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CE QUE L'ON ECRIT... :
Malgré la répugnance que j'ai a parler de moi
"et de ce qui marrive, il faut, pourtant, que je
revienne sur un article que je publiai, 4 cette place
méme, voici deux semaines, sous ce tilre : César
Franck et Monsieur Gounod. Disons-le franche-
ment et tout de suite : il a fait scandale. On sait,
dailleurs, que le scandale est ma partie ect que j’en
liens boutique. Il n'y avait donc pas lieu de
s’émouvoir et de s’étonner, et le mieux etit été
de ne rien dire, puisque, notoirement, je suis un
fumisle, un farceur, et méme un inconscient et un
bateleur de réclame. Un fou, é6videmment. Quo ne
suis-je pas encore ? Mais les choses ne vont jamais
avec colte logique.
Jai regu, et notre directeur M. Fernand Xau a
regu tant de lettres, & la suile de cet article, et do
si explicites, que je m’apercois enfin que j'ai com-
mis, en maltraitant M. Gounod et en niant son274 DES ARTISTES
génie, un acte d'inqualifiable irrévérence, un
crime, peut-étre, uno monstruosité, 2 coup sor,
et quoj’ai blessé & mort des Ames neurasthéniques
et si charmantes, co dont je ne me consolerai
jamais. Jo m’en excuse auprés d’olles, avec toute
Vhumilité attendrie dent je suis capable, ct les
supplic, & genoux, de me pardonner.
— Ah! Monsieur, m’écrit l'une do ces Ames
attristées, esl-co possible?... Un tel blasphéme...
Comment Vosdles-vous?... Et je vous aimais!...
Vous ne savez donc pas que la musique de Gou-
nod est, non sculement d’essence divine, mais
qu'elle est thérapeutique, ah! si admirablement
thérapeutique!... Vous allez en juger. Depuis
dix ans, jo suis condamnée par Iles médecins, et je
yis loujours; c'est que, chague matin ct chaque
soir, je mo fais jouer su piano — miraculeuse
hygine ~ VAnge pur, précisémenl, l'Ange ra-
dieur... sur lequel vous proférates de si odieuses
paroles! Ah! comment avez-vous pu?... el sans
rougic? Je crains bien que yous ne yous laviez
jamais do cela... Je prends aussi, régulitrement,
- des glycéro-phosphates, mais je sens que c'est
Gounod seul gui me soutient, oui, je sons quo
e’est a lui soul, unique Dieu de mes réves, que je
dois den'étre pas morte encore !
Cela m’a vivement touché et rien que pour co
cri du cour, 6 chére Ame douloureuse, j’eusse
voulu que Vidée d’écrire cet article ne me fait
jamais venue. :
CE QUE Von ECRIT 275
Mais je ne m'attendais pas a voir les rddeurs
de barrigre et les ramasseurs de bouts de cigare
protester avec indignation contre mon irrespect.
Je croyais, vraiment, cos braves gens occupés &
d’autres affaires qu’a chanter tout Je jour : Faites-
lui mes aveuz, & préserver la fameuse Gloire
inynortelle de nos vieux contre mes altentats.
« Ordure, salaud, cochon, fourneau! » tels sont
les tormes expressifs of galants dont ils me grati-
fient. « Rentre dans ton terrier, béte puante, et
n’en sors jamais, crapule, voleur, soudard{ » me
conseille un de ces frénéliques admirateurs de
M. Gounod, dont, malgré tout, je pensais la clien-
{ale plus choisie. « Ga devait arriver! proclame
un autra, et il était juste que tu préférasses, gou-
jat, un sale Prussien, comme ton Franck, & un
graud Francais, comme notre Gounod. Tu auras
beau faire, misérable espion, jamais tu ne nous
imposeras tes Wagners! A Berlin, traitre{ » Ton
Franck! tes Wagners! N’est-co pas d'un délicicux
mépris? Car ils me tutoicnt, vous savez; cl ces
insultes prennent, a ce tuloiement, une grandeur,
une éloquence de prosopopée, qui m’accable sous
la honte et sous le remords. « Si vous ne renvoyez
pas immédiatement ce saligaud-la, qui vous
déshonore et qui déshonore toute la corporation
de la presse, lo Journal est fichu! » prophétise a- 276 DES ARTISTES
M. Fernand Xau un confrdre, sans doule déguisé,
pour Ja circonstance, en crocholteur, et pour qui
ma place serail une bonneaubaine. « Allonst vas-y,
esbrouffour ! A quand Ambroise Thomas (Hé!
hé!), et Massenet (Liens! tiens J), ef Lecog, et
Audran, el Serpette (Diable !), et tant d’autres
génies? » elle est la question gue me pose un
excellent homme qui signe & soi loul seul un
groupe u'artistes frangais et d’abonués aux con-
certs du Conservatoire. « Tu as raison, idiot, de
comparer cet em... de César Franck & Bach et a
Beethoven!... Ga, cest lo pavé de Vours!... Tu
ne sais done pas, espace de c..., que co sont les
musiciens les plus rasauls du monde!... Et c'est
juste, puisquiils sont aussi des ennemis de la
Patrie, des mangcurs de choucroule! » Jen passe,
et de plus anonymement piltoresques, encore!
Ah! braves gens! braves gens! ne seriez-vous
point les glorieux débris de cette héroique arméo
des marmitons — mobilisée par de généreux com-
posileurs frangais, cb & la solde de leurs édileurs
—— gui voulul prendre d’assaul I'Eden, un soir do
patriolique enthousiasme el de revauche sublime,
et qui jeta des pommes cuites au cygue aimé de
Lohengrin ?
*
eee
Nl y eut aussi des modérés, car, enfin, tout le
monde ne peut alleindre ce paroxysme de l’exal-
tation admiralive. Je recus quanlité de petits
CE QUE LON ECRIT 277
papiers bleus, jautes, verts, roses, ou parmi les
amers reproches, les regrels mélancoliques de
mon incartade; les mordantes ironies, la vie de
M. Gounod m’était contéc. Et malgré tout ce quils
renfermaient de poliment bjessant pour mon
amour-propro, je pris 4 ces contes un plaisir
extréme. Gounod, m’apprenaiton, était la bien-
veillance mémo. C’était quelque chose comme un
saint. Il appelait A lui les pelils composilours, les
encourageait, les sortait — avec quelle bonté
paternelle! — de la mistre ot de J'obscurité.
« Les musiciens d’aujourd’bui lui doivent tout,
situation, fortune, génie! » m’affirmait-on. ul
avait pour juger leurs ceavres, méme les plus
_mauvaises, des graces infinies et dincomparables
charilés! Toutes ses sévérilés, il les réservail
pour les grands, pour les forts, dont il supportait
mal Ja gloire & cdté de Ja sienne. Et que) esprit
délicieux, original, enthousiaste, qui savait tou-
jours trouver le mot jusic dans uno forme impré-
vue et qu’on retenait!
Un soir, M. Gounod disait :
— Ah! Parsifal!... Eh bien t si Parsifal est
récllement de la musique, non, je ne sais pas
alors co que c’est quo la musique!
Jugement imprévu, en effet, ct méme stupé-
fiant ot que n’eussent jamais ost proférer M. Ca-
millo Saint-Saéns ct M. Jules Massenet qui
passent, cependant, pour ne pas avoir été (endres,
toujours, envers Wagner!
Karol Cytrowski, L'Abbé Jules D'octave Mirbeau en Tant Qu'exemple de L'influence de Fiodor Dostoïevski Sur Le Roman Français de La 2e Moitié Du XIXe Siècle
Lucía Campanella, "Le Journal D'une Femme de Chambre" Et "Puertas Adentro" de Florencio Sánchez: Rencontre Interocéanique de Deux Écrivains Anarchisants