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SWÉDENBORG
II
CHARLES BYSE

SWEDENBORG
II

GOURS TROIS A. SIX

3. Le Monde des Esprits. - 4. L'Enfer.


5. L'Art de vivre.
6. La Divine Triade ou le Monothéisme
de Jésus-Christ.

DEO SANCTO UNO

LAUSANNE
GEORGES BRIDEL & Cl. ÉDITEURS
et chez l'auteur, Valentin 23
PARIS, LIBRAIRJE FISCHBACHER

l'OUI droilll ré..rvM.


R la

Société vaui>oise i>e théologie,


/Jont la fonlJation fut r~solue à Bex,
che3 l'auteur,
le lunlJi 8 mars 1875.
PRÉFACE

Les quatre cours qui forment ce second volume


ont été donnés, comme les précédents, dans la
grande salle de l'Académie de Commerce, et cela du
27 janvier au 9 juin de la présente année, avec l 'in-
terruption des vacances de Pâques. Sans être abso-
lument méthodique, la suite des sujets a été dictée
par les circonstances.
Nous av ions consacré cinq leçons à l'étude du
Ciel. Aprés avoir complété ce que nous devions dire
de l'A u-delà par un cours sur" le Monde des Esprits"
et par un autre sur « l'Enfer» , nous avons voulu
montrer la tendance pratique de Swédenborg et
J'absolue moralité de son système. C'est ce que nous
avons fait en traitant, trois vendredis consécutifs,
de «l'Art de vivre». Enfin il nous a paru nécessaire
d'exposer sans retard, d'une faç on quelque peu
approfondie, la doctrine centrale de Swédenborg,
« la Divine Triade », c'est-à-dire sa conception origi-
nale et trop peu connue de la sainte Trinité et de la
nature de Jésus-Christ.
-8-
Ce tome deuxième fournira donc des éléments
essentiels et de toute importance aux personnes qui
désirent connaître le divin message dont le Prophète
scandinave a été chargé pour les hommes de notre
temps. Ils y trouveront, dans ses descriptions du
Monde spirituel, dans son éthique, dans sa notion
du Dieu triun et dans sa christologie, des choses
fort nouvelles, et, - je ne crains pas de le dire, -
bien supérieures aux idées de la théologie courante.
I! reste sans doute beaucoup d 'autres matériaux
précieux à extraire de l'inépuisable mine que nous
avons commencé d'exploiter. Ce sera, si le Seigneur
le permet, l'affaire de cours et de volumes subsé-
quents .
CHARLES BYSE.

Lausanne, Valentin j3, ce f tj octobre f 9 j j.


TROISIÈME COURS
Le Monde des Esprits.
PREMIÈRE LEÇON
Les idées de Swédcoborg frappent davantage lorsqu'on enlre
dans le détail. Ig noran ce à l'égard de l'autre monde. Son
seul explorateur. Raisons de Dotre confiance. Absen ce de
parti pris. Comparaison de de ux ouvrages: La Vision , de
Dante Alighieri, et Le Ciel et l'Enfer, de Swédcohorg . Le
.l\<.loode des Esprits et le Hadès. Réaction contre la doctrine
du Purgatoire. La mort. L 'accueil dans le monde invisible.
Orthodoxie et agnosticisme. R ésurrection renvoyée à la fin
du monde. Somme il sans rêves et demi-sommeil. Vivifica-
tion des cadavres. L'homme-esprit Ou le corps spirituel.
L 'esprit est l'unique substance. Statue d'argile et statue de
marhl'c. Le matérialisme vaincu. Le Monde des Esprits est
cn tre le Ciel et l'Enfer. Désaccord a ctuel cntre la tête ct le
cœur. Comment raccord s'établit. Avantages de ce point
de vue.

Mesdames, messieurs,
Les idées de Swédenborg paraissent déjà frap-
pantes lorsqu'on les entend énoncer en quelques
mots, mais elles le sont bien davantage quand on
entre dans le détail; et si exprimées d'une façon
généra.1e elles nous semblent plausibles, il faut que
nous les analysions pour trouver tous les argu ments
qui militent en leur faveur. Cela est vrai de ses
grandes doctrines (le Dieu tri un et la divine huma-
nité du Christ, le sens interne des Ecritures, etc.),
- 12 -
mais nous allons tout d'abord en faire l'expérience à
propos de ses descriptions de l'autre monde.
L'autre monde: la plupart des nations, si ce n'est
toutes, y ont Cl' U jusqu'à c e jour, et il a droit à notre
plus vif inté r ê t, puisque dans peu de temps nous y
s e l'ons tous pour n 'en jamais revenir, Cependant
Emmanuel Swéd enborg est le seul qui prétende le
co nnaître comme on connait la Fran ce ou la Suisse,
et nous raconter c e qu'on y voit , quels sont ses
habitants, leurs mœurs , leurs gouve rnements, leurs
principes, leur langue, leur culte , etc. Jusqu'à notre
ère, l'humanité était dans une profonde ignorance à
ce sujet; l'Anrien Testament n'affirmait pas même la
survivance d e l'âme. Il a fallu l'Evangil e pour mettre
en évidence la vie et l'immortalité. Néanmoins, pen-
dant les dix-neuf ou vingt siècles que l'Eglise chré -
tienne a déj à duré, aucun apôtre, aucun prophète,
aucun docteur n 'a essayé d e nous donner une idée
exacte et complèt e , un tableau systé matiqjle et d é -
taillé du mond e à venir, - aucun sauf préci sément
Swédenborg.
Pourquoi cela? Parce que l 'univers spirituel n 'est
pas accessible à nos sens, que nous ne pouvons d'or-
dinaire ni le voir, ni l'entendre, ni le toucher, que
par conséquent il nous est loisible de l'ignorer, d 'en
nier même l'existence, et que, seul de tous les théo-
logiens anci ens e t modernes, Swédenborg a été
introduit de son vivant dans ce mystérieux au-delà,
a e u les sens intérieurs ouverts de manière à perce-
voir directeme nt ce qui s'y passe.
I! l'affirme du moins. Et, quelque surprenante
-13 -
que soit cette affirmation, on n'ose pas la dédaigner,
car elle s'appuie sur deux faits généraux impossibles
à contester aujourd'hui. Le premier, c'est l'entière
bonne foi dn narrateur; il croit, cela ne fait pas un
doute, que tout ce qu'il rapporte lui est réellement
arrivé.
Le second, c 'est le caractère même de ses récits.
Ils sont si clairs, si nets, si circonstanciés, si variés·
aussi, qu'ils ne paraissent point inventés. Surtout
ils font partie intégrante d ' un système à la fois phi-
losophique et religieux, d'un système admirable par
son unité et par la manière dont il résout les grands
problèmes de l'esprit humain; ils sont dès lors au
bénéfice de l'impression produite par l'ensemble de
ce système, e t c'est ce qui nous engage à les prendre '
en sérieuee considération dans les cas même où ils
nous semblent étranges au premier abord.
Pourtant, mes chers auditeurs, je ne vous de-
mande pas de m'écouler avec une puérile crédulité
et de renoncer à l'usage de votre raison. Swédenborg
lui-même ne vous le demanderait pas, car nul plus
que lui n 'a combattu la foi aveugle et réclamé le
libre examen; il n'estime que les croyances raison-
nables et raisonnées, et n'avance aucune assertion
sans l'asseoir sur des preuves. Tout ce que je vous
demande, c'est d'aborder cette étude sans parti pris;
de vous rappeler sans doute que l'explorateur du
Ciel et de l'Enfer est un homme de génie et, qui plus
est, un chrétien fort avancé, mais non pas de vous
croire obligés de tenir pour vrai tout ce qu'il dit.
Regardez d'abord tout cela comme une conception
-i', -
humaine, individuelle, comme la représentation qu'a
pu se faire des choses invisibles un esprit d'élite, à
la fois vel'sé dans toutes les sciences, très philoso-
phique et profondément religieux , Comparez cette
conception avec les nolions vagues et contradicto ires
dont on se contente autour de nous; réfléchissez-y
en vous laissant guider pal' ce qu'il y a de meilleur
dans votre âme. Vous pourrez a lors prononcer avec
impartialité, en toute connaissance de cause. Quel
que soit votre jugement, je pense qu'il ne sera pas
très différent du mien,

* * *
Un seul ouvrage peut être comparé à celui de
Swédenborg sur Le Ciel et l'Ente,', c'est la Divine
Comédie ou plulôt la Vision de Dante Alighieri;
mais si ces deux livres se proposent le même sujet,
ils se séparent absolument par leur manière de le
traiter, Celui de Dante est sans doute un immortel
chef-d'oeuvre; aussi des érudits enthousiastes, -
comme le colonel Pochhammer en Allemagne et en
Suisse, et Mrs. Hamilton Bromby en Angletel're, -
travaillent-i ls aujourd'hu i encore à le faire com -
prendre et aimer. On l'a nommé .. un des plus su-
blimes efforts de l'invention humaine»; mais c'est
précisément une « invention », une composition lit-
téraire, un poème, et nullement le récit de ce qui a
été « vu et entendu» par un véritable Voyant. Il y a
là une supériorité pour ceux qui croient que Dieu
nous a caché les choses du monde invisible, et que
-15 -
nous agissons contre sa volonté en essayant de sou-
lever le voile qui les couvre; mais une infériorité
pour ceux qui savent que Dieu se plaît à révéler aux
hommes les mystères de son royaume, et qu'il nous
les révèle dans la mesure où nous sommes capables
de les comprendre et d'en profiter.
A cette première différence, qui est fondamentale
assurément, s'en ajoute une seconde, non moins
grave. Dante a vécu dans la seconde partie du trei-
zième siècle et dans la première partie du quator-
zième; par conséquent, quelque éminent qu'il ait
été comme théologien et comme penseur, il n'en re-
présente pas moins l'Eglise à laquelle il appartenait,
savoir le catholicisme du moyen âge. Swédenborg,
au contraire, est venu plus de quatre cents ans
après; il a écrit en plein dix-huitième siècle, au
moment où la raison s'émancipait et se flattait de
remplacer le christianisme par la philosophie; élevé
au sein du luthéranisme, il en a réformé les doc-
trines au point que son spiritualisme dépasse encore
de beaucoup le niveau de l'enseignement dans les
Eglises protestantes. Nous pouvons, en y prenant
peine, - car cela ne va pas tout seul, - comprendre
et nous assimiler sa conception du Ciel et de l'En-
fer; nous ne pouvons pas rétrograder jusqu'à celle
du poète florentin et nous replacer au point de vue
qui prévalait partout avant la Réformation du sei-
zième siècle.
Conformément aux préoccupations de son époque,
Dante accorde plus de place à l'Enfer qu'au Ciel et
-16 -
qu'au Purgatoire '. La proportion est inverse dans les
trois parties de l'ouvrage de Swédenborg; elles sont
en outre beaucoup plus inégales de longueur. La
première, le Giet , compte en effet 307 pages grand
in-So, la seconde, te Monde des Esprits, n'en a que
105, et la troisième, t'Enfer, en a moins encore, 52
seulement. Ainsi Swédenborg nous en dit trois fois
plus sur le Ciel que sur le Monde intermédiaire et
deux fois plus sur ce dernier que sur l'Enfer. Cette
dégression si marquée me semble correspondre à
l'importance relative des trois sujets. Celui qui nous
intéresse au plus haut degré, c'est le Ciel, car il est
le but que Dieu propose à tous les hommes, et il
nous importe essentiellement d'en connaître les con-
ditions d'entrée et les lois. Celui qui, après cela, mé-
rite le plus notre attention, c'est le Monde des Es-
prits (Swédenborg ne dit pas te Purgatoire); car tous
sans exception nous allons y entrer dans quelques
années au plus tat' d, dans une heure peut-être, pour
y passer un certain temps et y tet'miner la prépara-
tion morale commencée dans la vie présente. Il
excite également notre sérieuse curiosité à l'égard
des parents e t des amis qui nous quittent incessam-
ment pour s'engoufft'er dans ce domaine mystérieux.
Celui des trois sujets dont nous avons le moins he-
soin d'être entretenus en détail, c'est l'Enfer, car
nous espérons ne jamais faire la connaissance de ce
lugubre empire; nous savons qu'il n'est pas fait pour
nous et que, pour l'éviter, nous n'avons qu'à vouloir
t Un peu plus de place. Dani la version anglaise de H. F. Cary,
,. Enfer a 116 paies. le Purgatoire 175 et le Ciel i 71.
- 17 -
accomplir la volonté de Dieu, en profitant des res-
sources qu'il met à notre disposition~ Le théosophe
scandinave a donc été bien inspiré en nous donnant
plus d 'éclaircissements sur le Ciel que sur le Monde
des Esprits et en parlant très brièvement de l'Enfer.

* * *
Après avoi r étudié pendant trois séances le Ciel,
qui est le premier sujet de Swédenborg et le troi-
sième chez Dante, passons au Monde intermédiaire,
qui est le second sujet de cette trilogie chez l'un et
l'autre auteur. Le nom qui lui est donné par Swé-
denborg, le Monde des Esprits, ne doit pas le faire
confondre avec le « Monde spirituel », dont il ne
forme qu'une partie. Le Monde des Esprits est ainsi
nommé parce qu'il est h a bité par les « esprits» pro-
prement dits, par ceux qui ne sont encore devenus
ni anges, ni diables ou satans, par les hommes res-
suscités avec un corps spirituel avant qu'ils soient
parvenus à leur demeure définitive. Il n'y a pas d'in-
convénient à l'appeler aussi le Monde intermédiaire,
puisqu'il est situé entre l e Ciel et l'Enfer et leur sert,
pour ainsi dire, d e vestibule.
Je l'ai précédemment ide ntifié avec le Hadès du
Nouveau Testament et je ne pense pas m 'être trompé.
Le Hadès était la traduction g r ecque du mot hébreu
Shéol employé par les anciens prophètes; seulement
ce « Sépulcre », ou ce « séjour des morts D, s 'était
enrichi au point de vue du sens en passant de l'an-
cienne alliance à la nouvelle. Mais, je dois le recon-
nartre, Swédenborg ne fait pas cette identification;
SWÉDENBORG Il
-18 -
n confond, au contraire, le Hadès avec la cr géhenne
du feu» ou l'Enfer, lieu de punition des damnés. Je
m'en tiendrai donc, pour le moment du moins, à son
vocabulaire, afin de ne pas vous embrouiller en mê-
lant mes propres idées avec les siennes.
Cathol ique romain en dépit de ses hardiesses,
Dante a conservé à ce vestibule du Ciel et de l'Enfer
le nom de Pu"gatoire, nom qui rappelle tout un en-
semble de superstitions et d'abus. Le trafic scanda-
leux des indulgences par Tetzel et les thèses fu lmi-
nantes de Martin Luther firent éclater la Réforma-
tion, Il y eut alors chez tous les pl'otestants une telle
réaction contre la doctrine du Purgatoire qu'on se
jeta dans l'extl'ême opposé. A u lieu de se borner à
purifier la notion du séjour des morts, on supprima
tout intermédiaire entre cette vie et l'état définitif,
heul'eux ou malheureux, auquel elle doit aboutir.
Une fois séparée du corps, l'âme humaine s'en va
directement au Ciel ou en Enfer, en vertu d ' un juge-
ment immédiat prononcé par le Fils de l'Homme.
Cette croyance a l'égné plus de tro is siècles et demi
dans la chrétienté protestante, et elle n'en a pas dis-
paru; cependant la théologie contemporaine, moins
préoccupée de se préserver des erreurs du papisme
que d'en revenir au christianisme primitif, affirme
de nouveau l'existence d'un séjour provisoire entre
l'état final des justes et cel ui des impénitents. L'or-
thodoxie évangélique elle-même, par l 'organe de ses
représentants autorisés, accepte à peu pl'ès unani-
mement cette notion, qu'elle eût anathématisée au
milieu du siècle dernier. C'es t dire que sur cette
- 19-
grosse question les réformés sont arrivés, par leurs
propres études, au point de vue soutenu par Swé-
denborg il y a plus de cent cinquante ans. II est cer-
tain d'ailleurs que, sur plusieurs autres questions
non moins graves, la théologie protestante s 'est éton-
namment rapprochée de celle de notre écrivain.

* * *
La résurrection, par laquelle on entre dans l'autre
monde, se présente comme la contre-partie de la
mort. Nous avons donc à nous demander avant tout
en quoi la mort consiste. Ce problème est inquiétant
entre tous. Car la mort nous apparalt comme un
phénomène étrange, inexpliqué sans la révélation,
inévitable, fatal, fréquemment subit, qui bouleverse
tous nos projets et qui reste pour les incrédules « le
roi des épouvantements ». Je pourrais ajouter que
les chrétiens eux- mêmes, j'entends beaucoup de
ceux qui professent de l'être 'et qu'on regarde comme
tels, continuent à en avoir peur, Qu'est-ce donc que
la mort d'après les explications du théosophe sué-
dois?
La mort n'est pas pour l'homme le terme réel de
son existence, la destruction de sa personnalité,
comme l'enseignent les matérialistes, qui ont toute
raison de la craindre et de la considérer comme le
plus grand des malheurs. Elle ne consiste pas non
plus à dépouiller notre âme de son organismê actuel
pour la laisser nue et désemparée, somnolente ou
absolument endormie, sans aucun moyen de se ma-
nifester, et cela pendant des milliers d'années, jus-
- 20-
qu'au jour du jugement universel, comme beaucoup
de croyants se l'imaginent, ce qui n'est pas de na-
ture à vivifier leur espérance et à les encourager en
face du sépulcre.
Non, la mort n'est pas quelque chose d'aussi lu-
gubre; l'Evangile bien compris ne nous dit rien de
pareil. La mort est simplement le passage d'un
monde dans l'autre. Chacun de nous est formé de
deux é léments de valeur inégale, l'intérieur et l'ex-
térieur. L'intérieur, que nous avons l'habitude d'ap-
peler l'âme ou l'esprit, est la partie essentielle de
notre être, il constitue notre Moi; l'extérieur, que
nous nommons le corps, n'est qu'un vêtement tran-
sitoire de l'âme, un organe matériel destiné à la
mettre en relation avec le monde sensible et merveil-
leusement adapté à cet usage, mais incapable d'en-
trer dans le monde supérieur où il ne servirait à
rien. Quand le corps est usé ou que l'âme n'en a plus
besoin, il reste en arrière, se décompose et retourne
à la poudre d'où il a été tiré, tandis que l'être inté-
rieur ou spirituel passe dans le monde invisible pour
y vivre d'une vie plus réelle, plus consciente et plus
complète que celle d'ici-bas.
Pour celui qui a compris cela et qui se sent en
communion avec la source de toute vie, la mort a
perdu ses terreurs; elle est moins un dépouillement
qu'un enrichissement, un progrês; c'est une vallée,
sombre peut-être, à traverser, au delà de laquelle
s'ouvrent les perspectives infinies de l'activité bien-
faisante, de la sainteté et du bonheur célestes. Pour
- 21-
le fidèl e disciple de Jésus-Christ, la mort n'existe
p lus comme telle, car elle est le portique donnant
sur l'immortalité; aussi les anges la regardent-ils de
ce côté lumineux et, quand nous disons « mort D,
entendent-ils « résurrection ». Ecoutez plutôt Swé-
denborg:
« Quand, dans le monde naturel, le corps ne peut
plus remplir les fonctions correspondant aux pensées
et aux affections de son esprit, on dit que l'homme
meurt. C'est ce qui arrive quand les mouvements
respiratoires des poumons et les mouvements systo-
liques du cœur viennent à cesser. Toutefois l'homme
ne meurt pas réellement, il est seulement séparé du
corporel qui était à son service dans le monde; car
l'homme même vit. Nous disons que l'homme survit
parce que l'homme est homme non d'après le corps,
mais d'après l'esprit; en d'autres termes parce que
dans l'homme c'est l'esprit qui pense, et que la pen-
sée avec l'affection constitue l'homme. D'après cela
il est évident que, lorsqu'il meurt, l'homme passe
seulement d'un monde dans un autre; de là vient
que, dans le sens interne des Ecritures, la mort
signifie la résurrection et la continuation de la vie. D r. ,E. ~
Je poursuis: 4: II Y a une intime communication
de l 'esprit avec la respiration et avec le mouvement
du cœur: communication de sa pensée avec la res-
piration et communication de l'affection, qui appar-
tient à l'amour, avec le cœur; c'est pourquoi, quand
ces deux mouvements cessent, il y a aussitôt sépara-
tion . Ces mouvements sont les liens mêmes dont la
- 22-
rupture laisse l'espdt abandonné à lui~même; le
corps, étant alors privé de la vie de son esprit, de-
vient froid et se putréfie. » c. ... ". 0(,<6".
« Après la séparation, l'esprit de l 'homme r este un
peu de temps dans le corps, mais seulement jusqu'à
ce que le mouvement du cœur ait cessé totalement,
ce qui se fait avec variété selon l'état de maladie
dont l'homme meurt; car le mouvement du cœur
dure longtemps chez quelques-uns, chez d'autres
moins longtemps. Dès que ce mouvement cesse,
l'homm e est ressuscité, ce qui est opéré par le Sei-
gne ur seul. Par l'action de ressusciter nous enten-
dons le retrait de l'esprit de l'homme hors du corps
et son introduction dans le monde spirituel, ce qu'on
appelle communéme nt Résurrection. Si l'esprit de
l' homme n'est pas séparé du corps avant que le mou-
vement du cœur ait cessé, c 'est parce que le cœur
correspond à l'affection apparte nant à l'amour, la-
quelle e st la vie même d e J'homme; car c 'est d 'après
l'amour que chacun a la chaleur vitale. Voilà pour-
quoi autant dure cette conjonction, autant il y a cor-
respondance et par conséquent vie de l 'esprit dans
le corps. C . e. "'" ~ J<.
» Il m 'a été non seulement dit, mais encore mon-
tré par vive expérience comment s'opère la résurrec-
tion; l'expérience même en a été faite sur moi, afin
que j'en eusse une pleine connaissance. <:F. v,<,f'
» Je fus rendu in sensible quant aux sens corpo-
rels, ainsi presque réduit à l'éta t d es mourants, ma
vie intérieure demeurant toute fois entière avec la
pensée, pour que je pusse percevoir et retenir dans
- 23-
ma mémoire ce qui allait se passer pour moi, et ce
qui se passe en ceux qui sont ressuscités des morts.
Je perçus en effet que la respiration du corps avait
été presque enlevée, la respiration intérieure, qui
est celle de l'esprit, restant conjointe avec une faible
et tacite respiration du corps. Alors il me fut pre-
mièrement donné communication, quant au pouls
du cœur, avec le Royaume céleste, parce que ce
royaume correspond au cœur chez l'homme; je vis
même des anges de ce royaume, quelques-uns dans
l'éloignement et deux assis auprès de ma tête. En
conséquence, toute affection propre me fut enlevée,
mais il me restait toujours la pensée et la percep-
tion. Je fus dans cet état pendant plusieurs heures.
Alors les esprits qui étaient autour de moi se retirè-
rent, croyant que j'étais mort. Une odeur aromati-
que, semblable à celle d'un cadavre embaumé, se fit
même sentir; car, lorsque les anges célestes sont
présents, ce qui est cadavéreux est senti comme
aromatique. Quand les esprits sentent cette odeur,
ils ne peuvent approcher; ainsi les mauvais esprits
sont chassés de l'esprit de l'homme au moment de
son introduction dans la vie éternelle.
» Les anges assis près de ma tête gardaient le si-
lence, se bornant à mêler leurs pensées aux miennes;
quand leurs pensées sont reçues, les anges savent
que l'esprit est prêt à être retiré du corps. La com-
munication de leurs pensées se faisait par leur regard
dirigé vers ma figure, car c'est ainsi que dans le Ciel
les pensées se comm uniquen 1.» C. E . " .,.:?
« Quan d les anges célestes sont auprès du ressus-
-~-

cité, ils ne l'abandonnent point, car ils aiment tous


les hommes; mais quand l'esprit est tel qu'il ne peut
rester plus longtemps dans la compagnie des anges
célestes, alors il désire lui-même se séparer d'eux.
Dans ce cas des anges du Royaume spirituel s'appro-
chent, et ce sont eux qui lui donnent l'usage de la
lumiére; car auparavant il ne voyait rien, il ne fai-
sait que penser. Il me fut aussi montré comment cela
se fait.
J) Ces anges semblaient dérouler la tunique de
l'œil gauche vers la cloison du nez, pour ouvrir l'œil
et donner la faculté de voir. L'esprit perçoit les choses
comme si elles se passaient ainsi, pourtant c'est une
apparence. Lorsqu'il semble que la tunique ait été
déroulée, il apparalt quelque chose de lumineux,
mais d'obscur, comme quand l'homme, à son pre-
mier réveil, voit à travers ses paupières; ce lumi-
neux obscur me parut de couleur céleste, mais il me
fut dit que cela se fait avec variété. On sent ensuite
comme quelque chose qui se déroule mollement de
dessus le visage, après quoi la pensée spirituelle est
introduite; ce déroulement est aussi une apparence,
car il représente que le ressuscité passe de la pensée
naturelle à la pensée spirituelle.
» Les anges veillent avec le plus grand soin à ce
que le ressuscité n'ait aucune autre idée que celles
qui procèdent de l'amour; alors ils lui disent qu'il
est un esprit. Les anges spirituels, après avoir donné
au nouvel esprit l'usage de la lutnière, lui rendent
tous les services qu'il peut désirer dans cet état, et
l'instruisent des choses de l'autre vie selon qu'il
- 25 -
peut les comprendre. Si toutefois le ressuscité n'est
pas tel qu'il veuille être instruit, il désire s'éloigner
de la société de ces ang es; mais, dans ce 'cas même,
les anges ne l'abandonnent point, c'est lui q u i se sé-
pare d'eux. Car les anges aiment chaque homme, et
leur plus grand désir est de rendre des services,
d'instruire et de conduire au Ciel; c 'est en cela que
consiste leur plaisir suprême .
l) Quand l'esprit se sé pare ainsi des anges, de bons

esprits le reçoivent et lui rendent aussi de bons offi-


ces. Mais, si sa conduite sur la terre a été telle qu'il
n'ait pu vivre dans la société des justes, il désire
encore se séparer de ces esprits, et cela aussi long-
temps et aussi souvent qu'il est nécessaire pour qu'il
s'associe à ceux qui sont en comple t accord avec ce
qu'il a été dans le mon·de. Auprès de ces derniers il
retrouve sa vie, et même, chose étonnante, une vie
semblable à celle qu'il menait sur la terre. c. E . <,,..,
D Mais cet exorde de la vie de l 'homme après la
mort ne dure point au delà de quelques jours. Après
cela le ressuscité est conduit d'un état à un autre,
et finalement soit dans le Ciel, soit dans l'Enfer; il
m 'a été aussi donné de le savoir par un grand nom-
bre d'expériences. <'Co 9- $"
l> J 'ai conversé avec quelques ressuscités le troi-
sième jour après l!)ur décès, lorsque les opérations
mentionnées ci-dessus étaient accomplies; j'ai con-
versé même avec trois d 'entre eux que j'avais connus
dans le monde, et je leur racontai qu'à l'instant même
on préparait des funérailles pour la sépulture de
leur corps. Je d isais « pour leur sépulture », mals à
- 26-
ce mot ils furent frappés d'une sorte de stupeur et
affirmèrent qu'ils étaient vivants, disant qu'on ne
mettait dans le tombeau que ce qui leur avait servi
dans le monde. Ils étaient tout étonnés que, tandis
qu'ils étaient sur la terre, ils n'eussent pas cru à une
telle vie après la mort, et que surtout au sein de
l'Eglise presque tous fussent comme eux. Quand ceux
qui n'ont pas cru ici -bas à une vie de l'âme après la
vie du corps remarquent qu'ils vivent encore, ils
sont extrêmement confus. Mais ceux qui se sont con-
firmés dans leur incrédulité sur ce point sont conso-
dés à leurs semb lables et séparés de ceux qui ont
vécu dans la foi . Le plus souvent ils sont liés à quel-
que société infernale, parce que de tels esprits ont
aussi nié le Divin et méprisé les vérités de l'Eglise;
car autant quelqu'un se confirme contre la vie éter-
nelle de son âme, autant il se confirme également
contre ce qui appartieht à l'Eglise et au Ciel. » <1- ~Jt .
Connaissez-vous, mes chers auditeurs, quelque
chose de plus réconfortant que cette conception de
la mort et cette réception dans l'autre vie? Vous me
direz peut-être qu'il est encore plus beau d'être ac-
cueilli par le Sauveur lui-même, si du moins on se
croit du nombre des élus, et introduit par lui direc-
tement dans la gloire et la béatitude du Ciel. Mais un
être raisonnable et développé (je ne parle pas des
enfants) peut-i l envisager l'avenir avec un tel opti-
m isme? L'Ecriture Sainte et notre conscience, sé-
rie 'lsement Î1Herrogées, nous permettent- elles de
COllserver ce naïf point de vue? Je ne le pense pas.
Aussi bien péchons-nous aujourd'hui plutôt par la
- 27-
faiblesse de nos espérances que par leur exagération.
L'agnosticisme, c'est-à-dire l'ignorance systématiquell
de tout ce qui se passe de l'autre côté du tombeau, 1
est à la mode jusque chez les chrétiens et chez leurs
conducteurs, qui croient pourtant en bloc à la vie
éternelle. A plus forte raison beaucoup de braves
gens, qui ne se donnent pas pour convertis, sont-ils
d ans le doute au sujet du salut par Christ et de leur
propre survivance, questions que d'ailleurs ils n'ont
jamais pris la peine d 'examiner. Si toutes ces per-
sonnes-là pouvaient connaitre et surtout admettre le
point de vue que je viens de rappeler, quelle conso-
lation pour elles, et aussi quel solennel avertisse-
ment 1
* * *
La résurrection immédiate est infiniment plus
vraisemblable que la résurrection renvoyée à la fin
du monde, telle que l'ont comprise les autorités ca-
tholiques, suivies à cet égard, comme à beaucoup
d'autres, par les Réformateurs. Voici comment s' ex-
prime une confession· de foi du seizième siècle, celle
de Guy de Brès, qui était encore en vigueur il y a
quelques années dans l'Eglise chrétienne mission-
naire belge i :
Il Quand le temps ordonné par le Seigneur sera
venu, temps inconnu à toutes créatures, notre Sei-
gneur Jésus-Christ viendra du ciel corporellement et
visiblement, comme il y est monté, pour se mani-
fester comme le juge des vivants et des morts, et
t Et au nom de laquelle mes 'Vues ont été réprouvées dan. un synode
réuni à BrUltelIes en tB8!.
- 28-
mettre à feu et à flammes ce vieux monde afin de le
purifier. Alors comparaitront devant ce grand juge
toutes les créatures humaines qui auront été depuis
le commencement du monde jusqu'à la fin, y étant
citées par la voix de l'archange et par le son de la
trompette divine . Car tous ceux qui au,·ont aupara-
vant été morts ressuscite.·ont de la ter,·e, l'esprit étant
de nouveau joint au propre corps dans lequel il a
vécu. » C'est alors, d'après ce document, que s'ac-
complira la rédemption totale des élus. <1. Ils verront
la vengeance horrible que Dieu fera des méchants
qui les auront tyrannisés, affligés et tourmentés. »
Avez-vous pensé à la longueur de l'intervalle que
nos pères plaçaient entre le moment où l'âme aban-
donne son organisme charnel et le moment où elle
le. reprendra? Supposons que l'humanité n 'ait que
six mille ans d'existence, - pour nous contenter
d'un minimum indiscutable, - et qu'elle soit déjà
parvenue au milieu de sa carrière : les hommes
d 'aujourd'hui devront attendre durant soixante siè-
cles, dans le sombre empire des morts, la reprise de
leur corps actuel que rappelleront à la vie les fan-
fares de la trompette céleste. Adam et Eve, ou quels
qu'aient été nos premiers ancêtres, dormènt d'un
sommeil de douze mille ans! Que dis-je? S'il faut en
croire nos savants sur l'ancienneté de la race hu-
maine et sur la perspective qu'a cette race de durer
beaucoup plus longtemps que nous ne venons de le
dire, c'est par des centaines de siècles ou par des
millions d'années que nous serions éloignés de notre
propre résurrection 1
- 29-
Est-il possible d'admettre encore de nos jours une
pareille doctrine? J'avoue que plus j'y réfléchis, plus
je la trouve irrationnelle. A quoi bon cette immense
perte de temps, si contraire à la sagesse divine et à
l'économie qui se manifeste dans toute la création?
Pourquoi ne pas rendre promptement à nos âmes
leur corps matériel, si ce corps leur est vraiment
nécessaire? Et comment imaginer ou même conce-
voir la subsistance d'un esprit fini absolument privé
de corps, ne possédant par conséquent aucun des
cinq sens dont il jouissait grâce à son incarnation
sur la terre? Un tel esprit, me semble-t-il, ne pour-
rait pas plus penser que vouloir et agir, il n'aurait
plus conscience de lui-même, il serait, en un mot,
paralysé par un sommeil sans rêves . Mais ce sommeil
de plomb prolongé indéfiniment, ce sommeil de l'es-
prit désincarné et dépourvu de tout organisme, com-
ment le distinguer de l'anéantissement?
Dans ces conditions, la résurrection ressemblerait
singulièrement à une seconde création, plus surpre-
nante que la première, je veux dire à la création des
mêmes individus, rayés, on ne sait pourquoi, pour
une période d'une longueur immense, du nombre
des vivants.
S'il s'agit simplement, au contraire, d'un sommeil
animé pa>o des ,oêves, d'un demi-sommeil dan s leq uel
les âmes ont un avant-goût du Ciel ou de l'Enfer,
étant déjà ou « heureuses avec le Seigneur », ou
plongées « dans les tourments f », comment nous
t Catühis1ne d'Alexis Reymond, pasteur de l'Eglise libre de Lau-
sanne.
-30-
expliquer qu'une sensibilité aussi développée soit le
partage de créatures dépouillées de leur organisme,
d'hommes sans nerfs et sans cerveau?

* * *
Le second point capital du programme de Guy de
Brès, c'est que la résurrection consistera dans la
révivification du corps mort et réduit en poudre.
Cl Car, dit-il, tous ceux qui auront auparavant été

morts ressusciteront de la te,·re, l'esprit étant de


nouveau joint au p,·opre co,·p' dans lequel il a
vécu. » Il s'agit bien ici de la réunion de l'esprit
désincarné avec son ancien corps, ou de ce que le
Symbole attribué inexactement aux Apôtres appelle
« la résurrection de la chai>· » en dépit de cette dé-
claration formelle de saint Paul: Cl La chair et le
sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu. »
Si de nos jours des théologiens toujours plus nom-
breux s'élèvent au-dessus de cette représentation
grossière et pensent que nos âmes « doivent être
revêtues de nouveaux corps, » Calvin voit dans cette
opinion, soutenue déjà de son temps, une Cl rêverie»
mise en avant par Ci. des esprits curieux et tortus. »
Il affirme imperturbablement que « Die.. til·era de
leu,·. sép.ûcres les cadavres qui y auront été déposés
et les vivifiera. Nous ressusciterons, ajoute-t-il, en la
même chair que nous portons aujourd'hui quant à la
substance, mais non quant à la qualité. » Cela revient
à dire que notre corps matériel, tombé én pourri-
ture, mais plus tard recomposé par un acte incom-
préhensible de la toute-puissance, acquerra tout à
- 31 -
coup de nouvelles propriétés, passera par exemple
de la « corruption » ou de la mortalité à « J'état
incorruplible. ])
Ai-je besoin de relever l'incompatibilité de cette
conception naïve, conservée en général par les pro-
testants, avec la science moderne dont nous sommes
plus ou moins imbus? Nous ne pouvons plus nous
figurer que les âmes des trépassés de toutes les gé-
nérations retrouveront, au moment de la destruc-
tion de notre planète, le corps matériel qu'elles
auront employé jadis, dans un passé lointain et
ténébreux, ce corps putréfié dont les partic u les
désagrégées, rentrant dans la circulation u niver-
selle, auront servi mainte fois à former d'autres
hommes, ainsi que toute espèce de plantes et d'ani-
maux . Au reste que fe rions-nous d'un corps de chair
et d'os dans le royaume des cieux, dont le caractère
exclusivement spirituel n'est plus mis en doute par
les chrétiens éclairés?
Ainsi, rompant en visière avec l'orthodoxie, qui
était beaucoup plus carrée et plus autoritaire de son
temps que du nôtre, Swédenborg annonce une ré-
surrection tout à fait immatérielle, qui découle très
logiquement de son anthropologie. Nous sommes,
d'après lui, des êtres spirituels, des esprits complets
en eux-mêmes, mais provisoirement « survêtus »
d'un organisme visible, destiné à nous mettre en
rapport avec la terre et la famille humaine.

* * *
-32-
L'homme-esp,'it, qui lors de notre décès entre
dans le monde suprasensible, n'a point à regretter
le corps infirme et périssable qu'il a laissé en arrière;
car il en possède un autre, déjà latent sous la chair
que l'âme animait ici-bas, un autre qui lui tient de
pl us près encore, étant la form e . qui correspond
exactement à son mental, un autre qui est glorieux,
incorruptible et qui à tous égards surpasse le pre-
mier, Ce corps spÏ>'ituû, enseigné par Swédenborg,
a été déjà n ommé et quelque peu décrit dans le
Nouveau Testament. Nous lisons, "en effet, dans le
magnifique chapitre consacré par ' saint Paul à la
,'ésurrection (1 Cor. XV) : Cl S'i l Y a un corps animal,
il y a aussi un corps spirituel .... Mais ce n'est pas ce
qui est spirituel qui vient le premier, c'est ce qui
est animal; le spirituel vient ensuite . ... Et comme
nous avons porté l'image de l'homme terrestre
(Adam), nous porterons aussi l'image du céleste
(Jésus-Christ). » Le théologien de Stockholm ne fait
donc que développer et présenter sous une forme
scientifique, en harmonie avec tout son système,
une doctrine que l'apôtre des gentils avait déjà
découverte par une intuition de son génie ou de sa
foi, mais que l'Eglise, devenue mondaine et maté-
r ielle, oublia pendant dix-neuf siècles. Je suis heu-
reux de pouvoir ajouter qu'on commence à y revenir
dans les milieux universitaires.

* * *
Loin d'être un fantôme insaisissable comme les
Ombres de la mythologie grecque, notre corps futur
-33-
n'est pas moins réel, solide et palpable que le corps
naturel et terrestre qui sert maintenant d'organe à
notre mental; il mérite, au contraire, l'épithète de
substantiel, l'esprit ayant beaucoup plus de réalité
que la matière, étant même, à proprement parler,
l'unique substance de l'univers. Sur ce dernier point,
je veux dire sur la question fondamentale entre
toutes de la « substance », la philosophie dans ses
représentants les plus distingués arrive .en ce mo-
ment à la théorie de Swédenborg.
Cette théorie à le grand avantage de nous délivrer
de l'antique dualisme de l'âme et du corps, consi-
dérés comme deux entités absolument distinctes et
même opposées. Le Moi pensant des créatures
n'existe jamais sans un organisme, toujours appro-
prié au théâtre de son activité, que ce théâtre soit
le monde naturel ou l'empire suprasensible. Non
seulement notre âme, en se séparant de son corps
physique, ne se trouve pas dépouillée de ses sens,
par conséquent privée de tout moyen de se mani-
fester et même de toute conscience de soi, mais
nous ne pouvons concevoir qu'elle vive un seul jour
dans l'invisible sans un corps immatériel, semblable
à celui qu'on a de tout temps attribué aux anges.
Le raisonnement de Paul sur la résurrection et
d'autres passages de la Bible donnent sans doute
l'idée que le corps qui ressuscite est celui qui a été
déposé dans la tombe . C'est la représentation natu-
relle, par laquelle on devait commencer avant de
s'élever à une conception plus pure. Mais, ne l'ou-
blions pas, il ne faut pas s'arrêter à la lettre des
5WÉDENDORG II
- 34-
Ecritures, quelle que soit son importance; sous le
sens naturel et premier, qui peut suffire aux igno-
rants, les croyants instruits sont appelés à recher-
cher le sens interne ou spirituel, qui va plus pro-
fond et qui seul permet de réfuter les objections de
l'incrédulité savante.
Quant aux vraies relations entre le corps matériel
et le corps spirituel, elles me paraissent être les
mêmes qu'entre une statue de terre glaise et une
statue de marbre b lanc, faites l'une et l'autre par
un artiste et représentant le même sujet, disons
Jupiter ou Apollon , La première de ces statues est
totalement différente de la seconde au point de vue
de la matière ou de la substance; elle ne lui a fourni
aucune molécule et réciproquement n'en a reçu
aucune. Elles n'ont ni le même poids, ni la même
valeur, il s'en faut de beaucoup, Quant à la durée,
l'une est fragile et peut être mutilée ou détruite par
le moindre accident; l'autre est pratiquement indes-
tructible et pour ainsi dire immortelle. Elles ont
cependant même forme, mêmes dimensions et mê-
mes proportions, même expression, même inspira-
tion, même beauté. Elles réalisent de deux manières
la même conception artistique, elles sont quant à
l'essentiel la même statue, l'Apollon ou le Jupiter
que le sculpteur a i maginé. Mais la seconde seule
est destinée à orner le temple du dieu et à y résider
en permanence; la première, celle d'argile, peut être -
brisée, anéantie sans grand inconvénient: elle ·est --
remplacée par un chef-d'oeuvre qui défie les siècles.
Il en est ainsi de notre corps actuel et de celui
- 35-
que nous aurons pour la vie à venir. On peut les
envisager comme un seul corps, en tant que chacun
d'eux est not"e corps, l'expression et l'organe de
notre individualité. Mais, à y regarder de plus près,
ils sont profondément dissemblables. Non seulement
le premier est assujetti à la maladie, aux infirmités
et il. la mort, tandis que le second sera délivré de ces
limitations douloureuses; mais l'un manifeste notre
âme dans sa période d'éducation et de réformation,
- et encore ne le fait-il que d'une façon très impar-
faite, - tandis que l'autre la manifestera quand elle
aura conquis sa personnalité véritable et se sera
purifiée des souillures de la terre. Ces derniers mots
supposent que le corps spirituel se modifiera sans
cesse afin de refléter exactement l'état mental du
Moi qui l'habite, et que par conséquent il pourra
progresser indéfiniment en force et en beauté, au
lieu de s'affaiblir et d'enlaidir par l'effet de l'âge et
du travail.
Si ce point de vue est celui de la foi, il me parait
être en même temps éminemment philosophique. Il
ne contredit en rien les résultats avérés de la
science, et, s'il dépasse les affirmations de la raison
livrée à ses seules ressources, il est absolument
rationnel en donnant la prédominance à l 'esprit, à
l'esprit qui est la substance même de Dieu et le
principe vital de la matière.
Quand on observe les signes des temps, on se rend
compte que le matérialisme est déjà vaincu dans les
couches supérieures de la pensée moderne, et qu'un
spiritualisme nouveau tend à le remplacer. C'est ce
- 36 -
spiritualisme, sous sa forme positivement chré-
tienne, - la plus logique et la plus satisfaisante de
toutes, - que nous avons trouvé chez Swédenborg.
Nous pouvons l'accepter avec confiance. Réjouis-
sons - nous donc de ce que la mort n'est pas la des-
truction de notre personnalité, ni même une longue
suspension de notre vie consciente, mais le simple
passage de l'univers astral à l'univers spirituel, une
merveilleuse évolution de notre Moi, sa naissance
au Monde spirituel pour lequel nous avons été créés
et dont le monde naturel n 'est que la grossière
image.
* * *
Venons-en maintenant au séjour des ressuscités.
Considéré comme un lieu, c'est-à-dire au point de
vue des « apparences », le Monde des Esprits est
situé entre l'Enfer et le Ciel. Les Enfers, placés au-
dessous, sont fermés de son côté, mais pas complè-
tement ; car on y remarque des trous et des fentes
dans les rochers, et quelques larges gouffres, ouver-
tures strictement gardées afin que les damnés ne
puissent en sortir sinon par permission et pour une
cause urgente. Le Ciel, placé au-dessus, est égale-
m ent clos et l'on ne peut arriver auprès d'une So-
ciété angélique qu'en prena.nt un étroit chemin,
dont l'accès est, lui aussi, soigneusement défendu . Ce
sont c es entrées et ces issues que la Parole de Dieu
appelle ~ Portes de l'Enfer » et « Portes du Ciel. »
Mais écoutons plutôt l'explorateur de ce domaine
inconnu: « Le Monde des Esprits apparaît comme
une vallée, dont le sol tantôt s'abaisse et tantôt
- 37 -
s'élève entre des montagnes et des rochers. Les
portes conduisant aux Sociétés célestes ne se présen-
tent qu'à ceux qui sont prêts pour le Ciel; les autres
ne les découvrent pas. Pour aller du Monde des Es-
prits à toutes les Sociétés du Ciel il n'y a qu'une
seule entrée, suivie d'un unique chemin qui, en
montant, se partage en un grand nombre d'autres.
» Les portes du côté des Enfers ne se présentent
également qu'à ceux qui doivent y entrer; a lors elles
leur sont ouvertes. Ils aperçoivent aussitôt d es ca-
vernes sombres et comme couvertes de suie, menant
obliquement en bas vers un abîme près duque l on
remarque de nouveau plusie urs portes. De ces ca-
vernes montent des vapeurs noires et fétides que les
bons esprits fuient avec dégoût, tandis que les esprits
malins les aiment et les recherchent; car autant un
homme s'est complu ici-bas dans son mal (son pé-
ché), autant après sa mort il prend plaisir à l'infec-
tion à laquelle son mal correspond. Les mauvais es-
prits ressemblent en cela aux oiseaux de proie et
aux animaux carnassiers, - tels que les corbeaux,
les porcs et les loups, - qui, sitôt qu'ils perçoivent
une puanteur, volent et accourent vers les excré-
ments ou les matières cadavéreuses dont elle émane.
J 'ai entendu l'un de ces esprits pousser des cris qui
semblaient provenir d ' une torture intérieure, quand
un souffle du Ciel parvenait jusqu'à lui; je l'ai vu
paisible et joyeux au contraire, quand il é tait atteint
par une de ces exhalaisons s'échappant de l'Enfer. " <--<",f.?
Considéré comme état, je v eux dire comme état
d 'âme, - ce qui est le point de vue de la ré:: lité ,
-38-
puisque le temps et le lieu n'existent pas dans
l'autre vie, -le Monde des Esprits tient aussi le mi-
lieu entre le Ciel et l'Enfer, ou entre la nature des
anges et celle des démons . Nous retombons ici dans
la psychologie, qui pénètre tous les récits et toutes
les descriptions de Swédenborg, aussi bien que son
exégèse et sa doctrine. En effet le Ciel consiste, selon
lui, dans l'alliance du vrai et du bien, l'Enfer dans
l'alliance du faux et du mal. Or il nous arrive tôt ou
tard ,ravoir en nous l'Enfer ou le Ciel: l'Enfer si le
faux est uni au mal dans notre âme, le Ciel si le vrai
y est uni au bien.
Seulement, tant que nous vivons dans ce monde,
il existe un certain désaccord entre notre entende-
ment fait pour le vrai et notre volonté faite pour le
bien . Le plus souvent notre intelligence devance de
beaucoup notre vouloir. Elle reconnaît des vérités
que notre cœur, lâche ou perverti, refuse de mettre
en pratique; ainsi un très grand nombre de per-
sonnes, convaincues de la divinité de l'Evangile et
admettant théoriquement l'autorité du Christ, nour-
rissent des sentiments et commettent chaque jour
des actes qui contredisent cette foi de tête de la façon
la plus flagrante.
Chez d'autres, au rebours, la volonté vaut mieux
que l'entendement. Le cœur est grand ouvert aux
influences d'en haut, il a la ferme intention d'éviter
le péché et d'obéir aux commandements divins;
mais l'intelligence peu développée, paresseuse, faus-
sée par une instruction religieuse mal entendue, se
fait du devoir chrétien une idée extrêmement erro-
- 39-
née et confond ainsi le mal avec le bien. Tels sont
les catholiques pieux, qui, par soumission sincère
au pape et aux conciles, s'écartent grandement du
sentier tracé par le Sauveur et désobéissent à Dieu
en croyant travailler pour sa gloire. Et que dire des
protestants, des membres et pasteurs de nos Eglises?
Nul de nous n'osera soutenir qu'il n'yen a pas beau-
coup du même genre; je veux dire beaucoup qui,
pleins de bonne volonté, comprennent encore fort
mal la vérité révélée, et dont la coupable inintelli-
gence compromet plus ou moins gravement la cause
du vrai christianisme.
Dans l'un et l'autre cas, notre mental est divisé:
le Ciel et l'Enfer se combattent en nous, se disputent
notre être. Mais ce conflit intérieur ne saurait se
prolonger. Aussi l'arrêt que nous faisons dans le
Monde intermédiaire a -t -il précisément pour but de
nous mettre d'accord avec nous-mêmes, d'amener à
l'unité les deux facultés essentielles de notre âme.
L ' harmonisation s'opère en deux sens opposé s, selon
les dispositions morales de chaque individu.
Chez ceux . que l'Ecriture appelle les « bons »,
parce qu'ils ont en somme aimé, voulu et fait le bien
dans la mesure de leurs connaissances, l'entende-
ment est éclairé et fortifié jusqu'à ce qu'il marche
de pair avec la volonté. Ils sont alors mûrs pour le
Ciel. Chez les« méchants », c'est-à-dire chez ceux qui,
comprenant dans une certaine mesure leur devoir,
ne l'ont pas aimé et voulu de manière à y conformer
leur vie, mais ont librement choisi le mal, l'intelli-
gence est dépouillée des vérités qu'ils n 'ont pas mi-
- 40 -
ses à profit, elle se trouve envahie par d'épaisses
ténèbres et rabaissée au niveau de la volonté. Ils sont
alors mûrs pour l'Enfer.
Remarquez combien, aux yeux de Swédenborg,
la volonté prévaut sur l'entendement ou l 'amour
sur la foi. Ce qui fait l'homme, sa valeur véritable,
son sort éternel, c'est son amour dirigeant ou
l ' usage qu'il a fait de son libre arbitre. Son intelli-
gence n'est que la forme de cet amour, elle n'a
qu'une importance secondaire; aussi sera - t-elle
dans l'autre vie modifiée autant qu' il le faudra, en
bien ou en mal, pour s'accorder avec la faculté mai-
tresse, le cœur ou la volonté. Cette conception mo-
rale ou éthique du salut, opposée à l 'intellectualisme
et au dogmatisme, ne surprendra pas de nos jours
comme elle surprenait au dix-huitième siècle, car
elle est devenue familière aux penseu rs. Elle a
compté en particulier au nombre de ses plus nobles
représentants le philosophe de Lausanne, le re-
gretté Charles Secrétan, qui a ouvert la première
série de nos « Conférences apologétiques» et que j 'ai
eu souvent pour auditeur.

* * *
De tout ce que nous venons d e voir se dégage, me
semble-t-il, une impression singulièrem ent encoura-
geante. Le passage d'un monde à l'autre, tel que l'a
décrit le Voyant scandinave, correspond à la plus
haute notion que nous puissions avoir de l 'ord re
moral de l'univers, par conséquent il éclaire, éveille
et stimule notre conscience.
-41-
En même temps il nous fait sentir, beaucoup plus
que la théologie courante, la tendresse et les soins
de l 'amour de Dieu. Aux termes de mort et de résur-
rection s'attachent ordinairement des idées d'épou-
vante, de châtiment et de tortures, de pleurs et de
grincements de dents, des scènes grandioses sans
doute, mais sinistres et terrifiantes; aussi la pensée
s'en détourne-t -elle avec effroi et peu de gens ont-ils
le courage de les considérer en face.
Au lieude cela que voyons-nous? Tous les hom-
mes sans exception reçus dans le monde invisible
par les anges les plus purs et les plus aimants, tous
accueillis à leur entrée dans cette sphère supérieure
avec plus de sollicitude qu'ils n 'en ont rencontré
en naissant à la vie de la terre, tous soignés et servis
par ces êtres puissants et glorieux, tous libres de
rester dans cette société d'élite, mais, s'ils n'en sont
pas dignes, pouvant choisir le cercle de leurs rela-
tions, s'associant avec ceux qui partagent leurs ten-
dances, leurs sentiments, leurs goûts, formant ainsi
des sociétés et des familles spirituelles où chacun
sera aussi heureux que le permet sa mentalité! Une
pareille perspective n 'est-elle pas de nature à aug-
menter noh'e foi comme notre espérance? Elle doit
changer notre attitude vis-à -vis de la mort, je veux
dire dépouiller de ses terreurs le tombeau où notre
corps matériel va descendre et où tant de nos sem-
blables disparaissent chaque jour. Quand le soleil se
couche pour nous à l'horizon, il se lève dans une
autre hémisphère 1
DEUXIÈME LEÇON
Les deux mémoires: la mémoire interne et ses rapports avec
la mémoire externe. Découverte des choses cachées. Se
reconnaitra- t-oo dans l'autre monde? Réponse complexe.
Les trois états: l'état des extérieurs; l'étal des intérieurs;
l'état de préparation ou d'instruction. La dévastation dans
la Terre inférieure . Mahométans et païens . Le jugement
final. Les Anges informateurs. La vic passée inscrite dans
le cerveau et dans le corps de chaque esprit. Le Livre de la
Vie. La conception catholique et celle de Swédenborg.
Accord avec la conscience et la raison.

Se reeonnaîtra-t-on dans l'autre monde? Telle est


la question la plus fréquente qu'on nous adresse, si
nous prétendons savoir quelque chose de ce qui se
passe après la mort. Cette question se pose à nou-
veau chaque fois qu'un de ceux que nous aimons
disparaît à nos yeux et passe de l'autre côté du voile.
Je vais essayer d'y répondre clairement; mais, pour
le faire, je dois au préalable examiner une question
plus générale dont dépend la première, celle de la
mémoire dans la vie à venir.
Sans entrer dans les études fOl·t intéressantes
qu'on fait de nos jours sur la mémoire, je résumerai
simplement ce qu'en disait déj à Swédenborg. Vous
verrez que ce n'est pas banal.
-43-
La première idée que nous avons à relever, c'est
que l'homme a deux mémoires, ce dont il ne se rend
généralement pas compte: une mémoire externe et
une mémoire interne. La mémoire externe retient
les choses du monde naturel, la mémoire interne
celles du monde spirituel. Dans un certain sens ces
deux mémoires n'en font qu'une; aussi lisons-nous
dans Le Ciû et l'Enter que l'homme en ressuscitant
conserve toute sa mémoire.
« C'est, dit notre auteur, ce qui m'a été prouvé
par un grand nombre d'expériences. J'ai vu et en-
t endu à ce sujet bien des choses dignes d'être rap-
portées . » c. .~~. 1& -:-;
" Certains esprits niaient les infamies et les crimes
qu'ils avaient commis dans le monde; afin donc
qu'on ne les crût pas innocents, toutes leurs actions
furent découvertes et recensées, d'après leur mé-
moire, depuis leur bas âge Jusqu'à leur mOI't .
C'étaient surtout des adultères et des débauches.
II en était qui avaient trompé les autres par
d'adroites perfidi es et qui avaient volé; leurs ruses
et leurs vols furent aussi énumérés en série, quoi-
que la plupart n'eussent été connus que d'eux seuls.
Ils en firent également l'aveu, quand tout cela fut
manifesté avec les pensées, les intentions, les plai-
sirs et les craintes qui les avaient alors agités .
» D'autres avaient reçu des présents et fait de la
justice un trafic; ils furent pareillement examinés
d'après leur mémoire, et par ce moyen toutes leurs
actions furent recensées depuis l e moment de leur
entrée en fonctions jusqu'au dernier. La nature et
-40.-
l'importance de chaque action, le temps où elle fut
commise, l'état de leur mental, leur intention, tout
cela était à la fois rappelé à leur souvenir et pré-
senté à la vue; ces actions dépassaient en nombre
plusieurs centaines. Et, ce qui est surprenant, il
arriva que les registres mêmes sur lesquels ils les
avaient inscrites furent ouverts et lus en leur pré-
sence page par page.
» D'autres, qui avaient séduit des jeunes filles et
violé la chasteté, furent appelés à un semblable
jugement; chacune de leurs actions fut tirée de leur
mémoire et racontée. Les visages mêmes des femmes
et des jeunes filles se montraient aussi comme pré-
sents, avec les lieux, les discours, les dispositions
d'esprit, et cela aussi subitement que lorsqu'une
chose s'offre à la vue. »
Suivent d 'autres exemples, non moins frappants,
qui démontrent la vérité de cette parole du Sei-
gneur : « Il n 'y a rien de caché qui ne doive être
découvert, ni rien de secret qui ne doive être connu .
Les choses donc que vous aurez dites dans les ténè-
bres seront entendues dans la lumière, et ce que
vous aurez prononcé à l'oreille seI'a proclamé sur les
toits.» C: ~E".L;If<G."
Cependant, à proprement parler, ce n'est pas la
mémoire externe, naturelle ou corporelle, qui re-
trace ces souvenirs lorsque nous sommes entrés
dans l'autre monde; car cette mémoire, sans cesser
d'exister, est devenue quiescente.
« Quand l'homme passe d'une vie dans l'autre, dit
- 45 -
Swédenborg, c'est comme s'il passait d'un lieu dans
un autre. Il emporte avec lui tout ce qu'il possédait
et qui faisait de lui un homme, de telle sorte qu'après
la mort, qui concerne uniquement son organisme
terrestre, il n'a pas perdu la moindre chose de ce
qui lui appartenait. Il emporte aussi avec lui sa mé-
moire naturelle; car tout ce que dans le monde il a
entendu, vu, lu, appris, pensé, depuis la première
enfance jusqu'au dernier soupir, il le retient; seule-
ment les objets naturels qui sont dans la mémoire,
ne pouvant être reproduits dans le Monde spirituel,
restent en repos, comme il arrive chez l'homme
quand il ne pense pas d'après ces obj ets. Ils sont
néanmoins reproduits lorsqu'il plalt au Seigneur. » C'. , r. ~6
En d'autres termes, nous ne nous souviendrons
pas nécessairement et fatalement des faits, grands
!lt petits, de notre vie terrestre; mais le Seigneur
nous les rappellera dans la mesure où il le jugera
bon. Ces faits ne sont pas alors effacés de notre
esprit, ils y restent gravés d'une manière indélé-
bile; mais la mémoire externe, à laquelle ils appar-
tiennent, est quiescente, endormie, tant que Dieu ne
la réveille pas. Ce qui reste vivant, éveillé et actif
dans l'homme-esprit, c'est sa mémoire interne, que
nous confondons aisément avec l'autre.
« Que ce soit là l'état de l'homme aprés la mort,
dit Swédenborg, l' homme sensuel ne peut nullement
le croire parce qu'il ne le saisit pas; car il ne peut
faire autrement que de penser naturellement, même
au sujet des choses spirituelles. C'est pourquoi les
- 46-
choses qu'il ne sent pas, c'est-à-dire qu'il ne voit pas
des yeux de son corps et ne touche pas de ses mains,
r .
il dit qu'elles n'existent pas. » c .,. ~· "'.' ,
Je cite encore : « Jusqu'à ce jour presque personne
n'a su que chacun possède deux mémoires, l'une
extérieure, l'autre intérieure, que l'extérieure est
propre à son corps, l'intérieure à son esprit. b
« Tant qu'un homme vit dans le corps, il peut
à peine savoir qu'il a une mémoire intérieure,
parce qu'alors sa mémoire intérieure agit presque à
l'unisson avec sa mémoire extérieure; car les idées
de la pensée, qui appartiennent à la mémoire inté-
rieure, influent dans les choses de la mémoire exté-
rieure comme dans des vases et s'y conjoignent avec
elles. ))
En dépit de leur correspondance, « ces deux mé-
moires sont entièrement distinctes. A la mémoire
extérieure appartiennent tous les mots des langues
humaines, les objets naturels et les scientifiqu es. A
la mémoire intérieure appartiennent les idées du
langage des esprits et toutes les choses ration-
nelles. »
CI. L a mémoire intérieure est infiniment supé-
rieure à la mémoire extérieure, et s'y rapporte
comme plusieurs à un, ou comme ce qui est clair à
ce qui est obscur; en effet, des myriades d'idées de
la pensée intérieure influent dans une seule idée de
la mémoire extérieure et s'y présentent comme quel-
que chose de général et de sombre. Aussi toutes les
facultés des esprits, et encore plus celles des anges,
sont-elles dans un état plus parfait, savoir leurs
- 47-
sensations, aussi bien que leurs perceptions et leurs
pensées . » ~
« Toutes les choses qu'un homme entend et voit,
ou dont il est affecté, sont, sans qu'il le sache, insi-
nuées, quant à leurs idées et à leurs buts, dans la
mémoire intérieure, et elles y restent de sorte qu'au- J
cune ne périt, quoique les mêmes choses soient obli-
térées dans la mémoire extérieure. Telle est donc la
mémoire intérieure qu'on y trouve inscrites toutes
les choses, jusqu'aux plus singulières et aux plus
minimes, que l'homme a jamais pensées, dites ou
faites, et même qui se sont présentées à lui comme
une ombre. L'homme garde la mémoire de toutes ces
choses lorsqu'il entre dans l 'autre vie, et il est amené
successivement à se les rappeler toutes. C'est là le~
Livre de la. Vie, qui est ouvert alors et d 'après lequel
il est jugé . ... Tous ses buts, qui pour lui étaient res-
tés dans l'obscurité, et toutes les choses qu'il a pen-
sées, ainsi que celles qu'en conséquence il a dites
et faites, jusqu'au point le plus insignifiant, sont
écrites dans ce livre, savoir dans la mémoire inté-
rie ure ; et elles sont ouvertes devant les anges comme")
J
à la pleine lumière du jouI' toutes les fois que le Sei-
gneur en donne la permission. » .J
L 'important pour nous, aux yeux de Swédenborg,
n'est pas d'emmagasiner une masse de connais-
sances naturelles dans notre m é moire externe, mais
de développel' notre raison au moyen de ces con-
naissances; car la raison confine au domaine spiri-
tuel. « Penser spirituellement, dit-il, c'est penser
intellectuellement ou rationnellement. 1> Il ajoute:
-48-
« L'homme est rationnel après la mort en proportion
de ce qu'il est devenu rationnel dans le monde au
moyen des langues et des sciences, et non pas par
le fait qu'il a été très instruit dans les langues et les
sciences.
» Je me suis entretenu avec plusieurs qui, dans
le monde, avaient passé pour fort érudits parce
qu'ils connaissaient plusieurs langues anciennes,
comme le latin, le grec et l'hébreu, et qui n'avaient
pas cultivé leur rationnel par les choses écrites dans
ces langues: quelques-uns paraissaient aussi sim-
ples que ceux qui n'ont pas du tout étudié ces lan-
gues, quelques autres semblaient stupides, mais
conservaient toujours l'orgueil de se croire plus
sages que les autres. » l . dr t;:-:' {C 6 Sr , .,j(.1 3if . l ~ , .....--'f';';
-« Le rationnel de l'homme est semblable à un jar-
din ou à une terre nouvellement labo urée; la mé-
moire est cette terre, les vrais scientifiques et les
connaissances sont les semences. La lumière et la
chaleur du jour sont les forces productrices; sans
elles rien ne germe. Il en est de même si la lumière
du Ciel, qui est le Divin Vrai, et la chaleur du Ciel,
qui est le Divin Amour, n'interviennent; c'est d'elles
seules que le rationnel tire son existence. D 7~·~~ "~!:~
En somme, nous ne perdrons absolument rien de
ce qui aura appartenu sur la terre à notre homme
intérieur. Nous n 'oublierons même rien de ce que
nous aurons su à un moment quelconque, sinon
dans la mesure où Dieu nous le fera oublier, et cela
dans notre propre intérêt comme dans l'intérêt
1 d'autrui. Encore tout ce qui nous sera arrivé ou
- 49-
nous aura intéressé en quelque mesure, jusqu'aux
plus infimes détails, restera gravé en caractéres
indélébiles sur les tables de notre mémoü'e natu-
relle, qui alors s e ra quiesciente ou inconsciente,
comme elle l'est souvent ici-bas, mais qui ne dispa-
raltra jamais. Il est consolant de penser que notre'
Père céleste pourra toujours en tirer les faits qu'il
nous serait utile ou agréable de nous rappeler, mais
qu'il ensevelira dans un é ternel oubli ceux qui nons
attristeraient inutilement, Car, si le souvenir est une
source de joies, il est aussi un sujet d'inquiétude et
parfois un supplice. J
Au reste, pour que nous conservions notre iden-
tité, il n'est pas néce ssaire qu e nous nous souvenions
de tout le passé ; il faut simplement que notre être
spirituel reste le même dans s on fond moral et reli-
gieux, que notre personnalité soit l'exacte résul-
tante de ce passé et a it é té influencée dans sa for-
mation par chacun de nos actes, en sorte que nous
récoltions dans le monde invisible ce que nous au-
rons semé, en bien ou en mal, ici-b as ,
Quant aux connaissanceg purement naturelles,
c'est-à-dire r elatives a u monde matériel, elles ne
nous serviraient à rien lorsque nous sel'ons par-
venus dans le monde spirituel; il faudra seulement
qu'elles soient transformées en connaissances cor-
respondantes, et c'est ce qui aura lieu pour peu que
nos études ici-bas aient servi au développement de
notre raison et à la formation de notre homme inté -
rieur. En tout cas, - et c'est de cela qu'il nous im-
porte d'être bien convaincus, - tout ce que nous
SWÉDENBORG Il 4,
-50-
aurons possédé sur la terre, je veux dire tout ce qui
fait partie intégl'ante de notre Moi, nous le posséde-
rons encore dans le monde à venir, non exactement
tel quel, mais perfectionné, glorifié, élevé à une plus
haute puissance. Je parle, il est vrai, de ceux qui
sont capables d 'aller au Ciel; il en sera différemment
de ceux qui, par leur' propre faute, en seront indi-
gnes.
A ce que je viens de vous exposer je dois ajouter
une observation que vous aurez souvent l'occasion
de vérifier: c'est que la vie au delà du sépulcre est
d'une extrême diversité. Non seulement ce qui est
vrai de l'un ne l'est pas de tous, mais encore l'esprit
individuel y traverse des phases fort différentes.
Nous allons voir, en particulier, qu'il y a trois états
dans le Monde intermédiaire. Cette idée de la variété
des états, complétant ce que nous avons dit de la
mémoire, nous permettra·de répondre à la question
que nous allons maintenant aborder: « Se recon-
naîtra-t-on dans l'autre monde? »

* * *
A cette question palpitante je répondrais sans
• hésiter Oui, s'il fallait répondre en un seul mot;
mais la chose est assez compliquée pour que je
doive entrer dans quelques détails .
Lorsque l'homme est arrivé dans le Monde des
Esprits, il a premièrement le même visage et le
même son de voix qui le distinguaient sur la terre;
car il est encore dans ses extérieurs, ses intérieurs
n'ayant pas été découverts. Mais bientôt après sa
- 51-
figure change, pour refléter toujours mieux les pen-
sées et les sentiments dont son mental était animé.
Chacun passe ainsi du visage du corps, qui provient
de l'hérédité, au visage de l'esprit, qui provient de
l'amour dominant. C'est ce dernier visage que nous
aurons dans le Monde intermédiaire, lorsque nos
intérieurs seront dévoilés et nos extérieurs écartés.
« J'ai vu , dit Swédenborg, quelques hommes ré-
cemment sortis de notre monde, et je les ai recon-
nus soit à leur face, soit au son de leul' voix; mais
plus tard, les rencontrant d e nouveau, je ne les ai
plus reconnus . Ceux qui avaient eu de bonnes affec-
tions se présentaient avec une belle figure, et ceux
dont les affections avaient été mauvaises avec une
figure difforme; car, envisagé e u lui-même, l'esprit
de l'homme n'est autre chose que son affection, dont
son visage est la forme externe.
» Si les faces changent, - continue notre auteur,
- c 'est aussi parce que, dans l 'autre vie, il n 'est pas
permis de simuler des affections qu'on ne ressent
pas, ni de prendre un visage opposé à l'amour dans
lequel on est. Tous y sont forcés de parler comme
ils pensent, et de montre l' par leur physionomie et
par leurs gestes quelle est leur volonté. JI en l'ésulte
que les faces de tous les esprits deviennen t les for-
mes et les effigies de leurs affections. » c. <1; E. 4ô7-
Je cite encore: « Dans le Monde des Esprits tous
ceux qui ont été amis ou se sont connus dans la vie
du corps se rassemblent et conversent e ntre eux,
quand ils le désirent, surtout les épouses et les ma-
ris, et aussi les frères et les sœurs. J 'ai vu un père
- 52-
parlant avec ses six fils, qu'il avait l'econnus, et plu-
sieurs autres parlant avec des amis ou des personnes
de leur parenté; mais, comme ils étaient de dispo-
sitions différentes selon la vie qu'ils avaien.t menée
dans le monde, ils se séparèrent peu de temps après .
Toutefois ceux qui du Monde des Esprits passent
dans le Ciel ou dans l'Enfer ne se voient plus dans
la suite et ne se reconnaissent plus, à moins qu'ils
ne soient d'une disposition semblable provenant
d'un semblable amour. S'ils se voient dans le Monde
des Esprits et non dans le Ciel ou dans l'Enfer, c'est
parce que les habitants du Monde intermédiaire
sont m is dans des états pare ils à ceux qu'ils avaient
d a ns la vie du corps, passant de l'un dans un autre,
tandis que dans la suite il s sont tous ramenés à un
état constant et semblable à l'état de leur amour
régnant, dans lequel l'un ne connait l'autre que
d'après la simi litude de l'amou r. Car, ainsi qu'il a
été exposé, la ressemblance unit et la dissemblance
sépar e. »
Vous venez de voir, mes chers auditeurs, quelle
réponse originale, inattendue et pourtant vraisem-
blable, le Prophète du Nord a faite à la question qui
nous occupe. On se reconnaitra quelque temps dans
le Monde intermédiaire, tant que nous serons exté-
rieurement tels ou à peu près tels qu'ici- bas; mais
on ne se reconnaîtra plus ni dans le Ciel ni dans
j'Enfer, parce que la face et le corps auront été
transformés de m anière à représenter parfaitement
le mental spirituel, le véritable Moi,
Cette ignorance de l'ide ntité des autres ne con-
-53-
cerne assurément que nos simples connaissances,
les personnes avec lesquelles nous n'aurons eu que
des rapports superficiels; quant à celles que nous
aimons plus profondément, avec lesquelles nous
sommes liés par des principes et des sentiments
communs, nous pouvons espérer d'être rapprochés
d'elles pOllr l'éternité. ~ais si, par le fait du libre
arbitre, des membres de la même famille devaient
se trouver les uns dans le Ciel, les autres dans l'En-
fer, ne serait-ce pas une bénédiction que de l'igno -
rer, et d'avoir perdu la mémoire des individus dO llt
on est, par la force des choses, séparé pour tOlljOU I' ~ '.)
Nous risquons de donner beaucoup trop d ' impol'-
tance aux relations terrestres; il n'en restera, à la
longue, que ce qui est spirituel. La famille actuelle
ne se reconstituera dans l'au-delà d'une façon per-
manente que si ses membres sont unis par le même
amour et la même foi. Au fond ce qui nous importe,
c'est d'être associés dans la vie à venir avec ceux
que nous pourrons aimer et admirer le plus. Tra-
vaillons donc à être dignes de l'amitié des anges les
plus élevés, les plus rapprochés à tous égards du
Seigneur lui-même; développons dans ce sens notre
personnalite. Elle sera, nous n'en pouvons douter,
le résultat intégral de la carrière d'édllcation,
d'épreuves et de luttes qui nous est assignée ici-
bas; et si nous devons oublier certaines personnes
et certaines choses, nous n'aurons rien perdu d'es-
sentiel, rien qui ne soit amplement et générellse-
ment compensé.
Dieu, qui dès maintenant nous enlève ou nous
-M-
rend à son gré la mémoire, nous permettra sans au-
cun doute de nous rappeler notre passé terrestre
dans la mesure où nous le souhaiterons; car la
liberté jouera dans la vie future un beaucoup plus
grand rôle que dans celle-ci. Mais dans des cas nom-
breux, dans la plupart peut-être, nous ne tiendrons
pas à nous rappeler en détail les événements de
notre vie terrestre. Soyons donc convaincus que
notre bon Père céleste ne nous fera pas boire mal-
gré nous les eaux du Léthé, pour parler avec les
Grecs . Il nous laissera le souvenir de tous les hom-
mes et de tous les faits dont la pensée pourra con-
tribuer à notre perfectionnement et à notre bonheur.

* * *
Voyons maintenant en quoi consistent les trois
états qu'on traverse successivement dans le Monde
intermédiaire.
Comme nous venons de le dire, le ressuscité se
trouve première men t dans l'état de ses extérieurs;
je parle des extérieurs de l'esprit, puisque le corps
matériel est resté en arrière. Ainsi l'esprit lui-même
a un extérieur et un intérieur, tout comme notre
corps, quoique d 'ordinaire nous ne le sach ions pas.
Cependant nous pouvons nous en rendre compte en
y réfléchissant quelque peu. Or, d'après Swéden-
borg, c'est par ses extérieurs que le mental humain
parle et agit, ce qu'il fait au moyen du corps, - du
corps naturel dans ce monde et du corps spirituel
dans l'autre; - c'est au contraire par ses intérieurs
qu'il pense et veut. Les paroles et les actions sont
-55-
des choses extérieures, les pensées et les volitions
sont des choses intérieures:
On est plus exact encore en disant qu'il y a une
pensée et une volonté extérieures, une pensée et une
volonté intérieures. Notl'e pensée extérieure, qui
diITère souvent de notre pensée intérieure et peut
même lui être opposée, s'exprime par nos paroles
prononcées ou écrites; notre volonté extérieure, qui
peut être tout autre que notre volonté intérienre,
s'exprime par nos actions, C'est donc par ses exté-
rieurs que notre esprit dispose notre corps dans
cette vie, principalement la physionomie, le langage
et les gestes, et qu'il règle nos relations avec nos
semblables.
Ses intérieu,'s au contraire, savoir sa volonté réelle
et sa pensée intime, ne se manifestent que rarement
tant que nous vivons ici-bas; car la plupart des
hommes apprennent dès leur enfance à cacher leurs
sentiments véritables, dans le but de faire croire
qu'ils sont s incères, justes, bons, généreux . Le mal
a ceci de particuliel' qu'il n'aime pas à se montrer
à visage découvert, mais se dissimule le plus qu'il
peut sous de belles appal"enCeS; il e.n est surtout
ainsi dans les classes élevées de la société, où l'ex-
pression et les manières sont aimables, les disconrs
nobles et bienveillants, tandis qne les cœurs sont
remplis de cupidités égoïstes, de passions impures
et cruelles. D'une manière générale, l'homme, poussé
par le désir de se fail"e bien voir et de réussir dans
sa carrière, mène extérieurement une vie lllorale et
civile, quoiqu'il soit mauvais et corrompu dans son
- 56-
for intérieur. Cette duplicité est tellement habituelle
qu'elle est devenue notre seconde nature; il en
résulte que, la plupart du temps, nous connaissons
à peine n"os propres intérieurs, et que notre con-
science se laisse plus ou moins tromper par la cor-
rection extérieure de notre conduite.
Swédenborg nous apprend donc que, dans leur
premier état, qui est celui de leurs extérieurs, les
hommes sont et paraissent tels qu'ils étaient sur
notre planète; aussi ne peuvent-ils autrement que
de se croire encore ici-bas, si du moins ils ne portent
pas leur attention sur les objets qui les entout'ent et
sur ce qui leur a été dit pal' les anges, lorsqu'ils ont
été ressuscités, à savoir qu'ils sont maintenant des
esprits. Nous avons vu qu'alors ils se reconnaissent
entre eux; rappelons ici une intéressante observation
de notre auteur quant à la manière dont a lieu cette
reconnaissance.
L'homme ressuscité est reconnu non seulement à
sa figure et à son langage, mais aussi à la «sphère
de sa vie.» En eITet «chacun, dans l'autre monde,
quand il pense à un autre, se représente également
son visage, et en même temps plusieurs choses appar-
tenant à sa pensée, et quand il fait cela, l'autre
devient présent comme s'il eût été attiré et appelé.
II en est ainsi dans le monde spirituel parce que les
pensées y sont communiquées, et que les espaces
n'y sont pas tels que dans le monde naturel. })
En conséquence, les esprits novices, heureux de
se l'etrouver en pays de connaissance, se réunissent
volontiers selon les relations et les amitiés qu'ils
- 57 -
ont contractées ici-bas. Cl. D'ordinaire, dit Swédenborg,
les époux se retrouvent et se félicitent mutuellement,
ils demeurent même plus ou moins longtemps en-
semble; toutefois, s'ils n'ont pas été liés par l'amour
vraiment conjugal, - qui est l'union des esprits pal'
suite d'une affection céleste, - ils se séparent bien-
tôt. Quant aux époux qui ont eu intérieurement de
l'aversion l'un pour l'autre, ils éclatent en inimitiés
ouvertes et parfois se combattent; cependant ils ne
sont pas séparés avant d'entrer dans le second état.»
Dès qu'ils se sont habitués à leur nouvelle exis-
tence, les esprits désirent être renseignés sur le
Ciel et sur l'Enfer, dont ils ont une idée très vague
soit par le sens littéral des Ecritures , s oit pal' la
prédication fondée sur ce sens. «Il sont en consé-
quence instruits par des amis sur la vie éternelle.
Ils sont aussi conduits en divers lieux et diverses
compagnies, quelques-uns dans des villes, des jardins
ou des paradis, le plus souvent vers des objets
magnifiques, parce que de tels objets flattent les
externes, dans lesquels ils sont encore. Parfois ils
semt replacés dans les pensées qu'ils avaient pendan t
leur vie précédente sur l 'état de l'âme après la mort,
sur le Ciel et sur l'Enfer, et cela jusqu'à ce qu'il s
s'indignent d'avoir totalement ignoré ces choses ....
li Presque torrs désirent savoir s'ils arriveront au
Ciel. La plupart croient qu'ils y seront admis p a rce
que leur conduite a été civile et morale. En effet, ils
ne pensent pas que le méchant et les bons ont une
vie semblable dans les externes, font pareillement
du bien aux pauvres, fréquentent les temples, écou-
-58-
tent des prédications et prient; ignorant absolument
que les externes de la vie et du cn lte ne servent à
rien, mais que ce qui sert à quelque chose, ce sont
les internes dont les externes procèdent. Parmi quel-
ques milliers, à peine en est-il un qni sache ce que
c'est que les internes. »
Le premier état se prolonge plus ou moins, selon
qu'il y a plus ou moins de discordance entre les
intérieurs et les extél'ieurs : ponr les uns il dUl'e
quelques jours seulement, pour d'autres plusieurs
mois, pour d'autres toute une année, mais rarement
davantage. Il faut en effet que l'externe s'harmonise
_ avec l'interne et lui corresponde. Dans le monde
spirituel il n'est plus permis de penser et vouloir
d'une manière, de parler et agir d'une autre; chacun
doit y être la fidèle image de son affection ou de son
amour.

* * *
Le second état après la mort, qu'on nomme l'état
des intériew's, commence précisément lorsque cette
harmonisation est accomplie. Les extérieurs étant
({ assoupis» ou devenus quiescents, les intérieurs,
qui sont l'essentiel, ont pris Jeur place. L'individu,
délivré de la pression de la société et des circon-
stances, est pour la première fois libre de penser
selon son cœur. Sa pensée fait alors un avec sa
volonté, et tellement un qu'il semble à peine penser,
mais plutôt vouloir . Dans cette phase de son exis-
tence, il réalise sa personnalité comme il ne l'ajamais
fait encore; «car penser librement d'après sa propre
- 59 -
affection, c'est la vie même de l'homme, ou c'est
l'homme lui-même. "
L'indivi du montre alors d'une manière indiscu-
table ce qu'il était aux yeux de Dieu pendant sa vie
terrestre. S 'il a été juste et religieux, il agit ration-
nellement et sagement; s'il a aimé le péché, il agit
stupidement et follement, plus même qu'autrefois,
n'étant plus retenu par le souci de sa réputation, de
sa fortune ou de sa santé. Ainsi se dévoilent les hypo-
crites auxquels Jésus disait déjà: «Vous êtes pareils
à des sépulcres blanchis, qui au dehors paraissent
beaux, mais qui au dedans sont remplis d'ossements
de mort et de toute sorte d 'immondices. »
L'explorateur de l 'e mpire invisible nous fait
connaitre par d'effrayants exemples le genre d 'ac-
tivité des méchants dans ce s,econd état. Libres
de donner carrière à toutes leurs passions, ils répè-
tent en paroles et en actes tout le mal qu'ils ont
commis sur la terre, ils y apportent même une énergie
ei une ardeur plus intenses. Heureusement pour les
autres, ils ont perdu leur r a tionalité; aussi leur
extravagance les empêche-t-eIJe de nuire autant qu'ils
le souhaiteraient. Les uns en effet, abnsant de leur
connaissance de l'Ordre universel que Dieu a institué,
s'adonnent aux arts magiques dans l'intention de
harceler et d'infester ceux qui refusent de leur rendre
hommage; i ls dressent des embûches, fomentent
des haines, machinent de terribles vengeances. Cer-
tains papistes s'imaginent remettre à leur gré les
péchés et dominer sur le Ciel comme sur j'Enfer;
ils prennent le nom du Christ et s'an'ogent les attri-
-60-
buts divins. «Leur persuasion à cet égard est telle
que, partout où elle influe, elle jette le trouble dans
les àmes et y introduit des ténèbres jusqu'à exciter
la douleur. » D'autres esprits, ayant ici-bas nié le
divin et la vie future, appellent dieu et traitent
comme tel quiconque l'emporte en astuce sur ses
compagnons. «Dans une assemblée, continue notre
auteur, j'en ai vu adorer un magicien, discuter au
sujet de la nature et se comporter d'une manière
extravagante, comme s'ils étaient des bêtes sous une
forme humaine. Il y en avait pourtant parmi eux
qui avaient été constitués en dignité, quelques-uns
même qu'on avait tenus pour savants et sages. »
Dans leur deuxième état, les esprits sont fréquem-
ment punis de différentes façons, et cela sans aucun
égard pour la situation plus ou moins élevée que
le coupable occupait dans son existence terrestre.
La punition étant la conséquence Jogique de tout
péché, le riche n'y échappe pas plus que le pauvre,
le roi pas plus que J'esclave. Mais - veuillez prendre
garde à cette assertion, cal' elle est bien inattend ne
- on n'est jamais châtié dans le monde à venir pour
ce qu'on a fait dans celui-ci; on y est châtié uni-
quement pour les péchés commis au delà du tombeau.
Il est vrai que cela revient au même, «puisque après
la mort chacun rentre dans sa vie,» et qu'en consé-
quence le méchapt, conservant ses anciennes con-
voitises, retombe dans Jes mêmes fautes.
Quant aux bons esprits, ils ne sont jamais châtiés,
par la raison simple et pél'emptoire que « leurs maux:
ne reviennent pas », c 'est-à -dire qu'ils sont corrili(és
- 61-
de leurs défauts. Ces maux en effet différaient
essentiellement de ceux des injustes; car ils avaient
leur source non dans une hostilité volontaire contre
le bien .et le vrai, mais dans l'hérédité, la faiblesse
et l'entrainement, étant en contradiction avec l'affec-
tion dominante. En arrivant au second état, ces
esprits loyaux et consciencieux ont l'impression de
sortir d'un profond sommeil et de passer des ténèbres
à la lumière . C'est qu'ils pensent désormais d'après
la lumière céleste; le Ciel même, influant dans leur
intellect et dans leur cœur, produit en eux une
béatitude qui leur était jusqu'alol's inconnue .
C'est dans cette seconde phase que les mauvais
esprits sont séparés des bons, et conduits vers la
Société infernale à laquelle, pendant leur vie en ce
monde, ils appartenaient déjà sans le savoir. A la
fin de cette période, le réprouvé, qui n'est plus que
mal et que faux, «se précipite lui-même dans l'Enfer
où sont ses pareils . L'action de se précipiter, ajoute
notre auteur, apparait à la vue comme celle d'un
homme qui tombe à la renverse, la tête en bas et les
pieds en haut. S'il apparait ainsi, c'est parce qu'il
est dans l'ord,'e "envm'sé, ayant aimé les choses in-
fernales et rejeté les célestes,)) changé le bien en
mal et le vrai en faux. Remarquez que, d'après
Swédenborg, Dieu n'envoie personne dans l'Enfer;
les esprits mauvais s'y jettent eux-mêmes, s'y trou-
vant moins mal qu'ailleurs. Quant à « l'or dre ren-
versé,» l'art religieux semble en avoir eu l'intuition,
en consacrant, partiellement au moins, cette attitude
dans les tableaux qui représentent 1a victoire du
- 62-
Christ sur Satan et la condamnation des rebelles.
D'ordinaire, en effet, les réprouvés s'élancent la tête
la première dans l'abîme enflammé.

* * *
Le troisième état - qui n'existe pas pour les in-
corrigibles - est appelé l'état de préparation ou
d'instruction. Car, pour être admis dans le Ciel, les
bons esprits doivent encore apprendre en quoi con-
sistent le bien et le vrai spif·ituels. Si dans ce monde
ils ont déjà su, tant par les relations sociales que par
les lois, ce que sont les biens civils et moraux, qui
se résument dans la justice et la sincérité, le Ciel
seul peut leur enseigner en quoi consistent les biens
spirituels. Sans doute nous pouvons les connaltre
jusqu'à un certain point par la sainte Ecriture et par
la prédication; mais nous sommes incapables de les
recevoit- dans notre cœur et de les mettre en pratique
avant que nos intérieurs aient été ouverts à l 'influx
d'en haut, et que par la foi nous soyons enh-és en
communication avec le Ciel, en d'autres termes
avant que le Ciel soit entré en nous. Commencée,
mais trop peu avancée sur la terre, cette instruction
spirituelle doit se poursuivre dans le troisième état
pour ceux qui deviendront des anges, jusqu'au mo-
ment où, s'étant approprié les vérités principales
de la révélation, ils sont capables de penser spiri-
tuellement, ainsi de comprendre le devoir ou l'idéal
au point de vue des Cieux et de le réaliser dans leur
conduite.
Confiée aux anges de certaines Sociétés, l'instruc-
-63-
tion est extrêmement variée afin de s'adapter au
degré de réceptivité et au caractère de chaque dis-
ciple. Dans la majori té des cas, c'st au ter me de leur
second état que les bons esprits sont «portés par le
Seigneur vers les lieux d'instruction », qui s'éten-
dent de tous les côtés à une grande distance . Mais
quelques-uns, qui ont été préparés suffisamment ici-
bas, sont enlevés au Ciel aussitôt après leur mort;
d'autres le sont après un court arrêt dans le Monde
intermédiaire, séjour destiné à les purifier des élé-
ments grossiers que les richesses et les honneurs
périssables avaient mêlés à leurs pensées et à leurs
sentiments. D'auh'es enfin sont préalablement dé-
vastés: terme technique qui signifie ici débarrassés
des faussetés adhérentes à leur mental, mais oppo-
sées à leur amour dominant. D'autres, dis-je, sont
"' dévastés ~ dans une région que Swédenborg désigne
sous le nom de Te""e inférieu"e, et où quelques-uns
ont même d'âpres souffrances à supporter. Hâtons-
nous d 'ajouter que ces souffrances n'ont rien de
méritoire. Les esprits qui ont besoin de cette dévas-
tation" et qui s'y soumettent l ibrement, sont ceux
qui, tout en menant une vie honnête et charitable,
s'étaient confirmés dans une erreur grave; car les
faux confirmés tiennent avec force et sont durs à
déraciner.
Les diverses espèces d 'esprits probes ont des habi-
1 La dévasta tion se fait dans deux sens : les bons sout dévastés

quant au mal et au faux, les méc hants le soot quant au bien et au


vrai. Ainsi les uns et les autres se voient dépouillés de ce qui ne
concordait pas avec leur amour régnant .
li ~ ~_ M-- ~~ AMWl.t.. a.w~ 1
.. ~ 't' ..... a.~ ...... ~~ ~"'-''r''.. J..e>--.
,"- -
-= -
tations distinctes dans ces « lieux d'instruction »,
que Swédenborg n'appelle ni écoles, ni universités,
_ni séminaires_ En avant sont les enfants que les
anges maternels, le urs «gouvernantes », ont élevés
jusqu'à l'adolesce nce ; puis viennent ceux qui sont
morts adultes; ensuite les mahométans s incères, qui,
reconnaissant l'impuissance de leur Prophète, s'ap-
prochent volontiers du Seigneur et l'adorent ; plus
loin encore les païens sérieux de toute contrée du
globe, ceux du moins qui ont fait ce qui est juste et
droit par fidélité à l eur religion. Ces det-niers sont
aisément amenés à croire au Se igneur, car ils ont
toujours en l'idée que Dieu se r end visible sous une
forme huma ine. Ces païens consciencieux e t bien
disposés forment la majorité des esp rits parvenus
a u troisième état, et les m eilleurs viennent d'Afrique.
Par de pareilles assertions, qui étaient plus sur-
prenantes encore au dix-huitième siècle qu'elles ne
le sont aujourd'hui, le Voyant suédois r elève à nos
yeux ces infortunés nègres que de soi-disant « chré-
tiens» ont si longtemps vendus, achetés et battus
comme d es bêtes de somme, e t que, depuis leur
affranchissement légal, les Américains refusent en-
core d e considérer comme leurs sembla bles et leurs
frères.
Les mahométans, à ce que dit Swédenborg, sont
instruits pat' des anges qui, é levés dans l' islam sur
la terre, y ont été convet'tis au christianisme. Les
païens ou gentils ont également pour instructeurs
leurs propres anges, c'est-à-dire des anges ayant
appartenu à leur religion respective; car tout se
-65-
fait, dans l'autre monde, selon les catégol'ies de
l'esprit, qui séparent ou rapprochent d'une façon
réelle et permanente.
Nous aurons sans aucun doute bien des surprises,
dans l'empire d'outl'e-tombe, quant à la valeur des
distinctions de cou leur, de race, de caste ou de rang
social, distinctions qui jouent un si grand rÔle sur
la terre, même dans les pays démocratiques, et qui
risquent de devenir des barrières infranchissables;
car, comme l'a prophétisé Jésus-Christ et dans plus
d'un sens, CI il Y en a des premiers qui seront l es
derniers et des derniers qui seront les premiers~.
Craignons, mes chers auditeurs, que notre ville, si
abondamment évangélisée, mais d'autre part poussée
si habilement dans la voie de l'immoralité et de
l'irréligion, ne mérite le sort de Capernaüm, de
Chorazin et de Bethsaïda 1
Pour compléter ce qui concerne les trois états du
Monde intermédiaire, disons que dans le premier
état on est appelé homme-esp,-it, dans le second état
esp"it tout court, dans le troisième état esprit angé-
lique; ces noms spéciaux résument c lairement ce
que nous venons d'expliquer. Mais Swédenborg lui-
même ne fait pas toujours ces distinctions, et emploie
souvent le mot «esprit» dans une acception géné-
raie; du reste il n'est pas arrivé du premier coup à
cette exacte nomenclature_

* * *
Pour terminer cette séance, il me reste à parlel'
d'un sujet solennel entre tous: le jugement final.
SW:ÉDENBORG Il
- 66-
Nous n'aurons qu'à tirer les conséquences de ce que
nous savons déjà. Comme nous l 'avons vu, l'homme-
esprit conserve toute sa mémoire, qui acquiert même
une vivacité, une force et une étendue surprenantes
jusqu'à lui représenter d'une manière infaillible tout
ce qu'il a fait et connu sur la terre. Alors tous les
voiles sont enlevés, l'hypocrisie et la dissimulation
deviennent impossibles, chacun étant contraint de
se montrer sous son véritable jour. Cette nécessité
résulte d ' un fait psychologique ou biologique. J'ai
montré tout à l'heure que nous avons tous une mé-
moire interne et une mémoire externe, et que c'est
la mémoire interne qui fait revivre, dans le !\Ionde
des Esprits, tout ce que l'homme a éprouvé ou fait
ici-bas. Il me reste à montrer, dans les termes mêmes
de Swédenborg, que cette mémoire intérieure appar-
tient non seulement au cerveau de l'être spirituel,
mais à son organisme entier.
«Quand les actions d'un homme sont dévoilées
après sa mort, dit notre Voyant, les Anges informa-
teurs examinent sa face et l'inspection se poursuit
par tout le corps, en commençant par les doigts de
l'une et de l'autre main et en continuant de la sorte
pour toutes les parties. Comme je m'étonnais de ce
genre d'inspection, la cause m 'en fut expliquée. La
voici: comme toutes les choses de la pensée et de la
volonté ont été inscrites dans le cerveau, - où sont
leurs principes, - de même elles sont inscrites dans
tout le corps, où elles se terminent dans leurs der-
niers . Il fut dès lors évident pour moi que l'homme
est dans son ensemble tel qu'il est dans sa volonté
- 67-
et dans la pensée qui en procéde; ainsi l 'homme
méchant est son mal et l ' homme bon est son bien.
» On peut aussi voir d 'après cela ce qui est entendu
dans la Parole de Dieu par le L ivre de la Vie. Cela
veut dire que non seulement toutes les actions de
l'homme, mai s encore toutes ses pensées, sont ins-
crites dans l'homme tout entier. Elles apparaissent
comme lues dans un livre quand e ll es sont tirées de
sa mémoire, etcomme vues en effigie quand un esprit
est considéré à la lumière du Ciel.
l) Aux exemples précédents, à propos de la mémoire

qui reste après la mort, je vais ajouter un fait remar-


quable. Il m'a été montré des livres composés de la
même manière que les livres qui sont dans le monde;
or j 'ai appris qu'ils provienn ent de la mémoire de
ceux qui les ont écrits, et qu' il n'y manque pas un
seul des mots qui étaient dans le livre composé par
le même homme dans le monde . Ainsi de la mémoire
d'un esprit peuvent être tirées non seulement les
choses communes, mais encore les choses les plus
particulières, même celles qu'il avait oubliées .. . .
l> Tout ce que l'homme a pensé, voulu, prononcé,
fait, même tout ce qu'il a entendu et vu, a été inscrit
dans sa mémoire interne ou spirituelle ; et les choses
qui y sont inscrites ne s 'en effacent jamais, puis-
qu'elles ont été inscrites en même temps dans l'esprit
lui-même et dans les membres de son corps. Ainsi
l'esprit a été formé selon ce qu'il a pensé et selon
les actes de sa volonté. Je sais que ces prop ositions
semblent paradoxales et que par suite on y ajoutera
difficilement foi, mais toujours est-il qu'elles sont
-68-
vraies. Ne croyez donc pas que la moindre des choses
qu'un homme a pensées en lui- même ou faites en
secret puisse rester cachée après la mort; sachez
au contraire que tout, en général et en particulier,
parait a lors à découvert comme à la pleine clarté du
jour. » {'. &: E 1b'
Le résultat de cet examen, c'est que chacun re-
connalt ce qu'il est en réalité et se range spontané-
ment soit parmi les bons, qui doivent devenir des
anges, soit parmi les m échants, qui vont devenü'
des satans ou des diables. Et nul ne peut douter un
seu l instant de la justice 'parfaite de ce jugement,
car il est fondé sur l'évidence.
Ainsi les révoltés sont contraints par une puis-
sance irrésistible de revoir, sans illusion comme
sans lacune, leurs débauches, leurs tromperies, leurs
violences, leurs attentats, leurs sacrilèges, et de tout
avoueren présence des anges chargés de les examiner.
Quant aux justes, leur jugement n'en est proprement
pas un, car il constate que la vie céleste est déjà en
eux, et qu'ils n'ont qu'à se débarl'asser des incon-
séquences qui jurent encore avec leur amour domi-
nant.
Toutefois, nous apprend Swédenbol'g, il en est
quelques-uns qui ne s'arrêtent pas dans le Monde
des Esprits, n'ayant, pour ainsi dire, pas besoin
d'être jugés, ou, si vous préférez cette expression,
leur jugement étant instantané. Les uns sont ceux
qui, dans cette vie, ont été régénérés et préparés
assez complètement pour n'avoir plus qu'à rejeter
avec le corps les souillures naturelles; aussi sont-
- 69-
ils immédiatement portés au Ciel par les anges.
«J'en ai vu, dit notre auteur, qui ont été enlevés une
heure après la mort.
» Ceux au contraire qui ont été bons extérieure-
ment, mais intérieurement mauvais, qui ont ainsi
rempli de fourberies leUl' méchanceté et fait usage
de la bonté comme d'un moyen de séduction, sont
sur-le-champ jetés dans l'Enfer. J'en ai vu quelques-
uns s'y précipiter aussitôt après la mort, l'un d'eux,
excessivement fourbe, la tête en bas et les pieds e n
haut, les autres de différentes manières.
»Il y en aussi qui, après leur mort, sont enferm t's
dans des cavernes et ainsi séparés des autres esprils ;
ils en sont retirés el y sont replacés de temps en
temps. Ce sont ceux qui, sous couleur de bienveil-
lance, ont agi méchamment à l'égard du prochain.
» Mais les uns et les antres sont en petit nombre
relativement à ceux qui se trouvent retenus dans le
Monde des Esprits, et qui y sont préparés, selon
l'Ordre divin, soit pour le Ciel, soit pour l'Enfer.»
Une pareille conception du jugement vous étonne
sans doute, et peut-être y a- t·il un certain désappointe-
ment dans l'impression qu'elle produit sur vous.
Elle vous semble pauvre et froide à côté de la grande
scène qui, d'après l'enseignement traditionnel, doit
clôturer l'histoire de l'humanité. Quoi 1 n'être pas
jugés par le Seigneur lui·même dans tout l'appal'at
de sa gloire divine, en présence de toutes les géné-
rations qui ont passé sur notre globe, mais être
simplement, lors de 1 notre entrée dans le Hadès,
examinés par quelques anges, puis absous ou damnés
- 70-
sans autre forme de procès et sans recours possible
à une instance plus haute; être ainsi jugés individu-
ellement sur l'inspection de notre cerveau et de notre
corps, devenus spirituels l'un et l 'autre, sans que
nous puissions par une humiliation tardive abolir
en quoi que ce soit le passé 1 Tout cela bouleverse
nos idées et peut nous paraître bien dur.
Mais, si nous regrettons instinctivement le juge-
ment dernier tel que l'ont enseigné les docteurs
catholiques, et tel que le réprésentent les immortels
tableaux d'un Michel -Ange et d'un Rubens, un peu
de réflexion nous amène à comprendre qu'un juge-
ment moins solennel et moins grandiose, mais per-
sonnel, intime et immédiat, est bien plus vraisem-
blable, bi en plus conforme à la nature des choses et
à l'amour de Dieu, d'autant plus que cette sentence
décisive n'empêche nullement, pour le ressuscité,
des progrès subséquents et une amélioration indé-
finie de son sort. Comment n'être pas émerveillés
en apprenant que nous serons jugés de la façon -la
plus simple et la plus naturelle, en même temps que
la moins contestable: par la manifestation de tout
ce que nous aurons fait, dit et pensé dans notre
existence terrestre, ou par l'ouverture de notre mé-
moire intérieure, sur laquelle tous nos actes s'im-
priment en caractères indélébiles? Notre nouveau
corps étant le produit indiscutable et direct de la vie
que nous aurons menée ici-bas, nous serons alors, et
cela pour l'éternité tout entière, ce que chacun de
nous se sera fait par l'usage de sa liberté 1
Ainsi compris, le jugement du dernier jour se
- 7i -
recommande tout autrement aux intelligences culti-
vées que sous la forme majestueuse que lui a donnée
l'ancien dogme; et je puis ajouter que la science et
la philosophie, dans leur phase la plus récente, nous
préparent à y croire. En tout cas, parmi les vérités
révélées, il n'en est pas une seule qui soit en plus
parfaite harmonie avec les aspirations de notre cons-
cience et les postulats de notre raison.
TROISIÈME LEÇON t
Que restera-t-il de nous dans l'éternité? Notre amour régnant.
L'homme après la mort EST son amour ou sa volonté.
Illusions in tellectualistes. La véritable aristocratie. Variété
des jouissances. Les plaisirs naturels changés en plaisirs
spirituels suivant les lois de la Correspondance . Nombreux
exemples. Trop lard ! Le fardeau léger.

Pour nous rendre compte d'une manlere plus


générale des relations de la vie présente avec la vie
à venir, nous avons à nous demander encore: Que
restera-t-il de nous pour l'éternité? A cette question
capitale le Voyant scandinave répond trés nettement:
Notre amour dominant ou notre vraie personnalité.
La pensée en effet procède de la volonté ou de
l'amour, qui est l'homme même. Or toutes nos affec-
tions particulières forment une résultante, qu'on
peut appeler notre amom' régnant. Cet amour, qui est
l'âme de nos actions, qui leur donne leur sens et leur
valeur, voilà notre être spirituel, notre Moi réel et
1 Nous publions ici les dernières pages de la quatrième leçon de

ce cours, tel qu'il fut donné oralement. La leçon précédente et la plus


.grande partie de celle-ci, traitant des sexes e t des mariaees dans
l'autre monde, onl été rattachées pour l'impress ion au second Coun
Swédenborg, intitulé Le Ciel. (Voir premier volume, p. 266.) Cette
translation nous oblige à changer le numél'O de cette conférence et de
la suivante.
- 73-
persistant. De là cette importante thèse de notre-
écrivain: L'homme ap"ès la mort EST son amo.tI' 0 . .
sa volonté.
Ceux qui n'ont jamais réfléchi sur eux-mêmes (et
ils sont légion) se font de grandes illusions à cet
égard. Les uns, - les riches, les satisfaits, les puis-
sants, - croient bonnement valoir plus que les
autres; ils se font un mérite de leur rang, de leuI"
opulence, de leurs succès. Il est bien difficile aux
empereurs, aux rois, aux grands de la terre, de ne
pas se laisser gâter par les t1atteries et les honneurs·
qu'on leur prodigue, d'éviter le vertige sur les som-
mets d'où ils dominent la multitude, de ne pas se-
persuader qu'ils sont, dans leur âme elle-même,
d'une pâte supérieure à celle du commun des mor-
tels.
Les autres, - ceux qui n'ont pas réussi, - s'ima-
ginent volontiers qu'ils sont néanmoins plus intelli-
gents que les heureux du siècle, et que cette intelli-
gence leur donne une supériorité véritable. Il est
peu de personnes qui ne se glorifient de quelque
talent, brillant ou médiocre. De fait, c'est par les
talents de toutè sorte (unis sans doute à certaines
qualités du caractèl'e) qu 'on prospère ici-bas, surtout
dans les carrières les plus élevées; aussi arrivons- ,
nous facilement à croire que le développement des
facultés intellectuelles importe plus que la pureté
du cœur ou la bonn-e direction de la volonté. Le
théosophe suédois ne cesse de protester contre cette
erreur. Le dernier fond de l'être humain, sa sub- \
stance même, ce n'est pas sa pensée, c'est son amour.
-74, -
Voilà ce qui se retrouve au delà du tombeau. Tout
ce dont l'individu jouissait dans ce monde,- fortu n e,
pouvoir, autorité, talent, gloire, génie, - toutes ces
choses n'étaient pas lui, elles demeuraient étrangères
à son Moi; aussi lui échappent-elles quand il est
arrivé dans le Monde des Esprits, à moins que d'ex-
térieures elles ne so ient devenues intérieures, c'est-
à - dire à moins qu'elles ne soient la conséquence,
l'efflorescence de son amour principal.
En effet, dans l'univers invisible, où nous allons
tous entrel·, ce sont les vertus morales qui seules
font la puissance, la richesse, la grandeur et l'éclat;
tout le reste, n'étant qu'appar ent et transitoire, est
laissé en arrière . Ain s i s'établit pour toujours la
véritable aristocratie, la hiérarchie normale, infail-
lible, parfaite, que nous ne connaissons pas ici-bas.

* * *
C'est de nos affections que décou lent nos jouis-
sances, en d 'autres termes ce que nous aimons nous
p laît; aussi nos p laisirs diffèrent-ils selon l'espèce et
le degré de nos affections. Or, nos affections étant infi-
niment variées, nos plaisirs le seront aussi. Autant
il existe d'hommes, d'esprits et d'anges, autant il y
a d'affections régnantes, celle de l'un n'étant jamais
exactement cell e d'un autre, si même elles rentrent
dans la même catégorie et portent le même nom. On
ne rencontre pas deux visages pareils, attendu que
le visage de tout individu est le reflet de son âme, et
dans l'autre monde la fidèle image de son amour
principal. Or, comme dans la vie à venir chacun de
-75 -
nous conserve son affection maitresse, il conserve
par là-même les plaisirs qui en dépendent; seule-
ment il en est de ces plaisirs comme du corps lui-
même: de naturels qu'ils étaient ils sont devenus spi-
rituels, et cela suivant les lois de la Correspondance.
Je vous ai déjà souvent parlé de la « science des
Correspondances ». Elle enseigne par ordre et en
détail à quelles choses spfrituelles correspondent les
naturelles: étoiles, soleil et lune, lumière et chaleur,
atmosphère, éther, minéraux, végétaux, animaux,
etc. Cette science peut nous renseigner sur notre
destinée après la mort, pourvu que nous nous ren-
dions compte du genre d'amour qui nous anime. Il
est vrai que cette connaissance de soi-même est im-
possible aux égoïstes endurcis, car, trompés par leur
passion, ils envisagent leurs maux comme des biens,
et les faux qui légitiment ces maux comme des vrais;
aussi refusent- ils d'écouter les sages qui pourraient
leur ouvrir les yeux sur leur état.
Dans sa doctrine des Correspondances, Swédenborg
se rattache au symbolisme universel qui se retrouve
dans toutes les langues humaines, mais plus spéciale-
ment au symbolisme des Ecritures Saintes, où les
ténèbres représentent l'ignorance et le mensonge, la
lumière l'intelligence et la vérité, le feu l 'amour ou
la passion, et ainsi de suite. Nous le voyons par les
exemples qu'il cite pour montrer comment, dans le
Monde des Esprits, les plaisirs naturels sont trans-
formés en plaisirs spirituels.

** *
-76 -
Certains esprits, dit-il, fuyant la lumière du Ciel,
se cachent dans les fentes des rochers ou se retirent
au fond de sombres cavernes: sur la terre ils ont
aimé le faux qui justifiait leur conduite et haï le
vrai qui la condamnait; aussi se sont-ils affranchis
de la Parole de Dieu et des enseignements du ch6s-
tianisme pour satisfaire plus librement leurs convoi-
tises. D'autres esprits habitent également des grottes
profondes, ou des chambres si obscures qu'ils s'y
reconnaissent à peine l'un l'autre; ils y parlent à
voix basse dans les coins: ce sont ceux qui prenaient
plaisi '" à machiner en secret des fourberies et à tendre
des embûches à leurs ennmnis.
Les uns choisissent pour demeure les endroits
a6des et sablonneux de préférence aux campagnes
fertiles et aux riants jardins: ce sont ceux qui ont
étudié les sciences non pour acquérir la sagesse et
se rendre utiles, mais pour se faire admirer. D'autres,
évitant aussi les l ieux cultivés, s'établissent dans les
con trées rocailleuses: ce sont, hélas 1 des théologiens,
qu i, connaissant à fond les dogmes de leur propre
Eglise et même ceux des autres confessions chré-
tiennes, ne se sont pas souciés de conformer leur vie
à leurs croyances. Les hommes qui ont tout att"ibué
soit à leur prudence personnelle, soit à la natUl'e,
et qui sont arrivés par leurs ruses à la richesse et aux
d ignités, se livrent avec ardeur à la magie, qui
consiste dans un abus de l'Ordre divin. Enfin les
avares, les gourmands, les voluptueux, les adultères
et les vindicatifs témoignent d'un goùt surprenant
pour les matières en décomposition, les ordures de
77 -
toute sorte, les odeurs nauséabondes et pestilen-
tielles.
Toutes différentes sont, dans le monde des rétribu-
tions, les jouissances des hommes donl un amour
céleste a réglé la vie, d e ceux qui ont recherché le
bien pour le bien, le vrai pour le vrai, et mis en
pratique la volonté de Dieu. Eclairés par la lumière
du Ciel, ils résident en des lieux élevés qui apparais-
sent comme des montagnes; ils ne connaissent plus
l'obscurité de nos nuits, et une atmosphère prin-
tanière les réjouit sans cesse. A leur vue s'offrent
des champs, des vignes, d'abondantes moissons; dans
leur maison tout brille de l'éclat des pierres pré-
cieuses, et les vitres de leurs croisées semblent être
de pur cristal. Mais tous ces plaisirs de la vue ou
des autres sens seraient peu de chose à eux seuls;
ce qui fait leur charme, c'est leur correspondance
comprise et sentie avec les choses divines qu'ils
l'appellent.
Pour les savants qui, reconnaissant la main de
Dieu dans la nature, se sont efforcés non d'emmaga-
siner vaniteusement dans leur mémoire le plus grand
nombre possible de mots et de faits, mais de déve-
lopper leur rationalité, et qui en conséquence sont
devenus vraiment intelligents, les joies déjà si hautes
de la pensée se changent en joies encore plus nobles,
désignées par nott'e auteUl' comme «un plaisir spiri-
rituel qui appartient aux connaissances du bien et
du vrai D.
Swédenborg ajoute à leur sujet: « Ils habitent
dans des jardins où apparaissent des parterres de
-78 -
fleurs et de verdure élégamment distribués, et entou-
rés de rangées d'arbres avec des portiques et des
allées couvertes. Les arbres et les fleurs y changent
chaque jour. L'aspect de tous ces objets procure à
leur mental des plaisirs que des variétés particuliéres
renouvellent incessamment. Comme ces objets cor-
respondent à des choses divines et qu'ils sont eux-
mêmes dans la science des Correspondances, ils sont
toujours remplis de connaissances nouvelles, et par
ces connaissances leur rationnel spirituel est per-
fectionné. Ce sont là pour eux des plaisirs parce-
que les jardins, les parterres de fleurs et de verdure,
ainsi que les arbres, correspondent aux sciences,
aux connaissances et par suite à l'intelligence. »
Ceux qui ont attribué tout au Divin, et regardé la
nature comme morte en elle-même, sont récompensés
de leur foi par une exceptionnelle jouissance de la
lumière du Ciel. Dans leurs demeures les objets
scintillent comme des diamants et les murailles sont
transparentes comme du cristal. Cette transparence
symbolïse l'entendement illustré par le Seigneur,
quand les ombres du naturalisme ont été dissipées.
Ceux qui ont agi autant que possible au ' grand
jour, parce que leurs idées étaient justes et leur cœur
sincère, ont une figure lumineuse sur laquelle se
peignent distinctement leurs pensées et leurs affec-
tions; leur langage et leurs actions reflètent égaIe -
ment le fond de leur être. Aussi sont-ils spécialement
aimés; néanmoins les esprits astucieux et fourbes,
habitués à cacher leurs manœuvres, les fuient du
- 79-
plus loin qu'ils les aperçoivent, et en s'éloignant ·
d'eux semblent ramper comme des serpents.
Ceux enfin qui, abhorrant l'adultère, ont vécu
dans le chaste amour du mariage, restent dans la
fleur de la jeunesse et se font remarquer par leur
beauté, car ils sont plus que tous les autres dans la
forme et l'ordre du Ciel. Les joies de leur amour sont
ineffables et s'accroissent éternellement, par le fait
que cet amour descend de la conjonction du Seigneur
avec le Ciel et avec l'Eglise, et plus généralement de
la conjonction du bien avec le vrai . Or cette alliance
intime et normale des deux « essentiels J) de l'homme
et de Dieu, ce mariage par excellence fait la félicité
des Cieux dans leur ensemble et de chaque esprit
ou ange en particulier.

* * *
En résumé, d 'après le Voyant de Stockholm, nous
aurons dans la vie d'outre-tombe le caractère que
notre conduite ici - bas aura formé; notre sort défi-
nitif dépend de nous-mêmes, de l'usage de notre
liberté individuelle, et non d'une mystérieuse « pré-
destination» qui nous semblera toujours arbitraire.
Aucun pécheur ne sera sauvé «par immédiate misé-
ricorde », c'est-à-dire par un coup de baguette de la
. grâce de Dieu. Celui qui ne s'est pas repenti sur la
terre ne saurait le faire après la mort, car l 'existence
actuelle est la seule où notre réformation puisse
s'o pérer ou du moins commencer. Il y a donc une
porte fermée, un irréparable, un moment où il est
trop tard.
- 80-
Il est un mot. pénétrant et terrible
Qui s'enfonce dans l'Jlme en y laissant un dard,
Plus amer mille fois que le mot Impossible,
Et ce mot, c'est: Trop tard!
Nous voici heureusement bien loin du soporifique
universalisme qui tend à prévaloir de nos jours, du
salut final « immanquable '», du salut « assuré et
garanti quoi que l'on fasse'!»

La solennelle doctrine de 1'« Irréparable », du


« Maintenant ou Jamais », est toutefois contreba-
lancée par une idée encourageante sous l'impression
de laquelle je désire vous laisser: Il n'est pas aussi
difficile qu'on le croit de mener la vie qui conduit au
Ciel. Je me borne à mentionner cette thèse, que
Swédenborg soutient de la façon la plus claire et la
plus convaincante. Rappelons seulement qu'il la
fonde sur l'Evangile. «Mon joug est aisé et mon
fardeau léger, l> a dit Jésus-Christ, et l'apôtre qui a
le plus souffert a confirmé cette parole en écrivant :
« La piété est utile à tout, ayant la promesse de la
vie actuelle et de la vie future. J) Oui, les chrétiens
résolus et conséquents ont dès aujourd'hui la « bonne
part », quoique leur trésor soit invisible et ne doive
leur être remis que dans le oc royaume des Cieux».
l Dr . E. Petavel-Ollitf. Le problëme de l'Immortalité, tome Il,
p . 141, 142. Voir, dans ce remarquable ouvrage, tout le chap. X:
Le Salut dit universel. Comparer, dans la Lettre-préface de Ch. Secré...
tan, p. IX, l'opinion du philosophe lausannois .
QUATRIÈME COURS
L'Enfer.

SWÉDBNBOI\G Il 6
PREMIÈRE LEÇON
Dante et Swédenborg. Quelques différences. Sincérité de
notre auteur. Critères pour juger son point de vue. Causes
de l'incrédulité moderne à l'égard de l'Enfer. Raison d'y
croire. Ce qui fa it l'Enfer. Le méchant Je préfère au Cjel.
Respect de Dieu pour la liberté. Le mal se punit lui-même .
Théorie de l'Equilibre. Pas de dualisme. Faiblesse du mal
et du faux . Arguments contre la chute des anges. Le Diable
es t-il persoDnel? Le sens interne. Deux substantifs pour la
m ême chose. Le Diable et Satan. La Divinité du mal. Hy-
pothèse.

Un seul auteurajamais écrit un livre qui, pour s on


sujet et pour son influence, puisse être mis en paral-
lèle avec Le Ciel et l'Enfer de Swédenborg: c'est le
plus grand poète italien, Dante Alighieri. Sa Divine
Comédie a beaucoup fait pour élever les cath oliques
intelligents au-dessus des idées grossières qu'on
entretenait sur l'autre monde; cependant son point
de vue, sur un grand nombre de sujets, témoigne
des erreurs du commencement du quatorziè me siècle
et reste très inférieur au point de vue de Swéden-
borg, qui écrivait dans l a seconde moitié du dix-
huitième, donc à plus de quatre cents ans d'inter-
valle . II serait très intéressant de comparer ces deux
ouvrages ; sans m'arrêter à cette comparaison l, je
dois rappeler ici quelques différences.
1 Voirp . i4-t7.
- 84-
D'abord l'Enfer occupe la première place, et la
plus considérable, dans le poème de Dante; il ne
vient qu'en troisième lieu, et il est six fois plus court
que le Ciel, dans le livre de Swédenborg. Cela seul
indique déjà une orientation fort différente de la
pensée des deux auteurs.
En second lieu les récompenses et les punitions
du monde à venir se ressentent visiblement des opi-
nions politiques de Dante, de ses sympathies et de
ses haines personnelles; ce qui fait ressortir la haute
impartialité de Swédenborg, la faculté qu' il a de
discerner la réelle valeur des hommes, souvent plus
ou moins cachée par le rÔle extérieur qu'ils ont joué
dans la société.
En troisième lieu, si la Divine Comédie rappelle à
certains égards Swédenborg et renferme des notions
qui dépassent la scolastique, on y rencontre d'autre
part des passages si absurdes, si choquants pour
notre sens de la justice et de la charité, ou caracté-
risés par une adhésion si rigide et si aveugle à l'ortho-
doxie du temps, qu'on ne saurait oublier l'abîme
qui sépare l'œuvre d'imagination du grand Florentin
et les sereines descriptions de l'au-delà faites par le
Prophète du Nord ex visis et auditis, « d'après ce
qu'il a vu et entendu IL
Enfin le style de Swédenborg est dépeint comme
suit par Henry James, père du célèbre psychologue
William James récemment décédé:
«Ses livres sont une exposition sèche, calme,
exacte, des choses qu'il voyait journellement dans
le Monde des Esprits, ainsi que des lois spirituelles
- 85-
que ces choses illustrent. Il ne fait presque aucun
effort pour atténuer le scandale que ses expériences
surnaturelles causent au parti pris de nos sens, ou
pour se concilier l'intérêt du lecteur qui ne serait
pas poussé pal' le sincère amour de la vérité. Il me
semble qu'on n'avait pas encore écrit de pareils li-
vres, aussi profondément sincères'.»
Cette prose nue, austère, sans aucune préoccupa-
tion de la forme, contraste vivement avec le langage
imagé, riche et poétique de Dante.
La parfaite sincérité de Swédenborg ne fait doute
aujourd'hui pour personne. Reste à savoir j usqu'àquel
point les narrations de notre Voyant correspondent
à la réalité. Pour les juger à cet égard, nous avons
deux critères: l'Ecriture Sainte et la raison; l'Ecriture
Sainte dans son unité organique, c'est-à-dire ayant
pour apogée et pour lumière Jésus-Christ; la raison
se limitant à son domaine propre, mais nous servant
à interpréter l'Ecriture elle-même. C'est dans cet
esprit de libre examen que nous poursuivrons notre
étude.
* * *
L'Enfer a toUjOUl'S fait partie des croyances chré-
tiennes, il a terrorisé de nombreuses générations et
il jette encore l'angoisse dans l'esprit de beaucoup
de personnes, surtout des simples et des enfants.
Cependant ce nom, jadis épouvantable, n'excite
qu'un sourire d'incrédulité et de dédain chez un cer-
tain nombre d'hommes de notre temps, soit parce
'Sub.lanc<.IS"adow. (~. ~,,~. ~ ~.J
-86-
que la science, telle qu'elle est ordinairement com-
prise, les a conduits au matérialisme, soit parce que
l'idée traditionnelle de l'Enfe .. leu .. a paru inaccep-
table pour des intelligences cultivées.
A ceux qui nient absolument l'Enfe .. je ..appellerai
d'abo .. d qu'une rémunération d'outre-tombe pa ..ait
indispensable, le mal n'étant pas puni ni le bien
récompensé ici-bas comme l'exige notre conscience.
Si donc il existe un ordre moral, il faut que les
comptes de chaque individu soient réglés dans la
vie à venir d'nne manière parfaitement conforme à
la justice; il faut, en d'autres termes, qu'il yait un
Enfe .. aussi bien qu'un Ciel. Quant à savoir en quoi
consiste cet Enfe .., c'est une aut ..e question, et il est
fo .. t possible qu'on l'ait représenté sous des couleu .. s
exagé ..ées et fausses qui font douter de sa réalité.
Pou .. nous renseigner avec soin, écoutons donc le
seul philosophe qui décla ..e avoi .. parcouru pendant
vingt-sept années' le Monde spi .. ituel; il en parle
non en style apocalyptique, mais avec la plus g ..ande
simplicité, en te .. mes p ..op .. es et comp ..éhensibles
pou .. tous, comme un explorateur de contrées éloi-
gnées qui raconte ses observations, ses aventures et
ses impressions de voyages. Après nous êt ..e rendu
compte de ce qu'il dit du Ciel et du Monde des
Esp .. its, inte ....ogeons-le su .. l'Enfe ...

* * *
Voici commentSwédenbo ..g définit les Cieux: ~ Les
anges p .. is ensemble so nt appelés le Ciel pa ..ce qu'ils
1 Il le visitait depuis treize ans lorsqu'il écrivit Le Ciel d l'Enfer.
- 87-
le con!ltituent ; toutefois ce qui fait le Ciel, c'est le
Divin qui, procédant du Seigneur, influe chez les
anges et est reçu par eux. Le Divin, qui procède du
Seigneur, est le bien de l'amour et le vrai de la foi;
autant donc les anges reçoivent du Seigneur du bien
et du vrai, autant ils sont anges et autant ils sont le
Ciel. » En résumé, ce qui fait le Ciel, c'est le bien et
le vrai. Or l' Enfer, étant sa contre-partie, doit être
form é par le mal et le faux. Aux anges, qui représen-
tent le bien et le vrai à tous leurs degrés et dans
toutes leurs relations, correspondront les esprits
infernaux, qui ont choisi le faux et le mal et qui les
représentent.
Tant que nous vivons sur la terre, nous avons
tous en nous un mélange de bien et de mal, de vrai
et de faux; mais quand nous serons arrivés dans le
!'>fonde intermédiaire, il s'opérera en nous une trans-
formation qui amènera chacun à l'unité intérieure.
La tête se mettra d'accord avec le cœ ur, les pensées
se soumettront à l'amour régnant, bon ou mauvais,
qui est la vraie personnalité. L'individu sera mûr
alors soit pour le Ciel, soit pour l'Enfer. Ainsi ce
qui fait l'Enfer, c'est la m enta lité des méchants, qu i
sont devenus l'opposé des bons quant à la direction
générale de leur volonté. Il n'y a rien là d 'arbitraire,
rien qui ne découle de la nature des choses et qui
ne soit un postulat de notl'e sens moraL A mesure
que nous avancerons dans notre exposé, cela vous
appal'attra sans doute avec p lus d'évidence.

* * *
-88-
Le mal et l'Enfer étant synonymes et le mal pro-
venant d'une libre détermination de l'individu, il en
résulte que le méchant choisit l'Enfer de préférence
au Ciel. Si cette assertion surprend au premier abord,
elle découle d'un raisonnement d'une incontestable
logique; aussi Swédenborg n'a-t-il pas de peine à la
justifier. Les méchants, quel que soit le genre de
leur péché, aiment le mal par-dessus tout et se plai-
sent dès lors là où ils peuvent s'y livrer le plus
aisément .
Nous allons voir comment ils manifestent cette
préférence; mais je dois rappeler au préalable une
explication que je vous ai donnée. Quand J'homme
endormi du sommeil de la mort se réveille dans l'au-
delà, il est accueilli par des anges célestes, qui se
mettent à son service et l'instruisent de tout ce qu' il
lui importe désormais de savoir_ Peut-être c e pendant,
ayant ici-bas connu ces choses, les a-t-il dédaignées
ou même niées; dans ce cas il se fatigue prompte-
ment de la compagnie de ces esprits sublimes et
désire s 'en débarrasser. Dès que ceux-ci s'en aper-
çoivent, ils s'éloignent à regret du ressuscité et sont
remplacés auprès de lui par des anges spirit·uels,
inférieurs aux premiers. Mais si l'homme-esprit n'a
pas travaillé à sa régénération pendant sa vie ter-
restre, leur société est encore trop religieuse, trop
sainte pour lui plaire ; aussi le Seigneur les retire-
t-il à leur tour pour lui envoyer des protecteurs
d'un caractère moins relevé. Ce seront, selon que
j'état moral du ressuscité est moins satisfaisant, des
- 89-
anges appartenent à des Sociétés toujours plus natu-
relles, plus extérieures, plus basses, - puis de
simples bons esprits, auxquels le Ciel n'a pas encore
été ouvert, - enfin des diables ou des satans.
Ce triste decrescendo a pour c.ause l'admirable
respect que le Seigneur témoigne pour la liberté de
ses créatures. Chacune d'elles tend à s'associer avec
les êtres qui lui ressemblent le plus, qui sont autant
que possible à son niveau, et Dieu lui en fournit les
moyens. Ainsi le méchant n'est à son aise que lors-
qu'il rencontre des esprits adonnés comme lui au
péché, et même aimant tel péché particulier qui le
caractérise; il choisit donc instinctivement, pour
compagnons et guides dans la vie d'outre-tombe, les
esprits vicieux et malfaisants -qui, à son insu, l'in-
Iluencaient déjà sur la terre.
Il n 'est pas vrai, affirme Swédenborg, que Dieu
détourne sa face du pécheur inconverti, le repousse
loin de lui et le précipite dans l'Enfer, ni que d'une
facon générale il se mette en colère contre les trans-
gresseurs de sa loi, les punisse rigoureusement et se
plaise à les faire souffrir. Cette conception s'appu ie,
il est vrai, SUI' la le ttre de certains textes bibliques;
mais leur sens interne, ainsi que le grand courant
de la révélation, favorise la doctrine plus consolante
qui fait de Dieu le Bien même, l' Amour même et la
Miséricorde même. Aussi ceux dont le mental est
.. illustré» savent-ils parfaitement que, loin de se
détourner de qui que ce soit, même de ses plus
grands ennemis, le Père céleste ne cesse jamais de
-90-
faire tous ses efforts pour sauver les pécheurs et les
rendre heureux, ou tout au moins pour adoucir leur
destinée.
Seulement il les traite en hommes, je veux dire
en créatures libres et responsables, et il ne peut pas
les empêchel' de récolter ce qu'ils ont semé. Ceux
dont la vie terrestre a été coupable tournent tout
naturellement le dos aux sphères angéliques, qui
sont pour eux dépoùrvues de tout attrait, et ils vont
chercher la satisfactions de leurs convoitises aupl'ès
de ceux qui les ont fomentées. On peut donc affirmer
sans exagération qu'i ls se jettent eux-mêmes dans
l'Enfer, où ils espèrent trouver, et où ils trouvent
réellement, des plaisirs correspondant à leurs appé-
tits brutaux et dépravés. Ceux qui y entl'ent avec un
ardenfamour du péché ont l'air de s'y précipiter
"la tête en bas et les pieds en l'air D. La peinture
sacrée a souvent représenté les damnés dans cette
posture. Il y a là, semble-t-il, un symbolisme uni-
verse l qui s'impose à l'imagination des artistes et du
public, .
« Le Seigneur, dit Swédenborg, attire tout esprit
à lui par des anges et aussi par l'influx du Ciel;
mais les esprits qui sont dans le mal résistent ab-
solument, se détachent pour ainsi dire de Dieu et
sont entrainés par leur mal, ainsi pal'l'Enfer, comme
par une corde. Comme ils sont entraînés et que, d'a-
près leur amour pour le mal, ils veulent être entrai-
nés, il est constant qu'ils se jettent volontairement
dans l'Enfer. »
Nous lisons plus loin: «Il a été montré ci-dessus
- 91 -
que l'esprit mauvais se précipite de son plein gré
dans l'Enfer; il sera maintenant expliqué d'où cela
vient, alors que dans l'Enfer il y a de tels tourments.
» De chaque Enfer s'exhale une sphère de cupi -
dités, provenant de ceux qui l'habitent; quand cette
sphère est perçue par un esprit qu'anime une cupi-
dité semblable, elle affecte son cœur et le remplit
de plaisir ... De là vient que l'esprit se tourne vers
cet Enfer, et par plaisir de cœur il désire y être, car
il ne sait pas encore qu'il y a là de tels tourments.
Mais celui qui le sait désire néanmoins y être. En
effet, dans le Monde spirituel nul ne peut résister à
sa cupidité, car sa cupidité appartient à son amour,
son amour à sa volonté et sa volonté à sa nature; 01'
chacun agit là selon sa nature.
D Lors donc que l'esprit, de son plein gré ou avec
une entière liberté, arrive à son Enfer et y entre, il
est d'abord reçu en ami; il croit par conséquent
qu'il se trouve dans un cercle d'amis, mais cela ne
dure que quelques heures . Dans cet intervalle on
examine quelle est son astuce et quelle est par sui te
sa valeur. Après cet examen on l'infeste de diverses
manières, avec une force et une véhémence crois-
santes, en l'introduisant toujours p lus intérieure-
ment et profondément dans l'Enfer; après les infesta-
tions, on se met à lui infliger des peines rigoureuses
jusqu'à ce qu'il ait été réduit en servitude. Mais là,
comme chacun veut être le plus grand et brûle de
haine contre autrui, il y a continuellement de nou-
velles séditions; ainsi une scène se change en une
autre, et ceux qui avaient été réduits en servitude
- 92 -
sont délivrés afin de prêter secours à quelque nou-
veau diable pour subjuguer ses pareils. Alors ceux
qui ne se soumettent pas, et ne servent pas selon le
caprice du vainqueur, sont de nouveau tourmentés
de différentes manières sans trêve ni repos. Tels sont
les tourments de l'Enfer, qu'on appelle Feu infel·nal ...
Ces explications suffisent déjà pour repousser une
des objections les plus graves qu'on adresse de
nos jours au Dieu de l'Evangile. « Comment, nous
demande-t -on, comment le Dieu de bonté peut-il
prendre p la isir à se venger de ses adversaires, à les
envoyer dans l'Enfer et à les tourmenter sans pitié
aux siècles des siècles? »
Nous venons de voir qu'il n'en est point ainsi. Ces
idées sont celles de l'orthodoxie, qui les tire de textes
bibliques expri mant le point de vue extérieur des
écrivains juifs; ce ne sont pas celles du christianisme
spirituel que le Sauveur a pratiqué et enseigné. Il
faut admettre la théorie du sens interne, ou spirituel,
pour savoir concilier ces passages effrayants avec
ceux qui dépeignent l'amour infini du Créateur ou
qui commandent le pardon des injures. Alors tout
devient clair et Dieu ne paraît plus cruel.
C'est le méchant qui se fait sa destinée finale, non
seu lement par la conduite qu'il a menée ici- bas,
mais encore par les sentiments dont il est animé au
delà du sépulcre; il est jugé de la façon la plus juste
et Ja plus inattaquable par l 'usage qu'il a fait de son
libre arbitre, et ce libre arbitre lui - même est le don
Je plus précieux de J'amour divin, la condition .ine
quâ non de notre entrée dans le Ciel.
93

* * *
La punition, - car elle existe, - provient du mal
lui-même ou de l'Enfer. Une citation encore sur ce
point:
« Les mauvais esprits sont punis sévèrement dans
le Monde des Esprits, afin que par les châtiments ils
soient détournés d e faire des maux. Il semble aussi
qu'ils soient punis par le Seigneur; mais rien de la
peine n'y vient du Seigneur et la peine tout entière
vient du mal lui-même, car le mal a èté tellement
uni à sa peine qu'ils ne peuvent être séparés. En
effet, la tourbe infernale ne désire et n'aime rien plus
que de faire du mal, surtout d'infliger des peines et
des tourments; aussi tourmente-t-elle quiconque
n'est pas protégé par le Seigneur. Lors donc qu'un
mal est fait d'après un cœur mauvais, comme ce mal
repousse de soi toute protection du Seigneur, les
esprits infernaux se précipitent sur celui qui a com-
mis ce mal et le punissent.
»Ceci peut être illustré jusqu'à un certain point
par ce qui se passe dans le monde, où les maux et les
châtiments ont a ussi été associés. En effet, les lois
y prescrivent une punition pour chaque mal; c'est
pourquoi celui qui se précipite dans le mal se pré-
cipite aussi dans la punition. La différence consiste
seulement en ce que dans le monde le mal peut être
caché, tandis qu'il ne saurait l'être dans l'autre vie.
Comme on le voit d'après cela, le Seigneur ne fait
de mal à personne; mais il en est dans l'autre vie
exactement comme ici-bas, où le roi, le juge et la loi
- 94-
ne sont pas cause de la punition du coupable, n'étant
pas cause du mal chez le malfaiteur. D
Ainsi le mal se punit lui-même. Il est inséparable
de passions inassouvies, de sentiments violents et
désordonnés, d 'amertumes, d'angoisses et d'intimes
douleurs, qui suffiraient à empoisonner l'existence
quand les circonstances seraient les plus favorables,
quand ou vivrait au sein de l'opulence et dans un
paradis, ce qui certes n'est pas le cas pour les dam-
nés. Cela revient à dire que ~e ma~ fait ma~, ou que
le péché est la source principale de la souffrance.
La philosophie la plus ancienne et la moins discutée,
- le langage humain, - admet implicitement ce
principe en désignant par le seul terme de ma~ d'un
côté la transgression des commandements de Dieu,
c 'est-à- dire le péché, de l'autre la douleUl·, physique
ou morale, qui en r ésulte.

*
Une des idées les plus originales et les plus éton-
nantes de SWédenborg, c 'est sa théorie de l'Equilibre
entre le Ciel et l'Enfer. II explique lui-même ce qu'il
entend par l'équilibre en général. Il y a, dit-il, équi-
libre dans le monde matériel lorsque deux corps
animés de forces opposées agissent directement
l'un contre l'autre avec une énergie égale, de telle
sorte que, les deux forces s'annulant réciproque-
ment, une troisième puisse en conséquence s'exer-
cer sans obstacle.
Tel est, dans le monde invisible, l'équilibre du
Ciel et de l'Enfer. Sans être vraiment égaux en puis-
- 95-
sance, - nous reviendrons sur ce point, - ces deux
empires opposés et rivaux se font pour ainsi dire
contre-poids. De cel équilibre spirituel résulte pour
les hommes la faculté de penser et de vouloir sui-
vant l'une ou l'autre de ces influences, en deux mots
la liberté morale. Nous sommes tous maintenus dans
cet équilibre par le Seigneur, qui gouverne l'Enfer
en même temps que le Ciel.
Gardons-nous, en effet, de penser que l'Enfer soit
un royaume indépendant, absolument séparé du Ciel
avec lequel il est, nous le savons, en guerr e ouverte.
Il y a des religions qui le représentent ainsi; nous
les appelons dualistes, parce qu'elles admettent deux
dieux ennemis l'un de l'autre. Les anciens Perses,
disciples de Zoroastre, - qui se sont conservés dans
la secte des Guèbres ou Parsis, - adoraient à la fois
Ormazd et Ahriman. Ormazd ou Ormuzd, principe
du bien, était symbolisé par le soleil, type du feu le
plus pur. Ahriman, chef des démons et princi pe du
mal, était identifié à la nuit. Des hérétiques chré-
tiens reprirent avec un g rand succès, en l'accentuant
encore, ce fâcheux dualisme. Les Manichéens, qui
séduisirent le grand Augustin dans sa jeunesse, pro-
clamaient aussi l'antagonisme de la lumière et des
ténèbres et reconnaiSsaient l'existence de deux dieux
ennemis, mais égaux; l'un était le créateur du monde
idéal, où le bien règne sans conteste, l'autre le c réa-
teur du monde terrestre, que domine le mal.
Sous toutes ses formes, le dualisme est extrême-
ment dangereux; je n'ai pas besoin de vous le dé-
montrer. En revanche, je t iens à relever qu'il n'y a
-96-
rien de pareil dans le système de Swédenborg. Le
Diable n'est pas un second Dieu; l'Enfer n'est pas
un royaume créé par une puissance malfaisante et
gouverné par une Divinité rivale du Seigneur; il
n' est pas un Etat capable de tenir tête au royaume
des Cieux, peut-être même d'en triompher. La rela-
tion des deux empires est tout autre. Quoique con-
traires par les dispositions de leurs habitants res-
pectifs, ils ont un maître commun et font partie du
·même tout.
Notre théosophe déclare donc que le Dieu du èiel
règne en même temps dans l'Enfer. « Pour que toutes
choses, en général et en particulier, soient tenues
dans l'équilibre, il est nécessaire, dit-il, que celui
·qui gouverne l'un gouverne aussi l'autre; car, si le
même Seigneur ne repoussait les attaques venant
des Enfers et n'y réprimait les folies, l'équilibre ces-
serait et la destruction de l'équilibl'e entralnerait la
ruine de l'ensemble. »
« Un tel équilibre ne peut exister, ajoute-t-il, à
moins que le Seigneur ne gouverne l'un et l'autre,
tant l'Enfer que le Ciel, et ne modère l'effort des deux
,c ôtés; autrement les faux d'après le mal surabonde-
raient et affecteraient les bons esprits simples qui
,s ont dans les choses dernières du Ciel et qui peuvent
-être pervertis plus facilement que les anges. Ainsi
périrait l'équilibre, et avec l'équilibre la liberté chez
les hommes. »
* * ..
Voilà le dualisme écarté, et nous rencontrerons
bientôt, dans le même sens, un argument encore
- 97-
plus précis. Mais que penser de l'Equilibre lui-
même?
En soutenant cette théorie, qui me semble tout à
fait nouvelle, Swédenborg a eu le mérite de procla-
mer le libre arbitre et de lui donner un l'Ole prépon-
dérant dans l'œuvre du salut; c'était corriger, sur
un point de suprême importance, la théologie des
réformateurs sur le « serf arbitre », la grâce, l'élec-
tion et la double prédestination. Il a par là-même
condamné une tendance fort à la mode aujourd'hui,
professée notamment par des pasteurs 1uthériens, le
déte"minisme, sorte de fatalisme qui, en aboutissant
logiquement à la négation de la responsabilité, mine
les fondements de la morale.
Toutefois, en statuant un Equilibre entre le Ciel et
l'Enfer, Swédenborg prête le flanc à l'accusation de
rendre le péché nécessaire, ce qui reviendrait encore
à le légitimer. Je reconnais qu'il ne tire jamais lui-
même cette conclusion, et qu'elle serait contraire à
l'inspiration de son système; aussi l'accusation sus-
mentionnée repose-t-elle probablement sur une intel-
ligence imparfaite de l'Equilibre tel qu'il l'entendait,
Peut-être voulait-il simplement dire que, l'humanité
s'étant corrompue, il faut un Equilibre entre le
royaume du mal et le royaume du bien pour que
nous ne soyons pas forcément entralnés à la ruine
finale. L'Equilibre ne serait pas alors une pensée
primitive du Créateur, elle ne rentrerait pas dans
son plan idéal à l'égard de la famille humaine; elle
serait une retouche, une reprise provoquée par la
chute, un moyen de défense que Dieu emploierait
SWÉDENBORG 7
- 98-
pour mettre les siens à l'abri de la puissance du mal.
Cette explication me parait au fond satisfaisante.
En tout cas, - et ceci est essentiel, - le Seigneur
prend soin de nous protéger contre les ruses et les
violences infernales, et nous devons être remplis
d'espérance en pensant à l'infinie supériorité de son
pouvoir. En effet, dans le Monde spirituel, toute
puissance appartient au « vrai d 'après le bien »,
puisque le bien et le vrai dans leur plus haute réa-
lité constituent le Divin même; le « faux d'après le
mal» y est, au contraire, radicalement impuissant.
C'est pourquoi l'Enfer n'est que faiblesse en pré-
sence du Ciel, à tel point qu'une foule de démons
sont déroutés e t c on fon dus par l'apparition d'un seul
ange .
* *
Quoi qu' il en soit d e l'Equilibre, dont on ne nous
entretient jamais, nous arrivons à une question
mieux connue et que plusieurs trouveront brûlante,
je veux parler d e la p erso nnalité de Satan.
La chrétienté tout entière a cru jusqu'aux temps
modernes, - la plupart des chrétiens croient encore,
- que l'Enfer est soumis à un être d ' une merveil-
leuse intelligence et d'une puissance quasi-divine.
Ce roi des démons est, à ce qu'on nous enseigne, un
ancien ange de lumière, un archange ou séraphin
glorieux que l'orgueil a pel'du ; s 'étant révolté contre
son Créateur, il a eu naturellement le dessous, aussi
s'est-il vu précipiter dans l'abîme d'obscurité et de
souffrance avec la troupe de ses partisans.
Il y a dans cette doctrine deux points à considé-
- 99-
rer : 1 0 la chute des anges; 2 0 la personnalité du
Diable.

Occupons-nous d'abord de la chute des anges. Il


est admis généralement dans les Eglises que les
anges et les hommes sont deux races différentes,
deux natures essentiellement et éternellement dis-
tinctes; qu'en revanche les primitifs habitants du
Ciel et de l'Enfer appartiennent à la même création,
sont de la même espèce et ne d iffèrent que parce que
les uns sont restés fidèles et que l es autres sont dé-
chus. Dès que j'ai réfléchi à cette théorie, je l'ai
trouvée insoutenable. Voici les difficultés que je lui
oppose .
Tout d 'abord je ne comprends pas que Dieu ait
pu créer les anges, c'est-à-dire des êtres de beaucoup
supérieurs aux hommes, des esprits purs, étonnam-
ment bons, puissants et glorieux, qui seraient tels
avant d'avoir été tentés; car, dès que la tentation
survient, - on ne sait d 'où, - bon nombre d'entre
eux y succombent. Autant que je puis voir clair dans
ces questions profondes, la sainteté ne se crée pas,
elle s'acquiert. L'homme n e l'obtient qu'à grand'-
peine par la lutte contre le péché, qui l'attaque sans
cesse et du dedans et du dehors . Qu and il a prouvé
de la sorte l 'énergie et la persévérance de sa bonne
volonté, quand il est décidé pour le bien et vraiment
sanctifié, comment serait-il condamné à rester éter-
nell ement inférieur à l'ange, qui doit sa sainteté à
un privilège de naissance, à sa nature exclusivement
spirituelle?
100 -

* * *
Ensuite je ne comprends pas comment certains
anges, purs esprits qui n'avaient jamais senti les
attraits de la chair et du monde, ont pu se laissel'
envahir par les mauvaises passions au point de ,se
faire chasser du Ciel et précipiter dans l'Enfer. D'où
provenait la tentation? Ils étaient par création fon-
cièrement humbles, droits, généreux, ils vivaient
dans l 'atmosphère la plus élevée, dans la proximité
du Dieu d'amour; il n'y avait dans leur entourage
personne ni rien qui pût les corrompre .
Le mal ex istait-il déjà quelque part? Dans ce cas,
où é tait-il? Par quel pl'océdé a -t-il pu s'introduire
dans leur cœur et s'y établir en maitre, en t~ran? Je
ne comprends surtout pas comment le Diable ou Sa-
tan, un des esprits les plus parfaits, les plus haut
placés dans la hiérarchie angélique, a pu passer d'un
extrême à l'autre, donner le signal d'une révolte im-
pie, devenir l 'être le plus perverti et le plus malfai-
sant de tout l'univers, l'adversaire le plus acharné de
l 'homme et de Dieu.
Enfin, je n'ai jamais compris de quelle man ière
nous devons être réunis pour l'étel'nité soit avec les
anges dans le Ciel, soit avec les démons dans l'Enfer ,
puisque nous différons essentiellement et des uns et
des autres. Les bons anges et les bienheureux l'este-
ront-ils à jamais distincts, comme les habitants d e
deux planètes, ou deviendront-ils semblables, se fu-
sionneront-ils? La même question se pose à l'égard
des mauvais anges et des damnés. Sans doute, cette
- 101-
difficulté n'est pas aussi grave que les deux précé-
dentes; elle n'en est pas moins réelle.

. * .
Vous me direz peut-ê tre que tout cela ne nous re-
garde pas, que ce sont des mystères dont Dieu s'est
réservé la connaissance et qu'il serait indiscret de
sonde.' . Mais, veuillez bien vous en r e ndre compte,
ce n'est pas nous qui avons commencé 1 Ce sont les
docteurs de l'Eglise, catholiques et protestants, qui
ont défini ce que nous devons croire sur le Ciel et
sur l'Enfer, sur les anges bons et mauvais. Nou s ne
faisons que les suivre sur le ter"ain où ils se sont
aventurés; et, si sur plusieurs points nous avons à
modifie .. et à corrige .. leurs assertions téméraires,
nous usons de notre droit strict ou plutôt nous
accomplissons un devoir.
Qu'on ne rep .. oche donc plus à Swédenbe .. g de sa-
voi .. t .. op de choses, puisque les théologiens ont de
tout temps prétendu savoir ce qu' ils ignoraient. 0 ..
les doctrines qu'ils voudraient nous impose .. sont
fo ..t discutables, et de fait nous devons souvent 1'e-
connaU .. e qu'elles ne s'accordent ni avec la sainte
Ecriture ni avec la saine raison .

. . .
Nous venons de voi .. ce que la raison nous dit sur
la chute des anges. Quant à l'Ecriture, elle les men-
tionne sans doute fréquemment et les fait intervenir
en qualité de ministres de Dieu dans un grand nom-
bre de scènes de l'anci~nne et de la nouvelle alliance,
- 102 -
mais jamais elle ne déclare ni directement ni indi-
rectement que l'un d'eux ait conspiré contre le Sei-
gneur, en ait entrai né d'autres dans sa révolte et soit
devenu le monarque des Enfe,'s , Le passage d'Esaïe
sur lequel l'orthodoxie appuie cette étrange histoire t
ne peut absolument pas s'appliquer au « Diable
chassé du Ciel avec les démons, ,. car il est expres-
sément indiqué comme un « chant sur le roi de Ba-
bylone. » Ce roi était un « tyran », un « homme qui
troublait la terre, ébranlait les royaumes, faisait du
monde un désert et retenait dans les fers les cap-
tifs. » Voilà pourquoi il lui est dit: « Comment es-tu
tombé du Ciel, astre brillant', fils de l'aurore? Tu
disais en ton cœur: Je monterai au Ciel, j'élèverai
mon trône au-dessus des étoiles de Dieu, je serai
semblable au Très-Haut 1 Et te voilà descendu au
sombre séjour, dans les profondeurs de l'ablme 1 D
D'un côté le caractère poétique de ce morceau est
évident, aussi les nouvelles traductions le rendent-
elles en vers avec une majuscule à chaque ligne; de
l'autre le prophète l'intitule: «Oracle sur Babylone,
révélé à Esaïe, fils d'Amots. »
Les deux uniques textes qui fassent allusion à la
légende que je prends la liberté de combattre sont
d'une extrême obscurité, et nous les rencontrons
dans les écrits les moins autorisés du Nouveau Tes-
t ament : la Seconde Eplt,'e de Pierre, que l'on tient
toujours plus généralement pour inauthentique, et
la très courte et très singulière Epitre de Jude. Re-
1 Dictionnaire des Parallèlu, Concordances et Analogies bibli -
qu,s, p. 84.
- 103-
marquons d'ailleurs que ni l'un ni l'autre de ces
textes ne donne un chef aux anges rebelles.

* * *
Parlons maintenant de ce chef et de sa personna-
lité. Si une partie des anges du Ciel se sont insurgés
contre leur Maitre légitime, il est probable qu'ils ont
suivi un meneur; mais nous venons de voir que ce
meneur n'est jamais nommé et que cette révolte elle-
même parait être une tradition sans fondement.
Qu'en est-il alors de Satan?
Il est certain, - et je ne songe pas à Je contester,
- que Ja Bible a J'air d'enseigner l'existence d'un
mauvais esprit particulièrement puissant, d'un sou-
verain de l'empire des ténèbres, qu'elle désigne par
différents noms: Satan, le Diable, le Malin, le Ten-
tateur, Mamon, Béelzébul, le p,·ince des démons. A
première vue cela est convaincant. Si toutefois nos
simples raisonnements vous ont prouvé la fausseté
de la légende hébraïque, vous comprendrez qu'il ne
faut pas accepter sans examen le sens littéral de cette
légende, si peu vraisemblable en ell e-même.
Pour le dire en passant, ce sont les scribes qui
disent de Jésus: « C'est par lléelzébul, le prince des
démons, qu'i! chasse Jes démons. » Quant à CI. l'astre
brillant », qu'on a rendu aussi par « l'étoile du ma-
tin]) et par « Lucifer »"
je vous ai montré que c'est
une appellation symbolique du roi de Babylone et
non pas un archange.
t Note de Crampon: L'astre brillant, l'étoile du matin, Vénus ou
Lucirer.
- 104-
Mais, sans nous arrêter aux preuves secondaires,
demandons-nous si, oui ou non, les Ecritures se
prononcent pour la personnalité du Diable. Rappe-
lez-vous bien, mesdames et messieurs, l'état de la
question. Nous plaçant au point de vue de la v ieille
orthodoxie, nous cherchons à savoir si les mauvais
esprits ont un roi, qui les ait entraînés dans sa chute
et qui domine sur les Enfers.
Pour résoudre cet abstrus problème, le Pro phète
du Nord nous a fourni par bonheur un principe exé-
gétique, qui jette une lumière inattendue sur les pa s-
sages obscurs de la Parole et qui nous perm et de
croire encore à leur inspiration. Il nous a r é vé lé
l'existence d ' un sens interne ou spirituel qui, caché
sous la lettre, doit en être . dégagé par l'intellige nce
humaine éclairée d'en haut. En vertu de cette m é-
thode, Swédenborg voit dans le Diable non un ê tre
réel et particulier, un autocrate de l'empire des té-
nèbres, - sorte de Pluton biblique, - mais une
simple personnification de l'Enfer. Ayant relevé d éjà
le fréquent usage fait par nos livres saints de ce pro-
cédé populaire, qui consiste à donner la personnalité
à ce qui ne la possède pas, je n'y reviendrai poin t en
ce moment.
Permettez-moi cependant de le rappeler en deux
mots: ce procédé, qui est universel, mais que l'Orient
emploie plus naturellement encore que l'Occident,
nous a permis d'expliquer la doctrine la plus difficile
et la plus fondamentale du christianisme, la Trinité
ou plutôt la Tri-Unité. Nous y voyons maintenant
non plus trois personnes divines n'en formant
- 105-
qu'une, mais trois « essentiels », trois faces ou trois
aspects d ' un seul Dieu personnel.
Si la personnification est légitime quand i l s'agit
de comprendre les noms de la Divinité, combien
plus le sera-t-elle à propos des noms du Diable 1 En
tous cas, ce parallélisme plaide en faveur de notre.
interprétation. Et si vous estimez, avec moi, que
Swédenborg a découvert et nous a transmis la cle~
de la triple essence du Dieu unique, vous serez dis-·
posés à faire usage de la même clef pour pénétrer-
dans un autre arcane, je veux dire pour trouver la.
vraie signification d e ce que la Bible enseigne sur
Satan.
* * *
Ce n 'est point le lieu de montrer en détail combien
l'explicat ion ci-dessus est vraisemblable. En revan-·
che j 'appellerai votre attention sur un autre usage
hébraïque, qui jette du jour sur un très grand nom--
bre de textes de l'Ecriture . Il consiste à désigner
une seule personne ou une seule chose par deux
substantifs, dont l' un se rapporte à l'entendement
ou au vrai, l'autre à la volonté ou au bien . Ainsi
jugement et justice, désolation et dévastation, peuple
et nation, intelligence et sagesse, âme ou esprit et
cœur, Jérusalem et Sion, Elohim et Jéhova, le Christ
et Jésus, roi et p,-être, Seigneur et Sauveur.
Ce principe littéraire ne me semble guère contes-
table; cependant nul ne s'en était avisé avant Swé-
denborg, et, sauf erreur, il est encore complètement
inconnu en dehors de la Nouvelle Eglise. Si je le
mentionne ici, sans pouvoir le développer, c'est
- 106-
parce qu'il est d'une importance particulière dans
son application aux deux noms qui désignent habi-
tuellement l'empire des ténèbres, savoir le Diable et
Satan; les autres noms sont des synonymes auxquels
les écrivains sacrés n'ont qu'exceptionnellement re-
cours.
Selon notre théosophe, Satan repl'ésente les infer-
naux dont le péché a sa source dans l'intellect ou
dans la pensée, ceux qui sont appelés Satans ou
Mauvais Esprits. Moins dépravés que les autres, ils
habitent la portion antérieure des Enfers, celle qui
correspond dans les Cieux au Royaume spirituel. Le
Diable, au contraire, représente ceux qui se sont
livrés au mal par un mouvement spontané du cœur,
par une décision de la volonté, et qu'on nomme
Diables ou Mauvais Génies. Plus dégradés et plus
dangereux que les Satans, ils sont relégués dans l'ar-
rière-Enfer, qui forme la contre-partie du Royaume
des anges célestes.
Avec ces deux nuances, nous devons entendre par
« le Diable]) et « Satan» l'ensemble des réprouvés
qui constituent l 'Enfer. Ce n'est pas tout: ces termes
sont parfois appliqués non pas aux damnés, mais au
mal lui-même, je veux dire au mal moral par lequel
l'Enfer est l'Enfer, au mal qui atteint là son point
culminant, mais qui se manifeste aussi, à différents
degrés, dans le Monde des Esprits et sur n01l'e globe.
C'est ainsi que Swédenborg donne aux mots une
acception tantôt concrète, tantôt abstraite. Nous ne
le lui reprocherons pas, car nous le faisons aussi par
une figure toute naturelle et souvent inconsciente,
- 107-
disant le trône ou la couronne pour la "oyauté, le sé-
pulcre ou le tombeau pour la mo,·t, la jeunesse pour
les jeunes gens, la justice pour les tribunaux.

* * *
Vous avez peut-être peine à renoncer à la person-
nalité de Satan, qui vous a paru jusqu'ici faire corps
avec l 'Evangile. Pourtant, si notre auteur la re-
pousse, ce n'est nullement par opposition au surna-
turel. II admet, au contraire, une quantité de faits
transcendants, sur lesquels il est de mode aujour-
d'hui de professer une incurable ignorance; aussi
les théologiens de nos diverses Eglises lui font- ils
froide mine non à cause de son prétendu <1. rationa-
lisme ", mais parce qu'il révèle des mystères qu'on
désespérait de jamais pénétrer ici-bas.
Non, Swédenborg ne vient pas diminuer notre foi,
il vient l'augmenter, d'un côté lui donner plus d'é-
tendue, de l'autre et surtout la rendre plus ferme et
plus sereine. Or le Diable personnel, - que pour
m a part j'acceptais sans scrupule, - offre à l'esprit
contemporain tant de difficultés que la plupart de
nos pasteurs ou n'y croient décidément plus, ou n 'y
attachent pas grande importance; aussi seront- ils
soulagés quand on leur démontrera qu'il ne fait
point partie des révélations bibliques. Cette croyance
a quelque chose de maladif, d'inutilement effrayant
et même d'antireligieux, par le pouvoir presque
sans bornes qu'elle attribue au grand Ennemi, de-
venu en quelque sorte la Divinité du mal. J'ai en-
tendu à Lausanne, il y a quelques années, un prédi-
-108 -
cateur français, évangéliste éminent, rappeler à ses
auditeurs" la toute-puissance du Diable . »
D'ai lleurs, ce que cet article de foi renfermait de
sérieux, de vrai, de redoutable et de moralisant de-
meure dans le point de vue nouveau que je vous
propose et que j e résumerai comme suit: - Il existe
un royaume du mal et du mensonge, un séjour des
damnés, ce que l'Eglise a toujours appelé l'Enfer.
Cet Enfer, - composé d 'esprits personnels qui ont
vécu sur la terre et appartenu à l'espèce humaine,
- exerce sur nos âmes une influence occulte dans le
but de nous faire pécher, soulIrir et mourir. Encore
que ses séductions soient puissantes et subtiles,
n'ous pouvons néanmoins y résister en nous abste-
nant résolument de tout ce que notre conscience
condamne et en acceptant avec humilité le secours
divin qui nous est offert. Dans ce cas, la victoire
nous est garantie et les luttes de l'existence actuell e
nous rendent capables de prendre place un jour au
nombre des anges. Si, au contraire, faute d'employer
ces moyens, nous cédons lâchement à la t!lntation,
l'Enfer nous asservit, et nous irons après notre mort
grossir les rangs des réprouvés, devenus des Diables
o u des Satans.
* • •
Me sera-t-il permis d'exprimer, en terminant, une
hypothèse qui a l'avantage de se rapprocher du point
de vue traditionnel sans être incompatible avec la
conception de Swédenborg? Comme l'univers imma-
tériel possède aussi des gouvernements et une hié-
rarchie, il se peut qu'il y ait à un moment donné, -
- 1.09-
sinon toujours, - un mauvais esprit assez intelligent
et assez ambitieux pour exercer sur l'Enfer entier,
ou du moins sur l'un ou l'autre de ses départements,
un ascendant irrésistible. Il m'est facile d'imaginer
qu'un de nos grands criminels, - empereur, roi,
conquérant, jésuite, inquisiteur, cardinal ou pape,
- imposant sa souveraineté aux autres habitants du
Tartare, réussisse à donner aux entreprises infernales
la force de l'organisation et de l'unité. Ce chef du
ténébreux domaine pourrait bien être appelé Cl. le
Diable» ou Cl. Satan» ; il serait aisé de le confondre
avec le sublime rebelle chanté par Dante et Milton, et
représenté par tant de tableaux.
Mais j'ai des raisons de penser que la domination
de ce roi des Enfers serait précaire. 1\ laisserait bien-
tôt le trône à un autre esprit habile et persécuteur,
qui aurait fait également, sur notre planète, l'ap-
prentissage de la tyrann ie.
1\ se peut qu'il y ait ainsi, d 'âge en âge, un Satan
personnel, - comme on vit à certaines époques un
Pharaon, un Hérode, un César ou un Borgia; - seu-
lement ce ne serait pas longtemps le même individu,
ce dont au surplus on aurait peine à s'apercevoir sur
la terre.
Quoi qu'il en soit de cette supposition, Cl. résistez
au Diable et il s'enfuira de vous 1 »
DEUXIÈME LEÇON
Organisation semblable, mais inverse, du Ciel et de l'Enfer.
Les deux Royaumes: Le Diable et Satan. L'amour de soi
et. l'amour du monde. Les quatre Plages. Les Sociétés in-
fernales . Afflux commun et Aftlux spécial. Artifices abo-
minables des démons. Les mauvais Génies. Les punitions
ne viennent pas de Dieu, mais du péché. Harmonie entre
l'individu ct son milieu! R égime de la crainte. Les portes
de l'Enfer. Aspect, variété et situation des Enfers. Tour-
ments des damnés. Chacun est devenu « l'effigie de son mal».
Figures horribles et formcs monstrueuses. L'Enfer ténébreux
pour le Ciel et réciproque ment. Apparences réeUes. Leur
objec~ivité. Opposition de la matière et de l'esprit.. Tendance
idéaliste de la philosophie comtemporainc. Le drame de la
création se poursuit dans le r-fonde spirituel. Suprématie
absolue de J'esprit. Monisme spiritualiste.

L'analogie est complète entre le Ciel et l'Enfer


quant à leur organisation; seulement ils sont placés
dans un ordre inverse, le Ciel le plus intime étant
tout en haut et l'Enfer le plus intime tout en bas.
Ainsi les trois Cieux, qui forment l'ensemble du Ciel,
ont pour pendant trois Enfers, formant également un
tout. L'Enfer infime, où sont relégués les esprits les
plus malfaisants, est opposé au Ciel suprême; l'Enfer
moyen au deuxième Ciel; l'Enfer supérieur, où sont
les damnés les moins dangereux, au Ciel inférieur.
A côté de cette division trinaire se retrouvent
- 111-
également les de-tlx Royaumes. Au Royaume céleste,
où domine l'amour pour Dieu, correspond le Royau me
diabolique, où règne l'amour de soi et où le mal est
à son apogée; l'Ecriture le personnifi e sous le nom
du Diable et ses habitants sont nommés Diables ou
Génies. Au Royaume spirituel, caractérisé par la
charité, correspond le Royaume satanique, où règne
l'amour du monde; il est personnifié dans la Parole
sous le nom de Satan, e t ses habitants sont appelés
Satans ou Esp,,·its. Je me suis permis d'appliquer à
ces deux Royaumes les épi th ètes de «diabolique» et
de «satanique»; j'ignore pourquoi Swédenborg ne
le fait pas, quoiqu'il les désigne, lui le premie,',
par les substantifs Satan et Diable au singulier et au
pluriel. Il serait malcommode de n'avoir pas des ad-
jectifs pour distingue r clairement ces domaines.

* * *
Notre auteur remarque avec raison que, sous les
formes de l'orgueil et de l'ambition l'amour de soi
est non seulement excusé, mais approuvé surla terrre.
Je cite: «Ne dit-on pas: Qui a fait quelque chose de
digne, d'utile et de mémorab le si ce n 'est pour être
honoré et célébré par les autres? Par quoi cela a-t-il
été produit sinon par le feu de l'amour pour la
gloire et l'honneur, par conséquent pour soi? Aussi
ne sait-on pas dans le monde que l 'amour de soi,
considéré en lui-même, est l'amour qui règne dans
l'Enfer et fait l'Enfer chez l'homme. Puisqu'il en
est ainsi, je vais d'abord décrire ce que c'est · que
l'amour de soi, et montrer ensuite que de cet amour
- 112 -
découlent comme d'une source tous les maux et pa,'
-suite tous les faux.
» L'amour de soi consiste à vouloir du bien à soi
seul, et non aux autres s i ~e n'est en vue de soi;
ainsi à ne vouloir du bien ni à l'Eglise, ni à la patrie,
ni à aucune société humaine, comme allssi à ne leur
faire du b ien qu'en vue de la réputation, de l'hon-
neur et de la gloire. Si l'on ne voit pas ces avantages
dans les usages qu'on remplit pour elles, on dit en
son cœur : Que m'importe 1 Pourquoi ferais-je cela?
Que m'en reviendra-t-il? En conséquence on ne le
fait pas; d'où il est évident que celui qui est dans
l'amOlli' de soi n'aime ni l'Eglise, ni la patrie, ni la
société, ni aucun usage, mais qu'il n'aime que lui·
même."
Cependant «celui qui s'aime aime aussi les siens,
qui sont en particul ier ses enfants et petits-enfants,
et en général tous ceux qui font un avec lui. Aimer
ceux-ci et ceux-là, c'est également s'aimer soi-même,
car il les considère comme en lui et il se considère
en eux. Parmi ceux qu'il appelle les siens sont aussi
tous ceux qui le louent, l'honorent et le révèrent. »
Swédenborg précise sa définition en comparant
les deux sentiments opposés . «L'amour céleste, dit·il,
c'est d'aimer les usages pour les usages, ou les biens
pour les biens que l 'homme fait en vue de l'Eglise,
de la patrie, d'une société humaine et d'un conci-
toyen; car c'est là aimer Dieu et aime,· le prochain ...
Mais celu i qui les aime pour soi-même ne les aime
que comme des domestiques, parce qu'ils sont à son
service. Par consêquent celui qui est dans l'amour
- 113-
de soi veut que l'Eglise, la patrie, les sociétés h u-
maines et ses concitoyens le servent, et il ne veut
pas les servir; il se place au-dessus d'eux et les met
au-dessous de lui. Autant donc quelqu'un est dans
l'amour de soi, autant il s'éloigne du Ciel, car autant
il s'éloigne de l'amour céleste. »
En outre, dit notre auteur, s'aimer par-dessus tout,
c'est êtl'e conduit par soi-même ou par son « propre»;
or ~ le propre de l'homme n'est que mal ».
Dans son grand ouvrage: La Vraie Religion ch,'é-
tienne, publié à la fin de sa longue carrière, Swéden-
borg ajoute sur ce sujet des détails extrêmement
frappants. Je n'en reproduirai qu'une faible partie:
1{ Lorsque j'eus bien examiné l'amouI' de dominer

d'après l'amour de soi, il me fut donné de percevoir


que cet amour est infernal au suprême degré, et qu'il
existe chez ceux qui habitent l'Enfer le plus profond ...
Cet amour, chez les hommes politiques, monte au
point qu'ils voudraient être rois et empereurs, et
même, s'il était possible, dominer sur le monde
entier en étant appelés rois des rois et empereurs des
empereurs. Chez les ceclésiastiques, ce même amour
monte à un tel point qu'ils voudraient être des dieux
et dominer sur tout le Ciel. Que ni les uns ni les
autres ne reconnaissent de cœur aucun Dieu, on le
verra dans ce qui suit. »

* '" *
D'après Swédenborg, ce que nous appelons d'un
seul mot: l'égolsme, se divise donc en deux passions:
l'amow' de soi, qui est le pire et qui fait les diables,
SWÉDEI'iDORG u 8
- 114-
et l'amour du monde, qui est moins foncièrement
mauvais et qui fait les satans. L'amour de soi est
directement contraire à l'amour du Seigneur; il
pousse le pécheur à s 'adorer lui-même, à se mettre
pratiquement à la place de Dieu. Il est moins déve-
loppé par les richesses, qui poussent surtout à jouir
des biens matériels, que par les fonctions civiles et
ecclésiastiques, qui habituent l'homme à gouverner
les autres et à se croire leur supérieur par son mé-
rite personnel. Comme nous venons de le voir, il va,
dans le monde à venir,jusqu'à la fo lie des grandeurs;
c'est parfois le cas dans ce monde-ci. Quant à ses
manifestations, voici comment notre écrivain les
énumère:
« Les maux, chez ceux qui sont dans l'amour de
soi, sont en général le mépris pour autrui, l'envie,
l'inimitié contre ceux qui ne leur sont pas favorables,
l'hostilité qui en provient, les haines de tout genre,
les vengeances, l'astuce, les fourberies, l'inhumanité,
la cruauté. Or, là où existent de tels maux, il y a
aussi le mépris pour Dieu et pour les Divins, qui
sont les vrais et les biens de l'Eglise; s'ils les hono-
rent, c'est seulement de bouche et non de cœur. Et,
comme ces maux proviennent de cet amour, il en
provient aussi des faux semblables, car les faux
découlent des maux. »
Non seulement les diables méprisent le Divin et ne
peuvent supporter qu'on en parle devant eux, mais
ils brûlent de haine contre tous ceux qui le recon-
naissent et l'adorent. CI. J'ai parlé, dit Swédenborg,
avec un certain esprit qui, dans le monde, avait été
-115 -
puissant et s'était aimé à un haut degré. Quand il
m'entendit seulement nommer le Divin et surtout
quand il m'entendit nommer le Seigneur, la haine
le saisit avec un tel transport de colère qu'il brûlait
du désir de lui donner la mort. Ce même esprit,
quand les freins de son amour étaient lâchés, désirait
être le Diable afin de pouvoir, d'après l'amour de soi,
infester continuellement le Ciel. C'est là ce que dé-
sirent aussi plusieurs de ceux qui sont de la religion
papale, quand dans l 'autre vie ils aperçoivent que
toute puissance appartient au Seigneur et qu'ils n'en
ont aucune. »
* * *
Comme nous venons de le voir, l'amou,· de soi est
diamétralement opposé à l'amour céleste ou à l'amour
du Seigneur; c 'est pourquoi il est le plus perverti et
forme l'Enfer le plus profond; le Royaume diaboli-
que. Quant à l'amow· du monde, il est opposé à
l'amour spirituel, ou à la charité, et forme le second
Enfer, celui qui est sur le devant, ou le Royaume
satanique. Très pernicieux, sans doute, il ne l'est
pourtant pas au même degré. Voici en quels termes
Swédenborg le définit:
« L'amour du monde consiste à vouloir, par un
artifice quelconque, attirer à soi les biens des autres,
à mettre son cœur dans les richesses, à souffrir
que le monde le détourne de l'amour spirituel,
qui est l'amour pour le prochain, et par conséquent
le sépare du Ciel et du Divin. Toutefoi s cet amour
est multiple. II y a l'amour des richesses afin ·d'être
élevé aux honneurs qu'on aime par-dessus tout; il Y
-116 -
a l'amour des honneurs et des dignités afin d 'acqué-
rir des richesses; il Y a l'amour des richesses pour
divers usages qui procurent du plaisir dans le
monde; il Y a l'amour des richesses pour les richesses
seules, tel est l'amour des avares; outre d'autres en-
core. La fin pour laquelle on aime les richesses est
appelée usage, et c'est la fin ou l'usage qui donne à
l'amour sa qualité. Car l'amour est tel qu'est la fin
pOUl' laquelle on agit, tout le reste ne lui sert que
de moyens . »
Vous pouvez imaginer ce que produit un sentiment
directement contraire à l'amour pour les autres, et
combien doit être misérable le groupe où cette pas-
sion est dominante.
* * *
Comme le Ciel, l'Enfer est divisé en Plages. Je n'ai
pas encore prononcé ce mot, d'importance très se-
condaire; je veux cependant vous donner l'idée de
ce qu'il signifie. Il y a dans le Ciel quatre plages,
correspondant à nos points cardinaux et déterminées
par le Soleil spirituel. Mais les plages célestes diffè-
rent des tert'estres par deux circonstances: 1 0 Elles
sont fixées non par le Midi, mais par l'Orient, c'est-
à -dire par le point où le Seigneur apparalt comme
soleil. 2 0 Les anges ont toujours en face l'Orient, d er -
rière le dos l 'Occident, à droite le Midi et à gauche
le Nord; ce qui, par parenthèse, est en accord avec
le langage biblique '.
t Les correspondances de l'orientation céleste ici décrite se retrou-
vent dans les livres hébreux de l'Ecriture, Oll devant se dit pour
l'Orient, derrière pour l'Occident, li droite pour le Midi et à (Jauche
pour le Nord.
- 117-
II n'en est pas moins vrai que cela parait difficile
à saisir. Cela revient à dire que, dans le monde spi-
rituel, l'orientation est subjective, tandis qu'elle est
objective ici-bas . Nos points cardinaux sont immua-
bles, indépendants de nous; dans l 'autre monde, ils
dépendront de notre amour régnant, de la direction
de nos regards et de notre volonté. Ainsi les anges
ont vis-à-vis d'eux l'Orient, de quelque fa çon qu'i ls
tournent leu>' face et leur corps. Je ne m'arrête pas
sur cet al'cane, qui semble d'abord incompréhen-
sible, mais qui s'harmonise très bien avec la théorie
des apparences réelles.
« Cette convel'sion de la face e t du corps vers le
Seigneur, dit Swédenborg, est une des merveilles du
Ciel. Là, en effet, quand plusieurs, se trouvant dans
un même endroit, se tournent les uns d ' un côté, les
autres d'un autre, tOllS n'en voient pas moins le Sei-
gneur devant eux; chacun d'eux a, de plus, à sa
droite le Midi, à sa gauche le Nord et derrière lui
l'Occident. Au nombre des merveilles est encore
celle-ci: Quoique les anges regardent toujours vers
l'Orient, cependant ils ont aussi un regard vers les
trois autres plages, mais ils les regardent d 'ap rès
leur vue intérieure, qui appartient à la pensée. »

* * *
Il va sans dire que chaque plage a une significa-
tion symbolique. D'une manière générale, l'Orient
et l'Occident ont rapport à la volonté ou au cœur, le
"Midi et le Nord à j'entendement; ajoutons que j'O-
rient est supérieur à l'Occident et le Midi au Nord,
- 118-
Une ou deux citations nous serviront à préciser da-
vantage.
« Toutes les habitations des Cieux sont distinctes
selon les plages. A l'Orient et à l'Occident habitent
ceux qui sont dans le bien de l'amour: à l'Orient
ceux qui ont de ce bien une perception claire, à l'Oc-
cident ceux qui en ont une perception obscure. Au
Midi et au Septentrion habitent ceux qui sont dans
la sagesse de ce bien: au Midi ceux qui sont dans la
lumière claire de la sagesse, au Septentrion ceux qui
sont dans la lumière obscure de la sagesse. J)
« C'est pourquoi les plages dans les Cieux signifient
l es qualités de leurs habitants, à savoir: l'Orient
l'amour et le bien de l'amour dans une perception
c laire, l'Occident les mêmes choses dans une percep-
tion obscure; le Midi la sagesse et l'intelligence dans
une 1umière claire et le Septentrion les mêmes choses
dans une lumière obscure. Or, comme de telles
choses sont signifiées dans les Cieux par ces plages,
elles le sont également dans le sens interne ou spiri-
tuel de la Parole; car le sens interne ou spirituel de
la Parole est absolument conforme aux choses qui
sont dans le Ciel. »
. . .
Il va de soi que les plages de l'Enfer sont opposées
à celles du Ciel; aussi dépendent-elles de la masse
opaque et ténébreuse qui y remplace le Soleil spiri-
tuel et vers laquelle se tournent les réprouvés .
([ Pour cette raison, on dit que les habitants de
l'Enfer sont dans les ténèbres et ceux du Ciel dans la
lumière; les ténèbres signifient le faux d'après le
-119 -
mal et la lumière le vrai d'après le bien" S'ils se
tournent ainsi, c'est parce que dans l'autre vie tous
fixent leurs regards sur les choses qui règnent dans
leurs intérieurs, ainsi vers leurs amours, et que les
intérieurs constituent la face de l'ange et de l'esprit;
c'est aussi parce que dans le Monde spirituel les pla-
ges ne sont point fixes comme dans le monde natu-
rel, mais que c'est la face qui les détermine. L'homme,
quant à son esprit, se tourne déjà pareillement: ce-
lui qui est dans l'amour de soi et du monde tourne
le dos au Seigneur, et celui qui est dans l'amour à
l'égard de Dieu et du prochain se tourne vers le Sei-
gneur. Seulement l'homme ne le sait pas, parce qu'il
est dans le monde naturel, où les plages sont déter-
minées par le lever et le coucher du soleil. »

* * *
Ceux qui sont dans les Enfers habitent donc selon
leurs plages: « Ceux qui sont dans les maux d'après
l'amour de soi depuis leur Orient jusqu'à leur Occi-
dent; ceux qui sont dans les faux du mal depuis leur
Midi jusqu'à leur Septentrion. l>
Il n'est pas superflu d'ajouter ceci: « Comme les
Enfers sont opposés aux Cieux et que toutes les
plages célestes commencent par l'Orient, les plages
infernales commencent par l 'Occident. Voilà pour-
quoi les Enfers de la plage occidentale sont les plus
horribles et les plus cruels de tous, et d'autant plus
horribles et plus cruels qu' ils sont plus élo ignés de
l'Orient. »
* * *
-120 -
Ici viennent des détails bien solennels dans leur
précision; et, s'ils vous frappent par leur sévérité
à l'égard du catholicisme romain, permettez- moi de
vous faire observer que Swédenborg, luthérien de
naissance et d'éducation, ne ménage pas davantage
les protestants.
« Dans ces Enfers sont ceux qui, dans le monde,
ont été dans l'amour de soi et par suite dans le mé-
pris pour les autres, dans l'inimitié contre ceux qui
ne leur étaient pas favorables, et dans la haine et
une ardeur de vengeance contre ceux qui n'avaient
pas pour eux du respect et de la vénération.
:> Là dans les lieux les plus reculés sont ceux qui
ont été de la religiosité catholique, comme on l'ap-
pelle, qui ont voulu y être adorés comme des dieux,
et par suite ont brûlé de haine contre tous ceux qui
ne reconnaissaient pas leur pouvoir sur les âmes des
hommes et sur le Ciel. Ceux-ci sont animés du même
esprit qu'ils avaient dans le monde. Leur plus grand
plaisir est d'exercer des cruautés contre ceux qui
leur font opposition; mais cela se tourne contre eux-
mêmes, car dans leurs Enfers, dont la plage occi-
dentale a été remplie, chacun est en fureur contre
quiconque lui dénie la puissance divine. »
" L'atrocité des Enfers décroît de la plage septen-
trionale à la plage méridionale et aussi par degrés
vers l'Orient. A l'Orient sont ceux qui ont été fas -
tueux et n'ont pas cru au Divin, mais qui néanmoins
n'étaient pas dans une telle ardeur de vengeance ni
dans une telle fourberie que les habitants de la plage
occidentale. »
- 121-
« Les Enfers sont en grand nombre dans les plages
septentrionale et méridionale. Là demeurent ceux
qui, pend an t leur vie, ont été dans l'amour du monde
et par suite dans des maux de divers genres: l'ini-
mitié, l'hostilité, les vols, les larcins, l'astuce, l'ava-
rice, la dureté de coeur. Les Enfers les p lus cruels
de ce genre sont dans la plage septentrionale, les
moins cruels dans la plage méridionale. »

* * ..
Enfin, dans chaque plage, il y a des Sociétés qui
sont distinguées selon les maux régnant dans leur
sein et dont chacune correspond à une Société angé-
lique. En effet, « chaque mal est d'une variété infi-
nie, comme chaque bien . C'est ce que ne peuvent
comprendre ceux qui ont seulement une idée simple
de chaque mal, par exemple du mépris, de l'in i mitié,
de la haine, de la vengeance, de la fourberie. Toute-
fois chacun de ces maux renferme un si grand nom-
bre de différences spécifiques, et cbacune d'elles a
tant de subdivisions, qu'un volume ne suffirait pas
à les énumérer. » Ces Enfers spéciaux sont rangés et
ordonnés d'une manière admirable, plus ou moins
rapprochés ou éloignés l'un de j'autre suivant la
nature des maux et des faux .

*
. *
Dans le détail, comme dans l'ensemble, l'Enfer est
l'exacte contre-partie du Ciel. Mais, si ces deux hé-
misphères du Monde spirituel sont en opposition ra-
dicale, elles ne sont pas sans relations mutuelles:
-122 -
l'une dépend au contraire de l'autre de la façon la
plus absolue. Il convient de remarquer, à ce propos,
que, si l'Enfer est plein de haine contre le Ciel, le
Ciel n'a que des sentiments charitables à l'égard des
malheureux réprouvés.

* * *
Nous avons dit que le Seigneur règne sur les En-
fers. Ce n'est pas qu'il s'y manifeste en personne; sa
dom ination s'y exerce 1?tédiatement, et cela de trois
manières. En premier lieu par un Afflux commun
du divin bien et du divin vrai procédant des Cieux,
par lequel l'effort des Enfers se trouve modéré et ré-
primé; en second lieu par un Afflux spécial de cha-
que Ciel et de chaque Société angélique; en troisième
lieu par certains Anges auxquels il est donné de voir
ce qui se passe daus l'Enfer, et qui parfois y sont
envoyés pour apaiser les tumultes ou prévenir de
trop horribles excès.
C'est du reste la crainte qui est le grand ressort
de ce gouvernement. Aucun autre mobile n'est suf-
fisant pour décider les êtres infernaux, je ne dirai
pas à faire le bien (il n'en est, hélas 1 plus question
pour eux), mais à s'abstenir de faire trop de mal, à
se refuser le plaisir de nuire à leurs compagnons
autant que les y poussent leurs passions déchalnées.

* * *
La très grande majorité de nos contemporains en
restent au point de vue de l'antiquité païenne: ils
regardent la vie présente comme souverainement
- 123-
réelle, importante, précieuse, et la vie future co mme
quelque chose de vaporeux, d 'insaisissable, d'hypo-
thétique, si ce n'est de fictif et de mensonger. Il en
est tout autrement d'après Swédenborg. D'une ma-
nière générale, c'est un immense progrès pour
l'homme, qui est avant tout un esprit, de se débar-
rasser du corps matériel auquel i l était lié sur la
terre, pour vivre avec un corps spirituel approprié
à la sphère supérieure dans laquell e il vient d 'entrer.
Les anges ont des pensées que nos paroles sont
incapables d 'exprimer: ils manifestent une raison et
une sagesse qui dépassent infiniment les nôtres,
« bien que chacun d'eux soit né homme, ait vécu
homme, et ne se soit pas douté alors qu'il eût plus
d e sagesse qu'un autre homme semblable à lui. » Il
s'est donc fait dans le même être un développement
merveilleux.
Mais qu'en est- il des esprits infel·naux, des dé-
mons I? Sans doute, comme nous l'avons constaté,
ils sont dépourvus de toute intelligence véritable,
mais ils se montrent beaucoup p lus habiles pour le
m al qu'ils ne l'étaient dans leur précédente exis-
tence. Toutes leurs pensées et toutes leurs machina-
tions tendant à la satisfaction de leurs appétits dé-
pravés, ils parviennent à un degré s urprenant de
malice et de ruse. Leur méchanceté est incroyable.
« C'est pal' m illiers, dit Swédenborg, qu'H faut
compter les choses qui s'élancent du mal même . Il
1 Swédenbori; appelle démons tous les hab itants de l'Enfer indis-
tinctement, qu'ils appartiennent à l·uo ou l'autre Royaume, qu'Os
soient des d iables ou des salans.
-124 -
en est de telles qu'on ne saurait les exprimer en au-
cune langue, mais plusieurs expériences m'ont per-
mis de savoir ce qu'elles sont et même de le perce-
voir; car il m'a été donné par le Seigneur d'être en
même temps dans le Monde spirituel quant à l'esprit
et dans le monde naturel quant au corps. Or, je puis
l'affirmer, leur malice est si grande qu'à peine en
pourrait-on raconter un trait sur mille. J'affirme
également que l'homme ne peut en aucune manière
se soustraire à l'Enfer, si Dieu ne le protège; et
l' homm e ne peut être ainsi protégé qu'à la condition
de reconnaître le Divin et de mener une vie de foi et
de charité. D
Les artifices abominables auxquels les démons se
livrent pour réaliser leurs desseins« sont en si grand
nombre, ajoute Swédenborg, qu'il faudrait un livre
pour les énumérer et plusieurs volumes pour les dé-
crire. Ils sont presque tous inconnus dans le monde.»
Sans vouloir dévoiler ces ruses infernales, ce qui se-
rai t sans doute péri ll eux, le théosophe scandinave
en donne pourtant l'idée par quelqnes lignes fort
intéressantes pour ceux qui se sont occupés des
sciences occultes, mais peu intelligibles pour les au-
tres. Pardonnez-moi cette citation mystérieuse; elle
aura tout au moins l'avantage de vous faire sentir
combien il est difficile d'arriver jusqu'au fond des
assertions de notre auteur:
« La première espèce d'artifices consiste dans
l'emploi des Correspondances avec une mauvaise
intention; la seconde dans l'abus des choses der-
nières de l'Ordre divin; la troisième se rapporte à
- 125-
une communication et à un influx de pensées et
d'affections par des conversions, par des inspections,
par d'autres esprits en dehors d'eux et par des esprits
qu'ils envoient pour les représenter; la quatrième à
des opérations par des fantaisies; la cinquième à des
sorties hors d 'eux-mêmes et, par suite, à des pré-
sences ailleurs que là où ils sont avec leur corps; la
sixième à des feintes, à des persuasions et à des
mensonges. »
Les plus subtils de ces inspi.'ateurs du mal, les
Génies, « prennent plaisir à se rendre invisibles, à
volt.gercomme des fantômes autour de leurs compa-
gnons et à leur insinuer secrètement le mal, qu'ils
leur injectent comme les vipères le font de leur ve -
nin. » Aussi est-ce sous la forme de vipères qu'ils
apparaissent, lorsqu'on a mis à nu leurs fourberies.
« Cependant, dit Swédenborg, le Seigneur em-
pêche ces Génies d'approcher de tout homme pour
lequel il y a quelque espoir de réformation; car ils
sont capables non seulement de détruire la con -
science, mais encore d'exciter chez l'homme ses
maux héréditaires, qui autrement restent cachés.
Afin donc que l'homme ne soit pas amené à com-
mettre ces maux, il est pourvu par le Seigneur à ce
que ces Enfers-là soient complètement fermés; et
quand, après sa mort, un homme ayant le caractère
de ces Génies arrive dans l'autre monde, il est im-
médiatement jeté dans ces Enfers. »

* * *
- 1.26-
Expliquons- nous maintenant sur la nature des
punitions infernales. Comme ce n'est pas le Seigneur
qui ferme le Ciel aux impénitents et qui les précipite
dans l'Enfer, ce n'est pas lui non plus qui les y pu-
nit. D'une manière générale, le péché se punit lui-
même, c'est-à-dire que les méchants souffrent par le
fait de leur égoïsme et de leurs passions. Ils sont
malheureux dès cette vie et encore plus dans l'autre,
étant en contradiction avec l'ordre moral de l ' univers
et séparés de Dieu, source unique de l'amour et par
conséquent du bonheur. L'observation psychologi-
que nous apprend déjà que l'état intérieur de l ' indi-
vidu importe plus que les circonstances extérieures.
Seulement nous voyons ici- bas des contrastes cho-
quants entre le dedans et le dehors. Des justes, des
croyants fidèles sont soumis à de terribles afflictions
qui ne permettent pas de les envisager comme heu-
reux; ils ont sans doute au fond du cœur une paix
qui les soutient, les empêche de se révolter et de dé-
sespérer, leur donne même l'espérance de la félicité
future, mais c'est tout, et leur sort ne fait pas envie.
D'autre part, le succès semble, dans bien des cas,
donner raison aux parfaits égoïstes, et parfois il cou-
ronne d'une manière éclatante les coupables entre-
prises des ambitieux. . .
Grisés alors par la richesse et les honneurs, em-
.portés du reste par le tourbillon des affaires et des
plaisirs et accoutumés à imposer silence à la voix
importune de leur conscience, les usurpateurs, les
tyrans, même les simples parvenus peuvent, durant
un certain temps, ne pas sentil' combien leur exis-
-127 -
tence est manquée, ne pas s'avouer qu'ils sont en
réalité fi. pauvres, aveugles et nus. » Mais cet état
anormal ne dure pas. Fréquemment les victorieux
sont battus à leur tour. La roue de la fortune touI'ne,
l'édifice laborieusement élevé au moyen de l 'hypo-
crisie et du crime s'effondre tout .à coup, et le mé-
chant, privé de sa récompense terrestre, souffre
d'un affreux désappointement, si ce n'est des affr'es
du remords.
Mais c 'est en tout cas dans le monde à venir que
s'établit l'harmonie entre l'état mental et les condi-
tions extérieures, entre l'individu et son milieu.
C'est là que les hommes seront grands ou petits, ri-
ches ou indigents, heureux ou m a lheureux, selon
qu' ils auront mérité de l'être; ou, plus exactement,
c'est là que ce qu'ils sont spirituellement, c'est-à· dire
en réalité, sera manifesté et rendu complet par les
circonstances extérieures de leur vie.
Les habitants de l'Enfer ne peuvent être que pro-
fondément malheureux parce qu'ils sont plongés
dans le mal. Leurs souffrances proviennent sans
doute de l'Ordre divin, mais elles ne sont imputables
qu'à eux·mêmes, car ils ont résisté à tous les appels
de la grâce. Dieu ne prend nullement plaisir à les
tourmenter, comme les docteurs chrétiens l'ont en-
seigné tt"OP longtemps, donnant de lui l'idée la plus
fausse. Il intervient au contraire dans les Enfe~s en
conformité avec sa nature, qui est l'amour même et
la miséricorde même. Au lieu de se venger de ses
ennemis, même des pires, il cherche sans cesse à
rendre leur destinée plus tolérable. Il leur laisse les
- 128-
jouissances auxquelles ils tiennent le plus, pourvu
qu'ils restent dans certaines limites et ne maltraitent
pas trop leUl's camarades.
Toute l'existence des réprouvés est déjà une puni-
tion, mais ils sont en outre soumis à des punitions
particulières en vertu de leur organisation sociale.
Ainsi, comme dans nos prisons, ils doivent travailler
pour vivre, et ils appliquent rigoureusement à l'é-
gard des paresseux le précepte de saint Paul: « Ce-
lui qui ne veut pas travailler ne doit pas non plus
manger. »
* * *
Ils sont tous placés, je l'ai fait observer en pas-
sant, sous le régime de la crainte, les mobiles plus
élevés, - honneur, conscience, charité, sentiment
religieux, - leur étant tout à fait inconnus .
« Tous les habitants de l'Enfer sont gouvernés par
la crainte, dit Swédenborg: quelques-uns par des
craintes qui leur viennent de leur vie en ce monde
et qui restent attachées à leur âme; mais, comme ces
craintes se dissipent graduellement et par consé-
quent ne suffisent pas, ils sont gouvernés par la
crainte du châtiment. C'est là le principal moyen
pour les empêcher de nuire.
» Les punitions de l'Enfer sont variées, étant
douces ou sévères selon la nature du mal. Dans la
plupart des cas les démons les plus méchants, qui
excellent en ruse et en habileté, et qui se montrent
capables de tenir les autres dans l'obéissance et l'es-
clavage par les punitions et par la terreur qu'elles
inspirent, sont préposés à leurs compagnons; mais
- 129-
ces ,"ouverneurs n'osent point dépassel' les bOl'nes
qui leur sont prescrites. Il est à remarquer que la
peUl' du châtiment est l'unique ressource pOUl' ré-
primer la violence et la furie des démons; il n'existe
pas d'autre moyen. l>
D'après ce qui précède, les punitions de l'Enfer ne
sont pas directement voulues de Dieu, mais simple-
ment permises. Or cette permission a pour cause son
respect du libre arbitre et pour but le plus gl'and
bien de tous; elle est donc en parfaite harmonie avec
sa sagesse et avec son amour.

* * *
L es Enfers communiquent avec le Hadès par di-
verses ouvm~tu1'es ou p01~tes, qui ont l'air de cavernes.
d'abîmes, de marais ou d'étangs . Quand ces portes
s'ouvrent, - et cela n'a lieu d'ordinaire que pour
donner passage aux esprits qui se jettent dans le
Tartare, - il s'en exhale soit un feu fumant, soit une
flamme sans fumée, soit de la suie, soit un nuage
épais, Voilà du moins ce qui apparaît aux habitants
du Monde intermédiaire; mais les espl'its infernaux
eux-mêmes ne sentent ni ne voient ces choses. En
effet, lorsqu'elles les environnent, ils sont dans le
plaisir de leur vie et comme dans leur atmosphère,
attendu qu'elles représentent les maux et les faux de
leur vie intérieUl'e. Le feu correspond à la haine et
à la vengeance, la fumée et la suie aux faux qui se
rapportent à ces passions, la flamme à l'amoul' de
soi et la sombre nuée à l'en'euI' provenant de cet
égoïsme sans pitié.
s 'w tD E NBORG II 9
130 -

* *
Swéden borg eu t mainte fois l'occasion, à ce qu'l!
assure, de plonger ses regat' ds d ans les Enfers de
manière à se rendre bien comp te de le Ul' confi gura -
tion e t de leur diversité.
Du Monde des Esprits, où il se trou vait a lors, il les
a vus, les uns co mme des a ntres plus ou moin s pro-
fonds, d'autres comme des ta nières ou repaires de
bêtes fauves, d 'au t res encore com me des galeries
souterraines. Dan s plus ieu r s endroits on remarque
des ruines, telles que sont sur la te rre des maisons
et des édifices publ ics après un incendie; ces décom-
bres servent de refuge aux d émons d ' une certaine
espèce. Dans quelques Enfers, - ce sont les moins
terribles, - s 'é lèvent de c hétives cabanes, fréquem-
ment co~ti guëS, qui forment une vill e avec ses rues
el ses places ; les h a bitants de ces misérables de-
meures, toujours préoccupés d e vol et de pillage, se
fr appent et se déch irent mutuellement '. On ren -
contre aussi de sombt'es forêts où cel'tains démons
sont e rrants comme des animaux sauvages, les pl us
méchants poursuivant les ault'es dans le but de leur
faire du mal. Il ya enfin des déserts plus ou moins
a rides et sablonneux, et des régions non moins 1u-
gubres où l'œil attristé n'aperçoit que des lieux de

. . .
débauche, remplis d'ordures e t d 'excréments .

I l lui est art'ivé cependa nt d 'exam in er les Enfers


de pl us près; notons seulement cette réserve qui est
t Swédenbo rg y vi t un jou r un e grande cité, mais il ne la dêcrit pas.
- 13'1-
de sa plume: « Etre envoyé en Enfer, ce n 'est pas
être transporté d'un lieu dans un autre; c 'est être
introduit dans quelque Société infernale, l'homme
restant toujours dans le même lieu . »
Voici donc ce qu'on lit dans les A,·canes célestes : N ~ 699
" Pour que je visse les tourments de ceux qui sont
en Enfer et la dévastation de ceux qui sont dans la
Terre inférieure, j'y fus quelquefois envoyé; mais il
ne m'est permis de rapporter ici que cette seule
expérience: Je percevais clairemenl qu'une sorte de
colonne m'environnait; cette colonne angmentait
sensiblement et il m 'était insinué que c'était là ce
mur d'airain dont parle l'Ecriture, formé par les es-
prits angéliques pour que je pusse aller en sécurité
vers ces malheUl'eux. Quand j 'y fus parvenu, j'en-
tendis leurs pitoyables lamentations et surtout celles-
ci : « Ah 1 Dieu 1 ah 1 Dieu 1 Qu'i l a it pitié de nous 1
qu'il ait pitié de nous! » Et cela durait longtemps.
Il me fut même accordé de m'entretenit' assez lon-
guement avec ces infortunés. Ils se plaignaient sur-
tout des mauvais esprits qui, transportés de fureur,
ne désiraient rien tant que de les tourmenter. Aussi
se livraient-ils au désespoir, croyant que leur sup- )
p lice durerait éternellement, mais il me fut donné
de les consoler. » A.c. 6'J~ ~ V" '' · p..<-< J.->.i i l>. 961.
* *
Quant à la situation générale des Enfers, on peul
l'indiquer en quelques mots. Ils sont au-dessous du
Hadés, qui est lui-même au-dessous des Cieux. ~ Il
m'a été donné, dit notre conducteur, de savoir en
quel grand nombre sont les Énfers par le fait qu' il y
- 132-
en a sous toute montagne, sous toute colline et tout
rocher, sous toute plaine et toute yaIlée, où ils s'é-
tendent en longueur, en largeur et en profondeur.
En un mot, tout le Ciel et tout le Monde des Esprits
sont pour ainsi dire excaYés, et il l'ègne au-dessous
de l'un et de l'autre un Enfel' continu. »
Les ouvertures des Enfers « appal"aissent comme
des trous e t des crevasses de roche,'s, quelques-unes
larges et spacieuses, d'autres étroites et ressert"ees,
la plupart raboteuses; toutes sont obscures et som-
bres. Mais les esprits infernaux qui habitent ces
Enfe rs sont dans une lueur sem blable à celle de J

charbons emb rasés; leurs yeu x ont été COnfOl"més


pour r ece"oir cette lumière, et cela parce que, lors-
qu'ils vivaient dans le monde, ils étaient dans l'obs-
curité quant aux divins vrais par la négation de ces
vrais, et dans une sorte de lu mière quant aux faux
par l'affirmation de ceux-ci . C'est pourquoi la lu-
mière du Ciel est POUl" eux une obscurité et, qu and
ils sortent de leurs antl'es, ils ne voient plus rien.
De ce qui précède yoici ce que j'ai pu conclure avec
certitude: L 'homme vient dans la lumière du Ciel
pour autant qu'il reconnait le Divin et confirme chez
lui les choses appartenant au Ciel et à l'Eglise; il
vient au contraire dans l'obscurité d e l 'En rel" pOUl'
autant qu'il nie le Divin et confirme chez lu i les
choses opposées à celles qui appartiennent au Ciel
et à l'Eglise. »
Il existe encore, d'après Swédenborg, des E nfers
sous des Enfers. Les uns communiquent par des
passages, d'autres, plus' nombreux, par des exhalai-
- 133-
sons suivant les affinités des genres et des espéces
de mal. La plupart des Enfers sont à trois rangs su-
perposés. « Les plus élevés apparaissent obscurs à
l' intérieur, parce que les infernaux y sont dans les
faux du mal; les plus bas apparaissent ignés, parce
que les infernaux y sont dans les maux mêmes. Or le
feu correspond au mal et l'obscur ité au faux qui en
résulte. En effet, dans les Enfers les plus profonds
sont ceux qui ont agi intérieurement d'après le mal ,
et dans les moins profonds ceux qui ont agi exté-
rieurement, c'est-à-dire d 'aprés les faux du mal. »

.. * *
Le corps spi,'ituel étant la pal'faite image du ca-
ractère ou de la personnalité, les démons doivent
être aussi laids que les anges sont beaux. En effet,
sans leU!' octroyer, comme le fait la légende, une
queue, des cornes et le pied fourchu, notre théo -
sophe, dans son style précis et froid, les dépeint ce-
pendant comme une humanité hOl'rib lement défigu-
rée, dont la face et le corps, le langage et les gestes,
manifestent les sentiments bas et hai neux de ses
membres, les vices et les hontes de leur cœur. Cha-
cun est devenu, quant à son organisme même, l'effi-
gie de son mal. Tous ont quelque chose de vil et de
repoussant, avec d'infinies variétés sans doute , mais
avec des traits communs, un air de famille entre
ceux qui font partie de la même Société.
« En général, dit Swédenborg, la figure est affreuse
et dépourvue de vie comme celle des cadavres; chez
quelques-uns elle est noire, chez d'autres embrasée
- 134-
comme une torche, chez cel'tains d'entre eux ..endue
hideuse pal' des pustules, des varices et des ulcères.
Chez la plupart il n'y a point de visage, mais à la
place quelque chose d'osseux et de poilu; chez plu-
sieurs on n'y voit que des dents. LeuI' corps aussi
est d'une forme monstrue u se, et l'on sent que leur
langage est dicté par la colère, la haine ou la ven-
geance; cal' chacun parle d'après le faux qui est en
lui, el le son de sa voix est en r appo .. t avec son mal.
En un mol, 'ils sont tous des images de leu,' Ente". »

* * *
Comme le Ciel a la fo .. me humaine, l'Enfel', dans
son ensemble, a la l'o .. me diabolique et peut se ma-
nifester sous la figure d'un seul diable. Swédenborg
ne l'a pas vu, mais cela lui a été rapporté. En revan-
che, il lui ' a été souvent donné de voir de quelle
forme sont les Enfel's particuliers ou les Sociétés in-
ferna les. " Car, dit-il, aux portes de ces Enfe ..s il
apparait ol'dinai ..emenl un monsh'e qui représente
l'ensemble de ceux qui s'y trouvent; les atrocités
commises pa .. ceux-ci sont en même temps repl'é-
sentées par des actes cruels et fél'oces qu'il est inu-
tile de racontel' . 11 est bon de savoi .. que les esprits
infernaux appa ..aissent lels à la lumièl'e du Ciel,
mais qu'entr'e eux il s appa ..aissent comme hommes,
et cela pa .. la misél'icorde du Seigneur, afin qu'entre
eux ces hideuses difformités ne se manifestent pas
comme aux yeux des anges. Au l'este cette apparence
est une illusion; car, dès que quelque lumière du
Ciel pénètre chez eux , leurs fo,'mes humaines sont
- 135-
changées en formes monstrueuses, telles qu'elles
sont en elles-mêmes. Voilà pourquoi ils fuient la lu-
mière céleste et se précipitent dans leur propre lu-
mière, qui ressemble à celle d.e charbons embrasés
ou de soufre enflammé, mais qui se change en com-
plète obscurité lorsque quelqlle lumière y influe du
Ciel. »
• * •
Ainsi l'Enfer est éclairé à l' intérieur d ' une façon
suffisante pour que ses habitants se voient les uns
les autres et se livrent à certaines occupations; mais
cette lueur fantastique leur montre leurs compa-
gnons autl'ement qu'ils ne sont en réalité, et se
transforme en ténèbres lorsqu'un rayon du Soleil
des esprits pénètre dans l'empire du mal. La lumière
du Ciel, qui est la véritable lumière, n 'est point per-
çue par les démons; elle les aveugle, au contl'aire,
ou les plonge dans la plus sombre nuit. Pareils aux
hiboux et aux chats-huants, ils ne peuvent fait'e
usage de leUl's yeux que dans les ténèbres; et la
lueur infernale est obscure quand on la compare au
grand jour du royaume des Cieux.
Il y a donc quelque chose de subjectif et de relatif
dans les perceptions des esprits. L'Enfer est téné-
breux pOUl' le Ciel et réciproquement. Il existe une
certaine lumière pOUl' les démons comme pour les
anges; mais la lumière des premiers ne sert qu'à
rendre les ténèbres visibles, tandis que celle des se-
conds. resplendit glOl'ieusement et dépasse de beau-
coup en éclat celle de notre soleil. La lumière que
voit un esprit quelconque, - dans le Hadès, dans le
-136 -
Ciel ou dans l'Enrel', - est nécessairement en rap-
port exact avec la nature et l'état de cet esprit. On
en peut dire autant de tout ce que les esprits voient,
entendent e t généralement perçoivent. Ceci nous
amène à la t1'ès remarquable théorie des Apparences,
sur laquelle je veux, pour terminel', attirer un mo-
men t votre attention.
* * *
Dans toute l'étendue du Monde spil'ituel, chacun
perçoit des choses extérieures qui correspondent
toujours à ses intérieurs, qui sont dès lors belles ou
laides, nobles ou vulgaires, gaies ou tristes, suivant
l 'état de son mental. C'est ce que Swédenborg ap-
pelle des Representatif.. ou des Appa.·ences. Ces Re-
présentatifs ne le cèdent en rien à nos pe rceptions
terrestres en fait de précision et de vivacité, ils leur
sont même supérieurs à tous égards; aussi avons-
nous le droit de les appeler Apparences ,·éelles.
Il y a cependant, dans les Enfers surtout, des ap-
parences que Swédenborg nomme i",.eeUes, « at-
tendu, dit-il, qu'elles ne correspondent pas aux inté-
rieurs . ~ Mais j'en reviens aux apparences réelles et
substantielles; elles le sont surtout dans les Cieux.
Il faut le reconnaltre , ces apparences, même
réelles, ne sont pas indépendantes des anges et des
esprits; nous devons y voir, au contraire, des pro-
jections de leurs sentiments et de leurs idées. Ils se
donnent à eux-mêmes le spectacl e symbolique de ce
qu'ils pensent, aiment et veulent. Ils agissent ainsi
sans aucune préméditation, continuellement et né-
cessairement, en vertu d'une loi dont ils ne sont pas
- 137 -
les maUres. C'est leur mentalité qui, pour ainsi dire,
crée et transforme sans cesse le monde extérieur.
Toute cette question est, je l'avoue, extrêmement
délicate et profonde. Il me semble pourtant qu'on ne
peut pas dénier à ces apparences une certaine réa-
lité objective; car elles n'existent pas seulement pour
l'esprit iudividu el, mais pour tous ceux de son es-
péce. Ainsi les anges d'un même Ciel, - que ce soit
le premier, le second ou Je troisième, - 'v oient, en-
tendent, perçoivent les mêmes choses, vivent dans
un même monde. Et Swédenborg, dont les sens inté-
rieurs avaient été ouverts, a perçu, comme J'un
d'eux, des maisons, des palais, des jardins, des villes
et des montagnes, tout un monde céleste correspon-
dant aux idées et aux affections de ceux qui l'habi-
taient. Cette objectivité des apparences spirituelles
les sépare nettement du rêve, dont on sera it tenté de
les rappt'ocher.
* * *
Nous sommes accoutumés à vivre dans un monde
matériel, auquel nous appartenons par notl'e COI'pS,
mais qui est essentiellement différent de notre â me
ou de notre Moi. Ce monde sensible, avec tous les
êtres et tons les objets qui le composent, nous est
extérieur , étranger, d 'abord inconnu, souvent hos-
tile; surtout il est a'<!-t,' e que nous, et c 'est à grand'-
peine que nous apprenons à le connaitre, à nous
mettre il l'abri de ses attaques, à le dominel', à l'em-
ployer à notre serv ice. Cela nous paraît tout simple,
p arce que nous avons toujours été dans cette situa-
tion. Nous a llon s jusqu'à supposer qu'il en est tou -
-138 -
jours et partout ainsi. La plupal't des chrétiens eux-
mêmes se sont imaginé et s'imaginent encore les
Cieux comme un monde matéTiel où le mal n'exis-
tera p lus et où les conditions d'existence seront
meilleures.
Cependant cette dualité, cette opposition entt'e la
nature du monde et celle de ses habitants est-elle
quelque chose de normal? La lutte entre la matiére
et l'esprit doit-elle durel' toujours? Les sens, par les-
quels nous entrons en contact avec la création, nous
en fournissent-ils une idée j uste ~ La pe rception sen-
sible nous permet-elle de saisir la substance des
choses, ce qu'il y a de permanent au-dessous des
phénomènes changeants?
Nous savons bien que non . A la fin du siècle le
plus scientifique de tous, on a été assez découragé,
dans le brill an t pays qui nous avoisine, pour pl'ocla-
mer CI. la banqueroute de la science. » C'était aile,'
trop loin; mais ce mouvement de l'ecul témo igne au
HlOins que les hommes l'éfléchis souffrent d'êtt'e em-
prisonnés par la matière, cette matière qu'on cl'Oyait
si solide, si cel'taine, si substantielle, et qui mainte-
nant se CI. dématérial ise », se volatilise, s'évanouit
entl'e les mains de ses observateurs. Ap,'ès n'avoir
cru qu'à la matière, on ne sait plus ce qu'elle est;
on la confond avec la force, à laquelle on l 'opposait
naguère; et un nouvel idéalisme, rééditant le point
de vue des Indous, déclare qu'e lle n'existe pas.
Je ne fais pas uniquement allusion à Mm e Eddy et
à son million de disciples, pOUl' lesquels la matière
est une illusion; je pense à p lusieurs ouvrages ré-
-139 -
cents, qui me donnent à pensel' qu'en diverses con-
trées la philosophie s'oriente dans le même sens,
Ayant étudié plus soigneusement qu'on ne l'avait ja-
mais fait le rêve ou le songe, des savants l'éhabili-
tent aujollrd'hui ce phénomène qu'on dédaignait
avant eux. Il en est même qui regardent la vie comme
un rêve, toutes nos impressions sensibles leU!' pa-
raissant trompeuses. A leues yeux il n'existe que
des esprits; la matière est une simple apparence,
dont la réflexion nous enseigne à reconnaitre l' ina-
nité.
Cet idéctlisme, - qui remonte à Platon et même à
l'licole éléate, - a subi, dans le cours des âges, bien
des tI'ansformations; de nos jonrs, c'est surtout à
Kant qu'il me semble se rattache l', quoique le philo-
sophe de Konigsberg se soit défendu d 'être idéaliste
et ne l'ait pas été complètement. D'après Kant, toutes
nos sciences ne sauraient jamais atteindl'e que les
phénomenes, pures apparences derrière lesquelles se
cachent les noumènes, choses réelles, mais par mal-
heur inconnaissables. Cette doctrine tend assuré-
ment à nier la matièl'e .
Mais le maté!'ialisme sons sa forme contemporaine,
le naturalisme, ne la nie-t-il pas aussi en la faisant
consister en énergie et en mouvement? La science
elle-même, en ramenant tout à l'éther, substance
continue et indivisible, inaccessible à nos sens, donc
immatérielle, ne passe- t- elle pas tout entièl'e à
l'idéalisme?
Quoi qu ' il en soit de ces tentatives philosophiques,
qui ne l'éussü'ont point à sonder l'insondable, Swé-
- 1,. .0-
denbOl'g n'est point un idéaliste, Car d'abord il ne
conteste point l'existence de la matière, il ne consi-
dère pas celle-ci comme illusoire ou mauvaise; il lui
assigne seulem ent une place inférieure, la place la
plus basse dans la création. Ensuite il ne met pas la
réalité dans les idées, mais dans les êtres spirituels,
dans les volontés intelligentes. Ainsi, sans aboli!' là
matière qui constitue l'univers astral, le théosophe
suédois la tient pour une pl'oduction de l'esprit, le-
quel lui est dès lo,'s supérieur comme la cause l'est
à J'effet.
11 affirme, d 'un autre côté, que dans l'univers in-
visible la matièt'e n 'a rien à faire. Il n'y a plus là
d'autre substance que l'esprit; aucun phénomène,
aucune perception, aucun être, aucun objet qui ne
soit purement, exclusivement spirituel. Mais, ne
l'oublions pas, ce que nous appelons spirituel n'en
est pas moins réel, au conti'aire. Ici je ne puis mieux
faire que de c itel' quelques lignes d'un admirable
rappo rt lu, l'année dernière, au C~:mgrès Swédenborg
de Londres.
« En résumé, tous les objets sensibles dans le Ciel
sont simp lem ent les affec tions du divin amour et les
pe.'ceptions de la divine sagesse qui, reçues dans
l'âme des anges, découlent dans le plan des sens et y
trouvent leur dernière expression dans les substances
spirituelles de ce monde· là. Telle est la loi de la
création, dont la scène peut être indifféremment le
monde spirituel ou le monde naturel. Les objets des
sens ne sont autre chose que les affections de l'amour
divin et les percep tions de la div ine sagesse revêtues
-11>1-
de la sabstance ultime du monde, quel qu'il soit, o ù
elles existent. Dans le monde spirituel, ces affections
et perceptions divines sont d 'abord l'eçues dans l'es-
prit des anges et deviennent partie intégrante d e
leur vie mentale; et les objets correspondants sont
ainsi produits pm' l'intm'média'i re des anges ....
» Dans le monde naturel au contl'ail'e, au com-
mencement, alol's qu'il n 'existait encore ni hommes
ni a nges, les mêmes affections et perceptions divines
produisi1'ent ou eréè,'ent les objets sensibles, mais
sans l'inte>'médiaire d 'es[wits finis . C'est pourquoi
d ans le monde spiritue l le d,'ame de la e,'éation se
p oursuit toujours', »
Voilà qui relève singulièrement ces apparences
réelles, qui nous se mblaient tenir de l'essence vapo-
reuse du rêve: elles sont une véritable eréation!
Cela ressort encore de l'explication d e l 'ange qui
avait fait voir à Swédenborg les correspondances cé-
lestes: cr Ces choses, lui dit- il, t'ont été montrées
afin que tu visses la e,'éation en général exemplifiée
dans .tn type pa,'tieulie>' . » Ainsi l'esprit seul est
substantiel, r éel d ' une réa lité suprême, pe rsistant et
même créatent',
Nul philosophe n 'avait jamais proclamé d ' une ma-
nière aussi scientifique et aussi vigoureuse la l'éalité
substantielle et créatrice de l'esprit, sa s uprématie
absolue, Je pourrais par conséquent affil'mel' qu e
Swédenborg est éminemment « spirituali s te »; m ais
cette épithète sel'ait mal comprise, cal' on appelle
t Eugesis and S wedenborg's Science of C01."..espo/~dance. by the
Rev. Jame~ Buss, Prof. in the New Church College. London.
-142-
« spiritualism e» une certaine philosophie aujour-
d'hu i dépassée. D'ailleurs, vous l 'aurez déjà remar-
qué, le système si vaste et si original de notre écri-
vain ne saurait être sans in convénient d ésigné par
un terme unique emprunté au vocabulaire des écoles.
Monisrne spirituaUste est probablement l 'ex pression
qui le caractériserait le mieux. En effet, au monisme
de la matière, préconisé pat· Hreckel auquel en ap-
pellent avec prédilection les libres-penseurs lausan-
nois, Swédenborg a, longtemps à l'avan ce, opposé
victorieusement le monisme de l'esprit.
TROISIÈME LEÇON
L'Enfer éternel et l'immortalité facultative .

Une réserve . L'immorl..'\lité condjtioone ll e soutenue par le


conférencier à Paris) Bruxelles et Lausanne. Ses prin c ipaux
défenseurs . L'universalisme. Accord de notre t.héorie avec
les livres saiots. Quatre avantages qui la distin guent des
deux doctrinC's rivales. Swédenhorg en reste à J':.î.me im mor-
telle et à son corolla ire. Cinq raisons qui permettent à rora-
leur de se séparer de Jui sur ce point. CoocilinüoLl possible.
Importance de cetle mise au point pour faire disparattre uo
dualisme inquiétant.

Avant de terminel' ce cours, je me sens obligé de


faire pour la premièl'e fois une réserve, et de pader
d'une doctrine qui me tient à cœu,·, ce lle de l'im-
mortalité conditionnelle.
Voici en quoi elle consiste: L ' homme n 'est qu' un
candidat il l'immortalité. La vie éternelle lui est
offerte, mais pOUl' l'obtenir il doit remplir certaines
conditions d'ordre essentiellement moral que nous
rattachons au nom de Jésus-Christ. L'homme qui
refuse de se soumettre à ces cond ition s manque, par
sa faute, le but que lui proposait la munificence
divine, il se prive de la sublimation d 'existence à
laquelle il eût pu comme d'autres se préparer. Son
châtiment n'est pas de souffrir éternellement, mais
de mourir tout à fait. Les méchants vont à la «mort
seconde », c'est-à-diee à l'ü'eémédiable destruction
de leur pel'sorlllalité. Ainsi l'Enfel' ne durera pas
toujoues. Le péché est une maladie mortelle ou, si
vous préférez, un suicide. Une fois que les rebelles,
- j 'entends les endurcis, les incorrigibles, les irré-
conciliables, - seront effacés du livre de vie, dis-
parus ou anéantis, le bien régnera dans l'unive['s et
Dieu sera tout en tous.
Cette doctt'ine, j'ai eu l'honneur un peu dangereux
d'êlt'e le premier à la soutenir publiquement à Paeis
d'aboed, puis à Bruxelles et enfin dans notre ville.
A Paris, dans le Journal du P"otestantisme français,
dont j'étais alo['s l'édacteur en chef, les 14 et 28 dé-
cembee 1878, et dans Notre Durée, l'apport lu en
1885 à la Conférence pastorale générale; à Bruxelles,
où je l'ai prêchée pendant des années et oLl elle a été
réprouvée par un synode protestant en vertu d'une
confession de foi du XVIe siècle!; à Lausanne enfin,
où je l'ai présentée à LIn auditoire nombreux et sym-
pathique dans une série de cinq conférences faites
au Musée industriel, puis dans une discussion pu-
blique à la chapelle de Martheray, en 1886. Cette
del'nière séance fut présidée, le 19 décembre, par
nolt'e philosophe vaudois, Charles Secrétan, déjà
avancé en âge, mais plus admiré que jamais . J'avais
été amené à cette croyance par un autre philosophe
suisse, Heney de May, dont j'ai eaconté la vie et
1 Voir Vil P"ocès en "éraie eu 1882. Mémoire par Ch. Byse, et Le
Pb-il de l'evangélisme, cL propos d'un ,"écenl procès en lié1°ésie, par
E. Petavel-Qllifr.
- 145-
esquissé le système. J'y étais attaché par conviction
personnelle, et je tenais à la propager sans me laisser
a rrêter par le fait qu'elle était condamnée universel-
lement par les Eglises réformées, comme par l'or-
thodoxie grecque et catholique.
Ce qui avait contribué à me mettre en vue, comme
défenseur de cette théorie, c'est que j'avais traduit
et publié en fran çais, en l'accompagnant d'une P,·é-
(ace, le beau livre du Rév. Edward White, L 'Immor-
talité conditionnelle ou La Vi e en Christ.
Je suis arrivé à cette théOl'ie par une étude atten-
tive, minutieuse, de l'Ancien et du Nouveau Testa -
ment dans l es langues originales. Il était, en etlèt,
nécessaire de recourir au grec et à l'hébreu pOUl'
parvenir à des notions précises sur la psychologie
d es auteurs saCl'és et sur ce qu'ils ont pensé de l'au-
delà , pour être par conséquent capable de corriget'
nos versions reçues, qui en avaient grand besoin. Et
je crois pouvoir dire que plusieurs théologiens ont
examiné, au point de vue exégétique, le grand sujet
de l'immortalité, et tout ce qui l'avoisine, d'une ma-
nière beaucoup plus complète et plus approfondie
qu'on ne l'avait jamais fait jusqu'alors.

* * *
Les polémiques ont été vives et intéressantes, en
diffét'entes contrées y compris celles de langue fran-
çaise, mais surtout en Angleterre et aux Etats-Unis.
Il s 'est trouvé des champions pour les trois points de
vue rivaux: les peines éternelles, l'immOl' talité facul-
tative et l'univ~rsalisme ou le rétablissement final.
SWÉD ENBOI\G u 10
- 1'.6-
On prétend quelquefois que les discussions ne sel'-
vent à rien . Je ne suis pas de cet avis. Si d'ordinaire
elles ne font que confirmer les chefs de file dans leur
persuasion respective, elles sont certainement utiles
à ceux dont le siège n'est pas fait, qui n'ont pas en-
core envisagé le problème, en particulier aux jeunes
gens. Placés en présence de théories contradictoires,
soutenues succinctement par leurs principaux dé-
fenseurs, s'ils sont eux-mêmes sincères et impar-
tiaux, il leur est facile de discerner de quel côté se
trouvent les arguments décisifs .
Dans le cas qui nous occupe, les études n'ont pas
été stériles ni les discussions inutiles. La vieille
doctrine, qui depuis d ix-neuf siècles passait pour
évangélique, orthodoxe, et qui récemment encore se
montrait persécutrice, ne s'est pas relevée et ne se
relèvera point des coups qui lui furent portés. A
Lausanne même, les deux pasteurs, l'un de l'Eglise
libre, l'autre de l'Eglise nationale', qui ont pris en-
core son parti dans l'assemblée contradictoire du
19 décembre 1886, à Martheray, n'ont pas eu de suc-
cesseur, et je suis sûr qu'elle n'y a plus été prêchée.
Il y a plus: dans une de mes séances du dimanche
après midi, un docteur en théologie, qui passait
pour le représentant de la plus rigide orthodoxie, le
vieux pasteur de MuraIt, m'a remercié spontané-
ment d'avoir « dissipé l'horrible cauchemar des
p eines éternelles. »

* * *
1 MM. Paul Chale1anal el J .~A. Ponet.
-U7-
Depuis ce moment-là un très grand nombre de
pasteurs ont embrassé l'immortalité facultative, avec
plus ou moins de zèle, sans lui donner toujours
dans l'ensemble de leurs croyances la place qu'elle
mérite. Surtout des professeurs de théologie, et no-
tamment de dogmatique, se sont prononcés pour
elle, et l'enseignent à des générations successives
d'étudiants. Je me borne à citer: à Lausanne M. L.
Emery, à Genève MM. Frank Thomas et Georges
Fulliquet, ce dernier succédant à Gaston Frommel,
disciple comme lui de César Malan, le penseur pro-
fond et solitaire qui avait été le protagoniste de
notre doctrine.
Parmi les prédieatetll·s distingués qui ont donné
à cette ·dernière l'appui de leur science, de leur
talent et de leur autorité, permettez-moi de men-
tionner encore deux noms: feu M. Decoppet ët
M. Paul Vallotton, qui ont fait l'un à l 'Oratoire du
Louvre, l'autre dans notI·e temple de Saint-François ,
une série de discours remarquables et impressifs sur
la vie à venir.
Désormais la cause es t entendue: le conditiona-
Usme' est accepté sinon comme la vérité absolue,
du moins comme une interprétation plausible de
l'Evangile, et ceux qui le professent ne seront plus
stigmatisés comme hérétiques.
En dehors du monde théologique, il faut pourtant
que je nomme, au moins en passant, d'autres hom-
mes marquants qui se sont prononcés résolument
1 Cette expression, que je n'aime pas, est devenue courante et 3
remplacé ,énéraleme nt celle d'immortalité cond itionnell e .
- 1/.8 -
en faveur de l'immortalité conditionnelle: Un savant
d'abord, Armand Sabatiel', mo['t l'écemment à Mont-
pellier; il a écrit, tout à fait dans notre sens, un
Essai su,' t'bnmo,'talité au point de vue du natu.'a-
lisme évolutioniste, et s'est fait entendl'e plusieurs
fois dans l'Aula de l 'Université de Genève,
Ensuite Charles Secrétan , dont la Philosophie de
la liberté a eu peut-être plus d'influence en France
que dans notre canton, Il a écrit pour Le Probléme
de l'Immo,'talité, principal ouvrage de mon frère
d'armes, M. Petavel-Olliff, D. D ., une LeU"e dont
vous aurez une idée par les lignes suivantes:
" Au fait, j 'étais un candidat prédestiné de votre
doctrine, puisque j'avais toujours vu dans le mal
non simplement une insuffisance, comme les logi-
ciens auxquels nous devons la métaphysique infer-
nale, mais une direction de la volonté - c'est-à-dire
de l'être même - vers l 'anéan tissement. Je me re-
proche de n'avoir pas tiré moi-même la conséquence
de mon principe. D
« En somme, vous lue paraissez, monsieur, étein-
dre sans trop de peine les feux éternels, auxquels
on ne croit plus, puisque, selon votre dire, on ne
les prêche plus, et que les dissimulel' tout en y
croyant serait encouril' la responsabilité la plus
effrayante. Vous ,'allierez sans doute aussi le gros
des universalistes, qui doivent bien sentir le danger
de leur doctrine, et qui trouvent satisfaction chez
vous sur le point le plus important. »
Enfin un grand penseur, le chef du néo-criticis me
français, Charles Renouvier, s'est enthousiasmé pOUl'
-149 -
notre théol'Ïe jusqu'à y voir la réconciliation de la
philosophie avec la religion '; par malheur il est re-
venu en arrière pour se jeter dans l'universalisme,
non sans professer en même temps une doctrine
étrange, le « pluralisme », sorte de polythéisme
renouvelé des Grecs. En revanche M. Fr. Pillon,
longtemps son collaborateur et son bras droit, qui
avait adhérè avant lui au conditionalisme, est resté
jusque dans son active vieillesse fidèle à cette con-
viction.
Aux philosophes prop,'ement dits je pourrais
ajouter la plus grande gloire de la France au dix-
neuvième siècle, Victo,' Hugo, qui se regardait aussi
comme un « philosophe :t. On sait qu'il a soutenu
en prose et en vers notre croyance.
Après avoi,· parlé de la chenille qui se métamor-
phose en papillon, emblème de notre renaissance au
delà du tombeau avec « un autre corps, rayonnant,
divin et pour a insi dire spirituel, qui sera la transfi-
guration de notre corps terrestre », - il formula une
importante restriction et y ajoute son témoignage
p ersonnel:
« J'ai peine à m 'imaginer que toutes les chenilles
humaines deviennent des papillons; j'ai peine à
croire que tous les hommes, par cela seul qu'ils
sont hommes et qu'ils ont vécu, doivent êt,'e immor-
tels. Cette seconde naissance, cette résurrection que
l'humanité espère, ne serait-elle pas plutOt la con-
quête ou bien la récompense de quelques-uns que la
condition naturelle de tous?
1 Critique religieu.e, du 19 janv. au 23 fév. '1884.
- 150-
» Et pourquoi Saltver tant de paresseux qui n'ont
pas c onstruit leur cocon? N 'est-il pas rationnel et
juste que ces chenilles-là, j'entends les hommes qui
n'ont pas déposé leur âme dans une œuvre utile,
honorable, qui n'ont laissé d'eux-mêmes ni un mo-
nument, ni un exemple, et qui n'ont vécu que pour
leur ventre, meurent tout entiers et rentrent dans la
terre où, comme disent les prédicateurs, ils ont
rampé un instant? »
« Je sais que je suis immortel. Si d'autres n 'ont
pas le sentiment de leur immortalité, j'en suis fâché
pour eux, mais c 'est leur affaire; pourquoi leur
contesterais-je ce qu'ils sentent? Ils ont raison sans
doute, et leur instinct ne les trompe pas. »
Victor Hugo exprime la même idée dans son
poème Religion et Religions:
Dante écrit deux vers, puis il sorl; ct les deux vers
Se parlent. Le premier dit: - Les c ieux sont ouverts;
Cieux! Je suis immortel. - Moi 1 je suis périssable,
Dit l'autre. - Je suis l'astre. - Et moi le grain de sa.ble .
- Quoi! tu doutes, étant fils d'un enfant du ciel!
- Je me sens mort. - Et moi, je me sens éternel. _
Quelqu'un rentre et relit ces vers, Dante lui-même ~
Il garde le premier et barre le deuxième.
La rature est la haute et fatale c loi son.
L'un meurt, et l'au tre vil. 'fous deux avaie nt raison.

* * *
Pourtant ne nous y trompons pas. Si l'immorta-
lité conditionnelle a conquis son droit de cité au
sein de nos Eglises, si même les plus hautes auto-
rités de la pensée se sont prononcées en sa faveur,
- 151-
il est à cl'aindre que la théorie du salut final de tous
les pécheurs n'ait pas fait moins de chemin dans les
esprits. Il y a quelque trente ans, cette théorie con-
solante était timide, en quelque sorte honteuse d'ell e-
même; aujourd'hui elle se manifeste plus franche-
ment, quoique toujours avec une certaine prudence
de peur des conséquences fâcheuses que les mon-
dains, en majorité dans tous les cercles, sont di s -
posés à en tirer. Mais elle est trop favorable à l'in-
souciance morale pour que les demi-cht'étiens ne
l 'adoptent pas et ne s'en fassent pas un oreiller de
sécurité, une fois qu'il n'est p lus question des tour-
ments éternels . On tombe ainsi d ' un extrême dans
l'autre. Ne croyant plus à des peines exagérées et
irrationnelles, on se figure volontiers que la rétri-
bution du mal sera peu de chose, et que, après un
« mauvais quart d'heure », les plus fieffés égoïstes
rejoindront dans le Ciel les âmes dévouées et les
bienfaiteurs de l'humanité.
Pour moi, mesdames et messieurs, ma conviction
n 'a pas changé. Je n'ai été ébranlé ni par les argu-
ments des universalistes, ni par ceux de Swéden-
borg qui, avant toutes les discussions du XIX· siècle,
s'est prononcé pour l'Enfer éternel. Je conserve la
position intermédiaire que j 'occupais il y a quaran te
ans , position qui me parait toujours la plus con-
forme à la sainte Ecriture, comme à l'histoire, à la
science et à la philosophie ' . Permettez- moi de vous
le faire voir d'une façon toute générale.
1 C'esl en effet sur ces quatre terrains, ou à ces quatre po ints d~
'Vl1e. que l'immortalité facultative peut se défendre. I.e temp3 me
152 -

* * *
Travaillant en théologien, j'ai été avant tout frappé
par l'accord inattendu de cette doctrine avec l'An-
cien et le Nouveau Testament. Je me suis convaincu
non seulement qu'elle l'essort de certains textes iso-
lés, mais encore qu'elle s 'harmonise avec les pas-
sages qui lui semblent les plus contraires.
Ainsi l'Ecriture dénonce incontestablement aux
révoltés des punitions douloureuses, terrib les; mais
l'examen des mots qu'on rend en français par étm'-
neZ, aux s'iècles des siècles, à toujou'r s, etc ., m'a con-
duit à nier J'absolue éternité de ces punitions. D'au-
tre part, la Bible prophétise avec non moins de
clarté que le bien triomphel'a du mal, le vrai du faux,
et que « Dieu sera tout en tous ».
Je n'en conclus point que Jes impénitents seront
sauvés, car le Christ lui- même ne nous flatte pas de
cette espérance. Mais je concilie aisément ces deux
séries de déclarations en disant : « Si les châtiments
de l'autl'e monde ne portent pas des fruits de repen-
tir et de régénération, ils ont pour conséquence la
dissolution du pécheur, la destruction de sa person-
nalité. »
La souffl'ance ne dUl'e pas toujours, Mais la mort
seconde est éternelle, en tant que p,-ivat'ion d'un
bien éternel offert à tous par la générosité du Père
céleste. Elle est donc à la fois la sanction suprême
manque pour parler aujourd'hui de l'histoire el de la science. Je me
borDe à dire, en deux mots, que notre cl'oyanee était déjà celle de
}·.Eglise primitive, et qu'elle s'harmonise parfaitement avec la théol'Îe
moderne de révolution.
-153 -
de la loi qui dit: « Celui qui péche mourra! » et un
acte de miséricorde envers ceux qui, s-étant volon-
tairement placés en dehors de l'ordre universel, ne
sauraient être que malheureux et malfaisants.
C'est, croyez-le, une véritable joie pour le chrétien
que de voir s'établir ainsi l'harmonie entre des par-
ties de la Révélation qui semblaient jusqu'alors se
contredire.
Et comment oserions-nous parler encore de R é vé-
la tion, si les saintes Ecritures nous donnaient sur les
graves problèmes de l'au-delà un enseignement con-
fus et contradictoire, si eUes ne s'expliquaient pas
c lairement pour qui prend la peine de les « sonder »
sur la vie et la mort, le salut des justes et la perdi-
tion des pécheurs obstinés? Il est de mode aujour-
d'hui de prétendre que Dieu nous cache les choses
futUl-es, s 'en réservant à lui seul la connaissance.
Dans ce cas, pourquoi a-t-il l'air de nous les dévoiler
dans sa Parole? Et comment se fait- il que nous
a yons trouvé une théorie qui satisfait le cœur, la
raison et la conscience, et qui résout en même temps
les contradictions apparentes des prophéties rela-
tives à l'éternel avenir de l'humanité?

* * *
Au point de vue religieux, la croyance à l'immor-
talité conditionnelle me pal'alt se distinguer des
deux doctrines rivales par les avantages suivants .
10 Elle reconnait toute la gravité du péché, que
seule eUe considère comme une maladie mortelle,
c 'est-à-dire ayant pour résultat fatal la mort de
-151.-
.t 'âme, si la guérison n'intervient pas en telnps
voulu. Pour' l'ancienne orthodoxie, au contraire, le
péché est moins profond, moins dangereux, car il
n'est jamais éliminé de la création, il y est toléré,
entretenu à perpétuité; les damnés souffrent horri-
blement, mais il leur est intet'dit de mourir.
Pour l' universalisme, le péché est une maladie
dont on ne meurt jamais non plus et dont on souffre
jusqu'à ce qu'on en soit guéri ; mais on s'en guérit
nécessairement dans ce monde ou dans l'autre, et
l es êtres les plus corrompus, les plus abt'utis, les
plus despotiques, deviendront des enfants de Dieu
comme ceux qui ont mené ici-bas la vie la plus ver-
tueuse .
* * *
2 0 Elle pl'end au gl'and sél'ieux le libre arbitl'e, en
disant que chacun choisit pour l'éternité non seule-
ment entl'e dellx états opposés, la félicité et d'atro-
ces douleurs, mais entt'e la vie et le néant . Il est
natul'el, en effet, que la liberté aille jusque-là, et
que , ayant reç u sans l'avoir demandée une vie tt'an-
sitoire, nous n'obtenions la vie permanente que si
nous la désil'ons . La croyance traditionnelle au con-
traire restreint notre liberté d'une manière abusive:
d'abord par la manière irrationnelle dont elle expli-
que la gl'âce, la prédestination, le petit nombre des
élus, e tc. ; ensuite en imposant à ceux qui n'en vou-
draient pas une existence absolument sans terme
dans les conditions les plus désolantes et pou,' eux-
mêmes e t pour les autt'es. Si, comme on le pense
généralement, la parfaite liberté est un att,-ibut
- 155--
essentiel de Dieu, il doit laisser le plus large champ
possible à la liberté reiative de sa créature faite à
son image_ C'est précisément là ce qu'affirme notre
théol'ie, en présentant l'homme comme capable d 'op-
ter entt'e l'annihilation et l'éternisation de son Moi.
Quant à l'universalisme, il a sans doute l'intention
de respecter notre liberté; seulement il l'entame de
fait en déclarant d'avance qu'elle subira tôt ou tard
l'influence prépondérante du Tout-puissant, qui
veut le salut de tous et ne saurait manquel' d'arl'i-
ver à ses fins. Prédire ainsi la convel'sion de tous les
méchants sans exception, c'est dépasser les conclu-
sions qui découlent de l'expél'ience, contl'edil'e la
psychologie qui nous montre ici-bas la douleul' sou-
vent incapable de ramener au bien les êtres perver-
tis. Cet optimisme, qui a l'air de glorifier l'amoUl' de
Dieu, me pal'alt aussi contraire à l'Evangile qu'à la
raison; car le Sauveur lui-même a prononcé les
avertissements les plus tragiques au s ujet de l'irré-
médiable extinction des impénitents.

* * *
3 0 Nott-e doctt'ine donne, en troisième lieu, l'idée
la plus élevée et la plus indiscutable de la justice de
Dieu. D'abord, comme nous l'avons montré, en lais-
sant aux hommes le plein usage de leur Iibl'e arbilt'e,
par conséquent la responsabilité individuelle du
choix qu'ils font entre la vie définitive et la mOl't
seconde. Ensuite en séparant d'une manière bien
tranchée le sort des bons et celui des mèchants,
c'est-à-dire en faisant récolter aux uns et aux autres
- 156-
ce qu'ils ont semé dans leur passage sur la terre, en
les obligeant, par la nature même des choses, à
expérimenter les conséquences des principes diamé-
tralement opposés qui les ont guidés dans leur con-
duite respective. Enfin en permettant d'établir une
infinité de degrés dans le châtiment des coupables,
puisque selon la nature, le genre el l'intensité du
péché la mort de l'âme peut être- prompte ou tar-
dive, relativement douce et insensible, ou précédée
par une période pl us ou moins prolongée d'angoisses
et d'inexpri mables tourments.
Au contraire, le dogme des peines sans fin met en
quelque sorte tous les réprouvés sur le même pied,
puisque la différence des souffrances p lus ou moins
vives disparatt devant le fait, égal pour tous, de lem'
étet'nité. On prend en effet grand soin de relever que
c'est ce fait qui donne aux tortures des damnés leur
caractère propre et, plus que tout autre, les rend
épouvantables.
Le rétablissement universel, à son tom', engloutit
pour ainsi pal'ier la justice de Dieu dans son amour
infini. Il est certes rassurant de croire que les débau-
chés les plus vils et les scélérats les plus impitoya-
bles seront admis dans le séjour de la gloire et de la
sainteté; mais il est difficile de se représenter com-
ment les mentalités les plus 4issembiabJes finiront
par être pareilles, comment les hommes qui ont
suivi de propos délibéré des routes opposées se re-
joindront au terme de leur course et communieront
dans la même foi. N'oublions pas, pOUl' le dire en
passant, que l'EcritUl'e, d'accord avec notre con-
- 157 -
science, réclame une destinée finale qui soit une
équitable rémunération du bien et du mal faits par
l'homme « étant dans son corps. » Le Dieu des ' uni-
versalistes - en dépit des meilleurs dont le sél'ieux
moral est incontestable - me rappelle par trop le
« Dieu des bonnes gens» chanté par Bérangel', ce
« bon Dieu » qui est la Divinité de la p lupart des
Vaudois, et dont la « bonté» va si loin qu'il n'aura
pas Je courage de « damner » une seule de ses créa-
tures. Ce n'est pas là, j'en suis convaincu, le Dieu
saint révélé pal' Jésus-Christ.

* * *
4° L'immortalité facultative remporte enOn s ur
Jes théories rivales par J'idée qu'elle donne de la
bonté ou de J'amour de Dieu; et ceci ressort directe-
ment de ce que nous venons de dire. Le supplice
éternel d ' une partie, et surtout de la plus grande
partie de J'humanité est incompatible avec l'amour
infini et tout-puissant du Créateur. Si d'autt'e pal't
cet amour semble triompher dans le salut univel'sel
des coupables, il lui manque ce respect profond du
libre arbitre et cet élément de parfaite justice, d 'ab-
solue sainteté, qui caractérisent notre doctrine.

'" '" '"


Comme vous avez pu vous en rendre c ompte ,
Emmanuel Swédenborg ne s'élève pas jusqu'à cette
conception, qui d'ailleurs était inconnue à son épo-
que. Pour lui, les nommes sont immortels par nature
et J'Enfer ne cessera jamais d'exister. Cependant, si
- 158-
sur ces deux points essentiels il l'este fidèle à l'an
cienne orthodoxie, il s'en distingue à d'autres égards
par la manière dont il expose la destinée des révol-
tés. Aussi sa théorie renferme-t-elle des éléments
originaux de vérité que je serai heureux de signaler
tout à l'heure.
* * *
Vous me demanderez peut-être, mesdames et mes-
sieurs, comment je puis me séparer de Swédenborg
sur une question de cette importance après vous
l'avoir présenté comme un Voyant qui a parcouru
le Monde invisible, comme le Prophète du Nord qui
a inauguré une ére supérieure du c hristian isme,
comme le penseur inspiré qui nous a dévoilé le sens
interne des ECl' itures et dont le système n 'a pas
d'égal dans toute la théologie . A cette question, qui
me parait très légitime, j 'ai plusieurs réponses à
faire:
'10 Quelle que soit mon admiration pour Swéden-
borg, je ne puis le considérer comme infaillible. Il
ne l'était pas par la simple raison qu'il appartenait
à l'humanité pécheresse. D'après ses propres expli-
cations, l'influx divin prend nécessairement la forme
de celui qui le reçoit. Ainsi l'inspiration la plus
p ositive, passant par le cœur, l'intelligence et la
b ouche ou la plume d'un simple homme, quelque
excellent qu'il soit, nous parvient plus ou moins
affaiblie, voilée, dénaturée, faussée . Notre critique
s'attache sans scrupule et non sans raison à l'ensei-
gnement d'un Luther, d'un Calvin et même d'un
saint Paul. Aucun réformateur, aucun prophète, au-
- 159-
cun apôtre, n'a t,'ansmis ni compris dans son abso-
lue pureté la Parole divine qui lui était adressée. Un
seul être l'a jamais fait, celui qui s'est appelé le
Verbe et qui a pu dire: « Le Père et moi, nous som-
mes un! »
* * *
2 0 Ensuite Swédenborg ne fait pas rentr81' dans
ses « doctrines» les faits, même importants, qu'i l
raconte sur J'univers immatériel. Dans Le Ciel et
l'Ente,', ainsi que dans ses nombreux Mém01'ables , il
ne parle pas en dogmaticien, mais en explorateur.
Il a voyagé dans des 'c ontrées inconnues, ordinaire-
ment impénétrables, et il en rapporte des souvenirs
de toute espèce, de merveilleuses descriptions, le
r écit de conversations et de discussions intéres-
santes. Il ne prétend nullement avoir tout examiné,
tou t pénétré; peut-être a-t-il quelquefois mal vu,
mal compris, ou j'a- t-on renseigné faussement.
Il était, ne l'oublions pas, non point un habitant
du Monde spirituel, mais un simple visiteur venant
d'un monde inférieur, un étranger admis par faveur
spéciale et initié dans une mesure fort limitée en
vue d'un but providentiel. Du reste, en vertu même
de sa psychologie, il a dû imposer à ses expériences
spirituelles les formes de sa propre mentalité et n 'en
pas faire qu'il ne pùt concilier avec ses croyances
préalables . C'est ainsi que, selon lui, tous les points
de vue peuvent êtt'e confirmés par les relations
qu'on entre tient avec les esprits, comme les spirites
d 'aujourd'hui nous le prouvent par leUl' exemple.
P our toutes ces raisons, nous ne pouvons nous
- 160-
attendre à ce que le Voyant suédois ait connu d'une
façon tout à fait adéquate les mystères de la vie à
venir. Rappelons par surcrott que, d'après la place
qu'il a consacrée à chacune des trois parties du
Monde spirituel, il donnait beaucoup moins d'im-
portance à l'Enfer qu'aux deux autres;· aussi trouve-
t -on généralement que c'est celle-l à qui prête le
plus aux objections.
Quant à ses doctrines, Swédenborg leur attribue
certainement une tout autre valeur qu'à ses récits
mémorables . Elles sont une révélation directe du
S e igneur sans aucun intermédiaire des anges; il le
déclare à plusieurs reprises avec assurance et so-
lennité. Elles lui viennent des Ecritures Saintes qu'il
a lues et méditées pour y trouver la vérité divine, et
dont le sens interne, jusqu'alors inconnu, lui a été
dévoilé eu vertu d 'une « illustration II de son men-
tal '. Il n'y a den là d 'étrange pour les chrétiens, qui
tous admettent, au moins en théorie, que pour com-
prendre véritablement la Parole de Dieu il faut non
seulement la sincérité du cœur, mais encOl'e l'illu-
mination du Saint-Esprit.

* * *
Demandons-nous à présent auxquels de ses ensei-
gnements notre écrivain applique le terme de « doc-
trines? II Si nous examinons cette question, nous
arrivons à un résultat de nature à nous surprendre.
1 « J'atteste que, depuis le premier jour de celte vocation, je n'ai
l'CÇU d"aucu n ange fien de ct) qui concerne les doctrines de cette
E§lise, ma is que j'ai tout l'eçu du Seii'neur seul pendant que je lisai s
la Parol e. » Vraie Religion cht'étienne, § 779.
- 161-
D'abord ses doctrines théologiques sont très peu
nombreuses; ensuite i l y fa it renh'er la morale, que
nous sommes habitués à séparer de la théologie, et
qu'il regarde comme J'about issemen t nécessaire des
vérités de la foi.
Les Quat.'e Doctl'Ïnes de la Nouvelle Jérusalem,
qu'il a publiées en 1763, concernent : le Seigneu.·, -
l'Ecriture Sainte, - la Foi - et la Vie,
Dans un autre volume, Swédenborg r apporte l'en-
tretien qu'il a eu, sur le sujet qui nous occupe, avec
un esprit très mal disposé . A sa demande il lui dit:
« Les doctrinaux de l'Eglise qui est entendue par la
Nouve lle Jérusalem sont les su ivants:
» 1 0 Il Y a un Dieu unique, en qui réside la d i vine
T,'inité, et ce Dieu est le Seigneur Jésus-Christ,
,, 2 0 La foi salvifique est de croire en l ui .
» 3 0 Il faut fuir les maux parce qu'ils sont Ju
Diable et viennent du D iable,
D 4 0 Il faut faire les b iens parce qu'i ls sont de Di e u
et viennent de Dieu,
» 50 L'homme doit faire les biens comme par l ui -
même, mais croire qu'i ls sont faits par le Seigneu,'
chez lui et au moyen de lui.
'b Lorsque l'homme-espri t eut entendu ces doc-
trinaux, sa fureur se calma pour quelques i nstants;
mais, après avoir délibéré u n peu en l u i- même, i l me
regarda de nouveau d'u n a i" farouc h e en disant:
Ces cinq préceptes sont· i ls les doctrinaux de la foi
et de la charité de la Nouve ll e Egl ise? Et je répon-
dis: Ils le sont. D
Voilà qui est clair: la détermination du sort final
SWÉDENBORG Il Il
- 162-
des méchants et la notion de l'âme essentiellement
immorte lle ne font pas partie des doctrines princi-
pa les que Swéde nborg a léguéps à l'Eg lise de l'ave-
nir. Je ne vois pas même qu 'il leur ait jamais donné
le nom de « doctr-ines », ni même qu'il ait cru devoir
les mentionner dans le gmnd ouvrage où il déve-
loppe son système: La Vraie Religion chrétienne,
contenant toute la théologie de la NouveZZe Eglise.
En réfléchissant à ces questions, je suis vraiment
sur'pris que Swédenborg s'exprime aussi laconique-
ment à leur égard, y revienne si rarement et pa-
raisse attacher si peu d'importance à la solution
dont il se rend solidaire.

* * *
3 0 Ceci m'amène à une troisième réponse. L'im-
mortal i té naturelle et inam issib le de l'âme humaine
est, on le reconnaît auj ourd'hui, une idée grecque,
étrangère aux prophètes hébreux. Elle nous a été
transmise par des philosophes de l'antiquité païenne:
Phérécyde, Platon, Socrate, et ne se rencontre nnlle
part dans le Nouveau Testament. Lorsqne les as-
semb lées chrétiennes ont eu pour docteurs des
païens convertis qui avaient été grammairiens, pro-
fesseurs, rhéteurs, philosophes, elle s'est infiltrée
dans la primitive et simp le re ligion du Christ, s'est
ama lgamée avec des doctrines toutes différentes,
constituant avec elles un ensemble plein de contra·
dictions, mais puissant et vénérab le, qui s'est ap-
pelé d'abord le christ ianisme et, un peu plus tard,
le catholicisme romain. La Réformation, - est - il
f63 -
besoi n de le rappe ler? a conservé ce système en
ne le corrigeant que sur quelques points; elle a
conservé en particulier l'immortalité nécessaire de
l'âme et son corollaire, les peines éternelles . Jamais
en effet on n'aurait imaginé cet horrible dogme, si
l'on n'y avait été contraint par l'idée préconçue de
l'âme impérissable.
Cela étant, ces deux croyances indisso l ublement
unies ont touJours été regardées comme une partie
intégrante de l'Evangi le; et c'est un immense pro-
grés que de commencer à se rendre compte qu'e ll es
jurent au contraire avec la révélation biblique et
l'ont gra vement compromise. Il n'est donc pas éton-
nant qu'en plein XVII'· siècle notre auteur, tout en
devançant à tant d'éga"ds et de bien loin les théo-
logiens protestants de l'époque, soit resté empri-
sonné dans la théorie phi losophique qui ne faisait
doute pour personne, et dont découlait, suivant une
logique rigoureuse, l'absolue perpétuité des souf-
frances des réprouvés. Le moment n'était pas venu
de senlir, - sauf de rares exceptions, - le besoin
d'une interprétation plus scientifique des textes qui
semblaient annoncer des tourments sans fin, et
peut-être n'aurait-on pu alors, sans de sérieux in-
convénients, proposer une théorie plus humaine. Il
était rése"vé à notre âge d'un côté de se scandalisèr
d'une doctrine païenne qui fait du Dieu d'amour le
plus vindicatif et le plus cruel des despotes, d'un
autre côté de dissiper à toujours le cauchemar d'un
Enfer éterne l, conçu comme le séjour des passions
les p lu s furibondes et des supplices les plus affreux.
- 164-
S'il en est ainsi, - je veux dire si Swédenborg a
simplement montré qu'il était de son temps en
adoptant sans protestation des idées que toute la
chrétienté professait, et que les philosophes de toute
nuance n'étaient pas, comme de nos j ours, una-
nimes à combattre, - cela nous explique et le peu
d'espace qu'il leur consacre et le peu de peine qu'il
prend pour les établir. Ma supposition n'a donc rien
que de très vraisemblable. Les remarques suivantes
vont d'ailleurs la corroborer.
. * .
40 Swédenborg est encore de son temps par quel-
ques fautes de logique et d'exégèse que, malgré mon
admiration pOUl' lui , je suis foréé de constatel'.
De logique d'abord. Nous lisons dans les A,'canes
Célestes': « Celui qui peut être conjoint au Divin ne
peut pas mourir durant l'éternité. » N'est-il pas évi-
dent qu'il faudrait dire: peut ne pas rnourù'? Car la
possibilité d'une chose ne saurait prouver la réalité
d'une autre.
Plus loin, dans le même ouvrage', J'auteur rap-
pelle que notre intime peut recevoir et s'appro-
prier le Divin, puis il en tire cette conséquence:
« L'homme, ayant été de la sorte implanté dans le
Divin, ne peut jamais mourir; il est en effet dans
l'éternel et dans l'infini non seulement par l'influx
qui en procède, mais encore par la réception. ~ Mais
les démons n'ont jamais reçu le Divin, ils l'ont re-
1 Tome VII. § 4364.
5 Tome VIII, § 511 ....
-165 -
poussé au contl'aire; par conséquent ils ne partici-
pent en rien à la vie éternelle et infinie du Sei-
gneur. Cette erreur, qui consiste à glisser sans le
savoir de la notion de possibilité à celle de "éalité,
est extrêmement faci le. Ajoutons que Swédenborg
l'évite ou la rétracte lui-même à plusieurs reprises,
comme nous allons le voir.
« L'homme, dit-i l' , a été crée pou,' êt1'e quant à
son interne dans le Monde spirituel et quant à son
externe dans le monde naturel, . .. afin que le spiri-
tuel qui appartient au Ciel soit implanté dans le na-
turel qui appartient au monde, comme il arrive
pour une semence qui est mise en terre, et qu'ainsi
l'homme existe et dure éternellement. » Pour êt"e,
"fin que, et qu'ainsi .... Il s'agit donc d'une virtua-
lité qui ne se réalise pas chez tous.
De même dans les lignes suivantes' : « La ressem-
blance ou l'apparence qu e l'amour et la sagesse, ou
Je bien et le vr'ai, sont dans l'homme comme lui ap-
partenant fait que l'homme est homme, et qu'il
peut être conjoint à Dieu et ainsi vivre dans l'éter-
nité. Par conséquent l'homme est homme en ce qu'il
peut vouloù' le bien et comprendre le vrai absolu-
ment comme par lui-même, et néanmoins savoir et
croire que c'est par Dieu . D Et enCOre: .Il L'homme
est le réceptacle de Dieu. Or, comme Dieu est
l'amou r' même et la sagesse même, l'homme est le
réceptacle de l'amour et de la sagesse, et le r écep-
tacle devient l'image de Dieu selon qu'il ,·eçoit.»
i La V"aie Religion, § 1....
• lbid . , §48.
166

* *
Mais voici de nouveau la faute de logiq ue. Notez
que c'est un ange qui parle pOUl' instruire une
assemblée d'esprits: « L'homme vit éternellement
parce qu'il peut être uni à Dieu par l'amour et par
la foi; chacun le peut. Que cette possibilité fasse
l'immortalité de l'âme, vous pouvez le comprendre,
pour pe u que vous y ppnsiez profondément'. »

• * *
Une première faute exégétique de notre écrivain
consiste dans la confusion qu 'il fait entre le séjour
des morts (Sché61 de l'Ancien Testament et Hadès
du Nouveau) et l'Enfer proprement dit, appe lé
l'ablme, le feu éternel, la géhenne du feu, la four-
naise ardente, l'étang ardent de feu et de SOUrl'e, la
destruction, la seconde mort. Confusion qui le prive
d'un argLlment scripturaire en faveur de la distinc-
tion qu 'il établit si justement entre le Monde des
Esprits et l'Enfer.
Une seconde erreur de ce genre consiste à dire' :
c Par la mort pl'emière est entendue la mort du
corps et par la mort seconde la mort de l'âme, c'est-
à-dire la damnation. » Et encore": « Comme la mort
si gnifie l'extinction de la vie spirituelle et l'Enfer'
la damnation qui en résulte, la mort et l'Enfer sont
nommés ensemble dans quelques passages. » Pour
t Apocalyp.e Revilée1 § ~'!4.
• Ibid, § 106 .
a Ibid., § 3!1.
.. Il devrait dire le Hadi3.
- 167-
que la damnation correspondit à la mort du corps
et fût réellement la mOl't de l'âme, il faudrai t qu'elle
impliquât la dissolution du mental, la fin du Moi
pensant et conscient, et non pas une existence
dégradée absolument sans terme, Swédenborg en
reste sur ce point à l'exégèse tradit ionnelle, qu'on a
dès lors surabondamment réfutée.

* * *
Du reste, - et nous rentrons ici sur le terrain de
la logique ou de la philosophie, - je ne compren-
drais pas que les damnés pussent perdee toule vie
spirituelle et conservel' une vie quelconque. La
damnation, telle que notre écrivain la définit, doit
entratner l'anéantissement; car, en se fermant vo-
lontairement à l'influx divin, la créature transgresse
les lois de son existence, se voue elle· même à l'ex-
tinction fina le. C'est ce qui ressort de la citation sui-
vante: « La vie n'existe que dans ce qui appar·tient
au Seigneur .... L'être ne peut être attribué aux
choses qui cessent d'être, mais il se dit des choses
qui ne cessent jamais d'exister. Ainsi le viv'r e et
,'éh'" n" sont que dans ce qui appartient au Seigneur
ou à Jéhova, parce qu'être et vivre pour l'éte'rnité lui
appa,·tiennent entièrement t . »

* * *
S'il m'a été pénible d'exercer à l'égard d'un pen-
seur si exceptionnellement grand et saint les droits
de la critique, ou plutôt d'en remplir le devoi r, je
1 Arcanu Célealel, § 7!6.
- 168-
ti/ms à vous rappe ler que Swédenborg n e tente ja-
mais la moindre pression mora le pour nou s fai re
accepter ses vues. 11 est à l'opposé du dogmatisme
intoléra nt qui a trop longtemps régné dans l'Eg lise
catholique et même protestan te . 11 sait trop bie"ii\
r que, quand nous n e sommes pas inlérieureme~t \
préparés à une idée nouvelle, nous serons inca:.J
pables d 'en tirer profit. Sa lal'geu l' est s i é tonnante
qu'il n e s'attriste p as de voir dans le Ciel des doc-
trines fort dive rses ; car, selon lui, la charité qui
u"it a beaucoup plus de valeur que les croyance s
qui divisen t. J'ajoute que cette large ur bienfaisante
se retro uve chez la plupart des pas te urs et des pro-
fesseurs de la Nouvelle Eglise .

.
5 ° J 'e n arrive à la partie agréable de ma tâche
d'aujourd'hui, celle qui co nsiste à montrer que,
dans maint p assage de ses écri ts, Swédeuborg se
rapproche singulièrement de notre th éo rie. Premiè-
rement, d'une mani è r e gén é ra le, il tra nsforme en
que lqu e sOl'te l'En fe r en nous parlant d'un Dieu
qui, loin d e pre ndre p la is ir' il la so uffrance d es mé-
chants et d e la rendre éternelle pour qu'ell e soit tout
à fait d ésespéran te, pardonne les péchés commis sur
la terre, ne condamne pas, ne châti e pas, ne se met
pas en colère, ne se venge pas; qui même n'aban-
donne jama is ses ennemis vaincus, mais qui les ~uit
dans le sombre empire de l'ègo'isme, afin d e les pro-
téger contre leurs oppresseurs, d'attènuer le urs tour-
ments et de leur procurer toutes les jouissances dont
- 169 -
ils ne sont pas devenus incapables. Certainement on
n'avait pas allié jusqu'alors une pareille notion de la
bonté du Père céleste et de ses tendres miséricordes
avec les supplices d'un Enfer éternel.
En second lieu, notre auteur nous a convaincus-
que les esprits rebelles perdent l'apparence humaine
en même temps que la raison dont ils étaient doués;
que leur visage devient horrible et leur corps mons-
trueux, et cela dans la mesure exacte où ils s'enfon-
cent dans le mal et le faux; que certains diables ar-
rivent même à un état où ils ne sont plus qu'une
chose, triste épave à laquelle il ne reste rien d'hu-
main ni de personnel 1
D'autre part nous avons eu l'occasion de voir tout
à l'heure que Swédenborg donne des gages à l'im-
mortalité facultative, en affirmant, par exemple,
qu'il n'y a pas de vie éterne lle hors de la commu-
nion de Dieu.
..
. *
Il me reste à citer quelques lignes que j'ai décou-
vertes à mon grand étonnement, il y a peu de jours,
dans le Spi,·itual Diary'. Elles vous montreront
combien Swédenborg était ouvert au< idées mo-
dernes de justice et de compassion, particulière-
ment en ce qui concerne les peines.
« On s'entretenait dans le Ciel au sujet de l'Enfer
et des diverses punitions et dévastations qui s'y ren-
contrent. Or quelqu'un émit l'hypothèse, en la don-
1 Vol. Il, § '!826.2827. p. 359-360. Edition de 1883 en cinq vo-

lumes.
- 170 -
nant pour une certitude, que les peines infernales
dureraient éternellement et ne pouvaient avoir de'
fin . ... Mais il lui fut répondu qu'aucune punition ne
peut être infligée dans l'autre vie si ce n'est dans un
but, à savoir afin que par des peines et des tour-
ments le coupable soit adouci au point de pouvoir
occuper une place dans que lque bonne Société .... Il
sel'ait contraire à la divine sagesse qu'une âme fût
tourmentée à jamais sans un but d 'amour, but ex-
pliqué par les règles connues dans le monde.
» La plus stricte justice deviendrait injustice.
L'homme a mérité cela: c'est pourquoi on prêche
l'éternité. Mais l'intercession ou la rédemption du
Seigneur intervient pour libérer de l'Enfer ou en
faire sortir .... Cet esprit qui est auprès de moi a été
retiré du lac noir, et j e perçois qu'il lui reste quelque
chose de faux, dont il est néanmoins affrauchi par
des moye ns divins .... D
Je vous laisse le soin de commenter vous-mêmes
.ce remarquable passage. Il est encore plus fort dans
le sens de la miséricorde finale et de l'espérance
.qu'une parole citée par moi vendredi dernier et que
vous me permettrez de rappeler. Cel'lains démons
« se livraient au désespoir, croyant que leur sup-
plice durerait éternellement; mais, - ajoute Swé-
denborg, - il me fut acco"dé de les consoler. »
. . .
Je vous ai montré, en toute franchise, qu'il y a
opposition entre les vues de Swédenborg sur le sort
des méchants et l'immortalité conditionnelle. Qu'en
- 171-
conclurons-nous, mesdames et messieurs? Ces deux
conceptions doivent-elles demeurer hostiles ou peut-
on les réconcil ier? Vous vous pl'ononcerez, je l'es-
père, avec moi pour la seconde alternative.
Comme nous venons de le voir, l'idée des peines
éternelles n 'est pas particulière au Prophète du
Nord, elle ne résulte pas d'une étude originale et
plus approfondie de cette abstruse question, e lle ne
con tribue pas à la cohérence et à la beauté de sa
théologie; el le est un héritage du passé, le corollaire
d'un dogme philosophique qui, en dépit de son ori-
gine païenne, s'est imposé pendant dix-neuf siècles
à la chrétienté, une pierre étrangère qu'il a fait en-
trer dans la construct ion de son édifice en tâchant
d'en tirer le meilleur parti possible.
Cette servitude inconsciente vis-à-vis de la tradi-
tion l'a entrainé à quelques erreurs, qu'il n'aurait
pas comm ises s'il avait été au bénéfice des cons-
ciencieuses études faites par les théologiens et les
philosophes au cours du siècle qui vient de finir,
Il nous serait facile aujourd'hui de corriger dans
le sens indiqué le système de Swédenborg, en pro-
longeant les li gnes qu'il a lui-même tracées. Sans
doute je ne m 'attends pas à ce que la Nouvelle
Eglise prenne officiellement une décision aussi har-
die; mais ce qui me parait possible et désirable,
c 'est que l'éternité des tourments ne soit pas rangée
au nombre des doctrines essentielles de cette hono-
rable dénomination, et que ses membres puissent
conserver sur ce point secondaire toute l'indépen-
dance de leur jugement personnel.

'.
- 172-
Quoi qu'il en soit à cet égard en Amérique et en
Angleterre, il est certain que dans les p'\ys de
langue française, et généralement sur le continent
européen, la réforme religieuse dont Swédenborg
est le promoteur aurait beaucoup plus de chances
de succès, si, au lieu de paraitre liée à un dogme re-
butant et vieilli, elle s'alliait à la croyance des pre-
miers chrétiens, longtemps oubliée et récemment
remise en lumière, à la théorie qui rattache l'im-
mortalité à la régénération du pécheur et à la résur-
rection de Jésus-Christ.
Rien, en effet, ne saurait compromettre la rénova-
tion mentale à laquelle aspirent les sociétés euro-
péennes comme l'inquiétant dualisme du bien et du
mal également éternels, comme la guerre sans
trêve et sans fin de l'Enfer contre le Ciel Ainsi mis
au point grâce aux lumières qui nous ont étè four-
nies depuis cinquante ans, le système conçu et
développé, sous l'inspiration du Seigneur, par le
génie prodigieux du penseur suédois est, à mon
avis, l'apologétique la plus actuelle et la plus puis-
sante.
CINQUIÈME COURS
L'Art de vivre.
PREMIÈRE LEÇON
La Doctrine de Vie. Les œuvres nécessaires au salut. Bien
civil, Bien mora l et Bien spirituel. Av~mtage de l'entende-
ment sur la volonté. Fuir le s maux comme péchés. Le libre
arbitre. « Cessez de mal faire, apprenez à bien faire. » Œu-
vres pics et rites chréti e ns cootrastant avec la vic ordinaire.
Le bien réel vient de Dieu. Comment devenir spirituel'f Le
défaut du Vaudois. Conclu sion de Swédenborg. Le général
Mouravief}',

Emmanuel Swédenborg a été choisi par Emerson


comme le représentant des Mystiques; on l'appelle
d 'ailleurs Voyant et Visionnaire, car on sait qu'il a
été , ou cru être, pendant de longues années en con-
versation avec les esprits et les anges, et que les
spirites de nos jours se donnent pour ses conti n ua-
teurs. De tout cela on risque de conclure que c'était
un rêveur, un enthousiaste, tout au plus un méta-
pbysicien nuageux, dont les livres sont pleins d'élu-
cubrations étranges sur le monde invisible, mais
qui n'a rien à nous apprendre su r nos devoirs dans
la vie journalière. Cette conclusion serait absolu-
m e nt fausse. Swédenborg est avant tout et après
tout moraliste. Sans doute il nous présente des
théories, mais ces théories tendent toujours à la
pratique; j'ai eu souvent déjà l'occasion de vous le
- 176-
faire observer. Je désire aller plus loin maintenant:
je veux, en quelques séances, vous exposer de mon
mieux son Ethique, qui, pour être moins étonnante
que ses autres enseignements, n'en est ni moins
originale, ni moins digne de notr'e attention, Je rap ,
pe lle que l'Eth iqu e est la science de la morale, ou
la branche de la philosophie qui s'occupe de nos
devoirs, Un ancien auteur la définit en ces mots:
« Ethique, laquelle nous enseigne iL gouverner nos
lneismes premiè relnent, à ensuivre vie honeste et
faire les vertueuses œvres et soi garder' des vices. »

* * *
L'importance vl'aiment · extraordinaire que Swé-
denborg attribue iL la conduite de l'homme sur la
terre ressort, en premier' lieu, du fait qu'une de ses
Qnal1'e Doch'ines a pou l' sujet : De Vita, La Vie, les
trois autres concernant Le Seigneur, L'Ecriture
Sainte et La Foi. Il n'a que quatre grandes doctrines,
et « la Vie D est la quatl'ième, Si l'on a trop séparé
les œuvr es et le s croyances, Swéde nborg ne tombe
pas dans ce défaut : il enseigne ce que doit être la
vie pour s'accorder avec la foi; il fait même de la
morale un chapitre de sa dogmatique. Nos théolo-
giens n'en font pas autant; ils s'effor'cent sans doute
de placer la morale en intime rapport avec les doc-
trines évangéliques, mais ils la traitent toujours ~
comme une science iL part .

. . .
- 177-
Pour vous mettre bien au courant du point de
vue éthique ou moral de notre auteur, je ne saurais
mieux faire que d'analyser, en le commentant, le
traité que je viens de mentionner, ou la Doctrine de
Vie. Swédenborg y soutient d'abord cette thèse re-
marquable, souvent répétée par la Nouvelle Eglise:
« Toute religion se rapporte à la vie, et la vie de la
religion consiste à faire le bien.»
Il cite un grand nombre de passages des Evangiles
et de l'Apocalypse, et quelques-uns de l'Ancien Tes-
tament, pour prouver que les bonnes œuvres sont
nécessaires au salut. Il re lève en particulier plu-
sieurs paraboles de Jésus: celles des Vignerons, du
Figuier stérile, des Talents et des Mines à faire va-
loir, du bon Samaritain, du Riche égoïste et de La-
zare, des dix Vierges.
Le Symbole dit d'Athanase, document de "ortho-
doxie antique, déclare également qu'à la seconde
venue du Christ « ceux qui ont fait de bonnes œu -
vres entreront dans la vie éternelle, et ceux qui en
ont fait de mauvaises iront au feu éternel. »
Une perception commune, venant du Ciel, pousse
les chrétiens à reconnaltre qu'il faut vivre bien pour
être sauvé, et qu'on est condamné quand on a mal
vécu. C'est ce que démontre une Exh01'tation lue
dans les temples d'Angleterre, d'Allemagne, de
Suède et de Danemark à ceux qui veulent commu-
nier. Cette Exhortation demande au pécheur de
s'humilier, d'amender sa v ie, de pardonner et de
restituer; « sinon, ajoute- t-elle, qu'il n'approche pas
de la sainte cène, de peur qu'après la réception de
eWÉDENBOI\G U
- 178-
ce sacrement le Diable n'entre en lui, comme il
entra dans Judas, ne le remplisse de toute iniquité
et ne détruise tant son corps que son âme. »
La vie, c'est l'homme même ou sa volonté se ma-
nifestant par ses actions. Or dans l'autre monde la
vie reste ce qu'elle a été dans celui-ci. « Une mau-
vaise vie ne peut être changée en une bonne vie, ni
une bonne vie en une mauvaise, parce que l'une est
l'opposé de l'autre, et que changer quelque chose en
son opposé, c'est l'anéantir.»

* * *
Seconde thèse: " L'homme est incapable par lui-
'même de faire le bien, » savoir le bien réel, qu'il
faut distinguer du bien naturel ou apparent, On
croit généralement que la piété consiste dans un
certain nombre d'actes spéciaux, « L'homme donne
aux pauvres, secourt les indigents, dote des temples
et des hôpitaux, sert l'Eglise, la patrie et ses conci-
toyens, il fréquente assidûment le temple, où il
écoute et prie avec dévotion, en outre il lit la Parole
et les livres de piété, il pense au salut; mais il ne
sait pas s'il fait ces choses par lui-même ou par
Dieu. S'il les fait par Dieu, elles sont bonnes; s'il
les fait par lui-même, elles ne le sont pas. ])
L'or, qui symbolise le bien, peut être pur ou allié
à de l'argent, à du cuivre et à des métaux moins
précieux; il peut même recouvrir du bois pourri,
des scories et jusqu'à du fumier, La science nous
apprend si l'or est pur, s'il a de l'alliage, s'il est fal-
sifié ou s'il n'est qu'en dorure; mais elle ne nous
- 179-
apprend point si le bien que nous faisons provient
de nous-mêmes ou de Dieu . Or, comme il est impor-
tant pour le salut de le savoir, Swédenborg veut
nous révêler le moyen de faire cette distinction;
seulement, au préalable, il a quelque chose à nous
dire sur les diverses espèces de Bien.
Il y a d'abord le Bien civil, que l'homme fait
d 'après la loi civile et par lequel il est citoyen dans
le monde naturel. Il y a ensuite le Bien moral, que
l'homme fait d'après la loi rationnelle et par lequ el
il est homme. Il y a enfin le Bien sp"'ituel, que
l'homme fait d'après la loi spirituelle et en raison
duquel il est c itoyen dans le Monde spirituel. Ces
Biens se suivent dans l'ordre suivant: le Bien spiri-
. tuel est le suprême, le Bien moral est le moyen et le
Bien civil le dernier.
Cette énumération et cette hiérarchie sont déjà
très intéressantes. Le Bien civil, qui consiste à se .
soumettre aux lois de son pays, est, nous le savons',
très incomplet et très superficiel, par conséq u ent
souvent trompeur. Le Bien moral, qui consiste à
obéir à la raison ou aux mœurs régnantes, est plus
exigeant sans doute, mais illusoire encore, et aux
yeux de Dieu totalement insuffisant. Le Bien spiri-
tuel, celui du royaume des Cieux, est le seul qui sa-
tisfasse le souverain Juge des pensées et des inten -
tions du cœur.
Et, chose curieuse, le Bien spirituel est indispen-
sable pour donner aux deux autres biens toute leur
réalité et toute leur valeur. C'est ce que notre écri-
vain exprime en ces termes:« L'homme qui est
- 180-
dans le Bien spirituel es t homme moral et en même
temps homme civil; mais celui qui n'est pas dans le
Bien spil'ituel, quoiqu'il paraisse être un homm e
moral et civil, ne l'est cependant pas. Si en étant
dans le Bien spirituel on est du même coup homme
moral et civil, c'est parce que le Bien spirituel ren-
ferm e l'essence du Bien, et que de lui dérivent le
Bien moral et le Bien civil. Or l'essence du Bien ne
peut venir que de Celui qui est le Bien même, c'est-
à-dire de Dieu. »
Nous retrouvon s ici les trois « d egrés discrets»
dont je vous ai parlé plusieurs fois. Le Suprême, le
Moyen et le Dernier font un comme le But, la Cause
et l'Effet '. Donc chez l'homme qui est dans le Bien
spirituel le moral est le Spirituel moyen et le civil
est le Spirituel dernier. Le degré suprême produit
les deux degrés inférieurs; la spiritualité est la
cause de la vie morale et civile. « On voit mainte-
nant pourquoi il a été dit que celui qui est dans le
Bien spirituel est homme moral et homme civil, et
que celui qui n'est pas dans le Bien spirituel n'est
ni homme moral, ni homme civil, mais qu'il appa-
raît seulement comme s'il l'était. Il produit celte
impression sur lui-même et sur les autres. »
Cette idée demande explication. Dire qu'un homme
ne peut être moral el civil sans être spirituel, c'est-
à -d i re foncièrement religieux, cela ne s ignifie point
qu'il ne puisse accomplir extérieurement des actes
t On peut les appeler également : Fin prem ière, Fin moyenne et
Fin dernière. Je rappelle que, dans le langage philosophique, Fin si-
gnifie But.
- 181-
moraux et civils; cela signifie simplement qu'il n'a
pas les sentiments qui y correspondent, et que, par
conséquent, ces actes ne sont pas véritablement
bons.
Certains hommes, en effet, obéissent aux lois non
par motif de conscience, mais pour éviter des désa-
gréments et s'assurer une existence tranquille.
D'autres s'abstiennent de tout excés de boisson non
par amour pour la loi de Dieu ni par sobriété, mais
de peur d e perdre le ur faculté de travail, leur santé,
leur fortune, leur bonheur domestique ou leur ré-
putation. Lorsque nous évitons le mal extérieur et
visible pour des raisons semblables, qui en revien-
nent toutes à l'intérêt bien entendu, notre vie est
correcte aux yeux des hommes, mais elle n'est pas
bonne aux yeux de Dieu. Ainsi nous ne sommes pas
réellement moraux et civils à moins d'être en même
temps spirituels.

* * *
Nous rencontrons ici une observation des plus in-
téressantes. Il. L'homme qui n'est point spirituel, dit
Swédenborg, peut néanmoins pense r rationnelle -
ment et parler spirituellement. » Comment cela se
fait-il?
Rappelez-vous qu'il existe une différence fonda-
mentale entre l'entendement et la volonté. « L'en-
tendement de l'homme peut être élevé jusqu'à la
lumière du Ciel, qui est la vérité, et voir par cette
Inmière; mais la volonté de l'homme ne peut pas
être élevée pareillement jusqu'à la chaleur du Ciel,
- 182 -
qui est l'amou r, ni agir par cette chaleur. De là
vient que la vérité et l'amour ne font pas un chez
l'homme, tant qu'il n'est pas spirituel. De là vient
aussi que l'homme peut parler, ce qui le distingue
de la bête . De ce que l'entendement peut être élevé
dans le Ciel, lorsque la volonté n'y est pas encore
élevée, il résulte que l 'homme peut être réformé et
devenir spirituel; mais de fait il ne se "éforme et ne
devient spirituel que du moment où sa volonté est
élevée aussi. »
Grâce à cet avantage de l'entendement sur la vo -
lonté, un homme quelconque, même le méchant,
peut comprendre, expliquer et prêcher les choses
spirituelles; mais si son cœur n'accepte pas les vé-
rités qui concernent Dieu, le Ciel et la vie éternelle,
son intelligence cesse tOt ou tard d'en voir la ratio-
nalité et par conséquent de les croire. Il les rejette
donc pour admettre à leu," place des idées qui con-
corden t avec ses passions, et qu'il regarde alors
comme des vérités rationnelles. Que de littérateurs,
de philosophes, de prédicateurs même ont été dans
ce cas 1
Vous voyez d'un cOté combien est précieuse cette
faculté que possède l'entendement de se prononcer
en faveur de l 'Evangile; d'un autre cOté combien est
inefficace cet assentiment intellectuel lorsque la
volonté refuse de faire sa part, c'est-à-dil"e de prati-
quer les vérités divines qu i lui sont présentées. Pour
tous, sans doute, la réforme est possib le et souverai-
nement raisonnable; mais ceux-là seuls la trouvent
telle, et la réalisent personnellement, qui ont le cou-
- 183 -
rage de mettre leur vie à la hauteur de leur raiso n )
illuminée d'en haut.
*
.. ..
Cette éthique-là est singu lièrement exigeante 1 ~
Comment? Le bien n'est réel, c'est-à-dire n'est satis-
faisant aux yeux de Dieu, qu'à la condition d'être
spirituel ou d'avoir pour unique mobi le l'amour?
Les actes civils et moraux qui nous mettent en règle
avec la législation de notre pays et avec l'opinion
publique, qui peut-être nous font considérer comme
des modèles de vertu, ne sont vraiment bons que
s'ils sont purs de tout désir d'en tirer profit dans ce
monde ou dans l'autre? Dans ce cas, qui fait le
bien, qui est bon? Y en a-t-il un seul?
Swédenborg vous parait sévère; mais vous ne
pouvez contester qu'il ne soit d'accord avec la
Bible. En effet, elle a déclaré longtemps avant lui
que l'homme naturel est porté au mal, incapable de
faire le bien par ses propres forces, et que la régé-
nération lui est nécessaire pour qu'il puisse accom -
plir les commandements, porter beaucoup de fruits
et mériter le nom de fils de Dieu .

..
. *
Mais, demanderez-vous avec raison, comment de-
venir spirituel et bon quand 011 est natl1rel et pé-
cheur, comment passer d ' un état à l'autre? A cette
question, souverainement grave pour chacun de
nous, Swédenborg répond avec une clarté admi-
l'able: 0: En fuyant les maux comme péchés. »
- 181. -
Il faut fuir les maux, c'est-à-dire le mal qui se
présente à nous sous les formes les plus variées et
les plus changeantes, mais qui sous ses mille as-
pects a toujours pour caractère essentiel d'être une
transgression de la volonté divine à notre égard.
Cependant il ne suffit pas de fui,' les maux exté-
rieurement, il faut encore les fuir intérieurement,
les repousser de son cœur comme de sa vie; il faut
éviter le mensonge, l'adultère, la vengeance, l'op-
pression des faibles, l'avarice, l'ambition, la vanité
et l'org ueil non seu lement en actes positifs, mais en
pensées, en imagination, en convoitises to]él~ées, que
dis-je? souvent entretenues , nourries, choyées par
la volonté . Tant que les maux sont conservés au
dedans de nous, même sans se montrer, ils nous
condamnent aux yeux de Dieu, car leur présence
prouve que notre Moi est toujours mauvais, toujours
tourné vers l'Enfer. Et, s i dans ce monde un motif
intéressé nous pousse à les dissimule.', dans le
monde futur nous serons forcés de nous montrer
t e ls que nous sommes, et d'agi.· conformément à
nos dispositions réelles, qui sont la r évolte contre
le Seigneur et l'inimitié à l'égard du prochain.
Or combattre intérieurement le mal, c'est ce que
Swédenborg appelle « fuir les maux comme péchés. »
Les fuir non point parce qu'ils nuisent à notre con-
sidération, à notre santé, à notre avancement ou à
notre fortune, mais parce qu'ils sont des péchés:
voilà ce qui est réclamé de tout homme naturel,
c'est-à-dire de tout pécheur. Le « péché» est la no-
tion biblique du mal moral, le point de vue de Dieu
-185 -
et du Ciel; c'est le mal jugé par l'homme spi rituel,
par l'homme qui l'a vaincu et s'en est affranchi.
Ainsi reconnaltre en soi les maux «comme péchés»,
à ce titre les exclure de sa conduite en s'efforçant de
les chasser également de son âme, c'est être fidèle
aux impulsions de l'Es prit, c'est commencer à deve-
nir spirituel.
« Qui ne sait et ne peut savoir, dit Swédenborg,
que les maux empêchent le Seigneur d'entrer chez
l'homme? Car le mal est l'Enfer et le Seigneur est le
Ciel; or l'Enfet' et le Ciel sont opposés. L'homme ne
peut être dans l'un qu'autant qu'il n'est pas dans
l'autre; car' l'un agit contre l'autre et le détruit. J)
Voici ce que la plupart des gens ne comprennent
pas; du moins agissent-ils comme s'ils ne le com-
prenaierit pas. On voudrait, assure-t-on, être chré-
tien, avoir la foi; et l'on ne se dit pas que la pre-
mière chose à faire, c'est de déblayer le chemin, de
se mettre en règle avec sa conscience, de rompre
avec les péchés qu'elle nous reproche et qui sont
contraires à la simple moralité. Avant d'être dis-
ciple du Christ, il faut .être honnête homme dans
toute l'étendue de cette expression, ressembler aux
palens exceptionnels qui nous ont laissé l'exemple
de la pureté, de la sincérité, de la modération, de
la patience, de la générosité, de l'égalité d'humeur,
même du pardon des injures. On peut, l'expérience
le démontre, corriger l'extérieur de sa vie. Qu'on le
fasse, et la transformation indispensable au salut
sera commencée.

* * *
-186 -
Mais, direz- vous encore, comment l'homme, étant
naturellement mauvais, peut-il se corl'iger? Il le
r peut parce qu'il possède le libre a,'bit,'e, Tant qu'il
vit dans ce monde, il est placé entre le bien et le
mal, et l e Seigneur lui donne la liberté de se tour-
nel' vers l'un ou vers l'autre, En vertu de cette
liberté, qui fait notre noblesse, et que la divine
Providence nous conserve avec le plus grand soin,
nous avons à choisir entre le Ciel et l'E nfer durant
.,!lette vie; a l'ès la mort ce sera tro tard, Et nous
pouvons chois ir le bien, précisément parce que
Dieu, dans sa miséricorde, nous a doué de cette ca-
pacité, C'est par lâcheté que beaucoup de pécheurs
pl'é tendent ne pas pouvoir; ils pourraient si seule-
m ent ils voula ient, puisqu' ils sont maintenus dans
la liberté morale. Sans doute cet amendement de la
vie est soum is aux lois de l'évolution, il est' graduel;
mais, s'il commence par une légère réforme, il pro-
gresse et s'app rofondit incessamment, pourvu que
la bonne volonté persiste.
Et remarquez, mes chers auditeurs, que se dé-
tourner du péché, c 'est se tourner vers le bien . Il
n'y a pas là deux actes d istincts, mais un seul acte.
R enoncer à l'intempérance, - non pas dans une in-
tention quelconque, mais par motif religieux,-
c'est deven ir tempérant; r enoncer à l'égoïsme par le
même motif, c'est devenir charitable, etc .
...
... *
Néanmoins il n 'est pas indifférent pour l:homme
naturel de se préoccuper dn bien ou du mal. Je
- 187-
m'explique. Etant dans le mal, il s'agit d'abord
pour lui de s'en débarrasser. Il ressemble à un ter-
rain pierreux, inculte, où croissent des ronces et
des épines. Si l'on veut en faire une vigne, un jar-
din ou un champ de b lé, il faut en enlever les
pierres, en arracher les mauvaises herbes et toule la
végétation parasi te ; après cela seu lemen t on pourra,
avec chance de succès, y semer du gazon ou du fro-
ment, y planter des ceps de vigne ou des arbres
fruitiers.
Il en est ainsi de notre âme. Inutile d 'essayer
d 'accomplir de bonnes œuvres tant qu'on a ime le
mal; c'est ce que prouvent les expériences infruc-
tueuses de tout homme irrégénéré. Il faut donc pre-
mièrement se contraindre soi-même à réformer ses
actions; il faut, coûte que coûte, s'abstenir de violer
tel précepte du Décalogue, inscrit d'ailleurs dans
toutes les consciences; il faut a ller au plus pressé,
rompre sans "etard avec son vice principal. Une fois 'f.
entreprise énergiquement, la réformation se pour-
suivra je ne dis pas sans luttes et sans efforts, mais
d'une façon normale et satisfaisante. Ainsi se fera
le défrichement, après lequel on pourra ensemencer
le sol et en r écolter les produits .
Cet le manièr'e de procéder est indiquée fort clai-
rement dans l'exhortation du prophète Esaïe : « Ces-
sez de mal faire, apprenez à bien faire. » Voilà deux
phases distinctes qu 'il est impossible d'intervertir.
Nous ne pouvons faire le bien avant d'avoir cessé
de faire le mal; et, s'il est simple, - je ne dis pas
facile, mais simple, - de se corriger' d'un défaut, il
- 188-
faut une initiation, un apprentissage pour savoir
faire le bien: « App,oenez à bien faire . »
Cette méthode est log ique autant que sc,oiptu-
raire. Cet ordre à suiv,oe est dans la nature des
choses. On le méconnait par entralnement, par
inadvertance, par le d és ir de se faire admirer des
hommes ou d'avoir du mérite d evant Dieu; mais
alors on ne saurait r éussir. Les œuvres que l'on fait
avant d'être régén é r é peuvent être belles, elles ne
sont pas véritablement bonnes; elles ont de l'appa-
r e nce, mais aucune réa lité. C'est ce que Swédenborg
comprend admir·ablement. Ecoutez-le plutôt:
« Si l'homme veut et fait les b iens avant de fuir
les maux comme péchés, les biens qu'il fait ne sont
pas des bie ns. » Et voici comment il développe cette
propos ition: « Un tel homme, en erTet, n'est pas
dans le Seigneur. Par exemple, s'il donne aux pau-
vres, s'il porte secours aux indige nts, s'il dote des
temples et des hôpitaux, s'il fait du bien à l'Eglise,
à la patrie , à ses concitoyens; s'il enseigne l'Evan -
gile et convertit, s'i l exerce la justice dans la magi s-
trature, la sincérité dans les affaires, la loyauté
dans les actions, et que n éanmoins il ne regarde
nullement comme péchés les maux tels que les
fraudes, les adultères, les haines, les blasph è mes et
choses semblables, il ne peut alors faire que des
biens qui sont intérie urement des maux. Car il les
fait par lui-même et non par le Seigneur; c'est lui
et non le Seigneur qui est dans ces biens. Or les·
biens dan s lesquels est l'homme lui - même sont
tous sou illés par ses maux, se rapportant à lui et au
- 189-
monde. Mais ces mêmes actes, que nous venons d'é-
numérer, sont intérieurement des biens si l'homme
fuit comme péchés les maux te ls que les fraudes,
les adultéres, etc. Car alors il agit par le Se igneur,
et la Bible dit de telles œuvres qu'elles sont faites
en Dieu. »
De toutes les lecons que nous donne le grand théo-
logien scandinave, il n'en est point dont nous ayons
un plus pressant besoin . A notre époque, en eITet,
une quantité de personnes, de femmes surtout, ac-
complissent des actes spécifiquement chrétiens, -
je veux dire certains actes qui semblent témoigner
d'une foi personnelle et même d 'un zéle ardent, -
tandis que, à en juger par leur vie journal iére, elles
appartiennent évidemment à la masse inconve,·tie
ou au monde.
On a des réunions de couture pour les missions
étrangères, on organise des ventes, des concerts, on
collecte de l'argent, on donne des sommes considé-
rables pour converti r les Indous ou les Chinois, et
l'on ne songe point à se convertir soi-même . On
s'enrôle, tout jeune, dans les rangs des moniteurs
et monitrices d'écoles du dimanche, sans s'être dé-
cidé à obéir aux préceptes du Christ. L'opinion gé-
nérale favorise ces œuvres pies qui ne tirent pas à
conséquence, puisqu'elles n'impl iquent null ement
un changement de conduite, une rupture avec les
habitudes d'un milieu qui donne à la religion une
importance trés subordonnée.

* *
-190 -
Il en est de même de certains rites religieux, qui
devraient être une profession de foi, mais dont la
signification primiti ve et solennelle s'est perdue: je
veux parler du baptême et de la cène . On accepte la
mission de parrain et de marraine de nouveau-nés,
sans penser qu'on est incapable de survei ller l'édu-
cation religieuse de ces enfants et de les amener à
être de véritables chrétiens, ne l'étant pas soi-même.
Entrainé par le point de vue de la majorité, on ne
voit plus g u ère dans le baptême qu'une fête de
famille, une occasion de bons repas et d'uti les ren-
contres sociales, un engagement tacite à faire quel-
ques cadeaux à son fi ll eu l. Agir ainsi, c'est se j ouer
de>! choses les plus sérieuses, les plonger dans les
coutumes mondai n es et par là les dénaturer.
Quant à la sainte cène, on oublie également le
s ens et la valeur de ce rite symbolique, institué par
le Sauveur pour ses disciples résolus. Au lieu d'at-
tendre pour le célébrer qu'on se soit humilié,
amendé el qu'on ail au moins fait quelques pas
dans une nouvelle voie, on s'imagine, sans aucune
preuve, que par cette cérémonie on vivifiera sa foi,
on obtiendra le pardon de ses péchés et l'admission
dans le Ciel. Pratiquée avec des notions aussi peu
évangéliques, aussi fausses, la soi-di sant « commu-
nion »n'en est pas une. Loin de constituer une
Eglise spirituelle et sainte, comme ce devrait être le
cas, elle favori se le déplorable mélan ge du monde et
de l'Eglise, et enlève à celle-ci le caractère «extraor-
dinaire» qu'elle avait dans les premiers temps . Cette
profanation trop fréquente de l'acte le plus impres-
- 191-
sif, le plus intime et le plus saCl'é du culte public
contribue, pour une grande part, au mépris dans
lequel le christianisme est lombé aux yeux de beau-
coup de gens, même honnêtes et bien intentionn és,
Je pourrais faire des réflex ions analog u es a u sujet'
de la bénédiction nuptiale, exigée dans notre pays
par l'opinion publique. Lorsqu'elle est demandée
par deux époux dont l'un est indifférent en matière
de foi et l'autre tout à fait incrédule, comment peu-
vent-ils, ainsi qu'on le leur fait promettre, vivre
chrétiennement ensemble et élever chrétiennement
leurs enfants? Ici encore il y a hypocrisie et profa..;.-
nation.
Ces différents actes du christianisme, qui contras-
tent avec la couleur ordinaire de notre vie, s'ils ne
trompent guère nos alentours, risquent de nous
tromper nous-m êmes, ou du moins de contribuer à
l'engourdissement de notre conscience, Sans se
croire positivement chrétien, on se dit qu'on l'est
aulant que beaucoup d'autres. Comme on travaille
en quelque mesure à l'évangélisation des nègres du
Zambèze et du Lessouto, et même des Vaudois
alcoolisés ou simplement sceptiques, on oublie
qu'on a soi-même besoin de passer par la porte
êtroite pOUl' entrer dans le royaume des Cieux.
Ainsi des œuvres qui ne sont bonnes qu'au regard
superficiel entretiennent chez nous une illusion
dangereuse. Cette illusion, Swédenborg la rend im-
possible ou la dissipe, pour ceux qui prennent la
p eine de le lire, par des paroles comme celles-ci:
« Si l'homme veut et fait les biens avant de fuir)
-192 -
les maux comme péchés, les biens qu'il fait ne sont
pas des biens .•
Cette affirmation est développée par les deux sui-
vantes, qui ne me semblent pas plus contesta.bles :
« Si l'homme pense et parle avec piété, mais sans
fuir les maux comme péchés, sa piété n'est pas de la
piété. »
« Si l'homme a beaucoup de connaissance et de
sagesse, mais ne fuit pas Jes maux comme péchés,
'- il n'est point l'éellement sage. »
( En revanche, - et c'est ici la thèse fondamentale,
- autant quelqu'un fuit les maux, autant il fait les
biens.
Il n'est pas possible d 'exprimer plus catégorique-
ment le caractère essentiellement éthique de la vraie
religion. Elle ne consiste ni en œuvres soi-disant
charitables ou chrétiennes, mais produites par des
motifs inférieurs ou mélangés, ni en croyances cor-
rectes et en sagesse hypocrite, ni en habitudes et
cérémonies externes paraissant dénoter une fervente
dévotion; e lle consiste dans la rectitude de la vo-
lonté, dans un cœur qui se soumet librement à
Dieu, résolu de le servir dans la personne de nos
semblables. Le christianisme est donc la morale inté-
rieure et parfaite, l'accomplissement de la loi d'a-
mour et de fraternité.

* * *
Il est un autre point auquel Swédenborg attache
la plus grande importance et qu'il s'efforce d'incul-
quer à ses lecteurs: c'est que le bien véritable ne
-193 -
peut provenir que de Dieu. Nous devons le fair]
comme par nous-mêmes, et reconnaître le plus tôt
possible qu'il ne vient pas de nous, mais du Sei-
gneur. Nul n'a proclamé d'une façon plus catégo-
rique l'absolue incapacité de l'homme naturel à
l'égard du bien. Cette incapacité est évidente quand
on a compris que nous sommes par nature tous ani-
més par l'amour de soi ou par l'amour du monde,
par conséquent tournés vers l'Enfer ou le mal. Tant
que nous restons dans cette posture, nous pouvons
faire le bien apparent ou relatif; mais il faut que
nous recevions l'influx divin POUl" que nous com-
mencions à faire le bien réel. Dieu étant l'amoul'
même peut seul nous transforme," à son image,
nous détourner de notre égo'i sme et nous tourne,"
vers le bien en nous infusant l'amour désintéressé,
qui est l'accomplissement de la loi.
En dépit de cette incapacité manifeste, nous pou-
vons tous fuir le mal comme péché, si nous implo-
rons de Dieu le secours qu'il nous o!Tre avant que
nous le lui demandions. Ainsi nous le pouvons non
par nous-mêmes, mais par sa puissance, et ce que
nous faisons ensuite est le bien véritable, qui a sa
source dans le Seigneur.

* *
La manière dont Swédenborg traite la Doctrine de
Vie vous fait voir, mesdames et messieurs, combien
il est analylique, décomposant chacune de ses thèses
principales en propositions secondaires qu'il s'at-
tache à démontrer successivement. Sa dernière pro-
SWÉDENDORG U
- 194-
position sur cette partie de son sujet mérite de nous
arrêter un instant.
r « Autant quelqu'un fuit les maux comme péchés,
autant il a la foi et devient spirituel. » Pour le prou-
ver, voici en résumé comment il raisonne. Vous
vous rappelez que le mental humain se compose de
deux facultés : la volonté et J'entendement. Distinctes
l'une de l'autre, elles ont été créées pour ne faire
qu'un. « Comme dans J'univers tout ce qui est selon
J'Ordre divin se rapporte au bien et au vrai, ainsi
chez J'homme tout se rapporte à la volonté et à l'en-
tendement. Ces deux facultés sont en eITet Jes sujets
et Jes réceptacles des biens et des vrais; la volonté
reçoit tout ce qui appartient au bien, et l'entende-
ment tout ce qui appartient à la vérité. Les biens et
les vérités chez J'homme ne sont pas ailleurs que là.
L'amour et la foi ne sont pas non plus ailleurs, car
l'amour appartient au bien et la foi appartient au
vrai. »
Quand la foi n'a pas encore passé de l'intelligence
dans la volonté, elle n'a point d'action sur la vie et
par conséquent ne compte pas auprès de Dieu.
« C'est, dit notre écrivain, une foi morte, ressem-
blant à Ja respiration pulmonaire qui ne serait pas
animée par le mouvement du cœur. Cette foi est en-
core comparable à une belle courtisane parée de
pourpre et d'or, mais intérieurement infectée de
maladies honteuses. Elle est également pareille à
l'arbre abondant en feuilles et ne donnant pas de
fruits, que le jardinier arrache. Mais dans un enten-
dement où se trouve le bien procédant de la volonté,
- 195-
la foi est très différente . Elle est vive et semblable à
la respü'ation pulmonaire animée par l'action du
cœur; elle est comme une épouse remplie de grâce,
dont la chasteté fait les délices de son mari, e t enfin
comme un arbre chargé de fruits. »
« Il y a plusieurs vérités qui semb lent être uni-
quement du domaine de la foi, par exempl e: il y a
un Dieu; le Seigneur, qui est ce Dieu, est le Ré-
dempteur et le Sauveur; il Y a un Ciel et un Enfer;
il existe une vie après la mort, etc. On dit de ces
vérités qu'il faut les croire et non qu'il faut les pra-
tiquer. Or ces vérités de la foi sont mortes chez
l'homme qui est dans le mal, tandis que chez
l'homme qui est dans le bien elles sont vivantes .
S 'il en est ainsi, c'est parce que l'homme qui vit
dans le bien non seulement agit bien par sa volonté,
mais pense bien par son entendement; et cela non
seulement devant le monde, mais aussi devant lui-
même quand il est seul. Il en est tout autrement
de celui qui vit dans le mal. l)
A certai n s Juifs, demandant ce qu'ils devaient
faire pour accomplir les œuvres de Dieu, Jésus r é -
pondit : « L'œuvre de Dieu, c 'es t que vous croyiez
en celui qu'il a envoyé. » Swédenborg ajoute très
judicieusement ici: « Croire au Seigneur, ce n'est
pas simplement penser qu'il est le Seigneur, c'est
aussi mettre ses paroles en pratique, comme il l'en-
seigne lui-même ailleurs. »

* * *
-196 -
Vous comprenez, mes chers auditeurs, l'extrême
importance du point de vue qui vient de nous occu-
per. Grâce au système des Eglises d'Etat, qui a fa-
çonné nos esprits, le Vaudois est considéré comme
chrétien. Né protestant, il passe par un certain
nombr'e de cérémonies imi tées du catholicisme:
baptême, confirmation et réception, première com-
munion, mariage religieux, service d'enterrement.
Ces cérémonies, imposées. par l'opinion, ne vont
pas, je le reconnais, sans une certaine instruction
donnée par le pasteur', aidé de quelques autres p e r-
sonnes, à l 'école du dimanche, au catéchisme, au
temple et dans les chapell es, au moyen des ser-
mons, des méditations bibliques, etc,
Mais, tout en se soumettant à ce qui lui parait in-
dispensable, le Vaudois ordinaire prend le moins
possible de ce qu'on appelle les « moyens de grâce».
Distrait à l'école du dimanche, il est peut-être indis-
cipliné à l'instruction religieuse et y manifeste ses
dispositions antichrétiennes. Je viens d'entendre p a r-
ler d'un pasteur pleurant devant ses tro is catéchu-
mènes et ceux-ci riant de ses larmes; l 'un d'eux
avait brûlé sa Bible 1 La pr'emière communion est
souvent aussi la dernière. En tous cas, combien de
nos compatriotes se soustraient au soi-disant devoir
de s'approcher quatre fois par an de la table sainte 1
Et qu'est devenu le Jeûne? Vous le savez, Qu'est de-
venu surtout le dimanche? Pour la masse, un jour
de repos très profane, d'excursions, de voyages, de
jeux, de danses et de beuveries, pour ne pas dire pis.
Tout cela prouve . que, dans notre heureux can-
- 197-
ton, les apparences religieuses ne correspondent
point à la réalité. Sans même faire mention des cas
exceptionnellement mauvais, des vices et des scan-
dales de quelques-uns, je constate que la plupart ne
mènent certainement pas une vie chrétienne, et
pourtant se tranquillisent en pensant à l'estampille
évangélique qu'ils ont passive met reçue. Peut-être y
ajoutent-ils une certaine foi de tête, d'autorité et de
tradition, qui consiste à ne pas nier les doctrines de
J'Eglise et non à y croire positivement. S'ils ne les
nient pas, c'est qu'ils n'y ont jamais réfléchi. Ceux
qui doutent ou nient ouvertement ne valent d'ail-
leurs ni plus ni moins que la plupart de ceux qui se
donnent pour croyants.
Je ne veux point charger les Vaudois, que je suis
loin de croire plus mauvais que les autl'es. Lausanne
réunit aujourd'hui dans ses murs une quantité sur-
prenante d'étrangers de diverses nationalités. Ces
étrangers valent- ils mieux que nous? J'en doute
fort; tout au plus ont-ils d'autres qualités et d'au-
tres défauts . Peut-être sont-ils en général soit plus
franchement étrangers ou hostiles au christianisme,
soit plus profondément religieux, je veux dire plus
capables d'enthousiasme mystique et de dévouement
complet à leurs convictions.
Ce sont plutôt les citoyens de notre canton qu i, en
vertu de leur nature et de leur passé, sont portés à
dire sans faire, à professer une religion qu'ils ne
pratiquent pas dans la vie de tous les jours, à se
contenter de la foi sans les œuvres de la chari té.
C'est donc à eux que s'adressent très spécialement
- 198-
les instructions morales de SwédenboI·g. Elles re-
viennent à dire que le vI'ai culte que nous devons à
Dieu, c'est le culte de la vie, en d'autres termes une
obéissance journalièl'e, constante et filiale à la loi de
la liberté.
Nos pasteurs le déclarent sans doute et le répètent
fréquemment, mais nous ne l'avons pas encore senti.
Swédenborg a l'avantage de nous présenter cette
« Doctrine de Vie» sous un jour quelque peu nou-
veau, d'une façon plus analytique et plus systéma-
tique à la fois, par conséquent plus impressive.
Puissions-nous en tirer profit 1

. .. .
Parmi les nombl'eux passages sur lesquels cette
doctrine s'appuie, permettez-moi de rappeler deux
déclarations de Jésus-Christ, la seule autorité abso-
lue qu'admettent les réformés:
1 0 «Ceux qui me disent: Seigneur 1 Seigneur!
n'entreront pas tous dans le royaume des Cieux,
mais cel ui-là y 'entrera qui fait la volonté de mon
Père. Beaucoup me diront en ce jour-là: Seigneur,
Seigneur, n'avons - nous pas prophétisé en ton nom,
chassé les démons en ton nom et fait plusieurs , mi-
racles en ton nom? Mais alors je leur dirai publi-
quement : Je ne vous ai jamais connus; retirez-vous
de mo i, vous qui faites des œuv,'es d'iniquité! »
2 0 « Une fois que le père de famille aura fermé la
porte, si vous êtes dehors et que vous commenciez à
heurter en disant: Seigneur, ouvre-nous! il vous
répondl'a: Je ne sais d'où vous êtes. Alors vous vous
-199 -
.mettrez il dil'e : Nous avons mangé et bu en ta pré-
sence, et tu as enseigné dans nos places pub liques,
Et il vous répondra: Je vous le dis, je ne sais d'où
vous êtes; retirez-vous de moi, vous tous, ouvriers
d 'iniquité! C'est alors qu'il y aura des pleurs et des
grincements de dents. »
Ces textes expliquent et complètent avec une admi-
rable clarté ceux qui "attachent le saI ut directement
il la foi. Jacques ne contredit pas Pau l en écrivant:
« Si la foi n'a pas les œuvres, elle est morte en e ll e-
même ... ,Vous voyez que l'homme est justifié par les
œUV1'es et non par la foi seulement. » Si Luthel' avait
compris ces deux faces de la vérité, s'il avait eu la
pondération du Nouveau Testament qui renferme
l'EpUre de Jacques aussi bien que J'EpUre aux Ro-
mains, les peuples protestants n 'a u raient pas, dUl'ant
plus de trois siècles, penché du côté d'une ortho-
doxie froide et stérile, d'une croyance soi- d isant
évangélique, mais privée de la sève vivifiante de
l'amour.
(i La con'clusion de ce qui pl'écède, - ainsi parle
SWédenborg, - c'est qu'il n'existe pas chez J'homme
un IJrain de v,'ai en sus de ce q u 'i l y a de bien, n i
par conséquent un 1J"ain de foi en sus de ce qu'il y a
de vie, Quoiqu'il y ait dans l'entendement la pensée
que telle chose est, i l n'y a pas en même temps la
reconnaissance qui constitue la foi, il moins que la
volonté ne consente. C'est a insi que la foi et la vie
marchent d'un pas égal. Dès lors, cela est évident,
l'homme n'a la foi et ne devient spirituel qu'au tant
qu'il fuit les maux comme péchés . »
- 200-

* * *
Pour terminer, permettez-moi de vous raconter un
fait encourageant, dont vous verrez tout à l' heure la
relation directe avec notre suj e t de ce soi ,·. Je l'em-
prunte à l' Histoi"e sO'm'lnaire de la Nouvelle Eglise
ch"étienne, livre instructif et trop peu connu. Son
auteur anonyme, M. Edmond Chevrier, de Bourg en
Bresse, a donné j usque dan s un âge avancé un
exemple d 'incessant labeur intellectuel, de sagesse
et de zèle plein de largeur.
Parm i les disc iples é minents que la nouvelle doc-
trine eut en Russie, il faut, dit-il, mettre au premier
rang le général Alexandre Mouravieff, qui eut la
gloire d 'ê tre le principal promoteur de l'émancipa-
tion des serfs. Comme il avait conseillé au tsar cette
grande réforme, on le nomma, en 1858, président du
comité chargé de la préparer. Ce comité réussit dans
son entreprise. En effet, au mois de févri e r 1861,
l'empereur Alexandre II affranchit vingt- cinq 'mil-
lions de ses su j ets. Ainsi fut accompli, sans coup fé-
rir, et aussi paisiblement que possible, un des plus
immenses progrès de l'histoire humaine .
Ce sont assurément les doctrines d e la Nouvelle
Eglise qui décidèrent Mouravieff à embrasser cette
nob le et difficile cause. Swédenborg n'a-t-il pas en,-
seigné que tous les hommes doivent agir librement,
selon la raison? En supprimant l'esclavage, on ne
fait donc que rendre l'état social conforme à la vo-
lonté divine.
Or c'est par La Doch-ine de Vie, dont il trouva un
- 201-
exemplaire fran çais dans une librairie de Moscou,
que l'illustre général fit connaissance avec la théolo-
gie de Swédenborg. Car, remarquez-le, sur les esprits
chercheurs et bien disposés un seul pet it livre pro-
duit souvent une impression profonde et décisive,
tandis que des volumes ne suffisent pas à éclairer les
lecteurs mondains et superficiels. Une fois convaincu,
Mouravieff n'eut pas de plus ardent désir que de ré-
pandre les lumières qui lui avaient fait trouver la
paix. Ne pouvant pas faire imprimer en Russie les
livres du Prophète suédois, il avait chez lui deux se-
crétaires constamment occupés à en faire des copies,
qu'il distribuait à ses amis . Cette aimable propa-
gande eut souvent un grand succès. C'est du petit
volume sur La Charité, extrait des Arcanes Célestes,
qu'il se plaisait surtout à faire cadeau. Une grande
partie de sa famille en vint à s'intéresser vivement
aux croyances de la Nouvelle Dispensation.
Le général Mouravieff Iisai t les Evangiles et les
Psaumes dans une traduction russe dont il était l'au-
teur. Sur son lit de mort, il édifia, par sa conversa-
tion pieuse et éclairée, le pope qui lui administra le
saint sacrement. Quelques jours avant de quitter ce
monde, il fut dans un état d'esprit délicieux : il se
sentait, disait-il, comme transporté dans une région
lumineuse où tout était douceur et bénédiction. Le
Seigneur accorde parfois aux mourants cet avant-
goût de la joie du Ciel.
DEUXIÈME LEÇON
Les maux qu'il s'agit de fuir. Valeur du Décalogue. Lois de
r eligion. Leur très grande sainteté. But des Dix Paroles.
L'homme peut-il accomp lir la loi? Consentement universel.
«Le bien aime le vrai. » J'ai trouvé la vérité 1 Ferdinand
Brunetière. Etude individuelle. Constante ascension. Som-
mai.re de la loi. Identité foncière des deux aUiances. Doctrine
de la Charité. Unité réalisée pal' les Anciennes Egl ises.
Qui est le Prochain? Sens suprême. Classes. Degrés
successifs. Les sociétés, la patrie, l'Eglise, le royaume du
Seigneur.

Swédenborg nous a donné vendredi derniE:r une


grande leçon pratique. Pour devenir« spirituel »,
c'est·à-dire pour enh'er dans l'étroit sentier qui
condu it au royaume des Cieux, il faut, d it -il, recon-
naître que le ma l est un péché et s'en détourner,
ou, pour employer son langage,« fuir les maux
comme péchés ». Mais qu'est-ce qu'il appelle des
maux? C'est ce qu' il va nous expliquer a ujourd'hui.
Fidèle à son principe de to ut puiser dans la sainte
Ecriture interprétée par l'Esprit de Dieu, il s'en ré-
fère pour cela au Décalogue, au sujet duquel il fait
pre mièrement une observation d'importance capi-
t ale . Voici cette observation:
- 203-
«Quel peuple, sur le g lobe entier, igno r e que
c'est un ma l d e voler, d 'être adultère, de tuer, de
porter de faux té moignages? Si les na ti ons ne le sa-
vaient pas, e t si elles ne cherchaient pas, au moye n
des lois, à prévenir des c rimes sem blables, c'en se-
rait fait d 'elles; ca l', sans ces lois, républiques,
royaumes, socié tés, tout s'éc l'oul e r a it, Comment
d o nc supposer que la nation israélite a il é té plus
stup id e que tonte autre, au point d 'ignorer qu e
ces actions soient des maux ? Or on peut s'éton-
nel' que des lois universellement connues aient été
p romul guées avec un a ppare il s i miraculeux, du
haut dn mont Sinaï, par Jéhova lui-m ême. Mais
prêtez-moi votre a tte ntion.
» Ces loi s ont été promulguées au milieu de tant
de prodiges pour qu'on sû t qu'ell es é taient non seu-
lement des lois c iviles, mais e ncore des lois spi1'i-
tuelles, et que les transgresser, c'était non seule-
ment ag ir mal envers le concitoyen et la société,
mais encore pécher contre Die u. A insi, par la pro-
mulgation qu'en fit .J éhova du h aut du Sinaï, e ll e s
devinrent lois de religion. Car tout ce que J é hova-
Dieu commande appartient év idemment à la r eli-
gion, e t doit être exécuté tant en vue de lui que
pour le salut de l' homme. »
Jamais, à ma connaissance, on n'avait expliqué
d e cette m a nière le Décalog ue, jamais on n 'en avait
fait compre ndre la véritabl e portée e t la divine in -
tention . Il ne s'agit pas d e promu lguer des com -
mandements nouveaux, mais de sanctionner ceux
qui ont été inscrits de tout temps dans toutes les
- 20~-

consciences, et de les élever de la sphère civile ou


morale à la sphère spirituelle ou véritablement reli-
gieuse, d'en faire des devoirs envers Dieu. La reli-
gion devient par ce fait essentiellement morale, et
c'est là ce qui distingue les Hébreux de tous les
autres peuples de la terre. Moïse et les prophètes
réclament d'eux avant tout non des formes et des
cérémonies, ni l'adlnission d'un crédo, mais une
conduite pure et morale, l'humilité, la justice et la
fraternité.
Sans doute il y a des cérémonies à célébrer, mais
elles sont toujours secondaires; sans doute la foi est
à la base de toute l'obéissance, mais c'est la foi la
plus simple et la moins dogmatique, la foi au Dieu
unique et saint, créateur et conservateur du monde,
père, juge et souverain de la famille humaine. Et
s'il veut être aimé par-dessus tout, il veut en même'
temps être honoré et servi par l'amour des hommes
entre e ux. Ce caractère éthique, par là-même social,
de la religion israélite se retrouve dans l'Evangile;
car c'est le caractère de la religion elle-même, de la
religion parfaite, idéale. C'est ce qu'on arrive à
comprendre aujourd'hui; encore beaucoup de gens,
même dans les Eglises du type réformé, ne le com-
prennent-ils pas.
* * *
Swédenborg continue: « Comme ces lois furent
les prémices de la Parole, par conséquent les pré-
mices de l'Eglise que le Seigneur allait établir chez
les Israélites, et comme elles étaient un court ré-
sumé de tout ce qui opère la conjonction du Sei-
- 205-
gneur avec l'homme et de l'homme avec le Sei-
gneur, c'est pour cela qu'elles ont été si saintes que
rien ne pouvait être plus saint .
• La très grande sainteté de ces lois peut être éta-
blie par les faits suivants:
.. C'est Jéhova lui-même, c'est-à-dire le Seigneur,
qui au milieu du feu et avec les anges descendit sur
le mont Sinaï et les promulgua de vive voix. Pen-
dant trois jours le peuple s'était préparé à voir et à
entendre; la montagne avait été entourée de bar-
rières pour que nul ne s'avançât et ne mourût; ni
les prêtres, ni les anciens ne s'approchèrent, Moïse
seul s'approcha. Ces lois furent gravées du doigt de
Dieu sur deux tables de pierre; quand Moïse les ap-
porta pour la seconde fois du haut de la montagne,
son visage é tait rayonnant; plus tard elles furent
déposées dans l'arche et l'arche fut placée dans la
partie la plus intérieure du Tabernacle; on mit sur
elle le propitiatoire avec les chérubins d'or. C'est là
ce qu'il y avait de plus saint dans leur Eglise et ce
qu'on nomme le Saint des Saints ... La sainteté de
tout ce Tabernacle provenait uniquement de la loi
qui était dans l'arche. »
Notre théologien énumère ensuite un certain
nombre de faits .qui furent la conséquence de cette
sainteté. Voici ces faits: les Israélites devaient se
ranger autour du Tabernacle selon les tribus lors-
qu'il campait, et se placer en ordre derrière lui lors-
qu'il marchait; alors une nuée se montrait au-dessus
pendant le jour et une colonne de feu pendant la
nuit; le Seigneur parlait à Moïse sur le propitiatoire
-206-
entre les chérubins; l'arche était appelée Jéhova (est)
ici,- il n'était permis à Aaron de pénétrer au delà du
voile qu'avec des sacrifices et des parfums; David
introduisit l'arche dans Sion; elle fut ensuite placée
au milieu du temple de Jérusalem et en forma le
sanctuaire. Des miracles furent accomplis pal' l'arche
en vertu de la loi qu'elle renfermait.
« Ainsi, dit Swédenborg, les eaux du Jourdain se
séparèrent tant que l'arche resta au milieu de son
lit, et les Hébreux le passèren t à pied sec; ainsi les
murs de Jérico s'écroulèrent pendant que l'arche en
faisait le tour; ainsi Dagon, le dieu des Philistins,
tomba devant elle et fut trouvé étendu à la porte du
temple, la tête séparée du tronc; ainsi à cause d'elle
plusieurs milliers de Bethschémites furent frappés
de mort. Je passe sous silence beaucoup d'autres
prodiges. Tout cela provenait de la seule présence
du Seigneur dans ses Dix Paroles, qui sont les com-
mandements du Décalogue. l>

* * *
Cette loi renfermait tout ce qui concerne la reli-
gion; car elle était composée de deux tables, dont
l'une contient tout ce qui se rapporte à Dieu et
l'autre tout ce qui se rapporte à l'homme. Dans la
seconde table, il n'est pas dit que l'homme ferà tel
ou tel bien; il est dit qu'il ne fera point tel ou tel
mal. La raison en est que, comme nous l'avons vu,
l'homme ne peut faire aucun bien par lui-même;
mais lorsqu'il ne fait pas le mal, il se trouve qu'il
fait le bien par la puissance du Seigneur.
- 207-
Le but de la loi est d'uni,· Dieu avec l'homme et
l' homme avec Dieu; aussi est-elle appelée Alliane",
et Témoignage. All iance parce qu'elle conjoint, té-
moignage parce qû'elle atteste cette conjonction.
« La conjonction se fait par le Seigneur, mais seule-
ment quand l'homme observe ce qui est prescrit
d ans sa t a bl e. Car le Seigneur n e cesse jamais d'être
présent, d'agir et de vouloir entrer; mais l'homme,
doué du libre arbitre, doit lui ouvrir. »
«Voici, dit Jésus, je me ti ens à la porte et je
frappe. Si quelqu' un entend ma voix e t ouvre la
porte, j'entrerai ch ez lui et je souperai avec lui, et
lui avec moi. »
Le Seigneur est nommé l'Alliance du peuple ,
l'Ange de l'A lliance ; la Parole elle-m ê me est dési-
gnée comme l 'Ancienne et la Nouvelle All iance .

* * *
Swédenborg com bat ici un point de vue qui était
fort répandu à son époque, et qui, je pense, n 'a pas
disparu depuis lors . « Il s'est, dit-il, établi une reli-
gion qui proclame que nul ne peut accompl ir la
loi. ~ Comm e il s'agit d e ne point tuer, de ne point
commettre adultère, de ne point voler, de n e porter
aucun faux témoign age, il est clair qu'on peut s'abs-
tenir de ces transg ress ions dans la vie civile et mo-
raIe ; mais cette religion nie qu'on le puisse dans la
vie spirituelle, en d 'a u tres termes que l 'homme soit
capable d'évite r ces péchés par motif de conscience.
Que résulte-t oi] d e cette manière de vo ir?
Il en résulte qu'on regarde ces crimes comme
- 208-
licites aux yeux de Dieu, mais illicites aux yeux du
monde. On s'en abstient uniquement pour éviter
des peines et des dommages dans cette vie, sans
s'inquiéter des peines et des dommages qu'on peut
avoir à subir dans la vie futUl'e. On s'applique donc
à rendre sa conduite extérieurement correcte, irré-
prochable; mais on ne surveille pas, on ne purifie
pas son cœur, qui seul pourtant donne aux actes
leu r réelle valeul'.
Qu'arrive-t-il à ceux qui ont vécu sous 'l'empire de
cette idée fausse? Parvenus dans l'autre monde, ils
conservent les convoitises dont ils n'ont pas songé à
se débarrasser sur la lerre.lIs brûlent de commettre
les péchés dont ils n'ont été éloignés que par leur
intérêt temporel, et même ils les commettent dès
qu'ils en ont l'occasion. Ce sont sans aucun doute
des « méchants )J. Ils font un avec l'Enfer et ne peu-
vent que partager le sort de ceux qui l'habitent.
Il en est tout autrement des hommes qui ont obéi
à la seconde table parce qu'elle vient de Dieu et
qu'elle exprime ses intentions à notre égard. « Après
avoil' lutté quelque temps contre l'attrait de ces
maux, ils les chassent de leur volonté et par consé-
quent ne désirent plus les commettre; ils disent du
fond de leur cœur que ce sont des péchés, qui en
eux-mêmes sont infernaux et diaboliques. Aussi
après leur mort, quand leur est enlevé l'externe
qu'ils avaient ici-bas, font-ils un avec le Ciel et y
entrent-ils, attendu qu'ils sont dans le Seigneur ...

. * .
- 209-
Celte conception profondément éthique du salut,
Swédenborg l'appuie sur le consenlement univer'sel
des peuples et sur certaines coutumes du christia-
nisme. Ecoutez-l e plutôt:
« Il est généralement admis dans toule religion
que l'homme doit s'examiner, se repentir' et se dé-
sister de ses péchés, faute de quoi il est damné. TI
est également admis dans l'univers chrétien qu'il
faut enseigner le Décalogue, et par son moyen ini-
tier les enfants à la religion véritable. Il est en effet
dans la main de tous les enfants. Leurs parents et
leurs maUres leur disent que faire ce qu'il défend,
c'est pécher contre Dieu; et même, quand ils
s'adressent aux enfants, ils n'ont pas autre chose
à leur enseigner. Comment ne pas être surpris en
voyant que ces gens·là, et les enfants eux-mêmes
quand ils sont devenus adultes, pensent que cette
loi ne les concerne pas et qu'ils sont incapables d 'en
observer les préceptes? La seule cause qui puisse
les induire à penser ainsi, c'est qu'ils aiment les
maux et par suite les faussetés qui favorisent ces
maux. Voilà donc ceux qui ne regardent pas les
commandements du Décalogue comme faisant par-
tie de la religion. »
« Chez toutes les nations il existe des commande-
ments semblables; tous ceux qui s'y soumettent par
motif religieux sont sauvés, mais ceux qui les vio-
lent sont condamnés. Les premiers sont instruits
après leur mort par les anges; ils r'eçoi ven t alors
les vérités et reconnaissent le Seigneur. Il en est
ainsi parce qu'ils fuient les maux comme péchés et
SWÉDENBORG Il
- 210-
sont en conséquence dans le bien. Or le bien aime
le vrai, et le désir de satisfaire cet amour pousse à
recevoir l'instruction. ])
Le bien aime le v"ai : veuillez, mes chers audi-
teurs, remarquer cette affirmation . E lle signifie
que, quand on veut bien faire, on profite de tous
les moyens de se mettre au courant de ses devoirs.
Il en est ainsi dans tous les domaines. Un jeune
homme qui a le désir de devenir bon serrurier fait
un soigneux apprentissage; un étudiant ambitieux
d'exceller comme avocat, magistrat, médecin, tra-
vaille de lon gues années avec ardeur, va d'une uni-
versité à l'autre, recherche les plu s g rands profes-
seurs, se soumet aux exam~ns et aux concours les
plus difficiles. De même les musiciens, les poètes,
les peintres, les sculpteurs, quels sac ri fices et quels
efforts ne font-ils pas, par amour pour leur art, afin
d 'acquérir les connaissances théoriques et pratiques
qui leu r permettront de réaliser le mieux possible
leur idéal 1 Quand on aime une profession quel-
conque, on est certainement porté à l'étudier à
fond.
En serait-il autrement de la vérité la p l us haute
et la plus passionnante, la vérité religieuse? Non,
sans doute. Or le bien réel, le bien spirituel n'est
autre chose que cette vérité mise en pratique. Donc,
pour faire le bien, - ce que Dieu lui-même nomme
le bien, - nous avons besoin d'être éclairés, de
renonce r à nos préjugés, aux erreurs régnantes,
d'étudier l'Evangil e, de le comprendre toujours
plus intérieurement. « Le bien aime le vrai. » Dans
- 211-
la mesure où nous voudrons faire le bien, nous
serons zélés pour nous instruire sur nos devoirs,
nous chercherons dans la révélation biblique les
lumières qu'elle nous donne sur l'm·t de viv,·e .
Mais s 'il e n est ainsi, - et pour ma part je ne
saurais en douter, - ceux qui ne recherchent pas
le vrai, qui ne lisent les Ecritures Saintes qu'à bâ-
tons rompus et à très petite dose, qui ne se les font
pas expliquer par les livres ou la parole vivante des
« docteurs », et surtout qui ne les méditent pas en
leur particulier, ceux-là ne doivent pas être animés
d ' un amour quelque peu vif pour le bien. Cette con-
clusion est sévère, elle peut sembler injuste; je vous
laisse à juger si elle est exagérée.

* * *
Vous me direz peut-être: « Mais j 'ai trouvé la vé-
rité, ainsi je n'ai plus besoin de la chercher 1 Elle
est tout entière en Jésus-Christ, en qui j'ai cru
comme en mon Sauveur et mon Maitre. :0
Je répondrai: Ne vous faites pas illusion 1 Sans
doute le Seigneur a dit: «Je suis la vérité,» et vous
acceptez son dire. Mais avez-vous compris que cette
vérité totale, don t il est la personnification, est for-
mée de vérités partielles qui se divisent elles-m êmes
en vérités plus spéciales, et ainsi de suite jusque
dans les plus petits détails? La vérité commune ou
générale ne nous est profitable que dans la meSllre
où nous avons reçu les vérités particulières qu'elle
contient.
Croire en gros à l'enseignement du Sauveur ne
- 212-
signifie pas grand'chose: il s'agit de savoir quel
sens nous attribuons à chacune de ses paroles. Or
elles sont comprises de bien des manières, et leur
interprétation a donné naissance à des confessions
très différentes. Toutes les Eglises chrétiennes, dont
les rivalités et les luttes souvent sanglantes ont
rempli l'histoire depuis près · de deux mille ans,
prétendent être fidèles à l'Evangile primitif, mais
les dogmes qu'on en a tirés les ont séparées les
unes des autres jusqu'à la plus vive hostilité. Les
chrétiens n'ont pas seulement été condamnés aux
derniers supplices par les Césars, défenseurs offi-
ciels du paganisme; ils se sont persécutés les uns
les autres en s'accusant d ' hérésie, et cette triste
façon de montrer sa ferveur religieuse s'est mainte-
nue longtemps, hélas 1 dans les Eglises réformées. Il
ne suffit donc pas de professer l'Evangile pour
l'avoir compris, ni de se réclamer du Sauveur pour
être un de ses véritables disciples.

* *
Interrogé sur ce qu'il croyait, Ferdinand Brune-
tière, le célèbre littérateur, répondit sans rougir:
« Allez le demander à Rome 1 » Il acceptait en bloc
l'autorité de l'Eglise, pensant ainsi croire ce qu'il
faut croire pour être sauvé, sans s'inquiéter de pé-
nétrer le sens des paroles de Jésus-Christ et de se
former des convictions personnelles. CeUe foi impli-
cite peut contenter le souverain pontife; elle ne sa-
tisfait nullement celui dont le pape a la prétention
d'être le vicaire ici-bas. Ce n'est pas l'Eglise qui
- 213 -
nous sauve; peu importe de nOllS y rattacher exté-
rieurement 1 La seule chose nécessaire, c'est d'être l
uni au Dieu -homme; et pour cela il faut connaître
sa volonté, autrement nous ne pouvons pas la mettre
en pratique. C'est de la dernière évidence.
Combien d'erreurs, de superstitions, de préjugés
mondains, d'idées juives, catholiques ou pa'iennes
prévalent encore dans la chrétienté, grâce à la né-
gligence avec laquelle les soi-disant rachetés du
Christ lisent ou écoutent ses admirables enseigne-
ments 1 Croyez-moi, mes chers auditeurs, si nous
désirons une nouvelle Réformation, une nouvelle
vie, une nouvelle puissance sur le monde, la pre-
mière chose que nous ayons à faire, c'est de nous
remettre, et cela très sérieusement, à étudier le
christianisme; c'est de nous demander en quoi il
consiste réellement, ce qu'il exige de nous et aussi
ce qu'il nous promet.
C'est à cette étude individuelle, prolongée et même
sans terme, que je voudrais vous décider par le pré-
sent cours, si vous n'êtes pas du petit troupeau de
ceux qui s'y livrent déjà, qui en ont pris l'habitude
et qui en goütent journellement les fruits bénis.
Ceux d'entre vous qui sont dans ce dernier cas sa-
vent que je ne suis pas dans l'erreur, que j'ai mis le
doigt sur la plaie, je veux dire que j'ai justement
indiqué la cause principale de notre faiblesse en ces
temps de distraction perpétuelle et p.'intéressante
mondanité.
. .. ..
- 214. -
Si nous avons bien commencé, il nous reste à con-
tinuer, car la vie spil'ituelle est une constante ascen-
sion, Ce n'est pas le tout que de s'abstenir du mal,
il faut apprendre à faire le bien, comme nous l'avons
vu' C'est ce qui ressort en particulier de l'entretien
du Sauveur avec le jeune homme riche. Jésus
" J'aima l> parce qu'il avait accompli les commande-
ments dès sa jeunesse, mais il lui montra qu'il lui
restait trois points à remplir: détacher son cœur des
richesses, combattre contre ses convoitises et recon-
naitre la divinité de celui qui lui parlait. En consé-
quence, il lui ordonna de vendre tout ce qu'il avait
et d'en distribuer le produit aux pauvres; de pOl'ter
sa croix, c'est-à-dire de lutter contre les concupis-
cences; de le suivre enfin, c'est-à-dire d'adorer le
Seigneur comme Dieu.
C'est ainsi qu'il nous est toujours plus demandé.
Dès les premiers pas que nous faisons dans le che-
min de la fidélité, Jésus nous II aime », et si nous
persévérons courageusement, il nous aime toujours

r davantage. Il n'est donc pas à craindre qu'il nous


laisse seuls en présence d'ordres toujours plus diffi-
ciles, de missions toujours plus élevées. Le jeune
homme riche aUl'ait pu devenil' un apôtre, s'amasser
un trésor dans le Ciel et y occuper éternellement
une place d 'honneur. S'il a reculé devant les sacri-
fices que le Christ jugeait pour lui nécessaires, il
s'est trompé el il en a pâti le beau premier 1 Les pê-
cheurs galiléens qui ont tout quitté pour le suivre
en reçoivent, dans ce monde et surtout dans le
monde à venir, une magnifique récompense. « De-
- 215 -
meurez dans mon amour, » leur disait-il à la fin de
sa carrière terrestre. « Demeurez dans mon amour, ..
nous répète-t-il aujourd'hui. En effet, tout est là
pour ceux qui désirent avoir « la bonne part qui ne
leur sera point ôtée. »
\
• • •
Je ne m'arrêterai pas plus longtemps au Déca-
logue, quoique SwédenbOl'g ait fait voir à son sujet,
de la façon la plus convaincante, ce qu'il entend par
les trois sens de la sainte Ecritu re: le sens littéral,
le sens spirituel et le sens céleste . Je rappelle en pas-
sant que le sens littéral est la même chose que le sens
externe, et que le sens interne comprend le sens spi-
rituel et le sens céleste. Si le Décalogue est déjà le
résumé de la législation d'Israël, Jésus-Christ l'a ré-
sumé plus brièvement encore et en a exprimé l'es-
sence en disant: « Tu a imeras le SeigneUl' ton Dieu
de tout ton cœur, de toute ton âm<:l, de toute ta pen-
sée: c'est là le premier et le grand commandement.
Le second lui est semblable: Tu aimeras ton pl'O-
chain comme toi-même. De ces deux commandements
dépendent la Loi et les Prophètes. » Notre auteur
ajoute: « La Loi et les Prophètes sont la Parole dans
toutes les choses qu'elle contient. »
Quand on s'élève à cette hauteur, l'ancienne et la
nouvelle a lliance ont la même religion et la même
morale; cependant, pour qu'il en soit ainsi, il faut
que morale et religion soient spirituelles. Quant à
l'éthique, ou à la morale, qui seule doit nous occu-
per dans cette série de leçons, e lle consistait chez les
- 216-
Hébreux, e t ell e consis te enco re pl us visiblement
c hez les chrétiens, dans l'amour du p r ochain ou
dans la charité. On reconnait généralem ent que ce
d evoir n'est pas facile à pratiquer dans toute son
étendue, mais on se figul'e qu'il es t fort simple et ne
r éclam e guèr e d'explications. Poul'tant Swédenborg
va nous dire là-dessus des c hoses fo r·t nouvelles, et
vous sentirez, j e l'espère, qu 'elles ne sont pas sans
importan ce .
*
. ..
Il commence par nous faire œmonter à des temps
si recul és qu e l' hi sto ire n'en a gardé qu'un vague
souvenir. A plusieurs endroi ts de ses ouvrages il dé-
crit l' " Eglise très Ancienne ", la m eilleure de toutes,
puis 1' « Eglise Ancienne D, déjà mo ins pure , à la-
quell e a succédé l '" Eglise iSI'aéli te », qu i est en pleine
dégénérescence. Dans les deux premières époques,
où la r'e li g ion éta it relativement pure, il ex istait une
D octrine de la Cha,-itë parce que les fidèles s'aimaient
les un s les an tres; et cette doctrine uni ssait toutes
les Eglises, que lles que fussent les croyances.
Ainsi l'idéal auquel nous asp irons a été r'éalisé pri-
mitivement. L'unité de l'Egli se n'était pas cherchée
dan s l'accord impossible des in te lli gences sur toutes
, les vérités de la fo i; ell e r ésu lta it tout naturellement
de ce que la volonté des hommes était tournée vers
le bien, et de ce qu'ils s'aimaient mutuellement, se
considérant comme des frères. Au lieu de se dispu-
t e r sur les points d e doctrine et d e se j e ter récip,'o -
quement l'anath è m e, on lâchait de s'instl'uire. Les
plus éclairés donnaient des explications aux moins
- 2i7-
avancés; c'était alors une des œuvres de la charité.
Même, chose étonnante Ion n'était pas indign é quand
l'un n'accédait pas à l'opinion de l'autre, car on sa- f
vait que chacun ne peut recevoir le vrai que dans la \
mesure où il est dans le bien.
Certainement il y a de nos jours des croyan ts qui
ont ce point de vue, mais combien ils sont rares 1 Et
qui, parmi nous, travaille d'une façon consciente et
conséquente à la · fusion de toutes les Eglises par
J'amou r fraternel, qui seul peut triompher des diver-
gences dans la conception de la vérité?
Cette unité des Anciennes Eglises prouve que leurs
membres étaient des hommes intérieurs, et comme
tels ils nous dépassaient de beaucoup en sagesse.
g En eITet, dit Swédenborg, ceux qui sont dans le
bien de l'amour et de la charité vivent, quant à
l'homme intern.e, dans le Ciel et y font partie de la
Société angélique qui est dans un bien semblable au
leur. De là provient l'élévation de leur mental vers
les intérieurs et par suite leur sagesse; car la sa-
gesse ne peut venir d'autre part que du Ciel, c'est-à-
dire du Seigneur par le Ciel. Et si la sagesse habite
dans le Ciel, c'est parce que là on est dans le bien. "

* * *
Mais cette sagesse ancienne a diminué graduelle-
ment . Dans la proportion où le genre humain s'est
détourné de l'amour de Dieu et du prochain, il a été
privé de la sagesse et séparé du Ciel. Ainsi, dans la
suite des siècles, l'homme est devenu externe d'in-
terne qu'il était . Il devint en même temps mondain
- 218-
et corporel, ne s'inquiétant p lus en rien des choses
du Ciel et ne croyant même plus qu'elles existent.
Car, quand il est dans cet état, « les plaisirs des
amours terrestr.es, et tous les maux qui d 'après ces
amours sont pour lui des plaisirs, s 'emparent de tout
son être; alors ce qu'il entend dire de la vie après la
mort, du Ciel e t de J'Enfer est comme une paille
qui , emportée par le vent, disparalt aussitôt à la vue.
» De là vient aussi que la Doctrine de la Charité,
qui était d'un si grand prix chez les anciens, est au
nombre des choses entièrement perdues. Qui sait, en
effet, de nos jours, ce que sont la charité et le pro-
chain dans le sens réel? Cependant cette doctrine
renferme tant et de si grands a,'canes qu'on ne sau-
rait en décrire la millième partie, puisque toute
l'Ecriture Sainte n'enseigne que l'amour et la cha-
rilé. »
* * *
La Doctrine de la Charité est développée par Swé-
denborg dans l'immense ouvrage, en dix-huit vo-
lumes, auquel il a donné le nom d'Arcanes Célestes;
elle y est insérée par fragments avant les chapitres
de l'Exode, et plus lard on l'en a extraite pour en
former un livre à part. Nous en possédons une tra-
duction faite du latin en français par l'infatigable
Le Boys des' Guays. Ce petit livre, si important par
son contenu, est ma principale source pour la leçon
de ce soir. Je désire vous exposer celte doctrine, qui
a été oubliée pendant plusieurs milliers d'années,
mais que, « par la divine miséricorde du Seigneur »,
- pour me servir de ses propres expressions, - le
- 219-
P.-ophète de l'Occident et des temps modernes a pu
reconstituer dans son ensemble et rendre à la chl'é-
tienté.
* * *
La première question qui s'impose en cette matière
est celle-ci: Il Qui est le P"ochain à l'égard duquel -
notre charité doit s'exercer?» On croit sans doute le
savoir parce qu'on ne se donne pas la peine d'y réflé-
chir. On dit sans hésitation que le prochain, c'est toutt
le monde; de là l'idée générale qu'on doit faire du 1
bien à quiconque a besoin de secours, et exercer la
charité à l'égard de tous indistinctement. Il y a là,
comme vous allez vous en convaincre, un mélange
de vérité et d'erreur. Ici, comme dans tous les autres
champs d 'activité, il faut que la raison intervienne
pour diriger le cœur, qui sans cela s'égarerait.
« Il est de la prudence chl'étienne, dit Swéden-
borg, d'examiner soigneusement quelle est la vie de
l'homme et d 'exercer la charité selon cette vie.
L'homme de l'Eglise intern e fait cela avec distinc-
tion, par conséquent avec intelligence; mais l'homme
de l'Eglise externe, ne pouvant pas se rendre ainsi
compte des choses, le fait sans discernement.
» Les anciens, ajoute-t-il, ont réduit en classes le \
prochain, et désigné chaque classe suivant les noms
de ceux qui paraissent devoir être secourus de pré-
férence aux autres; ils ont enseigné de quelle façon
la charité doit s'exercer à l'égard de ceux qui appar-
tiennent à telle ou telle classe; ils ont ainsi constitué
la doctrine et selon cette doctrine réglé la vie. »
Voici maintenant le fondement de cette science,
- 220--
l'idée mère dont découleront toutes les idées parti-
culières de l'éthique, toutes les règles dont nous
avons besoin pour notre conduite. « Les distinctions
du prochain, que l'homme de i'Eglise doit absolu-
ment connaitre, sont en rapport avec le bien qui est
chez chacun. Or, comme tout bien procède du Sei-
gneur, le Seigneur est le prochain dans le sens su-
prême et au degré le plus ém inent, et chacun est
notre prochain dans la mesure de ce qu'il a du Sei-
gneur chez lui. Dès lors, comme il n'y a pas deux
hommes qui r eçoivent le Seigneur, c'est-à-dire le
bien véritable, de la même façon, il en résulte que
l'un n'est pas le prochain au même degré que
l'autre. »
*
.. *
Le moral is te suédois cite à l'appui de sa théorie la
parabole du bon Samaritain, dont la conclusion nous
étonne toujours, Au lieu de dire que le blessé était
le prochain dont il fallait prendre soin, elle enseigne
en effet que le prochain, c'est le voyageur qui l'a se-
couru . Un homme, tombé ento'e les mains des vo-
leurs, fut ' laissé pa,' eux à demi-mort. Un prêtre
passa outre, un lévite égalem ent. Mais un Samari-
tain, regardé comme un étranger et un hérétique, si
ce n'est comme un ennemi, banda ses plaies, y versa
de l'huile' et du vin, le plaça sur sa propre monture,
le conduisit dans une hôtellerie et prit soin de lui.
Ce dernier, ayant exercé la charité, est seul apn.elé
le prochain ... De là nous pouvons conclure que ,
ceux qui pratiquent le bien sont le prochain. Ceux
\
qui font le mal sont, il est vrai, le prochain aussi,
- 221-
mais sou s un rapport tout différent, et l 'on doit leur
faire du bien d'une autre manière. Il en sera parlé
plus tard. "
Swédenborg parle ensuite des égoïstes pour mon-
trer que le prochain est déterminé par la qualité de
son amour. Les idolâtres d'eux-mêmes reconnaissent
pour le prochain ceux qui les aiment le plus, ceu x
qui appartiennen t à leur famille, à leur maison, à
leur parti, qui les servent, les fl attent ou se dévouent
à eux . « Ils les embrassent, leur donnent des baisers,
leur font du bien et les appell ent frères. Bien plus,
étapt méchants, ils disent que ceux-ci sont le peo-
chain de préférence aux autres, et ils ne considèrent
les autres comme prochain que dans la proportion
où ils en sont aimés, ainsi suivant la quantité et la
qualité de l'amour. De tels hommes tirent d'eux-
mêmes l'origine du prochain, attendu que c'est
l'amour qui détermine. » En 4'autees termes, l'égoïste
se fait le centre de l'humanité et traite les autres
comme son prochain dans la mesure où il peut les
employer à son service, au lieu de reconnaître le Sei-
gneur' comme la personnalité centrale, et de regar-
der les autres comme le prochain dans la mesure où
ils sont rapprochés du Seigneur et animés de son
Esprit.
" Ceux qui a iment les autres comme eux-mêmes,
dit encore notre auteur, et à plus forte raison ceux
qui, comme les anges, aiment les autres plus qu'eux-
mêmes, tirent tous du Seigneur l'origine du pro -
t Le Seigneur, c'est-à-dire Jésus-Christ g lorifi é, en qui toute la pté ~
nitude de la Divinité habite corporellement.
- 222
chain. [J'espère que vous comprenez maintenant
cette expression, dont nous n'avons pas l'habitude.]
Car dans le bien est le Seigneur lui-même, puisque
tout bien procède de lui. On peut voir aussi par là
que la qualité de l'amour doit déterminer qui est le
prochain. Que le Seigneur soit dans le bien, c'est ce
qu'il enseigne lui·même dans Matthieu. A ceux qui
ont été dans le bien il dira, au dernier jour, qu'ils
lui ont donné à manger et à boire, qu'ils l'ont re-
cueilli, vêtu, visité; expliquant ensuite qu'en tant
qu'ils ont fait cela au plus petit de ses frères ils le
lui ont fait à lui-même. »
Concl usion sur ce point capital: « On voit main-
tenant d'où l'homme de l'Eglise [c 'est-à-dire le chré-
tien réelJ doit tirer l'origine du prochain. Chacun
est le procha in dans le deg,'é où il est plus proche
du Seigneur. Or, comme le Seigneur est dans le bien
de la charité, l'homme est notre prochain selon la
qualité du bien ou de la charité qui est en lui. »

* * *
Nous allons voir maintenant qu'il y a des degrés
dans le prochain. Si cela vous parait incontestable,
rappelez-vous que beaucoup de vérités inconnues ou
peu connues au XVIII" siécle se sont répandues dès
lors, et qu'en particulier beaucoup d 'idées mises en
avant par Swédenborg ne nous frappent plus par
leur nouveauté, parce qu'elles sont entrées dans la
circulation générale.
Selon mon habitude, pour être aussi exact que
- 223 -
possible, je vais laisse.' notre écrivain s'expliquer
encore là,dessus,
f: Le prochain est non seulement l'homme au sin-

gulier, mais c'est aussi l'homme au plurieL En


effet c'est une société petite ou grande, c'est la pa-
trie, c'est l'Eglise, c'est le royaume du Seigneur, et
au-dessus de tous c'est le Seigneur lui-même, Voilà
le prochain auquel on doit faire du bien d'après la
charité, Ce sont là aussi les deg,oes ascendants du
prochain. Car une société quelconque occupe un de-
gré plus é levé qu'une personne seule, la patrie un
degré plus élevé qu'une société; à un degré plus haut
se trouve l'Eglise, à un degré plus haut encore le
royaume de Dieu, enfin au degré suprême le Sei-
gneur. Ces degrés ascendants sont pareils à ceux
d'une échelle au sommet de laquelle est le Sei-
gneur. J)
Il est naturel qu'une société soit le prochain de
préférence à un homme seul, puisqu'elle se compose
de plusieurs personnes. Du reste nous avons à exer-
cer la charité envers elle de la même façon qu'en-
vers l'individu, c'est-à-dire suivant la qualité du bien
qui existe c hez elle. Ainsi nous devons agir tout au-
trement à l'égard d'une société probe et honorable
qu'à l'égard d'une société déshonnête.

* * *
Grâce à nos libres institutio.ns et à la variété des
intérêts contemporains, les sociétés se sont multi-
pliées en Suisse dans une mesure extraordinaire; il
en existe une quantité qui sollicitent notre concourS
- 221. -
et tous, jeunes ou vieux, hommes ou femmes, ou-
vriers ou professeurs, nous appartenons probable-
ment à un certain nombre d'entre elles. Ne nous joi-
gnons à aucune sans la ferme intent ion d'en être un
membre utile, désintéressé, assistant aux séances,
payant réguliérement ses contributions, prenant à
cœur la cause commune et nous efforçant de la faire
triompher. Si toutes nos sociétés ayant un excellent
but ne comptaient que de pareils membres, quel bien
ne feraient-elles pas!
* * *
Cl La patrie, continue Swédenborg, est notre pro-
chain de préférence à une société parce qu'elle est
comme une mère; car l'homme y est né, elle le nour-
riL et le lient à l'abri des injures. On doit par amour
faire du bien à la patrie selon ses nécessités, qui
concernent principalement son entretien, sa vie ci-
vile et sa vie spirituelle . Celui qui aime sa patrie et
qui lui fait du bien d'une façon désintéressée aime
dans l'autre vie le royaume du Seigneur, car ce
royaume est alors pOUl' lui la patrie. Et, en aimant
le royaume du Seigneur, on aime le Seigneur lui-
même, cal' il est le tout dans toutes les choses de son
royaume. »
Vous le voyez, mes chers auditeurs, le patriotisme
rentre dans la morale et devient un grand devoir de
charité; en même temps Swédenborg nous explique
de quel patriotisme il s'agit. Il n'est pas question
d'admirer naïvement ses concitoyens, de les procla-
mer supérieurs aux autres peuples (il n'yen a point
comme nous 1), de s'aveugler sur leurs défauts, ni
- 2:25-
surtout de jalouser et de détester telle nation rivale,
de méditer des guerres et des conquêtes. Ce qu'on
nous demande, c'est d'aimer notre pays en fils res-
pectueux et obéissants, en filles intelligentes et dé-
vouées, et de lui témoigner notre reconnaissance par
nos œuvres. Nous avons à pourvoir, pour notre fai-
ble part, à « son entretien » , c'est-à-dire à payer
fidèlement nos impôts de toute espèce; à nous pré-
occuper de « sa vie civile J) et de « sa vie spirituelle »,
c'est-à-dire de tout ce qui intéresse tant sa prospé-
rité matérielle que ses progrès in tellectuels, moraux
et religieux. Il y a là un domaine immense où doit
s'exercer notre esprit d'initiative, comme aussi notre
contrôle, notre critique, le courage de protester
contre le mal. La politique, dans la mesure où nous
y pouvons quelque ·c hose, rentre dans ce patrio-
tisme-là, mais ce sera une politique équitable, noble,
bienfaisante, supérieure aux partis, une politique
qui doit intéressel' les femmes elles-mêmes et dont
elles peuvent s'occuper sans sortir du rôle assigné à
leur sexe.
L'exemple de ce pur et généreux amour de la pa-
trie nous a été laissé par celui qui l'a si bien dépeint
en peu de mots; ainsi sa propre vie a illustré et
confirmé ses préceptes. Emmanuel Swédenborg est
en elTet reconnu aujourd'hui comme un des citoyens
qui ont le mieux servi la Suède, et le parlement lui
a r écemment élevé un mausolée dans la plus auguste
cathédrale de la Scandinavie. Profitons de l'ensei-
gnement qu'il nous a donné par ses écrits et par ses
actes. Comprenons que le patriotisme fait partie in-
S'\VÉDENBORG Il 1.5
- 226 -
tégrante de la morale évangéliqu e, qu'il s'impose non
à quelques-uns, mais à tous, y compris les femmes,
qu'il est une manifestation nécessaire de la vraie
piété.
* * *
L'Eglise, à son tour, doit être pour nous plus que
la patrie. Nous avons donc à <JO pourvoir à l'Eglise. »
Mais qu'est-ce qLle cela signifie? Cela signifie <JO con-
duire l'homme au bien. » Celui qui agit de la sorte
par amour désire sincèrement pour autrui le salut
éternel et la vie céleste; il travaille par conséquent
pour le plLls grand bonheur de ses compatriotes.
Mais ici nous rencontrons une remarque inopinée,
qui pourtant se justifiera à votre esprit comme au
mien après un instant de réflexion . « Le bien, dit
notre auteur, peut être insiJ,lué à autrui pa r tout
homme dans la patrie, mais le vrai ne peut l'être
que par ceux qui sont ministres instructeUl's [on
pourrait dire docteurs d e la Parole]. Si c'est par
d'autres, il s'élève d es hérésies qui troublent et dé-
chirent l'Eglise. La charité s'exerce quand le pro-
chain est conduit au bien par le vrai tiré de l'Evan-
gile. Quand l'Eglise appelle vrai quelque chose qui
détourne du bien, on ne doit pas en faire mention,
car ce n'est point un vrai. Chacun doit acquérir le
vrai d'abord d'après la doctrine de l'Eglise, ensuite
d'après la Parole de Dieu. Ce vrai sera le vrai de sa
foi, J)
Nous vivons dans un temps et dans un pays où
l'on ne sent plus comme jadis l'importance de
}'Eglise, j'entends de l'Eglise particulière à laquelle
- 227-
on appartient; aussi est-il peu de gens qui aient
étudié son crédo et soient convaincus de sa vérité,
qui ver~ent dans sa caisse une portion considérable
de leurs gains ou de leurs revenus et qui s'emploient
activement dans l'une ou l 'autre des branches de son
œuvre : finances, culte, diaconie, administI'ation,
évangélisation, La plupart sont des membres tièdes
ou passifs, réservant leur libéralité et leur a rdeur
pour des intérêts tout différents: théâtre, musique,
littérature, science, fortune, ambition, Cette indilTé-
rence relative, qui contraste avec la ferveur trop
souvent fanatique d'autres époques, vient en partie
de ce que, placés entre diverses dénominations, nous
sommes entrés dans l 'une d'elles moins par un libre
choix que sous la pression d'un certain milieu, de
notre famille et surtout du pasteur qui a fait notre
instruction r eligieuse, L'amour de l'Eglise dont on
fait partie ne renaîtra que dans la mesure où les
membres de cette association cultuelle s'y seront
joints à l'âge de leur pleine raison, après examen des
confessions en présence ou du moins en vertu de
convictions et de sympathies personnelles, Il sera,
dans ce cas, supérieur au patriotisme, qu'il pénétrera
sans le supplanter.

* * *
Faisons un pas de plus. Le royaume du Seigneur
est le prochain dans un degré plus élevé que l'Eglise.
Car il se compose de tous ceux qui pratiquent le bien
tant sur les diverses planètes peuplées d'êtres hu-
mains que dans les Cieux habités par les anges ou
- 228-
par les hommes glorifiés. Il est, par conséquent, le
bien même dans son unité et sa complexité; or,
quand on aime ce bien, on aime nécessairement
ceux qui en vivent. Le royaume de Dieu est donc le
Ciel dans son ensemble ou ce que Swédenborg ap-
pelle le Très grand Homme, Maximus Homo, image
représentative du Seigneur lui-même, que les Cieux
ne peuvent contenir puisqu'il est infini. Et quand
est-ce que l'on aime ce royaume divin? C'est quand,
par une affection sincère, intime, on fait du bien aux
hommes qui ont reçu le Ciel dans leur cœur, à ceux
en qui réside le Seigneur et qui se consacrent à son
service.
On croit travailler pour le règne de Dieu en bâtis-
sant des temples et des chapelles, en soutenant des
établissements philanthropiques et plus ou moins
religieux, en faisant imprimer et distribuer des
Bibles et des traités, en salariant des pasteurs et des
évangélistes, en collectant et en souscrivant pour les
missions étrangères; et l'on n'a pas tout à fait tort.
Car on peut faire tout cela par ferveur vraiment
évangélique, sans aucun mélange d'éléments infé-
rieurs.
Cependant ces diverses œuvres ne sont pas tou-
jours spirituelles, je veux dire exclusivement reli-
gieuses et dignes du Seigneur; trop souvent ceux
qui les ont entreprises, ceux qui les dirigent comme
ceux qui y collaborent par leurs dons en argent ou
par leur activité, sont loin de s'oublier eux-mêmes
pour ne penser qu 'au but sublime qu'ils se sont
proposé. Ils ont sans doute à cœur le soulagement
- 229-
des misérables, la conversion des pécheurs scanda-
leux et des incrédules notoires, la civilisation des
Africains ou des Papous, le triomphe de J'Evangile
sur le paganisme et l'islam; mais ils tiennent beau-
coup moins à se convertir eux-mêmes ou, s'ils ont
mis le pied dans la bonne voie, à se corriger des dé-
fauts choquants qui leur restent, à progresser dans
la sanctification, dans la vie intérieure et cachée avec
Christ en Dieu.
Il peut y avoir beaucoup d'externe et de factice,
beaucoup d'esprit de clocher, d'étroitesse et de re-
cherche personnelle dans ce que nous pensons faire,
comme les jésuites, ad maximam Dei glo,-iam. Où
sont ceux qui reconnaissent, qui honorent par-dessus
tout, qui soutiennent libéralement de leur or et de
leurs billets d e banque les apôtres et les prophètes
du temps présent, les vrais hommes de Dieu qui,
avec ou sans consécration ecclésiastique, se montrent
animés de l'Esprit du Christ? Il est à craindre de nos
jours que les œuvres les plus chrétiennes, celles qui
réclament le plus de foi et de spiritualité, soient
administrées, maintenues et développées en grande
partie par des gens qui n'ont pas rompu avec le pé-
ché, qui par conséquent ne sont pas encore chré-
tiens . Une telle coopération ne sert qu'à tromper
ceux qui s'y livrent. Elle ne constitue pas la charité
que nous devons manifester dans ce domaine.
Il se fait donc aisément une immixtion de senti-
ments impurs dans la part que nous prenons aux
efforts poursuivis pour l 'avancement du règne de
Dieu; ces sentiments naturels sont surtout le désir
- 230 -
de nous mettre en avant et d'afficher notre pié té en
étant caissier, secrétaire ou président d'un comité,
la joie vaniteuse de voir notre nom imprimé à côté
du chiffre d'un don que nous jugeons considérable,
et l'idée que notre coopération à une si belle entre -
prise est m é ritoire . Tout cela n'est que trop fréquent
chez les véritables disciples du Christ, sincères au
fond, mais imparfaits comme nous le sommes tous .
Ce qui est encore plus grave, c'est la conduite de
ceux qui, en se rattachant aux œuvres pies, ont pour
but principal d'acquérir une position, de se faire
admire.', d'exercer de l'influence et de dominer, en
un mot d'employer les choses de Die u à leur propre
avantage. C'est alors de l'hypocrisie et de la profana-
tion; mieux vaudrait la franche incrédulité.

* * *
Résumons·nous en laissant parler Swédenborg :
« Ce sont là les degrés du prochain et la charité
s'élèvera selon ces degrés. Mais il s'agit de l'ordre
successif, où le degré antérieur ou supérieur est
toujours préféré au degré postérieur ou inférieur.
Or le Seigneur formant le degré suprême et devant
être considéré dans chaque degré comme la fin vers
laquelle nous devons tendre, il doit donc être aimé
lui-même au-dessus de toutes choses et au-dessus de
tous. ~
TROISIÈME LEÇON
Charité bien ordonnée commence par soi-même. La fin (ait
l'homme. En quoi la charité consiste. Son rapport avec la
religion. Spiritualité du culte de la vie. La régénération.
Intercession de Moïse, de Paul et du Christ. La foi séparée
de la charité. L 'homme peut acquérir la foi. Comment? La
vérité est l'es sence de la foi. Le point central de la révéla-
tiOD. Une exagération de la Formule de Concol'de . L'homme
peut acquérir la charité. Mariage de l'amour du prochain et
de la foi. Carac tère éthique du système de S'Wédenborg.
Les Usages ou l'utilité sociale. La charité dans l'Eglise pri-
mit ive. Classes spirituelles: aveugles, sourds, boiteux, affa-
més, altérés, malades, veuves, orphelins, voyageurs, pri-
sonnicrs, etc . Quatre principcs de conduite. Etre avant de
faire. Résultat de cet Art de v ivre.

"Charité bien ordonnée commence par soi-


même, » dit le bon sens qu'on appelle la sagesse
des nations. Ce proverbe est sage, en eITet, mais à la
condition d'ê tre exactement entendu, car on l'em-
ploie souvent de manière à justifier le plus complet
égoïsme.
Sans doute il est permis à chacun de penser pre-
mièrement à soi pour se procurer le nécessaire, sa-
voi r la nourriture, le vêtement, l' habitation, qui de
- 232-
nos jours et dans nos climats est devenu un gros
item, et plusieurs autres choses non moins indis-
pensables. Quand j e dis que cela nous est permis,
ce n'est pas assez: il y a là un véritable devoir. Et
l'homme ne doit pas pourvoir à toutes ces choses
uniquement pour lui-même, mais encore pour les
siens, pour ceux qui dépendent de lui. Il le doit
pour l'époque présente, il le doit aussi pour l'ave-
nir. S'il ne le fait pas, il se rend incapable d'exercer
la charité, et, loin de rendre aux ault·es les services
qu'ils en attendent, il tombe à la charge de sa com-
mune, des personnes bienfaisantes ou des institu-
tions philanthropiques. Il en est de même des vieil-
lards, des infit·mes et des petits enfants qui lui
é ta ient confiés, et qu'il laisse par sa faute dans le
besoin.
La socié té contemporaine craint avec raison les
insouciants et les paresseux, qui négligent cette
obligation fondamentale de gagner leur vie et celle
de leur famille; elle honore ceux qui s'y soumet-
tent, qui, par leur travail acharné, entretiennent et
é lèvent plusieurs enfants et les mettent en état de
monter plus haut qu'eux su r l'échelle sociale. Ce
sont surtout les indigents qu'il faut encourager à se
tirer d'affaire et à sortir du paupéri sme, cette espèce
de prison de l'âme, cette anomalie qui est une honte
et un d a nger de notre civilisation. 11 y a donc un
séns dans leq u e l nous approuvons la maxime :
« Charité bien ordonnée commence par soi-même. »
Mais on donne à cette maxime une extension exa-
gérée, lorsque, non content de commencer par soi,
- 233-
on continue par soi et on finit par soi, bref lors-
qu'on ne sort pas de son égoïsme. Ce que nous fai-
sons pour nous-mêmes et pour les nôtres ne peut
être appré.c ié sainement que d'après le but que nous
poursuivons. C'est ce que Swédenborg explique avec
une parfai te clarté.
([ La fin, dit-il, fait connaitre comment chacun
sera pour soi le prochain et s'occupera de soi en
premier lieu. Si la fin est d'être plus riche que les
autres simplement pour les richesses, pour la vo-
lupté, pour la prééminence et autres choses sembla-
bles, elle est mauvaise; celu i donc qui, avec une
telle fin en vue, croit être pour soi le prochain se
nuit pour l'éte rnité. Mais si on a pour fin d'acqué,·ir
des r ichesses en vue des nécessités de la vie pour
soi et pour les siens, dans le désir d'être capable de
faire le bien suivant les préceptes de la charité, on
veille alors à ses inté rêts éternels. La fin e ll e-même
fait l'homme et se confond avec son amour, car cha-
cun a pour fin ce qu'il aime . ~
Ainsi, en nous occupant de notre corps, nous de- 1
vons n ous proposer d'avoir un mental sain dans un
corps sain, mens sana in corpo"'e sano; en nous occu-
pant de notre mental, nous devons le développer en
sagesse et en intelligence pour qu'il serve mieux le
Seigneur et l' humanité. Autrement, - je veux dire
en recherchant uniquement les p laisirs temporels
du corps et de l'esprit, - nous ne travaillons pas
pour la vie à ve nir. « D'après cela, dit no tre a uteur, \
on voit comment chacun doit être pour soi le pro-
chain. Il doit l'être non au premier rang, mais au
- 234-
dernier; car la fin doit être non pour lui, mais pOUL'
les autres. Or où est la fin, là est le premier rang. »
Une comparaison vient corroborer ce point de
vue. Quand on constL'uit une maison, on commence
par en poser les fondements; mais les fondements
sont là pOUl' que la maison s'élève sur eux, et la
maison est là pour servir d'habitation, De même, en
pensant à soi, chacun doit se préoccuper d 'être utile
au prochain, par conséquent à la patrie, à l'Eglise,
et par-dessus tout au Seigneur. Si l'u n de nous se
figure qu'il est pour soi le prochain au premiel'
rang, il ressemble à celu i qui r egarderait comme
but le fondement, non le bâtiment et l'habitation,
tandis que l'habitation est la fin première et der-
nière, et que l'édifice avec son fondement n'est
qu'un moyen pour réaliser cette fin,
Ce que nous avons dit de la richesse s'applique
également aux honneurs, On ne doit les recherchel'
ou les accepter que pour en faire bénéficie r autrui.
Celui qui aime le pouvoir et les dig nités en vue de
lui-même pourvoit mal à ses intérêts; mais celui
qui les aime pour en faire p rofiter les autres y
pourvoit bien . En effet, en se prenant soi-même
pour but on se tourne vers l'Enfer, et en prenant
pour but le prochain on se tourne vers le Ciel.

* * *
Nous avons dit qui est le pl'ochain; examinons à
présent ce qu'est l'amour du prochain ou la charité,
On croit généralement qu'e lle consiste à secourir
les pauvres et à faire du bien à tous autant qu'on le
- 235-
peut; mais la charité réelle consiste à agir avec pru-
dence, pour qu'il n'en résulte que du bien. Si nous \
donnons à quelque indigent ivrogne et vicieux,
nous faisons tort au prochain, car nous confirmons
cet indigent dans ses vices et nous lui fournissons
les moyens de faire du mal; il en est autrement
quand nous venons en a ide à d 'honnêtes travail-
leurs accidentellement dans le besoin.
Mais la charité s'étend beaucoup plus loin que les
pauvres et les indi gents. Etre charitable, c'est agir
avec droiture dans tout ce qu'on fait et accomplir
son devoir dans toute fonction. S i le juge fait justice 1
par conscience, s'il punit le coupable et absout l'in-
nocent sans se laisser influencer par des considéra- 1
tions étrangères à la justice, il exerce la charité. Si
le prêtre ou le pasteur enseigne le vrai et conduit t
au bien avec un sentiment désintéressé, il exerce la
charité. Ainsi de l'ingénieur, du négociant, de l'em-
ployé, de l'artisan, des hommes de toute profession
et de tout métier. S'ils s'acquittent de leur ouvrage
dans le but d'être fidèles à leurs devoirs envers Dieu
et envers leurs frères, ils exercent la charité; mais
s'ils le font uniquemen t pour eux-mêmes et pour le (
monde, ils ne sont pas charitables, car ils n'aiment
pas le prochain.
Il en est de même en dehors des professions et
des fonctions, dans la vie domestique et civile, par
exemple pour les relations mutuelles des parents
avec les enfants, des maltres avec les serviteurs, des
patrons avec les ouvriers, du gouvernement à l'égard
des administrés. « Celui d'entre eux qui remplit le
- 236-
devoir d'après le devoir et exécute le juste d'après le
juste exerce la charité. li C'est dans ce sens large
qu'il nous faut entendre l'amour à l'égard du pro-
chain. ' C'est là aussi ce que Jean-Baptiste réclamait
des Juifs que sa parole austère avait réveillés, Aux
péagers qui venaient pour être baptisés et qui lui .
. demandaient: « Maitre, que ferons-nous?» il répon-
dait : 0: N'exigez rien au delà de ce qui vous est or-
donné, » Aux gens de guerre il disait: 0: N'usez de
violence ni de fraude envers personne, mais conten-
tez-vous de votre paie. » Il leur rappelait donc les
devoirs tout ordinaires de leur vocation respective.
C'est par cette simple moralité qu'ils devaient se
préparer à reconnaitre le Messie et à croire en lui.
Cette explication est fort encourageante. En effet,
la majorité des humains ne peuvent pas donner
beaucoup d'argent à de plus pauvres qu'eux; d'ail-
leurs l'aumOne est de nos jou,'s décriée par le socia-
lisme, qui veut plus et mieux pour les prolétaires.
La plupart ne peuvent pas non plus consacrer beau-
coup de temps à des œuvres d'Eglise ou de philan-
thropie . Enfin nous avons rarement l'occasion de
nous montrer héroïques. Heureusement Dieu ne
nous impose pas ce que nous sommes incapables
1 d'accomplir. Ce qu'il demande à chacun, au plus
ignorant comme au plus lettré, à la simple fille de
cuisine comme au pape et à l'empereur, c'est de
s'acquitter exactement de ses devoirs, et cela par
amour pour la vérité, pour la justice, pour le bien.
Cela, nous pouvons tous le faire, dans les circons-
tances les plus va,'iées, mais c'est au fond plus diffi-
- 237-
cile que d'accomplir quelques actes isolés qui nous
feraient passer pour généreux. Nous le pouvons,
mais à une condition que je dois maintenant re-
lever.
. .. .
Pour être sincère, la charité doit se fonder sur la
religion. La piété est indispensable, mais elle ne -
conduit à rien quand elle n'est pas unie à la charité
ou aux usages, c'est-à-dire au service de l'humanité.
Nous sommes appelés non seulement à penser et
parler pieusement, à fréquenter les temples ou les
chapelles, à suivre les lois de notre Eglise et à nous '
a donner à la prière, mais encore à faire le bien, à \
rendre notre culte au Seigneur par toute notre con-
duite. Aussi de nombreux passages de l'Ecriture
an noncent-ils que chacun sera jugé se lon ses œu-
v res; ainsi les déclarations suivantes de Jésus :
« Quiconque .en tend mes paroles et les met en pra-
tique, je le comparerai à un homme prudent qui a
bâti sa maison sur le roc. Mais quiconque entend
mes paroles e t ne les met point en p ra tique sera
compar é à un homme insensé qui a bâti sa maison
sur le sable. » - « Ceux qui auront fait de bonnes
œ uvres sortiront pour une résurrection de vie,
mais ceux qui en auront fait de mauvaises pour une
résurrection de jugement. » Dans ces textes il s'agit
uniquement du c ulte de la vie, mais il implique la
p iété dont il est la manifestation.

. * ..
-238 -
Ce culte de la vie est quelque chose de spirituel.
L'homme naturel en est incapable; aussi doit-il pas-
ser par la régénération, que le Seigneur lui-même a
proclamée indispensable à tous en disant à Nico-
dème : « Si un homme ne nalt d'eau et d 'Esprit, il
ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Il faut que
vous naissiez de nouveau. » Le docteur d 'Israël, ac-
coutumé à un culte externe, était stupéfait d'en-
tendre cette vérité, qui nous est devenue familière,
mais que nous avons grand'peine à admettre chacun
pour son propre compte.
Swédenborg nous donne sur la régénération , ou
la nouvelle naissance, des idée s exactes et pro-
fondes, à mon sens plus exactes et plus profondes
qu'aucun autre théologien protestant.
Pour êt re régénéré, il faut d 'abord confesser ses
péchés, c'est-à-dire reconnaltre ses chutes, ses dé-
fauts, s'en déclare r coupable et se condamner de-
vant Dieu; peu importe que cela se fasse aussi
devant les hommes ou non. Mais il ne s'agit pas
d'.une confession générale, comme celle qui nous
vient des réformateurs et qu'on lit chaque di-
manche dans les Eglises; car cette confession géné-
rale peut être mentalement répétée sans que chacun
de nous se rende compte des maux qui sont en lui,
et sans qu'il les ait pris en aversion. Ce que nous
avons à faire, c'est une confession personnelle, sen-
He, sérieuse, provenant du cœur, non des lèvres
seulement, et ayant pour résultat la réforme de la
vie.
Lorsque, après une confession publique, on se
- 239-
livre aux mêmes péchés, grands ou petits, que pré- \
cédemment, cela prouve qu'elle n'a pas été réelle, 1
qu'elle ne compte pas aux yeux du Seigneur. La
vraie confession est celle de la repentance, qui con-
siste à rompre avec les péchés connus, reprochés ,
par la conscience. Or, comme nous l'avons vu dans
une de nos dernières leçons, se détourner du mal
et de l'Enfer, c'est se tourner vers le bien ou vers le
Ciel. Le repentir et la conversion sont donc un seul
et même acte, qui a besoin non d'être répété,. mais
d'être continué par une obéissance toujours plml
entière aux préceptes de la loi divine. Si au con- f
traire le pécheur qui s'est repenti et qui a été pal'-
donné retourne à sa vie mauvaise, il profane les
choses sain tes et il: son dernier état est pire que le
premier ».
Pal' la régénération ainsi comprise, c'est-à-dire
par une réformation de l'extérieur et de l'intérieur
de la vie, l'homme est élevé au-dessus de ce qu'il
était naturellement sous l'influence de l'hérédité, et 1
il devient« spirituel D. Ses sentiments sont trans-
formés: au lieu d'aimer par-dessus tout lui-même
et le monde, il aime désormais le Seigneur et le
prochain; il peut par conséquent observer les com-
mandements. Il a le Ciel en lui, il est déjà en com-
munion avec les anges qu'il rejoindra après la mort
de son organisme terrestre, et il commence à perce-
voir la béatitude éternelle.

*
- 240 -
En résumé, la charité n'existe pas chez l'homme
oc naturel », que nous appelons souvent le vieil
homme, car elle est opposée à l'égoïsme que nous
apportons tous dans ce monde. Elle n'existe que
chez l'homme « spirituel », chez le« régénéré b. Elle
vient donc de Dieu et n'a rien de méritoire. Tant
que nous pensons avoir du mérite à triompher de
nos défauts et à faire le bien, nous montrons que
nous n'avons pas bien compris l'Evangile. Sans
doute les simples et les commençants peuvent son-
ger à la punition et à la récompense, en un mot à la
rémunération, qui nous est annoncée par le sens
littéral des saintes Ecritures; mais à mesure qu'ils
avancent dans la piété ils deviennent plus désinté-
ressés, se préoccupant davantage du bonheur des
autres et de la cause du Seigneur. L 'apogée de la
charité, c'est de s'oublier tout à fait soi-même, de se
sacrifier dans l'intérêt d'autrui.
,.
* *
C'est ce qu' ont désiré faire deux hommes de Dieu,
le fopdateur de l'ancienne alliance et le grand
apôtre de la nouvelle. Les Israélites célèbrent une
fête en l ' honneur du veau d'or qu'ils ont commandé
à Aaron à l'instar des idoles d'Egypte. L'Eternel dit
alors à Moïse: « Laisse- moi faire maintenant. Que
ma colére s'embrase contre eux et que je les con-
sume; mais je ferai de toi une grande nation. »
Moïse proteste et ob tien t que le peuple ne soit pas
détruit. Le lendemain il revient à la charge, et inter-
cède enco,'e pour les fils d'Israël en disant à Jé-
- 241-
hova : «Maintenant pardonne leur péché; sinon
efface-moi de ton li v.'e 1 » Ce serait trop, car Dieu
ne peut pas faire mourir l'innocent à la place des
coupables. Cependant Moïse obtient que l'ange de
l'Eternel marchera devant lui et conduira le peuple
au cou raide jusqu'à la Terre promise.
Saint Paul de même souffre profondément de l'in-
crédulité de ses compatriotes, qui refusent de croire
au Sauveur. « Car, dit· il dans l'Epitre aux Romains,
je souhaiterais d'être moi-même anathème, séparé
de Christ, pour mes frères, mes parents selon la
chair, qui sont Israélites, à qui appartiennent
l'adoption, la gloire, les alliances, la loi, le culte,
les promesses; qui descendent des patriarches et
desquels, selon la chair, est sorti le Christ, qui est
au-dessus de tous, Dieu béni éternellement. Amen. "
L'anathème que l'apôtre appelle sur sa propre tête
pour en délivrer ses concitoyens, c'est Iïnterdit de
la loi mosaïque, la complète destruction, par consé-
quent ici la mort séconde . Paul voudrait recevoit'
pour sa nation révoltée, endurcie, déicide, le su-
prême châtiment; mais ce n'est pas possible. Dans
ce cas encore, comme lors de l'intercession de
Moïse, « l'âme qui pèchera s!lra celle qui mourra. »
Cependant ce que Moïse et Paul alll'aient voulu
faire, Jésus l'a fait en réalité. Il a librement accepté
la mort que seul il n'avait pas mé.·ilée : non seule-
ment la mort du cm'ps, sous sa forme la plus igno-
minieuse et la plus cruelle, mais aussi la mort de
l'âme, qui est cent fois pire. En effet, quand, dans
les affres de l'agonie, il s'est écrié sur la croix
S\VÉOENBORG 11 lB
- 242-
" Mon Dieu 1 mon Dieu 1 pourquoi m'as-tu aban-
donné? » la face de son Père céleste, de ce pére qui
avait été en lui et avec lequel il s'était senti parfai-
tement un, lui était momentanément voilée. De pro-
fondes ténèbres avaient envahi son âme. Il était as-
sailli par la dernière et la plus terrible des tenta-
tions. JI le fallait pour qu'il pût véritablement
" mettre son âme en oblation » pour les pécheurs.
S'il se fût rendu compte alors de l'amour et du bon
plaisir de son Père, s'il eût vu sa résurrection et sa
glorification prochaines, son triomphe certain, son
empire universel et sans terme, le sacrifice qu'il de-
vait et voulait faire de lui-même n'eût pas été com-
plet, absolu. Il fallait qu'il se résignât par amour à
l'extinction de sa personnalité, à la mort totale et
définitive .
Par bonheur il n'était pas possible que cette
renonciation fût acceptée. Christ devait s'immoler
tout entier, âme et corps, comme un agneau sans
tache, comme une victime d'agréable odeur. Mais
Dieu ne pouvait pas souffrir que" son saint sentit
la corruption]) et que le plus noble héroïsme fût
une duperie; il devait ressusciter son Fils bien-
aimé et le faire asseoir à la droite de sa majesté. Le
parfait et unique sacrifice a été réel dans le cœur
du crucifié, mais la justice divine n'a pas pu le
ratifier non plus quant à la clause de la seconde
mort.
Remarquons, en passant, que ni Moïse, ni saint
Paul, ni Jésus-Christ n'ont pu se vouer aux peines
éternelles, aux tourments d'un Enfer enflammé de
- 21,3 -
haine contre le Ciel et contre Dieu; qu'ils ont pu,
au contraire, appeler sur eux la destruction, s'il
était possible et nécessaire que leur sacrifice fût
poussé jusque-là.
En tous cas, nous voyons dans la victime du Cal-
vaire la plus pure et la plus ardente charité, la cha-
rité parvenue à son point culminant et déployant
ses plus puissants effets. C'est par cette charité,
ainsi démontrée aux yeux de tous , que le Christ a
gagné nos cœurs et sauvé l'humanité.

* * ,.
Swédenborg se plaint fréquemment qu'on ait sé-
paré la foi et la charité, et il montre qu'en le faisant
on a dénaturé le christianisme. Voici comment il
s'exprime à ce sujet dans La Vraie Religion ch,·é-
tienne, le grand ouvrage qu'il a publié peu de mois
avant son décès:
« L'Eglise d'aujourd'hui a séparé la foi d'avec la
charité en disant que la foi seule, sans les œuvres
de la loi, justifie et sauve, et qu'ainsi la charité ne
peut pas être conjointe à la foi, puisque la foi pro-
vient de Dieu, et que la charité, en tant qu'elle se
réalise dans les œuvres, provient de l 'homme. Ja- 1
mais cela n'est venu à l'esprit d'aucun apôtre,
comme le montrent clairement leurs Epltres ; mais 1
cette séparation a été introduite dans l'Eglise qUand}
on a divisé le Dieu un en trois personnes, attribuant
à chacune une égale divinité. D
Pour rectifier cette idée traditionnelle, notre au-
teur s'attache à prouver qu'il n'y a pas plus de cha-
- 241.-
ri té sans foi que de foi sans charité, et que la vie de
J'une et de J'autre provient uniquement du Sei-
\ gneur. Nous allons suivre son raisonnement.

* * *
L'homme peut acquérir la foi. Elle n 'est pas
donnée aux uns et refusée aux autres, conformé·
ment à l'ancienn e doctrine de la prédestination ou
de l'éjection, mais tous les hommes peuvent y par-
venir. Pour qu'elle soit formée en nous, il y a trois
choses à faire : 1 0 nous adresser au Seigneur;
2 0 nous instruire des vérités de la Parole de Dieu;
3 0 vivre conformément à ces vérités, pour autant
que nous les avons comprises.
Mais, remarquez-Je, la foi, - j'entends la foi qui
justifie, la foi au sens évangélique et complet de ce
mot, - n'existe que lorsq ue ces trois cOlJditions
sont remplies . « Partout où ces trois choses ont é té
séparées, la foi est comme un e sem e nce s térile qui,
déposée dans le sol, se réduit e n poussière; mais
partout où ces trois choses ont ét é réunies, la foi est
comme une semence qui, mise en terre, produit un
arbre portant du fruit. Lors que ces trois choses ont
été séparées, la foi est comme un œ uf qui n'a pas été
fécondé ; mais lorsque ces trois choses ont été réu-
nies, la foi est co mme un œuf fécondé qui produit
un bel oiseau ... L a foi sans les vérités est comme
un cep qui porte des raisins sauvages; mais la foi
d 'ap r ès les vérités est comme un ce p qui produit d es
grappes de raisin d'un vin génére ux . La foi au Sei-
gneur sans Jes vérités peut être compar ée à une
- 245-
nouvelle étoile qui apparaît dans l'étendue du ciel et
qui avec le temps s'obscurcit; mais la foi au Sei-
gneur avec les vérités est semblable à une étoile fixe
qui demeure à perpétuité. La vérité est l'essence de
la foi; c'est pourquoi telle est la vérité, telle est la
foi. Sans la vérité la foi est vague, mais avec les vé-
rités elle est fixe; aussi la foi des vérités brille-t-elle
comme une étoile au firmament. })
Nous avons donc à étudier l'Ecriture Sainte pour
nous initiel' aux vérités de l'ordre spirituel qui nous
y sont révélées, et avant tout à la vérité fondamen-
tale de l'Evangile, savoir à l'incarnation de Dieu en
Jésus-Christ. De nombreux passages prouvent que
la foi réclamée de nous est possible. Le Père veut
qu'on croie à son Fi ls unique, l'image empreinte de
sa personne. « Celui qui croit au Fils a la vie éter-
nella, et celui qui ne croit point ne verra pas la vie .
Jésus enverra le Paraclet, qui accusera le monde de
péché parce qu'on n'a pas cru en lui. »Si le premier
devoir est de croire au Seigneur, il faut que tous
puissent y arriver. « Tous les apôtres, dit Swéden-
borg, ont prêché la foi, et c'était touj ours la foi au 1
Seigneur Dieu Sauveur Jésus-Christ. A quoi bon
toutes ces recommandations, si l'homme restait les
bras pendants comme une image taillée avec arti-
culations mobiles, attendant l'influx, et qu'alors les
articulations, sans pouvoir s'appliquer à recevoir
l'influx, fussent intérieurement excitées à quelque
cbose n'appartenant pas à la foi [c'est-à -dire aux
œuvres de la charité] ? »
Swédenborg s'oppose ici à un artic le de la For-
- 246 -
mule de ConcQ1'de, livre symbolique des protestants.
D'après cet article l'homme,« entièrement corrompu
et mort quant au bien» depuis la chute, n'a « pas
même une étincelle de forces spirituelles par les-
quelles il puisse par lui-même être préparé à la
grâce de Dieu, ou la saisü' quand elle lui est of-
ferte, » en un mot« faire quelque c hose pour sa
conversion. » Ainsi, « dans les choses spirituelles,
qui regardent le salut de l 'âme, il est comme la sta-
tue de sel de la femme de Lot, ou pareil à une
souche et à une pierre privées de vie, qui n'ont
l'usage ni des yeux, ni de la bouche, ni d'aucun
sens ». Convaincu comme il l'est de la réalité et de
l'extrême importance de notre liberté morale, le
dogmaticien scandinave r epousse comme « abs urde
et ridicule» ce point de vue, qui a trop longtemps
prévalu dans les différentes Eglises issues de la Ré-

. . .
formation.

L'homme peut également acquérir la chal' ité. Cela


ressort du fait qu'elle est si souvent commandée, et
qu'elle accomplit le second précepte du sommaire
de toute la loi. « Cette puissance, dit Swédenborg,
ne manque à aucun homme. Si elle ne manque pas,
c'est que le Seigneur la donne à chacun, et il la
donne comme une sorte de propriété. Car qui, en
faisant la charité, ne croit la faire de lui-même? »
Mais, - est-il nécessaire de le répéter? - nous
avons besoin d'un travail personnel d'abord pour
recevoir la foi , - qui est la condition préalable de
- 2l.? -
la charité, - ensuite pour que cette foi soit aussi
pure, aussi spirituelle que possible.
Comme nous l'avons dit tout à l'heure, « la vérité
est l'essence de la foi. D Il nous importe donc avant
tout de découvrir dans nos livres saints cette vérité
qui n'était pas montée au cœur de l'homme, cette
vérité révélée, de la reconnaitre et de nous l'appro-
prier. Cela n'est pas si simple qu'on l'imagine. Les
doctrines de l'Evangile primitif ne sont pas celles de
l'Eglise actuelle, ou plutôt des nombreuses Eglises à
tous égards si différentes qui se partagent la chré-
tienté. Ces doctrines, matérialisées, perverties par
un mélange d'éléments païens et juifs, nous avons
pour tâche de les retrouver, de les reconstruire, de
les dégager de tout alliage. Aucun de nous ne le
pourrait sans doute, mais Swédenborg nous a frayé
le chemin; « illustré» par le Seigneur, il a pénétré
le sens interne et caché des Ecritures, et il nous
l'expose dans ses écrits. Prenons la peine de con-
naître sinon tous les livres religieux qu'il a laissés,
- car plusieurs sont trop volumineux et trop pro-
fonds pour la plupart des chrétiens de nos jours, -
du moins ses Qttatre Doct,-ines, qui nous donneront
les traits essentiels de sa théologie.
Ne nous figurons pas que nous puissions exercer
la charité, avoir une vie aussi chrétienne et aussi
utile que nous le désirons, sans la foi éclairée que
Swédenborg réclame, sans ce qu'il nomme la « foi
des vérités D . Tout ce qui manque encore à notre foi
en fait de justesse et de précision, tout ce qui s'y
- 248-
mêle d 'incrédulité, de propre justice, d'erreUl's tra-
ditionnelles ou contempo raines, tout cela compro-
met notre cha rité, dont le foyer est rendu moins ar-
dent et dont les manifestations prennent une forme
plus matérielle, mo i ns é levée et moins réellement
p rofitabl e à l'hum an ité.
Oui, des idées justes sur Dieu, sur le Chl'ist, sur
la nature humaine, sur le bien et le mal, sur l'exis-
ten ce d'outre-tombe, en un mot sur toutes les pal'-
t ies de la r évélation, sont nécessaires pour que notre
charité soit tout ce qu'elle devrait être. Toute con-
ception fausse en matière de religion a pour consé-
quence une déviation de la conduite et des bonnes
œ uvres; aussi les chrétIens des diverses dénomina-
tions mènent- ils une vie assez différente, en rapport
avec le ur crédo respectif. II en doit être ainsi, cal'
c 'est toujours l'intelligence qui donne une forme dé-
terminée aux sentiments du cœur. La foi et la cha-
rité sont deux sœurs qui ne vont jamais l'une sans
l'au t re, et qui s'influencent mutuellement de la ma-
nière la plus évid ente . La foi ne vit qu'à la condition
de se démontrer par des œuvres charitables; la cha-
rité, à son tour, n'est véritable et chrétienne qu'à la
condition de s'appuyer sur une foi personnelle, épu-
r ée e t chaleureuse.

* * *
L'homme, ajoute notre écrivain, peut acquérir
également la vie de la c h arité et de la foi, qui est la
vie même promise par l'Evan g ile . Cette vie, spi ri-
- 21.9-
t u elle et dès lors éternelle, réside en Jésus-Chrits, la
Parole faite chair, le Dieu triun ; il la destine à tous
sans exception, et il la donne à ceux qui la désirent
sincèrement et qui la lui demandent.
Cependant il n'y a rien dans cette vie supérieure
qui provienne de l'homme; tout ce qui la constitue
provient du Seignllur seul. C'est ce que déclarent un
grand nombre de textes. Voici comment cela doit
s'entendre. L'homme peut acquérir une foi natu-
relle et une chari té naturelle, dans lesquelles il y a
un fond d 'égoïsme et pas encore la vie d'en haut;
néanmoins par l'une et par l'autre il se prépare à
devenir un réceptacle du Seigneur. Quand l'homme
s'est ainsi préparé, le Seigneur « entre chez lui lI,
c'est-à-dire dans son âme, pour rendre spirituelles et
vivantes toutes les choses qui y sont.

* * •
Swédentiorg s'étend longuement, dans des pages
très remarquables et très convaincantes, sur le fait
que la foi seule n 'est pas la foi, et que la charité
seule n'est pas la charité . Mais je dois me borner. Ce
que nous avons vu suffit à prouver que les bonnes
œuvres ne découlent que de l'union de la char ité et
de la foi.
Je vous ai parlé de l'amour conjugal, qui remonte
au mariage céleste entre le bien et le vrai . C'est
pourquoi, dans l'Ecriture, le Seigneur est nommé
fiancé et mari, tandis que l'Eglise et le Ciel sont
nommés fiancée et épouse; c'est pourquoi aussi le
- 250-
Ciel est comparé à un mariage. Eh bien, la réunion
-de la charité et de la foi est semblable au mariage
huma in. Ecoutez encore notre auteur:
« Du mari comme père et de l'épouse comme mère
naissent toutes les lignées nature lles; pareillement
de l'amour des hommes comme père et de la foi
comme mère naissent toutes les lignées spirituelles,
qui sont les connaissances du bien et du vrai. .. Dans
la Parole aussi, entendue spirituellement, le mari et
le père signifient le bien de la charité, l'épouse et la
, mère sign ifient le vrai de la foi. Il en ressort avec
évidence que la charité seule ni la foi seule ne peu-
vent produire de bonnes œuvres, pas plus qu'un
mari seul ni une épouse seule ne peuvent avoir
d'enfants.
» Les vérités de la foi non seulement éclairent la
charité, mais encore la q ualifient et la nourrissent.
Celui donc qu i croit avoir de la charité, et qui n'a
pas reçu les vérités de la foi, est pareil à l'homme
qui se promènerait dans un jardin pendant la nuit
et qui cue illerait des fruits SUI· les a r bres sans savoi,·
si ces fruits sont bons ou nuisibles. Puisque les vé-
rités de la foi non seulement éclairent la charité,
mais la quali fient, il s'ensuit que la charité dépour-
vue des vérités évangéliques est comme un fruit sans
suc, comme une figue desséchée ou comme un rai-
sin dont le vin a été exprimé. Et puisque, en outre,
les vérilés de la foi nourrissent la charité, il en ré-
sulte que, si la charité en est privée, elle n'a pas
d'autre aliment que n'en aurait un homme condamné
- 251-
à manger du pain brûlé et à boire l'eau corrompue
d'un marais. »
Vous le voyez, mesdames et messieurs, SWéden- /
borg ne craint pas les répétitions, et nous ne nous
en plaindrons point, car ses enseignements sont ren-
dus un peu difficiles tant par leur profondeur que
par leur nouveauté. D'autre part, il illustre tout ce
qu'il avance par un nombre ext"aordinaire de com-
paraisons puisées dans les différents règnes de la
nature, et pour lesquelles sa vaste science lui sert
au moins autant que sa puissante imagination. Il ne
fait du reste qu'indiquer ces comparaisons dans les
termes les plus sobres, au lieu de les développer
avec complaisance comme le ferait un Victor Hugo.
Dans la phase religieuse de sa carrière, il ne se pré- i
occupe plus du tout de la grâce et des ornements du
style; son unique souci consiste à exprimer de la fa-
çon la plus rigoureusement exacte le message divin
dont il est le porteUJ·.

* * *
Quand on connalt vaguement le Voyant suédois,
on s'imagine que ses écrits sont pleins de descrip-
tions fantastiques du monde suprasensible et de spé-
culations abstraites, mais on ne songe pas à leur de-
mander des lumières et des forces pour la lutte
contre le péché et la sanctification de la vie. Il y a
là une grave erreur, et ce que nous avons vu jus-
qu'ici, en particulier dans ces trois leçons sur l'Art
de vivre, a suffi, je l'espère, à vous en convaincre.
- 252-
Chez SWédenborg, la théorie aboutit toujours à la
pratique; les doctrines qu' il enseigne ont en vue le
salut de l'homme, c'est-à -dire notre triomphe SUl' le
mal, notre nouvelle naissance, notl'e union avec
Dieu. Tout, dans sa théologie, est essen tiellement
éthique, applicable à la conduite de tous les jours,
ce qui certes n'est pas le cas pour les autres systèmes
ch rétiens, soit catholiques, soit protestants,
Il est vrai qu' il ne s'arrête pas aux actions exté-
rieures, interdisant celles-c i et prescrivant celles-là;
il pénètre au fond de notre âme, il en juge les mou-
vements secrets et veut y introduire les principes
supérieurs qui seuls rendent nos actions vraiment
bonnes. Il exige que nos affections naturelles, qui
·sont égoïstes et mondaines, soient remplacées par
des affections spirituelles; que l'amour pour le Sei-
gneur et l'amour pour nos frères deviennent nos
passions dominantes, l'inspiration et le mobile de
tout ce que nous pensons, disons et faisons. Nous
vivons alors à la gloire de Dieu, et pal' là même
nous pourvoyons à nos véritables intérêts, nous sui-
vons le sentier qui mène directement à notre desti-
nation sublime.
Mais cette vie d'obéissance et de fidélité, cette vie
spirituelle implique nécessairement le service du
prochain, ce que'Swédenborg appelle les « usages. »
Le régénéré, ou plutôt l'homme qui se régénère, -
i car la régénération n'est jamais terminée ici-bas, -
\ doit mettre constamment le bien d'autrui au-dessus
de son bien personnel, s'ingénier à se rendre aussi
\ utile qu'il le pe u t dans les circonstances où la Pro-
- 253-
vidence l'a placé. Est-ce vraiment cela que nous
avons fait dans les heures décisives de notre carriére,
et ce que nous faisons journellement dans nos rap-
ports avec nos semblables? Est-ce le pur amour qui
nous pousse à l'activité, est-ce la sagesse d'en haut
qui nous dirige? Sent-on, à n'en pas douter, que
nous avons été et que nous sommes avec Jésus-
Christ?
Notre attention doit se pOl'ter de plus en plus sur
les « usages» que le Seigneur attend de nous, ou sur J
notre utilité sociale; ce qui est d'ailleurs dans le .
courant des aspirations modernes. Le mouvement \
socialiste est, à cet égal'd, sous l'inll uence du chris-
tianisme originel; et Swédenborg nous fournit des 1
informations fort intéressantes sur la manière dont, 1
au premier siècle, on comprenait la bienfaisance.
CI. Comme la doctrine de la charité était a lors la

doctrine même de l'Eglise, les anciens, dit-il, distin-


guaient l'amour du prochain en plusieurs classes,
qu'ils subdivisaient encore. Ils donnaient un nom à
chaque classe et ils enseignaient comment la charité
devait être exercée envers ceux qui se trouvaient
dans telle classe ou dans telle autre. De cette façon
ils rédigeaient en ordre la doctrine et les exercices
de la chal'ité, afin de les mettre distinctement à la
portée de l'intelligence humaine.
II Les noms donnés par eux à ceux envers lesquels

on devait exercer la charité étaient en grand nom-


bre : aveugles, boiteux, manchots, pauvres, miséra-
bles et affligés, veuves et Ol'phelins. Mais en général
on les désignait comme des affamés auxquels on de-
-254-
vait donner à boire, des voyageurs qu'on devait re-
cueillir, des gens nus qu'on devait habiller, des ma-
lades qu'on devait visiter, des prisonniers qu 'on de-
vait aller voir. »
Vous me demanderez peut-être ce que ces noms
signifiaient, comprenant déjà qu'on ne pouvait pas
s'arrêter à leur sens littéral et matériel. En effet on
les entendait spirituellement, et la correspondance
nous permet de les expliquer dans le ur portée sym-
bolique, qui est beaucoup plus haute e t plus éten-
due.
Nous appre non s par les Arcanes Célestes quel est le
sens interne de ces diverses expressions. Avoir faim,
c'est aspirer arde mment au bien, par la raison qu e
le pain dans le sens spirituel, c'est le bien de l'amour
et de la charité, et que la nourriture en général est
le bien. Avoi1' soif, c'est désirer de tout son cœur le
vrai, parce que l'eau et le vin représe ntent la vérité.
On pourrait d éjà dire beaucoup de choses sur ces
trois termes : le pain, l'eau et le vin, et sur les mots,
qui s'y réfèrent; car l'Ecriture les emploie en de
nombreux et importants passages qui ne sauraient
être compris littéralement. J'en rappellerai quelqu es-
uns:
" Moïse ne vous a pas donné le pain du Ciel. Je
suis le pain de vie, le pain vivant qui est descendu
du Ciel. Le pain que je donnerai, c'est ma chair.
Se igneur, donne-nous toujours de ce pain- là . Le
Tout-Puissant a rempli de biens les affamés. Heureux
vous qui avez fa im maintenant, parce que vous serez
rassasiés 1 Mal heur à vous qu i êtes rassasiés mainte-
- 255-
nant, parce que vous aurez faim 1 Ils m'ont aban-
donné, moi la source d'eau vive, pour se creuser des
citernes, oui, des citernes crevassées qui ne retien-
nent pas l'eau. Je ferai jaillir des fleuves sur les
sommets dénudés et des sources au milieu des val-
lées. Je changerai le désert en étang et la terre aride
en sources d'eau. 0 vous tous qui êtes altérés, venez
à la source des eaux 1 Et vous qui n'avez pas d 'ar-
gent, venez, achetez et mangez 1 Venez, achetez sans
argent, sans rien payer, du vin et du lait! Pourquoi
dépensez-vous de l'argent pour un pain qui ne nour-
rit pas? Pourquoi donnez-vous votre travail pour ce
qui ne rassasie pas? Celui qui boira de l'eau que je
lui donBerai n'aure plus jamais soif; l'eau que je
lui donnera i deviendra en lui une source d 'eau qui
jaillira jusque dans la vie éternelle. Ils n'auront plus
fa im et ils n'auront plus soif. L'Agneau les conduira
aux sources des eaux de la vie. A celui qui a soif je
donnerai g ratuitement de la source de l'eau de la
vie. L'Eternel des armées donnera à tous les peuples,
sur cette montagne, un festin de viandes grasses, un
banquet de vins de choix, de viandes grasses et
moelleuses, de vins choisis et clarifiés. Ayant pris
une coupe (de vin) et rendu grâce, Jésus dit: Pre-
nez ceci et le partagez entre vous. Car je ne boirai
plus du fruit de la vigne jusqu'à ce que le royaume
de Dieu soit venu. Puis il prit du pain, et, après avoir
rendu grâce, il le rompit et le leur donna en disant :
Ceci est mon corps qui est donné pour vous; faites
ceci en mémoire de moi. De même, aprés avoir soupé,
il leur donna la coupe en disant: Cette coupe est la
- 256· -
nouvelle alliance en mon sang, qui est répandu pour
vous. »
Les pauV1'es et les indigents sont ceux qui se sen-
tent dépourvus des biens et des vrais, qui désirent
. les obtenir, et qui par conséquent lutte nt contre les
manx et les faux. Quant à la pauvreté matérielle, elle
ne nous ouvre pas plus le Ciel que la richesse ne
nous le ferme. Dans le monde à venir il n'y aura pas
d'acception de personnes, et le riche au sens littéral
sera sauvé aussi facilement que le pauvre. Notre
théosophe ne craint pas d'ajouter que la plupart des
indigents sont pires que les grands négociants hol-
landais.
Les aveugles sont ceux qui, hors de l'Eglise, igno-
rent la Vél'ité, ou qui dans l'Eglise la connaissent,
mais la repoussent. Les uns sont innocents, les au-
tres sont coupables. En tout cas, la vue du corps
correspondant à la foi et à l'intelligence, la cécité
est le symbole de l'ignorance et de l'incrédulité. En
rendant la vue à plusieurs aveugles, J ésus a mani-
festé son désir et son pouvoir d'ouvrir les yeux de
notre esprit, afin que nous contemplions les mer-
veilles du royaume des Cieux, et que nous puisions
librement dans les trésors de la sagesse et de la
science.
Les sourds, les muets, les manchots, les boiteux,
etc., doivent être pareillement interprétés dans le
sens interne, suivant la correspondance de l'organe
ou du membl'e dont ils sont privés avec les biens et
Jes vrais de l 'ordre spirituel. Par le même procédé
- 257 -
symbolique on arrive à déterminer ce que sont les
malades, les gens n'Us, les o"phelins, les veuv es, les
p r isonn iers ou les capti fs. Mais l'examen, même
sommaire, de ces vocables nous entralnerait beau-
coup trop loin.
L'essentiel est de nous rendre compte qu'outre les
maux physiques, qui excitent la compassion de tous,
i! existe une foule de maux spirituels, plus graves
encore et que pourtant nous risquons de ne pas re-
marquer. Sans négligel' les premiers, nous devons
surtout diriger nos regards sur les seconds. Même
en soulageant les corps, la chari té doit se préoccuper
des â mes, qui ont une valeur infiniment plus grande.
Il faudrait entrer dans la casuistique pour indiquer
à chacun comment, dans sa situation spéciale, il doit
entendre la charité, à quelles œuvres il doit se con-
sacrer, quels services il est appelé à rendre à sa fa-
mille, à la patrie, à l'Eglise et au Roi des rois. Per-
melleL-moi tout au moins, mes chers auditeurs, de
YOuS rappeler en terminant quelques principes, dont
je cherche à m'inspil'er moi- même.
,. ,.
'1° Nous avons en tout premier lieu à nous acquit-
ter fidèlement, au plus près de notre conscience, de
nos devoirs domestiques et professionnels, en évi-
tant les vices et les défauts auxquels nous serions
enclins, ou en nous en corrigeant si nous y sommes
déjà tombés.
2 0 Chacun de nous, sans oublier ses intérêts légi-
SW É D:aNBORG Il 17
- 258-
times, doit donner une aussi forte part que possible-
de son temps et de son argent aux œuvres que sa
raison approuve et qui touchent son cœur.
30 Parmi les bonnes œuvres, si nombreuses au-
jourd'hui, qui se disputent notre concours, choisis-
sons les p lus nécessaires, les plus importantes, celles
aussi dont, vu notre individualité et notre position,
nous pouvons nous occuper avec le plus de fruit. Il
serait peu profitable de nous diviser entre toutes. Il
faut donc nous borner. Mais, avant d'opter, rendons-
nous compte que plus une œuvre est haute, spiri-
tuelle, conforme aux intentions du Seigneur et puis-
sante pour l'établissement de son régne, moins elle
a de champions. Réservons donc nos principaux
efforts pour les entreprises les plus élevées, les plus
spirituelles, celles qui visent le plus directement à
la régénération des individus, et qui par là travail-
lent de la façon la plus efficace au renouve llement
de la société.
4 0 Evitons de nous lancer éperdument dans l'acti-
vité bienfaisante, de nous y perdre, pour ainsi dire,
sans nous accorder le temps indispensable pour le
recueillement, j'étude des grandes questions à la lu-
mière de l'Evangile, la prière intime et le pet·fection·
nement de notre caractère. Notre prosélytisme le
plus ardent ne portera des fruits réels et bénis que
dans la mesure où nous serons nous-mêmes spiri-
tuels, sanctifiés, remplis de l'amour et de la sagesse
du Christ. Etre est plus difficile que faü·e. Etre chré-
tien, l'être profondément, l'être par l'intellect, par le
cœur et par la vie sera toujours la condition sine
- 259 -
quâ non de j'action salutaü'e que le Seigneur nous
appelle à exercer, ou des différents « usages." dont il
Teut nous rendre capables.
Si nous observons ces quatre principes, si nou",
metton s sérieusement en pratique l'Art de vivre que
Swédenborg nous a révélé, notre sort méritera d 'être
envié par les gens du monde et même par les demi-
chrétien s . Car, dès cette vie passagère et troublée,
nous aurons la certi tude et l'avant-goût de la vie
perpétuelle, bienheureuse et indéfiniment progres-
sive qui nous attend au delà du tombeau.
SIXIÈME CO URS
La Divine Triade
ou le Monothéisme et Jésus-Christ.
PREMIÈRE LEÇON
La raison moderne est monothéiste. Trithéisme populaire.
Cantiques aimés. Situation anormale des protestants. Avons-
DOUS un Dieu ou trois dieux?
CHAPITRE PREMIER: Le monothéisme de l'Ancien Testament.
Les deux premiers commandements du Décalogue. Leur
sanction par des châtiments et des bénédictions. Héno-
théisme des Hébreux. Préjugé combattu par Munk. Signi-
fication de Yahvé. Dualisme vaincu. Le monothéisme triom-
phe dans l'exil. La persécution l'affermit et le rend définitif.
Jésus le pU1·ifie . Troi.s grandes religions enseigoant l'unité
de Dieu .
CJlAPITR E SECOND: Histoire et critique du dogme de la Trinité.
Jésus monothéiste, mais le christianisme trinitaire. Le Sym-
bole Qaicunque. Protestation de Michel Servet. Sa concep-
tion christocentrique ou son panchristisme. Analogies avec
Swédenborg. Supériorité sur Calvin. Restauration du
Christianisme.

Développée par les sciences de la nature, la raison


ne peut désormais accepter d'autre religion que le
monothéisme. Tous les al'guments qui militent en 1

faveur d'une Divinité quelconque nous obligent de


croire que cette Divinité est unique. Déjà Moïse et
Jes prophètes n'avaient pour ainsi dire qu'un seul
dogme: l'unité de Dieu. Ce dogme a fait la force de
J'ancienne alliance, sa supériorité sur les autres
cultes con temporains, qui reconnaissaient tous un
-~-
certain nombre de divinités . Le monothéisme israé-
lite a été conservé par Jésus-Christ, qui l'a compris
dans sa pureté et l'a élevé à sa plus haule puissance.
Mais, - avouons- le sincèrement, - le christia-
nisme historique mérite à peine d'être rangé parmi
les religions monothéistes. Quelles qu'aient été ses
transformations à travers les siècles, il a jusqu'à nos
jOUl'S accentué la Trimté autant que l'unité divine.
A'i nsi les catholiques romains représentent le Père
comme un vénérable vieillard orné d'une longue
barbe blanche; le Fils sous divers traits empruntés
à J'Evangile, depuis l'enfant Jésus dans l'étable de
Bethléhem ou dans les bras de la vierge mère jus-
qu'aux scènes d t'amatiques de la passion, de la ré-
surrection et de l'ascension; le Saint-Esprit enfin
sous II). figure d'une paisible colombe. Les réforma-
teUl'S du XVIe siècle n'ont pas rompu avec cette tra-
dition. Aujourd'hui encore les protestants de toute
nuance et de tout pays, à peu d 'exceptions près, pro-
fessent la doctrine de la Trinité; et c'est sous cette
forme trinitait'e que le chl"istianisme est annoncé
par leurs missionnaires aux tribus nègres de l'Afri-
que comme aux populations jaunes de l'Extrême-
Orient,
Il existe sans doute quelques Eglises unitaires,
mais elles sont peu importantes, et surtout elles ré-
pudient un é lément essentiel du témoignage évangé-
lique. Sans doute encore, au sein de la chrétienté
protestante, la critique et la réflexion ont amené les
théologiens et beaucoup de pasteUl's à reviser sur ce
point l"ur dogmatique; mais cette réforme, pour-
- 265-
SUIVIe d'ordinaire avec la prudence du sel' pent, n'Il
pas pénétré chez les simples, qui constituent l'im-
mense majorité des fidèles. Si les timides tentatives
faites dans ce sens sont connues dans les facultés de
théologie, on trouverait intempestif et dangereux
d'en nantir les troupeaux. Il est vrai qu'on n'ose plus
développer du haut de la chaire le dogme de la Tri-
nité dans toute sa rigueur; pourtant on ne renonce
pas, dans le culte public, aux anciennes formules
qui ne cadrent plus avec la pensée moderne. Au
commencement du service et dans la bénédiction
finale, le ministre officiant, quelle que soit sa ten-
dance personnelle, affirme sa foi en une Divinité qui
est en même temps Père, Fils et Saint-Esprit. Comme
il ne s'explique pas sur la valeur de ces termes, il
parait admettre trois dieux; cal' il supplie le pre-
miel' d'envoyer Je troisième pour J'amour du second.
Il s'adresse directement à Dieu le Père pour lui de-
mandel' au nom de Jésus·Christ sa grâce et ses béné-
dictions. On fait ainsi de ce dernier nn médiateul'
perpétuel, un tout-puissant avocat, plus miséricor-
dieux que le Père céleste.
Les paroles suivantes d'un cantique aimé dans
nos Eglises indique bien le caractère respectif qu'ou
attribue aux deux premières personnes de la Tl'Ï-
nité:
Oui, pour nos âme s Jésus prie!
Dans c el instant. ô charité!
Il plaide, Il intet'cide~ il crie
Pour nous qui l'avons contristé .
Du racheté doux privilège.
Je trouve 311 ci eJ un sür garant.
- 266-
Qui, plein (l'amou1', toujours Qsiège
Le tribunal du, Dieu vivant.

Le conti'aste vraiment choquant entre le caractère


du Père et celui du Fils est encore plus accentuè
dans une strophe célèbre, dont l'orthodoxie a été
plus tard atténuée', mais que nous rétablissons telle
qu'elle fut écrite par un des hommes les plus mar-
quants du Réveil, le professeur Merle d'Aubigné:
Ma dette envers mon Dieu m'entratnait vers l' abîme;
L'inexorable loi saitissait sa victime:
Un sang d'un prix immense apaise sa fUJ'eut' .
~10D âme, égaie-toi, Jésus est Lon Sauveur.

La troisième ligne, qui nous révolterait, a été rem-


placée par celle-ci :
Mais le sang de l'Agneau m'arrache à sa rigueur.

Si ce changement n'est pas tout ce que nous pou-


Yon s désirer, il pI'ouve tout au moins qu'il se fait
une évolution dans la manière dont parmi nous on
conçoit la Divinité,
Les pasteurs ne sont pas au clair sur cette plura-
lité d'êtres divins, car il leur arrive de les embrouil-
ler dans leurs oraisons, passant du Père au Fils et
.,ice ve.'sa sans qu'ils s'en rendent compte; confusion
favorIsée par le fait que l'un et l'autre sont nommés
\ couramment « le Seigneur ».

* * *
tVoir P$Qumu et Canliquf3 de l'Eglise libre, Lausanne, 1901.
N·14S .
- 267-
Vous le voyez, mesdames et messieurs, la situation
des protestants est anormale. Ils ne savent que pen-
ser de la Trinité, qui leur parait être enseignée dans
la Bible. Le monothéisme hébreu a -t-il ét é supprimé
par l'Evangile? Ou le trinitarisme peut-il consel'ver
l'unité de Dieu? Au troisième siècle, les Sabelliens'
demandaient déjà: « Mes amis, que dirons-nous en
fin de compte? AWlns-nous un Dieu ou trois dieux?"
P osée clairement il y a seize cents ans au moins,
cette question attend encore sa réponse. Examinons-
la en toute révérence, cal' e ll e touche au fond même
de la religion et ne peut être résolue qu'à la lumière
de l'Esprit du Christ; mais regardons-la bien en face
et discutons-la franchement, sans autre préoccupa-
tion que celle d'aniver à la vérité.
Notre étude se divisera en trois c h apitres:
1. Le monothéisme de l'Ancien Testament.
JI. Histoire et critique du dogme de la Trinité.
III. La théorie de Swédenborg.

CHAPITRE PREMIER
Le Monothéisme de l'Ancien Testament.

Nous avons tout d'abord à relever les passages de


l'Ancien Testament qui attestent l'unité divine; ils
sont nombreux et positifs. Ainsi, lors de la procla-
mation de la loi SUI' le Sinaï, le Créateur des cieux
1 SabeJlius é tait un prêtre de ptolémaïs en Egypte. Son système Cu,
discuté dans de ux synodes. en 261 ct 262.
- 268-
et de la terre se désigne en ces mots : « Je suis
Jéhova, ton Dieu, qu i t'ai retiré du pays d 'Egypte,
de la maison de servitude. » Et il Y rattache le pre-
mier et le plus grand d es commandements: « Tu
n'auras point d'autres dieux devant ma face. ]) Nous
lisons également dans le Deuté ronome: a: Ecoute,
Israël 1 Jéhova, notre Dieu, Jéhova est un. Tu aime-
ras Jéhova, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton
âme et de toute ta force . » Et encore: a: Ces choses
t'ont été montrées afin que tu connaisses que c'est
Jéhova qui est Dieu, et qu'il n'yen a point d'autre
que lui . .. Sache donc en ce jour e t grave dans ton
cœur que c'est Jéhova qui est Dieu en haut dans le
ciel et en b as sur la terre; il n'yen a point d'autre. ,.
Dans le second Livre des Rois, Ezéchias, attaqué
par l'a rmée assyrienne, s'écrie: a: Jéhova, Dieu d'Is-
raël, assis sur les chérubins, c'est toi qui es le seul
Dieu de tous les royaumes de la terr e . .. Main tenant,
Jéhova, notre Dieu, délivre-nous de la main d e Sen-
nachérib, et que tous les royaumes de la t err e sa-
chent que toi seul, Jéhova, tu es Dieu. »
Un psal miste chante: « Toutes les nations que tu
as faites viendr ont se prosterner devant toi, Sei-
gneur, et rendr e gloire à ton nom . Car tu es grand
et tu opères des prodiges; tu es Dieu, toi seul. »
Les prophètes ne sont pas moins explicites. Dans
Osée l'Eternel dit au peuple: « Tu ne connaîtras pas
d'autre Dieu que moi, et il n'y a que moi de Sau-
veur. » Le second Esaïe est particulièrement abon-
dant à ce sujet . « Avant moi aucun Dieu n'a été
formé et il n'yen aura point après moi. Je suis le
- 269-
premier et je suis le dernier; moi excepté, il n 'existe
pas de Dieu. » Dans le chapitre quarante-cinq cette
assertion est répétée neuf fois comme un refrain so-
lennel : « Je suis J éhova e t il n'yen a pas d'autre;
hors moi il n'y a pas de Dieu. Je t'ai ceint quand tu
ne me conn aissais pas [ceci s'adresse à Cyrus], afin
que l'on sache, du soleil le vant au soleil couchant,
qu'il n 'yen a pas d'autre que mo i ; moi , Jéhova, et
nul autre 1 Les Sabéens à la h aute stature viendront
à toi e nch aî n és, se prosterne ron t devant toi [il s 'agit
de nouveau d'Israël] , et te diront e n supp liants: Il
n'y a de Dieu que chez toi; il n'yen a point d'autre,
nul autre abso lume nt. II n'existe pas d'autre Dieu
que m oi; je su is le seul Dieu jus te et sauveur, • etc.
Enfin, d'après Zacharie, « Jéhova devie ndra roi d e
toute la terre ; en ce jou,·-là, Jéhova sera unique et
son nom unique . »

Vo us le voyez, l'Ancien Testament r·ecommande


a vec une extrême insistance le monothéisme strict,
qui était le plus grand privilège et la raison d'être
du peupl e descendant de Jacob. Les deux premiers
commandements du Décalogue l'établissaient avant
tout autre devoir, en interdisan t le polythéisme et
l'idolâ trie, et leur transgression devait attirer sur
les coupables les châtiments les plus rigoureux .
Quoique ces deux commandements fussent dis-
tincts, visant l'un l'adoration de plus d'une Divinité,
l'autre le culte des images, ils étaient toujours violés
du même coup; car les dieux qu'Israël substitua ou
adjoignit à Jéhova étaient représentés par des idoles.
- 270-
Si un prophète ou un songeur, s'appuyant sur un
miracle, engageait sa nation à servir d 'autres dieux,
il devait être mis à mort. Si un homme était incité
secrètement an culte des divinités étrangères par
son frèl'e, son fils ou sa fille, sa femme ou son ami,
il devait repousser avec hOrI'eur cette tentation,
« Ton œil, dit Moïse, sera pour lui sans pitié, Tu ne
manqueras pas de le tuer; ta main sera sur lui la
première pour le faire mourir, et la main de tout le
peuple ensuite; tu l'assommeras de pierres et il
mourra. Tout Israël l'apprendra et craindra. » Enfin,
si des gens pervers avaient séduit les habitants de
leur ville, en disant: « Allez et servez d'autres dieux
que vous ne connaissez pas, » on devait, après sé-
rieuse enquête constatant la réalité de « cette abo-
mination », vouer la ville à l'interdit et en faire pas-
ser tous les habitants avec leur bétail au fil de
l'épée.
Quand, de fait, les Israélites des deux royaumes
eurent successivement l'om pu leur alliance avec Jé-
hova en acceptant le culte des faux dieux qu'on ado-
rait en Canaan, ils virent leur beau pays saccagé
par les puissances païennes, leur capitale incendiée,
leur unique temple démoli, l'élite de leur nation dé-
portée au delà de l'Euphl'ate, leur vie civile et poli-
tique supprimée, leur indépendance perdue. Heu-
reusement ils comprirent a lors le pourquoi de ces
catastrophes et retournèrent d'un cœur contrit au
Dieu qu'ils avaient abandonné. Purifiés par cette
épouvantable épreuve, ils furent rapatriés en Pales-
tine et se montrèrent dès lors attachés au principe
- 271-
fondamental de la religion d'Abraham, d e Moïse et
des nâbi s, l'austère monothéisme qui fait jusqu'à ce
jour leur g loire et leur force.

* * *
Comme la violation de l'alliance doit être punie par
le malheur, la déchéance et l'anéantissement d'Is-
raël, la prospérité, la grandeur et l'existence même
du peuple dépendront de la fidèle observation du
Décalogue. C'est ce qu'affirme solennellement le lé-
gislateur des Hébreux à la fin du discours qu'il leur
adresse, peu avant sa mort, dans les campagnes de
Moab.
« Regarde, j'ai mis devant toi la vie et le bien, la
mort et le mal. Car j e te commande aujourd'hui d'ai-
mer Jéhova, ton Dieu, de marcher dans ses voies et
d'observer ses commandements ...
:& Je prends à témoin contre vous le ciel et la terre
que j'ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédic-
tion et la malédiction. Choisis donc la vie, afin que
tu vives, toi et ta postérité, en aimant Jéhova, ton
Dieu, en obéissant à sa voix et en lui demeurant
attaché . Car c'est lui qui est ta vie et qui prolongera
tes jours, pour que tu habites sur le sol que Jéhova
a juré de donner à tes pères, Abraham, Isaac et
Jacob. "
C'est l'évidente supériorité du Dieu véritable et
unique sur les divinités multiples et mensongères
du paganisme qui pousse Rahab, la Cananéenne, à,
l'aveu qu'elle fait aux explorateurs envoyés à Jérico
par Josué: « La tel'reur que. VOllS inspirez nous a
- 272-
saisis. Notre cœur s'est fondu, et il n'est resté de
courage en aucun de nous pour vous résister. Car.
c'est Jéhova, votre Dieu, qui est Dieu en haut dans
les cieux et en bas sur la terre. D En d'autres termes,
votre Divinité nationale est en même temps le Créa-
teur des mondes, « le Seigneur de toute la terre, "
comme dira Josué, donc le Tout-Puissant.

* * *
Nous n'avons pas jusqu'ici pris en considération
un point mis en avant par quelques théologiens. La
religion des Hébreux, affirme-t-on, n'était pas le
monothéisme proprement dit; c'était simplement
l'hénothéisme. Il s avaient un Dieu (héno), sans pré-
tE:ndre que ce Dieu fût le seul (mono). Ils regardaient
Jéhova, ou plus exactement Yahv eh, non comme le
Dieu de l'ensemb le des mondes, mais comme leur
Dieu national, supérieur aux àutres divinités, mais
ne les abolissant pas .
Cette idée me parait suffisamment combattue pal'
les passages que nous avons examinés. Elle a été ré-
futée d'une maniére toute semblable par un profes-
seur du Collège de France, le célèbre Munk, qui la
désigne déjà comme « un préjugé très répandu ».
Vu l 'intérêt de la question, vous ne trouverez pas
superflu, je l'espère, que je reproduise ici une partie
de son raisonnement.
« Comment, dit-il, le Dien qui, dès les premiers
mots du Pentateuque, est représenté comme l'auteur
de toute la création, ne serait-il que le l'oi d'un petit ·
peuple? N'est-ce pas lui qui, voyant la corruption de
- 273-
la race humaine, fait arriveI' le déluge pour déh'uire
tous les mOL'tels? Il est le juge de toute la terre, le
Dieu des esprits de toute chair. Jéhova dit: Je tue et
je vivifie, je frappe et je guéris, et personne ne peut
se sauver de ma main. Partout enfin Jéhova est re-
présenté comme le maitre de la nature créée pal' lui;
les lois de la nature sont à sa disposition, il les inter-
l'ompt à son gré et il opère des mü'acles.
» II est évident que lorsque, çà et là, Jéhova est
entouré d'une enveloppe mythique, lorsque, pour
ainsi dire, les dimensions infinies de l'Etre universel
semblent se rétréci" et qu'il se manifeste dans des
limites plus restreintes, ce sont des i 'rnages adaptées
à la conception des masses, qui n'étaient pas encore
capables de s 'élevel' au point de vue dans lequel se
plaça Moïse. Si Jéhova est le roi du peuple hébl'eu
qu'il prend sous sa protection spéciale, c'est que les
patriarches hébreux ont été les premiers à recou-
naitre et à proclamer l'Etre suprême; c'est que le
peuple hébreu a été le premier à lui consacrer un
culte, et que, par une inspiration surnaturelle, Moïse
a pu communiquer aux Hébreux une doctrine à la-
quelJe l 'esprit humain, abandonné à lui-même et à
son développement naturel, ne devait arriver qu'a-
près une longue suite de siècles, Sous ce rapport les
Hébreux sont le peuple élu, le peuple de Jéhova, et,
en proclamant cette élection, Moïse ne proclame
qu'un fait qui appartient à l'histoire, »
Au surplus, nous ne prétendons point que, même
dans leurs époques de fidélité, les Israélites se soient
toujours maintenus à la hauteur de la révélation
S\VÉDENBOI\G u 18
- 27ft-
m osaïque. Entourés de polythéistes, ils .. croyaient
également qu'il y avait plusieurs dieux, dit Swéden-
b org, mais ils pensaient que Jéhova était plus grand
que les autres, à cause des miracles qu'il faisait en
leur faveur. C'est pourquoi, lorsque les miracles
cessaient, ils étaient aussitôt entraînés ve rs le cu lte
des autres dieux. Sans doute ils disaien t de bouche
qu'il y a un seul Dieu et qu'il n 'en existe pas d 'autre
que lui, mais ils ne le croyaient pas de cœur. C'est
pour cette raison qu' il est dit d a ns la Parole que
Jéhova es t plus grand que les a ult'es dieux . [Ic i vien-
nent quelques exemples.] C'est pour ce la aussi que
Jéhova est appelé le D ien des d'i eux et le Se;gnet.,. des
seigneu'l"s . »
Mais cet h énothéisme est le point d e vue inférieur,
au quel le peuple hébreu se laissait facilement aller'
et duquel il tombait souve nt dans le paganism e; ce
n'est pas le pornt de vue de MO'ise et des pl'ophètes,
cel ui de la révélation qui devait l'él ever définitive-
ment au-dessus du polythéisme et de l' idolâtr ie.

* * *
Le nom m êm e de la Divinité adorée pal' les enfants
d'Isl'aë l implique le monothéisme. « On a vu dans ce
qui précède, dit Munk', que la connaissance d ' un
Eto'e sup"ême, c"éateur du ciel et de la tm'I'e, re monte
jusqu'à Abra ham. Moïse le caractérise comme l'Eire
par excellence, YAHWÉ (celui qui est), illimité par
1 S. Munk, Palestine, p. 14.3. J'ai eu Je privilège de suivre les
Jet.ons de Munk au Collège de Fran ce, où ce savant. depuis longtemps
aveugle. pro fessait l'hébreu et l'araméen avant Ernest Renan.
- 2i5-
rapport au Lemps, car il a toujours été et il sera tou-
j ours ; illimité par rapport à l'espace, car il est par-
tout, au ciel comme sur la terre, et il ne saurait être
représenté par aucune forme visible. Cet être est
l'u nité absolue: Eco..te, Is.·aël! L'Eternel noh'e Dieu,
l'Eternel est unique . Tel est le principe fondamental
d u mosaïsme; telles sont les parol es que l'Israélite,
encore aujourd'hui, récite dans sa prière du matin
et du soir, paroles qui l'ont souvent accompagné au
martyre et qu'il prononce sur le lit de mort. »
Swédenborg avait d éjà écrIt: « On sait que Jéhova
signifie Je suis et Et>'e. Que Dieu ait é té appel é ainsi
dès les temps les plus anciens, cela r essort avec évi-
dence de la Genèse, où dans le premier chapitre il
est nommé Dieu, mais dans le deuxième et dans les
suivants Jéhov a-Dieu. Plus tard, lorsque les descen-
dants d'Abraham eurent oublié le nom de Dieu, il
leur fut rappel é ... Moïse dit : Que l est ton nom?
Dieu répondit: Je suis Qui je suis. Tu parleras de la
sorte aux fils d'Israël : Je suis m 'a envoyé vers vous.
Tu diras encore: J éhova, le Dieu de vos pères, m 'a
envoyé vers vous; tel est mon nom pour l 'éternité. »
Jéhova est l'amour même ou l'amour céleste. « J e
. ·u is ou Tl est ne peut être attribué à nulle autre
ch ose qu'à l'amour. De cet amour provient l'Etre [ou
l'essence intim e] de toute vie. :> Il en résulte qu'il n 'y
a rien dans l' univers créé qui ne tienne d e Jéhova
son existence. Cette doctrine exclut non seulement
le paganisme vulgaire e t tous les cultes de la nature,
mais encore la croyance à un dieu du mal, le dua-
lisme sous toutes ses formes. Ce monoth éisme pur et
- 276 -
gl'andiose, que nous ne rencontrons chez aucun autre
peuple de l'antiquité, même chez ceux dont la civi-
lisation était avancée et brillante, aurait dû donnel' .
aux Juifs une immense supériorité religieuse et mo-
rale. Malheureusement ils ne se montrèrent pas
dignes de cette admirable révélation et du mandat
spirituel qui leur était assigné. Mais, s'ils ne reçu-
rent pas intérieurement la religion de Moïse et des
prophètes, au moins y restèrent-ils depuis l'exil
attachés extérieurement avec une fidélité inébran-
lable.
* * *
En effet, revenus dans la terre de Canaan , ils fu-
rent en bulte à d'horribles persécutions de la part
d'un roi de Syrie, Antiochus surnommé par hypel'-
bole Epiphane ou l'Illustre, et plus justement Epi-
mane ou l'Insensé. La ville de Jérusalem fut livrée
au feu et au pillage. Rentré à Antioche , sa capitale,
le conquérant donna l'ordl'e d'introduire dans toute
la Terre Sainte le paganisme hellénique; la circon-
cision fut défendue sous peine de mort, les réunions
religieuses furent interdites et les livres de la Loi dé-
chirés. Les Samaritains, qui sous Alexandre-le-Grand
s 'étaient fait passer pour Israé lites, se déclarèrent
alors descendants des Sidoniens et consacrèrent leUl'
temple du Garizim à Zeus, le Jupitel· y,'ec. Un prêtre
grec fut envoyé à Jérusalem pour profaner le sanc-
tuaire de l'Eternel et pOUl' y établir le culte de Jupi-
ter Olympien; il fit construire, sur le grand autel
des parfums, un autel plus petit pour y offrir les sa-
crifices païens, qui commencèrent le 25 du mois de
- 277-
kislev (novembre à décembre) de l'an 168 avant Jésus-
Christ.
« On contraignait les Israélites d'assister à ces sa-
crifices et d'allel', couronnés de lierre, à la proces-
sion de Bacchus. Il n'était p lus permis de s'avouer
juif, et on punissait de mort ceux qui se livl'aient aux
pratiques de la religion mosaïque, ou qui l'efusaient
de prendre part aux cérémonies idolâtres. Des cruau-
tés inouïes, sans nombre, furent commises dans toute
la Judée'. l>
Cette intolérance inouï e et cette barbar·e opp,'es-
sion réveillèrent le sentiment religieux des Juifs et
portèrent jusqu'au plus haut point leur patriotisme.
Menacés dans leur existence nationale, ils se soule-
vèrent sous la conduite des Maccabées, luttèrent
contre le tyran et, par des prodiges de valeur, recon-
quirent leur liberté. Le règne des princes hasmo-
néens fut pour la Palestine une période glorieuse, à
laquelle mit fin trop tôt la prise de Jérusalem par le
grand Pompée (63 ans avant notre ère) .
Ce général victorieux en massacl'a les habitants,
profana le Saint des Saints en y entrant avec sa
suite, fit du roi Hyrcan, membre de la famil le sacer-
dotale des Maccabées, un simple ethna"que et soumit
tout le pays à la domination romaine. Hyrcan, à qui
Pompée avait rendu le pontificat en lui ôtant le dia-
dème, eut pour successeur Hérode l'Iduméen, dont
n ous rencontrons la sinistre figure aux premières
p ages de l'Evangile. Cet Hérode, qu'on sUI' nomma le

t Munk, La Pale$line. p . ....9.1.


- 278-
Grand, fut un des plus affreux despotes dont l'his-
toire fasse mention.
On sait assez qu'à cette époque la religion juive
était singulièrement corrompue; aussi le réveil pro-
voqué pa,' la voix tonitruante de Jean - Baptiste ne
prépara-t-il qu'une très faible minorité du peuple à
reconnaître en Jésus le Messie promis, le roi de la
vérité . Toutefois la cause du monothéisme était ga-
gnée. Les Israélites ont pu dès lors se contenter
d'une dévotion formaliste el servile, ambitionner les
richesses terrestres pl utôt que les biens spirituels,
ou même tomber individuellement dans une incré-
dulité complète; mais ils n'ont plus été tentés de
renoncer au Dieu d 'Abraham, d'Isaac et de Jacob, au
seul Dieu véritable, pou,' rendre un culte supersti-
tieux aux vaines divinilés d'une mythologie quel -
conque.
* * *
En outre et surtout, le plus grand des Juifs, rejeté
et c rucifié par ses compatriotes, a débarrassé le mo-
nothéisme des formes inférieures dont il avait dû se
revêtir temporairement pOUl' être à la portée d'uue
nation matérielle et grossière; il l'a compris dans
son absolue pureté et par son invisible Esprit a fondé
l'Eglise chrétienne, d estinée à le mettre en p,'atique
et à le propager sur toute la tene.
Ajoutons que de J'Eglise chrétienne le mono-
théisme a passé plus ta,'d à Mahomet et à ses parti-
sans, de sode qu'i l existe maintenant trois grandes
,'eligions monothéistes : le judaïsme, le christia-
nisme et le mahométisme ou l'islam. Quelle que soit
- 279-
l'importance des points où ces tt>ois r>eligions diffè-
I>ent, ce qu'elles ont de commun, la notion de l'unité
de Dieu, est le caractère qui les recommande le plus
aux philosophes, aux savants et aux intelligences
cultivées> Comme je l'ai dit en commençant, la canse
de la religion en général est liée à celle du mono-
théisffia; en d'autres termes, la religion ne triom-
phera de tontes les attaques dirigées contre elle au-
jourd'hui, elle ne se sauvera et ne prospèrera qu'à la
condition d 'être monothéiste>

CHAPITRE SECOND
Histoire et critique du dogme de la Trinité.

Jésus a été monothéiste; néanmoins, en pal>lant


comme il l'a fait du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
il a pu donner à penser qu 'il ne l'était pas. Aussi le
christianisme a-t-il été t"initaire de fort bonne heure,
et en se détachant du romanisme les Eglises grecques
et les Eglises protestantes se sont-elles abstenues de
toucher au dogme de la « sainte Trinité », lequel de
nos jours encore passe en tout pays pour' orthodoxe.
Définie par les denx premiers con ciles œcuméniques,
- Nicée en 325 et Constantinople en 381, - la Tri-
nité trouva sa formule éloquente dans le « Symbole
Quicunque. » Cette confession de foi, qu'on eut tal>-
divement l l'idée d 'attribuer au grand Athanase', est
'1 Au IX- siècle.
!Z Morl à Alexandl'Îe en 373 .
- 280-
en réal ité postérieure à ce docteur ; on la doit peut-
être à Vigile de Tapses, évêque africain de la fin du
cinquième siècle.
* * *
Mentionnons en abrégé les affirmations du Sym-
bole Qu-icunque, que répète sans aucun changement
la liturgie anglicane. « La foi catholique consiste en
ceci: que nous adorions un Dieu dans la Trinité et
la Trinité dans l 'unité, sans confondre les personnes
ni diviser la substance. Cat' une est la personne du
Père, autre celle du Fils, autre celle de l'Esprit
saint; mais la divinité du Père, du Fils et de l'Es-
prit saint est la même, leur gloire égale, leur majesté
coéternelle. Tel le Pèt'e, tel est le Fils et tel le Saint-
Esprit. Le Père est incréé, le Fils es t inc réé, le Saint-
Esprit est incréé. » De même c hacun des trois est
incompréhensib le, iufini, éternel, tout-puissant, cha-
cun est Seigneur et Dieu. Ce ne sont pourtant pas
trois incréés, trois incompréhensibles, trois infinis,
etc., mais un seul; il n'y a pas trois seigneurs et
tro is dieux, mais un Seigneu~ unique, un Dieu uni-
qlie. « Car, comme nous sommes obligés par la vé-
rité chrétienne de reconnaltre que chaque personne
est par elle· même Dieu et SeigneUl', il nous est dé-
fendu par la religion catholique de dire qu'il exis te
trois dieux ou trois seigneurs. » Enfin., « dans cette
Trinité, nul n'est antérieur ou postérieu r, nul n'est
plus grand ou plus petit qu'un autre, mais les trois
personnes sont coéternelles et absolument égales. »
Impossible de s'inscrire plus hat'diment en faux
contre la raison humaine en transgt'essant le prin-
- 281-
cipe de contradiction 1 Trois personnes, nous assure
le document, forment une seule personne, et, notez-
le bien, cette personne unique n'est pas un quatt'ième
être, auquel les trois autres seraient subordonnès,
un êtl'e collectif supérieur à chacun des individus
qui le composent, comme notre Conseil fédét'al
exerce une autorité qui n'appartient à nul de ses
membres pris à part. Le Dieu complet n'est point
composé de trois divinitès inférieures, imparfaites,
limitées comme les divinités d e l'Olympe , Non, dans
la Tl'inité athanasienne les trois hypostases ont tous
les attributs absolus du Dieu suprême; ce sont trois
dieux infinis, éternels, tout- puissants, qui réunis
forment un Dieu également infini, éternel et tout-
puissant. Trois sujets distincts, dont l'un n 'est pas
l'autre, doivent être conçus comme un même sujet,
Une pareille définition a beau revendiquer le pres-
tige de l 'âge et du consentement universel, elle n'en
est pas moins révoltante; e lle nous apparalt aujour-
d'hui, je ne dirai pas comme difficile à recevoir,
mais comme impossible à saisir, E:lle ne donne
aucune idèe intelligible; il n'y a pas dans le cerveau
humain de case où e lle puisse entrer. Ce dogme
n'est pas nn mystère, il est une absl\l'dité ,

* * *
Pour ne pas remonter plus haut que le XVI' s iè-
cle, je rappellerai que les R éformateurs ont fait une
œuvre très incomplète, et notamment n'ont pas su
répudier ce l,'iste hé,'itage du catho licisme. Mais
l'esprit d'examen, qui venait de s'éveillel', devait
- 282-
t1'ouver d 'alltres i.nterprètes qu'eux pour attaquer la
vieille doctt'ine, En particulier Michel Servet eut
l 'audace, en présence de Jean Calvin, de la déclal'el'
abslll'de, trithéiste, et d'appeler la Trinité « un fan-
tôme de démons, un Cerbèl'e à trois têtes, un monstre
impossible, une invention de Satan pour empêcher
l'humanité de connaltre le véritable Chl'ist. »
« Ceux 'q ui soutiennent qu'il y a en Dieu trois per-
sonnes ou hypostases substantielles, dit-il, insinuent
qu'il existe tl'ois dieux égaux par nature, .. Et, quoi-
que en pa"oles ils nous donnent un seul Dieu, en
effet et en ,'éalité ils présentent lrois dieux à notre
intelligence. Car toul espl'it perspicace et sincère
doit voir que t,'ois choses sont proposées au culte de
l'homme . Mais comment ces trois choses, dont cha-
cune est Dieu, forment un Dieu un ique, c'est ce que
nul n'a jamais été capab le de dire ou d'enseigner.
Voila pourquoi il reste dans notre intellect une inso-
luble pe,'plexité el une inexplic~ble confusion à
l'idée que les tro is sont un et que l'un est trois ...
Etabl ir trois dieux égaux pal' nature, c 'est le comble
du blasphème et de l'impiété . ))
Ces lignes sont e mpruntées à un discours que Ser-
vet pronon ça devant ses juges à Genève . Il compre-
nait pal'faitement le ma l incalculable que ce dogme
fabriqué au concile de Nicée avait fait à l'Eglise. Il
atl,'ibuail à ce dogme les innombrables hérésies et
sectes qui ont déchiré la ch rétienté. li lui aHribuait
la défaite de l'Eglise dans ses efforts pour convertir
les païens, et auss i le succès de la l'eligion mahomé·
tane, qui non seulement tournait le christianisme en
- 283-
ridicule, mais encore présentait certainement du
Christ une idée supérieUl'e à celle qui prévaut chez
les chrétiens de nom.
« Les Turcs, les Scythes et les Ba,'bat'es, s 'éc,'ie-t,il
avec tristesse, se moquent de vos superstitieuses
logomachies. N'est-il pas affreux que même le faux
prophète Mahomet ait une notion plus biblique de
notre Sauveur Jésus-Christ que nos propres men-
teurs chrétiens? » - « Que dis-je? Non seulement
les mahométans et les Juifs, mais les hétes des
champs elles-mêmes nous mépriseraient, si elles
pouvaient percevoir notre idée fanlastique de Dieu ;
car toutes les œuvres de Dieu célèbrent un seul Sei-
gneur. »
S'il rejetait avec tant d'honeur la T,'inité réputée
orthodoxe, Michel Servet était loin de répudier la
divinité du Sauveur, comme le firent les sociniens.
Sa doc t,' ine au contraire mérite d'être appelée chris-
'ocento"ique; on l'a même désignée avec raison comme
un panc/",istisme, car Christ, le Deus Homo , était
pOUl' l 'audacieux penseur non seulement le cenh'e,
mais le tout de la théologie et de la religion .
Ajoutons avec un de ses historiens: « Son Christ
n 'é tait pas celui des écoles théologiques; c 'était le
Christ de la Bible et de la conscience . » Servet croyai t
effectivement au double sens des saintes Ecritures;
aussi dans toutes leurs paroles, et même dans cha-
cune de leurs lettres, voyait-il l'image du Christ,
comme il la retrouvait dans toutes les parties,
grandes ou petites, de l'univers créé. ({ Oui, disait-il,
les pienes mêmes nous c,'ient : Il y a un Dieu et un
-~-
Seigneur, le Christ Jésus. C'est pour lui que je parle
et lui seul me défend. J ' aime ce Maitre unique ...
E n Christ seul Dieu subsiste et se montre à nous; il
n 'existe pas d'autre face, ou personne, ou hypostase
de Dieu que Christ seul. Tout ce que Dieu possède
habite en Christ substantiellement et corporelle-
ment 1. »
En conséquence les prières qui abondent dans les
o u vrages de Servet, - ces prières si belles et si tou-
c h a ntes, - sont toutes adressé es directement au
Seigneur Jésus-Christ, comme le sont aujourd' hui
. celles des membres de la Nouvelle Eglise, et comme
l'étaient celles des anciens chrétiens jusqu'au qua-
lrième siècle .
*
C'est qu'en elret la conception religieuse de Michel
S e rvet ressemble étonnamment à celle de Swéden-
borg . Plus radical et plus hardi que Luther et Cal-
v in, qui ne cherchèrent qu 'à réforme,' l'Eglise, Ser-
v e t voulut réformer la dogmatique, reconsh'uire tout
le c hristianisme de la base au somm e t. Je me sens
fo r cé d 'ajoute r que son système théologique me pa-
rait infiniment supérie ur à celui de Calvin.
« Servet, dit son plus récent historien , Charl es-
Théophile Odhne,', - Servet seul dans tou t le cours
d e l'Eglise chrétienne, avant l'apparition de Swéden-
b org, a donn é une d é finition à peu p,'ès juste de la
T rinité . Fondant sol idement sa théologie sur le Ro-
t Quidqrâd habet Deus Cht';slo ined .mbslalltialiler et cQ}'}Jol'a-
liter.
2 .1lichad S et'Vel rls. His Lire and 1'eachings. Ph il adelph ia , 191 0 .
- 285-
cher des âges, et SUI' lui seul, il a découvert que les
Ecritures ne mentionnent aucune autre pel'80"ne
divine que le Christ. C'est là l'unique manifestation
du Dieu infini; car li. Nul n'a jamais vu le Père. Le
Fils unique, lui, l'a manifesté. » Ainsi le Père est le
divin invisible qui devient visible dans le Seigneut'
Jésus. Et le Saint-Espl'it n'est pas autre chose que le
souffle divin et l'œuvre régénératrice du Divin se
manifestant comme Jésus-Christ.
li. Donc en Jésus-Chl'ist se tI'ouve la plénitude de la

Divinité corporellement, ainsi que l'e nseigne saint


Paul; et Servet, avec la vive sagacité qui lui était
habituelle, fit observer que les apôtres, en baptisant
au nom de Jésus-C/.,.ist seul, obéissaient à la det'-
nière injonction du Seigneur: Cl. Baptisez toutes les
nations au nom du Père, du Fils et du Saint-
Esprit, » puisqu'en Christ tous les trois sont un . ~
« L'âme de Christ est Dieu; le corps de Christ est
Dieu; l'esprit de Christ est Dieu. Par conséquent
Christ tout entier est Dieu. »
Voici comment cet enseignement de Servet se
trouve résumé dans l'Encyclopédie des Sciences .'eli-
gieuses, publiée sous la dit'ection de F, Lichten-
berger, doyen de la Faculté de théologie protestante
de Paris: Cl. L'Esprit de Dieu a trouvé sa parfaite
expression en Jésus, dans la conception duquel la
substance de la Lumière incréée ou du Verbe a ten u
lieu de la semence paternelle. Il en résulte que la
nature corpol'elle du Christ est aussi divine que son
âme l . "
1 Article An.tih"initai"tl par Â. RéviU e .
- 286-
En somme, Michel Servet, brùléàChampel comme
hérésiarque et blasphémateur, avait sur le Christ et
la Trinité, et sur plusieurs autres points importants,
une foi beaucoup plus évangélique, plus éclairée et
plus rationnelle que son adversaire, le dictateur
genevois, Au lieu d'une d em i-réforme, dont les pro-
testants commencen t à peine à sentir l'insuffisance et
les err eurs, nous serions au bénéfice d ' une réforme
c omplète, profonde, véritablement spirituelle, don -
nan t de Dieu, de l'homme, du salut et du devoir une
n otion digne des temps modernes, si la cruelle into-
lérance de Calvin n'avait fermé la bouche à Servet
e n le faisant condamner à mort, Par ce crime dont
il ne s'est pas repenti, le légiste implacable qui crut
glorifier Dieu en niant le libre arbitre, et en prêchant
la double prédestination, n'a pas fait seulement une
tache à sa propre g loire: il a encore compromis de
la fa çon la plus grave la cause qu'il voulait sel"vir.
On se demande ce qui serait advenu, si le grand
ouvrage réfutant l' Institu tion elu'étienne, et intitul é
la Resta,~ration du Ch,'istianisme', n'avait pas é té
b rùlé comme s on a uteUI",
1 Re!lilulio Ghristianis mi . Des mille ex emplaires de J'édiLion ori-
ginale. deux seulement sont connu s pour avoir échapp é à la destruc-
tion.
DEUXIÈME LEÇON
Lutber d'accord avec Sel'vet sur la divinité du Christ. Lélio cl
Faust Socin. L'Eglise des Frères polonais. Les unitaires du
XI xe siècle. Le libérali sme français. La Kénose. La Trinité
reste une pierre d'achoppement.
CHAPITHE TnOISJ~ME . Théorie de Swédenborg . :10 Sa
guerre au trithéism.e. Croire ::\ t,rois dieux, mais ne pas le
dil'C. Inconvén ien ts d'une Divinité partagee co trois. jo Sa
,-nétltode. Illustration qui lui permet de devo iler le sens in-
terne des Ecritures. Son mysticisme rationnel. Ses autorités
en phi.losophie. 30 ltfonothéisme el Trine d'Essentiels.
Textes évangél iqu es qui semblent donner ra ison nu trÎ -
théisme. Les Essentiels en Dieu. La Trinité de la personne.
Rappel des deg"~s discrets et des corr'espondances. H enry
de Mayet Swédenborg. Le Trine. 4,0 Le Père. L'amour, le
bien, la volonté, la substance. Descartes ct Charles Secré-
tan. Saint Jean.

Le Symbole Quicunque accouple de la facon la


plus choqu ante le monothéisme el le t ,' ithéisme, et
ce dogme fâcheux passe de nos jours enco re pour
orthodoxe, les Réformateurs du XVIe siècle, préoccu-
pés d'ault'es questions, l'ayant conservé. Cependant, à
cette époque même, un homme de génie, Michel Se,'-
vet, l'a dénoncé comme antirationnel et anlich.'étien,
mais on ne l'a pas écouté. Ses liv.'es ont été dé-
truits, lui-même a péri dans les flammes comme
hérétique et blasphémateur, mais en J'éal ité martyr
- 288 -
d'une foi plus puee que celle de Calvin, son impl a -
cable adversaire. Nous avons vu cela dans notre
dernière leçon. Je voudrais commencer celle d 'au-
jourd' hui en vous montrant que Luthel', dont la
théologie n 'avait pas la rigueUi' de celle de Calvin,
se montra favorable aux vues antitrinitaü'es du cé -
lèbre médecin de Vienne en Dauphiné'.
Le grand Réformateur allemand exprima plusieurs
fois l'idée que le Chl' ist était Dieu même, le Jéhova
ou l'Eternel de l'ancienne alliance, et non une
seconde personne de la divine Trinité. Il le flt
notamment dans le plus beau de ses cantiques, daus
celui qu'on a nommé par excellence le Chorcû de
Luthel'. L'édition odginale de cette sublime poésie,
fruit de la plus haute inspiration, renfermait la
strophe suivante, que naturell e ment on a plusieUl's
fois « corrigée » pOUl' la mettre d'accord avec le
dogme traditionnel:
"~rags ' du weI' der ist?
Er hei sst Jhcsus Clu'ist,
Ocr RER R Zeb30th~
Und ist ke in andcr Golt.

Or, quand Luther imprime le mot HERR tout en-


tiel' en grandes capitales, comme il le fait ici, il
l'emploie toujours POUl- désigner Jéhova. Voici
maintenant, pOUl' ceux qui ne savent pas l 'alle-
mand, l'exacte traduction de ces quelques lignes:
t C'est là que Ser\'et , gradué de la Sorbonne, exerça l'art médi cal
avec succès pendant une douzaine d 'a nn ées~ patronné par l'uchc \,êque
de Vienn e.
- 289-
Demandes-tu qui c'est!
Il s'appelle Je..us-Ch,'ill,
Jéhova Zébaoth
(00 l'Eternel des armées),
Et il n'existe pa. d'aub'e Dieu.

Qui l'aurait cru? Swédenborg et la Nouvelle


Eglise peuvent en appeler à Luther, le plus puis-
sant des Réformateurs, pour leur doctrine capitale,
qui se rattache bien plus étroitement à l'Evangile
que la soi-disant orthodoxie, et qui seule ,'econnalt
pleinement la divinité du Sauveur1
Je sais parfaitement que dans ses deux Caté-
chismes, le Grand et le Petit, Luther enseignait la
doctrine reçue au sujet de la Trinité, mais il chan-
gea dès lors, M. le doyen Eugène Ménégoz, repré-
sentant de la Confession d'Augsbourg à la Faculté
de théologie protestante de Paris, écrivait en 1900 :
« Un des traits les plus saillants de la théologie de
Luthe,' est l'identification absolue de Dieu et du
Christ: sa notion de Dieu finit par s'absorber dans
la christologie et par se confondre avec celle-ci. ..
Die·u s'est Ve1'sé tout entier en Jésus-Christ. » A l'ap-
pui de son dire, M. Ménégoz rappelle précisément le
choral, Ein ( este BU1'g, que nous venons de cite,'.

* * *
Mais ,'evenons au XVIe siècle. Des Italiens, les deux
Socini, natifs de Sienne, poursuivirent la lutte de
Se"vet contre la Trinité, mais sans identifier comme
lui le Fils au Père. Lélio Socin, gagné aux idées
SW É DENBORG Il 19
- 290-
protestan tes, voyagea beaucoup, se lia avec Mé-
lanchton et se fixa définitivement à Zurich. Ses cri-
tiques trop fond ées de plusieurs doctrines reçues
irritèrent Calvin, qui cependant ne le fit pas exécu-
ter. Ce fut l'Inquisition qui confisqua ses biens pa-
trimoniau x et persécuta sa famille en Italie. Il mou-
rut prématul'ément en 1562,
Son neveu Faust Socin hérita ses manuscl'üS et
ses convictions. Il avait étudié comme son oncle le
droit et la théologie. Après avoir vécu douze ans à
la cour de François de Médicis dans les char'ges et
les honneurs, il se retira modestement à Bâle pour
s'y liveer à ses études favorites et y élaborer sa doc-
trine. De là il se rendit en Transylvanie, puis en
Pologne, où son oncle avait séjou l'né deux fois et
laissé une excellente réputation. Il y devint le chef
du parti antitl'initaire et s'efforça de le constituer en
Eglise, A sa mort, en 1604, il Yavait dans ce royaume
un grand nombre de communautés sociniennes, com-
posées surtout d e membres de la noblesse; elles for-
maient l'Eglise des Frères polonais, appelée plus or-
dinairement l'Eglise socinienne de Pologne. Rakow,
leul' centre universitaire, comptait les étud iants par
mi lliers.
Les Socin enseignè rent un r ationali sme suprana-
turaliste. Leur système donnait un rôle considérable
à la raison et devançait sur p lu s d'un point les ré·
sultats de la critique moderne; il admettait cepen-
dant une révélation surnatUl'elie, l'inspiration divine
de nos saints livres, l'immortalité condi tionnell e, la
naissance miraculeuse et la résul'rection de Jésus,
- 291-
sa mort nécessaire à notre salut, le corps spirituel
seul capable de vivre éternellement.
«Ce fut, dit Albert Réville, une théologie bour-
geoise, dont l'action fut bien plus sensible comme
ferme nt, gagnant invisiblement beaucoup de théolo-
giens et de pasteurs dans les g randes Eglises con sti-
tuées, que sous la forme d'Eglise distincte. »
Le savant auteur de l'étude que nous avons déj à
mentionnée 1 la tel'mine ainsi: < Nous nous abste-
nons de tout commentaire sur ce système à la fois si
original et si pl'osaïque, si mtionaliste e t si peu pbi-
losophique, si hardi et si mesquin , mais où se trou-
vent les germes de tant d 'idées et de critiques deve-
nues aussi puissantes que largement répandues. »
Les arguments avancés par Faust Socin contre le
dogme orthodoxe produisirent une fOl,te impression,
en dépit de l' intolérance romaine et protestante. En
effe t, des pasteurs et des professeurs fure nt déposés ,
des temples démolis, l'université de Rakow fut sup-
primée. Les sociniens se virent exclus du bénéfice
de l'Acte de Tolé,'ance, l ' une des bases de l'Etat po-
lonais, pal' la raison qu'ils é taient non en dedans,
mais en dehors de la religion 1 On les exclut au s si de
la conférence religieuse de Thorn et le socinianisme
fut mis au ban de l'Etat. D'autres édits renforcè rent
les mesures prises contre ses partisaus, et ceux qui
ne voulaient pas se soumettre durent s'expatrier.
Ces répressions passionnées montrent quelle va-
1 Enc yclopédie de F. Lichtenberger, article Antih';nilaires. A. Ré-
ville, précédemmem l pasLeur en Hollande, é tait professe ur au Collège
de France.
- 29"2 -
leur on attachait alors à la put-eté des croyances et à
l'unité de la foi . A cet égard les temps sont bien
changés! Par bonheur, ils le sont aussi quant au
respect des opinions d'autrui et quant aux moyens
à employer pOUt' les combattre.
,.
* *
Le mouvement hétérodoxe du XVIe siècle aboutit
aux Eglises unitaires du XIXe, qu'ilIustt"èrent Chan-
ning, Théodore Parker et ''Valdo Emet'son. « On peut
dire, écrit Albert Réville, que l'ancien socinianisme
a sombré, en tant que système sui genm'is, sous les
évolutions modernes de la pensée religieuse, mais
que beaucoup de ses idées et de ses critiques se re-
trouvent de nos jours dans l'unita,'isme anglo-saxon
et dans les vues communes à la tendance connue
sous le nom de p,'otestuntisme libél'ul. » Cependant,
lorsqu'on parle de la disparition du socinianisme, il
faut faire exception pour la Transylvanie, où, malgré
les persécutions qui l'ont frappé, il compte encore
50 ()()() adhérents, organisés par consistoire sous la
surintendance d'un évêque.

* * *
Né vers 1850, le « libéralisme» français eut pour
premier organe la Revue de Strasbow'g et pour cham-
pions Edouard Reuss, Edmond Scherer, Colani, Mi -
chel Nicolas, Athanase Coquerel fils, Félix Pécaut,
Fontanès. Il lutta dans la presse et dans la chaire
contre une « orthodoxie» à peine digne de ce nom,
que représentaient Edmond de Pressensé, Eugène
- 293-
Bersier, Rognon, Matter. On préférait déjà l'épithète
d' « évangélique» à celle d'orthodoxe '. Dans la der-
nière période du siécle, les deux partis en présence
s'adoucirent et se rapprochèrent. Une école nouvelle,
celle des chrétien. sociaux, détourna l'attention des
doctrines pour la porter sur les souffrances de la
classe pauvre, sur les injustices économiques, sur
les devoirs de fraternité des patron s envers les ou-
vriers. Actuellement, le libéralisme et l'orthodoxie
désignent moins deux dogmatiques différentes que
deux manières de concevoir I·Eglise. L'école ortho-
doxe a perdu son intt'ansigeance et s 'est extraordi-
nairement élargie ; le libéralisme règne dans plu-
sieurs Facultés de théologie, tant en Suisse romande
que dans la France proprement dite, et s 'est infiltré
u n peu partout.
Quant à la Trinité en particulier, on n 'en parle
p lus guère, et si on le fait, c'est avec une liberté,
pour ne pas dire une désinvolture, qui aurait étonné
n os ancêtres. Ce nom n'est plus donné à des temples
et à des collèges, comme cela se voit en Angleterre.
Aussi nul d'entre nous ne songe-t-il à déclarer, avec
le P"aye,' Book anglican, qu' il faut admettre ce
d ogme éll'ange sous peine de« périr éternellement ».
Ce n'est pas à dire que la foi trinitaire ait disparu
de notre horizon; battue en brèche et reléguée à
l'a,'rière-plan, elle n'a point été remplacée. Deux
théologiens allemands, Thomasius et Gess, suivis par
Frédéric Godet et Greti"llat, professeurs à Neuchâtel,
l'ont rajeunie, il est vrai, e n imaginant la Kénose (en
1 Qui cependant n'e st pa s e ncore tomb ée tout à fait en désuétude .
- 294-
grec ](énosis), c'est-à-dire l'exinanition ou le dépouil-
lement du Fils de Dieu; mais après un moment de
raveu,' cette théorie a été victorieusement réfutée.
La Kénose n 'accorde au Logos la personnalité que
pour la faire disparaitre, avec ses autres attt'ibuts,
depuis la naissance de J ésus jusqu'au terme de son
existence terrestre. Ce procédé est appelé par Dorner
« un acte de violence qui ébran le les fondements de
l'être divin et de la Trinité, sans donner finalement
un résultat positif quant à l'union réelle du divin et
de l' humain en Christ'. »
Ain si le protestantisme f..an çais se trouve actuelle-
ment dans une position singulière. Malgré l 'esprit
émancipé de la plupart des théologiens et des jeunes
pasteurs, il faut avouer que la piété des troupeaux,
les écoles du dimanche, les catéchismes, les canti-
ques, les liturgies et les sermons sont encore trini-
taires. Sans doute on n'insiste plus sur la Trinité
comme on le faisait jadis, mais on l 'enseigne encore
timidement; su .. tout on continue à la supposer , et
l'on entretient le préjugé qu'elle fait partie intégrante
de l'Evangil e . Convaincu pour ma part qu'il n 'en est
pas a insi, que ce dogme, au contraire, est une ert'eur
désastreuse, je désire vous p ..ésenter une conception,
à peu près ignorée parmi nous, qui ..amène la ,'eli-
gion du Christ au monothéisme pur, sans tombe ..
d'ailleurs d ans le socinianisme. Si le polythéisme
apparent de la vieille orthodoxie est, comme je n 'en
doute pas, une des plus grosses pierres d 'achoppe-
ment su .. le chemin de la foi, si dans ce siècle de
t Geschichle der p'r ottstantischell Theolo gie, p. 876.
- 295-
science et d 'examen il détourne de l'Evangile beau-
coup d'hommes sérieux, distingués et influents,
mon sujet est, vous le voyez, éminemment apologé-
tique.

TROISIÈME CHAPITRE
Théorie de Swédenborg .

1 0 Sa gue"1~e au t'i·ithé-isme.
D'accord avec Michel Servet et les deux Socin, un
des savanLs les p-]us illustl'es et les plus pieux de la
Suède, Emmanuel Swédenborg montra, dés le milieu
du XVIIIe siècle, que la doctrine trinitaire compl'o-
mettait le christianisme de la façon la plus dange-
reuse.
A son tour, il dénonça la Trinité nicéenne et atha-
nasienne comme un véritable trithéisme , s'achop-
pant en particulier, non sans raison, à ce passage du
Symbole Ouicunque ." « Comme nous sommes fonés
par la vérité ch"étienne de confesser que chaque pel'-
sonne en particulier est Dieu et Seigneur, ainsi il
nous est défendu par la religion catholique de dire
trois dieux ou trois seigneurs. » Cela signifie, en bon
fran çais, qu'il faut croire à trois dieux, mais ne pas
le dire. Au reste, dans cet inconcevable article, « la
vérité chrétienne, dit Swédenborg, et la "eligion ca-
tholiqtte ne sont pas une même chose, mais deux
choses qui se contrarient. S'il a été ajouté que le
Pére, le Fils et le Saint-Espl"it ne sont ni trois dieux
- 296-
ni trois seigneurs, mais un seul Dieu et un seul Sei-
gneur, cé fut pour ne pas s'exposer à la risée devan
le monde entier. Car qui n'éclaterait de rire à l'idée
de trois dieux? »
Cette contradiction flagrante entre notre pensée et
notre parole a l'immense inconvénient de nous faus-
ser l'esprit et la conscience; elle nous accoutume à
nous mentir à nous-mêmes et nous fait, pour ainsi
dire , loucher spirituellement. Comment cette solen-
nelle tricherie ne pervertirait-elle pas toute notre
religion et par là noh'e caractère?
Aussi, depuis le concile de Nicée, où l'on décréta
qu 'il y avait de toute éternité trois personnes divi-
nes, « une foule d'hérésies abominables - je cite
Swédenborg - commencèrent à sortir de terre . Des
antichrists se mirent à lever la tête, à divise.' Dieu
en trois et le Sauveur en deux, ainsi à détruire le
temple que le Seigneur avait élevé par les apôtres
(c'est-à-dire son Eglise), et cela jusqu'à ce qu'il n 'y
restât pierre SUl' pierre qui ne fût renversée, selon sa
propre prédiction. »
« Aujourd'hui, ajoute-t-il, la raison humaine est
liée, à l'égard de la Trinité, comme un prisonnie.'
qui a les fers aux mains et aux pieds dans un cachot.
On peut la comparer encore à une vestale enterrée
toute vivante pour avoir laissé éteindre le feu sacré.
Pourtant la Tt'inité divine devrait brillet' comme un
flambeau dans l'esp.'it des croyants, puisqu'elle es t
le tout dans toutes les choses saintes du Ciel et de
l'Eglise. "
Confesser de bouche un seul Dieu tout en pen saat
- 297-
qu'il y en a trois, - je continue à citer Swédenborg,
- « c'est ressemblel' à un comédien qui joue deux
rôles en passant avec rapidité d'un côté de la scène
à l'autr e; il dit ici une chose, là le cOllt ,'aire, et en
discutant se montœ tantôt sage, tantôt fou. Qu'en
résulte-t-il, sinon que, lorsq u'il s'arrête au milieu du
théâtr'e en regardant de chaque côté, il pense qu 'au-
cun des deux rôles n'est vrai? On a rrive de même à
croire qu'il n'existe ni trois dieux ni un Dieu uni-
que, qu'ainsi il n'yen a point. Le naturalisme (ou
matérialisme), qui règne de nos jours, n'a pas d 'au-
tre origine. "
Suivant notre auteul', l'Ancien et le Nouveau Tes-
tament ont prédit cette co ,'rupt ion des c ro yances, et
l'ont stigmatisée en la nommant tantôt « l'abomina-
tion de la désolation ", tantôt « une affliction telle
qu'il n 'yen a jamais eu et qu'i 1 n'yen aura jamais . »
Swédenborg emplo ie plusieu rs comparaisons pour
faire sentir les inconvén ients d'une Trinité divisée
en lt'ois personnes. Voic i Jes dernières: «. Le gou-
vernement de ll'Ois personnes divines dans le Ciel
serait semblable au gouvern ement de trois rois dans
un même royaume, ou au commandement de trois
généraux ayant même pouvoir sur une seule armée,
ou plutôt à l'administl'ation l'omaine avant l 'époque
des Césars, lorsqu'il y avait Ull consul, un sénat et
un tribun du peuple, entre lesquels le pouvoit' était
il est vrai divisé , tout en étant souverain chez tous.
Qui ne voit combien il serait discordant, extravagant
et ridicule d'introdnire un tel gouvernement dans le
Ciel? Or on J'y introduit quand on attribue il Dieu
- 298-
le Pèr e le pouvoir d 'un consul suprême, au Fils le
pouvoi r d ' un sénat, à l 'Esprit saint le pouvoir d'un
tnbuil du peuple; ce que l'on fait en donnant à cha-
cun d'eux u ne fonction particulière, et s u rtout en
ajoutant que ces propriétés ne sont pas communi-
quab les. »
20 Sa méthode .
..... vant d 'examiner avec vous quelle transformation
Swédenbo,'g a fait subir à la doctl'ine reçue, il con-
vient de vous rappeler· en que lqu es mots sa méthode.
Le gén ial écrivain de Stockholm a été accusé à tort
de « rationalisme» par Frédéric de Rougemont' ,
qui du l'este a vouait l e connaitre peu . Cependant
cette accusation avait une apparence de vérité. Car
Swédenborg tenait en haute estime la raison, et en
cela il appartenait bie n à son s iécle; mais il ne la
regardait pas comme la s uprême au torité, en quoi il
se sépara it de Voltaire, dont il é tait le contemporain
el l'ainé de quatre a n s. Se n tan t vivement les bornes
de notre intel ligence, il déclarait que, pour connaître
les choses ,'eli g ieuses, n ous avons besoin d ' un « in-
flux» céleste et même d ' une « révélation » divine.
La « Paro le de Dieu » dans la pe rsonne du Chl'ist et
dans les saintes Ecritures é tait à ses yeux « la cou-
1 Chrétien évan!Jelique~ janvier ·1864. Revue cp'itique du Swédenbo't'g
de M. Malter. « Sa doctrine n'cst qu'une variante du rationali sme. »
« La Nouvelle Jéru6alem est cc qu e sont toutes les créations du ratio-
nalisme : un corps sa ns à mc .. .. » Cette appréciation est d'une souve-
ra ine injustice. Au reste les théologiens d'aujourd'hui, au lieu de con-
sidérer Swédenborg comm e rationaliste, le trouvent plutôt trop ortho-
doxe . Il croit en effet beaucoup plu s qu'eux à la divinité du Sauveur,
à l' insp iration spéc iale de s ":critures. à ce qu'clles disent de l'autre
monde, etc.
- 299-
ronne des révélations )). Il l'étudiait sans cesse dans
les langues originales en y appliquant son puissant
espr·it, mais en sachant qu'il ne pouvait la compren-
dre réellement s'i l n'était éclairé par la lumié,'e du
Ciel, ou, comme il disait, « illustré D.
C'est en vertu de cette« illustration» qu'il se croit
appelé li dévoiler le sens « interne)) ou « spirituel»
de la Parole, sens qui ho,'s de la Nouvelle Egli se de-
meure contestable et contesté. Néanmoins, notons-l e,
c'est sur la signification littérale et natu relle, admise
par tous, des passages bibliques qu' il fonde toutes
ses doctrines. Lui rep,'oc hera-t-on sa fo i, qui est non
un a p,'io,'i, mais un résultat de l'étu de et de l'expé-
rience? A ce compte-là, aucun chrétien ne mérite-
rait d 'être écouté, Emerson l'a nommé « mystique »,
et l'a même choisi comme le g,'and représentant des
mystiques, Il n'est p ins nécessaire aujourd'hui de
prendre le pa,'ti du mysticisme, sans lequel , on le
reconnait, il n 'existe point de religion sérieuse. Seu-
lement Swédenborg est un mystiqne d ' une espéce
fort rare, pour ne pas dire unique, précisément par
l'importance capitale du rôle qu ' il assigne à la rai-
son, Toute sa théologie a pou,' but de donner pour
la première fois une interprétation ,'ationnelle - ra-
tionnelle en tant que spirituelle - de la ,'eligion vé-
cue et enseignée par Jésus-Christ.
Il en appelle donc à la raison, à la conscience, à
l'appréciation de ses lecteurs. Loin de souhaiter qu'on
le croie sur parole, il pl'Ovoque l'examen, la discus-
sion, mép,'ise la foi aveugle, condamne l'obscuran-
tisme. Nul plus que lui n'a respecté la l iberté indivi-
- 300-
duelle, stimulé la réflexion, heurté de front les tra-
{litions vénérées quand elles lui paraissaient supers-
titieuses, hardiment exprimé, sans souci de plaire
ou de déplaire, les certitudes auxquelles il était
arrivé. En somme, il nous expose sa religion, dans
son ensemble et dans chacu ne de ses parttes, avec
un merveilleux talent d'analyse et de synthése, l'ap-
puyant de tous les arguments capables de la justifier
et nous laissant le soin de jugel' dans quelle mesure
elle est vraie. Il se met ainsi à la portée de chacun.
Son systéme, qui remplace des dogmes vieillis par
des conceptions à la fois bibliques et raisonnables,
peut être regardé comme une compléte apologie de
l'Evangile. Véritable prophète de l'économie de l'es-
prit, l'auteur s'adresse à tous, croyants ou incré-
dules; il nous pl'end où nous sommes pOl11' nous
éleve r' à la hauteur de ses convic tions.
Swédenborg expliqu e lui-même quelles autorités il
recon nait en philosophie. « Voici, dit-il, quels sont
les moyens spéciaux qui ménent à une connaissance
vraiment philosophique: l'expérience, la géométrie
et la faculté de raisonner. D - Sur l'océan des mys-
tères de la création « je n'osel'ais pas ouvrir ma voile
sans avoir toujours auprès de moi l'expérience et la
géométrie pour conduire ma main et veiller au gou-
vernai l. Avec leur' secours et leur direction, je puis
espél'er un heureux voyage sur l'abime où nul che-
min n'est tracé. Elles sont les deux étoiles qui me
guideront dans ma course et illumineront ma route;
car c'es t d'elles qu'on a le besoin le plus pressant
dans les profondes ténèbres qui enveloppent à la fois
- 3Ot-
la nature élémentaü'e et l'esprit humain. » - « A
moins d'êtt'e géométriquement et mécaniquement
liés à l'expérience, nos principes ne sont que de
vains rêves et de pures hallucinations. » - Dans sa
théologie aussi, le philosophe suédois se fonde tou-
jours sur l'expérience et raisonne avec la rigueul'
d ' un géomètre, convaincu que la religion vé.-itable
est corroborée par la science. Il n'y a rien, me semble-
t -il, à objecter à cette méthode.
J'ai maintenant à vous expliquer comment Swé-
denbOl'g concevait Dieu. Nous parlerons d'abord de
l' unité divine, ensuite des tt'ois noms SUI' lesquels o n
a fait reposer le dogme de la Trinité.
3 0 lIfonothéislne et Trine d 'Essentiels .
Comme la Bible, Emmanuel Swédenborg est avant
tout monothéiste. Sans m 'arrêter aux arguments phi-
losophiques dont il fait usage pour défendre sa foi,
je rappellerai très brièvement la façon dont il la l'at-
tache aux Ecritures.
Les livres de l' Ancien Testament, assure,t-il, en-
seignent de la façon la plus catégorique l'unité de
Dieu et insistent fréquemment sur cette unité, qu'on
pourrait appeler la seule doctrine de la religion mo-
saïque. II le prouve comme nous l'avons fa it il y a
huit jours. Nous n'avons donc pas besoin de nous
arrêter sur ce point.
II montre ensuite que la nouvelle alliance, qui
n'avait plus à mettre l'accent sur cette vérité désOl'-
mais acquise, la confirma poul'tant. Et il cite à ce
propos la parole suivante de Jésus: « Pourquoi
- 302-
m'appelles-tu bon? Nul n 'est bon Setut le Di eu uni-
que. » Si l'on traduit: « Sauf un seul, Dieu, » cela
r e vient au même.
Le monothéisme du Christ est à mes yeux certain.
Cependant, il faut l'avouer, nous rencontrons dans
le Nouveau Testament beaucoup de passages qui
semblent donner raison au trithéisme des conciles.
Il y est question de trois êtres vivants et personnels,
s'associant pour consti tuer la Divinité souveraine.
La formu le de l'institution du baptême est au nom-
bre de ces textes importants qui contredisent, du
moins en apparence, la doctrine fondamentale de
l'unité de Dieu. Est-il possible de concil iel' ces deux
enseignemen ts? Toutes les tentatives faites dans ce
but au se in du protestantisme ont, je dois le dire,
échoué. Une seule est, à n'ion avis, satisfaisante. Un
seul penseur, le théosophe suédois, a vraiment ré-
solu le probléme, difficile entre tous, de la Trinité.
Voyons en quoi consiste cette inattendue solution.
Les termes de « Père », de « Fils» et de « Saint-
Esprit >, par lesquels on entend ordinairement des
« hypostases» ou « personnes» divines, désignent
aux yeux de Swédenborg de simples attributs de
Dieu, mais des attributs d'une espèce particulière
qu'i l appelle des Essentiels. POUl' parlel' plus exacte-
ment, chacun de ces termes s 'applique à Dieu consi-
déré sous un aspect particulier; cal', que l'on fasse
usage de l'un ou de l'autre, il s'agit toujours de Dieu
tout entier. L'analyse nous apprend à distinguer en
lui trois Essentiels, - c'est-à -dire trois facultés mai-
tresses qui forment son « essence » ; - mais un
- 303-
essentiel n'est jamais sépal'é des deux ault'es, cal'
Dieu ne peut se diviser,
Le prem iet' des essentiels d ivins est l'amour, le
second la sagesse, Je troisième la ptt'i ssance', Ces attri-
buts, que nous rencontrons a illenrs, par exemple
c hez l'homme, sont ici portés au pJus haLlt degré,
attendLl que nous sommes dans le domaine de J'ab-
solu, Ajoutons que c hacun d'eux l'eçoit p lusieurs
noms, comme nous le verrons tout à l'heure ,

Avant d'aller plus Join, remarquons le changement


rad ical que Swédenbo rg fait subir à la théodicée ré-
gnante, Il t'ell1place la T" 'i nité des personnes par la
T,-inité de la personne, c'est-à-dire par la tt' inité des
essentiels dans la pel'sonne du Dieu unique, à la fois
tout bon, tout sage et tout-puissant , Cette idée géné-
rale, aussi simple qu'elle est profonde, vous paraîtra
peut-êti'e assez naturelle. En effet elle a donné nais-
sance aux divers systèmes modalistes, qui réduisen t
Ja Trinité à trois modes ou formes de l'existence de
Dieu. Mais aucun de ces systèmes ne s'est imposé
par son excellence, tous au contraire ont été repous-
sés par l'Eglise. En outre, aucun d 'eux ne mentionne
les mêmes attributs que Swédenborg en les plaçant
dans le même O1~d·l'e.
Or c'est précisément dans cet ordre-là que consiste
l'originalité de l'explication qui nous occupe, Car
cet ordre se t'attache d irectement à une grande loi
que Swédenborg a découverte, et que je vous ai pré-
1 Ou plus exactement l'opération.
- 3Ot. -
cédemment exposée . Je veux pal'ler de sa féconde
théorie des deg"és disel'ets, c'est-à-dire séparés, ou
deg,'és de hautew'. Ces degrés concel"nent les rela-
tions de causalité. Dans tout être, toute chose et
toute action, il existe trois degrés de ce genre, tou-
jours les mêmes, Cal' il n 'yen a pas d'autl"e. Ce sont
la (in, la cause et l'effet. La fin, ou le but, est un sen-
timent qui pousse dan s une certaine dü"ection; la
cause est une pensée, un ensemble de moyens choi-
sis pOUl' arriver au but; l'effet est une production,
Wle œnVI"e quelconque réalisant la fin . Il n'y a pas
continuité entre ces degl'és, mais seulement rapport
logique. Un sentiment est autre chose qu'une pensée,
une pensée autre chose qu'une parole, un acte ou
une maison; mais dans toute pal"ole, dans toute
œuvre matérielle on spirituelle, il y a une pensée,
et dans toute pensée un sentiment, une affection qui
J'inspire. Notre univers est un effet produit par J'uni-
vers invisible ou spirituel, qui est le monde des fins
et des causes. En d'autres termes, la matière est une
production, une manifestation sensible de l'es prit.

* * *
Pour finir d'esquisser, à fort grands traits, la doc-
trine des degrés, je dois vous dire quelques mots de
celle des eo,·,·espondanees. Il y a trente ans environ,
l'Ecossais Henry Drummond fit grand bruit, même
chez nous, en affirmant une identité de lois entre le
monde naturel, où nous vivons maintenant, et le
monde spil"Îtuel, où nous entrons par la mort ' . Bien
1 Naltl1'al Law in, the Spif'itual Wo,.zd.
- 305-
des années plus tôt, un philosophe bernois que j'ai
tâché de faire connaître, Henry de May, avait sou-
tenu la même thèse avec d'autres tel'mes et une
autre argumentation. Ces deux penseurs, indépen-
dants l'un de l'autre, n'ont fait que découvrir à nou-
veau la ([ loi des correspondances », trouvée et dé-
montrée pal' Swédenborg plus d'un siècle aupara-
vant.
Mais le théosophe suédois n'a pas uniquement
l'honneur d'avoir fait cette découverte le premier, à
une époque où la science et la philosophie étaient
relativement peu avancées ; il eut en outre le mérite
de voir plus profond que ses successeurs, c'est-à-
dire d'expliquer, lui seul, pourquoi le monde de la
pensée correspond exactement au monde des sens. Il
se rendit compte que l'un est la cause de l'autre. Leur
correspondance mutuelle provient du fait qu'ils for-
ment un tout au moyen des degrés discrets. C'est en
vertu de cette correspondance que les phénomènes
maté riels "ep"ésentent les choses de l'esprit et nous
ell donnent l'impression. Il y a là un symbolisme
inconscient qui s'impose aux ignorants eux-mêmes.
J'en ai dit assez, j e suppose, non pour vous rendre
tout à fait claires la doctrine de la correspondance
et celle des degrés, ces deux superbes théories dues
au génie de Swédenborg, mais au moins pour vous
faire comprendre l'impol'tance d'une explication qui
rattache la Triade divine à ces lois universelles et
fondamentales . Il est facile et commun de choisir
trois attributs de Dieu, - disons la puissance, la sa-
gesse et l'amour, - et de prétendre qu'ils sont dési-
S'\VÉ DENBORG il 20
- 306 -
gnés dans l'Evangile par les noms de Père, de l"il s et
de Saint-Esprit. Ce qui était difficile, et ce qu'à ma
connaissance nul docteur n'avait encore fait, c'est de
ranger ces attributs dans l'ordre précis que leur a
donné Swédenborg, - l'amour d'abord, puis la sa-
gesse, enfin la puissance de vie ou l'opération, -
et surtout de légitimer cet ordre d'une manière écla-
tante par les deux lois connexes et lumineuses de la
correspondance et des degrés_
.. ,. ,.
Cette conception de l'essence de Dieu se recom-
mande d'emblée à notre esprit par le fait qu'elle
attribue au Créateur les mêmes qualités qu'à ses
créatures morales, avec cette différence toutefois que
chez lui ces qualités sont infinies, tandis que chez
nous ell es sont fin ies. Tout homme, en effet, est:
1 0 amour; 2 0 intelligence; 3 0 activité; mais en Dieu
seul ces trois énergies se rencontrent au degré su-
prême, appartiennent à la catégorie de l'absolu. Or,
si vous y réfléchissez un moment, vous comprendrez
que nous n'avons pas de méthode à la fois plus sim -
ple et plus sûre pour connaître Dieu que de l'imagi-
ner comme l'homme infini, parfait, comme le type
absolu de l'humanité. Il est cela d'après la Bible,
puisqu'il nous a créés 0: à son image et selon sa res-
semblance », et puisque nous ,sommes appelés à de-
venir « ses fils et ses filles », à étre « parfaits comme
notre Père qui est aux cieux est parfait D .
Avant d'aller plus loin, je dois vous prévenir que
Jes trois degrés discrets que nous avons reconnus en
- 307-
Dieu, ou les trois essentiels qui le composent, sont
désignés de différentes manières suivant les cas. Le
Trine, envisagé sous diverses faces, peut s'expri mer
par les mots de la liste suivante. Les deux premiers
numéros s'appliquent à Dieu, les deux derniers à
l'homme; les numéros intermédiaires sont égale-
ment vrais de J'homme et de Dieu i.
Le Trine.
1. Le Divin même. Le Divin humain. Le Divin procédant.
Le Sainl-Esprit,
!. Le Père. Le Logos, le Fils.
! le Paraclet, etc.

3. La fin. La cause. L'effet.


.... L'être. Le devenir. L'exister.
l;. L'iotirne. L'intérieur. L'cxtérieul',
6. Le premier. Le moyen. Le dernier.
7. L'amour. La sage!se. Ln puissance, J'énergie.

8. La volonté.
t L'entendement,
l'intelligence.
L'exercice. l'opération.

9. L'affection. La pensée. L'usage.


10. Le bien. Le vrai. La vie.

11. L'âme. Le corps. L'action .


12. La charité. La foL Les bonnes œuvres.

En résumé, il y a certainement en Dieu une sorte


de trinité, - je dirai plus volontiers un trine ou une
triade pour qu'il ne reste pas d'équivoque, - une
triade ou un trine d'attributs, de qualités, d'essen-
tiels. Cette assertion n'a rien de choquaut ; elle s'im-
pose même à tout être qui réfléchit, car elle est en
complète harmonie avec ce que nous savons du
1 Encore le onzi~me peul-il être l'an lé danl cette seconde catégorie.
- 308-
monde et de l'homme en particulier. Ce que nous ne
pouvons pas admettre, c'est un Dieu en trois per-
sonnes, un Dieu incomp"éhensible dont l'essence
même serait en contradiction avec la nature humaine
et avec l'univers créé.
Aprés avoir envisagé la Divine Triade dans son
ensemble et dans sa partition, examinons rapidement
chacun des essentiels dont elle se compose.
40 Le Père.
Aux yeux de Swédenborg, le Père, c'est l'amour,
le bien, la volonté, la substance, dans le sens le plus
élevé que comportent ces termes. Cet amour se ma-
nifeste immédiatement dans le Soleil spirituel, qui
par sa chaleur bienfaisante communique la vie aux
anges de tous les Cieux, et dont le soleil de notre
univers n'est qu'une image g rossière.
Or l'amour, c'est le bien; je n'ai plus besoin d'in -
sister là-dessus. C'est en même temps la volonté, car
amour et volonté sont à peu près synonymes. C'était
l'idée de Descartes, le père de la philosophie mo-
derne, et même celle de Calvin. Ce que nous aimons,
nous le voulons, et, si nous voulons faire une chose,
c'est une preuve que nous l'aimons. Notre amour
régnant dirige notre conduite, et l'amour parfait
sera en même temps la volonté suprême .
Mais qui dit volonté dit liberté . Donc la liberté de
, Dieu est absolue: il fait tout ce qu'il veut. Ce n'est
pas que sa volonté ne rencontre aucune limite; mais
les limites qu'elle rencontre, il les a lui-même fixées
dans sa souveraine sagesse.
- 309-
La philosophie du siècle dernier refusait d'étudier
la question de « substance », la considérant comme
insoluble et décourageante. On y revient aujourd'hui.
Pour Swédenborg, c'est la volonté de Dieu qui cons-
titue la substance même.
Charles Secrétan est arrivé, indépendamment du
Prophète du Nord qu'il ne connaissait pas, exacte-
ment à la même théorie sur ces problèmes fonda-
rnentaux. cr L'amoul', dit-il, est le fait d'une volonté
libre l . - Il ne peut fleurir que sur la tige de la
liberté. - Aimel' , c'est vouloir. - La volonté est ,
donc le caractère éminent de l'esprit, la volonté est
la puissance qui régit nos diverses pu issances ... La
volonté est la racine, l'unité, la substance de l'esprit,
et tout esprit est libre parce qu'il est esprit. Si l'es-
sence de l'EUe existant par lui-même est libre vo-
lonté, il est manifeste que la volonté est le principe
de tout être, la substance des substances et l'essence
unive?·selle. Tout se résout donc en volonté '. »
Ce qui précède est simplement un commentaire
de la profonde parole de saint Jean: « Dieu EST
amour. » L'amour est le fond de son être, son pre-
mier essentiel, sa plus haute fin. C'est donc l'amour
qui inspirera tous ses actes, la rédemption aussi bien
que la création,
J Le poè te Chaucer, mort en 1400, disait déjà:
Love i. a thing. as any spirit, {ree .
IlPhilosophie de la Liberté . Seconde édition. L'Jdée, r. 313. 381 ,
388, 393, ~7,
TROISIÈME LEÇON
50 Le Fils. Chaleur et. lumière. Le Logos devient le Fils.
Interne divin et externe humain. Unitarisme à rebours. Fonds
de vérité dans la c( Religion positive» d'Aug. Comte.
60 Le Saint-Esprit. Malentendu. L'csprit d'un esprit pur!
La Vie procédant du Seigneur. Glorification préalable. La
Pentecôte inaugure une époque plus avancée. L'enseigne-
ment de l'Esprit en rapport avec notre réceptivité. Etude
négligée. 70 Succession et crescendo des trois Essentiels.
Trois périodes. Position supérieure des chrétiens. Victoire
sur le paganisme. Déchéance de l'Eglise. Le Réveil et le
Saint-Esprit. 80 Valeur de cette doctrine. Conciliation du
monothéisme avec la divj~ité Idu Christ. l\fodalisme de
Sabellius. Intérêt pratique de notre doctrine. Conclusion.
Deux conseils.

50 Le Fils .
Passons au second essentiel, le Fils. C'est encore
l'apôtre Jean qui commence son Evangile en ces
termes: « A l'origine était le Verbe (on traduit aussi
la Pal'ole), et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était
Dieu. ]) Le Verbe (en grec Logos) désigne Dieu au
point de vue de l'intelligence théorique et de la sa-
gesse pratique. Faculté merveilleuse, dont le génie
humain ne présente qu'un faible reflet, cette intelli-
gence infin ie ne vient pourtant qu'en second rang;
elle fou l'nit des moyens à l'amour, qui sans elle ne
- 311 -
pourrait rien. Ici encore parfait accord avec le phi-
losophe qui a honoré notre ville. « Si la dernière rai-
son des actes de la volonté est en elle-même, a écrit
Ch. Secrétan, c'est que la volonté a sa racine en
elle-m ême, c 'est qu'elle est substantielle; e t, comme
l'intell igence ne peut être une autre substance, il
faut reconnaitre en e ll e un caractère, un attribut,
un phénomène de la volonté!. - Ainsi l'intelligen ce
est la forme du moi, dont la pure énergie de la vo-
lonté est le fond. D
Les relations qui existent entre l'amour et l'en-
ten dement sont illustI'ées, même pour les simples,
pal' celles de la chaleur et de la lumière que nou s
envoie le soleil. La chaleur symbolise l'amour, dont
elle provient; la lumière symbolise l'intelligen ce, la
vérité, qui est la lumière céleste. Aussi la Bible
e nseigne-t-elle que «Dieu est lumière », comme Jésus
est" la vérité ».
Le premier essentiel n'agissant jama is seul, sans
l'intermédiail'e du second, Dieu n'a pu se manifester
en chaü' que par le Logos, qui en Jésus de Nazal'el h
est devenu véritablement le Fils ' . Mais comment
Swedenborg entend-il l 'inca rnation? Pour lui , Jésus
était l'enfant de Marie quant à son « extel'ne », c'est-
à -dire non seulement dans son corps, mais dans son
être naturel t out entier; quant à son « interne »,
c 'est-à-dire quant à son être spirituel, il n'avai t
t Ibidem, p. 88.
:1: Le premier degré discret est toujours le père du second , comme
celui-ci est le père du troisième . Car nous avons vu que la fin est la
cause de la cause; or la ca use est le pè re, et ce qu'eHe produit immé-
diateme nt e st son fUs .
- 312-
d'autre père que Dieu. Ainsi, seul entre tous les
hommes, il eut un inte,-ne divin en même temps
qu'un externe humain.
Par suite de cette constitution mix.te, il pouvait
être tenté et surmonter les tentations. P ar des vic-
toires successives, qu'aucune défaite n'interrom pit,
il a soumis son externe à son interne, « la chair» à
« l'esprit :0, dépouillé la nature inférieure qu'il avait
reçue d e sa mère, et revêtu l'essence supérieure
qu'il t enait de son père. Au terme de cet hé,·oïque
effort, il a pleinement r éalisé sa vocation d e CI Fils de
Dieu» et de" Fils de l'Homme D. Il a effectué dans
sa personne cette alliance réciproque d e l'humain et
du divin qui nous apparalt comme le but de l'évolu-
tion du monde e t de l' histoire. L a réconciliation est
accomplie. Die u s'est fait homme, et par là-même un
homme particulier, le second Adam, a été fait Dieu.
En conséquence, nous pouvons nous approp,·ier cet
article du Symbole dit d'Athanase:« Notre Seigneur
Jésus-Christ est Dieu et homme. ]) Cependant « il n'y
a pas deux êtres, mais un seul Ch rist. Il est un , parce
que le divin a revêtu l'huma in . Il est même absolu-
ment un ; car, comme l'âme et le corps sont un se ul
homme, de m ême Dien et l'hom me sont un se ul
Christ. »
Ce Christ est bien l'Emmanue l promis, «Dieu ma-
nifesté en chair », ou, se lon l'expression si jnste que
Swédenborg a mise en usage, le Div in Humain.
Ajou tons que, un e fois complètement glorifié ou
divinisé par sa rés urrection et son ascension, le Fils
a terminé son œuvre et ne se disti ngue plus du Père .
- 313-
Sa personnalité s'est fondue avec celle de Dieu, dont
il possède alors tous les attributs . La période du Fils
est achevée; elle a été courte, car elle n'a duré que
trente-trois à trente-quatre ans. Elle sera suivie pal'
la période du Saint-Esprit. Désormais l'homme Jésus,
devenu le Seigneur, le Premier et le Dernier, l'Alpha
et l'Oméga, le Roi des rois, le Tout-Puissant, possède
« toute la plénitude de la Divinité D; c'est en lui que
r éside et se concentre le trine suprême. C'est donc
à lui que nous devons adresser directement nos
prières et nos louanges, sans plus nous soucier des
formules trinitaires, dans lesquelles d'ailleurs il est
difficile de ne pas s'embrouiller; c'est lui que nous
pouvons appeler: Cl Notre Père qui es aux cieux 1 »
lui que nous pouvons adorer sans « jésulâtrie »,
puisqu'il s'est puriOé de tous les éléments naturels
contre lesquels il avait à lutter pendant sa vie ter-
restre.
* * *
Nous avons ici comme un « unitarisme» à reboul's.
Tandis que les sociniens et autres unitaires ont re-
trouvé le monothéisme pur par le sacrifice de la
nature divine du Sauveur, Swédenborg y an·ive en
divinisant le Christ plus encore que n'a fait l'ortho-
doxie. Il voit en lui non une des trois hypostases
divines ou, pour ainsi dire, un tiers de la Divinité,
mais la Divinité totale, en ce sens que ses trois essen-
tiels sont inséparables, manifestant toujours une
seule et même personne. Cette solution nouvelle
satisfait le sentiment chrétien, que l'unitarisme a
toujours froissé. Elle respecte en outre l'enseigne-
- 314,-
ment de la primitive Eglise, qu'on doit taxer d'exa-
gé ration et de mythologie lorsqu'on ne voit en Jésus
que le meilleur des hommes.
,. ,. ,.
Permettez-moi, mes chers auditeurs, un autre
rapprochement qui s'impose encore à mon esprit.
Auguste Comte, le fondateur du positivisme, a cou-
ronné sa philosophie par un essai de religion. Cette
religion singulièl'e, - trop paradoxale pour trouver
beaucoup de partisans, surtout en France, - rem-
plaçait Dieu par l'Humanité, une humanité idéale
qu'on n'a jamais vue et qu'on ne verra jamais ici-
bas. Ainsi des deux termes qu'il s'agissait de relier,
Dieu et l'homme, il supprimait le premier, le rem-
plaçant par le second auquel il donnait une forme
abstraite, imaginée et nécessaÎl'ement arbitraire.
Ce système était inadmissible, absurde, cependant
il renfermait un fond de vérité .
Cette Vél'ité, entrevue et défigurée par le philo-
sophe parisien, c'est que Dieu est vraiment Homme,
qu'il est le prototype ou l'idéal de l' humanité; que
par conséquent chacun de nous sera d 'autant plus
homme qu'il ressemblera davantage à Dieu; qu'enfin
la religion consiste à transformer l'humanité réelle,
actuelle, sur le modèle de l'humanité idéale, par-
faite, telle qu'elle est en Dieu seuL
Ce point de vue-là, si profond et si peu connu jus-
qu'à maintenant, a été compris et mis en lumière
par Emmanuel Swédenborg un siècle avant qu'Au-
guste Comte enseignât la c Religion positive. dont
- 315-
il devait être le souvel'ain pontife. Une gl'ande fome
des swédenborgiens, c'est de proclamer l'unité sub-
tantielle de la race humaine et de son Créateur, de
présenter Dieu comme l'homme vrai, de proposer â
notre adoration le Divin Humain, c'est-à-dire non
une abstraction, mais une réalité, l'homme Jésus de-
venu Dieu . Une semblable conception répond admi-
mblement aux divers besoins que le culte éli'ange
institué par Auguste Comte cherchait vainement à
satisfaire; sans nous rendre orgueilleux d'être des
hommes, elle nous encourage et nous stimule en
nous montrant l'un des nôtres parvenu au plus haut
degré de l'échelle qui va de la terre au Ciel, arrivé
lui-même au but et désireux de nous le faire attein -
dre. Voilà qui est autrement tonique et réconfortant
que le positivisme!
* * *
6 0 Le Saint-Esprit.
Il nous reste à étudier le troisième essen tiel de la
divine Triade. Qu'est-ce que le Saint-Esprit? Cette
question est assurément difficile, mais on l'a compli-
quée comme à plaisir et rendue inextricable par un
évident malentendu. On a pris naïvement à la lettre
les passages qui personnifient l'Esprit saint, comme
sont personnifiés, de l'avis de tous, le Vent et les
Flots, la Sagesse et l'Intelligence, la Fièvre, l'Epée,
la Mort et le Sépulcre (en hébreu Schéol, en grec
Hadès) . Je puis, je pense, m'abstenir de vous lire les
textes bibliques auxq uels je fais allusion ici; ils sont
d'ailleurs conformes à la tendance qu'ont les Orien-
- ;;l16 -
taux d'exprimer toutes leurs pensées en langage
figuré.
* * *
La plus simple l'éflexion suffit à prouver absolu-
ment que le Saint-Esprit ne saurait être une hypos-
tase. Ce nom désigne l'Esprit du Die"u véritable qui
est pur esprit, ce que nul ne conteste; or l'esprit
d'un esprit ne saurait être une autre personne que
ce del'niel'. Ou plutôt on ne songe point à parler de
l'esprit d'un esprit, pas plus que du corps d ' un
corps. Chez l'homme, créature mixte, on peut sans
doute distinguer entre son organisme matériel et
l'esprit qui l'anime, et parler de cet esprit seul. Mais
en Dieu, l'être spiritnel par excellence en qui n'existe
aucun mélange d'élément inférieur, son esprit, c'est
évidemment lui-même et lui tout entier.
En effet, le Saint-Esprit ne se conçoit que comme
Dieu se présentant sous son troisiéme aspect, ou
dans son troisième essentiel, qui suppose et com-
p rend les deux premiers. Nous avons vu que, dans
toute existence, les trois degrés discrets dont elle est
formée s'engendrent l'un l'autre, la fin ou le but (qui
est un sentiment) produisant la canse (qui est une
pensée), et la cause produisant l'effet (qui est une
action, une chose ou un être vivant). C'est ainsi
qu'en Dieu, souveraine personnalité, le Père a donné
naissance au Fils unique, et le Fils au Paraclet ou
au Directeur, le Consolateur de nos anciennes ve r-
sions.
Le Paraclet se rattache donc immédiatement au
Fils, qui est la vé rité même; aussi s'appelle-t-il
- 317-
« l'Esprit de vérité », et est-ce le Christ qui le répand
sur ses disciples. Mais médiatement et en dernière
analyse il provient du Père céleste, car il est égale-
ment désigné comme «l'Esprit de Dieu », «l'Esprit
du Seigneur », c'est·à-dire « l'Esprit de Jéhova; »
Jésus le promet aux siens « de la part de son Père ",
et leUl' dit: « L'Esprit de votre Père, ou l'Esprit
saint, parlera par vous. »
Le Saint-Esprit, c'est la puissance ou plus exacte-
ment l'activité de Dieu dans ce qu'elle a de plus élevé
et de plus intime. Il est nommé par Swédenborg le
Procédant, la Vie procédant du Seignew', la divine
Vertu et la divine Opération. Pour bien comprendre \
le mot (\ Procédant D, il faut se rappeler que, dans
. l'autre monde, le SeigneUl' apparait comme Soleil, et
que de ce Soleil procédent la chaleur et la lumière
spirituelles, la chaleur qui est l'amour, la lumière
qui est l'intelligence. Ce sont les rayons de ce Soleil
céleste que l'Evangile appelle Saint-Esprit ou Para-
clet. Ce Saint-Esprit n'est pas divin par lui-même,
mais il émane directement de Dieu, est un avec lui,
nous transmettant son amour et sa sagesse. C'est par
son intermédiaire que Dieu embrase notre cœur, lui
faisant aimer tout ce qui est bon et beau, et qu'il illu-
mine notl'e entendement pour lui faire comprendre
ses révélations.
* * *
L'Esprit saint continue l'œuvre du Christ en l'ap -
pliquant aux fidèles. Nous lisons dans le quatrième
Evangile: « II n'existait pas encore d'Esprit, - ou
d'Esprit saint, - parce que Jésus n'avait pas encore
- SIS-
été glOI'ifié. l> Il fallait donc que Je seul homme
" saint» qui ait jamais vécu sur Ja terre eût achevé
sa sanctification personnelle avant de POUVOil' ré-
pandre l'Esprit de sainteté dans J'âme de ses frères
pour les rendre semblables à lui .
Par cette effusion de J'Esprit, le Seigneur, qui est
monté au Ciel, revient à ses disciples. « Je ne vous
laisserai point orphelins, leur disait-il; je reviendrai
vel'S vous. Je m'en vais et je reviens à vous. » Or,
comme l'a éCl'it saint Paul, " Le Seigneur est l' Es-
prit, D et « le derni61' Adam est un Esprit vivifiant. D
En vertu de cette identification des deux derniers
essen tiels de la Divinité, ce n'est pas Je Père qui en-
voie aux hommes le Saint-Esprit, soit médiatement
selon la croyance générale, soit immédiatement selon
l'Eglise gl'ecque; c'est le Seigneur, dont l'humain a
été glorifié, qui l'envoie de lui-même d'après Dieu
le Père. « Cette doctrine, dit Swédenborg, vient du
Ciel et les anges l'appellent arcane, parce qu'elle n'a
pas encore été dévoilée dans le monde. »

. . .
Nous pouvons et devons, en conséquence, nous
adresser au Seigneur pour obten ir son Esprit. Puis-
qu'il est le Médiateur, il serait inconséquent de nous
( passer de son office en allant directement au Père.
Mais la Pentecôte n'est pas un simple retour du
Christ; elle inaugure une époq ue plus avancée du
royaume de Dieu . « Il vous est bon que je m'en
aille, affirmait Jésu s; car, si je ne m'en vais, le Para-
clet ne v iendra point à vous . Si je m'en vais, je vous
- 319-
l'enverrai. Vous le connaissez, parce qu'il demeure
av ec vous, et il sm·a en vous. » Voici l'inlmense pro-
grès qui va s'accomplir. Après avoir ètè simplement
« avec nous» pendant la carrière terrestre du Mes-
sie, Dieu veut être désormais « en nous Il par son
Esprit. L'intime alliance du divin et de l'humain,
réalisée en premier lieu chez le Maitre, se répète
maintenant chez les disciples. Dieu prend possession
de leur âme, il réside en eux, faisant de leur corps
son «temp le », comme il ne pouvait pas le faire chez
les Juifs, ni à plus forte raison c hez les païens, fu s-
sent- ils des philosophes ou de grands initiés.
L'incarnation de Dieu, son humanisation é ta it né-
cessaire pour que la religion spirituelle fùt fondée,
que la vie divine se répandit chez toutes les nations,
et que la victoire sur le mal commençât à être une
réalité. C'est, pensons-nous, ce que Swédenborg a
expliqué d'une manière plus profonde et plus saisis-
sante que tout autre théologien; mais, pour le faire
voir, nous aurions à parler de la Rédemption. Or ce
sujet est, à lui seul, si considérable que nous devons
le laisser de côté dans cette série de leçons, pour le
--ffaiter à part une autre fois'.

* * *
Quant au Saint-Esprit, nous avons encore deux
observations à faire. La première, c'est que, si son
œuvre est admirable en théorie, e lle s'accomplit d e
fait peu à peu et le plus souvent d'une façon très
i Un cours de cinq leçons lui est consacré en ce moment. Il pa-
raÎtr~ dans notre troisième volume.
- 320-
insuffisante. D'après notre auteur, - et ceci est une
de ses idées originales, - l'Esprit saint ne nous
parle jamais que par des anges et des esprits, et son
enseignement est toujours conditionné par notre
degré de réceptivité.
« Après que le Seigneur les eût baptisés de l'Es-
prit, les apôtres, dit-il, prêchèrent l'Evangile dans
une grande pal'tie du globe, le répandirent de bouche
et par écrit, et firent cela d'eux- mêmes d'après le
Seigneur. En effet, Pierre a enseigné et écrit d'une
manière, Jacques d'une autre, Jean d'une autre et
P a ul d'une autre, chacun selon son intelligence. Le
Seigneur les a tous remplis de son Esprit, mais cha-
cun en a pris une mesure conforme à la qualité de
sa perception. Tous les anges des Cieux ont été rem-
plis du Seigneur; néanmoins chacun parle et agit
selon l'état de son mental, les uns avec simplicité,
Jes autres avec sagesse, ainsi avec une variété infinie.
Chacun parle de soi-même d 'après le Seigneur.
» 1I en est ainsi de tout ministre de l'Eglise, tant
( de celui qui est dans les vrais que de celui qui est
dans les faux. Chacun a sa bouche et son intelli-
gence, et chacun parl e d 'après son mental, c'est-à-
dire d 'après l'esprit qu'il possède. Tous les protes-
tants, - qu'ils se nomment évangéliques ou réfor-
més, - une fois instruits des articles de foi établis
par Luthel', Mélanchton ou Calvin, parlent, dans
leurs diverses dogmatiques, eux-mê mes d'après ces
chefs. Chaque dogme peut même être exposé de
mille manières; car chaque dogme est comme une
corne d'abondance, d'où chacun tire ce qui est favo-
- 321-
rable et adéquat à son génie, et il l'expose selon sa
faculté. »
C'est donc à tort qu'on atLribue fréquemment au
Saint-Esprit une action soudaine et en quelque sorte
magique, une transformation rapide des idées et des
sentiments, et que certains chrétiens se croient arri-
vés, grâce à lui, à l'infaillibilité dogmatique. Il n'en
est point ainsi. Les esprits et les anges, par lesquels
le Seigneur s'adresse maintenant à nous, ne nous
parlent point en général d'une façon distincte et
catégorique; nous n'avons pas même conscience de
leur présence en nous et du rôle important qu'ils
ont à jouer; surtout ce qu'ils nous disent est en rap-
port exact avec notre mentalité. Ainsi, loin de nous
communiquer la vérité absolne, ils ne peuvent nous
en transmettre que la portion que nous sommes pré-
parés à recevoit'; et cette préparation dépend elle- 1
même de l'usage que nous avons fait de notre libre
arbitre. C'est par ignorance de ce fait qu'on met sur
le compte du Saint-Espr it des actes et des doctrines
que le Seigneur désavouerait hautement; c'est par
ignOl'ance de ce fait que les conciles, et à leur suite
les synodes, les Réformateurs et les docteurs, ont
proclamé des dogmes irrationnels et poussé l'Eglise
dans les voies de la p l us déplorable intolérance, tout
en croyant être les organes attitrés de l'Esprit saint.
Ceci m'amène à ma seconde observation.

* * *
La voici: le Saint-Esprit est appelé plusieurs fois
par Jésus lui-même t'Esprit de vé,·ité. C'est dire une
SWÉDENBORO JI if
- 324 -
Jésus; tout au plus va-t-elle jusqu'au jour de Pente-
côte où les premiers disciples recurent le baptême
d'Esprit et de feu, scène grandiose dont le livre des
Actes nous a conservé le récit. Alors commence la
période du Saint-Esprit, à laquelle appartient toute
l'histoire de l'Eglise chrétienne.

* * *
Est-il nécessaire de montrer que ces trois périodes
forment un c.·escendo? De l'une à l'autre les rapports
entre l'homme et Dieu deviennent plus intérieurs,
plus réels, plus bénis.
Cela ne veut pas dire que l'évolution religieuse
soit toujours normale et ne connaisse pas de recul.
Il y eut au contraire, d'après Swédenborg, une per-
pétuelle déchéance à partir de l'Eglise Très Ancienne
jusqu'au judaïsme du temps des Hérode. Cela prouve
précisément que le monde avait un pressant besoin
d'une révélation plus complète, d'une intervention
plus efficace de la Divinité. Jamais l'empire des
ténèbres ne s'était manifesté d'une facon plus
effrayante qu'à cette époque tant en Israël que chez
les nations païennes. Notre terre était perdue sans
l'incarnation de Dieu dans un enfant né de l'huma·
nité.
Jésus-Christ est venu répondre à l'attente passion-
née des âmes pieuses. Aussi déclara-t-il, sans fausse
modestie, que ses contemporains étaient privilégiés
de voir de leurs yeux et d'entendre de leurs oreilles
· les choses admirables qu'il faisait et disait, et dont
beaucoup de prophétes et de rois avaient souhaité
- 325-
vainement d'être témoins. La grâce et la védté rem-
plaçaient les symboles et les rigueurs de la loi mo-
salque. La Parole était faite chair; le Dieu d'amour,
de justice et de sainteté, jusqu'alors invisible et mal
compris, se manifestait pal' un homme, un Israélite,
qui était la splendeur de sa gloire et l'image em-
preinte de sa personne. Une magnifique aurore rem-
plissait de joie et d'espérance tous les cœurs atten-
tifs et bien disposés. La voix libératrice qui ressus-
c ita Lazare faisait tressailli r Je vieux monde dans
son tombeau. Le royaume des Cieux commençait à
s'établir ici-bas.
Mais, autant les auditeurs immédiats du Seigneur
étaient privilégiés quand on les comparait à l'ancien
p euple d'Israël, et surtout aux palens, autant les
c hrétiens remplis du Saint-Esprit eurent une posi-
tion préférable à celle dont jouissaient les apôtres
quand le prophète galiléen vivait auprés d'eux. Vous
savez, en effet, quelle transformation merveilleuse,
unique dans les annales de J'humanité, s 'opéra chez
les nouveaux croyants lorsqu'ils reçurent le « don
du Père )) ou furent « revêtus de la force d'en haut, »
qui lem' avait été annoncée; en d 'autres termes,
lorsque leur Maitre revint â eux sous la forme im-
m atérielle du Paraclet.

* *
Une société venait de naître, société d'un genre
tout nouveau, société fraternelle et charitabl e, 011-
verte à tous sans distinction de cas le, de national ité
ni de couleur, d ébordant de foi, de bonheur et d'en-
- 3"....6 -
thousiasme. La vie pure de ses membres, leurs prin-
cipes élevés, leur culte simple et spirituel, contras-
taient avec la corruption générale et les religions
superstitieuses de l'époque. Se joignant à cette supé-
riorité mentale qui frappait les observateurs, les tra-
vaux de ses apôtt"es et l'héroïsme d e ses martyrs, non
moins que les guérisons miraculeuses fréquentes au
premier siècle, propagèrent cette société de contrée
en contrée avec une telle rapidité qu'en moins de
trois cents ans, malgré les persécutions les plus ter-
ribles, elle triompha de l'e mpire romain ainsi que
du paganisme, avec leque l il s'était solidarisé .
Cet événement capital, un des plus étonnants de
l'histoire humaine, n'a qu'une seule explication:
l'Esprit sain t, ou le fait que la Divinité s'est com-
muniquée alors d ' une manière plus intime, plus
parfaite, aux hommes prêts à le r ecevoir. Une petite
troupe de rachetés du Christ, ressuscités avec lui et
animés de son Esprit, ont vécu de la vie du Cie l et
reflété le Dieu qui habitait dans leur cam,'. Il y
avait là une puissance incomparable, inconnue, dont
on n'avait pas même l'idée jusque-là. C'est pourquoi
la modeste troupe a grandi sans cesse malgré l'op-
probre, la haine et l'opposition; elle est devenue une
immense armée, capable de se m esurer sans crainte
avec la formidable puissance des Césars.
Les vainqueurs du paganisme antique avaient
certes une religion plus rationnelle, plus avancée et
plus conquérante non seulement que les admirables
prophètes de l'ancienne alliance, mais encore que
les douze apôtres et les saintes femmes du vivant du
- 327-
Sauveur, Si donc les chrétiens des p.'emiers siècles,
très inférieurs personnellement il leur Maitt'e, ont
pu, selon sa p.'omesse, accomplir .. de plus grandes
œuvres que lui, et prêcher l'Evangile il toutes les
nations, » c'est qu'ils appartenaient il la troisième
phase de la révélation divine, il cette glorieuse dis-
pensation de l'Esprit dont le Christ historique n'a
été que l'introducteur,
* * *
Pourquoi J'Eglise, dans aucune de ses grandes
fractions, ne s'est-elle maintenue il cette hauteur?
Pourquoi d'abord s'est-elle divisée en sectes rivales?
Pourquoi ensuite le protestantisme lui-même a-t-il
assez dégénéré pour ne plus donner l'impression
que l'Evangile est la vérité? L'examen de ces angois-
sants problèmes nous détournerait de notre but, Je
m e bornerai donc à constater que de nos jours le be-
soin d'un christianisme plus intérieur, plus intégral
et il tous égards plus puissant, se fait sentir dans nos
diverses « dénominations », De tous côtés on se réu-
nit pour prier, Et que demande-t-on? Deux choses: 1
un Réveil et le Saint-Esprit , Ces deux grâces, sans
se confondre, s'appellent et se conditionnent, La
première est le mouvement géné.'al qui mettra fin il
la longue torpeur de nos populations soi- disant
réformées, en réalité mondaines et matérialistes, La
seconde est le bap tême de régénération qui fait les
vrais chrétiens, les hommes spirituels,
Sans doute, pas plus chez nous qu'ailleurs, la
masse ne croit encor e vé ,'itablemen t il l'Espl'it saint,
en tant que troisième et dernier aspect de la Divi-
- 328 -
nité', mais heureusement une minorité y croit. Cette
minorité, déj à notable et toujours grandissante, com-
prend la beauté de l 'état supérieur, surnaturel, que
J ésus a l e premier réalisé et auquel il ve u t nous faire "
parvenir. II nous appelle, en effet, à nous élever au-
dessus de nos mesquins intérêts, au- dessus de

\ !:e:,o:::t~e:~~::aV~:i~~~r:t â~e l~e~r:!~~:sd;:s~::~


qui l'ont consumé, à devenir « parfaits » comme il
1 l'a été, à exercer sur nos se mblables une influence
décisive de consolation, de relèvement et de salut.
Tout cela, cette minorité le sait. E lle sait aussi que
par nous-mêmes nous en sommes absolument inca-
pables, mais que nous pouvons y parvenir à la con -
dition de r ecevoir le Saint-Esprit.
A insi le cl"'étien digne de ce nom, ce n 'es t pas
l 'homme simplement religieux, croyant e n gros à
l'Evangile et p l us ou moins soumis à sa mora le, c e
n'est pas plus le protestant, même orthodoxe , qu e le
c atholique pratiquant et dévOt; c'est l'homme qui a
passé par la nouvelle naissance, l'homme deven u
spi rituel de naturel qu'il était jadis, et se laissant
spiritualiser touj ours davantage. C'est un ê tre
« extraordinaire » par ses se ntiments, ses idées et sa
conduite, une exception même au sein de la chré-
tienté . Il y a là un type religieux tout nouveau et
jusqu'à p r ésent peu compris, pour ne pas dire tax é
d 'exagération et d'utopie, un type qui par sa pureté
et son él évation contraste avec tous les a utres t ypes,
J Preuve en soit )'i ndîtférence avec laquelle on célèbre l a Pente-
côte ; Noël el Pâques sont des fè tes beau coup plu s populaires.
- 329 -
qui réclame beaucoup d'humilité, de recueillement
et de persévérants efforts, et qui pourtan t se trouve
mis à la portée de chacun de nous. Pour être de ces
chrétiens-là, il faut une seule chose, mais elle est
indispensable: le baptême du Saint-Esprit. « Si quel-
qu'un n'a pas l'Esprit de Christ, il ne lui appartient
pas. »
80 Valeur de cette doct>'ine.
Je vous ai présenté, mesdames et messieurs, aussi
clairement que je l'ai pu en un temps si court, la
solution donnée par Swédenborg au problème le
plus complexe et le plus ardu de toute la théologie,
à celui qui a soulevé tant de discussions véhé-
mentes et provoqué tant d 'anathèmes , Je n'ai pas eu
la folle préten tion de dévoiler ce que Dieu est en
lui-même; cette connaissance n'est point à notre
portée, le fini ne pouvant évidemment pas com- I
prendre l'infini. J'ai modestement essayé de vous
dire ce qu'est Dieu dans ses rapports avec le cosmos
et avec les hommes, d 'interpréter la révélation qu'il
a daigné nous faire de ses sentiments et de ses mo-
biles à notre égard, de pénétrer avec vous jusqu'au
sens véritable de la triple appellation sous laquelle
il est adoré par l'Eglise .
Jusqu'au grand théologien scandinave, le mystère
de la Trinité n'a jamais été expliqué de manière à
satisfaire aussi bien le cœur des fidèles que l 'enten-
dement des penseurs. Si je ne m'abuse étrange-
ment, sa théorie parvient seule à concilier deux
termes, opposés en apparence, que nous fournit
l'Ecriture sainte et qui font incontestablement par-
- 330-
tie de l'essence du christianisme. Je veux dire: d'un
côté l'unité de Dieu, le monothéisme, nié non de
bouche, mais de fait par les orthodoxes romains,
grecs et protestants; de l 'autre la divinité du Christ,
abandonnée par les sociniens, les rationalistes, les
( libéraux de gauche et les unitaires.
Q u elque originale qu'elle soit, cette théorie n'est
pourtant pas isolée dans l'histoire. On doit la ratta-
cher à l'école mona"chienne, qui, dès la fin du pre-
mier s iècle, accentua fortement l'unité de Dieu ou
sa " monarchie ", et spécialement à la seconde
branche de celte école, le modalisme, qui distingua
en Dieu non pas trois personnes plus ou moins
unanimes, mais simplement trois « modes» d'opé-
"ation, trois façons de se révélel·. Ajo u tons que
notre doctrine rectifie, sur plusieurs points impor-
tants, le système modaliste le plus l'emarquable et
Je plus séduisant de tous, celui de Sabellius 1 . Elle
donne ainsi au modal iste, - qui admet une trinité
économique ou histm'ique, - sa formule la plus
exacte, la plus scripturaire e t la plus philoso-
phique. C'est à ce point de vue génér al que les
théologiens réformés de toute nuance semblent se
ranger de p l us en plus . Voir, par exemple, la belle
étude du professeur Lobstein sur la Trinité dans
l'Encyclopédie Li chtenberger~ .
1: Le sabellianisme fut condamné dans les synodes d'Alexandrie et
de Rome en 251 et 26i.
:J. « Il est incontestable , dit-il, que la conscience chrétienne, éclairée
par la double lu mière de l'Evangile e l de l'expérience intime, est au-
to ri sée à admettre U lle trinité économ ique ou historique.» M. Lob'teiD.
ignore d'ailleurs Swédcnbor:.
- 331-
Mais la conception swédenborgienne du Dieu
tri un, ou de la Triade divine, n'a pas seulement un
intérêt dogmatique, elle a aussi un intérêt pratique.
Elle nous pousse à prendre au sérieux les trois as-
pects sous lesquels le Père céleste se manifeste à ses
enfants. Elle fixe nos regards sur Jésus-Christ, en
qui toute la plénitude de la Divinité habite corpo-
rellement. Elle nous fait soupirer après son Esprit,
qui seul peut nous ,'endre semblables à lui en rem-
plaçant progressivement dans nos âmes l'égoïsme
par l'amour. Aucune idée de Dieu ne me parait plus
haute, plus pure, plus complète et plus efficace que
celle-là; nulle n'est plus capable d'éclairer notre
conscience, de toucher notre cœUl', de stimuler
notre volonté et de nous guider dans le sentier qui
conduit au Ciel. Heureux sommes-nous de POUVOir )
marcher en pleine lumière, tandis que la plupart
tâtonnent dans les ténèbres des opinions humaines,
du doute ou de l'incrédulité 1

Conclus ion,
Permettez- moi, mesdames et messieurs, comme
conclusion de cette étude, de vous adresser deux
conseils appuyés par quelques citations destinées à
résumer tout ce que nous venons de voir.
D'abord ne vous contentez pas de l'impression fu -
g itive que vous laisseront ces conférences; mais
prenez la peine d'étudier par vous-mêmes ce grand
sujet, soit dans le petit volume intitulé: Les Quat.·",
- 332-
Doct>-ines p ')'incipales de la Nouvelle Jél'usalem "
dont la première concerne précisément Le Seigneur,
soit dans La Vraie Religion chl'étienne i, chapitres
11, III et IV. Il importe en effet de vous mettre au
clair sur les dangers du dogme orthodoxe. Swéden-
borg les rappelle en ces termes:
« De la doctrine des trois personnes divines de
toute éternité se sont élevées un grand nombre
d'idées indécentes sur Dieu, indignes du monde
chrétien, qui cependant peut et doit être, relative-
ment à Dieu et à l'unité de Dieu, un flambeau pour
toutes les nations dans les quatre parties du monde.
Tous ceux qui habitent hors de la chrétienté, tant
les mahométans que les juifs, et même les gentils de
quelque culte que ce soit, ont en aversion le chris-
tianisme uniquement à cause de la foi en trois
dieux .... D
Après une description de la maniére enfantine
dont on se représente le Père, le Fils et le Saint-
Esprit, Swédenborg ajoute:
« Qui ne voit que de telles choses sont des folies
du mental au sujet de Dieu? Cependant ces folies
sont pour les Eglises chrétiennes les saintetés
mêmes, qu'on doit baiser de la bouch e, mais qu'il
ne faut pas examiner par l'intelligence, attendu
qu'elles sont suprarationnelles; et, si de la mémoire
elles étaient élevées dans l'entendement, l'homme
'1 La dernière édition française a paru chez Fiscbbacher, à Paris,
en 190\.
, Publiée en 1878. Ces deux ouvrages sont fOllrnis par la librairie
Duyoisin, .... rue Pépinet, Lau sanne.
- 333-
deviendrait fou. Toujours est-il qu'on n'enlève pas
l'idée de trois dieux, mais qu'on réclame une foi
stupide, d'après laquelle l'homme pense à l'égard
de Dieu comme celui qui rêve en dormant, comme
celui qui marche dans l'obscurité de la nuit, ou
comme un aveugle de naissance qui marche à la
lumièl'e du jour.
» Que la Trinité des dieux se soit empar ée de l'es-
prit des chrétiens, bien que par pudeur ils disent le
contraire, on le voit clairement d'après la subtilité à
laquelle plusieurs recourent pour démontrer que
trois sont un, et qu'un est trois, par divers argu-
ments de géométrie, de stéréométrie, d'arithmétique
et de physique, et aussi par des plis d'étoffe et de
papier. Ainsi ils jouent avec la Trinité divine comme
des augures entre eux. Leur divination à ce sujet
peut être comparée à la vue des fiévreux, qui voient
un seul objet, - homme, table ou chandelle,-
comme trois, ou trois objets comme un seul. Elle
est également semblable à la plaisanterie de ceux
qui roulent entre leurs doigts de la cire molle et lui
donnent différentes formes, tantôt la forme triangu-
laire pour montrer la trinité, tantôt la forme sphé-
rique pour représenter l'unité, en disant: N'est-ce
pas néanmoins une seule et même substance? De
. fait la divine Trinité est comme une perle d'un très
grand prix; mais cette Trinité divisée est comme
une perle qui, brisée en trois morceaux, perd abso-
lument toute valeur. »
Si vous voulez m'en croire, examinez la Triade
biblique, exposée en langage clair et convaincant
- 331.-
par le Prophète de l'Occident et des temps mo-
dernes. Voilà mon premier conseil.

* * *
Et voici le second. Ne réagissez pas seulement
contre l'indifl"érence doctrinale qui est de mode
dans nos Eglises, mais encore contre la tendance à
ne voir en Christ que son humanité. Réfléchissez, je
vous prie, à l'explication nouvelle et profonde que
Swédenborg nous donne de sa divinité. Il la prend
beaucoup plus au sérieux que l'orthodoxie la plus
rigoureuse. JI nous prouve, - pour autant qu'on
peut pt'ouvet' ces choses, - qu'en Notre Seigneur
glorifié réside la Trinité tout entière. Il en revient
sur ce point essentiel à la foi des chrétiens primitifs.
D'après le doyen Stanley, « les peintures trouvées
dans les catacombes attestent que la croyance la
plus chère au peuple chrétien, dans les premiers
siècles, était celle qui représentait la Divinité sous
la forme du Bon Berger, c'est-à-dire sous la fOl'me
humaine. C'est presque le seul signe de la foi chré-
tienne dans les plus anciennes catacombes. D
On a déchiITré, dans une épitaphe des catacombes
de Rome, les trois mots: DEO SANCTO UNO, suivis
de la figure du Poisson, par laque lle on désignait le
Sauveur '. Cette antique inscription signifie évi-
demment : Au Dieu saint et unique, Jésus-Ch,'ist.
M. Roller, qui fait autorité en ces matières, avoue
i Le substantif Poissoll, en grec Ichtht". étai t, on le sait, formé
par les lettres initiales des mots suivants : JÉSUS-CHRIST, FILS DE DIEU,
SAUVEUR (Jésaus CHristos THéou RUios S~ter).
- 335-
que les premiers chrétiens adressaient leur culte au
Verbe incarné. «Ils l'adoraient, dit-il, ils le priaient...
Sans doute ils adorèrent le Christ comme Dieu. » En
revanche, voici ce qu'a écrit Didron, inspecteur des
monuments historiques: « Pas une représentation
de la Trinité de personnes pendant les huit premiers
siècles 1 La plus ancienne connue apparaît dans une
peinture de saint Dunstan, évêque de Cantorbéry,
en 908. " Enfin sur une lampe fort ancienne, qui
porte l' image du Bon Berger, on peut lire: Deum
quem ado,'emus, en français : « Le Dieu que nous
devons adorer, »
Ces vestiges d'un passé lointain confirment le
point de vue de Swédenborg sur la pleine divinité
de Jésus-Christ. Ne craignez pas, mes chers audi-
teurs, de simplifier votre religion en voyant dans le
Dieu-Homme à la fois le Créateur, le Rédempteur et
le Régénérateur du monde, en lui adressant directe-
ment vos prières et vos adorations, en le choisissant
lui seul comme objet suprême de votre amout'. En
pratiquant ce monothéisme·là, vous reviendrez an
christian isme tel qu'il était au temps de sa g lorieuse
jeunesse et de son héroïsme triomphant.
QUATRIÈ M E LEÇON
Objections et Réponses.
Première objection : La Bible parle de trois personnes divi -
nes . - Réponse par cinq fa ils incontestés.
Deuxi ème objection : Dieu a urait dù qu itter le C ie l ct renon-
cer a u gouvernement de l' univers. - Réponse. Immanence
et transcendance. Ce n'est pas le Père, c'cst le Logos qui
s'cst incarné. Dieu n'est jamais absorbé par un homme;
c'est l'i nverse qui a lieu.
Troisième objection: Le Père et le Fils sont deux êtres diffé-
ren ts, donc deux D ivinités d'après l'E va n g ile. - Réponst! .
Deu x états successifs séparés par la cr o ix de Golgotha. A
l'ascension la parenthèse se ferme; il n'ex iste désormais
qu'un Dieu ind ivisible .
Quatrième objection: Il y aurait en Christ. une exceptionnelle
dualité de conscience. - Réponse. Cette dualité est à la
charge d es Evangiles et Don de Swédenborg. H u miliation
alternant avec g loire. « Deux hommes en mo i. » La person-
nalité reste chose obscure pour les savants et les philoso-
phes. La notion du Moi est vague et flottante dans la Bible.
Cinquiènle objection: Le Christ ne serait pas vraÏn;lcnt
homme . C'est l'hérésie d'Apoll ina ire . - Réponse. Anthropo-
logie de Swédenborg appliquée à J ésus. L'interne n 'appa r-
t ient pas à notre nature. L'âme du Christ était humaine.
Comparaison avec Adam et Eve.
Un dernier mot.

Nous avons vu , dans nos trois leçons précédentes,


comment Emmanu el Swédenborg concilie le chris-
tianisme historique et le monothéisme strict par sa
- 337-
doctrine de la Divine Triade, qu'il résume lui -même
en ces mots: « Dieu est un en personne et en essence,
et ce Dieu est le Seigneur», c'est-à-dire celui qui fut,
il y a dix-neuf siècles, Jésus de Nazareth .
Cette doctrine, ignorée jusqu'à présent dans nos
diverses Eglises, se l"ecommande tant à la piété des
fidèles qu'à l'intelligence des penseurs; toutefois, je
ne l'ignore pas, elle rencontre des habitudes men-
tales qui peuvent empêcher de la recevoir, eIle sus-
cite quelques objections fort naturelles dont l'une ou
l'autre pourrait vous embarrasser. Je désire vous
exposer ces objections en toute franchise, espérant
être à même d'y répondre d'une façon qui vous sa-
tisfera.
J'ai déjà fait allusion à la première, mais elle est
si spécieuse, si triomphante aux yeux des gens su-
perficiels, que vous ne trouverez pas mauvais de m'y
voil~ revenir.
***
Première objection.
« Votre théorie d'une divine Triade, d'une simple
trinité d'aspects ou de fonctions, se brise contre les,
textes bibliques qui no'us présentent la Divinité
comme formée de trois personnes, appelées hypos-
tases par les docteurs, »
Réponse.
Je l'avoue sans difficulté, l'Ecriture a l'ai," de faire
du Père, du Fils et du Saint-Esprit trois divinités
personnelles; pourtant divers faits incontestés s'op-
S'VÉDENBOI\G Il li
- 338-
posent à ce que nous prenions les choses aussi naï-
yement.
1 0 Ce serait admettre trois dieux et tomber dans le
tri théisme ou dans une sorte de polythéisme, contre-
dire par conséquent de nombl'eux passages, plus ca-
tégoriques et surtou t plus clairs, affirmant la par-
faite unité de Dieu.
20 Cette unité n'est pas seulement la révélation es-
sentielle reçue par le peuple d'Isl'aël et la doctrine
capitale de toute la Bible, elle est encore un postulat
de notre raison. Dans la mesure même où la science
et la philosophie se développent, elles sentent davan-
tage qu'elles ne peuvent s'allier qu'avec une religion
monothéiste; sous toutes ses formes, le polythéisme
leur parait inacceptable.
3 0 De leur côté, les religions spiritualistes, morales
et sociales, c'est-à-dire les religions avancées et pro-
gressives, tendent forcément au monothéisme. Tout
le monde le sent aujourd'hui, la religion ne triom-
phera des attaques formidables de l'incrédulité qu'à
la condition d'être monothéiste.
4 0 Nos auteurs sacrés parlent volontiers le ~a1tgage
des appa,·ences . Sans doute Swédenborg le dit, mais
nous n'avons pas besoin de lui pour en être convain-
cus. Quant au sujet qui nous occupe, le Père, le Fils
et l'Esprit saint font assur ément l'effet de trois êtres
distincts, tant leurs fonctions respectives sont diffé-
rentes et considérables; c'est pour cela qu'il en est
parlé comme d e personnes à part. La personnifica-
tion rentre dans le style figuré, qui joue un rOle si
prépondérant dans la littérature, la poésie et l'élo-
- 339 -
quence des Orientaux en général, dans la prédication
des prophètes hébreux en particulier, et très spécia-
lement dans l'enseignement de Jésus, qui s'adressait
« aux foules en paraboles e t ne leur parlait pas sans
parabole D . Dans l'Ancien et dans le Nouveau Testa-
ment, l'Epèe et la Famine, l'I nte lligence et la Sa-
gesse, la Fièvre, la Mort et le Hadès, le Vent et les
Flots sont quelquefois personnifiés.
II me semble d'ailleurs possible que la personnifi-
eation trinitaire ait été in consciente dans la plupart
des cas. Rien n'empêche de supposer que la masse
des chrét iens primitifs, - que même Paul et plu-
sieurs des Douze, - aient employé les termes en
question en pensant à trois êtres divins, comme l 'a
fait l'orthodoxie postérieure . Il est cependant beau-
coup plus vraisemblable qu'ils sont restés dans le
vague à l'égard de ce problème trop difficile pour
eux, ne se demandant pas expli c itement s'il y avait
là trois divinités formant un tout harmonique ou
trois aspects de la même Divinité . En tout cas, les
auteurs du Nouveau Testament ont énergiquement
soutenu les deux termes qu'il s'agit de concilier: la
divinité réelle de leur Maitre et la parfaite unité
divine.
Qua nt à Jésus-Christ, il a dû trouve r que ses dis-
ciples immédiats n'étaient pas encore capables de
s'assimiler un e nseignement complet sur la question
la p lus profonde et la plus abstruse . De son vivant,
il posa simplement les bases de cet enseignement
complet; il le ur dit l' essentiel concernant ses rap-
ports avec le Père céleste et a vec le Saint-Esprit, se
- 34.0-
réservant de donner des lumières supérieures à leu.1's
successeurs plus ou moins éloignés, quand le mo-
ment serait venu. C'est effectivement par le Paraclet
qu'il voulait continuer à instruire l'Eglise, la « con-
duire dans toute la vérité, » mais peu à peu, selon
ses besoins successifs, dans l'exacte proportion où
elle serait apte à comprendre des instructions plus
spirituelles et à les mettre à profit,
50 Fondée sur la lettre même de l'Ecriture, la doc-
trine du Dieu triun.. est confirmée par une quantité
de passages entendus dans le sens interne ou spiri-
tuel. Les autres arguments sont à l'usage de tout le
monde; celui-ci ne vaut que pour les personnes qui
admettent l'interprétation symbolique telle que nous
l'avons exposée . Mais, à lui seul, il est décisif. D'au-
tre part, les arguments précédents suffiraient sans
lui, car ils sont tirés de vérités généralement r eçues.
Quand on les réunit tous, ils ont une telle force qu'en
m'y arrêtant plus longtemps j'aura is l'air d 'enfoncer
une porte ouverte.
* * *
Deuxième obiection.
Cl Si ce n 'est pas la seconde personne de la Trinité ,

si c'est Jéhova lui-même qui s'est incarné dans l'en-


fant de Marie, il a dû pour cela quitter le Ciel où il
réside et l'enoncer au gouvel'nement de l'univers,
Ainsi, pendant l'existence historique du Sauveur, il
n 'y a pas eu de Dieu hors de ce pauvre Juif confiné
dans un des plus petits royaumes de notre humble
planète. Cette conséquence inadmissible condamne
absolum en t votre théorie . "
- 3H-

Réponse.
L'objection ci-dessus repose sur une idée naïve,
puérile, insoutenable : l'idée que Dieu habite t r ès
loin de nous, au plus haut des cieux maté r iels, et
que, pour se manifester sur notre globe, il a besoin
de se rapprocher, de descendre de son trône, de
changer de lieu. 01' il n'en est rien. Une pareille
conception oublie le fait, pourtant bien connu, que
Dieu est à la fois iTnmunent et t,'anscendant.
Dieu nous dépasse à tous les points de vue. Il est
étern e l, infini, tout-puissant, tandis que nous sommes
limités par le temps et par l'es pace, dépendants de
lui, de nos semblables, de la nature, et extrêmement
faibles qua nd il nous abandonne à nous-mê mes. C'est
ce que nou s appelons sa t ,'unscendancc. A cet égard,
il est lég itime et nat urel de nous le représenter
comme trônant au-dessus de tous les cieux; car
celte r eprésenta tion, qui d 'ailleurs est biblique,
donne seule la vive impression de sa domination
universelle, de sa majesté souveraine, en un mot de
sa transcendance ou de son absoluité.
Mais cette transcendance n 'exclut pas l'imTnanen ce,
et chacun de nou s le sait fort bi e n. Tout e n étant au-
d.e ssus de la création tout entière, Dieu est néan-
moins dans la création, à laquelle il communique
sans cesse la vie, le mouvement et l'être. Il est en
tous lieux, notamment sur toutes les t e l' res habitées,
par conséquent sur la nôtre . Le prem ier écol ie r ve n u
sait cela. Swédenborg a expl'imé admirablemenl cel le
croyance universelle en disant que Dieu est « dans
- 31.2-
l'espace sans espace et dans le temps sans temps ».
Or Dieu habite d 'u ne faç on plus spéciale, plus in-
time, plus complète chez les chrétiens que chez les
autres hommes, et à plus forte raison que dans les
animaux, les végétaux ou les minéraux . Dieu est
dans toutes ses œuvres, mais l'homme seul peut
avoir conscience de sa présence inté rieure et deve-
nir le temple du Saint-Esprit. C'est maintenant le
cas pour des myriades de disciples du Christ. Or
cette habitation de Dieu dans leur âme, cette imma-
nence divine n'abolit pas et ne compromet en rien la
transcendance. Dieu reste infini, éternel, absolu ,
tout en résidant pel·sonnellement dans le cœut· de
ses enfants.
I! e n est exactement de même en J és us-Christ. Eu
lui le premier, le Dieu très haut a fait sa résidence
sur la terre, comme il la fa it dès lors dans les chré-
tiens; seulement cette communion, cette pénétration
a été parfaite, absolue, au lieu d'être imparfaite e t
relative. Ma is, quelque parfaite que soit l'immanence
dans ce cas particulier, elle n'abolit pas la transcen-
dance. L'infini ne saura it être contenu dans le fini,
quoiqu'il le remplisse et le vivifie. Il ya là pour Dieu
deux modes d'existence, qui s'imposent également à.
notre pensée, mais dont l'un n'a rien à faire avec
l'autre. Dieu est en même temps immanent et tt·ans-
cendant; mais il n'est pas immanent en tant que
transcendant, ni transcendant en tant qu'immanent.
Aussi ne prétendons-nous point que le Père ou le
Cl Divin même» se soit incarné dans le Christ; nous

disons que c'est la divine Sagesse ou le Logos, en


- 3'>3-
d 'autres termes le second aspect de Dieu, sa seconde
modalité, le Divin en tant qu'il se révèle et peut se
communiquer. Cette Parole faite chair est appelée le
Fils unique; elle m a nifeste sans doute le Père de la
manière la plus adéquate, mais elle n'absorbe pas le
Divin tout entier. Bien qu'il reçut progressivement
d'en haut toute l'intelligence et tout l'amour dont
l'hu manité est susceptible, Jésus se sentit pourtant,
jusqu'à la fin d e sa carrière terrestre, inférieur au
Père céleste; il le priait et s'en savait exaucé.
Ai nsi, d 'après la théorie que je vous ai présentée.
l'Eternel possède seul ses attributs transcendan ts
du rant la vie du Fils de l'homme; il demeure tout-
puissant, indé pendant du temps et de l'espace, il
gouverne tous les mondes et toutes les humanités
p en dant cette courte période aussi bien qu'avant et
a près. Soutenir le contraire serait une folie dont
notre théolog ien ne s'est pas rendu coupable, et il
s'est assez expliqué là-dessus pour qu'on ne puisse
pas lui reprocher <l'avoir proposé une christologie
aboutissant à cette absurdité.
Le moment vient, il est vrai, où Dieu se confond
avec le Christ, où le Père et le Fils ne font plus
qu' un, où leur unité personnelle est consommée;
mais alors Jésus a été glorifié, c'est-à-dire rendu ab-
s olument divin, et il a quitté la terre pour s'élever
aux Cieux et s'asseoit· sur le trône de l' univers. Ce
n'est donc pas Dieu qui est absorbé par un homme,
c 'est un homme qui est absorbé par la Divinité et qui
reviendra pour spiritualiser ses disciples. Dès lors,
l'immanence est plus complète qu'elle ne l'a jamais
-:%4-
été, et l'un des nOtres, le nouvel Adam, est parvenu
à la transcendance.

* * *
Troisième objection .
" Vous reconnaissez, me dira-t-on, que Jésus-Chris t
et son Pére invisible n'étaient pas littéralement u n,
qu'ils formaient deux êtres distincts pouvant s'entre-
tenir ensemble. L'un priait, l'autre exauçait. Il s
avaient même deux volontés, dont l'une était capabl e
de se révolter contre l'autre, bien qu'elle eût pour
devoir de s'y soumettre. « Que ta volonté soit faite et
n on la mienne! » s'écria l'homme de douleur dans
le jardin des Oliviers la veille de son suppl ice. Or,
Jésus étant Dieu, il existe au moins deux êtres divins,
et il doit en être éternellement ainsi. Monté au Ciel ,
le Christ deme ure donc une personnalité à part,
c omme les grandes Eglises l'ont e nseigné jusqu'à
présent; il est toujours le Fils, le miséricordieu x
intercesseur qui nous arrache à la juste vengeance
du Législateur suprême, irrité de nos transgression s .
Aussi nous est-il dépeint comme siégeant sur le trOne
céleste à la droite de son Pére et de notre Pére, pa.'
c onséquent comme distinct de celui-ci. Vous le voyez,
c'en es t fait du Dieu triun, du rigoureux mono-
théisme que vous avez essayé de retrouver dans
l 'Evangile. »
Réponse.
Si l 'objection précédente était g"ave, je crois pour-
tant y avoir répondu d ' une façon convaincante pou.'
les personnes qui ont suivi mon raisonnement. Cette
- 31.5-
nouvelle objection est également sérieuse, mais elle
me parait plus facile à réfuter; car le malentendu
qui lui a donné naissance saute plus rapidement aux
yeux.
J'ai rappelé tout à l'heure la distinction entre la
transcendance et l'immanence; j'ai maintenant à
distinguer entre deux états successifs du Seigneur,
entre sa carrière terrestre et son existence céleste .
Tant qu'il vécut ici-bas, il était homme né de
femme, soumis aux mêmes infirmités que nous'
membre d'une famille, citoyen d'un pays conquis
par la puissance romaine; aussi, malgré sa concep-
tion surnaturelle, ne pouvait-il pas être Dieu. C'est
de toute évidence. Comme les autres humains, il a
dû grandir en stature et en sagesse; l'Evangi le l'af-
firme et Swédenborg n'a garde de le méconnaltre.
Sans doute Jésus s'est développé d'une façon tout
à fait normale, ce qui n'a été le cas pour aucun
autre . Il s'est ouvert aux effluves d'en haut à mesure
qu'il était capable d'en profiter, devenant successive-
m ent rationnel, spirituel et céleste aussi rapidement
et aussi complètement que possible. Mais enfin il a
dû, comme tout autre individu humain, luUer contre
l'hérédité mauvaise à laquelle il était soumis, répri-
mer les désirs inférieurs et les subordonner à l'esprit,
livrer le bon combat de la foi, repousser les tenta-
tions, qui ont été pour lui plus profondes et plus re-
doutables que pour aucun de nous, se consacrer à la
mission la plus haute et la plus héroïque, se sancti-
fier sans relâche au prix des plus grands efforts.
Tout cela était une œuvre humaine, qu'il n'a termi-
- 346-
née qu'en rendant le dernier soupir sur la croix de
Golgotha.
Alors seulement a commencé la phase glorieuse
de son existence, l'état véritablement divin. Débar-
rassé des éléments telTestres et passagers de sa per-
sonnalité, Jésus-Christ va prendre définitivement la
place dont sa vie et son caractère l'ont rendu digne.
Préparée par une résurrection spontanée, exception-
nelle, au fond semblable à la nôtre et pourtant à cer-
tains égards unique, son ascension marque le mo-
ment où il va s'absorber dans la Divinité et symbo-
lise le passage de son état humain, préparatoire, in-
férieur, à son état supérieur, éternel et divin.
Remarquez, en passant, que l'ascension, comme
les ault-es apparitions du Ressuscité, n'a eu pour té-
moins que les disciples, dans ce cas particnlier les
apôtres; et que ceux-ci l'ont vue non des yeux du
corps, mais des yeux de l'esprit, ouverts alors chez
eux comme il s l'avaient été dans plusieurs circons-
tances, sans que probablement il s se rendissent
compte de ce fait extraordinaire. Simples et dénués
de critique comme ils l'étaient, ils ont pu croire
qu'ils percevaient par leurs sens physiques ce qui,
en réalité, é tait perçu par le urs sens intérieurs.
Ajoutons que l'élévation du Seigneur à la pleine
jouissance de ses prérogatives divines devait être
figurée par une ascension de la terre au ciel, puis-
que la situation dans l'espace correspond à l'état
mental, ce qui est bas r eprésentant le mal et le faux,
ce qui est haut représentant le bien et le vrai; ainsi
les cieux matériels constellés d'astres resplendissants
-~7-

éveillent chez nous l'idée de tout ce qu'il y a de pur,


de saint, de transcendant.
Tant que le Seigneur vécut ici-bas, le Fils et le
Père étaient assurément distincts comme le fini et
l'infini, le relatif et l'absolu. Aussi Jésus sentait-il
tantôt cette distinction prévaloir sur l'unité, tantôt
l'unité prévaloir sur la distinction. Dans le premier
cas, il s'adressait à Dieu, qui était à la fois au-dessus
de lui et au plus profond de son être, comme à une
autre personne, il le priait comme son Père; dans le
second, il pl'ononçait ces paroles étonnantes qui
affirmaient son identité avec Dieu.
A l'ascension, la pal'enthèse formée par la rêvéla-
tion du Dieu invi~ible dans un homme en chair et
en os se ferme pour toujours, la période du Fils uni-
que est close; le Rédempteur, ayant accompli la
merveilleuse entreprise qu'il s'était proposée, va
s'asseoir sur le trône de la Majesté. Il reprend dans
leur plénitude les attributs divins dont il s'est mo-
mentanément dépouillé: la toute-puissance, l'omni-
présence, l'omni-science, tout ce qui l'aurait empê-
ché d'être un homme réel, pareil à nous en toutes
choses sauf le péché. Il se confond avec le Père qui
est aux Cieux, comme avec le Saint-Esprif, de telle
sorte qu'il nous est désormais impossible de les dis-
tinguer dans notre conscience et dans notre imagi-
nation. Nos pasteurs et nos cantiques, essayant de
les séparer par respect pour la théologie tradition-
nelle, les confondent sans cesse en dépit de leul'
intention.
C'est dans ce sens de l'unité parfaite qu'a parlé
- 3"8-
M. Fulliquet dans ses magnifiques conférences apo-
logétiques sur le p"oblème de la divinité de Jésus-
Christ i, mettant, sans le vouloir, la théorie swéden-
borgienne au bénéfice de sa lumineuse argumen-
tation .
Pou,' notre expérience religieuse, il n'existe cer-
tainement qu'un Dieu indivisible, celui qui, il y a
tantôt deux mille ans, s'est manifesté en Jésus-Christ,
et qui, depuis cette époque, peut être nommé le
Saint-Esprit en tant qu'il produit chez les croyants
une vie nouvelle et supérieure, la consécration per-
sonnelle aux vrais in térêts de l'hum anité.
En résumé, la doctrine que je vous ai fait con-
naltre ne compromet n uUement le monothéisme
strict; elle l'établit au contraire, le rend accessible
à notre intelligence et trouve le moyen de le conci -
lier (ce qui paraissait impossible) avec les textes
nombreux et importants sur lesquels s'appuyait le
trithéisme. .
** *
Q"ah'ième objection.
Je prévois une quatrième objection faite non plus
par les orthodoxes, mais par les théologiens d'au-
jourd'hui. Ils me diront: « Il n'y a pas seulement à
distinguer entre l'état humain, terrestre du Sei g neur
et son état céleste ou divin. En Jésus lui-même, au
temps de son ministère, semblent résid er deux per-
sonnes, l'une humiliée, l'autre glorieuse, comme
vous venez de le constater spontanément. Comment
t Faites à Lausanne, Salle centrale, les f" et 16 novembre 1899.
- 349-
admettre chez le Chl'ist cette dualité de conscience
que le reste des hommes ne connaissent pas? :b
C'est au fond l'objection précédente, mais elle est
présentée sous une autre forme; aussi me semble-
t-il qu'il vaut la peine de l'examiner aussi de ce
cOté-là.
Réponse .
La dualité de conscience, que nous avons reco nnue
en Jésus- Christ, est en tout cas à la charge des Evan-
giles et non d'un système particulier. Elle ne devrait
pas étonner ceux qui le regardent comme l'incarna-
tion d'nn Fils éternel et . qui parlent de ses « deux
natures l> ; mais peut-être vous semble-t-il qu'elle ne
devl-ait pas exister dans le Christ incarnant simple -
ment un des «essentiels J) de Dieu , sa Parole imper-
sonnelle.
Pourtant, à ce point de vue comme à celui de
l'Eglise, il s'opère en Jésus une alliance du divin et
de l'humain, c'est-à-dire de deux p lans très différents
de l"existence, et, comme nous venons de le voü·,
c'est tantOt l ' un des éléments, tantOt l'autre qui pré-
domine dans la conscience qu'il a de lui-même. Cela
revient aux deux états d'humiliation et de gloire
qu'on a toujours distingués dans sa vie.
Au reste, plusieurs observations viennent corro -
borer l'explication ci- dessus .
Je vous rappellerai le fameux chapitre VII de l'Epi-
tre aux Romains, surtout les versets 14 à 25 : « La
loi est spirituelle, mais moi, je suis charnel, vendu et
asservi au péché . .. Je ne fais pas le bien que je veux,
- 350-
mais je fais le mal que je ne veux pas . .. Je prends
plaisir à la loi de Dieu selon l'homme intérieur;
mais je vois dans mes membres une autre loi, qui
comba t contre la loi de mon entendement et qui me
rend captif de la loi du péché . .. Je suis soumis par
l'entendement à la loi de Dieu, mais par la chair à
la loi du péché. »
Si vous êtes chrétien, vous avez fait cette expé-
rience intérieure, aussi bien que saint Paul ou que
Luther. Depuis votre conversion surtout, vous avez
senti une lutte se livrer dans votre âme entre deux
volontés, deux Moi, le vieil homme et le nouveau.
C'est ce que Jean Racine confesse dans le beau poème
qu'on chante encore dans nos Eglises:
o Dieu! Quelle guerre cruelle!
Je trouve deux hommes en moi.
Les croyants n'arrivent à l'unité de leur être que
par la victoire totale de l'esprit sur la chair, et pOUl'
eux non plus cette victoire ne se consomme que dans
le monde à venir . Nous découvrons donc en nous
cette double personnalité qui vous surprend en Jésus,
et qui sans doute avait chez lui des caractères plus
tranchés.
* * *
Faut-il le répéter? Je ne prétends point sonder ici
le mystère de l'incarnation. Les phénomènes les plus
communs ont un pou"quoi et un comment qui nous
échappent; à combien plus fOl'te raison les faits reli-
gieux de l'ordre le plus élevé 1 Nous ne comprenons
pas la vie d'un mollusque ou d'un insecte, les méta-
morphoses du papillon; et quand nous arrivons à
- 351-
l'homme, nous rencontrons dans la personnalité une
question plus embarrassante que toutes les autres.
On n'oserait pas soutenir que la philosophie ait
trouvé le mot de celte énigme; cependant des méde-
cins comme le D' Charcot, des psychologues comme
le professeur Flournoy, ont découvert dans les pro-
fondeurs de l'être humain deux ou trois person n ali-
tés superposées, si ce n'est un plus grand nombre .!' )
Que prouvent ces constatat ion s inattendues et frap-
pantes?
D'abord que, si l 'homme, quand il se porte bien,
est une unité au point de vue de la conscience de
soi, et par conséquent de la responsabilité civile et
morale, il est cependant un tout plus composé, moins
harmonique, plus aisément déséquilibré qu'on ne le
supposait. Ensuite que la personnali té demeure pour
n ous chose b ien obscure, bien impén étrable. Enfin
que la double conscience de Jésus n'a pas lieu de
nous surprendre, et surtout que n ous n'avons pas le
droit de la déclarer impossible .

*
.. ..
A l'appui des assertions précédentes, je me per-
mets d'attirer votre attention su r un fait général
dont vous pouvez vous assurer aussi b ien que moi:
c'est que la Bible ne donne pas de la personnalité
l'idée que nous en avons dans les contrées occiden-
tales. Je pourrais vous montrer, par de curieu x exem-
ples, combien la notion du Moi était vague, flottante
pour les auteurs de l'Ancien et du Nouveau Testa-
ment .
-(_A cc .o,: /er: t,.._.';.... ~-.".., ".;; .r;....,~);,.,t'" dL., t1.'--
v~'-..,.(... /H. V_ ,.rV/t;:.
- 352-
Voyez Genèse XVIII et XIX dans l'original. Les
trois hommes qui apparaissaient à Abraham devien-
nent subitement il, au singulier, ou même Jéhova;
il en est de même des deux anges qui font sortir de
Sodome Lot et sa famille. Voyez surtout Zacharie,
chapitre 1er . Essayez de compter les acteurs de cette
dernière scène, j'entends ceux qui sont mentionnés
individuellement. Y a-t-il trois anges, deux anges ou
un seul ange? Le cavalier est-il identique à l'ange
de Jéhova, tous deux se tenant entre les myrtes? Et
ce Maleak Yahveh doit-il être distingué de l'Eternel
ou confondu avec lui, comme l'estime Lange dans
son Bibelwerk? Je vous renvoie à ce commentaire, si
vous désirez vous rendre compte du dédale des opi-
nions sur cet obscur récit.
L'individu n'avait évidemment pas pour les Hé-
breux la valeur qu'il a pour nous; il restait subor-
donné à la famille, à la nation, à une collectivité
quelconque. Souvent les promesses faites à un fidèle
ne devaient s 'accomplir qu'en faveur de sa postérité,
voire même d'un descendant fort éloigné. On avait
coutume de désignel' une tribu, un peuple pal' le
nom de son ancêtre réel ou supposé: Assur, Am-
mon, Moab, Edom, Israël, Juda, Benjamin. On indi-
quait par un mot indéterminé, inexact à le prendre
dans son sens premier, les relations de parenté, di-
sant « frère» pour cOlisin, oncle ou neveu, « père»
pour l'un ou l'autre des ascendants.
On mettait volontiers au crédit d'un écrivain res-
pecté les livres analogues aux siens; ainsi on attri-
buait la ThOra ou le Pentateuque à Moïse, les Psau-
- 353- .
mes à David, les Proverbes, l'Ecclésiaste et le Canti-
que des Cantiques àSalomon, et à Esaïe de nombreux
chapitres qui ne sont pas de lui.
On allait jusqu'à prédire, en lui donnant le nom
d'un hél'os de l'histoire nationale (E lie, David), un
personnage plus éminent encore (Jean-Baptiste, le
Christ). On personnifiait enfin la Souveraine Sagesse
e t la Pa"ole de Yahveh, qui, avec le Logos de Philon
et celui du quatrième Evangile, furent plus tard, -
abusivement sans doute, - regardées comme une
personne unique et véritable, une seconde Divinité
subordonnée à la principale.
Ainsi, au point de vue biblique, pas plus qu'à ce-
lui de l'expérience et de la philosophie, on ne peut
faire à Swédenborg un reproche d'avoir attribué au
Christ une double conscience de soi, cette dualité
étant en hal'monie avec tout ce que nous savons de
lui, et subsistant pour ceux qui croient à l'histoire
évangélique, de quelque façon qu'ils comprennen t la
nature intime du Sauveur.

* * *
Cinquième objection.
Reste une derniére objection, la plus grave de
toutes. On nous dit: «Tel que le comprend Swéden-
borg, le Christ n'est pas vraiment homme. Une par-
tie de son être étant divine, il a été par là·même
soustrait aux conditions essentielles de l'humanité.
Cela ressemble fort, si ce n'est identiqu e, à la doc-
.trine d'Apollinaire, évêque de Laodicée, condamné
S,\y:';;DKNBORG II
- 35~-

dans trois synodes romains convoqués par Damase


en 374, 376 et 380. D'aprés ce docteur, Jésus a reçu
de l'humanité le corps et l'âme inconsciente, irra-
tionnelle i, c'est-à-dire le principe de vie que nous
avons en commun avec les animaux, mais non l'â.me
rationnelle, le mental ou l'esprit', dont la place était
occupée en lui par le Verbe . La réprobation de cette
psychologie fut motivée en ces mots: Si le Christ
est uni à tt" homme incomp let, not"e salut est i11-
complet. "
R éponse.
L'Eglise a bien fait de r éclamer pOUl' Sa uveur un
homme réel et complet, et la conception présentée
pal' l'évéque de Laod icée ne r em plissait pa s cette
condition légitim e . Le Christ qu'elle imag ina it n 'est
point un véritable homme, car la partie humaine de
sa nature est privée de la raison, sans la qu e lle nous
appartiendrions à la classe des brutes. Chez lui,
l'élém ent divin s'allie assurément à un homme in-
complet. Il n 'est donc pas semblable à nous en toutes
choses sauf le péché et ne saurait accomplir notre
rédemption.
Il en est autrement du Christ de Swédenborg;
j'espère vous le démontrer clairement. L'externe,
qu'il a reçu de Marie, r e nfe rme les « rationnels )), ou
l a raison, aussi bien que l es « sensuels" et les« cor-
pOl'els )) , en d'autres tel'mes l'homme natttr el tout
entier. L 'interne seul est en lui divin d ès sa nais-
sance.
1 La P,uché alogos .
~ La Pluché logiké, le Nous.
- 3ffi-
« Mais, répliquerez-vous, l'interne ne fait-il pas
aussi partie intégrante de notre nature? »
Eh bien 1 quelque étrange que cela paraisse au
premier abord, je crois pouvoir répondre : Non.
Mais il faut que je m'explique.
D'après le système doctrinal que j'ai entrepris de
défendre, l'interne, que nous tenons de notre père,
est composé des deux degrés supérieurs du mental.
Vous n'avez pas oublié, je pense, que les trois degrés
discrets du mental humain sont le degl'é naturel, le
degré spirituel et le degré céleste.
01' le degré naturel, inférieur ou extérieur, est
seul ouvert dans l'homme naturel; les deux degrés
intérieurs restent fermés en nous, tant que nous
n 'avons point passé par la conversion. Ils sont donc
des facultés latentes ou quiescentes, des capacités
vides, de s imples virtualités, jusqu'à ce qu'ils soient
ouverts; or ils ne peuvent l'être que successivement,
le degré spirituel d'abord, le degré céleste ensuite et
beaucoup plus rarement. Quand ils sont ouverts et
dans la mesure où ils le sont, l 'homme devient lui-
même « spirituel l> et « céleste ».
Mais, œmarquez-Ie, il est alors une nouvelle créa-
ture, un enfant de Dieu. La vie surnatuI'elle, qui
l'anime désormais, n'est point celle qu'il a reçue de
son père selon la chair, et qui, sans cesser d'exister,
a passé à l'arrière·plan; ce qu'il y a de plus puissant
chez lui, c'est l'influx divin qui, du centt'e aux extré-
mités, pénètre et domine tout son être,
Ainsi les deux degrés supérieurs ne s'o uvrent et
ne deviennent une réalité que par le Saint- Esprit
- 356-
produisant en nous, quand il est recu, la régénéra-
tion et la sanctification. Loin d'être nat'u rels et de
s'ouvrir en tous, méchants et bons, ils sont chez
nous un effet de la grâce opérant dans l'exacte pro-
portion où notre volonté l'accueille. Les adjectifs
mêmes - spirituel et "èleste - par lesquels Swéden-
borg les désigne prouvent qu'à proprement parler
ils ne font point partie de notre nature; ils peuvent
même lui être opposés, quoiqu'ils s'y rattachent pour
nous faire passer dans un domaine plus élevé. Aussi
peut-on dire que ces deux degrés de notre mentalité
appartiennent à Dieu et non à nous.

* * *
Ce que je viens d'avancer me parait ressortir de
l'anthropologie, d'ailleurs très profonde et très com-
pl iquée, de notre écrivain. Ainsi nous lisons dan s
l'Apocalypse Expliquée 1 : « L e mental spirituel de
l'homme est dans le Ciel et son menta l naturel dans
le monde. »
Nous trouvons dans les A"canes Célestes des déve-
loppements remarquables sur ce sujet, par exemple:
« La pensée n'appartient pas à l 'homme intern e,
ainsi qu'on le croit. Il n'y a chez l'homme interne
que les biens et les vérités qui appartiennent au Sei-
gneur, et c'est dans l'homme intérieur qu'il a im-
planté la conscience ... Les spirituels et les célestes
forment l'homme interne ... C'est la vie angélique qui
est la vie de l'homme interne. Il est presque impos-
sible de dire sur cette vie quelque chose que les lec-
t Tome 5, p. 339_
- 357-
teurs puissent comprendre; les régénérés seuls peu-
vent savoir, en y réfléchissant, qu'elle est une con-
séquence du bien et du vrai, ainsi que des combats
qu'on a soutenus. C'est, en effet, la vie du Seigneur
chez l'homme; car le Seigneur opère par l'homme
interne le bien de la charité et le vrai de la foi dans
son homme externe. »
Et encore: « Chez ceux qui sont dans le bien de
l'amour et dans les vérités de la foi, l'homme interne
est ouvert et par ce moyen ils sont dans le Ciel; mais
chez ceux qui sont dans les maux e t dans les faus-
setés qui en dérivent, l'homme interne est fermé et
par le moyen de l'externe ils sont seulement dans ce
monde . »
L'interne des justes est « dans le Ciel et dans la
lumière céleste lt ; au contraire, « chez les injustes,
l'interne est dans l 'Enfer et dans la lumière infernale ,
qui, relativement à la lumière du Ciel, est une obs-
curité. " En d'autres termes, par l'ouverture des de-
grés spirituels de notre mental, nous sommes déjà
citoyens des Cieux, tandis que, quand ces degt'és
restent fermés, nous sommes en communication avec
l'empire des ténèbres. Enfin, d'après La Vraie Reli-
gion elu'étienne l , « l'homme interne est appelé homme
spirituel parce qu'il est dans la lumière du Ciel, lu-
mière qui est spiri tuelle, et l'homme externe est ap-
pelé homme naturel parce qu'il est dans la lumière
du monde, lumière qui est naturelle . lt

* * *
1 T ome 'l, p. 537, § ..t01.
- 358-
Voici dès lors quelle me parait être la différence
anthropologique entre Jésus et nous. L'interne du
mental, l'âme 1, qui nous est transmise par notre
père terrestre, venait au Sauveur directement de
Dieu: de là sa pureté parfaite, qui rendait possible
en elle seule un développement normal du pne"ma~
ou de l'homme intérieur.

* * *
Vous me direz peut-être: « Cette âme ne venait
pas seulement de Dieu, mais elle était Dieu. En effet,
à en croire Swédenborg, c'est Dieu lui- même, le
Jéhova ou l'Eternel de l'Ancien Testament, qui s'est
incarné dans le premier-né de Marie. Jésus est donc
le Dieu unique, de toute éternité Créateur, dans le
temps Rédempteur, à jamais Régénérateur, en d'au-
tres termes il est à la fois le Père, le Fils et l'Esprit
saint. Cette divinité essentielle du Seigneur, anté-
";eure à son apparition dans le monde, parait incom-
patible avec son humanité. »
Sans doute nous sommes ici en présence d'un
mystère insondable. Mais il existe beaucoup de
choses dont nous ne pouvons atteindre le fond. Com-
ment en serait-il autrement lorsqu'il s'agit d'un cas
absolument unique dans toute l'histoire humaine, et
d'un homme saint, parfait, si différent de nous que
nous avons grand'peine à imaginer quel il était. Ce- •
pendant, quelque mystérieuse que soit cette ques-
1 Ce mot n'est pas lout li fait exact, mais Swédcnborg en fait lui-
même usage pour simplifier.
S Le pneuma est l'e!prit au sens biblique, le siège eo nous de la
vic spirituelle ou de la religion.
- 359-
tion, la révélation divine l'a éclairée d'une lumière
suffisante. Les observations qui suivent vont, j'es-
père, vous le montrer.
Je vous rappellerai en premier lieu, sans y insister,
que ce n'est pas le Père, mais le Fils, ou le second
essentlel de la Divinité, qui s'est incarné en Jésus-
Christ. Ce fait, je le sais bien, ne lève pas la diffi-
culté; car les trois essentiels sont inséparables, et
c'est, suivant notre auteur, la Divinité tout entière
qui s'est manifestée dans le prophète ga liléen. Il
reste vrai néanmoins que cette manifestation n'est
pas absolue, mais relative, qu'elle doit s 'accommoder
à l 'état mental de ceux qui la reçoivent, aux circons-
tances de temps et de milieu.
Mais faisons un pas de plus. Il vous semble in -
croyable que Dieu devienne l'âme d 'un êlre humain.
Cette incrédulité, que je comprends, ne provient-ell e .
pas de ce que nous sommes accoutumés à sépare.'
l'homme et Dieu par un abîme? D'après la Bible, au
contraire, l'un a été créé à l'image de l'autre, l'homme
est l'enfant de Dieu par sa nature primitive, et il doit
l'être dans un sens plus élevé par sa nouvelle nais-
sance d'abord, puis par son admission dans le Ciel.
Or Dieu ne refuse rien à ses enfanls. Il fait effort
pour communiquer tous les biens et tous les vrais,
tout ce qu'il possède et tout ce qu'il est à ses créa-
tures morales, pour entrer tout entier en chacune
d'elles; s'il n'y réussit pas, ce n'est pas sa faute,
mais la nôtre.
En Jésus, par exception, il a pu se former un Fils
répondant tout à fait à ses intentions; des conditions
- 360-
providentielles en avaient préparé la venue, encore
n'ont-elles pas empêché la mort prématurée du saint
et du juste. Mais enfin le Fils de Dieu n'est pas si d if-
férent de nous, quant à ses rapports avec le Père,
que nous l'avons peut- être entendu dire. Il devance
assurément de beaucoup ceux qu'il veut bien appelel'
« ses frères»; mais nous sommes destinés à l ui de-
venir semblables, à sentir Dieu en nous comme la
vie de notre vie.
Il nous faut en tous cas maintenir que l'âme du
Christ était vraiment humaine. Ce ne serait pas
a dmissible si Dieu n 'était pas l'homme vrai, le type
idéal de l'humanité. Mais cela étant, Christ avait une
â me d'autant p lus humaine qu'elle était plus divine;
car, comme Swédenborg l'explique abondamment,
nous ne sommes des hommes que dans la mesure
exacte où la vie divine a pris possession de notre
être. Aussi le Seigneur a-t-il été sur notre globe le
seul homme absolument digne de ce nom, et c'est
en le désignant du doigt que Pilate a pu dire, dans
un sens plus profond qu' il ne le pensait: Ecce homo!
Voici l'homme 1
Direz-vous que Dieu n'a pu, en descendant sur un
plan très inférieur à ce qu'il est en lui-même, créer
une âme humaine semblable à toutes les autres sauf
le péché? Mais c'est ce que l'Eglise a toujours admis
pour nos premiel's parents, Adam et Eve. C'est l'Eter-
nel qui les a pénétrés de son Esprit et en a fait d es
âmes vivantes.
Et si vous ne tenez pas pour historique le com-
mencement de la Genèse, si vous êtes favorables à
- 361 -
-l'évolution, vous reconnaîtrez encore que c'est la vie
divine qui anime toute la nature. Swédenborg, qui
était lui-même évolutionniste, nous a fait com-
prendre, en outre, que la création tout entière est
une émanation de la substance de Dieu. L'homme,
la plus noble de ses créatures terrestres ou semi-
matérielles, est donc son émanation la plus parfaite,
la plus immédiate; aussi le Créateur doit-il s'y ma-
nifester plus complètement que dans les êtres infé-
rieurs: animaux, végétaux, minéraux, etc .
Le théosophe scandinave affirme en effet que Dieu
a choisi pour résidence l'âme humaine, qu'il en est
l'intime, le centre vital. Pal' malheur, si Dieu est en
chacun de nous, chacun de nous n'est pas en lui; nos
péchés et nos erreurs l'empêchent ordinairement de
se faire sentir comme il le voudrait, d'inspirer notre
cœur et de diriger notre conduite.
En Jésus seul il s'est révélé pleinement, et cela au
profit de toute la race qu'il vou lait relever et sauver.
Mais l'habitation de Dieu dans la personne du Christ
a été analogue à son habitation en nous, lorsque
nous nous laissons régénérer, spiritualiser et en
quelque sOl'te diviniser par sa Parole. Je tenais à
vous rendre attentifs à cette ressemblance , que l'or-
thodoxie n'accentue pas assez, tandis que le rationa-
lisme l'accentue trop. Swédenborg, nous l'avons vu,
est le seul théologien qui proclame à la fois la com-
plète humanité et la complète d ivinité de Notre Sei -
gneuI'.
Pensez-vous vraiment que Dieu ne soit pas capable
de créer directement une âme humaine, comme
- 362-
nous disons que ce fut le cas pour Christ ?Nos pre-
miers ancêtres, - qu'ils aient formé un seul couple-
ou p lusieurs, - ont dû nécessairement arriver à
l'existence sans père semblable à eux. Or, de l'avis
de tous, cette production directe par le souffle de
l'Eternel ne les a pas empêchés d'être des hommes.
Au contraire, ils l'ont été d'autant plus que leur âme
était vierge de toutes les souillures et les déforma-
tions du péché. Si vous êtes d'accord avec moi sur
ce point, nous conclurons, en bonne logique, que
pas plus qu'Adam le Sauveur n'a été placé en dehors
de l'humanité par le fait que son âme provenait im-
médiatement du Père céleste.

* * *
Un dm'nie,' mot.
Mes chers auditeurs, j'ai mis votre patience à une
rude épreuve en traitant devant vous la plus haute
et la plus abstruse des questions, celle qu'on a dé-
clarée inaccessible à l'intelligence humaine. Je crois,
pour ma part, que le Prophète du Nord l 'a mise à
notre portée, en projetant sur elle une assez vive
lumière pour que notre raison soit satisfaite autant
que notre cœur.
Si vous m'avez suivi et si j'ai réussi à vous con-
,'aincre, vous ne trouverez pas que cette étude ait
été exclusivement théorique et doctrinale: vou s en
retirerez des avantages pratiques. Vous serez plus
reconnaissants de l'incarnation et de la rédemption,
plus zélés à méditer les écrits qui nous apportent la
- 363-
merveilleuse nouvelle d'un Dieu descendant jusqu'à
sa créature afin de l'élever jusqu'à lui. Enfin votre
foi sera plus ferme, plus joyeuse et plus conqué-
rante; car vous en saurez plus, sur les grands pro-
blèmes qui peuvent inquiéter nos esprits, que les
philosophes et les savants qui cherchent la vérité
sans recourir à l'Evangile .

.. ca... •
Swédenborg.
JI

T ABLE DES MATIÈRES


Page&'
DÉDICACE 5-
PRÉFACE 7

TROISIÈME COURS
Le Monde des esprits.
PREMIÈRE LEÇON
Les idées de Swédeoborg frappe nt davantage lorsqu'on
entre dans le détail. Ignorance à l'égard de l'aulre
monde. Son seul e..xplorateur. Raisons de notre con-
fiance. Absence de parti pris. Comparaison de deux
ouvrages: La Vision, de Dante Alighieri, ct Le Ciel
et ['Enfer, de Swédcoborg. Le Monde des Esprits et.
le Hadès. Réaction contre la doctrine du Purgato ire.
La mort. L'accueil dans le monde invisible. Ortho-
doxie et agnosticisme. Résurrection renvoyée à la 6n
du monde. Sommeil sans rêves ' et deoli-sommeil.
Vivi6cation des cadavres. L'homme-esprit ou le corps
spirituel. L 'esprit est l'unique substance. Statue d'ar-
gile e t statue de marbre. Le matérialisme vaincu . Le
l\'Ionde des Esprits est entre le Ciel et l'Enfer. Désac-
cord actuel entre la tête et le cœur. Comment l'accord
s'établit. Avantages de ce point de vue . it
DEUXIÈlIlE LEÇON
Les deux mémoires: la mémoire interne et ses rapports
avec la mémoire externe. Découverte des choses ca-
chées. Se reconnaîtra-t-on dans l'autre monde? Ré-
ponse complexe. Les trois états: l'état des exférieur s;
- 366-
l'état des intérieurs; l'état de préparation ou d'instruc-
tion. La dévastation dans la Terre inférieure. Maho-
Dlétans et païens. Le jugement finaL Les Anges infor-
mateurs. La vic passée inscrite dans le cerveau et.
dans le corps de chaque esprit. Le Liure de la Vie .
La. conception catholique et celle de S'w édenborg. Ac-
cord avec la conscience et la raison.
TROISIÈME LEÇON
Que restera- t-il de nous dans l'éternité? Notre amour
régnant. L'homme apl'ès la mort EST son amour ou
sa volonté. Illusions intellectualistes. La véritable
aristocratie. Variété des jouiesances. Les plaisirs na-
turels changés eu plaisirs spirituels suivant les lois
de la Correspondance. Nombreux exemples. Trop
tard 1 Le fardeau léger 72

QUATRIÈME COURS
L'Enfer.
PREMIERE LEÇON
Dante et Swédenborg. Quelques différences . Sincérité de
notre auteur. Critères pour juger son point de vue.
Causes de l'incrédulité moderne à l 'égard de l'Enfer.
Raison d'y croire. Ce qui fait l'Enfe r. Le méchant le
préfère au Ciel. Respect de Dieu pour la liberté. Le
mal sc punit lui- même. Théorie de l'Equ ilibre. Pas de
dualisme. Faiblesse du mal et du faux. Arguments
contre la chute des anges. Le Diable est-il personnel?
Le sens interne. D e ux substantifs pour la m ê m e chose.
Le Diable el Satan. La Divinité du mal. Hypothèse.. 83
DEUXIÈME LEÇON
Organisation semblable, mais inverse, du Ciel et de
l'Enfer. Les deux Royaumes: le Diable et Satan.
L'amour de soi et l'amour du monde. Les quatre
Plages. Les Sociétés infernales. Affiu.x commun et
Afflux spécial. Artifices abominables des démons. Les
mauvais Génies. Les punitions ne viennent pas de
- 367-
Pages
Dieu, nlais du péché. Harmonie entre l'individu et
son milieu. Régime de la crainte. Les portes de l'En-
fer. Aspect, variété et situation des Enfers. Tour-
ments des damnés. Chacun est devenu « l'effigie de
son mal ». F ig ures horribles et formes monstrueuses.
L'Enfer t énébreux pour le Ciel et réciproquement.
Apparences réelles. Leur objectivité. Opposition de la
matière et de l'es prit. Tendance idéaliste de la philo-
sophie contemporaine. Le dram e de la création se
poursuit dans le Monde spirituel. Suprématie absolue
de l'espl'it. IVlonisme spiritualiste HO
TROISIÈME LEÇON
L'Enfer é ternel e t l'imluortalité facultative.
Une réserve. L'immorta lité conditionnelle soutenue par
le conférencier à Paris, Bruxelles ct Lausanne. Ses
princi paux d éfense urs. L'unive rsa lisme . Accord de
notre théorie avec les li vres saints. Quat.re a vantages
qui la dist ing uent des deux doctrines rivales. Swéden-
horS' e n reste à l'D.m e im.m ortel1e et à son corolla ir'e.
Cinq raisons qui permettent à l'orateur de sc séparer
de lui SUI' cè point. Conciliation possible. Importance
de cette moise au point pour faire disparaître un dua-
lisme inquiétant t &3

CINQUIÈME COURS
L'Art de vivre.
PHEMIERE LEÇON
La Doctrine de Vie. Les œuvres nécessaires au sa lut.
Bien civil, Bien moral et Bien Spil·ituel. Avantag'o de
l 'entendement sur la volonté. Fuir les maux comme
péchés. Le libre arbitre , « Cessez de mal fa ire, appre -
nez à bien faire. » Œuvres pies et rites chrétiens
contrastant avec la vie ordinaire. Le bien r éel vient
.de Dieu. Comment devenir spirituel? Le d éfaut du
Vaudois. Conclusion de Swédenborg. Le général
l\touravieff . t 75
- 068 -
DEUXrilME LEÇON
Les maux qu'il s'agit de fuir. Valeur du Décalogue. Lois
d e religion. Leur très grande saintete. But des Dix
Paroles. L'homme peul-il accomplir la loi? Consente-
m ent uni versel. « Le bien aime le vrai . ,. J 'ai trouvé
la vérité! Ferdinand Brunetière. Etude individuelle.
Constante ascensio n. Sommaire de la loi. Identité
fon c ière des dcu..x alliances . Doctrine de la Charité.
Unité réa lisée par les Anciennes Eg lises . Qui est le
Prochain? Sens suprême . Classes . Degrés successifs.
L es sociétés, la patrie, l'Eglise, le royaume du Sei-
gneur . 'W!
TROISlÈlIIE LEÇON
Charité bien ordonnee commence par soi- mème. La fi n
fait l 'h omme. En quoi la cbarité consiste. Son rapport
avec la religion . Spiritualité du culte de la vie. La ré-
génération . In tercession de Moïse, de Paul et du Chris t.
La foi séparée de la charité. L ' homme peut acq u érir
la foi. Comment? La vérité est l'essence de la fol. Le
point central de la révélation. Une exngéra ti on de la
Formule de Concorde. L'homme peut acquérir la cha-
rité . Mar iage de l'amou r du prochain et de la fo i. Ca-
ractère éthique du sys tème de Swédenborg. Les Usages
ou l'u tilité socinle. L a charité dans l'Eglise primitive.
C lasses spiritu elles: aveugles, sourds, boiteux, afla-
lnés, a llér és, malades, veuves. orphelins, voyageurs,
prisonniers, etc. Quatre principes de conduite. E tre
avant de fa ire. Résultat de cet Art de vivre 231

SIXIÈME COURS
La Divine Triade ou le Monothéisme et Jésus-Christ.
PRE~nilRE LEÇON
L a ra ison moderne est monothéis te . Trithéisme populaire .
Cantiques aim és . Situa tion anormale des prolesta n ts.
Avons-nous un Dieu ou trois dieux? 263
CHAPITl\ & Pl\El\UER : Le Ul.onothéisme de r Ancien
Testament. Les deux premiers commandements
- 369-
Pagea
du Décalogu e. Leur sanction par des c hâ timents et
des bé néd ictions. Hénothéisme des Hébreux . Préjugé
combattu par M u nk. S ignification de Yahvé. Dualisme
vaincu. Le monothéisme triomphe dans l'exil. La PC1'-
sécut.ion J'affermit e t le rend défin iti f. Jésus le purifie.
Trois grandes rel igions enseignant l'u nité de D ieu. . 267
CHAPITRE SECOND: Histoire et critique du dogme
de la Trinité . Jésus monothéiste, ma is le christia-
nisme trin itaire. Le Symbole Quicunque. Protesta t ion .S er vet;
de M ichel Servet. Sa con ception cbristocentriq u e o u son
panchris tisme. Anal ogies avec Swédenbor g. Su pério-
r ité sur Calvin . Restauration du Christianisme . 279
DEUXIEME LEÇON
Lut ber d'accord avec Servet SUI' la divio ité d u Ch r lst.
Lélio el Faust SOClll. L ' Eg lise des Frères po lo n a is . Les
unita ires du XL-X e s iècle. Le libéralisme français. L a
Kénose. La Tr inité res te une pierre d'achoppement. . ~87
CUAPITRE TROlSI~!!lE . Théorie de S'Wédenborg.
io Sa guerre au lrilhéisme. Croire à t ro is d ieux,
mais ne pas Je dire. Inconvénients d' une Divin ité par-
tag'ée en trois. 20 Sa mélhode. Ill ustr ation qui l ui
permet de dévo iler le sens interne des Ecritures. Son
myst icisme rationnel. Ses autorités en philosoph ie .
30 ltfonolltéisme et Trine d'Essenliels. Textes évan-
géliques qu i semblent donner ra ison au t r it héismc.
Les Essenticls en D ieu. La Trin ité de la personnc.
Rappel dcs degrés discrc ts et des correspon dances .
Henry de Mayet Swédenborg. Le T rinc. 4 0 Le Père.
L 'amour, le b ie n , la vo lonté, la substance. Descartes
et Charles Secrétan. Sain t J ean. 295
TROISIEME LEÇON
50 Le Fils. Chaleur et lum ière. Le Logos devient le F ils.
Interne d ivin et externe h u main. Unitari sme à reb o urs.
Fonds de vérité dans l a «Relig ion pos itive» d'Aug.
Comte. 6 0 Le Sainl-EsprLl. Ma len ten d u . L'esprit d'un
esprit pur! La V ie procédan t d u Seigneur. Glorifica-
tion préalable. La Pentecote inau g ure une é poq u e p lus
avancée. L'enseignement de l' E sprit en r apport avec
SWf:.DENBORG Il ~(&,
- 370-
notre réceptivité . Etude négligée . 7 0 Succession et
crescendo des trois Essentiels. Trois périodes. Posi-
tion s upérieure des chrétiens. Victoire sur le paga-
nlslne. Déchéance de l'Eglise . Le Réveil et le Saint-
Esprit. 80 ValeuI" de celle doctrine. Conciliation du
monothéisme avec la divinité du Christ. Modalisme de
Sabellius. Intér êt pratique de notre doctrine.
Conclusion. Deux conseils . 310
QUATRIÈME LEÇON
Objections et Réponses.
Premièr e objection: La Bible parle de trois personnes
divines. - Réponse pa r cinq faits incontestés .
Deuxième objection. : Dieu' aurait dü quitter le Ciel el
r e noncer au gouvernement de I ~un.ivers. - llépollse.
Immanence ct transcendance. Ce n'est pas le Père,
c'est le Logos qui s'cst incarn é . Dieu o'est j ama is ab-
s orbé par uo homme; c'est l'i nve rse qui a lieu .
Trois ième objection: Le P ère e t le Fils soot deux ê tres
différents, donc deux Divinités d'après l'Evangile. -
R éponse. Deux états successifs séparés pal' la c roix de
Golgotha. A l'ascension la parenthèse sc ferme j il
n'existe désormais qu'un Dieu indivisihle.
Quatrième objection : Il y a urait co Christ une excep-
tionnelle dualité de conscience. - Réponse. Ce tte
dualité esl à la charge des Evangiles et nOD de Swé-
denborg . HumiJiation altern~mt avec gloire. « Deux
hommes en moi. :» La personnalité r es te chose obscure
pour les savants et les philosophes. La notion du Moi
est vague et flottante dans la Bible.
Cinquième objection : Le Christ ne serait pas vraiment
homme. C'est l'hérés ie d'Apollinaire . - R épollSe. An-
thropolog ie de Swédenborg appliquée à Jésus. L'in-
terne n'appartient pas à notre nature. L'ame du Christ
était humaine. Comparaison avec Adam et Eve.
Un del'lûel" mol . 336
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