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1

LE VIEIL HOMME ET LA FEMME MARIÉE

LUI
Oh Emma ! Oh vous m'en donnez des émotions !
Emma.
* * *

ELLE
Ne te tourmente pas mon chéri.

LUI
Oh j'en étais sûr... J'ai été comme fou toute la
journée... Tu... tu as lu Stendhal ?

ELLE
Stendhal ?

LUI
Oui, le livre de Stendhal : l'amour... " De l'amour ".
ELLE
Non.

LUI
Eh bien, il y a là quelque chose de très caractéristique.

ELLE
Ah oui ?

© Copyright Gérard Foucher 2009


2

LUI
Oui, ce sont des... officiers de cavalerie... qui se
racontent leurs aventures amoureuses et... tu me
suis ?
ELLE
Oui, oui... leurs aventures amoureuses. Et alors ?
LUI
Et alors... ils disent tous que c'est avec la femme qu'ils
ont désiré le plus... qu'il leur est arrivé... enfin... la
même chose qu'à moi... C'est très... très très
caractéristique...
ELLE
Très... très...
LUI
Et mieux que ça ! Mieux que ça : il y en a un seul qui
prétend que ça ne lui est jamais arrivé.
ELLE
" Qui prétend "... C'était peut-être vrai.
LUI
Ben non justement, Stendhal dit que c'était un hâbleur.
ELLE
Je vois. ... Je ne vois pas pourquoi il n'y en aurait pas
un tout de même...
LUI
Attends ! Tu ne connais pas le plus merveilleux de
l'histoire. Imagine-toi qu'un des officiers... de
cavalerie... raconte qu'il a passé, avec de cette femme
que, vraiment, il désirait... trois nuits... ou même six...
Je ne me souviens plus très bien...

© Copyright Gérard Foucher 2009


3

ELLE
Ça doit être trois...
LUI
Pourquoi dis-tu ça ? Tu ne sais pas ce que je vais dire.
ELLE
Non, mais... tout de même... ça doit être trois.
LUI
Enfin... Cet officier a passé avec cette femme que
vraiment il aimait... trois nuits... et ils n'ont fait que
pleurer.
ELLE
Ils ont pleuré ?... Tous les deux ?...
LUI
Oui... de joie... de... du bonheur d'être ensemble... Tu
ne comprends pas ça toi ? Moi, je trouve ça tellement
naturel, quand on s'aime.
ELLE
Mais il y en a certainement qui ne pleurent pas ?
LUI
Oui, naturellement.
ELLE
Ah bon ! Non. Parce que je croyais que Stendhal
disait... que TOUS les officiers de cavalerie pleuraient
dans ces cas-là.
LUI
Ah, voilà... tu te moques de moi !

ELLE
Mais pas du tout.

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4

LUI
Si, si, si, tu te moques de moi.
ELLE
Oh, mon chéri, ne t'énerve pas.
LUI
Mais ça m'énerve encore plus quand tu me dis ça.

ELLE
Mais tu vas te rendre malade.

LUI
De mieux en mieux !...

ELLE
Je trouvais ça si gentil, au contraire, de rester bons
camarades.

LUI
Ouais alors ça, c'est le bouquet.
ELLE
Je ne sais plus quoi dire.
LUI
Alors taisons-nous. Ça fera symbolique.
ELLE
Alfred...
LUI
Oui...
ELLE
Mon petit Alfred... Quelle heure est-il ?
LUI
Ah, il y avait longtemps, tiens...

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5

ELLE
Où est ta montre ?
LUI
Dans mon gilet.
ELLE
Où est ton gilet ?
LUI
Je sais pas... là...

Elle tend le bras pour saisir le gilet... Il ne peut pas résister, il embrasse le joli
bras...
ELLE
Ah !... non... non... Alfred... Alfred...
LUI
Emma...
ELLE
Il faut que je m'en aille... Il doit être horriblement tard...
Oh ! Alfred !... C'était si gentil d'être bons
camarades !...

* * *

ELLE
Huit heures... C'est épouvantable... Heureusement
que le cocher m'a attendue.

LUI
Puisque tu lui avais dit !
ELLE
Je lui avais dit cinq minutes...

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6

LUI
Il connaît la vie.

Elle entre dans le fiacre. Elle sort la tête par la fenêtre.


LUI
(lui baisant la main)
Alors, demain soir, à la soirée des Lobheimer, hein ?...
Nous danserons la première valse.

ELLE
Jamais je n'oserai.

LUI
Alors, après-demain ici...

ELLE
Tu es fou, chéri.

LUI
Tu ne veux plus revenir ?

ELLE
Nous en parlerons, demain... en dansant la première
valse.

LUI
En dansant la première valse !

Il lui baise à nouveau la main, tandis que le fiacre s'ébranle.


LUI
Ah !... Me voilà l'amant d'une femme mariée !

NOIR

© Copyright Gérard Foucher 2009

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