mon Dieu je vous aime ! " (DE), en font bien la martyre de
l’Amour qu’elle désirait être.
La prière de Thérèse
Elle est aussi supplication confiante, certaine d’être exaucée " Qu’elle est grande la
puissance de la prière ! On dirait une reine ayant à chaque instant accès auprès du roi et
pouvant obtenir tout ce qu’elle demande. " (MC, 25r) Sa prière fut aussi fidèle malgré la
sécheresse spirituelle qui dura toute sa vie au Carmel, et dont elle parlait peu, " Sept
années dans une oraison des plus arides " (CS ) confia-t-elle à sa sœur Céline.
C’est dans cet esprit que Thérèse arrive à la
retraite précédant sa profession religieuse du 8
septembre 1890. Sa prière est ardue, mais elle
" n’a qu’un désir, celui de se rendre au sommet
de la montagne de l’amour ". Et pour cela, elle
laisse Jésus la mener par le chemin qu’Il aime à
parcourir. "Pourvu qu’il soit content, je serai au
comble du bonheur ! ... Mon Fiancé ne me dit
rien et moi je ne lui dis rien non plus sinon que je
l’aime plus que moi, et je sens au fond de mon
cœur que c’est vrai car je suis plus à Lui qu’à
moi ! " (LT 110). L’essentiel de sa prière se passe
dans le silence et la paix, attentive aux désirs
de Dieu pour elle.
Thérèse n’était pas attachée à une forme de prière et n’aimait pas les prières toutes
faites, sauf le Notre Pèrequ’elle méditait souvent "C’est si doux d’appeler le Bon Dieu
notre Père" (CS).
Elle avait aussi une relation toute confiante à la Vierge Marie - "la douce Reine du Ciel
veillait sur sa fragile petite fleur " (MA, 27v)- dont le "ravissant sourire" l’avait guérie
d’une maladie nerveuse à 10 ans. Comme la Vierge dans le Magnificat, Thérèse
proclamait que Dieu seul est important, que ses dons sont gratuits, que la seule chose
qui convienne est de "commencer à chanter ce que je dois redire éternellement « Les
Miséricordes du Seigneur !!! »… " (MA, 2r)
Elle laissait jaillir son cœur à tout moment "Je crois bien que je n’ai jamais été trois
minutes sans penser au Bon Dieu... on pense naturellement à quelqu’un que l’on aime"
(CS) ; et recommandait la longueur et la ferveur.
Et, petit à petit, au cœur de sa prière, Dieu l’enseigne : " Ce bien aimé instruit mon âme,
Il lui parle dans le silence, dans les ténèbres... une parole de l’Évangile m’a montré une
vive lumière " (LT 135).
Thérèse a ainsi connu à plusieurs reprises de grandes grâces mystiques, comme celles
de ressentir le feu brûlant de l’Amour divin à la suite de son Acte d’offrande, participant
à l’amour trinitaire. " J’ai été prise d’un violent amour pour le Bon Dieu ... C’était comme
si on m’avait plongée toute entière dans le feu. Oh quel feu et quelle douceur en même
temps ! Je brûlais d’amour et je sentais qu’une minute, une seconde de plus, je n’aurais
pu supporter cette ardeur sans mourir." (DE)
" Cette année, le 9 Juin [1895], fête de la Sainte Trinité, j’ai reçu la grâce de comprendre
plus que jamais combien il désire être aimé " (MA, 84r). Elle, qui a un si grand désir
d’aimer Dieu, découvre que son amour n’est rien rapporté à l’amour infini que Dieu a
pour chaque homme : Dieu offre à chacun de partager son amour trinitaire, le secret
qu’il partage avec son Fils ; un amour dévorant mais infiniment respectueux, le seul
amour capable de combler le cœur de l’homme.
Thérèse constate que cet amour est refusé par les hommes : "O mon Dieu ! votre
Amour méprisé va-t-il rester en votre Cœur ? Il me semble que si vous trouviez des âmes
s’offrant en Victimes d’holocaustes à votre Amour, vous les consumeriez rapidement, il
me semble que vous seriez heureux de ne point comprimer les flots d’infinies tendresses
qui sont en vous ... O mon Jésus ! que ce soit moi cette heureuse victime, consumez
votre holocauste par le feu de votre Divin Amour ! ... " (MA 84r). Elle s’offre alors à
recevoir cet amour brûlant à en être consumée.
Le moyen de cette offrande est la plongée dans l’Amour : "Afin de vivre dans un acte de
parfait Amour, je m’offre comme victime d’ holocauste à votre Amour Miséricordieux,
vous suppliant de me consumer sans cesse, laissant déborder en mon âme les flots de
tendresse infinie qui sont renfermés en vous et qu’ainsi je devienne Martyre de votre
Amour, ô mon Dieu ! ... " (Prière 6)
En septembre 1896, méditant les chapitres XII et XIII de la première épître aux
Corinthiens, elle découvrit qu’elle ne se retrouvait "dans aucun des membres décrits
par St Paul ", ou plutôt qu’elle " voulait se reconnaître en tous ". " Je compris que
l’Eglise avait un Cœur, et que ce Cœur était BRÛLANT d’AMOUR... Je compris que
l’AMOUR RENFERMAIT TOUTES LES VOCATIONS, QUE L’AMOUR ETAIT TOUT, QU’IL
EMBRASSAIT TOUS LES TEMPS ET TOUS LES LIEUX … EN UN MOT, QU’IL EST ETERNEL ! "
Thérèse a reçu de nouveau une grande grâce, sommet de son chemin spirituel. " MA
VOCATION, C’EST L’AMOUR !… Oui j’ai trouvé ma place dans l’Eglise et cette place, ô
mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée… dans le Cœur de l’Eglise, ma Mère, je serai
l’AMOUR… ainsi je serai tout… ainsi mon rêve sera réalisé ! " (MB, 3v).
Après avoir offert sa vie à l’Amour miséricordieux un an plus tôt, c’est maintenant
Thérèse elle-même qui l’incarnera. Un amour qui s’abaisse jusqu’au néant, un amour
effectif qui se prouve par ses œuvres aussi humbles qu’elle-même. " ... Voilà comment
se consumera ma vie… Je n’ai d’autre moyen de te prouver mon amour, que... de ne
laisser échapper aucun petit sacrifice, aucun regard, aucune parole, de profiter de
toutes les plus petites choses et de les faire par amour… " (MB, 3r-4v)
Conclusion
Aujourd’hui, Thérèse prie pour nous, elle passe " son ciel à faire du bien sur la terre "
comme elle l’a promis. Si nous la trouvons bien fantastique et par trop inatteignable,
elle nous répond : " O Jésus ... je sens que si par impossible tu trouvais une âme plus
faible, plus petite que la mienne, tu te plairais à la combler de faveurs plus grandes
encore, si elle s’abandonnait avec une entière confiance à ta miséricorde infinie " (MB,
5v).
A la toute fin de sa vie, Thérèse définit la sainteté ainsi qu’elle a vécu : " La sainteté
n’est pas dans telle ou telle pratique, elle consiste en une disposition du cœur qui nous
rend humbles et petits entre les bras de Dieu, conscients de notre faiblesse et confiants
jusqu’à l’audace en sa bonté de Père." (DE)
Cette certitude de Sainte Thérèse nous donne l’espérance fondée de croire que pour
nous aussi la sainteté est possible. Lançons-nous dans sa voie remplis d’humilité et de
confiance !
Notations :
DE : Derniers Entretiens notés par les témoins à partir de juin 1897 jusqu’à la mort de Thérèse le 30 septembre.
P : Poésies de Sainte Thérèse
Catéchèse de Benoît XVI sur Sainte Thérèse , Audience Générale du 6 avril 2011
Prière 6 : Acte d’offrande à l’Amour Miséricordieux
LT : Lettres de Ste Thérèse
DAS : Divini Amoris Scientia , Lettre apostolique de Jean-Paul II, 19 octobre 1997
AAS : Acta Apostlicae Sedis (Actes du Saint Siège)
MA : Manuscrit A , dédié à Mère Agnès de Jésus (sa sœur Pauline), écrit à partir de janvier 1895
MB : Manuscrit B , lettre à Sœur Marie du Sacré Cœur (sa sœur Marie), écrit en septembre 1896
MC : Manuscrit C , adressé à Mère Marie de Gonzague (prieure à l’arrivée de Thérèse, puis à partir de 1896 ), écrit
en juin 1897 et inachevé
CS : Conseils et Souvenir par Sr Geneviève de la Ste Face (sa sœur Céline)