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UlnZalne
littéraire
DU 1er AU 31 AOÛT 1990/ PRIX: 25 F (F.S. : 8,00 - CON: 7,25)
3
560.
4 LA FIN DE L'EMPIRE De l'Empire aux confettis par Claude Wauthier
5 L'Après-Dakar, la francophonie, ses applications par Louis-Jean Calvet
8 L'AFRIQUE NOIRE Un Continent corrompu ? par Jean-Loup Amselle
7 Jean-François Bayart parle de la montée de la contestation en Propos recueillis
Afrique par Yann Mens
8 L'avant-dernier stalinien par Emmanuel Terray
9 Le Bénillquartier Latin de l'Afrique par Claude Joy
10 Georges Balandier : une anthropologie de bonne volonté Propos recueillis
par André-Marcel d'Ans
11 W. W. Harris le prophète d'avant la crise par Jean-Pierre Dozon
13 Un panafricanisme, pourquoi pas? par Elikia M'Bokolo
14 Les Ecrivains africains par Claude Wauthier
21 LE MAGHREB Algérie et tiers monde trente ans après par Robert Bonnaud
23 Entretien avec Francis Jeanson Propos recueillis
par Jean-Pierre Salgas
24 « ... A la faveur d'un équivoque passeport de langue française ... » par Anne Roche
25 Identité : permanences et dérives par Zineb Ali-Benali
Le Sahel du XXI' siècle de Jacques Giri par' Bernard Cazes
28 Une semaine de poésie à Constan tine par Marie Etienne
38 POLYN~SIE Tahiti dans toute sa littérature de Daniel Margueron par Jean Chesneaux
37 La civilisation kanak par Alban Bensa
Crédits photographiques
Couverture D.R.
P. 2 D.R.
P. 4 D.R.
P. 5 D.R. Direction: Maurice Nadeau.
P. 7 D.R.
P. 8 D.R. Comité de rédaction: André-Marcel d'Ans, Louis Arénilla, Françoise Asso, Alexis Berelowitch, Robert Bonnaud, Nicole Casa-
P. 9 « Sur les traces de l'Afrique nova, Bernard Cazes, Jean Chesneaux, Xavier Delcourt, Christian Descamps, Marie Etienne, Serge Fauchereau, Lucette Finas,
Fantôme» par Françoise Roger Gentis, Jean-Paul Goux, Jean Lacoste, Gilles Lapouge, Francine de MlU'tinoir, Gérard Noiret, Pierre Pachet, Evelyne
Huguier, Maeght éd. Pieiller, Jean Saavedra, Agnès Vaquin, Gilbert Walusinski, Michel Wieviorka.
P. Il « Sur les traces de l'Afrique
Fantôme» par Françoise Arts: Georges Raillard, Gilbert Lascault, Marc Le Bot. Théâtre: Monique Le Roux. Cinéma: Louis Seguin.
Huguier, Maeght éd. Musique: Claude Glayman. Danse: Julia Tardy-Marcus.
P.12 D.R.
P. 13 « Sur les traces de l'Afrique Secrétaire de la rédaction, documentation, bibliographie: Anne Sarraute.
Fantôme» par Françoise Courriériste littéraire: Jean-Pierre Salgas.
Huguier, Maeght éd.
P.15 D.R. Publiciié : General medias, Sophie Gaisseau, 40-28-48-48.
P.17 D.R. Rédaction, administration: 43, rue du Temple - 75004 Paris - Tél. : 48-87-48-58. FAX. : 48-87-13-01.
P.18 D.R.
P.19 D.R. Abonnement: Un an - 395 F - vingt-trois numéros.
P.20 D.R. Six mois - 210 F - douze numéros.
P.21 D.R. Etranger:
P. 22 Atlas colonial illustré,
Larousse
Un an - 520 F - par avion 700 F.
P.23 Seuil Six mois - 300 F - par avion 390 F.
P.24 D.R. Prix du numéro au Canada: $ 4,15.
P.25 D.R.
P. 27 Atlas colonial illustré, Pour tout changement d'adresse: envoyer 3 timbres à 1 F avec la dernière bande reçue.
Larousse Pour l'étranger: envoyer 3 coupons-réponses internationaux.
P.29 D.R.
P. 30 Atlas colonial illustré, Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal: CCP Paris 15-551-53.
Larousse Publié avec le concours du Centre National des Lettres.
P.31 D.R.
P. 33 Atlas colonial illustré,
Larousse
P.34 D.R.
P. 35 Atlas colonial illustré,
Larousse
P.36 D.R.
P. 37 La Manufacture
4
LA FIN DE L'EMPIRE
Claude Wauthier
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L~ colonial françltÏS
Louis-Jean Calvet
La francophonie,
ses applications
Le géographe Onésime Reclus n'avait sans doute nes dans le monde qui l'utilisent quo-
tidiennement, à 110 ou 120 millions,
échec coûteux, et au centre de cet échec
se trouve le problème de la langue :
pas tort lorsqu'il écrivait en 1887 : « L'avenir verra mais ces personnes, si elles sont « fran- faut-il par exemple continuer de scola-
plus de francophones en Afrique et dans l'Amérique cophones », peuvent cependant avoir riser les élèves en français, ou bien com-
pour première langue le wolof, le mencer par une langue africaine? C'est
du Nord que dans toute la francophonie d'Europe ». créole, le bambara, la lingala, le bas- pourquoi les textes adoptés par le som-
que, le flamand, la hausa, etc. C'est- met des chefs d'Etats francophones,
En effet, les citoyens français sontaujourd'hui mino- à-dire que dans une grande partie de réuni en mai 1989 à Dakar, pourraient
ritaires dans l'ensemble francophone, la langue fran- l'espace francophone, la langue offi- bien ouvrir une nouvelle voie. On y lit
cielle, langue de gestion de l'Etat, lan- que la francophonie est « globale »,
çaise ne leur appartient plus. gue de l'école, de l'administration, de « plurielle» ; qu'il conviendrait d'y
Et la francophonie pose du même coup de nom- l'insertion sociale, n'est pas la langue aménager le plurilinguisme, de penser
maternelle des citoyens, ce qui pose à la politique linguistique en termes de
breux problèmes d'ordre sociologique et politique... la fois un problème de démocratie et développement, bref on y trouve un
d'identité culturelle. discours bien différent de celui qui a été
tenu jusqu'ici et qui mettait surtout
Ainsi, vu de la France, l'avenir du l'accent sur la primauté du français ...
Lancée en 1964 par deux chefs doute aujourd'hui la dixième place français se joue en Afrique, seul conti-
d'Etats africains, Léopold Senghor, dans la liste des langues les plus parlées nent où le nombre de ses locuteurs
président du Sénégal, et Habib Bour- dans le monde, après le chinois, l'an- pourrait augmenter de façon significa- Léopold Sedar Senghor
guiba, président de Tunisie, l'idée de glais, l'espagnol ou le portu~ais bien tive (on évalue aujourd'hui à 10 070 le
francophonie doit être aujourd 'hui sûr, mais aussi le bengali, le japonais nombre de francophones dans les pays
analysée à la fois comme un fait socio- ou l'arabe. Mais en même temps le africains dits « francophones»).
linguistique (la langue française est sou- français peut être considéré comme la Comme d'autres langues européennes
vent en contact, voire en conflit, avec deuxième langue internationale, après (le portugais, l'espagnol, l'anglais) le
d'autres langues localement plus par- l'anglais et avant l'espagnol si l'on con- français doit en effet son importance
Iées qu'elle mais moins reconnues) et sidère le nombre de pays dont elle est européenne et mondiale à son ancien
comme un concept géopolitique. La la langue officielle (39 pays par exem- empire colonial et à ses zones d'in-
francophonie, selon le regard que l'on ple utilisent le français dans leurs inter- fluence économique, il suffit pour s'en
porte sur elle, constitue en effet à la fois ventions à l'UNESCO) et le rôle qu'elle convaincre de considérer le cas de l'al-
un espace monétaire (la zone franc) remplit dans les organisations interna- lemand,langue la plus parlée dans l'Eu-
dans lequel les rapports économiques tionales. Le français est ainsi présent, rope des douze et qui pourtant n'a pas
avec la France sont privilégiés, un outre l'Europe, en Afrique (une quin- la diffusion internationale des quatre
espace politique (l'Organisation Com- zaine de pays), dans l'Océan Indien, susdites.
mune Africaine et Malgache) et enfin aux Antilles, en Amérique du Sud Si la survie internationale du français
un espace de coopération (l'ACCT) qui (Guyane), en Amérique du Nord se joue en Afrique, le problème de
tous sont traversés par les tensions du (Canada), au Proche Orient (Liban) et, l'Afrique est différent. Quel rôle peut
dialogue Nord-Sud. dans une moindre mesure, en Asie jouer le français dans son développe-
En fait, la Situation du français est (Viêtnam, laos, Cambodge...). On peut ment, dans son avenir? La scolarisa-
quelque peu paradoxélle. Il occupe sans en 1990 évaluer le nombre de person- tion est bien souvent en Afrique un
6 L'AFRIQUE NOIRE
Reste, bien sûr, à passer aux actes, défendre leurs privilèges : dans beau- part, démocratie et développement gramme difficile car, si la communica-
à faire entrer ce discours' nouveaU dans coup de pays africains on utilise le d'autre part, rien de fondamental ne tion africaine s'est construite, comme
des opérations concrètes de coopéra- même mot (toubab au Sénégal, au pourra sur ce plan être changé. C'est un homéostat, dans un va-et-vient entre
tion. Mais, pour coopérer, il faut être Mali, en Côte d'Ivoire, nasara au cela i'enjèu, cela le pari de l'après- les nombreuses langues grégaires (lan-
au moins deux, et c'est là que com- Niger, etc.) pour désigner les Européens Dakar. Il faudra beaucoup d'imagina- gues de la familie, du village) et les lan-
mence le problème. Les dix pour cent et les Mricains occidentalisés, porteurs tion et d'opiniâtreté pour y parvenir. gues véhiculaires qui unifient dès à pré-
d'Mricains « francophones» qui par- de cravate et de carnet de chèques... Et Il faudra aussi que Français et Québé- sent certaines régions du continent, il
lent français ne sont pas, on l'aura il y a, dans cette anecdote lexiëale plus cois décident de mettre fin à la gué- n'en demeure pas moins que le français
deviné, des paysans, des pêcheurs, des que la manifestation de l'humour guerre qu'ils entretiennent de façon est aussi une langue africaine, qu'il a
chômeurs, ils sont dans la mouvance du populaire : une véritable analyse socio- ·sourde depuis des ~nnées, se battant un rôle à jouer dans ce continent. Ce
pouvoir ou au pouvoir, et ils y sont en logique. L'après-Dakar implique juste- pour apparaître comme les légitimes rôle, qui consiste aujourd'hui à confor-
partie grâce au français qui, plus ment que l'on puisse agir sur la situa- propriétaires d'une langue qu'ils par- ter le pouvoir des élites, pouvons-nous
qu'une langue, est là-bas une clé sociale tion sociologique. Les événements tagent en fait avec plus nombreux faire qu'il consiste demain à cimenter
ouvrantJes portes de la réussite et du récents, à l'est comme au sud, font que qu'eux. Il faudra enfin faire admettre la liberté et la démocratie? C'est là tout
pouvoir. l'on parle beaucoup aujourd'hui de à nos partenaires africains que si la l'enjeu de l'après-Dakar. •
démocratisation, et le terme est le plus démocratie implique que l'on donne au
Si l'on exclut le cas de la Guinée à souvent compris en son sens strictement peuple le droit à la parole, elle impli- Louis-Jan Calvet. s6mlologue et lin-
l'époque de Sékou Touré, les politiques . politique: pluripartisme, élections que peut-être aussi que l'on donne le guiste. auteur de nombreux ouvragea
linguistiques des états africains n'ont libres... Mais tant que l'on n'aura pas même droit aux langues du peuple. sur la langue. la soclét6. la chanson.
pas mis en cause le statut du français, compris les liens étroits qui unissent publie en septembre une biographie de
qui est le meilleur atout des élites pour faits culturels et linguistiques d'une Vaste programme, certes. Et pro- Roland Barthes chez Rammarlon.
L'AFRIQUE NOIRE
Jean-Loup Amselle
Un continent corrompu ?
Corruption, clientélisme, népotisme, prévarication... Boigny dans la basilique de Yamous- caines depuis les années 1960 - le
soukro contredisent d'une certaine « miracle ivoirien » notamment - a
Trente i;iDS après les indépendances, ces termes font écho à fa'Çon la façade moderne et libérale de masqué le fait que cette croissance s'est
ceux de fàillite, de catastrophe et de banqueroute, plaies qui, l'Etat ivoirien. Mais ce qui est, à nos effectuée essentiellement dans le
selon les médias, affecteraient l'Afrique Noire dans son yeux, une transgression évidente de la domaine agricole (café, cacao, bois,
séparation entre le bien public et le bien canne à sucre, etc.). Or les cours de ces
ensemble. Cette vision de l'Afrique Noire comme continent privé n'est pas perçu comme telle par produits de base même s'ils ont été au
corrompu n'est-elle pas une nouvelle mouture de l'idée selon les Mricains. Ce qui est grave en Mri- plus haut pendant plusieurs années,
laquelle cette région de la planète serait la terre d'élection des que, ce n'est pas de voler l'Etat, c'est n'ont cessé de chuter depuis quelque
de ne pas redistribuer. Au Mali, par temps. Pendant.l~ période des vaches
sociétés primitives, des sociétés sans écriture et des sociétés exemple, occuper une position de pre- grasses, les Etats les mieux nantis (Côte
sans Etat? . . mier plan dans l'appareil d'Etat et ne d'Ivoire, Cameroun, Gabon) n'en ont
pas en faire profiter ses parents, ses pas profité pour tenter de diversifier
Le thème de l'Afrique comme be~ fait la plupart des études menées dans amis, les gens de sa région d'origine est leurs économies et investir dans le sec-
ceau de la corruption est relativement cette perspective reprennent les vieilles assimilé, au mieux, à un comportement teur industriel. Si cela avait été le· cas,
nouveau dans la littérature. Comme le distinctions de la sociologie et de l'an- de Toubab (Européen), au pire entraîne ces pays auraient pu faire jeu égal avec
montre Hamadou Hampate Bâ dans thropologie, c'est-à-dire celles opposant toutes sortes de malédictions et expose les quatre « dragons » d'Asie du Sud-
l'Etrange destin de Wangrin. dans les le « statut» au « contrab>, la « commu- donc celui qui en est l'objet aux agres- Est (Taïwan, Singapour, Corée du Sud,
colonies françaises, même si la corrup- nauté » à la « société », le « patrimo- sions en sorcellerie. Dans des sociétés Indonésie).
tion était répandue, l'Etat colonial était nialisme» à 1'« Etat bureaucratique où la pression sur l'individu est extrê- Au Fonds Monétaire International et
officiellement un Etat de droit et fonc- rationnel» (M. Weber). Dans cette mement forte, il est quasiment impos- à la Banque Mondiale, on fait mine.
tionnait selon des règles analogues à optique, la corruption, le népotisme et sible de se soustraire aux obligations de aujourd'hui de découvrir que l'Mrique
celles de l'Etat métropolitain. Ce n'est le clientélisme africains résulteraient de redistribution, d'aide à la famille et de est en proie à la corruption et au népo-
que très récemment que la problémati- la confusion entre le bien.public et le sacrifices aux Dieux. tisme. En fait, il y a belle lurette que
que de la corruption a fait son appari- bien privé et feraient de l'Etat africain tout le monde sait que la fortune de
tion à propos de l'Afrique, de l'Asie et contemporain un Etat « néo- Mobutu en Suisse est égale à la dette
du Tiers Monde en général. Gunnar patrimonial ». extérieure du zaïre. Si les institutions
Myrdal, l'économiste suédois bien A la différence de 1'« Etat pré- Ce qui est en cause internationales et les grandes puissan-
connu, a été l'un 4es premiers à mettre colonial» au sein duquel il n'existe pas ces comme la France mettent actuelle-
en évidence l'étendue de la corruption de corruption puisqu'il n'y a pas de dis- ment l'accent sur les turpitudes des
dans les pays du Tiers Monde nouvel- De ce point de vue, les manifesta- pays africains, c'est qu'elles ont décidé
tinction entre le bien public et la for-
lement indépendants et a forgé, dans ce tions et les soulèvements qui ont lieu en depuis peu de lâcher leurs ex-<:olonies.
tune privée du souverain, l'Etat « néo- Afrique francophone trente ans après
but, la notion d'« Etat mou ». Selon patrimonial», lui, est un Etat cor- Il y a longtemps comme l'a montré J.
lui, dans les pays dits sous-développés, les Indépendances, ne semblent pas Marseille (l) que l'Afrique ne rapporte
rompu puisque l'imposition du modèle remettre en cause ce modèle de préda-
la circulation du capital, du travail et occidental de l'Etat (constitution, . plus rien à la France. Le maintien de
des marchançiises n'est pas régie selon tion et de redistribution hérité de la l'aide tient essentiellement à des raisons
ministères, fonctionnaires, etc.) entre période précoloniale. Ce qui est en
le principe du marché mais relève en contradiction avec les pratiques de d'ordre politique: c'est la francopho-
d'opérateurs économiques qui con- prédation et de redistribution héritées cause, actuellement, tant en Afrique nie qui permet à la France de disposer
voient ces biens de façon discrétion- de la période précoloniale. Pour pren- francophone qu'anglophone, c'est d'une vingtaine de voix à l'ONU et
naire et privée. dre un exemple précis, si l'Etat ivoirien moins la nature de la circulation des d'apparaître ainsi comme une grande
apparaît comme un Etat corrompu, produits que l'insuffisance de la pro- puissance de deuxième ordre.
A la suite de G. Myrdal, toute une
série de politologues ont appliqué cette c'est parce que les « investissements duction. Sur le plan économique, l'existence
notion d'« Etat mou» à l'Mrique. En religieux» effectués par F. Houphouët L'essor de certaines économies afri- d'une chasse gardée en Mrique a per-
L'AFRIQUE NOIRE 7
mis que pendant longtemps une partie d'intervenir, mais le facteur qui cons- tés de reconduire la politique du « wel- La corruption, la prévarication et le
de l'économie française soit maintenue titue à lui seul le principal repoussoir, fare » mi,se en place par la France. La népotisme ne sont donc pas à l'origine
en état d'arriération. Les entreprises c'est le coût de la force de travail. A stabilité politique des ex-eolonies fran- des secoUSSeS qui ébranlent .les uns
trop faibles pour s'exposer à la concur- la différence des pays d'Asie du Sud- çaises a en effet toujours rePosé sur une après les autres les pays africains d'ex-
rence internationale trouvaient en Afri- Est et de l'île Maurice par exemple, le alliance entre les différentes couches pression française. En fait le modèle de
que un exutoire leur permettant d'écou- coût du travail dans les pays d'Afrique urbaines. C'est par l'accumulation opé- prédation et de redistribution reste tou-
ler des produits trop chers ou de qua- francophone est extrêmement élevé et rée aux dépens des paysans et par la jours en vigueur et il le restera tant que
lité inférieure. De façon générale, ceci en raison du pacte politique et redistribution aux habitants des villes les structures de base de la paysanne-
l'Afrique et en particulier l'Afrique social qui prévaut en ville, en particu- que la paix sociale a pu être maintenue, rie continueront de reposer sur la
francophone n'a jamais représenté un lier dans le secteur formel. Ce pacte mais la baisse du çours des produits de parenté et sur les relations aînés-eadets.
pôle d'attraction pour les investisseurs social remonte à la période coloniale : base ainsi que l'incapacité des régimes C'est la « conjoncture », c'est-à-dire
étrangers et en particulier pour les mul- il est une des conséquences de la politi- africains à promouvoir un développe- l'austérité qui porte atteinte au bon
tinationales. Cette situation a elle- que de bien-être qui a été mise en place ment industriel remet en cause, à fonctionnement du principe de préda-
même plusieurs origines. En premier dans toutes les colonies françaises après l'heure actuelle, le pacte social urbain. tion et de redistribution, ce n'est pas le
lieu, il faut mentionner la démographie. la seconde guerre mondiale. Sous la pression du FMI et de la Ban- modèle lui-même qui est en cause. •
Que représentent les 7 millions de que Mondiale, les dirigeants africains
Maliens ou de Sénégalais face aux 100 A cette époque, le travail forcé a été sont un peu partout contraints de 1. J. Marseille, Empire colônial et
millions de Nigerians? Les codes d'in- supprimé et les principales conquêtes « dégraisser» les effectifs de la fonc- capitalisme français, Paris, Albin
vestissements, la perméabilité des fron- du monde du travail en métropole ont tion publique et de réduire les salaires Michel, 1984.
tières, le bas niveau de vie de la plus été transférées outre-mer (salaire mini- dans le secteur formel. Plus que toute
grande partie de la population et la mum, sécurité sociale, etc.). Les régi- autre raison c'est ce qui motive les mou- Jean-Loup Amselle est maTtre de con-
cherté de l'énergie sont également des mes issus des indépendances n'ont pas vements de mécontentement qui se font férences è "EHESS. Dernier livre paru
éléments qui dissuadent les investisseurs touché à ces acquis : ils se sont conten- jour çà et là. LoglquflS mtltlssflS, Pavot 1990.
La montée de la contestation
en Afrique
Yann Mens. - Les régimes qui sont
contestés aujourd'hui en Afrique,
comme celui d'Houphouët-Boigny Le continent africain
en Côte d'Ivoire ou de Bongo au
Gabon, SOllt longtemps apparus
comme les valeurs sûres du conti-
nent. Pourquoi sont-ifs aujourd'hui
sur la sel/ette ?
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Emmanuel Terray
L'avant-dernier stalinien
Selon toute probabilité, le vieux sage de Yamoussoukro Il est encore trop tôt pour dresser le et Odru. Le PCF est alors à l'apogée
bilan d'une action et d'une œuvre qui de sa période stalinienne, et les militants
va rater sa sortie. Certes, le pape Jean Paul II vient d'accé- se sont étendues sur près d'un demi- cités, en particulier les deux premiers,
der à l'un de ses plus ardents désirs en acceptant d'inaugurer siècle, mais on peut d'ores et déjà met- sont connus pour leur adhésion sans
tre l'accent sur certains aspects du per- défaillance à l'orthodoxie, leurs adver-
en personne la basilique de Yamoussoukro, mais ce « coup sonnage que les biographes ont parfois saires diront: pour leur sectarisme. Ils
de main » de la dernière minute ne changera pas grand chose : tendance à sous-estimer. On a ample- font l'éducation politique d'Hou-
le règne se terminera, non pas par l'apothéose du monarque, ment insisté sur les traits qui font phouët, et cette éducation le marque de
d'HouI'houët un « souverain» à la façon durable : son empreinte se mani-
mais dans le déchaînement des querelles et des intrigues entre mode traditionnelle : son goût pour le festera bien après que les liens initiaux
des prétendants aussi anxieux qu'impatients. faste et l'ostentation, son allergie à la entre le PCF et le PDCI auront été rom-
procédure du vote et sa préférence pour pus.
le palabre, son sens du respect dû à De cette empreinte, on peut relever
l'âge et aux anciens, l'importance qu'il trois indices : contrairement à une idée
accorde aux cadeaux, donnés et reçus, trop souvent reçue, le Parti unique n'est
la difficulté qu'il éprouve à faire le par- pas un trait permanent de l'histoire
tage entre sa fortune personnelle et les ivoirienne. Entre 1945 et 1957, la Côte
'deniers publics, enfin, sa conviction d'Ivoire a connu le multipartisme. Cer-
bien établie et jamais démentie selon tes, il faut tenir compte des circonstan-
laquelle « le fétiche, c'est le fond du ces particulières de l'époque: entre
problème ». 1946 et 1951, le Parti progressiste, l'En-
On souligne moins d'ordinaire à quel tente des Indépendants, le Bloc Démo-
point Houphouët a été marqué par le cratique, la SFIO bénéficient du sou-
modèle stalinien, et par la conception tien actif de l'administration, face à un
stalinienne de la vie politique. Il faut POC allié aux communistes. On ne sau-
rappeler ici que, pendant les premières rait pour autant les regarder comme des
années de sa carrière politique, de 1946 organisations entièrement et exclusive-
à 1950, Houphouët a été entouré, con- ment « fantoches ». En octobre 1950,
seillé, assisté, formé par une escouade le RDA et le POCI mettent fin aux rela-
de militants communistes : Léon Feix, tions privilégiées qu'ils entretenaient
responsable de la « section coloniale» jusqu'alors avec le PCF ; à l'Assemblée
au Comité central, Raymond Barbé, nationale les députés RDA se désappa-
Marcel Dufriche, en charge des affai- rentent du groupe communiste. Mais
res syndicales, les sénateurs Franceschi Houphouët n'en poursuivra pas moins
La cathédrale de Brazzaville, Rép. pop. Congo (Atlas colonial illustré,
Larousse 1905)
L'AFRIQUE NOIRE 9.
avec ténacité la réalisation de son objec- le pays. Là encore, Houphouët conju- contraints aux aveux; désignation, ment destinée à « populariser la pen-
tif initial: la disparition des partis con- guera très habilement la répression bru- pour juger les inculpés du premier pro- sée de Félix Houphouët Boigny», et la
currents, et l'avènement du parti uni- tale et la corruption sous toutes ses for- cès, de J.B. Mockey, dont on a déjà rédaction subventionnée de plusieurs
que. Tous les moyens seront utilisés mes. En 1962, l'UGTAN et la Confé- décidé de faire le principal accusé du biographies hagiographiques, dont la
pour atteindre ce but ; des pressions dération Africaine des Travailleurs second procès. Bien entendu, entre les plus courtisane est l'œuvre d'un Fran-
plus ou moins discrètes.à la corruption Croyants cèderont la place à l'UGTCI procès staliniens et ceux d'Houphouët çais, le gouverneur Siriex. Jacques Hau-
plus ou moins ouverte. Très vite, la (Union Générale des Travailleurs de une différence majeure : les seconds ne lin donne quelques exemples savoureux
réussite sera totale certains partis seront Côte d'Ivoire) qui proclamera dès sa s'achèvent pas par des exécutions capi- des maquillages grossiers auxquels se
absorbés, d'autres se dissoudront naissance « son indéfectible attache- tales ; dans son livre de 1982, Jacques livre cet auteur, dans la plus pure tra-
d'eux-mêmes. Aux élections du 31 mars ment au PDCI », donc son statut de Haulin a bien montré comment la mort dition de l'historiographie stalinienne.
1957, le PDCI obtiendra tous les sièges. « courroie de transmission ». Le mou- suspecte d'Ernest Boka, et la tempête Assurément l'influence stalinienne
A cette date, cependant, le Parti Uni- vement étudiant résistera un peu plus de protestations qu'elle a soulevée en s'est exercée, non pas sur les orienta-
llue n'est encore qu'un fait. pn juillet longtemps, mais au début de 1965, il Côte d'Ivoire et à l'extérieur, ont très tions politiques adoptées, mais sur les
1958 se tient à Cotonou le congrès cons- s'incline à son tour: à cette date, il probablement sauvé les dix neuf con- techniques utilisées dans la conquête et
titutif du Parti du Rassemblement afri- n'existe plus en Côte d'Ivoire d'orga- damnés à mort des deux procès. Il reste dans la conservation du pouvoir. Elle
cain, et une section de celui-Ci se forme nisation indépendante du Parti. que, sur le plan de la technique politi- n'en a pas moins profondément mar-
en Côte d'Ivoire; quand s'ouvre la La marque stalinienne se manifeste que, on ne peut qu'être frappé par la qué la vie nationale. Même s'jl est peu
campagne en vue du référendum du 28- dans un second domaine : la manière ressemblance des procédés. probable que son rôle soit jamais offi-
septembre 1958, cette section se pro- dont Houphouët procède à l'élimina- Un dernier trait de la politique ivoi- ciellement reconnu, le « petit père des
nonce pour le Non, donc pour l'indé- tion de ses adversaires politiques. Il faut rienne appartient à l'héritage stalinien: peuples » doit à coup sûr être compté
pendance immédiate: aussitôt, elle se revenir ici aux célèbres complots de le culte parfois délirant qui s'est.orga- parmi les Pères Fondateurs de la Côte
voit interdire toute activité publique, au l'année 1963, celui de janvier et celui nisé autour de la personnalité d'Hou- d'Ivoire d'aujourd'hui.
motif que son existence n'a pas été offi-
ciellement enregistrée, et ses dirigeants
d'août, et les comparer aux procès de
Moscou de 1936, 1937 et 1938, ainsi
phouët.· Je ne rappellerai que pour
mémoire les épithètes qui ont longue-
•
sont contraints à l'exil. Entre 1959 et qu'aux Rajsk, Kostov et Slansky des ment accompagné la mention de son.
1962, le PDCI va parfaire son triom- années de l'après-guerre; les similitu- nom: « guide éclairé », « Pèrè de la Emmanuel Terray est directeur d'études
phe en domesticant l'ensemble des des sont nombreuses: accusations Nation », etc. Plus significatives sont â l'EHESS. Dernier livre paru /a Politique
organisations syndicales existant dans fabriquées de toutes pièces ; accusés la création d'une Fondation explicite- dans /a caverne. Seuil, 1990.
Claude Joy
Le Bénin
quartier Latin de l'Afrique
Le Bénin, quartier Latin de l'Afrique, selon la formule Lagos reconstruit entre temps, pouvait sont alors rompues et le Bénin s'en-
assurer à lui seul le trafic maritime du fonce dans le marasme économique et
d'heureuse d'E. Mounier, vient de réaliser sa deuxième Révo- pays. Le Bénin est alors entraîné à son financier. La classe dirigeante se pré-
lution des Intellectuels. tour dans la crise. cipite dans la fuite en avant, en finan-
çant sa consommation grâce au crédit.
Dès 1983, le déficit budgétaire se En 1988, le système bancaire en faillite
creuse, par suite de la diminution des accuse un déficit de 115 milliards de F
Le renversement du régime par les partie de sa production au Nigéria, une rentrées fiscales et de la charge du rem- CFA, représentant l'équivalent du dou-
militaires en 1972 avait été initié par les sucrerie pour approvisionner le marché boursement des prêts contractés pen- ble du budget de l'Etat.
« professeurs» qui proposaient un nigérian, des usines d'engrais, des dant la période précédente, pour des La classe politique, est alors lâchée
nouveau projet de société, l'état investissements importants dans la industries, mal conçues, qui tournent par les intellectuels, qui ne perçoivent
marxiste-léniniste. Après une série de recherche pétrolière, etc. à un dixième de leur capacité et engen- plus leur salaire - les fonctionnaires
coups d'état, la stabilité politique était drent des déficits d'exploitation. ne seront pas payés pendant 3 mois en
Et lorsque la crise a éclaté au Nigé-
assurée. Le régime luttait contre la cor- ria en 1981, du fait de la baisse du prix Le président Kerekou fait alors appel 1988 - et qui acceptent mal de voir
ruption, et créait les conditions d'un du pétrole, entraînant tout à la fois une au FMI pour renflou'er les caisses de parader des militaires enrichis par les
boom économique. Le budget, qui chute des recettes de l'Etat, une baisse l'Etat mais celui-ci exige avant toute trafics de la douane.
avait été en déficit depuis le temps de de l'activité économique et une baisse intervention que l'Etat béninois aban- Le président Kerekou doit à nouveau
la colonisation, était à présent en équi- des revenus, il s'en est suivi une dimi- donne son orientation socialiste et s'ou- faire appel à la communauté interna-
libre. La balance des paiements, de tout nution des importations. Le port de vre au libéralisme. Les négociations tionale, pour trouver une solution à la
temps déficitaire, devenait excéden-
taire. De nouvelles industries étaient
créées, la marche vers le progrès était Le musée de Porto Novo
une réalité. La population adhérait à ce
nouveau cours.
En fait, cette forte croissance n'était
pas due à un développement endogène,
basé sur une accumulation intérieure,
mais était tirée par la croissance de son
riche voisin le Nigéria. La fin de la
guerre du Biafra, de nouvelles décou-
vertes pétrolières, ·la forte hausse du
prix du baril de pétrole ont amené le
Nigéria à se lancer dans un vaste pro-
gramme de reconstruction et de déve-
loppèment. Le port de Lagos, d'une
capacité limitée, ne pouvait accueillir
tous les bateaux qui venaient apporter
les biens d'équipement et de consom-
mation achetés grâce à l'argent du
pétrole. Ils empruntaient donc le port
de Cotonou, qui devient ainsi le pôle
de l'activité économique du pays, redis-
tribuant des revenus à partir des acti-
vités de transit. A cela s'ajoutaient
des facilités offertes par le système ban-
caire béninois, intégré dans la zone
franc, Qui pouvait servir de refuge aux
capitaux nigérians exportés illégale-
ment. L'argent appelant l'argent, les
capitaux flottants furent attirés par le
boom et l'on vit fleurir de grands pro-
jets d'industrialisation. Une cimenterie,
qui devait à la fois approvisionner le
marché du Bénin et exporter la majeure
10 L'AFRIQUE NOIRE
crise, qui devient sociale et se traduit la France, fin 1989, en accord avec la Au mieux, les recettes qui ont dou- tuites. T<?ut cela étant financé par
par des manifestations dans les rues. Il Banque Mondiale, exige pour la conti- blé peuvent encore s'accroître et pas- . l'Etat, le système a fait ses preuves
devra alors en passer par les exigences nuation de son aide une libéralisation ser de 21 milliards de F CFA à 65 mil- jusqu'en 1968, avec des subventions de
des bailleurs de fonds de l'ouverture du politique, gage d'une réconciliation liards de F CFA, mais guère plus, alors l'Etat français.
régime au libéralisme. En 1989 les entre les Intellectuels et le gouverne- que les dépenses de l'Etat s'élèvent à A cette date, l'alignement sur le cours
accords sont signés avec le FMI et la ment, qui permettrait la fin de la grève 130 milliards de F CFA (dépenses de mondial, des prix des matières premiè-
BIRD, entraînant la contribution des des fonctionnaires et aiderait au réta- fonctionnement, dette extérieure, apu- res payées par la France, aurait dû
autres bailleurs de fonds (Allemagne, blissement d'un niveau satisfaisant de rement du secteur bancaire, investisse- entraîner la crise. Mais, grâce à un
Suisse, CEE, ~apon et France). Mais il recettes publiques. ments). Le Bénin aura, pour long- cours soutenu des prix des matières pre-
est trop tard, ce que Kerekou a gagné temps encore, besoin de l'aide exté- mières sur le marché mondial, pendant
à l'extérieur n'arrive pas à compenser Le scénario suivant est mis au point : rieure. la décennie 1970, et aux retombées de
ce qu'il est en train de perdre à l'inté- réunion d'une conférence nationale, où Ce n'est pas tant la forme de l'Etat la croissance économique dû Nigéria,
rieur. La reconnaissance internationale seraient représentées toutes les tendan- qui doit être remise en cause, car les la croissance s'est poursuivie. Il a fallu
s'accompagne d'une perte de crédibi- ces' politiques du pays et qui désigne- nations voisines à visage libéral con- attendre les années 80 pour que les illu-
lité à l'intérieur, les fonds accordés par rait un gouvernement de techniciens, le naissent la même crise sociale et écono- sions se dissipent.
l'aide étrangère compensent tout juste président régnant mais ne gouvernant mique, que le type de développement
la baisse de recettes fiscales, qui tom- Etant donné les faibles capacités de
plus. On en profiterait pour annoncer qui a été choisi au moment des indépen- croissance du secteur agricole,l'inexis-
bent de 45 milliards de F CFA en 1988 la fin du régime marxiste-léniniste et dances - développement basé sur la
à 21 milliards de F CFA en 1989. La tence de ressources naturelles, l'état de
l'abandon du parti unique. consommation et non sur l'accumula- dégradation du secteur industriel et le
contrainte n'est pas desserrée. Le pro- tion.
gramme d'ajustement est un échec, fait que les salaires au Bénin sont plus
l'Etat se dissout, les fonctionnaires ne Le scénario réussit à merveille, la Ce modèle hérité de la colonisation élevés qu'en Asie du Sud-Est à produc-
travaillent plus. Le régime est con- confiance revient, les fonctionnaires partait du principe que l'incitation à la tivité égale, l'avenir du Bénin doit être
damné. Il sera sauvé par les bailleurs sont maintenant payés et se sont remis production ne pouvait provenir que plutôt recherché dans le développement
de fonds étrangers. Ayant peur de l'in- au travail, les recettes fiscales passent d'une incitation à la consommation. Ce du secteur tertiaire. Mais celui-ci n'a de
connu, ils jouent Kerekou, d'autant d'une. moyenne de 1,8 milliards de F système mis en place par la France dans sens que tourné vers son puissant voi-
qu'il peut servir de faire-valoir pour les CFA par mois à 3,3 milliards en mai ses colonies, dans les années 30, a per- sin le Nigéria. Le Nigéria le veut-il ?
thèses libérales : un régime marxiste- 1990. Ce processus de démocratisation mis de développer le pouvoir d'achat telle est la question. Des petits pays sans
léniniste qui ne trouve son salut qu'en était nécessaire, car il était la condition des populations, en surpayant les ressources, comme le Bénin, n'ont
faisant appel aux recettes libérales ! d'une réconciliation entre le Gouverne- matières premières d'environ 40 % plus aucune chance de développement endo-
ment et ses administrés. Mais ce n'est cher que les prix mondiaux. Le modèle gène, il leur est nécessaire de participer
Toutefois, lassée de payer la solde pas une condition suffisante pour faire de société proposé était celui de la à des regroupements régionaux et d'en
des fonctionnaires chaque fin de mois, redémarrer l'économie. France, avec l'éducation et la santé gra- arriver à une fédération politique. •
Une anthropologie
de bonne volonté
André-Marcel d'Ans. - Vous port des sciences sociales aux pouvoirs à des témoignages très légers pour don- veut que l'Afrique reste partenaire des
n'avez jamais cherché à dissimuler est toujours un rapport d'ambiguïté et ner corps à des théorisations histori- autres continents, il faut que l'Afrique
l'inconfort que, dès que vous avez d'inconfort. ciennes aventureuses. retrouve une image - permettez-moi
commencé à travailler en Afrique Pour répondre à votre question con- Bref, il y a là une science sociale afri- la trivialité - présentable. Or, ce n'est
(c'était à Dakar, à l'été 1946), vous cernant l'anthropologie africaniste caine qui n'a .pas encore trouvé son pas le cas maintenant. Une fois de plus,
n'avez cessé d'éprouver à l'idée de actuelle, je dois convenir qu'il y a deux assise propre : ou elle est en imitation c'est un peu comme si le reste de l'hu-
contribuer à donner, par votre acti- choses qui me gênent. D'abord l'incer- ou, pour ne pas être en imitation, elle manité se déchargeait de tous ses far-
vité, force et crédit à une discipline, titude des anthr<;>pologues de formation est en revendication et en apologétique de.aux en désignant le continent mau-
l'anthropologie, dont l'origine vous nouvelle quant à la nature de leur tâche. perpétuelles. Certes, je n'ai rien contre dit, le continent de Cham, le continent
paraissait impure, et qui vous sem- Il faut rappeler qu'une partie de l'an- le militantisme: les intellectuels afri- de la malédiction qui reviendrait une
blait fondamentalement compro- thropologie africaniste s'est rapatriée. cains ont à combattre - c'est même fois de plus, comme une grande récur-
mise avec l'entreprise coloniale; Entendez par là qu'eUe a souscrit à cette leur premier devoir: c'est à eux et non rence mythique.
même si, à l'évidence, c'est de l'in- idée que d'ailleurs j'avais moi-même pas à nous, anthropologues extérieurs', Je reste persuadé que l'anthropolo-
térieur de l'anthropologie aussi contribué naguère à lancer comme une de faire cela -, mais le fait est que pour gie africaniste peut, avec beaucoup de
qu'ont pris naissance les notions de possibilité, celle du double terrain: tra- l'heure cela n'a pas facilité la constitu- profit et malgré les difficultés rencon-
décolonisation, d'indépendance et vaillons en Afrique (c'est là que nous tion d'une anthropologie adaptée aux trées (qui tiennent aux pouvoirs natio-
de répudiation de tout impérialisme. avons acquis notre expérience; c'est là circonstances. naux, aux circonstances, aux événe-
"
Aujourd'hui, trente ans plus tard, qu'une certaine anthropologie s'est for- ments), insister sur ce qu'est
les décolonisations étant censées mée), et utilisons notre compétence ail- A.-M. d'A. - Comment devraient aujourd'hui la créativité africaine. Je
avoir atteint l'âge mûr, devant leurs, dans notre propre univers, à lire s'orienter les sciences sociales afri- pense qu'il s'agit moins dorénavant de.
la situation que connaît présente- d'autres choses. Ce qui est une façon canistes pour trouver, comme vous produire des témoignages du passé. Il
ment l'Afrique, quelles vous parais- d'avoir les deux pieds qui ne sont pas dites, leur assise'propre et s'adap- est vrai que, ni plus ni moins que les
sent être les possibilités qui s'y dans le même endroit, et peut-être de ter aux circonstances ? autres continents, l'Afrique est -
ouvrent encore à l'anthropologie? pouvoir rapatrier le second pied si les depuis toujours - une terre de civili-
J'imagine que vous ne devez pas choses tournent trop mal... G.B. - Si l'on veut aujourd'hui trou- sations : je crois que c'est acquis, cela.
vous sentir entièrement délivré Autre facteur de gêne: celle qui ver des raisons d'être à l'anthropolo- Il s'agit davantage, étant donné les cir-
des« inconforts» que vous éprou- résulte de ma relation à ceux qui ont pu gie africaniste, il faut selon moi les constances et les dangers qui menacent
viez dans l'Afrique coloniale, par être mes étudiants, mes chercheurs, mes rechercher dans la nécessité de donner l'Afrique, de corriger l'image que le
exemple au spectacle de cette sorte camarades, mes amis, et qui sont Afri- de l'Afrique des impressions un peu monde extérieur a pris d'elle. C'e.st
d'intégrisme de l'authenticité dont cains, confrontés à la tâche d'établir plus positives. En effet, les opinions pourquoi je crois qu'il y a intérêt à
font montre tant de dirigeants et une science sociale africaine. Là, à vrai extérieures sont dures, ces années-ci, insister sur les créativités africaines.
d'intellectuels africains, dont' la dire, je ne suis pas non plus entièrement lorsqu'il s'agit de l'Afrique. Le senti- De la paysannerie, par exemple, il faut
démagogie se nourrit des retombées à l'aise. Car ou bien c'est l'admission ment est au pessimisme généralisé : dire qu'il n'est pas vrai que toutes les
de l'ethnologie culturaliste... complète de notre exercice disciplinaire l'Afrique cumule les catastrophes, paysanneries africaines seraient soumi-
(et alors on peut se poser une question : l'Afrique décline, l'Afrique ne peut pas ses à une sorte de fatalité à la fois natu-
Georges Balandier. - Oui, il faut est-ce que le fait d'être africain ne mar- s'en sortir, dit-on. Il y a une espèce relle, technologique, économique et
avouer l'inconfort. .. Mais je pense que que aucune différence? est-ce que d'accentuation pessimiste qu'on trouve politique. Non: il y a des endroits où
l'inconfort imprègne inévitablement les notre discipine est si universelle déjà dans toute la presse, même sérieuse, les paysanneries sont inventives : au
rapports que les gens des sciences socia- que l'appartenance à un autre univers extérieure à l'Afrique. Au point qu'on . Sénégal par exemple, au Burkina
les entretiennent avec les pouvoirs, les de civilisation, le face-à-face avèc vient de voir le ministre français de la Faso... .
circonstances, les événements... Si nous d'autres problèmes, n'ont pas d'inci- coopération se faire le défenseur de Même si cela suppose un certain
étions à l'aise nous serions inutiles. Car dence profonde ?) ; ou bien alors c'est l'Afrique en disant: « Mais non, les dépaysement pour l'anthropologie, une
cela signifierait que les sociétés seraient un africanisme du dedans qui se cons- choses ne sont pas tout à fait aussi rupture avec sa vieille tradition, cette
devenues si claires à elles-mêmes, que titue, essentiellement comme un africa- désespérées qu'on le dit»!. .. créativité moderne, il faudra également
l'histoire serait devenue si positive que nisme apologétique et militant qui, Il y a là une image à corriger. En réussir à montrer ce qu'elle est dans les
notre intervention, au fond, n'aurait pour exalter la personnalité des identi- mettant en valeur ce qui est activité villes. En effet, quoiqu'avec un certain
plus de raison d'être: notre confort se tés culturelles, va consentir à positive et non pas tragédie ... Cette décalage vis-à-vis de ce qui s'est produit
gagnerait à ce prix. Je crois que le rap- bricoler les sources, ou à donner force tâche-là n'est pas négligeable: si l'on sur les autres continents, l'Afrique de
L'AFRIQUE NOIRE 11
nos jours devient elle aussi un continent G.B. - Oui. Je dis « ravivées », car à un passé refaçonné par l'usage qu'on tains intellectuels qui prennent mainte-
de villes. Ce qui me semble important, pour moi elles n'ont jamais été complè- veut en faire ... Il Y a un peu de cela. nant la liberté d'être à la fois entière-
c'est de montrer comment ces villes tement mortes. Elles ont toujours vécu. Mais il y a aussi des initiatives totale- ment créateurs et entièrement africains,
sont des laboratoires de sociabilités Il se trouve que le colonialisme ne leur ment originales dont il faut parler : ce c'est-à-dire africains sans les tricheries
nouvelles. Il ne faut pas seulement y donnait pas toutes leurs chances, que sont des sujets anthropologiques à part de la nostalgie, et sans les commodités
voir l'insécurité, la corruption, la l'Indépendance aurait pu leur en don- entière. Ainsi, l'Afrique est un conti- de l'imitation de la modernité.
« dégradation des mœurs» comme ner davantage, et que cela n'a pas été nent de production littéraire ; elle a un
l'ont dit d'une façon un peu pudibonde entièrement le cas. Mais elles ne sont Prix Nobel. L'Afrique est un continC(nt
pas mortes pour autant de ces divers de production artistique, et pas simple- A.-M. d'A. - Somme toute, vous
et agaçante. Il vaut mieux observer ce
qui s'improvise là : car les villes sont assauts. Aujourd'hui, ce sont donc des ment sous la forme des « arts nègres» invitez l'anthropologie à être géné-
capables d'inventer de nouveaux modes cultures ravivées, et pas seulement des qui inspirèrent les artistes européens reuse, à ne pas céder à ce catastro-
de relations sociales, sont capables d'in- cultures imitatrices. C'est cela qu'il faut autour des années 20. Elle a une musi- phisme ambiant qui consiste à dire
vent,er de nouvelles façons de croire. Et faire savoir: l'Afrique n'est pas le pays que qui est en train de s'universaliser... aujourd'hui qu'après être mal par-
où la modernité se fait en noir ou en Elle présente des formes nouvelles de tie, l'Afrique ne serait arrivée nulle
puis surtout elles sont capables de con-
pauvre alors qu'elle est en blanc et en spiritualité... Donc, d'une certaine part. .. Contre cela, vous proposez
tribuer à un renouveau culturel dont les
prémisses déjà sont incontestables. riche chez nous ... façon, quels que soient les rudes pro- une anthropologie de bonne
blèmes que les peuples d'Afrique volonté, que vous exhortez â deve-
Le troisième domaine que j'évoque- A.-M. d'A. - Ne vous sembie-t-il nir un peu comme le crocheteur bor-
affrontent, il n'yen a pas moins cette
rai - et là encore ce n'est pas un terri- pas qu'il existe deux formes symé- gne de Voltaire, lequel n'avait qu'un
capacité créatrice qui est maintenue.
toire que l'anthropologie de tradition triques de sujétion culturelle: d'une œil, celui qui voit le bon côté des
considérait -, c'est celui que j'appel- part la pure singerie vis-à-vis d'une Et puis enfin, sur le terrain sociolo- choses...
lerai le domaine des cultures ravivées. modemité extérieure, et d'autre part gique, soyons attentifs à l'émergence
Les cultures africaines ne sont pas uni- une sorte d'auto-imitation, faite de des mouvements sociaux, dont seule G.B. - Sinon à ne voir que le bon côté
quement, comme on l'a trop laissé la mise en pratique d'une image pas- une étude attentive permettrait de com- des choses, du moins à insister sur celui-
entendre, des cultures du délabrement, séiste et mythique de soi ? prendre qui « fait» l'Afrique, qui sont là. Car les mauvais côtés sont suffisam-
de la tragédie ... les acteurs peut-être réels de l'Afrique ment connus, et suffisamment rendus
G.B. - Ce sont les risques que j'évo- d'aujourd'hui, sans pour autant qu'ils publics à l'échelle internationale, pour
A.-M. d'A. - Vous dites bien : des quais tout à l'heure à propos des intel- soient déjà immédiatement apparents qu'il n'y ait pas lieu d'encore insister
cultures ravivées ; et non « ressus- lectuels africains : l'imitation sans trop sur l'avant-scène... Pour moi ces sur ces aspects-là.
citées », comme le voudrait un cul- de distance critique, ou à l'inverse acteurs, ce sont les jeunes, ce sont les Propos recueillis
turalisme banal... l'adhésion militante et dévote, bigote, femmes. Pour moi, ce sont aussi cer- par André-Marcel d'Ans
Jean-Pierre Dozon
W. W'. Harris
•
le prophète d'avant la crise
Au début du siècle, tandis que la France conquérante ditionnels. Certains de ces nouveaux effet d'emprunts plus ou moins mar-
prophètes rejoignirent les rangs du har- qués au christianisme (le prophète étant
s'échinait encore, après deux décennies de reconnaissance et risme favorisant ainsi sa diffusion et lui-même au principe de ces emprunts
de « pacification» (la colonie ivoirienne fut fondée en 1893), perpétuant sa veine militante à lutter puisqu'il se déclare investi d'une mis-
à briser ici et là résistances et rébellions, le littoral ivoirien contre le paganisme, tandis que d'au- sion divine), ils entendent certes lutter
tres tentaient de créer leur propre reli- contre le paganisme, mais moins pour
s'anima d'une bien étrange façon. Un singulier personnage gion, à l'instar de Marie Lalou fonda- l'abolir que pour prêndre sa place et
nommé W.W. Harris, originaire du Libéria voisin et se décla- trice dans les années 30 d'un mouve- remplir nombre de ses fonctions. C'est
rant « prophète des temps modernes », prêcha pendant plus ment appelé « Deima '» qui s'institu- ainsi qu'à l'image des guérisseurs païens
tionnalisa à son tour en Eglise. (investis généralement par des puissan-
d'un an la foi en Dieu et en Jésus-Christ, enjoignant ses ces extra-humaines du type « ancêtre »,
« frères africains» d'abandonner leurs pratiques et leurs cultes Tous ces prophètes et prophétismes, « génie », etc.), ils s'occupent de thé-
religieux traditionnels qu'il stigmatisait sans détour sous le qui animèrent sans discontinuer l'his- rapeutique, qu'à celle des cultes de
toire de la Côte d'Ivoire (l'Indépen- fécondité, ils prennent en charge la sté-
label de « fétichisme et sorcellerie ». dance ne modifiant rien à leur présence rilité des femmes, et qu'à l'instar des
et à leur multiplication), fonctionnent cultes anti-sorciers et des ordalies ils
sur une double appropriation. Forts en s'attaquent aux actions malfaisantes.
Divine surprise des mIssIonnaires ment valorisée, mais semblait de fait ne
français qui virent un Africain dénon- plus leur appartenir, devenant la com-
cer et combattre ce qu'eux-mêmes con- posante et l'enjeu d'affaires africaines
sidéraient être l'obstacle majeur au pro- (ivoiriennes) qu'elles ne contrôlaient
jet colonial de civiliser des peuples pas.
Omdurman. Pendant la transe des derviches
« arriérés» et « sauvages », et obtenir
un succès - plus de cent mille conver- Les autorités coloniales n'eurent pas,
tis dit-on, des masses de fétiches détruits si j'ose dire, tout à fait tort d'envisa-
ou brûlés - qu'aucun d'eux n'auraient ger les choses ainsi, car bien qu'elles
osé espérer. Le « miracle ivoirien » se décidèrent d'expulser Harris (1915),
produisit donc bien avant que la presse des adeptes ivoiriens du prophète, quel-
n'en fasse la métaphore courante d'un ques années plus tard, fondèrent
pays qui, devenu indépendant, fit, l'Eglise harriste qui ne sera officielle-
durant vingt ans, exception sur le con- ment reconnue qu'à la fin de la seconde
tinent africain (croissance économique, guerre mondiale. Elles eurent d'autant
stabilité politique), et dont elle use moins tort qu'à leur insu cet espace
aujourd'huî encore, mais sous une d'expression prophétique, parallèle-
«(
forme négative la fin du miracle ivoi- ment au développement de la religion
rien »), comme pour en signifier harriste, prit de plus en plus d'ampleur.
rétroactivement le caractère foncière- Le « Libérien» fit, en effet, de nom-
ment illusoire. breux émules dans la partie méridionale
La geste d'Harris tint, en effet, très du pays, là où précisément les transfor-
précisément du miracle, puisqu'elle mations socio-économiques, grâce à
outrepassa toutes les soumissions et col- l'expansion rapide de la culture du café
laborations que les autorités coloniales et du cacao (qui fit de la colonie ivoi-
cherchaient à obtenir, faisant de l'Au- rienne le « fleuron »de l'Afrique Occi-
tre (le dieu et la puissance des dentale Française, et put faire croire,
« Blancs ») le modèle auquel les après son indépendance à un « mira-
« Noirs» devaient désormais se réfé- cle » national), allaient bon train, ins-
rer ; mais elle les outrepassa si bien que tallant des fragments de modernité au
les autorités y virent bientôt une travers de l'école, de l'urbanisation, de
menace; comme l'ouverture d'un différenciations sociales inédites qui
espace public où la puissance qu'elles émergeaient, non sans conflits, des hié-
représentaient était certes symbolique- rarchies et des systèmes familiaux tra-
12 L'AFRIQUE NOIRE
Les prophètes ivoiriens sont donc se satisfaisaient bien souvent d'une le passage obligé où non seulement les travers d'associations d'originaires) de
davantage en continuité qu'en rupture audience locale ou régionale. Avec le malades doivent régulièrement se ren- leur village natal, et escomptaient,
avec les visions du monde et les systè- phénomène « Gbahié », tout se passa dre (tout en étant par ailleurs soignés grâce à Koudou Jeannot, résoudre ses
mes cultuels traditionnels. Cependant, donc comme si ce milieu n'était plus aux plantes médicinales), mais tous . multiples difficultés en même temps
en cumulant les emprunts au christia- approprié au contexte des années 80 : ceux (souvent des citadins) qui viennent que les leurs. Ces difficultés concer-
nisme et les pouvoirs païens réputés comme si trop installé dans la routine consulter le prophète pour régler leurs naiënt donc aussi bien le monde rural
bénéfiques (opération appelée généra- et les intrigues d'appareil (celles des multiples problèmes (emploi, échecs que l'univers urbain, et tout en présen-
lement «syncrétisme»), ils placent églises, prophétiques, mais aussi catho- scolaires, conjugaux, etc.), et pour se tant à chaque fois des teneurs particu-
leurs constructions religieuses à la hau- liques et protestantes qui sont par ail- protéger contre l'adversité (malades et lières, elles reflétaient globalement la
teur des problèmes de la société ivoi- leurs solidement implantées dans le sud consultants y reçoivent un "médica- « conjoncture » qui avait mis un frein
rienne ; et tout en se déclarant partisans du pays), ou trop satisfait de ses clien- ment" composé, notamment, de la brutal à l'expansion moderniste du sud
et artisans de sa modernité (de son tèles locales, il lui fallait se ressaisir et terre du tombeau et d'eau bénite qu'ils ivoirien et multipliait les tensions au
développement), ils ne cessent de la recommencer la geste militante, à l'imi- utilisent ensuite en prévention ou en sein des familles, des communautés,
mettre au futur car le présent témoigne tation d'Harris au début du siècle. traitement). Koudou Jeannot, par ail- entre gens des villes et gens des campa-
continûment d'un excès de malheurs leurs, entreprit de combattre effective- gnes. A cet égard, le problème princi-
(les maladies bien sûr, mais aussi le chô- ment le fétichisme et la sorcellerie; pal que le prophète semblait partout
mage, les échecs scolaires, etc.), et par longtemps cantonnée à sa région d'ori- pouvoir résoudre (et qui fit par là même
conséquent, selon eux, d'un monde Au départ gine, mais s'élargissant depuis plusieurs son immense popularité) concernait une
toujours gouverné par le « fétichisme une figure locale années à d'autres régions, son action jeunesse qui fréquentait "normale-
et la sorcellerie ». prit en 1985 une dimension véritable- ment" l'école, mais allait souvent
La crise tout à la fois économique et Au départ, Koudou Jeannot n'est ment nationale (la presse ivoirienne s'en d'échecs en échecs et trouvait de plus
politique que traverse aujourd'hui la précisément qu'une figure locale, indé- fit l'écho, contribuant largement à sa en plus rarement des débouchés. Vivant
Côte d'Ivoire, et qui amène les com- pendante des grands courants prophé- publicité). A Bonoua, ville située généralement en ville auprès de parents
mentateurs à parler de la « fin du mira- tiques ivoiriens ; il se distingue du reste non loin d'Abidjan, et qui semblait salariés qui pouvaient de moins en
cle », donne une certaine acuité aux d'un personnage comme Harris (fin être l'une des plus christianisées du moins les soutenir, elle ne parvenait
sommations prophétiques. Constam- connaisseur de la Bible, dit-on) en ce pays (églises catholiques, protestantes, pas, malgré l'invitation pressante de
ment à l'ouvrage depuis près' d'un siè- que ses emprunts au christianisme sont harristes, etc. s'y côtoient), Koudou . leurs hôtes, à reprendre le chemin du'
cle, elles font entendre, à leur manière, Jeannot se livra à une sorte de village ; car les jeunes déclaraient y
très limités (il fait référence à Dieu et
que malgré les transformations rapides arbore parfois une soutane et un cru- prophylaxie de masse, obligeant ses craindre les «vieux» auxquels ils
du pays, rien n'y est fondamentalement cifix), et que l'essentiel de son entre- habitants à déposer tous leurs "féti- imputaient, par leurs manigances sor-
réglé, que l'histoire, au contraire, pié- ches", et rendant, dit-on, "impuis- cières, leurs échecs et leurs malheurs.
prise religiel:'se repose sur le culte de son
tine, n'approchant au plus près la frère aîné, Gbahié, réputé mort d'atta- sants" tous ceux qui avaient quelques Le succès de Koudou tint largement à
modernité que pour mieux la voir ques maléfiques en sorcellerie. Possédé rapports avec ces objets (chefs de cuI- cette capacité d'avoir fourni la
s'échapper. Elles le firent tout particu- tes, devins, etc.). Un peu plus tard, les « preuve» que le fétichisme et la sor-
par ce frère, Koudou affrrme avoir reçu
lièrement entendre au début des années notables et les cadres de Bonoua qui cellerie étaient toujours de rigueur et,
de lui la mission de cesser ses activités
80, alors que le peuple ivoirien, repre- de guérisseur traditionnel (qui pour être l'avaient sollicité, se déclarèrent entiè- en y annihilant, disait-il, l'action,
nant avec ironie un mot diffusé par la apparemment bénéfiques n'en sont pas rement satisfaits de sa prestation, esti- d'avoir permis, soutenu par les citadins,
puissance publique (la "conjoncture") mant qu'après son passage bien des à des jeunes de retourner, au moins
moins liées à des pouvoirs païens ambi-
se déclarait "conjoncturé" (stagnation problèmes locaux avaient disparu. Dès momentanément, dans leur commu-
valents, susceptibles d'agir dans un sens
ou baisse des salaires, blocage des lors la geste du prophète connut une nauté d'origine.
contraire), ou plutôt de les mettre au
débouchés scolaires, etc.), mais espérait ascension fulgurante. L'activisme fut Soudain fin 86, alors que la liste des
service du bien commun, et tout parti-
encore retrouver le chemin des deux de rigueur : moitié pour se consacrer à localités qui le réclamaient ne cessaient
culièrement de la lutte contre le féti-
décennies précédentes (celles du "mira- chisme et la sorcellerie. Davantage que l'accueil d'une foule de plus en plus de s'allonger, et que l'espérance qu'il
cle"), sans contester outre mesure le d'autres sans doute, l'entreprise de nombreuse de pèlerins, moitié pour sil- pouvait résoudre les problèmes cru-
régime d'Houphouët-Boigny. lonner les routes et accomplir ses ciaux de la société ivoirienne s'affirmait
Koudou est en parfaite continuité avec
œuvres de "salubrité publique". Voya- toujours davantage, Koudou Jeannot
les visions du monde et les cultes tradi-
tionnels (Gbahié occupe ici la position geant en car, accompagné d'une qua- est arrêté. On ne le mit pas en prison
Gbahié Koudou Jeannot, prophète
rantaine d'aides en tout genre et de et nulle inculpation légale ne lui fut
de son état (le mot étant devenu d'usage d'un génie qui possède Koudou et
musiciens ("Gbahié" fut ainsi exporté adressée. Il fut simplement placé (en
courant dans la langue franco- devient l'emblème d'un culte anti-
sorcellerie) ; cependant, il sut l'assor- par des chants et des rythmes soutenus), compagnie de l'une de ses épouses) en
ivoirienne) et installé dans un modeste
tir d'ingrédients et de tâches militantes il ne cessa d'accroître son audience par résidence surveillée pendant plus d'un
village du centre-ouest ivoirien, acquit
qui la fit devenir, dans un contexte ivoi- des prestations qui semblaient combler an ; après quoi on le libéra, mais sous
très rapidement une immense popula-
tous ceux qui l'avaient pressé de venir l'expresse condition qu'il se contente,
rité. Le milieu prophétique était pour- rien particulièrement favorable, un
dans leur localité pour la guérir de ses comme tous ses autres confrères, de
tant particulièrement dense, composé mouvement prophétique de grande
multiples maux. Partout où il passait mener ses activités au village. Ainsi, la
tout à la fois des mouvements religieux envergure. Tout en ne se départant pas
ce n'était qu'amas imposants de féti- geste de Gbahié Koudou Jeannot répéta
ivoiriens issus des premiers prophètes de ses activités de guérisseur, Gbahié
ches et d'objets de culte divers et cons- doublement l'histoire ivoirienne;
(Harrisme, Deima), ou de mouvements Koudou Jeannot (il est devenu l'incar-
tat que, malgré la présence des confes- comme celle d 'Harris elle prit la forme
similaires d'origine étrangère (comme nation vivante de son frère), fit de son
sions chrétiennes et des prophétismes d'une lutte contre un fléau nommé
le « Christianisme céleste » originaire village un lieu de pèlerinage; à la
institués, toujours plus de « sorcelle- « fétichisme et sorcellerie» (manière de
du Nigeria), et de nombreuses indivi- manière des cultes de saints qui façon-
rie » tourmentait la vie des gens et des désigner les contradictions et les mal-
dualités (indépendantes ou liées à ces nèrent en Europe les débuts du chris-
collectivités. heurs du temps présent) et fut, pour
mouvements) qui tout en s'efforçant tianisme, "Gbahié" devint tout à la fois
d'élargir leur influence et leur clientèle, martyr (de la sorcellerie) et tombeau; L'intéressant dans toute cette affaire, finir, réprimée par les autorités. Mais,
c'est que l'action de Koudou concerna cette fois-ci, ce furent les autorités ivoi-
essentiellement le sud ivoirien, à savoir riennes qui arrêtèrent Koudou, et des
la zone du pays qui fit longtemps sa autorités qui, au travers du personnage
Danse rituelle au Burkina Faso richesse (par l'exploitation du café et d 'Houphouët-Boigny, eurent toujours
du cacao) et connut le plus large déve- des connivences avec les prophétismes
loppement qu'illustrent notamment et les prophètes du pays (ceux-ci faisant
l'urbanisation, la scolarisation et la for- régulièrement l'éloge d'un Président
mation de classes moyennes; c'est aussi qu'ils considèrent volontiers comme
que le prophète fut souvent sollicité par l'un des leurs, et dont « l'œuvre pro-
ceux qui, installés en ville (principale- phétique » leur paraît s'illustrer par les
ment à Abidjan comme salariés et spectaculaires métamorphoses de son
cadres), se déclaraient en charge (au village natal, Yamoussoukro). Malgré
ces liens, le Pouvoir ne put non seule-
ment accepter la popularité croissante
du prophète (par des tracts de soutien
distribués au moment de son arresta-
tion, il apparaissait comme le plus
« patriote» des Ivoiriens), mais surtout
que celui-ci prétende implicitement le
défier en voulant à sa place régler les
problèmes de la société ivoirienne :
comme si la réalité saturée de « sorcel-
lerie » n'était plus à sa mesure, ou en
était la grimaçante expression. Manière
de dire finalement qu'un tel défi pro-
phétique annonçait une crise, celle qui
trois années plus tard, c'est-à-dire
aujourd'hui, affecte en profondeur la
légitimité du Pouvoir ivoirien. •
Elikia M'Bokolo
Un panafricanisme
pourquoi pas?
Mort, le panafricanisme? Comment ne pas se poser la une renaissance prochaine. Les points à l'agression de l'Italie fasciste. Ce n'est
question devant le silence persistant et les échecs répétés de cardinaux en étaient l'Egypte, Haïti. Le pas par hasard que l'OUA a vu le jour
Libéria et I·Ethiopie. Les idéologues du et a élu domicile à Addis Abeba.
l'OUA (Organisation de l'Unité Africaine) face aux défis brû- panafricanisme étaient quelque peu
Tous ces éléments objectifs et subjec-
lants de l'Afrique d'aujourd'hui? Comment ne pas être tenté embarrassés par Haïti, première répu-
tifs, qui ont fait la force du panafrica-
de le croire devant le déferlement, en Afrique même, de la blique noire émancipée de l'esclavage nisme militant. lui manquent dans la
et de la colonisation. mais où le rêve
xénophobie meurtrière entre les hommes et les femmes d'un fou de la fraternité entre gens de cou-
conjoncture nouvelle créée par les indé-
pendances.
continent par ailleurs tellement meurtri? leur et de la grandeur s'était brisé con-
tre les structures d 'une économie Il y a eu d·abord. à la fin des années
demeurée coloniale et contre l'égoïsme 50 et au début des années 60, à un
de classe des métis. L'Egypte. celle des moment exceptionnellement favorable,
Au temps de sa splendeur. qui a duré l'Europe - une Europe où la solida- une sorte d'incapacité de passer à l'acte.
pharaons proclamés noirs puisqu'issus
un bon siècle (des premiers pamphlets rité avec les peuples d'outre-mer avait
de la haute vallée du Nil, n'a pas cessé . Les initiatives concrètes pour réaliser
d'Edward Wilmot Blyden aux indépen- un sens et engageait à l'action - abrita
de stimuler leur ardeur. depuis les' ou, au moins, amorcer l'unité africaine
dances), le panafricanisme fut une idéo- toutes les conférences panafricaines et .n·ont pas manqué alors: activisme
pamphlets d'Aptheler et de Frederic
logie, voire une mystique, qui trouva la plupart des débats sur l'unité afri- intellectuel et politique de Kwame
Douglas au début du XIX- siècle
en tout et partout de quoi alimenter sa caine. Si d'Angleterre. le centre du Nkrumah. multipliant les arguments
jusqu'au retentissant Nations nègres et
ferveur. Il ne lui suffisait pas de pro- panafricanisme passa en Afrique de pour convaincre (L'Afrique doit s'unir,
culture de Cheikh Anta Diop (1955).
clamer la nécessité et l'urgence de l'Ouest. ce ne fut pas par hasard; le 1963) et réunissant chez lui, à cet effet.
dont on ne compte plus la postérité.
l'unité africaine; il lui fallait aussi iden- Ghana. chef de file de la lutte pour l'in- les chefs d'Etat et de gouvernements et
Que le Libéria. ravi à ses habitants par
tifier et désigner l'ennemi à combattre, dépendance, se fit aussi le champion du les leaders de partis. attitude construc-
panafricanisme : « l'indépendance du des Noirs américains. ne fat. à tout
dont les entreprises et les visées rui- tive de plusieurs Etats - Tanganyika.
prendre. qu'une colonie parmi les
naient précisément les chances de Ghana. disait Nkrumah, n'aurait pas Ct:ntrafrique, Guinée. Ghana - prêts
autres ne les gênait pas. dès lors qu'il
l'unité. L'ennemi, ce fut le Blanc. Car de sens si elle n'était pas liée à la liberté à renoncer à leur souveraineté pour
prouvait la capacité des Africains de
avant d'être (et même après être totale et à l'unité du continent. » intégrer des ensembles territoriaux à
s'administrer eux-mêmes. Une place
devenu) un programme d'action ten- Enfin, la force du panafricanisme fut vocation panafricaine; mobilisation
privilégiée revenait à l'Ethiopie à cause
dant à unifier un continent peuplé de de se constituer très tôt et durablement sans précédent des élites intellectuel-
à la fois de son antiquité. des mythes
Noirs. mais aussi d'Arabes, de Berbè- une géographie de la mémoire. dans les... C'était sans compter avec
entourant l'origine des négus, de sa vic-
res, de Khoisan. de Pygmées.... le laquelle s'enracinaient et les revendica- l'égoïsme de certains Etats. réputés
toire sur les armées coloniales italien-
panafricanisme fut essentiellement un tions du moment et les croyances en . nes (1896) et de sa résistance farouche . « riches » et qui répugnaient. à l'ins-
« pan négrisme »opposé à l'albinocra- tar du Kenya. du Gabon et de la Côte
tie triomphante de' l'Europe colonia- d·Ivoire. à servir de « vache à lait»
liste. de l'Amérique WASP et ségréga- dans une dynamique unitaire.
tionniste et des planteurs créoles des Femme issa
Caraibes et de l'Amérique latine. A examiner l'échec de la Fédération
du Mali, (Sénégal et Mali). il est clair
Il y eut aussi, pour çoncevoir l'idée aussi que les ambitions politiciennes ont
et en soutenir les multiples déploie- ruiné partout les chances d 'unification :
ments.l·engagement, d'une continuité chacun rêvait d'être premier chez soi,
exceptionnelle, d'intellectuels de belle avoir son drapeau et son hymne natio-
facture. Parmi les valeurs les plus sares. nal. bénéficier d'un siège à l'ONU,
cinq noms au moins émergent : Blyden admirer - pourquoi pas ? - sa pro-
(1832-1912). Casely Hayford pre effigie sur les billets de banque...
(1866-1930). Du Bois (1868-1963), Pad-
Il ne faut pas. bien sûr, écarter les
more (1902-1959) et Nkrumah
manœuvres insidieuses des puissances
(1909-1972). Quatre générations ; mais
coloniales acculées à la défensive. La
une chose fondamentale en commun
loi-cadre Defferre (1956) par exemple.
entre eux : non seulement ils étaient
a définitivement compromis l'avenir de
anglophones, mais ils avaient tous une
l'AOF et de l'AEF. en établissant des
expérience plus ou moins longue des
mini-parlements et des conseils de gou-
Etats-Unis d·Amérique. Ce n'est pas
vernement dans chacun des territoires
que les francophones aient été totale-
dont se composaient ces deux fédéra-
ment absents de la lutte panafricaine.
tions. Il est clair aussi qu'aucune diffi-
Celle-ci dut beaucoup. surtout dans sa
culté - chantage, menaces. sabotages.
dimension culturelle, à des personnali-
meurtre - ne fut épargnée à tous ceux.
tés aussi différentes que le Dahoméen
comme Barthélémy Boganda (Centra-
Tovalou Houénou (1887-1925), les
frique). Patrice Lumumba (Congo).
Sénégalais Alioune Qiop (fondateur en
Sékou Touré. Kwame Nkrùmah, qui
1947 de la revue Présence Africaine),
passaient, à tort ou à raison. comme les
Cheik Anta Diop et Léopold Senghor,
champions du panafricanisme. Recon-
l'Antillais Aimé Césaire. Mais le terri-
naissons enfin que le nécessaire virage
toire du panafricanisme fut une sorte
du pannégrisme originel ou panafrica-
de triangle dont le sommet, en tour-
nisme continental fut aussi mal négo-
nant. passa successivement des Améri-
cié que possible: certains, comme
ques noires à l'Angleterre puis à l'Afri-
Moïse Tshombe. le chef de la sécession
que occidentale.
katangaise, acquirent une popularité
Le Nouveau Monde fournit au pan- facile en proclamant que les Noirs
africanisme de nombreux théoriciens d'Afrique avaient oublié .leur histoire
(Blyden, Du Bois. Padmore) et le thème et perdraient leur âme en s'unissant
récurrent du retour à la « Mère Afri- avec les Arabes qui. pendant de longs
que », que sut si bien exploiter pendant siècles. avaient transformé le bi/ad as-
les années 1920 le Jamaïcain Marcus sudan (le pays des noirs) en gigantes-
Carvey parmi les Noirs de Harlem. que réservoir à esclaves.
Côté africain, le parcours initiatique du On rêvait d'une Afrique grande.
panafricanisme impliquait presque tou- forte. imaginative, solidaire. unie
jours le passage dans l'une des presti- enfin ... On eut l'O.U.A. avec son
gieuses universités noires des Etats- immobilisme territorial (<< Surtout.
Unis. avant une pause plus ou moins décida-t-on à Addis Abeba. ne tou-
longue en Angleterre. Londres, Man- chons pas aux frontières héritées de la
chester et. dans une bien moindre colonisation »). ses calculs frileux. la
mesure, Paris, Bruxelles et Lisbonne: fraternité égoïste de ses chefs d'Etat à
jusqu'à la deuxième guerre mondiale. la légitimité douteuse, son inaction dans
14 L'AFRIQUE NOIRE
l'économie et le social, l'étalage répété nement, longtemps comprimé par les CICIBA (Centre International des Civi- l'Afrique. Un passéisme naïf, habile-
et lassant de ses disputes ... régimes de Parti-Etat et vicié par les lisations Bantu, Libreville) et l'Insti- ment exploité, au même titre que le
Divisée donc, telle apparaît l'Afrique idéologies de recours à 1'« authenti- tut des Peuples Noirs (Ouagadougou) racisme, par les castes dirigeantes dont
d'aujourd'hui. cité », contient un peu de tout: le mei- témoignent d'un souci nouveau d'effi- l'éviction est désormais l'une des con-
leur et le pire. cacité. Et ce ne sont là que quelques ditions de la renaissance du panafrica-
El l'on voit bien que, dans cet état Le meilleur: Kwame Nkrumah, exemples. nisme.
de dispersion, elle se prête facilement
aux manipulations grossières et sour-
Lumumba, Cheikh Anta Diop, pour ne
citer qu'eux, sont ou reviennent à la
Il y a aussi le pire. Un racisme pri-
maire et rampant (contre les Blancs qui
•
noises des anciens colonisateurs, des mode. A propos de la parenté des lan- nous ont toujours exploités), contre les
grandes puissances et des grands orga- gues africaines et des stratégies concrè- Arabes qui nous ont toujours trompés, Elikia M'Bokolo est directeur d'études
nismes financiers. tes d'unité à construire sur elle, les etc.), entretenu par la crise économique Il l'EHESS. Il est notamment l'auteur de
Alors, les idées du panafricanisme débats, la réflexion et les propositions et par le catastrophisme destructeur des l'AfriqufI au XX· sièclfl, !fi continfllJt con-
recommencent à fleurir. Ce bouillon- sont d'une qualité exceptionnelle. Le discours et des médias occidentaux sur voitfl, IPoints Seuil 19861.
Claude Wauthier
Les écrivains africains
De la négritude
à la contestation du pouvoir
A l'heure où s'effondrent en Afrique des régimes plus place de leurs testicules. Hélas, ils sau- dernier des suites d'une longue déten-
teront tous dans les bras de jeunes étu- tion, Wole Soyinka, Ngugi Wa
ou moins honorables, on invoque le plus souvent pour expli- diantes révolutionnaires qui ont joué les Thiongo, le Congolais Sylvain Bemba,
quer ces brusques remous le yent de la perestroïka et une con- hétaïres pour décimer les rangs de la le Malawite Jack Mapanjé et plusieurs
joncture économique catastrophique. C'est un peu oublier que soldatesque. Et puis Sony LabQJJ Tansi, autres ont connu la prison. Et, bien que
Congolais lui aussi, entre al,itl'es dans la plupart des écrivains contestataires
depuis l'ère des indépendances, les écrivains africains n'ont son roman la Vie et demie, où dans un aient adopté comme règle générale de
cessé de faire le procès des dictatures sanglantes et corrom- pays déchiré par la guerre civile, les situer les dictatures qu'ils vilipendent
pues (d'Amin Dada à Bokassa et quelques autres) qui ont sévi gens de la savane affrontent ceux de la dans des pays imaginaires, ils ont pré-
forêt. Les uns sont pourvus de chars féré pour beaucoup d'entre eux vivre
sur le continent. d'assaut et d'avions de combat grâce à ailleurs que dans leur pays. Exil plus ou
la munificence de l'ex-puissance colo- moins doré dans des organisations
niale, les autres, plus inventifs et plus internationales ou dans des universités
Si le rôle de ces écrivains n'a pas été la répression s'exerce de manière plus proches de la nature, ont produit par étrangères pour les plus connus, moins
aussi déterminant qu'ils l'espéraient feutrée, et son impact se mesure au croisements successifs une race de mou- confortable, voire éprouvant pour les
dans des pays où l'analphabétisme est désarroi des personnages de son roman, ches au venin mortel, dont l'efficacité autres.
encore très important, du moins ont- le Bain des reliques. Dans son dernier va croissant au fur et à mesure des pro- Avant les indépendances, la généra-
ils contribué à jeter le discrédit sur les ouvrage, Ces fruits si doux de l'arbre grès de l'élevage, de trois cents à trois tion de la négritude, qui entendait réha-
systèmes de gouvernement que menace à pain, Tchicaya U Tam'si (Congolais, mille piqûres-minute... Le chef de biliter les valeurs culturelles du monde
. aujourd'hui le mécontentement popu- mort en 1988), raconte les purges impi- l'Etat quant à lui, après un grand cha- noir, s'était élevée avec talent et vigueur
laire. toyables qui ponctuent la vie du parti grin d'amour, se résout à ne répandre contre la férule coloniale, le travail
unique, et dont le héros sera la victime. sa semence qu'une nuit par an, mais forcé, le mépris raciste des «petits
Le plus frappant peut-être a été que Un autre Congolais, Emmanuel Don- avec une fournée de vierges qui lui vau- Blancs». Ainsi les Camerounais
très rares ont été parmi eux les thurifé- gala, a décrit dans Un fusil dans la dront une progéniture si abondante Mongo Béti dans le pàuvre Christ de
raires du pouvoir en place, même si main, un poème dans la poche l'inéluc- qu'il épuisera pour les prénommer tous Bomba et Ferdinand Oyono dans le
quelques-uns ont préféré se réfugier table dérive vers la dictature d'un mili- les saints du calendrier pourtant numé- Vieux Nègre et la Médaille, le Sénéga-
dans le conte folklorique ou le roman tant intègre devenu chef d'Etat. Ce ne rotés suivant l'année. lais Ousmène Sembane dans les Bouts
historique, plutôt que de s'engager dans sont là que quelques exemples de cette de bois de Dieu (avant de faire du
une littérature de combat. Au point que abondante littérature de témoignage et cinéma), le poète malgache Jacques
la dénonciation des régimes policiers et de protestation. Rabemananjara, et même Léopold
de leurs tortionnaires est devenue un des La prison et l'exil Sedar Senghor qui pourtant voulait
thèmes majeurs - presque sempiternels Moins sombres en apparence sont les « pardonner à la France» (dans son
- de la littérature africaine d'au- ouvrages où l'auteur fait dans la satire, Cet humour noir en dit long sur célèbre poème dédié à Georges et
JOUrd'hui. comme le Malien Ahmadou Kourouma l'amertume des écrivains africains Claude Pompidou) et prônait le métis-
avec les Soleils des indépendances, récit devant la faillite de quelques régimes de sage culturel. La contestation du
des mésaventures d'un pauvre hère bal- sinistre mémoire. En marge de cette lit- système colonial n'allait pas sans ris-
Du réalisme à l'humour noir loté de prison en prison, ou comme le térature de protestation, d'autrès ques : accusé à tort d'avoir été un des
Congolais Henri Lopes avec le Pleurer- auteurs ont puisé dans l'histoire, la instigateurs de la révolte de Madagas-
Les romans de ces auteurs contesta- Rire,.hi'stoire d'un dictateur malchan- chronique villageoise, ou le folklore. Le car en 1947, Rabemananjara avait été
taires relèvent le plus. souvent d'un ceux (le clou du roman est la peur passé colonial tient, bien sûr, une place condamné à l'emprisonnement à vie (il
genre - douloureusement - « réa- intense qui saisit son maître d'hôtel importante dans leur répertoire: c'est fut amnistié par la suite). Avec les
liste ». Certains passages sont à la limite quand l'épouse du président l'attire le cas de la Carte d'identité de l'Ivoi- Antillais Aimé Césaire (Discours sur le
du soutenable. Ainsi dans les dans son lit : la liaison dangereuse par rien Jean-Marie Adiaffi, de Monnè, colonialisme) et Frant~ Fanon (les
Crapauds-brousse du Guinéen Tierno- excellence). outrages et défis d'Ahmadou Kou- Damnés de la Terre), ces écrivains
Monenembo, où le chef de la police rouma, et du Chercheur d'Afriques avaient espéré des lendemains qui chan-
politique contraint doucereusement la Si féroces que soient la plupart de ces d'Henri Lopes (les deux derniers ayant tent au sortir de la nuit coloniale. Ils
femme d'un détenu à coucher avec lui, réquisitoires éloignés de tout imagi- paru l'an dernier). Par ailleurs, la avaient eu le ferme soutien de l'intelli-
en lui promettant de sauver son mari naire, la veine réaliste a paru insuffi- dénonciation des dictatures africaines gentsia française: André Gide et Jean-
déjà secrètement exécuté. Ou encore sante à plusieurs écrivains pour e~pri n'est pas l'apanage des écrivains d'Afri- Paul Sartre entre autres figuraient
dans le Bal des Caïmans du Camerou- mer leur colère : seule une fantaisie que ex-française: ceux de l'Afrique parmi les parrains de Présence Afri-
nais Yodi Karone, qui dresse un tableau échevelée et ubuesque leur a paru sus- anglophone ne sont pas moins nom- caine, fondée en 1947 par Alioune
atroce de l'univers carcéral. Yambo ceptible de traduire les sinistres bouf- breux à avoir fait la critique du pou- Diop, qui fut à bien des égards la revue
Ouologuem, dans le Devoir de violence fonneries de quelques présidents parmi voir africain, comme les Nigérians de la négritude.
(prix Renaudot 1968) a imaginé une leurs contemporains. D'abord Tchicaya Wole Soyinka et Chinua Achebe, le Le cri d'alarme lancé par les auteurs
méthode d'assassinat politique proche avec sa pièce de théâtre le Destin glo- premier avec les Interprètes et Une sai- de la seconde génération, celle d'après
du crime parfait (la morsure de vipère). rieux du maréchal Nikkon Nikku, qui son d'anomie et le second plus récem- les indépendances, n'a pas toujours
Le Cercle des Tropiques du Guinéen retrace le destin fabuleux d'un cureur ment avec les Termitières de la savane. rencontré en France l'écho qu'ils atten-
Alioum Fantouré, décrit le processus de latrines devenu chef d'Etat, ignare daient. La grande presse de l'Hexagone
d'avilissement de la population par la et cruel : pour établir une identité de C'est aussi le cas du Kenyan Ngugi Wa semble découvrir en effet aujourd'hui
terreur, et le Jeune homme de sable, de vue sans faille entre civils et militaires Thiongo, du Somalien Nuruddin avec effarement la corruption des régi-
son compatriote Williams Sassine, la au sein du gouvernement, il fait crever Farah, des Zaïrois V.1. Mudimbé et mes nés de la décolonisation en même
révolte des fils contre la trahison des l'œil droit des premiers et l'œil gauche Baenga Boya, etc. Quelques-uns ont temps qu'elle vitupère contre les com-
pères qui pactisent avec le pouvoir. des seconds. Pour donner plus d'ardeur payé chèrement la liberté d'écrire et de promissions de la coopération. Préci-
aux hommes de sa garde prétorienne, contester le pouvoir: le poète mauri- sément ce que les écrivains africains
Chez la Malgache Michèle Rakotoson, il leur fait greffer des grenades à la tanien Youssouf Gueye est mort l'an avaient dénoncé des années durant..
15
LA DÉCOLONISATION
Billet
« Bonne nouvelle », annonça le plus que le libre jeu du marché que
directeur du camp aux prisonniers ras- nous contrôlons. Donc, pas question, REVUE LIITÉRAIRE
semblés, « mon administration et moi vous le comprenez bien, de perdre BIMESTRIELLE
sommes las de réprimer vos révoltes votre temps dans des jardinets qui vous N° 90 1990
dans le sang. Nous avons décidé de nourriraient. Hélas, il a fallu parfois user
nous retirer et de vous laisser gouver- d'une pédagogie bien sévère, mais du
ner votre camp par l'intermédiaire de moins aurez-vous retenu la leçon : il SUD A VINGT ANS
dirigeants que nous avons formés à faut alimenter le marché avant d'ali-
notre image : s'ils sont efficaces, ce menter l'homme, et c'est seulement
sera grâce à ce que nous leur avons quand le marché et ses maîtres sont Jean MALRIEU, Max ALHAU, GabrieUe
appris, et s'ils sont corrompus ce sera bien nourris que l'homme peut espérer ALTHEN, Simon BREST, Yves BROUS-
votre faute. Notre générosité envers manger. » SARD. Pierre CAMINADE, Jean-Pierre
eux sera grande. Nous saurons respec- COMETTI, Pierre DHAINAUT, Jean
« Mais si vous avez des problèmes DIGOT, Serge GAUBERT, Léon-Gabriel
ter l'indépendance de leurs appétits et de subsistance, rassurez-vous, nous GROS, Hughes LABRUSSE, Jacques
l'originalité de leurs moyens de répres- vous enverrons des équipes de télévi- LEPAGE, Daniel LEUWERS, Roger
sion et ne les remplacerons qu'au cas LITTLE, Jacques LOVICHI, Jacques
sion et des sacs de riz. Da toute façon, PHYTILIS, Gaston PUEL, Dominique SOR-
où ils agiraient contre nos intérêts. Bien il n'est pas impossible qu'en travaillant RENTE, Fr~éric Jacques TEMPLE, André
sûr, si vous les maltraitez, nous leur dur, vous soyez un jour en mesure UGHETTO.
apporterons toute l'aide nécessaire. » d'acheter les beaux objets qui seront en ICONOGRAPHIES
« Quant aux travaux auxquels vous vente au supermarché du camp. Et Couverture: Odile SAVAJOLS-CARLE
étiez contraints, réjouissez-vous : nos vous pourrez même jouer au foot avec
gardiens ne seront plus là pour vous les nous. »
imposer, ce seront vos propres matons « Voilà, j'espère que vous êtes con- ULYSSE DIFFUSION
qui le feront. Autrefois, c'était nous qui tents: vous avez obtenu l'Indépen- DISTIQUE
décidions du prix auquel nous vous dance. »
achetions le produit de votre labeur. 220 p. 100 F
Désormais, soyez heureux, ne jouera Serge Quedruppenl
LA DÉCOLONISATION 17
nous n'hésitâmes pas à inventer de tou-
François Maspero tes pièces des textes Prétendûment acca-
blants pour la colonisation, et à les glis-
ser dans toutes les bibliothèques de
Jean-Marie Fardeau
LE MAGHREB
Robert Bonnaud
« .•. A
la faveur d'un équivoque et comme le couronnement, l' « étoile»
(c'est le sens du mot arabe) de l'œuvre
katébienne, nul doute. Mais plus qu'un
Marie Etienne
Le 26, à Seraidi, au-dessus d'An-
naba, dans l'hôtel construit par Pouil-
lon, au cours de notre premier sémi-
ANTILLES
VlnNIM. CIMBODGE
Jean Chesneaux dre en otage des populations entières ; Les Vietnamiens se défendaient con-
et ce, alors que les cadres du régime tre des puissances, la France, les Etats-
pro-américain de Saïgon se vantaient de Unis, dont les moyens étaient infmi-
Ô Vietnam 1
INDOCHINE, 1!113·1I114
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"
1
titre des articles 76 à 83 du Code civil liaison entre « théorie et pratique». ,... ,
,
":
punissant de mort les atteintes à la Mon Perchè il Vietnam resiste, publié
«(
sareté de l'Etat pour être en Cochin- par Einaudi en 1967, était resté un best-
~
chine, en un temps non prescrit, entré seller italien pendant des années, avant
1
..
"",,-, -,,,,,/
,1
Georges Condominas
Je reviens du Vietnam
Un changement d'avion à Singapour, un autre à Bang-
kok vous font parcourir deux aéroports gigantesques, d'une Le temple de Trâu Hung Dao aujourd'hui
activité débordante de voyageurs et d'avions mastodontes,
mais surtout au luxe le plus rutilant et le plus tapageur qu'on
puisse imaginer. L'atterrissage à Hanoï vous dépose sur un
terrain où dorment quelques avions petits et moyens de fabri-
cation soviétique, et au bord duquel a été construit un bâti-
ment des plus modestes en son genre.
OCÉAN INDIEN
Les Français
500 000 habitants, ne parlant que le
tamoul et exclus du marché du travail
indien parce qu'ils sont français. Pour
ces oubliés, qui ne retiennent générale-
de Pondichéry
ment l'attention des hommes politiques
métropolitains qu'en période électorale,
la fenêtre de la culture française et les
portes du lycée français, qui ne peut
accueillir que huit cents élèves, restent
Occupée en 1674 pour le compte de la Compagnie des chérY, sorte de tonl).eau des Danaïdes désespérément closes depuis le « de
où la France verserait sans fin à de faux jure». D'autres, avocats, médecins,
Indes orientales, créée par François Martin, directeur-général universitaires, qui ignorent tout du jeu
Français des pensions bien réelles.
de cette dernière, rayonnant sur tout le Deccan sous Dupleix « Les deniers de l'Etat ne servent qu'à de boules, souffrent de l'anathème et
(1742-1754), mais prise et rasée par les Anglais en 1761, 1778, entretenir une fiction, une communauté de l'amalgame.
1793, Pondichéry avait été restituée à la France en 1815, avec d'assistés permanents dans une société
en pleine déliquescence », déclarait en Ils ne sont pas tous devenus français
quatre autres comptoirs de la péninsule indienne. 1987 un fonctionnaire du consulat par intérêt. L'option, aux conséquen-
général (Le Monde, 2/4/1987). « On ces incertaines en 1962, était dans bien
finance une vraie mafia d'usuriers, on des cas l'aboutissement d'une tradition
encourage le trafic, l'oiseveté, l'alcoo- familiale séculaire d'adhésion à la
Pondichéry était tombée dans l'ou- ses loisirs à la pétanque à l'ombre des France. Le Pondichéry des Martin et
bli au XIX" siècle malgré l'activité de tours de Notre-Dame-des-Anges, lisme, la spéculation, le népotisme, le
clientélisme et la corruption en tout des Dupleix n'était ni une cité française
ses filatures et de ses exportations. Trop l'église de la « viDe blanche ». En rai- ni une viDe indienne: c'est une création
de mauvais souvenirs restaient attachés son des avantages liés à la nationalité genre. Les pires défauts du système
indien se sont infiltrés jusqu'au cœur franco-indienne. D'une façon générale,
à cette colonie lointaine. « Il n'y a pas française, l'ancien comptoir serait les deux peuples y vécurent en bonne
de plus grande douleur, écrit Dante, deveQu une « vache à lait d'autant plus de la souveraineté française ».
intelligence, partageant la fortune des
que de se rappeler le temps du bonheur vénérée qu'on peut la traire à Sans doute bien des abus se temps heureux, conjuguant leurs
dans l'infortune» (1). Indépendante en volonté » : commerce des passeports, commettent-ils à l'ombre des cocotiers efforts face à l'adversité. Le riche
1947, l'Union indienne (ex-Inde des faux certificats d'état civil et maria- et des tamariniers, mais la communauté Ramalinga, qui charge les canons avec
anglaise), revendique aussitôt Pondi- ges arrangés compteraient panni les pon(jjchérienne ne mérite pas l'oppro- son or, lors du siège de 1761, illustre
chéry, dont la France se retire en 1954 activités les plus lucratives de Pondi- bre général dont on l'accable trop sou- la solidarité de quelques Indiens avec
après qu'un accord est intervenu entre les Français. Le respect scrupuleux des
Pierre Mendès France et le Pandit us et coutumes, qui caractérisait la poli-
Nehru, dans les couloirs de la Confé- tique indigène de la France monarchi-
rence de Genève sur l'Indochine. La statue de Dupleix à Pondichéry que, lui valut la sympathie des Indiens.
Bien que toutes les religions soient pro-
Le traité de cession, le 28 mai 1956 tégées, certains se convertirent, effec-
et ratifié en juillet 1962, stipule notam- tuant ainsi un premier pas vers la
ment que les nationaux français nés sur métropole. Avec 10 % de catholiques,
le territoire des Etablissements et qui y Pondichéry se voit décerner le titre
seront domiciliés à la date de son entrée pompeux de « Rome du Coroman-
en vigueur deviendront nationaux del ».
indiens. Toutefois, ils disposeront alors
de six mois pour opter, par déclaration En 1870, la III" République introduit
écrite, en faveur de la nationalité fran- dans l'Inde française le suffrage univer-
çaise. Plus de cinq mille familles, d'as- sel, des conseils municipaux, un con-
cendance tamoule, optent alors pQur la seil général, l'envoi de parlementaires
nationalité française. Tandis que les à Paris. La grande majorité de la popu-
pieds noirs d'Algérie, dans un climat de lation indienne est hostile à cette poli-
violence, quittent leur terre nàtale, la tique d'assimilation, notamment chez
« plus grande démocratie du monde » les hindous des hautes castes.
permet à ces Pondichériens, peu nom-
breux, il est vrai, de résider sur le sol Quelques Indiens, catholiques pour
de leurs ancêtres, d'y jouir de leurs la plupart, désireux de « s'assimiler
biens et d'y perpétuer la langue et les courageusement et progressivement et
traditions françaises. Sans doute de préparer un monde de sentiments
considère-t-on alors qu'ils peuvent con- forts, purs et élevés, c'est-à-dire fran-
tribuer à faire de leur cité cette « fenê- çais », décident cependant de répondre
tre ouverte de la culture française », au geste généreux de la République, qui
souhaitée par le Pandit Nehru. leur a permis de participer à l'élabora-
tion de la loi, et de se soumettre aux dis-
Trente-huit ans après le transfert de positions du Code civil. Ils obtiennent,
jure, les Pondichériens de citoyenneté le 21 septembre 1881, un décret qui per-
française sont près de vingt mille dans met aux Indiens qui le souhaitent de
l'ancien comptoir et vingt à vingt-cinq renoncer de façon « définitive et irré-
mille en France, où ils sont générale- vocable » à leur statut personnel afin
ment confondus avec les immigrés « d'être régis par les lois civiles et poli-
indiens, pakistanais ou sri lankais. tiques applicables aux Français dans la
Méconnus, ignorés, ces Français d'Asie colonie ». Ils peuvent alors adopter un
ne sont trop souvent tirés de l'oubli que patronyme français: leur chef, Pon-
pour être vilipendés. noutamby, choisira celui de Laporte.
Ce sont leurs descendants qui, en
Les médias ont répandu l'image du 1962, ont opté pour la nationalité fran-
Pondichérien assisté, retraité de l'armée çaise. Ils durent se prononcer, en 1962,
française, touchant une pension dix fois dans un climat incertain : la parole de
supérieure au salaire indien moyen, Nehru était certes une garantie, mais
vivant comme un nabab et consacrant des bruits couraient selon lesquels les
OCÉAN INDIEN 35
Pondichériens seraient embarqués pour cet ancien Etablissement français (Hin- tation de l'Inde francophone (2), ils
la France si le nombre des options était dustan Times, 29/3/1990). appartiennent à la Nation française et
trop considérable. Peut-être finira-t-on par admettre ont Pondichéry pour patrie : « toutes
Cette épée de Damoclès reste tou- que les Pondichériens, que l'on consi- deux sont chères à nos cœurs ». La pre- 1. Voir notre thèse : Les Etablisse-
jours suspendue au-dessus de leürs dère comme Français en Inde et que mière est le pays dont ils partagent les mentsfrançais en Inde au XIxe siè-
têtes : Mrs Chandrawati, lieutenant- valeurs ; la seconde est la terre de leurs cle (1816-1914), Paris, Librairie de
l'on traite parfois comme des étrangers
gouverneur du Territoire de Pondi- en France, ne sont pas « gens de nulle pères, sur laquelle ils se sentent bien. l'Inde, 1988,5 vol., et L 'Indefran-
chéry, ne demandait-elle pas en mars part » (<< the Nowhere People », Sun- Ubi bene, ibi patria. çaise après Dupleix, Paris, Desjon-
1990 pourquoi Nehru avait conclu de
tels accords avec la France eu'il devait
day, Calcutta 4/4/1989). Ainsi que
l'explique Mme Bouchet, présidente du • quères, parution à l'automne 1990.
2. CIDIF, 3, avenue Paul Doumer,
encore subsister deux citoyennetés dans Centre d'Information et de Documen- 75116 Paris.
Hélène Lee
Au commencement
était la barrique
Au commencement était la barrique. Sans doute fût-elle de prison à Rennes, en c~mnection sont plus sensibles aux sirènes des top
le premier objet façonné par l'homme à toucher le sol réu- vocale avec son île. A sa sortie il fonce cinquante, et s'apprêtent à venir en
au pays et se met à fureter partout ep. tournée, aidés en cela par le ministère
nionnais un beau jour de 1738, en même temps qu'une car- quête de vieux musiciens et de tradi- de la Culture, ravi d'avoir découvert un
gaison de mutins qu'un capitaine français avait décidé d'y tions. Avec son brassage tamoul, bre- authentique mouvement populaire sur
abandonner. A l'inverse des infortunés dodos, les volatiles ton, africain ou malgache, la musique un coin du territoire français. Pès leur
réunionnaise est un vrai bouillon de cul- arrivée au pouvoir, d'ailleurs, les socia-
légendaires de l'île, la barrique ne cessa de se multiplier en ture. « Nous n'avons de leçon de métis- listes avaient eu un rôle déterminant
cette contrée de navigateurs et de leveurs de coude ; au point sage à recevoir de personne », plaisante dans la libération des musiques et des
que les musiciens de maloya en firent leur tambour de basse : Waro, qui n'a jamais mordu aux mentalités. En 87, pour encadrer le
idéaux mélangeurs des manitous de la mouvement, ils décidèrent la création
le « rouleur », qu'un batteur chevauche, bizarre cavalier d'un World Music. « Je dis aux jeunes, c'est de quatre conservatoires nationaux sur
rythme un peu noir. pas vers l'extérieur qu'il faut chercher, l'île. Mais les vieilles habitudes menta-
c'est vers l'intérieur. » les sont dures à déraciner. Avec seule-
Il semble avoir été entendu : depuis ment 3 % de l'enseignement consacré à
quelques années, et plus ~ettement la musique locale, les conservatoires
Puis un jour il n'y eut plus de barri- la fabrication des instruments tradition- depuis quelques mois, est en train de se font encore l'effet à beaucoup de Réu-
que disponible dans l'île. Que fit nels : caïambe, bobre (arc musical) ou dessiner une véritable explosion musi- nionnais de structures coloniales venues
Danyèl Waro ? Feuilleter le catalogue rouleur, ce qui lui assure une complète cale. Les groupes sont jeunes, méfiants, imposer des approches, des rythmes et
de la Redoute ? Signer chez CBS ? Ou indépendance du côté création. Auto- inspirés ; tous ont des métiers paral- des instr:uments étrangers.
offrir un drum-pad à son batteur suffisance, c'est le principe que lui a lèles qui leur permettent, comme à Lors des Rencontres de Jazz et Musi-
Franswa Baptisto ? Rien de tout cela. enseigné son père, à la ferme. « J'ai Danyèl, de « faire la musique qui leur ques Populaires de l'Océan Indien en
Le chanteur descendit en ville, et s'en grandi en travaillant la terre ; coupé la plaît ». Certains, comme Ziskakan (10 avril dernier, François Jeanneau, direc-
fut acheter des planches à la quincail- canne, planté les pistaches, soigné la ans d'existence), Baster ou Kisaladi, teur du département jazz des conserva-
lerie. Il les scia d'après le modèle cal- volaille. C'est ça qui fait ma solidité. toires, devait, dans la perspective de la
qué sur une vieille barrique, les cercla On avait ce qu'on méritait, puisqu'on promotion des musiques locales, faire
de fer, les chauffa au charbon de bois récoltait ce qu'on avait planté! C'est une création avec les musiciens réunion-
pour leur faire prendre la bonne cour- ça notre force: l'autosuffisance, la nais. Contacté, Waro donna son accord
bure. L'objet obtenu n'était pas étan- simplicité... » pour se dédire ensuite: « A priori, je
che. Après plusieurs semaines de grat- A la Réu°nion, le néo-colonialisme n'étais pas contre, mais j'en ai discuté
tage de tête et d'essais divers, il décou- s'appelle départementalisation, au avec les amis, on ne le sentait pas. On
vrit son erreur : les vieilles planches point que lorsque l'île devint départe- ne sait pas ce qu'ils cherchent vrai-
étaient biseautées mais c'était la chaleur ment français, en 46, le maloya faillit ment : nous aider ? Obtenir la caution
et la pression qui leur avait donné cette disparaître, étranglé par les élites loca- des artistes réunionnais? On dit qu'ils
forme; au départ, la découpe devait les pressées de faire la preuve de leur ont eu des subventions pour cette créa-
être droite. Tout seul, Danyèl Waro nationalisme « civilisé ». La musique tion. Pourquoi ne m'ont-ils appelé que
avait réinventé la barrique. En 1990. survécut pourtant dans les cérémonies vingt jours avant le spectacle? Pour-
Quel progrès ! privées du culte des ancêtres, et bien- quoi n'est-ce jamais à nous que l'on
tôt dans les réunions du parti commu- confie cette responsabilité? »
Un enfonceur de portes ouvertes, niste, qui fit du maloya un symbole de
Waro ? Ou plutôt un ex-colonisé qui a résistance à la culture importée. C'est La création s'est faite, sans Waro,
décidé de s'en sortir rien qu'avec sa là que le découvrit Danyèl Waro, un La Réunion. Chanteur ambulant mais avec sa musique, arrangée selon
voix, son cœur et ses mains ? Assis « yab », ou petit blanc pauvre du sud (Atlas colonial) des règles d'harmonie qui, assurent les
devant sa case sous la fine pluie des de l'île, descendant d'une de ces famil- musiciens, n'avaient plus rien de réu-
Hauts de St Gilles, pieds nus, dépeigné, les dont le principal titre de fierté est nionnais. Une fois faite la part de la
il nous sourit de ses yeux bleus derrière d'être resté peu métissé. Incorporé à vieille méfiance, restent malgré tout des
ses lunettes d'hypermétrope. Tout en l'armée, il déserte, et fait deux années détails embarrassants. A Antenne 2
continuant à tendre, corde à corde, une venue filmer les Rencontres, les conser-
peau de chèvre fraîche sur un rouleur, vatoires ont voulu faire bonne impres-
il nous raconte la résurrection du sion en °improvisant une « classe
maloya, le blues ternaire de l'île, et d'éveil» pour les enfants, en musique
comment il espère préserver son indé- réunionnaise - elle n'a jamais existé
pendance et son intégrité. A l'heure où que pour le tournage ! A croire que les
les stars de l'Afrique se vendent au plus responsables ont quelque chose à
offrant, où leur musique, trafiquée par cacher. La métropole est loin, Jack
les producteurs et les marchands, perd Lang ne peut pas fourrer son nez par
son âme, Waro prétend rester humain, tout. On continue donc, 29 heures sur
simple, et indépendant. Comment? 30, à enseigner des techniques moribon-
« Je reconnais que je ne sais pas trop des, à réciter l'extrême-onction à des
ce que je veux, je sais surtout ce que musiques en train d'accoucher. Sans
je ne veux pas! » dit-il en faisant glis- doute faut-il savoir mourir pour savoir
ser la corde et basculer le nœud avec vivre, et silrement Danyèl Waro a l'hu-
un claquement mouillé. En attendant mour de s'en amuser. Les grands per-
d'avoir défini une ligne de conduite par dants ? Ces conservatoires, qui ratent
rapport aux multinationales, il refuse l'occasion d'être, pour une fois, autre
les propositions des tourneurs et des chose qu'un coquillage abandonné.
maisons de disques, qu'attirent sa voix
chargée d'émotion, ses textes splendi-
des, ses accompagnements de percus-
•
sions chaloupées. Il a choisi de vivre de H6I... Lee est Joumellate Il L1bntlon.
36
POLYNÉSIE
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autrefois les équipages de Bougainville
et pour lequel les marins du Bounty
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< C"~~.,fiel ..... ·~~nur... . 20
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avaient trahi leur roi et rompu avec leur
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I.
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telk. \\ • la littérature tahitisante d'expression
30 française. Les Immémoriaux de Victor
OCEAN PACIFIQUE '- ... _' Segalen, un des grands romans anthro-
pologiques du Pacifique; les reporta-
ges du navigateur royaliste et anarchi-
sant Alain Gerbault, aux accents de
réquisitoire anti-colonialiste ; le Pas-
40 sage de Jean Reverzy, ancien médecin
lM E 1'J1] A I l 1111l 170 W 160 ISQW 11.0 I30W des FTP revenu chercher la mort aux
Iles sous le Vent avant de·la trouver à
Les territoires d'Outre-Mer de ta République française Lyon; la Tête coupable de Romain
Gary, roman de-· la désillusion anti-
dans l'océan Pacifique exotique.
POLYNÉSIE
Loin de l'euphorie coloniale, de son Depuis l'ouverture en 1962 du Cen- eut exaspéré, et de son admirateur aujourd'hui, conclut D. Margueron qui
exotisme banalisé, de son conformisme tr.e d'Expérimentation du Pacifique Segalen, ne· sont pas mal venues; elles suit de près le réveil politique et cultu-
politique, ces auteurs ont viscéralement (CEP) à Mururoa, depuis que la France confèrent une sorte d'investiture intel- rel des Polynésiens. Cet éveil maohi,
intériorisé le drame de ces sociétés océa- fille aînée de l'Eglise et mère des cen- lectuelle posthume à des entreprises de déj à illustré par les films et les poésies
niennes en péril de mort. Le talent était trales nucléaires a cherché à ancrer aux lucre et de mort. d'Henri Hiro, par les campagnes du lin-
de leur côté. antipodes sa volonté de puissance guiste Douro Rapoto en vue de la pro-
« mondiale-moyenne », le mythe tahi- Qu'en pensent les Polynésiens, ceux motion du maohi, par le zèle de béné-
Le talent et aussi la mort, car c'est tien semble reprendre du service et qui, de plus en plus, se définissent dictin que Gaby Tetiarahi déploie dans
souvent pour mourir que, de Gauguin effectuer un ultime rebond. Il vient comme Maohis, affirment leur identité la collecte du corpus documentaire
à Jacques Brel, on accoste aux rives donner un supplément d'âme à cette culturelle et politique, revendiquent le polynésien depuis le XVIIIe siècle,
bénies d'une Polynésie dont la culture société post-coloniale si fière de son contrôle de leurs archipels et la maîtrise accédera-t-il à la pleine maturité litté-
semblait agoniser. On meurt, on meurt PIB (produit intérieur brut) artificiel- de leur avenir? Si certains d'entre eux raire, dans une société restée si attachée
jeune. Segalen est mort à 41 ans; lement gonflé et pourtant si piteuse- bénéficient aussi de la manne nucléaire, à l'expression orale? C'est alors que
André Gain, photographe et essayiste ment dépendante des subsides de la beaucoup d'autres en sont exclus. A Tahiti en aurait définitivement fini avec
dont le Jardin des Mers fut couronné métropole. Dans les hôtels de luxe de l'époque coloniale et encore dans les la Nouvelle Cythère, et évacuerait
en 1942 par l'Académie française est Bora-Bora ou de Moorea, dans les pail- années 60 et 70, c'est le fiu (prononcé l'imaginaire occidental pour s'ancrer
mort à 33 ans; André Ropiteau, vigne- lotes de rêve du « Club'Med », comme fi-iou). Le « bof » qui dominait, le sen- dans la réalité du Pacifique. •
ron bourguignon de Meursault éperdu- dans les mess d'officiers de Papeete et timent d'impuissance blasée; le déclin,
ment épris de l'île de Maupiti, est mort de « Muru », les figures de Bougain- la décomposition diagnostiquée par L'Harmattan éd., 1989, 465 p.
à 36 ans, Alain Gerbault à 48 ans, ville et de Lapérouse, celles de l'infor- Segalen et par Reverzy semblaient irré-
Reverzy à 45 ans. tuné Gauguin qu'un tel détournement médiables. Ce n'est plus si évident
La civilisation kanak
le recours aux langues vernaculaires et
la force des références culturelles kanak
demeurent aujourd'hui les principaux
repères de l'identité mélanésienne, ces
options récentes laissent supposer, à
terme, une transformation de certains
usages traditionnels : relations entre
Loin d'appartenir à un passe Imaginaire, la culture ment l'expérience des valeurs républi- hommes et femmes, héritage des droits
caines. Le suffrage universel, la sépa- et des statuts, échanges non commer-
kanak s'inscrit au cœur des problèmes contemporains de la ration des pouvoirs, le recours au droit ciaux, etc.. Déjà, dans la pratique, à
Nouvelle-Calédonie. Repliées sur elles- mêmes dans le cadre public vont coexister, pour nombre de Nouméa notamment, des changements
des « réserves » abolies seulement en 1946, protégées aussi Mélanésiens, avec la force des ancêtres, sensibles sont à l'œuvre. Les Kanak
le prestige attaché à l'ancienneté eUes urbanisés font l'expérience du chô-
par leur propre complexité linguistique et ethnographique, intérêts privés des clans et des familles. mage, de la pauvreté, mais aussi, pour
la culture kanak, la société kanak continuent jusqu'à nos jours Pour une société sans Etat et sans écri- quelques-uns, de la scolarité de haut
à s'exprimer dans des idées et des pratiques d'une grande ori- ture, dans laquelle le pouvoir tire sa niveau et de la consommation (3).
légitimité d'accords passés entre des Les Kanak ont toujours lié leur com-
ginalité. particuliers, l'expérience d'une législa- bat politique pour le décolonisation à
tion applicable à tous sans distinction un cpmbat plus large, celui par lequel
de rang, comme la pratique d'une leur civilisation pouvait espérer obtenir
morale publique surplombant les pas- droit de cité dans une société calédo-
sions individuelles, feront date. nienne tout entière dominée par la
Décimés, spoliés (1), relégués aux mélanésienne (la souffrance, la quête vantardise universelle des Blancs. Il est
marges du système colonial, les Kanak d'un monde meilleur, la soumission à Sous l'influence de la démocratie
occidentale, les Mélanésiens repensent ainsi remarquable que tous les temps
n'étaient pas reconnus par la France une vérité révélée et transcendante). forts de la lutte des Mélanésiens aient
comme des hommes à part entière, tout certaines de leurs valeurs: l'héritage
Ces pratiques et idées, sont venues des statuts, le mQnopole de la parole coïncidé avec l'organisation de mani-
au plus comme des « sujets» de l'em- festations culturelles faisant de l'iden-
s'ajouter, aux représentations propre- par quelques-uns, la gérontocratie vont
pire, privés des droits les plus élémen- tité kanak l'étendard d'une croisade
taires. Ils étaient, disait Jean-Marie Tji- ment kanak de la marche de l'univers, devoir en rabattre, au sein des conseils
de la personne et du pouvoir, telles municipaux, des assemblées et associa- pour la justice, l'autodétermination,
baou, « empêchés d'être ». C'est pour- l'indépendance.
quoi la revendication kanak est d'abord qu'elles se manifestent toujours avec tions diverses du Territoire ou à l'ONU.
une revendication de dignité, nourrie de ténacité. Aujourd'hui, sans avoir Au cours des quatre dernières décennies En 1975, Jean-Marie Tjibaou, avec
ce sens aigu du rang et de la qualité des entamé en profondeur les assises de la (1946-1986), les Mélanésiens entrés en le soutien d'un gouvernement français
personnes, qui est si fort dans la société culture mélanésienne (parenté, relations politique ont su tirer parti des disposi- déjà inquiet, organisait à Nouméa, un
mélanésienne (2). politiques contractuelles, traditions tions du droit occidental susceptibles de festival d'art kanak, Melanesia 2000.
orales, techniques agraires, puissance démocratiser la société kanak et de faire Sur une vaste esplanade surplombant
« Deux couleurs, un seul peuple : dès des ancêtres, etc.), la religion chrétienne aboutir sa revendication d'auto- « la ville blanche », les Kanak de tou-
1953, l'idée d'une parité entre Noirs et s'y superpose et l'interroge. détermination. Ainsi, le projet de Cons- tes les régions de l'archipel présentèrent
Blancs est avancée par l'Union Calédo- titution pour une Kanaky indépen- avec un grand souci esthétique des
nienne (UC), première formation poli- Dans l'après-guerre, la participation dante, rédigé en 1987, jette les bases exemples d'architecture mélanésienne,
tique où, aux côtés d'Européens de à la vie politique locale permet aux élus d'une République Kanak qui réaffirme des objets artisanaux, des danses, etc.,
brousse, les Kanak s'expriment. Ils et responsables kanak de faire égale- son attachement aux traditions mélané- et des aspects essentiels de la vie tradi-
réaffirmeront plus clairement cette exi~ tionnelle d'aujourd'hui: échanges céré-
gence de légitimité culturelle quand, moniels entre clans, discours clamés par
vingt-cinq ans plus tard, l'UC lancera Les obsèques de J.-M. Tjibaou le 7 mai 1989 à Nouméa. des spécialistes de l'art oratoire, chants
sa nouvelle devise : « Reconnaissez le de bienvenue... autant d'expressions
peuple kanak pour qu'à son tour il vous d'un art subtil de la sociabilité. En
reconnaisse ».. En tant qu'anciens, contre point, une évocation théâtrale de
qu'aînés et maîtres millénaires du pays, l'histoire du peuple kanak, incarné par
les Kanak veulent librement exercer leur le personnage de Kanaké, soulevait
droit d'accueil ou de veto, vis-à-vis des avec pudeur mais fermeté les problèmes
étrangers qui les ont envahis, malme- sociaux et politiques posés par la colo-
nés, niés dans leur identité profonde. nisation : inégalités criantes, margina-
Ancrée dans la tradition, la revendi- lisation des autochtones, etc.
cation kanak fait aussi référence au « Aujourd'hui, Kanaké vient à vous,
message chrétien transmis par les mis- chargé, d'ans et d'histoire, riche d'une
sionnaires, qui combattirent les coutu- expérience culturelle unique. Il réclame
mes mélanésiennes qui les choquaient sa part de soleil ». Jean-Marie Tjibaou
(les fêtes nocturnes, les rites funéraires, assortissait sa démarche d'un avertis-
l'anthropophagie, la nudité, les guer- sement sans ambiguïté: « Nous
res, les croyances aux ancêtres, le res- croyons en la possibilité d'échanges
.pect dû aux notables). Dans leur volon- plus profonds et plus suivis entre la cui-
té, militante, de substituer le chris- ture européenne et la culture kanak.
tianisme au paganisme via le colonia- Pour que cette rencontre se réalise un
lisme, ils imposèrent à la société kanak préalable est nécessaire ; la reconnais-
des modalités supplémentaires de ras- sance d'une culture par l'autre. La non-
semblement (offices' religieux, écoles, reconnaissance, qui crée l'insignifiance
associations) et des thèmes de réflexion et l'absence de dialogue, ne peut ame-
autrefois peu développés par la pensée ner qu'au suicide ou à la révolte ».
38 COoPIRATION
En 1984, la révplte ouverte contre le de son regard sur le monde. Ses reven- 1. Cf. J. Dauphiné, Les spoliations Paris, L'Harmattan, 1989.
colonialisme éclate alors que depuis dications s'associent étroitement à l'es- foncières en Nouvelle-Calédonie 4. Un superbe catalogue (De Jade et
plusieurs mois les Kanak se préparaient poir d'une reconnaissance internatio- (1853-1913). Paris, l'Harmattan,
de Nacre. Patrimoine artistique
à accueillir à Nouméa un festival d'art nale de la civilisation kanak. Notons 1989. kanak), publié à cette occasion par
océanien rassemblant tous les peuples que celle-ci n'a jamais occupé dans le la Réunion des Musées nationaux,
autochtones du Pacifique. 2. Cf. A. Bensa (éd.), Comprendre
paysage intellectuel et artistique fran- l'identité kanak, L'Arbresle, Cen- est déjà en librairie.
Consterné par la morgue des Fran- çais la place accordée à l'Afrique et aux tre Thomas More, 1990.
çais du Pacifique qui restent convain- Amériques. La première exposition Alban Bensa, anthropologue,
cus d'appartenir à une « civilisation d'art kanak qui se tiendra à Paris à 3. Cf. M. Spencer, A. Ward, J. Con- publiera, à la rentrée chez Gallimard,
supérieure », le peuple kanak a affirmé l'automne prochain (4) pourrait aider nell, Nouvelle Calédonie. Essais sur dans la collection « Découvertes Gal-
avec une détermination croissante la à combler ce qui est plus qu'une lacune, le nationalisme et la dépendance, limard », un ouvrage sur La Nouvelle-
richesse de son histoire et la cohérence un manque à penser. • (Préface de Jean Chesneaux), Calédonie et la civilisation kanak.
COOPÉRATION
Entretien
FEU L'EMPIRE
Gilles Lapouge
La gloire de l'Empire
Je déteste les Empires, mais pas nents entiers. Au lieu de débiter Magyars peuvent bien s'agiter, c'est fide: en quelques années, elle
trop tout de même. C'est que je l'histoire en détail, comme s'y le monarque de Vienne qui y gagne accomplit les forfaits qu'elle
pense aux écoliers un peu cancres. emploient les royaumes ou les répu- une migraine. Il nous épargne de n'avait pas pu commettre pendant
Les Empires leur mâchent la beso- bliques, les Empires nous la livrent nous en occuper et nous pouvons ses siècles de servitude. L'Empire
gne : comme ils sont très gros et en gros, de sorte que pour les étu- fouetter d'autres chats. espagnol d'Amérique n'était pas
très lents, ils simplifient l'étude de diants les seuls moments de détente tendre: mais ce qui s'est passé
l'histoire. N'est-il pas plus expédi- sont procurés par Gengis Khan ou Dans un Empire, on se mélange depuis les Indépendances n'est pas
tif de survoler d'un seul coup d'aile Tamerlan, par les Achéménides, les beaucoup. Au lieu que dans les moins sordide. Et la fin de l'Em-
tout le règne des Ottomans que Ming, les Mongols et les Mogols : nations, chaque ethnie est bien ran- pire anglais des Indes !
d'apprendre par cœur la litanie des plus de frontières, un seul souve- gée dans sa boîte, avec une éti- Le spectacle que nous dispense
princes kurdes, algériens, tunisiens, rain à la place de vingt rois incom- quette, dans l'Empire, toutes les aujourd'hui l'Europe invite aussi à
koweitiens et yéménites? patibles, une poignée de dates, et le peuplades se coudoient : on y parle réflexion: c'est une grande mer-
tour est joué, quelques heures de dix langues, on y partage cent folk- veille que de voir défaillir l'Empire
Et Rome, donc? Son Empire cours vous permettent d'avaler lores, mille religions, dix mille
permet d'ignorer les tribulations de détestable de Staline, mais cette
deux ou trois siècles ensemble et de légendes. Rome fut le caravansérail débâcle engendre quelques tohu-
l'Illyrie, de la Pannonie, de la digérer une moitié du monde. de l'humanité: on y croisait des
Bithynie, de la Pamphylie, de la bohus : Gorbatchev siffle la fin de
Nubiens tout nus, des peaux rou- l'Empire, et l'on voit aussitôt pul-
Bétique, de dix autres contrées sau- L'Empire assoupit l'histoire, bon ges, des lamas du Tibet, des Sicam-
grenues. L'Histoire est centralisée : luler des Etats que l'on croyait
débarras, non seulement pour la bres fiers, des Zoulous, des Varè- engloutis. Comme un vieillard
on interroge le Capitole et la moi- mémoire des cancres qui est si fai- gues et des Transoxians, des
tit du mon9è répond. Plus délecta- gâteux, l'Europe remonte le temps:
ble; mais pour chacun de nous, s'il anciens élèves d'Oxford et des Le monde file à reculons, retrouve
ble encore: ces provinces de l'Em- est vrai, comme je commence à le Tupinambas. Les costumes étaient
pire ne sont pas jetées au néant. ses marques cinquante ans en
soupçonner, que l'histoire est une une fête : des parkas du fleuve arrière. Nos joùrnaux sont devenus
Elles végètent dans les limbes. Elles calamité, qu'elle fait se battre cha- Amour et des vestes de peau de
mènent une existence brumeuse. En . cun avec chacun, et cela pour du des journaux d'avant 1914, on croit
phoque, des costumes croi~és, des lire l'Excelsior ou l'Intransigeant,
marge de la grande Histoire, elles beurre puisque, la guerre finie, les gandourahs d'Azerbaidjan et des
passent comme des fantômes et· et l'on n'y· comprend goutte. Les
ennemis ne se souviennent même filets de rétiaires, des pantalons de
quoi de plus fascinant qu'une His- plus qu'ils se haïssent. « Un pays zouaves et des chechias du Magreb.
toire de fantômes ? qui a une histoire, dit Michaux, Les rues étaient jolies, pleines de
L'Histoire, quand elle n'est pas devrait avoir honte ». A sa couleurs.
prise en charge par un Empire, est manière, l'Empire comble j'ECRI.S
un salmigondis.. Elle grouille de Michaux, il ralentit le temps. Il Les Empires commettent cepen- journal d'information technique
dates, de noms imprononçables, de nous promène dans les dimanches dant des vilenies. Par exemple, ils pour les écrivains
frontières toutes tordues, de royau- de l'histoire - enfin, dans ses finissent par mourir. Et leur chute et ceux qui veulent écrire
mes de puces, de guerres de Picro- samedis. n'est pas belle. Elle fait un bruit
choies et c'est un dur labeur, pour affreux, car le désordre se met en specimen gratuit
sur simple demande
un écolier, que d'attraper une Les Empires ont un autre tête de rattraper le temps perdu.
Ariane dans ces labyrinthes. Les mérite : ils fatiguent les nationalis- L'Histoire, qui avait été comprimée 85, rue des Tennerolles
Empires sont cette Ariane. Ils mes. Ils n'y mettent pas fin mais ils ou ralentie par l'Empire, se réveille 92210 Saint-Cloud
ordonnent l'embrouillamini, ils les camouflent, ils en suspendent les en sursaut. Comme elle a beaucoup France
remplacent les années par des siè- fièvres. Dans l'Empire austro- dormi, elle est en pleine forme, fraî-
cles, les principautés par des conti- hongrois, les Slovaques ou les che comme un gardon, et très per-
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cancres doivent recommencer tou- tières à toute vitesse de manière à Tchémérides et chevaliers porte- vertu des Empires: ceux-ci ne se
tes leurs révisions. pouvoir haïr tout ce qui bouge de glaives, chevaliers teutoniques et contentent pas de simplifier les
Des royaumes embaumés arra- l'autre côté de ces frontières. La Kirghiz, Polruves et Grand bou- cours d'histoire. Ils désencom-
chent leurs bandelettes, des cada- Bessarabie s'éveille d'une syncope tiens, vingt peuplades trépassées brent, de surcroît, la géographie.
vres de grand-duchés soulèvent de cinquante ans, la Transylvanie réclament leur part d'histoire, de
leurs pierres tombales, des spectres quitte son bois dormant et chaque sang, leur identité, jouent les gros Si j'osais, je décernerais une
prétendent qu'ils vivent. Des sou- jour, une nouvelle peuplade défie bras, poussent des cris de coq. autre médaille aux Empires, mais
venirs d'Etats gesticulent, se dres- ses voisines : Sudètes et Moraves, L'Europe de l'Est devient une foire je crains les représailles. Mon idée
sent comme des charognes de Juge- Philarètes et Macédoniens, Croa- aux vanités historiques. A la gloire concerne le Mondiale de football :
ments derniers, déchirent leurs lin- tes, citoyens de Garabagne et de de l'Empire, qui est déplorable, supposons que la planète soit divi-
ceuls, font les quatre cents coups, Thulé, Caréliens, Paphlagones et mais dont l'excuse est d'être uni- sée entre quatre Empires. Eh bien,
se mettent à tracer des tas de fron- Valaches, Dalmates, Opsikioniens, que, succèdent des centaines de le Mondiale, au lieu de nous empoi-
gloires de Lilliput. sonner l'existence, avec ses vulga-
rités, ses hystéries, son écœurant
Chacun de ces Lilliput dégaine patriotisme durant un mois entier,
ses anciens maîtres : on voit se radi- on lui réglerait son compte en vingt-
ner des rois Zog et Leka 1er, des quatre heures.
Princes Siméon, Alexandre ou
Michel, des Habsbourg et des Me pardonnera-t-on ce dernier
ABONNEZ-VOUS Un an : 396 F Etranger: li20 F
par avion : 700 F Hohenzollern, des archiducs sarda- sacrilège? Et puis j'ai conscience
napalais, des prolégomènes et des que les Empires ne sont pas sans
Six mois: 210 F Etranger: 300 F défauts. Ils sont féroces. Ils ne
par avion : 390 F parenthèses, des comtes palatins,
des évêques-électeurs et des princes- valent pas mieux que les rois et les
ses douairières, une foule de vieil- républiques. Même, ils sont plus
les démangeaisons, des naphtalines, sanglants et comme ils oppriment
MIEUX ENCORE: tombées de la galerie des ancêtres, les peuples qu'ils ont croqués, ils
Bon • renvoyer. SOUSCRIVEZ avec leurs têtes de collection de sont impardonnables. Je voudrais
timbre-postes avariés, sanglés dans donc nuancer la première proposi-
La Quinzaine UN ABONNEMENT tion de ce texte. Je souhaite la ren-
DE SOUTIEN des uniformes d'outre-tombe, mor-
dorés et radoteurs, plus ahuris que verser complètement et de dire :
43, rue du Temple - 7&004 Paris un an : 500 F des hiboux en plein Midi et portant j'aime bien les Empires, mais pas
CCP Paris 15661-&3 dans leurs bras des monceaux de trop tout de même. _
o règlement joint par
blasons et de généalogies. Toutes
o mandat postal
ces altesses de cimetières rugissent,
o chèque postal exigent de retrouver leurs trônes
o chèque bancaire évaporés tandis que, du fond des P.S. - Une autre idée m'arrive et je
montagnes, surgissent avec leurs l'ajoute car elle est importante: l'art
Nom: de la bicyclette évolue au contraire de
pétoires des bandes d'irrédentistes celui du football. L'Empire, qui rac-
Adresse: assoupies depuis la guerre de Trente courcirait le Mondiale, allongerait les
ans. courses de vélo. Nous aurions droit, en
place du Tour de France, à un Tour de
Profession (facultatif): _
Au commandement de Gorbat- l'Empire, ce tour serait très long, cou-
chev, la géographie elle-même se vrirait une année à peu près, ce qui
met en mouvement : des rivières revient à dire qu'il ne s'interromprait
LA QUINZAINE LITTÉRAIRE taries depuis 1914 refont leur métier jamais. Il serait infini.
bimensuel de rivière, redessinent de vieilles De sorte que je viens de mettre au
parait le 1"' et le 15 de chaque mois - Le numéro: 20 F jour, à braie-pourpoint, une petite loi
frontières empoussiérées; des
permettant d'élucider, avec une rigueur
Commission paritaire: certificat nO 56118 montagnes rayées de la carte en scientifique, les mérites respectifs de la
Directeur de la publication : Maurice Nadeau 1917 recommencent à culminer à Nation et de l'Empire .oIes amateurs de
Imprimé par SIEP, "Les Marchais", n590 Bois-le-Roi - Diffusé par les NMPP 3 000 mètres, entre deux Etats football sont partisans de la Nation
AOÛT 1990 ennemis. Ce tumulte géographique alors que les sectateurs de la petite
nous indique au passage une autre Reine prefèrent i'Empire.