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Mélanges de la Casa de

Velázquez

Travailleur et "arbitrista": le "noveau prête" selon Bernal Díaz de


Luco, évêque de Calahorra de 1545 à 1556
Mme Anne Milhou-Roudié

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Milhou-Roudié Anne. Travailleur et "arbitrista": le "noveau prête" selon Bernal Díaz de Luco, évêque de Calahorra de 1545 à
1556. In: Mélanges de la Casa de Velázquez, tome 23, 1987. pp. 213-226;

doi : https://doi.org/10.3406/casa.1987.2491

https://www.persee.fr/doc/casa_0076-230x_1987_num_23_1_2491

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TRAVAILLEURET «ARBITRISTA» :
LE «NOUVEAU PRETRE» SELON BERNAL DIAZ DE LUCO,
EVEQUE DE CALAHORRA DE 1545 A 1556

Anne MILHOU-ROUDIE
Maître de Conférences à l'Université du Havre

L'un des apports principaux du Concile de Trente, mis à part les


documents relatifs aux dogmes, a consisté dans la réforme du clergé. Des
canons se dégage une évidente volonté de restauration des mœurs, de
formation spirituelle et pastorale. Plusieurs sessions ont été consacrées à ce
point capital1. Le Concile, comme on le sait, s'est prononcé en faveur de la
création de séminaires, a défini l'obligation de résidence de tous les
possesseurs de bénéfices qui comportent une charge pastorale, et a tranché
définitivement la question du célibat ecclésiastique. Bref, les décisions des
Pères conciliaires tendent à remédier aux abus qui avaient fleuri dans la
Chrétienté, et à rendre au clergé -le haut comme le bas- le sens de sa mission
sacrée.
Certes, l'Eglise n'avait pas attendu le Concile de Trente pour définir le
statut du prêtre. Les divers textes de droit canonique écrits à partir du Ve
siècle et réunis par Laurent Surius sous le nom de Codex encyclicus, les
divers documents pontificaux intitulés Décrétâtes, Sextes, Clementines,
Extravagantes et réunis plus tard dans le Codex juris canonici constituaient

1. Notons en particulier le canon 998 publié après la session XXIII : "Pour ceux [les clercs]
qui aspirent aux ordres majeurs, durant le mois précédant l'ordination, l'évêque
donnera l'ordre au curé ou à tel autre qu'il jugera à propos, de publier dans l'église les
noms et bon désir de ceux qui veulent être promus pour prendre des informations près
des gens dignes de foi sur leur naissance, leur âge, leurs vies et mœurs." (cité dans le
Dictionnaire de Droit Canonique, publié sous la direction de R. Naz, 6 vol., Paris,
Letouzey, 1924-1965, article "Bans d'Ordination", t. 2, col. 97).

Mélanges de la Casa de Velâzquez, (M. C.V.) 1987, t.XXIII, p.2 13-226.


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la trame juridique sur laquelle s'est édifiée la hiérarchie ecclésiale jusqu'à ce


que le travail mené à bien par Pinelli aboutisse à la définition d'un nouveau
droit, le jus novissimum, achevé en 1598, lequel incluait également les
canons dogmatiques du Concile de Trente.
Tous ces documents vont plus ou moins dans le même sens: exalter la
figure de celui qui appartient au "monde religieux" et pour ce, en faire un
personnage que la dignité de ses fonctions met "à part". Un point hautement
symbolique retiendra notre attention, l'interdiction du travail salarié pour le
clerc.

*
* *

Le canon 138 du code canonique établit ce principe :

Les clercs doivent s'abstenir absolument de tout ce qui ne convient pas à la sainteté de
leur état [...] Ils ne peuvent exercer des métiers contraires au "decorum cléricale".

Suit la liste de ces "indecorae artes" parmi lesquels figurent les métiers
d'aubergiste, de boucher, d'acteur de théâtre, de bouffon, ou bien les
occupations dites "aliéna", étrangères à l'état clérical comme la médecine ou
la chirurgie, les métiers de tabellion ou de notaire. Puis le canon poursuit :

[...] ils ne peuvent pas non plus accepter des emplois publics comportant l'exercice d'une
juridiction séculière ou d'une administration2.

Dans la liste des métiers absolument interdits aux clercs, nous


retrouvons ceux qui, suivant Jacques Le Goff, transgressent les vieux tabous du
sang, de la saleté et de l'argent, ainsi que toutes le activités que l'Eglise
jugeait complices de la luxure, de près ou de loin3.
La Chrétienté n'innovait pas en la matière: chez les Anciens, certains
métiers étaient considérés comme vils ; les activités jugées infamantes par le

2. Ibid., article "Clerc", t. 3, col. 851-853.


3. Voir à ce sujet l'article de Jacques Le Goff, "Métiers licites et métiers illicites dans
l'Occident médiéval", repris dans son ouvrage Pour un autre Moyen Age. Temps, travail
et culture en Occident: 18 essais, Paris, Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 1977,
p.91-107.
TRAVAILLEURET «ARBITRISTA» 215

droit canonique ne sont pas très différentes de celles qui, pour les Grecs ou
les Romains, ne faisaient pas partie des "artes libérales", autrement dit
n'étaient pas dignes d'un homme libre4.
Au Moyen Age, Don Juan Manuel, poussant à son extrême le mépris
envers le peuple travailleur, affirme que les "labradores" ont du mal à sauver
leur âme

[...] porque muchos déstos son menguados de entendimiento, que por torpedat podrian
caer en grandes yerros non lo entendiendo 5.

Le mépris dans lequel la tradition chrétienne tient le travail est, bien sûr, un
héritage de l'Antiquité grecque et romaine, mais il se renforce au contact de
l'Ancien Testament; le texte de la Genèse racontant la chute d'Adam se
trouve ainsi glosé à l'infini.
Jardinier au Paradis Terrestre, vivant dans la contemplation de la
Création tout en évitant l'oisiveté par une occupation modérée, l'homme,
après le péché, a vu le Jardin se transformer en une terre dure à laquelle il
doit désormais arracher sa subsistance. Les hommes du troisième ordre (les
"laboratores", selon la classification d' Adalbéron de Laon), c'est-à-dire ceux
qui sont condamnés à gagner leur pain à la sueur de leur front, sont plus ou
moins assimilés à Adam pécheur, tandis que les ordres privilégiés ("orato-
res" et même "bellatores"), de par leur fonction plus élevée, semblent moins
liés à la matière, plus proches de la contemplation qui était l'occupation de
l'homme d'avant le péché6. On comprend donc que le plus "spirituel" des
états ait semblé diamétralement opposé au principe même de travail,
entaché d'infamie.
Cependant, dans la pratique, plus que l'activité elle-même, c'est sa
rétribution qui revêt un caractère vil, puisque les "œuvres de miséricorde",
recommandées au chrétien, peuvent comporter la même part d'activité
manuelle que le "métier" du travailleur mais sont sanctifiées par leur
gratuité. Toute l'histoire de la pensée chrétienne sur le travail témoigne de
cette méfiance envers l'argent. C'est la raison qui explique la sévérité avec
laquelle la hiérarchie punit le péché de simonie chez les ecclésiastiques.

Aristote, La Politique, introduction et notes par J. Tricot, Paris, Vrin, 1970, L. III, ch. 5,
p. 191 : "II n'est pas possible de se livrer à la pratique de la vertu quand on mène une vie
d'ouvrier ou d'homme de peine".
Don Juan Manuel, Obras complétas, 1. 1, Libro de los estados, édition de José Manuel
Blecua, Madrid, Gredos, 1982, p.410.
J'ai insisté sur la liaison entre le mythe d'Adam et l'éloge des métiers de la terre dans la
thèse que j'ai soutenue en vue de l'obtention du Doctorat de l'Université de Bordeaux
III: Anne Milhou-Roudié, Paresse et travail chez les moralistes espagnols du XVIe
siècle, 2 vol. dactylographiés, 1985.
216 ANNE MILHOU-ROUDIE

Privés de la possibilité de travailler, les clercs doivent être sustentés


autrement 7. Il est admis depuis les premiers temps de la Chrétienté que le
prêtre attaché au service de l'autel vive de l'autel, sans que pour cela son
activité s'apparente à un travail. Notons à cet égard les précautions que
Bartolomé de Medina prend dans le choix de ses termes et l'assimilation
qu'il fait entre le salaire que pourrait recevoir un prêtre et le péché de
simonie :

Llevar dinero por el trabajo que esta junto inseparablemente a cosa espiritual es
simonia, corao si uno llevasse dinero por el trabajo que tiene en dezir missa o en
baptizar. Verdad es que puede llevar dinero, no por precio de su trabajo sino por su
sustentaciôn, porque es justo que el que administra las cosas espirituales sea sustentado
en la vida corporal 8.

La tentation de simonie était grande ; c'est pourquoi il devint


impossible de recevoir les ordres majeurs si l'on ne pouvait obtenir un bénéfice ou
justifier d'une rente personnelle permettant de vivre» décemment9. Malgré
ces précautions, bien des abus provoquèrent au cours des siècles
l'indignation des chrétiens: simonie, bénéfices que ne justifiait aucun zèle pastoral,
dîmes excessives accablant les paroissiens, etc.. Les Confesionarios du XVIe
siècle, lorsqu'ils évoquent les péchés des états, dénoncent fréquemment la
négligence des prêtres à s'acquitter de leurs devoirs vis-à-vis de leurs
ouailles, leur ignorance qui les rend inaptes à enseigner la doctrine ou à
administrer le sacrement de pénitence, leur méconnaissance des paroissiens,
leur cupidité, leurs absences, bref leur manque de vocation. Par exemple,
Pedro Martyr Coma conseille au confesseur de demander au pénitent
ecclésiastique

"si ténia intenciôn quando se ordenô de tener solamente de corner, porque todos éstos
pecan mortalmente" 10.

7. Dictionnaire de Droit Canonique, ouvr. cité, article "Bénéfices ecclésiastiques", t. 2, col.


407-408 : "Le propriétaire qui fondait une paroisse lui constituait une dot intangible,
irrévocable et perpétuelle et assurait ainsi aux desservant leur subsistance".
8. Bartolomé de Medina, Breve instruction de cômo se ha de administrar el sacramento de
la penitencia, Huesca, 1579, fol. 90 v°.
9. Dictionnaire de Théologie Catholique, publié sous la direction de A. Vacant, E.
Mangenot et E. Amann, 25 vol., Paris, Letouzey, 1899-1957, article "Ordination", t. XI-
2, col. 1402: "Pour recevoir licitement les ordres, le sujet doit [...] 8°/ avoir un titre
canonique: bénéfice ou à défaut patrimoine ou pension ou encore comme titres
supplétifs service du diocèse ou mission pour les séculiers".
10. Pedro Martyr Coma, Directorium curatorum (traduit en castillan), Zaragoza, 1574,
p.240.
TRAVAILLEURET «ARBITRISTA» 217

II faut noter que, tout autanf que le péché de "paresse" (c'est-à-dire la


non-acceptation des charges de son état), l'activité peut être reprochée aux
prêtres quand elle ne convient pas à la dignité ecclésiastique11. Mais il est
bon également de remarquer que le travail manuel est recommandé, voire
imposé au clergé régulier. Toutes les règles de fondateurs d'ordres en
témoignent12. Le régulier doit subvenir à ses besoins ou augmenter les
ressources du couvent. Il doit s'humilier par le travail manuel et surtout
occuper ses mains pour ne pas sombrer dans l'oisiveté, mère de tous les
vices. Il ne s'agit donc pas d'une valorisation du travail au sens moderne du
terme, c'est-à-dire vu comme une participation à l'œuvre collective de
construction du monde. Mais le contraste n'en est pas moins flagrant: si le
moine ou l'ermite doit travailler manuellement, le séculier en reçoit
l'interdiction formelle ; il doit se contenter du bénéfice qui lui a été affecté, et se
consacrer avec diligence à son ministère.

Mais le prêtre desservant une paroisse, le "pârroco", déjà appelé


également "cura" (bien que le terme désigne de manière plus générale "el que
tiene cura de animas"), quelle est la situation réelle dans l'Espagne du XVIe
siècle?
Les études à ce sujet sont très rares. Nous tirons notre information
essentiellement de l'ouvrage de Antonio Dominguez Ortiz: Las clases
privilegiadas en la Espana del Antiguo Régimen 13. Les documents
concernant le royaume de Castille publiés par Annie Molinié-Bertrand 14 donne
également des renseignements précieux.
Antonio Dominguez Ortiz fixe à 29 745 le nombre de "clérigos secula-
res" en Castille à la fin du XVIe siècle, selon une "Memoria" de 1598 15.

11. Ibid., p. 242, "Si es [el eclesiâstico] negociador o procurador de causas seculares, o si
exécuta otros algunos officios prohibidos a los ecclesiâsticos, como de tabernero,
médico, carnicero, bodegonero y otros deste jaez".
12. Régla de los fray les menores con el Testamento del bienaventurado padre san Francisco
en latin y romance, Mexico, 1595, cap. V "De la manera del trabajar": "Los frayles a los
quales el Senor dio gracia de trabajar, trabajen fiel y devotamente, en manera que,
alançada la ociosidad que es enemiga del anima, no amaten el spiritu de la sancta
oraciôn y devociôn al quai todas las otras cosas temporales deven servir. Y del precio de
su trabajo reciban las cosas necessarias al cuerpo para si y sus hermanos, salvo dineros o
pecunia. Y esto humildemente, assi conviene a siervos de Dios y seguidores de la muy
alta pobreza".
13. Antonio Dominguez Ortiz, Las clases privilegiadas en la Espana del Antiguo Régimen,
Madrid, Istmo, 1973.
14. Annie Molinié-Bertrand, "Le clergé dans le royaume de Castille à la fin du XVIe siècle.
Approche cartographique", Revue d'histoire économique et sociale, vol. LI n9 1, 1973,
p.5-53.
15. A. Dominguez Ortiz, ouvr. cité, p.205.
218 ANNE MILHOU-ROUDIE

Annie Molinié-Bertrand, de son côté, nous révèle que pour le royaume de


Castille, y compris le royaume de Grenade, mais sans compter les villes de
Seville et de Madrid, l'ensemble du clergé séculier représentait, en 1591,
29413 "vecinos". Il faut compter, bien sûr, avec l'ambiguïté du terme
"clérigo". L'auteur précise que, dans la plupart des villages, un seul "clérigo"
(le curé donc) jouissait d'un bénéfice. Elle précise également qu'un même
curé desservait parfois plusieurs paroisses rurales et que, dans d'autres cas,
ce sont les réguliers du couvent qui, faute de curé, administrent les
sacrements. La répartition des curés de paroisse est, en effet, très inégale.
Les zones les plus démunies sont la Manche et l'Estrémadure 16. Par contre,
certaines villes comme Salamanque, Madrid, Seville ou Huelva souffrent
d'une hypertrophie de l'encadrement religieux17. La cause en est tout
économique. Pour qu'il y ait un curé, il faut que la paroisse puisse
l'entretenir18. A cette carence de l'encadrement spirituel remédiaient, en
partie seulement, les couvents qui, dans les villes, enlevaient beaucoup de
"clientèle" aux paroisses en raison du succès que remportaient auprès des
pénitents les membres du clergé régulier et, dans les campagnes, les
"missions", surtout de jésuites, à partir de la fin du siècle. L'aide spirituelle
trouvée auprès des réguliers fut parfois un prétexte supplémentaire
qu'invoquaient les "pârrocos" pour ne pas résider dans leur paroisse ou négliger
leurs devoirs auprès de leurs ouailles 19. C'est de cette pratique généralisée
que s'indigne Juan Bernai Diaz de Luco dont nous reparlerons longuement
plus avant dans cette étude :

[...] la negligencia de los prelados y curas moviô la misericordia de Dios a instituir las
ôrdenes mendicantes a que ayudassen a la salud de las animas viendo el estado en que
estava la cristiandad en aquel tiempo ; no vinieron los religiosos a descargar del todo a
los curas, sino a ayudar a los buenos y a reparar el dafio de los négligentes. An quedado
los salarios de los officios de curas enteros, y côbranse mâs estrechamente que antes y
lase de pretender que cesse la obligaciôn de merescerlos y mirar por las animas por la
parte del cuydado que toman los religiosos? Ayudadores son que a embiado Dios, no
escusadores [...]20.

16. A. Molinié-Bertrand, art. cité, p. 10-13.


17. A. Dominguez Ortiz, ouvr. cité, p.207-208.
18. A. Dominguez Ortiz cite à ce propos un passage très éclairant des Constitutions
Synodales d'Astorga (1552): "En nuestro obispado ay muchos lugares pequenos en los
quales los curas propios no residen, porque los dos mil maravedies y dos cargas de pan y
los pares (sic) que se dan de salario en cada un ano no basta para sustentar [...] y a esta
causa no se hallan sacerdotes idôneos que quieran servir en taies lugares [...]" (ibid.,
p.207, note 23). *
19. Ibid, p.262.
20. Juan Bernai Diaz de Luco, Aviso de curas muy provechoso para todos los que exercitan
el officio de curar animas. En esta tercera impression mâs anadido que nunca hasta aqui
se ha impreso, Alcalâ, 1545, cap. XV, fol. LXIII r°.
TRAVAILLEURET «ARBITRISTA» 21 9

L'une des excuses à ce manque de zèle apostolique était l'incompétence


religieuse du clergé séculier et ce, même après le Concile de Trente21. Juan
de Valdés met en scène l'un de ces nombreux curés "idiotas" plus prompts à
recueillir les dîmes qu'à développer leur culture théologique:

Arçobispo :[...] pluguiesse a Dios que tanto recaudo y diligencia pusiéssemos en instruyr
el pueblo en la doctrina Christiana quanto ponemos en hazerles pagar los diezmos y las
primicias. Si esto se hiziesse assi, yo os prometo que todos fuéssemos santos.
Antronio : ^Pues no os parece que es bien que los clérigos cobremos nuestras rentas?
Arçobispo: Yo no digo que no se cobren, pero digo que séria bien que nosotros
hiziéssemos délias lo que somos obligados, y no lo que hazemos, y que, pues nos dan los
legos sus rentas porque les demos dotrina, la diéssemos. Se que Sant Pablo muy mejor
era que ninguno de nosotros, y con mucho mejor titulo podia pedir diezmos y
rediezmos, pero ya sabéys que era tanta su modestia, que por no ser a ninguno molesto,
y porque no paresciesse que por interesse predicaua a Jesu Christo, jamâs dexaua de dia
o de noche de trabajar en su officio, con que por sus propias manos ganaua de corner
para si y para los que traya consigo, de lo quai él mismo, en muchas partes y con mucha
razôn, se alaba ; y dize que notemos, para guardarnos dellos, a los que, andando ociosos,
quieren mantenerse de los trabajos ajenos. Pues, considerando esto, digo yo que no es
malo que nosotros cobremos nuestras rentas, pero que es bueno y justo que los que nos
las dan, cobren de nosotros aquello por que nos las dan, que es la dotrina; y mientras
ellos no cobran esta dotrina de nosotros, creedme que no merescemos las rentas que nos
dan22. ♦

Les moralistes du XVIe siècle sont parfaitement conscients des graves


manquements de leurs pasteurs, dûs à l'ignorance ou à l'absence de zèle
pastoral. Des Confesionarios multiples leur sont consacrés, destinés à leur
enseigner comment administrer le sacrement de pénitence. Ces mêmes
Confesionarios, en outre, lorsqu'ils énumèrent les péchés des divers états,
font particulièrement mention de ceux des curés ; certains manuels détaillant
les exigences de la vie sacerdotale leur sont spécialement destinés : en plus de
Y Aviso de curas de Juan Bernai Diaz de Luco sur lequel nous nous
pencherons ultérieurement, citons la Doctrina de sacerdotes de Juan
Bautista (1535), le Directorium curatorum de Pedro Martyr Coma, traduit
du catalan en castillan en 1574, le Espejo de curas de Alonso de Vega (1601)
ou, plus avant dans le XVIIe siècle, la Prâctica de curas de Martin Carrillo
(1622).
L'accomplissement de leur devoirs pastoraux assurait légitimement aux
curés leur subsistance. Mais, là encore, régnait la plus grande disparité. Tout

21. A. Dominguez Ortiz, ouvr. cité, p.208, "Las disposiciones del Tridentino sobre la
creaciôn de seminarios habia sido letra muerta en la mayoria de las diôcesis y, en parte,
por motivos algo sôrdidos".
22. Juan de Valdés, Diâlogo de doctrina cristiana, édition de Domingo Ricart, Mexico,
U.N.A.M., 1964, p.84-85.
220 ANNE MILHOU-ROUDIE

d'abord, bien sûr, entre les paroisses pauvres et les paroisses riches; ensuite
dans la répartition des revenus. Les curés touchaient souvent des dons en
nature ("primicias") et des offrandes à l'occasion de fêtes, mais ne
touchaient pas tous le même pourcentage des sommes prélevées sur les
paroissiens23. Une autre plaie dont souffrait la paroisse espagnole était la
non-résidence des desservants, lesquels sous-traitaient leurs bénéfices à des
"clérigos" faméliques qui se contentaient d'une aumône dérisoire24. Au nom
de la grande pauvreté de beaucoup de desservants de paroisses, bénéficiers
légaux ou sous-traitants, se généralisaient certaines pratiques : bon nombre
de curés faisaient travailler leurs serviteurs ou leurs sacristains25, exerçaient
eux-mêmes en sous-main des "oficios no debidos", ou se livraient à un
véritable trafic de messes. San Juan de Ribera présenta au Concile de
Santiago en 1565 un "memorial" dans lequel il se lamentait du "grandisimo
desorden que los sacerdotes digan cada dia misa sin dejar un solo dia, por
tener que corner, como los que ejercitan oficios mecânicos"26. La dernière
mention est particulièrement parlante. Bien sûr, il était sacrilège de voir se
perdre la valeur sacrée des messes considérées pour leur valeur marchande,
ce qui rejoignait les cas de simonie, mais on ne peut qu'être sensible au
profond mépris contenu dans la comparaison. Cet état d'esprit, rappelant le
refus du terme "precio" pour désigner la rétribution du curé que l'on a
constaté chez Bartolomé de Medina, est diamétralement opposé à celui de
Bernai Diaz de Luco.

Evêque de Calahorra depuis 154527, ce dernier est bien placé pour


connaître le problème de la pauvreté ecclésiastique, beaucoup d'aspirants au
sacerdoce ne possédant pas les rentes suffisantes pour avoir droit à

23. A. Dominguez Ortiz, ouvr. cité, p.256-259.


24. Au Concile de Trente, les évêques espagnols (dont Bernai Diaz de Luco en première
ligne) se sont fait remarquer par leurs bruyantes interventioons en faveur de la résidence
des bénéficiers. Voir à ce propos Tomâs Marin, "El obispo Juan Bernai Diaz de Luco y
su actuaciôn en Trento", Hispania Sacra, t. 8, 1954, p.8-31.
25. Voir à titre d'exemple le cas de l'ecclésiastique Marcos Cidrôn du diocèse de Palencia
qui prostituait sa servante. L'anecdote est rapportée par Ricardo Sâez, "La
transgression de l'interdit amoureux: le prêtre, la femme et l'enfant dans l'archevêché de Tolède
(1565-1620)", Actes du Colloque: Amours légitimes et illégitimes en Espagne (XVIe-
XVIIe siècles) sous la direction de Augustin Redondo, Paris, Publications de la
Sorbonne, 1985, p.93-100.
26. Cité par A. Dominguez Ortiz, ouvr. cité, p.265.
27. Voir la biographie et l'analyse des œuvres du "Doctor Bernai" par Tomâs Marin
Martinez en introduction à son édition de Juan Bernai Diaz de Luco, Soliloquio y carta
desde Trento, Barcelona, Juan Flors, Espirituales espanoles, 1962, p. 1-147, "El Dr. Juan
Bernai Diaz de Luco en el movimiento espiritualista del siglo XVI".
TRAVAILLEURET « ARBITRISTA» 22 1

l'ordination, ce qui donnait lieu à de nombreuses fraudes. En outre, la


grande majorité des curés des provinces basques, qui faisaient partie de son
évêché, était encore sous le régime médiéval du "patronato de legos"; les
curés n'avaient donc pour vivre que la somme infime que leur laissait leur
"patron", employeur particulier ou municipal28. Les Constitutions
synodales du diocèse de Calahorra, reprises de ses prédécesseurs par Don Juan
Bernai et complétées par lui, témoignent de ses inquiétudes pastorales du
moment; il ajouta de sa main la Constitution suivante:

Porque los sacros cânones, por escusar la pobreza de las personas ordenadas in sacris y
el opprobrio y occasiones de hazer los maies que délia nascen, ordenaron que ninguno
fuesse admitido a orden sacro sin que toviesse compétente patrimonio o benefïcio, y
tenemos entendido que en esto ay muchas vezes fraudes y enganos, queriendo proveer en
ello, estatuvimos y ordenamos que de aqui en adelante ninguno sea osado de traer ante
nos o nuestros officiales o examinadores, titulo alguno de patrimonio que sea fingido,
antes sea verdadero y con probança bastante 29.

Bernai Diaz de Luco cherche également à mettre fin au trafic des messes
qui se pratiquait dans son diocèse; le chapitre VIII du Livre III des
Constitutions synodales ordonne que "ningûn clérigo pueda tomar pitança
de dos missas y cumpla con una". Mais c'est dans Y Aviso de curas, écrit
pourtant avant qu'il n'ait accédé à la dignité épiscopale30, qu'il se montre le
plus explicite :

Tengo por necessario que los parrochianos hallen en el cura toda verdad y sinceridad, y
deven avisar a los que los encomendaren algunas misas cômo no ay disposiciôn para
dezirlas luego o en el tiempo que se piden, por aver ya aceptado otras primero, o por ser
mâs en numéro las que tiene aceptadas de las que él y los clérigos que le ayudan pueden
dezir [...] Mayormente que ya la gente no es tan ignorante, antes muchas vezes confieren
entre si los parrochianos cômo no puede su cura cumplir tantos treyntenarios y missas
como tiene aceptadas y aun cobradas a las vezes. Y no baste pobreza para atreverse a
esto, pues si necesidad tiene el cura quando sirve por otro y le dan poco salario, él tiene
la culpa de encargarse de aquel officio en que no se puede sustentar [...] Y considère bien
para esto el cura que ami como el officiai mechânico (que se encargô de una obra en que
pierde y no se puede mantener con el jornal que délia le queda) no puede hazer la obra
mala por abreviar el tiempo ni sacar lo que pierde de la substancia de la obra (pues
devria mirar lo que acepta y no enganar a su proximo aunque diga que lo hizo porque

28. A. Dominguez Ortiz, ouvr. cité, p.252 et 269.


29. Juan Bernai Diaz de Luco, Constituciones synodales del obispado de Calahorra y la
Calçada, hechas y ordenadas por los prelados en ellas nombrados, agora nuevamente
compiladas y anadidas por Don loan Bernai de Luco, obispo del dicho obispado, con
acuerdo del synodo que por su mandato se celebrô en la ciudad de Logrono, anno de
1553, Leôn (sic pour Lyon), 1555, Libro I, cap. VI, fol. X v°.
30. La Iere édition de Y Aviso de curas a disparu. Sa date probable est 1539. La 2e édition est
celle de 1543. A partir de l'édition de 1545, faite également à Alcalâ, le texte est précédé
d'un prologue aux curés de l' évêché de Calahorra; c'est cette édition que je cite: cf. n. 20.
222 ANNE MILHOU-ROUDIE

no ténia que comer) mucho sin comparaciôn menos puede el cura que a de serpadre de
verdad y de conciencia y dechado délia, por sustentarse enganar a sus sûbditos, no en
hazienda (que es toda tierra), sino en la salud de sus animas y en el socorro de sus
aflictiones que esperan aver mediante el sacrificio que dessean que se offrezca por ellos
[•••P.

L'incitation aux curés afin qu'ils considèrent leur tâche et l'engagement


qu'ils ont pris au moins aussi sérieusement que le ferait un "oficial
mecânico" figure déjà dans le prologue aux prêtres de son diocèse ajouté à
l'édition de 1545. Une telle comparaison témoigne d'un état d'esprit
totalement nouveau : en rapprochant la conscience professionnelle du prêtre
de celle du travailleur, en utilisant les termes "salario", et "cobrar" pour
désigner la juste rétribution, Don Juan Bernai comble le fossé que la
tradition avait creusé entre les divers états de la société; il confère aux
travailleurs une dignité qu'ils n'avaient jamais eue, tandis qu'il restitue aux
prêtres celle que leur ignorance, leur inconduite ou leur misère leur avait fait
perdre. Le futur évêque de Calahorra s'inscrit ainsi dans le courant le plus
"moderne" de l'Espagne du XVIe siècle, celui de la réhabilitation du travail
manuel. Mais Diaz dé Luco est le seul, à ma connaissance, à franchir la
dernière étape: la mise au travail du prêtre nécessiteux:

[...] dejando aparté la costumbre aprovada que en algunas partes ay de dar por una
missa al sacerdote bastante sustentaciôn para aquel dia (la quai no es mi intenciôn
condenar), yo no veo razôn para obligar al cristiano que quiere ocupar una hora a un
sacerdote a sustentarle todo el dia en ociosidad, mayormente pudiéndose ayudar de otro
trabajo honesto para su sustentaciôn, pues no ay causa porque al clérigo sano (que
quebrantando lo que la Yglesia tiene proveydo, se ordenô pobre sin beneficio ni
patrimonio) le aya de sustentar la repûblica Christiana en ociosidad, aunque se ocupe
continuamente una hora cada dia en dezir una missa, porque si la Yglesia esto
entendiera, no era menester mandar tan estrechamente que nadie se ordenasse sin
patrimonio o beneficio, ni mandara que el prelado que ordena alguno de otra manera,
sea obligado a darle de corner [...] no veo razôn porque el clérigo sano, aunque sea
pobre, sea mâs libre que otros hombres de comer su pan con el sudor de su cara, como
en persona de Adân por via de maldiciôn o pena lo impuso Dios a todos los hombres, y
no se enganen los sacerdotes con escusar su ociosidad con la decencia del estado
sacerdotal y que no conviene que los clérigos hagan trabajos de sus manos, que antes
serian mâs estimados y reverenciados del pueblo si supiessen que, después de cumplido
su officio de sacerdote, se recogian en sus retraymientos a ayudarse de un honesto
trabajo para su sustentaciôn, pues ay muchas artes honestas y faciles de aprender con
que se pueden aprovechar. Y seguirse a de esto otro bien, que passando el tiempo
recogidos y sin ociosidad, escusarian los peccados y malos exemplos en que muchas
vezes caen por andar por los pueblos ociosos 32.

31. Ibid., cap. XXVII, fol. XCVII v° et XCVIII r°.


32. Ibid., cap. XXVII, fol. XCIX r° - C r°.
TR AVAILLEU R ET « ARBITRISTA» 223

Entend ons-nous bien. Il ne s'agit pas d'instaurer partout et toujours


une espèce de prêtres-ouvriers. Il est question de curés de paroisses aux
ressources insuffisantes comme il en fleurissait dans le diocèse de Calahorra
ainsi que nous l'avons déjà dit, et tentés par la simonie. Mais Bernai Diaz de
Luco ne se contente pas de faire du travail un moindre mal. Il est un de ceux
qui, au XVIe siècle, ont le plus fait pour en exalter la dignité. La fin du texte
précédemment cité nous éclaire en ce sens: le rappel de la malédiction
d'Adam qui rejaillit sur tous les hommes, les dangers de l'oisiveté qui
n'épargnent pas les ecclésiastiques, l'affirmation selon laquelle les
paroissiens auraient plus de considération envers un curé travailleur qu'oisif,
affirmation qui va à contre-courant des idées reçues sur l'honneur. J'ai tenté
de montrer dans une autre étude33 que le discours sur l'oisiveté est un lieu
commun ascétique et que, étant donné le caractère très ambigu que revêtent
les concepts d'"activité", "travail", "paresse" ou "oisiveté" au XVIe siècle, il
convenait de ne pas tirer de ces passages répétitifs trop de conséquences
quant à l'appréciation positive du travail, en particulier chez les moralistes.
Mais Bernai Diaz de Luco ne s'en tient pas aux poncifs: s'il envisage de
mettre au travail les prêtres sans moyens d'existence, il en fait autant pour
les "hidalgos" pauvres qu'il invite à choisir tout autre métier que celui des
armes "donde esta el mercado franco de vicios y escuela de costumbres
infernales". Il déplore que le travail soit considéré dans l'Espagne de son
temps comme une déchéance; il rejoint par de telles analyses et prises de
position certains des écrivains de son époque : son ami Venegas (lequel lui a
dédié la Primera parte de la différencia de libros que ay en el Universo),
Francisco de Osuna et le "contador" Luis Ortiz.

Si le recours au travail pour le curé de paroisse n'est encore conseillé


que dans des cas extrêmes, c'est toute l'activité pastorale qui est définie de
manière extrêmement nouvelle dans Y Aviso de curas.
Pour l'auteur, le prêtre ne doit pas s'enfermer dans son église. L'intérêt
qu'il manifeste à ses paroissiens doit l'amener à une véritable compétence
pour les choses du monde,

porque como padre de todos a de ser en esto solicito y no puede bien ser padre de las
aimas si no lo es en muchas cosas de los cuerpos, pues en estos casos, curando a ellos,
aun se escusan enfermedades en ellas 34.

33. A. Milhou-Roudié, ouvr. cité, passim.


34. J. B. Diaz de Luco, Aviso de curas..., ouvr. cité, cap. XXVII, fol. CXIIII r°.
224 ANNE M1LH0U-R0UDIE

Une telle compétence était déjà recommandée aux prêtres par saint
Jean Chrysostome, auquel d'ailleurs Luco fait allusion35. Pour résorber la
mendicité, Bernai Diaz de Luco préconise un remède inédit -n'oublions pas
que son texte est antérieur à 1540, donc précédant d'une vingtaine d'années
le Memorial de Luis Ortiz-: la création d'entreprises. Et, nouveauté encore
plus étonnante, c'est aux curés qu'il assigne un rôle qui préfigure celui des
intendants du XVIIIe siècle: inciter les riches à investir pour donner du
travail aux pauvres :

[...] para esta cura preservativa de las necessidades de sus parrochianos, deve el cura, de
mâs de hazer lo que hemos dicho como hombre espiritual, aun como prudente
considerar y conferir con otro (vista la qualidad de la tierra y del término del lugar
donde viva) que cosas de industria o de artificio, o de plantas, o labores se podrian
inventar o hazer con que el pueblo se enriqueciesse o a lo menos no tuviesse necessidad,
y hallasen los pobres en que ganar de corner, que en muchas partes ay buenos aparejos y
por no mirar en ellos ni aver quien lo solicite se pierde la buena disposiciôn y el provecho
que se seguiria, y deve procurar para que aquello mejor se haga, favor de justicia y
regimiento y authoridad de los superiores, animando algunos ricos que lo comiencen si
son cosas que requieren algûn caudal por el provecho que dello se siguirâ a los pobres de
sus pueblos, a los quales como adelante diremos son ellos obligados a socorrer quando
vienen a extrema necessidad 36.

Notre moraliste, que nous pourrions même qualifier ici d'"arbitriste"


avant la lettre, va utiliser à l'égard des détenteurs de capitaux un argument
de poids: l'obligation de secourir, eux, les hommes riches, les nécessiteux; et
pour achever de les convaincre, il transgresse l'un des tabous de la tradition
catholique: il légitime l'enrichissement et le profit dont il fait en quelque
sorte la récompense d'une bonne action:

"Mayormente que si bien lo miran los ricos, nunca ay industria ni granjeria que no sea
-. suyo el principal provecho, porque como esta en ellos el caudal, el mayor fructo del
trabajo de los pobres es para ellos [...]"37.

C'est donc un nouveau modèle de prêtre que nous présente Luco. Son
,

zèle pastoral doit le conduire à assumer toute une série d'activités: c'est
l'organisation de la bienfaisance -tâche qui était traditionnellement la
sienne- qui l'amène à chercher les causes de la misère, à envisager des
remèdes inédits, et à s'intéresser au capitalisme naissant, attitude que l'on a
trop souvent assimilée à la théologie protestante. Le prêtre n'a rien perdu de

35. Saint Jean Chrysostome, Obras complétas de san Juan Crisôstomo, édition de Daniel
Ruiz Bueno, Madrid, B.A.C., 1958, Los seis libros sobre el sacerdocio, p. 737.
36. J. B. Diaz de Luco, Aviso de curas..., ouvr. cité, cap. XXVII, fol. CXIIII v°.
37. . Ibid, fol. CXIII r°.
TRAVAILLEURET «ARBITRISTA» 225

sa dimension spirituelle pour être devenu en même temps un conseiller en


matière temporelle, et ce n'est pas l'auteur du Soliloquio que l'on peut
accuser de sacrifier au culte de Mammon.
Plus proche des fidèles et en même temps plus saint, c'est ainsi que
Alfonso de Valdés voudrait voir le prêtre. Pour lui éviter la chute dans le
péché, il envisage une solution - le mariage:

Lactancio: [...] Si yo viesse que los clérigos vivian castamente y que no admitian
ninguno a aquella degnidad hasta que oviesse por lo menos cinquenta anos, assi Dios me
salve que me pareceria bien que no se casassen; pero en tanta multitud de clérigos
amancebados, que toman las ôrdenes mâs por avaricia que por amor de Dios, en quien
no véis una senal de modestia cristiana, no se si séria mejor casarse. Arcediano : £No véis
que casândose los clérigos, como los hijos no heredassen los bienes de sus padres,
moririan de hambre y todos se harian ladrones y séria menester que sus padres quitassen
de sus iglesias para dar a sus hijos? [...] Lactancio : Essos inconvenientes muy fâcilmente
se podrian quitar si los clérigos trabajassen de imitar la pobreza de aquellos cuyos
suscessores se llaman, y entonces no havrian vergiiença de hazer aprender a sus hijos con
diligencia officios con que honéstamente pudiessen ganar de corner, y serian muy mejor
criados y ensenados en las cosas de la fé, de que se. seguiria mucho bien à la repûblica38.

Certes, nous savons à quel point le célibat ecclésiastique, (obligatoire


depuis 1 139 date du deuxième concile du Latran), trop exigeant aux yeux de
certains, était souvent tourné par le concubinage. Un très intéressant article
de Ricardo Sâez 39 met en lumière la fréquence de ces pratiques au sein du
bas clergé. Les partisans du mariage des prêtres cherchaient surtout à couper
court au scandale, selon l'idée qu'il vaut mieux un prêtre marié qu'un prêtre
vivant dans le désordre. Chez Valdés il y a plus: il s'agit d'un véritable
hommage au mariage. Le prêtre ainsi promu à la dignité de père de famille,
assumerait ses devoirs d'éducateur en donnant à ses enfants un métier qui
leur permette de subvenir à leurs besoins. Nous voyons également très
nettement exprimée l'idée d'utilité sociale, l'intérêt de la "république". Les
"dynasties ecclésiastiques" ainsi constituées se réduiraient donc à des lignées
de travailleurs. Il existe dans l'Espagne du XVIe siècle un certain courant qui
exalte le mariage et qui propose un modèle de sainteté pour le laïc père de
famille : citons Luis Vives, Pedro de Lujân et Fray Francisco de Osuna. Il est
intéressant de remarquer que l'un des arguments en faveur du mariage est
justement sa liaison avec la vertu de "diligence". Un certain nombre de
moralistes précise, en effet, que l'homme marié devient travailleur40.

38. Alfonso de Valdés, Didlogo de las cosas ocurridas en Roma, édition de José F.
Montesinos, Madrid, Espasa Calpe, Clâsicos Castellanos, 2a éd., 1969, p. 70-71.
39. R. Sâez, art. cité, passim.
40. Antonio Espinosa, Reglas para bien vivir muy provechosas y aun necesarias a la
repûblica cristiana con un desprecio del mundo, Burgos, 1552, fol. A V r°.
226 ANNE MILHOU-ROUDIE

Les érasmistes espagnols, d'une certaine manière, s'inscrivent dans la


ligne de la réforme du clergé à laquelle aspirait la Chrétienté depuis la fin du
Moyen Age. Le concile de Trente tenta de donner une meilleure formation
aux clercs qui ont charge d'âmes et de veiller à la sainteté de leurs mœurs, de
façon à ce qu'ils soient de plus en plus les miroirs, les guides du peuple, les
capitaines de l'armée chrétienne, les pilotes du bateau qui conduit les
hommes au salut, pour reprendre les images souvent employées41.
Cependant, avec la création des séminaires (même si dans la pratique il y en a peu
en Espagne), les mesures plus sévères prises à rencontre des prêtres
concubinaires, le Concile cherchait à mettre le prêtre à part, à l'obliger à
n'avoir d'autre préoccupation que celle de son salut éternel et celui de ses
ouailles.
Mais les érasmistes ont une autre conception de la sainteté du prêtre. Si
les Constitutions synodales de l'évêque de Calahorra qu'était Diaz de Luco
font apparaître le même profond souci pastoral que celui que l'on décèle
dans la Carta desde Trento, le modèle de prêtre qui se dégage de Y Aviso de
curas est celui d'un homme profondément ouvert aux problèmes du monde.
Bernai Diaz de Luco, en humaniste, nous rappelle que l'homme est un, et
que l'on ne peut s'occuper des âmes des paroissiens sans s'inquiéter aussi des
conditions de la vie matérielle et de l'organisation de la société. De même, en
envisageant de mettre le curé pauvre au travail, il abat les frontières entre le
sacré et le profane, tout comme Alfonso de Valdés le fait lorsqu'il préconise
le mariage du prêtre et l'apprentissage d'un métier pour sa descendance.
Pouvant partager, dans certains cas, les peines et les joies du peuple chrétien,
le prêtre est ainsi plus proche de lui, et Luco insiste sur les nouvelles
relations d'estime susceptibles de se tisser en pareille occurrence, se
substituant à d'autres moins pures de complicité dans le plaisir et le péché, qu'il
dénonce dans les Constitutions synodales42. De plus, l'insistance que
mettent Luco ou Juan de Valdés à comparer l'activité du prêtre à un métier,
et son bénéfice à un salaire, va à contre-courant du mépris habituel envers le
travail, occupation des gens du troisième "ordre".
Paradoxalement donc, en traçant les grandes lignes du nouveau modèle
de prêtre qu'ils souhaitent, plus compétent et plus saint, c'est en même
temps la figure du laïc qu'ils exaltent.

41. Voir par exemple Alonso de Orozco, Epistolario cristiano para todos los estados,
Alcalâ, 1567, "Epistola quarta para un sacerdote", passim.
42. J. B. Diaz de Luco, Constituciones synodales..., ouvr. cité, Lib. Ill, cap. II, fol. XXXV,
"Que ningûn clérigo in sacris ande en el cosso do corren toros, ni bayle, ni dance, ni
cante o predique cosas vanas pûblicamente, ni en otros juegos algunos, de que los legos
pueden notar liviandad".

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