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Abdelaziz Riziki Mohamed

Sociologie politique
des Comores
Sociologie politique
des Comores
Abdelaziz RIZIKI MOHAMED

Sociologie politique
des Comores
DU MÊME AUTEUR :
AUX ÉDITIONS L’HARMATTAN, PARIS

Comores. Les institutions d’un État mort-né, 2001.


La diplomatie en terre d’Islam, 2005.
Sociologie de la diplomatie marocaine, 2014.
Ce que le Maroc doit au Roi Hassan II, 2014.
Mohamed Ali Soilihi. Les Comores à cœur et dans l’âme, 2015.
Mohamed Ali Soilihi. Vérités sur une élection aux Comores, 2016.
La présidence tournante aux Comores, 2017.

CONTRIBUTION
Les diplomates marocains : une approche sociologique et prosopographique,
in Institutions, développement et relations internationales, Mélanges en
l’honneur du Professeur Aziz Hasbi, Faculté des Sciences juridiques,
économiques et sociales, Rabat-Agdal, 2017.

© L’Harmattan, 2018
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.editions-harmattan.fr

ISBN : 978-2-343-15770-2
EAN : 9782343157702
REMERCIEMENTS

Je remercie toutes les militantes et tous les militants qui, aux Comores et
l’étranger, de 2016 à 2018, se mobilisent chaque jour et luttent avec courage
et détermination contre la dictature de village imposée par des kleptocrates
abhorrés, agissant en association de malfaiteurs, sous la férule d’un tyran à la
fois borné, cupide, corrompu et incompétent.
Je souhaite exprimer ma reconnaissance et apporter mon soutien à tous
ceux qui, aux Comores, parce qu’ils pensent autrement sur la gouvernance
du pays, sont violentés, humiliés, séquestrés loin du monde de la vie, des
humains, de la lumière et de la liberté, et sont quotidiennement soumis à la
tyrannie, à la barbarie et à l’ignominie d’une « Justice » dévoyée et aux
ordres, qui n’inspire que la honte, le mépris, la méfiance et le rejet total.
Par ailleurs, bien installé au cœur du pouvoir personnel et clanique, un bon
patriote, horrifié et dégoûté par ce qu’il voit dans les entrailles, tréfonds et
bas-fonds du régime politique anticonstitutionnel, maudit et honni, combat
celui-ci de l’intérieur, en dévoilant au site www.lemohelien.com beaucoup
de secrets vils et écœurants d’un sérail haïssable et haï, détestable et détesté,
méprisable et méprisé. Les Comoriens et les amis des Comores savent ce
qu’il en est, grâce à son sens du devoir. Qu’il en soit sincèrement remercié.

5
À
La mémoire de
Ma tante et grande amie Hadidja Ali,
Qui nous a quittés le samedi 10 mars 2018.
« Et ne semez pas la corruption sur la terre après qu’elle ait été
réformée. Et invoquez-Le avec crainte et espoir, car la miséricorde
d’Allah est proche des bienfaisants » (Coran, VII, Al Araf, 56).

Abdou Llâh (ou ‘Atîq) Ibn Abî Quhâfah dit Abou Bakr Al-Saddiq,
après sa désignation pour devenir le premier Khalife de l’Islam, le 8
juin 632 : « O peuple ! Je jure, au nom de Dieu que je n’ai jamais
convoité le pouvoir, ni de jour, ni de nuit, et que je n’ai jamais eu
d’inclinaison pour lui. Ni ouvertement, ni secrètement, je n’ai
jamais prié Dieu de me le conférer. Et certainement, j’ai peur à
l’idée de commettre des erreurs. En réalité, une grande tâche m’a
été assignée, qui dépasse mes pouvoirs, et que je ne peux remplir
qu’avec l’aide de Dieu Tout-Puissant. J’aurais souhaité voir le plus
puissant des hommes à ma place. Maintenant, il ne fait pas de
doute que j’ai été choisi comme Khalife, même si je ne vaux pas
mieux que vous. Aidez-moi quand je suis sur le droit chemin.
Mettez-moi sur ce dernier quand je m’égare. La vérité est la base
de la confiance. La fausseté est une trahison » : Cité par Afzal
Iqbal : Diplomacy in early Islam, 4ème édition, Institute of Islamic
Culture, Lahore, 1988, pp. 173-174.

« Les Comores sont un pays où règnent les hommes, pas les lois.
Quiconque peut enfreindre, bafouer et braver toutes les lois qu’il
veut, tant et aussi longtemps que l’homme du jour assure ses
arrières » : Atossa Araxia Abrahamian : Citoyennetés à vendre.
Enquête sur le marché mondial des passeports, Lux Éditeur,
Collection « Futur proche », Montréal, 2016, p. 36.
SIGLES OFFICIELS EMPLOYÉS

ACCPUF : Association des Cours constitutionnelles ayant en


partage l’usage du français
ACCT : Agence de Coopération culturelle et technique
ACP : Afrique, Caraïbes et Pacifique
AMISEC : Mission de l’Union africaine pour la Sécurisation
des Élections aux Comores
AND : Armée nationale de Développement
APOI : Annuaire des Pays de l’océan Indien
ASÉC : Association des Stagiaires et Étudiants comoriens
BCC : Banque centrale des Comores
BDC : Banque de Développement des Comores
CCFD : Comité catholique contre la Faim et pour le Déve-
loppement
CÉE : Communauté économique européenne
CEFADER : Centre fédéral d’Appui au Développement rural
CÉNI : Commission électorale nationale indépendante
CNJA : Conseil national de la Jeunesse et de l’Avenir
CNPLC : Commission nationale de Prévention et de Lutte
contre la Corruption
CPAN : Comité de Pilotage des Assises nationales
COI : Commission de l’océan Indien
CRC : Convention pour le Renouveau des Comores
DOM : Département d’outre-mer
EÉDC : Eau et Électricité des Comores
ÉNES : École nationale d’Enseignement supérieur
ÉNPC : École nationale des Ponts et Chaussées
FAC : Forces Armées comoriennes
FAO : Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation
et l’Agriculture
FD : Front démocratique
FMI : Fonds monétaire international

11
FNUC : Front national uni des Comores
FPC : Front patriotique des Comores
GP : Garde présidentielle
IIAP : Institut international d’Administration publique
KMF : Franc comorien
LÉA : Ligue des États arabes
MOLINACO : Mouvement de Libération nationale des Comores
MPM : Mouvement populaire mahorais
MSF : Médecins sans frontières
OIF : Organisation internationale de la Francophonie
OPT : Office des Postes et Télécommunications
ORTC : Office de Radiotélévision des Comores
OUA : Organisation de l’Unité africaine
PAS : Programme d’ajustement structurel
PASOCO : Parti socialiste des Comores
PCM : Parti communiste marocain
PLS : Parti de la Libération et du Socialisme
PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développe-
ment
PPS : Parti du Progrès et du Socialisme
PUF : Presses universitaires de France
PUG : Presses universitaires de Grenoble
RADÉCO : Rassemblement pour le Développement des Comores
RADHI : Rassemblement pour une Alternative de Dévelop-
pement harmonisé et intégré
RFI : Radio France Internationale
RFIC : République fédérale islamique des Comores
RIDJA : Rassemblement pour une Initiative de Développement
avec une Jeunesse avertie
SCH : Société comorienne des Hydrocarbures
TOM : Territoire d’outre-mer
UNDC : Union nationale pour la Démocratie aux Comores
UPC : Union comorienne pour le Progrès
UPDC : Union pour le Développement des Comores
USFP : Union socialiste des Forces populaires

12
INTRODUCTION GÉNÉRALE

Les Comoriens ont-ils une prédilection pour la politique ? Cette dernière est
leur principal sujet de discussion. D’ailleurs, il n’est pas rare de les entendre
dire que la politique est leur « sport national ». L’intérêt des Comoriens pour
la politique est une réalité, mais qu’en est-il de leur propre conception et
façon de faire la politique ? La question vaut d’être posée, et elle permet de
constater qu’il n’y a pas une seule façon, mais des façons de concevoir et de
faire la politique aux Comores. La pluralité constatée en la matière renvoie à
la pluralité et à la complexité de la société comorienne.
La société comorienne est complexe. Cette complexité se constate au sein
de chaque île, et d’une île à une autre. Elle incite l’observateur à s’interroger
sur l’existence d’une société comorienne ou d’une pluralité de sociétés aux
Comores. En d’autres termes, peut-on parler de la « société comorienne » ou
des « sociétés comoriennes » ? Il est nécessaire de se poser la question parce
que, nonobstant ce qui est considéré comme commun aux Comoriens, force
est de constater que les divergences existent en matière sociopolitique, et ce
qui est valable sur une île donnée peut ne pas l’être ailleurs. À preuve, la
Grande-Comore présente bien de spécificités par rapport aux autres îles de
l’archipel des Comores, et cette singularité insulaire constitue une source de
désaccords et mésententes entre Comoriens, pendant que certains font tout
pour ramener les Comores à la seule île de la Grande-Comore.
De manière générale, depuis au moins la Révolution d’Ali Soilihi (3 août
1975 – 13 mai 1978), la société comorienne fait l’objet de graves accusations
de « féodalité » et de « conservatisme », sans qu’on ne sache vraiment si les
accusateurs eux-mêmes sont des partisans de cette « féodalité » ou s’ils sont
des modernistes. En effet, comme nous l’étudierons avec plus de détails lors
des développements ultérieurs, Ali Soilihi était le plus grand pourfendeur du
grand mariage, si cher aux Grands-Comoriens. Après son assassinat inutile
et violent le 29 mai 1978, de nombreux groupements politiques se réclament
de lui, sont inconciliables, sont dans l’impossibilité de travailler ensemble, et
sont tous dirigés par des chantres du grand mariage qui, pourtant, disent en
public : « Le grand mariage est une vraie malédiction ».

13
En janvier 2013, à Bobigny, en région parisienne, j’avais décidé d’assister
à une énième conférence consacrée au sempiternel thème du grand mariage.
Le Mohélien que je suis n’a pas résisté à la tentation de poser une question
au Grand-Comorien qui faisait office de conférencier : « Pourquoi tous les
Grands-Comoriens qui disent être opposés au grand mariage finissent tous
par succomber à son charme et à le célébrer avec faste et éclat ? ». Je fus
quand même très surpris d’entendre le conférencier parler pompeusement de
« pression sociale », expliquant que lui-même était contre le grand mariage
mais qu’il avait dû céder à la fameuse « pression sociale ». Trois ans plus
tard, plus précisément en 2016, le conférencier de Bobigny se lança dans une
croisade destinée à interdire le grand mariage entre les habitants de « sa »
ville de Moroni et les « étrangers », qu’ils soient Grands-Comoriens ou pas,
qu’ils soient Comoriens ou pas. Cette prise de position extrémiste ne m’avait
guère surpris.
Le chauvinisme villageois et insulaire est un déterminant sociopolitique.
Par ailleurs, les études sur certains aspects de la société comorienne sont
légion. Mais, à ce jour, les auteurs, qu’ils soient comoriens ou étrangers, ont
évité de faire une analyse de la sociologie politique globale sur les Comores.
Certains sujets comme le grand mariage ont tellement mobilisé les auteurs
que ceux-ci ont oublié que les Comores ne se limitent pas à cette thématique,
quel que soit son intérêt pour certains.
Aussi, la présente étude a-t-elle pour objet de constituer une réflexion et
une analyse d’ensemble sur les relations spécifiques que les citoyens ont
avec l’État et ses institutions aux Comores, en même temps que les relations
de domination entretenues par les groupes sociaux dans ce pays.
Une telle étude présente un grand intérêt dans la mesure où elle permet de
mettre en lumière la nature et l’identité des dirigeants, les relations sociales
qui sont à la base de la conquête et de l’exercice du pouvoir, l’affectation du
pouvoir politique par diverses personnes physiques et morales mais aussi par
des groupements sociaux.
Dès lors, de nombreuses questions se posent sur cette société plurielle des
Comores et sur ses relations avec le phénomène du pouvoir : en quoi est-elle
marquée par la féodalité ? Quelles étaient les accusations formulées par Ali
Soilihi sur cette société et comment comptait-il la réformer ? Quels sont les
facteurs objectifs qui l’ont empêché de réussir ses réformes d’une société
qu’il qualifiait de « féodale » et de foncièrement « conservatrice » ?
En quels termes s’analyse le primat de l’insularité et du culte du village
natal du chef sur l’État ? Les Comores privilégient-elles le primat du Droit
ou celui de la force et de la fraude comme moyen d’accession au pouvoir
politique et de son exercice ? Ces facteurs objectifs ne sont-ils pas de nature
à fragiliser les institutions publiques et à éroder l’autorité de l’État ?
Cependant, avant de répondre à ces questions, il serait approprié de nous
intéresser à la définition de la sociologie politique (I.) et à la présentation du
champ d’études retenu, à savoir : les Comores (II.).

14
I.- DE LA SOCIOLOGIE À LA SOCIOLOGIE POLITIQUE
Intéressons-nous, tout d’abord, à la notion de « sociologie » (A.) avant de
nous pencher sur celle de « sociologie politique » (B.).

A.- COMMENT DÉFINIR LA SOCIOLOGIE ?


La définition de la sociologie soulève deux séries d’interrogations : d’une
part, le sens de la notion elle-même, et d’autre part, ses origines.
Tout d’abord, la sociologie est l’étude des faits sociaux. Cette étude est de
nature scientifique et est basée sur l’observation de la réalité vécue par un
groupe social donné. Pour Madeleine Grawitz, « la sociologie est l’étude de
la réalité sociale. Les préoccupations philosophiques sur la nature de la
société, ou morales sur les moyens de l’améliorer, sont aussi anciennes que
la réflexion sociale, politique ou philosophique, mais ce n’est qu’à partir du
moment où l’on a observé les faits sociaux, en les séparant des jugements de
valeur, que la sociologie est née en tant que science. […] La sociologie se
développe comme une lutte, une juxtaposition ou une conciliation entre deux
tendances préexistantes et opposées : une pensée théorique et une recherche
pratique, souvent inspirée par une volonté réformatrice. L’une ou l’autre
domine, suivant les périodes et les pays »1.
Dans cet ordre d’idées, en tant que science, la sociologie peut être définie
au regard de sa principale mission : « Sa mission première est de révéler à
une société, qui a perdu tout fondement extérieur à elle-même, les secrets de
son fonctionnement et, par là, d’aider les hommes à mieux maîtriser un
destin laissé autrefois aux seuls soins de la providence. Avec elle, on entre
dans l’âge positif des sociétés si bien incarné par formule d’Auguste Comte :
“Savoir pour prévoir et pourvoir” »2.
C’est justement à Auguste Comte (1798-1857) qu’on doit la paternité du
terme « sociologie ». Pour autant, il faudra constater qu’avant l’apparition de
cette notion, il n’hésitait pas à emprunter l’expression « physique sociale »,
née sous la plume de Thomas Hobbes (1588-1679), expression reprise par
la suite par le statisticien belge Adolphe Quételet (1796-1874) : « J’entends
par physique sociale, la science qui a pour objet propre l’étude des phéno-
mènes sociaux »3.
Auguste Comte estimait que pour mener une étude sociologique digne de
ce nom, il fallait étudier les faits sociaux comme s’ils étaient des données
physiques, chimiques, astronomiques ou physiologiques. En d’autres termes,
la sociologie est basée sur l’observation objective des faits de la société ou
du groupe social. Cette conception de la sociologie prévaut de nos jours.

1 Grawitz (Madeleine) : Méthodes des sciences sociales, 11ème édition, Dalloz, Paris, 2001,
p. 79.
2 Étienne (Jean), Bloess (Françoise), Noreck (Jean-Pierre) et Roux (Jean-Pierre) :

Dictionnaire de sociologie, Hatier, Collection « Initial », Paris, 2004, p. 354.


3 Cité par Arnaud (Pierre) : Sociologie de Comte, PUF, Paris, 1969, p. 18.

15
Pour pouvoir étudier les faits sociaux de manière objective et efficace, la
sociologie impose une démarche très rigoureuse, et celle-ci est relative à la
façon par laquelle le sociologue va observer la société. Qu’il appartienne à
celle-ci ou non, cette observation doit être dépourvue de toute subjectivité.
En d’autres termes, il est nécessaire de prendre en considération le fait que
« si l’on veut comprendre quel est l’objet de la sociologie, il faut être en
mesure de prendre mentalement ses distances avec soi et se percevoir
comme un homme parmi d’autres.
Car la sociologie s’occupe des problèmes d’une “société” à laquelle
appartient quiconque réfléchit sur elle et l’étudie. Actuellement, la réflexion
sur soi reste souvent au stade où l’on prend conscience de soi, mais
seulement comme d’une personne à laquelle s’opposent d’autres hommes,
considérés comme “objets” ; s’y ajoute le sentiment d’être séparé d’eux par
un gouffre infranchissable »1.
La sociologie étudie donc les problèmes d’une société donnée. Cette étude
n’a de sens que si elle a des objectifs scientifiques. Elle doit être menée de
façon également scientifique.
En ce qui concerne la genèse de la sociologie, et en prenant en compte les
précisions ainsi faites, il conviendrait de porter le regard sur les origines de
cette science, et cela, en répondant à la question suivante : qui est le père de
la sociologie ? Sur ce sujet, les avis sont partagés. Pour preuve, parlant de
Claude Henri Comte de Saint-Simon (1760-1825), Émile Durkheim estime
que, sans nul doute, il « mérite plus qu’[Auguste] Comte le titre de père
spirituel de la sociologie contemporaine », alors que, s’agissant d’Auguste
Comte, « il est considéré (lui aussi !) comme le père de la sociologie »2.
Pourtant, le Tunisien Abderrahmane Ibn Khaldoun (1332-1406) est, lui
aussi, considéré comme le vrai père de la sociologie. C’est ainsi que Zakya
Daoud le qualifie d’« ancêtre des sociologues »3. Nous retrouvons la même
idée dans les écrits de l’universitaire marocain Ali Benhaddou, pour qui,
« Ibn Khaldoun, fondateur de la sociologie moderne, avait dès le XIVème
siècle attribué aux élites maghrébines le caractère de tribalisme, d’où leur
division tant économique que politique et sociale »4. Cyril Glassé ne dit pas
autre chose, parce qu’il considère que, « souvent surnommé le “le père de
l’historiographie” Ibn Khaldûn est né en Tunisie. […]. Ibn Khaldûn était un
observateur pénétrant de la nature humaine. Il remarqua la tendance
naturelle des hommes à admirer et à respecter le pouvoir, à tel point que des
peuples conquis adoptaient souvent les coutumes de leurs vainqueurs et

1 Élias (Norbert) : Qu’est-ce que la sociologie ? Éditions de l’Aube, Collection « Agora », La

Tour d’Aigues, 1991, p. 7. (223 p.).


2 Grawitz (M.) : Méthodes des sciences sociales, op. cit., p. 81.
3 Daoud (Zakya) : Gibraltar croisée des mondes. D’Hercule à Boabdil, Éditions Séguier,

Collection « Les Colonnes d’Hercule », Paris, 2002, p. 291.


4 Benhaddou (Ali) : Les élites du Royaume. Enquête sur l’organisation du pouvoir au Maroc,

Riveneuve Éditions, Paris, 2009, pp. 55-56.

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jusqu’à leurs vêtements. Ses observations dans ce domaine furent poussées
au point que l’on pourrait également le surnommer à juste titre “père de la
sociologie” »1. Le Roi Hassan II reconnaît également la paternité spirituelle
en question : « D’abord, Ibn Khaldoun, même s’il a inventé la sociologie,
était aussi un agité, un politicien maladroit qui réussissait à se faire mettre
en prison chaque fois qu’il passait dans une capitale »2.
Au-delà des divergences apparues sur son réel pionnier, force est de noter
qu’une unanimité se dégage pour reconnaître que la sociologie est la science
basée sur l’étude des réalités d’une société donnée. Même si la définition de
la sociologie semble ne soulever aucun problème particulier, on ne peut que
déplorer l’acharnement de certains sociologues contemporains parmi les plus
adulés et sanctifiés à s’exprimer dans un langage illisible et indéchiffrable
même pour les autres chercheurs. J’en fis l’amère et difficile expérience de
2005 à 2013, période au cours de laquelle je travaillais sur la sociologie des
élites marocaines ayant choisi de façon durable ou temporaire le métier de la
diplomatie3.

B.- COMMENT DÉFINIR LA SOCIOLOGIE POLITIQUE ?


La sociologie politique est la science qui étudie les phénomènes politiques
à la lumière de la sociologie. En d’autres termes, il s’agit d’une approche
sociologique du phénomène du pouvoir. La sociologie politique étudie les
faits politiques, et constitue une approche sociologique de la politique. Elle
se limitait souvent aux agissements des personnalités publiques et portait une
profonde empreinte du Droit et de l’Histoire. Aujourd’hui, elle a prouvé son
utilité et son autonomie à l’égard des autres sciences. Dans l’ensemble, elle
aide scientifiquement à rendre intelligibles les différents phénomènes qui
sont considérés comme d’essence politique. Fait très important, la sociologie
politique n’est pas indépendante de la sociologie générale.
Dès lors, l’analyse des phénomènes politiques aux Comores sous l’angle de
la sociologie permettra de vérifier ce postulat de base.
Maintenant, interrogeons-nous sur la définition de la sociologie politique,
notamment pour faire ressortir ses spécificités.
Pour aller à l’essentiel, notons que pour Jean-Pierre Cot et Jean-Pierre
Mounier, « la sociologie politique est la fille incestueuse de l’histoire et du
droit. Cette histoire malheureuse la marque encore profondément et entrave
son développement. La double tradition, historique et juridique, domine
toujours notre discipline et empêche de la rattacher à la sociologie, où elle

1 Glassé (Cyril) : Dictionnaire encyclopédique de l’Islam, Préface de Jacques Berque, traduit


et adapté de l’anglais par Yves Thoraval, Bordas, Paris, 1991, p. 169.
2 Hassan II : La Mémoire d’un Roi. Entretiens avec Éric Laurent, Plon, Paris, 1993, p. 95.
3 Riziki Mohamed (Abdelaziz) : Sociologie de la diplomatie marocaine, Thèse de Doctorat

en Science politique, Centre de Recherches politiques de la Sorbonne (CERPS), Université


Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, Paris, 5 février 2013 (480 p.).

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trouve pourtant sa place naturelle. L’analyse des faits politiques a d’abord
été menée dans une perspective historique. Et plus précisément dans le
cadre de la petite histoire, celle des grands hommes. L’histoire anecdotique,
événementielle, a persisté dans le domaine politique bien après qu’elle fut
abandonnée par les historiens eux-mêmes »1.
Se libérant de la tutelle de l’Histoire et du Droit, la sociologie politique a
fini par devenir une science autonome, qui garde une relation réelle avec la
sociologie générale. En effet, la sociologie politique reste liée à la sociologie
générale, en ayant comme champ d’investigation les faits politiques qui se
produisent au sein d’une communauté donnée, qu’elle soit étatique ou non.
De fait, « l’initiation à la sociologie de la politique n’est pas séparable
d’une initiation sociologique générale, parce que la politique ne constitue
pas un domaine séparé dans la société. La sociologie de la famille, la
sociologie de la sexualité, la sociologie des entreprises, la sociologie du
travail, la sociologie du sport, etc., forment des branches particulières assez
faciles à distinguer. Au contraire, la sociologie politique est un aspect de ce
tronc et de beaucoup de ses branches. Tout – ou presque tout – est partiel-
lement politique et rien – ou presque rien – n’est totalement politique. […].
Deux grandes conceptions de la sociologie politique s’affrontent : pour les
uns, elle est la science de l’État ; pour les autres, la science du pouvoir »2.
Ce constat est d’une grande importance.
De nombreux auteurs insistent sur la relation entre la sociologie politique
et l’État, mais aussi le rapport entre la sociologie politique et le phénomène
du pouvoir de manière générale.
Dès lors, une question se pose avec acuité : faut-il définir la sociologie
politique en tant que science consacrée à l’État ou comme une science qui
privilégie le phénomène du pouvoir, que ça soit au sein de l’État ou dans les
autres groupes humains ? Pour Maurice Duverger, « la conception de la
sociologie politique la plus répandue en Occident la définit comme la
science du pouvoir, du gouvernement, de l’autorité, du commandement, dans
toutes les sociétés et dans tous les groupes humains et pas seulement dans la
société nationale. […]. À cet égard, la conception “sociologie politique =
science du pouvoir” est plus opérationnelle que la conception “sociologie =
science de l’État” : car la première laisse ouverte la possibilité d’examiner
scientifiquement la nature du pouvoir dans l’État, par comparaison avec le
pouvoir dans les autres communautés, alors que la seconde ferme cette
possibilité. Si l’on étudie de façon comparative le pouvoir dans tous les
groupes humains, on pourra découvrir les différences de nature entre le
pouvoir dans l’État et le pouvoir dans les autres groupes, si elles existent.

1 Cot (Jean-Pierre) et Mounier (Jean-Pierre) : Pour une sociologie politique, Tome I,


Éditions du Seuil, Collection « Points Politiques », Paris, 1974, p. 11.
2 Duverger (Maurice) : Sociologie de la politique. Éléments de science politique, PUF,

Collection « Thémis – Science politique », 3ème édition, 1973, p. 22.

18
Au contraire, si l’on se borne à étudier le pouvoir dans le cadre du seul État,
on s’interdit de le comparer au pouvoir dans les autres groupes humains, et
de constater par là même que la différence de nature, qu’on a posée a priori,
n’existe peut-être pas dans les faits »1.
Pour sa part, Roger-Gérard Schwartzenberg considère que la sociologie
politique « étudie certains phénomènes sociaux : les phénomènes politiques.
Mais, qu’est-ce qu’un phénomène politique ? Là deux controverses existent.
En fonction de cette controverse sur l’objet même de la discipline, il existe
au moins deux grandes conceptions de la sociologie politique. La sociologie
politique, science de l’État. La première conception – qui est la plus
ancienne – s’en tient à l’étymologie du mot “politique”. La “polis”, la cité,
c’est aujourd’hui, l’État. Littré, d’ailleurs, définit la politique comme “la
science du gouvernement des États”. La sociologie politique – ou la science
politique – aura donc l’État comme objet d’étude. Ce sera la science de
l’État. […].
La sociologie politique, science du pouvoir. Malgré ces efforts pour
assouplir ou approfondir la thèse précédente, aujourd’hui la majorité des
auteurs soutient une conception plus moderne, plus réaliste et moins
formelle. La sociologie politique est la science du pouvoir (de l’autorité, du
commandement, du gouvernement) dans quelque société humaine que ce
soit, et pas seulement dans la société étatique. Dans tout groupe humain, en
effet, se retrouve ce que Léon Duguit appelait la distinction des “gouver-
nants” et des “gouvernés”. Le phénomène de l’autorité et du pouvoir n’est
pas propre à l’État ; il se retrouve dans toute “organisation sociale”, même
la plus réduite (entreprise, université, section de parti, de syndicat, etc.).
Précisée dans l’entre-deux-guerres avec Charles Merriam, Harold Laswell
et George Catlin, cette conception, qui fait du pouvoir le concept central de
la sociologie politique, est, désormais, la plus répandue. En France, par
exemple, c’est celle de Raymond Aron, Georges Burdeau, Maurice Duverger
et Georges Vedel »2.
Dès lors, Roger-Gérard Schwartzenberg en conclut que « la sociologie
politique est la branche des sciences sociales qui étudie les phénomènes du
pouvoir. Étant entendu que les manifestations les plus évidentes du pouvoir
se produisent dans le cadre étatique, mais qu’il s’en produit aussi d’autres
dans des cadres plus restreints »3.
Ce faisant, il est impossible d’étudier la sociologie politique sans porter son
regard sur le phénomène du pouvoir au sein d’une société donnée, celle des
Comores, dans le cas d’espèce.

1
Duverger (M.) : Sociologie de la politique. Éléments de science politique, op. cit., pp. 25-
26.
2 Schwartzenberg (Roger-Gérard) : Sociologie politique, 5ème édition, Montchrestien,

Collection « Domat Politique », Paris, 1998, pp. 30-31.


3 Schwartzenberg (R.-G.) : Sociologie politique, op. cit., p. 31.

19
Dominique Colas propose une définition proche de celle de Roger-Gérard
Schwartzenberg : « Sur un mode positif, on dira que la sociologie politique
étudie les relations de pouvoir qui se structurent dans des institutions dont
l’État-nation est la forme qui prédomine dans le monde moderne »1.
La sociologie politique est une nécessité ancienne, mais son apparition est
relativement récente. Son admission dans les milieux universitaires n’a pas
été facile. Pourtant, il n’y a pas une communauté qui échappe à la nécessité
de faire l’objet d’une étude de sociologie politique, surtout dans la mesure où
toute société est, par définition, appelée à évoluer, puisqu’elle est en constant
mouvement. Autant signaler que toute société humaine évolue, quel que soit
le rythme suivi.
En effet, « jamais, sans doute, la prescription que s’était assignée Alexis de
Tocqueville en inaugurant par son analyse De la Démocratie en Amérique
[…] la politologie moderne n’aura paru si pertinente et si opportune : au
regard des mouvements historiques en cours qui bouleversent, en même
temps que les réalités politiques contemporaines les plus familières, nombre
de leurs schèmes explicatifs éprouvés, l’exigence d’innovation qu’il posait
en principe fondateur du projet d’une connaissance scientifique du politique
s’impose, aujourd’hui plus encore qu’hier, l’évidence de son urgence »2.
Par ailleurs, en étudiant la sociologie politique, on peut aborder l’un de ses
aspects les plus importants : la sociologie des élites ou de l’élite, celle de la
classe dirigeante. La façon par laquelle celle-ci gouverne un pays se situe au
cœur de la problématique envisagée. Cette notion d’élite ou des élites peut
soulever moult problèmes dans le cas de certaines communautés spécifiques,
quand le mérite n’est pas considéré comme une condition de base.
De fait, « parler de l’élite, au singulier, c’est opposer ceux qui sont les
meilleurs dans leur domaine d’activité aux individus moyens, à tous ceux
qui, sans être dépourvus de talents, ne se distinguent en rien de la grande
masse de leurs semblables. La conception sous-jacente est celle d’une
opposition dichotomique plus ou moins précise entre la masse et ceux qui
émergent du lot. Le domaine d’activité dont il est question est très souvent la
gestion de la chose publique. Le terme d’élite, pris au singulier, sera donc
fréquemment synonyme d’élite dirigeante ou d’élite gouvernementale »3.
Au centre de la sociologie politique, l’activité politique est considérée telle
une activité sociale. Dès lors, elle s’éloigne de toute démarche philosophique
et doit se rattacher à des méthodes empiriques et expérimentales.
La sociologie politique a ses thèmes de prédilection, et parmi eux, existent
en bonne place l’État et ses institutions, les élites, les modes de désignation

1 Colas (Dominique) : Sociologie politique, 2ème édition, PUF et Quadrige, Paris, 2002, p.
XV.
2 Denni (Bernard) et Lecomte (Patrick) : Sociologie du politique, PUG, Collection « Le

politique en plus », Tome I, Troisième édition revue et augmentée, Grenoble, 1999, p. 7.


3 Coenen-Hunter (Jacques) : Sociologie des élites, Armand Colin/SEJER, Collection

« Cursus », Paris, 2004, p. 5.

20
des gouvernants, la manière dont cette désignation se fait, les organisations
politiques, les actions collectives, etc. Cela étant, il est nécessaire de préciser
que certains comportements sociaux semblent ne pas entretenir de relations
directes avec la politique alors qu’ils ont des répercussions politiques.
La sociologie politique traite des différents faits politiques comme des faits
sociaux, compte tenu de leur dimension sociale, mais en tenant compte de
leurs propres originalités.
En étudiant la réalité politique d’un groupe, la sociologie politique analyse
aussi ses institutions. Même si elle ne se limite pas à l’État et à ses diverses
institutions, on remarque que « […] les institutions constitutives des régimes
politiques qui structurent le plus directement la vie politique (parlements,
gouvernements, présidents, partis politiques, etc.) ont été beaucoup moins
mises à l’agenda des recherches sociologiques. Lorsqu’elles l’ont été, c’est
le plus souvent celles des régimes totalitaires qui ont été analysées, comme
si les institutions politiques des régimes démocratiques contemporains ne
soulevaient aucun problème politique et scientifique.
Ce sont pourtant des institutions comme les autres ; à ceci près qu’elles
cumulent un certain nombre de caractéristiques que les autres ne possèdent
que partiellement et dans une moindre mesure. Pour commencer, elles ont
un pouvoir normatif à nul autre pareil qui leur permet de classer, de
nommer, d’organiser l’ensemble des activités et des groupes sociaux, tout en
établissant des hiérarchies, en fixant des priorités, en assignant des identités
sociales, etc. De la naissance jusqu’à la mort, notre vie quotidienne est ainsi
affectée par les multiples activités des institutions politiques et leurs produits
– politiques publiques, lois, décrets, etc. »1.
Au vu de ce qui précède, la sociologie politique a de multiples implications
sur le plan pratique. Elle présente un grand intérêt pour les Comores, un pays
doté d’un système politique très complexe et dont les bases ont été jetées au
Moyen-Âge. C’est pour cette raison qu’en son temps, le président Ali Soilihi
ne manquait pas une occasion pour fustiger une « féodalité » incompatible
avec l’évolution l’État moderne qu’il comptait instaurer.
Mais, que peut-on dire sommairement sur cet État comorien en tant que
champ d’études retenu dans le cadre de la présente analyse ?

1 Dulong (Delphine) : Sociologie des institutions politiques, La Découverte, Collection


« Repères », Paris, 2012, pp. 3-4.

21
II.- PRÉSENTATION DU CHAMP D’ÉTUDES : LES COMORES
Deux idées principales vont permettre de présenter les Comores en relation
avec la sociologie politique, à savoir : l’évolution politique (A.) et l’évolution
institutionnelle du pays (B.).

A.- L’ÉVOLUTION POLITIQUE


Les Comores. Les Comoriens sont convaincus que leur pays est important,
l’un des plus importants, voire le plus important au monde. De surcroît, il est
de notoriété publique que certains Comoriens considèrent que les dirigeants
des grandes puissances, dès leur réveil, consacrent toutes leurs discussions
aux Comores. D’autres Comoriens se répandent en rumeurs selon lesquelles
en France, existent des institutions « impérialistes » dirigées par de méchants
et dangereux agents du « néocolonialisme » chargés de « la déstabilisation
chronique et la destruction totale des Comores ». Or, il faudrait être très
prudent sur le sujet parce que, souvent, à l’évocation du mot « Comores », on
peut déclencher les réactions suivantes quand on a en face de soi des non-
Comoriens à l’étranger : « Les Comores ? Ah ! Bob Denard ! », « Excusez-
moi si je vous dis que je suis incapable de situer les Comores sur une carte.
Au fait, elles se trouvent où ? », « Les Comores ? Le Cameroun ? », etc.
En d’autres termes, les Comores souffrent d’un grave déficit de notoriété
parce que, soit elles sont surtout connues sous l’angle entièrement négatif du
mercenariat de l’époque de Robert « Bob » Denard (1975-1995), soit parce
qu’elles sont inconnues à l’étranger ; ce qui est tout à fait normal pour un
petit archipel de l’océan Indien dont la superficie se limite à 2.171 km², et
encore, quand on y inclut Mayotte, une île de l’archipel des Comores qui a
voté en faveur de son ancrage au sein de la République française, au lieu de
l’indépendance, comme les îles de Mohéli, Anjouan et Grande-Comore, lors
du référendum d’autodétermination du 22 décembre 1974.
Pour autant, il n’y a pas que ce problème de notoriété, d’identification et de
reconnaissance des Comores sur le plan mondial ; en effet, il y a aussi les
mystifications. Ces dernières sont d’autant plus réelles que ceux qui estiment
être « les bons et vrais Comoriens » ont tendance à réécrire « leur » Histoire
des Comores, n’hésitant pas à procéder aux falsifications les plus grossières.
Le domaine dans lequel ces « bons et vrais Comoriens » s’illustrent le plus et
avec fracas est celui de l’unité politique de l’archipel des Comores vue sous
un angle historique.
Pour mieux saisir cette pathétique mystification, il faut se poser la simple
question de savoir si, avant la colonisation française, les Comores pouvaient
être considérées comme constituant un ensemble politique uni et unitaire. À
cette question, « les bons et vrais Comoriens » répondent par l’affirmative,
prétendant que quand la France commença la colonisation, île après île, de
l’archipel des Comores, celui-ci avait un pouvoir politique unique et unifié.

22
Cette affirmation est entièrement fausse et ne repose sur aucune vérité liée à
l’Histoire tourmentée du pays. Rien qu’au niveau de la Grande-Comore, on
pouvait compter un sultanat par région, et l’île en compte sept. Plus grave
encore, des roitelets issus de la même famille se livrèrent durablement à la
guerre pour asseoir leur pouvoir sur une île fragmentée politiquement. À
Mohéli, les villes de Fomboni et Nioumachioi avaient chacune un sultanat. À
Anjouan, il y avait au moins le sultanat de Mutsamudu et celui de Domoni.
En d’autres termes, aucune île n’avait son unité politique, et à plus forte
raison, l’archipel des Comores dans sa globalité. Les Comores n’ont jamais
eu un semblant d’unité politique avant la colonisation française et, en plus,
au moment où la France étendait graduellement sa domination sur ces îles,
celles-ci venaient de sortir des interminables conflits entre îles voisines ayant
été à l’origine de l’expression « Archipel aux sultans batailleurs ».
Qui plus est, à ce jour, « les bons et vrais Comoriens » n’ont pas encore été
en mesure de citer le nom d’un seul suzerain du XIXème siècle ou des siècles
précédents portant le titre de « sultan des Comores ».
En réalité, l’unité politique des Comores commença à se définir quand, en
1841, la France « acheta » Mayotte à Andria Tsouli, l’usurpateur malgache
d’origine sakalava, avant d’obtenir des autres îles une reddition sous forme
de « traités », dont celui de la Grande-Comore, de Mohéli et d’Anjouan.
C’est en 1917 que l’unité politique de l’archipel des Comores a été réalisée
pour la première fois, et cela, dans des conditions politiques controversées,
parce qu’il s’agissait de placer les quatre îles sous le pouvoir des autorités
françaises de Madagascar, les Comores devenant une dépendance de cette île
et étant alors qualifiées de manière infâme et infamante de « colonie d’une
colonie ».
En 1947, les Comores devinrent un territoire français doté de l’autonomie
interne qui allait rejeter l’indépendance lors du référendum organisé en 1958
dans toutes les colonies françaises pour que ces dernières se décident soit en
faveur de l’indépendance, soit pour leur maintien au sein de la Communauté
française, une Communauté sur laquelle Charles de Gaulle ne se faisait pas
d’illusion, lui qui la qualifiait de « foutaise ». Philippe Gaillard rappelle à
Jacques Foccart que « vous avez déjà souligné que la Communauté, dans
l’esprit du général de Gaulle, était, dès l’origine, destinée à évoluer. Au
cours du voyage, à Abidjan [1958], il l’a exprimé de manière plus brutale
dans une conversation privée avec Jean Mauriac, l’envoyé spécial de
l’Agence France Presse. “La Communauté, a-t-il dit, c’est de la foutaise.
Quand ces gens y seront entrés, ils n’auront qu’une idée, c’est d’en sortir”.
Mais, a-t-il ajouté, “il fallait la faire” »1.
À l’évocation de cette évaluation de Charles de Gaulle, Louis Sanmarco,
ancien administrateur de colonies françaises en Afrique, affirma : « Oui ! Il

1
Gaillard (Philippe) et Foccart (Jacques) : Foccart parle. Entretiens avec Philippe
Gaillard, Tome I, Fayard et Éditions Jeune Afrique, Paris, 1995, p. 169.

23
fallait la faire… Vous n’imaginez pas à cette époque la pression d’un Sartre
sur ses étudiants à l’université, et sur l’opinion française. On bourrait le
crâne des étudiants avec des théories anticolonialistes, alors il fallait se
battre sur tous les fronts »1.
Dans le cas particulier des Comores, et fait politique hautement marquant,
avant même l’organisation du référendum d’autodétermination, les Mahorais
avaient clairement expliqué aux autres Comoriens que si leurs îles à eux se
prononçaient pour la décolonisation, l’île de Mayotte choisirait de rester sous
l’administration de la France. D’ailleurs, « le 2 décembre 1958 (après la
naissance de la Vème République française), les conseillers de Mayotte intro-
duisaient à l’Assemblée territoriale des Comores une proposition de loi
fixant les grandes lignes de la séparation et le choix de faire de Mayotte un
département français. L’Assemblée territoriale opte plutôt pour le maintien
du statut de “territoire d’outre-mer des Comores” composé de quatre îles
[…] »2.
Depuis 1947, Saïd Mohamed Cheikh domine la vie politique aux Comores.
En 1961, il commit l’irréparable faute du transfert de la capitale des îles
Comores de Pamandzi, sur l’île de Mayotte, à Moroni, à la Grande-Comore.
Il ne se contenta pas de procéder à ce transfert ; il refusa la présence de tout
Mohélien et de tout Mahorais dans « son » gouvernement, refusa de prendre
en compte les doléances des Mahorais au sujet d’une barge devant permettre
les liaisons maritimes entre les deux principales parties de Mayotte, Grande
Terre et Petite Terre. En 1966, il se faisait lapider à Mayotte, qu’il quitta
sous les habits d’une femme. Ce fut la dernière fois que le principal dirigeant
des Comores séjournait à Mayotte. Dès lors, au lieu d’aller vers l’apaisement
entre Comoriens, Saïd Mohamed Cheikh choisit d’isoler et de marginaliser
Mayotte – ainsi que Mohéli. Cette politique suicidaire marqua durablement
et même définitivement les esprits, surtout à Mohéli et à Mayotte.
Pourtant, se plaçant toujours sous l’angle de la mystification et en optant
pour la falsification de l’Histoire, « les bons et vrais Comoriens » n’hésitent
jamais à prétendre mensongèrement et fallacieusement que Saïd Mohamed
Cheikh ne serait pas responsable du transfert de la capitale des Comores de
Mayotte, mais qu’il est tombé sur un piège que lui aurait tendu la France. En
réalité, au moment où Saïd Mohamed Cheikh organisait la partition de tout
un pays, il avait été averti par la notabilité de la Grande-Comore, qui avait
attiré son attention sur le fait que son mépris envers Mayotte préfigurait tout
simplement l’éclatement du pays. Il avait dédaigné la voix de la sagesse, et
s’était réfugié dans un mépris total envers les Mohéliens et les Mahorais.

1 Gouverneur Sanmarco et Mbajum (Samuel) : Entretiens sur les non-dits de la décolo-


nisation. Confidences d’un administrateur des colonies, Préface du Président Abdou Diouf,
Les Éditions de l’Officine, Paris, 2007, p. 55.
2 Mahamoud (Ahmed Wadaane) : Mayotte : le contentieux entre la France et les Comores,

L’Harmattan, Paris, 1992, pp. 21-22.

24
D’ailleurs, ses injures publiques envers les Mohéliens sont restées dans la
mémoire collective des Comoriens, et personne ne peut expliquer l’utilité de
ces insultes envers une partie de la communauté nationale comorienne. Il
mourut en 1971, et c’est Saïd Ibrahim qui lui succéda. Ce dernier avait été
beaucoup plus accommodant envers Mayotte et Mohéli, mais le mal était
déjà fait. En 1972, des Députés grands-comoriens comme lui n’avaient pas
hésité à préparer une motion de censure contre lui, en ayant recours à une
corruption d’une partie des parlementaires en présence. C’est ainsi que le
Député Soilihi Mohamed Soilihi de Djoiezi, Mohéli, avait reçu la somme de
500.000 francs (1.000 euros), avant d’être séquestré jusqu’au moment du
vote de la motion de censure, l’intéressé étant connu pour ses revirements
politiques spectaculaires et déroutants. Ahmed Abdallah Abderemane, né à
Domoni, Anjouan, en 1919, devint le président du Conseil de Gouvernement
après cette motion de censure.
En 1973, la classe politique comorienne réalisa un consensus national sur
le projet d’acheminement de l’archipel vers l’indépendance. Cependant, lors
du référendum d’autodétermination du 22 décembre 1974, Mayotte vota en
faveur de son maintien sous administration française. Cette situation confuse
et spécifique eut des répercussions politiques et diplomatiques particulières,
dans la mesure où le décompte des voix se fit non pas sur une base globale et
nationale, mais sur un décompte île par île. Cela allait mettre en opposition
deux discours officiels français.
Dans un premier temps, nous retrouvons le discours que, Pierre Messmer,
alors ministre français des DOM-TOM, avait prononcé le 31 janvier 1972 et
dans lequel figure la véhémente affirmation selon laquelle, « Mayotte française
depuis cent trente ans peut le rester pendant autant d’années si elle désire. Les
populations seront consultées dans ce but, et il sera procédé, à cette occasion,
à un référendum île par île ».
Or, alors président de la République française, Valéry Giscard d’Estaing
tiendra un discours tout à fait différent au cours de la conférence de presse du
24 octobre 1974 : « Est-il raisonnable d’imaginer qu’une partie de l’archipel
devienne indépendante et qu’une île, quelle que soit la sympathie qu’on puisse
éprouver pour ses habitants, conserve un statut différent ? Je crois qu’il faut
accepter les réalités contemporaines. Les Comores sont une unité, ont toujours
été une unité ; il est naturel que leur sort soit un sort commun, même si, en
effet, certains d’entre eux pouvaient souhaiter – et ceci naturellement nous
touche et bien que nous ne puissions pas, ne devions pas en tirer les consé-
quences – même si certains pouvaient souhaiter une autre solution. Nous
n’avons pas, à l’occasion de l’indépendance d’un territoire, à proposer de
briser l’unité de ce qui a toujours été l’unique archipel des Comores ».
À ce sujet, le témoignage de Jacques Foccart est très éclairant et vaut d’être
connu : « Le Général n’attachait pas beaucoup d’importance aux Comores.
“S’ils veulent partir, qu’ils partent”, résumait-il. Mais il était sensible aux
doléances des habitants de Mayotte. Sans envisager de donner suite aux

25
pétitions pour la transformation de l’île en département français rattaché à la
Réunion, il commentait : “Nous ne pouvons pas livrer ces malheureux à Saïd
Mohamed Cheikh s’ils ne sont pas d’accord”. Lors de la visite à Paris d’une
délégation de Mayotte, il m’a donné pour consigne de ne pas encourager nos
visiteurs à se séparer des Comores, mais de leur dire qu’en cas de référendum
ils seraient consultés séparément.
Michel Debré et Pierre Messmer allaient plus loin que le Général sur ce
terrain. Ils voulaient isoler Mayotte pour en faire une entité française et
poussaient à cette consultation séparée. Pour ma part, j’étais convaincu qu’un
jour le sentiment comorien prendrait le dessus, et que nous aurions des
troubles à Mayotte, avec des conséquences pour la Réunion. Je le pense encore
en 1994. Les Mahorais sont choyés et satisfaits d’être français, mais l’histoire
n’est pas terminée. J’espère me tromper »1.
Du référendum d’autodétermination du 22 décembre 1974, naquit une grave
controverse juridique, politique et diplomatique due au fait que Mayotte, île
qui a rejeté l’indépendance, a été particulièrement agitée de 1973 à 1976, et
tenait absolument à ce que sa volonté de rester sous l’administration de la
France soit reconnue à la fois par les Comores et la France. Sans attendre la
fin des négociations tortueuses engagées sur la question par les autorités du
territoire des Comores et la France, Mayotte commençait à exiger le départ
des autres Comoriens de son sol, n’hésitant même pas à user à leur égard de
certains actes de violence.
Les années 1974-1975 sont celles de la rupture entre Mayotte et les autres
îles de l’archipel des Comores. Cette rupture était évitable, mais l’autorité
territoriale comorienne s’enferma elle-même dans ses propres pièges.
Les autorités territoriales comoriennes avaient commis la lourde faute de
ne pas tenir compte des avertissements du Mohélien Ali Hassanaly, ancien
étudiant à l’Institut international d’Administration publique (IIAP) et dernier
Préfet comorien de Mayotte avant l’indépendance. Le langage du Préfet
mohélien de Mayotte ne pouvait être du goût des autorités de Moroni parce
qu’il expliquait que les « Serrez-la-main », Mahorais favorables au futur État
comorien, étaient minoritaires face aux « Soldats », ceux des Mahorais qui
étaient farouchement hostiles au futur État comorien. Ali Hassanaly, en tant
que Mohélien, était l’acteur politique le mieux indiqué pour être Préfet de
Mayotte à l’époque. Il est Mohélien. Or, Mohéliens et Mahorais ont toujours
crié contre l’hégémonisme et l’hégémonie de la Grande-Comore et Anjouan.
Plus édifiant encore, de 1973 à 1974, les « Soldats » mahorais ont tout fait
pour entraîner les Mohéliens au rejet de l’indépendance. Les Mohéliens
étaient favorables au vote contre le projet de l’indépendance, mais au dernier
moment, le Député Soilihi Mohamed Soilihi et le grand notable Moustapha
Bacar Madi, deux personnalités politiques de Mohéli d’une grande influence,

1Gaillard (Ph.) et Foccart (J.) : Foccart parle. Entretiens avec Philippe Gaillard, Tome I,
op. cit., pp. 256-257.

26
ont manipulé les Mohéliens et surtout les Mohéliennes pour un autre choix
lors du référendum d’autodétermination du 22 décembre 1974.
Zena Mdéré (1922-1999), leader charismatique des anti-indépendantistes
de Mayotte, accueillie avec ses « chatouilleuses » en 1974 à Mohéli comme
des Reines, sous mes yeux de gamin, a toujours été emportée par la colère
chaque fois qu’elle entendait les Mohéliens se plaindre des désillusions nées
chez eux d’une indépendance non préparée et qui a été acquise dans le seul
but d’assouvir les appétits de pouvoir des autorités territoriales comoriennes.
Des années plus tard, le professeur Mario Bettati résumera les désillusions
tiers-mondistes par des termes très peu charitables : « Cette démobilisation
politique est incontestable. Mais est-elle due à la rhétorique humanitaire ou
à la fin des idéologies ? Nous manifestions contre la guerre du Viêt-Nam ou
contre d’autres conflits de décolonisation au nom du “droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes”, et puis nous avons découvert qu’il s’agissait du
“droit des mêmes à disposer de leurs peuples” »1.
Après des mois de palabres stériles dans un climat d’une évidente naïveté
et d’une mauvaise foi certaine entre les autorités territoriales des Comores,
d’une part, avec la France, et d’autre part, avec les Mahorais, le 6 juillet
1975, Ahmed Abdallah Abderemane proclama l’indépendance du pays, et
n’avait même consulté la France : « La France, par son Parlement et son
gouvernement, m’ont [Sic] attaqué, m’ont [Sic] humilié, m’ont [Sic] bafoué
à cause des Comores. Et, je suis croyant. Le bon Dieu a jugé. Je déclare
proclamer l’indépendance des Comores. Tous les Comoriens sont derrière
moi et toutes les nations du monde sont derrière moi. La France se trouve
seule ». Il ajouta : « Cette fois, les Comoriens, conscients de leurs devoirs,
conscients de leurs désirs, qui n’ont jamais voulu rompre avec la France,
c’est pourquoi ils ont demandé l’indépendance dans l’amitié et la compré-
hension avec la France, la collaboration et la coopération avec la France ».
On sent que ce discours incohérent et rempli de fautes de toutes sortes n’était
pas préparé. Mais, les Comores ont déclaré l’indépendance unilatéralement.
La déclaration, à un moment où Mayotte rejetait totalement l’indépendance
et chassait les autres Comoriens de son sol, était inopportune et inappropriée.
Elle signait la partition des Comores par le refus de Mayotte de faire partie
de l’État comorien. À l’époque, les Comores étaient dans une vraie ébullition
politique, et au Parlement français, de nombreux débats étaient consacrés à
ce pays, au regard de son indépendance et de ses implications2.
Pendant que les îles Comores étaient embourbées dans un « monologue de
sourds » avec la France et Mayotte, le 3 août 1975, soit moins d’un mois

1 L’humanitaire peut-elle être neutre ? Table ronde avec Mario Bettati (professeur de droit
international à l’Université Paris-II), Rony Brauman (président de MSF) et Bernard Holzer
(ancien secrétaire général du CCFD), animée pour Projet par Emmanuel Laurentin (France-
Culture), in L’humanitaire sans frontières, Projet n°237, printemps 1994, Paris, 1994, p. 80.
2 Mahamoud (A. W.) : Mayotte : le contentieux entre la France et les Comores, op. cit., pp.

156-295.

27
après la proclamation unilatérale d’indépendance, Ali Soilihi avait ouvert la
boîte de Pandore : il réalisa le premier coup d’État du pays et, pour ce faire,
il eut recours à Robert « Bob » Denard. Le même Ali Soilihi lança alors sa
Révolution, qui transforma les Comores en État dirigé par les lycéens.
Le 12 novembre 1975, les Comores sont admises à l’ONU en tant qu’État
membre. Il faudra sans doute préciser que la résolution 3385 (XXV) adoptée
par l’Assemblée générale de l’ONU le 12 novembre 1975, et qui portait sur
l’admission des Comores en son sein réaffirme « la nécessité de respecter
l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores, composé des îles
d’Anjouan, de la Grande-Comore, de Mayotte et de Mohéli, comme le
soulignent la résolution 3291 (XXIX) du 13 décembre 1974 et d’autres
résolutions de l’Assemblée générale ».
S’agissant de la résolution 3291 (XXIX) du 13 décembre 1974, signalons
qu’à travers elle, l’Assemblée générale de l’ONU « note que, en application
de la déclaration commune sur l’accession à l’indépendance de l’archipel
des Comores, contenant le texte d’un accord conclu le 15 juin 1973 entre le
ministre des départements et territoires d’outre-mer du gouvernement
français et le président du Conseil de gouvernement de l’archipel des
Comores, une consultation populaire sur l’indépendance doit avoir lieu le
22 décembre 1974, et gardant présente à l’esprit la déclaration faite le 26
août 1974 par le gouvernement français selon laquelle la consultation sera
organisée sur une base “globale de l’archipelˮ ».
Depuis 1974, quand elles ont compris qu’il fallait s’opposer à la prise en
compte des résultats du référendum d’autodétermination du 22 décembre
1974 île par île, les Comores ont constamment recours à la Résolution 1514
(XV), adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 14 décembre 1960,
résolution dénommée « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays
et aux peuples coloniaux » et qualifiée de « Charte de la décolonisation ».
Les autorités comoriennes évoquent en particulier deux articles. Il s’agit,
tout d’abord, de l’article 6, ainsi rédigé : « Toute tentative visant à détruire
partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un
pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations
Unies ». Et comme depuis 1973 des acteurs politiques et des observateurs
comoriens s’interrogent gravement sur l’impréparation des Comores avant
d’entrer dans l’ère de l’indépendance, les autorités comoriennes ont aussi
une prédilection pour l’article 3 de la résolution 1514 (XV) : « Le manque de
préparation dans les domaines politique, économique ou social ou dans
celui de l’enseignement ne doit jamais être pris comme prétexte pour retarder
l’indépendance ». La décolonisation est une bonne chose, mais est-il réaliste
de conduire un territoire à l’indépendance sans un minimum de préparation ?
L’épineux problème de Mayotte se posant plus en termes d’entente entre
les Comores et Mayotte qu’en termes de Droit international public, malgré
l’adoption de plusieurs résolutions favorables aux revendications formulées
par les Comores, aucune solution n’est en vue. Ceci est d’autant plus vrai

28
que le 29 mars 2009, un référendum sur la départementalisation de Mayotte
est organisé sur l’île. Quelque 95,24% des votants se prononcèrent pour la
départementalisation, qui devint effective le 31 mars 2011. Ce processus de
départementalisation de Mayotte a commencé en 1976.
Procédons par un rappel.
Le 13 mai 1978, Ahmed Abdallah Abderemane revenait au pouvoir, à la
suite d’un coup d’État dont il avait confié la réalisation à Robert « Bob »
Denard, qui l’avait délogé d’Anjouan après le putsch du 3 août 1975.
Il faudra signaler qu’à la suite de son putsch du 3 août 1975, en quelques
mois, Ali Soilihi avait proclamé la Révolution les Comores, se faisant de
nombreux ennemis. Du putsch du 3 août 1975 à celui du 13 mai 1978, on
note en particulier le fait qu’« un jeune Comorien, qui plus est agronome, en
plus non-religieux, et même “maoïste”, prend le pouvoir et bouscule le petit
monde féodal islamique que dominait Ahmed Abdallah, un président d’opé-
rette, au surplus principal importateur de l’archipel et sans doute une des
plus belles fortunes de l’océan Indien, ce qui – dans un des pays les plus
atrocement démunis du monde – est la marque d’un sacré culot. Le même
Abdallah que devait recevoir “chez lui”, à Moroni, en mai 1978, pour un
retour triomphal aux affaires, un Français au pedigree plus qu’étrange,
spécialisé dans le mercenariat africain et les coups d’État clé à main : Bob
Denard, une belle fripouille dont la France officielle, du temps de De Gaulle
et de Giscard d’Estaing, n’a jamais condamné les hauts-faits et que ses
services spéciaux manipulent pour retourner les causes désespérées »1.
Les Comores sont entrées dans l’ère du putschisme. Des Comoriens luttant
pour le pouvoir n’ont trouvé une autre manière de régler leurs différends
qu’en faisant appel à des mercenaires qui ont semé la mort et le désordre un
peu partout en Afrique. La légèreté et l’instinct de pouvoir qui ont animé les
présidents Ali Soilihi et Ahmed Abdallah Abderemane ont entraîné tout un
pays dans une voie incertaine, celle du putschisme. Désormais, le putschisme
est devenu l’un des moyens d’accession au pouvoir aux Comores. Qui plus
est, alors qu’Ali Soilihi accusait Ahmed Abdallah Abderemane d’avoir créé
un climat d’incompréhension et de rupture avec la France et de ne pas savoir
s’y prendre pour faire retourner Mayotte dans le giron des Comores, le chef
d’État révolutionnaire ne tarda pas à déclarer la France « pire ennemie des
Comores ». Ce discours ne changera jamais durant la Révolution, du 3 août
1975 au 13 mai 1978.
En s’intéressant de près au coup d’État du 13 mai 1978 et au retour des
Comores dans les « bonnes grâces » de la France, Philippe Leymarie estime
qu’« on est rassuré à Paris : après trois années de maoïsme à la mode
cocotier, au beau milieu d’un canal du Mozambique si cher aux stratèges
occidentaux et nullement indifférent à ceux du camp socialiste, l’ordre

1 Leymarie (Philippe) : Océan Indien. Le nouveau cœur du monde, Karthala, Collection

« Méridiens », Paris, 1981, p. 195.

29
féodal est revenu. Et Paris tire, comme au plus beau temps de l’empire, les
ficelles de la petite classe politique locale. L’essentiel étant toujours qu’on y
crève de faim en silence, plutôt que d’y laisser renaître quelque révolution
susceptible de donner l’occasion à des puissances ennemies de faire escale
dans le canal. […].
Il n’en a pas fallu plus pour qu’à la Réunion, dans l’espèce de lobby
revanchard du Sud-ouest de l’océan Indien, on exulte méchamment. Ce
retour au bercail des Comores éternelles – outre qu’il réglait par défaut
l’obsédante question de Mayotte – est apparu comme un sursaut de l’Occident
chrétien et la vengeance d’un destin qu’ils croyaient définitivement malheu-
reux, ces rapatriés de Madagascar et d’autres ex-possessions françaises.
Mais, piètre consolation tout de même, payée au surplus d’un gros soupçon
d’indignité : le “sale travail” avait dû être exécuté par des soldats de fortune,
agissant à titre privé ; l’armée française “officielle” n’avait pu prendre le
relais de l’assistance technique que quelques mois plus tard, et avait dû
composer avec une poignée de mercenaires reconvertis dans la garde
rapprochée d’Abdallah et dans l’import-export »1.
Dès le 13 mai 1978, Robert « Bob » Denard et ses hommes ont régné sur
les Comores, bafouant les libertés fondamentales dans ce pays et pillant son
économie sans vergogne. Ils ont tué et torturé. Il va sans dire qu’Ahmed
Abdallah Abderemane ne pouvait les contrôler. Quand, en 1989, il comprit
que les mercenaires devaient s’en aller, c’était déjà trop tard. C’est ainsi que
le 26 novembre 1989, les mercenaires ont torturé à mort et ont criblé de
balles le président Ahmed Abdallah Abderemane, installant au pouvoir Saïd
Mohamed Djohar, demi-frère d’Ali Soilihi et président de la Cour suprême.
Les élections de 1990 ont été une mascarade ayant permis à Saïd Mohamed
Djohar d’avoir un semblant de légitimité. Cependant, le 28 septembre 1995,
Robert « Bob » Denard et ses hommes renversèrent Saïd Mohamed Djohar,
que la France exila sur son département de la Réunion.
Le 16 mars 1996, Mohamed Taki Abdoulkarim est élu chef d’État. Ce fut
le premier scrutin présidentiel organisé dans des conditions démocratiques
aux Comores. Or, le 6 novembre 1998, Mohamed Taki Abdoulkarim, qui
était visiblement empoisonné lors d’un long voyage qu’il venait d’effectuer à
l’étranger, est décédé dans des conditions mystérieuses. Face à la vacance du
pouvoir, Tadjidine Ben Saïd Massounde assurait l’intérim du chef de l’État,
avant d’être destitué le 30 avril 1999 par le « Colonel » Assoumani Azali,
alors chef d’État-major de l’Armée comorienne. Du fait de son coup d’État,
Assoumani Azali fit l’objet d’un isolement international qu’il ne rompit qu’à
la « faveur » d’une mascarade électorale qu’il avait fait organiser en 2002 par
l’exécuteur de ses basses besognes, Hamada Madi Boléro, qui avait été le
Directeur de son Cabinet chargé de la Défense, son Premier ministre, qu’il
nomma chef d’État par intérim en janvier 2002, pour frauder le scrutin.

1 Leymarie (Ph.) : Océan Indien. Le nouveau cœur du monde, op. cit., pp. 195-196.

30
En 2006, Caambi El-Yachouroutu, son vice-président originaire de l’île
d’Anjouan, refusait d’être son candidat à l’élection présidentielle, remportée
par Ahmed Mohamed Abdallah Sambi, qui s’était fait connaître auparavant
en tant que prédicateur religieux.
Ahmed Sambi aurait dû avoir organisé une élection présidentielle avant le
26 mai 2010 et céder la place à un président de la République originaire de
Mohéli. Mais, il resta au pouvoir. Sous la pression de la classe politique de
Mohéli et Grande-Comore, et celle de la communauté internationale, il finit
par organiser le scrutin le 7 novembre et le 26 décembre 2010, mais resta à
la Présidence de la République jusqu’au 26 mai 2011, cédant enfin la place à
son ancien vice-président Ikililou Dhoinine (originaire de Mohéli).
En 2016, Ikililou Dhoinine organisa le scrutin présidentiel et a été l’auteur
d’une immense fraude électorale en faveur de son vrai candidat, à savoir
Assoumani Azali, même si, pendant des mois, il s’était employé à enfumer le
vice-président Mohamed Ali Soilihi (Grande-Comore), en lui faisant croire
qu’il le soutenait. Cette transgression de plus des règles constitutionnelles et
démocratiques ont plongé les Comores dans une nouvelle dictature et dans
un nouveau régime politique ignorant la misère du peuple, se caractérisant
par une corruption inégalée, une incompétence « historique », un népotisme
révoltant, le licenciement de plus de 10.000 jeunes Comoriens en moins d’un
an, et le tripatouillage des textes juridiques en vue de la transformation du
pays en sombre dictature familiale et clanique. Les Comores ont renoué avec
leurs anciens démons, dans une effroyable descente aux enfers.

B.- L’ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE


L’évolution institutionnelle des Comores est un vrai cas d’école. Elle est
porteuse de toutes les ambiguïtés politiques du pays. Elle permet de déceler
toute la mauvaise foi qui a eu raison de tout un pays. En effet, chaque chef
d’État comorien accuse la Constitution de tous les maux de la Terre, procède
à de tripatouillages entrant dans le cadre de ce que Mohamed Lahbabi, mon
professeur d’Économie au Maroc, appelle par ironie et de façon sarcastique
« la Constitution, mon bon plaisir ». Depuis le 3 août 1975, date du coup
d’État perpétré par Ali Soilihi, les Comores ont inauguré une ère de rejet de
toutes les institutions. Dès lors, la vie politique comorienne est dominée par
les interminables révisions de la Constitution à des fins personnelles. Aucune
Constitution ne convient aux politiciens, et quand une fait peu ou prou une
sorte d’unanimité, les autorités du moment la révisent brutalement, faisant
retourner le pays en arrière. Cette escroquerie est devenue un sport national.
Le goût des autorités comoriennes pour l’inflation institutionnelle donne
lieu à des commentaires peu charitables, même à l’étranger, où on considère
qu’elles en font trop : « C’est qu’on y affectionne la politique. Il y a peu, on y
avait recensé jusqu’à vingt-quatre partis, ce qui fait du monde à caser. Sénat,
Conseil des îles, Conseils des Ulémas, la RFI [République fédérale islamique

31
des Comores] regorge aussi d’instances, plus juteuses, magouilles aidant, que
les maigres ressources naturelles »1. Autant noter que la plupart des institutions
comoriennes ne correspondent à aucune réalité politique, mais à des combines
et magouilles politiciennes plus proches de la fameuse « politique du ventre »2
que de l’intérêt général. Les dirigeants comoriens sont des voyous notoires.
En réalité, le processus de création des institutions publiques aux Comores
a été déclenché par la loi française du 9 mai 1946, loi qui avait détaché les
Comores du Gouvernement général de Madagascar et avait attribué le statut de
territoire français d’outre-mer (TOM) à l’archipel. Fait significatif, le décret du
25 octobre 1946 dotait les Comores d’une Assemblée locale élue, faisant office
de Conseil général : c’est l’Assemblée territoriale, dont l’effectivité intervint en
1952. Par la suite, on assista à l’adoption du décret du 27 juillet 1957 relatif à la
mise en application de la loi n°56-619 du 23 juin 1956 surtout connue sous le
nom de « Loi-cadre Defferre » (du nom de Gaston Defferre, qui a été ministre
de la France d’Outre-mer de 1956 à 1957) ou « Loi-cadre pour les territoires
d’outre-mer ». Pour sa part, la loi n°57-702 du 19 juin 1957 créa un Conseil de
Gouvernement à côté de l’Assemblée territoriale. Ce Conseil de Gouvernement
incarnait le pouvoir exécutif comprenant 6 à 8 ministres. Aucun des ministres
n’était Mohélien ou Mahorais. Saïd Mohamed Cheikh n’en voulait jamais dans
« son » gouvernement.
Les Comores ont hérité de la France une tradition administrative jacobine. La
centralisation prédominait. Mais, ce qui est grave, c’est que même en France,
on soutient que le bilan de la colonisation française aux Comores est maigre et
insignifiant. Pourtant, habitués à la rhétorique du « c’était nettement mieux
avant », les Comoriens ne tarderont pas à faire des comparaisons entre l’état du
pays avant l’indépendance et après. Il se trouve même des nostalgiques de la
période coloniale aux Comores. On retrouve ces nostalgiques même dans les
rangs des « bons et vrais Comoriens », autrement dit ceux qui s’autoproclament
chaque jour « pourfendeurs du néocolonialisme et de l’impérialisme », mais qui
n’hésitent pas à tenter de se cacher pour aller renouveler leurs documents
administratifs à l’ambassade et au consulat de France aux Comores.
En tout état de cause, s’agissant du bilan de la colonisation française aux îles
Comores, force est de constater que déjà en 1970, soit 5 ans avant l’accession
des Comores à l’indépendance, un journaliste français de passage aux Comores
notait : « Et pourtant, un Français de la métropole, lorsqu’il arrive en ces lieux
admirables, ne peut légitimement éprouver que deux sentiments : la honte et le
remords », à cause de « l’état de déréliction dans lequel a été laissé cet archipel
[...] »3. Quatre années après la proclamation de l’indépendance des îles

1 Lestrohan (Patrice) : Prises de bec. Comores à crédit, Le Canard enchaîné n°4006, Paris, 6
août 1997, p. 7.
2 Bayart (Jean-François) : L’État en Afrique. La politique du ventre, Fayard, Collection

« L’Espace du politique », 1989 (439 p.).


3 Legris (Michel) : Les Comores : Un archipel plus une île. I.- Un fleuron négligé, Le Monde,

Paris, 31 décembre 1970, p. 8.

32
Comores, le constat restait le même : « La France laissait sur place… presque
rien, si ce n’est d’insurmontables difficultés. Une administration désorganisée,
un lycée sans professeurs, des hôpitaux sans médecins, une radio – seul
véhicule d’information, la presse écrite n’existant pas – sans techniciens, des
chantiers en suspens, des services lourdement handicapés (météo, transports,
lignes aériennes), du chômage, des caisses vides et une économie en perdition,
tel était le tableau que tout peintre objectif pouvait alors brosser. Un pays
démuni, désarticulé, abandonné à son triste sort »1.
Après avoir constaté que les négociations avec la France et la nomination de
certaines personnalités mahoraises n’allaient pas permettre le retour de Mayotte
dans le giron des Comores, Ali Soilihi durcit son discours envers l’héritage de
la France aux Comores, notamment sur le plan administratif et institutionnel.
Chaque jour, aux Comores, une nouvelle rhétorique était déployée pour nier
toute pertinence aux structures administratives léguées par la France. Mais, les
autorités comoriennes étaient-elles capables de faire mieux ?
La dénonciation des structures administratives léguées par la colonisation de
la France préoccupait tellement les dirigeants de la Révolution qu’Ali Soilihi se
lançait dans d’incantations et de péroraisons dont la déclaration fondamentale
restait : « La charte sera socialiste et devra prévoir le bouleversement des
structures actuelles »2. Comme Ali Soilihi faisait suivre toutes ses déclarations
de réalisations concrètes et celles-ci d’une explication pédagogique appropriée,
sa remise en cause de l’administration héritée de la colonisation a été suivie de
la « Réforme fondamentale » de 1976. À elle seule, Une phrase résume cette
Réforme fondamentale chère aux révolutionnaires : « Les vestiges laissés par
l’ancienne puissance administrante aux Comores sont loin de constituer un
système cohérent capable d’animer une transformation sociale et économique
du pays ».
Ali Soilihi avait adopté la Loi fondamentale du 23 avril 1977 et d’autres textes
juridiques successifs régissant des aspects institutionnels jugés nécessaires par
les autorités de la période révolutionnaire. Très actif et doté d’un sens aigu en
matière institutionnelle, Ali Soilihi ne s’intéressait qu’à ce qui était de nature à
lui permettre de réaliser sa Révolution, mais sur le plan textuel seulement.
Dans l’ensemble, Ali Soilihi comptait réaliser la décentralisation au niveau de
chaque île et débarrasser les Comores des superstitions qui encraient le pays
dans la féodalité. Il voulait réussir sa Révolution avec un nouveau personnel
administratif, celui des lycéens venus directement des bancs de leurs écoles, et
sans la moindre expertise. Le Docteur Youssouf Saïd Soilihi, l’un des jeunes
ayant quitté le lycée pour aller faire la Révolution, estime que l’administration

1 Bourges (Hervé) et Wauthier (Claude) : Les 50 Afriques. Tome II. Afrique centrale. Afrique

des Grands Lacs. Afrique australe. Océan Indien, Le Seuil, Collection « L’Histoire immédiate »,
Paris, 1979, p. 614.
2 Cité par Favoreu (Louis) et Maestre (Jean-Claude) : L’accession des Comores à l’indépen-

dance, APOI 1975, volume II (publié en 1977), p. 28.

33
coloniale française était engagée dans la mauvaise voie parce qu’elle « [...] s’est
appuyée sur une fonction publique médiocre, désarticulée, avec un sommet
formé d’un nombre suffisant d’administrateurs de formation supérieure et à la
base, une pléthore de subalternes, et au milieu d’une grande pénurie de cadres
moyens qualifiés. Ces personnels sont recrutés en fonction de l’appui politique
apporté au système et non en fonction de la qualification de l’individu ; mal
formés, mal répartis et mal choisis, ils géraient une administration centralisée,
coûteuse, incompatible avec un développement indépendant. D’où la nécessité
de la réformer et de la transformer »1.
Ali Soilihi avait commencé à réaliser son programme de décentralisation,
mais a été arrêté dans son élan par le coup d’État du 13 mai 1975, suivi de son
exécution criminelle le 29 mai 1978.
Revenu au pouvoir après ce putsch, Ahmed Abdallah Abderemane fit voter
par référendum une Constitution, le 1er octobre 1978. Cette Constitution est la
première adoptée aux Comores. Dès lors, elle va constituer de base, et toutes
celles qui seront adoptées par la suite auront celle-ci comme référence. Il est
intéressant de noter qu’aux termes de son article 1er, « l’Archipel des Comores
constitue une République fédérale islamique ». Le fédéralisme était inscrit sur
la Constitution dans le but d’inciter les Mahorais à réintégrer un État comorien
dans lequel la personnalité et la spécificité de leur île étaient reconnues dans le
cadre d’une autonomie accordée à chaque île. S’agissant de l’inscription de
l’Islam à l’article 1er de la Constitution, il s’agissait de rompre avec le régime
politique d’Ali Soilihi de façon symbolique, ce dernier étant accusé d’athéisme,
même si, le plus souvent, il s’efforçait seulement de lutter contre les excès et les
superstitions qui alourdissaient et dénaturaient l’Islam aux îles Comores. Cette
revendication du fédéralisme et de l’Islam était d’autant plus assumée par les
autorités que l’article 45 de la Constitution dispose ainsi que « les caractères
républicain, fédéral et islamique ne peuvent faire l’objet d’une révision ».
La Constitution du 1er octobre 1978 créa de nouvelles institutions, et parmi
elles, on retrouve celles à caractère fédéral : le président et le gouvernement de
la République, l’Assemblée fédérale et la Cour suprême.
Or, il faut faire la part des choses dans la mesure où l’activité de l’Assemblée
fédérale « fut très perturbée par l’emprise de l’exécutif. L’Assemblée débute ses
séances par l’adoption d’une motion de soutien inconditionnel au président de
la République. Cette motion conditionne l’attitude des membres de l’Assemblée
pendant tout le déroulement des travaux et les enferme dans la discipline de
vote du parti unique. [...]. Pour le chef de l’exécutif comorien, la notion de
séparation de pouvoirs était en fait un non-sens »2. Fait absolument révélateur,
Abderemane Mohamed, président de l’Assemblée fédérale tombé en disgrâce
par la suite, avait eu le courage de déclarer devant les autres Députés lors de

1 Saïd Soilih (Youssouf) : Comores. Les défis du développement indépendant 1975-1978,


L’Harmattan, Collection « Océan Indien. Recherches et documents », Paris, 1988, p. 111.
2 Djabir (Abdou) : Les Comores. Un État en construction, L’Harmattan, Paris, 1993, p. 141.

34
son allocution du 25 avril 1986 : « Aucun projet de loi n’est communiqué aux
députés au moment de l’ouverture de la session. Le député qui aura le courage
de soulever l’irrecevabilité des projets sera taxé d’infidèle, d’opposant,
d’agaçant, et selon la tradition, les ministres ne doivent pas le recevoir dans
leur bureau […]. Il y a des contraintes multiples (socio-économiques) qui nous
dépouillent des qualités d’hommes libres dont nous devons nous enorgueillir en
tant que représentants légitimes du peuple »1.
Logiquement, dans le but de renforcer son pouvoir personnel, le 5 novembre
1982, Ahmed Abdallah Abderemane a fait adopter la loi constitutionnelle n°82-
018/PR portant révision des articles 5, 6, 7, 10, 11, 17 et 20 de la Constitution
du 1er octobre 1978. C’est ainsi que le Gouverneur de l’île n’est plus élu par la
population mais nommé par le chef de l’État. Les fonctions de Commissaires
des îles, qui avaient été les assistants du Gouverneur, ont été tout simplement
supprimées. Les inégalités entre les îles s’accentuèrent. Moroni concentrait
toute l’activité étatique, au détriment des îles. De nouveau, celles-ci se mirent à
péricliter. Une grave régression était enregistrée.
En matière de droits de l’Homme et de libertés fondamentales, la Constitution
du 1er octobre 1978 a le grand mérite de proclamer et de garantir l’égalité des
citoyens, la liberté et la sécurité de chaque personne, la liberté de circulation et
de résidence, les libertés d’expression, de réunion, d’association et d’adhésion à
des syndicats, le droit de l’enfant à l’instruction et à l’Éducation, la protection
des jeunes par l’État et les autres institutions publiques contre l’abandon moral
et l’exploitation, la liberté de pensée, de conscience et de culte, l’inviolabilité
du domicile et de la propriété, la sécurité des investissements et des capitaux
portant sur des projets ayant reçu l’assentiment de l’État comorien, le droit de
grève, l’égalité devant la Justice et l’indépendance des magistrats. La protection
de l’intérêt général et de l’ordre public est la seule limite apportée à ces droits et
libertés. Mais, dans la pratique, les choses seront beaucoup moins reluisantes.
En effet, la pratique constitutionnelle des Comores depuis 1978, sauf pendant
certaines périodes très limitées, est porteuse des stigmates des autres dictatures
qui sévissent en Afrique. Le 30 septembre 1984, Ahmed Abdallah Abderemane
a été « réélu » à « 99% ». Sur le même chapitre des excès, il est à noter que le 5
novembre 1989, le « peuple » est censé s’être « prononcé » à 92,50% pour une
nouvelle « Constitution, mon bon plaisir », dont le but était de faire d’Ahmed
Abdallah Abderemane le président à vie et à mort. Mais, quelques jours plus
tard, plus précisément, le 26 novembre 1989, Ahmed Abdallah Abderemane a
été froidement assassiné par Robert « Bob » Denard qui, dans la panique, fera
tout pour faire accuser le Commandant Mohamed Ahmed, chef d’État-major
des Forces Armées comoriennes (FAC), alors que celui-ci se trouvait sur l’île
d’Anjouan, sans que le chef des mercenaires ne le sache !
Après Ahmed Abdallah Abderemane, vint Saïd Mohamed Djohar, arrivé à la
Présidence de la République après l’assassinat d’Ahmed Abdallah Abderemane.

1 Cité par Djabir (A.) : Les Comores. Un État en construction, op. cit., p. 141.

35
Justement, sous la présidence de Saïd Mohamed Djohar, une Constitution a été
adoptée par référendum le 7 juin 1992, à la suite d’une série de conférences
nationales. Cette Constitution est plus démocratique que sa devancière, objet
d’une série de tripatouillages odieux destinés à renforcer le pouvoir personnel
d’Ahmed Abdallah Abderemane. Au cours de la présidence de Saïd Mohamed
Djohar, a été enclenché un processus d’ouverture politique, même timide.
Les institutions des îles ont connu une évolution plus positive. L’autonomie
des îles a été renforcée, même si Saïd Mohamed Djohar n’a organisé aucune
élection des Gouverneurs des îles. Il se contentait de nommer des Gouverneurs
sans la moindre légitimité, ni assises populaires sur les îles, et dont ne voulaient
pas les habitants de ces dernières. Pourtant, l’autonomie, l’un des fondements
du fédéralisme, est inscrite dans la Constitution comorienne.
De la même façon, les institutions fédérales ont subi leur aggiornamento. Mais,
l’État sous Saïd Mohamed Djohar a perdu sa crédibilité et son autorité. Les
gendres du président de la République ont tellement phagocyté l’appareil d’État
qu’on a parlé de « gendrocratie ». Cette « gendrocratie » a détruit la viabilité et
toute la crédibilité de l’État. Les remaniements ministériels se succédaient à un
rythme inédit et infernal : « Pendant son mandat, les citoyens comoriens
assistèrent à la gestation, de plus en plus difficile, et à la mort rapide de
gouvernements sans cohésion. Salim Himidi a relevé la succession chaotique
de “dix-huit équipes gouvernementales et de 200 nominations ministérielles
en 5 ans de règne” »1. La République était devenue une « Ripoux-blique ».
Il ne s’agit pas d’exagération. En effet, Saïd Mohamed Djohar était dans un
état où, « ne sachant ni où il en est avec ses propres partisans, ni où peuvent
le mener les manipulations de ses enfants et beaux-enfants », « selon un
membre de l’ancien gouvernement, “il faudrait le surveiller 24 heures sur 24
pour l’empêcher de changer d’avis au rythme de visites de ses proches”. Les
folles heures des 18 et 19 juillet [1993] sont révélatrices : elles ont vu
plusieurs décisions contradictoires : dissolution spectaculaire de l’Assemblée,
confirmation du soutien présidentiel à l’ex-Premier ministre Saïd-Ali Moha-
med, destitution de celui-ci quelques heures plus tard au profit d’Ahmed Ben
Cheikh – prié en vain de démissionner le même jour – tentative de rétab-
lissement du Parlement […] »2. Tout ceci est vrai.
Ali Soilihi avait instauré la crainte envers l’autorité. Pour sa part, Ahmed
Abdallah Abderemane a jeté les bases des institutions étatiques, a rendu aux
Comores le grand service de leur doter d’une vraie autorité de l’État et avait
conféré aux personnes morales publiques leur crédibilité et leur viabilité. Par
contre, Saïd Mohamed Djohar a détruit l’autorité de l’État après avoir fait du
désordre institutionnel son mode de gouvernement. Il avait été le chantre des

1 Deschamps (Alain) : Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et

cœlacanthe, Karthala, Collection « Tropiques », Paris, 2005, p. 173.


2 Saïd Youssouf (Sitti) : Comores. Législatives de tous les dangers, Le Nouvel Afrique Asie

n°49, Paris, octobre 1993, p. 31.

36
remaniements ministériels les plus fréquents et les plus rapides, poussant les
Comoriens à verser leurs sarcasmes sur les nominations ministérielles, qu’ils
ont baptisées depuis, la « Oumra », c’est-à-dire « le petit pèlerinage » que les
Musulmans effectuent aux Lieux Saints de l’Islam, en Arabie Saoudite.
Mohamed Taki Abdoulkarim a été élu président des Comores le 16 mars
1996 à 64,29% contre 35,71% pour Abbas Djoussouf. Il avait publiquement
exprimé ses doutes et réserves à l’égard de la Constitution du 7 juin 1992. Il fit
adopter une nouvelle Constitution le 20 octobre 1996 par 84% des électeurs.
Cette Constitution renforça les bases et fondements de l’État de Droit et de la
démocratie.
Il est nécessaire de signaler que l’article 1er de la Constitution 20 octobre 1996
en son alinéa 1er dispose que l’État est le garant de la solidarité et de la cohésion
nationales, « en veillant à l’établissement d’un équilibre politique, économique
et social adéquat et équitable entre toutes les îles composant le territoire
comorien en tenant compte des spécificités de chacune d’elles ». L’équilibre
entre les îles est un problème posé dès 1988 par des personnalités mohéliennes
qui atterrirent en prison pour crime de lèse-majesté envers le président Ahmed
Abdallah Abderemane. À la suite de la revendication mohélienne en 1988,
« deux anciens ministres […] ainsi que deux professeurs d’histoire [...]1 ont été
arrêtés en mars [1988]. Tous habitaient l’île de Mohéli. Ils auraient été
incarcérés à la suite (de la mise en circulation) d’un tract accusant les
autorités de pratiquer une politique discriminatoire à l’égard de Mohéli, qui
souffrirait de marginalisation […] »2.
Aux Comores, l’équilibre des îles est un serpent des mers. Il était au centre
des préoccupations du constituant de 1992 et a été évoqué par celui de 1996.
Pourtant, il n’a jamais été un sérieux enjeu juridique, institutionnel et politique
au-delà de certains postes politiques. Assoumani Azali en sera l’ennemi le plus
farouche, dès le 26 mai 2016.
De 1975 à 1992, les partis politiques n’ont pas d’existence légale et officielle
aux Comores. Saïd Mohamed Djohar a été le pionnier du multipartisme aux
Comores. Sous Ali Soilihi, il n’y avait pas de partis politiques, et on ne parlait
même pas de parti-État. Sous Ahmed Abdallah Abderemane, ne pouvait exister
que le parti présidentiel Udzima. Du jour au lendemain, on vit apparaître plus
de 42 formations partisanes plus ou moins folkloriques, dont certains étaient à
base familiale ou se limitaient à un homme et son épouse ou à un homme et son
frère. Il y avait des excès et des exagérations. Ces organisations politiques ne se
constituaient sur aucune base sérieuse. Certaines d’entre elles se scindaient et se
fragmentaient à l’infini. Le président Mohamed Taki Abdoulkarim voulait un
peu d’ordre dans l’existence et le fonctionnement des partis politiques dans la
République des Comores, et sous Ikililou Dhoinine (2011-2016), la question se

1 Il s’agit de Mouhibaca Baco et Salim Djabir, Saïd Dhoifir Bounou (ancien ministre de la
Défense sous Ali Soilihi) et Mohamed-Nassur Riziki Mohamed.
2 Amnesty International : Rapport annuel 1988, Paris, 1988, p. 38.

37
posa : que faire face à la multiplication des partis politiques rendant illisible la
carte politique du pays ?
C’est ainsi que la Constitution 20 octobre 1996 tenta de faire en sorte que
seules les formations partisanes représentées au Parlement et ayant au moins
deux élus sur chaque île soient considérées comme ayant une existence légale.
Pour autant, le verrou constitutionnel n’a jamais empêché l’existence de partis
politiques sans électeurs, ni élus aux Comores.
Par ailleurs, il eut un réaménagement institutionnel au niveau fédéral comme
au niveau insulaire. Un Haut Conseil de la République est institué. Il en est de
même pour le Conseil des Oulémas. Cependant, une entorse au fédéralisme est
à signaler : dans la Constitution du 20 octobre 1996, les Gouverneurs des îles
ne sont plus élus au suffrage universel direct comme cela était le cas dans la
Constitution de 1978 et dans celle de 1992, mais nommés par le président de la
République, sur la base d’une liste de trois noms proposée par le Conseil de
chaque île.
Mohamed Taki Abdoulkarim est décédé dans des conditions mystérieuses et
obscures le 6 novembre 1998, et son mandat n’aura duré que deux ans et sept
mois. Ce mandat a été fortement perturbé par l’éclatement très violent d’une
crise séparatiste le 16 février 1997 à Anjouan. À sa mort, l’intérim du chef de
l’État a été assuré par l’Anjouanais Tadjidine Ben Saïd Massounde, qui a été
renversé par le « Colonel » Assoumani Azali, le chef d’État-major de l’Armée
comorienne marqué à vie par sa fuite en slip vers l’ambassade de France aux
Comores le 28 septembre 1995 alors que Robert « Bob » Denard et sa bande de
criminels destituaient le président Saïd Mohamed Djohar.
Assoumani Azali et ses hommes se sont lancés dans une mission impossible :
démontrer que l’intéressé n’avait pas fui le 28 septembre 1995 et que, à cette
date, il n’était même pas chef d’État-major de l’Armée comorienne.
Ce qui se dit sur cette fuite en slip vers la mission diplomatique à Moroni est
tellement honteux qu’il vaut mieux noter que Saïd Mohamed Djohar, parlant
du coup d’État qui allait avoir raison de son régime politique, signale : « Que
s’était-il passé exactement la veille ? Après avoir débarqué vers 1 ou 2
heures du matin, Denard divise ses trente-cinq hommes en trois groupes : un
groupe se rendit directement à la prison pour libérer les rebelles sans
aucune difficulté. La gendarmerie, mise au courant tardivement, réagit
aussitôt mais sans grand résultat. Ce qui permit au premier groupe de
Denard de se replier vers Itsandra. Le commandant Soilih dit “Campagnard”
quitta son domicile d’Itsandra Mdjini pour se positionner à Radio Comores
dans le but de stopper la progression du premier groupe de Denard.
Le deuxième groupe des mercenaires contourna la ville de Ntsoudjini et le
village de Milembeni pour investir ma résidence par l’Est. Le troisième
groupe se rendit directement à Kandani pour investir la résidence par
l’Ouest. En fait, Denard voulait accomplir sa mission avant le lever du soleil
pour pouvoir repartir sans être vu ni connu. Mais la résistance inattendue de
“Campagnard” et de son collègue jusqu’au lever du soleil a mis en échec son

38
projet. À court de munitions, le commandant Soilih, grièvement blessé à la
jambe, se rendit vers l’après-midi, trahi par son chef Azali qui se réfugia à
l’ambassade de France ainsi que le Premier ministre Caabi El Yachroutu et
le président de l’Assemblée nationale, Mohamed Saïd Abdallah M’changama.
L’ambassadeur Didier Ferrand prit le pouvoir et dicta ses volontés aux trois
réfugiés vivant chez lui et qui furent rejoints par Houmed Msaïdié, Mohamed
Abdou M’madi (ancien Premier ministre) ainsi que d’autres »1.
Jean-Claude Sanchez, un des mercenaires commandés par Robert « Bob »
Denard lors du putsch du 28 septembre 1995, raconte : « Le bruit courut que
la résistance était menée par le colonel Azali Assoumani, le chef de l’armée
comorienne, qui s’était signalé par le passé par sa brutalité et son sadisme à
l’égard des opposants ; bruit infondé, comme nous le saurons plus tard », et
« le lieutenant Éric I. avait été averti de la situation vers 5 heures 30 déjà. Il
s’était immédiatement rendu chez le colonel Kister, conseiller en sécurité du
président Djohar, où il trouva le colonel Azali qui était venu s’y réfugier
après s’être enfui de chez lui en slip.
Il le récupéra pour se rendre à Radio Comores. Ils étaient au premier
étage avec quelques employés, depuis cinq minutes à peine quand ils virent
arriver le capitaine Soilihi de l’armée comorienne avec un groupe de
soldats. Le lieutenant I. descendit les accueillir, puis remonta à l’étage. Le
colonel Azali avait disparu, enfui une nouvelle fois en sautant d’une fenêtre
pour aller se cacher toute la journée chez un coopérant. Quel courage ! »2.
En plus, à la mort du président Mohamed Taki Abdoulkarim, le 6 novembre
1998, Assoumani Azali avait réuni l’État-major de l’Armée comorienne, à
qui il avait annoncé sa volonté de s’emparer du pouvoir. Quelques officiers
présents lui demandèrent de renoncer à son projet. Cependant, après avoir
orchestré la persécution des Anjouanais dans les rues de Moroni et après
avoir refusé de les protéger, Assoumani Azali a renversé Tadjidine Ben Saïd
Massounde, le 30 avril 1999. Pour se rendre « utile » et incarner le « beau
rôle », il encouragea les séparatistes anjouanais à se montrer beaucoup plus
intransigeants qu’ils ne l’étaient déjà depuis le 16 février 1997.
Sous la pression de la communauté internationale et de l’opinion publique
nationale, il se résolut à conclure à Fomboni, sur l’île de Mohéli, l’Accord-
cadre de Réconciliation nationale du 17 février 2001 ou Accord de Fomboni.
Cet Accord-cadre a permis l’adoption, par référendum, de la Constitution du
23 décembre 2001. Au-delà des changements cosmétiques, toute l’originalité
de cette Constitution repose sur son article 13 ainsi rédigé : « La présidence
est tournante entre les îles. Le Président et les Vice-présidents sont élus
ensemble au suffrage universel direct majoritaire à un tour pour un mandat

1 Djohar (Saïd Mohamed) : Mémoire du Président des Comores. Quelques vérités qui ne
sauraient mourir, L’Harmattan, Paris, 2012, p. 303.
2 Sanchez (Jean-Claude) : La dernière épopée de Bob Denard. Septembre 1995, Pygmalion

(Flammarion), Paris, 2010, pp. 130 et 131.

39
de quatre (4) ans renouvelable dans le respect de la tournante entre les îles.
Une élection primaire est organisée dans l’île à laquelle échoit la présidence
et seuls les trois candidats ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages
exprimés peuvent se présenter à l’élection présidentielle. […] ».
La Constitution du 23 décembre 2001 est le fruit de l’amateurisme. Elle est
le fruit de l’amateurisme et de la mauvaise foi de l’époque, des autorités qui
ont négocié en position de faiblesse face aux Mohéliens et aux Anjouanais,
alors qu’elles disposaient de tous les moyens pour affaiblir les séparatistes de
l’île d’Anjouan. La Constitution du 23 décembre 2001 est également le fruit
de l’amateurisme juridique de Hamada Madi Boléro et des autres apprentis
« juristes » ayant rédigé des articles illisibles et d’une longueur kilométrique,
alors que la formule « une phrase, un article » est plus convaincante. La
Constitution du 23 décembre 2001 est le fruit de l’amateurisme politique de
Hamada Madi Boléro et de sa bande de profanes parce que des aspects très
importants y manquent, comme c’est le cas des origines insulaires des divers
candidats qui briguent la présidence de la République, alors qu’il est notoire
que le but recherché était de permettre à l’île à qui échoit l’organisation de
l’élection primaire de fournir tous les candidats à la magistrature suprême.
Rien n’empêchait le constituant du 23 décembre 2001 de préciser que tous
les candidats à la présidence de la République doivent être originaires de
l’île qui organise l’élection primaire et qu’en cas de candidats qui sont nés de
parents d’îles différentes, l’effectivité et la commune renommée prélaveront.
En effet, il est de notoriété publique qu’il n’y a pas un seul Comorien ayant
de parents originaires de deux îles différentes qui n’a pas fait le choix pour
une île donnée. De même, le constituant du 23 décembre 2001 a étalé toute
son incompétence en matière juridique et politique en évitant de préciser que
le candidat élu pour le compte d’une île déterminée n’avait pas le droit d’être
par la suite candidat pour le compte d’une autre île.
Profitant de ce grave vide juridique, Ahmed Sambi, élu chef d’État pour le
compte de l’île d’Anjouan en 2006, avait tenu en haleine tout un pays depuis
2015 en menaçant de se porter candidat en 2016. Finalement, le mercredi 16
décembre 2015, j’étais présent à la Cour constitutionnelle des îles Comores
quand Ahmed Sambi, accompagné de ses amis et collaborateurs, y déposait
sa candidature pour la magistrature. J’y vis ses compagnons mais ma route et
celle d’Ahmed Sambi ne se croisèrent pas ce jour-là : il était à l’intérieur !
La Cour constitutionnelle rejeta la candidature d’Ahmed Sambi, qui s’était
fait inscrire sur les listes électorales de Batsa-Itsandra, en Grande-Comore.
Dans l’arrêt du 25 décembre 2015 portant publication de la liste provisoire
des candidats à l’élection du président de l’Union du 21 février 2016, la
Cour constitutionnelle déclarait :
« Concernant le comportement du candidat Ahmed Abdallah Sambi,
Considérant qu’aucun citoyen ne peut exercer alternativement la fonction
présidentielle pour le compte de deux îles différentes,

40
Considérant que le candidat Ahmed Abdallah Sambi a été élu président de
l’Union des Comores en 2006 pour le compte de l’île d’Anjouan,
Considérant, de ce qui précède, qu’il ne peut encore, sans porter préjudice
à la règle constitutionnelle de la tournante, prétendre exercer la fonction
présidentielle pour le compte de l’île de Ngazidja,
Considérant que, de cet autre point de vue, la Cour ne peut valider sa
candidature, […] ».
Durant toute l’année 2015, Ahmed Sambi et ses partisans expliquaient la
licéité et la validité de la candidature de l’ancien président. J’étais à Mohéli
quand la Cour constitutionnelle a rendu son arrêt. Il ne s’était rien passé à la
suite de l’invalidation de cette candidature. Réaliste, Ahmed Sambi avait
préparé la candidature de Fahmi Saïd Ibrahim, qui allait être éliminé dès le
premier tour du scrutin présidentiel suite à la fraude massive organisée par
les Mohéliens de Beït-Salam au profit du putschiste haï Assoumani Azali.
Au cours de sa présidence (2006-2011), Ahmed Sambi avait procédé à une
révision de la Constitution. Celle-ci avait eu lieu le 17 mai 2009. Notons que
les éléments saillants de cette révision constitutionnelle sont l’élection d’un
vice-président même pour l’île qui assure la présidence de la République, le
passage du mandat présidentiel de 4 à 5 ans, les retouches de l’article 14 de
la Constitution et le remplacement du titre « président de l’île autonome »
par celui de « Gouverneur de l’île autonome ».
Il n’est pas superfétatoire de signaler qu’Ahmed Sambi avait complètement
réécrit l’article 14 de la Constitution, qui se lit désormais ainsi : « En cas de
vacance ou d’empêchement définitif du président, intervenu dans les neuf
cents jours suivant la date d’investiture de son mandat et constaté par la
Cour constitutionnelle saisie par le Gouvernement, il est procédé à l’élection
d’un nouveau président.
Si la vacance ou l’empêchement définitif intervient au-delà des neuf cents
jours, le vice-président issu de l’île à laquelle échoit la tournante termine le
mandat. Dans le premier cas et, dans un délai de quarante-cinq jours, les
conseillers et les maires de l’île réunis en congrès procèdent à un vote, et
seuls les trois candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix peuvent
se présenter au suffrage indirect des élus des assemblées des îles et de
l’Union réunis en congrès. Le vote a lieu à la majorité absolue des membres
composant le congrès. Si cette majorité n’est pas obtenue dès le premier
tour, il est procédé à un second tour et le vote est acquis à la majorité simple
des membres présents. Le président élu termine le mandat en cours.
Durant la période de quarante-cinq jours mentionnée à l’alinéa premier
du présent article, les fonctions du président sont exercées provisoirement
par le vice-président issu de l’île à laquelle échoit la tournante.
Il ne peut ni changer le Gouvernement, ni dissoudre l’Assemblée, ni
recourir aux pouvoirs exceptionnels. En cas de vacance ou d’empêchement
définitif d’un vice-président, il est procédé à son remplacement par le Conseil
de son île d’origine sur proposition du président de l’Union.

41
En cas d’absence ou d’empêchement temporaire, le président de l’Union
est suppléé par l’un de ses vice-présidents ». La longueur de cet article n’est
pas exceptionnelle, et renvoie à l’amateurisme dénoncé ci-haut.
Avant l’action d’Ahmed Sambi pour la révision de la Constitution le 17
mai 2009, en cas d’empêchement définitif du chef de l’État, et aux termes du
même article 14, un nouveau président devait être élu dans les 60 jours au
maximum. Le plus âgé des vice-présidents devait assurer l’intérim du chef
de l’État.
Il n’est pas interdit de reprocher à Ikililou Dhoinine – comme aux autres
présidents comoriens – beaucoup de choses. Cependant, on doit reconnaître
qu’il a eu la sagesse de ne pas s’approprier la Constitution et de ne l’avoir
pas tripatouillée comme l’ont fait ses prédécesseurs dans les conditions que
nous venons de présenter.
Le lundi 30 juillet 2018, Assoumani Azali a organisé un référendum bidon,
condamné par la classe politique, la société civile et les religieux des îles
Comores, mais aussi par l’Union africaine et l’ONU. Le but du référendum
anticonstitutionnel en question était de réviser la Constitution pour renforcer
les pouvoirs du dictateur de Mitsoudjé, supprimer l’autonomie des îles et les
postes des trois vice-présidents, mais aussi officialiser la suppression de la
Cour constitutionnelle, dont les compétences ont été transférées de manière
anticonstitutionnelle à la Cour suprême, dont la mission réelle porte sur des
contrôles administratifs et financiers et dont tous les membres sont nommés
par le tyran incompétent et corrompu qui se veut l’égal de Dieu.
Malgré le gaspillage des maigres ressources de l’État comorien, le taux de
participation a été de 5% à la Grande-Comore, contre 6% à Anjouan (où les
militaires bourraient les urnes). Pour sa part, l’île de Mohéli rejeta la révision
constitutionnelle. Malgré un taux de participation inférieur à 6% sur les trois
îles, la dictature de Mitsoudjé a osé publier le chiffre de 63,90%, donnant au
« Oui » « 92,74% ». Aucun bureau de vote n’a enregistré plus de 100 votants,
malgré ce qui sera annoncé par la suite. Dans mon foyer natal de Djoiezi, sur
3.000 électeurs, seuls 50 se rendirent aux urnes, mais les procès-verbaux ont
mentionné un taux de participation de 100% ! À Bahani, Grande-Comore, il
y eut un seul votant, mais 436 « votants effectifs » ont été « recensés ».
D’autres chiffres sont très éloquents :
Grande-Comore : Vouvouni 4 : 32 votants sur 661 électeurs. Vouvouni 1 :
12 votants sur 816. Dzoudjou-Mbadjini : 43 votants sur 350. Hassendjé et
autres lieux : pas de vote. De nombreux villages n’ont même pas eu de
bureaux de vote. À Ntsoudjini, « le vote » a eu lieu la nuit du dimanche 29
juillet 2018, des militaires ayant bourré les urnes sauvagement et bêtement.
Mohéli : Fomboni 2 : 3 votants. Nioumachioi 1 : 80 votants. Nioumachioi
2 : 40 votants. Mdjimbia, le quartier de Baguiri, qui insultait et menaçait les
Comoriens : 53 votants sur 802 inscrits, le « non » l’emportant à 27 voix.
Wanani : 86 votants sur 480 inscrits, dont 42 voix pour le « non ». Hoani : 43
« non » contre 35 « oui » sur un total de 500 inscrits.

42
Anjouan : dans le Nioumakélé, les bureaux de vote de Hamchako, Mnadzi
Choumé, Gnamboimro, Sadrapoini et Nounga furent noyés dans les matières
fécales. Ailleurs aussi, sur l’île, le taux de participation était également nul.
En plus, le Congrès, constitué des Députés et des Conseillers des îles, s’est
réuni le samedi 28 juillet 2018 à l’Assemblée des Comores. 72% des élus du
peuple étaient présents. À l’unanimité, ils ont pris la résolution demandant à
ce que ne soit pas organisé le référendum anticonstitutionnel, dont ne voulait
pas entendre parler le peuple. Mais, Assoumani Azali n’en pas tenu compte.
Le lundi 30 juillet 2018, jour du scrutin criminel, mon amie Faïza Soulé
Youssouf, journaliste à Al-Watwan (gouvernement), a fait des reportages
très éclairants et objectifs sur la mascarade électorale. Le mardi 31 juillet
2018, toute honte bue, à l’Assemblée des Comores, censé être le temple de la
démocratie aux îles Comores, Kiki a tenu les propos malheureux et infâmes
suivants : « Je regrette que cette fille qui s’appelle Faïza ne soit pas là en ce
moment, parce que, hier elle n’a pas montré une belle image de notre pays à
l’étranger, et nous condamnons cela. Vous les journalistes, avez bien fait
votre travail, mais pas elle. Car, il y a des choses à publier et d’autres qu’on
ne peut pas publier. Elle a montré une très mauvaise image de notre pays.
Nous condamnons la manière par laquelle elle a fait son travail hier. On
regrette qu’aujourd’hui, elle ne soit pas là pour les résultats du référendum,
mais que, hier, lors de l’acte criminel commis par son parti Juwa, qu’elle
soutient, elle était présente ».
Mme Faïza Soulé Youssouf n’a pas truqué ses photos et vidéos. Celles-ci
sont donc le reflet de la réalité, et cette réalité est créée par la dictature.
Mme Faïza Soulé Youssouf n’est affiliée à aucun parti politique, et est une
remarquable journaliste professionnelle, appréciée de tous et de toutes, sauf
des goujats haineux. Les propos d’un Kiki, dirigeant un escadron de la mort,
sont infâmes parce que tenus par un être infâme, mais ne peuvent jamais être
infamants puisque leur auteur est une nullité sociale et politique, et personne
ne sera humilié par un tel personnage. Emporté par la folie du pouvoir, Kiki
menace Mme Faïza Soulé Youssouf de poursuites judiciaires, « pour atteinte
à l’image des Comores », sans citer l’article du Droit positif comorien qui lui
permettra d’invoquer un tel « crime contre l’humanité ». En réaction, des
journalistes de Madagascar, île Maurice, la Réunion, Comores et Mayotte
ont créé un Comité de Défense de la liberté de la presse dans l’océan Indien.
Ils ont engagé des avocats pour défendre Mme Faïza Soulé Youssouf.
Le jeudi 16 août 2018, Mme Faïza Soulé Youssouf a été licenciée « pour
faute lourde : incitation à la rébellion des journalistes, abandon de poste ».
Il s’agit d’un faux prétexte et d’une vengeance idéologique et intellectuelle.
Pour avoir le prétexte de décapiter l’opposition, Assoumani Azali, Kiki et
Bellou Magochi ont fait amputer un gendarme de sa main, accusant le Parti
Juwa d’Ahmed Sambi, dont de nombreux cadres sont arbitrairement arrêtés.
Dans ses plans diaboliques, la « Ripoux-blique » de Mitsoudjé voulait même
décapiter ce gendarme et mettre ce crime sur le compte du Parti Juwa.

43
Personne n’a mieux résumé la problématique constitutionnelle aux Comores
que le Docteur Abdoulhakim Mohamed Chakir, un religieux honorable et
sérieux, et ce, lors d’un meeting au Stade Ajao de Moroni, le vendredi 19
février 2016 : « Si nous avons un président qui finira son mandat au sommet
de l’État sans changer la Constitution, ni dire que la Constitution lui crée
des écueils, et finira son mandat sans changer la Constitution, tout le monde
le suivra. Il y a des gens qui disent avoir été handicapés par la Constitution
et qu’ils font tout pour la modifier, et c’est pour cela que nous devons
respecter Ikililou et son groupe que voici parce qu’ils n’ont pas modifié la
Constitution. Ils l’ont bien appliquée jusqu’à la fin de leur mandat. Nous
n’avons pas de problèmes de nature constitutionnelle. Il faut se méfier des
gens qui disent : “C’est moi, c’est moi, et si ce n’est pas moi, l’État ne doit
pas survivre”. […]. Ils ont donc été au pouvoir sans modifier la Constitution
jusqu’à ce que nous soyons arrivés là où nous sommes aujourd’hui, nous
sommes d’accord pour dire qu’ils sont de bons dirigeants, et nous leur
faisons confiance. Nous n’allons pas nous diviser »1.
Les dirigeants comoriens n’ont jamais confié les travaux juridiques à des
vrais juristes, mais à des charlatans qui font du bricolage et du rafistolage. Ils
sont restés sur des débats stériles et politisés, sur la nature des institutions, au
lieu d’œuvrer pour le bien commun. Ils font tout pour réviser la Constitution
dans le sens de leurs intérêts du jour.
Les mœurs politiques des Comores font la sociologie politique de ce pays
toujours en butte à des convulsions, qui ont fait dire à Philippe Decraene,
déjà en 1972 : « Les colères du Karthala, dont la dernière éruption remonte à
quelques semaines, l’effervescence politique retombe généralement vite à la
Grande-Comore. Mais, de même que persiste la menace de nouvelles coulées
de lave en direction de la capitale Moroni, la morosité a ici la vie dure »2.
Les développements qui précèdent vont nous permettre de mener notre étude
sur la base des cinq Chapitres suivants :
− Prévalence d’un conservatisme sociopolitique qualifié de féodalisme
(Chapitre I.),
− Prévalence d’une insularité sœur jumelle du culte du village natal (Chapitre
II.),
− Des pratiques sociopolitiques rejetant l’État de Droit et la démocratie
(Chapitre III.),
− Pratiques sociopolitiques dépréciant les institutions et l’autorité de l’État
(Chapitre IV.),

Une sociologie reflétant le profil des acteurs politiques des îles Comores
(Chapitre V.).

1 Cité par Riziki Mohamed (Abdelaziz) : Mohamed Ali Soilihi. Vérités sur une élection aux
Comores, L’Harmattan, Paris, 2016, p. 270.
2 Decraene (Philippe) : Les Comores entre l’autonomie et l’indépendance. I.- Morosité à

Moroni, Le Monde, Paris, 1er décembre 1972, p. 1.

44
CHAPITRE I.
PRÉVALENCE D’UN CONSERVATISME
SOCIOPOLITIQUE QUALIFIÉ DE FÉODALISME

Depuis le début des années 1960, un débat intense oppose « modernistes »


et « traditionalistes » aux Comores. Acquise aux idées « progressistes » de
cette époque, qui est celle des indépendances africaines, habituée à lire les
œuvres de Karl Marx, Friedrich Engels, Vladimir Oulianov Lénine et Mao
Tsé Toung, la jeunesse des Comores voulait secouer le conservatisme social
et la sclérose politique. De janvier à mai 1968, elle avait défié l’autorité
coloniale et s’était opposée frontalement à la classe politique, généralement
favorable à la France. La remise en cause et la volonté d’aggiornamento de
la société comorienne vont franchir un nouveau palier quand Ali Soilihi a
accédé au pouvoir par son coup d’État du 3 août 1975, en recourant à une
partie de cette jeunesse survoltée, dont une autre fraction, essentiellement
regroupée au sein de la très politique Association des Stagiaires et Étudiants
comoriens (ASÉC), avait une prédilection pour des idées révolutionnaires
plus explosives encore, et accusait Ali Soilihi lui-même de « tiédeur » et de
« conservatisme ». Pourtant, dans les années 1970, l’ASÉC fait les éloges du
génocidaire Pol Pot, du dictateur Enver Hodja d’Albanie et de Mao Tsé
Toung. Pour rappel, le génocide des Khmers Rouges au Cambodge de 1975
à 1979, rebaptisé Kampuchéa démocratique, avait fait 1,7 million de morts,
soit 21% de la population du Cambodge de l’époque.
Dès lors, nous allons étudier les traits du conservatisme « féodal » et son
impact sur la vie sociopolitique (S.I.), la lutte menée contre la « féodalité »
par Ali Soilihi de 1975 à 1978 (S.II.) et, enfin, la résurgence et consolidation
des forces traditionalistes à travers celles de la notabilité (S.III.).

S.I.- TRAITS DU CONSERVATISME « FÉODAL » ET IMPACT SUR LA VIE


SOCIOPOLITIQUE
La question ainsi abordée est d’une grande sensibilité en ceci qu’elle est en
relation très directe avec un conservatisme divisant la société comorienne en

45
« races » (§1), un traditionalisme divisant la même société comorienne en
classes (§2), un conformisme opposant les citadins aux campagnards (§3) et
excluant presque totalement la femme de la sphère publique (§4).

§1.- UN CONSERVATISME DIVISANT LA SOCIÉTÉ COMORIENNE EN


« RACES »
Est-il approprié de parler de « races » au sein de la société comorienne ? La
question peut sembler saugrenue et ne pas être politiquement correcte. Or, il
est très utile de la poser parce que justement, de longue date, un vent de
« racisme » balaie la société comorienne. Ce « racisme » comorien a ses
implications politiques. Ceci est d’autant plus vrai qu’une « aristocratie
arabe » existerait aux Comores et dirigerait le pays. En d’autres termes, c’est
l’appartenance à cette « aristocratie arabe » qui doit permettre l’entrée et le
maintien sur l’espace public, notamment sur la scène politique.
Les auteurs qui parlent de la fameuse « aristocratie arabe » mettent en
exergue sa « domination totale » de la classe politique. Naturellement, dans
cette vue de l’esprit, les Comoriens qui n’ont pas le « privilège de la race »
et qui ont une peau noire sont présentés comme étant de simples et vulgaires
« descendants d’esclaves », indignes d’avoir droit de cité sans l’autorisation
de « l’aristocratie arabe ».
En d’autres termes, la valeur aux Comores est rattachée à la « race » et aux
origines « arabes ». Être noble, c’est donc appartenir à la race arabe. Il n’est
pas excessif de signaler que dans cette prétention, tout ce qui relèverait de
l’esthétique est automatiquement rattaché à l’arabité : les bonnes manières,
l’éducation, le savoir-vivre et le savoir-faire s’appellent « Ousta-Arabe », et
celui qui les a est « Mousta-Arabe ». On dit également : « Beau comme un
Arabe ». Pourtant, il faudra un jour expliquer aux Comoriens pourquoi des
Princes qui vivaient dans des châteaux des Mille et Une Nuits en Arabie ont
quitté ces demeures de rêve pour aller affronter les moustiques dans un pays
peuplé essentiellement de Nègres, sous les tropiques. La distance est quand
même grande entre les îles Comores, d’une part, le Hadramaout, Chiraz et
Mascate, d’autre part, d’où sont censés venir les glorieux ancêtres.
Du jour au lendemain, le Prophète Mohammed eut un nombre incalculable
de « descendants », dont certains à la peau noire, sous les tropiques, à portée
des moustiques les plus hargneux et les plus intraitables. Comme par hasard,
c’est au sein de l’inimitable « aristocratie arabe » que se recrutent les plus
prétentieux des « héritiers », ceux qui croient qu’il suffit d’avoir une peau
légèrement plus claire que celle de la moyenne des Comoriens pour avoir le
droit de proclamer être descendu du ciel pour régner sur les Nègres que l’on
peut voir un peu partout aux Comores. Situation absolument scandaleuse, on
peut entendre des acteurs politiques placer tous leurs mérites sur l’origine
arabe de leurs ancêtres, et même certains Négro-Comoriens sont abonnés à
ce discours, dont le pionnier est Saïd Mohamed Cheikh. Les Comoriens sont

46
confrontés à la production d’un discours sur l’hérédité, la génétique et la
généalogie des plus « nobles » des Comoriens, ceux qui, grâce aux ancêtres
arabes et perses (les Chiraziens) plus ou moins réels, sont dignes de diriger
les Comores. Or, bien souvent, la grande « noblesse » n’est visible que dans
la cour de la maison familiale.
De cette manière, les Comoriens assistèrent à l’émergence de la « noblesse
généalogique et génétique ». Saïd Mohamed Djohar, qui était pourtant d’une
peau très foncée, celle de la plupart des Comoriens, avait l’habitude de faire
prévaloir sa généalogie et sa génétique d’« aristocrate arabe », créant une
longue chaîne d’ancêtres se rattachant directement au Prophète Mohammed.
Posons le problème de manière globale.
Pour Pierre Vérin, « la situation va changer au tournant du XIVème siècle,
quand une dynastie venue d’Hadramaout, celle des Mahdali, vient contrôler
le commerce de l’or sur la côte orientale d’Afrique depuis Mogadiscio
jusqu’à Sofala. Le nom de son fondateur, Al-Hasan Bin Talut, apparaît sur
les pièces. L’influence de ces dynasties hadramies se précise à Anjouan où
s’installent les Al-Masela et les Al-Madawa, ancêtres des familles royales
que rencontrèrent les Français au XIXème siècle »1.
Des politiciens comoriens se disent descendants de Princes et Sultans de
Mascate, du Hadramaout et de Chiraz et expliquent que leurs origines sont
plus nobles que celles de Comoriens qui n’ont pas de prétentions « arabes »
et « princières ». D’autres, dans certains villages, se déclarent descendants
du Prophète Mohammed du seul fait d’être venus au monde un vendredi…
Ambassadeur de France aux Comores de 1983 à 1987, sous la présidence
d’Ahmed Abdallah Abderemane, Alain Deschamps signale ceci : « Riche en
jacqueries et révoltes serviles, l’histoire tourmentée d’Anjouan a été long-
temps marquée par la rivalité des trois villes de Mutsamudu, Ouani et
Domoni et des trois nobles lignées El Madua, chirazienne, El Masela et
Aboubacar Ben Salim, toutes deux yéménites. Le fondateur de cette dernière
était un Arabe venu du Mozambique qui, après y avoir assassiné un Portu-
gais, était venu s’installer à Domoni. Cet entreprenant aventurier avait
épousé la reine d’Anjouan, dont le clan El Masela prétend remonter au
Prophète. Le président Ahmed Abdallah se flattait de descendre d’un aussi
glorieux aïeul et m’a assuré qu’il était apparenté à Yasser Arafat, dont les
ancêtres, comme les siens, seraient originaires de l’Hadramaout. Ses deux
épouses appartenaient en revanche au clan El Madua. Après bien des
combats, l’unité se fit au XVIIIème siècle, en un seul sultanat. Ville royale
jusqu’au XVIIIème siècle puis, avec Ahmed Abdallah, ville présidentielle,
Domoni, malgré ses remparts, avait pour moi moins de charme que Mutsa-
mudu »2.

1Vérin (Pierre) : Les Comores, Karthala, Collection « Méridiens », Paris, 1994, p. 59.
2Deschamps (Alain) : Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et
cœlacanthe, Karthala, Collection « Tropiques », Paris, 2005, p. 28.

47
Le président Saïd Mohamed Djohar a réussi la gageure non seulement de
descendre du Prophète Mohammed, mais en plus d’avoir pu constituer la très
longue chaîne des glorieux ancêtres jusqu’aux Koraïchites de La Mecque. Il
est Saïd Mohamed Djohar Al-Cheikh Aboubacar Ibn Salim Al-Alaoui Al-
Housseiny. Djohar procède d’une déformation de Djawhar par l’état civil de
Majunga, à Madagascar, où il est né le 22 août 1918. Il serait donc un des
descendants d’Aboubacar Ben Salim dont parle Alain Deschamps. Dès lors,
il considère que le président Ahmed Abdallah Abderemane, dont il était un
ami, était un membre de sa famille. Que cela ne nous étonne pas puisque, par
une sorte d’exorcisme, les acteurs politiques anjouanais et grands-comoriens
se revendiquant d’un ancêtre commun qui viendrait du Hadramaout, Chiraz
ou Mascate, ont tendance à se regrouper par affinité « ethnique ».
L’ascendance moyen-orientale est un véritable phénomène de société, et on
constate que « vu son faible pourcentage, on comprendra que la population
d’origine ait engendré le concept de “pur Mahorais”… Il se confond avec
celui de “Shirazi” : comme dans les autres îles Comores, la généalogie la
plus flatteuse est de descendre de ces immigrants arabo-shiraziens, qui
vinrent se mêler au substrat de population bantoue. La répartition tradition-
nelle des tâches, entre maîtres et esclaves, doit y être pour quelque chose.
En fait, le vocable désigne très globalement les vagues d’immigration
venues de l’ensemble du Golfe Persique, et tout exclusivement les véritables
habitants de Shiraz, dans le sud de l’Iran, qui durent quitter leur pays au
Xème siècle pour fuir une invasion shi’ite, et se replièrent d’abord sur
l’Afrique de l’Est et l’île Kilwa. Tout le monde à Mayotte se rêve descen-
dant de Shirazien : l’idéal de beauté physique est d’avoir les traits fins, le
teint le plus clair possible, bref de ressembler à un Arabe »1.
L’arabité est une véritable obsession au sein de l’« aristocratie arabe », qui
considère que l’adhésion des Comores à la Ligue des États arabes (LÉA) en
1993 est la meilleure chose qui pouvait lui arriver car il s’agirait d’une belle
reconnaissance par le « cousin arabe ». Plus édifiant encore, le 16 février
1997, à Anjouan, avait éclaté une crise séparatiste qui a failli emporter l’État
comorien. Cette crise séparatiste fut suivie d’une déclaration d’indépendance
faite le 3 août 1997, pendant que les Anjouanais réclamaient le rattachement
de leur île à la France. Ce fut le « rattachisme ». L’Organisation de l’Unité
africaine (OUA) avait dépêché l’ambassadeur Pierre Yeré (de Côte-d’Ivoire)
aux Comores. Arrivé à Anjouan, Pierre Yeré se faisait traiter de « Nègre »
par les Anjouanais. Certains parmi ces derniers, dont Abdallah Mohamed, un
de leurs chefs, longtemps fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères,
arguaient du fait qu’Anjouan ne pouvait retourner dans le giron comorien
parce que les Anjouanais étaient des Arabes et non des Comoriens. Abdallah
Mohamed pouvait exhiber ses cheveux en criant durant les conférences qui
devaient assurer la réconciliation entre Comoriens : « Regardez mes cheveux

1 Fasquel (Jean) : Mayotte, les Comores et la France, L’Harmattan, Paris, 1991, p. 101.

48
et dites-moi si ce sont les cheveux d’un Comorien ». Il aurait dû expliquer à
ses interlocuteurs ce que sont « les cheveux d’un Comorien ».
Selon Pierre Vérin, les migrants venus du Hadramaout avaient une vraie
présence, notamment sur l’île de Mohéli : « Dans les sites, la venue de ces
gens du Hadramaout se manifeste par l’importation d’une céramique à
couverte jaune faite à Kawd Al Saila non loin d’Aden. On la trouve à Mwali
Mdjini mais aussi près de Nosy Bé à Madagascar, là où fut implantée la ville
de Mahilaka, nantie d’une forteresse aux murs d’assises régulières »1.
Le site historique de Mwali Mdjini se trouve bien à Djoiezi, Mohéli, dans
mon foyer natal. Or, bien que je sois né à Djoiezi et même si je connais tous
les Djoieziens « de souche », je n’ai jamais entendu l’un d’entre eux parler
du Hadramaout, du Hedjaz, de Chiraz ou de Mascate, et encore moins
déclarer qu’il y avait ses origines. Il en est de même pour Mlabanda, village
dont de nombreux habitants ont des traits typiques du Moyen-Orient, mais
qui n’en parlent jamais, qui ne prononcent jamais les mots « Hadramaout,
Hedjaz, Chiraz et Mascate », et ne s’en prévalent jamais sur le plan de la
généalogie. Un Mohélien qui aurait osé se mettre dans un coin de la rue pour
évoquer ses « ancêtres arabes ou persans » serait devenu rapidement la risée
de toute son île parce qu’à Mohéli, malgré la survivance de certains préjugés
sur les origines des uns ou des autres, aucune hiérarchie n’est conçue sur le
plan « racial ».
Saïd Mohamed Djohar, issu de « l’aristocratie arabe » et se réclamant
d’aïeuls venus du Hadramaout, a poussé la ferveur généalogique jusqu’à
visiter le Yémen, sur la trace des ancêtres. C’était en 1996, après avoir été
renversé par Robert « Bob » Denard et ses mercenaires le 28 septembre 1995
et après avoir été déporté sur l’île de la Réunion, avant les négociations qui
ont eu lieu à Antananarivo, Madagascar, pour son retour aux Comores.
Il avait pris l’avion pour la France et s’était arrêté au Yémen : « Le voyage
se fit le lendemain pour Paris avec escale de deux jours à Sanaa. Ali
Abdallah Saleh, président du Yémen, prévenu, me fit installer dans le plus
bel hôtel de la ville, avec un groupe d’escorte et de protection de l’armée à
ma disposition. Depuis les Comores jusqu’à Sanaa je fus accompagné par
Saïd Mohamed Sagaf et Saïd Hassan Al Haddad qui souhaitaient visiter les
tombeaux de nos illustres ancêtres. Nos deux jours de transit à Sanaa nous
permirent d’aller à Chibam, Tarim, Aynat, villes saintes du Hadhramaut où
reposent A. Saqqaf, Haddad, Abi Bakr Ibn Salim, nos aïeux et ceux de Saïd
Omar Ibn Soumeit. Devant les mausolées de ces saints nous avons fait des
prières pour le progrès de notre pays et contre ceux qui veulent empêcher
son développement »2. Ce récit montre à quel point certains aux Comores se
glorifient de leurs « ancêtres arabes ». C’est très touchant et émouvant !

1Vérin (P.) : Les Comores, op. cit., p. 59.


2Djohar (S. M.) : Mémoires du président des Comores. Quelques vérités qui ne sauraient
mourir, op. cit., p. 335.

49
Pourtant, entre membres de « l’aristocratie arabe », les relations ne sont
pas toujours faciles, parce qu’il y a les « Blancs » et les « Noirs ». Dans cette
famille, les « Blancs » n’acceptent pas facilement leurs cousins « noirs ». En
d’autres termes, la couleur de la peau l’emporte souvent face aux prétentions
généalogiques de certains. Le monde arabe a ses propres Noirs, mais ce n’est
pas cela le plus important, dans la mesure où l’Arabe est assimilé au Blanc.
L’Anjouanais Ahmed Abdallah Abderemane en a fait l’amère expérience :
« Originaire d’Anjouan, ancien ouvrier devenu l’un des hommes les plus
riches de l’océan Indien (grâce à ses plantations et au commerce du riz),
self-made-man peu cultivé, le sénateur Ahmed Abdallah détonne au sein du
sérail arabe de Grande-Comore, dominant la vie politique et économique de
l’archipel »1.
Même Saïd Mohamed Cheikh, considéré par les siens sur son île comme la
quintessence du « sérail arabe de Grande-Comore », devait se faire traiter de
« Nègre » à Anjouan, surtout en période électorale, généralement agitée aux
Comores. Saïd Mohamed Djohar, qui se déclare d’ancêtres communs venus
du Hadramaout avec lui et qui avait été son ministre, témoigne, et ce qu’il
livre au public n’est pas à l’honneur des Anjouanais – à qui d’autres, aux
Comores, ne pourraient donner des leçons sur le vivre commun : « Cette
campagne électorale préliminaire (2 ans avant la date fixée pour les élections)
usa tout le monde. On en venait souvent aux mains à Mutsamudu. On
s’insultait. Saïd Mohamed Cheikh, malgré la couleur brune de sa peau, était
un bel homme. De la lignée de Cheikh Abi Bakr Bin Salim, il était très
respecté comme tous ses frères de la même extraction socialo-religieuse.
Quant à Saïd Ibrahim et Mohamed Ahmed, ils avaient le teint très clair.
Cette différence de couleur entre les candidats adverses était utilisée par le
Parti Blanc pour nous considérer comme des êtres inférieurs.
Quand Saïd Mohamed Cheikh se déplaçait à Anjouan pour ses tournées
électorales, à Mutsamudu, les Blancs criaient : “Chidza, chidza aja” (“l’obs-
curité est arrivée”. Ce climat de moqueries et de “racisme” engendra un
climat de haine généralisée »2.
Autrement dit, au sein de « l’aristocratie arabe » et du sérail des Blancs
des Comores, certains sont plus Blancs que d’autres, et le font savoir de
manière bruyante et la plus négative. Les Blancs peuvent dénigrer les Nègres
jusqu’au moment où certains Blancs sont eux-mêmes traités de Nègres. On
aurait pu parler d’un juste retour des choses, mais le mal racial est profond,
très profond aux Comores et il aurait été irresponsable de traiter le problème
à la légère. Au sein de « l’aristocratie arabe », les chantres les plus fanatisés
de la suprématie raciale peuvent être des Noirs qui se croient Blancs.

1 Bourges (H.) et Wauthier (C.) : Les 50 Afriques. Tome II. Afrique centrale. Afrique des
Grands Lacs. Afrique australe. Océan Indien, op. cit., p. 622.
2 Djohar (S. M.) : Mémoire du président des Comores. Quelques vérités qui ne sauraient

mourir, op. cit., pp. 91-92.

50
Quel est le fond du problème ? Il est « racial » et « raciste ». En effet, des
Comoriens, notamment parmi les intellectuels, usent de termes « racistes »
pour traiter de « sous-hommes noirs » tous les autres Noirs du monde. Tout
autre Noir, quel que soit son statut social, est « Mtchétché », « Mchéndzi »,
« Mchambara », « Mgougna », « Gadra », « Mtroina », « Mgoina Mrima »
(« Noble d’Afrique continentale », mais Nègre aux Comores), « Mroumoi »
(« esclave »).
Au Maroc, je découvrais avec horreur ces préjugés. Plus d’une fois, je me
suis donné la peine d’interpeller des étudiants comoriens pour leur expliquer
l’absurdité de la situation, mais ceux-ci m’ont opposé des « arguments » de
supériorité raciale du Comorien envers tous les autres Noirs du monde. De
fait, pendant maintes années, j’ai été témoin des scènes dans lesquelles des
étudiantes comoriennes refusaient de saluer les autres étudiantes africaines
de notre École pour ne porter leur regard et leur intérêt que sur les étudiantes
marocaines. Le spectacle était tout simplement ahurissant, et je devais subir
l’affront de répondre aux questions de mes nombreux amis africains, qui me
demandaient pourquoi les Comoriennes les méprisaient autant.
Enfermée dans la certitude de sa supériorité raciale, « l’aristocrate arabe »
des Comores a une autre cible pour assouvir son mépris : le Comorien ayant
un parent comorien et un autre parent malgache. Ce Comorien ayant à la fois
du sang comorien et du sang malgache est le « Zanatany » (en malgache,
« étranger né à Madagascar »).
Pourtant, né, lui aussi, à Madagascar, Saïd Mohamed Djohar écrase de tout
son mépris Omar Tamou, le ministre de l’Intérieur hérité d’Ahmed Abdallah
Abderemane et qui lui avait organisé la fraude électorale qui lui avait permis
d’être « choisi » par les Comoriens, avant d’avouer publiquement la fraude
électorale et de tenter de le renverser le 26 septembre 1992. Parce que né à
Madagascar comme tant d’acteurs politiques comoriens, Omar Tamou est
traité de « Mbouchi » (« Malgache ») par ses ennemis et ses détracteurs. Sa
naissance à Madagascar est considérée par ses ennemis comme un horrible
crime de génocide, alors que la relation entre les Comores et Madagascar est
plusieurs fois séculaire et est inscrite dans un sang qui unit de nombreux
Malgaches à de nombreux Comoriens.
Le président Ahmed Abdallah Abderemane donnait au « Malgache » Omar
Tamou du « Saïd » (« Monsieur »), et « l’aristocratie arabe » avait demandé
à Saïd Mohamed Djohar d’en faire le reproche au chef de l’État. Celui-ci le
fit en des termes dans lesquels se retrouve tout le « racisme » des Comoriens
envers d’autres Comoriens : « Mais, il semble que le ministre de l’Intérieur
vend du chanvre en provenance de Madagascar. Un autre commerçant en
commande également en Tanzanie et le cache dans de gros bidons de
“samli” (beurre arabe). Tu sais que ton ministre de l’Intérieur est originaire
de Tuléar ou de Morondava1, un gros trafiquant de drogue. Tu lui as donné

1 Tuléar et Morondava sont des villes malgaches.

51
le titre de nos ancêtres : “Saïd”. C’est son père qui est Comorien. Nos frères
de même lignage ne sont pas contents et m’ont prié de te le dire. Cesse de
l’appeler avec ce titre. As-tu oublié qu’il a été l’un de nos adversaires les
plus acharnés ? S’il fait le mort ces derniers temps, c’est parce que tu l’as
nommé ministre. Il gagne ainsi largement sa vie, s’adonne en même temps à
des activités commerciales illicites tout en fréquentant les jeux prohibés par
la loi. Les amendes recueillies par la police et la gendarmerie nationale ne
sont plus versées au Trésor public. Le mécontentement est général. T’es-tu
rendu compte que, depuis un certain temps, personne ne se lève pour te
saluer comme avant lors de tes promenades dans ta voiture officielle ? »1.
Ces propos absolument surréalistes, surtout venant d’un futur chef d’État et
adressées à un chef d’État en exercice, soulignent l’étendue de l’apartheid de
« l’aristocratie arabe » aux Comores, en même temps qu’ils dévoilent une
des principales activités des autorités comoriennes : la délation. Dénoncer
l’adversaire politique est une activité politique de la plus grande importance
aux Comores, et on peut l’accuser de tout pour détruire sa toute réputation et
sa carrière. Les acteurs politiques mohéliens ne sont pas les seuls à vivre de
la délation aux Comores.
Le Malgache est donc traité plus bas que terre par le Comorien. Ce dernier
lui attribue les sobriquets les plus désobligeants, sans se livrer à la moindre
introspection sur ses vraies origines au-delà des fantasmagories et fantasmes
sur ses « ancêtres arabes ». Pourtant, les principaux « aristocrates arabes »
des Comores vont vénérer une origine nègre d’Afrique : la Tanzanie, surtout
Zanzibar. Mais, que cela ne nous étonne pas, dans la mesure où Zanzibar a
sa part d’arabité, notamment du fait des origines omanaises (Mascate) de ses
habitants et même de ses Sultans, dont certains avaient pris pied à Mohéli.
La fameuse « aristocratie arabe » des Comores est donc amoureuse de l’île
de Zanzibar pour la seule raison qu’elle porte une impressionnante empreinte
arabe du Moyen-Orient.
L’obsession « raciale » est donc un fait de société aux Comores.
Cette façon de voir tout ce qui est relatif à l’Arabe avait conduit une part de
l’importante communauté comorienne de Zanzibar à commettre une faute
grave, par fidélité aux aïeux arabes, même sous le règne des moustiques des
tropiques : « En 1964, éclata la guerre d’indépendance de Zanzibar où
régnaient des sultans originaires d’Oman. Les Zanzibarites voulurent les
destituer et la guerre éclata entre les Arabes d’Oman et les autochtones. Les
Comoriens, qui formaient une communauté assez importante, se rangèrent
du côté des Arabes. Les Tanganicains de Nyerere aidèrent les Zanzibarites
et vainquirent les Arabes, qui furent massacrés en grand nombre ainsi que
leurs alliés comoriens. Le sultanat d’Oman récupéra ses sujets survivants
ainsi que certains Comoriens volontaires. Saïd Mohamed Cheikh, en accord

1 Djohar (S. M.) : Mémoires du président des Comores. Quelques vérités qui ne sauraient

mourir, op. cit., p. 253.

52
avec le gouvernement Nyerere, récupéra les rescapés comoriens de cette
atroce guerre civile. La plupart rentrèrent en Grande-Comore […] »1.
En réalité, les origines du mal se trouvent aux Comores. Les origines de ce
mal se trouvent dans la déification de l’Arabe, au détriment de l’Homme lui-
même. Les racines du mal se trouvent dans une éducation faite de préjugés,
de miroirs déformants et de clichés. Le mal se trouve dans le fait que le Noir
aux Comores est considéré comme le descendant de l’esclave, pendant que
le descendant de l’Arabe réel ou non est le maître. Les principaux membres
de « l’aristocratie arabe » refusent d’admettre l’opinion émise par Pierre
Vérin, pour qui, « du point de vue de l’histoire du peuplement, les Comores
sont une nation bantoue d’idéal islamique », et « ces Bantous se sont convertis
à l’Islam, très progressivement, sous l’influence de migrants venus d’Arabie et
du Golfe »2. C’est tout.
Certains Comoriens rejettent l’égalité des « races » au sein de leur pays, un
pays insulaire, un pays océanique, ouvert sur le monde, où des navigateurs
venus du monde entier ont pris pied, un pays où cohabitent des peuples et des
races qui sont venus de plusieurs pays et continents. Ces Comoriens estiment
que leur pays doit être entre les mains de « l’aristocrate arabe », par exclusion
de tous les Nègres, « descendants d’esclaves ».

§2.- UN CONSERVATISME DIVISANT LA SOCIÉTÉ COMORIENNE EN CLASSES


La société comorienne est divisée en deux classes principales : une classe dite
dominante et une classe dite dominée. Il s’agit d’une dichotomie dans laquelle
on retrouve la « bonne société » et les « basses castes ». Sur toutes les îles de
l’archipel des Comores, la division sociale de la population en classes sociales
est une réalité. Cependant, la grossière erreur commise en la matière par tous
les « experts » qui s’intéressent à la question est celle consistant à extrapoler le
modèle social de la Grande-Comore sur toutes les autres îles de l’archipel des
Comores.
Or, si en Grande-Comore, les grands notables dominent la société, à Mohéli,
Anjouan et Mayotte, personne n’a un jour entendu parler de ceux-ci. De même,
si à la Grande-Comore, le grand mariage est le facteur régulateur des relations
et positions sociales, ce type de mariage n’existe pas en l’état dans les autres
îles et ne joue pas le rôle d’aiguillage social. En effet, à Mohéli, Anjouan et
Mayotte, personne n’occupera une position sociale pour avoir dépensé ou pour
n’avoir pas voulu dépenser des millions de francs comoriens à l’occasion d’un
mariage, qui peut être un pur décor social sans la moindre forme de sentiments.
Naturellement, dans cette configuration féodale de la société comorienne, et
du XIXème siècle à la Révolution d’Ali Soilihi du 3 août 1975 au 13 mai 1978,
la politique était l’apanage des membres de « la bonne société ». Les plébéiens

1 Djohar (S. M.) : Mémoires du président des Comores. Quelques vérités qui ne sauraient

mourir, op. cit., pp. 125-126.


2 Vérin (P.) : Les Comores, op. cit., p. 47.

53
n’avaient pas voix au chapitre. Ils n’avaient aucune existence sociopolitique. Ils
n’existaient pas en politique. Ils n’avaient pas le droit d’assister à la prise des
décisions concernant la société. Ils devaient se taire, s’effacer et laisser faire les
membres de la « bonne société ».
Dès lors, on peut imaginer le traumatisme qu’avait été la Révolution d’Ali
Soilihi, qui avait mené une véritable lutte contre l’organisation sociale des îles
Comores, dénonçant et combattant les classes sociales dominantes.
Pourtant, à ce jour, quand il s’agit de définir la vraie appartenance sociale des
membres de la « bonne société », aucun terme occidental n’est valable. Tour à
tour, les « experts » du microcosme de Moroni et leurs amis en France ont péroré
en ayant recours aux termes « aristocrates », « bourgeois » et « nobles », mais
ces concepts sont complètement et absolument vides de sens quand il s’agit de
qualifier la « bonne société » comorienne.
En effet, qualifier la « bonne société » comorienne d’aristocratie relève d’un
abus de langage, puisque l’aristocratie est « le pouvoir des meilleurs » et, dans
le cas des Comores, on sait ce que ça vaut. L’aristocratie désigne ce qu’il y a
de meilleur, et « par extension, [elle] désigne, à l’époque contemporaine, au
sein d’un groupe social ceux qui sont dans une situation prééminente en
raison de leur fortune, de leur compétence ou de leur origine sociale »1.
Déjà dans l’Antiquité, Aristote (384-322 avant Jésus-Christ) avait défini
l’aristocratie en ces termes : « Le gouvernement d’un petit nombre d’hommes
ou de plusieurs et non d’un seul, s’appelle aristocratie, soit parce que
l’autorité est entre les mains des meilleures gens de bien, soit parce qu’ils en
usent pour le plus grand bien de l’État et de tous les membres de la société »
(La Politique, Livre III).
Comment parler alors d’aristocratie aux Comores alors que ceux qui disent
appartenir à cette classe sociale ne sont pas « les meilleurs », ont rarement
« une fortune », une « compétence », une « origine sociale » particulière, et
ne sont jamais « les meilleures gens de bien de l’État et de tous les membres
de la société », se moquant du « plus grand bien de l’État » ?
Dans le cas des Comores, une lancinante question se pose.
Où est la bourgeoisie comorienne ? Pourtant, on en parle et on en fait des
quantités de discours, mais sans la moindre préoccupation scientifique. Or,
par définition, la bourgeoisie est « 1.- Sous l’Ancien Régime, la fraction du
Tiers État caractérisée par la possession de biens et l’absence de travail
manuel ; souvent opposée à la noblesse pour la conquête du pouvoir. 2.-
Dans la doctrine marxiste, ce terme désigne la classe propriétaire des
moyens de production, qui s’accapare la plus-value, source d’aliénation des
travailleurs. Elle doit disparaître avec la prise du pouvoir par le prolétariat.
3.- À l’époque actuelle, catégorie sociale caractérisée par un niveau de
revenus élevé et en même temps par un mode de vie et la référence à

1 Debbasch (Charles) et Daudet (Yves) : États. Vie politique. Relations internationales


(Collectif), 6ème édition, Dalloz, Paris, 1992, p. 25.

54
certaines valeurs sociales (ordre, libéralisme, etc.) »1. En d’autres termes, il
n’y a pas de bourgeoisie sans production, ni richesses.
Or, cela n’est pas le cas de la « bourgeoisie » des Comores. En effet, ceux
qui croient être des bourgeois aux Comores ne possèdent rien, ne produisent
rien et ne s’appuient que sur des prétentions sociales démenties par la misère
dans laquelle sombrent la plupart d’entre eux dès qu’ils n’occupent plus les
emplois publics qui leur permettent de parader devant les couches sociales
les plus démunies. À la fin d’un régime politique aux Comores, que de gens
qui se prenaient pour des « bourgeois » mendient auprès de « roturiers »
qu’ils méprisaient quelques mois auparavant ! Les bourgeois comoriens sont
dans l’incapacité de maintenir le même rythme de vie cinq ans de suite et,
après quelques mois de faste, ils retombent dans la misère noire. Il s’agit
d’une fausse bourgeoise, une « bourgeoisie » improductive et factice.
De la même manière, les Comoriens ne sont pas avares en discours sur leur
« noblesse ». En réalité, la noblesse est rattachée à une « bonne naissance ».
Justement, qui est mieux né que l’autre aux Comores ? Dans les différentes
localités des Comores, vivent des personnes très honorables. Certaines disent
tout haut et partout qu’elles sont des « Kabaïla » (« Nobles ») et surtout des
« Oingoina » (« Hommes libres »), n’hésitant pas à traiter avec mépris les
autres de « Oitroina » (« sous-hommes descendants d’esclaves »).
L’Histoire des Comores ne se lit pas de manière linéaire. C’est ainsi que le
lecteur de tel livre écrit par telle personnalité comorienne découvre avec une
réelle stupeur que l’auteur de l’ouvrage accuse de certaines choses tel acteur
politique vénéré par les siens jusqu’à l’idolâtrie et considéré comme la vraie
quintessence de la noblesse de son île et même de tout le pays. Inversement,
des auteurs étrangers qui ne connaissent pas les personnages principaux de
l’Histoire des Comores se laissent facilement aller à des fantaisies charriant
le racisme et le mépris colonial. D’aucuns estiment que, « cependant, il est
certain que, pour ce siècle, une masse de documents existe, masse dont
l’exploitation sera poussée à son plus haut niveau – en ce qui concerne ce
qui est publié à l’heure actuelle – avec l’importante Thèse d’Histoire de
Jean Martin (soutenue en 1982 et publiée en 1983). L’inconvénient de telles
recherches, fondées essentiellement sur des matériaux extérieurs au pays, ou
influencés par l’extérieur, c’est qu’elles ne permettent pas véritablement
d’écrire l’Histoire locale. Comme J. Martin le reconnaît lui-même (1983,
tome 1, p. 7), ce qu’il a réalisé, c’est surtout une “étude d’histoire de la
colonisation”. Or, dans une telle histoire, les faits et les personnages ne sont
mentionnés, le plus souvent, que dans la mesure où ils jouent un rôle face au
colonisateur »2.

1 Debbasch (Ch.) et Daudet (Y.) : États. Vie politique. Relations internationales, op. cit., p.

48.
2 Ben Ali (Damir), Boulinier (Georges) et Ottino (Paul) : Traditions d’une lignée royale

des Comores, L’Harmattan, Collection « Îles Comores », Paris, 1985, p. 11.

55
La noblesse est une vieille classe sociale qui, en France, est née du métier
des armes et de la chevalerie. L’appartenance à cette classe est héréditaire.
Par la suite, le sociologue Pierre Bourdieu (1930-2002) a créé la notion de
« Noblesse d’État » pour désigner la transformation de la haute Fonction
publique en caste dont la cooptation se fait par hérédité : « L’analyse des
rapports de domination est également au centre de la sociologie de Pierre
Bourdieu. Les rapports de domination sont ici déterminés par la position
sociale occupée dans un champ donné d’activités.
Chaque champ est défini par un certain nombre d’enjeux spécifiques et de
positions sociales déterminées à partir de deux critères principaux : le
volume du capital possédé et la structure du capital (poids relatif du capital
économique et du capital culturel). À l’intérieur de chaque champ, la
domination exercée par ceux qui possèdent de plus en plus le capital est
d’autant plus efficace qu’elle dissimule, par une action symbolique efficace,
l’arbitraire sur lequel elle repose.
Les progrès en efficacité symbolique de la domination supposent la mise en
œuvre de circuits de légitimation de plus en plus complexes : l’institution
scolaire, plus particulièrement étudiée par Bourdieu, joue un rôle décisif
dans ce processus. Le champ politique qui a pour enjeu le contrôle du
pouvoir d’État occupe une place privilégiée dans l’analyse. Pierre Bourdieu
montre, en particulier, comment dans le système français, les Grandes
Écoles (ÉNA, ENS, Polytechnique…) jouent un rôle décisif dans la constitu-
tion d’une véritable “Noblesse d’État” qui accapare toutes les positions de
pouvoir dans l’appareil d’État »1.
Dans le cas du Maroc, l’universitaire marocain Ali Benhaddou n’hésite
pas à parler joliment de l’« aristocratie du diplôme » et de la « nomenklatura
polytechnicienne »2, des positions de domination socioprofessionnelle, voire
sociopolitique qu’on ne retrouve pas aux Comores, où les « héritiers » vivent
d’une rente de médiocratie et donc de médiocrité.
Mes travaux sur la Sociologie de la diplomatie marocaine3 m’ont permis
de constater que les notions de « bourgeoisie », « aristocratie » et
« noblesse » n’ont pas la même signification au Maroc qu’aux Comores. Au
Maroc, toute personne portant un nom de la « haute société » a une fortune
qui lui permet de justifier son appartenance à la classe dominante. Qui plus
est, la notion de « nom de famille » est inconnue des mœurs sociales des
Comores. L’enfant qui naît a pour nom son propre prénom et pour prénom
celui de son père ! Il s’agit d’une grave aberration empêchant les Comoriens
de reconstituer leurs généalogies au-delà de certains ascendants.

1 Étienne (J.), Bloess (F.), Noreck (J.-P.) et Roux (J.-P.) : Dictionnaire de sociologie, op.
cit. pp. 329-330.
2 Benhaddou (Ali) : L’empire des sultans. Anthropologie politique au Maroc, deuxième

édition, Riveneuve Éditions, Paris, 2011, p. 247.


3 Riziki Mohamed (Abdelaziz) : Sociologie de la diplomatie marocaine, L’Harmattan,

Collection « Histoire et Perspectives méditerranéennes », Paris, 2014 (592 p.).

56
Inversement, au Maroc, Mouna Hachim a effectué un excellent travail sur les
noms des familles de manière à remonter à des siècles. Or, dans ce travail
d’une qualité reconnue même par l’Algérie – qui a acheté des centaines
d’exemplaires de son ouvrage –, on ne retrouve aucune mention proclamant
la « noblesse » d’une famille1. Ce qui intéresse les chercheurs dans le cas
spécifique du Maroc est l’appartenance à la catégorie spécifique des
« familles Maghzen » ou « familles Makhzen ». Le Maghzen ou Makhzen est
l’appareil d’État ou le Palais royal, et celles des familles qui ont des relations
privilégiées depuis des siècles avec le Maghzen sont les familles Maghzen.
Pourtant, certains noms de famille sont classés dans la catégorie des familles
les plus en vue, mais les familles modestes ne sont jamais considérées
comme dépourvues de mérites.
La division sociale au Maroc est donc plus fidèle à l’Islam que ne l’est la
classification opérée aux Comores. Pour nous en rendre compte, il suffirait à
peine de rappeler que lors du Sermon d’Adieu (Dhoû’l Hidja, an 10 de
l’Hégire, février 632), le Prophète Mohammed s’adressa à plus de 140.000
Musulmans et Musulmanes et avait déclaré : « […]. Ô peuple, en vérité,
votre Seigneur est un, et votre ancêtre est un : vous descendez tous d’Adam,
et Adam a été créé de terre. Le plus digne de vous auprès de Dieu est celui
qui Le craint le plus. Et aucun Arabe n’a de supériorité sur un non-Arabe,
sauf par la piété. […]».
En la matière, le Prophète n’a fait que se conformer au principe proclamé
dans le Coran :
« O vous les hommes ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés d’un seul
être, puis, de celui-ci, Il a créé son épouse et Il a fait naître de ce couple
un grand nombre d’hommes et de femmes » (IV, Les Femmes, 1).
La position de l’Islam sur la question est donc très claire.
En examinant la structure sociale des Comores, on constate que celle-ci est
très hiérarchisée, surtout en Grande-Comore. Par contre, à Mayotte, Anjouan
et Mohéli, la structure sociale est très simplifiée, en ceci qu’elle n’a en son
sein que les « nobles » et les gens ordinaires. L’erreur chaque jour commise
par les « experts » provient du fait que ces derniers ramènent tout à la seule
île de la Grande-Comore, alors que les Comores sont plurielles en matière de
mœurs sociales. Il y a des points sur lesquels toutes les îles se retrouvent,
mais il existe également des coutumes dans lesquelles chaque île fait ce qui
lui convient et à sa manière.
Mais, « le système féodal comorien, très complexe à définir, comprend
trois composantes intimement liées qui conditionnent toutes les dimensions
de la vie du Comorien à quelque niveau que ça soit. Chaque acte, chaque
geste, chaque phrase et chaque mot contiennent une signification coutumière.
Et personne n’y échappe. Ce système est structuré de la manière suivante :

1 Hachim (Mouna) : Dictionnaire des noms de famille du Maroc, 2ème édition augmentée,

Éditions Le Fennec, Casablanca, 2012 (581 p.).

57
− Une hiérarchie sociale discriminatoire,
− Des pratiques religieuses non conformes à l’Islam,
− Un fonctionnariat à double salaire issu en partie du système colonial,
− Des commerçants à double profit, modelés par les systèmes coutumier et
religieux »1.
Toute la société est dominée par la féodalité. Celle-ci conditionne toute la
vie en société, et il suffit d’y toucher un seul pilier pour que la population se
mette à manifester son mécontentement. Certes, il y a eu une atténuation de
certaines règles sociétales, mais un « noyau dur » subsiste. Dans l’ensemble,
on estime que la colonisation française n’a pas voulu bouleverser les bases et
de la société traditionnelle comorienne, sur qui elle a toujours pu compter.
Dès lors, « la colonisation a légué à l’État comorien des structures sociales
archaïques : les féodaux “kabaïla” ont conservé une grande influence sur la
société en alliance avec tous ceux qui soutenaient leur pouvoir, c’est-à-dire :
− Les “wagangui”, qui sont des charlatans vivant de la sorcellerie,
− Les “mafanisa anda”, qui sont des notables coutumiers qui, pour avoir fait
le mariage coutumier “ndoola ya anda”, monopolisaient le droit à la
parole dans les villages ; ces notables formaient une minorité générale-
ment âgée.
Cette caste féodale vivait en symbiose avec la caste bureaucratique dominée
par des aristocrates et avec des propriétaires fonciers ; ces castes formaient
une classe sociale qui imposait à la population un certain nombre de coutumes
et de cérémonies, qui marquaient la vie de chaque individu, de sa naissance
à sa mort. Ces cérémonies mobilisaient toute l’attention des Comoriens,
drainaient toutes leurs ressources et celles de leurs proches dans des
dépenses ostentatoires et dans des cérémonies somptuaires. En plus, cette
classe avait accaparé les meilleures terres, l’essentiel des emplois et des
richesses du pays »2.
Sous la colonisation française, ce système féodal a pu perdurer parce qu’il
a réussi à étouffer toute voix dissidente. Il fallait empêcher l’expression des
idées qui allaient bouleverser l’ordre social établi. D’ailleurs, rares étaient
les voix qui osaient condamner à cette époque les diverses pratiques sociales
qui favorisaient les dominations sociales indues. La démocratie était alors
une vague idée sans impact réel sur la vie des Comoriens. Il ne fallait même
pas en parler.
Pourtant, une évolution juridique, institutionnelle et politique majeure fut
enregistrée en 1946, quand la France a introduit aux Comores le suffrage
universel : le droit de vote. Les habitants du territoire français des Comores
avaient, enfin, la possibilité d’élire leurs dirigeants, sous l’œil de la France.

1 Saïd Soilihi (Youssouf) et Mohamed Nassur (Elmamouni) : Ali Soilihi, l’élan brisé ?
L’Harmattan et Éditions Ndzé, Paris et Libreville, 2000, pp. 96-97.
2 Saïd Soilihi (Y.) : Comores. Les défis du développement indépendant 1975-1978, op. cit., p.

113.

58
À cette époque, il fallait faire de la politique sans formations partisanes, ni
médias, ni programme électoral. Il fallait tout juste se plier aux injonctions
de la classe sociale dominante. Cela étant, la politique était la chasse gardée
d’une caste qui se définissait en termes de « notabilité », « bourgeoisie » ou
« aristocratie » et de notabilité. Signalons que « dans ces conditions, le
nouveau pouvoir issu des élections ne pouvait échoir qu’aux notables, les
seuls à disposer d’une structure de concertation, d’une législation coutumière
et de représentants éminents connus de toute l’île, par le prestige que
conférait un grand mariage particulièrement brillant. Mais il fallait aussi
une autre condition ; un certain niveau d’instruction et surtout une certaine
compétence dans le maniement de la langue française, la seule autorisée
dans les délibérations des assemblées élues.
Dans ces conditions, les seules personnes logiquement éligibles étaient les
grands notables scolarisés. Cela réduisait énormément le nombre de candi-
dats potentiels. De fait, à l’époque, moins de dix personnes pouvaient satis-
faire à ces conditions. Au départ, la personne qui répondait le mieux à ces
critères était Saïd Mohamed Cheikh qui, avec le Prince Saïd Ibrahim et le
futur président des Comores, Ahmed Abdallah Abderemane, allait dominer
toute la vie politique comorienne depuis 1946. Fort de l’appui des notables,
plus ou moins accepté par les autorités françaises, le Docteur Cheikh fut
donc le premier Comorien élu député à l’Assemblée nationale française »1.
Cette opinion pèche par deux contrevérités : d’une part, elle se limite aux
seules îles de la Grande-Comore et d’Anjouan, sans tenir compte de Mohéli
et de Mayotte, où il y avait pourtant, des personnes instruites d’un niveau
supérieur. D’autre part, ce qui justifiait l’entrée en politique des personnes
citées relevait plus d’un certain culot poussant certains à s’imposer et non du
capital culturel et « le maniement de la langue française ». À cet égard, il est
à rappeler qu’Ahmed Abdallah Abderemane était présenté en « self-made-
man peu cultivé »2 et disait de lui-même après son coup d’État du 13 mai
1978 contre Ali Soilihi : « J’ai repris le pouvoir dont j’avais été illégalement
chassé… Dire que la nouvelle Constitution c’est Ahmed Abdallah tout seul,
cela n’est pas vrai. On a tenu compte des idées de tous, même de spécialistes
étrangers, pour la mise en forme… L’appel du peuple m’incite à croire que je
ne suis pas fini… Le peuple me demande de collaborer. S’il me fait confiance,
ce n’est pas parce que je suis beau, fort ou savant. Je suis illettré. C’est donc
un mariage et je suis prêt »3.
Où se situe la réalité sociopolitique ? Celle-ci était faite de confusions entre
les pratiques sociales et la politique. Il fallait reproduire sur le champ politique

1 Chouzour (Sultan) : Le pouvoir de l’honneur. Tradition et contestation en Grande-


Comore, L’Harmattan, Collection « Archipel des Comores », Paris, 1994, pp. 227-228.
2 Bourges (H.) et Wauthier (C.) : Les 50 Afriques. Tome II. Afrique centrale. Afrique des

Grands Lacs. Afrique australe. Océan Indien, op. cit. p. 622.


3 Pomonti (Jean-Claude) : Comores. Le régime de M. Ahmed Abdallah paraît jouir d’un large

soutien populaire, Le Monde, Paris, 5 octobre 1978, p. 3.

59
ce qui était vécu sur le champ social. Quand on recevait des siens le titre fort
emblématique de notable, bourgeois, noble, aristocrate ou aristocrate arabe, la
voie était ouverte à toutes les prétentions sociopolitiques. De manière générale,
il suffisait d’être accepté par les siens sur le plan social pour pouvoir prétendre
au pouvoir politique. Il fallait juste savoir mettre en avant sa généalogie et ses
gènes pour faire croire à la population qu’on était prédestiné pour le pouvoir
politique. En Grande-Comore, la généalogie en était l’alpha et le grand mariage
l’oméga. Comme la Grande-Comore est le centre de la vie politique nationale
aux Comores, il est nécessaire d’insister sur la centralité du grand mariage sur
la vie sociale et sur la vie politique sur cette île.
Sur les autres îles de l’archipel des Comores, le mariage n’est pas un facteur
qui peut définir pas la place de l’individu sur le plan social. C’est une affaire
personnelle et familiale, contrairement à ce qui se passe en Grande-Comore. À
Mohéli, existent le mariage secret (célébré dans l’intimité, mais pouvant attirer
un nombre important de personnes), le mariage ordinaire et le « Kombé », qui
se limite à la ville de Fomboni et qu’on peut qualifier de grand mariage, mais
sans les excès constatés à la Grande-Comore. À Mohéli, personne n’est ruiné,
ni surendetté à vie pour un mariage, tout comme personne ne se hasarde à se
lancer dans des dépenses qui sont au-dessus de ses moyens.
Le mariage à Mohéli respecte un certain nombre de règles, mais celles-ci
n’ont pas de connotation financière. La principale règle sociale est le statut de
Mohélien. Il ne s’agit pas d’une mesure discriminatoire, mais d’une attitude
dictée par les invasions anjouanaises du XIXème siècle, quand les Mohéliens
préféraient une domination malgache plutôt que celle d’un Anjouanais. De fait,
le mariage permettait aux Mohéliens de se retrouver entre eux, uniquement
entre eux. Aujourd’hui encore, tant qu’on n’est pas « adopté » symboliquement
par une famille mohélienne, on ne peut pas se marier « en tant que Mohélien »,
même si on peut y être invité. Pour autant, le « Kombé » n’aura aucun effet de
nature politique. Aucun Mohélien ne liera sa carrière politique au faste de son
grand mariage. Pour tout dire, à Mohéli, la notion de « grand notable », chère
aux Grands-Comoriens, est tout simplement inconnue, et on préfère parler des
« aînés et des sages de la ville » et des « aînés et des sages du village », même
s’il s’agit de personnes sans la moindre prétention sociale ou politique.
L’erreur fondamentale des Grands-Comoriens est dans le fait que ces derniers
croient que les autres îles sont régies par les mêmes normes sociales et sociétales
que la Grande-Comore. Le Grand-Comorien s’exprime de manière à accréditer
l’idée entièrement fausse selon laquelle les Comores sont la Grande-Comore.
Contrairement aux us et coutumes de la Grande-Comore, à Mohéli, Anjouan et
Mayotte, l’individu n’est reconnu que pour ses mérites individuels, même s’il
n’a pas célébré avec faste son mariage.
En Grande-Comore, le grand mariage a une autre signification. Sa célébration
et ses implications financières et sociales étant connues, il suffirait à peine de les
rappeler : « La population comorienne est d’origine extrêmement diverse :
Noirs, Malais, Malgaches sakalava, Persans, Indiens, Arabes. Très métissée

60
à la base, elle est dominée par une aristocratie politique, économique et
religieuse arabe. Fortement islamisée (sept cents mosquées), elle est pieuse
et traditionaliste, mais observe toujours les vieilles coutumes de souche
indonésienne, comme celle du “grand mariage” : bien que marié jeune et en
général à plusieurs femmes, le Comorien aisé attend d’être riche pour
effectuer son “grand mariage” avec son épouse préférée ; la dot et les festi-
vités entraînent des dépenses considérables et parfois même la ruine »1.
Sur le plan financier, sentimental et social, il se passe beaucoup de choses
dans le cadre d’un grand mariage. Cependant, la chose la plus importante qui
en découle est relative au fait qu’en Grande-Comore, le grand mariage est le
facteur qui définit la place socioprofessionnelle et sociopolitique des uns et
des autres. En Grande-Comore, tout le statut social de l’individu est lié à son
grand mariage. Celui qui a célébré son grand mariage devient celui qui est
appelé un « homme accompli », pendant que celui qui ne l’a pas accompli est
appelé à avoir un statut social infâme et humiliant. Un homme qui a célébré
son grand mariage a même le droit de se croire supérieur à celui qui a obtenu
l’onction du suffrage universel et les meilleurs diplômes universitaires.
À cet égard, il serait très intéressant de rappeler que le 26 décembre 2010,
Mouigni Baraka Saïd Soilihi a été élu Gouverneur de la Grande-Comore. Or,
avant son investiture en mai 2011, il a célébré son grand mariage, estimant
que celui-ci lui conférait un statut social bien supérieur à la fonction pourtant
enviée de Gouverneur de la Grande-Comore. Notons que sur cette dernière
île, celui qui n’a pas célébré son grand mariage n’a pas le droit de prendre la
parole face aux grands notables, ni de fréquenter les mêmes places publiques
qu’eux. Les grands notables croient avoir le droit de donner leur avis au chef
de l’État et lui adresser toutes sortes de demandes. C’est sur la base du grand
mariage que se forment les hiérarchies sociales en Grande-Comore. On ne
retrouve ces hiérarchies sociales ni à Mayotte, ni à Anjouan, ni à Mohéli, et
celles-ci ont une influence politique considérable en Grande-Comore.
En Grande-Comore, la société est hiérarchisée, et « la société traditionnelle
est organisée sur la base d’une division très marquée entre, d’une part, les
wanamdji (singulier : mnamdji), ceux qui n’ont pas réalisé le mariage
coutumier appelé anda, ndola nkuu, et d’autre part, les wandrwadzima
(singulier : mdru mdzima), littéralement les gens mûrs, de fait ceux qui ont
pu réunir la fortune nécessaire à la réalisation de cette coutume. Les modes
respectifs d’affiliation, d’appartenance, d’organisation et de promotion,
propres à chacune de ces deux catégories répondent à des règles précises et
codifiées que nous nous proposons d’expliciter ici, en commençant, par
celles concernant les wanamdji. Ceux-ci sont organisés en quatre niveaux
distincts et hiérarchisés appelés hirimu qui sont, à proprement parler, des

1Bourges (H.) et Wauthier (C.) : Les 50 Afriques, Tome I, Afrique centrale, Afrique des
Grands Lacs, Afrique australe. Océan Indien, op. cit., p. 615.

61
classes d’âge, ayant chacune sa spécificité, et assurant, dans la commu-
nauté, des fonctions déterminées.
À la base nous avons les washondje, au-dessus les wazuguwa, puis les
wafomanamdji. Au sommet nous trouvons les maguzi, qui constituent de fait
une classe de transit, accueillant tous ceux qui par l’âge ou par le jeu des
promotions collectives ne peuvent plus être considérés véritablement comme
des wanamdji, alors qu’ils n’ont pas encore réalisé le grand mariage »1.
Aux Comores, le mariage n’est jamais une affaire simple, surtout pour une
personnalité publique. Rapidement, l’intéressé peut se trouver confronté aux
pressions du milieu social pour un choix, dans le cadre d’une affaire relevant
de la vie privée mais qui prend une tournure publique et politique. Dès lors,
la personnalité politique comorienne peut être sommée de renoncer à mettre
fin à une relation sentimentale pour des raisons de convenance sociale afin
de sauver une carrière politique. La ville de Domoni, Anjouan, verra deux
futurs présidents de la République des Comores originaires de l’île de la
Grande-Comore s’y marier après avoir fait des choix initiaux portant sur des
femmes étrangères.
Originaire de Grande-Comore et né à Madagascar, Saïd Mohamed Djohar
était marié à une femme de Domoni et une autre de la ville de Mitsamiouli,
Grande-Comore. Or, avant, il était marié à une femme malgache. Sa mère lui
expliqua qu’il lui fallait rompre avec sa femme malgache pour se marier
avec une Comorienne. Ill lui avait fallu rompre avec sa femme malgache
sans l’humilier, ni blesser son amour-propre. Voici ce que lui avait dit sa
mère, quand il fut affecté à Domoni : « “Il est vrai que nous ne connaissons
personne à Domoni, mais, vas-y. Laisse ta femme malgache ici. Là-bas, tu
épouseras une femme d’une grande famille noble et peu importe le reste.
Elle doit avoir un père, une mère, des oncles, des frères et sœurs, des tantes
et posséder une maison. Toute sa famille te servira avec dévouement. Ils
vous aideront tous. Tandis que si tu amènes avec toi Rasoava, vous serez
tous les deux étrangers. Vous achèterez tout, vous paierez un boy et vivrez
dans une maison de location. Tu as vécu avec Rasoava pendant presque deux
ans ; elle ne t’a pas donné d’enfant. Je suis sûr que celle que tu épouseras à
Domoni t’en donnera plusieurs qui perpétueront ta lignée Inch’Allah”.
Maman m’a convaincu et Saïd Mohamed Cheikh, bouche bée, ne pouvait
cacher son admiration pour l’éloquence extraordinaire de cette femme, ainsi
que pour la justesse de ses paroles »2.
C’est un discours typiquement comorien.
En plus, Saïd Mohamed Djohar avait été le témoin privilégié de l’arrivée à
Domoni de la femme française de Mohamed Taki Abdoulkarim, lui aussi

1 Chouzour (S.) : Le pouvoir de l’honneur. Tradition et contestation en Grande-Comore, op.


cit., pp. 109-110.
2 Djohar (S. M.) : Mémoires du président des Comores. Quelques vérités qui ne sauraient

mourir, op. cit., p. 42.

62
originaire de Grande-Comore. Mohamed Taki Abdoulkarim est né dans une
vieille famille de Mbéni, était un emblématique descendant de Sultan, et était
considéré comme inévitable futur président des Comores dès son plus jeune
âge. Réaliste, il savait que dans les années 1960, après ses études d’Ingénieur
en France, il n’aurait jamais eu l’assentiment de ses parents pour se marier
avec une femme étrangère. Naturellement, il avait tout fait pour ne pas parler
de son mariage à sa famille. Ce mariage était synonyme de scandale. Après
avoir été appelé à renoncer à son épouse française, il lui fut indiqué qu’il
pouvait trouver une femme née dans les milieux sociaux les plus en vue de
Domoni, et c’est ce qui arriva.
Laissons Saïd Mohamed Djohar parler de l’arrivée à Domoni de l’épouse
française de Mohamed Taki Abdoulkarim et comment le Sénateur Ahmed
Abdallah Abderemane, originaire de la ville s’y impliqua : « Un jour, nous
vîmes débarquer chez Taki une dame française d’un certain âge, en tout état
de cause plus âgée que lui.
- Qui est cette dame ? lui demanda Abdallah.
- C’est ma femme. Je l’ai épousée quand je faisais mes études en France.
Elle a insisté pour venir me rejoindre ici.
- Est-ce que tes parents sont au courant ?
- Non, car ils n’auraient pas été d’accord et m’auraient créé des problèmes.
- Eh bien ! Tu n’en auras pas moins ici. Tes parents ne doivent pas nous
considérer comme complices de tes agissements. Trouve un prétexte
pour la rapatrier ; le plus tôt sera le mieux ! Tu es le premier Comorien
à te marier avec une étrangère, foulant ainsi nos coutumes ancestrales
aux pieds. En Grande-Comore tu seras banni de la société. Mais quelle
mouche t’a piqué au point d’agir ainsi sans demander l’avis de
personne ? Tu es fou ou quoi ? Si tu as besoin d’épouser une femme,
elles sont des milliers ici qui répondront oui tout de suite. Et si tu veux
faire de la politique aux Comores, commence par faire partir cette femme.
Il y a de très belles jeunes filles à Anjouan. J’en connais une à Domoni,
une métisse (mère anjouanaise et père pakistanais). Elle te plaira et
satisfera ton penchant pour les femmes blanches !
C’est ainsi que Taki épousa Zaza An’war de laquelle naîtront ses premiers
enfants »1.
C’est une histoire bien comorienne, et Ahmed Abdallah Abderemane était
le gardien d’une tradition surréaliste face à deux autres futurs chefs d’État.
Des années plus tard, des notables parmi les plus influents de Mbéni ont
formé une délégation pour aller demander à Mohamed Taki Abdoulkarim de
se marier avec une femme de sa ville d’origine. L’intéressé ne céda pas et
dira par la suite que les gens de Mbéni voulaient tout contrôler en lui, y
compris sa vie sentimentale. S’il avait pu résister à la pression sociale, c’est

1 Djohar (S. M.) : Mémoires du président des Comores. Quelques vérités qui ne sauraient

mourir, op. cit., p. 134.

63
parce qu’il avait acquis un magistère moral, social et politique lui permettant
de rejeter les immixtions dans sa vie privée. D’autres acteurs politiques
comoriens auront cédé aux pressions uniquement pour se conformer à une
certaine coutume, pour des raisons sociales et politiques.
Des chefs d’État africains (au Sénégal, Côte-d’Ivoire, Gabon et Angola)
ont ou avaient des épouses européennes. Il serait tout simplement difficile,
voire impossible pour un Comorien marié à une femme étrangère de devenir
président aux Comores à l’issue d’une élection démocratique. Au Gabon, le
président Omar Bongo Ondimba devait affronter les critiques de certains de
ses compatriotes qui ne voyaient pas d’un bon œil son mariage avec Édith
Lucie Sassou Nguesso (1964-2009), fille de Denis Sassou Nguesso, le chef
d’État du Congo. Mais, Omar Bongo Ondimba avait l’autorité politique qui
lui permettait de dire aux mécontents que sa vie privée ne concernait qu’une
seule personne, lui-même, et qu’il s’agissait du seul aspect sur lequel il avait
choisi de ne pas écouter son peuple, selon ses propres mots.
Aux Comores, certaines carrières politiques parmi les plus prometteuses
ont eu à souffrir de choix matrimoniaux de certains acteurs politiques, qui
auraient manifesté du « mépris » envers leurs communautés d’origine parce
qu’ils ont eu à se marier hors d’elles. On verra même des acteurs politiques
qui, après un premier mariage hors de leur village ou île d’origine retrouver
leur chemin de Damas, et aller y prendre une épouse. Dès lors, le mariage a
une fonction sociale qui dépasse la personne de l’époux pour devenir ainsi
un enjeu communautaire d’une grande importance.
On a même vu le président des Comores faire expulser des étrangers qui
avaient commis le « sacrilège » d’avoir des relations sentimentales avec des
filles dont les familles, influentes, vivaient très mal lesdites relations.
Ces considérations expliquent la centralité sociopolitique du mariage aux
Comores, où, quand les circonstances l’exigent, le mariage de prospérité et
l’endogamie sont la règle. Le mariage de prospérité et l’endogamie peuvent
se faire le plus souvent sur le dos des sentiments. Dès lors, les conséquences
qui en découlent peuvent être tout simplement désastreuses. Dans cet ordre
d’idées, il serait également utile de parler de l’éclatement de certains couples
et familles suite à des divergences politiques nées lors d’une élection.
Il restera, enfin, à signaler que le grand mariage, censé être un facteur et un
vecteur porteurs d’honneur est dévoyé par ceux qui n’ont pas les moyens de
le célébrer mais qui ont recours aux moyens les plus indignes pour tenter de
se hisser à un niveau social qui ne sera jamais le leur. Ayant été moi-même
victime de ce genre de personnages, je sais désormais à quoi m’en tenir dès
qu’il s’agit des pratiques de ceux qui croient pouvoir avoir de l’honneur et
une position sociale à la suite d’un grand mariage.

64
§3.- UN CONSERVATISME OPPOSANT TRADITIONNELLEMENT LES
CITADINS AUX CAMPAGNARDS
De 1946 à 2018, les Comores n’ont jamais été dirigées par une personnalité
originaire de Moroni, la capitale du pays : Saïd Mohamed Cheikh venait de
Mitsamiouli, Saïd Ibrahim d’Iconi et Itsandra, Ahmed Abdallah Abderemane
de Domoni, Ali Soilihi de Chouani, Saïd Mohamed Djohar de Chouani,
Mohamed Taki Abdoulkarim de Mbéni, Tadjidine Ben Saïd Massounde de
Domoni, Assoumani Azali de Mitsoudjé, Ahmed Sambi de Mutsamudu et
Ikililou Dhoinine de Djoiezi. Ahmed Abdallah Abderemane, Tadjidine Ben
Saïd Massounde et Ahmed Sambi sont Anjouanais. Ikililou Dhoinine est de
Mohéli. Saïd Mohamed Cheikh, Saïd Ibrahim, Ali Soilihi, Saïd Mohamed
Djohar, Mohamed Taki Abdoulkarim et Assoumani Azali sont originaires de
la Grande-Comore.
Né à Mutsamudu, Ahmed Sambi est le seul chef d’État comorien né dans le
chef-lieu d’une île, à savoir : Mutsamudu, sur l’île d’Anjouan. Longtemps,
Ahmed Abdallah Abderemane fut traité par ses ennemis de « campagnard »
du « Premier Nioumakélé », étant noté que le Nioumakélé est à Anjouan la
région rurale par excellence, mais surtout la région ayant la densité la plus
élevée des Comores, la région la plus pauvre du pays, celle dont les habitants
meurent le plus dans des embarcations de fortune dans le bras de mer entre
Anjouan et Mayotte. C’est une région méprisée. Qui plus est, il faut partir de
l’idée selon laquelle il y a une rupture humaine totale entre les grandes villes
d’Anjouan (Mutsamudu, Domoni et Ouani) elles-mêmes et entre elles et les
régions rurales. Les relations de famille sont presque inexistantes entre les
zones urbaines et les régions rurales. Ce n’est que depuis le début des années
2000 qu’une mixité sociale commence à se créer entre Mutsamudu et le reste
de l’île d’Anjouan.
Or, à la Grande-Comore et à Mohéli, il n’y a pas de rupture entre la ville et
les zones rurales. La mixité humaine et sociale est bien assumée sur les deux
îles, entre la ville et l’hinterland. Nombre de personnalités installées dans les
grandes villes de la Grande-Comore ont des origines rurales bien assumées.
À Mohéli, la principale zone urbaine est l’axe Fomboni-Djoiezi, où vit plus
de la moitié de la population de l’île. Or, l’habitant de Fomboni, Boingoma,
Bandar-Es-Salam et Djoiezi qui n’a pas une partie de sa famille hors de cette
région est un nouveau venu à Mohéli. La fierté du Mohélien est de savoir
qu’il a des origines diversifiées sur son île. Le dénigrement des campagnards
n’est pas exclu, mais ne s’accompagne d’aucune forme de discrimination.
Par contre, à la Grande-Comore, nonobstant la mixité, les citadins peuvent
traiter les ruraux de « Wandrou Wa Safarini », « Les gens du voyage », c’est-
à-dire « les campagnards ». Cela suppose que ces campagnards sont accusés
de ne pas connaître les bonnes manières, et souvent, sont traités en citoyens
de seconde zone, en rastaquouères et en maquignons.

65
Longtemps, la politique a été une affaire de citadins, à l’exclusion de tous
les campagnards. Sur toute l’étendue de l’archipel des Comores, ce sont les
habitants des principaux centres urbains qui occupent l’espace public. Or,
même si les régions rurales ne disposaient pas d’écoles, de longue date, leurs
habitants scolarisent leurs enfants en ville. En 2017, ahuris, les Comoriens
ont vu la vidéo sur laquelle un ministre d’Assoumani Azali, natif de la ville
de Mutsamudu, se livrer en public à des injures sur les campagnards, allant
jusqu’à déclarer qu’un idiot de Mutsamudu ou Moroni est plus intelligent
que le plus brillant des cadres ruraux des Comores.
À Anjouan, pendant des années, les principaux acteurs politiques de l’île
étaient originaires de Mutsamudu, Ouani, Domoni, Sima et Bimbini. Il a été
constaté qu’à la Grande-Comore, les villes de Foumbouni, Moroni, Iconi,
Itsandra, Mitsamiouli et Koimbani-Oichili étaient prépondérantes en matière
politique.
À Mohéli, on retrouve cette prépondérance dans l’axe Fomboni-Djoiezi. Le
premier Mohélien nommé ministre avait été Mohamed Hassanaly (Fomboni,
1971), puis Mohibaca Baco (Miringoni), lors de la période de l’autonomie
interne. Après son coup d’État du 3 août 1975, Ali Soilihi nomma Mohamed
Hassanaly vice-président et avait choisi le jeune révolutionnaire Saïd Dhoifir
Bounou (Mlabanda, plateau de Djando) comme ministre de la Défense. Au
lendemain du coup d’État du 13 mai 1978, Ahmed Abdallah Abderemane a
nommé Hadj Hassanaly (Fomboni) ministre mais ne tarda pas à le remplacer
par Abdou Moustakim (Djoiezi), qui sera en place jusqu’à la nomination
d’Ali Hassanaly (Fomboni). Saïd Mohamed Djohar nommera Mohamed
Larif Oucacha (Djoiezi) et Ahmed Elharif Hamidi (Fomboni), et c’est par la
suite que la fonction ministérielle sera vraiment ouverte à des personnalités
venant de toutes les régions, y compris rurales, de Mohéli.
Pendant des décennies, la scène politique comorienne a été verrouillée au
détriment du monde rural. Il est encore des villages aux Comores qui n’ont
jamais vu l’un des leurs occuper un poste politique quelconque. Mohamed
Abdou Madi, Premier ministre de Saïd Mohamed Djohar, avant de devenir
un des instigateurs du séparatisme à Anjouan, nous expliquait au cours d’une
interview qu’il était la première personnalité de son village de Mjamawé à
avoir eu un parcours politique national, à un moment où les Anjouanais qui
étaient arrivés à se faire connaître sur la scène politique nationale étaient
tous originaires de Mutsamudu, Ouani, Domoni et Bimbini, abstraction faite
d’Ibrahim Halidi Abderemane, de Hada, dans la région de Nioumakélé, qui
s’était fait connaître depuis la Révolution d’Ali Soilihi.
Justement, c’est Ali Soilihi qui avait désenclavé politiquement le monde
rural aux Comores, et il s’agissait d’un véritable aggiornamento dont la vraie
et principale conséquence était le recul, voire l’annulation pure et simple des
avantages que s’accordaient indûment les citadins. Pour autant, il aurait été
illusoire de croire que les réformes sociales imposées par Ali Soilihi allaient
être maintenues après la Révolution des années 1975-1978. Dès lors, il n’est

66
pas étonnant de constater qu’il est impossible de constituer un gouvernement
dans lequel on ne trouverait pas des personnalités originaires de Foumbouni,
Moroni, Mitsamiouli et Mbéni (Grande-Comore) mais aussi de Mutsamudu,
Ouani et Domoni (Anjouan), tandis que l’axe Fomboni-Djoiezi reste le pôle
principal de la politique mohélienne, quels que soient les vicissitudes et les
aléas de la vie politique très agitée des Comores.
Dès lors, quelle que soit l’importance de l’ouverture sociopolitique opérée
au profit du monde rural, la primauté et la domination des zones urbaines
constituent une indéniable réalité.
Une division spatiale du travail a même été opérée, quand le ministère de
l’Intérieur est devenu la chasse gardée des Moroniens, tandis que les cadres
de Mitsamiouli – les meilleurs comme les pires – se voient attribuer sous la
forme d’une « rente viagère » la direction de certaines entreprises publiques
stratégiques (Comores Télécom, Société d’Eau et d’Électricité).
Fait vraiment significatif, l’élection gubernatoriale de 1978 a été présentée
en Grande-Comore comme étant une compétition entre Moroni et les zones
rurales. Ceux qu’on considère comme des campagnards étaient bien arrivés à
s’imposer et à faire élire Saïd-Hassane Saïd-Hachim (Foumbouni) par fierté
et pour se venger de la condescendance réelle ou supposée à leur égard d’une
grande personnalité de Moroni : Abbas Djoussouf. De la même manière, les
notables de Moroni ne cherchaient même pas à occulter leur hostilité envers
le Mbénien Mohamed Taki Abdoulkarim, et sont accusés d’avoir saboté son
éphémère mandat présidentiel (mars 1996-novembre 1998).
Il n’est pas inutile de relever que la ghettoïsation sociale et « raciale » est
un phénomène très visible dans tous les centres urbains des Comores, dans la
mesure où coexistent côte à côte, s’ignorent et se méprisent les quartiers des
nobles et les quartiers des « Nègres ». Dès lors, dans cette configuration, les
habitants des quartiers des « Nègres » sont considérés comme étant indignes
d’occuper une place honorable quelconque sur la scène politique. Seuls en
sont dignes les natifs et habitants des quartiers des nobles.
À ce sujet, la situation de la ville d’Iconi, en Grande-Comore est édifiante
et très explicite. Depuis des années, les habitants des différents quartiers sont
dans un climat de guerre civile larvée. Il y a même eu destruction de certains
sites historiques parmi les plus anciens des Comores. Pourtant, l’Histoire
nous apprend que par le passé, la ville d’Iconi avait accueilli en son sein des
jeunes hommes originaires de toutes les régions de la Grande-Comore, et les
avait acceptés comme des citoyens de la cité, sans la moindre discrimination.
Or, le fond du problème à Iconi, c’est que les habitants de certains quartiers
s’estiment plus nobles que d’autres, et cela a importantes répercussions sur
le plan social et politique.
En définitive, le problème de la ville face au monde rural, posé de façon
globale, ne concerne pas que les Comores. C’est un phénomène typiquement
africain. Dans sa belle lettre à son ami René Dumont, Jean Malaurie note :
« L’Histoire contemporaine a montré que ce noble mot de liberté allait servir

67
à masquer, souvent, des dominations claniques implacables, manipulées par
des forces extérieures. Des jeunes bourgeoisies urbaines et fonctionnariales,
méprisantes à l’égard de cette paysannerie dont elles sont issues, prennent
cyniquement le relais du néocolonialisme. Inattaquables parce qu’issues de
pouvoirs indépendants, ces nouvelles classes possédantes filtrent l’aide au
tiers-monde et la planifient dans le sens de leurs intérêts particuliers. En de
nombreux pays africains, l’échec est si patent que les populations rurales –
premières et pitoyables victimes des oppressions – en arrivent silencieusement
à regretter le temps ancien du colonialisme »1.
Dans le cas des Comores, et plus particulièrement sur l’île d’Anjouan en
1997, les populations rurales, manipulées par des acteurs politiques urbains,
n’en étaient pas arrivées « à regretter silencieusement le temps ancien du
colonialisme », mais à le faire de la manière la plus bruyante, et jusqu’à être
entendues dans les chancelleries, entre le 16 février 1997 et le 25 mars 2008.

§4.- UN CONSERVATISME EXCLUANT LA FEMME DE LA SPHÈRE POLITIQUE


De prime abord, une remarque s’impose : la situation sociopolitique de la
femme comorienne est désastreuse. La femme n’a pas de place sur la scène
politique aux Comores. Elle en est complètement exclue. Plus grave encore,
rien n’est fait pour améliorer le statut sociopolitique de la femme au sein de
la République des Comores. Les années passent et ce statut stagne. Il n’est
pas rare de constater que dans certaines situations bien précises, la situation
de la femme aux Comores est en pleine régression et dans une érosion. Cela
est valable sur les trois îles indépendantes de la République des Comores,
quels que soient les gouvernements.
Il n’est pas inutile de signaler que sous l’autonomie interne, Saïd Mohamed
Cheikh, Saïd Ibrahim et Ahmed Abdallah Abderemane n’ont jamais nommé
de femme au sein du gouvernement. De 1975-1978, Ali Soilihi avait forcé
les familles à ne plus garder leurs filles non mariées dans les murs de leurs
maisons, mais à les confier à la Révolution. Les familles mohéliennes avaient
même assisté au départ forcé de leurs filles de moins de 18 ans à la Grande-
Comore. Les Comités révolutionnaires des îles comptaient dans leurs rangs
un nombre important de femmes. Pourtant, Ali Soilihi n’a jamais nommé de
femme dans son gouvernement. Président des Comores de 1978 à 1989, le
conservateur Ahmed Abdallah Abderemane avait également exclu la femme
de la sphère politique.
Il a fallu attendre l’avènement du très conservateur Saïd Mohamed Djohar
pour voir une femme entrer au gouvernement pour la première fois aux îles
Comores. Il s’agit de Sittou Raghad Mohamed. Intéressons-nous au parcours

1 Malaurie (Jean) : Du danger des idées fausses dans les politiques de développement en

Afrique Noire, in Dumont (René) en collaboration avec Paquet (Charlotte) : Pour l’Afrique,
j’accuse. Le journal d’un agronome dans le Sahel en voie de destruction, Postface de Michel
Rocard, Librairie Plon, Collection « Terre humaine », Paris, 1986, p. 402.

68
professionnel de cette pionnière. De 1983 à 1986, Sittou Raghad Mohamed
enseigne le français et l’Histoire-géographie dans des collèges de Grande-
Comore. Elle enseignait également à l’École nationale de Santé (ÉNS) et au
Lycée de Moroni. De 1986 à 1991, elle est formatrice des Professeurs de
Collèges à Moroni. De 1991 à 1992, elle est secrétaire d’État à la Condition
féminine et à la Population. En 1992, elle devient Haut-Commissaire chargé
de la Promotion de la Femme et de la Protection sociale. En décembre 1993,
elle est élue Députée, la première femme Députée aux Comores. En 1994,
elle est nommée ministre des Affaires sociales, du Travail et de l’Emploi. De
mars à mai 1995, elle a été nommée Conseillère du président Saïd Mohamed
Djohar chargée des Affaires sociales. De mai à octobre 1995, elle occupe les
fonctions de ministre des Affaires sociales, de la Population, du Travail et de
l’Emploi.
En 1995-1996, elle était secrétaire générale adjointe du gouvernement.
C’est donc l’ultraconservateur Saïd Mohamed Djohar qui, non seulement
fut le promoteur du multipartisme aux Comores, mais également le président
qui, pour la première fois dans l’Histoire du pays, a nommé une femme à des
fonctions ministérielles. C’est toujours Saïd Mohamed Djohar qui, après son
demi-frère Ali Soilihi, a fait monter sur la scène politique des Comores des
personnalités du monde rural, des Nègres n’appartenant pas à l’« aristocratie
arabe », à la « bourgeoisie » et à la « noblesse ». Dès lors, on assista, du jour
au lendemain, à une arrivée massive sur la scène politique de nombreuses
personnalités naguère exclues du système politique. On ne peut que regretter
le fait que ce bouleversement politique majeur soit effectué dans un contexte
marqué par la confusion politique et l’instabilité institutionnelle.
Après le renversement de Saïd Mohamed Djohar, le 28 septembre 1995 par
Robert « Bob » Denard et ses mercenaires, Mohamed Taki Abdoulkarim et
Tadjidine Ben Saïd Massounde n’ont pas provoqué une révolution en faveur
de la femme en politique. Pour sa part, Assoumani Azali, après son putsch
du 30 avril 1999, dans une période de grand désordre politique, à un moment
où Anjouan avait pratiquement quitté la République des Comores, se limita à
la nomination d’une ancienne institutrice de Mohéli. Le 26 mai 2016, il était
retournait à la Présidence de la République dans des conditions d’une grave
inconstitutionnalité. Il s’était contenté de confier un secrétariat d’État à une
femme, une seule femme, et il s’agit de l’une de ses nombreuses maîtresses.
Pourtant, Assoumani Azali, dans un livre d’entretiens faisant la part belle
à l’autoglorification, à l’autosatisfaction, au narcissisme arrogant et aux plus
invraisemblables des contrevérités, se pose en vrai chantre de l’émancipation
de la femme dès sa tendre enfance : « Ensuite, nous sommes dans une société
matriarcale où la femme constitue le ciment de la famille. Un couple qui n’a
pas eu la chance d’avoir une fille peut même aller jusqu’à décider d’en
adopter une. J’ajoute que dans ce type de société, c’est la femme qui hérite
de la majeure partie des biens familiaux. Dans la grande famille comorienne,
le dernier mot lui revient dans la mesure où c’est elle qui dispose des biens

69
de la famille et de beaucoup d’autres qu’elle reçoit lors de son mariage et
dont l’homme aura grand besoin à certains moments de sa vie.
Traditionnellement, un homme, même s’il dispose de moyens propres, ne
peut rien faire sans le consentement de sa sœur. Aux Comores […], il est
conseillé de réfléchir à plus de deux fois avant de s’énerver contre sa femme,
car la maison lui appartient et en cas de litige, c’est l’homme qui prend la
porte. En dépit de cette tradition matriarcale, il est vrai qu’il restait des
progrès à faire en matière de droits de la femme, notamment à l’école et
dans la vie politique et sociale.
On pouvait l’observer dans différents domaines d’activités. Et quand on
appartenait aux classes sociales modestes, le clivage entre les hommes et les
femmes s’observait davantage et s’exerçait au détriment de la femme. Par
exemple, beaucoup de familles modestes préféraient ne pas envoyer leurs
filles à l’école pour les réserver au mariage traditionnel, à des âges parfois
très précoces. […]. C’est à ce titre que le combat pour l’émancipation de la
femme était, pour nous, nécessaire.
Au sein du mouvement de la jeunesse, nous, les garçons, avions embrassé
ce combat comme le nôtre car nous savions que nous aurions plus de chance
d’être entendus tous ensemble, que si les filles devaient se battre seules
contre ce système. C’est ainsi que j’ai milité en faveur de l’émancipation des
femmes aux Comores »1.
Le récit d’Assoumani Azali peut paraître sincère et émouvant. Or, en rien,
il ne reflète les pratiques de l’homme arrivé au pouvoir par coup d’État le 30
avril 1999. Assoumani Azali parle d’émancipation de la femme comorienne,
prétend y avoir contribué, mais quand il était au pouvoir, il n’a rien fait pour
promouvoir le statut social et politique de la femme comorienne. Il avait été
le promoteur de la carrière d’un nombre impressionnant de kleptomanes et
de kleptocrates, mais n’avait jamais pensé à la discrimination qui frappe des
milliers de femmes comoriennes bardées de diplômes et qui ont l’expertise
nécessaire à la direction des affaires publiques de leur pays. Dès lors, on est
en droit de bien s’interroger sur la sincérité et le sérieux d’Assoumani Azali
quand il parle de l’émancipation de la femme, quand lui-même s’acharne à
discriminer la même femme.
Pour sa part, Ahmed Sambi (2006-2011) avait nommé quelques femmes à
des fonctions étatiques de haut niveau : Nakchamy Naïlane (à la Présidence
de la République) et Sitti Kassim (ministre).
Par la suite, Ikililou Dhoinine (2011-2016) avait nommé deux femmes dans
le gouvernement qu’il dirigeait : Sitti Kassim et Bahiat Massounde. Ce fut la
seule fois aux Comores où deux femmes étaient nommées ministres dans le
même gouvernement. Seulement, il ne faut guère se bercer d’illusions : Sitti
Kassim n’était pas nommée ministre et porte-parole du gouvernement en

1Assoumani (Azali) : Quand j’étais président. Entretiens avec Charles Onana, Éditions
Duboiris, Paris, 2009, pp. 15-16.

70
vertu d’une quelconque compétence et expertise, mais tout simplement parce
qu’elle est l’intrigante et haineuse amie personnelle de Hadidja Aboubacar,
épouse Ikililou Dhoinine, avec qui elle complotait, humiliait les gens, brisait
les carrières des fonctionnaires et se livrait à des enfantillages de gamines
transformées en parvenues au sommet de l’État. Son passage dans les hautes
de l’État est une longue traînée d’échecs et de deuils.
En tout état de cause, et nonobstant la médiocrité de ses méthodes de chef
d’État sans le moindre relief, Ikililou Dhoinine avait été le président de la
République comorienne qui avait nommé la première femme Directrice d’un
média aux Comores : Saminya Bounou Soilihi, morte le mardi 16 mai 2017
à 49 ans, à Djoiezi, Mohéli. Elle avait été la Directrice de publication d’Al-
Watwan, le journal gouvernemental.
Nous ne le dirons jamais : le statut sociopolitique et socioprofessionnel de
la femme comorienne est désastreux. Il est un ensemble d’incohérences et de
contradictions que les tenants d’un discours passéiste aux Comores mettent
sur le dos de l’Islam. Or, dans les ténèbres du Moyen-Âge, l’Islam avait bel
et bien brillé de toutes ses lumières notamment pour libérer la femme. Dans
les différents combats livrés par les Musulmans, ceux-ci étaient soutenus par
les femmes, présentes sur le théâtre des combats. Fait plus édifiant encore, à
l’époque où il était caravanier, et avant de devenir le dernier des Prophètes,
Mohammed Ibn Abdallah était au service de son épouse Khadija. Nulle part,
on n’a vu le Prophète Mohammed Ibn Abdallah discriminer ou mépriser la
femme. Si, par la suite, dans les pays se réclamant de l’Islam les dirigeants et
leurs peuples optent pour la discrimination sociopolitique et professionnelle
de la femme, il s’agira d’un terrible abus sans réelle relation avec l’Islam.
L’éthique et l’esthétique véhiculées par l’Islam s’opposent à toute forme de
discrimination.
L’Islam a libéré la femme. Il lui a donné une existence et un statut social
qu’elle n’avait pas avant 609, début de la Révélation de l’Islam. Le Prophète
Mohammed n’a été à l’origine d’aucune discrimination envers la femme, et
la discrimination constatée par la suite ne saurait être le fait de l’Islam.
Dans le cas des Comores, une question se pose avec acuité : la situation
politique, sociale et professionnelle est partout la même à travers toutes les
îles ? On ne peut répondre à l’affirmative à cette question. En effet, il est de
notoriété publique que « […] les femmes de Mayotte, un peu comme celles
de Mohéli, sont très émancipées, pour ne pas parler de matriarcat »1.
Ne perdons pas de vue le fait, essentiel, que le long combat qui a été mené
à Mayotte contre l’indépendance des Comores et contre l’État comorien et
pour la départementalisation de l’île a été l’affaire des femmes mahoraises.
De même, tous les vrais combats politiques menés à Mohéli en dehors des
femmes ont été voués à l’échec. Le souvenir de la Reine Djoumbé Fatima est

1 Chagnoux (Hervé) et Haribou (Ali) : Les Comores, PUF, Collection « Que sais-je ? », 2ème

édition, Paris, 1990, p. 56.

71
resté vivace à Mohéli. En 2010, Mohéli a été la première île des Comores à
avoir proposé la candidature d’une femme à une élection présidentielle, et il
s’agit de Zahariat Saïd Ahmed. En 2016, Mohéli a également été la première
île de l’archipel des Comores à avoir proposé une candidature féminine lors
d’une élection gubernatoriale, et il s’agit de Hadidja Aboubacar, que déteste
la population de Mohéli pour son arrogance, sa méchanceté et sa dictature.
Il conviendrait de relever que « les traits matriarcaux d’origine africaine
contrebalancent efficacement aux Comores ce que l’Islam peut avoir de
contraignant pour la condition féminine. Cela peut même aller, dans l’île de
Mayotte, jusqu’à la toute-puissance politique des associations de femmes. Il
ne fait pas bon s’opposer à un bataillon serré conduit par ces femmes de poids
que sont les deux Zaïna, Zaïna M’déré et Zaïna Méresse ! Il est fréquent
d’entendre les Comoriens, qui ne sont certes pas innocents, se plaindre du
pouvoir absolu de leurs épouses. Le mari notoirement trop soumis est affublé
par ses compagnons d’infortune du sobriquet de “Bonjour madame”, par
une sorte d’exorcisme. La racine de cet état est le culte africain pour la
mère »1.
Il est vrai que sur le plan administratif et institutionnel, Mayotte est une île
française située dans l’archipel des Comores et revendiquée avec plus ou
moins de sincérité par les autorités de Moroni. Or, sur le plan sociologique,
le comportement des Mahorais est exactement le même que celui des autres
habitants de l’archipel des Comores. Les femmes de Mayotte ont beaucoup
fait pour leur île.
Mais, les efforts des Mahoraises ne sont pas récompensés comme il se doit.
Quand il s’agit de se battre, les femmes de Mayotte s’engagent sur le terrain,
mais leurs mérites ne sont jamais reconnus à leur juste valeur. Pour preuve,
au lendemain du rejet de l’indépendance des Comores par l’île de Mayotte,
on s’attendait à ce que les femmes mahoraises, qui avaient mené ce combat
difficile, occupent des places de responsabilité pour continuer à s’occuper du
développement de leur île. Or, force est de constater que cela n’avait pas été
le cas. Du jour au lendemain, elles furent marginalisées par les membres
masculins de la classe politique de l’île.
Le président Jacques Chirac, dans le discours qu’il prononça à Dzaoudzi
le 20 mai 2001 met l’accent sur cette injustice : « J’éprouve un grand plaisir
à rencontrer ce matin les femmes de Mayotte car elles ont été présentes dans
toutes les grandes décisions politiques de l’île et elles sont une figure
emblématique de l’ancrage de Mayotte au sein de la République française.
J’évoquais hier le combat émouvant de Zaïna Mdéré et Boueni Mtiti, qui ont
exercé une grande influence sur l’ensemble de la communauté mahoraise. Je
pourrais aussi citer Zaïna Méresse et Coco Djoumoi, qui ont mené de célèbres
actions de commando. On pourrait en citer bien d’autres.

1 Fasquel (J.) : Mayotte, les Comores et la France, op. cit., p. 71.

72
Il faut toutefois constater, pour le regretter, que trop peu de femmes
mahoraises accèdent aujourd’hui à des fonctions politiques de premier plan.
Ce décalage entre leur rôle historique et leur présence encore insuffisante
dans les assemblées élues, même si l’application de l’heureuse loi sur la
parité a modifié cette situation au sein des conseils municipaux, a sans doute
de multiples raisons.
Les Mahoraises assument tout d’abord une lourde responsabilité familiale,
souvent à un âge très jeune, ce qui entraîne parfois l’interruption de leur
scolarisation. Les répercussions sur leur niveau de formation expliquent les
difficultés des jeunes mahoraises à s’assurer un avenir professionnel et le
taux de chômage, hélas, est particulièrement élevé chez les femmes, prati-
quement le double de celui qui frappe les hommes.
Dans ce contexte difficile, qui laisse peu de moyens aux femmes mahoraises
pour se consacrer à la vie de la cité, tant sous la forme de l’engagement
politique que de l’engagement associatif, c’est avec beaucoup d’admiration
que je tiens à saluer toutes celles qui sont là aujourd’hui, qui nous montrent
qu’au-delà des contraintes que j’évoquais à l’instant, elles ont su faire
valoir, devant la communauté mahoraise tout entière, leur engagement et leur
volonté combative.
Je veux féliciter tout particulièrement les présidentes de ces associations
de femmes qui font un travail remarquable de bénévolat, illustré aujourd’hui
par cette superbe exposition artisanale.
Les femmes mahoraises contribuent ainsi à la promotion de l’artisanat qui
est une activité économique structurante de votre île, un élément moteur de
son développement. Il permet en effet de fixer la population, là où elle a ses
racines, ses matériaux traditionnels, son savoir-faire. Il lui procure en outre
un revenu lié à une activité réelle.
Mais l’artisanat est surtout l’un des vecteurs privilégiés de l’insertion
sociale et professionnelle des femmes mahoraises. L’organisation d’activités
artisanales collectives permet de rompre l’isolement de certaines d’entre
elles, de valoriser leur rôle au sein de la société mahoraise, en mettant en
avant leur créativité et leur talent dont on peut voir qu’ils sont immenses.
Mesdames, le siècle qui vient de s’achever aura incontestablement été
votre siècle. À Mayotte plus qu’ailleurs, vous avez su le bâtir, vous avez su le
faire évoluer pour arriver, enfin, à la place qui est la vôtre aujourd’hui. Tout
ce que vous avez brillamment obtenu doit être consolidé et renforcé. Je vous
fais confiance pour poursuivre vos efforts avec le courage, la persévérance
et la détermination dont vous avez toujours fait preuve. Vous avez, croyez-le
bien, tout mon soutien et aussi tout mon respect et mon affection dans
l’action exemplaire que vous menez au service de Mayotte ».
Partout dans l’archipel des Comores, la femme travaille, mais sur le plan
socioprofessionnel et sociopolitique, elle est maintenue à un rang subalterne
et dévalorisant. Les archaïsmes survivent. Le passéisme prévaut. Ali Soilihi
avait arraché les filles à leurs familles mais ne les avait pas émancipées. Les

73
Comoriens vivent la brutalité avec laquelle les filles avaient été arrachées à
leurs familles respectives comme une grave injustice qui n’a rien apporté à la
société comorienne. Une fois de plus, aux Comores, on confond paganisme
et Islam, féodalité et valeurs ancestrales, charlatanisme et vérité, superstition
et valeur sociétale, le tout pour maintenir la femme dans la servilité la plus
dégradante. Des tréfonds de la société comorienne, monte toujours un cri de
haine et de discrimination envers la femme. Aucun des arguments déployés
pour tenter de justifier cet asservissement n’a de valeur au regard de l’Islam,
l’alibi de toujours.
En son temps, Ali Soilihi avait été accusé d’athéisme pour avoir combattu
les superstitions sclérosées qui alourdissent l’Islam et ne lui apportent rien.
Aux Comores, les confusions sont légion et sont privilégiées pour justifier
les dérives multiples liées à une interprétation surannée et erronée de ce que
les bien-pensants veulent faire passer pour des règles et principes de l’Islam.
Qui plus est, depuis quelques années, des jeunes Comoriens atterrissent dans
des pays où ils subissent un véritable bourrage de crâne sur ce que doit être
l’Islam, et il s’agit d’une somme de charlatanismes et superstitions n’ayant
aucune relation avec l’Islam.

S.II.- LUTTE CONTRE LA « FÉODALITÉ » SOUS LA RÉVOLUTION D’ALI


SOILIHI (1975-1978)
La remise en cause des fondements de la société traditionnelle a commencé
aux Comores depuis le début des années 1960. À cette époque, les jeunes des
Comores font preuve d’une incroyable maturité politique. Pour tout dire, dès
les années 1960, la jeunesse comorienne est l’une des plus politisées sur le
continent africain. Ces jeunes Comoriens sont essentiellement gagnés par les
idées dites progressistes. Ils se revendiquent de Karl Marx, Friedrich Engels,
Vladimir Oulianov Lénine, Léon Trotski et Mao Tsé Toung. Enver Hodja, le
dictateur d’Albanie, avait ses propres partisans au sein de cette jeunesse. Et
pendant que Pol Pot commettait son horrible génocide au Cambodge de 1975
à 1979, mettant à mort 1,7 million de personnes, soit 21% de la population,
des jeunes Comoriens regroupés au sein de l’ASÉC chantaient à satiété les
louanges et vertus du Kampuchéa démocratique, le nom du Cambodge sous
les Khmers Rouges. Il n’est pas inutile de rappeler que dans les années 1970,
l’ouvrage le plus en vogue aux Comores est Le Petit Livre Rouge de Mao
Tsé Toung. Sur le plan des idées, les Comores étaient en ébullition, et cela
avait un impact sur la vie politique.
Naturellement, les jeunes Comoriens ne tardèrent pas à remettre en cause
les fondements de la société comorienne. Ils considéraient que la notabilité
s’était trop compromise auprès de l’autorité coloniale, en soutenant celle-ci,
pendant que la colonisation n’a jamais bousculé les tenants de la tradition.
La complicité était totale entre les notables et la colonisation.

74
En d’autres termes, « la colonisation française n’a pas entamé le système
coutumier, parce qu’elle voulait éviter d’irriter la notabilité. Celle-ci est,
bien au contraire, associée à l’administration coloniale. Le pouvoir coutumier
continue à prospérer en parallèle avec l’autorité publique. Il est resté long-
temps à l’abri de toute critique. En revanche à partir des années 1960, il
essuie quelques critiques de la part de certains jeunes qui fréquentaient les
écoles malgaches. Le progrès de la scolarité a entraîné le renforcement de
la contestation. Le MOLINACO renforça “l’anti-féodalisme”, et ses militants
ont prêté serment contre le mariage coutumier. Les autorités territoriales
ont bien entendu les jeunes protestataires et décidèrent de légiférer contre
certaines pratiques. Mais, leurs délibérations restaient sans effet devant le
courroux des notables.
Les rangs des antiféodaux s’élargissaient. Le PASOCO, depuis sa création
en 1968, s’est déclaré antiféodal et anti-impérialiste. La plupart des associa-
tions des jeunes dans les années 1970 furent antiféodales. L’ASÉC en était le
porte-drapeau. La montée de la contestation n’entamait pas la résistance
des notables, qui tiraient toujours les ficelles du système sociopolitique »1.
La remise en cause du système a franchi un pas supplémentaire quand, le 3
août 1975, Ali Soilihi a fait son putsch contre Ahmed Abdallah Abderemane.
Ceci est d’autant plus vrai qu’Ali Soilihi fait partie des jeunes contestataires
des années 1960. En plus, son installation au pouvoir allait lui permettre de
lui donner toute la mesure de sa capacité à passer du verbe à l’action. Après
son coup d’État, Ali Soilihi avait lancé sa croisade contre la féodalité avec
une virulence et un acharnement d’une rare intensité, et cela ne l’avait aidé
en termes de popularité et d’assises populaires.
Le 6 juillet 1976, alors que les Comores célébraient le premier anniversaire
de leur indépendance, Ali Soilihi a prononcé sans doute le plus important de
ses discours2. Il s’agit d’une allocution radiodiffusée faisant la part belle à la
remise en cause de toutes les coutumes sur lesquelles se fonde la féodalité
aux Comores. Il s’en prend aux dépenses liées à l’enterrement des morts et à
toutes les autres dépenses improductives liées aux différentes coutumes des
Comores : « L’idée de lutter contre les dépenses voulues par la coutume et
les traditions n’est pas une idée d’aujourd’hui. Elle remonte déjà à quelques
années. Avons-nous oublié qu’en 1968, feu Mohamed Cheikh a préparé et a
promulgué une loi pour supprimer de nombreuses dépenses coutumières ? Il
a échoué, il n’a pas réussi à la faire appliquer parce qu’il a rencontré une
opposition non négligeable.
Dieu m’est témoin, je n’avais pas imaginé que dans la nation comorienne
d’aujourd’hui, qui lutte contre les assauts violents (du colonialisme) depuis

1 Madi Djoumoi (Ali) : La jeunesse étudiante comorienne et l’indépendance des Comores,


L’Harmattan, Collection « Océan Indien/Études », Paris, 2014, pp. 200-201.
2 Vérin (Emmanuel et Pierre) : Archives de la révolution comorienne 1975-1978. Le verbe

contre la coutume, L’Harmattan, Collection « Archipel des Comores », 1999, pp. 188-204.

75
le 6 juillet 1975, je n’avais pas imaginé que dans la nation comorienne
moderne, il y ait un seul Comorien qui ne soit pas conscient de ses responsa-
bilités et de ses devoirs, en tant que citoyen comorien et qui soit disposé à
prendre des décisions comme celles-ci, à les appliquer et à les comprendre
correctement. C’est pour cela qu’aujourd’hui, je n’avais pas prévu que je
serai dans l’obligation de vous parler, mais en regardant autour de moi, j’ai
remarqué que certains parmi mes aînés comoriens étaient mécontents des
décisions dont il est question, concernant la coutume et la tradition ». Peut-
on lutter contre de telles coutumes sans tenir compte de la base sociale ?
Il prit pour cible le grand mariage, source de nombreux malheurs sur l’île
de la Grande-Comore, où certains s’obligent à des dépenses qu’ils ne sont
pas en mesure d’affronter de manière honnête et honorable, faisant tout pour
ne pas tenir compte du fait que « du point de vue de l’existence, deux êtres
humains, un homme et une femme, veulent s’unir, s’allier, en partageant
tout, le travail et les économies, afin d’alléger les fardeaux trop lourds de ce
monde. Ils mettent en commun les idées et les gains provenant de leur travail
pour vivre au mieux, et de donner à leurs enfants une éducation qui leur
permet de réussir ».
Ali Soilihi était sincère et ne blasphémait pas quand il disait : « Ces deux
aspects, les conditions de vie et la religion, interdisent l’idée selon laquelle
le mariage, c’est du commerce. Citoyens, le mariage ce n’est pas du com-
merce. La femme n’est pas achetée par l’homme, pas plus que l’homme n’est
acheté par la femme ». Or, les Comoriens n’étaient pas disposés à lui donner
raison, estimant que les dépenses somptuaires devaient demeurer le principal
aiguillon de la société grande-comorienne. À l’époque, il estimait que les
dépenses occasionnées par un mariage en Grande-Comore devaient dépasser
10 millions de francs comoriens, contre 4 millions à Mohéli et à Anjouan.
Aujourd’hui, un grand mariage à la Grande-Comore peut coûter plus de
100.000 euros. Comme ses organisateurs n’en ont pas toujours les moyens, il
leur cause des malheurs incalculables (surendettement aigu, insolvabilité et
autres désagréments). Chaque jour, on parle de la réforme du grand mariage,
et il s’agit d’un simple serpent de mer.
Qui plus est, comme c’est le faste du grand mariage qui est le facteur à la
base duquel sont désignés les chefs coutumiers, en créant de nombreux abus
sur tout l’espace social et public en Grande-Comore – plus qu’à Anjouan et à
Mohéli –, Ali Soilihi fustige « le second aspect du grand mariage, c’est-à-
dire l’organisation de la coutume et de la tradition qui, à l’origine, va de
pair avec la vie du village, avec la vie du pays », estimant que « le mariage
coutumier, ce n’est pas un élément isolé introduit par nos ancêtres qui ont
défriché le pays ; c’est un élément fondamental, sur lequel est bâtie toute
l’organisation de l’administration villageoise traditionnelle ». Et comme il
avait une connaissance poussée des ressorts intimes de l’organisation de la
société comorienne, en particulier celle de la Grande-Comore, il s’était mis à
en expliquer les soubassements.

76
Le révolutionnaire Ali Soilihi avait également son mot à dire sur le voile
porté par la femme comorienne, lui qui avait demandé à cette dernière de le
jeter symboliquement en public pour mieux devenir un ferment de l’action
qu’il avait engagée pour secouer le carcan de la vieille société comorienne.
De longue date, la femme comorienne porte le voile (« bwibwi »), mais pour
le chef de la Révolution, il s’agit d’un apport vestimentaire étranger entré
dans les mœurs du pays : « Je voudrais vous rappeler, à vous qui êtes mes
aînées, que le fait de se voiler, la pratique de la femme comorienne de se
voiler, le “bwibwi”, ce n’est pas un vêtement comorien ; c’est un vêtement
qui est apparu récemment dans notre pays, qui a été introduit par les rois
qui y vinrent, qui se marièrent dans notre pays, car c’étaient leurs mœurs.
Ils avaient des richesses et les moyens de garder leurs femmes à l’intérieur
de la maison, de la nourrir, de l’habiller, de lui fournir absolument tout, et
elle restait enfermée en attendant son mari. Donc, ce genre de femmes, que
rien ne gêne lorsqu’elle sort pour aller rendre visite à sa voisine ou à sa
sœur, porte le “bwibwi”, et hop, part un moment en visite et retourne chez
elle. Mais, elle n’allait jamais ailleurs ».
Autant signaler qu’avant qu’Ali Soilihi ne demande l’interdiction du voile
intégral comorien sur l’espace public, existait aux Comores la « Moina Oi-
Zidankani », la fille qui ne sortait jamais de sa maison familiale. Anjouan et
sa capitale Mutsamudu étaient les endroits où ce phénomène était le plus
récurrent. De même, à Mohéli, la femme qui venait de se marier ne sortait
jamais de sa maison pendant au moins deux ans, voire plus. La Révolution
mit fin à ces pratiques sociales en quelques discours suivis d’incarcération et
d’incorporation dans les Comités populaires de filles qu’aucune personne
étrangère à leurs familles ne pouvait voir auparavant.
Ali Soilihi avait réussi la gageure d’interdire toutes dépenses somptuaires,
qu’elles soient liées au mariage ou aux cérémonies mortuaires. J’ai vécu un
événement très spécial en 1977, chez moi, à Djoiezi, dans mon quartier, dans
mon environnement familial. Une cousine venait de se marier. Il va sans dire
qu’aucune dépense interdite par la Révolution ne pouvait être envisagée. Or,
il avait fallu abattre une chèvre ou un mouton. Je vois encore le propre demi-
frère du marié, membre du Comité populaire, présentant ses vœux de joyeux
mariage, mangeant avec les autres personnes présentes, avant d’aller alerter
ses camarades, qui débarquèrent dans la maison où avait lieu le mariage, où
les personnes présentes firent passer les marmites de riz et de viande par-
dessus les murs. On en parle encore à Djoiezi.
Quelques semaines plus tard, le petit frère de ma mère se mariait avec une
fille de notre famille, l’endogamie et même la consanguinité étant une des
pratiques sociales les plus courantes dans la famille de ma mère. Ma mère ne
pouvait concevoir le mariage de son jeune frère sans au moins des bijoux en
or. D’habitude, les bijoux offerts à la mariée sont placés sur des supports et
étrennés dans les rues et ruelles. Mais, ce jour-là, il ne fallait même pas
penser aux cérémonies et aux bijoux offerts à la mariée. Ma mère se limita à

77
mettre tous les bijoux dans une boîte très discrète, à entrer dans la chambre
nuptiale et à glisser ladite boîte très ostensiblement sous le lit, en disant tout
simplement « on m’a demandé de vous remettre ceci », avant de s’en aller
par la pointe des pieds, et sans un mot en plus, et sans se retourner.
Personne n’osait célébrer un mariage en grande pompe. Personne n’osait
prétendre qu’il était bourgeois, aristocrate, aristocrate arabe ou noble. Plus
personne n’osait afficher des prétentions sociales en public. Les théologiens,
naguère prétentieux, étaient sommés d’adopter un profil bas et se montraient
d’une très grande discrétion. Les sorciers et les marabouts avaient perdu de
leur superbe depuis que le Comité populaire les ridiculisait en public, en les
habillant de vêtements taillés dans les sacs de riz, le visage peint en charbon
de bois, portant leur matériel « de travail », répétant d’une voix monocorde
étouffée par la honte : « Je suis un vrai menteur exploitant la crédulité des
masses populaires ». Enfant, j’ai assisté à toutes ces scènes à Djoiezi !
Les tenants de l’ordre ancien subissaient en pleine rue des humiliations de
la part du pouvoir révolutionnaire, accusé d’hérésie et athéisme.
En la matière, une controverse subsiste : Ali Soilihi était accusé d’athéisme
dans un pays pratiquant « [...] un Islam que des Libyens, en visite au mois de
décembre dernier [1974] dans l’archipel, qualifiaient de “médiéval”. Dans
ce contexte, les mots et les valeurs occidentales n’ont plus le même sens et
ne constituent qu’un rituel [...] »1. Or, « rien n’est plus facile ni plus dange-
reux que de manier l’accusation ancestrale : l’adversaire est un “ennemi de
Dieu” (adou Allah). Ces anathèmes mutuels, incorporés souvent dans les
fatwa (consultations) contradictoires des autorités complaisantes, ne sont pas
non plus de nature à renforcer la confiance en la vertu de l’islamité
proclamée d’un État »2. En réalité, Ali Soilihi était plus dans la dénonciation
de la magie noire, de la sorcellerie, du charlatanisme et de la superstition que
dans celle de l’Islam. D’ailleurs, dans ses discours, il faisait souvent allusion
à Dieu et à la consultation des théologiens musulmans.
La Révolution pouvait malmener la pratique de l’Islam, et sous Ali Soilihi,
les Comores étaient une République laïque. Mais, ce n’est pas pour autant
qu’il serait objectif de parler d’athéisme stricto sensu.
Mais, par excès de zèle, des Jeunes Révolutionnaires pouvaient signifier à un
imam de mosquée qu’il n’avait nullement le droit de diriger la grande prière du
vendredi et s’en arroger le droit, sans en connaître les règles. Dans certaines des
mosquées du pays, on a vu des Jeunes Révolutionnaires demander aux fidèles
d’entonner l’hymne national avant de faire la prière. Et, il y a également la
fameuse élection du 28 octobre 1977 par laquelle Ali Soilihi demandait à la

1 Junqua (Daniel) : Comores. Responsables traditionnels et jeunes élites. Un inquiétant


exemple de décolonisation « à la française », Le Monde diplomatique, Paris, avril 1975, p.
15.
2 Rodinson (Maxime) : Réveil de l’intégrisme musulman in Balta (Paul) : L’Islam dans le

monde, 2ème édition, Le Monde Éditions, Paris, 1991, pp. 49-50.

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population de choisir entre le président et son « remplaçant ». Or, le nom du
remplaçant n’a jamais été dévoilé. En la matière, les Mohéliens avaient suivi un
raisonnement très simpliste : comme le Mohélien Mohamed Hassanaly était le
vice-président d’Ali Soilihi, le « remplaçant » ne pouvait être que lui. En plus,
les Mohéliens détestaient foncièrement Ali Soilihi, ses lycéens violents, impolis
et très aigris ainsi que leur Révolution. L’État organisa la fraude électorale à
Mohéli, où pourtant, Ali Soilihi avait été désavoué par 97% des électeurs.
Il a donc fallu punir les Mohéliens. La situation de Mohéli était compliquée ;
« ce qui signifie que de nombreux villages ne votèrent pas. L’île même de
Mohéli refusa la manipulation électorale d’Ali Soilih et ne lui accorda que 3%
des voix. Bien difficilement on bourra les urnes. Par vengeance, le chef d’État
révolutionnaire interdit toute circulation dans l’île pendant quinze jours
entiers, puis y envoya ses commandos. Pendant six mois Mohéli subit la terreur
Mapindrouzi [...] »1. Autant signaler que « la révolte de Mohéli ne fait l’objet
d’aucune mention dans les agences de presse. Pourtant, après le vote du
référendum, l’île se met en état de contestation totale à l’égard du pouvoir
central et des comités [...]. Il fait envoyer un détachement de l’armée à
Nioumachoua le 28 décembre 1977 pour rétablir l’autorité. La répression sera
sévère : au moins une centaine de récalcitrants seront déportés dans le Sud de
la Grande-Comore et le vice-président Mohamed Hassanaly, coupable de
sympathie pour ses concitoyens, est mis en résidence surveillée dans sa maison
de Mrodjou »2.
Parmi les éléments de punition de l’île de Mohéli, figure l’interdiction faite à
la population de se rendre dans les mosquées et quand, à Nioumachioi, au Sud
de l’île, certains habitants bravèrent l’interdit, ils furent sévèrement battus par le
Commando Moissi, la milice du régime politique en place. Connue pour être
très violente, cette milice fut sinistrement surnommée « Tontons Macoutes à la
comorienne »3, du nom des effrayants criminels haïtiens sous les Duvalier père
et fils. Pour réprimer les fidèles, les miliciens avaient commis le sacrilège en
entrant dans la mosquée avec leurs lourdes chaussures militaires avant de se
mettre à battre à la ceinture également militaire des Musulmans qui ne faisaient
que prier. D’ailleurs, ce ne fut pas un phénomène isolé, dans la mesure où, lors
des corvées organisées par le régime politique en place, les personnes astreintes
à la besogne ne pouvaient aller prier, y compris le vendredi à midi.
Ali Soilihi n’avait pas été d’une extraordinaire clairvoyance dans le choix des
animateurs de sa Révolution. En tout état de cause, des Comoriens longtemps
méprisés par d’autres Comoriens qui se disaient supérieurs à eux se mirent à les
tourmenter à chaque occasion. Les membres de la « bonne société », devenus

1 Charpantier (Jean) : Le régime d’Ali Soilih, Moroni, 1975-1978 : analyse structurelle, 3ème
partie, Le Mois en Afrique n°223-224, Paris, août-septembre 1984, p. 31.
2 Vérin (Emmanuel) : Les Comores dans la tourmente : vie politique de l’Archipel, de la crise de

1975 jusqu’au coup d’État de 1978, APOI 1984-1985, p. 86.


3 Junqua (Daniel) : Comores. Le témoignage de réfugiés en France. Quand les « Mapindouzi »

font la loi, Le Monde, Paris, 4 mars 1978, p. 4.

79
les ennemis de la Révolution, firent l’objet d’humiliations et de brimades sans
fin. Il y avait une sorte de « vengeance sociale ». Du jour au lendemain, tous les
animateurs de la Révolution, à quelques exceptions près, furent lancés dans une
incroyable frénésie haineuse contre les « bourgeois ». La « lutte des classes »
était lancée, et ceux qui étaient considérés comme membres des basses couches
de la société aux Comores avaient eu à cœur d’affirmer avec véhémence leur
nouvelle toute-puissance et leur « réussite socioprofessionnelle ».
Abdourahmane Chehabidine, le grand musicien local, qui avait fait pleurer
Ali Soilihi d’émotion quand il chanta devant lui et pour la première fois le
premier hymne national des Comores, s’était attiré quelques ennuis auprès des
pouvoirs publics après avoir composé la chanson suivante : « Le monde a des
tiraillements. Les gens sont perturbés. Le vagabond a trouvé un emploi et est
devenu méchant ». Tout le monde savait qu’il parlait des jeunes animateurs de
la Révolution d’Ali Soilihi, des militaires et des miliciens, dont certains sont un
jour passés par la prison pour divers délits, y compris le vol. C’était le régime
politique de la vengeance sociale, dans la haine.
Pour Philippe Leymarie, qui avait bien suivi les évolutions et tribulations de
la Révolution comorienne, « c’est donc le dos au mur que les Comores ont
abordé la seconde phase de leur existence, dite de “démocratie populaire”
(août 1976-juin 1977), qui a été marquée, elle, par des bouleversements
importants de la société :
– Développement d’un mouvement qui s’est donné pour but de “libérer”
d’une tutelle sociale étouffante les jeunes, les femmes et les paysans pauvres,
de réduire les privilèges des notables et de les obliger à abandonner les
signes et coutumes s’y rattachant, de purifier une religion islamique asphyxiée
par les conventions hiérarchiques et les pratiques superstitieuses. […] ;
– Démantèlement total de l’administration héritée de la colonisation,
considérée comme “bureaucratique” et “alliée à la féodalité”, avec renvoi
dans les villages de la plus grande partie du personnel. […].
Pris de panique, accrochés aux symboles de la féodalité qui avaient
constitué jusqu’ici le cadre unique de leur vie, les autres n’ont pas toujours
compris ni accepté les initiatives débridées de la jeunesse, et le radicalisme
de certains moyens d’action, au point qu’il a paru nécessaire aux autorités
comoriennes de favoriser une “réconciliation” dans les campagnes entre les
jeunes révolutionnaires et les paysans modestes. […]. Le changement social
engagé aujourd’hui repose sur deux idées-maîtresses du chef de l’État
comorien : la féodalité est un frein au développement, la décentralisation en
est le moteur. […].
Le chef de l’État comorien, qui a toujours refusé de sacrifier à la coutume
du “grand mariage”, sur laquelle repose tout l’édifice social en Grande-
Comore, a eu maintes occasions, au cours de sa jeunesse et de sa carrière
politique, de se heurter aux clans de notables qui dirigeaient le pays
jusqu’au départ des Français. Il s’agissait de quelques grandes familles aux
noms illustres, qui prétendaient parfois avoir quelque lien généalogique

80
avec le prophète, et savaient entremêler savamment leur position sociale,
leur influence politique, leur place dans les cultes et les systèmes coutumiers,
confondant souvent les intérêts de leurs communautés ou de l’État avec les
leurs. À la Grande Comore, une répartition s’opérait de fait entre ceux qui
avaient fait le “grand mariage” et devenaient “handa” (les hommes), et ceux
qui n’avaient pu y atteindre (les jeunes gens, en général les plus pauvres).
Cette cérémonie, qui intervenait rarement avant la quarantaine – car elle
nécessitait des années d’accumulation et supposait toutes sortes de démarches
–, était l’occasion d’une débauche extraordinaire de dépenses »1. Ali Soilihi
ne pouvait qu’être maudit, détesté et honni par les tenants de l’ordre social le
plus traditionnel.
Les dépenses ostentatoires liées au grand mariage et aux funérailles sont
une réalité sociale aux Comores. Comme l’avait rappelé Ali Soilihi dans son
discours du 6 juillet 1976 précité, en 1968, Saïd Mohamed Cheikh, président
du Conseil de Gouvernement de l’époque, avait essayé de réduire les frais qui
sont liés aux événements sociaux, mais n’avait pas réussi à convaincre les
Comoriens du bien-fondé de sa politique en la matière. Pour autant, il est très
important de noter que Saïd Mohamed Cheikh était un conservateur dont la
démarche politique générale était celle d’un notable et non celle d’un grand
réformateur comme Ali Soilihi.
Justement, Ali Soilihi voulait réformer en profondeur la société de façon à
éliminer toutes les lourdeurs sociales. C’est ainsi qu’« un congrès, tenu au
début du mois d’août 1976, dans l’île d’Anjouan, a décidé de la nature de
cette grande toilette sociale. Le “frère” Ali Soilih venait d’annoncer “un
virage très rude et décisif” à la radio comorienne, et il avait expliqué
longuement “aux pères et aux mères” qu’il fallait se libérer de toute crainte
liée à la tenue vestimentaire, accepter sans restriction la suppression du
voile pour les femmes, mettre un terme définitif aux principales dépenses
ostentatoires, et comprendre qu’une codification de la coutume du grand
mariage s’imposait, ne serait-ce qu’en référence au contexte économique
difficile du moment. […]. Il est difficile d’apprécier si ce mouvement, qui
s’en est surtout pris aux signes extérieurs du pouvoir traditionnel, est
irréversible. M. Ali Soilih, en tout cas, n’a pas dû affronter une levée de
boucliers comme son lointain prédécesseur, le président Mohamed Cheikh,
obligé, en 1968, de remettre d’urgence aux calendes grecques un projet de
suppression de certaines dépenses ostentatoires. Mais suffit-il d’enlever au
féodalisme ses oripeaux pour le priver de tout pouvoir ? Peut-on espérer
mettre définitivement en pièces, sans bagne ni effusion de sang, ce qui a mis
des siècles à se construire ? »2. Ali Soilihi ne s’était pas posé ces questions.

1 Leymarie (Philippe) : Décentralisation et lutte anti-féodale aux Comores. Une révolution


essentiellement culturelle ? Le Monde diplomatique, Paris, novembre 1977, p. 20.
2 Leymarie (Ph.) : Décentralisation et lutte anti-féodale aux Comores. Une révolution essentiel-

lement culturelle ? op. cit., p. 20.

81
Les Comoriens étaient mis au pas. Les Comores étaient en pleine phase de
bouleversements sociaux. L’ordre social comorien avait été fracturé et avait
cessé d’exister. La tradition était décriée. Tous les privilèges sociaux avaient
été abolis dès le début de la Révolution. Des Comoriens venus des couches
sociales défavorisées ont émergé et étaient aux commandes. On n’avait plus
besoin de références généalogiques et génétiques pour être nommé à un
poste de responsabilité. Les notables ne pouvaient plus s’isoler dans le salon
d’une maison pour décider du sort du pays. Plus personne aux Comores ne
pouvait fonder ses prétentions socioprofessionnelles sur des considérations
basées sur la coutume et la tradition.

S.III.- RÉSURGENCE ET CONSOLIDATION DES FORCES TRADITIONALISTES


À TRAVERS LA NOTABILITÉ
À la lumière de ce qui précède, nous constatons qu’Ali Soilihi avait tout
fait pour bouleverser les hiérarchies sociales et la féodalité. Tous ceux qui
étaient visés par cette remise en cause avaient adopté un profil bas à force
d’être humiliés et malmenés en public. Plus personne ne songeait afficher sa
suprématie sociale en public, de peur de subir les affres d’un régime politique
dépourvu de toute forme de complaisance envers les chantres de la féodalité
et les tenants de l’ordre ancien. Ces derniers ruminaient leur colère en secret
et en silence. À Djoiezi, Mohéli, les sages se réunissaient en cachette dans
des endroits sûrs et répétaient à longueur de soirées que la Révolution d’Ali
Soilihi n’allait pas tarder à prendre fin dans la violence.
Le 13 mai 1978, Ahmed Abdallah Abderemane reprenait le pouvoir après
le coup d’État qu’il avait commandité auprès de Robert « Bob » Denard. Il
avait eu l’intelligence de comprendre que les Comoriens ne voulaient pas du
tout que les pouvoirs publics s’immiscent dans des choix relevant de la vie
privée et communautaire. Il avait compris que le peuple comorien tenait au
faste du mariage, aux superstitions, aux diverses croyances populaires, dont
la conséquence majeure était un alourdissement et une certaine déformation
de l’Islam originel, à la hiérarchisation de la société, aux manifestations les
plus flamboyantes de leur supériorité sociale, à une pratique tout à fait libre
de l’Islam, au respect des Anciens et des nobles.
Ahmed Abdallah Abderemane connaissait les ressorts intimes et l’âme
de la société comorienne, et avait compris qu’on ne pouvait réformer une
société traditionnelle à coups de slogans et mots d’ordre à la radio, dans les
réunions publiques et en persécutant et en humiliant la population chaque
jour. Peu de temps après son renversement, et alors qu’Ali Soilihi lui avait
demandé de résider dans sa demeure non loin de Moroni, il expliquait à Saïd
Mohamed Djohar, le demi-frère d’Ali Soilihi : « Ton frère est trop pressé
d’arriver au but qu’il s’est fixé. S’il continue ainsi son sprint, il se cassera la
figure. Il a aboli d’un seul “coup de gueule” tous les grands principes de
notre vie. Cette attitude ne manquera pas de lui attirer de nouveaux ennemis,

82
même dans son propre camp. Conseille-lui d’aller lentement et de regarder
où il pose son pied dans sa course de vitesse au risque de tomber stupi-
dement. Il est encore jeune pour d’aussi lourdes responsabilités »1.
Quand Ali Soilihi a perdu son pari révolutionnaire et en mourut, et après sa
reprise du pouvoir le 13 mai 1978, du jour au lendemain, le président Ahmed
Abdallah Abderemane arriva à instaurer un clientélisme politique qu’aucun
autre chef d’État n’arriva à imaginer. Dans toutes les régions, dans tous les
centres urbains et dans tous les villages qui comptent le plus, il avait fait des
grandes notabilités ses principaux alliés politiques. Il s’agit de personnalités
avec lesquelles il entretient des relations parfois depuis 1946, quand il s’était
lancé en politique, en plus de leurs relations commerciales. Aujourd’hui, aux
Comores, les présidents qui se succèdent à Beït-Salam voient tourner autour
d’eux des obligés qui cherchent à survivre et en appliquent les formules qui
sont à la base de « la politique du ventre », chère à Jean-François Bayart. Or,
Ahmed Abdallah Abderemane entretenait des relations d’une sincère fidélité
avec un honnête loyalisme avec les notabilités urbaines et rurales. Dans un
gros registre secret, il notait le nom de tous ceux qu’il devait couvrir de ses
largesses. À ce jour, personne ne peut citer le nom d’un notable comorien
qui avait trahi Ahmed Abdallah Abderemane, alors que la trahison fera le
quotidien de ses successeurs.
En matière de gestion, on peut, en toute objectivité, reprocher un certain
nombre de comportements à Ahmed Abdallah Abderemane. Mais, quand il
s’agit de fidéliser ses proches, il était inimitable. Son grand bagout y était
pour beaucoup. C’est ainsi qu’au lendemain du 13 mai 1978, il avait éloigné
les Comores du spectre de « l’athéisme » d’Ali Soilihi, créant avec habilité la
République fédérale islamique des Comores. Cette référence à l’Islam ne
doit rien au hasard, mais à une volonté de faire comprendre aux Comoriens
qu’ils pouvaient de nouveau reprendre leurs pratiques sociales qui avaient
été brutalement interdites par Ali Soilihi. Les notables retrouvaient avec un
vrai bonheur leurs prérogatives sociales. Les roturiers qui avaient surgi des
bas-fonds de la société comorienne retournaient de là où ils étaient venus, et
les notables pouvaient de nouveau parader et plastronner.
Le grand mariage renaissait de ses cendres, et même les partisans d’Ali
Soilihi avaient succombé au charme de son faste et de ses dépenses sans fin.
Chaque mariage organisé dans la famille d’Ahmed Abdallah Abderemane
devenait ce qu’on appellera en février 2014 à Mohéli, sous Ikililou Dhoinine,
un « mariage d’État ». Chaque grand notable qui célébrait un mariage dans
sa famille pouvait compter sur la généreuse aide financière du président de la
République, voire sur sa présence physique. Cela a largement participé à la
détérioration de l’autorité de l’État.

1 Djohar (S. M.) : Mémoires du président des Comores. Quelques vérités qui ne sauraient

mourir, op. cit., p. 222.

83
Ayant retrouvé la plénitude de toutes leurs prérogatives sociales naguère
interdites, les notables urbains et ruraux font la carrière des leurs et défont
celle de ceux qui ont eu le malheur de leur déplaire. Les notables d’Anjouan
et de Grande-Comore font nommer par décret qui ils veulent, et il s’agit
essentiellement de membres de leurs familles. Pendant ce temps, les notables
mohéliens les plus influents car proches d’Ahmed Abdallah Abderemane,
non seulement n’ont favorisé la carrière de personne et n’ont obtenu aucune
bourse d’études pour un jeune Mohélien, mais en plus, avaient déployé une
fabuleuse énergie à faire ce qu’ils savent faire le mieux : la délation.
Les notables des villes et villages qui disent être les bien-nés et les mieux-
nés dominent de nouveau la société comorienne. Leur influence est d’autant
plus grande que le président Ahmed Abdallah Abderemane ne peut rien leur
refuser. Ils ne sont nommés par aucun décret, mais font nommer et renvoyer
les ministres et les fonctionnaires. L’égalité sociale prônée par Ali Soilihi a
été abandonnée au lendemain du coup d’État du 13 mai 1978. Chaque après-
midi, les notables se retrouvent à Beït-Salam pour palabrer avec leur ami
Ahmed Abdallah Abderemane, lui rapportant les rumeurs qui circulent dans
leurs milieux sociaux respectifs, et rentrent chez eux les poches remplies de
l’argent provenant des fonds noirs de la Présidence de la République. Une
fois de plus, nous nous retrouvons au cœur de la « politique du ventre », mais
celle-ci était au moins sous-tendue par les relations de confiance et de
respect entre Ahmed Abdallah Abderemane et ses amis notables.
De 1978 à 1989, les notables de toutes les îles, plus particulièrement ceux
de Grande-Comore et d’Anjouan, sont au cœur du pouvoir. Lors de la tenue
de chaque élection, ils disposent d’impressionnantes quantités de bulletins de
vote et de cartes d’électeurs, se trouvant au centre de toutes les mascarades
organisées par Ahmed Abdallah Abderemane. Il ne s’agissait même pas de
fraudes électorales, car pour qu’il puisse y avoir une fraude électorale, il faut
tout de même une élection. Il s’agissait donc de la pure mascarade. C’était de
l’amusement, une pure formalité et du formalisme. Un ami de Mitsamiouli
m’avait expliqué comment son père, un fidèle du président Ahmed Abdallah
Abderemane, se trouvait toujours en possession de tout le matériel nécessaire
à l’organisation de la mascarade électorale.
Personnellement, je me souviens de l’élection présidentielle comorienne de
1978. Le candidat unique s’appelait Ahmed Abdallah Abderemane. Le jour
du scrutin, à 18 heures, les bureaux de vote venaient de fermer. Nous étions
alors à l’École primaire de Djoiezi. Un notable de Fomboni demanda alors,
sans le moindre embarras, et sans décompte des voix : « Nous allons écrire
quoi sur les procès-verbaux du scrutin, 99% ou 100% en faveur du président
Ahmed Abdallah Abderemane ? ». Ne voulant pas paraître plus « tièdes » à
l’égard de leur président que les habitants d’autres villes et villages de l’île et
du pays, les notables de Djoiezi décidèrent que ça serait 100% de voix pour
Ahmed Abdallah Abderemane. Il ne s’était trouvé personne pour dire que de
telles pratiques étaient anticonstitutionnelles et antidémocratiques.

84
À Mohéli, personne n’a oublié les mésaventures d’un agent mohélien du
Trésor public à Moroni. Cet homme, formé en Finances publiques à Dakar,
au Sénégal, est dans son bureau quand il voit arriver un dignitaire religieux
de haut rang. Ce religieux est venu réclamer d’importantes sommes d’argent
en tant qu’ami personnel du chef de l’État. Quand l’agent du Trésor public
lui expliqua qu’il ne pouvait décaisser l’argent de l’État sans motif légal, le
dignitaire religieux fit démarrer sa voiture en direction du bureau de son ami
Ahmed Abdallah Abderemane, qui ne se fit pas prier pour affecter l’agent
mohélien à Mohéli. Après la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane, la
carrière de ce fonctionnaire connut une impulsion digne de la remarque, et
cet homme finit par être nommé ministre puis Vice-gouverneur de la Banque
centrale des Comores. De telles pratiques prouvent que le régime politique
d’Ahmed Abdallah Abderemane plaçait la notabilité avant la Loi.
Il n’y a pas d’excès dans cette affirmation : « La République des Comores
tourne la page révolutionnaire, et toutes les réformes socioculturelles qu’Ali
Soilihi a réalisées avaient été très rapidement enterrées. La notabilité
devient la base sociale du régime politique d’Ahmed Abdallah, et joue le
rôle d’une milice progouvernementale. Le président Ahmed Abdallah incite
les membres de son gouvernement à accomplir le mariage coutumier. La
corruption s’intensifie et reste impunie. Il se fait désigner candidat unique à
sa propre succession au scrutin présidentiel de 1984 par d’immenses ras-
semblements de notables arrosés de grands festins.
Son successeur, le président Saïd Mohamed Djohar, n’a rien modifié. C’est
le changement dans la continuité. La notabilité garde toujours son influence.
Mais, elle est moins “arrosée”, en raison des difficultés économiques et
financières qui surplombent la République des Comores. Le pouvoir tente de
rompre avec sa base sociologique en dépit de certaines pratiques condam-
nables et scandaleuses. Cependant, les dignitaires du régime politique ne
dérogent pas aux habitudes, et font en grande pompe le mariage coutumier
pour s’attirer la bienveillance des notables. Le multipartisme naissant
n’avait pas entamé la mainmise de la notabilité sur la vie sociopolitique. Il a
cependant permis la création de partis d’obédience religieuse.
La notabilité gagne ses galons avec l’élection de Mohamed Taki Abdoul-
karim aux présidentielles de 1996. Il est institué le Conseil des Notables. Son
influence sur le système est effective et participe à la concussion qui gangrène
l’administration. La notabilité est si forte qu’elle pallie la faiblesse de l’État
en ayant recours à son pouvoir de ban pour régler certains conflits parfois
meurtriers. Le pouvoir politique bénéficie également du soutien des religieux.
Le courant laïc et antiféodal est totalement enterré »1.
Il est nécessaire de signaler que, élu le 16 mars 1996 dans des conditions qui
furent celles du premier scrutin présidentiel respectant les vrais standards de la

1 Madi Djoumoi (A.) : La jeunesse étudiante et l’indépendance des Comores, op. cit., pp.

201-202.

85
démocratie, Mohamed Taki Abdoulkarim n’avait guère manqué d’accuser la
Constitution adoptée sous le régime politique de Saïd Mohamed Djohar en
1992 d’« insuffisances et incohérences ». La presse gouvernementale avait
relayé le message des pouvoirs publics et qualifié de « dangereuse logique du
consensus » la position de l’opposition pour adopter la nouvelle Constitution1.
La Constitution qu’avait fait adopter Mohamed Taki Abdoulkarim le 20 octobre
1996 dans des conditions quelque peu controversées institue un Conseil des
Oulémas. Mais, qui sont les Oulémas ? Il s’agit du cœur palpitant de la grande
notabilité, et les oulémas eux-mêmes soutiennent même les initiatives et actions
les plus malheureuses du pouvoir en place, par pure cupidité et rapacité.
Il est édifiant de noter que l’article 57 de la Constitution du 20 octobre 1996
dispose : « Le Conseil des Ulémas donne son avis sur les projets de lois,
d’ordonnances ou de décrets ainsi que sur les propositions de lois qui lui
sont soumis. Le Président de la République, le Premier ministre, le président
de l’Assemblée fédérale, les présidents des Conseils des îles ou les gouver-
neurs des îles peuvent consulter le Conseil des Ulémas sur tout problème à
caractère religieux. Le Conseil des Ulémas peut, de sa propre initiative,
sous forme de recommandations, attirer l’attention de l’Assemblée fédérale,
du Gouvernement et des gouverneurs sur les réformes qui lui paraissent
conformes ou contraires aux principes de l’Islam.
Sur la demande du Gouvernement, le Conseil des Ulémas désigne un de
ses membres pour exposer devant les commissions de l’Assemblée fédérale,
l’avis du Conseil sur les projets ou propositions de lois qui lui ont été soumis ».
Trop de pouvoirs venaient d’être accordés aux traditionalistes par le biais
du Conseil des Oulémas. Mohamed Taki Abdoulkarim avait même nommé
l’un de ses meilleurs amis pour s’occuper exclusivement des relations avec
la notabilité de la Grande-Comore, étant noté que les notables de Mohéli et
Anjouan n’ont jamais eu l’influence de ceux de la plus grande île du pays. Il
n’est pas erroné de soutenir que malgré leur influence considérable lors de la
présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane, les notables comoriens eurent
véritablement leur âge d’or lors de l’éphémère régime politique de Mohamed
Taki Abdoulkarim. Cela s’explique par le fait que ce dernier est le produit le
plus pur et le plus accompli de ce que la tradition sociale grande-comorienne
pouvait engendrer. Mohamed Taki Abdoulkarim constitue la quintessence de
la notabilité grande-comorienne en politique, et avait réussi le meilleur trait
d’union entre notabilité et politique. Il a commencé sa vie dans la notabilité
et l’a finie dans la politique. Mohamed Taki Abdoulkarim était le dirigeant
comorien qui avait la relation la mieux réussie avec la notabilité.
Une anecdote très parlante et bien connue des Grands-Comoriens illustre la
problématique de la relation exemplaire entre Mohamed Taki Abdoulkarim
et la notabilité de la Grande-Comore. Après son élection à la Présidence de

1 Ali Amir (Ahmed) : Forum : l’épreuve du temps, Al-Watwany n° 431, Moroni, 27 septembre-

3 octobre 1996, p. 2.

86
la République en 1996, Mohamed Taki Abdoulkarim reçoit une délégation
venue du village de Moidja, dans le Hamahamet. La délégation lui demanda
la nomination d’un des siens à un important poste à la Douane comorienne.
Dès que la « candidature » a été présentée par les notables, le chef de l’État
avait éclaté de rire, finissant par déclarer : « Vous rendez-vous compte de ce
que vous me demandez ? Votre protégé est un illettré, et je ne peux pas
prendre la lourde responsabilité de le nommer à une telle fonction ».
Maîtrisant la tradition grande-comorienne même dans ses moindres détails,
les membres de la délégation se contentèrent de dire avant de se lever et de
s’en aller sans regarder derrière elle : « Cela n’est pas notre problème mais
le tien. Nous avons été mandatés par le village de Moidja pour venir te
demander un service. Tu es le président de ce pays. Tu fais ce que veux.
Même si notre homme n’a pas les capacités requises pour ce travail, le
Mohélien Mattoir Ahmed fera le vrai travail, et notre homme signera les
documents administratifs qu’on lui présentera en tant que chef de service.
C’est tout. Au revoir ». Naturellement, Mohamed Taki Abdoulkarim ne
pouvait décevoir cette délégation. Il avait nommé l’homme dont il étalait la
compétence et rappelait l’illettrisme, à juste titre. En raison de son éducation
traditionnelle et de son respect sincère pour les valeurs de la vieille société
comorienne, il ne pouvait se permettre de décevoir une délégation qui était
composée de notables et qui lui tenait un discours qu’il comprenait.
Une autre affaire est encore plus édifiante. Mohamed Taki Abdoulkarim
vouait un mépris sans bornes à Assoumani Azali depuis que ce dernier, alors
chef d’État-major de l’Armée comorienne, avait fui devant les mercenaires
conduits par Robert « Bob » Denard qui avaient renversé le président Saïd
Mohamed Djohar le 28 septembre 1995. Dans le désespoir, Assoumani Azali
en était réduit à demander à des délégations de notables d’aller intercéder en
sa faveur auprès de Mohamed Taki Abdoulkarim après son élection en 1996
à la Présidence de la République. Il voulait redevenir chef d’État-major de
l’Armée comorienne, et Mohamed Taki Abdoulkarim ne le voulait pas.
Selon un proche de Mohamed Taki Abdoulkarim, ce dernier avait tenu
le discours suivant à une de ces délégations : « Avant vous, Azali Assoumani
a dépêché auprès de moi un diplomate étranger, à trois reprises. C’est la
deuxième fois que je reçois votre délégation, et aujourd’hui, elle compte 2
membres de plus. Je suis très réservé à l’égard d’Azali Assoumani parce
qu’il est un lâche et parce qu’il n’agira jamais pour le bien des Comores.
J’avance trois raisons pour expliquer cela.
Premièrement, je ne dis pas que c’est lui qui a tué l’officier surnommé
Apache, mais je trouve inhumaine la façon par laquelle il a exhibé son corps
criblé de balles sur le capot d’un véhicule militaire à travers Moroni quand
avait échoué la tentative du coup d’État du 26 septembre 1992. Un militaire
protège et honore son frère d’armes même quand il est mort. Je n’ai pas vu
cela chez Azali Assoumani. En plus, il n’y a pas un pays au monde où on
exhibe le corps des morts avec une telle sauvagerie. Même les peuples qui ne

87
font pas grand cas de Dieu ne se livrent pas à une telle barbarie. C’est
indigne d’un être humain.
Deuxièmement, alors qu’il était chef d’État-major de l’Armée comorienne,
le 28 septembre 1995, des soldats défendaient le pays contre les hommes de
Bob Denard, mais Azali Assoumani, leur chef, avait fui pour aller se cacher
à l’ambassade de France. C’est indigne d’un soldat, surtout quand il est le
chef d’État-major de l’Armée nationale.
Troisièmement, après le putsch du 28 septembre 1995, Azali Assoumani
n’avait quitté l’ambassade de France qu’après la constitution du gouverne-
ment par Mohamed Caambi El Yachouroutu dans cette mission diplomatique.
Cet homme ne fera jamais du bien aux Comores. Il n’aime pas son pays.
Vous voulez que je le replace à la tête de l’Armée comorienne ? Je le fais
pour ne pas vous froisser, mais je le fais sans joie »1.
En d’autres termes, un président de la République cédait aux pressions de
la notabilité, et confiait l’État-major de l’Armée à un individu dont il ne
pensait et ne disait que du mal. Par respect pour la notabilité, Mohamed Taki
Abdoulkarim remettait à la tête de l’Armée comorienne un homme qui en
était indigne, mais dans l’unique but de ne pas contrarier la notabilité.
Sous la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane, une pétition devait lui
être adressée par les « sages des villes et villages » de Mohéli en faveur d’un
officier exclu de l’Armée. J’étais présent quand la lettre a été présentée à la
signature d’un notable qui a refusé d’y apposer son paraphe, et n’avait pas
été le seul à avoir refusé de s’engager dans cette démarche. Ce n’est pas à la
Grande-Comore qu’on assisterait à un tel refus. La personnalité en question
expliquait que l’officier était indigne de la solidarité des Mohéliens, arguant
du fait qu’il ne fallait pas se mobiliser pour une telle démarche, qui avait fait
l’objet d’autres refus, au point de ne jamais aboutir.
Par la suite, Assoumani Azali et Ahmed Sambi n’arrivèrent pas à se faire
distinguer par des relations particulières avec la notabilité. Cela n’avait pas
été le cas d’Ikililou Dhoinine, qui avait redonné à la notabilité ses lettres de
noblesse. Sous la présidence d’Ikililou Dhoinine, la notabilité s’imposa à la
République le jour où, prétendant qu’à l’aéroport de Hahaya, où elle devait
accueillir le chef de l’État en provenance de l’étranger, il lui avait été interdit
de s’aligner sur un certain emplacement, plus digne d’elle. Elle avait protesté
et accusé l’entourage du président de manquement aux valeurs traditionnelles
du pays. En réalité, ce n’était qu’un prétexte, et les proches d’Ikililou Dhoinine
tombèrent pieds et poings liés dans le piège : ils ont payé une sorte de « dîme
sociale » à la notabilité, qui ne pouvait que s’en réjouir et prendre un nouvel
élan pour assujettir davantage l’État et la République.
Ikililou Dhoinine n’a jamais pu avoir la subtilité, la classe et l’expérience
d’Ahmed Abdallah Abderemane et de Mohamed Taki Abdoulkarim qui, eux,

1Entretiens avec Ahmed Wadaane Mahamoud, in Riziki Mohamed (Abdelaziz) : Mohamed


Ali Soilihi. Vérités sur une élection aux Comores, L’Harmattan, Paris, 2016, pp. 297-298.

88
étaient de vrais politiciens ayant fait de la politique plusieurs décennies avant
d’arriver à Beït-Salam. Mais, plus par faiblesse que par expertise, il arriva à
un point où il accordait trop d’importance à la notabilité grande-comorienne.
Mais, à cette relation manquait ce qui caractérisait la symbiose entre Ahmed
Abdallah Abderemane et Mohamed Taki Abdoulkarim, d’une part, et d’autre
part, les divers notables qui comptent aux Comores, plus particulièrement à
Anjouan et sur l’île de la Grande-Comore.
Ayant parfaitement compris les faiblesses structurelles du régime politique
d’Ikililou Dhoinine, les notables versèrent dans les abus envers ce dernier. Et
c’est ainsi qu’au milieu de l’année 2014, la notabilité grande-comorienne
trouva un nouveau prétexte pour tenter de dominer davantage un chef d’État
sans réelle connaissance des enjeux du pouvoir. L’affaire commença ainsi.
Hamada Madi Boléro, le Directeur de son Cabinet chargé de la Défense, lors
d’une émission à l’Office de Radiotélévision des Comores (ORTC), avait
déclaré qu’il ne fallait pas traiter les affaires politiques du pays en accordant
de l’importance aux origines insulaires des dirigeants. Il avait expliqué que
la propension des Comoriens à tout ramener aux origines insulaires des uns
et des autres conduirait à dire que celui qui a préparé le choix de Mayotte de
se séparer des autres îles était le Grand-Comorien Saïd Mohamed Cheikh et
que celui qui a commis le premier coup d’État de l’Histoire des Comores
était le Grand-Comorien Ali Soilihi.
Avec une mauvaise foi d’une rare virulence, et sans le moindre respect des
institutions de l’État et de la République, certains notables grands-comoriens
étaient allés dans un coin de la rue et avaient demandé à Ikililou Dhoinine de
renvoyer purement et simplement Hamada Madi Boléro. Ikililou Dhoinine
refusa. La crise dura plusieurs mois, surtout entre mai et août 2014. Fait sans
précédent aux Comores, devant le refus d’Ikililou Dhoinine de se plier à ses
ordres, cette partie la plus arrogante et la plus narcissique de la notabilité de
la Grande-Comore crut avoir le droit et les prérogatives de décider que là où
se trouverait Ikililou Dhoinine, aucun Grand-Comorien ne devait se rendre.
D’autres notables grands-Comoriens organisèrent la riposte et, le lundi 30
juin 2014, alors qu’Ikililou Dhoinine revenait d’un voyage officiel de Malabo
(Guinée Équatoriale), et lui avaient réservé un accueil exceptionnel.
Ce lundi 30 juin 2014, Mzé Mouigni Abdallah, un grand notable parmi
les plus influents de Foumbouni, dans le Mbadjini, prit la parole au nom des
Grands-Comoriens et s’adressa à Ikililou Dhoinine, dans l’enceinte même de
l’aéroport, ce qui était déjà inédit dans les annales politiques des Comores,
en disant en substance : « Excellence Monsieur le président. La population
est venue nombreuse vous accueillir ce matin et vous témoigner sa solidarité
ainsi qu’à l’action de votre gouvernement. Nous sommes aussi ici pour
rappeler à ceux qui l’auraient oublié qu’on n’impose jamais des décisions et
des actions au président de la République. On peut, s’il le veut, lui donner
des conseils, sinon ça ne servirait à rien de l’élire. Nous autres savons que
vous ferez ce que nous croyions bon pour le pays, et lorsque nous avons

89
constaté que vous faites mieux que ceux qui étaient là avant vous, nous
avons décidé, avec notre conscience, de vous soutenir. Pourquoi ceux qui
étaient montés sur le cocotier mais qui n’ont rien récolté ne veulent pas
laisser tranquille celui qui récolte quelque chose, au lieu de lui lancer des
pierres et des cailloux ? Que veulent ces gens qui n’ont aucune honte de
leurs actes indignes ? ».
C’était notabilité contre notabilité, et la partie la plus prétentieuse et la plus
haineuse de la notabilité de la Grande-Comore perdit la bataille, la guerre et
la face. Les mêmes « dinosaures » de la classe politique comorienne, après
avoir revêtu les habits de la notabilité du pays, trouvèrent un nouveau gadget
politique, celui consistant à exiger d’Ikililou Dhoinine, de qui ils voulaient se
venger, un bilan des 40 ans d’indépendance des Comores. Pour eux, il devait
y avoir d’abord des assises nationales sur ce bilan avant l’organisation du
scrutin présidentiel de 2016, et tant que ces assises nationales n’avaient pas
eu lieu, il ne fallait pas envisager l’élection présidentielle.
Ce discours prétentieux, présomptueux et surtout anticonstitutionnel avait
été prononcé pour la première fois le 11 août 2015 à Moroni. Il faudra sans
doute préciser que les athlètes comoriens venaient de se retirer des Jeux des
Îles de l’océan Indien quand la délégation sportive de Mayotte avait défilé
avec un drapeau français. Les plus manipulateurs et les plus hypocrites des
chantres de la bien-pensance aux Comores exploitèrent l’affaire à des fins
politiques et se livrèrent à une surenchère qui se retourna de nouveau contre
eux : le bilan de l’indépendance n’a pas été fait, et l’élection présidentielle a
bel et bien eu lieu, même dans la fraude et la saleté.
En réalité, les « dinosaures » se revendiquant de la notabilité pour exiger
d’Ikililou Dhoinine tout ce qui leur passait par la tête sont d’anciens acteurs
politiques ayant tous échoué. S’ils avaient fait leur propre bilan, ils auraient
été plus légitimes et plus crédibles pour exiger des autorités en place celui de
l’indépendance des Comores. Or, ils oublient qu’ils sont comptables de ce
bilan, qui est entièrement le leur, et négatif à tous points.
Pour autant, il faudra reconnaître qu’en accordant trop d’importance à une
notabilité qui ne tire sa « légitimité » que de ses prétentions sociales, Ikililou
Dhoinine a commis une grosse erreur sociopolitique. Les anciens présidents
Ahmed Abdallah Abderemane et Mohamed Taki Abdoulkarim avaient placé
la notabilité au centre de leur gouvernance, mais eux savaient comment s’y
prendre. Arrivé à la Présidence de la République par l’échelle courte et en
tant que pionnier de la « présidence cocotte-minute » comme existent les
fameux « partis cocottes-minute » au Maroc, Ikililou Dhoinine ne pouvait
comprendre les subtilités qui entourent la gestion de la notabilité, lui qui, sur
l’île de Mohéli, ne connaît que les « sages des villes et des villages », qui sont
vraiment des sages et qui n’ont prétentions politiques excessives. Les sages
de Mohéli sont intransigeants quand il s’agit de tradition à faire respecter,
mais évitent de constituer une force politique devant influencer le pouvoir.

90
Pourtant, ils peuvent défier le pouvoir. C’est ainsi qu’en 1984, alors que les
relations entre les villes de Fomboni et de Djoiezi (à Mohéli), les éternelles
rivales, avaient atteint leur niveau le plus exécrable, et alors que le président
Ahmed Abdallah Abderemane s’amusait à attiser la haine entre Fomboniens
et Djoieziens, il avait décidé de construire une nouvelle mosquée principale
à Fomboni. Le marquage au sol était fait, et les travaux allaient commencer.
C’est alors que l’influent notable Adinane Bacar arriva sur les lieux, examina
les traçages pour la fondation, avant de tout enlever et de jeter par terre, le
tout en présence d’une foule médusée. Il avait haussé le ton pour crier :
« C’est la mosquée que veut nous construire Ahmed Abdallah ? Alors, allez
lui dire que moi, Adinane Bacar, je ne l’approuve pas, parce que la vieille
mosquée que nous avons ici depuis plus d’un siècle est plus grande que son
poulailler. S’il ne veut pas nous construire une mosquée plus grande que
celle qui existe déjà ici, qu’il nous laisse tranquilles. Allez le lui dire de ma
part ! ». Le président Ahmed Abdallah Abderemane ne pouvait ignorer la
voix d’Adinane Bacar, à Fomboni. Il pouvait mépriser mon cousin Soilihi
Mohamed Soilihi de Djoiezi, qui avait plus d’influence politique et sociale,
mais qui ne pouvait en aucune façon prétendre au magistère moral et social
d’Adinane Bacar.
À Mohéli, on parle encore des déconvenues d’un officier local le jour où il
avait eu la grossière et malencontreuse idée de ne pas remettre à une femme
de la notabilité mohélienne une somme d’argent que lui avait confiée Ahmed
Abdallah Abderemane. Ce dernier l’avait humilié devant toute la notabilité
de Mohéli et avait exigé la restitution de la somme d’argent.
En définitive, le retour au pouvoir d’Ahmed Abdallah Abderemane, suite
au coup d’État du 13 mai 1978, avait anéanti tous les efforts entrepris par le
révolutionnaire Ali Soilihi pour faire des Comores un pays enfin débarrassé
de la féodalité et du conservatisme.
Maintenant, nous allons examiner les images des pages suivantes. Elles
montrent l’accueil réservé à l’aéroport de Bandar-Es-Salam, Mohéli, et chez
lui, à Djoiezi, le 24 décembre 2012, à Soilihi Mohamed Soilihi. Il rentrait de
Mayotte, où il s’était fait soigner, à la suite d’un accident.
Soilihi Mohamed Soilihi avait été Député lors de la dernière législature
comorienne d’avant la proclamation de l’indépendance. Nolens volens, il a
été l’homme de « confiance » de tous les chefs d’État comoriens, refusant de
passer ne serait-ce qu’un seul jour dans l’opposition. Son influence auprès
des chefs d’État comoriens était immense et ne reposait sur aucune légitimité
populaire. Il a eu une longévité politique inégalée aux Comores.
Les photos sont de mon ami Bacar Ahmed Kassim (Haïtra) et sont publiées
avec son accord.

91
Hamada Madi Boléro, neveu de Soilihi Mohamed Soilihi et Directeur du Cabinet du président
Ikililou Dhoinine chargé de la Défense (derrière lui), était parti chercher son oncle à Mayotte.
Devant : Hachim Saïd Avilaza, alors chef du Protocole à la Présidence de la République.

92
Sur la photo ci-dessus, on reconnaît notamment l’épouse du président Ikililou Dhoinine, la
toute-puissante ministre Sitti Kassim, Hamada Madi Boléro, la sœur d’Ikililou Dhoinine,
l’épouse du Gouverneur de Mohéli et le secrétaire général du Gouvernorat de Mohéli.

93
Un autre accueil populaire, le 7 février 2011, du même notable Soilihi Mohamed Soilihi,
toujours à l’aéroport de Mohéli.

94
CHAPITRE II.
PRÉVALENCE D’UNE INSULARITÉ
SŒUR JUMELLE DU CULTE DU VILLAGE NATAL

Les Comores sont un pays insulaire. Leur activité politique est fortement
marquée par cette insularité. Pour tout dire, il n’existe pas un seul secteur de
la vie politique comorienne qui ne soit pas marqué du sceau de l’insularité.
En d’autres termes, l’insularité conditionne la façon de faire la politique aux
Comores (S.I.), et c’est ce qui a conduit à l’instauration, par la Constitution
du 23 décembre 2001, de la présidence tournante (S.II.). Et, aux excès liés à
l’insularité s’ajoutent ceux découlant de la prédominance du village natal du
chef de l’État (S.III.) et de la toute-puissance très insolente et arrogante de sa
famille sur la scène politique, comme cela est constaté depuis le retour au
pouvoir d’Ahmed Abdallah Abderemane le 13 mai 1978 (S.IV.).

S.I.- L’INSULARITÉ, FACTEUR DOMINANT DE LA VIE POLITIQUE AUX


COMORES
Commençons par prendre connaissance de la déclaration haineuse faite
face à la presse nationale dans son bureau à la Présidence de la République
par Bellou Magochi, le Directeur du Cabinet d’Assoumani Azali le mardi 10
juillet 2018, deux jours après la marche des Anjouanais pour demander que
l’ex-président Ahmed Sambi soit libéré de sa résidence surveillée, imposée
sans le moindre respect de la Loi, par le secrétaire général du ministère de
l’Intérieur (et non par un juge). Ce discours est aussi un tissu de mensonges.
« Ce qui s’est passé avant-hier, concernant les frères comoriens d’Anjouan, qui ont
osé brandir des machettes et des gourdins pour, paraît-il rechercher Sounhadj et le
tuer et libérer Sambi, cela ne se fera plus. Cela a déjà été fait quand Abdouloihabi
était président de l’île autonome de la Grande-Comore, et les coupables avaient été
relâchés. Aujourd’hui, ils ont refait la même chose. Alors, nous leur disons que
nous n’accepterons pas que de tels actes soient commis dans notre pays.
Ces gens-là n’aiment pas Anjouan. Et nous ne tolérerons pas des idées séparatistes
dans notre pays parce que ceux qui aiment Anjouan sont ceux qui font ce qui plaît

95
aux Anjouanais, ceux qui veulent améliorer la vie des Anjouanais, ceux qui
défendent les biens d’Anjouan. Ils n’ont aucune leçon à nous donner car nous
étions avec Ahmed Abdallah, qui a régné durant 12 ans. Quand Ahmed Abdallah a
été renversé, tous ses biens ont été incendiés à Anjouan ainsi que ceux d’Ahmed
Abdou. Ses seuls biens qui ont été protégés sont ceux qui étaient à la Grande-
Comore, à Mohéli et à Mayotte. Donc, ces gens-là n’aiment pas les Anjouanais.
Nous avons vu que, quand les Anjouanais avaient le pouvoir, le Colonel Combo a
été assassiné et en est mort. Son corps a été levé dans la précipitation et a été
enterré. Personne n’a bougé, et c’est à l’époque où ils avaient le pouvoir et où ils
devaient chercher à savoir qui a tué le Colonel, qui avait été chef d’État-major, le
chef de Corps de notre pays. Nous aurions dû savoir pourquoi il a été assassiné,
qui l’a tué et comment, et comment il a été assassiné. C’est ce qui aurait dû se
passer.
On a menti aux gens sur le séparatisme, sous la fausse information selon laquelle
les Grands-Comoriens opprimaient les Anjouanais, alors que les Anjouanais ont
régné durant 17 ans, et nous pendant 12 ans. Alors, permettez-moi de vous dire que
la complaisance donne toujours naissance à un bâtard, et que vous n’aimez pas
Anjouan. Vous n’aimez pas cette île, autrement, quand vous aviez le pouvoir, vous
auriez dû réparer les routes d’Anjouan, vous auriez dû électrifier Anjouan, vous
auriez dû construire les hôtels d’Anjouan, vous auriez dû créer les entreprises
d’Anjouan pour que les enfants d’Anjouan et les autres Comoriens puissent être
embauchés et puissent travailler. Au lieu de cela, vous êtes partis de chez vous et
vous êtes venus ici, en Grande-Comore, en concentrant le pouvoir entre vos mains,
en laissant les autres chez vous dans leurs problèmes, en disant mensongèrement
que vous aimez le pays.
Je vous dis ceci : nous voulons l’indépendance du pays, nous voulons le calme et la
stabilité du pays, nous voulons vivre dans l’unité ; notre sort est de vivre dans
l’unité. Nous n’avons jamais professé des idées séparatistes, et nous ne les
tolérerons jamais dans notre pays.
Nous avions Saïd Ibrahim dans ce pays. C’est un noble, instruit, de sang royal, et
pourtant, nos aînés, que Dieu les bénisse, et il s’agit d’Ali Bazi Selim et de Saïd
Hassane Saïd Hachim, se sont mobilisés et sont allés à Anjouan pour dire à Ahmed
Abdallah : “Viens prendre la présidence afin que l’autre ne soit pas présidentˮ. Je
n’ai connaissance d’aucun Comorien de la Grande-Comore qui s’est levé pour
créer des troubles après cela.
Dans ce pays, les Anjouanais Ahmed Abdallah et Mohamed Ahmed étaient
coprésidents. Les Mohéliens, les Mahorais et les Grands-Comoriens n’ont rien dit.
Nous étions calmes ici, parce que nous sommes unis et nous voulons l’unité. Nous
étions ici quand Ahmed Abdallah était président et avait un Premier ministre
d’origine anjouanaise. Personne n’a rouspété, parce que nous sommes unis et nous
devrons rester unis.
Naguère, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi avait emprisonné des Grands-
Comoriens, et personne n’a rouspété. Nous leur avons dit : “Allez prendre des
avocats, et le reste ne nous regarde pasˮ. Il n’y a eu de l’agitation ni dans les
villages, ni dans les quartiers, et même pas sur des ongles. Aucun Mohélien n’a
bougé, aucun Grand-Comorien n’a bougé. Nous leur avons demandé de payer les
services des avocats. Ils devaient prendre des avocats pour leur défense.
Sambi a été responsable dans ce pays. Il a vendu notre citoyenneté à tous, et

96
lui-même l’a reconnu, il l’a dit au palais, en reconnaissant qu’il a remis à Bashar
une procuration pour la vente de la citoyenneté et pour le placement de l’argent
dans un compte bancaire et sa gestion comme il se doit. Le contenu de cette
cassette a été diffusé sur Radio Ngazidja, et lui-même l’a reconnu. Nous sommes
donc arrivés à l’idée selon laquelle, si tout cela est vrai, il devrait être auditionné
par un juge. Si c’est la vérité, ça sera la vérité, et si c’est faux, il sera libéré. Et
vous vous levez, en vous munissant de machettes, en disant que vous voulez vous
battre ? Vous voulez vous battre contre qui ? Nous vous avertissons : si vous aimez
Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, ramenez les sommes inscrites sur les registres,
à savoir 900 millions de dollars, payez cette somme à l’État, il n’y a pas de
problèmes, la Justice fera son travail. S’il a été lésé, l’argent sera restitué.
Ce qui s’est passé, pardonnez-moi de vous le dire, nous avons été meurtris lors du
séparatisme à Anjouan, le pays avait souffert, le pays était blessé, et nous ne
voulons pas de séparatisme. Si vous voulez, dites que c’est le Parti Juwa qui
cherche à organiser une réunion, au lieu de dire que vous allez au cimetière. Est-ce
qu’on va au cimetière en période de campagne électorale ? Assumez vos
responsabilités en disant : “Nous sommes du Parti Juwa et nous voulons le
séparatismeˮ, pour que les gens sachent que le Parti Juwa prône le séparatisme, au
lieu de vous cacher, de mobiliser des gens qui veulent aller au travail, des gens qui
vivent dans la tranquillité, et tout ça pour provoquer la guerre dans notre pays. Il y
a même des imams dans les mosquées qui prêchent de telles idées. Avant-hier, sur
Radio Kaz, j’ai entendu que les Anjouanais étaient persécutés dans les écoles et
lors des examens. 45% des élèves de l’École Abdoulhamid sont des Anjouanais,
contre 65% à l’École Avenir, et à l’École de Salim Idarouss, il n’y a qu’eux. Que
Dieu les bénisse et leur fasse redoubler d’efforts pour que tous les Comoriens
soient instruits.
Aucun Comorien n’a été bousculé lors des examens. Aucun Comorien n’a été
harcelé lors des examens. Alors, ne venez pas avec une campagne de haine et
d’intoxication, parce que cela ne passera pas. Cela ne passera pas dans notre pays.
Que chacun assume ses responsabilités. Allez dans votre parti politique du Juwa,
ou rejoignez les partis que vous voulez pour défendre vos idées politiques, qu’elles
soient séparatistes, qu’elles soient anjouanaises, au moins, chacun sera dans un
parti politique et pourra y exprimer ses idées. Et, il ne faut pas venir mentir.
Celui qui aime Anjouan, c’est Azali parce que c’est lui qui a fait 25 kilomètres de
goudron. On fait 45 minutes entre Ouani et Domoni sans problèmes. C’est lui qui a
construit l’Hôpital de Bambao qui était là depuis 10 ans et qui n’a jamais été
ouvert. C’est lui qui, en quelques jours, a apporté la lumière aux Comoriens, à leur
grande joie. […].
Avec l’argent que vous avez, vous pouvez créer des entreprises à Anjouan si
vraiment ce que vous voulez, faire embaucher les gens afin de développer le pays,
pour aller de l’avant. Quand nous avons instauré la présidence tournante, ça s’est
bien passé à Anjouan, ça s’est bien passé à Mohéli, et nous sommes là pour
compléter le tour par la Grande-Comore. Or, vous autres Anjouanais, vous vous
installez ici, en Grande-Comore, votre vie est ici, vous vivez ici, et après vous vous
levez pour aller dire que les Anjouanais sont opprimés. Or, vous avez les capacités
de faire les hôtels, de développer Anjouan, de concert avec l’État, sur le droit fil
des projets lancés par l’Imam, alors qu’Anjouan souffre, pour avoir l’élan qu’il
faut dans ce qu’il faut. Mais, là, vous êtes en train de mentir aux gens, en

97
prétendant que vous allez au cimetière. Va-t-on au cimetière en période politique ?
[…].
Faites attention par rapport à ce que vous avez fait hier. Nous allons arrêter les
auteurs de ces actes. Ils doivent assumer leurs responsabilités. Ça ne se répétera
plus jamais. Ces gens-là veulent peut-être faire couler le sang. Alors, qu’ils se
lèvent et se mettent en avant, en disant : “Nous voulons nous battreˮ, au lieu de
bousculer les autres. […].
En 2009, un référendum constitutionnel a été organisé. Nous étions membres de
l’opposition et nous étions contre ce projet. Mais, nous n’avions pas provoqué des
troubles. Les contestataires avaient été tués, et parmi eux, Farouk. D’autres
avaient été emprisonnés. Nous n’avions pas fait des vagues parce que nous savions
que le président avait le droit de convoquer un référendum constitutionnel ».

La Radio des Mille Collines n’aurait pu faire pire.


Ce discours est faux : Assoumani Azali n’a réalisé aucun projet à Anjouan,
n’a apporté nulle part de l’électricité, n’a pas construit l’hôpital de Bambao
(un projet d’Ahmed Sambi), il n’y a pas de listes sur les origines insulaires
des élèves dans les écoles (une d’elles a publié un démenti sur les propos de
Bellou Magochi), les fonds évoqués sur la « citoyenneté économique » ne
sont pas de 900 millions de dollars, mais de 350 millions, il n’y a pas eu de
morts lors du référendum du 17 mai 2009 (…).
Quand Bellou Magochi avouait sa haine envers les Anjouanais, Assoumani
Azali traitait ces derniers de « pousseurs de brouettes ». Bellou Magochi
avait parlé à la demande et avec l’accord d’Assoumani Azali, son chef.
Ce discours de haine prouve que le premier collaborateur d’un dirigeant de
Grande-Comore peut se permettre de stigmatiser et mépriser publiquement
une partie de la population comorienne, lui demandant de quitter la Grande-
Comore et de rentrer « chez elle, à Anjouan ». Ces propos fielleux rappellent
la centralité de l’insularité et ses dérives dans la vie politique comorienne.
L’insularité domine la vie politique aux Comores. À bien des égards, cette
référence aux origines insulaires des uns et des autres l’emporte largement et
définitivement sur le mérite et le vouloir-vivre en commun.
De fait, la cooptation de ceux jugés dignes se fait non pas sur la base de la
méritocratie, mais sur celle des origines insulaires. Naturellement, dans ces
conditions, le coefficient d’efficacité s’en ressent de manière absolument
négative parce que, pendant de longues décennies, sous l’autonomie interne,
Saïd Mohamed Cheikh refusait la nomination des Mohéliens et des Mahorais
à certains postes, notamment ministériels, car ils étaient originaires des îles
de Mohéli et de Mayotte.
Il n’a jamais été question de leur incompétence ou de leur malhonnêteté
réelles ou supposées, mais de leur origine insulaire. Celle-ci représente un
atout pour le Grand-Comorien et l’Anjouanais, mais avait été un handicap
pour le Mahorais et le Mohélien. Suite au référendum d’autodétermination
des Comores, le 22 décembre 1974, et comme cela est déjà signalé ci-haut,
Mayotte a rejeté l’indépendance, préférant rester sous administration de la

98
France, à un moment où le mot d’ordre partout dans le Tiers-Monde était à la
dénonciation du « colonialisme, néocolonialisme et impérialisme ». Dès lors,
l’île de Mohéli se retrouva seule face à l’hégémonisme de la Grande-Comore
et d’Anjouan. Or, ironie du sort, le 16 février 1997, ce fut au tour d’Anjouan
d’accuser la Grande-Comore de « domination, hégémonisme et de politique
de marginalisation ». Ce fut le début d’une grave crise séparatiste qui dura
jusqu’au débarquement militaire du 25 mars 2008.
Pour comprendre l’enracinement du mépris insulaire, il faudrait prendre en
compte le fait que les Comores sont un pays dont le peuple ne manifeste pas
des sentiments nationaux envers un État, mais fait allégeance à une île, l’île
d’origine de chacun. Le Comorien se veut avant tout, voire exclusivement
Grand-Comorien, Mohélien, Anjouanais ou Mahorais. Pis, certains Grands-
Comoriens réduisent les Comores à la Grande-Comore. Ils parlent de la
Grande-Comore pour désigner les Comores.
La prévalence du sentiment insulaire est tellement forte qu’il est difficile
de voir dans l’État comorien les prémisses d’une nation telle que l’avait bien
définie Ernest Renan lors de sa conférence du 11 mars 1882 à l’Université
de la Sorbonne, à Paris. Cette conférence avait pour thématique « Qu’est-ce
qu’une nation ? ». Le conférencier avait déclaré en substance : « Une nation
est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font
qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé,
l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs
de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble,
la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis.
L’homme, Messieurs, ne s’improvise pas. La nation, comme l’individu, est
l’aboutissant d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements. Le
culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce
que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire
(j’entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une
idée nationale. […]. Une nation est donc une grande solidarité, constituée
par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à
faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent
par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de
continuer la vie commune. L’existence d’une nation est (pardonnez-moi cette
métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu
est une affirmation perpétuelle de vie. […]. Je me résume, Messieurs.
L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du
cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande
agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience
morale qui s’appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa
force par les sacrifices qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une
communauté, elle est légitime, elle a le droit d’exister. Si des doutes
s’élèvent sur ses frontières, consultez les populations disputées ».
Les sentiments décrits par Ernest Renan ne sont nulle part aux Comores.

99
Quand on se pose objectivement la question de savoir si les Comores ont
atteint un tel niveau en matière de sentiment national, on se rend compte
qu’il n’en est rien ; en effet, l’insularité prédomine. Pis, ce phénomène n’est
pas nouveau. À ce sujet, Pierre Vérin signale que « le patriotisme insulaire
qui veut qu’on soit Grand-Comorien, Mohélien, Anjouanais ou Mahorais avant
d’être Comorien, on ne peut s’empêcher d’évoquer ce que Gabriel Ferrand
écrivait, il y a près d’un siècle : “J’ai résidé à Majunga, le grand port malgache
de la côte nord-ouest, pendant une trentaine de mois. La Résidence de France
comptait parmi ses ressortissants un grand nombre de Comoriens navigant en
cabotage entre les ports de la côte malgache, l’île Nossi-Bé et les Comores.
Dans aucune circonstance, je n’ai entendu ces indigènes se qualifier de
Comoriens, ni appeler Comores l’une des quatre îles que nous désignons sous
ce nom. Au début de mon séjour, j’employais les termes de îles Comores,
Grande-Comore : l’interlocuteur ne comprenait pas lorsqu’un patron de navire
venait faire viser les papiers du bord à destination à l’une des îles que nous
appelons Comores, je lui posais la question habituelle : ‵Tu te rends aux îles
Comores ?′ – Non, répondait le marin, je vais à Ngazidya (Grande-Comore),
Inzuani ou Nzuani (Anjouan), Muali (Mohéli) ou Motu (Mayotte)” »1.
Comme conséquence de cette conception insulaire de l’activité politique aux
Comores, le président et de la République et ses ministres ont toujours tendance
à considérer qu’ils sont au pouvoir dans le seul but de favoriser les leurs. Dès
lors, ils n’auront à côté d’eux que des collaborateurs de leur île d’origine, et ne
favoriseront que les projets qui concernent celle-ci. Ils auront tendance à ne
recruter que des personnes de leur île d’origine. À titre d’exemple, il est rare de
voir le président et ses ministres choisir le Directeur de leur Cabinet en dehors
de leur île d’origine. De fait, au début de leurs mandats respectifs, l’Anjouanais
Ahmed Sambi et le Mohélien Ikililou Dhoinine avaient pour Directeurs de leurs
Cabinets des Grands-Comoriens, avant se replier sur leurs îles d’origine. Avoir
un Directeur de Cabinet originaire d’une autre île est considéré comme la plus
grave de toutes les hérésies politiques.
Aux Comores, le débat politique se focalise sur l’insularité et ses nombreuses
conséquences. Rares sont les acteurs politiques comoriens qui veulent voir au-
delà des horizons de leurs îles. Tout part de l’île et tout revient à l’île. Un réel
sentiment national a prévalu aux temps du MOLINACO et de l’ASÉC et même
du Front démocratique. L’internat du Lycée de Moroni jouait un véritable rôle
de creuset national, puisque la jeunesse des 4 îles de l’archipel des Comores s’y
retrouvait et y nouait des relations constantes, dont certaines ont duré bien au-
delà de la période de formation dans cette institution nationale. Cependant, les
années 1979-1980 ont été très agitées au Lycée de Moroni, et le Docteur Mtara
Maécha, alors ministre de l’Éducation nationale, ferma sans regret cet internat,
qui était devenu l’épicentre de la grève scolaire de 1979, après celle de 1968.

1 Ferrand (Gabriel) : Les musulmans à Madagascar et aux îles Comores, E. Leroux, Paris,

1891-1892, 3 volumes, in Vérin (P.) : Les Comores, op. cit., p. 5.

100
La grève scolaire comorienne de 1968 avait provoqué les premières fissures sur
le système colonial français aux Comores.
Il n’y a pas un chef d’État comorien qui n’a pas régné sur le pays avec les
siens, les cadres et les personnalités de son île d’origine.
En réalité, la prévalence de l’insularité a été ressentie avant l’accession des
Comores à l’indépendance. Saïd Mohamed Cheikh (1904-1970), président du
Conseil du Gouvernement (1962-1970) sous l’autonomie interne (1947-1975),
en avait été le chantre, lui qui refusait même la nomination d’un Mahorais ou
d’un Mohélien au gouvernement. Aujourd’hui, quand certains disent analyser
les raisons qui ont poussé Mayotte à voter massivement contre l’indépendance
lors du référendum d’autodétermination du 22 décembre 1974, ils mettent en
relief des raisons matérielles. Un tel raisonnement pèche par simplisme et est
par trop réducteur. En 1973-1975, les Mahorais avaient pour slogan « rester
Français pour être libres ». Au 13 août 2018, leur discours n’a pas varié.
En d’autres termes, les Mahorais considéraient que la Grande-Comore et
Anjouan les opprimaient et que la libération et la liberté ne pouvaient venir
que de la France. Ils rejetaient ainsi toutes les thèses anticoloniales en vogue
depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans l’immense Tiers-Monde.
Durant toute la période de l’autonomie interne, les dirigeants des Comores
étaient des Grands-Comoriens et des Anjouanais, à l’exclusion des Mahorais
et des Mohéliens. L’Anjouanais Ahmed Abdallah Abderemane, Sénateur des
Comores à Paris, puis président du Conseil du Gouvernement (1972-1975)
avait commis l’immense faute politique consistant à acheter et à confisquer
de nombreuses terres à Mayotte, une île rebelle où prévaut un sentiment anti-
anjouanais très fort depuis le XIXème siècle. Ce sentiment s’est accentué.
Quand il était le président du Conseil du Gouvernement, Saïd Mohamed
Cheikh avait multiplié les humiliations envers Mayotte. On sait que cette île
comprend une Petite Terre et une Grande Terre. La liaison journalière entre
les deux Terres de Mayotte se fait par voie maritime. Pendant des années, les
Mahorais réclamaient juste une barge pour pouvoir voyager en toute sécurité
entre Grande Terre et Petite Terre. Or, Saïd Mohamed Cheikh refusa celle-ci
aux Mahorais.
De même, dès 1962, Saïd Mohamed Cheikh avait entrepris le transfert de
la capitale des Comores de Mayotte à la Grande-Comore. Il arguait du fait
que Petite Terre était trop exiguë et ne pouvait plus continuer à abriter la
capitale des Comores. Un tel argument aurait été recevable si le transfert de
la capitale avait eu lieu entre Petite Terre et Grande Terre à Mayotte. Or, il
n’en était rien, dans la mesure où la capitale des Comores quittait Mayotte
pour la Grande-Comore, l’île d’origine de Saïd Mohamed Cheikh.
En 2015 et 2016, au cours de mes voyages entre la France et les Comores
et au cours du chemin inverse, il m’arriva de prendre des avions qui avaient
fait l’escale à l’aéroport de Mayotte, situé à Petite Terre. Cela ne m’avait pas
permis d’avoir une idée précise de la Petite Terre. Mais, j’allais être très bien
servi dès le 19 novembre 2017, date de mon arrivée à Mayotte, où je me suis

101
installé depuis pour des raisons professionnelles. Les circonstances de la vie
ont fait que je me suis installé à Pamandzi et par la suite à Labattoir, à Petite
Terre. Ma découverte de Petite Terre me fit comprendre une chose très utile
et ahurissante : à Petite Terre, il y a bien de la place pour créer 36 capitales !
Donc, les prétentions de Saïd Mohamed Cheikh sont infondées, spécieuses,
racistes et méprisantes.
En mai 2014, une cabale avait été lancée en Grande-Comore par certains
des notables de cette île contre Hamada Madi Boléro, Directeur du Cabinet
d’Ikililou Dhoinine chargé de la Défense au moment des faits. Pourquoi ?
Parce que Hamada Madi Boléro avait mis les Comoriens en garde contre les
dangers de l’insularité, expliquant que si tout devait vu sous le prisme de
l’insularité, cela conduirait fatalement à considérer que l’acteur politique qui
a été à l’origine de la séparation de Mayotte des autres îles de l’archipel des
Comores était le Grand-Comorien Saïd Mohamed Cheikh et que le dirigeant
qui a introduit le putschisme et le mercenariat aux Comores était le Grand-
Comorien Ali Soilihi. Pour une fois, Hamada Madi Boléro n’a pas menti.
On vit alors un historien autoproclamé (Damir Ben Ali) tordre le cou à la
vérité de l’Histoire, en inondant les réseaux sociaux de textes absolument
tendancieux, fallacieux et hors sujet sur « l’innocence » de Saïd Mohamed
Cheikh sur le transfert de la capitale des Comores de Mayotte à la Grande-
Comore. Toute honte bue, l’historien autoproclamé avait prétendu que la
France avait été à l’origine du transfert de la capitale vers Moroni, et qu’elle
avait leurré Saïd Mohamed Cheikh.
Ce raisonnement est malhonnête : certains notables de la Grande-Comore
avaient eu l’intelligence et la prudence de mettre en garde Saïd Mohamed
Cheikh sur les dangers liés à ce transfert de capitale. Ils lui avaient dit que le
transfert de la capitale des Comores de Mayotte à la Grande-Comore allait
causer des frustrations et litiges entre Comoriens. Cependant, le président du
Conseil de Gouvernement était un homme d’une très grande arrogance, qui
parlait aux Comoriens et des Comoriens dans le langage le plus méprisant.
Avec moult nuances, l’historien Mahmoud Ibrahime note que « l’opinion
largement répandue aujourd’hui dans l’archipel est que l’opposition des
Mahorais à Saïd Mohamed Cheikh est due au fait que celui-ci a déplacé le
chef-lieu de Dzaoudzi (Mayotte) à Moroni (Grande-Comore).
Or, si effectivement le déplacement de la “capitale” a cristallisé les oppo-
sitions dans l’île, il apparaît comme secondaire, d’autant plus que la volonté
et la décision de déplacer le chef-lieu sont anciennes et sont assumées autant
par l’administration coloniale que par Cheikh. Déjà le rapport politique de
1912 évoquait la nécessité de déplacer le chef-lieu à cause des difficultés de
l’accès à l’îlot exigu de Dzaoudzi. […].
Il est clair que les dirigeants mahorais commencèrent à refuser le système
politique mis en place depuis 1945, qui conduit l’autorité coloniale à
n’accorder de l’importance qu’aux représentants des deux plus grandes îles,
système dont Cheikh apparaît très tôt comme le représentant pour ne pas

102
dire le concepteur. C’est à cela également qu’il faut rattacher la demande
omniprésente du resserrement de la colonisation qu’on retrouve dans une
banderole sortie régulièrement depuis les années 1960 : “Nous voulons
rester français pour rester libres” »1.
Il ne serait pas superfétatoire de rappeler un fait historique de la plus haute
importance. En 1966, Saïd Mohamed Cheikh effectua la dernière visite d’un
dirigeant comorien de haut niveau à Mayotte. Il avait été lapidé et n’avait dû
son salut qu’à sa fuite, habillé en femme. Pour une meilleure intelligence de
cette réalité faite de haine et d’inimitié, il serait plus que nécessaire de partir
du constat selon lequel, « par tradition les Mahorais n’aiment pas les gens
d’Anjouan, qu’ils considèrent comme des accapareurs de terre. Durant la
période d’autonomie interne, le notable anjouanais Mohamed Ahmed,
ancien député des Comores à l’Assemblée Nationale, et le Président Ahmed
Abdallah n’ont pas failli à la tradition, puisqu’ils se rendirent propriétaires
de plusieurs centaines d’hectares à Mayotte, renforçant ainsi le sentiment de
rejet, très répandu dans la population.
Il faut dire aussi que les squatters de ces propriétés d’Anjouanais, installés
depuis 1976, n’ont pas envie de les rendre, et sont des fervents soutiens du
statut actuel, contre le retour de Mayotte dans l’ensemble comorien.
Une autre raison à l’affaire de Mayotte est l’attitude qu’adopta chacun des
Présidents comoriens du Conseil de Gouvernement. Saïd Mohamed Cheikh,
venu arbitrer à Mayotte un conflit lié au transfert de la capitale de Dzaoudzi
à Moroni, fut reçu à coups de cailloux par les femmes de Pamandzi, dont les
plus actives allaient devenir les piliers du Mouvement Populaire Mahorais,
le parti actuellement dominant. Très mécontent, il multiplia les mesures de
rétorsion, et commença à faire de Mayotte une île “oubliée”. C’est sous sa
présidence que les matrones du MPM empêchèrent que l’on n’embarque à
nouveau pour Moroni un bulldozer que les Travaux Publics avaient apporté
dans l’île, momentanément, croyaient-ils… »2.
Autant dire que dès que Saïd Mohamed Cheikh avait parlé du transfert de
la capitale de Dzaoudzi à Moroni, les femmes de Mayotte avaient commencé
à manifester leur mauvaise humeur devant les autorités comoriennes. Elles
n’avaient pas manqué d’expliquer que, d’une part, le transfert de la capitale
allait priver Mayotte de nombreux emplois administratifs et techniques, et
d’autre part, que ce déplacement allait soulever de nombreux problèmes pour
les familles, séparées de leurs époux et de leurs pères. Saïd Mohamed Cheikh
était resté sourd à ces appels, et avait gravement insulté ces femmes.
Tout sera fait pour minimiser le transfert de la capitale de Dzaoudzi à
Moroni. Pourtant, quand on écoute le discours des Mahorais en 2017-2018,

1 Ibrahime (Mahmoud) : Saïd Mohamed Cheikh (1904-1970). Parcours d’un conservateur.


Une histoire des Comores au XXème siècle, Préface de Françoise Raison, Komedit, Moroni,
2008, p. 277.
2 Fasquel (J.) : Mayotte, les Comores et la France, op. cit., pp. 13-14.

103
on constate qu’il n’a pas changé d’un iota : les Mahorais se considéraient
comme trop opprimés par les Anjouanais et les Grands-Comoriens, les vrais
maîtres des Comores, et avaient besoin de la France pour se sentir protégés
contre les dérives insulaires de ceux qui, même avec une parcelle de pouvoir
et sous le regard du Haut-commissaire français, ne faisaient qu’assujettir les
leurs.
Il n’y a ni excès de langage, ni exagération dans l’affirmation de Pierre
Vérin selon laquelle « on imagine que les Mahorais voyaient d’un mauvais
œil leur capitale se transformer en musée historique »1.
L’insularité a d’autant plus marqué la vie politique comorienne que depuis
la période de l’autonomie interne, Mohéli et Mayotte crient à juste titre à la
marginalisation. Mayotte a choisi de ne pas faire partie de l’État comorien,
qu’elle considère comme continuateur de l’oppression constatée avant même
l’accession des Comores à l’indépendance. Mayotte a rejeté l’indépendance,
mais l’île de Mohéli est restée dans le giron de l’État comorien.
Or, Mohéli n’a jamais cessé de crier à la marginalisation et à l’ostracisme
remontant à l’époque coloniale. D’ailleurs, dès 1976, il avait été constaté que
« ce que Moroni peut faire pour la petite île [Mohéli] n’a pas d’importance aux
yeux de ces habitants n’ayant aucune confiance dans les ministres des autres
îles, et encore moins dans un président anjouanais (ou grand comorien). Les
Mohéliens considèrent la présence de l’un des leurs au gouvernement comme
la seule garantie de protection de leurs intérêts »2.
Nous retrouvons la même observation chez Pierre Vérin qui, se référant à
cette réflexion de Thierry Flobert, signale que « cette observation demeure
encore actuelle. Alors, elle s’appliquait aussi à Mayotte où Saïd Mohamed
Cheikh ne nomma jamais de ministre mahorais », étant entendu que Mohéli,
« le royaume de Djombe Fatima, que s’étaient disputé un siècle auparavant la
France et Zanzibar, était entré en léthargie et souffrait de ne disposer d’aucun
ministre pour défendre ses intérêts, car aux Comores, autrefois comme aujour-
d’hui, on est d’abord insulaire avant que d’être patriote »3.
La fracture insulaire perdure. Le sentiment d’appartenance à une nation de 4
îles s’éloigne de plus en plus des Comoriens, dont chacun se définit par rapport
à son île et non par rapport à un État archipélagique. Plus que jamais, quand ils
parlent de « Grande-Comore », les Grands-Comoriens parlent de leur île, de la
Grande-Comore, mais aussi de l’ensemble des Comores, qu’incarne leur île.
Pendant les premières années de l’indépendance des Comores, des Mahorais
ont effectué leur service national dans des collèges de la partie indépendante du
pays, sur les trois îles. Au cours de la même période, des militants mahorais
favorables à un État comorien composé de 4 îles se relayaient sur les studios de

1 Vérin (P.) : Les Comores, op. cit., p. 7.


2 Flobert (Thierry) : Les Comores. Évolution juridique et socio-politique, Aix-Marseille,
1976, cité par Vérin (P.) : Les Comores, op. cit., p. 12.
3 Vérin (P.) : Les Comores, op. cit., p. 12.

104
Radio Comores pour appeler les habitants de leur île à couper toute relation
avec la France et à rejoindre les autres Comoriens. On a même vu des Mahorais
faire leurs études supérieures au Maroc et ailleurs avec des bourses de l’État
comorien.
Dans les rangs de l’ASÉC et du Front démocratique (FD), les militants qui
sont originaires de Mayotte sont légion. En 1984, c’est le Mahorais Youssouf
Saïd que choisit le FD comme candidat au scrutin présidentiel contre Ahmed
Abdallah Abderemane, le chef de l’État sortant. Cette candidature embarrassait
à la fois le régime politique comorien et la France. À Moroni, on fera tout pour
dire que Youssouf Saïd ne pouvait être candidat à une élection présidentielle
aux Comores, en prétendant qu’il n’y figurait pas sur les listes électorales, et
nul n’a été surpris en apprenant que sa candidature avait été rejetée sous ce
prétexte. Du côté de Mayotte, toutes sortes de mesures avaient été prises pour
empêcher Youssouf Saïd de se déplacer de son île vers Moroni avant la date de
clôture du dépôt des candidatures.
Or, plus les années passent, plus les Mahorais favorables à l’État comorien
sont démotivés, rompant avec ce dernier, surtout à un moment où les autorités
comoriennes se montrèrent incapables d’apporter le minimum vital à un peuple
sinistré et opprimé. Dès lors, il n’y a aucune exagération dans l’affirmation
selon laquelle « la crise que traversent les Comores indépendantes a jeté sur
Mayotte avec une rare brutalité toute une marée de réfugiés politiques et
économiques, provoquant au plan social des réactions contradictoires. Les
Mahorais se disent peu disposés à partager la pauvreté et l’arbitraire au
sein du pouvoir comorien.
Les Comoriens originaires de Mayotte, qui avaient porté haut à Moroni le
drapeau du nationalisme libérateur et de l’unité comorienne, ont progressi-
vement perdu leur enthousiasme et fini par rejoindre leur île d’origine. La
réunification des Comores est peut-être l’affaire des nouvelles générations.
La charge émotionnelle libérée naguère par “l’occupation de Mayotte” s’est
quelque peu dissipée […].
La passion et l’acharnement avec lesquels l’unité et l’intégrité des Comores
ont été défendues n’ont pas de comparaison. Ils n’ont d’égal que l’impasse
dans laquelle sont gérées les relations entre les populations comoriennes et
l’impuissance où l’on se trouve pour unir les îles autrement que par la
contrainte et la corruption. Pourquoi cela ? Il y a d’abord des raisons liées
à l’histoire des Comores puis des raisons liées à l’organisation et à la forme
du pouvoir politique qui gère les relations inter-îles.
En fait, les Comores n’ont jamais été unifiées sous une même autorité
avant la colonisation française. Alors que notre voisin Madagascar avait été
unifié depuis le 19ème siècle par l’empereur Andrianipoinimérina, plusieurs
sultanats souverains se sont partagé le territoire des Comores, sous forme de
Cités-États »1.

1 Djabir (A.) : Les Comores. Un État en construction, op. cit., pp. 117-118.

105
L’insularité a rendu aux Comores les pires services. Les recrutements, les
révocations, les licenciements et la réalisation des projets ne seront jamais
basés sur des considérations objectives comme le mérite, l’expertise et la
compétence, mais l’origine insulaire. La plupart des malheurs des Comores
viennent de cette conception du pouvoir.
Le primat de l’insularité conduit souvent les autorités comoriennes à ne
privilégier que les personnalités originaires de leurs îles. Dans l’ensemble,
deux chefs d’État comoriens ont pu échapper au piège du tout-insulaire : Ali
Soilihi (1975-1978) et Ikililou Dhoinine (2011-2016). Sous Ali Soilihi, on a
vu un Gouverneur grand-comorien à Mohéli, un Gouverneur Mohélien à
Anjouan, sans que cela ne soulève la moindre réprobation. Les Comoriens
s’intéressaient à la gouvernance et au respect des droits de l’Homme et non
aux origines insulaires des dirigeants. Bien naturellement, après Ali Soilihi,
il aurait été impossible de nommer à la tête d’une île une personnalité qui ne
serait pas originaire de celle-ci.
Pour sa part, Ikililou Dhoinine n’avait nommé que quelques Mohéliens à
des fonctions « visibles » : l’inamovible Sitti Kassim, amie de son épouse,
était ministre du début à la fin de « la présidence mohélienne », de 2011 à
2016. Comme il fallait la consoler pour le poste de ministre des Relations
extérieures qu’elle n’avait pas pu obtenir, elle avait été nommée porte-parole
du gouvernement de juin 2011 à mai 2015. Hamada Madi Boléro devenait le
Directeur du Cabinet du chef de l’État chargé de la Défense, orchestrant du
début à la fin l’immense fraude électorale de février, avril et mai 2016, et ce,
au profit d’Assoumani Azali, dont il avait été le Directeur du Cabinet chargé
de la Défense, le Premier ministre, le ministre de la Défense, le chef d’État
par intérim quand le putschiste Azali Assoumani devait démissionner de la
présidence de la République et se « réhabiliter » par un scrutin présidentiel
atrocement truqué. Hamada Madi Boléro, battu aux élections législatives de
2004, finit la première kleptocratie d’Azali Assoumani avec la fonction de
Directeur général de l’ORTC, dont le chantier avait été lancé par Mohamed
Taki Abdoulkarim. Il a été le premier à avoir occupé le poste.
Nous pouvons citer également Saïd Mohamed Ali Saïd Msa, le secrétaire
général du gouvernement, Daroussi Allaoui, Conseiller privé, puis ministre,
puis Directeur du Cabinet du président chargé de la Défense. À un autre
niveau, on retrouve Abiamri Mahamoud, Directeur de Comores Télécom,
avant son limogeage, le 11 septembre 2015, et son remplacement par Saïd
Bouhtane Chamassi, un autre Mohélien. Pour sa part, Hachim Saïd Avilaza,
premier chef du Protocole à la Présidence de la République sous Ikililou
Dhoinine, bien que de Djoiezi, comme son chef, n’aura été qu’un faire-valoir
sans le moindre pouvoir de décision, avant d’être mis dans un réfrigérateur
administratif par la toute-puissante Première Dame et son second assistant en
complot, Daroussi Allaoui, le premier assistant étant Hamada Madi Boléro,
surnommé Makridine, « le Religieux de la Magouille », Dracula ou Ebola,
des surnoms qui en disent long sur la malfaisance du personnage.

106
En effet, dans le tract historique « Kala Wa Dala » de mai 2014, le plus
virulent de tous les tracts mis en circulation aux Comores, les cousins et les
neveux d’Ikililou Dhoinine avaient écrit ceci : « Boléro, Directeur de Cabinet
à la Défense, surnommé Dracula. C’est un fantôme, un caméléon, un escroc,
un menteur. Il n’a pas d’identité fixe, il change en fonction du pouvoir. Ses
alliés (Moishikundi wayi conteneri ya banatacha1) ne le soutiennent plus, ils
le haïssent. Ce Monsieur n’est ni un Mohélien, ni un Grand-Comorien vu ses
mentalités (moyenne : 0,5/20). Mention : Traître ».
En dehors de Sitti Kassim, Hamada Madi Boléro, Saïd Mohamed Ali Saïd,
Daroussi Allaoui, Abiamri Mahamoud et Saïd Bouhtane Chamassi, il n’y a
pas eu d’autres Mohéliens nommés par Ikililou Dhoinine et qui avaient de
l’influence lors de « la présidence mohélienne ». Pourtant, c’est au cours de
cette dernière que fut forgée l’expression « Yino Dé Yahatrou », « C’est le
nôtre », sous-entendu, « C’est notre règne », celui des Mohéliens, alors que
les Mohéliens criaient à la trahison du premier président originaire de leur
île, une île qui réclamait l’équilibre des îles depuis des décennies.
Au moment où on scandait partout « Yino Dé Yahatrou », parlant des
Mohéliens, Ikililou Dhoinine avait confié tous les secteurs clés de l’appareil
d’État à des personnalités originaires de la Grande-Comore : ministère de
l’Économie et des Finances, ministère des Relations extérieures, ministère de
l’Intérieur, Société comorienne des Hydrocarbures (SCH), Banque centrale
des Comores (BCC), État-major de l’AND, etc. Les Comoriens avaient crié
au « Yino Dé Yahatrou » parce qu’ils n’avaient pas l’habitude de voir des
Mohéliens à des postes de responsabilité et en voyaient pour la première fois
de 2011 à 2016. Certains n’avaient pas tardé à « découvrir » au père du chef
de l’État des « origines » dans le village du chef d’État-major de l’AND, en
Grande-Comore. Les mêmes se rappelaient fort opportunément que la mère
de la Première Dame est née à Moroni, où elle n’avait plus vécu depuis la fin
des années 1950.
L’insularité marque d’autant plus la vie politique des Comores que tout
régime politique comorien qui ne procède pas à des « dosages insulaires »
dans sa conduite des affaires publiques est décrié. Saïd Mohamed Cheikh a
divisé les Comores pour avoir rejeté une telle réalité. Devenu président du
Conseil du Gouvernement le 2 avril 1970, après la mort de Saïd Mohamed
Cheikh, le Prince Saïd Ibrahim, qui sera renversé par une sombre motion de
censure le 16 juillet 1972, avait la volonté de redonner à Mayotte et à Mohéli
leur place dans les institutions publiques du pays. Il avait entrepris de réparer
les graves erreurs commises sciemment et violemment par son prédécesseur.
Mohamed Hassanaly a été le premier Mohélien nommé ministre, et il doit
cette nomination à Saïd Ibrahim. Toujours sous l’autonomie interne, un autre
Mohélien deviendra ministre, et il s’agit de Mohibaca Baco. Les Mahorais

1 « Moishikundi wayi conteneri ya banatacha » : « Le petit groupuscule qui se réunit devant le

conteneur du père de Natacha » (Youssoufa Madi, de Djoiezi).

107
faisaient également leur entrée au gouvernement, après les longues années
d’ostracisme méprisant de Saïd Mohamed Cheikh.
Ali Soilihi avait parfaitement compris le problème de l’insularité aux îles
Comores. Il le prouvera en nommant un vice-président originaire de Mohéli,
Mohamed Hassanaly, en l’occurrence, et un Premier ministre originaire de
l’île d’Anjouan, en la personne d’Abdillah Mohamed. Ali Soilihi avait choisi
Saïd Dhoifir Bounou pour diriger le ministère de la Défense. Au moment où
Ali Soilihi faisait la Révolution aux Comores, Saïd Dhoifir Bounou était un
jeune lycéen qui allait reprendre ses études aux Comores et en France après
le coup d’État du 13 mai 1978.
Pour sa part, Ahmed Abdallah Abderemane n’a jamais prouvé un véritable
intérêt pour les subtilités insulaires. Sous sa présidence, Mohéli n’a eu droit
qu’à un seul ministre, et quand, en 1985, il avait rétrogradé Ali Hassanaly, le
« ministre de Mohéli », au rang de simple ministre délégué, les Mohéliens
avaient bruyamment crié au racisme insulaire. Le chef d’État était obligé de
réparer sa grave faute politique.
Comme cela a été signalé au cours des développements qui précèdent, en
1988, Mohéli cria à la marginalisation par voie de tract, et l’affaire finit par
des emprisonnements et des drames de famille sur une île où les victimes et
leurs persécuteurs peuvent appartenir au même clan, dans la même ville.
Après la révolte de Mayotte en 1974-1975, c’était la première fois qu’aux
Comores, une île déclarait publiquement l’oppression et les injustices qu’elle
subissait de la part des autres.
Sous le régime politique d’Ahmed Abdallah Abderemane, deux acteurs
politiques de Grande-Comore étaient arrivés à se faire distinguer et à occuper
le devant de la scène politique nationale : Mohamed Taki Abdoulkarim,
président de l’Assemblée, et Ali Mroudjaé, Premier ministre. Rapidement, le
président de la République supprima la fonction de Premier ministre, juste
au moment où Ali Mroudjaé manifestait certaines velléités et Mohamed Taki
Abdoulkarim n’arrivait plus à occulter ses vraies ambitions de pouvoir. Dès
lors, du jour au lendemain, Ali Mroudjaé se retrouvait sans fonctions, dans la
mesure où le poste de Premier ministre fut supprimé, pendant que Mohamed
Taki Abdoulkarim prenait le chemin de l’exil en France.
En même temps, il faudra noter qu’après le coup d’État du 13 mai 1978,
Ahmed Abdallah Abderemane avait commis la lourde faute politique d’avoir
comme coprésident l’Anjouanais Mohamed Ahmed et d’avoir choisi comme
Premier ministre Abdillah Mohamed, un autre Anjouanais, qui avait occupé
le même poste sous Ali Soilihi. Le président de la République s’était racheté
en ne nommant par la suite que des Premiers ministres originaires de l’île de
la Grande-Comore, avant de supprimer la fonction.
Sous la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane, Mohéli avait droit à
un seul ministre. Au lendemain du putsch du 13 mai 1978, Hadji Hassanaly
(1978) occupa le poste, avant de céder la place à Abdou Moustakim (1978-
1985), dont la succession sera assurée par Ali Hassanaly (1985-1990).

108
Les Mohéliens, en rébellion depuis 1991, avaient forcé la main de Saïd
Mohamed Djohar pour avoir « leur » deuxième ministère, mais avaient été
très déçus car le deuxième ministre nommé n’était pas un de leurs militants.
Il avait alors fallu attendre jusqu’au 16 février 1997, sous la présidence de
Mohamed Taki Abdoulkarim, pour assister à la plus forte crise d’insularité
du pays. Cette crise aiguë persista jusqu’au débarquement militaire du 25
mars 2008. Elle a complètement bouleversé le système institutionnel et le
cadre politique des Comores. La situation était très compliquée parce que,
pendant des décennies, Mahorais et Mohéliens accusaient les responsables
de Grande-Comore et d’Anjouan de les avoir maintenus dans une situation
d’infériorité depuis la période de l’autonomie interne. En 1997, il était dit à
Anjouan que cette île souffrait de « marginalisation » et d’« oppression » de
la part de la Grande-Comore. En même temps qu’elle avait proclamé son
indépendance à l’égard de l’État comorien, l’île d’Anjouan avait demandé
son rattachement à la France, par « rattachisme », selon les « rattachistes ».
Quand il commit son putsch criminel du 30 avril 1999, Assoumani Azali
aggrava la crise d’insularité, en tira profit par son alliance incestueuse avec
Mohamed Bacar, le chef séparatiste qu’il avait lui-même installé au pouvoir
sur l’île. Les deux hommes géraient une véritable économie mafieuse à partir
d’Anjouan et voyaient en la crise d’insularité une bénédiction divine. Quand
il quitta le pouvoir le 26 mai 2006 sous les injures, malédictions, quolibets et
huées du peuple comorien, Assoumani Azali avait battu tous les records du
monde en matière de conclusion d’accords sans objet, ni finalité, des accords
qui étaient juste destinés à faire croire aux Comoriens et à la communauté
internationale qu’il négociait, alors qu’il n’en était rien. S’il a fallu procéder
à un débarquement militaire le 25 mars 2008 pour mettre fin au séparatisme
à Anjouan, c’est parce qu’il avait lamentablement échoué. On comprendra
alors sa hargne à dénigrer haineusement ce débarquement militaire.
Par ailleurs, il est édifiant de constater que, quelques jours avant le coup
d’État criminel du 30 avril 1999, Assoumani Azali et ses hommes avaient
organisé la chasse aux Anjouanais dans les rues de la Grande-Comore, en les
obligeant à rentrer à Anjouan. Les milices criminalisées d’Assoumani Azali
demandaient aux Anjouanais de dire « citron » en comorien, étant noté que
les Anjouanais et les Mahorais disent « Ndrimou », les Grands-Comoriens et
les Mohéliens « Ndimou ». Pour un simple « R » dans un mot comorien, des
Comoriens étaient pourchassés sur une île faisant partie de l’État comorien
par le criminel de Mitsoudjé, qui prétendait crânement sauver le pays.
Le témoignage de Saïd Mohamed Djohar sur la culpabilité d’Assoumani
Azali dans cet acte barbare est tout simplement accablant : « À Moroni, tout
allait de mal en pis. Aucune action de la part du gouvernement intérimaire
contre ce banditisme apparemment légitimé et soutenu discrètement par les
forces chargées de l’ordre public. Les Anjouanais, traqués partout dans l’île,
se réfugièrent chez leurs patrons ou leurs amis. Cette anarchie dura une
semaine. Certains observateurs avertis pensaient que ce mouvement quasi-

109
raciste était instrumentalisé par une partie de l’armée qui obéissait au chef
d’état-major dans le but de déstabiliser le gouvernement intérimaire pour
s’emparer du pouvoir »1. Assoumani Azali était ce chef d’État-major.
Après la chasse et la persécution criminelle des Anjouanais dans les rues de la
Grande-Comore, Assoumani Azali, alors chef d’État-major de l’Armée, avait
été invité par le Premier ministre Abbas Djoussouf en conseil de ministres et en
présence de l’ambassadeur de France aux Comores, et avait été sommé de tout
faire pour rétablir l’ordre à Moroni et protéger les Anjouanais. Il avait refusé,
avait commis son putsch, et avait renforcé, voire officialisé la partition du pays.
Une fois installé illégalement au pouvoir, il avait continué à diviser le pays, en
affichant une sourde haine envers les Anjouanais. Du jour au lendemain, il est
arrivé à réaliser son projet d’épuration ethnique, en chassant de l’administration
fédérale comorienne la très grande majorité des Anjouanais. Il réalisait ainsi
son rêve d’avant son coup d’État criminel. En effet, et comme l’avait bien noté
l’ancien président Saïd Mohamed Djohar, « les Grands-Comoriens, vexés par
la sécession anjouanaise, commencèrent à maltraiter les Anjouanais établis à
Ngazidja. “Hors de chez nous ! Rentrez chez vous en emportant vos magasins,
vos maisons et vos ateliers. Allez à Anjouan réclamer votre indépendance. S’il
y a un Grand-Comorien chez vous, renvoyez-le ici”. Le président intérimaire,
Tadjiddine, est anjouanais. Le gouvernement de transition est acculé. Des
semaines passèrent dans la confusion la plus totale. Certains Anjouanais
domiciliés à Moroni, particulièrement ceux qui occupaient les logements admi-
nistratifs, étaient chassés de leurs demeures. Leurs valises furent jetées dehors
ainsi que leurs ustensiles de cuisine. Ils furent canalisés vers le port pour
prendre les bateaux en partance pour Anjouan, accompagnés de leurs femmes
et de leurs enfants »2.
Comme il n’y avait que les Mohéliens en face des Grands-Comoriens sur l’île
de la Grande-Comore, Assoumani Azali innova, d’une part, en étant le premier
chef d’État comorien à nommer un Premier ministre originaire de Mohéli
(Bianrifi Tarmindhi et Hamada Madi Boléro), et d’autre part, étant le premier
président comorien à désigner dans le même gouvernement 4 ministres venus
de Mohéli. Cela se faisait au détriment de la nation comorienne, par exclusion
de tous les Anjouanais. Il donnait raison à ces derniers, quand ils criaient à la
discrimination de la part des autorités de la Grande-Comore.
Il est un témoignage qui vaut d’être pris en compte, et il est celui d’un acteur
politique qui dirige une formation partisane de mendicité et qui avait été dans
l’incapacité de payer sa caution pour être candidat à l’élection présidentielle de
2016. Sous la junte militaire d’Assoumani Azali, il avait été secrétaire général
adjoint du Conseil d’État, une sorte de « Parlement » non élu et sans légitimité

1 Djohar (S. M.) : Mémoires du président des Comores. Quelques vérités qui ne sauraient

mourir, op. cit., p. 337.


2 Djohar (S. M.) : Mémoires du président des Comores. Quelques vérités qui ne sauraient

mourir, op. cit., p. 336.

110
populaire : « J’avais été nommé secrétaire général adjoint du Conseil d’État en
1999, mais j’ai dû démissionner en 2002. Je devais m’en aller parce que je
n’avais pas tardé à me rendre compte qu’Azali Assoumani et Hamada Madi
Boléro n’étaient animés d’aucun sentiment positif en faveur de l’État comorien.
Ils s’en moquaient avec une légèreté et une insouciance qui faisaient honte et
peur. Ils n’ont aucun sentiment patriotique, et ne pensent qu’à s’enrichir le
plus vite possible, et sans s’interroger sur la licéité de leurs actes et méthodes.
Je fus définitivement dégoûté par leur comportement criminel le jour où, alors
que le Mohélien Bianrifi Tarmindhi avait été nommé Premier ministre, Azali
Assoumani et Hamada Madi Boléro avaient concocté la plus criminelle des
Constitutions, une Constitution qui réduisait l’État comorien à la Grande-
Comore et à Mohéli.
Sentant le danger de cette manœuvre criminelle contre notre pays, j’avais
menacé les pouvoirs publics d’organiser une insurrection populaire et de
chasser tous les Mohéliens de la Grande-Comore. Je voulais que les autorités
comprennent une chose : nous ne pouvions nous payer le luxe de perdre
Anjouan alors que tous nos efforts tendaient vers la récupération de Mayotte.
Nous étions appelés à une vraie ferveur nationale, voire nationaliste, et non au
partage de notre pays entre personnes ne pensant qu’à leurs petits intérêts
mesquins et immédiats, sans le moindre souci pour les Comores.
Je fus alors convoqué au camp militaire de Kandani, où Abdallah Gamil,
avec qui j’ai étudié au Lycée de Moroni, me mit aux arrêts comme un vulgaire
criminel. On m’obligea à renoncer à tout projet d’insurrection populaire.
Même face à la pression que je subissais, je ne pouvais accepter une nouvelle
partition des Comores. Azali Assoumani savait que je pouvais organiser une
insurrection populaire, qu’il n’était pas en mesure de contrôler, lui qui m’avait
appelé dès le 30 avril 1999, quant il avait fomenté son coup d’État et qui était
parfaitement informé de ma capacité de mobilisation des foules. Naturellement,
le projet de Constitution en question a été définitivement enterré, mais cette
aventure nous apprend beaucoup de choses sur le manque total de patriotisme
chez les criminels fous que sont Azali Assoumani et Hamada Madi Boléro »1.
« Le manque total de patriotisme » est la donnée la plus constante chez les
acteurs politiques comoriens.
Revenu au pouvoir le 26 mai 2016, suite à une fraude électorale inédite, le
même Assoumani Azali se lança dans un racisme insulaire, cette fois-ci, contre
les Mohéliens et les Anjouanais. En témoignent les nombreuses nominations en
faveur de Grands-Comoriens, la réalisation des projets essentiellement sur l’île
de la Grande-Comore, son engagement total, par simple récupération, dans la
tenue des assises sur le bilan des 42 ans d’indépendance, et son hostilité visible
envers la présidence tournante afin que tous les présidents comoriens soient des
personnalités originaires uniquement de la Grande-Comore.

1 Entretiens du lundi 6 novembre 2017 avec Saïd Ahmed Saïd Abdillah.

111
S.II.- DES « SULTANS BATAILLEURS » AU « RATTRAPAGE ETHNIQUE »
DÉCOULANT DE LA PRÉSIDENCE TOURNANTE
À elle seule, la présidence tournante résume les ressorts intimes de la vie
politique aux Comores1. Fille de nombreuses frustrations et détestations inter-
comoriennes nées d’un nombre incalculable de rendez-vous ratés, la présidence
tournante doit être étudiée à travers le processus ayant conduit à son insertion
dans la Constitution comorienne (§1.) et ses origines (§2.).

§1.- INSCRIPTION DE LA PRÉSIDENCE TOURNANTE DANS LA CONSTITUTION


COMORIENNE
L’inscription de la présidence tournante dans la Constitution comorienne
n’est pas le fruit du hasard. La première Constitution comorienne qui a fait état
de la présidence tournante est celle du 23 décembre 2001. C’est à l’article 13 de
la Constitution que cette modalité électorale est mentionnée : « La Présidence
est tournante entre les îles. Le Président et les Vice-présidents sont élus
ensemble au suffrage universel direct majoritaire à un tour pour un mandat
de quatre (4) ans renouvelable dans le respect de la tournante entre les îles.
Une élection primaire est organisée dans l’île à laquelle échoit la présidence
et seuls les trois candidats ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages
exprimés peuvent se présenter à l’élection présidentielle. […]. ».
Le 17 mai 2009, a été opérée une révision constitutionnelle. Désormais,
l’article 13 de la Constitution comorienne se lit comme suit : « La présidence
est tournante entre les îles. Le président et les vice-présidents sont élus
ensemble au suffrage universel direct majoritaire à un tour pour un mandat
de cinq (5) ans renouvelable dans le respect de la tournante. Une élection
primaire est organisée dans cette île et seuls les trois candidats ayant obtenu
le plus grand nombre de suffrages exprimés peuvent se présenter à l’élection
présidentielle. Dans tous les cas, la primaire ne peut s’organiser deux fois
successives dans la même île. Avant d’entrer en fonction, le président de
l’Union et les vice-présidents prêtent serment devant la Cour constitution-
nelle selon la formule suivante et en comorien : “Je jure devant Allah, le
Clément et le très Miséricordieux, de fidèlement et honnêtement remplir les
devoirs de ma charge, de n’agir que dans l’intérêt général et dans le respect
de la Constitution”.
Les conditions d’éligibilité et les modalités d’application du présent article
sont fixées par une loi organique ».

§2.- AUX ORIGINES DE LA PRÉSIDENCE TOURNANTE


Pour mieux connaître ces origines, il est utile de partir de la sempiternelle
problématique de l’insularité. Depuis des années, Mohéli n’a eu de cesse de

1Riziki Mohamed (Abdelaziz) : La présidence tournante aux Comores, L’Harmattan, Paris,


2017 (297 p.)

112
dénoncer la marginalisation qu’elle subit. Après le départ de Mayotte, la
dénonciation du racisme insulaire est devenue la matrice centrale du combat
politique mené à Mohéli. La revendication entra dans sa phase la plus active
à partir de mars 1988, quand des Mohéliens ont eu le courage d’adresser une
lettre ouverte au président Ahmed Abdallah Abderemane pour stigmatiser la
situation d’infériorité et de caporalisation totale de leur île. Pour la première
fois, des Mohéliens signalaient le problème au chef de l’État. Ce dernier ne
pouvait apprécier cet acte. Ses courtisans les plus zélés à Mohéli avaient
réprouvé ceux qui avaient eu le courage d’exprimer la colère des Mohéliens.
Sous le régime politique de Saïd Mohamed Djohar, qui n’avait pas les
rigidités du monolithisme instauré par Ahmed Abdallah Abderemane, l’île
de Mohéli accentua la pression sur les pouvoirs publics par sa demande d’un
équilibre des îles. En mai 1991, la revendication mohélienne s’était encore
amplifiée, et il avait été constaté que « la contestation mohélienne a débuté au
mois de mai [1991] lorsque les représentants de l’île de Mohéli avaient décidé
de boycotter les travaux d’une table ronde sur la révision constitutionnelle
pour protester contre la non-prise en compte des revendications spécifiques de
l’île »1.
Que voulaient les Mohéliens sous la présidence de Saïd Mohamed Djohar ?
Pour aller à l’essentiel, il faudrait signaler qu’« à la Conférence nationale, les
Mohéliens sont allés présenter des revendications spécifiques. Elles peuvent
être ainsi résumées : établissement des libertés fondamentales ; autonomie et
égalité des îles ; désignation du chef de l’État selon des modalités qui permet-
tront à chaque île d’exercer ce pouvoir ; mise en place d’un Parlement bica-
méral, pour juguler les effets de la dictature de la majorité d’une île particu-
lière ; égale répartition des plus hautes fonctions de l’État (chef de l’État,
Premier ministre et président de l’Assemblée fédérale ; mais aussi celle de la
direction des entreprises d’État, établissements publics voire les fonctions dans
les ambassades et à la Présidence de la République) ; un minimum de deux
ministres pour chaque île ; élections des autorités de chaque île au suffrage
universel ; création d’un fonds que l’État s’engagera à verser équitablement
aux îles pour favoriser leur développement socio-économique ; effective sépara-
tion des pouvoirs ; nécessaire réforme de l’armée comorienne et diminution des
dépenses militaires ; réduction et disparition des écarts de développement qui
existent entre les îles ; interdiction du chauvinisme insulaire ; possibilité pour
chaque île d’exploiter et de commercialiser ses potentialités économiques sans
les entraves des autorités fédérales ; développement des infrastructures »2.
En d’autres termes, dès 1991, les Mohéliens ont revendiqué la présidence
tournante, en même temps qu’ils demandaient la répartition des trois principales
fonctions étatiques (président de la République, Premier ministre et président

1Marchés tropicaux : Regain de tension dans l’île de Mohéli, Paris, 8 novembre 1991.
2Riziki Mohamed (Abdelaziz) : Comores. Les institutions d’un État mort-né, L’Harmattan,
Paris, 2001, p. 192.

113
de l’Assemblée fédérale) entre les trois îles indépendantes du pays. Ils allaient
maintenir cette revendication, estimant que les problèmes de leur île avaient
pour origine une très faible représentation des Mohéliens dans les sphères du
pouvoir. Il n’est pas excessif de signaler que par une incroyable myopie mêlée
à du mépris, les autorités comoriennes n’accordaient pas le moindre intérêt à la
représentation des Mohéliens dans les hautes sphères du pouvoir.
Pour preuve, il avait fallu attendre l’avènement de Saïd Mohamed Djohar
pour voir un Mohélien occuper une fonction à la Présidence de la République,
longtemps restée la chasse gardée des Anjouanais et des Grands-Comoriens.
On ne verra un Mohélien occuper une fonction dans une ambassade que sous la
présidence de Saïd Mohamed Djohar : un agent de sécurité !
Un jour, le président Ahmed Abdallah Abderemane recevait une délégation
venue de Bulgarie et dont les membres ne parlaient pas français. La situation
était ingérable et gênante. Que faire alors ? Le Mohélien Ahmed Bourhane, qui
est fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères, était présent. Il a fait ses
études en Relations internationales en Union Soviétique. Il s’approcha de la
délégation bulgare et lui parla en russe. Les diplomates bulgares parlaient russe,
eux aussi. Les deux parties pouvaient discuter. Ahmed Abdallah Abderemane
avait présenté ses remerciements personnels et même des bénédictions à Ahmed
Bourhane, qui sera nommé en 2008 Conseiller aux Affaires consulaires, et en
2012 ambassadeur à Paris, où il avait restauré l’honneur et la crédibilité de la
mission diplomatique comorienne, naguère avilie par le passage de 2 postiers
franco-comoriens. En 2017, pour des raisons complètement irrationnelles, cet
excellent diplomate a été rappelé à Moroni, et l’un des deux anciens postiers a
été nommé pour la seconde fois ambassadeur à Paris, un poste très sensible, en
raison des relations particulières qui existent entre les Comores et la France.
Pour la petite histoire, après ses prestations face à la délégation de Bulgarie,
Ahmed Bourhane avait été inclus dans la première délégation comorienne qui
partait à Paris, à la demande du président Ahmed Abdallah Abderemane.
En réalité, les autorités comoriennes frappaient d’ostracisme les Mohéliens
sans même chercher à connaître et à apprécier leurs compétences et expertises.
Il fallait juste les ostraciser, les marginaliser et les mépriser.
Durant toute la présidence de Saïd Mohamed Djohar, la revendication des
Mohéliens est omniprésente. D’ailleurs, quand, le 3 août 1991, la Cour suprême
avait tenté de destituer Saïd Mohamed Djohar pour la sénilité qui l’empêchait
de conduire les affaires de l’État de manière appropriée, la manière cavalière
par laquelle le chef de l’État avait réagi face aux revendications mohéliennes a
été mise en relief. Au cours de cette période, pour affaiblir le président de la
République, du bout des lèvres, l’opposition nationale n’hésitait pas à rappeler
la validité et le bien-fondé de la revendication mohélienne sur l’équilibre entre
les îles indépendantes.
Sous Saïd Mohamed Djohar, la présidence de l’Assemblée fédérale devait
revenir à Mohéli, et le poste de Premier ministre à Anjouan. Ce qui fut fait. À
l’issue des élections législatives de 1992, le Mohélien Amir Ali Attoumane fut

114
élu président de l’Assemblée fédérale. Mais, cette législature était assimilée à
un grave « crime contre l’humanité » : Saïd Mohamed Abdallah Mchangama,
le gendre le plus nuisible et le plus entreprenant de la « gendrocratie » de Saïd
Mohamed Djohar, a été éliminé dès le premier tour du scrutin. Il fallait alors
dissoudre le Parlement et donc organiser de nouvelles élections. Comme Saïd
Mohamed Abdallah Mchangama était impliqué dans un nombre incalculable de
scandales internationaux pouvant lui être préjudiciables, l’Assemblée fédérale a
été dissoute, le gendre en chef fut « élu », et placé à la présidence du Parlement
pour pouvoir jouir d’un certain nombre d’immunités le mettant hors de portée
d’un certain nombre de poursuites. Il a échappé aux poursuites, mais pas à un
discrédit total l’ayant conduit à se lancer dans « le mouvement associatif » de
récupération politicienne, faute de pouvoir être un acteur politique trop voyant
après ses horribles crimes sous la « gendrocratie » des années 1990-1995, avec
leur cohorte de désordres.
Après le régime politique népotique, corrompu et hautement incompétent de
Saïd Mohamed Djohar tel qu’il est renversé par le coup d’État du 28 septembre
1995, une période d’incertitudes s’installa aux Comores, dont le chef de l’État
avait été déporté à la Réunion, île française de l’océan Indien. Le 16 mars 1996,
Mohamed Taki Abdoulkarim est élu président de la République. Il ne connut
même pas une accalmie d’une année, puisque le 16 février 1997, éclata la mère
des crises séparatistes à Anjouan.
Il s’agit d’une crise séparatiste d’une forte intensité qui avait ébranlé toutes
les bases de l’État comorien. Anjouan réclamait son indépendance totale des
Comores et demandait son rattachement par « rattachisme » à la France. Cette
crise ne prit fin que onze années et un mois plus tard, le 25 mars 2008, quand
l’Armée comorienne, soutenue par les troupes de l’Union africaine, débarqua à
Anjouan et chassa du pouvoir le dictateur Mohamed Bacar, qui ne dut son salut
qu’à la fuite vers Mayotte, finissant par être exilé au Bénin.
En 1997, Mohéli avait fait comme Anjouan, avait revendiqué l’indépendance,
mais sans s’installer dans le radicalisme constaté à Anjouan. Au cours de cette
période, les Comores avaient fait leur fracassante entrée dans l’ère des accords
avortés. La signature d’accords inutiles succédait à la signature d’autres accords
inutiles. Les Comoriens négociaient, mais en pure perte. Les séparatistes de
l’île d’Anjouan furent alors les chantres du parjure, de l’intransigeance et du
radicalisme, faisant les réclamations les plus farfelues et les plus inattendues,
juste pour faire avorter les négociations.
Champions des manœuvres dilatoires et des reniements spectaculaires, les
chefs de la rébellion séparatiste d’Anjouan étaient également passés maîtres
dans le reniement de leur propre parole. Toujours est-il qu’après la conclusion
d’une série d’accords, les Comoriens ont signé à Fomboni l’Accord-cadre de
réconciliation nationale du 17 février 2001. Cet Accord-cadre a été conclu sous
l’égide de la communauté internationale et a été suivi de la Constitution du 23
décembre 2001. C’est cette dernière qui, en son article 13, pose le principe de la
présidence tournante entre les îles de l’Union des Comores.

115
Comme la présidence tournante a été inscrite sur la Constitution en pleine
crise séparatiste à Anjouan, nombre de Comoriens croient que cette modalité
électorale a été imposée par les séparatistes anjouanais. Or, c’est Mohéli qui est
à l’origine de ce principe, qui devint la pierre angulaire de la Constitution du 23
décembre 2001 : « En vérité, l’idée de la présidence tournante n’est pas
anjouanaise comme certains l’ont cru. C’est la délégation mohélienne qui
avait fait cette proposition, en expliquant que l’île de Mohéli ne représentant
que 5% de l’électorat national, à aucun moment les Anjouanais et les
Grands-Comoriens ne permettraient à un Mohélien d’être élu chef de l’État
comorien. On peut d’ailleurs noter que de l’autonomie interne à la période
des Comores indépendantes, aucun Mohélien n’a jamais été élu président de
la République des Comores. Et d’ailleurs, ce fut le Prince Saïd Ibrahim qui
avait “osé”, pour la première fois, nommer un ministre originaire de Mohéli
et ce fut le président Saïd Mohamed Djohar qui porta ce chiffre à deux
ministres, en pleine crise séparatiste à Mohéli.
Et il fallut attendre l’arrivée du colonel Azali Assoumani au pouvoir en
avril 1999 pour voir 4 Mohéliens membres du même gouvernement de la
République, mais après qu’Anjouan ait déclaré son “indépendance”. Ce
n’est que 25 ans après l’indépendance qu’un Comorien originaire de
Mohéli accéda enfin au poste de Premier ministre, Bianrifi Tarmidi. Une
année après, je serai le second Mohélien de l’Histoire des Comores, toutes
périodes confondues, à avoir occupé le poste de chef du gouvernement, et
encore dans une période de putsch. La présidence tournante était donc pour
la délégation de Mohéli, la seule garantie que les deux autres îles accep-
teraient enfin un président originaire de l’île de Djoumbé Fatima »1.
Les Mohéliens parlent de présidence tournante depuis l’avènement de Saïd
Mohamed Djohar en 1989, et surtout après l’élection horriblement fraudée
de 1990, qui lui avait permis de passer de président de la République par
intérim à président de la République tout court. En 2001, c’est sur l’ombre
d’un État comorien moribond qu’ils ont pu faire réaliser leur vieux rêve.
En réalité, les chefs séparatistes anjouanais ne voulaient pas entendre de la
présidence tournante dans la mesure où son acceptation aurait été synonyme
de reconnaissance de l’appartenance de leur île à l’État comorien. Pourtant,
ils avaient fini par admettre le principe de la présidence tournante.
Maintenant, interrogeons-nous sur la perception qu’avait Assoumani Azali
sur la présidence tournante avant de retourner au pouvoir le 26 mai 2016 de
façon anticonstitutionnelle et illégitime. Lors de sa conférence de presse du
30 décembre 2015, à Fomboni, Mohéli, il avait déclaré : « S’agissant de la
présidence tournante, j’adresse mes louanges à Dieu parce que ça aurait pu
être pire. Il est vrai, la présidence tournante a de nombreuses imperfections,
de nombreux points faibles. Nous le constatons tous. D’ailleurs, parmi les

1Madi Boléro (Hamada) : Au service des Comores, Tome II, La Renaissance, Éditions
Cœlacanthe, Paris, 2014, p. 36.

116
choses que nous avons faites, nous aurions souhaité que les gens notent les
points faibles et les points forts de la présidence tournante pour que nous
puissions voir par la suite comment nous asseoir et en faire le bilan. Cela
nous permettra de faire la part des choses entre ce qui est bien fait et ce qui
ne l’est pas. La réalité, c’est que, c’est un système que j’oserai qualifier
d’inédit. Oui, c’est un système inédit. Je crois que si nous ne sommes pas les
premiers dans le monde à le pratiquer, il faudra alors dire que très peu de
pays l’ont instauré.
Quand nous avons instauré la présidence tournante, nous étions cons-
cients du fait que nous prenions un risque. Et en matière de risques, les
Occidentaux estiment que certains sont mesurés et d’autres non mesurés. Le
risque, il fallait le prendre. Quand on monte dans une voiture, on prend un
risque. On le mesure quand on sait que le chauffeur sait conduire une
voiture et que cette voiture roule bien. Là, on mesure le risque. Mais, dès
qu’on monte dans la voiture, on prend un risque. Et quand, en plus, on
monte dans une voiture dont le chauffeur ne sait pas conduire et n’a même
pas de permis, là on prend des risques, et ce qui arrivera après, on l’aura
voulu.
En tout état de cause, les risques sont nombreux en ce qui concerne la
présidence tournante, mais nous les avons mesurés et avons décidé d’aller
de l’avant. Oui, nous devons aller de l’avant. Je remercie les gens qui
étaient avec moi, de 1999 à 2002. Ils ont fait preuve d’une inébranlable
fidélité, ils ont fait preuve de patriotisme, de nationalisme parce que nous
étions ensemble, et il y avait des tiraillements tout à fait humains.
Pour autant, il ne s’agissait pas de tiraillements de nature à nous faire
séparer de façon profonde et définitive. Nous avons donc pu travailler en
parfaite communion jusqu’en 2006. Ensuite, parmi les paradoxes ou les
chances, ces tiraillements ont cessé dès que nous avons quitté le pouvoir.
D’habitude, il y a des tiraillements quand on est au pouvoir.
Or, quand nous étions au pouvoir, il n’y avait pas de tiraillements. Nous
étions dans l’opposition jusqu’au moment où nous étions à la recherche du
pouvoir, et c’est en ce moment-là que nous avions commencé à nous tirailler.
Cependant, je ne tiens pas à m’étendre sur le sujet.
Pour la présidence tournante, j’ai l’habitude de recourir à une image
chère aux médecins. Est-ce que le 3 D est ici, celui qui a les 3 Doctorats ?
Quand on s’est fait une blessure par laquelle coule le sang, on pose ce
qu’on appelle un garrot.
C’est une solution destinée à empêcher provisoirement le sang de couler.
Ce n’est pas le remède définitif, mais un procédé destiné à empêcher
l’écoulement mortel du sang. Et quand on arrive en ville, en ce moment-là,
on peut envisager d’autres solutions comme les sutures. Alors, au stade où
nous étions en 1999, il fallait poser le garrot pour éviter l’écoulement du
sang. […]. Vous connaissez l’affaire de l’Anjouanais mort dont on a
empêché le rapatriement du corps à Anjouan. Ce ne sont pas des choses

117
qu’on peut dire aujourd’hui. Il se passait des choses à cette époque. Il nous
fallait intervenir pour que le corps du mort puisse être rapatrié à Anjouan,
même sans le moindre accompagnement, pour qu’il puisse être enterré à
Anjouan. Vous vous rappelez de Mohamed Madi Mjamawé, qui avait perdu
sa mère et qui ne pouvait se rendre à ses funérailles.
Quand on est dans une situation pareille, et dans l’attente de trouver la
meilleure solution, nous aurions perdu beaucoup de temps dans la douleur.
Et nous savons qu’il y a beaucoup de pays qui sont confrontés à des
problèmes et qui, lancés à la recherche du système idéal, périssent. Nous
avons opté pour la solution la moins mauvaise. Il y a la solution idéale et la
solution la moins mauvaise. Comme tout le monde s’est mis d’accord que la
présidence tournante est le système qui allait nous permettre de vivre
ensemble, elle était la moins mauvaise.
Dieu soit loué, tout le monde a respecté cela, même si celui qui a pris ma
place à la Présidence de la République l’a perturbé, dans la mesure où,
quand la présidence tournante devait échoir à l’île de Mohéli, vous avez vu
ce qui s’est passé. Cependant, nous étions tous unis, nous qui étions dans
l’opposition en lui disant qu’il était dans l’erreur et qu’il devait respecter la
présidence tournante. Il a fini par la respecter.
Sur ce sujet, j’adresse mes louanges à Dieu parce que le Créateur nous a
aidés dans ce que nous avons fait, et aujourd’hui, il y a la paix, les gens se
parlent, il y a des échanges entre nous. Il n’y a plus de problèmes. Le reste
concerne la façon par laquelle nous pouvons nous rassembler aujourd’hui
pour le développement du pays pour tirer les profits de la présidence
tournante sur le plan socioéconomique »1.
Puis arriva la date du 11 août 2015. Ce jour-là, dans une grande ferveur
démagogique mâtinée d’un nationalisme en trompe-l’œil, des Comoriens
avaient organisé un accueil populaire pour les athlètes comoriens. Ceux-ci
s’étaient hypocritement retirés des Jeux des Îles de l’océan Indien parce que
les athlètes mahorais y défilaient sous drapeau français, leur île ayant décidé
de rejeter l’indépendance et de rester sous administration française lors du
référendum d’autodétermination des Comores le 22 décembre 1994. Lors de
ce rassemblement de toutes les hypocrisies, Ali Bazi Selim avait demandé la
tenue d’assises nationales pour faire le bilan d’une indépendance acquis le 6
juillet 1975.
Pourquoi faire un bilan que le monde entier sait entièrement, totalement et
définitivement négatif ? Pourquoi se lancer dans des palabres sur un échec
que le monde entier sait imputable à la médiocrité des dirigeants comoriens ?
Qui aux Comores avait besoin de palabres pour redresser le pays alors que
les dirigeants s’acharnaient à détruire systématiquement leur pays ? Fait très
hypocrite, les zélateurs les plus fanatisés s’accordèrent pour « oublier » que

1Cité par Riziki Mohamed (Abdelaziz) : La présidence tournante aux Comores, Éditions
L’Harmattan, Paris, 2017, pp. 21-23.

118
le vieux Ali Bazi Selim avait été ministre de l’Intérieur au milieu des années
1980 quand les mercenaires torturaient et découpaient à la tronçonneuse les
militants du Front démocratique. Les mêmes zélateurs les plus fanatiques et
hypocrites s’accordèrent pour ne pas demander à Ali Bazi Selim son propre
bilan avant qu’il ne demande celui d’une indépendance complètement ratée.
Pourtant, très rapidement, dans certains milieux de la Grande-Comore, le
discours d’Ali Bazi Selim a obtenu une valeur supérieure à celle du Coran et
à celle de la Constitution. Un supposé Mouvement du 11-Août fut constitué
et celui-ci s’arrogea le droit de vouloir imposer ses assises supposément
« nationales » au pays tout entier.
Avec des prétentions fantasmagoriques et démesurées qu’on ne constate
que sur l’île de la Grande-Comore, le Mouvement d’Ali Bazi Selim avait
même osé conditionner l’élection présidentielle de 2016 à l’organisation de
ces assises de la haine et du mépris envers Anjouan, Mohéli et toutes les
institutions nationales. Ikililou Dhoinine avait dit qu’il ne voulait pas qu’on
mentionne devant lui cette idée d’assises prétendument « nationales » qui ne
pouvaient être que de la Grande-Comore, en réalité, en raison de l’origine
insulaire de ses promoteurs, tous Grands-Comoriens.
Le 4 juin 2017, Assoumani Azali reçut Ali Bazi Selim et ses compagnons.
Il annonça son acceptation du projet des assises supposément « nationales ».
Les Comores entrèrent alors dans un environnement feuilletonesque basé sur
les assises, et les Comoriens dans leur immense majorité en rejetèrent même
l’idée, nonobstant les intimidations, les menaces et la violence aussi bien
physique que verbale et administrative.
Le dimanche 15 octobre 2017, quand Assoumani Azali annonça à Ali Bazi
Selim ce qu’il comptait faire des assises prétendument « nationales », le
vieillard de Ntsoudjini fit un accident vasculaire cérébral (AVC). Peu à peu
tous les membres de son Mouvement quittèrent le Comité de Pilotage des
Assises supposément « nationales ».
Après moult reports, ces dernières ont fini par avoir lieu dans la confusion
totale et sous les injures et menaces du pouvoir en place du lundi 5 au lundi
12 février 2018. Le Gouverneur Salami Abdou Salami d’Anjouan en était
des plus hostiles dès le départ. En pleines assises, ses homologues Hassani
Hamadi (Grande-Comore) et Mohamed Saïd Fazul (Mohéli) ont découvert
avec horreur l’étendue du désastre que préparait Assoumani Azali. Les trois
Gouverneurs d’îles avaient rédigé un Mémorandum, qu’ils avaient adressé à
l’Union africaine et à l’ONU pour exprimer leur réprobation totale du coup
d’État institutionnel en cours de préparation par le clan de Mitsoudjé au
pouvoir. Pour se venger, Assoumani Azali avait sauvagement pris en otage
le Gouverneur Salami Abdou Salami à la Grande-Comore, l’empêchant de
s’envoler vers son île, et avait déployé l’Armée à l’aéroport d’Anjouan pour
empêcher son accueil populaire.
Le Gouverneur de Grande-Comore et celui de Mohéli suivirent celui de
l’île d’Anjouan et se manifestèrent publiquement leur rejet de la politique

119
d’Assoumani Azali quand ils décidèrent de comprendre enfin les desseins
de cet homme, desseins polémiques et controversés qui se résument en sept
points tous litigieux, tous imprégnés de lubies criminelles et irresponsables :
- Modification du principe de la présidence tournante : Assoumani Azali
confisque le pouvoir pendant 12 ans de suite, ayant projeté une élection
anticipée en 2019, pour pouvoir rester à Beït-Salam jusqu’en 2029. Dans
la Constitution du 23 décembre 2001, une île ne gardait le pouvoir plus
d’un mandat de 5 ans,
- Le mandat du chef de l’État doit être renouvelable pour maintenir au
pouvoir Assoumani Azali « à l’horizon 2030 », lui qui jure de faire des
Comores, qui ne fabriquent même pas un cure-dents, un « pays émergent
à l’horizon 2030 », sans dire comment il réalisera sa prouesse mondiale,
- Suppression des postes des trois vice-présidents, qui représentent leurs
îles respectives au niveau fédéral,
- Nomination des Gouverneurs des îles par le chef d’État, dans un pays
qui se veut une fédération depuis la première Constitution, celle du 1er
octobre 1978,
- Suppression des Conseils et des Commissariats des Îles autonomes,
- Suppression de la Cour constitutionnelle, déjà intégrée à la Cour suprême.
Assoumani Azali voulait légaliser la suppression de l’institution, actée
dès son retour anticonstitutionnel au pouvoir le 26 mai 2016. Il a fini par
le faire, mais pour combien de temps, avant sa chute dans la violence ?
L’opposition comorienne ne s’était pas trompée en se retirant des assises
bien avant leur commencement, estimant à juste titre que leur but était tout
simplement la légalisation d’un pouvoir personnel et clanique au profit d’un
homme arrivée au pouvoir le 30 avril 1999 par un horrible coup d’État, et
dont « l’élection » en 2002 et en 2016 n’aura été qu’une mascarade qui lui a
été préparée par Hamada Madi Boléro, dont les fraudes électorales sont des
coups de force sans la moindre intelligence puisque non préparées en amont
et qui finissent toujours dans la confusion et la contestation.
Par la suite, Mohamed Saïd Fazul, après avoir reçu 125 millions de francs
comoriens (255.000 euros) d’Assoumani Azali, s’est laissé corrompre par le
tyran de Mitsoudjé et a pris la lourde responsabilité de défendre toutes ses
lubies anticonstitutionnelles et criminelles de pouvoir illégitime.
Pour pouvoir rester au pouvoir ad vitam aeternam, Assoumani Azali et les
siens ont envisagé le plus inacceptable des scénarii : un référendum truqué.
Or, la communauté internationale a fait comprendre deux choses au pouvoir
familial en place : elle n’avaliserait ni des assises partisanes, ni un coup
d’État institutionnel qui mettrait à mal la stabilité du pays.
Reçus par les représentants de la communauté internationale à Moroni, les
leaders de l’opposition prouvèrent le caractère partisan des assises et des
autres desseins funestes d’Assoumani Azali. Elle expliqua avec succès que
l’une des preuves des desseins liberticides d’Assoumani Azali résidait dans
le fait qu’il avait supprimé la Cour constitutionnelle en confiant ses pouvoirs

120
à la Cour suprême, qui avait une autre mission étatique, et dont tous les
membres sont nommés par le dictateur. Aussitôt, les représentants de la
communauté internationale arrivèrent au siège de la Cour constitutionnelle
pour constater de visu les premiers dégâts commis par le tyran de Mitsoudjé
par sa suppression de la Cour constitutionnelle, une institution créée par la
Constitution et supprimée par une « décision ».
Le « référendum » anticonstitutionnel destiné aux tripatouillages éhontés de
la Constitution a eu lieu le lundi 30 juillet 2018 dans un climat de guerre
civile. Nous avons évoqué l’immense mascarade que fut ce « référendum »,
rejeté par les Comoriens et par la communauté internationale, et qui n’avait
mobilisé que 5% de l’électorat, si encore on devait tenir compte du grossier
et vulgaire bourrage des urnes par Kiki et ses séides. En privé, Assoumani
Azali est très amer, reconnaît son échec, disant que seuls 20% des électeurs
avaient voté, et mesure la haine et le mépris des Comoriens à son égard. Ce
chiffre de 20% est fallacieux : seuls 5% des électeurs ont voté. Cet échec fit
entrer les Comores dans une nouvelle phase de la dictature, comme on peut
le noter à l’aune des actes liberticides, dont des arrestations extrajudiciaires
et des emprisonnements dans les rangs de l’opposition sans la moindre base
légale. Chaque jour, la dictature invente et « découvre » des complots, tout à
fait imaginaires, dont une énième « tentative de coup d’État », qui devait être
concrétisée par un fusil de chasse, un pistolet et la somme de 12 millions de
francs comoriens (24.000 euros) ! Cette immense fumisterie a été annoncée
dans la nuit du 9 août 2018, et fut suivie d’une vraie rafle dans les rangs de
l’opposition. Les Comores sont plongées dans la terreur.
Les détracteurs accusent la présidence tournante de favoriser l’insularité.
Ils pervertissent outrageusement la vérité. Sous la présidence du Mohélien
Ikililou Dhoinine (2011-2016), avait fleuri le slogan « Yino Dé Yatrou »,
« C’est le nôtre », « C’est notre règne ». Or, Ikililou Dhoinine n’avait pas
confié des postes de responsabilité à des Mohéliens, réservant ceux-ci à des
Grands-Comoriens. D’autres chefs d’État comoriens avaient été accusés de
dérives insulaires. Mais, le mépris et la haine d’Assoumani Azali envers les
Mohéliens et les Anjouanais ont relativisé les accusations portées naguère
sur les autres chefs d’État. Ces accusations sont passées de mode depuis le
26 mai 2016.
On vit Assoumani Azali ne nommer que des Grands-Comoriens aux postes
ayant une certaine importance, et refuser de financer tout projet sur les îles
d’Anjouan et de Mohéli. On le vit geler tous les projets déjà initiés sur ces
îles ennemies. Le 26 mai 2017, il inaugurait en grande pompe un hôpital
construit par Ahmed Sambi à Anjouan, se l’appropriant par pur infantilisme,
rejetant l’offre chinoise d’initiation du personnel comorien sur une période
de 10 ans, pour un meilleur transfert des compétences. Ce qui rend ipso
facto ce projet à l’état d’éléphant blanc : du simple béton et de la ferraille
sans la moindre importance pratique. Les Mohéliens entendirent la voix du
même Assoumani Azali annonçant qu’il ne remplacerait la moindre vitre du

121
bâtiment neuf de Comores Télécom à Fomboni car, selon lui, ledit bâtiment
aurait dû être construit à la Grande-Comore et non à Mohéli. Les Mohéliens
ont entendu la voix d’Assoumani Azali annonçant aux habitants de la ville
de Nioumachioi, sur leur île, qu’ils devaient organiser des manifestations de
collecte de l’argent nécessaire à la réfection de leur route, car l’État n’allait
rien faire en la matière.
Et, paradoxalement, c’est Assoumani Azali qui parle de « l’insularité » et
autres « imperfections » inhérentes à la présidence tournante, une modalité
électorale qu’il croit avoir déformée à la suite d’un « référendum » bidon.

S.III.- PRÉDOMINANCE DU VILLAGE NATAL DU CHEF


Pays féodal par excellence, les Comores sont le bastion du village natal du
chef. Ce chef est le président de la République, le ministre, le Directeur ou
toute autre personne détenant une parcelle d’autorité. Le tout-village natal du
chef relève d’un véritable culte aux Comores. Le chef règne avec les siens,
ceux et celles de son village natal. Rendu ivre par un pouvoir, éphémère par
définition, il lui semble que son village natal est l’alpha et l’oméga de l’État,
et le condensé de celui-ci. Il écrase par son présidentiel et parfois impérial
mépris le reste de la communauté nationale.
Le phénomène dépasse les limites des Comores, mais dans ce pays, il revêt
des dimensions révoltantes, choquantes, voire scandaleuses. À l’échelle de
l’Afrique, Jean et Jean-Éric Gicquel parlent du « caractère archaïque de la
société » et « dans le cadre du village en Afrique noire, autosubsistant (la
ville est, à cet égard, une création du colonisateur, étrangère à la mentalité
indigène), la forme spontanée du pouvoir est purement locale et tribale : le
chef traditionnel y dispose d’une autorité à la fois politique, sociale et
religieuse, qui n’aide pas à la formation de sociétés plus larges. Les consé-
quences sont qu’à l’heure actuelle, les rivalités tribales contrarient souvent
l’unification du pays. Dès lors, le passage brutal du village à l’État, de la
chefferie à la puissance de l’État, est artificiel, pour l’essentiel. De sorte que
les personnes se sentent moins membres de l’État (concept abstrait) que de
leur case ou tribu qui relève du vécu »1.
L’esprit de village l’emporte sur le sentiment national. La nation n’existe
pas, alors que le village du chef devient le centre de gravité administrative et
politique.
Après l’Afrique, situons le problème au niveau de la terre d’Islam. Nous
constatons ainsi que pour le Tunisien Abd Ar-Rahmân Ibn Khaldoun, qui
a parlé de l’« Assabya » ou esprit de corps ou solidarité tribale, tout part de la
« transformation du Califat en monarchie », par abandon des règles de
l’Islam relative à la Oumma ou Communauté des Croyants ayant prévalu au

1Gicquel (Jean et Jean-Éric) : Droit constitutionnel et institutions politiques, 20ème édition,


Éditions Montchrestien, Collection « Domat – Droit public », Paris, 2005, p. 379.

122
temps du Prophète Mohammed et des quatre Khalifes Bien Guidés. Ayons à
l’esprit le fait que « Mahomet, le Législateur, a blâmé la monarchie et les
monarques. Il les a blâmés pour leur amour des plaisirs, leur vaine prodi-
galité et leurs déviations en dehors de Dieu » et « veut seulement que les
passions soient dirigées vers des fins utiles, pour servir le bien public, afin
que l’homme devienne un serviteur diligent, qui s’empresse d’obéir aux
injonctions divines »1.
En sortant du cadre de la Oumma islamique, même à l’échelle d’un seul
pays, les Musulmans sont retournés à leurs vieilles structures villageoises et
tribales, leurs chefs s’étant empressés de privilégier pouvoir et richesses. Et,
sous les Abbassides, même si le dirigeant était « Vicaire de Dieu sur terre »
ou « Commandeur des Croyants », il était avant tout un monarque qui ne
pouvait s’empêcher de régner avec les siens. Il s’agit d’une dangereuse dérive
car « le pouvoir toucha à l’absolutisme et servit les vanités […], l’emploi de
la force et la satisfaction arbitraire des désirs et des passions.
Tel fut le cas des fils de Abd-Al-Malik et des Abbassides après Al-Mu’tasim
et Al-Mutawakkil. Ils restèrent califes de nom, tant que dura l’esprit de
corps des Arabes. Alors califat et monarchie existèrent côte à côte. Ensuite,
l’esprit de corps des Arabes disparut, la race (jîl) et l’arabisme s’éteignirent,
et le califat cessa d’exister. Le régime resta monarchique, sans plus »2.
Cela a été vraiment nuisible à l’Islam.
Féodales, les Comores se retrouvent dans toutes ces contradictions sociales
en s’accrochant désespérément à leur tribalisme et à leur esprit villageois. De
fait, même quand il est affecté sur une autre île, le Comorien doit être vu sur
son île et dans son village le jour où il devra voter, même quand il s’agit
d’un référendum ou du scrutin du chef de l’État. Le vendredi, il se rend au
bureau portant son boubou blanc, et à 11 heures, il se rend dans son village
natal pour la grande prière collective de la journée, même s’il ne prie que ce
jour-là et en ce moment. Il doit y être vu également lors des fêtes de la fin du
ramadan et du pèlerinage aux Lieux Saints de l’Islam en Arabie Saoudite.
Emmanuel Vérin parle d’« institutions de la société comorienne traditionnelle
où le regroupement de la communauté se fait autour d’une mosquée du
vendredi, insérée au milieu d’un complexe de maisons organisées en quartiers,
ceux-ci eux-mêmes hiérarchisées »3.
Dès lors, on part de l’appartenance insulaire au rattachement villageois. Il faut
que l’acteur politique prouve clairement et par d’actes concrets de chauvinisme

1 Ibn Khaldoun (Abd Ar-Rahmân Ibn Mouhammad) : Discours sur l’Histoire universelle
(Al-Muqaddima), Tunis, 1382, Tome I, Traduction nouvelle, préface et notes par Vincent
Monteil, UNESCO et Commission internationale pour la traduction des chefs-d’œuvre,
Beyrouth, 1967, pp. 398 et 399.
2 Ibn Khaldoun (A.) : Discours sur l’Histoire universelle (Al-Muqaddima), op. cit., p. 411.
3 Vérin (Emmanuel) : Les Comores dans la tourmente : vie politique de l’archipel, de la crise

de 1975 jusqu’au coup d’État de 1978, APOI, volume X, 1984-1985, Aix-en-Provence, 1989, p.
67.

123
tribal et villageois son ancrage à son village. S’il ne le fait par comme le veut la
population locale, en période électorale, il lui sera vertement rappelé qu’il n’a
rien fait pour son village natal ou d’origine. En politique comorienne, il n’y a
pire malédiction. Ceci est d’autant plus vrai qu’avant d’être élu ailleurs, l’acteur
politique comorien doit faire le plein de voix dans son propre village.
En la matière, les deux politiciens qui ont le mieux réussi sont sans la moindre
contestation l’ancien président Mohamed Taki Abdoulkarim et l’ancien vice-
président Mohamed Ali Soilihi, tous deux de Mbéni, dans le Hamahamet, en
Grande-Comore. Personne n’a pu les défier dans leur ville de Mbéni et dans
leur région du Hamahamet, même en période d’insolente et indécente fraude
électorale comme cela avait été le cas en 1990 et 2016. D’ailleurs, en 2016, l’un
des signes les plus criants de la fraude électorale réside dans le rejet total de la
candidature d’Assoumani Azali dans toute sa région du Hambou, où il n’avait
été classé premier que dans son village de Mitsoudjé et à Salimani-Hambou,
qui n’ont aucune importance électorale.
En effet, « Azali Assoumani n’était en première position dans le Hambou
que dans 2 villages : chez lui à Mitsoudjé et à Salimani-Hambou. En ce qui
concerne Mitsoudjé, nous avons vu comment Azali Assoumani avait fait
voter les morts, les personnes en voyage à l’étranger et celles qui n’existent
même pas. En fait, Azali Assoumani n’est de Mitsoudjé que par son père. Sa
mère est du village de Mboudé Yadjou, dans le Bambao, et cela a fait de lui
un “étranger” dans son propre village… La sociologie comorienne est très
compliquée »1.
Compte tenu des ressorts intimes de la société comorienne, personne ne
peut se faire élire ailleurs après avoir fait l’objet d’un rejet dans sa propre
région et dans son village. En plus, on découvre, à la lumière de la situation
particulière d’Assoumani Azali à Mitsoudjé, le village supposé être le sien,
qu’on peut subir un rejet villageois par une appartenance « incomplète » à un
village donné.
Retourné au pouvoir de manière frauduleuse, illégitime et scandaleusement
anticonstitutionnelle le 26 mai 2016, Assoumani Azali fera tout pour se faire
« légitimer » à Mitsoudjé, en nommant à tous les postes stratégiques des gens
de Mitsoudjé, souvent de sa propre famille, au grand dam de tout le peuple
comorien. Certes, avant le 26 mai 2016, d’autres dirigeants comoriens avaient
nommé les leurs, mais dans le cas d’Assoumani Azali, l’esprit villageois a
dépassé les limites de l’indécence, du mépris envers autrui et du scandale.
Au lendemain du 26 mai 2016, Assoumani Azali a mis en place ce qu’il
faudra bien appeler la République de Mitsoudjé, innocentant et réhabilitant
ceux qui avaient été jadis accusés de népotisme villageois.
Pourtant, Ali Soilihi, Saïd Mohamed (Chouani, Grande-Comore) et Ikililou
Dhoinine (Djoiezi, Mohéli) avaient prouvé qu’il était possible de gouverner

1 Riziki Mohamed (A.) : Mohamed Ali Soilihi. Vérités sur une élection aux Comores, op. cit.,

p. 434.

124
sans privilégier le tout-village du chef. Pour preuve, Ikililou Dhoinine avait
été vice-président de 2006 à 2011 et chef d’État de 2011 à 2016 sans jamais
nommer un cadre de Djoiezi à un poste de responsabilité. En revanche, il
avait confié toutes les fonctions stratégiques à des personnes originaires de la
Grande-Comore.
Les Comoriens n’ont pas l’habitude des Mohéliens qui occupent des postes
ayant une certaine importance. Sous la présidence d’Ikililou Dhoinine, ils
ont vu Sitti Kassim, Daroussi Allaoui, Hamada Madi Boléro, Saïd Mohamed
Ali Saïd, Abiamri Mahamoud et Saïd Bouhtane Chamassi. La liste s’arrête
là, et ne concerne aucun cadre de Djoiezi. Mais, elle a suffi à faire parler de
« présidence mohélienne » ; ce qui relève de l’affabulation et de l’aberration.
En faisant les comptes, on note que sous Ahmed Abdallah Abderemane,
Mohamed Taki Abdoulkarim et Ahmed Sambi, naguère accusés d’avoir bien
favorisé les leurs, les nominations à des postes importants étaient d’un
nombre très insignifiant par rapport au scandale indécent provoqué par
Assoumani Azali, qui n’a même pas l’intelligence de faire le choix de
personnes ayant du mérite personnel, mais favorise l’incompétence, l’incurie,
la corruption et la concussion. Les protestations indignées des Comoriens ne
l’ont jamais incité à infléchir sa ligne de conduite scandaleuse et malsaine.
Il n’est pas inutile de noter que dans une section de son livre de souvenirs
sur sa première année de ministre de la Coopération (16 mars 1986 – 1er avril
1988), Michel Aurillac parle de « villes natales » des chefs d’État d’Afrique
francophone : « Mais la façon la plus exceptionnelle dont les chefs d’État
honorent leurs hôtes consiste à les recevoir dans leur ville natale [pour] leur
attachement à leur petite patrie, renforcé souvent par un lien ethnique ou
tribal, n’est en rien diminué par leurs fonctions nationales. Le président
Houphouët-Boigny, en faisant de Yamoussoukro sa capitale politique, a
réussi la synthèse entre les deux.
Le président Abdallah, lorsqu’il m’a accueilli aux Comores, a tenu à me
recevoir dans sa propre maison, à Domoni, sa ville natale. Domoni est une
sorte de repaire de pirates. Un grand concours de peuple nous attendait. On
nous offrit des colliers de fleurs. J’étais en compagnie de ma femme. Le
président nous présenta la sienne, ses enfants, et petits-enfants.
Après le repas, il me conduit au balcon face à la mer. Au loin, une forme
vague, comme un bouclier posé sur l’horizon. Il tend la main d’un geste
théâtral et sur un ton qui ne l’était pas moins, mais empreint d’une profonde
sincérité : “Mayotte ! dit-il. Jusqu’à mon dernier souffle, je réclamerai
Mayotte, mais en amitié avec la France.” La scène ne manquait pas de
noblesse, mais le président ne pouvait pas s’attendre à ce que j’oublie ne
serait-ce qu’un instant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Or,
Mayotte veut demeurer française. Si la géographie la rapproche des Comores,
l’histoire l’en sépare. Mayotte, ancienne réserve d’esclaves, craint par-
dessus tout d’être intégrée à un ensemble comorien où elle se trouverait
minoritaire.

125
Au Zaïre, plutôt que de me recevoir dans sa capitale, le président Mobutu
m’invita dans sa ville natale de Gemena. Ce geste prenait une signification
d’autant plus symbolique qu’il coïncidait avec les cérémonies anniversaires
de la mort de la mère du président »1.
En définitive, au lendemain du 26 mai 2016, Assoumani Azali a donné à
l’esprit villageois un nouvel élan, et cela, au détriment de tout idéal étatique,
national et républicain. Une liste comprenant 126 personnes de Mitsoudjé,
sans la moindre compétence, a été publiée sur les réseaux sociaux, juste au
moment où la République villageoise instaurée par Assoumani Azali et les
siens licenciait abusivement 10.000 Comoriens. Sur cette liste de 10.000
Comoriens licenciés, on compte 500 Mohéliens pour Comores Télécom.
Si la dictature villageoise est une plaie constante de la vie politique aux îles
Comores, force est de reconnaître qu’Assoumani Azali lui a donné une vraie
dimension institutionnelle, au mépris de toute nécessité d’intérêt public, de
compétence et de mérite à caractère individuel. Assoumani Azali a érigé la
dictature villageoise en véritable institution de la mauvaise gouvernance.
Même certains de ses partisans se répandent en protestations de colère sous
le manteau sur cette pratique malsaine qui réhabilite tous les anciens chefs
d’État comoriens, dont aucun n’avait eu l’indécence de nommer à des postes
stratégiques plus de 10 de ses « compatriotes villageois ».

S.IV.- TOUTE-PUISSANCE TRÈS INSOLENTE ET TRÈS ARROGANTE DE LA


FAMILLE DU CHEF DE L’ÉTAT
La famille du chef de l’État comorien se caractérise par un comportement
qui la fait honnir par toute la population. C’est un comportement insolent et
arrogant. Aux Comores, deux acteurs politiques ont logiquement accédé à la
Présidence de la République : Ahmed Abdallah Abderemane (1978-1989) et
Mohamed Taki Abdoulkarim (1996-1998). Ahmed Abdallah Abderemane
est entré en politique en 1946, a été président du Conseil de Gouvernement
de 1972 à 1975, premier président des Comores indépendantes du 6 juillet au
3 août 1975, avant de reprendre le pouvoir du 13 mai 1978 au 26 novembre
1989. Il avait été également Sénateur des Comores à Paris.
Dans le cas de Mohamed Taki Abdoulkarim, on dit qu’il était prédestiné,
donc destiné à devenir président de la République. En réalité, il n’existe pas
un seul observateur sérieux qui doutait de l’élection, un jour, de Mohamed
Taki Abdoulkarim à la Présidence de la République. Même lors des heures
les plus sombres de sa longue et tortueuse carrière politique, ses chances de
devenir président des Comores étaient intactes. En 1996, alors que j’étais au
Maroc pour mes études supérieures, un étudiant originaire d’un village de la
Grande-Comore me dit pourtant ceci : « D’après nos anciens, tout politicien

1 Aurillac (Michel) : L’Afrique à cœur. La coopération : un message d’avenir, Éditions


Berger-Levrault, Collection « Monde en devenir », Série « Bâtisseurs d’avenir », Paris, 1987,
pp. 199-200.

126
grand-comorien ayant une certaine renommée pourra diriger les Comores,
mais pas Mohamed Taki Abdoulkarim ». Or, Mohamed Taki Abdoulkarim a
été élu président des Comores le 16 mars 1996. On m’expliquera par la suite
que c’est à cause de la prophétie des anciens que Mohamed Taki Abdoulkarim
mourut prématurément dans des conditions ténébreuses le 6 novembre 1998 et
que son régime politique a été fortement perturbé par la violente et interminable
crise séparatiste qui avait éclaté à Anjouan le 16 février 1997.
Alain Deschamps disait de Mohamed Taki Abdoulkarim, surnommé « le
bien-aimé » : « Pourtant il ne doutait pas que, son père, fameux pour son art
divinatoire, l’avait prédit à la naissance, il serait un jour le maître des
Comores »1.
Il a fallu signaler le cas particulier d’Ahmed Abdallah Abderemane et celui
de Mohamed Taki Abdoulkarim pour expliciter que les familles des chefs
d’État qui avaient logiquement visé la magistrature suprême avant d’arriver
à leur but auraient dû être mieux préparées à gérer mentalement le pouvoir
que celle du « président cocotte-minute » ou « président micro-ondes » dont
le modèle le plus emblématique et l’échantillon « le plus représentatif » sont
incarnés par Saïd Mohamed Djohar, Assoumani Azali et Ikililou Dhoinine.
Durant la longue présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane, le visage de
son épouse était inconnu du grand public. Le seul membre le plus connu de
la famille du président était Nassuf, son fils aîné, tout-puissant Directeur
général des Établissements Abdallah Fils et vice-président de l’Assemble
fédérale. Il ne manquait ni d’accusateurs, ni d’accusations. En même temps,
ses frères et sœurs se faisaient oublier, évitant soigneusement les remous.
Puis, les Comores entrèrent sous la présidence de Saïd Mohamed Djohar,
dès l’assassinat du président Ahmed Abdallah Abderemane dans la nuit du
26 novembre 1989. Un seul mot résume le grand scandale qu’avait été le
régime fort corrompu, incompétent et impopulaire de Saïd Mohamed Djohar
et sa famille : « Gendrocratie ». Le mot, volontairement caricatural, a été
créé spécialement pour ce régime politique dominé par la famille du chef de
l’État. C’était le régime politique des gendres, qui faisaient tout ce qu’ils
voulaient, dans un mépris total des sensibilités et susceptibilités du peuple
comorien. Le sérail de Saïd Mohamed Djohar régnait dans le Mal absolu.
La « gendrocratie » était une « structure » hiérarchisée, ayant son chef, le
gendre en chef : Saïd Abdallah Mohamed Mchangama, sans doute l’acteur
politique le plus controversé et l’un des plus méprisés et détestés des Comores.
Ce que dit de lui la presse nationale et internationale n’a jamais milité en sa
faveur. Son passage au sommet de la « gendrocratie » ressemble à un roman
d’espionnage et de politique fiction. On apprend ainsi qu’il « [...] passe pour
l’éminence grise de M’rodjou [le palais présidentiel sous Ali Soilihi et Saïd
Mohamed Djohar]. On lui prête des pouvoirs exorbitants et de faire et de

1Deschamps (A.) : Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœla-


canthe, op. cit., p. 182.

127
défaire les hommes. Ce qui lui vaut de solides rancœurs. [...]. Ses adversaires le
qualifient d’aventurier. Ses collaborateurs lui reconnaissent une grande
capacité de travail et de conceptions très européennes de la vie politique »1.
En réalité, Saïd Abdallah Mohamed Mchangama, rentré aux Comores lors du
scrutin présidentiel de 1990 en compagnie du Mohamed Taki Abdoulkarim, n’a
pas de « conceptions très européennes de la vie politique », mais celles d’une
« Républiquette » bananière. Il s’était arrangé pour se marier à la fille de Saïd
Mohamed Djohar entre les deux tours du scrutin présidentiel de 1990. L’affaire
avait beaucoup scandalisé les Comoriens, pourtant habitués à la malhonnêteté
et à la veulerie de leurs dirigeants. Les mariages de prospérité sont une réalité
aux Comores.
Notons que, « impliqué dans une escroquerie internationale à l’assurance-
crédit et de multiples autres trafics, Mchangama doit à tout prix, pour échapper
à un mandat d’arrêt international, conserver sa “couverture” diplomatique en
maintenant en place l’actuel chef de l’État, qu’il tient grâce à un chantage
sordide concernant une affaire de mœurs »2.
Les révélations les plus fracassantes sont faites par Mireille Duteil : « Au
centre de la poudrière comorienne, un homme : Mohamed Mchangama,
gendre du chef de l’État et actuel président de l’Assemblée nationale. Il est
l’homme fort de l’“archipel aux parfums”. Rentré aux Comores dans les
bagages de Mohamed Taki, principal opposant à Djohar, lors de l’élection
présidentielle de 1990, Mchangama quitte Taki pour le nouveau chef de l’État
après la victoire de ce dernier. Il va épouser la fille aînée du président, sa
préférée, Lili. Impliquée en Europe dans une escroquerie internationale à
l’assurance-crédit, Mchangama est nommé… ministre de l’Économie et des
Finances. Ce qui lui permet de mettre sur pied de nombreux trafics juteux.
Au printemps 1992, le gouvernement de Moroni servira d’intermédiaire
pour la livraison d’armes à une faction somalienne. “Faux passeports,
blanchiment d’argent sale : Mchangama est dans tous les coups”, confirme
un haut fonctionnaire français. Il va aussi, ce qui est politiquement grave,
devenir le relais, dans l’archipel, de la République islamique d’Iran. En
novembre [1993], une perquisition dans les milieux islamistes de France a
permis de découvrir des documents prouvant que des fonds iraniens à
destination du FIS algérien passaient par la Banque internationale des
Comores, à Moroni. Si Mchangama fait la pluie et le beau temps, c’est qu’il
s’est acheté la complicité de son président de beau-père, sur lequel il exerce
un chantage grâce, paraît-il, à une sordide affaire de mœurs. […]. À Paris,
on affirme qu’il n’est pas question de le voir s’installer à la présidence »3.

1 Hassani (Mohamed) et Moindjié (Ali) : Le conseiller spécial du président à cœur ouvert, Al-
Watwany n°172, Moroni, 24-30 août 1991, p. 16.
2 Vincent (Thierry) : Comores. Mascarade électorale, Jeune Afrique n°1722, Paris, 6-13

janvier 1994, p. 10.


3 Duteil (Mireille) : Scoop. Poudrière comorienne, Le Point n°1120, Paris, 5 mars 1994, p.

21.

128
Comme la « gendrocratie » ne reculait devant aucun obstacle juridique,
institutionnel ou moral pour s’enrichir, les gendres et les enfants de Saïd
Mohamed Djohar avaient trempé dans toutes sortes de combines, dont des
crimes qui alimentaient le terrorisme international : « Environ 160 jeunes
Comoriens sont partis étudier en Iran. Sur place, ils sont pris en charge par
le Front islamique de Libération des Comores. Quelques dizaines d’entre
eux ont été envoyés en Afghanistan se battre aux côtés des moudjahidin.
Certains sont rentrés au pays, une douzaine sont en Algérie, intégrés au sein
du GIA (Groupe islamique armé), auteur d’attentats antifrançais […] »1.
Le Comorien Abdallah Mohamed Fazul, représentant personnel d’Oussama
Ben Laden en Afrique orientale et planificateur des attentats terroristes du 7
août 1998 contre les ambassades des États-Unis au Kenya et en Tanzanie, est
issu de ce groupe d’étudiants. Au départ, il devait étudier la Médecine à
Rawalpindi, au Pakistan. Il finira horriblement sa vie sous des bombes de
l’Armée des États-Unis en Somalie, le 8 juin 2011. Aucun compte n’a été
demandé à la « gendrocratie » après des développements aussi dangereux.
L’article de Mireille Duteil avait tellement dérangé le gendre en chef que
ce dernier avait payé et dépêché ses séides devant les grilles de l’ambassade
de France aux Comores pour protester contre « l’outrage ». Le gendre tenait
à montrer qu’il était populaire aux Comores, y avait des partisans et que
l’égratigner consistait à faire injure à l’État comorien lui-même. Comment
pouvait-il être populaire alors que, lors des élections législatives de 1992, il
avait été battu dès le premier tour et qu’il avait fallu dissoudre l’Assemblée
fédérale moins d’une année plus tard pour le faire « élire » par la force de la
fraude électorale, lui attribuer dans l’inconstitutionnalité la présidence de
l’Assemblée fédérale (un poste qui revenait à Mohéli, le chef de l’État étant
de Grande-Comore, et le Premier ministre d’Anjouan) ? La présidence de
l’Assemblée fédérale était de nature à lui conférer l’immunité le mettant à
l’abri de nombreux de mandats d’arrêt à caractère international.
En ce qui la concerne, La Lettre de l’océan Indien signale : « Mchangama est
considéré comme un redoutable affairiste […]. Quelques années plus tard, il
s’est installé au Danemark où il a monté successivement plusieurs affaires qui
ont fait faillite, d’où quelques sérieux ennuis avec la justice »2. Le gendre, très
culotté, fit accréditer la rumeur infondée selon laquelle il aurait réussi dans les
études supérieures et dans les affaires quand il était au Danemark.
La « gendrocratie » est même accusée d’espionnage : « Dans son édition du
19 novembre [1991], le journal parisien France-Minute publie que M.
Mohamed Saïd Mchangama, notre ministre des Finances, est un agent des
services secrets israéliens appelés Mossad. L’information provient d’un télex
émanant du lieutenant-colonel Da Silva (coopérant français à Moroni) [...] »3.

1 Duteil (M.) : Scoop. Poudrière comorienne, op. cit., p. 21.


2 Regard de la presse étrangère, Miandi n°24, Moroni, 16-30 septembre 1991, p. 4.
3 Psychométrie. Négative : Saïd Mchangama, L’Unité n°1, Moroni, 7 décembre 1991, p. 7.

129
Maintenant, examinons la composition du gouvernement nommé le 26 août
1991. Nous constatons que deux des gendres de Saïd Mohamed Djohar y
détiennent un portefeuille ministériel : l’inégalable et inimitable Saïd Abdallah
Mohamed Mchangama et son ennemi intime Saïd Mohamed Sagaf. Dès lors,
ce gouvernement inédit aux îles Comores « présente de graves faiblesses, en
particulier par son caractère “familial”. Deux des gendres de M. Djohar y
détiennent des portefeuilles : MM. Mchangama et Sagaf. [...]. M. Sagaf n’a
jamais brillé par ses compétences [...] »1.
Pourtant, les rivalités au sein de la « gendrocratie » ne manquent pas. Même
le voyage effectué aux Comores en 1990 par le président français François
Mitterrand se trouve au cœur de la haine et du mépris entre Saïd Abdallah
Mohamed Mchangama et Saïd Mohamed Sagaf : « C’est le gendre Mohamed
Saïd [Mchangama] qui vient de l’emporter sur le gendre Sagaf. Surtout que la
femme du premier avait une revanche à prendre depuis la visite du Président
Mitterrand chez la femme du second »2.
Quand fut annoncée la composition du gouvernement du 6 janvier 1992, Saïd
Mohamed Sagaf constate qu’il n’y détient aucun poste ministériel : « Cet autre
gendre pique une colère noire. Il n’est pas du tout content. Et pour cause : il
n’est pas reconduit, le pauvre. Du coup le mal-aimé monte une délégation des
environs de Mitsamiouli pour demander à “Papa” de le réinclure dans le
gouvernement. Trop tard. Défera-t-on la nouvelle coalition élargie pour caser
le gendre ? Ce n’est pas exclu »3.
Malgré le statut d’aristocrate et de bourgeois qu’il s’accorde et que lui ont
reconnu les siens, à la Grande-Comore, Saïd Mohamed Sagaf est impliqué dans
de nombreux cas de vol d’argent public, dont le détournement du chèque émis
par les Émirats Arabes Unis pour le paiement de la bourse des Comoriens qui
étudiaient à l’étranger. Les scandales dans lesquels est impliqué cet homme, qui
a même été ministre des Affaires étrangères, sont innombrables, et l’intéressé
se pare de son statut de « descendant du Prophète » et de « grand aristocrate de
la ville de Mitsamiouli », des prétentions dont ne veulent pas entendre parler les
Comoriens des autres îles.
La « gendrocratie » rackette même les Comoriens partant en pèlerinage aux
Lieux Saints de l’Islam, en Arabie Saoudite.
Par ailleurs, il est important de noter que le scandale le plus médiatisé de la
« gendrocratie » est incontestablement l’affaire Intertrade, du nom de la firme
italienne qui allait se faire voler par la famille de Saïd Mohamed Djohar en
toute impunité, jusqu’à un douloureux dénouement intervenu en 2012-2013,
sous la présidence d’Ikililou Dhoinine : « À l’époque, pour permettre aux
Comores d’avancer dans leurs négociations avec le FMI, Mohamed Ali

1 La Lettre de l’océan Indien, citée par Miandi : Regard de la presse étrangère, Moroni, 16-30
septembre 1991, p. 4.
2 La bataille des gendres du président, Miandi n°17, mars 1991, Moroni, p. 10.
3 Psychométrie. Négative : Saïd-Mohamed Sagaf, L’Unité n°2, Moroni, 13 janvier 1992, p. 7.

130
Soilihi avait accepté que les 27 milliards de francs liés au scandale de
l’Intertrade, imputable à Saïd Abdallah Mchangama, gendre du président
Saïd Mohamed Djohar, devenu milliardaire à l’époque, soient inclus dans la
dette internationale des Comores. Les Comores n’avaient pas le choix et
devaient assumer l’escroquerie d’un homme et de sa bande, parce que la
société italienne Intertrade considérait que dans l’affaire, Saïd Abdallah
Mchangama avait agi au nom de l’État comorien. Aujourd’hui, toute honte
bue et par la complaisance de ses amis, ce dernier est devenu le plus grand
donneur de leçons des Comores »1. C’est ainsi que l’État comorien a endossé
toute la responsabilité financière d’une escroquerie commise par un clan.
L’affaire Intertrade est tout simplement une grosse escroquerie liée à une
affaire de trafic international de matériel de travaux publics à destination de
l’étranger, les Comores ne servant que de couverture. D’ailleurs, ce matériel
n’a jamais été vu aux Comores.
Dans ce scandale, on retrouve un grand nombre de membres de la « famille
présidentielle » de Saïd Mohamed Djohar : l’inévitable et inégalable Saïd
Abdallah Mohamed Mchangama, le gendre Saïd Mohamed Sagaf, à l’époque
Conseiller spécial du chef de l’État, le gendre Mohamed Halifa, Gouverneur
de la Banque centrale des Comores, et les fils Anis et Salim Djohar.
La société Air Comores existait avant même l’accession des Comores à
l’indépendance. La famille de Saïd Mohamed Djohar l’a offerte à un escroc
mauricien qui se faisait appeler Rowland Ashley et qui se faisait passer pour
un Anglais, alors que son vrai nom est Moonlem Simsamy, qui était activement
recherché par Interpol. C’est un fils de Saïd Mohamed Djohar qui a limogé le
Directeur d’Air Comores avant d’offrir cette entreprise publique à l’escroc
mauricien Moonlem Simsamy comme s’il s’agissait d’une simple sucette.
Quand la famille de Saïd Mohamed Djohar se rendit compte qu’elle venait de
se tromper sur la personne à qui elle avait offert Air Comores, elle incendia le
siège de l’entreprise publique, qui disparut à jamais sous les flammes, volant au
passage tout l’argent de la billetterie d’Air France aux Comores, la billetterie en
question étant assurée à l’époque et à Moroni par Air Comores. Ce scandale
dans le scandale a fait fuir à jamais Air France aux Comores, livrant le pays à
des compagnies aériennes dont la Yemenia, qui transportait les Comoriens dans
des cercueils volants, dont l’un s’est crashé aux Comores le 29 juin 2009.
Ahmed Wadaane Mahamoud a dressé une liste impressionnante des scandales
de la « gendrocratie »2, dont ne parle Saïd Mohamed Djohar que dans la moitié
d’une page de ses Mémoires publiés à titre posthume, avec l’évidente volonté
de dire qu’il ne s’agit que de la calomnie des grincheux haineux et des jaloux.
Saïd Mohamed Djohar a été d’une mauvaise foi totale sur cette affaire.

1 Riziki Mohamed (Abdelaziz) : Mohamed Ali Soilihi. Les Comores à cœur et dans l’âme,
L’Harmattan, Paris, 2015, pp. 97-98.
2 Mahamoud (Ahmed Wadaane) : Scandales politiques en série. Le cri du Président

Djohar : « La France m’a déporté », Les Éditions de l’Officine, Paris, 2001 (359 p.).

131
L’arrogance familiale devient une institution nationale sous la junte militaire
d’Assoumani Azali. Ambari Darouèche, épouse légitime de ce putschiste, était
surnommée « La Générale ». Illimités en fait, son pouvoir et son influence lui
permettaient tout. Quand le téléphone portable fit son entrée très tardive aux
Comores, seuls les appareils vendus par la voleuse et partouzeuse Ambari
Darouèche fonctionnaient avec les puces électroniques de Comores Télécom.
Djounaïdi Soilihi, alors puissant Directeur des Impôts, était un de ses amants,
et jouissait de la liberté de faire ce que bon lui semblait. Djounaïdi Soilihi était
l’un des plus grands voleurs sous la junte militaire, se permettant même de se
présenter à l’ambassade de France aux Comores avec une mallette contenant
100 millions de francs comoriens (200.000 euros) pour l’achat d’une propriété
immobilière de la mission diplomatique. L’affaire fut un scandale et Djounaïdi
Soilihi se retrouva en prison. Durant ces quelques minutes de désagrément, il
ne composait qu’un seul numéro de téléphone : celui d’Ambari Darouèche, qui
ne laissa pas moisir trop longtemps l’un de ses jeunes amants favoris en prison.
Rapidement, la rapace et kleptocrate Ambari Darouèche est devenue la vraie
« propriétaire » de Comores Télécom, dont elle détroussait les caisses chaque
semaine. Elle finit par s’offrir un immeuble à Marseille, une propriété dans un
pays du Maghreb, des actions dans une banque, etc.
Lors de la junte militaire, deux personnes handicapées s’étaient présentées
devant la Présidence de la République, et avaient sollicité une audience auprès
d’Ambari Darouèche. La maîtresse des céans s’était approchée d’elles avant de
leur dire que ce n’était elle qui était la cause de leur handicap. Elle leur tourna
le dos de la manière la plus violente et la plus inhumaine qui soit.
Ceci est d’autant plus vrai que, dans une poignante vidéo qui a été postée
sur YouTube début août 2017, « Ziegler », un ancien handicapé comorien
très suivi sur les réseaux sociaux et vivant à Marseille, met en lumière la
cruauté et l’inhumanité d’Ambari Darouèche, même si par la suite, il subira
des pressions pour présenter des excuses : « La Première Dame, on lui met
des tubes en métal aux pieds. On a troué ses pieds, on lui met des fers. La
voilà atteinte de cancer. […] ».
S’adressant à Assoumani Azali, il dit : « Te souviens-tu du jour où je suis
arrivé devant la Présidence, en compagnie d’un autre handicapé, qui portait
une petite béquille ? Il s’appelle Papa. Elle nous a dit : “Dégagez ! Ce n’est
pas moi qui vous ai demandé de naître handicapés”. C’est ta femme, Ambari,
qui l’a dit. Dieu lui a rendu la monnaie de sa pièce : maintenant, elle est
devenue comme nous. On lui met des tubes de fer aux pieds. Je le répète :
j’étais en compagnie d’un frère de Mboudé-Bambao, handicapé comme moi,
qui portait une petite béquille en fer et qu’on appelait Papa, de Mboudé-
Bambao. Nous étions arrivés à la porte de la Présidence. Ta femme a
demandé : “Qui sont ces gens-là ?”. On lui répondit : “Ce sont des
handicapés qui sont venus te voir”. Elle lança : “Qu’ils s’en aillent parce que
ce n’est pas moi qui leur ai demandé de naître handicapés. Ce n’est pas moi
qui leur ai demandé de naître handicapés dans ce monde”. Aujourd’hui, elle

132
est plus handicapée que moi. Moi, j’ai été redressé et je marche, maintenant,
et elle, elle marche avec des tubes en fer ».
Mais, personne ne peut mieux présenter Ambari Darouèche que le discours
qu’elle produit en public pour insulter et menacer le peuple comorien, qu’elle
méprise de longue date. Cette femme vénale et immorale n’a même pas appris
à parler correctement en public. Ses partouzes ne lui ont pas appris la rectitude.
C’est ainsi que les Comoriens découvrirent avec horreur et stupéfaction la
vidéo postée sur YouTube le 16 mai 2018 et mettant en scène cette Ambari
Darouèche devant ses obligés et ses obligées. C’est une vidéo d’injures et de
menaces envers les Comoriens, sans le moindre respect.
Ahmed Ben Saïd Jaffar, cousin d’Ahmed Sambi, qui l’a tiré de l’anonymat
et de la médiocrité en le nommant ministre des Relations extérieures, Saïd
Larifou, l’ancien avocat franco-comorien interdit d’exercice sur le territoire
français, le Comorien le plus endetté des origines de l’humanité à la fin des
temps, le plus grand émetteur de chèques sans provisions de toute l’Histoire
des Comores, en étaient réduits au rôle humiliant de chauffage de salons et
de création d’ambiance sur le lieu des injures et de menaces, devenant même
des applaudisseurs laudateurs.
Du discours d’Ambari Darouèche, qui avait l’air d’être droguée, on retient
des mensonges haineux, des contrevérités fielleuses, des approximations très
indécentes et une autoglorification malsaine.
« Nous allons vers le “ouiˮ et le “nonˮ. Après ça, il y aura beaucoup de choses qui
ont été déjà décidées. Et malheur à toute personne qui ne sera pas avec nous : elle
ne connaîtra pas de bonheur. Nous avons demandé aux membres de l’opposition de
se joindre à nous parce que les choses n’étaient pas encore terminées. Nous les
avons suppliés, en leur demandant de venir apporter leur contribution. Ils ont dit
qu’ils n’allaient pas venir. Alors, la voiture est partie, et malheur à ceux qui ne
sont pas venus avec nous : ils ne connaîtront pas le bonheur.
Que celui qui ne vient pas enlève son enfant de la route sinon, il subira la scie aux
dents. Qu’il l’écarte de la route. Si les opposants ne comprennent pas, moi, je ne
peux pas défoncer une porte ouverte.
Ils ont des cailloux dans la tête, et je ne peux rien leur expliquer. Chassons-les avec
mépris. En venant ici, j’écoutais la radio. J’entendis quelqu’un dire qu’on
s’acheminait vers de graves troubles et que l’Accord-cadre de Mohéli n’empêchait
pas la stabilité du pays. Qu’ils viennent nous rejoindre alors. C’est l’Accord-cadre
de Mohéli qui a permis son avènement [Ahmed Sambi, dont le nom n’est pas cité
une seule fois]. C’est lui qui l’a ramené ici. […].
C’est lui [Ahmed Sambi] qui a créé les troubles jusqu’à entrer en conflit avec son
frère. Récemment, Azali a dit qu’il y avait une question de “Ndrimouˮ [Citron, à
Mayotte et Anjouan] et “Ndimouˮ [Citron à Mohéli et Grande-Comore], et vous
n’avez pas pu vous entendre. Il [Ahmed Sambi] n’a pu s’entendre avec Mohamed
Bacar, avec qui je suis né et grandi à la caserne de Pamandzi. Il disait “Ndrimouˮ
et moi “Ndimouˮ. Azali s’est entendu avec les frères, dont Abeid, et récemment,
nous nous sommes rencontrés là-bas, en France. […].
Moi, je parle parce qu’il croit qu’il [Ahmed Sambi] est le seul qui connaît les

133
injures. […]. Qu’ils fassent attention à ce qu’ils disent. […]. Pour être mère, on
n’a pas besoin d’être une vieille femme. Moi, je suis la mère de la nation. Qu’ils
l’acceptent ou pas, c’est moi. […].
Cette nouvelle Constitution va venir et va nous dire quoi ? Elle nous demande de
changer les choses négatives en choses positives. Qui ne veut pas de choses
positives ? […]. S’ils ne veulent pas nous suivre, qu’ils se cherchent un autre Dieu
[…].
C’est pour cette raison qu’Azali va mettre en jeu son mandat car il y a des gens qui
font des moqueries sur sa volonté de le faire et d’abandonner provisoirement le
pouvoir. C’est lui [Ahmed Sambi] qui a taillé la Constitution à son costume en
2009, mais Dieu fera en sorte qu’il ne le porte pas une seconde fois. […]. Les
opposants disent qu’Azali veut s’accrocher au pouvoir. Il va s’accrocher au
pouvoir. Il va s’accrocher au pouvoir. Comme il fait de bonnes choses qui nous
sont profitables, il va s’accrocher au pouvoir, et c’est ce que nous demandons à
Dieu. […]. Pourquoi ne voulez-vous pas remercier Azali ? […]. Azali est né dans la
lumière et ne peut pas laisser la population dans les ténèbres. Comme il ne veut pas
que la lumière s’éteigne, il fait dormir sa nièce dans les locaux de la société
d’électricité.
[…]. Alors, pourquoi les gens s’affolent et s’embrouillent ? Il faut leur dire qu’ils
ne doivent ni s’affoler, ni s’embrouiller, et rien de ce qu’ils feront ne nous fera
bouger. […]. Quand nous étions au pouvoir, nous pouvions aller à Anjouan. C’est
quand il [Ahmed Sambi] est arrivé au pouvoir qu’il ne peut plus s’y rendre ? […].
Alors, je te somme de ne pas aborder des sujets que tu ne maîtrises pas. […].
L’enquête a été diligentée. Alors, je vous avertis : il ne faut pas affronter la mort
pour rien. Il ne faut pas affronter la mort pour rien. Il a dit à ses partisans que s’il
meurt, il faut que ceux-ci meurent pour l’accompagner dans la mort. […]. Que la
Justice fasse son œuvre. Je ne m’en mêle pas. Ça ne me regarde pas. Ceux qui lui
demandaient de rentrer aux Comores pour créer des troubles l’ont tous fui ».

Personne n’a fui Ahmed Sambi, qui n’a jamais demandé à ses partisans de
mourir avec lui. En mai 2018, Ahmed Sambi et Assoumani Azali ont prié
dans la même mosquée à Moroni. Alors que les fidèles avaient superbement
ignoré Assoumani Azali, des centaines de Comoriens acclamaient Ahmed
Sambi au sein du lieu du culte. Quand Ahmed Sambi sortit de la mosquée, il
se retrouva devant une foule de plus de 10.000 personnes, une foule qui était
présente pour l’acclamer au son de l’hymne national. Quant aux réalisations
supposées d’Assoumani Azali, elles sont une simple vue de l’esprit.
Et, la réalité est loin de donner raison à Ambari Darouèche.
En effet, dans un article intitulé « L’État internationalisé. Nouvelle figure de
la mondialisation en Afrique », portant sur le Congo-Kinshasa et l’État des
Comores et publié à la revue Étude en janvier 2007, avant sa reprise par le
site officiel du ministère français des Affaires étrangères, Thierry Vircoulon
remarque que « la privatisation de l’État, le “néo-paternalisme” de type
sultanique ou la “politique du ventre”, bref les racines de ce que la Banque
mondiale appelle la “mauvaise gouvernance” n’ont pas été éradiquées
durant la transition. Corruption et mauvaise gouvernance ont continué à

134
prospérer sous les yeux de la “communauté internationale” : aux Comores,
comme l’atteste la découverte de 40 millions d’euros dans des comptes à
l’étranger, le colonel Azali a pillé le Trésor public et distribué les contrats
publics à la coterie formée par ses proches ». Thierry Vircoulon a travaillé
au ministère français des Affaires étrangères, à la Commission européenne, à
l’International Crisis Group, à l’Institut français des Relations internationales
(IFRI) et également à l’Organisation de Coopération et de Développement
économiques (OCDÉ). Assoumani Azali n’a jamais osé porter plainte contre
lui pour diffamation.
Au lendemain de son retour au pouvoir frauduleux et anticonstitutionnel, le
26 mai 2016, sa famille devint plus prédatrice, arrogante et corrompue. Dans
la mesure où elle occupe tous les postes stratégiques ses prévarications et ses
concussions ont atteint des niveaux inégalés. Elle vole l’argent public au vu
et au su des Comoriens. Elle ignore superbement l’existence même du Code
des Marchés publics. Les commissions illégales sont devenues la règle, et
cela, sur tous les dossiers générant de l’argent.
Ambari Darouèche reprit ses méthodes des années 1999-2006, sans jamais
se soucier de la misère noire des Comoriens. Marie Mayobe, sa dangereuse
rivale sans statut matrimonial légal, vampirise totalement Comores Télécom
et la Comair Assistance (aviation civile), qu’elle noie sous des tonnes de
fausses factures, se faisant passer pour leur fournisseuse, alors qu’elle n’a
pas d’entreprise de fourniture de matériel de télécommunication et d’aviation
civile. Il s’agit d’une pure escroquerie au détriment de l’État et du peuple.
Au début de la première décennie 2000, Assoumani Azali a lancé le pays
dans la plus incertaine des aventures, en faisant de la formation militaire un
monopole pour les membres de la famille des officiers. C’est ainsi que l’un
de ses enfants atterrit à l’Académie royale militaire de Meknès, au Maroc.
Au lendemain du 26 mai 2016, le fils se voit confier la Cour martiale et le
camp militaire de Mdé, en Grande-Comore, où il incarcère en 2017, sans le
moindre jugement, même des Comoriens qui célébraient la fête de la fin du
pèlerinage aux Lieux Saints de l’Islam selon les critères communs à tous les
pays musulmans du monde. Le fils d’Assoumani Azali s’arroge également le
droit de jeter en prison des Comoriens qui, en juin 2017, priaient à Moroni
pour une reprise des relations diplomatiques entre les Comores et le Qatar.
Le fils d’Assoumani Azali est un tortionnaire et un criminel sadique tel son
père, l’assassin.
Un autre enfant d’Assoumani Azali faisait la pluie et le beau temps dans
une des banques installées aux Comores, jusqu’à ce que son père l’installe à
ses côtés pour voler les entreprises étrangères voulant investir aux Comores.
Son père veut en faire le futur président des Comores, et c’est la raison des
tripatouillages de la Constitution qu’il a organisés le 30 juillet 2018.
Nommé secrétaire général du gouvernement, un domaine dans lequel il n’a
aucune compétence, son neveu Hamadi Idaroussi s’attribue des prérogatives
d’un Premier ministre, déstabilisant toute l’activité d’un gouvernement déjà

135
gangrené par la corruption et l’incompétence. Le narcissisme arrogant de
celui qui a été surnommé « Tonton-m’a-dit » tourmente et exaspère le peuple
comorien, qui l’exècre, le maudit et le déteste profondément.
Dans cette sinistre saga mafieuse à caractère familial, on ne saurait passer
sous silence la grande et inquiétante arrogance des Mohéliens de Beït-Salam
(Palais présidentiel), dont le règne lamentable (2011-2016) s’est terminé de
manière lamentable et dans la confusion et l’opprobre le 26 mai 2016, après
avoir préparé dans la fraude et l’inconstitutionnalité l’arrivée au pouvoir du
putschiste Assoumani Azali, qui avait quitté la Présidence de la République
le 26 mai 2006 sous les huées, injures et malédictions des Comoriens.
Le chef de cette organisation criminelle constituée des Mohéliens de Beït-
Salam était incontestablement Hadidja Aboubacar, épouse Ikililou Dhoinine,
surnommée Madame ou Maman. Très caractérielle, narcissique, autoritaire
et méprisante, elle était le centre du pouvoir des Mohéliens de Beït-Salam,
déployant une haine inégalée et une inimitable irresponsabilité.
Hadidja Aboubacar a monté l’opération rial, supposément pour collecter de
l’argent pour les orphelins. Les Comoriens se mobilisèrent pour cette noble
cause, dont la seule bénéficiaire a été Hadidja Aboubacar. Elle adressait des
demandes de fonds à tous les Directeurs d’entreprises publiques. Pourtant,
ces demandes de fonds n’avaient aucune base légale, tout comme elles ne
reposaient sur aucune nécessité d’intérêt général.
La corruption, base du caractère et du comportement de Hadidja Aboubacar
quand elle régnait sur les Mohéliens de Beït-Salam, équivaut à la décadence
morale des chefs musulmans après le Prophète Mohammed et les 4 Khalifes
bien guidés : « D’ardents et exaltés, ils devinrent cyniques et cupides. La
frénésie de jouissances à laquelle ils s’étaient livrés n’avait pas seulement
tari la puissance physique de la race. Elle avait désagrégé ses qualités
morales. Ici encore, il n’y eut point “l’indécise continuité des nuances
intermédiaires”, mais une sorte de renversement général des valeurs.
L’avarice, la luxure, la fourberie et l’artifice remplacèrent peu à peu la
fierté altière, la générosité et l’honneur. La dégradation des caractères se
refléta dans les mœurs. Déjà l’on n’éprouvait plus le même respect pour les
préceptes de Mahomet, et l’on hésitait de moins en moins à violer ses
commandements. Comment aurait-il pu en être autrement, quand les Califes
eux-mêmes donnaient l’exemple de la corruption et de l’impiété ? […]. Leur
religion n’était plus qu’un formalisme rigide »1.
Hadidja Aboubacar et les siens pouvaient déshonorer, injurier, insulter et
agresser qui ils voulaient lors du règne des Mohéliens de Beït-Salam. Pour
eux, leur pouvoir leur donnait tous les droits, notamment celui de traiter tous
les autres Comoriens par le mépris. Le 19 décembre 2015, à Moroni, j’ai vu
des Comoriens jadis si fiers, si respectables et si respectés perdre tout amour-

1 Benoist-Méchin (Jacques) : Le loup et le léopard. Ibn-Séoud ou la naissance d’un


royaume, Albin Michel, Paris, 1955, pp. 69-70.

136
propre et se jeter aux pieds de Hadidja Aboubacar, au sens propre du terme,
sans le moindre respect pour eux-mêmes.
Hadidja Aboubacar était tellement détestée par les Mohéliens que ceux-ci
n’avaient pas hésité à l’humilier de la plus violente des façons en 2016, lors
de l’élection du Gouverneur de leur île. Malgré le mépris des Mohéliens à
l’endroit de Mohamed Saïd Fazul, ancien chef de l’exécutif de leur île, qui
avait laissé derrière lui un bilan entièrement négatif, en 2016, ils l’avaient
élu au second tour à 63,29% contre 36,71% pour Hadidja Aboubacar, dont
ils craignaient la dictature méprisante.
En mai 2014, les cousins et neveux d’Ikililou Dhoinine décidèrent de faire
éclater un énorme scandale contre les Mohéliens de Beït-Salam, publiant un
tract d’une virulence inédite aux Comores. Ce tract est intitulé « Kala Wa
Dala ». Chef-d’œuvre de la littérature politique la plus subversive et la plus
irrévérencieuse aux Comores, « Kala Wa Dala », devenu le père de tous les
tracts, avait constitué un scandale tellement énorme qu’il était lu même dans
les chancelleries. À la sortie de ce tract, il était de bon ton de se précipiter
auprès d’Ikililou Dhoinine et lui « présenter des condoléances attristées ». Il
était affecté comme un être humain qui venait de perdre un être cher.
De son côté, après avoir proféré des injures et lancé des menaces à Djoiezi,
Hadidja Aboubacar fit organiser un procès bâclé et fit jeter en prison tous les
cousins et neveux d’Ikililou Dhoinine soupçonnés d’avoir été associés à la
rédaction du fameux tract. Dès la sortie du tract, le comploteur pathologique
et obsessionnel Hamada Madi Boléro, Directeur du Cabinet du président en
charge de la Défense, m’appela au téléphone pour essayer de me convaincre
que Mohamed Larif Oucacha, son mentor, également cousin et Conseiller
d’Ikililou Dhoinine, était l’auteur du tract historique. Je lui ai expliqué deux
choses fondamentales : d’une part, Mohamed Larif Oucacha est très lié à sa
famille, et d’autre part, en homme courageux qu’il est, il a l’habitude de dire
ce qu’il veut sans se cacher derrière l’anonymat d’un tract.
En réalité, Hamada Madi Boléro voulait se venger de celui qui l’avait battu
lors des élections législatives de 2004 et qui l’avait accusé de ne pas être un
vrai Mohélien agissant pour les intérêts de Mohéli, mais d’être un Grand-
Comorien agissant pour la Grande-Comore contre Mohéli. Le comploteur
psychopathe de Beït-Salam arriva facilement à faire limoger Mohamed Larif
Oucacha peu de temps après la mise en circulation du tract en mai 2014.
En fin septembre 2015, à l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, Hadidja
Aboubacar exprimait devant moi ses regrets pour le soutien aveugle qu’elle
apportait sans discernement à Hamada Madi Boléro, notamment pour briser
la carrière de Mohamed Larif Oucacha. Or, en 2016, elle allait compter de
nouveau sur lui, et commettre des fautes monstrueuses, notamment par le
soutien crapuleux et hypocrite apporté à la candidature d’Assoumani Azali.
Ces observations étant faites, lisons certains passages du tract d’anthologie
« Kala Wa Dala », dont le grand mérite est d’avoir pu résumer tous les tares
et dysfonctionnements d’un régime politique à caractère familial sur deux

137
pages : « Gouverner un pays, ce n’est ni présider une équipe de football, ni
vendre des médicaments dans une pharmacie, ni gérer un champ d’ylang-
ylang à Dréméyani. Dans ce cas, il y a bien évidemment, une grande
différence. Monsieur le président, vous êtes ignorant et vous gouvernez dans
l’ignorance. Monsieur le président, vous n’êtes pas à la hauteur de pouvoir
gouverner un pays. Cela est évident puisque vous n’avez même pas pu gérer
votre propre famille.
Vous êtes un président anormal, stupide et idiot en plus. Vous n’êtes pas
politicien, vous ne connaissez rien en politique, vous n’avez aucun critère
d’un président. Vous ne pensez pas aux problèmes de votre peuple.
Ce qui vous préoccupe, c’est seulement votre famille (Haloua, Tété et
Hadidja) et vos amis. Vous ne craignez plus votre Seigneur. La sorcellerie
de votre méchante femme a endurci votre cœur et elle a engendré tant de
haines envers la population, en particulier envers les Djoieziens. […].
En plus, vos amis et ceux qui vous entourent sont des voleurs, des corru-
pteurs, des ignorants, des cancres, des illettrés, des minables, des personnes
méchantes, malhonnêtes, impolies et maladroites qui ont des mémoires
courtes et des esprits enfantins. […].
Nous concluons donc que vous êtes un formidable corrupteur, un excellent
voleur et un grand menteur. Vous n’utilisez ni le Droit, ni la justice. Vous
gouvernez dans l’injustice, dans la corruption et dans le désordre absolu.
Vous gouvernez également avec partialité. O peuple comorien ! Notre soi-
disant président est une véritable télécommande que certaines personnes
manipulent, à l’instar de Mahalouwa1 et Sitti Kassim.
Il est bien clair que le gouvernement actuel est sans doute dirigé par des
femmes. En tout cas, les Mohéliens ont bien élu un homme et non une femme.
O peuple comorien, Mahalouwa est bien supérieure à son mari. Elle fait ce
qu’elle veut. Ikililou lui obéit sagement, et toutes les décisions importantes
du gouvernement sont tranchées par elle.
Monsieur le président, après votre passation avec Sambi, nous sommes
certains que vous avez fait par la suite une autre passation en cachette avec
votre femme puisque c’est elle qui gouverne. […].
Regardez autour de vous : aucun membre de votre famille djoiezienne n’est
à vos côtés. Vous les avez tous écartés en obéissant à votre diable de femme.
Votre famille djoiezienne est en totale souffrance, sa vie ne ressemble pas à
celle de la famille d’un président. Leurs salaires sont misérables pour ceux
qui travaillent alors que la famille de Mahalouwa vit dans le luxe et la
richesse suprême.
Monsieur Iki, vous êtes un criminel et vous êtes sans doute la créature la
plus immonde que nous connaissons. Vous avez dévalisé à la fois directement
et indirectement les caisses de l’État pour organiser un grand mariage en
faveur de votre femme sorcière évalué à une centaine de millions de francs

1 Mahalouwa : La mère de Haloua, à savoir Hadidja Aboubacar, épouse Ikililou Dhoinine.

138
comoriens1. Ainsi, vous dépensez follement et de manière illicite l’argent des
citoyens pour votre propre intérêt. Et pourtant, le peuple vit extrêmement
dans la difficulté, la misère et la pauvreté. […].
Monsieur le président, vous et votre femme, écoutez bien. Nous ne sommes
pas sur le point de mourir de faim. Alors, épargnez-nous de vos misérables
enveloppes. Madame la présidente, nous ne voulons pas de votre minable
aide alimentaire. Nous sommes fiers du peu que nous possédons tandis que
vous êtes indigne puisque votre richesse est due à l’argent sale. Avez-vous
oublié votre passé ou plutôt vous faites semblant de l’ignorer ? Vous viviez
dans une cabane, et vous mourriez de faim, vous mangiez mal, vous dormiez
dans des conditions inhumaines. Ainsi, vous étiez une famille très pauvre.
Grâce à un Djoiezien, votre vie a changé. Mais, puisque vous êtes ingrate,
vous haïssez la ville de celui qui vous a donné cette belle vie et vous privez
sa ville natale des biens (nominations, formations, bourses, emplois…).
Vous adorez la sorcellerie mais cela ne nous étonne pas car votre mère
biologique est une véritable sorcière. Telle mère, telle fille. […].
Madame la présidente, nous avons quelques questions à vous poser : où est
passé l’argent de l’Opération Riyale ? Nous le savons. Tous les Anjouanais
ont refusé de céder leur compte. Quant à celui de Mwali et Ngazidja, l’argent
a été volé. Bien que le suspect numéro de cet acte barbare est Mahalouwa,
elle ose toutefois faire appel à une autre cotisation. Il va falloir que les gens
soient bêtes pour contribuer encore une fois à une telle masca-rade. […].
Monsieur le président, vous embrassez la philosophie du gouverneur
dénommé Djoudja2 (se servir et s’enrichir). De ce fait, vous avez organisé
une compétition entre vous (achats de terrains) pendant que Mahalouwa
dévalise les caisses de l’État. Chacun de vous veut avoir plus de terrains que
l’autre. Comme ça, après vos mandats, vous aurez acquis toutes les terres de
Mwali. Quant à Mahalouwa, elle sera milliardaire ».
Ikililou Dhoinine et Hadidja Aboubacar n’ont nullement eu l’intelligence
de banaliser ce tract, mais en ont fait une affaire d’État, lui donnant un écho
et un retentissement d’une rare intensité.
Soifiyoudine Dhoinine, frère du chef de l’État, était impliqué dans nombre
de scandales qui lui avaient permis de devenir millionnaire en euros. Il avait
jeté son dévolu sur le trafic de documents administratifs comoriens (cartes
d’identité, passeports et extraits de naissance) au Moyen-Orient. Il était au

1 Il s’agit, ici, du fameux « mariage d’État » de la petite sœur de la Première Dame, qui a eu
lieu à la mi-février 2014 à Fomboni et pour lequel il fallait absolument être vu dans la capitale
mohélienne. Le rôle de subalterne servilité joué par Assoumani Azali au cours de ce mariage
lui a valu le sobriquet de « lèche-bottiste », sobriquet spécialement créé par Kiki et qui me fut
communiqué au téléphone par Houmed Msaïdié Mdahoma, le nouveau « lèche-bottiste ».
2 Djoudja : Équivalent mohélien des quatre cavaliers de l’apocalypse. Ce surnom avait été

attribué à Mohamed Ali Saïd, Gouverneur de Mohéli de 2007 à 2016, corrompu notoire,
célèbre incompétent, affairiste immoral et inculte, qualifié en avril 2013 par un journal des
Pyrénées-Orientales de « dictateur africain peu fréquentable ».

139
centre d’un trafic parallèle de ces documents administratifs ayant enrichi un
certain nombre de Comoriens et d’étrangers dans des conditions qui donnent
le tournis. D’ailleurs, un jour, Soifiyoudine Dhoinine s’était présenté devant
un agent d’une banque à Moroni pour demander le placement de ses millions
d’euros sur un compte. Sa demande avait été rejetée puisque l’origine de ces
fonds n’avait pas été révélée, même si le doute n’était pas permis.
Formé en Biologie et en Informatique et n’ayant aucune compétence dans
le domaine de la diplomatie, Soifiyoudine Dhoinine sera pourtant nommé
par son frère « Conseiller du président de l’Union des Comores chargé du
suivi des dossiers européens ». Bien évidemment, il s’agit d’une nomination
de pure complaisance démagogique et criminelle.

140
L’entreprise publique Comores Télécom étant l’une des principales vaches
à lait de tout régime politique comorien, le règne des Mohéliens de Beït-
Salam n’a pas su en créer l’exception. Les Mohéliens de Beït-Salam ont usé
et abusé de Comores Télécom comme tant d’autres castes au pouvoir dans
un pays à la sinistre réputation, même pour l’étrangère de passage aux îles
Comores pour les besoins d’une enquête internationale sur les innommables
trafics mafieux des documents administratifs comoriens au Moyen-Orient :
« Les Comores sont un pays où règnent les hommes, pas les lois. Quiconque
peut enfreindre, bafouer et braver toutes les lois qu’il veut, tant et aussi
longtemps que l’homme du jour assure ses arrières »1.
Soifiyoudine Dhoinine est l’un des principaux bénéficiaires des trafics qui
ont été organisés autour et sur le dos de Comores Télécom. Par un étrange
tour de passe-passe dont les Républiques et les « Républiquettes » bananières
ont le secret, Soifiyoudine Dhoinine était devenu un partenaire stratégique de
Comores Télécom. Il n’avait même pas eu l’intelligence de créer une société
pour essayer de donner un semblant de légalité à son activité de trabendiste.
Sur le papier, il avait créé une société bidon, Luck Télécom, qui n’avait pas
d’existence légale ; mais, qui s’en souciait aux Comores alors qu’en région
parisienne, une enquête avait permis de constater que le frère du président
des Comores affabulait pour récolter des millions de francs comoriens sur le
dos des Comoriens ?
Notons qu’« en plus des centaines de millions de francs comoriens qui
provenaient de la “citoyenneté économique”, Soifiyoudine Dhoinine trouvait
un deuxième filon, grâce à une société absolument bidon. C’est ainsi que
“grâce” à Luck Télécom, celui qui avait été nommé par son propre frère
“Conseiller du président de l’Union des Comores chargé du suivi des
dossiers européens”, alors qu’il n’a aucune expertise en la matière, pouvait
continuer à s’enrichir indûment sur le dos des Comoriens.
La situation pouvait faire rire puisqu’il fallait faire semblant et déplacer
des “stagiaires” de Comores Télécom de Moroni au Val-de-Marne, en France,
pour des “stages” qui n’ont jamais eu lieu puisque Luck Télécom n’a jamais
existé. Les “stagiaires” résidaient chez des amis ou chez des membres de leur
famille en région parisienne, en bénéficiant d’indemnités de déplacement et
de “stage”, et pouvaient rentrer par la suite aux Comores après des semaines
de tourisme en France »2.
Maintenant, examinons la « convention de partenariat » entre l’entreprise
publique Comores Télécom et une « société industrielle et commerciale »
dénommée Luck Télécom, propriété personnelle et fictive de Monsieur Frère
Soifiyoudine Dhoinine.

1 Araxia Abrahamian (Atossa) : Citoyennetés à vendre. Enquête sur le marché mondial des
passeports, Lux Éditeur, Collection « Futur proche », Montréal, 2016, p. 36.
2 Riziki Mohamed (A.) : Mohamed Ali Soilihi. Vérités sur une élection aux Comores, op. cit.,

p. 94.

141
Il s’agit d’une immense escroquerie destinée à permettre au sérail de faire
un pas supplémentaire dans la voie de l’enrichissement illicite par trabendo.
Par ailleurs, le 22 août 2014, un habitant de Fomboni me faisait parvenir
par Internet des actes de vente de terrains au profit de Hadidja Aboubacar. À
ces actes de vente étaient jointes des plaintes, une décision de justice très
ampoulée et alambiquée, car Sa Majesté Impériale Hadidja Aboubacar était
impliquée dans l’affaire et ne pouvait avoir raison, et des photos montrant un
début de construction sur les terrains litigieux. Cette affaire soulevait des

142
problèmes très épineux parce que ces terrains relevaient d’un héritage qui
était alors indivis. La transaction était effectuée par un seul héritier, sur le
dos de 29 ses frères et sœurs, et à leur insu.
Hadidja Aboubacar le savait parfaitement, mais s’en moquait. Comment
pouvait-elle ignorer le caractère frauduleux de l’affaire alors que le vendeur
était son propre cousin et que l’héritage absolument litigieux était celui de
ses cousins et cousines, qui le tenaient de leur père, son propre oncle à elle ?
Reproduisons deux photos des terrains acquis frauduleusement par Hadidja
Aboubacar. On y voit un début de travaux de construction.

Dans son message, le plaignant souhaitait dénoncer « la corruption et les


abus de pouvoir concernant la Première Dame Anziza [Hadidja Aboubacar],
son frère et consorts. Le problème, c’est que mon père est mort en 2007. Il
avait un terrain de 10 hectares revenant aujourd’hui à ses héritiers, sachant
que nous sommes en tout 30 enfants. Il y a un enfant qui a commencé à
vendre les terrains sans le consentement des autres, de façon illégale. La
Première Dame et son frère […] ont acheté plus d’un hectare, de façon
illégale, pour 23 millions de francs comoriens. Nous, les héritiers de mon
père, avons entamé une action en Justice pour faire annuler tous ces actes
de vente. Le problème, c’est qu’Anziza et son frère, comme ils ont le pouvoir,
nous menacent sans arrêt, et la Justice est menacée, les juges sont menacés.
Ces personnes ne respectent pas la Loi. Elles sont la Loi. Il faut que tous les
Comoriens sachent ce qui se passe actuellement à Mohéli. Anziza utilise le

143
pouvoir pour intimider les magistrats et elle s’approprie des terrains de
façon illégale.
Dans cette affaire, il devait y avoir un arrêt de toute construction, mais elle
construit quand même pour montrer sa supériorité. Pour l’ordonnance
rendue par le juge des référés, il y a un Monsieur appelé Issoufa Hamada, le
Préfet actuel de Fomboni, mais Anziza a corrompu et utilisé le Préfet dans
cette affaire, et prétend avoir acheté le terrain de manière légale ».

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CHAPITRE III.
DES PRATIQUES SOCIOPOLITIQUES
REJETANT L’ÉTAT DE DROIT ET LA DÉMOCRATIE

Les Comores n’ont pas fait du Droit, de l’État de Droit, de la démocratie et


des droits de l’Homme des vertus cardinales. De ce fait, leur vie politique est
celle de ce qu’on appelle communément une République bananière, l’une
des versions les plus caricaturales et dramatiques des dictatures tropicales,
qui ont provoqué le malheur de leurs peuples.
D’emblée, on constate que la vie politique aux Comores se situe dans un
cycle de l’inconstitutionnalité, de l’illégalité et de l’illégitimité de la plupart
de leurs dirigeants. La réponse à toutes les questions qui se posent à ce sujet
se retrouve dans le rejet total et violent du primat du Droit. Autrement dit,
aux Comores, le Droit n’est pas reconnu comme une valeur fondamentale.
Nous allons étudier cette réalité à travers cinq facteurs déterminants de la
vie politique aux Comores : le putschisme comme mode d’arrachement du
pouvoir politique (S.I.), la fraude électorale comme mode d’accession au
pouvoir (S.II.), l’autocratie et la terreur comme moyens de maintien au
pouvoir (S.III.), un manque total de convictions civiques et politiques (S.IV.)
et le passage du monopartisme au multipartisme monocéphale (S.V.).

S.I.- LE PUTSCHISME COMME MODE D’ARRACHEMENT DU POUVOIR


POLITIQUE
L’étude du putschisme suggère la mise en lumière de la pratique des coups
d’État (§1.) et du mercenariat (§2.).

§1.- CULTURE ET PRATIQUE DES COUPS D’ÉTAT AUX COMORES


La culture et la pratique du coup d’État constituent une réalité africaine.
Elles résultent de la conjugaison de deux éléments complémentaires aux
effets dévastateurs : d’une part, l’extrême fragilité des institutions publiques,
et d’autre part, le refus des acteurs politiques africains de reconnaître tout ce
qui est en relation avec le primat du Droit.

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De manière générale, même si le putschisme a longtemps été l’un des faits
saillants de la vie politique dans certains États d’Amérique latine, force est
pourtant de reconnaître que cette irruption violente et illégale de la coercition
dans le fonctionnement des institutions nationales et dans la dévolution du
pouvoir, que l’africaniste Philippe Leymarie qualifie « caprices meurtriers
de brutes galonnées »1, est restée une réalité africaine.
Ceci est d’autant plus vrai que depuis les années 1990, il n’y a plus que sur
le continent africain que la succession au pouvoir se fait essentiellement par
la force des armes. Depuis les années 1960, ce putschisme revêt souvent un
caractère militaire2. Néanmoins, les coups d’État perpétrés par des civils sont
également légion. L’impressionnante et horrible liste que dresse le Marocain
Abderrahmane M’Zali explicite et prouve parfaitement l’ancrage de la force
comme mode de dévolution du pouvoir politique en Afrique. Dès lors, il est
nécessaire de noter qu’« au cours des années 1960 et 1970, les coups d’État
en Afrique étaient monnaie courante. Entre 1960 (début des indépendances
africaines) et 1982 (soit une année après l’arrivée des socialistes au pouvoir
en France), il y eut dans 45 États d’Afrique Noire, 56 tentatives de coups
d’État, dont 52 furent suivies d’un changement de régime et parfois d’assas-
sinat du chef de l’État par exercice, et 102 complots à caractère politico-
militaire »3.
De 1958 à 2008, Abderrahmane M’Zali a recensé 83 coups d’État sur le
continent africain4. On ne peut même pas compter les tentatives de putsch.
Dans le cas particulier des Comores, on compte habituellement 34 coups de
force, dont certains, une infime minorité, ont été suivis d’un renversement du
régime politique en place :
- Le 3 août 1975, Ali Soilihi renverse Ahmed Abdallah Abderemane,
- Le 13 mai 1978, Ahmed Abdallah Abderemane destitue Ali Soilihi,
- Le 26 novembre 1989, Ahmed Abdallah Abderemane trouve la mort au
cours d’un entretien musclé qu’il avait eu avec Robert « Bob » Denard et
certains de ses mercenaires, qui étaient censés le protéger,
- Le 28 septembre 1995, Robert « Bob » Denard et ses mercenaires chassent
du pouvoir Saïd Mohamed Djohar, qui sera déporté sur l’île française de
la Réunion, dans l’océan Indien,
- Le 6 novembre 1998, Mohamed Taki Abdoulkarim meurt empoisonné,

1 Leymarie (Philippe) : Du « pacte colonial » au choc des ingérences, in Afrique des malédi-
ctions, espoirs des Africains (Dossier), Le Monde diplomatique, Paris, mai 1993, pp. 14-15.
2 Lamghari-Moubarrad (Moulay Abdelaziz) : Pouvoir militaire et construction nationale.

Analyse de la dynamique d’une interférence à travers l’expérience des régimes militaires de


l’Afrique au Sud du Sahara, Thèse de Doctorat d’État en Sciences politiques, Université
Mohammed V, Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales, Rabat, 16 juin 1986
(559 p.).
3 M’Zali (Abderrahmane) : La coopération franco-africaine en matière de Défense,

L’Harmattan, Collection « Études africaines », Paris, 2012, p. 292.


4 M’Zali (A.) : La coopération franco-africaine en matière de Défense, pp. 292-295.

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- Le 30 avril 1999, Assoumani Azali, le chef d’État-major de l’Armée, qui
avait fui en slip pour aller se cacher à l’ambassade de France à Moroni
quand Robert « Bob » Denard et ses affreux renversaient Saïd Mohamed
Djohar le 28 septembre 1995, destituait Tadjidine Ben Saïd Massounde.
Ahmed Wadaane Mahamoud est sincère, mais se trompe lourdement dès
qu’il essaie de minimiser le nombre des coups d’État et des tentatives de
putschs aux Comores : « L’Agence France Presse a diffusé, le 28 septembre
1995, une chronologie d’informations selon laquelle “la République des
Comores a connu 17 tentatives de coups d’État réussies ou déjouées”, depuis
son indépendance proclamée le 6 juillet 1975. Et il y a eu “2 coups d’État de
plus, depuis septembre 1995” à nos jours. En tout, les Comores ont été
secouées, d’après l’AFP, par “19 tentatives de coups d’État réussies ou
échouées” ». Pour l’auteur, « il est vrai que l’histoire politique des Comores
est mouvementée et que l’alternance politique se concrétise souvent, non pas
par la force des urnes, mais par la force des armes. La chronologie dispro-
portionnée, répandue partout dans le monde par l’AFP, mérite d’être revue
et corrigée ». Et l’auteur conclut en soupirant : « Et si l’AFP rectifiait les
termes de la chronologie qu’elle a établie, sans pour autant occulter la
pratique condamnable des coups d’État répétitifs, ce serait, naturellement,
une marque de respect de l’Histoire de tout un peuple »1.
Ahmed Wadaane Mahamoud aurait bien gagné à lire le livre qu’Alain
Deschamps a consacré à sa mission d’ambassadeur de France aux Comores
de 1983 à 1987 : « Étouffée dans l’œuf, ce que dans son communiqué du 25
septembre 2003, le gouvernement de l’Union des Comores qualifie “d’opéra-
tion de déstabilisation conçue par un groupe d’aventuriers étrangers et
nationaux” mérite à peine de figurer avec le numéro 30 dans la longue liste
des coups ou tentatives de coups qui, depuis l’indépendance de 1975, ont
perturbé l’archipel aux sultans batailleurs, même si un de ces aventuriers
français, Philippe Verdon, est présenté par les autorités de Moroni comme
un mercenaire proche de Bob Denard, lequel aurait reconnu l’avoir rencontré
et le juge plus homme d’affaires que soldat et si cet homme d’affaires a non
seulement pris contact, sans succès, avec l’honnête commerçant Kalfane,
mais aussi avec le commandant Ayouba Combo, ancien de la GP et figure
notable des tentatives de coups de 1992 et 1995 »2.
Cette affaire est très emblématique de la culture et de la pratique des coups
de force aux îles Comores, où même les amateurs croient pouvoir chasser du
pouvoir le dirigeant du moment. D’ailleurs, en retenant cette affaire, il ne
sera pas difficile de se rendre compte qu’il s’agit d’une véritable tentative de
coup d’État, mais ainsi orchestrée par des putschistes de salon et de café de

1 Mahamoud (A. W.) : Scandales politiques en série. Le cri du Président Djohar : « La


France m’a déporté », op. cit., pp. 11, 13 et 15.
2 Deschamps (A.) : Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœla-

canthe, op. cit., pp. 187-188.

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commerce n’ayant aucune connaissance des mécanismes de préparation et
d’exécution d’un coup d’État.
S’agissant de cette affaire qui allonge la liste déjà interminable des coups
d’État réussis ou tentés, le comploteur paranoïaque Hamada Madi Boléro
considère qu’il faut la prendre au sérieux : « C’est à ce moment là que mes
services furent informés du coup de Maître Saïd Larifou, qui voulait se
rendre aux Comores en compagnie d’un journaliste professionnel de France
3, Aït Abouche, et de deux hommes dont Philippe Verdon, un proche de
Robert “Bob” Denard, pour créer les conditions d’un soulèvement populaire
à la malgache, dans le modèle de celui qui avait opportunément favorisé
l’avènement de Marc Ravalomanana.
Quelques jours plus tard, Maître Saïd Larifou arriva effectivement en
compagnie de sa petite troupe ; le journaliste Aït Abouche de FR3, les
accompagnait pour filmer et être au parfum de l’événement lorsque tout sera
terminé. Maître Saïd Larifou lança des demandes de manifestations pacifiques
dans plusieurs villes de la Grande-Comore en attendant la dernière qui
aurait lieu à Moroni, la capitale. Tous ses déplacements étaient surveillés
par les Services concernés afin d’éviter toute bavure. Mais, Philippe Verdon
commit l’irréparable car au lieu de rester inaperçu, et ignorant que déjà nos
Services connaissaient son passé, il avait été chargé de négocier avec les
officiers comoriens qui marcheraient avec Saïd Larifou.
Il se rendit chez le commandant Combo Ayouba et lui laissa un mot pour
que ce dernier le rejoigne à l’Hôtel Itsandra car, comme il le lui expliqua
lui-même au téléphone, ils avaient un ami commun. L’officier Combo Ayouba
qui n’ignorait pas la situation et avec qui j’entretenais d’excellentes relations
amicales et professionnelles, demanda à me rencontrer et me fit part de cette
situation. Ordre lui fut donné de continuer à le rencontrer, mais avec la
possibilité d’enregistrer leur conversation. La rencontre eut lieu la nuit dans
la voiture de Combo Ayouba, en face de l’hôtel Itsandra.
Philippe Verdon confirma à Combo Ayouba que s’ils étaient là, c’était
pour renverser le colonel Azali Assoumani par un soulèvement populaire ;
les premières manifestations étaient organisées pour préparer l’opinion et
pour que la population prenne part en masse à la dernière manifestation qui
aurait lieu à Moroni. Ce jour-là, ce sont les trois Français qui seraient en
tête du cortège qui se dirigerait vers le Palais présidentiel de Beït-Salam
pour renverser le colonel Azali Assoumani, qui “ne serait plus soutenu par la
France”. Lorsque Combo Ayouba l’interrogea sur la participation de la
France à cette opération, Philippe Verdon ne la confirma pas, se contentant
de la laisser entendre. Et il refusa de dire à Combo Ayouba, malgré son
insistance, l’origine des fonds utilisés. Philippe Verdon expliqua aussi à
Combo Ayouba que Saïd Larifou et lui avaient rencontré l’homme d’affaires
Amine Kalfane, qui les avait assurés de son soutien »1.

1 Madi Boléro (H.) : Au service des Comores. Tome II. La renaissance, op. cit., pp. 114-115.

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Ces précisions sont faites à dessein d’expliciter qu’aux Comores, il ne faut
jamais prendre à la légère les tentatives de coups d’État, qui peuvent émaner
des plus invraisemblables et des plus saugrenus des personnages.
Dès lors, comment expliquer, sur le plan sociopolitique ce déferlement de
coups d’État, comment le putschisme est-il devenu un des éléments de base
de la vie politique aux Comores ? Pour répondre à la question posée, il serait
nécessaire de partir du constat selon lequel le putschisme est entré dans les
mœurs politiques des Comores moins d’un mois après l’accession du pays à
l’indépendance, le 6 juillet 1975. Ce premier coup d’État est l’œuvre d’Ali
Soilihi et a été réalisé le 3 août 1975. On y retrouve le Français Robert
« Bob » Denard (1929-2007) quand le nouveau régime politique devait faire
déloger d’Anjouan l’ex-président Ahmed Abdallah Abderemane, auteur de
la déclaration unilatérale d’indépendance.
Un coup d’État aux Comores, moins d’un mois après l’accession du pays à
l’indépendance, est un acte de pure irresponsabilité, un acte qui prouve qu’à
la classe politique comorienne, il manque une réelle maturité. Ali Soilihi
disait qu’il fallait destituer Ahmed Abdallah Abderemane parce qu’il avait
engagé les Comores dans la mauvaise voie au regard de la place de Mayotte
au sein de la jeune République. Il l’accusait également d’avoir engagé les
relations entre les Comores et la France dans une voie sans issue.
Quelques jours après son coup de force réalisé avec une étonnante facilité
dans un pays sans Armée et dont il accusait la Garde des Comores d’être
incapable de « lutter contre des rats », Ali Soilihi allait être confronté à une
sérieuse épreuve du pouvoir, et cela pour constater que le fossé entre l’île de
Mayotte et les Comores était incommensurable et infranchissable. Autrement
dit, que ça soit avec Ahmed Abdallah Abderemane ou Ali Soilihi à la tête de
l’État comorien, les Mahorais ne voulaient pas entendre parler des Comores.
Pour récupérer le Sahara occidental, le Roi Hassan II avait eu le génie de
lancer la Marche Verte du 6 novembre 1975, prenant de court l’Espagne,
dont le dictateur Francisco Franco était mourant et est mort effectivement le
20 novembre 19751. Ali Soilihi voulait rééditer l’épopée du Maroc à Mayotte,
oubliant la continuité territoriale entre le Maroc et sa partie saharienne. Il
organisa sa Marche rose le 21 novembre 1975, mais par voie aérienne, et
celle-ci fut un immense et pathétique fiasco sans lendemain.
Dans l’interview qu’il avait accordée à Félix Germain pour Libération des 8
et 12 septembre 1975, Ali Soilihi déclare : « Une autre raison majeure du coup
d’État a été Mayotte ; Ahmed Abdallah allait publier le 4 août son décret sur la
nouvelle Constitution et préparait une “solution” pour les trois îles, laissant
Mayotte à l’écart… Nous ne pouvions pas rester impassibles. Il fallait lever
l’obstacle Abdallah à l’intégrité territoriale. Depuis plus de dix ans, l’erreur du
clan “vert” [parti conservateur] a été de vouloir imposer à Mayotte un groupus-
cule en y mettant les moyens contre la majorité qui soutient le Mouvement

1 Hassan II présente la Marche Verte (Collectif), Librairie Plon, Paris, 1990 (473 p.).

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populaire mahorais. Le 6 août, je suis arrivé à Mayotte et j’ai rencontré
Marcel Henry, que je connais de longue date, lui et le Conseil de son mouvement
semblaient d’accord pour collaborer avec nous. Mais le lendemain, malgré ses
promesses, Henry a fait un discours très dur contre nous, qui m’a fait un coup.
On dira que je suis un idéaliste, mais je crois à la parole des amis, et si on ne
peut plus croire les gens, inutile de continuer. Je suis donc retourné les voir »1.
Les plus proches collaborateurs d’Ali Soilihi aussi rendaient Ahmed Abdallah
Abderemane responsable de la division des Comores et de la rupture brutale de
toute relation avec la France. Pour preuve, le 20 juillet 1975, le Prince Saïd
Ibrahim, homme cultivé et d’une grande modération en tout, ancien président
du Conseil du Gouvernement et allié d’Ali Soilihi, disait d’Ahmed Abdallah
Abderemane : « Il a fait preuve d’intolérance, d’une méconnaissance profonde
de la psychologie des Français, de chantage à l’amitié et d’un manque d’égard
envers les parlementaires français... D’autre part, le régime actuel préfère les
méthodes oppressives à l’ouverture, et pratique l’ostracisme des leaders et des
intellectuels d’opposition. La France nous a apporté la République, c’est bien,
mais la démocratie est restée en France »2.
Il aurait fallu arrêter le processus d’accession des Comores à l’indépendance
et trouver une solution raisonnable et unitaire sur Mayotte en tant qu’île devant
faire partie effectivement de l’État des Comores en cours d’édification. Mais,
les autorités comoriennes avaient préféré donner raison au Professeur Mario
Bettati, quand il dit : « Nous manifestions contre la guerre du Viêt-Nam ou
contre d’autres conflits de décolonisation au nom du “droit des peuples à
disposer d’eux-mêmesˮ, et puis nous avons découvert qu’il s’agissait du “droit
des mêmes à disposer de leurs peuplesˮ »3. L’envie de pouvoir, comme c’est
souvent le cas dans un contexte de sous-développement, avait été forte que
les intérêts de la communauté nationale.
Ceux qui voulaient régner ne voyaient que leurs ambitions de pouvoir. Les
intérêts des Comores ne comptaient pas. Les incohérences dans l’attitude
d’Ali Soilihi étaient légion et très palpables. Selon Pierre Vérin, « malgré de
timides tentatives de rapprochement, le contentieux de l’affaire mahoraise
bloque toute réconciliation entre l’État comorien et la France. […]. Pour
qu’un tel arrangement soit trouvé, encore fallait-il le consentement des parties.
Or, les documents dont on dispose actuellement montrent bien qu’au milieu de
l’année 1976, cette négociation n’était plus souhaitée par Ali Soilih. Il fait, en
effet, au conseil des ministres du 18 juillet, une étonnante déclaration qui
montre que la réussite de sa révolution lui importait bien davantage. Ce texte
ne manquera pas d’étonner les Comoriens qui pensent qu’Ali Soilih campait

1 Cité par Vérin (E. et P.) : Archives de la Révolution comorienne 1975-1978. Le verbe
contre la coutume, op. cit., pp. 13-14.
2 Le Prince Saïd Ibrahim, cité par Riziki Mohamed (A.) : Comores. Les institutions d’un État

mort-né, op. cit., p. 38.


3 Laurentin (E.) : L’humanitaire peut-il être neutre ? (Table ronde par Emmanuel Laurentin,

avec Mario Bettati, Rony Brauman et Bernard Holzer), op. cit., p. 80.

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sur ses positions intangibles, alors qu’il renonce pour une idéologie à une
portion du territoire »1.
Du reste, il n’est pas inutile remarquer qu’au cours du conseil des ministres
du 18 juillet 1976, Ali Soilihi avait déclaré : « Je dois vous rappeler que nous
avons une autre solution pour avoir Mayotte cette année, c’est la négociation
avec la France. Il est possible dès maintenant d’accepter une négociation à
travers laquelle on peut rouler la France par des astuces et la faire sortir de
Mayotte sans qu’elle ne s’aperçoive de rien. Je m’inquiète quand même de
cette deuxième méthode, car il faut tenir compte de la révolution comorienne.
Elle semble être en marche maintenant sous réserve que nous ne rations pas les
principaux tournants. Toute négociation est neutralisation, c’est aussi couper
la poire en deux et je crains que par une négociation nous n’en venions à
retarder un peu l’élan révolutionnaire en acceptant certains aménagements
inévitables »2.
L’unité des Comores a été sacrifiée sur l’autel de la précipitation et des
ambitions personnelles, toujours incompressibles face à des politiciens sans
la moindre vision d’État, ni imagination. Ajoutons-en les lubies idéologiques
et révolutionnaires d’Ali Soilihi.
La responsabilité d’Ali Soilihi se situe à deux niveaux concomitants et
aussi dangereux l’un que l’autre. D’un côté, le chef de la Révolution aux îles
Comores a introduit la pernicieuse culture et la dangereuse pratique du coup
d’État dans un pays à l’unité politique très précaire et incertaine. D’un autre
côté, il est le premier acteur politique à avoir ouvert les portes des Comores à
des mercenaires, et surtout au plus dangereux d’entre eux, Robert « Bob »
Denard. Comment un dirigeant qui se disait « révolutionnaire » et champion
de la lutte « contre le colonialisme, le néocolonialisme et l’impérialisme » a
pu recourir à un mercenaire dont les aventures au Moyen-Orient et dans des
pays d’Afrique sont une longue traînée de sang, de cadavres et de deuils ?
Le 16 janvier 1977, Robert « Bob » Denard et ses mercenaires échouaient
lamentablement dans leur tentative de destitution du révolutionnaire Mathieu
Kérékou au Bénin. Les jeunes des Comités révolutionnaires d’Ali Soilihi
avaient fait de la belle bravoure de l’Armée du Bénin leur propre exploit,
n’hésitant pas à s’attarder sur la personnalité du peu recommandable Robert
« Bob » Denard, dont la première entrée aux Comores avait été financée par
leur chef, Ali Soilihi.
Par la suite, et plus précisément, le 13 mai 1978, le même Robert « Bob »
Denard renverse Ali Soilihi et intronise Ahmed Abdallah Abderemane. Ce
putsch soulève de nombreuses questions sur son financement et surtout sur
ses commanditaires. Certains affirment y avoir vu la main de la France, mais
tout en étant dans l’incapacité de prouver leurs affirmations. Toujours est-il
que ce coup de force met en avant et de manière très voyante Robert « Bob »

1 Vérin (P.) : Les Comores, op. cit., p. 173.


2 Cité par Vérin (P.) : Les Comores, op. cit., pp. 173-174.

151
Denard, qui allait rester aux Comores jusqu’au lendemain de l’assassinat du
président Ahmed Abdallah Abderemane le 26 novembre 1989.
Ce 26 novembre 1989, les Comores se retrouvent avec le corps sans vie de
leur président, des mercenaires qui étaient dans son bureau et qui en sortent
vivants, avant de prendre en otage tout un pays, prétendant par la suite que
c’est le Commandant Mohamed Ahmed Hazi, chef d’État-major des FAC, qui
était le cerveau de l’assassinat. Les mercenaires n’avaient même pas pris la
précaution élémentaire de s’assurer que le Commandant Mohamed Ahmed
Hazi était à Moroni, alors qu’il était à Anjouan, son île d’origine. Vraiment
pris de court, les mercenaires essayèrent de l’emmener de force à Moroni,
bombardèrent sa maison, sans succès. Robert « Bob » Denard et ses hommes
venaient de prouver qu’ils étaient les assassins du président des Comores,
mais ne seront jamais reconnus coupables de cet horrible assassinat qui avait
traumatisé même les plus farouches ennemis et adversaires du chef de l’État
mutilé et torturé. Il fallait une forte dose de mauvaise foi pour éviter de voir
la vérité qui s’offrait en face : un corps mutilé, celui d’un homme torturé.
Tout et son contraire ont été dits au sujet de l’implication de Robert « Bob »
Denard dans l’assassinat du président des Comores le 26 novembre 1989. Mais,
on ne pourra pas s’empêcher de remarquer que le Français a quitté les Comores
« après que le président Abdallah eut été assassiné en sa présence, voire de sa
main »1. Or, on verra un fils d’Ahmed Abdallah Abderemane se précipiter sur
Robert « Bob » Denard pour le féliciter quand le Tribunal de Paris venait de le
blanchir sur l’assassinat de son propre père ! Les Comoriens en parlent encore,
n’arrivant pas à comprendre l’origine d’un tel geste déshonorant et immoral.
Plus grave encore, les deux fils jumeaux Cheikh et Abderemane d’Ahmed
Abdallah Abderemane étaient impliqués dans la tentative de coup d’État du 26
septembre 1992. Ils étaient parmi les prisonniers de Saïd Mohamed Djohar, qui
était resté sourd à tous les appels à la clémence. La famille de l’ancien chef
d’État ne supportait pas l’idée de savoir que deux des siens moisissaient dans la
prison de Moroni avec d’autres personnalités.
Dans le film consacré à Robert « Bob » Denard, Salim, l’un des fils d’Ahmed
Abdallah Abderemane, dit qu’« on » avait dit à sa famille que pour libérer les
frères jumeaux, il n’y avait que l’homme qui avait assassiné le père au Palais
présidentiel dans des conditions inhumaines, des conditions qui évacuaient la
thèse de l’accident pour accréditer celle de la mise à mort programmée avec
une incroyable minutie et volonté de donner la mort. Et c’est ainsi que Robert
« Bob » Denard et ses mercenaires débarquèrent aux Comores le 28 septembre
1995 pour renverser Saïd Mohamed Djohar, et sans doute pour tenter de donner
bonne conscience à un homme qui avait laissé derrière lui une traînée de morts,
de militants torturés et de personnes handicapées à vie pour leurs idées et leurs
activités politiques de militants sincères.

1 Leymarie (Philippe) : L’adieu au « pré carré » africain, Le Monde diplomatique, Paris,

novembre 1994, p. 8.

152
Le 26 septembre 1992, des soldats des FAC alliés à des acteurs politiques
comoriens tentèrent de renverser Saïd Mohamed Djohar « [...] dit “Papa Djo”,
émérite pionnier, selon ses détracteurs, de la “gendrocratie” [...] »1. Cette
opération avait tourné court parce que certains de leurs cerveaux avaient trahi
leurs compagnons. Assoumani Azali était l’un de ceux qui avaient retourné leur
veste. Il s’était conduit avec une cruauté sauvage sur ses compagnons d’armes
dès qu’il s’avéra que le putsch avait échoué : « Le colonel Azali Assoumani, le
chef de l’armée comorienne, qui s’était signalé par le passé par sa brutalité
et son sadisme à l’égard des opposants »2.
Après l’échec de cette tentative de putsch, Assoumani Azali s’était rendu
chez l’officier Ahmed Abdallah dit Apache, l’avait criblé de balles, et avait
placé son corps sans vie et portant juste un slip sur un véhicule militaire pour
un tour de toute la ville de Moroni. Cette image d’assassin sadique lui reste
collée à la peau à vie et à mort.
Le 30 avril 1999, les Comores renouèrent avec les putschs. Assoumani Azali,
alors chef d’État-major de l’Armée, commit ce qu’il appela « le premier coup
d’État à 100% comorien », « pour sauver ce qui peut l’être ». Il récitait bien sa
leçon. Par la suite, Assoumani Azali prétendra que son coup de force est « un
coup d’État et non un coup contre l’État »3. Quelle légitimité avait-il pour
renverser l’ordre républicain et institutionnel ? Il n’en avait aucune. Il venait
de renverser Tadjidine Ben Saïd Massounde, devenu président par intérim, à
la suite de l’empoisonnement de Mohamed Taki Abdoulkarim, mort le 6
novembre 1998.
Or, il faut préciser que « le 6 novembre 1998, le président Mohamed Taki
Abdoulkarim décéda dans des conditions jamais élucidées. Le lendemain,
Azali Assoumani, chef d’État-major de l’Armée, réunit tous les officiers dans
la salle de conférences de l’État-major. Il déclara qu’il voulait prendre le
pouvoir par la force. Tout le monde fut silencieux. Le futur Général Salimou
Mohamed Amiri et deux autres officiers s’y opposèrent. Azali Assoumani
s’acharna haineusement sur les 3 hommes, radiant de l’Armée deux d’entre
eux, sanctionnant par blâme le futur Général Salimou Mohamed Amiri. Ça
ne faisait que commencer »4.
Du 6 novembre 1998, Assoumani Azali attendit jusqu’au 30 avril 1999
pour tuer par un coup de force aussi irresponsable qu’inutile la transition
politique qui s’opérait aux Comores. Il avait été derrière les troubles qui, à
Moroni, étaient dirigés contre les Anjouanais qui vivaient dans la capitale
des Comores. Saïd Mohamed Djohar avait bien explicité la responsabilité de
celui qui était encore chef d’État-major de l’Armée et qui croit toujours que

1 Lestrohan (Patrice) : Prises de bec. Comores à crédit, Le Canard enchaîné n°4006, Paris, 6
août 1997, p. 7.
2 Sanchez (J.-C.) : La dernière épopée de Bob Denard. Septembre 1995, op. cit., p. 130.
3 Assoumani (A.) : Quand j’étais président. Entretiens avec Charles Onana, op. cit., p. 81.
4 Riziki Mohamed (A.) : Mohamed Ali Soilihi. Vérités sur une élection aux Comores, op. cit.,

p. 284.

153
sans lui, les îles Comores ne survivraient jamais. C’est Assoumani Azali qui
avait été à l’origine des persécutions des Anjouanais à Moroni en avril 1999.
Il avait été convoqué exceptionnellement en conseil des ministres par le
Premier ministre Abbas Djoussouf, en présence de l’ambassadeur de France
à Moroni. Il lui avait été signifié qu’il devait sécuriser la ville de Moroni et
faire éviter aux Anjouanais le pogrom qu’ils subissaient. Il avait rétorqué en
disant que si Abbas Djoussouf était un vrai Premier ministre et Tadjidine
Ben Saïd Massounde un vrai président, ils n’auraient jamais dû se rendre à
Antananarivo, sur l’île de Madagascar, pour négocier avec les séparatistes de
l’île d’Anjouan. La même nuit, Assoumani Azali renversait le pouvoir légal
du pays, détruisant celui-ci par l’incompétence, l’incurie, la corruption, la
concussion, la prévarication, le népotisme et l’absence totale de tout esprit
civique.
Des années plus tard, plus exactement dans la nuit du 20 au 21 avril 2013,
des mercenaires d’origine africaine ont tenté de renverser Ikililou Dhoinine.
Tout est rocambolesque dans cette équipée. Le Colonel Youssoufa Idjihadi,
chef d’État-major de l’Armée, avait fui, éteignant ses téléphones portables, et
c’est un jeune officier mohélien qui s’était occupé des mercenaires. Hamada
Madi Boléro, Directeur du Cabinet du président chargé de la Défense, avait
prétendu être en Ukraine, alors qu’il était tout simplement chez son énième
maîtresse à Angers, en France. Mais, la chose la plus importante est dans le
fait qu’Assoumani Azali a été filmé en train de discuter avec les mercenaires
et que les vidéos montrant ensemble l’ancien chef de la junte militaire et les
« affreux » ont été sciemment détruites. Que faisait Assoumani Azali avec des
mercenaires d’origine tchadienne et congolaise qui étaient aux Comores pour
destituer et tuer Ikililou Dhoinine ?
Il ne s’agit pas de paranoïa et de conjectures, mais de pure réalité. Il fallait
évoquer le nom de Hamada Madi Boléro parce qu’il était impliqué dans cette
affaire. Hamada Madi Boléro, acteur politique censé être un Mohélien par sa
mère et un Grand-Comorien par son père, est totalement rejeté à la fois par
les Mohéliens et par les Grands-Comoriens, qui le trouvent tous malfaisant,
destructeur et néfaste. Il n’a aucun sens de l’intérêt public et ne se plaît que
dans ses fanfaronnades de « juriste » sans vraie maîtrise du Droit et dans les
complots, sans la moindre utilité pour le pays.
Hamada Madi Boléro a été le juriste qui n’avait pas hésité une seconde à se
mettre au service du putschiste Assoumani Azali au lendemain de son coup
d’État du 30 avril 1999. Il a été le Directeur de son Cabinet, son Premier
ministre de la Défense, le premier Directeur de l’ORTC, et l’exécuteur de ses
basses œuvres électorales par la fraude et le pervertissement de la vérité des
urnes. En janvier 2002, Assoumani Azali l’avait même nommé président de
la République par intérim en vue de lui préparer l’immense fraude électorale
qui allait lui permettre de sortir de son isolement diplomatique, à un moment
où même l’OUA avait décidé de ne plus reconnaître et admettre en son sein
les régimes politiques qui seraient issus des putschs. Hamada Madi Boléro

154
avait tellement perverti les résultats de l’élection présidentielle de 2002 que
les deux candidats qui étaient censés s’opposer à Assoumani Azali, chef de
la junte, au second du scrutin, qui a été affreusement et horriblement truqué,
avaient préféré s’en abstenir. Deux mois avaient été nécessaires à Hamada
Madi Boléro pour faire « valider » la fausse « élection » de son chef. Il était
parti à l’étranger débaucher des « juristes » absents des Comores au moment
du vote.
Cette explication est indispensable et permet de comprendre la complicité
de comploteurs liant Hamada Madi Boléro à Assoumani Azali, le premier
étant prêt à toutes les bassesses pour donner satisfaction au second depuis
qu’il a trahi dans la chair son chef dans une suite d’hôtel de Dubaï. Ambari
Darouèche en sait long sur le sujet. Il n’est pas inutile de préciser que le 22
janvier 2016, à Nairobi, Kenya, Assoumani Azali jurait que la personne à qui
il ne ferait jamais confiance n’est autre que Hamada Madi Boléro, qui allait
pervertir l’élection présidentielle pour faire fabriquer une « victoire » à un
candidat qu’il avait imposé au second tour et au troisième par la fraude.

§2.- CULTURE SPÉCIFIQUE ET PRATIQUE SUI GENERIS DU MERCENARIAT


La sociologie politique des Comores est fortement marquée par la culture
et la pratique du mercenariat. Ceci est d’autant plus vrai que moins d’un
mois après l’accession de ce pays à l’indépendance, les mercenaires, sous le
commandement de Robert « Bob » Denard, y ont fait irruption, à la demande
d’Ali Soilihi. Ces mercenaires étaient chargés de déloger Ahmed Abdallah
Abderemane de son île natale d’Anjouan. Par la suite, les Comoriens n’ont
plus entendu parler de mercenaires dans leur pays jusque dans la matinée du
13 mai 1978, quand le même Robert « Bob » Denard et ses « affreux » ont
renversé Ali Soilihi au profit d’Ahmed Abdallah Abderemane.
Sous Ali Soilihi, toutes les libertés publiques avaient été interdites. Il n’y a
aucune exagération dans l’affirmation selon laquelle le régime politique du
révolutionnaire Ali Soilihi était fait de terreur et de répression. Même divisés
et éparpillés, sans la moindre possibilité de réconciliation, ses partisans ont
l’habitude de trop valoriser son œuvre, accusant de « haute trahison » toute
critique négative sur elle. Sous Ali Soilihi, des Comoriens ont été tués sur les
îles d’Anjouan et en Grande-Comore. Les Mohéliens remplissaient la prison.
Pourtant, l’île de Mohéli n’était guère épargnée. L’épreuve la plus sévère
subie par Mohéli est consécutive à une pure mascarade électorale dans le pur
style des Républiques bananières. En effet, le malheur s’abattit à Mohéli au
lendemain du 28 octobre 1977, date à laquelle le chef de « l’État lycéen » avait
organisé une sorte d’élection pour que le peuple choisisse entre lui et son
« remplaçant », non désigné nommément. Il se passa alors une situation très
particulière, parce que les Mohéliens croyaient que le « remplaçant » devait et
ne pouvait être que Mohamed Hassanaly, le vice-président de la République,
d’origine mohélienne. En plus, cette élection très spéciale avait eu lieu à un

155
moment où l’impopularité d’Ali Soilihi était au zénith, en raison de la sourde
répression orchestrée par le régime politique révolutionnaire. Les Comoriens ne
voulaient pas entendre parler de la Révolution, de son chef et de ses Comités.
Quant à « l’élection » elle-même, elle constitue un cas d’école. Mohéli avait
voté à 97% contre Ali Soilihi, et avait préféré faire la sourde oreille quand le
très influent Soilihi Mohamed Soilihi disait que cette « élection » était un piège
tendu par Ali Soilihi. Les autorités avaient bourré les urnes, mais n’avaient
obtenu que 3% des voix. Ali Soilihi s’était vengé de Mohéli par l’envoi sur l’île
de sa terrifiante milice, le Commando Moissi, une milice composée de Grands-
Comoriens. La terreur s’abattit sur l’île de Mohéli pendant six mois1. Ce fut une
période horrible car, après la gifle électorale de Mohéli, Ali Soilihi s’était vengé
de la plus horrible des manières : interdiction d’être dans la rue au-delà de 18
heures, d’aller à la mosquée, d’adresser la parole à quiconque dans la rue, de se
déplacer d’un village à un autre, d’avoir de la lumière chez soi au-delà de 18
heures, de voyager de Mohéli vers une autre île, de se rendre d’une île vers
Mohéli, de circuler en voiture, etc. Les Mohéliens étaient des morts-vivants.
Mohéli était devenue une prison de 290 km² à ciel ouvert, voire un goulag
tropical. Insistons sur le fait que 97% des électeurs mohéliens avaient voté
contre Ali Soilihi alors qu’« “il a fallu bourrer les urnes” [pour n’obtenir que
3% de votes favorables au chef de l’État], nous a raconté un fonctionnaire »2.
La chute d’un régime politique aussi impopulaire ne pouvait être accueillie
que dans la joie, surtout que le débarquement militaire sur l’île d’Anjouan pour
y déloger l’ancien président Ahmed Abdallah Abderemane avait été effectué
dans un bain de sang. À Iconi, en Grande-Comore, les militaires avaient tué des
habitants sans discernement. Quand les Comoriens apprirent qu’un putsch avait
eu lieu, ils étaient dans la liesse. À Mohéli, la population avait dansé dans la rue
pendant un mois, hommes et femmes mélangés ; ce que les Mohéliens ne font
jamais en période normale.
Dès lors, Robert « Bob » Denard et ses mercenaires avaient été accueillis en
véritables « héros ». Mais, au lieu de procéder au solde de tout compte avec les
mercenaires, Ahmed Abdallah Abderemane a commis la plus lourde des fautes.
Il avait gardé aux Comores Robert « Bob » Denard, et en avait fait un membre
du Directoire politico-militaire qui dirigeait le pays dès la commission du coup
d’État du 13 mai 1978. Emportés par la joie, les Comoriens ne s’intéressaient
guère à l’infamie qui frappait les mercenaires sur la scène internationale.
Rapidement, Robert « Bob » Denard devenait le propriétaire des Comores. Il
était en pays conquis. Plus grave encore, alors que le régime politique était hué
par les pays « progressistes » d’Afrique au sein de l’OUA, certains politiciens
de Grande-Comore pactisaient avec le chef des mercenaires pour s’assurer des
prébendes. Le pouvoir des mercenaires se renforçait et étouffait les Comoriens

1 Charpantier (J.) : Le régime d’Ali Soilih, Moroni, 1975-1978 : Analyse structurelle, 3ème

partie, op. cit., p. 31.


2 Pomonti (Jean-Claude) : Comores. Visite à Mohéli, Le Monde, Paris, 10 octobre 1978, p. 4.

156
dans leur propre pays. Les mercenaires contrôlaient tout le pays. Ils étaient les
maîtres des Comores, torturant, tuant les militants des droits de l’Homme, dont
certains étaient découpés à la tronçonneuse, emballés dans des sacs en plastique
et déposés devant leurs demeures familiales.
Il n’y a nullement d’excès dans l’affirmation selon laquelle, aux îles Comores,
« avec ses lieutenants, le chef de la Garde présidentielle exerçait un contrôle
discret mais efficace sur les affaires du pays. À titre d’exemple, toutes les
grandes administrations, les ministères, le port et les aéroports, la Présidence,
avaient été placés sur écoute téléphonique. La bourgeoisie et la classe dirigeante
comoriennes étaient soigneusement surveillées par des femmes de ménage, des
domestiques ou des chauffeurs appartenant à un vaste réseau d’espionnage et
de renseignements contrôlé par la Garde présidentielle. En un mot, c’est le
pays entier que Bob Denard avait placé en coupe réglée »1.
Or, dans un excès de simplification d’une réalité par trop complexe, d’aucuns
disent que Robert « Bob » Denard et ses mercenaires avaient rendu le pays plus
heureux, parlant de sa ferme de Sangani, en Grande-Comore. Ce mensonge a
été dit, redit et répété dans le film consacré à Robert « Bob » Denard, sans souci
de la vérité.
Où est la vérité ?
Les laudateurs des mercenaires ont l’habitude de citer en exemple la ferme de
Sangani. Abdallah Msa, le mercenaire habitué à soutenir les mauvaises causes
avec une évidente malhonnêteté intellectuelle et mauvaise foi, signale : « Cette
première expérience d’intensification des moyens modernes de production
agricole, a permis d’utiliser des tracteurs, des semences, des techniques et
des méthodes de gestion comparables à celles d’une unité industrielle.
Cette intensification a été basée sur des moyens financiers importants (une
subvention de plusieurs millions de francs français) et sur un apport d’intrants
importés d’Afrique du Sud (semences avec des variétés performantes, des
engrais, des tracteurs et autres motoculteurs achetés dans le même pays,
etc.). L’exploitation de cette ferme disposant de plusieurs milliers d’hectares
de terrains cultivables a été encadrée par une expertise étrangère fournie en
grande partie par la GP (Garde présidentielle), des centaines d’ouvriers
recrutés dans les villages parmi les anciens soldats, des équipements
modernes à tous les stades de la production, des infrastructures importantes,
des moyens financiers apportés exclusivement d’Afrique du Sud et des
circuits de commercialisation bien identifiés. Les produits sont diversifiés et
concernent les cultures vivrières, maraîchères et d’élevage »2.
L’économiste sur commande Abdallah Msa se tait sur de nombreux faits
révoltants. Il est dans un souci de propagande en faveur de Robert « Bob »
Denard, à qui bien de « vertus » économiques ont été prêtés par les laudateurs.

1Perri (Pascal) : Comores. Les nouveaux mercenaires, L’Harmattan, Paris, 1994, p. 44.
2 Msa (Abdallah) : Comores 1975-2000. Un espoir déçu. Bilan économique et social de
vingt-cinq années d’indépendance, Les Éditions de l’Officine, Paris, 2001, p. 383.

157
En réalité, Robert « Bob » Denard et ses mercenaires ont saigné à blanc les îles
Comores de 1978 à 1989. La ferme de Sangani est considérée par les flatteurs
comme une activité économique favorable aux Comores alors qu’il s’agit d’un
centre d’esclavage moderne n’enrichissant que les mercenaires, régnant comme
les véritables maîtres des Comores. Les témoignages faits à cet égard sont très
éloquents et se passent de tout commentaire.
Un mercenaire ayant servi sous Robert « Bob » Denard aux Comores livre un
témoignage accablant sur les activités de celui qui avait été complaisamment
rebaptisé « Colonel » Saïd Moustoifa Mhadjou aux îles Comores, et qui traînait
déjà les faux noms de Gilbert Bourgeaud et Commandant Maurin, ailleurs :
« [...] Denard ne s’intéresse plus qu’aux affaires et met en coupe réglée le
pays qui n’avait jamais été aussi pauvre depuis la fin du règne d’Ali Soilih.
Les quelques officiers qui l’entourent à la GP, notamment le commandant
Charles, de nationalité belge, ont accaparé le petit commerce. Ils font
travailler sans rémunération les soldats de la Garde, déjà misérablement
payés par l’État comorien, dans des jardins, potagers et autres poulaillers.
Le produit de la vente de leurs petites fermes, exploitées par leurs esclaves
en uniformes, leur revient directement sans qu’aucune gratification ne soit
accordée à ceux qui travaillent la terre. […].
Le riz coûte de plus en plus cher. La viande est réservée à la Garde et aux
quelques familles qui trafiquent avec Denard et Abdallah. Les Comoriens en
sont réduits à manger des hérissons. Ceux qui veulent se procurer un kilo de
riz doivent fournir en échange un kilo de vanille. […]. Denard s’intéresse
maintenant beaucoup à la pêche. Il n’a pas investi un centime dans
l’opération (aide internationale), mais commercialise le poisson à son profit
et l’exporte congelé. Ce qui veut dire que les Comoriens n’en voient pas la
couleur »1.
Le projet de pêche, devenu la propriété de Robert « Bob » Denard, était
financé par la Communauté économique européenne (CÉE). S’en ajoute le
premier trafic de passeports comoriens au profit de ressortissants étrangers.
Le chef des mercenaires et Ahmed Abdallah Abderemane se lancèrent dans
la vente clandestine de passeports comoriens à des Chinois de Hong-Kong,
qui redoutaient la rétrocession de leur pays à la République populaire de
Chine le 1er juillet 1997. Aucun Comorien n’a la moindre idée de l’étendue
de ce trafic entièrement illégal et sans la moindre existence officielle. L’État
comorien n’est toujours pas officiellement au courant de ce trabendo.
En matière de droits de l’Homme et de libertés fondamentales, la présence
des mercenaires aux Comores de 1978 à 1989 a été une véritable hécatombe
pour ceux qui militaient en faveur de l’État de Droit et de la démocratie. Les
assassinats, les tortures et les mutilations étaient légion. La prison était bien
ouverte et on y jetait tous les militants qui dénonçaient les dérives du régime
politique en place, celui dirigé par Ahmed Abdallah Abderemane et Robert

1 Cité par Péan (Pierre) : Affaires africaines, 2ème édition, Fayard, Paris, 1991, pp. 183-184.

158
« Bob » Denard. Les mercenaires investissaient même le Lycée de Moroni
pour chasser les élèves qui émettaient critiques et réserves envers un régime
politique qui avait trahi les idéaux du 13 mai 1978, qui étaient fondés sur les
principes de liberté, de droits de l’Homme, d’État de Droit et de démocratie.
Dès 1978-1979, les mercenaires étaient au Lycée de Moroni. Il y a eu des
morts dans les rangs des élèves et des étudiants. L’assassinat d’Abdoulkader
Hamissi est celui qui avait le plus traumatisé les Comoriens, surtout par sa
brutalité et sa cruauté.
Accueillis en vrais libérateurs après le coup d’État du 13 mai 1978, Robert
« Bob » Denard et ses mercenaires n’ont pas tardé à devenir l’objet de la
haine du peuple comorien, abstraction faite des acteurs politiques habitués à
la mendicité. On se rend compte que « la mainmise des mercenaires, décriée
par le mouvement patriotique révolutionnaire, aiguise le mécontentement au
sein même de la Garde présidentielle. Le 8 mars 1985, échoue une tentative
de mutinerie. Le pouvoir en a saisi prétexte pour neutraliser ses redoutables
et infatigables adversaires politiques, auxquels l’action aurait profité en cas
de réussite »1.
À la suite de cette tentative de coup d’État, le Front démocratique sera tout
simplement décapité, sa direction jetée en prison, d’où ne sortira Moustoifa
Saïd Cheikh qu’au lendemain de l’assassinat du président Ahmed Abdallah
Abderemane, le 26 novembre 1989.
Chaque matin, les Comores se réveillaient à coups de graffitis réclamant le
départ des mercenaires des Comores. Un nouvel élément allait s’ajouter à
cette présence indésirable : l’arrivée des mercenaires sud-africains en pleine
période d’apartheid. Pour bien en comprendre les enjeux, il est nécessaire de
partir de l’idée selon laquelle aux Comores, Robert « Bob » Denard avait
fondé une Garde présidentielle (GP). Dans un premier temps, celle-ci était
financée par la Coopération française. Mais, à partir de 1985, c’est bien le
pays de l’apartheid qui prend en charge la Garde présidentielle.
La mainmise de l’Afrique du Sud raciste sur les Comores devient alors une
réalité palpable. Ceci est d’autant plus vrai que le 28 septembre 1988, Dulcie
September, représentante du Congrès national africain (ANC) d’Afrique du Sud
en France, est assassinée à Paris par deux mercenaires servant aux Comores
sous Robert « Bob » Denard, pour Ahmed Abdallah Abderemane.
En mars 1983, Robert « Bob » Denard avait organisé le voyage clandestin
en Afrique du Sud de l’apartheid pour Ahmed Abdallah Abderemane et ses
collaborateurs. Pour sa part, le Général Magnus Malan (1930-2011), très
redouté ministre sud-africain de la Défense de 1980 à 1991, effectuait son
voyage, également clandestin, aux Comores.
Frappée de sanctions décidées par l’ONU pour cause d’apartheid, l’Afrique
du Sud a fait des Comores un sanctuaire de détournement desdites sanctions

1 Madi Djoumoi (A.) : La jeunesse étudiante comorienne et l’indépendance des Comores, op.

cit., pp. 200-201.

159
internationales. Un avion sud-africain rebaptisé « Air Oichili » (Oichili est
une région de la Grande-Comore) était peint aux couleurs des Comores et
permettait de contourner les sanctions internationales.
Maintenant, parlons de l’Irangate, un immense scandale international « qui
fut révélé en novembre 1986. En résumé, pour libérer les otages états-uniens
retenus au Liban, le président Ronald Reagan donna son accord pour la
livraison d’armes (des missiles TOW) à l’ennemi juré, l’“État terroristeˮ
d’Iran, grâce à des fonds illégaux, par l’intermédiaire d’Israël, mais à l’insu
du Congrès. Officiellement, l’Iran abhorre les États-Unis (“Grand Satanˮ) et
Israël (“Petit Satanˮ), qui les lui rendent bien. À l’époque, l’Iran était en
guerre contre l’Irak (septembre 1980-août 1988), soutenu militairement par
les pays occidentaux et les États arabes. Le cynisme de la diplomatie
iranienne a été d’user de chantage, de se servir de ses ennemis et de les
ridiculiser en les traitant de mendiants sollicitant la mansuétude iranienne.
Malgré le discours officiel le diabolisant, l’Iran recevait d’armes de ses
détracteurs et ennemis : Israël, France, Italie, Belgique, Suisse, Pakistan,
Philippines et Corée du Sud. On dit que c’est l’Iran qui dévoila l’Irangate
pour humilier les États-Unis et empêcher la normalisation avec eux »1.
Le scandale de l’Irangate a eu lieu à un moment où Robert « Bob » Denard
et ses mercenaires régnaient en maîtres absolus aux Comores et avaient fait
en sorte que le régime politique d’Ahmed Abdallah Abderemane s’implique
dans ce trafic, notamment dans la livraison d’armes sud-africaines à l’Iran et
de pétrole iranien à l’Afrique du Sud. Les îlots de Nioumachioi, au Sud de
Mohéli, servaient de plaque tournante aux trafics, et l’Afrique du Sud voulait
les acheter pour leur discrétion.
Robert « Bob » Denard faisait même venir des mercenaires d’Afrique du
Sud. Ces mercenaires sud-africains étaient en proie à la haine des Comoriens
dans leur ensemble, à cause de l’apartheid, et parce qu’ils avaient gardé leur
racisme, qu’il affichait devant tout le monde aux Comores. En ce milieu des
années 1980, les produits et denrées originaires d’Afrique du Sud, alors sous
sanctions onusiennes, avaient tout simplement envahi le marché comorien.
Mais, le fait le plus grave réside dans l’autorisation donnée aux mercenaires
pour monter une base d’écoute à Itsandra, Grande-Comore, pour espionner
le Mozambique alors en lutte contre le mouvement criminel de la Résistance
nationale du Mozambique (RENAMO) du terroriste Afonso Dlakama (1953-
2018), et l’Angola, pays alors exposé à la belligérance nihiliste des fascistes
de l’Union nationale pour l’Indépendance totale de l’Angola (UNITA), du
criminel Jonas Malheiro Savimbi (1934-2002), de 1966 à 2002. De ce fait,
les mercenaires avaient piraté tout le réseau téléphonique du Mozambique et
d’Angola, au profit de l’Afrique du Sud raciste. Le président Ahmed Abdallah
Abderemane le savait et se moquait des malheurs des Noirs Sud-Africains.

1 Riziki Mohamed (Abdelaziz) : La diplomatie en terre d’Islam, L’Harmattan, Collection


« Histoire et Perspectives méditerranéennes », Paris, 2005, p. 358.

160
Adulé pendant les mois ayant suivi le coup d’État du 13 mai 1978, Ahmed
Abdallah Abderemane avait fini par s’aliéner la majorité des Comoriens, à
cause de la présence des mercenaires aux Comores. Malgré son entêtement
suicidaire et sa cécité face au danger que faisaient peser les mercenaires aux
Comores, Ahmed Abdallah Abderemane avait fini par comprendre qu’il était
dans l’obligation de faire partir Robert « Bob » Denard et ses mercenaires
des Comores. La communauté nationale et la communauté internationale
n’en voulaient pas. En 1989, il avait engagé des médiations à l’étranger pour
faire partir tous ces mercenaires des Comores.
Le Français Jean-Yves Ollivier, un des membres du petit groupe chargé de
faire partir paisiblement les mercenaires des Comores, explique : « [Ahmed]
Abdallah, qui n’ignore pas mes bonnes relations avec les Sud-africains,
vient m’expliquer que le poids de son “conseiller français”, le mercenaire Bob
Denard, lui pèse. Denard se mêlerait de plus en plus d’affaires intérieures et
se prendrait pour le vice-roi des Comores… Abdallah et Hilali veulent se
séparer de lui et, pour ce faire, souhaitent que l’Afrique du Sud lui coupe les
vivres »1.
Hilali est Saïd Hilali. Il est originaire de Grande-Comore. Il a travaillé avec
Ahmed Abdallah Abderemane, Saïd Mohamed Djohar et Mohamed Taki
Abdoulkarim. Le peuple lui prête d’incroyables pouvoirs. Ses ennemis disent
de lui qu’il serait dangereux, allant jusqu’à l’accuser d’être impliqué dans un
certain nombre de dossiers hautement sensibles sur les Comores. En tout état
de cause, une chose est certaine : Saïd Hilali est un Comorien qui a nombre
de relations à l’étranger. Il était sollicité par le président des Comores pour
faire partir les mercenaires des Comores.
Selon Pascal Perri, « jusqu’à son départ de Moroni, négocié par l’homme
d’affaires français Jean Yves Ollivier et Saïd Hillali, Bob Denard demeura
donc lié aux services secrets français ». Toujours selon Pascal Perri, « le 28
juillet 1989, quatre des personnages principaux du feuilleton franco-
comorien se retrouvent à Paris, au domicile de Jean-Yves Ollivier pour un
déjeuner d’affaires. Outre le maître de maison, qui passe pour un proche du
RPR, il y a là Jean-Christophe Mitterrand, patron de la cellule Afrique de
l’Élysée, le président Ahmed Abdallah Abderahmane et Saïd Hillali. Au
menu des débats, la question de Mayotte et le “cas Denard”. Deux dossiers
épineux. Le lieu de cette rencontre à quatre n’est pas fortuit. Il doit bien sûr
à la discrétion traditionnelle qui entoure en général ce genre de réunion
mais aussi à la personnalité de Jean-Yves Ollivier »2.
Or, Robert « Bob » Denard n’avait pas tardé à être informé de la réunion
« secrète » de Paris le concernant. Il le fera savoir au président des Comores.
Pourtant, les tractations vont se poursuivre et n’ont qu’un seul but : le faire

1 Ollivier (Jean-Yves) : Ni vu, ni connu. Ma vie de négociant en politique. De Chirac et

Foccart à Mandela, Fayard, Paris, 2014, p. 256.


2 Perri (P.) : Comores. Les nouveaux mercenaires, op. cit., pp. 39-40 et 46.

161
partir des Comores. Il s’était marié à une Comorienne, avec qui il avait des
enfants. Il se considérait comme un vrai Comorien. Au lendemain du coup
d’État de trop qu’il commit aux Comores, celui du 28 septembre 1995, on
entendit l’officier comorien Combo Ayouba, l’une de ses propres créatures à
la Garde présidentielle, dire sans la moindre gêne que son ancien chef était
un Comorien comme les autres et que, à ce titre, il avait le droit de résider
aux Comores comme bon lui semblait.
Il n’est pas inutile de relever dans la logomachie de Robert « Bob » Denard,
une certaine tendance à l’exagération le conduisant toujours à se considérer
comme étant chargé d’une mission divine pour les îles Comores. Lors de son
coup d’État du 28 septembre 1995, il avait libéré des acteurs politiques et
des militaires impliqués dans la tentative de putsch du 26 septembre 1992. Il
est tout à fait normal que les prisonniers de Saïd Mohamed Djohar voient en
lui un libérateur, mais tel n’était pas le sentiment général des Comoriens, très
traumatisés et affectés par le mercenariat des années 1978-1989. Pourtant,
Robert « Bob » Denard et ses hommes feront tout pour déclarer qu’ils ont été
accueillis en héros à la suite du renversement de Saïd Mohamed Djohar.
Ahmed Abdallah Abderemane avait assis son pouvoir sur la terreur des
mercenaires sur les Comoriens pendant plus de 11 ans. Ce n’est que le jour
où les mercenaires allaient l’assassiner, après la torture et les mutilations,
qu’il se rendit compte de sa mortelle erreur. Il fit part de ses graves fautes et
regrets tardifs à son ami Saïd Mohamed Djohar, qu’il avait nommé président
de la Cour suprême, et qui allait assurer l’intérim à la Présidence de la Répu-
blique dès son assassinat sanglant et fort violent : « Je suis prisonnier de ces
mercenaires sans parvenir à faire cesser leurs actes répréhensibles. Le plus
catastrophique dans tout cela est que le personnel de la GP chargé d’assurer
ma sécurité semble ignorer totalement ma présence et mon autorité en
obéissant aveuglément à la bande de Bob.
À part quelques gardes originaires de ma ville natale de Domoni et Sima,
le reste semble ne pas me reconnaître comme le chef de l’État qu’ils doivent
protéger et défendre. À qui me fier maintenant pour ma propre sécurité ? Ils
forment le 1/3 de nos armées – cinq cents pour les FAC, sous les ordres du
Commandant Ahmed Mohamed Hazi – cinq cents pour la GP commandée
par Bob et sa bande de tueurs et cinq cents pour la gendarmerie sous les
ordres du commandant mohélien Youssouf Ali. Je t’avoue sincèrement que
c’est la première fois de ma vie que je connais la “peur”. Comment renverser
une situation pareille ? »1.
Le même jour, ce 26 novembre 1989, Ahmed Abdallah Abderemane avait
été assassiné par les mercenaires qui étaient chargés d’assurer sa protection.
Il est quand même étonnant de constater que rien ne sera fait pour voir que le
président comorien avait été torturé et mutilé avant d’être assassiné, et que,

1Djohar (S. M.) : Mémoire du président des Comores. Quelques vérités qui ne sauraient
mourir, op. cit., p. 251.

162
dans ce cas de figure, la thèse des mercenaires selon laquelle le Comorien de
Domoni, ville natale du chef de l’État, qui assurait sa garde personnelle,
aurait tiré par erreur sur le président comorien avant d’être abattu par les
mercenaires était injurieuse pour la mémoire des deux morts comoriens. Il
est révoltant de remarquer que personne n’est allé poser des questions à la
sœur de ce Domonien qui était le garde du corps du président. Cette sœur
avait lavé le corps de son frère et remarqué les traces des poignards sur lui.
Pourquoi après la mort d’Ahmed Abdallah Abderemane, les mercenaires
ne voulaient pas remettre le corps à sa famille ? Pourquoi avait-il fallu que
les mercenaires jettent le corps sans vie d’Ahmed Abdallah Abderemane
dans un petit véhicule militaire de type Jeep, sous une bâche, les pieds hors
dudit véhicule, causant la mort par traumatisme de la Mohélienne Echat
Hamidi à la vue de ce spectacle macabre ? Pourquoi à la mort du président,
les mercenaires n’ont pas voulu quitter les Comores jusqu’à ce qu’ils soient
chassés par l’Armée française vers l’Afrique du Sud ?
Du 26 novembre, il a fallu attendre le 15 décembre 1989, pour que Robert
« Bob » Denard et ses mercenaires quittent les Comores, le chef des « affreux »
emportant « avec lui des dizaines de cantines (dont quatorze tonnes d’archives)
dont on ne contrôlera pas le contenu. Pourquoi les mercenaires ont-ils
bénéficié d’une telle sortie en fanfare, avec l’aide de la France ? Sans doute
faut-il mettre cette “mansuétude” en relation avec les multiples services rendus,
au moins officieusement, par Denard à la France. Le mercenaire a toujours
bénéficié, de notoriété publique, de la couverture des services secrets français
et, parfois, de la bienveillance de l’Élysée, pour mener à bien certains de ses
coups fourrés en Afrique »1.
Les questions qui se posent sur le passage sanglant des mercenaires aux
Comores sont autant de réponses sur la cécité qui avait conduit le président
Ahmed Abdallah Abderemane à se fier avec naïveté à des tueurs qui avaient
fait la preuve de leur mépris et de leur cruauté sadique envers les Comoriens,
devenus des prisonniers dans leur pays, transformé en goulag. La faute qui a
été causée par Ahmed Abdallah Abderemane réside essentiellement dans le
fait qu’il n’avait pas su se débarrasser des mercenaires tout de suite après le
putsch libérateur du 13 mai 1978. Il a voulu régner en autocrate, et pour ce
faire, avait cru qu’il lui suffisait de s’appuyer sur des mercenaires. La suite a
été fatale. La suite lui a été fatale.
Trop de choses ont été dites sur la relation entre Robert « Bob » Denard et
la France officielle. Ici, il n’est pas superfétatoire de partir de l’idée selon
laquelle « entre les services secrets et les mercenaires, les relations “sont les
mêmes qu’entre un père noble et un bâtard”. L’expression est de Jack [un
pseudonyme], un des piliers du milieu mercenaire parisien, un trentenaire
sûr de lui. Depuis dix ans, le père noble assume de moins en moins bien sa

1 Kpatindé (Francis) : Fin de partie pour Ahmed Abdallah, in Dossiers secrets de l’Afrique
contemporaine, Volume III, Jeune Afrique Livres, Paris, 1991, p. 148.

163
paternité : son fils naturel est devenu plus turbulent et lui-même, soucieux de
son image, prétend, en bonne société, avoir coupé les liens filiaux – sans
convaincre »1.
N’ayant jamais eu la moindre complaisance envers le chef de mercenaires,
l’africaniste Philippe Leymarie a écrit : Robert « Bob » « Denard, véritable
patron de l’archipel des Comores depuis 10 ans, au nom de la France, était
dans la pièce où – une nuit de novembre 1989 – le président Ahmed Abdallah,
dont il commandait la garde présidentielle, se faisait assassiner… par ses
gardes », un « exécutant honnête… patriote inconditionnel, homme de
confiance… recruté dès 1968, agissait sur ordre », « recruteur de “chiens de
guerre” ou d’hommes de main, et fournisseur de coups d’État clé en main…,
passerait donc brusquement, pour un héros à l’ancienne. Un corsaire plus
qu’un pirate. Un honorable correspondant, et non pas un trouble bretteur
caractériel, agissant pour son compte »2.
Toujours est-il qu’après le départ des mercenaires le 15 décembre 1989, les
Comoriens n’ont plus entendu parler d’eux jusqu’au 28 septembre 1995, date
à laquelle Robert « Bob » Denard et ses « affreux » ont renversé le président
Saïd Mohamed Djohar. Ce dernier a été déporté à la Réunion, île française
de l’océan Indien. Ce n’est qu’en mars 1996 que le vieux président retourna
aux Comores, à la suite d’accords conclus à Antananarivo et le dépouillant
de tout pouvoir, quelques jours seulement avant l’élection qui allait porter au
pouvoir Mohamed Taki Abdoulkarim.
Si la parenthèse de Robert « Bob » Denard a été définitivement fermée aux
Comores après l’équipée du 28 septembre 1995, qui fut suivie de l’arrivée de
l’Armée française pour mettre fin à l’aventure des mercenaires, force est de
noter que les Comores n’avaient pas rompu pour autant avec les pratiques
douteuses. En effet, le 19 décembre 2001, quelques jours seulement avant le
référendum constitutionnel du 23 décembre 2001, des mercenaires venus de
Madagascar et ayant transité par Mayotte ont débarqué à Mohéli. Une erreur
a été commise par nombre de commentateurs qui n’avaient pas compris que
Mohéli n’était qu’une étape avant la Grande-Comore, la destination finale.
Ce témoignage recueilli à Mohéli est explicite : « Les mercenaires étaient
arrivés de Madagascar via Mayotte. À Mohéli, ils étaient entrés par Zodiacs
à Nioumachioi, au Sud de l’île. Ils étaient à court de carburant. Ils
arrivèrent à Fomboni pour se ravitailler en carburant et en armes parce
qu’ils ne pouvaient pas faire entrer des armes et des munitions à Mayotte,
un territoire français. Une fois à Mohéli, ils appelèrent le Commandant
Mohamed Anrifi Moustoifa et lui demandèrent des armes car ils n’en avaient
pas, et comme cela était convenu avant leur départ de France. En effet, leurs

1 Dominguez (François) et Vignaux (Barbara) : « Zone grise » entre public et privé. La

nébuleuse des mercenaires français, Le Monde diplomatique, Paris, août 2003, p. 4.


2 Leymarie (Philippe) : La rédemption du fils prodigue, Le Monde diplomatique, Paris, avril

1993 (Version CD ROM).

164
commanditaires leur avaient expliqué que c’était auprès de Mohamed Anrifi
Moustoifa qu’ils devaient prendre leurs armes. Mohamed Anrifi Moustoifa
les recommanda à Ahmed Abdou, à la Gendarmerie. Les mercenaires
prirent possession de la Gendarmerie, mais la population encercla les lieux.
Des mercenaires furent tués par une population mohélienne qui scandait
qu’elle avait été la première aux Comores à avoir chassé des mercenaires.
Assez curieusement, Mohamed Anrifi Moustoifa n’avait donné à personne
l’ordre de combattre les mercenaires, et cela, pour une raison simple : Azali
Assoumani le considérait comme son pire ennemi et avait toujours bloqué
ses possibilités de promotion.
En plus, les commanditaires de la tentative de putsch étaient des partisans
de l’ancien président Mohamed Taki Abdoulkarim, et le chef d’État qui avait
le plus fait pour Mohamed Anrifi Moustoifa était justement Mohamed Taki
Abdoulkarim. Il lui avait confié l’État-major de l’Armée.
Les soldats mohéliens avaient chassé les mercenaires sans les consignes de
leur chef, et sans l’aide des renforts venus de Moroni à 14-15 heures, alors
que les combats avaient eu lieu le matin. Les soldats venus de Moroni
n’avaient fait que ramener à la Grande-Comore les mercenaires capturés et
les corps de ceux qui ont été abattus.
Un jeune militaire prénommé Chaharane, originaire de Ntsini-Moichongo,
avait fouillé les affaires des mercenaires. Elles étaient mouillées. Il a fallu
les sécher. Et sur les documents des mercenaires, il y avait des noms de
personnalités comoriennes à contacter pour fomenter le coup d’État, y
compris Fakri Mahmoud Mradabi, pourtant proche d’Azali Assoumani, au
point d’avoir été le Directeur de son Cabinet.
Il aurait suffi que ces mercenaires soient approvisionnés en armes et
carburant à Mohéli pour que, une fois arrivés à Moroni, ils réussissent leur
coup d’État.
Des gens disent que Mohéli ne représente pas un intérêt stratégique, alors
que l’affaire ne devait pas se jouer à Mohéli, mais l’île devait servir de
tremplin pour mieux atteindre la Grande-Comore »1.
Pour la première fois dans l’Histoire des Comores, des mercenaires avaient
été empêchés de perpétrer un putsch, et cela s’était passé sur l’île de Mohéli,
dont la population et l’Armée avaient agi avec courage et bravoure, alors que
les mercenaires n’étaient pas restés inactifs.
Qui étaient les commanditaires de la tentative de putsch du 19 décembre
2001 ? Au pays de la rumeur, la vox populi désigne les partisans de l’ancien
président Mohamed Taki Abdoulkarim. D’ailleurs, l’un d’entre eux, Achirafi
Saïd Hachim, avait atterri à la Prison de la Santé, à Paris, avant d’être libéré.
Mais, quand je pose la question à l’intéressé, il nie tout en bloc. Qui a déjà
admis qu’il est impliqué dans une tentative de force ? En même temps, il dit
connaître l’identité du vrai commanditaire de cette tentative de coup d’État.

1 Riziki Mohamed (A.) : La présidence tournante aux Comores, op. cit., pp. 193-194.

165
En 2010, les Comoriens ont vu des militaires étrangers venus de Libye aux
côtés du président Ahmed Sambi, alors que le pays était en proie à une crise
institutionnelle et politique consécutive au prolongement du mandat du chef
de l’État, lequel aurait dû avoir organisé une élection présidentielle et passé
le flambeau à un Mohélien. Les Comoriens ont alors parlé de « mercenaires
tchétchènes » prêtés par le dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Confronté à
une insurrection populaire en 2011 qui allait lui être fatale à tous points de
vue, le dictateur libyen avait dû rappeler ses mercenaires. À la différence des
mercenaires des années 1978-1989, ceux de 2010-2011 ne régnaient pas et
ne tourmentaient pas les Comoriens. Toutefois, ils avaient essayé de visiter
le Camp militaire de Kandani, le centre névralgique de la Défense du pays,
mais le Général Salimou Mohamed Amiri, alors chef d’État-major de l’AND,
avait catégoriquement refusé.
Enfin, le 21 avril 2013, et comme cela est noté lors des développements qui
précèdent, une piteuse tentative de putsch eut lieu contre Ikililou Dhoinine,
mais a été déjouée. Dans un premier temps, c’est l’ancien président Ahmed
Sambi qui avait été soupçonné d’être à l’origine de ce coup de force. Mais,
les initiés ont fini par se rendre compte que tout désignait Hamada Madi
Boléro et son « ami » Assoumani Azali. Maintenant que les vidéos montrant
ce dernier au côté des mercenaires ont été détruites, Assoumani Azali pourra
toujours protester de sa « bonne foi ».
Quels sont les éléments qui ont favorisé le mercenariat aux Comores ?
Citons les facteurs suivants.
1.- Les chefs de l’Armée comorienne en période de putsch sont comme par
hasard des incompétents. C’est le cas d’Assoumani Azali le 28 septembre
1995 et de Youssoufa Idjihadi le 21 avril 2013. Le 28 septembre 1995,
Assoumani Azali, en slip, avait été le premier à aller se cacher sous une table
et dans les toilettes de l’ambassade de France à Moroni. Des années après, il
prétendra avoir mené une résistance farouche contre Robert « Bob » Denard,
pendant que, maladroitement et stupidement, ses proches nient les évidences
en essayant d’accréditer la thèse absolument fallacieuse selon laquelle à cette
époque, il ne dirigeait pas l’Armée comorienne. Dans le cas de Youssoufa
Idjihadi, il a été déjà signalé que le 21 avril 2013, il avait également fui et
éteint tous ses téléphones portables. Ces deux « soldats » sont des lâches.
Youssoufa Idjihadi est un « Colonel » qui n’a même pas le Baccalauréat, et
il n’est pas le seul dans son cas aux Comores. Toute sa « compétence » est
dans les amulettes et les gris-gris qu’il fait fabriquer à Madagascar et dans le
« maraboutage » contre ceux qui lui font de l’ombre au sein de l’AND. Que
des fois il a été surpris en train de répandre ses gris-gris autour des maisons
de ceux qu’il considère comme ses adversaires ! Son surnom en dit long sur
sa bouffonnerie : « Youssoufa Mfamanga », « Youssoufa Poisson séché ». Ce
surnom fort peu charitable lui a été attribué en référence à son ancien métier
de vendeur de poisson séché au marché. Abdallah Gamil, son prédécesseur,
ne valait guère mieux. En 2018, après des coups sur son épouse en France, il

166
atterrit menotté dans une prison. Il voulait forcer sa femme, qui ne supportait
plus ses infidélités et son ivresse permanente, à rentrer aux Comores.
Bien souvent, les grades au sein de l’Armée comorienne ne correspondent
strictement à rien. Ils sont distribués par pure complaisance à des militaires
incompétents, corrompus et violents. Pour que se faire nommer chef d’État-
major de l’Armée comorienne par Mohamed Taki Abdoulkarim, Assoumani
Azali avait dû dépêcher auprès de lui des délégations de notables de Grande-
Comore et le chef de la mission diplomatique d’une puissance occidentale.
Au Maroc, j’ai rédigé le Mémoire de fin d’études d’un officier comorien
très brouillon, bruyant et nul : le « Colonel » Mohamed Anrifi Moustoifa
Bacar. Celui-ci, une fois rentré aux Comores, prétendra qu’il était Docteur
d’État comme moi ! Un officier originaire d’Anjouan avait fait rédiger le
sien par un universitaire anjouanais. Cet officier anjouanais est tellement
nullissime qu’il avait truffé le Mémoire de « qu’est-ce que c’est que ça ? ». Il
avait entre ses mains « son » Mémoire, mais était incapable de le lire.
Assoumani Azali lui-même est un vrai cas d’école. Pour s’en convaincre, il
suffirait à peine de prendre connaissance de ses interviews à la télévision ou
à la radio. Que ça soit en comorien ou en français, il s’agit d’une suite sans
fin d’incohérences. Quand ces interviews sont en français, elles constituent
une hécatombe linguistique. Son niveau incite à avoir pitié de cette langue.
2.- Il y a aux Comores, de nombreux acteurs politiques qui idolâtrent tout
ce qui est relatif au pouvoir. Cela étant, quand on leur propose le pouvoir, ils
sont toujours intéressés par celui-ci. Les mercenaires n’ont jamais nommé un
des leurs président des Comores, mais un Comorien. En d’autres termes, il y
a toujours une demande comorienne.
3.- Les soldats comoriens n’ont aucune motivation particulière pour aller à
la mort pour de mauvais dirigeants. Ils ne se sont battus contre les soldats de
fortune que le 28 septembre 1995 (alors qu’Assoumani Azali, leur chef, était
en slip à l’ambassade de France et cachait sa femme à Iconi) et à Mohéli le
19 décembre 2001. Les mercenaires n’ont pas peur d’affronter la faible
Armée comorienne, qu’ils savent très démotivée et très peu républicaine.
Par ailleurs, il y a eu l’arrivée aux Comores, le 18 août 1990, du mercenaire
Max Vieillard, qui avait servi sous les ordres de Robert « Bob » Denard dans ce
pays. Le but de cette intrusion se résume à une tentative d’assassinat de Saïd
Mohamed Djohar. Il était attendu par ses complices aux Comores. Son équipée
se termina dans le sang dans une grotte de Domoni, à Anjouan, le 17 octobre
1990. Mohamed Taki Abdoulkarim sera accusé d’avoir été le commanditaire
du mercenaire, pour se venger après la fraude électorale de 1990 qui avait été
en faveur de Saïd Mohamed Djohar contre lui-même. Il sera difficile de parler
d’un quelconque exploit le 17 octobre 1990, dans la mesure où Max Vieillard
était un mercenaire isolé.
Longtemps, les soldats comoriens étaient les « Maya Bouré », « ceux qui
mangent pour ne rien faire ». Mais, le Général Salimou Mohamed Amiri, le
premier saint-cyrien comorien, était arrivé à faire de cette Armée autre chose

167
que la bande de vauriens et de clochards qu’elle était. Cette Armée était déjà
très politisée et tribalisée par Assoumani Azali. La mésentente entre celui-ci
et le Général Salimou Mohamed Amiri a fait le reste.
Les mercenaires savent donc qu’ils ne courent pas de grands risques en se
rendant dans un pays sans véritable Armée, le pays des « Maya Bouré ».

S.II.- LA FRAUDE ÉLECTORALE COMME MODE D’ACCESSION AU POUVOIR


POLITIQUE
Pays économiquement et socialement sous-développé par excellence, pays
institutionnellement instable et sous-développé par définition, et pays moins
avancé par paresse, les Comores entretiennent une relation fusionnelle, voire
intime avec la fraude électorale. Tous les dysfonctionnements constatés dans
les Républiques bananières en matière électorale sont le lot des Comores, où
il est rare qu’une élection soit honnêtement et démocratiquement organisée.
Aux Comores, les élections fraudées et dévoyées sont légion, voire la règle.
Le fonctionnement des institutions étatiques aux Comores laisse penser que
les concepts d’État de Droit et de légitimité de pouvoir ne sont pas encore
arrivés dans les oreilles des acteurs politiques locaux. Tout se passe comme
si l’organisation d’une élection fraudée était une chose normale. La passivité
des Comoriens le soir d’une fraude électorale est inquiétante. Les Comoriens
prennent les truquages électoraux pour une banalité alors qu’ils sont privés
du droit de choisir en toute liberté leurs dirigeants.
Or, une élection est une institution d’une importance capitale dans tout État
qui aspire à une normalité institutionnelle et démocratique. De fait, « dans
une société moderne, les élections jouent un rôle capital pour que l’on ne
puisse pas s’y intéresser. La constatation suffit pour induire qu’à l’instar
d’une fondation pour un immeuble, les élections sont indispensables à la
mise en place des régimes démocratiques.
Comparativement à un immeuble bâti sur une fondation peu solide, un
régime politique aurait des difficultés à se consolider s’il est assis sur un
hold-up électoral. Il s’écroulerait au moindre contact des intempéries pro-
duites par des conditions météorologiques moins clémentes »1.
L’élection revêt cette importance parce qu’elle a pour fondement le choix
du peuple. Le peuple doit avoir son destin entre ses mains et choisir en toute
liberté et conscience ses dirigeants, loin de toute pression et de coercition.
Les pays d’Afrique, dans leur écrasante majorité, pour avoir ignoré une telle
exigence humaine, ont choisi de se mettre en marge de la modernité et de la
légalité, ballottés entre des dictatures qui ont conduit à leur maintien dans le
sous-développement, nonobstant leurs richesses et potentialités. En suivant

1 Ésambo Kangashé (Jean-Louis) : Élections en Afrique, un modèle d’importation étrangère

ou une voie originale de démocratie, in Aïvo (Frédéric Joël) et autres : La Constitution


béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de
Maurice Ahanhanzo-Glélé, L’Harmattan, Collection « Études africaines », Paris, 2014, p. 441.

168
la voie qui est la leur, les Comores et les autres pays d’Afrique, à quelques
exceptions près, rejettent la réalité juridique selon laquelle « le peuple est
titulaire du pouvoir souverain au sein de l’État »1.
C’est le peuple qui légitime le pouvoir, et le fait essentiellement par la voie
des urnes. Autrement dit, « en droit, la légitimité s’apprécie à la façon dont
le pouvoir a été transmis. Sera considéré comme illégitime le gouvernement
qui tiendra son pouvoir d’une investiture irrégulière »2. Cela signifie que le
détenteur de l’autorité étatique qui n’est pas élu régulièrement par le peuple
est dans l’illégitimité. Pour qu’elle soit porteuse d’un vrai sens, l’élection est
appelée à respecter les standards internationaux de la démocratie, liberté et
transparence.
Le choix du peuple doit être entièrement libre. Karl Marx avait ironisé sur
les élections par sa fameuse formule sarcastique : « Saint Suffrage universel,
priez pour nous ». Pourtant, il est nécessaire de signaler que du point de vue
du Droit constitutionnel, l’élection est le « choix par les citoyens de certains
d’entre eux pour la conduite des affaires publiques. Ce procédé permet aussi
aux électeurs de choisir indirectement une orientation politique »3. De telles
nécessités humaines sont ignorées par un Assoumani Azali et ses criminels.
Nelson Mandela va beaucoup plus loin, et lie la souveraineté du peuple à
la Constitution et au constitutionnalisme. Lors de l’inauguration de la Cour
constitutionnelle d’Afrique du Sud en février 1995, en juriste qui base toute
relation sociale sur le primat du Droit, et en militant qui a passé 27 ans de sa
vie en prison pour la sincérité de sa lutte pour l’équité et le suffrage universel,
il a dit ceci aux membres de l’institution : « Le constitutionnalisme signifie
qu’aucun bureau ni aucune institution ne peuvent être au-dessus de la Loi.
Le plus puissant comme le plus humble du pays, tous sans exception, se
soumettent au même document, aux mêmes principes. Peu importe que vous
soyez blanc ou noir, homme ou femme, jeune ou vieux ; que vous parliez
setswana ou afrikaans ; que vous soyez riche ou pauvre, que vous rouliez
dans une belle voiture ou que vous marchiez pieds nus ; que vous portiez
l’uniforme ou que vous soyez enfermé dans une cellule. Nous avons tous
certains droits élémentaires, et ces droits fondamentaux sont inscrits dans la
Constitution.
L’autorité du gouvernement lui est conférée par le peuple à travers la
Constitution. Vos devoirs et vos responsabilités, comme votre pouvoir, vous
sont conférés par le peuple à travers la Constitution. Le peuple s’exprime à
travers la Constitution. La Constitution permet aux multiples voix du peuple
d’être entendues de façon organisée, précise, explicite et forte de principes.

1 Verpeaux (Michel) : Droit constitutionnel français, 2ème édition, PUF, Collection « Droit
fondamental », Paris, 2015, p. 36.
2 Ardant (Philippe) et Mathieu (Bertrand) : Droit constitutionnel et institutions politiques,

27ème édition, LGDJ et Lextenso Éditions, Issy-les-Moulineaux, 2015, p. 161.


3 Guillien (Raymond), Vincent (Jean) et autres : Lexique des termes juridiques, 15ème

édition, Dalloz, Paris, 2005, p. 258.

169
Nous ne doutons pas que vous trouverez le moyen dans vos jugements de
parler directement au peuple »1.
Les acteurs politiques comoriens ne raisonnent pas de cette façon. Depuis
l’accession de leur pays à l’indépendance, ils ont fait de la fraude électorale
la manière d’accéder au pouvoir et de s’y accrocher. Contrôlant la politique
comorienne de 1946 à sa mort, le 16 mars 1970, Saïd Mohamed Cheikh était
connu pour ses pratiques électorales douteuses. Toujours avant que le pays
ne soit indépendant, Ahmed Abdallah Abderemane avait été accusé d’être un
tripatouilleur des urnes, de « contrôler les urnes et ce qu’il y a dedans ».
En fait, « en 1978, à son retour d’exil, Ahmed Abdallah avait été accueilli
avec enthousiasme par une population traumatisée par les désordres et la
répression qui avaient ensanglanté la fin de la Révolution culturelle. Porté à
la magistrature suprême par 99,95% des suffrages, il avait été réélu pour six
ans en 1984 par 99,84% des voix.
De tels scores confirment certes qu’il n’avait pas perdu l’habitude, acquise
avant l’indépendance, de contrôler les urnes et ce qu’il y a dedans. Mais, de
l’aveu de ses opposants qui, faute de s’entendre, ne pouvaient offrir une
alternative crédible, il n’aurait pas eu besoin de ces contestables pratiques
pour rassembler de confortables majorités. Elles sont, du reste, pas inhabi-
tuelles aux Comores. En 1945, Saïd Mohamed Cheikh fut élu député des
Comores à l’Assemblée Constituante française avec 90% des voix et, l’année
suivante, député à notre Assemblée française avec 90% des suffrages sans
que nous y trouvions à redire »2.
Il significatif qu’en juin 1972, avant même l’accession à l’indépendance,
le Prince Saïd Ibrahim, progressiste président du Conseil de Gouvernement,
avait subi une motion de censure entièrement fondée sur la fraude. En effet,
il avait fallu corrompre la plupart des Députés territoriaux, chacun recevant
500.000 francs comoriens (1.000 euros). Le très versatile et déroutant Député
Soilihi Mohamed Soilihi, de Djoiezi, Mohéli, avait bien reçu son enveloppe
de 500.000 francs comoriens, mais avait subi un véritable kidnapping de la
part des partisans d’Ahmed Abdallah Abderemane, qui voulaient le garder
sous contrôle pour qu’il n’aille pas négocier avec le camp adverse.
Les Comores n’étaient pas encore devenues indépendantes qu’elles avaient
choisi de perpétuer les méthodes frauduleuses sur lesquelles Saïd Mohamed
Cheikh avait assis son pouvoir et ses élections. Les Comores n’échappaient
pas à une réalité africaine, celle des fraudes électorales. Mais, les manières
basées sur la fraude sont également le propre des pays qui prétendent être
musulmans, même si on sait parfaitement que ces pratiques ne sont guère
imputables à l’Islam, mais à la structure mentale et au profil contestable de

1 Mandela (Nelson) et Langa (Mandla) : Être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser

de ses chaînes. Mémoires de Président, Plon, Paris, 2017, p. 187.


2 Deschamps (A.) : Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœla-

canthe, op. cit., p. 67.

170
mauvais dirigeants : « Les régimes politiques de tous les pays à peuplements
musulmans majoritaires sont par ailleurs fort autoritaires »1.
Arrivé au pouvoir par le coup d’État irresponsable du 3 août 1975, Ali
Soilihi ne se souciait guère d’élections. Il n’en organisa qu’une seule, et ce
fut une véritable mascarade. Il était demandé au peuple de choisir entre lui et
son « remplaçant » sans nom. Comme cela est souligné ci-haut, Ali Soilihi
avait organisé cette élection sans qualification juridique le 28 octobre 1978,
et à Mohéli, malgré le bourrage des urnes organisé par ses hommes, il avait
été désavoué par 97% de la population de l’île. Celle-ci tenait à faire passer
deux messages : d’une part, elle désapprouvait totalement la Révolution et
ses méthodes violentes, et d’autre part, elle estimait que le « remplaçant »
sans nom ne pouvait être que le vice-président Mohamed Hassanaly, qui est
d’origine mohélienne. La seule conséquence qu’avait tirée Ali Soilihi de ce
scrutin empoisonné était la « nécessité » de persécuter les Mohéliens. Par la
suite, ses hommes et lui-même se moquaient des Comoriens qui avaient voté
pour « le remplaçant », à coups de « Vous avez choisi un fantôme ! ».
Puis, Ahmed Abdallah Abderemane s’installa au pouvoir à l’issue du coup
d’État du 13 mai 1978. En octobre 1978, il lança un processus électoral :
Constitution, Gouvernorats des îles et Présidence de la République. Comme
partout dans les dictatures tropicales de l’époque, il remporta un à un tous
ces scrutins, bien évidemment à plus de 99% chaque fois. Sa Constitution a
été largement adoptée par référendum, ses 3 candidats aux Gouvernorats des
îles élus et lui-même « plébiscité » : « Le 1er octobre 1978, les Comoriens ont,
à 99,31%, adopté la Constitution qui crée la République fédérale islamique des
Comores. Le 22 octobre 1978, Ahmed Abdallah, le “Père de l’indépendanceˮ,
“Père de l’unité des Comoresˮ et non moins “Père de la libération de l’archipelˮ
est porté à la présidence des Comores par 99,95% des Comoriens (encore un
taux de 99% et plus !), à la suite d’un scrutin dont il était le candidat unique,
désigné par le Directoire »2 politico-militaire, dont Robert « Bob » Denard était
membre, au lendemain du putsch du 13 mai 1978. Les élections législatives
avaient permis à quelques opposants de se faire élire à l’Assemblée fédérale,
qui allait devenir un Parlement croupion, une chambre d’enregistrement.
C’est exactement au cours de ce processus électoral d’octobre 1978 que
dans un bureau de vote de Djoiezi, un théologien occupant d’importantes
fonctions étatiques demandait avant même le décompte des bulletins de vote,
devant tout le monde et sans la moindre gêne s’il fallait communiquer un
chiffre de 99% ou 100%. Les Comores venaient de reprendre les habitudes
liées à la fraude électorale. En octobre 1978, Ahmed Abdallah Abderemane
avait perdu une bonne partie de sa popularité du 13 mai 1978 et des jours qui
avaient suivi. La prévalence du chauvinisme insulaire et les premiers pas de

1 Carré (Olivier) : L’Islam laïque ou le retour à la Grande Tradition, Armand Colin Éditeur,

Paris, 1993, p. 7.
2 Riziki Mohamed (A.) : Comores. Les institutions d’un État mort-né, op. cit., p. 90.

171
la dictature rampante ne rassuraient personne. En octobre 1978, le peuple ne
dansait plus dans les rues comme au lendemain du 13 mai 1978. En octobre
1978, Ahmed Abdallah Abderemane n’était plus vu comme « le Libérateur
des Comores » mais comme un acteur politique faisant tout pour conserver le
pouvoir, un pouvoir qui a été conquis par recours aux mercenaires.
Par la suite, et plus précisément le 30 septembre 1984, Ahmed Abdallah
Abderemane a été « réélu » « à 99% ». Cette ficelle électorale était très grosse
et le chef d’État sortant, qui refusait de sortir, avait dédaigneusement fait preuve
d’inélégance et de manque d’intelligence politique en refusant le dépôt de la
candidature du Mahorais Youssouf Saïd, proche du Front démocratique. Il avait
argué du fait que Youssouf Saïd n’était pas inscrit sur les listes électorales des
Comores. Alors que les Comores revendiquent Mayotte et alors qu’Ahmed
Abdallah Abderemane avait pour ministre des Affaires étrangères le Mahorais
Saïd Kafé, le pays pouvait-il trouver meilleur symbole d’unité nationale, en y
incluant Mayotte, que la candidature d’un Mahorais à un scrutin présidentiel ?
En réalité, même à Mayotte, nombreux étaient ceux qui avaient manœuvré en
coulisses pour le rejet de cette candidature.
Si, en 1978, quelques opposants avaient fait leur entrée à l’Assemblée, force
est cependant de constater que l’embellie n’a pas duré puisque, rapidement, on
se rendit compte que l’Assemblée fédérale était une chambre d’enregistrement,
un Parlement croupion, étant noté que toute l’activité de l’Assemblée fédérale
« fut très perturbée par l’emprise de l’exécutif. L’Assemblée débute ses séances
par l’adoption d’une motion de soutien inconditionnel au président de la
République. Cette motion conditionne l’attitude des membres de l’Assemblée
pendant tout le déroulement des travaux et les enferme dans la discipline de
vote du parti unique. [...]. Pour le chef de l’exécutif comorien, la notion de
séparation de pouvoirs était en fait un non-sens »1.
Lors des élections législatives de 1982, tout sera fait pour faire échouer les
candidats les plus sérieux, par la fraude et les actes inconstitutionnels. J’ai
été témoin des manœuvres inconstitutionnelles et frauduleuses ayant conduit
à l’élimination du juriste Mohamed Fazul, un des fondateurs du MOLINACO
et du PASOCO, Député lors de la législature de 1978-1982, au profit de mon
cousin Abdoulhaffar Mohamed Soilihi, de Djoiezi, qui était sans la moindre
expérience politique, et qui allait devenir l’un des plus fervents partisans du
président Ahmed Abdallah Abderemane.
Abderemane Mohamed, président de l’Assemblée fédérale, allait tomber en
disgrâce pour avoir déclaré au Parlement comorien le 25 avril 1986 que celui-ci
était une simple foutaise2. Ahmed Abdallah Abderemane l’avait chassé de la
présidence de l’Assemblée fédérale et l’avait remplacé par Abdallah Halifa,
un analphabète, dont le vice-président était Nassuf Ahmed Abdallah, le fils
du chef de l’État, et qui était également le président-directeur général (PDG)

1 Djabir (A.) : Les Comores. Un État en construction, op. cit., p. 141.


2 Djabir (A.) : Les Comores. Un État en construction, op. cit., p. 141.

172
des Établissements Abdallah Fils, la première entreprise privée du pays. Le
chef de l’État ne pouvait avoir son Parlement croupion qu’à la suite d’un
scrutin irrégulier : seule la fraude électorale pouvait lui permettre de réaliser
ses rêves d’une Assemblée fédérale aux ordres.
Une certaine tendance à l’exagération, à la fanfaronnade, à l’intolérance et
à l’autoglorification incitait Ahmed Abdallah Abderemane à déclarer, même
devant les diplomates étrangers accrédités à Moroni, qu’il ne voyait personne
aux Comores capable d’assurer sa succession. Il le disait avec conviction,
convaincu qu’il était indispensable et irremplaçable. Mais si, vivant, il était
« indispensable et irremplaçable », à sa mort brutale dans la nuit du 26 au 27
novembre 1989, il avait tout de même lui trouver un successeur.
Pour comprendre les conditions particulières de cette succession, prenons
connaissance du récit très éclairant de Jean-Yves Ollivier qui, comme cela
est indiqué ci-haut, faisait partie du groupe qui était chargé de faire partir des
îles Comores Robert « Bob » Denard dans les conditions particulières déjà
étudiées : « Je m’occupe de ces soucis protocolaires en même temps que des
tractations pour trouver un successeur au président Abdallah. Au terme de
moult conciliabules, le choix se porte sur Mohamed Djohar au nom du
respect de la Constitution, qui stipule que le président du Sénat [président de
la Cour suprême, en réalité] assure l’intérim en cas de vacance à la tête de
l’État. Djohar est un personnage sympathique mais falot. Il est installé dans
une bourgade à quelques dizaines de kilomètres de l’extérieur de Moroni. Je
m’y rends un bon matin en voiture pour lui apprendre l’heureuse nouvelle.
Sur place, on me désigne une petite maison pas tout à fait finie. Djohar me
reçoit dans son living-room-salon-salle-à-manger éclairé par des néons. Je
m’enfonce dans un opulent canapé d’importation, tout de prestige mais très
usé. Je lui annonce que la voie lui est ouverte pour la présidence. Il marque
une pause avant de me demander : “Si ça se fait, dis-moi, est-ce que j’aurai
un nouveau Frigidaire ?”. Passé un instant de perplexité, je lui confirme qu’il
n’aura pas seulement un frigo mais un palais, du personnel… Il accepte.
C’est ainsi que Mohamed Djohar est devenu chef de l’État. Au terme de sa
période d’intérim, il s’est fait élire »1.
Justement, il faudra signaler que même si le scrutin présidentiel des 4 et 11
mars 1990 était réellement pluraliste par le nombre de ses candidats, c’était de
la poudre aux yeux, au vu de l’immense mascarade électorale. En effet, l’État
comorien avait annoncé la « victoire » de Saïd Mohamed Djohar à 55,02% au
détriment de Mohamed Taki Abdoulkarim (44,98%), étant entendu que 40%
des électeurs avaient refusé de se rendre aux urnes. La fraude électorale de
mars 1990 avait été organisée de bout en bout par Omar Tamou, ministre de
l’Intérieur nommé par Ahmed Abdallah Abderemane, dont avait hérité Saïd
Mohamed Djohar, qui le traite par le mépris dans ses Mémoires posthumes.

1Ollivier (J.-Y.) : Ni vu, ni connu. Ma vie de négociant en politique. De Chirac et Foccart à


Mandela, op. cit., pp. 259-260

173
Quand le parachuté trahit les autres héritiers de l’ancien chef d’État, Omar
Tamou déballa tout sur la place publique à Moroni en mai 1992 : « Nous avons
déployé des efforts tous azimuts usant même de la fraude (manipulation de
l’encre indélébile, vol de bulletins...) pour faire élire Djohar président de la
République. Cela aussi nous sommes fiers, même si aujourd’hui cette fierté a
un goût de fiel. Tout, nous l’avons fait. Nous acceptons cette responsabilité,
Nous l’Oudzima, et moi en particulier. Mais si aujourd’hui le président de la
Répub-lique, M. Saïd-Mohamed Djohar, se targue d’être le père de la
démocratie, c’est de grâce ! un peu aussi grâce à nous »1.
L’Oudzima (« Unité », en comorien), était le parti unique d’Ahmed Abdallah
Abderemane. C’était un parti-État aux allures de Léviathan des tropiques.
À la suite de la tentative de coup d’État du 26 septembre 1992, Omar Tamou
et les autres caciques de l’Oudzima atterrirent en prison, et certains n’en sont
sortis que le 28 septembre 1995, quand Robert « Bob » Denard et ses soldats de
fortune ont renversé Saïd Mohamed Djohar, en prélude à sa piteuse déportation
à la Réunion.
Saïd Mohamed Djohar, créateur de la « gendrocratie » aux Comores, était
plus soucieux de ses gendres que du parti politique qui avait organisé la fraude
électorale en sa faveur. Il avait coutume de dire que ses « camarades » du parti
Oudzima l’avaient fait « élire » sans vraiment le connaître.
Sur la fraude électorale du 11 mars 1990, Mohamed Nassur Lal, originaire
de Mbéni et proche de Mohamed Taki Abdoulkarim, dit : « J’entretenais avec
le président Mohamed Taki Abdoulkarim des relations qu’on a avec son père.
À l’annonce de sa candidature, je me préparais à quitter la France pour aller
aux Comores. Il me l’interdit une pointe de colère dans la voix. Je désobéis. Je
me souviendrai toujours de son courroux quand il me retrouva en campagne
électorale aux Comores. Il me dit alors une chose extraordinaire : il ne voulait
pas que je quitte mon poste en France pour une élection qu’il allait remporter
mais dont la victoire allait être attribuée frauduleusement à Saïd Mohamed
Djohar ! J’eus le sang glacé quand il me dit : “Ce n’est qu’à l’élection prochaine
que ma victoire sera finalement reconnue”. Comment savait-il tout ça ? Tout le
monde sait qu’il était l’élu du 11 mars 1990, mais Saïd Mohamed Djohar avait
été déclaré vainqueur. Saïd Mohamed Djohar finit par être chassé du pouvoir
par les mercenaires en 1995. Les élections suivantes furent remportées, le 16
mars 1996, par Mohamed Taki Abdoulkarim, exactement comme il me l’avait
prédit en 1990. Ma question reste : mais, comment savait-il tout cela ? »2.
Le président Mohamed Taki Abdoulkarim est mort le 6 novembre 1978 dans
les conditions mystérieuses d’un très visible empoisonnement. En application
des normes pertinentes de la Constitution, Tadjidine Ben Saïd Massounde prit
la succession, dans l’attente de nouvelles élections présidentielles, dans un pays
ébranlé par la crise séparatiste qui a éclaté à Anjouan le 16 février 1997. Or, dès

1 Cf. L’Archipel n°85, Moroni, 29 mai 1992, p. 8.


2 Entretiens du dimanche 25 février 2018.

174
l’annonce de la mort du chef de l’État, Assoumani Azali, chef d’État-major, fit
part aux militaires de sa stupide décision de prendre le pouvoir par la force.
Certains officiers s’y opposèrent, et il les poursuit de sa haine et de sa vindicte
depuis. Parmi ces officiers, citons le Général Salimou Mohamed Amiri. Mais,
le 30 avril 1999, alors que le pays est au bord de l’implosion à cause de la crise
séparatiste à Anjouan, alors qu’il a organisé des pogromes dans les rues de
Moroni contre les Anjouanais vivant en Grande-Comore, Assoumani Azali prit
le pouvoir de force, marchant ainsi sur l’État, la République et les institutions.
Son coup d’État a été unanimement condamné par la classe politique du pays
à un moment de grave crise séparatiste à Anjouan. Il n’aura du soutien que de
la part des plus désespérés des acteurs politiques comoriens, dont le premier est
Hamada Madi Boléro, qui n’a même pas d’île ou de village de rattachement, et
qui ne peut se prévaloir d’aucun héritage venant de son père ou de sa mère lui
permettant d’avoir une terre pour construire une case ou cultiver de la banane
ou du manioc. Ce qui équivaut à une mise à mort qui n’est différée que par son
absence totale de scrupules et de probité.
Isolé à l’intérieur des Comores, Assoumani Azali l’est également à l’étranger,
surtout à un moment où l’OUA, le grand rassemblement mondial des dictateurs
sans imagination et des putschistes bornés, avait signalé son refus d’admettre
en son sein des chefs d’État arrivés au pouvoir par la force. Assoumani Azali
vivait très mal son isolement par la communauté internationale. Il lui fallait
donc une « légitimation », qui ne pouvait venir que par des élections. C’était la
première expérimentation de la présidence tournante aux Comores. Sur le plan
du Droit, de la morale et de la politique, ce fut une énorme catastrophe.
En janvier 2002, Assoumani Azali devait démissionner et céder le pouvoir à
son cousin Mohamed Elamine Soeuf, qui était aussi son ministre des Affaires
étrangères. Hamada Madi Boléro manœuvra matin, midi et soir pour être choisi
président de la République par intérim. Chaque jour, il était chez Abodo Soeufo
et suppliait ce dernier de plaider auprès d’Assoumani Azali, sur qui il avait de
l’influence, en vue de sa nomination. Il fut nommé président de la République
par intérim.
C’est alors que Hamada Madi Boléro, qui se prend pour un « juriste », voire
« le meilleur “juriste” des Comores », fit exactement le contraire de ce que dit le
grand juriste tunisien Yadh Ben Achour quand Zine El Abidine Ben Ali était
soucieux d’obtenir auprès de lui une caution morale pour sa dictature familiale :
« Un juriste ne tend jamais la main à un dictateur ». Hamada Madi Boléro, qui
ne sait même pas comment on fraude une élection de « manière propre », était
plongé dans une manœuvre frauduleuse d’une inconstitutionnalité repoussante.
Il avait obtenu la « légitimation » par les urnes de son commanditaire, mais en
créant les conditions d’une guerre civile comme chaque fois qu’il se lance dans
une manœuvre de fraude électorale.
Pour avoir vécu au Maroc de 1986 à 2005 et pour m’être vraiment intéressé à
la vie politique marocaine, j’ai entendu trop de choses sur la fraude électorale
dans ce merveilleux pays. On m’a même dit que le Général Mohamed Oufkir

175
(1920-1972), à l’époque où il était ministre de l’Intérieur (1967-1971), pouvait
même « prédire » les résultats des élections des années à venir. Tout a été dit
pour qualifier Mohamed Oufkir et son ancien protégé Driss Basri (1938-2007,
ministre de l’Intérieur de 1979 à 1999) de grands fraudeurs d’élections. Chaque
fois qu’il y avait des élections au Maroc, les accusations de fraudes électorales
pleuvaient sur eux, mais personne ne savait comment ils fraudaient un scrutin.
Pour Stephen Smith, en son temps, Mohamed Oufkir « garde le contrôle
de la situation, manipule une série de scrutins, les élections communales et
municipales de 1969 aux législatives de 1970 en passant par un nouveau
référendum constitutionnel en juillet, qui enregistre 98,85% d’approbation
malgré une campagne hostile menée par l’opposition. “Le maître d’œuvre
du trucage électoral, c’était lui. Il faisait même voter les morts, admet
Fatima1. Mais, vingt-cinq ans après Oufkir, on continue de truquer les
élections au Marocˮ. Raouf2 se souvient d’une “femme hypocriteˮ, invitée à
déjeuner le jour d’un scrutin, qui demande à Oufkir, les “premières
tendances”. Le général réplique : “Madame, voulez-vous les résultats des
élections d’hier ou des élections qui vont avoir lieu dans un an ?ˮ. Il n’est
pas dupe du rôle qu’il joue, mais il le joue à fond »3.
Mais, qui a pu dire comment le Général Mohamed Oufkir faisait pour le
trucage d’un scrutin, lui qui agissait toujours en amont de l’élection, quand il
s’agissait de pervertir dans le secret de l’administration les listes électorales
et le découpage des circonscriptions ? L’opposition supposait et présumait
une fraude électorale, mais était incapable de la prouver et surtout d’accuser
le ministre de l’Intérieur d’avoir agi d’une manière déterminée. Cela,
l’amateur Hamada Madi Boléro l’ignore, préférant agir après l’élection,
créant toujours une forte contestation, puisque les Comoriens savent tout de
ses méthodes débiles, qui manquent toujours de professionnalisme et de
maturité.
C’est pendant que Driss Basri était ministre de l’Intérieur que le célèbre
sociologue marocain Mohamed Guessous (1938-2014) avait lancé sa belle
boutade sur la privatisation de la fraude électorale après celle des grandes
entreprises publiques. Comme son mentor Mohamed Oufkir, Driss Basri,
devenu juriste sur le tard, est accusé d’être l’organisateur de la fraude lors des
élections marocaines : « Aucune situation ne le surprend, aucun problème
n’est pour lui insoluble. […]. Il garde la situation en main en manipulant
une série de scrutins. En véritable maître d’œuvre du trucage électoral, il
faisait voter même les morts et les personnes qui n’existent pas. Dans
l’exercice du pouvoir, le gouvernement est à ses ordres, le Parlement docile

1Il s’agit de Fatima Chenna (1935-2013), veuve du Général Mohamed Oufkir.


2Il s’agit de Raouf Oufkir, fils du Général Mohamed Oufkir.
3 Smith (Stephen) : Oufkir. Un destin marocain, 2ème édition, Hachette Littératures,

Collection « Pluriel Actuel », Paris, 2002, p. 278.

176
vote les lois qu’il lui fait édicter. Il concentre tous les pouvoirs entre ses
seules mains par féaux interposés.
Il étend son pouvoir sur le ministère de l’Information. Il a réduit l’op-
position à un rôle de figuration dans une parodie démocratique, car son tour
de force aura été d’habiller une certaine démocratie des oripeaux propres à
tromper l’opinion internationale. […]. Il noyauta chaque parti politique par
des éléments perturbateurs, capables d’en ébranler les structures à tout
instant. Il fit scinder plusieurs formations et en créa de nouvelles pour les
affaiblir aux élections »1. Driss Basri avait du métier. Il avait une équipe qui
avait l’expérience requise pour « arranger » une élection.
Un Hamada Madi Boléro, amateur en choses électorales, qui a la faiblesse
de surestimer son « intelligence », n’est pas capable de telles « prouesses ».
Éberlués et médusés, les Marocains entendirent une fois Driss Basri exiger
d’un Député le silence, lui expliquant qu’il devait être moins bavard parce
qu’il n’était même pas élu, mais était arrivé à la Chambre des Représentants
uniquement par fraude, par détournement de la victoire électorale d’un cadre
« islamiste ». Lors des élections législatives du 14 novembre 1997 au Maroc,
il y avait eu un profond malaise quand deux Députés dirent ne pas vouloir
siéger à la Chambre des Représentants parce que leur « élection » relevait de
la fraude. Au 14 novembre 1997, le ministre de l’Intérieur s’appelait Driss
Basri. Ce n’étaient pas les victimes de la fraude électorale supposée qui se
plaignaient, mais les bénéficiaires ! Un Hamada Madi Boléro est incapable de
comprendre de telles subtilités « méthodologiques ». Il ne sait que traficoter
les procès-verbaux des bureaux de vote, puis bourrer et remplacer les urnes.
Hamada Madi Boléro, simple amateur qui fait le travail des professionnels
de la fraude électorale, ne sait pas agir pour éviter à son candidat le soupçon.
Son trucage électoral de 2002 tourna à l’émeute. Alain Deschamps a écrit :
« Des élections présidentielles sont prévues pour le printemps 2002. Des
primaires, réservées à la Grande-Comore, accordent à Azali Assoumani
40% des voix. Son rival le plus dangereux, le riche colonel en retraite
Mradabi, qui de mon temps gérait les hydrocarbures, n’en obtient que 15%,
le revenant prince Kemal 11%, l’infortuné Abbas Djoussouf 7,8%, l’ancien
Premier ministre d’Ahmed Abdallah, l’honnête Ali Mroudjae 4,1%, et
Moustoifa Saïd Cheikh, révolutionnaire repenti 3,3%. Il est temps de dire
adieu, non sans un peu de regret, à ces vieux chevaux de retour de la
politique dont j’avais jadis suivi les ébats.
Place aux hommes nouveaux : au deuxième tour du scrutin, Azali Assou-
mani est élu, le 14 avril 2002, président de l’Union des Comores à l’issue
d’élections, bien entendu boycottées par l’opposition. À Moroni, des bureaux
de vote sont saccagés, des barricades élevées. Dès la proclamation des
résultats, ceux-ci sont contestés et huit jours plus tard annulés par une Com-

1 Belouchi (Belkassem) : Portraits d’hommes politiques du Maroc, Préface d’Ahmed El

Kohen Lamrhili, Éditions Afrique Orient, Casablanca, 2002, p. 182.

177
mission nationale électorale, elle-même fort contestable. Ils seront validés le
8 mai par une commission de magistrats dont le verdict semble aujourd’hui
accepté. L’exercice de la démocratie à l’occidentale était moins compliqué
du temps d’Ahmed Abdallah »1.
Ce désordre est imputable à un homme : l’amateur Hamada Madi Boléro,
qui se prend pour un professionnel de la fraude électorale. Il « légitimera »
son « ami » Assoumani Azali – qu’il avait trahi dans la chair dans une suite
d’hôtel à Dubaï – par sa prétendue commission de « juristes » étrangers, dont
les membres étaient absents des Comores au moment des élections. Son ami
Soilihi Mahmoud Mansour dit Sako, formé en même temps que lui en
Relations internationales à Kiev, en ancienne Union Soviétique, a été associé
à la « validation » d’une immense mascarade électorale. Il sera gratifié de la
fonction de Procureur général alors qu’il n’a aucune formation en Droit
privé. Il s’y maintiendra par une corruption crasse, partie au secours de son
incompétence et de son incurie. Soilihi Mahmoud Mansour est la caricature
d’un juriste, régnant dans les tribunaux par l’incompétence et la corruption.
L’opposition avait boycotté le deuxième tour du scrutin parce que Hamada
Madi Boléro avait été tellement primitif et inconséquent qu’il n’était même
pas possible d’envisager une vraie élection mais juste une parodie. Tout était
fait de manière grossière et relevait de l’amateurisme. Les 4 et 11 mars 1990,
le scrutin était fraudé, mais il n’y avait pas eu des émeutes populaires. Omar
Tamou avait manipulé l’élection, mais en prenant certaines précautions pour
ne pas provoquer la colère de la population. Omar Tamou avait du métier, et
l’avait prouvé.
Normalement, Assoumani Azali, qui sait que personne n’est dupe sur les
conditions anticonstitutionnelles de son « élection », aurait dû adopter un
profil bas. Or, il ose prétendre qu’« après la proclamation des résultats du
premier tour, nous nous sommes retrouvés à trois pour concourir au second
tour. Là, l’opposition a refusé de participer à ce second tour, et a demandé à
ce qu’on le reporte et que l’on procède d’abord aux élections des présidents
des îles avant d’organiser ce second tour des présidentielles.
C’était exactement l’inverse de ce que le processus avait prévu : nous
devions d’abord élire le président de l’Union, puis les présidents des îles et
pour finir, nos représentants à toutes les assemblées. Mais comme les résultats
semblaient déjouer certains pronostics, des voix se sont élevées pour modifier
l’ordre des scrutins ; en gagnant un peu de temps, ces protestataires espé-
raient sans doute pouvoir changer le rapport de force.
Mais cette fois j’ai refusé et le deuxième tour a eu lieu, boycotté par
l’opposition. Après presque un mois de tractations, la commission d’homo-
logation m’a déclaré vainqueur et nous sommes donc passés à l’échelon
suivant, l’élection des présidents des îles. L’opposition a gagné partout sauf

1Deschamps (A.) : Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœla-


canthe, op. cit., p. 184.

178
à Mohéli, où mon parti est sorti vainqueur. Il faut noter que ces élections se
sont déroulées sous la supervision de la communauté internationale, qui y
avait dépêché des observateurs civils et militaires, et qu’elle était physique-
ment représentée dans toutes les structures mises en place pour ce scrutin »1.
Assoumani Azali, en affirmant tout cela, est dans la propagande et dans la
prise de liberté avec la vérité. Il ne dit pas la vérité. Il était tellement décrié
qu’il était impossible qu’il soit élu de manière démocratique. De son putsch
à la mascarade électorale, Ambari Darouèche (son épouse), son clan mafieux
et lui-même avaient largement eu le temps de détruire les Comores, sans se
soucier de la misère des Comoriens. Ils étaient haïs et honnis par le peuple.
Malgré le cri de haine lancé à son encontre par les Comoriens et en dépit
de la fraude maladroite organisée en sa faveur par son homme de main le
plus apte à faire reculer les barrières du Droit et de la morale en politique,
Assoumani Azali ose affirmer sans la moindre honte : « Paradoxalement,
j’ai peut-être gagné parce que je n’étais pas chef de parti politique. Il y avait
chez les Comoriens, comme un peu partout aujourd’hui également en Europe,
une crise de confiance à l’égard de la classe politique en général et des partis
politiques en particulier. Je pense que les Comoriens ont fait confiance à
l’équipe que j’avais conduite sur la base des résultats qu’ils avaient pu
constater, qu’il s’agisse du processus de réconciliation nationale ou de la
gestion du pays.
En ce qui me concerne, je pense qu’il est nécessaire de prendre des risques
quand on veut défendre ses convictions jusqu’au bout ; si je ne m’étais pas
présenté, tout le monde aurait applaudi, à commencer par la communauté
internationale qui voulait à tout prix se défaire d’un putschiste. En réalité, il
ne faut pas avoir peur de solliciter la confiance du peuple.
La preuve, c’est que nous avons remporté ces élections. J’ai abordé serei-
nement ce scrutin ; certes, gagner la présidence a renforcé ma volonté de
continuer à servir mon pays. Mais si j’avais échoué, cela ne m’aurait pas
perturbé outre mesure car j’aurais eu la conscience tranquille.
Notre première victoire avait été d’organiser des élections transparentes,
libres et démocratiques et reconnues par la communauté internationale. Le
vrai gâchis est venu du comportement de certains parmi nous qui, au lieu de
se rassembler pour les intérêts du pays, ont continué à se chamailler, c’est
comme cela que nous avons perdu deux ans, puisque ce n’est qu’en 2004
que nous avons mis en place l’Assemblée nationale et les Assemblées des
îles »2.
Tout cela relève du mensonge et de la propagande. Ceci est d’autant plus
vrai qu’en 2002, il n’y a pas eu aux Comores d’« élections transparentes,

1 Assoumani (A.) : Quand j’étais président. Entretiens avec Charles Onana, op. cit., pp. 109-
110.
2 Assoumani (A.) : Quand j’étais président. Entretiens avec Charles Onana, op. cit., pp. 110-

111.

179
libres et démocratiques et reconnues par la communauté internationale ». Il
n’y a pas un pays sérieux qui consacre des semaines avant de valider un vote
qui s’est déroulé dans des bonnes conditions. La réconciliation nationale et
la gouvernance dont se vante Assoumani Azali sont plus une vue de l’esprit
qu’une réalité politique. Assoumani Azali avait pactisé avec les séparatistes
d’Anjouan et les soutenait ouvertement, laissant pourrir une situation sociale,
économique et politique devenue explosive. S’agissant de sa gouvernance,
elle était ce qu’on fait de pire. La généralisation et l’institutionnalisation de
la corruption en sont les preuves les plus parlantes. La crise était partout.
Par la suite, et plus précisément lors de l’élection présidentielle de 2010, il
y eut de la fraude. Ahmed Sambi, le président sortant, était très soucieux de
laisser derrière lui son vice-président Ikililou Dhoinine, dont le slogan était
« Le relais qui rassure ». J’avais expliqué à sa pathétique équipe de travail le
caractère grotesque, insultant et ridicule de ce slogan, mais personne n’avait
le temps de m’écouter. Par la suite, ce slogan poursuivit Ikililou Dhoinine de
la manière la plus déplorable.
Incontestablement, les deux tours du scrutin présidentiel du 7 novembre et
26 décembre 2010 ont été viciés par la fraude électorale. Mais, contrairement
aux grossièretés de l’amateur Hamada Madi Boléro, les fraudeurs de 2010
ont été « à bonne école », en organisant leurs tripatouillages en amont du
scrutin. Tout le monde dit qu’il y a eu fraude électorale en 2010, mais rares
sont les personnes qui savent comment les fraudeurs avaient procédé.
Sur l’île d’Anjouan, il y avait eu tellement d’affrontements et de pugilats
que, aux dires du ministre d’État chargé des Élections de l’époque, « il n’y a
pas eu d’élections à Anjouan ». Pourtant, Ikililou Dhoinine avait été déclaré
vainqueur à 60,91%. La principale victime de cette fraude électorale avait
été Mohamed Saïd Fazul, qui avait préféré ne pas signaler les différents cas
de fraude notés. Les Mohéliens tenaient à ce que l’élection du premier cadre
de leur île élu à la magistrature suprême soit un exemple de démocratie et de
transparence. Elle ne l’a pas été. Pourtant, cette fraude n’avait pas pris des
proportions importantes, et cela, uniquement parce que Mohamed Saïd Fazul
avait préféré ne pas étaler sur la place publique la fraude constatée lors de
l’élection qui allait porter au pouvoir pour la première fois un Mohélien.
En 2016, le tour revenait à la Grande-Comore. Tous les candidats devaient
avoir leurs racines et origines en Grande-Comore. Ils l’étaient. C’est Ikililou
Dhoinine, le chef d’État sortant, originaire de Mohéli, qui devait organiser le
scrutin. Il s’était comporté avec une lâcheté inégalée et une irresponsabilité
inégalable. Complètement déconnecté des réalités du monde, narcissique,
incompétent et corrompu, Ikililou Dhoinine se laissa enfermer dans la haine
de Hadidja Aboubacar, son épouse, et dans les manœuvres frauduleuses de
Hamada Madi Boléro, le cheval de Troie d’Assoumani Azali à Beït-Salam.
En réalité, ce trio d’amateurs avait fait depuis longtemps le choix portant
sur Assoumani Azali. Ce dernier acceptait son rôle de quémandeur et était vu
régulièrement à la cuisine de la Présidence de la République en compagnie

180
de Hadidja Aboubacar. Je me souviens encore de l’appel téléphonique de
son « ami » Houmed Msaïdié Mdahoma en date du 18 février 2014 faisant
état de la transformation de l’ancien chef de la junte militaire en larbin lors
du « mariage d’État », celui de la petite sœur de Hadidja Aboubacar à
Fomboni, Mohéli. L’image suivante a été prise peu de temps avant que le
taureau réservé à la corrida (sans violence) ne tente de le tuer à coups de
cornes devant un public divisé sur la conduite à suivre, entre le sauver et le
laisser se faire tuer par un taureau de Mohéli ! Le site www.lemohelien.com
avait relaté toute l’affaire, suscitant les quolibets et la joie des Comoriens.

Assoumani Azali est le 3ème en partant de la gauche ou de la droite.


En réalité, « au-delà du plaisir sadique que peuvent susciter les méchantes
anecdotes sur Azali Assoumani, force est de retenir une leçon : il a tout fait
pour devenir un proche d’Ikililou Dhoinine, dans la perspective de l’élection
présidentielle de 2016. Il le revendiquait ouvertement et disait ne jamais être
complexé de quémander auprès d’Ikililou Dhoinine afin que celui-ci puisse
l’adouber et en faire son candidat personnel. Ikililou Dhoinine inaugure un
édifice public ? Azali Assoumani est bien présent. Ikililou Dhoinine assiste à
une cérémonie mortuaire dans tel village ? Azali Assoumani est bien présent.
Ikililou Dhoinine est invité dans un village lointain ? Azali Assoumani est
toujours présent. Parfois, quand Ikililou Dhoinine coupe le ruban pour telle
inauguration, le Colonel Azali Assoumani lui tient bien obligeamment et
obséquieusement ce ruban. Il était partout. Il s’invitait partout.

181
On le voyait tout le temps au Palais présidentiel, et on apprendra par la
suite que quand il s’y rendait, il ne ratait jamais une occasion pour dauber
et médire à satiété sur Ahmed Sambi, qui deviendra pourtant son allié le
vendredi 1er avril 2016, après l’implosion du parti politique de celui-ci, suite
à des tribulations politiciennes abracadabrantesques par lesquelles se lisait
parfaitement et douloureusement l’incapacité de “sa” formation partisane à
choisir l’un des trois candidats retenus pour le second tour de l’élection
présidentielle »1.
Ikililou Dhoinine, Hadidja Aboubacar, Hamada Madi Boléro et les autres
Mohéliens de Beït-Salam avaient décidé dès le départ que leur candidat était
Assoumani Azali. Ils ont tout fait pour le faire « élire » par la fraude la plus
révoltante. À l’issue du premier tour du scrutin, tenu le 21 février 2016, il est
clairement apparu qu’Assoumani Azali avait été éliminé, lui dont le rejet fut
constaté même dans sa région du Hambou, où il n’arriva en première place
que dans son village de Mitsoudjé et à Salimani-Hambou. Les Mohéliens de
Beït-Salam ont manœuvré de manière à faire éliminer frauduleusement celui
qui était considéré comme le plus dangereux des candidats : Maître Fahmi
Saïd Ibrahim, le candidat du parti Juwa d’Ahmed Sambi.
Fahmi Saïd Ibrahim faisait peur parce que le soutien qu’il allait pouvoir
avoir à Anjouan constituait l’un des enjeux de l’élection. Quand il sentit que
les Mohéliens de Beït-Salam favorisaient Assoumani Azali et que le parti au
pouvoir fermait un peu trop facilement les yeux, il avertit Houmed Msaïdié
Mdahoma, colistier à la Grande-Comore de Mohamed Ali Soilihi, supposé
être le candidat du pouvoir, lui disant que s’il était maintenu au second tour
du scrutin, Assoumani Azali allait remporter l’élection par la complaisance
frauduleuse du pouvoir en place. Houmed Msaïdié Mdahoma n’appartient
pas à la catégorie des intellectuels, et n’est nullement connu pour sa capacité
d’analyse politique. Il n’avait qu’une image : Assoumani Azali avait quitté la
Présidence de la République le 26 mai 2006 sous les injures, les quolibets et
les huées d’un peuple qui n’avait que du mépris et de la haine pour lui.
Alors que Fahmi Saïd Ibrahim et ses proches demandaient un nouveau
décompte des voix, Assoumani Azali faisait semblant de le soutenir, mais en
faisant en sorte que les résultats soient maintenus en l’état. N’était-il pas
admis pour le second tour du scrutin suite au trucage électoral ? Il faut noter
que la Commission électorale nationale indépendante (CÉNI) était tellement
corrompue et nullissime que quand on a calculé le nombre des voix obtenues
par les 25 candidats à ce scrutin, on en obtenait 104% !
Pour organiser sa fraude, Assoumani Azali avait eu recours aux procédés
les plus illégaux. Il a fait voter des morts et des Comoriens établis dans des
pays étrangers, notamment Mohamed Elamine Souef, son cousin et ancien
ministre des Affaires étrangères, alors travaillant sur le Darfour pour l’ONU.

1 Riziki Mohamed (A.) : Mohamed Ali Soilihi. Vérités sur une élection aux Comores, op. cit.,

p. 25.

182
Les fraudes de ce type ont été constatées surtout à Moidja et à Mitsoudjé, en
Grande-Comore. Il y eut même des rapports de police sur le sujet. Or, pour
les élections de 2016, les procurations n’étaient pas permises. À Mohéli, ma
propre épouse « avait voté » alors qu’elle vivait en France, n’était pas sur les
listes électorales comoriennes et ne savait même pas comment avaient été
établis les documents qui permettaient aux fraudeurs d’utiliser son nom à des
fins criminelles. Sa sœur, vivant également en France, « avait voté ». En tout
état de cause, nous avions fini par identifier à Boingoma, village de Hamada
Madi Boléro et Maoulana Attoumane Hassane, l’identité de la personne qui
a été à l’origine de cette fraude touchant plusieurs autres personnes.
11.500 Anjouanais, soit 10% de l’électorat de leur île, ont été empêchés de
voter par les hommes d’Assoumani Azali, dont son colistier à Anjouan. Les
procès-verbaux de 35 bureaux de vote ont été signés par la même personne.
Le vendredi 22 juillet 2016, le site www.afriqueconfidentielle.com avait
signalé : « Comores. Exclusif : Présidentielle : Comment Soilihi a été volé de
sa victoire. Afrique Confidentielle vous révèle en exclusivité comment le
candidat Soilihi, qui était super favori à l’élection présidentielle, a été privé
de sa victoire grâce à une arnaque inédite en matière de fraude électorale.
Les partisans de Ansoumani, ex-officier putschiste et ancien président de
la République, ont su ourdir un complot pour changer les résultats du
scrutin. Ils ont tout simplement corrompu les transporteurs des urnes après
le dépouillement. C’est ainsi que les chauffeurs complices se sont arrêtés en
chemin pour permettre aux fraudeurs de changer les bulletins par d’autres
qui donnaient vainqueur Ansoumani. Les responsables qui avaient en charge
la proclamation définitive des résultats n’y ont vu que du feu et le subterfuge
a marché. Maintenant que le pot aux roses est découvert, que va-t-il se
passer ? ». Il ne s’est rien passé parce que toutes les institutions chargées de
l’organisation de l’élection étaient corrompues, de la Cour constitutionnelle
à la CÉNI. Le chef d’État-major de l’Armée y contribua, dans l’illégalité.
Le vice-président Mohamed Ali Soilihi, qui était supposé être le candidat
officiel du pouvoir, fut trahi de façon ignominieuse par Ikililou Dhoinine,
pour qui il avait reçu des injures de 2011 à 2016. Ikililou Dhoinine et ses
Mohéliens de Beït-Salam avaient choisi Assoumani Azali et étaient prêts à
tout pour remettre le destin du pays entre les mains d’un putschiste corrompu
et incompétent, qui a complètement ruiné les Comores entre le 30 avril 1999
et le 26 mai 2006. Mohamed Ali Soilihi devenait la victime de l’inconstance
d’Ikililou Dhoinine, de la haine de Hadidja Aboubacar, qui se prenait pour
une vraie et grande politicienne, et de la folie destructrice d’un Hamada
Madi Boléro, poursuivi de la haine de centaines de milliers de Comoriens.
S’agissant de la massive fraude électorale de 2016, on avait parlé de la
« présence inexplicable et inexpliquée sur les tabulations de 1.597 bulletins
ayant une origine “extraterrestre” et “surnaturelle”, alors que l’écart officiel
entre les 2 premiers candidats était de 2.000 voix. Pour comprendre cette
histoire de 1.597 bulletins de trop, il faut partir de l’idée selon laquelle il y

183
avait eu un total de 204.113 votants, soit officiellement, 79.429 voix pour
Azali Assoumani, contre 77.285 voix Mohamed Ali Soilihi et 37.116 voix
pour Mouigni Baraka Saïd Soilihi. Pour leur part, tous les bulletins nuls
s’élevaient à 11.880.
Quand on totalise tous ces bulletins, on obtient un total de 205.710
bulletins, soit 1.597 bulletins de trop. À ce jour, personne n’a pu expliquer
l’origine, sans doute “extraterrestre” et “surnaturelle”, des 1.597 voix de
plus, qui sont la traduction la plus parfaite de l’immense fraude électorale
qui avait été organisée en faveur d’Azali Assoumani par des Mohéliens, de
la Présidence de la République à la CÉNI »1.
D’aucuns ont expliqué la haine des Mohéliens de Beït-Salam envers le
vice-président Mohamed Ali Soilihi, supposé candidat du pouvoir, par l’aide
d’Abiamri Mahamoud, le colistier de ce dernier à Mohéli, à Mohamed Saïd
Fazul, le candidat qui allait battre Hadidja Aboubacar à 63,29% au second
tour de l’élection gubernatoriale de Mohéli en 2016. Ces personnes ont tort
parce qu’il ne s’agit que d’un prétexte.
Le vendredi 15 avril 2016, Hamada Madi Boléro incita Ikililou Dhoinine à
l’irréparable : demander à Youssoufa Idjihadi d’obliger la CÉNI à publier
des résultats incomplets et illégaux, car favorables à Assoumani Azali, suite
aux tripatouillages éhontés effectués sur toute la chaîne. Or, le président de
la Cour constitutionnelle et le ministre de l’Intérieur ont signalé au président
de la CÉNI qu’il ne pouvait pas proclamer des résultats avant que tous les
procès-verbaux ne soient centralisés à Moroni ; ce qui ne sera fait que le 28
avril 2016, plus de deux semaines après le scrutin !
Lisons l’article 147 du Code électoral des Comores : « De la transmission
des enveloppes inviolables à la CÉNI, à la Cour constitutionnelle et au
ministère en charge des élections. La CÉNI se charge de transmettre les
enveloppes inviolables destinées à la Cour constitutionnelle et celles destinées
au ministère en charge des élections dans les meilleurs délais et au plus tard
le jour suivant le ou les scrutins ».
Corrompue par Assoumani Azali par l’intermédiaire de Mouzaoir Abdallah,
la Cour constitutionnelle se contenta d’organiser une reprise des élections, et
ce, non pas pour tous les 11.500 électeurs qui ont été privés de droit de vote
à Anjouan par les hommes d’Assoumani Azali, mais pour seulement 3.000
d’entre eux. Lors de la reprise du scrutin dans quelques bureaux de vote pour
la forme, la fraude avait battu tous les records mondiaux en la matière.
Après avoir fait proclamer des résultats incomplets, truqués et illégaux par
un Youssoufa Idjihadi portant une tenue de parachutiste et proférant moult
menaces, Hamada Madi Boléro avait jeté devant la porte de sa maison à
Moroni quelques de papiers sur lesquels il avait mis du feu, simulant une
« tentative d’incendie ». Il avait quitté les Comores dans la précipitation et se

1 Riziki Mohamed (A.) : Mohamed Ali Soilihi. Vérités sur une élection aux Comores, op. cit.,

p. 353.

184
rendit en France, faisant croire que sa vie était en danger à Moroni. Cela fut
à l’origine de son nouveau surnom : le fugitif international. Il avait menti.
C’est un menteur. De France, il continuait de téléguider la fraude électorale
qu’il avait mise en place. Installé chez son beau-frère, à Nanterre, il hurlait au
téléphone devant son petit auditoire personnel : « Azali, je t’ai promis : tu
seras élu président des Comores ». En tout état de cause, cet auditoire n’a
pas été impressionné, si on en juge par ses quolibets sur lui.
Le schéma suivant nous permet de constater que l’élection présidentielle
de 2016 ne remplit pas la moitié des conditions exigées pour qu’un scrutin
puisse être considéré comme valide selon les standards internationaux1. Les
45% des conditions demandées ont été obtenues uniquement parce que tous
les candidats pouvaient s’exprimer lors du scrutin. L’élection ne pouvait être
considérée comme valide avec seulement 45% des conditions exigées.

Les résultats figurant sur ce schéma en disent long sur l’énormité et surtout
la grossièreté de la fraude électorale de 2016, qui fait qu’Assoumani Azali a
été porté au pouvoir alors que Mohamed Ali Soilihi avait été élu à 56,63%.
La fraude électorale à cette échelle ne peut être opérée que dans un État qui
se situe dans les bas-fonds et abîmes du sous-développement institutionnel,
économique et social.

1Norris (Pippa), Martínez I Coma (Ferran), Nai (Alessandro) et Grömping (Max) : The
year in elections, Mid-2016 update, Université de Sydney, septembre 2016, p. 4.

185
Les développements qui précèdent permettent de noter que les Comores
sont l’un des bastions de la fraude électorale dans le monde. En la matière,
Ahmed Abdallah Abderemane, Saïd Mohamed Djohar, Assoumani Azali et
Ikililou Dhoinine sont ceux qui ont le plus fait reculer les îles Comores en
matière de transparence électorale. Les dérives qu’ils ont occasionnées sont
incommensurables. Ils n’en ont jamais mesuré la gravité en termes de Droit.
Des mauvais dirigeants fraudent des élections uniquement pour leurs besoins
personnels, sans souci pour le pays et son peuple. Évidemment, la faiblesse
des institutions publiques nationales comoriennes favorise toutes les dérives
anticonstitutionnelles des mauvais dirigeants, qui n’ont aucun respect pour la
souveraineté du peuple et pour le Droit, censé régir les rapports sociaux et
favoriser l’élection de ceux qui ont la confiance de ce peuple.

S.III.- L’AUTOCRATIE ET LA TERREUR COMME MOYENS DE MAINTIEN AU


POUVOIR
Nous étudions le sujet à travers les trois régimes politiques comoriens dont
les 2 mamelles sont l’autocratie et la terreur : la République des « Tontons
Macoutes à la comorienne » (§1.), la République des mercenaires (§2.) et la
« Républiquette » devenue « Ripoux-blique » de Mitsoudjé (§3.).

§1.- « RÉPUBLIQUETTE » DES « TONTONS MACOUTES À LA COMORIENNE »


La remarque peut faire rire, tant la comparaison entre les Comores et les
régimes politiques des pays scandinaves est très osée, même si l’allusion est
faite dans un but purement satirique : « La République fédérale islamique – on
dit la “RFI” – des Comores ne connaît pas précisément la sérénité d’une social-
démocratie scandinave »1.
Les régimes politiques comoriens sont pour la plupart autocratiques. Ils sont
à l’image de la plupart des autres dictatures qui ont causé nombre de malheurs
dans les pays du Tiers-monde, réduisant les peuples de ces pays en esclavage,
les privant de tous leurs droits fondamentaux. Il y a autocratie aux Comores car
le pouvoir appartient à une seule personne, qui en use et abuse à satiété.
En tant qu’État, les Comores sont nées dans l’autocratie. Ahmed Abdallah
Abderemane avait eu à peine le temps de proclamer l’indépendance unilatérale
le 6 juillet 1975 que le 3 août 1975, il était destitué par Ali Soilihi. Il n’avait
donc pas eu le temps d’instaurer un régime politique qu’on aurait pu juger de
manière très objective. Pourtant, en quelques jours de pouvoir, il avait donné
les preuves d’une certaine dérive autocratique.
Quand il prend le pouvoir le 3 août 1975, Ali Soilihi promettait la justice, la
démocratie et l’État de Droit. Son discours séduisait les masses populaires de
tout le pays. Or, le régime politique d’Ali Soilihi a commencé dans le sang et
dans le deuil. En effet, le 20 septembre 1975, pour déloger l’ancien président

1 Lestrohan (P.) : Prises de bec. Comores à crédit, op. cit., p. 7.

186
Ahmed Abdallah Abderemane de son île natale d’Anjouan, il dépêcha sur place
Robert « Bob » Denard, ses mercenaires et l’Armée comorienne, embryonnaire
à cette époque. Ahmed Abdallah Abderemane sera délogé d’Anjouan, après un
bain de sang à Mutsamudu, la capitale de l’île. Ali Soilihi a monté en épingle la
mort par entêtement du militaire grand-comorien Madi Moissi, devenu héros de
la Révolution (la terrible milice de la Révolution reçoit le nom de Commando
Moissi), mais a oublié les nombreux morts anjouanais de Mutsamudu. Madi
Moissi s’est fait tuer parce qu’il avait un fusil, tirait sans discernement, alors
qu’il était appelé à cesser le carnage.
Alors que Mohamed Taki Abdoulkarim, ministre de l’Intérieur dans le très
éphémère gouvernement dirigé par Ahmed Abdallah Abderemane tout de suite
après la proclamation de l’indépendance, le 6 juillet 1975, mettait en sécession
sa région du Hamahamet après le coup d’État du 3 août 1975, Ali Soilihi allait
y provoquer un nouveau carnage, surtout à Mbéni. Un autre massacre aura lieu
à Iconi, au Sud de Moroni. À cette époque, les massacres qui avaient lieu aux
Comores n’avaient aucun écho à l’étranger. Les Comoriens étaient tués, et cela
n’intéressait pas les autres pays. La mort d’un Comorien est un non-événement.
Le régime politique d’Ali Soilihi (3 août 1975 – 13 mai 1978) était basé sur
la répression, la violence et les tueries. Le Commando Moissi, à l’origine de la
plupart des exactions et tueries, fut comparé aux redoutables Tontons Macoutes
de Haïti : « Tontons macoutes à la comorienne »1.
Dans ce climat politique étouffant, lourd et délétère, « l’État fabrique procès
sur procès, au point de lasser l’opinion publique qui assiste impuissante, à
l’incarcération des “égarésˮ depuis 1976 (Mohamed Taki, Omar Tamou, Ali
Mroudjae et Saïd Bacar Tourqui). Le 28 mai 1977, Radio Comores diffuse un
débat organisé par le pouvoir populaire de Mutsamudu, dont 4 membres sont
accusés d’“opportunismeˮ. Parmi eux, Ibrahim Halidi et des militaires accusés
de “séditionˮ et qui furent mis aux arrêts. En janvier 1978 à Anjouan, un
paysan est tué par balles, et 50 personnes sont blessées par les militaires. Le
camp de Mbouyoujou est devenu un terrible lieu d’incarcération. Le 16 janvier
1978 à la Grande-Comore, a été découvert le “complotˮ préparé par Abasse
Djoussouf avec la complicité de 4 de ses amis. Tous ces comploteurs réels ou
supposés iront en prison jusqu’au 13 mai 1978 »2.
Quand les autorités ont parlé du complot de janvier 1978, j’étais en première
année de Collège, à Fomboni. Je me souviens encore des militaires surarmés qui
nous avaient fait défiler de Djoiezi à Fomboni en scandant sur un trajet de plus
de 5 km « les assassins doivent être décapités ». Ces militaires étaient tous des
Grands-Comoriens. Ils étaient dépêchés à Mohéli pour réprimer la population
de l’île depuis que le 28 octobre 1977, les Mohéliens, à 97% et malgré la fraude

1 Junqua (D.) : Comores. Le témoignage de réfugiés en France. Quand les « Mapindouzi » font

la loi, op. cit., p. 4.


2 Riziki Mohamed (A.) : Comores. Les institutions d’un État mort-né, op. cit., p. 75.

187
électorale organisée par la Révolution, avaient demandé le remplacement d’Ali
Soilihi par un « remplaçant » sans nom, ni visage.
Au lendemain du 28 octobre 1977, les Mohéliens virent débarquer sur leur île
le Commando Moissi, uniquement composé de Grands-Comoriens. Cette unité
répressive et surarmée, procéda à l’arrestation de tous les chefs et principaux
militants du parti mohélien Oudjamaa, pourtant dirigé par le vice-président de
la République, Mohamed Hassanaly, dont même la famille était mise aux arrêts
et très persécutée. Curieusement, on n’y vit aucun Djoiezien, alors que cette
formation partisane avait des militants à Djoiezi. Au lendemain des arrestations
opérées sur l’île, le Commando Moissi demanda à la population d’être présente
sur la route principale de chaque village et ville dans la matinée du jour suivant.
Effectivement, le lendemain, une puissante sonorisation attira la population
sur la principale artère de chaque ville et village. Les chefs et militants du parti
Oudjamaa, torses et pieds nus, le pantalon retroussé jusqu’aux genoux, étaient
devant les leurs, certains saignaient. Ces pères de famille très éloignés de toute
idée de sédition (en avaient-ils les moyens ?), mais haïssant la Révolution d’Ali
Soilihi, comme la plupart des Comoriens, avaient fait pleurer le Tout-Mohéli ce
jour-là. Même très dignes, ils suscitaient la colère des Mohéliens envers l’État
incarné par Ali Soilihi. Ces sentiments de colère étaient d’autant plus profonds
que tous les Mohéliens de souche se connaissent et ont des relations de famille
entre eux. Les Mohéliens arrêtés furent embarqués sur un navire avant d’être
déportés en Grande-Comore, sans contact avec le monde des vivants. Ils furent
jetés dans des citernes en Grande-Comore. Ils ne furent libérés qu’après le coup
d’État du 13 mai 1978.
Mohéli fut placée en quarantaine le même jour, dans des conditions barbares,
pendant que le Commando Moissi grand-comorien s’était lancé dans la torture
et la persécution des Mohéliens. Le Mahorais Hamdane dit « Marshall » était le
seul militaire présent à Mohéli qui se comportait de manière humaine envers les
Mohéliens. Le Commando Moissi demandait l’impossible aux Mohéliens pour
pouvoir les torturer : monter dans leurs camionnettes Datsun sans les toucher.
Mohéli n’était pas au bout de ses peines et malheurs. Quelques jours avant le
putsch du 13 mai 1978, on apprenait qu’« à Mohéli, la plus petite et la moins
peuplée des îles, les paysans, forcés de céder leurs lopins de terre pour
transformer leur île en “jardin des Comoresˮ se sont révoltés en janvier 1978.
“Les meneurs ont été déportés dans un camp de rééducation situé dans le sud
de la Grande-Comore et depuis mars, Mohéli a été complètement isolée du
reste de l’archipelˮ, disent des témoins »1.
Les Djoieziens, ayant cru un peu trop rapidement qu’ils avaient échappé à la
fureur du régime politique révolutionnaire, durent déchanter. Je me souviens de
la scène comme si elle a eu lieu aujourd’hui. Nous étions dans un camion des
Travaux publics qui devait nous déposer au Collège de Fomboni et étions dans

1Pomonti (Jean-Claude) : Selon des témoignages de voyageurs. La répression s’aggraverait


aux Comores, Le Monde, Paris, 14 avril 1978, p. 3.

188
la capitale mohélienne quand nous vîmes passer des véhicules du Commando
Moissi remplis de jeunes Djoieziens. Ils ne retrouveront la liberté qu’après le
putsch du 13 mai 1978. D’abord incarcérés au camp militaire de Fomboni, ils
ont fini leur période carcérale en déportation à la Grande-Comore.
À cette époque, j’étais en première année de Collège, et certains des hommes
mis aux arrêts étaient mes cousins, qui étaient en deuxième année de Collège.
Les personnes arrêtées avaient entre 16 et 25 ans. Aucune n’avait une activité
politique. Il devait exister un dénominateur commun entre toutes personnes. Il
n’a pas été difficile de le déceler : le jeu de dominos. Ces prisonniers politiques
se retrouvaient l’après-midi pour jouer aux dominos. Or, il n’existait aucune loi
qui interdisait le jeu de dominos. Le Tout-Mohéli ne tarda pas à y voir la main
de mon tout-puissant cousin Soilihi Mohamed Soilihi, de Djoiezi. Mohéli vit sa
même main dans de nombreuses persécutions de Mohéliens et Mohéliennes,
notamment pour un retard ou absence aux répétitions des danses folkloriques
faites l’après-midi ou le soir.
Soilihi Mohamed Soilihi, ami de tous les présidents du pays, de l’accession à
l’indépendance des Comores à sa mort en juin 2016, était le véritable détenteur
de l’autorité à Mohéli, de 1975 à 2016. Il n’a jamais été dans l’opposition et
n’était pas homme à s’enfermer dans des considérations idéologiques. Il régnait
avec celui qui était pouvoir. Avant l’indépendance des Comores, il était Député
de la circonscription de Djoiezi. Lors de la période de répression consécutive au
rejet d’Ali Soilihi par les Mohéliens lors de l’élection du 28 octobre 1977, il
était la seule personne privée pouvant circuler dans sa voiture à Mohéli. Il était
chargé du ravitaillement en vivres de l’Armée d’oppression. Pourtant, au début
de sa sanglante Révolution, Ali Soilihi lui vouait méfiance et mépris, avant
d’en faire l’allié à Mohéli. Sa capacité à s’adapter à tous les régimes politiques
n’a jamais été constatée chez quelqu’un d’autre aux Comores.
Dans l’après-midi du 13 mai 1978, dans notre insouciante curiosité de jeunes
collégiens, nous sommes à l’aéroport de Mohéli dans l’attente de l’arrivée de
ces mercenaires qui avaient eu raison des oppresseurs des Comoriens. Il y avait
une foule impressionnante ce jour-là à nos côtés. C’est alors que nous vîmes
passer une Jeep de l’Armée transportant un Soilihi Mohamed Soilihi portant en
tout en pour tout un caleçon blanc. À ses côtés, avaient pris place deux jeunes
hommes de Fomboni. Les Fomboniens sont les ennemis des Djoieziens, et ces
derniers, malgré leur fierté, avaient laissé faire humilier l’un des leurs. Les deux
Fomboniens avaient agi en dehors de toute légalité, mais les Djoieziens étaient
contents de voir un dictateur se faire corriger et se faire humilier.
Le même jour, à Djoiezi, en présence de nombreux Djoieziens, j’avais été le
spectateur de l’arrestation et du déshabillement d’Anoir Simba qui, même s’il
était un proche de Soilihi Mohamed Soilihi, n’avait fait du mal à personne. Ici
aussi, ce sont les mêmes Fomboniens qui opéraient en toute illégalité, mais en
profitant de l’émotion de la population. Anoir Simba est un homme de valeur.
Le 15 mai 1978, les Mohéliens déportés en Grande-Comore rentraient sur
leur île. En guenilles depuis leur arrestation non suivie d’un jugement devant un

189
juge même de pacotille, ils avaient dû emprunter des vêtements aux Mohéliens
qui vivaient en Grande-Comore pour ne pas rentrer nus chez eux. Toute ma vie,
je me souviendrai des pleurs de mon père quand il vit ces innocents injustement
jetés dans des cachots à l’étranger sans chef d’inculpation, ni procès.
Ali Soilihi a régné dans la terreur. Il était volontariste, mais un autocrate. Sa
vision et pratique du pouvoir étaient autocratiques. Se prenant pour un grand
intellectuel d’avant-garde, il se voyait en état de résoudre tous les problèmes
des Comores en quelques jours. Pour ce faire, il comptait sur des lycéens sans
la moindre expérience administrative, mais qui savaient comment terroriser les
Comoriens dans leurs maisons et dans leurs villages.
Les Comités révolutionnaires dirigés par les collégiens et les lycéens étaient
des organes de délation, de répression et de terreur. Dans tous les villages, ils
faisaient régner la terreur. Les Comoriens allaient en prison pour ne s’être pas
arrêtés au beau milieu de la route, devant les voitures, quand la radio diffusait
l’hymne national. À Djoiezi, des arrestations ont été opérées au nom de cet
hymne national. Des vieilles femmes (la mère de Kassabou) furent jetées dans
des cachots pour ne s’être pas immobilisées pour l’hymne sacré d’Ali Soilihi.
Dans sa fougue révolutionnaire, Ali Soilihi s’était aliéné la population en
s’attaquant à l’Islam, ciment de la nation comorienne.
Pour Ali Soilihi, l’Islam constituait un frein au développement du pays. Au
nom de la lutte contre le charlatanisme et les superstitions, il se mit à parler de
l’Islam parfois en termes très négatifs. Souvent, il pouvait fustiger des pratiques
animistes, mais les Comoriens n’étaient pas suffisamment armés sur le plan
intellectuel pour comprendre qu’il y avait une frontière nette entre l’Islam et
certaines pratiques sociales. Un homme à lui seul ne peut jamais changer les
mentalités d’un peuple tant que ce peuple ne le souhaite pas et ne veut pas
entreprendre lui-même ce changement.
Dans le Coran, on retrouve les versets suivants :
« Il [l’homme] a par devant lui et derrière lui des Anges qui se relaient et
qui veillent sur lui par ordre d’Allah. En vérité, Allah ne modifie point
l’état d’un peuple, tant que les [personnes qui le composent] ne modifient
pas ce qui est en elles-mêmes. […]. » (XIII, Le Tonnerre, 11).
Qui est ce dirigeant « progressiste » africain qui avait pu transformer son
pays par la révolution en s’aliénant les masses populaires ? Comment peut-il
être possible de diriger un peuple vers une révolution en restant seul dans un
bureau sans prendre en considération l’opinion du peuple ?
Malgré tout, Ali Soilihi décide de modifier tout seul les fondements de la
société comorienne au regard de l’Islam, religion qu’il n’hésite pas à fustiger,
toujours au nom de « la lutte contre la féodalité ». À Mohéli, lors de la répression
qui a suivi « l’élection » sans nom du 28 octobre 1977, il était interdit à la
population de l’île de se rendre dans les mosquées. À Nioumachioi, ceux qui
avaient bravé l’interdiction furent battus à mort à l’intérieur de la mosquée par
le Commando Moissi grand-comorien. À la vieille mosquée de Moroni, située
en face du port, on verra un jeune du Comité révolutionnaire s’arroger le droit

190
de diriger la grande prière collective du vendredi alors qu’il n’en connaissait
même pas le rituel. Une personnalité priant derrière lui, agissant avec beaucoup
du courage, lui dit doucement : « Nous vous demandons pardon, Monsieur ».
C’était sa façon de lui dire qu’il était bien temps d’arrêter la comédie, selon la
formule comorienne consacrée. Le jeune révolutionnaire s’était rendu ridicule
en étalant son ignorance totale en matière de prières.
En plus, « l’Islam, nous dit M. Nidhoim, quarante ans, Imam d’une des
mosquées de Mutsamudu, constitue pour ces adolescents [du Comité populaire]
une cible privilégiée. “Les gestes de la prière sont interdits et il faut se cacher
pour les faire. Le prône du vendredi a été remplacé par la lecture de slogans
politiques et les fidèles doivent chanter l’hymne national avant d’entrer à la
mosquéeˮ »1.
À ce sujet, un exemple précis vient de Djoiezi, où, le vendredi 12 mai 1978, à
quelques heures du putsch contre Ali Soilihi, mon cousin Soilihi Mohamed
Soilihi avait commis un sacrilège en se substituant à l’imam, sans même en
respecter le rituel immuable dans toutes les mosquées du monde. Avec une rare
insolence qui évacue tout respect envers les pratiques islamiques consacrées, il
avait déclaré : « À partir du vendredi prochain, il n’y aura plus de prêche de
singe dans les mosquées. Désormais, nous viendrons pour vous expliquer les
objectifs de la Révolution, cette Révolution qui, comme vous le savez tous, a un
début mais jamais de fin. La Révolution est éternelle »2. Absolument sûr de son
fait, il lança : « Ne vous bercez pas d’illusions en croyant qu’Ahmed Abdallah
va venir commettre un coup d’État ici. Il mange ses pains en France, a le
ventre ballonné, et vous a oubliés ». Quand il pérorait, Robert « Bob » Denard
et ses mercenaires n’étaient pas loin des côtes comoriennes, non surveillées.
Juste quelques heures plus tard, « la Révolution éternelle » prenait fin.
Aucune des îles indépendantes n’est épargnée par la terreur et la violence des
« Tontons Macoutes à la comorienne », et selon un témoignage absolument
authentique, « Ali Soilih s’acharne particulièrement sur Anjouan [...]. Il a lâché
sur notre île sa milice, les “Mapindouziˮ, composée d’anciens prisonniers de
droit commun et des gens originaires de son village, Tsoudjini, sur la Grande-
Comore. Ces hommes, encadrés par des Tanzaniens, font régner la terreur »3.
Au début de sa Révolution, Ali Soilihi avait déclaré : « La charte sera
socialiste et devra prévoir le bouleversement des structures actuelles »4.
Comme en Grande-Comore, le grand mariage est un important régulateur
social, il fallait non pas le réformer, mais interdire toute forme de dépenses
en relation avec le mariage, même plus simple sur les autres îles. Ali Soilihi

1 Junqua (D.) : Comores. Le témoignage de réfugiés en France. Quand les « Mapindouzi » font
la loi, op. cit., p. 4.
2 Cité par Riziki Mohamed (A.) : Comores. Les Institutions d’un État mort-né, op. cit., p. 46.
3 Junqua (D.) : Comores. Le témoignage de réfugiés en France. Quand les « Mapindouzi » font

la loi, op. cit., p. 4.


4 Cité par Favoreu (Louis) et Maestre (Jean-Claude) : L’accession des Comores à l’indépen-

dance, APOI 1975, volume II, Aix-en-Provence, 1977, p. 28.

191
voulait tout simplement que le mariage soit réduit à une coquille vide, dans
un pays où, comme cela est signalé ci-haut, il est un déterminant social de la
plus grande importance. Ses diatribes contre le mariage résonnent encore
dans les oreilles des Comoriens. Il avait en horreur les dépenses somptuaires
et ruineuses faites à l’occasion d’un grand mariage en Grande-Comore. Sur
les ondes de Radio Comores, le seul véhicule d’information à l’époque, il
expliquait méthodiquement et pédagogiquement que ces dépenses n’avaient
aucune utilité. Il s’en prenait également aux dépenses effectuées en cas de
décès dans une famille.
Naturellement, les Comoriens vivaient très mal ces attaques très virulentes
contre leurs coutumes ancestrales. À Mohéli, le mariage peut se faire de trois
manières. Il y a tout d’abord le « mariage secret », qui réunit les membres
des deux familles et quelques proches. La cérémonie est très simple et n’est
jamais accompagnée de festivités. On déclare que tel homme et telle fille
sont désormais sont unis par les liens du mariage après lecture de versets du
Coran relatifs à la sacralité du mariage.
Le type de mariage le plus courant est la « Anlimat Haroussi ». L’époux
offre à l’épouse la dot (500.000 à 2 millions de francs comoriens, soit 1.000
à 4.000 euros), le « droit », constitué de bijoux en or de la même valeur, et
des vêtements et produits de toilette. S’ensuivent les festivités habituelles et
l’invitation des habitants des villes et villages, par classes d’âge. Un budget
de 4 millions de francs (8.000 euros) peut suffire. Or, en Grande-Comore, le
coût du grand mariage peut dépasser les 100 millions de francs comoriens
(200.000 euros), causant la ruine et le surendettement à vie. Aucun mariage
ne peut être d’un tel coût sur les trois autres îles, même si parfois à Mohéli et
à Mayotte, il peut y avoir quelques excès.
Le troisième type de mariage à Mohéli est le « Kombé », pâle copie du
« Anda » (grand mariage de Grande-Comore). Cependant, si le « Anda » est
célébré dans tous les villages et villes de Grande-Comore, il en est autrement
du « Kombé », qu’on ne retrouve à Mohéli qu’à Fomboni, la capitale de l’île.
Le « Kombé » est onéreux, mais personne ne s’oblige à le célébrer. Mohéli
n’a pas célébré de « Kombé » de 1952 à 1988, alors que les mois de juin à
septembre constituent la saison du « Anda » en Grande-Comore.
Réalistes et pragmatiques, les Mahorais, Mohéliens et Anjouanais aiment
répéter le verset coranique suivant :
« Allah n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité. Elle
sera récompensée du bien qu’elle aura fait, punie du mal qu’elle aura fait.
Seigneur, ne nous châtie pas s’il nous arrive d’oublier ou de commettre
une erreur. Seigneur ! Ne nous charge pas d’un fardeau lourd comme Tu
as chargé ceux qui vécurent avant nous. Seigneur ! Ne nous impose pas ce
que nous ne pouvons supporter, efface nos fautes, pardonne-nous et fais
nous miséricorde. Tu es Notre Maître, accorde-nous donc la victoire sur
les peuples infidèles » (II, La Vache, 286).

192
Au lendemain d’un mariage, le Mohélien ne va pas cumuler des dettes qui
peuvent dépasser 1 million de francs comoriens (2.000 euros) car cela aurait
jeté le discrédit sur lui. Or, en Grande-Comore, les dettes peuvent dépasser la
mesure de l’acceptable, et atteindre des sommes faramineuses. De la même
façon, à Mohéli, il y a de la retenue et de la modération dans les dépenses
matrimoniales, comme à Mayotte et à Anjouan. L’erreur des « experts » est
dans le refus de ne pas reconnaître ces divergences entre les îles.
Ali Soilihi avait commencé par interdire le grand mariage et même le plus
courant des mariages. Il voulait un mariage sans cérémonie, ni « droit », ni
cadeaux à la mariée. Il avait déclaré une vraie guerre d’agression contre la
société comorienne, foncièrement conservatrice. Il voulait la décapiter. De
fait, les coups de boutoir d’Ali Soilihi contre le mariage étaient considérés
comme la pire des hérésies et le plus inacceptable des blasphèmes. De ses
entrailles, la vieille société comorienne grondait contre son persécuteur et
ennemi. Elle aurait pu fournir l’effort d’accepter certains aménagements et
réformes du mariage, mais pas son interdiction pure et simple.
Ali Soilihi n’avait pas interdit les seules dépenses somptuaires ; il avait
interdit toutes les dépenses liées au mariage. La dot était ramenée à 200
francs comoriens, soit 0,40 euro, et le « droit » à une bague en argent.
Ali Soilihi avait engagé une Révolution audacieuse, mais n’avait guère eu
l’intelligence d’associer le peuple à sa démarche.
Mais, comment pouvait-il réussir tout cela sans la participation des masses
populaires ? L’échec d’Ali Soilihi vient du fait qu’il croyait pouvoir penser
et décider pour tous les autres Comoriens. Il se croyait doté de l’intelligence
nécessaire à l’engagement de la réflexion et de l’action pour les Comoriens,
à la place de tous les Comoriens et sans les Comoriens.
Comment réussir une Révolution de grande envergure dans un petit pays
conservateur sans l’approbation et le soutien du peuple ? Ali Soilihi n’y avait
pas réfléchi. Ses Jeunes Révolutionnaires n’y avaient pas réfléchi. Le chef de
la Révolution comorienne avait été confirmé dans ses fonctions par 55% de
la population le 28 octobre 1978, mais cela ne lui donnait pas un blanc-seing
pour aller à l’encontre de toutes les valeurs sociales des Comores.
Ali Soilihi avait tellement surestimé sa propre intelligence qu’il avait déjà
parlé publiquement de son projet de substitution du riz par du maïs. Par quel
génie devait-il interdire le riz et imposer le maïs à la place ? Agronome, il
aurait dû demander aux Comoriens de cultiver le riz qu’ils consomment au
lieu de vouloir bouleverser leurs habitudes culinaires et alimentaires.
Il y a même des contradictions dans la méthode d’Ali Soilihi qui disait, en
juin 1977, qu’« on ne peut avoir raison contre la majorité », conformément à
la parole du Prophète Mohammed : « Mon peuple ne se mettra jamais
d’accord sur une erreur ». Or, tout dans la démarche d’Ali Soilihi trahissait
un goût prononcé pour la tyrannie.
Ali Soilihi voulait révolutionner les Comores mais sans les Comoriens, qui
devaient subir ses oukases dans une violence inouïe. Les Comoriens vivaient

193
dans une prison à ciel ouvert, dans des prisons confinées, dans des citernes,
étaient déportés de Mohéli à la Grande-Comore, sans la moindre possibilité
de recevoir la visite des leurs.
Dès lors, des autorités comoriennes qui partaient en mission à l’étranger
s’installaient en France et ne sont rentrées aux Comores qu’après le putsch
du 13 mai 1978. Quand un groupe de musique traditionnelle de Nioumachioi
(au Sud de Mohéli) revient d’Algérie en passant par la France, certains de
ses membres restent dans l’Hexagone. Le navire Tritonis était ancré au port
de Mutsamudu quand certains membres de son équipage l’ont subtilisé aux
autorités pour le diriger vers Mayotte. Il fut pris en chasse par des militaires
embarqués dans des petites vedettes qui lui tirèrent dessus vainement. Quand
des vedettes de l’Armée française apparurent au large et en leur direction, les
soldats comoriens s’obligèrent à rebrousser chemin, pendant que le Tritonis
filait inexorablement vers Mayotte.
Par la suite, les petites embarcations que l’État avait mises à la disposition
des pêcheurs pour l’organisation de leur activité ont été retirées une à une de
la circulation, au détriment de la filière. Ces petites vedettes avaient servi au
départ d’Anjouanais vers Mayotte, et cela constituait une humiliation pour
un État incapable de juguler la fuite et qui faisait peur à sa population. Ali
Soilihi ne pouvait empêcher les gens de dire que sa Révolution était un échec
lamentable et qu’il ne pouvait continuait à opprimer les Comoriens le jour
pour tenir de beaux discours le soir.
Mayotte était devenue la terre d’exil de nombreux Comoriens de la partie
indépendante du pays, et les Mahorais disaient : « Et si nous avions accepté
l’indépendance, où seriez-vous partis vous réfugier face à la dictature d’Ali
Soilihi ? Acceptez donc notre choix, car vous avez un refuge chez nous ! ».
En deux ans et demi, les Comores d’Ali Soilihi avaient gagné les rangs des
dictatures africaines les plus violentes. Les Comores étaient un État dont les
habitants n’avaient aucun droit.
Dès lors, il ne fait pas de doute que « les Comores se sont transformées en ce
que M. Jean-Claude Pomonti a appelé un “État-lycéenˮ, qui n’était pas sans
rappeler celui du film de Peter Brook “Sa Majesté des Mouchesˮ ! Mais,
comme dans le film, les jeunes Comoriens ont commis des excès qui ont
beaucoup contribué à discréditer l’expérience »1.
C’est le moins qu’on puisse dire.
L’oraison funèbre de la Révolution d’Ali Soilihi avait été prononcée en des
termes dénués d’amphibologie : « La population attendait décentralisation et
justice. M. A. Soilih, en vingt-huit mois de présidence, ne lui a apporté que
désordre, violence et arbitraire. Sa chute est la conséquence logique et ultime
de son impopularité croissanteˮ »2.

1 Maestre (Jean-Claude) : L’expérience révolutionnaire d’Ali Soilihi aux Comores (1976-

1978), APOI 1977, p. 33.


2 Portrait. Un révolutionnaire incapable, Le Monde, Paris, 16 mai 1978, p. 3.

194
Cette oraison funèbre résume toute la problématique d’une Révolution qui
se voulait populaire et qui était en réalité impopulaire et contre le peuple. Un
homme, enfermé derrière les murs de son palais et coupé des réalités de son
peuple, était convaincu qu’il pouvait imposer à tout un peuple un mode de
vie et un modèle de développement dont il ne voulait pas.
Que devait rapporter à la Révolution d’Ali Soilihi et au développement
économique et social des Comores l’humiliation publique des « bourgeois »,
« aristocrates » et sorciers ? N’importe quel membre du Comité populaire
pouvait faire persécuter qui il voulait, en dehors de tout cadre légal.
Mon ami Ali Mouhibaca dit Elbandos, rendu célèbre partout aux Comores
pour ses plaisanteries salées et très osées, capable de faire rire un mort, alors
que nous étions en classe de sixième, avait été placé en camp de rééducation,
dans une ferme d’État pour avoir, selon les uns, dragué une fille, et selon les
autres, pour avoir avancé sa main vers elle. Aucune des deux accusations
n’est vraie. À cette époque, mon ami Ali Mouhibaca avait à peine 15 ans, et
ne se livrait pas à ce genre de pratiques. Lors de sa « rééducation », il avait
été déscolarisé. Aucun Tribunal ne l’avait condamné à subir cette peine de
« rééducation révolutionnaire ». Une simple accusation avait suffi à le faire
condamner et à le faire déscolariser pendant des semaines. Cependant, il
avait pris cette énorme bouffonnerie par la plaisanterie, comme d’habitude.

§2.- LA RÉPUBLIQUE DES MERCENAIRES


Du début à la fin, du 13 mai 1978 au 26 novembre 1989, le régime politique
d’Ahmed Abdallah Abderemane a été celui mercenaires. Le 13 mai 1978, les
mercenaires l’installent au pouvoir. Dans la nuit du 26 au 27 novembre 1989,
les mercenaires chargés de sa protection le torturent sauvagement, le tuent de
façon également sauvage, refermant la douloureuse parenthèse de son règne
par le sang et dans le sang.
Recommençons par le commencement.
Nous devons rappeler que « le 13 mai 1978 (anniversaire remarquable),
ils [Robert « Bob » Denard et ses mercenaires] débarquent aux Comores et
renversent le président Ali Soilih, au profit de son prédécesseur Ahmed
Abdallah. Cette fois, Foccart admet avoir été informé. L’expédition est
commanditée par Paris et Pretoria. Le régime d’apartheid cherchait à
déstabiliser les pays voisins, en particulier le Mozambique, où il entretint,
comme en Angola, une terrible guerre civile. Les Comores devinrent une
base idéale pour les raids anti-mozambicains.
[Jacques] Foccart raconte : “Denard était l’homme fort des Comores, à la
tête d’une garde présidentielle de six cents hommes, dont trente Européens,
sans compter la centaine de civils qu’il employait à sa ferme, tout cela payé
par l’Afrique du Sud”. […]. Dans la nuit du 25 au 26 novembre 1989, le
président comorien Abdallah ne sort pas vivant d’un entretien avec Bob
Denard. Les sponsors sud-africains et français de ces “Sanders” à la détente

195
trop facile le rapatrient le plus discrètement possible. Ils installent Saïd
Mohamed Djohar à la place d’Abdallah »1.
Ahmed Abdallah Abderemane est retourné au pouvoir le 13 mai 1978 par
un coup d’État considéré comme une libération. En réalité, il s’agissait bel et
bien d’une libération. Il venait de faire sortir les Comoriens d’une immense
prison au sens premier du terme. Ceux des Comoriens qui semblaient jouir
de leur liberté au sens physique du terme étaient enfermés dans une horrible
prison à ciel ouvert. Pourtant, rapidement, dès son retour aux Comores dans
le sillage du coup d’État du 13 mai 1978, il ne tarda pas à porter des habits
du dictateur africain assoiffé de pouvoir et disposé à recourir aux procédés
les plus condamnables pour s’accrocher au pouvoir, ad vitam æternam, non
seulement pour devenir président à vie, mais également et surtout pour être
chef d’État à mort et jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Au lendemain du 13 mai 1978, mon ami, voisin et oncle Ali Madi Ben
Mohamed dit Nano, membre du parti Oudjamaa de Mohamed Hassanaly, a
été l’un des premiers Comoriens à dire ouvertement et publiquement que les
Comoriens étaient définitivement tombés de Charybde en Scylla, estimant
qu’Ahmed Abdallah Abderemane ne les avait libérés de la dictature maoïste
d’Ali Soilihi par les mercenaires de Robert « Bob » Denard que pour mettre
en place la sienne propre, une dictature conservatrice, et les y plonger. Ali
Madi Ben Mohamed avait eu l’intelligence d’expliquer que le président allait
faire de son coup d’État du 13 mai 1978 un prétexte et une arme pour mettre
en place sa dictature de type conservateur. Il avait raison. Que s’est-il passé ?
Ahmed Abdallah Abderemane avait besoin d’un vernis de constitutionnalité,
légalité et légitimité, même si les conditions pour y parvenir allaient être des
plus contestables. Il s’employait à répéter aux Comoriens jusqu’à la nausée que
le régime politique d’Ali Soilihi les opprimait et qu’il les avait libérés de cette
dictature. Dans son langage imagé et métaphorique, cela signifiait : « Comme je
vous ai libérés d’Ali Soilihi, accordez-moi le droit d’instaurer ma propre
dictature ». C’était sa conception et sa pratique du pouvoir.
C’est ainsi que le 1er octobre 1978, il annonça que les Comoriens avaient, à
99,31%, adopté par référendum sa Constitution, qui allait créer la République
fédérale islamique des Comores. Le 22 octobre 1978, mettant en avant ses
statuts de « Père de l’indépendance », « Père de l’unité des Comores » (alors
que sa décision irréfléchie de proclamation unilatérale d’indépendance avait
coupé Mayotte des Comores) et de « Père de la libération des Comores », il dit
être élu président de la République par 99,95% des Comoriens.
Une certaine tendance à l’exagération bien africaine le conduisait à se faire
acclamer toujours à des scores de plus de 99%. Lors de l’élection présidentielle
du 22 octobre 1978, il fut le candidat unique, choisi, semble-t-il, par son sinistre
Directoire politico-militaire, dont il était le maître absolu. D’ailleurs, quelques

1 Verschave (François-Xavier) : La Françafrique. Le plus long scandale de la République,

Stock, Paris, 1999, pp. 322-323.

196
mois après le coup d’État du 13 mai 1978, la belle union sacrée autour de son
nom avait volé en éclats. Certains des membres de son gouvernement avaient
commencé à prendre leurs distances vis-à-vis de lui.
Au début, le Directoire politico-militaire avait à sa tête trois acteurs politiques
originaires de l’île d’Anjouan : les coprésidents Ahmed Abdallah Abderemane
et Mohamed Ahmed, et le Premier ministre Abdillah Mohamed, qui était aussi
le chef du gouvernement d’Ali Soilihi. Sur le plan protocolaire, il est édifiant de
constater qu’on disait toujours « Ahmed Abdallah Abderemane et Mohamed
Ahmed » et jamais « Mohamed Ahmed et Ahmed Abdallah Abderemane ». En
fait, Mohamed Ahmed était une personnalité très consensuelle, modérée et plus
ouverte, loin de l’image de dictateur qui avait forgé la personnalité truculente et
débonnaire derrière laquelle Ahmed Abdallah Abderemane cherchait à cacher
son amour immodéré pour le pouvoir. Ahmed Abdallah Abderemane arriva très
facilement à marginaliser Mohamed Ahmed et à lui faire quitter la scène
politique dans la douceur.
Quand il décéda le 27 janvier 1984, Mohamed Ahmed n’avait plus de réelles
activités politiques. Ahmed Abdallah Abderemane était arrivé à mettre fin à sa
carrière politique. Les fils Nassuf, du côté d’Ahmed Abdallah Abderemane, et
Allaoui, du côté de Mohamed Ahmed, se chargeaient de solder les comptes au
nom des parents, et chaque match de football opposant les clubs de leurs villes
respectives finissait dans les injures entre les deux hommes.
Après l’adoption de la Constitution du 1er octobre 1978, et avant son élection,
le 22 octobre 1978, Ahmed Abdallah Abderemane déclarait, pour annoncer sa
légitimation par les urnes, que son retour au pouvoir était justifié et légitime.
L’autocratie d’Ahmed Abdallah Abderemane vient en grande partie de son
parcours personnel en affaires et en politique. Que fallait-il vraiment attendre
de ce lui qui se qualifiait d’« illettré » mais devenu président de la République ?
Les conditions qui ont conduit Ahmed Abdallah Abderemane en politique ne
sont pas celles d’un homme destiné à devenir un démocrate. Dans celles-ci, on
découvre les germes de son autocratie : « L’installation d’Ahmed Abdallah, qui
a aujourd’hui 65 ans, dans le jeu politique comorien est liée au problème
foncier, puisque sa première action politique remonte à 1942, [quand) il
organisa des occupations de terre avec les paysans sur les plantations de la
[société coloniale] Bambao. Il avait saisi les données essentielles du problème
comorien, qu’il traita, commerçant et fils de commerçant, dans le sens de son
intérêt personnel. Très rapidement, il abandonna la revendication d’une
politique agraire populiste pour accaparer les terres vides et y faire travailler
les paysans à son compte et à son profit »1.
En d’autres termes, dès le départ, Ahmed Abdallah Abderemane se signala
par des méthodes qui l’éloignent des canons de la démocratie et de l’intérêt
général. On découvre un homme qui sait diriger les autres, mais pas avec des

1 Charpantier (Jean) : Le régime d’Ali Soilih, Moroni, 1975-1978 : analyse structurelle

(Deuxième partie), Le Mois en Afrique n°221-222, Paris, juin-juillet 1984, p. 6.

197
méthodes démocratiques. Comment cet homme sans instruction mais sachant
seulement chercher le profit allait-il pouvoir se muer en démocrate du jour
au lendemain, surtout dans le contexte des Comores où un seul homme peut
s’arroger même le droit de briser l’unité d’un pays de quatre îles dans lequel
de nombreux habitants ont des membres de leurs familles sur les autres îles ?
Cela ne signifie guère qu’il faut trouver des excuses à Ahmed Abdallah
Abderemane, mais expliquer les dérives autocratiques d’un président qui, à
un moment, en 1978, avait incarné l’espoir, chez certains Comoriens les plus
crédules, de normalisation de la vie politique dans leur pays naguère sinistré
par la dictature d’Ali Soilihi.
Déjà, en 1975, 4 mois avant la proclamation unilatérale de l’indépendance
des Comores, on devait apprendre que « la France a décidé d’appuyer Ahmed
Abdallah. [...]. Loin en effet de favoriser la mise en place d’authentiques élites
locales, de promouvoir les populations, de former des administrateurs
compétents et intègres, la puissance coloniale s’est le plus souvent employée à
préserver et même à étendre les privilèges d’une petite caste d’affairistes qui
s’appuyaient sur des structures féodales. [...]. Ces méthodes ont conduit au
développement de la corruption. [...]. Confusion des intérêts publics et privés,
mépris pour les masses laissées dans l’obscurantisme, recherche à tout prix du
gain et de la puissance, inculture, ce sont là très souvent les caractéristiques
des hommes auxquels la France laisse le pouvoir [...] »1.
Autrement dit, alors qu’il était le président du Conseil de Gouvernement sous
l’autonomie interne, Ahmed Abdallah Abderemane donnait toute la mesure de
son autocratie et du peu de cas qu’il faisait de l’ouverture politique. Les années
passaient sans améliorer sa conception et sa pratique du pouvoir. Il était resté
un autocrate très ancré sur des méthodes de pouvoir qui heurtaient la sensibilité
des Comoriens, qui le craignaient plus qu’ils ne le respectaient.
Cela étant, après son assassinat, le constat négatif fait sur Ahmed Abdallah
Abderemane était le même, et l’intéressé fut qualifié sans la moindre charité de
« septuagénaire quelque peu sénile de Moroni », de « dictateur ubuesque et
affairiste véreux » et de « Monsieur Import-Export »2.
Nous découvrons ainsi un Ahmed Abdallah Abderemane tout droit sorti de
son monde féodal, autocratique et corrompu. L’intéressé n’est pas formé à la
réalité et à l’école de l’État de Droit et de la démocratie, mais est issu de la
vieille société comorienne dans laquelle le culot, le toupet et les prétentions
généalogiques les plus farfelues remplacent le talent, la compétence et toute
forme d’expertise. Ahmed Abdallah Abderemane a fait son apparition sur la
scène politique à un moment où des aides-soignants formés à Madagascar et
autoproclamés « Docteurs » et des politiciens qui n’avaient même pas fait le

1 Junqua (D.) : Comores. Responsables traditionnels et jeunes élites. Un inquiétant exemple de


décolonisation « à la française », op. cit., p. 15.
2 Kpatindé (F.) : Fin de partie pour Ahmed Abdallah, op. cit., pp. 139, 142 et 143.

198
concours d’entrée au Collège faisaient croire à la population comorienne
qu’ils étaient les meilleurs, et surtout qu’ils étaient indispensables.
Comme le pays manquait cruellement de vrais cadres, des politiciens de
qualité très médiocre, essentiellement originaires de la Grande-Comore et
issus du même milieu social, étaient arrivés à s’imposer aux Comoriens avec
facilité, et en faisant prévaloir leurs fantasmes généalogiques. Le Prince Saïd
Ibrahim, fils de Saïd Ali, dernier Sultan de la Grande-Comore, était sans nul
doute le seul qui avait une vraie culture d’État. Résolument progressiste et
réaliste, il avait une qualité inexistante aux Comores : un sens du consensus
qui allait de pair avec le respect de l’autre.
Le comparant à Saïd Mohamed Cheikh, connu pour sa violence verbale,
son arrogance et ses pratiques politiques ayant conduit à l’ostracisme total
frappant les Mohéliens et les Mahorais, qui étaient des sous-hommes pour
lui, Michel Legris a pu écrire : « D’une intégrité qui n’est mise en cause par
personne, cet homme d’une soixantaine d’années, fin, cultivé, très pieux, voit
son prestige accru par sa qualité de pèlerin de la Mecque. D’autres traits
contribuent à révéler en lui l’opposé de son prédécesseur : il est aussi calme
que Mohammed Cheikh était coléreux, aussi patient que celui-ci était bouillant
et impulsif. La pratique du népotisme lui est étrangère ; le faste ne lui tente
guère [...] »1.
Les développements qui précèdent nous ont permis de remarquer que dès
1975, le Prince Saïd Ibrahim avait tout compris sur l’autocratie et le manque
de retenue chez Ahmed Abdallah Abderemane. Par ailleurs, il s’était signalé
par un rare pragmatisme dans les années 1970 en expliquant que son père
ayant été trahi et déporté par la France, il n’avait pas des raisons spécifiques
d’être un partisan zélé de la puissance coloniale, mais que le réalisme devait
imposer aux Comoriens de réfléchir sur la question des ressources humaines
du pays avant de se diriger dans la voie de l’indépendance. Voulant régner à
tout prix, Ahmed Abdallah Abderemane ne pouvait être partisan du discours
du Prince Saïd Ibrahim.
Insistons sur le fait que le coup d’État du 13 mai 1978 avait fait d’Ahmed
Abdallah Abderemane un libérateur au sens achevé du terme. Du point de
vue du Droit, le nouveau dirigeant des Comores avait besoin de sauver bien
d’apparences, notamment en se parant des atours de l’État de Droit et de la
démocratie. C’est ainsi que, dans le Préambule de la Constitution qu’Ahmed
Abdallah Abderemane a fait adopter par référendum le 1er octobre 1978, le
peuple comorien « affirme son attachement aux principes définis par la Charte
des Nations Unies et par celle de l’Organisation de l’unité africaine », en
« s’inspirant de la Déclaration universelle des droits de l’Homme ».
Plus intéressant encore, « la Constitution proclame et garantit l’égalité des
citoyens, la liberté et la sécurité de chaque personne, la liberté de circulation et

1 Legris (Michel) : Un archipel plus une île. IV. – Le prince et le sénateur, Le Monde, 3-4
janvier 1971, p. 5.

199
de résidence, les libertés d’expression, de réunion, d’association et d’adhésion
à des syndicats, le droit de tout enfant à l’instruction et à l’éducation, la
protection de la jeunesse par les collectivités publiques contre l’abandon moral
et l’exploitation, la liberté de pensée, de conscience et de culte, l’inviolabilité
du domicile et de la propriété, la sécurité des investissements et des capitaux
portant sur des projets ayant reçu l’accord de l’État, le droit de grève, l’égalité
devant la justice et l’indépendance des magistrats. La seule limite à ces droits
est la protection de l’intérêt général et de l’ordre public »1.
Mais, ne s’agissait-il pas de simple décor institutionnel ?
Malgré une Constitution à la rédaction de laquelle avaient participé même
de bons juristes français, rapidement, Ahmed Abdallah Abderemane avait pu
donner toute la mesure de son autoritarisme. Il confisqua toutes les libertés
fondamentales. On ne pouvait dénoncer son régime politique, dominé par les
mercenaires que sous le manteau. Chaque fois qu’une voix voulait se faire
entendre aux Comores, elle était étouffée par le plomb, dans le sang et dans
le deuil.
Les mercenaires de Robert « Bob » Denard terrorisaient, tourmentaient et
tuaient les Comoriens, dont ils déposaient le corps sadiquement découpé à la
tronçonneuse dans des sacs en plastique devant la demeure familiale. Les
mercenaires ne s’occupaient pas que de la protection d’Ahmed Abdallah
Abderemane ; ils bâillonnaient également les Comoriens. Dès lors, pour ne
pas se faire jeter en prison ou se faire tuer, il fallait vivre en France. On ne
pouvait vivre aux Comores et mener une activité politique contre le régime
politique d’Ahmed Abdallah Abderemane.
Le combat contre la dictature d’Ahmed Abdallah Abderemane était mené
par l’ASÉC et son frère siamois qu’est le Front démocratique. Leurs militants
n’avaient même pas partagé la joie des autres Comoriens à la suite du coup
d’État du 13 mai 1978. Pour ces militants progressistes comoriens, la chose
se résumait au fait qu’Ahmed Abdallah Abderemane était un dictateur qui a
été installé au pouvoir par des mercenaires, et dirigeait un régime politique
soutenu par des mercenaires violents et racistes. C’est tout. Ils qualifiaient
les Comores de « nids de mercenaires ». Ce qui était vrai.
Curieusement, alors que l’ASÉC n’était pas prête à mourir d’amour pour la
Révolution d’Ali Soilihi, elle accusait Ahmed Abdallah Abderemane et ses
mercenaires d’avoir fait des choix dangereux, dont le fédéralisme, facteur de
« désunion nationale » et surtout d’avoir arrêté « l’élan révolutionnaire » qui
avait été lancé par Ali Soilihi.
Malgré la répression, les militants du Front démocratique et de l’ASÉC ont
dénoncé les dangereuses dérives du régime politique des mercenaires. En
1979, le Lycée de Moroni devint le foyer de la contestation de la jeunesse du
pays. La grève qui va en surgir fera apparaître certaines des grandes figures
politiques des Comores post-Ahmed Abdallah Abderemane. L’une d’entre

1 Riziki Mohamed (A.) : Comores. Les institutions d’un État mort-né, op. cit., pp. 160-161.

200
elles est Mohamed Larif Oucacha, qui va s’imposer sur la scène politique du
pays dès 1990, sous Saïd Mohamed Djohar. C’étaient les mercenaires qui se
chargeaient de réprimer les élèves, souvent dans le plomb et dans le sang.
Les Comores étaient entrées dans les années de plomb et de sang.
En 1979, le ministre en charge de l’Enseignement est le Docteur Mtara
Maécha, dont j’allais faire la connaissance à Paris, en 2005. J’ai eu souvent
des discussions avec lui. Je l’ai bien entendu exprimer sa fierté d’avoir été
l’auteur de la fermeture de l’internat du Lycée, le principal creuset de toute
la jeunesse comorienne, là où les élèves venus des quatre îles de l’archipel se
retrouvaient dans les années 1960-1980 et ont tissé des relations qui durent
encore. Pour les autorités comoriennes de 1979, l’éradication de la fronde et
contestation des élèves passait nécessairement par la fermeture de leur lieu
de rassemblement : l’internat du Lycée de Moroni.
Les 7 et 14 mars 1982, des élections législatives ont lieu aux Comores.
Avec beaucoup de courage, le Parti de la Démocratie nouvelle, qui est issu
des entrailles de l’ASÉC, même non reconnu, présente 17 de ses candidats
dans les 38 circonscriptions électorales. La cause était perdue d’avance, mais
les militants ont pu s’exprimer en public, malgré la terreur.
Le mot « terreur » résume la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane,
mais les jeunes Comoriens luttaient à mains nues : « La lutte contre le régime
politique en place s’était intensifiée en particulier la nuit, où des tracts
pamphlétaires sont distribués. Les murs et le bitume expriment l’indignation
populaire et fustigent le pouvoir politique d’Ahmed Abdallah. Tout se passe
dans un climat de terreur entretenu par les patrouilles nocturnes des forces
militaires et de la Gendarmerie. Mais, l’activisme des militants déjoue toutes
les manœuvres du pouvoir. Des gendarmes et de policiers sont souvent
mobilisés pour dissimuler ou effacer tous les écrits contestataires avant que
la population comorienne n’en prenne connaissance »1.
Parmi les slogans les plus usités par les rédacteurs des tracts et les jeunes
militants qui se chargeaient des graffitis, on retrouve « Mercenaires, hors des
Comores ! ». Le pays tout entier souffrait de la présence des « affreux » de
Robert « Bob » Denard dans ce pays tranquille brusquement plongé dans
l’arbitraire des mercenaires, que ne désavouaient jamais Ahmed Abdallah
Abderemane et ceux qui vivaient de ses subsides. Ses visiteurs de l’après-
midi et du soir, appartenant à la notabilité et à la classe politique de Grande-
Comore et d’Anjouan, savaient ce qui se passait, mais continuaient à donner
à Robert « Bob » Denard le bon Dieu sans confession, dans la mendicité
complaisante, insoucieuse et insouciante chère à certains acteurs politiques
comoriens, toujours incapables d’avoir une vue à moyen et long termes, se
contentant de compromettre le pays sans pitié, ni la moindre réflexion pour
le présent et l’avenir des Comoriens.

1 Ali Madi (D.) : La jeunesse étudiante et l’indépendance des Comores, op. cit., p. 153.

201
Indignés, les Comoriens doivent même assister au triste spectacle offert
par leurs acteurs politiques quémandant auprès de Robert « Bob » Denard, le
chef de la répression des militants pour l’État de Droit et de la démocratie.
Pendant que les conservateurs de la classe politique comorienne vieillissaient
et se compromettaient sans retenue auprès de Robert « Bob » Denard et ne
faisaient rien pour inciter Ahmed Abdallah Abderemane à arrêter la punition
collective sur les Comoriens, les militants du Front démocratique faisaient
tout pour déstabiliser le régime politique des mercenaires. Ils l’ont fait avec
la foi que leur dictaient un patriotisme sincère et leur conscience civique.
Le Front démocratique avait même entrepris une audacieuse opération de
noyautage et infiltration de l’Armée chargée de la répression, toujours pour
déstabiliser le régime politique d’Ahmed Abdallah Abderemane. Autant dire
que « le mouvement patriotique révolutionnaire se mobilise pour infiltrer les
Forces Armées, et plus particulièrement la Garde présidentielle.
Il manifeste une très grande compassion pour les souffrances endurées par
les militaires comoriens, vivant dans des conditions de travail et de vie
difficiles surtout sous le commandement impitoyable des mercenaires. Les
révolutionnaires parviennent à diaboliser ces derniers, au point qu’ils ont
une image écornée auprès d’une partie de la jeunesse, qui n’hésite pas à
clamer leur départ des Comores : “Mercenaires, hors des Comores” était le
slogan répandu à coups de graffitis.
Ils cherchent également à nuire à la création et au fonctionnement d’une
véritable chaîne de commandement des Forces Armées comoriennes. Le
mouvement patriotique révolutionnaire parvient à avoir des éléments dans
tous les corps armés. C’est au sein de la Garde présidentielle où la propa-
gande a eu un impact majeur, puisqu’il s’y est créé un noyau de résistants.
Cependant, le mouvement a parfaitement pris conscience du danger
encouru dans la résistance contre le régime politique des mercenaires. La
discipline était au cœur de son fonctionnement, car il voulait des militants
aguerris, capables de résister à toute épreuve.
La résistance politique s’observe même dans les geôles du pouvoir en
place, où avec audace, les militants patriotiques révolutionnaires bravent les
tortures. Ils y avaient même tenté de conquérir le cœur de leurs tortion-
naires. Les militants révolutionnaires résistent à l’opportunisme qui affecte
l’élite »1.
Le 8 mars 1985 a eu lieu la tentative de mutinerie orchestrée par le FD.
La tentative de mutinerie du 8 mars 1985 a été le début de la fin pour le
Front démocratique, que le régime politique des mercenaires va décapiter.
Ses chefs sont jetés en prison. Certains, comme Moustoifa Saïd Cheikh, y
restèrent jusqu’à l’assassinat fort violent d’Ahmed Abdallah Abderemane le
26 novembre 1989.

1 Ali Madi (D.) : La jeunesse étudiante et l’indépendance des Comores, op. cit., p. 154.

202
Dans l’une de ses lettres à son ami Oba, du Congo Brazzaville, connu à
Toulouse lors de ses études supérieures, Mohamed Ali Soilihi, homme d’État
comorien, qui avait été le ministre d’Ahmed Abdallah Abderemane, nous
livre son témoignage sur la mutinerie du 8 mars 1985 : « Le 8 mars 1985,
une tentative de renversement du pouvoir fut éventrée par les mercenaires,
qui profitèrent des événements pour éliminer physiquement de nombreux
militaires comoriens qui les gênaient. Et quels étaient les instigateurs de la
tentative de putsch ? Tiens-toi bien, Oba.
Tous mes anciens camarades de l’ASÉC, qui, de retour au pays, avaient
fondé une formation politique agissant dans la clandestinité, en raison de la
terrible chape de plomb posée sur le pays par les mercenaires. Imagine,
Oba, le trouble de ma conscience et de mon âme. Exprimer une quelconque
désapprobation au sujet de ces arrestations m’exposait à un risque certain,
mais en même temps, tu comprends qu’il me fût difficile de désavouer
publiquement une action dont la légitimité paraissait fondée puisque essen-
tiellement dirigée contre les mercenaires.
Rarement, dans ma vie, situation aura été moralement, politiquement et
psychologiquement aussi insoutenable. Il faut dire qu’au sein du gouver-
nement, la situation était cornélienne pour de nombreux ministres. À
commencer par le premier d’entre nous, Ali Mroudjaé, Premier ministre,
dont le gendre se trouvait parmi les dizaines de militants arrêtés. D’autres
ministres avaient qui un frère, qui un cousin, qui un neveu. Et de fait,
l’écrasante majorité des détenus se trouvait liée, par un fil ou un autre, à un
proche du pouvoir. Pour ce qui me concerne, j’avais mon covillageois et ami
Soimadou dans le lot. Cette situation constituait un casse-tête pour Ahmed
Abdallah, soumis, on s’en doutait, à une double pression contradictoire, de
la part des mercenaires, qui exigeaient que des têtes fussent coupées, et de la
part des parents des prisonniers, presque tous de ses fervents partisans, et
qui, naturellement, parlaient, eux, d’indulgence. Moustoifa Saïd Cheikh, le
leader des révolutionnaires, n’a dû sa survie qu’à l’extrême fermeté du chef
d’état-major de l’Armée, le Commandant Ahmed Mohamed, qui prit sur lui
d’assurer personnellement sa protection.
Pendant près de trois ans, le gouvernement devait traîner cet encombrant
boulet, mais l’animal politique qu’était Ahmed Abdallah sut admirablement
s’en défaire progressivement, après une parodie de justice organisée par les
mercenaires, pour tenter vainement de donner le change à l’opinion publique
nationale et internationale. Les prisonniers furent libérés étape par étape et
par groupes selon leur degré de malléabilité et à l’occasion des diverses
fêtes nationales et religieuses. La libération de Soimadou fut d’ailleurs un
cas singulier. Ahmed Abdallah fit, pour l’occasion, le déplacement de Mbéni
en hélicoptère, sur l’invitation de la population et en particulier des femmes.
Celles-ci formulèrent expressément leur souhait de voir “leur fils et frère”
libéré. Bon seigneur, le Président accéda, sans la moindre hésitation, à cette
demande à laquelle il s’attendait d’ailleurs. Je dois te faire cette confidence

203
que j’avais gardée longtemps sur moi, que je fus très discrètement pour
quelque chose dans cette libération, mais à l’époque je n’en laissai rien
paraître, y compris devant l’intéressé lui-même »1.
Soimadou. Il s’agit de Mohamed Abdou Soimadou. Il serait intéressant de
parler de lui.
Le 25 septembre 1986, deux jours avant mon premier départ pour le Maroc,
je rendais visite à Mohamed Abdou Soimadou, mon professeur de français au
Lycée de Fomboni. Cette visite n’avait pas eu lieu à sa résidence, dans sa ville
de Mbéni, mais à l’hôpital de Moroni. Devant la porte de sa chambre, il y avait
des militaires. Mohamed Abdou Soimadou était étendu sur son lit, incapable
de bouger. À ses côtés, se trouvait Abdillah Mbaé, de Mbéni comme lui. Mon
professeur de français était gardé par des militaires à l’hôpital de Moroni non
pour un crime de Droit commun, mais pour son militantisme au sein du Front
démocratique.
Acteur politique d’un patriotisme inébranlable, il était engagé dans la lutte
contre le régime des mercenaires. Cela l’avait conduit à son exil à Mohéli. Je
vois encore l’infinie tristesse qui se peignait sur le visage de son épouse quand
les soupçons s’orientaient vers son mari chaque fois que l’île de Mohéli était
couverte de tracts dénonçant la dictature d’Ahmed Abdallah Abderemane ou
quand le régime politique des mercenaires « découvrait » de « complots » bien
réels ou supposés. Dans ces années 1980, on ne pouvait imaginer une action
d’envergure contre le régime politique d’Ahmed Abdallah Abderemane sans
Mohamed Abdou Soimadou.
Après le 25 septembre 1986, je ne le revoyais que le 18 octobre 2015, et je
me réjouissais de retrouver en lui le patriote sincère et intègre qui, même s’il
s’est quelque « assagi » après tant d’épreuves, ponctuées par des passages en
prison pour son combat politique, est toujours engagé à cœur dans le combat
en faveur d’un État comorien mieux gouverné et plus soucieux de son peuple,
le grand oublié des pouvoirs publics. Mais, sur une scène politique nationale
comorienne mille fois souillée par ses principaux acteurs, il est très difficile
pour Mohamed Abdou Soimadou de trouver des militants ayant son intégrité
et son abnégation. C’est un homme d’honneur et de principes.
Quand, le jeudi 29 décembre 2015, je devais présenter à l’Hôtel Itsandra la
biographie de Mohamed Ali Soilihi, son ami d’enfance, de Mbéni comme lui,
j’étais doublement fier : d’une part, j’étais aux côtés du professeur qui avait le
plus fait pour moi en matière de rédaction, et d’autre part, être présenté à une
assistance de plus de 350 personnes par le grand militant qu’il est constitué la
plus glorieuse des médailles. J’en garde l’attendrissant souvenir à vie.
Mais, entre septembre 1986 et octobre 2015, les Comores n’étaient pas un
fleuve tranquille, et cela, parce que les combattants de la liberté étaient dans la
lutte, et les mercenaires dans la répression. Ceci est d’autant plus vrai qu’en

1Ali Soilihi (Mohamed) : Lettres d’une vie. Parcours d’un homme d’État comorien, Éditions
L’Harmattan, Paris, 2016, pp. 44-45.

204
novembre 1987, « une coalition des militaires et des civils tente de passer à
l’acte pour libérer les militants emprisonnés. Mais, hélas, la tentative échoue
encore. Les souffrances endurées et les sacrifices consentis dans la lutte
contre les mercenaires confèrent aux militants révolutionnaires la stature de
combattants nationaux de la liberté, de la démocratie et du progrès. Ils ont
exprimé la fierté des Comoriens aux yeux de la communauté internationale,
qui continuait à condamner le séjour et la domination des mercenaires aux
Comores. La résistance ne souffre pas de légitimité, étant donné l’origine et
la nature du pouvoir politique. La désobéissance est la réaction légitime de
la population. L’insurrection armée reste la seule voie possible contre
l’oppression. L’autoritarisme du régime politique en place s’explique en
partie par l’origine même du pouvoir.
L’activisme des marxistes-léninistes ne peut cependant que susciter la
colère, voire la haine du régime. Celui-ci réagit par une contre-offensive qui
ne pardonne la moindre des actions des cadres révolutionnaires »1.
Les mercenaires tuèrent trois combattants de la liberté. Même des soldats
de la Garde présidentielle faisaient partie des mutins qui voulaient libérer les
victimes de la répression de 1985.
Il n’y a pas d’autocratie et de régime politique basés sur la terreur sans des
élections truquées à outrance. Le régime politique des mercenaires de Robert
« Bob » Denard aux Comores n’y échappe pas. Dès lors, pourquoi ne pas parler
des parodies électorales organisées par Ahmed Abdallah Abderemane, plus
particulièrement celle de 1984 ?
De manière générale, et sans excès de langage, il est permis de soutenir que
« toutes les élections de la période 1978-1989 sont entachées d’irrégularités. À
la suite des élections législatives anticipées des 17-24 mars 1982, les opposants
ont subi un véritable “hold-up électoralˮ qui leur a fermé les portes de
l’Assemblée fédérale. Un seul opposant fut élu. Le 30 septembre 1984, Ahmed
Abdallah a été réélu à 99%. Il était toujours le candidat unique, après avoir
usé de tous les subterfuges pour écarter la candidature du Mahorais Youssouf
Saïd, le seul Comorien dans l’ensemble des quatre îles à avoir osé se mesurer à
lui. Ce n’est pas seulement un acte symbolique. C’est aussi un grand acte
politique dont le but était de faire descendre Abdallah de son piédestal.
Youssouf Saïd avait pu mobiliser plusieurs sympathisants, mais Abdallah, jamais
à court d’arguments, a fait refuser la candidature du Mahorais, en arguant que
Youssouf Saïd ne figurait sur aucune liste électorale aux Comores.
La manœuvre manqua d’élégance. Puisque la position officielle des Comores
prône le retour de Mayotte dans l’ensemble comorien, Abdallah a été très mal
inspiré de n’avoir pas accepté la candidature d’un Mahorais. Le refus de la
candidature n’avait pas ralenti l’élan des partisans de l’opposant, et à Moroni
certains parmi eux avaient subi des actes de violences et toutes sortes de
pressions qui ont permis la réalisation à “99%ˮ du slogan électoral lancé par le

1 Ali Madi (D.) : La jeunesse étudiante et l’indépendance des Comores, op. cit., pp. 154-155.

205
chef de l’État : “Dlé oiyé-oiyéˮ, (“c’est le mêmeˮ, c’est-à-dire : “Nous voulons
le même Président : Ahmed Abdallahˮ) »1.
La candidature du Mahorais Youssouf Saïd, proche du Front démocratique,
non reconnu officiellement, était interdite, mais les militants n’avaient pas peur
et n’avaient pas désarmé. Des militants avaient été lynchés en Grande-Comore
et avaient échappé de peu à la mort, uniquement pour avoir été pris en flagrant
délit de transport d’affiches et posters à l’effigie du candidat Youssouf Saïd.
Les Comoriens assistaient à un véritable terrorisme d’État orchestré par le chef
de l’État et ses mercenaires.
Né le 12 juin 1919, Ahmed Abdallah Abderemane avait atteint et dépassé les
70 ans quand, en octobre 1989, il se lança dans une nouvelle lubie propre aux
autres dictateurs africains : il voulait être président ad vitam æternam, donc un
président à vie, mais donc l’appellation aurait dû être président à mort, dans la
mesure où le but recherché est le maintien obstiné au pouvoir jusqu’à ce que
mort s’ensuive. Que devait-il faire alors ? Il choisit le procédé le plus facile à
mettre en œuvre par tout tyran africain qui veut s’éterniser au pouvoir, au-delà
de toute décence : le référendum anticonstitutionnel.
Ce fut un nouveau traumatisme pour les Comoriens. Les mois d’octobre et de
novembre 1989 avaient été très agités aux Comores parce que le peuple avait
fini par comprendre que le libérateur du 13 mai 1978 était devenu un dictateur
dont il fallait se libérer. Finalement, après des semaines de polémiques, même
dans un régime politique foncièrement monolithique, « le 5 novembre 1989, le
“peupleˮ se “prononçaˮ à 92,50% pour une nouvelle Constitution.
Ce référendum a donné lieu à une vraie tempête politique car, excédés, les
Comoriens n’étaient pas du tout favorables à une énième manœuvre destinée à
introniser Abdallah président à vie à l’âge de 70 ans. Violences et répressions
s’abattirent sur les Comores. Le seul résultat tiré de cette énième et inutile
révision constitutionnelle fut qu’Ahmed Abdallah pouvait briguer un troisième
mandat et que le poste de Premier ministre, supprimé quelques années aupa-
ravant, était recréé. C’était une importante concession imposée à Ahmed
Abdallah. Le caractère dominant du régime Ahmed Abdallah réside dans ses
pratiques unilatérales, qui rejettent toutes idées qui n’entrent pas dans le cadre
défini par les autorités et les thuriféraires qui assistaient toutes les fins d’après-
midi aux causeries sur la terrasse ou sous les manguiers de la présidence »2.
Ahmed Abdallah Abderemane avait eu la haute main sur les Comores du 26
décembre 1972 au 6 juillet 1975, à l’époque où il était président du Conseil de
Gouvernement, puis du 6 juillet au 3 août 1975, et de nouveau, du 13 mai 1978
au 26 mai 1989. Il serait impossible aujourd’hui de savoir s’il connaissait ou
pas le proverbe mohélien selon lequel « seule la mort suffit ». Il a régné par le
plomb, la tronçonneuse, le mépris et l’arrogance, en répandant le sang d’autrui.
Il quitta Beït-Salam torturé, mutilé et baignant dans une mare de sang, le sien.

1 Riziki Mohamed (A.) : Comores. Les institutions d’un État mort-né, op. cit., pp. 162-163.
2 Riziki Mohamed (A.) : Comores. Les institutions d’un État mort-né, op. cit., p. 163.

206
Il n’a pas voulu quitter la Présidence de la République la tête haute ; il quitta
les lieux dans une Jeep de l’Armée, une bâche sur son corps mutilé et meurtri
après les tortures des mercenaires qui étaient censés assurer sa protection. Il n’a
pas su partir quand il devait partir. Il n’a pas compris le sens du proverbe parmi
les plus usités à Mohéli : « Qui tarde à quitter l’arène finit par mal danser ».
N’ayant tiré aucune leçon de cette effusion de sang, Assoumani Azali refait
les erreurs mortelles d’Ahmed Abdallah Abderemane, en croyant qu’elles lui
permettront de rester au pouvoir jusqu’en 2030, alors que les Comoriens n’ont
guère aperçu dans sa gouvernance – destructrice et catastrophique – des signes
qui auraient milité en faveur de son maintien au pouvoir.

§3.- TERREUR DANS LA « RÉPUBLIQUETTE » DEVENUE LA « RIPOUX-


BLIQUE » DE MITSOUDJÉ
Les Comores n’ont jamais été un État de Droit et une démocratie. Pourtant, il
faudra reconnaître que Saïd Mohamed Djohar, Mohamed Taki Abdoulkarim,
Ahmed Sambi et Ikililou Dhoinine n’ont pas régné dans la terreur. Ils n’ont pas
régné par le plomb et le sang coulant en permanence. Ils n’ont pas découpé les
opposants à la tronçonneuse.
Cependant, Assoumani Azali a prouvé qu’il appartenait à une autre catégorie
de dirigeants, ceux qui ne savent régner que par le plomb, le bâillon et le sang.
Pour tout dire, Assoumani Azali est un tueur. Il a prouvé ses prédispositions
d’assassin avant même son installation à la Présidence de la République, suite à
son coup d’État du 30 avril 1999. En effet, le 26 septembre 1992, des militaires
alliés aux chefs de l’Oudzima, le parti politique (unique) de l’ancien président
Ahmed Abdallah Abderemane, ont essayé de renverser Saïd Mohamed Djohar.
La tentative de putsch échoua. Les putschistes se cachèrent notamment dans la
ville de Mbéni et dans d’autres endroits du Hamahamet, en Grande-Comore.
Assoumani Azali était entièrement impliqué dans cette tentative de putsch, et
avait attendu le début de son échec pour se désolidariser de ses compagnons,
qu’il traqua un à un, cause de nombreux deuils dans les familles comoriennes.
Il truffa de balles l’officier Ahmed Abdallah dit Apache, qu’il dénuda avant de
le poser sur le capot d’un véhicule militaire, portant en tout et pour tout un slip.
Il fit promener le corps nu de l’officier Ahmed Abdallah à travers toute la ville
de Moroni, suscitant la réprobation et les malédictions des Comoriens.
Comme souligné ci-haut, cette douloureuse et lugubre affaire et d’autres ont
fait dire au président Mohamed Taki Abdoulkarim devant une délégation de
Grande-Comore dépêchée auprès de lui par Assoumani Azali pour qu’il le
replace à la tête de l’Armée des Comores : « Cet homme ne fera jamais du
bien aux Comores. Il n’aime pas son pays »1.

1Témoignage d’Ahmed Wadaane Mahamoud recueilli le lundi 22 août 2016. Cité par Riziki
Mohamed (A.) : Mohamed Ali Soilihi. Vérités sur une élection aux Comores, op. cit., p. 298.

207
Assoumani Azali est un homme d’une rare violence. Entièrement impliqué
dans la tentative de putsch du 26 septembre 1992, non seulement il n’avait
pas hésité à se retourner contre les autres putschistes mais, en plus s’était
mué en leur tortionnaire et persécuteur en prison. En avril 1999, il avait été
l’instigateur des pogromes contre les Anjouanais vivant en Grande-Comore,
profitant de la pagaille qu’il avait créée pour s’emparer d’un pouvoir qu’il
avait convoité dès l’annonce de la mort de Mohamed Taki Abdoulkarim, le 6
novembre 1998. La première kleptocratie d’Assoumani Azali (1999-2006)
fut marquée par la sacralisation de la corruption. La deuxième kleptocratie,
qui a commencé le 26 mai 2016, à la suite d’une fraude électorale d’une très
rare saleté, est noyée dans la corruption, la prévarication, la concussion,
l’incompétence, le népotisme, l’esprit villageois, l’arbitraire, la dictature et la
terreur. Depuis le 26 mai 2016, les Comoriens vivent dans la peur, la peur du
régime politique en place. Assoumani Azali a nommé à la tête du ministère
de l’Intérieur Kiki, chef d’un escadron de la mort à Moroni, l’homme qui a
ruiné les Douanes des Comores quand il en était le Directeur général sous la
présidence d’Ahmed Sambi. Kiki a été nommé à ce poste, où il n’a aucune
compétence, car il a joué un rôle éminent lors de la grande fraude électorale
de 2016, et parce que, dénué de toute idée civique et de toute culture d’État,
il est l’homme qu’il faut à la dictature d’Assoumani Azali pour tuer toutes
les libertés fondamentales.
Les principales actions liberticides entreprises par Assoumani Azali et son
clan de Mitsoudjé sont les suivantes :
- La suppression de la Commission nationale de Prévention et de Lutte
contre la Corruption (CNPLC) ;
- La suppression de la Cour constitutionnelle, une institution prévue par la
Constitution comorienne ;
- La fermeture de la radio Baraka FM du journaliste Abdallah Agwa, connu
pour sa liberté de ton et la sensibilité des informations confidentielles
qu’il a l’habitude de livrer au public ;
- La persécution des journalistes de Radio Kaz, installée à Mkazi, sur l’île
de la Grande-Comore ;
- Les tentatives de fermeture de Radio Kaz, faisant preuve d’indépendance
et d’une grande liberté de ton ;
- L’interdiction de toute réunion de l’opposition, même dans les domiciles
privés ;
- La persécution des opposants, surtout suite à la création de faux complots ;
- La destruction de mosquées « chiites », dont une a été transformée en un
Commissariat de Police à Anjouan ;
- Les licenciements abusifs alors que le népotisme en faveur de Mitsoudjé
bat son plein ;
- Les actions entreprises par la République de Mitsoudjé contre les blogs et
sites Internet comoriens, généralement domiciliés en France. Le pouvoir
d’Assoumani Azali fait tout pour empêcher leur diffusion aux Comores.

208
Le 30 décembre 2015, à la Salle multifonctionnelle de Fomboni, alors que
j’étais présent sur les lieux, Assoumani Azali devait présenter les candidats
de son parti à l’élection présidentielle et à celle des Gouverneurs des îles. Il
avait déclaré en substance devant les Mohéliens : « Quand Dieu a voulu que
nous nous réconciliions, nous sommes venus à Mohéli. Et quand nous sommes
arrivés à Mohéli, nous ne l’avons pas regretté. […]. Nous avons commencé
les négociations en décembre 2000, et nous arrivâmes en février 2001 et
nous en sommes arrivés aux accords du 23 janvier 2001 [Sic : le 17 février
2001] en prélude à la stabilité que nous avons actuellement.
Ce que je veux vous dire, honorables Mohéliens et Mohéliennes, c’est
qu’une date historique est survenue à Mohéli. C’est une date parmi les plus
importantes que celles déjà survenues et à venir parce que cela a permis le
fait qu’aujourd’hui, c’est un enfant de Mohéli qui dirige ce pays.
Vous avez entendu que dans le monde, il y a un pays qui s’appelle la Suisse,
et les États en conflit se retrouvent souvent en Suisse. Depuis longtemps, la
Suisse des Comores est l’île de Mohéli. Mais, je suis quand même triste
parce que nous avons signé les accords pour réconcilier les îles, et après cette
réconciliation, nous avons établi une Constitution pour faire fonctionner
notre État. […]. Il y a eu une rechute. […]. Je vais vous dire ce qui
m’attriste, et le moment venu, nous en reparlerons.
C’est que, il paraît que le 17 février 2001, quand nous avons conclu
l’accord pour nous réconcilier, et cette date n’est pas considérée comme une
fête nationale devant nous inciter à louer Dieu, alors que le 26 décembre
[Sic : le 25 mars 2008], il y a eu des gens qui sont allés faire une fausse
libération. Je croyais que si l’État dans son ensemble a établi qu’après le 6
juillet 1975, date d’accession des Comores à l’indépendance, la deuxième
fête nationale devait être le 17 février 2001 parce que c’est la date de la
réconciliation des Comoriens.
Je croyais que vous autres Mohéliens, comme vous avez la responsabilité
du pays, vous alliez penser à ces choses-là. Malheureusement, cela n’est pas
arrivé. Alors, je vous donne ma parole d’honneur que si nous sommes élus,
nous viendrons à Mohéli pour vous remercier, chers Mohéliens et chères
Mohéliennes, pour avoir accepté que notre réconciliation se fasse à Mohéli ».
Or, au 17 février 2017, c’est Assoumani Azali qui était à la tête du pays. Il
refusa de se rendre à Mohéli pour la célébration de la signature de l’Accord-
cadre de Fomboni. En plus, il entreprit des manœuvres destinées à empêcher
la commémoration d’un événement qui a eu lieu à une date qu’il juge lui-
même digne de faire partie des fêtes nationales des Comores.
En 2018, Assoumani Azali était plongé dans l’organisation des assises qui
devaient lui permettre de préparer les tripatouillages constitutionnels censés
lui permettre de rester à la Présidence de la République jusqu’en 2030. Il
avait alors entrepris toutes sortes de démarches pour empêcher la célébration
du 17-Février, alors que toute l’opposition comorienne, hostile à ces assises,

209
décida de se rencontrer à Mohéli pour la commémoration. Il empêcha les
dirigeants de l’opposition de prendre l’avion et le bateau pour Mohéli.
Quand le Gouverneur Salami Abdou Salami, un élu, arrive à Mohéli pour
discuter avec les autres membres de l’opposition, les militaires anjouanais
assurant sa sécurité doivent souvent s’interposer pour empêcher ceux soumis
aux ordres de la République de Mitsoudjé de l’assassiner. Ses déplacements
à Mohéli sont placés sous haute surveillance alors qu’il s’agit d’un élu.
Les assises « nationales » elles-mêmes ont été transformées en exercice de
persécution des membres de l’opposition comorienne. L’idée des assises a
été lancée par l’ancien ministre Ali Bazi Selim le 11 août 2015, au retour des
athlètes comoriens de la Réunion, où avaient défilé des jeunes Mahorais qui
brandissaient des drapeaux français lors des Jeux des Îles de l’océan Indien.
Ikililou Dhoinine avait rejeté ces assises, qui pouvaient charrier toutes sortes
de manipulations politiciennes. En juin 2017, Assoumani Azali, qui y vit la
meilleure occasion pour instaurer sa présidence à mort, du moins jusqu’en
2030 (!), accueillit Ali Bazi Selim et les autres gérontocrates du Mouvement
du 11-Août, à qui il donna son accord pour la tenue des assises prétendument
« nationales ». Les chefs du Mouvement du 11-Août étaient tellement fiers
d’avoir réussi à avoir une oreille complaisante à Beït-Salam qu’ils n’ont pas
vu le piège que le clan de Mitsoudjé tendait à toute la nation comorienne.
Le dimanche 15 octobre 2017, Assoumani Azali reçut Ali Bazi Selim et lui
annonça que son véritable but était l’instrumentalisation totale des assises en
vue de l’instauration de la dictature clanique de Mitsoudjé à mort. Incapable
de supporter le choc émotionnel provoqué par une telle révélation, Ali Bazi
Selim fit un accident vasculaire cérébral qui l’envoya à l’hôpital en Tanzanie.
Ce 15 août 2018, il y est encore. Sa mort est annoncée et démentie 36 fois.
Par la suite, les membres du Mouvement du 11-Août se retirèrent un à un
du Comité de Pilotage des Assises nationales (CPAN), un organisme parmi
les plus corrompus des Comores. Finalement, Assoumani Azali et son carré
de fidèles se retrouvèrent en présence d’une coquille vide, sans la moindre
légitimité, ni crédibilité, ni représentativité. L’ancien avocat Saïd Larifou,
dont le cabinet a été fermé et la maison vendue aux enchères à la Réunion, et
l’ancien ministre Saïd Mohamed Sagaf avaient fait du CPAN leur propriété
personnelle, y détournant des sommes faramineuses et empêchant toute voix
dissidente au sein d’une institution chargée de promouvoir les objectifs de
pouvoir à mort d’Assoumani Azali et de son clan mafieux.
De juin 2017 à la tenue des assises en février 2018, toute réunion même de
nature privée dont le but était la remise en cause de ces dernières était tout
simplement interdite, et ses organisateurs persécutés. Au cours de la période
en question, le Mohélien Elamine Ali Mbaraka dit Aboul-Khaïr, animateur
des principaux mouvements de contestation à Mohéli et ancien Maire de la
capitale Fomboni, était arrêté presque toutes les semaines. Pendant que les
autorités avaient toute latitude pour organiser des réunions publiques sur les
trois îles, l’opposition était interdite de parole. Elle avait compris que le but

210
des assises était la perpétuation d’un régime politique clanique absolument
corrompu et incompétent, et s’y opposait.
Piètre stratège et tacticien politique qui place tous ses espoirs sur la fraude
électorale, la violence physique et verbale et les complots imaginaires, voire
la complotite aiguë, Assoumani Azali n’avait même pas eu l’intelligence de
laisser travailler le Mouvement du 11-Août, avant de récupérer son travail. Il
se l’est approprié, suscitant le mépris, les doutes et le scepticisme de toute la
population. Assez rapidement, le CPAN, discrédité et honni, en était réduit à
organiser des réunions publiques auxquelles les participants ont oscillé entre
6 et 32 personnes, obligeant Assoumani Azali à éviter les lieux, étant noté
que la faiblesse de la participation populaire était un signe de rejet total de sa
personne et de son régime politique clanique.
Le budget alloué aux assises était de 300 millions de francs comoriens, soit
609.796,069 euros, mais avait atteint la somme faramineuse de 680 millions
de francs comoriens, soit 1.382.204,42 euros. Saïd Larifou et Saïd Mohamed
Sagaf ont été les principaux bénéficiaires de ces détournements de l’argent
du peuple comorien. Rapidement, les assises étaient devenues l’objet de la
suspicion et de la haine des Comoriens. Un prétendu « Comité des experts »
sans la moindre expertise, ni compétence, finit par accoucher d’un rapport de
400 pages truffé de fautes de français et à la lisibilité douteuse, mais dont le
seul but est de permettre à Assoumani Azali d’instaurer sa présidence à mort.
Les assises ont été un échec total, suite à leur rejet par les habitants des
trois îles. Il fallait à Assoumani Azali un moyen de détourner l’attention de
la population de ce fiasco qui a tout de même coûté une fortune. C’est ainsi
que le lundi 19 février 2018, quelques jours à peine après la clôture de cette
énorme supercherie, Assoumani Azali arrivait à Mohéli en provenance de
l’île d’Anjouan, où il avait essayé vainement de faire admettre aux habitants
les « bienfaits » d’assises traitées de tous les noms et livrées et à toutes les
moqueries par le peuple.
Ce lundi 19 février 2018, on découvrit des clous sur la piste de l’aéroport
de Mohéli. Il ne s’agit pas des clous tripodes, qui ont toujours une pointe
dirigée vers le ciel, mais des plus inoffensifs des clous, ceux dont on se sert
en matière la construction et dont la principale caractéristique demeure leur
horizontalité. Comment un clou sans la moindre verticalité peut provoquer la
crevaison et l’éclatement d’un pneu d’avion ? Saïd Larifou, présent sur l’île
de Mohéli au moment de la découverte de cette mascarade organisée par un
État en crise de victimisation pour sortir de l’échec cuisant des assises, n’a
pas hésité à faire la plus hallucinante des déclarations. Il se faisait filmer et,
moins de 5 minutes après l’annonce de la découverte des clous, il crânait sur
Facebook, en parlant de « tentative d’attentat » et même d’« attentat ».
Il persista dans ses accusations gratuites, que les Mohéliens qualifièrent
d’accusations de terrorisme de tous les habitants de leur île. Quelques jours
plus tard, son parti politique sans électeurs, ni élus, mais spécialisé dans les
tintamarres, s’est joint à celui de Houmed Msaïdié Mdahoma pour réclamer

211
la peine de mort contre deux innocents employés de l’aéroport de Mohéli,
dont le tort a été d’avoir signalé la présence de ces clous inoffensifs sur la
piste. Ces employés sont Ismaïl Ahmed Kassim (tour de contrôle) et Hamada
Elmoutawakil (sécurité).
Hamada Madi Boléro, Assoumani Azali et Kiki ont organisé une immense
chasse à l’homme à Mohéli, contre les Mohéliens, une opération qui aboutit
à l’arrestation arbitraire de plus de 43 personnes, dont certaines ont subi des
jets d’urine sur le corps de la part des militaires grands-comoriens affectés à
Mohéli dans l’unique but de menacer, insulter et réprimer la population de
l’île. Dès que ce corps expéditionnaire colonial est face aux Mohéliens, il
entonne des chansons bellicistes expliquant son entière disposition à tuer la
population de l’île. Ce qui n’est pas sans réveiller les douloureux souvenirs
du Commando Moissi grand-comorien massacrant la population mohélienne
de novembre 1977 au 13 mai 1978.
Ismaïl Ahmed Kassim et Hamada Elmoutawakil ont subi les traitements
inhumains, vexatoires et dégradants des soldats du corps expéditionnaire et
colonial de la Grande-Comore à Mohéli avant d’être déportés à la Grande-
Comore, alors qu’il y a bien un Tribunal et des magistrats à Mohéli. Ils sont
arrivés à la Grande-Comore ne portant qu’un slip, menottés comme de vrais
criminels, alors qu’aucun indice ne permet de les relier à cette sombre affaire
de clous, fruit de l’imagination de Hamada Madi Boléro, dont le but était de
faire accuser Mohamed Larif Oucacha, son ancien mentor sous le régime
politique de Saïd Mohamed Djohar, qu’il a transformé en ennemi intime dès
qu’il le présenta à Mohamed Saïd Abdallah Mchangama, le plus influent des
gendres de la « gendrocratie ».
Pour rappel, lors des élections législatives de 2004, on allait assister à un
duel entre Hamada Madi Boléro et Mohamed Larif Oucacha. Le mentor était
arrivé facilement à expliquer aux électeurs que son ancien protégé n’était pas
un Mohélien (son père, qu’il ne connut à Marseille que peu de temps avant
sa mort, étant originaire de Chouani, en Grande-Comore) et qu’il collaborait
avec les Grands-Comoriens qui faisaient perdre à Mohéli ses droits les plus
légitimes. Mohamed Larif Oucacha a été élu au détriment de Hamada Madi
Boléro, dont la haine devint encore plus virulente à son égard.
En mai 2014, les neveux et cousins d’Ikililou Dhoinine ont publié le tract
historique « Kala Wa Dala », qui a dit la vérité sur les Mohéliens de Beït-
Salam, traînant dans la boue le chef de l’État, Hadidja Aboubacar, son
épouse, qualifiée de « dictatrice » par les Mohéliens, et le conspirationniste
professionnel Hamada Madi Boléro. Ce dernier, connaissant l’audience et la
crédibilité de mon site Internet www.lemohelien.com me supplia de publier
un article devant accuser Mohamed Larif Oucacha, le cousin et Conseiller
d’Ikililou Dhoinine. Je lui ai expliqué l’attachement de son ancien mentor à
sa famille et son courage qui fait qu’il s’exprime toujours publiquement pour
dire ce qu’il veut, sans se cacher. Il arriva à le faire chasser de façon indigne
de la Présidence de la République.

212
Son coup du lundi 19 février 2018 à l’aéroport de Mohéli devait lui donner
l’opportunité d’enterrer définitivement la carrière politique de celui qui lui a
donné l’opportunité d’entrer sur la scène politique nationale comorienne. Or,
Mohamed Larif Oucacha arriva à ridiculiser les magistrats chargés de cette
affaire et à se faire libérer au bout de quelques heures.
Le samedi 24 février 2018, au mépris de la séparation des pouvoirs et de
l’indépendance de la Justice, Assoumani Azali reçut devant les caméras le
Procureur de Fomboni, le Procureur général et le surtout le premier président
de la Cour d’Appel de Moroni en présence de Saïd Larifou, dont le cabinet
est fermé à la Réunion et la maison vendue aux enchères pour indélicatesse
avec le Fisc français, mais portant désormais le titre pompeux d’« avocat du
gouvernement comorien ». La rencontre avait eu lieu dans l’unique but pour
Assoumani Azali de donner des ordres à « ses » magistrats, tous membres de
son parti politique, la Convention pour le Renouveau des Comores (CRC),
sur le sens que doivent prendre l’instruction bâclée et le procès bidon.

Surendetté sur l’île de la Réunion, se livrant à des actes d’escroquerie et


d’abus de confiance même auprès de 22 jeunes Gnambeni, Kové et Malé, à
qui il a repris à chacun 5.000 euros pour la délivrance de visas Schengen que
personne n’a vus un jour, Saïd Larifou, qui a parmi ses créanciers même une
mosquée, est prêt à tout pour obtenir de l’argent. Aux Comores comme à
l’étranger, personne ne peut approuver l’ancien avocat en France et nouvel
avocat aux Comores qui approuve et tente de « légitimer » toutes les dérives
dictatoriales d’Assoumani Azali et de sa famille. Il est aux abois.
Aux Comores et à l’étranger, personne ne peut approuver un ancien avocat
français et nouvel avocat comorien lançant un strident cri de haine contre les
deux jeunes Mohéliens arrêtés arbitrairement, torturés lâchement et subissant
des traitements inhumains et dégradants. Le même Saïd Larifou s’arc-boute
sur sa thèse de la conspiration, du complot, de « la tentative d’attentat » et de

213
« l’attentat », affichant avec fierté d’être le pionnier de la présomption de
culpabilité, qui vient remplacer la présomption d’innocence.
Assoumani Azali est devenu la synthèse et le point de jonction de toutes
les dérives qui ont tué l’État aux Comores : le caractère sanguinaire de l’État
sous Ali Soilihi, la conviction qu’avait Ali Soilihi sur sa capacité à pouvoir
réfléchir et agir en lieu et place de tous les autres Comoriens, la restriction de
toutes les libertés fondamentales et la tentation de la présidence à mort chez
Ahmed Abdallah Abderemane, le goût de la mort d’autrui chez ce dernier, le
népotisme, le désordre institutionnel, les détournements de fonds publics qui
ont fait la sinistre réputation de la « gendrocratie » de Saïd Mohamed Djohar
de 1989 à 1995. La kleptomanie qui a caractérisé son premier et malheureux
passage au pouvoir (1999-2006) est encore plus virulente et nocive depuis le
26 mai 2016.
La terreur relative des années 1999-2006 est devenue une terreur absolue
depuis le jeudi 26 mai 2016. Le discours injurieux et bellicistes d’Assoumani
Azali terrorise et blesse les Comoriens, désormais convaincus qu’il est affecté
d’une grave pathologie qui l’empêche d’avoir des idées cohérentes. Il a fait
des chutes et est tombé par terre, mais chaque fois, une chape de plomb est
jetée sur ses défaillances mentales et physiques. Aucun homme qui jouit de
ses facultés mentales ne peut faire ce que fait Assoumani Azali et dire ce
qu’il dit. Il ne s’agit pas de faire sur lui de la psychologie bon marché mais
de nous interroger après avoir constaté qu’il ne se soucie guère du pays et de
son développement, mais se préoccupe uniquement de ses conspirations et
de ses complots, exactement comme Hamada Madi Boléro, son « ami » et
exécuteur de basses œuvres et sales besognes.
Assoumani Azali et son lascar Hamada Madi Boléro sont des fabricants
compulsifs, obsessionnels et obsédés des faux complots inintelligents et sans
la moindre crédibilité. Pour tuer l’opposition, outre la fausse affaire des faux
clous à Mohéli, ils ont piteusement mis en scène, dans la nuit du samedi 21
au dimanche 22 juillet 2018, « l’attentat » imaginaire visant prétendument
Moustadroine Abdou « Mafitsi » (« Foutaises »), le vice-président ivre à vie.
C’est un « attentat » faisant rire par sa grossièreté, sa vulgarité, sa fausseté et
sa débilité. Assoumani Azali et les siens prétendent que la voiture de l’ivre
Moustadroine Abdou « Mafitsi », dont les pneus avaient éclaté sous l’impact
des balles, a pu rouler sur plus de 20 km sur les mauvaises routes d’Anjouan.
Or, aucune voiture, y compris l’Aston Martin de James Bond, l’agent 007,
ne pourrait rouler sur une longue distance avec une crevaison, et échapper à
une moto transportant de « méchants terroristes » maniant la Kalachnikov
avec la ferme volonté de donner « la mort ».
Il y a en plus, la grosse bêtise commise par Bellou Magochi, qui s’est déjà
autoproclamé Procureur général, Procureur de la République et spécialiste en
criminalistique, notamment en balistique. L’amateurisme de Bellou Magochi
accrédite la thèse du montage grossier. Sans avoir vu l’arme et les douilles
des balles, il a parlé d’une Kalachnikov ayant tiré juste trois projectiles, alors

214
qu’une telle arme en tire 600 en une minute. Naturellement, cette mascarade
fut suivie du rapt de plusieurs opposants et de collaborateurs du Gouverneur
Salami Abdou Salami d’Anjouan. Ces arrestations arbitraires, à une semaine
du « référendum » bidon du lundi 30 juillet 2018, étaient le but recherché par
la dictature.
Le jour du « référendum » bidon, la soldatesque d’Assoumani Azali a fait
usage de bombes lacrymogènes contre des opposants dans les mosquées, a
provoqué l’incendie à Vouvouni, non loin de Moroni, et a usé de machettes
pour couper la main d’un gendarme, crime dont la dictature accuse des chefs
de l’opposition, naturellement arrêtés iniquement, sans un début de preuve.
Ces actions violentes sont le fait de Kiki et de Bellou Magochi, à la demande
de leur patron. Le but recherché est toujours la décapitation de l’opposition.
Les emprisonnements extrajudiciaires sans fondement légal, ni procès, ont
commencé au lendemain du 26 mai 2016, parfois pour de la « diffamation » !
Par ailleurs, dans la nuit du jeudi 9 au vendredi 10 août 2018, la « Ripoux-
blique » de Mitsoudjé dit avoir « déjoué » une tentative de « coup d’État »
qui allait être réalisée par emploi d’un fusil de chasse, d’un pistolet et de la
somme de 12 millions de francs comoriens (24.000 euros) ! Cette nouvelle
hystérie bouffonne a servi de prétexte à l’arrestation notamment de l’écrivain
Saïd Ahmed Saïd Tourqui (SAST) et même de l’avocat Bahassane Ahmed
Saïd Hassani, le petit frère du vice-président Djaffar Ahmed Saïd Hassani,
l’homme qui a eu le courage historique de dénoncer publiquement la dérive
dictatoriale d’Assoumani Azali et de sa famille, lors d’un discours qui fera
date et qui a été prononcé le samedi 16 juin 2018 (Cf. Infra).
Par ailleurs, entre avril et juin 2018, les opposants comoriens bravaient les
interdictions liberticides, et manifestaient pacifiquement contre la « Ripoux-
blique » de Mitsoudjé à la fin de chaque grande prière collective de la mi-
journée du vendredi. Cela a provoqué de multiples arrestations arbitraires,
dont celles d’Ahmed Hassane El Barwane, Moustoifa Saïd Cheikh, Ahmed
Wadaane Mahamoud et Ibrahim Abdourazak (Razida).
Sur la photo ci-dessous, datant du vendredi 22 juin 2018, on voit les forces
de l’ordre traîner sur le bitume mon ami Ahmed Wadaane Mahamoud, un
intellectuel désapprouvant de manière absolument pacifique le climat de
terreur instauré aux Comores par la « Ripoux-blique » de Mitsoudjé. Ahmed
Wadaane Mahamoud aura le bras cassé et se fera soigner en Tanzanie.
Le mercredi 15 août 2018, il m’a envoyé le message suivant : « Je suis de
retour de Dar-Es-Salam, où j’ai été soigné après l’agression très inhumaine
et barbare que j’ai subie, dans une violence inouïe. Grâce aux médecins de
Dar-Es-Salam, j’ai retrouvé un certain usage de mon bras, mais je dois tout
de même attendre des mois avant un rétablissement total. Ceux qui ont failli
me tuer ne se posent jamais de questions sur les conséquences de leur acte
barbare. Pour eux, il est tout à fait normal qu’ils agressent les opposants qui
manifestent pacifiquement et dont je fais partie. En tout état de cause, nous
aurons le dernier mot, et cette dictature familiale et villageoise sera bientôt

215
rangée dans les poubelles les plus nauséabondes de l’Histoire, sa place
naturelle ».

Enfin, au lendemain, de l’échec du « référendum » anticonstitutionnel et


bidon du lundi 30 juillet 2018, Assoumani Azali, Bellou Magochi et Kiki ont
franchi un nouveau pas dans la répression, transformant les Comores en une
grande prison, où toute voix dissidente est étouffée, l’indépendance d’esprit
punie sévèrement, où se fabriquent les « complots imaginaires » à la chaîne
pour les faire endosser aux opposants. La répression est tellement lourde que
les Comoriens sont dans les mosquées pour prier pour la mort d’Assoumani
Azali et des siens. Désormais, Assoumani Azali est devenu le carrefour des
trois dictatures, cristallisant toutes les haines : la dictature d’Ali Soilihi, celle
d’Ahmed Abdallah Abderemane et la sienne propre.
Il est le dictateur le plus haï et le plus méprisé des Comores. Pourra-t-il
échapper à une fin sanglante, donc à une mort violente, par coup d’État ?

S.IV.- UN MANQUE TOTAL DE CONVICTIONS CIVIQUES ET POLITIQUES


Au lendemain de la proclamation de l’indépendance des Comores, le 6
juillet 1975, les Comoriens allaient se rendre compte que la période épique,

216
celle marquée par l’affrontement historique entre le Parti Blanc (formation
politique progressiste dirigée par le Prince Saïd Ibrahim) et le Parti Vert
(formation partisane conservatrice dirigée par Saïd Mohamed Cheikh), était
bel et bien révolue. Les Comoriens ont perdu tous leurs repères idéologiques,
et leur positionnement politique relève désormais du déshonneur.
Ces deux partis politiques ont eu à s’affronter des années 1950 au milieu
des années 1970. À cette époque, le militant était soit du Parti Blanc, soit du
Parti Vert. Il ne changeait pas de parti politique. Il restait fidèle à son parti
politique. Malgré l’éclipse des deux partis politiques, leurs anciens membres
continuent à se positionner par rapport à eux et à se référer à eux.
Des années 1950 au milieu de la décennie 1970, la transhumance politique,
appelée « la navigation » aux Comores, était un phénomène politique très
rare parce que le « navigateur » savait que sa « navigation » allait l’exposer à
l’opprobre et à la réprobation du peuple. Par la suite, la scène politique du
pays fut dominée par les « navigateurs », toujours prompts à « naviguer »,
donc à tourner casaque, à changer de bord politique et à trahir. Pourtant,
certaines trahisons spectaculaires ont eu lieu, mais restaient très limitées et
circonscrites, parce que les dirigeants et les militants des partis traditionnels
étaient pour la plupart des personnalités qui se souciaient plus ou moins de
leur respectabilité et de leur crédibilité.
Mais, il aurait été trop sentimental et angélique de croire que les acteurs
politiques comoriens d’avant l’indépendance de leur pays étaient constants et
fidèles dans leur positionnement et dans leurs choix. De l’autonomie interne
aux premières années de l’indépendance des Comores, Mouzaoir Abdallah,
président de la Chambre des Députés et ministre des Affaires étrangères sous
Ali Soilihi, se distingue par ses pratiques politiques peu orthodoxes et par sa
tendance bien affirmée à la trahison de ses alliés politiques. Les années sont
passées, ses méthodes sont restées les mêmes.
Ceci est d’autant plus vrai que « Mouzaoir Abdallah, ancien président de
la Chambre des Députés, passait pour le Comorien politicien le plus subtil
de tout l’archipel. Il est vrai qu’il avait trahi Saïd Ibrahim puis Ahmed
Abdallah et que, ministre des Affaires étrangères d’Ali Soilihi, il avait, aux
Nations Unies, défendu si mollement la cause de ce dernier qu’on avait pu le
croire, sans doute à tort, stipendié par les services français »1.
La trahison envers le Prince Saïd Ibrahim est l’une des pages les plus
sombres de l’Histoire des Comores au XXème siècle. Le Prince Saïd Ibrahim
avait été président du Conseil de Gouvernement du 2 avril 1970 au 16 juillet
1972. C’est une motion de censure byzantine qui a mis fin à sa présidence,
pourtant débarrassée de la violence verbale, des injures et de l’ostracisme de
Saïd Mohamed Cheikh, l’homme qui a divisé les Comoriens et éloigné sans
doute Mayotte des autres îles de l’archipel des Comores, censé être son giron

1Deschamps (A.) : Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœla-


canthe, op. cit., p. 76.

217
naturel. La veille de l’adoption de la motion de censure, des Députés se sont
retrouvés chez le Prince Saïd Ibrahim et lui avaient juré fidélité de manière
tout à fait volontaire et spontanée. Mon cousin, le Député Soilihi Mohamed
Soilihi, s’était alors levé et avait fait ses ablutions prétendument pour se faire
purifier avant de lui jurer fidélité sur le Coran, le Livre sacré du Musulman.
Le même jour, il recevait du concurrent Ahmed Abdallah Abderemane la
somme de 500.000 francs (1.000 euros). Mais, comme il était connu pour sa
roublardise et sa versatilité, Ahmed Abdallah Abderemane prit la précaution
le faire enfermer jusqu’au moment du vote de la motion de censure, qu’avait
votée également Mouzaoir Abdallah qui, lui aussi, avait solennellement juré
fidélité au Prince Saïd Ibrahim. D’autres Députés avaient fait de même.
Par la suite, tout en prétendant être l’un des plus farouches opposants au
régime politique d’Ahmed Abdallah Abderemane, au point d’avoir quitté les
Comores clandestinement et avec fracas à bord d’un petit avion, mais pour y
revenir par la suite, Mouzaoir Abdallah connaissait parfaitement le chemin
qui devait le conduire au bureau du président qu’il était censé combattre de
toutes ses forces. Perfidement mais à raison, Moustoifa Saïd Cheikh, leader
du Front démocratique (interdit à l’époque), avait dit : « Pour bien apprécier
“l’opposition” de Mouzaoir Abdallah à Ahmed Abdallah, il faut se lever tôt
et le voir partir quémander auprès de lui ».
Lors du scrutin présidentiel de 2016, Mouzaoir Abdallah avait corrompu
les membres de la Cour constitutionnelle pour le compte d’Assoumani Azali.
Mais, quand son ancien protégé fit nommer à sa place Saïd Mohamed Sagaf
président du conseil d’administration d’une banque, il s’en désolidarisa, et
prit fait et cause pour Ahmed Hassane El Barwane, emprisonné pour avoir
pris part à un rassemblement contre le pouvoir en place, et pour Djaffar
Ahmed Saïd Hassani, le samedi 16 juin 2018, quand il désavoua en public le
dictateur Assoumani Azali et ses lubies de présidence à mort.
L’inconstance de l’acteur politique comorien est une réalité. Les meilleurs
alliés politiques du jour risquent de devenir les pires ennemis politiques du
lendemain. De tels retournements sont possibles et surtout si fréquents car
les acteurs politiques comoriens sont pour la plupart sans structure mentale
politique solide et durable, ni convictions civiques et politiques. Ce sont des
personnes qui font de la politique, mais qui ne croient en rien et à rien.
Nous en retrouvons une preuve infâme en mars 2015. Parlons-en.
Après la très éphémère alliance de pure circonstance entre Ahmed Sambi
et Mouigni Baraka Saïd Soilihi en mars 2015, lors de l’élection controversée
du président de l’Assemblée de l’Union des Comores, une déclaration de 14
minutes et 4 secondes qui résume tout sur la versatilité et la reptation des
politiciens comoriens fut faite le jeudi 2 avril 2015 par voie audiovisuelle par
Maître Fahmi Saïd Ibrahim, le président du Parti de l’Entente comorienne
(PEC) et proche d’Ahmed Sambi.
De ce discours, nous retenons les extraits suivants : « La question que je
me pose est : […] c’est quel message nous faisons parvenir aux Comoriens ?

218
Les habitants d’Itsandra et les autres Comoriens qui sont à Itsandra et qui
ont vu ce qui s’est passé il y a quelques jours diront quoi ? Ils diront : “Tous
ces politiciens sont des vrais menteurs. Ils viennent s’injurier et se calomnier,
mais quand leurs intérêts sont en jeu, ils s’entendent et se mettent ensemble,
ils rapprochent leurs chapeaux pour défendre leurs intérêts, pour se dire
qu’ils doivent s’unir pour faire élire des Députés, qu’ils doivent s’unir afin
de faire élire le président de l’Assemblée, qu’ils doivent s’unir parce qu’ils
ont un président de l’Assemblée à envoyer quelque part”. Moi, je ne suis pas
d’accord avec cette politique, et je ne veux pas la faire. […]. Mais, je suis
quand même attristé parce que nous envoyons un très mauvais message aux
Comoriens, parce qu’il faut qu’aujourd’hui, nous puissions exposer des
idées forces aux Comoriens pour qu’ils croient en nous afin que demain ils
nous élisent.
Mais, ce message par lequel les gens s’entredéchirent, pendant qu’ils
passent par derrière pour aller dans des bureaux et dans des maisons pour
pactiser, même pour quelques jours, moi, je ne trouve pas cette politique
honorable et je ne veux pas la faire. […] Comme je l’ai dit, nous envoyons
un mauvais message aux Comoriens, mais, je dis en même temps que nous
autres Comoriens, nous devons croire que la conquête du pouvoir n’est pas
une fin en soi. Avant de conquérir le pouvoir politique, nous devons avoir un
programme, des idées forces que nous devons proposer pour que, en priant
Dieu, les citoyens puissent croire en nos idées, pour qu’ils nous accordent le
pouvoir politique afin que nous puissions l’exercer ».
Quand Maître Fahmi Saïd Ibrahim prononçait son discours, les Comores
vivaient un des retournements politiques les plus rapides, les plus déroutants
et les plus spectaculaires. Leur auteur est le très insaisissable et énigmatique
Mouigni Baraka Saïd Soilihi, alors Gouverneur de la Grande-Comore et futur
candidat à l’élection présidentielle de 2016. Il avait réussi à s’allier à Ahmed
Sambi en mars 2015 mais pour moins de 24 heures, avant de rompre avec lui
le lendemain, pour retourner au sein de la « Mouvance présidentielle » pour
quelques heures, en retournant par la suite auprès d’Ahmed Sambi, juste le
temps de rompre avec lui et de se découvrir « une stature nationale », que lui
faisaient miroiter les plus ambitieux de ses partisans.
Mouigni Baraka Saïd Soilihi était trop pressé et ambitieux, à la demande
de ses partisans les plus inconséquents et les plus désinvoltes. Il se voulait et
se voyait président, et ne réfléchissait pas vraiment sur le reste.
En résumé, Mouigni Baraka Saïd Soilihi avait donné toute la mesure de sa
versatilité parce que, « pour tenter de contrôler l’Assemblée de l’Union des
Comores, le lundi 16 mars 2015, il avait conclu une alliance avec Ahmed
Sambi. Il se réveilla le mardi 17 mars 2015 en tant qu’allié de l’UPDC.
Dans l’après-midi du même mardi 17 mars 2015, Mouigni Baraka Saïd
Soilihi avait ainsi rejoint la famille politique d’Ahmed Sambi, mais juste
pour quelques heures. Il finit par dire à Ikililou Dhoinine qu’il avait rejoint
la “Mouvance présidentielle” et qu’il allait travailler avec le vice-président

219
Mohamed Ali Soilihi, tout en évitant de prendre ses appels : il ne voulait pas
se réconcilier avec lui »1.
Ces péripéties permettent de comprendre qu’un acteur politique comorien,
Mouigni Baraka Saïd Soilihi, en l’occurrence, qui voulait devenir président
des Comores en 2016, était capable de la plus grande instabilité mentale sur
ses choix politiques. Il avait été élu Gouverneur de la Grande-Comore le 26
décembre 2010 « grâce » aux millions de francs comoriens qui avaient été
volés à la Douane comorienne par Kiki, quand il était le Directeur général de
celle-ci. Lui-même est un ancien douanier.
Il fut investi Gouverneur de la Grande-Comore le 26 mai 2011, après avoir
prêté serment trois jours auparavant, le 23 mai. Ce 26 mai 2011, on assistait
aussi à la prise des fonctions présidentielles d’Ikililou Dhoinine. Tout de suite
après la cérémonie d’investiture, Mouigni Baraka Saïd Soilihi arrivait chez
le vice-président Mohamed Ali Soilihi pour lui dire qu’il souhaitait se placer
sous sa bannière parce qu’il n’était pas assez connu au niveau du pays, et
qu’il comptait sur sa notoriété pour pouvoir se créer une stature nationale, et
qu’il voulait être son colistier lors de l’élection présidentielle de 2016…
Mais, il faut connaître le caractère déroutant et insaisissable du personnage
pour savoir qu’il n’a ni constance idéologique, ni choix programmatique, ni
alliance durable. Du jour au lendemain, ses partisans lui firent admettre qu’il
avait une « stature nationale » et qu’il n’avait guère besoin de Mohamed Ali
Soilihi. Les deux hommes ne se retrouvèrent qu’en avril 2016 quand nombre
de désordres frauduleux et violents perpétrés par le camp Assoumani Azali
avaient nécessité la reprise des élections dans certains des bureaux de vote
d’Anjouan où plus de 11.500 votants avaient été empêchés de se rendre aux
urnes par l’ivrogne Moustadroine Abdou « Mafitsi », colistier d’Assoumani
Azali, et ses hommes par la contrainte et une violence inégalée.
En février 2018, alors que les Comores s’acheminaient vers la célébration
du 17ème anniversaire de l’Accord-cadre de réconciliation nationale signée le
17 février 2001, l’opposition comorienne s’était retrouvée et avait désigné
Mohamed Ali Soilihi pour la diriger. En mars 2018, cette opposition avait
confirmé Mohamed Ali Soilihi à sa tête. Mais, Mouigni Baraka Saïd Soilihi,
visiblement manipulé par Assoumani Azali, qui voulait le « retourner » et le
récupérer, reprit sa gesticulation dramatique, exigeant sa nomination pour
diriger l’opposition, alors qu’il n’a charisme, ni sens du leadership. Il a fallu
que les autres ténors de l’opposition lui expliquent que le choix déjà porté
sur Mohamed Ali Soilihi était définitif et irréversible.
Le manque de convictions civiques et politiques aux Comores est un sujet
qu’il faut situer, avant tout, dans le contexte idéologique très particulier des
années 1960-1980. Au cours de cette période de foisonnement d’idéologies
et d’idées politiques, la jeunesse comorienne est l’une des plus politisées du

1 Riziki Mohamed (A.) : Mohamed Ali Soilihi. Vérités sur une élection aux Comores, op. cit.,

p. 186.

220
continent africain. Cette jeunesse est généralement progressiste et professe
ouvertement des idées politiques de gauche, qui incluent la revendication de
l’indépendance des Comores dès la décennie 1960.
Dans cet ensemble idéologique nettement ancré à gauche, on retrouve les
partisans d’Enver Hodja (Albanie), de Joseph Vissarionovitch Djougachvili
Staline (Union Soviétique), de Mao Tsé Toung (Chine Populaire), et même
du génocidaire Pol Pot, l’ASÉC ayant poussé la « ferveur révolutionnaire »
jusqu’à vanter les « mérites » du Kampuchéa démocratique, qui allait causer
un génocide entraînant, de 1975 à 1979, la mort de 1,7 million de personnes,
soit 21% de la population du Cambodge de l’époque.
Dans l’une de ses chansons, l’ASÉC proclame : « Il y a eu beaucoup de
luttes dans le monde, qui sont restées dans l’esprit des ouvriers à titre de
repères. Elles ont eu pour but la lutte contre l’étranglement colonial et pour
faire rayonner les idées de la Libération pour qu’elles puissent prédominer
afin que les ouvriers prennent conscience de leur savoir. Qu’elles soient
soutenues.
Les patriotes du monde entier, nous devons nous mobiliser pour lutter
contre les injustices et l’oppression. En avant, nous allons vaincre ! Avant
tout, ce mouvement d’idées a été lancé par de Grands Maîtres, qui avaient
bien la conscience de nous guider : Karl Marx, Engels, Lénine et Staline ont
diffusé ces idées depuis longtemps, et celles-ci ont été défendues. Mao Tsé
Toung s’est mobilisé et a propagé ces idées et en a démontré les bienfaits. Ils
ont tous été compris.
Ces idées sont la base de la Libération des pays qu’on plonge dans les
affrontements, en franchissant les frontières qu’on élève, alors que nous
devons passer par les portes. Les États-Unis et l’Union Soviétique ont pris
une posture hostile pour imposer leur impérialisme. Qu’ils soient maudits !
Parmi les ennemis qui existent aujourd’hui, l’URSS occupe la première place
sur les continents. En partant de l’Afrique vers l’Asie et jusqu’en Amérique
latine, elle s’affiche. Elle a répandu des militaires et des armes pour violer
les droits des patriotes. Qu’elle soit maudite !
Le monde s’est mobilisé avec courage pour maudire l’apartheid sans la
moindre réserve, en prenant l’exemple du Cambodge, qui a utilisé l’arme de
l’ouvrier. Ceci doit éveiller nos consciences pour que nous puissions en faire
un exemple pour sauver les Comores […] ».
Certains des musiciens de l’ASÉC seront candidats à l’élection du chef de
l’État (Abdou Djabir, Moustoifa Saïd Cheikh, Ahmed Wadaane Mahamoud,
etc.).
Les thèmes les plus récurrents de l’ASÉC sont la lutte contre toutes les
dominations, et surtout l’impérialisme, le colonialisme et le néocolonialisme,
la défense des intérêts des travailleurs et des opprimés, l’unité des Comores,
la réintégration de Mayotte dans la République des Comores, le militantisme
des étudiants, la justice sociale, la promotion de la démocratie et de l’État de
Droit, etc. L’ASÉC avait ses hypocrites, mais aussi de vrais patriotes.

221
L’ASÉC a combattu à la fois la Révolution d’Ali Soilihi et la dictature du
président Ahmed Abdallah Abderemane. Mais, au lendemain de l’assassinat
d’Ahmed Abdallah Abderemane, elle se fit hara-kiri, notamment pour des
petites querelles de personnes, de leadership et de positionnement politique.
Il est à noter que la mort très violente d’Ahmed Abdallah Abderemane n’a
pas fait que priver le mouvement de son principal ennemi, mais l’a aussi
désorienté pour toujours. Rapidement, les anciens révolutionnaires n’ont pas
tardé à se reconvertir en conservatisme, certains parmi eux devenant des
pilleurs des maigres ressources de l’État comorien, accentuant la pauvreté du
peuple qu’ils défendaient avec insistance quelques années auparavant. On
verra un ancien membre de l’ASÉC piller avec un acharnement haineux les
finances de la SCH, lors de la junte militaire d’Assoumani Azali.
Ceux des progressistes qui avaient fait cause commune avec Ali Soilihi ont
également renié les idéaux de leur leader. Autant Ali Soilihi avait combattu
le mariage sous toutes ses formes, autant ses partisans, irréconciliables, sont
devenus les chantres du grand mariage, invoquant la « pression familiale », et
fustigeant ce même grand mariage quand d’autres le célèbrent.
Par ailleurs, quand, le 26 novembre 1989, Robert « Bob » Denard et ses
mercenaires ont atrocement et horriblement torturé et assassiné le président
Ahmed Abdallah Abderemane, l’Oudzima, le parti-État du régime politique
des mercenaires usa des procédés les plus frauduleux pour confirmer à son
poste Saïd Mohamed Djohar. Omar Tamou, inimitable ministre de l’Intérieur
de l’époque, était l’organisateur de cette immense supercherie. Or, au lieu de
travailler avec l’Oudzima, Saïd Mohamed Djohar trahit ce parti politique
Léviathan, qui avait été à l’origine de la tentative de putsch du 26 septembre
1992. Saïd Mohamed Djohar avait préféré sa « gendrocratie » à la formation
partisane qui l’avait fait Roi, se coupant entièrement des Comoriens. Ceux-ci
lui vouaient à la fois de la détestation et du mépris. Mais, le dirigeant qui a
fait de la « gendrocratie » une méthode de gouvernement ne perdait pas son
temps sur des considérations relatives à la loyauté et à la constance.
En 2006, Ahmed Sambi est élu président des Comores. C’est la deuxième
élection présidentielle démocratique des Comores, après celle de Mohamed
Taki Abdoulkarim en 1996. Il avait su expliquer et stigmatiser avec une rare
pédagogie la misère étranglant par le porte-monnaie et l’estomac le peuple
des Comores. Comme le vainqueur, surtout s’il est le détenteur du pouvoir
étatique, est toujours sollicité et entouré, il n’avait pas tardé à se retrouver au
centre de toutes les attentions d’une partie de la classe politique comorienne.
Un diplomate anjouanais signale : « Le soir du 26 mai 2006, j’ai compris
beaucoup de réalités douloureuses sur le pouvoir. Ahmed Sambi avait été
investi la journée. Ce soir du 26 mai 2006, fut organisé un dîner officiel.
Tout le monde se précipitait autour du nouveau président. Or, Assoumani
Azali était présent, et personne ne lui accordait ne serait-ce qu’un misérable
regard, lui qui avait déjà été hué, conspué et copieusement injurié lors de la
cérémonie investiture. Je l’observais discrètement, et je le vis se diriger vers

222
sa voiture et disparaître en s’enfonçant dans les ténèbres de la nuit sans une
seule âme pour aller le saluer.
Dix ans plus tard, il revient au pouvoir à la suite d’une élection tronquée
et dont le caractère frauduleux était connu même à l’étranger. De nouveau,
il devient le centre de la vie politique comorienne. Même ses pires ennemis
d’hier sont revenus à ses pieds. Il suffit d’observer l’obséquiosité à son
égard de Saïd Larifou, qui voulait le renverser en 2003, et celle de Houmed
Msaïdié Mdahoma, son pire ennemi des années 2013-2014, quand ils étaient
en conflit pour le contrôle de la CRC, leur parti, que dirigeait légalement et
statutairement Houmed Msaïdié Mdahoma, qui allait fonder le RADHI, après
une décision de justice rendue sans fondement légal et statutaire »1.
Revenons à Ahmed Sambi.
Son vice-président à la Grande-Comore était Idi Nadhoim, et à Mohéli, le
vice-président était Ikililou Dhoinine. Comme le vice-président jouit d’un
statut privilégié et devient indéboulonnable, dans la mesure où il est élu sur
la même liste que lui, il peut se transformer en adversaire politique, voire en
ennemi au lendemain du scrutin présidentiel. Dès lors, du jour au lendemain,
Idi Nadhoim se mit à le défier, à contester son autorité et à s’opposer à lui de
manière pavlovienne. La présidence d’Ahmed Sambi finit le 26 mai 2011
sans la réconciliation entre le président et son vice-président.
Or, à l’approche du scrutin présidentiel de 2016, dont tous les candidats à
la magistrature suprême devaient être originaires de la Grande-Comore, Idi
Nadhoim, oubliant tous ses rapports pourris avec Ahmed Sambi, s’est invité
chez celui-ci à Anjouan, se fit photographier dans sa demeure à Anjouan. Il
voulait être son candidat lors de l’élection de 2016. Il ne s’éloigna de lui que
quand il se rendit compte que ses ambitions présidentielles trop démesurées
étaient un cul-de-sac : certes, Ahmed Sambi avait à ses côtés des milliers de
partisans, mais Idi Nadhoim avait de graves problèmes de santé. L’ennemi
d’hier n’avait aucune chance de se présenter à l’élection présidentielle. Idi
Nadhoim renonça à ses velléités présidentielles.
Quant au vice-président Ikililou Dhoinine, la situation était beaucoup plus
complexe. Lors du choix de son colistier à Mohéli, Ahmed Sambi avait fait
une demande qui se résumait à l’absence de toute « casserole » chez celui
qui devrait être son futur vice-président. Ses amis de Mohéli ont opté pour le
pharmacien Ikililou Dhoinine, un taiseux qui n’a jamais fait de politique, et
qui est effacé, inodore, incolore, sans saveur, ni charisme, ni sens politique,
ni culture d’État, ni sens du leadership.
Pendant les cinq ans de sa vice-présidence (2006-2011), Ikililou Dhoinine
se fit fort discret, à telle enseigne que, quand au premier semestre 2010, le
scrutin devant porter un Mohélien à la Présidence de la République n’avait
pas été organisé, il n’avait manifesté ni approbation, ni réprobation. Taiseux,
il restait taiseux. Or, les Comores étaient plongées dans une crise politique

1 Entretiens du jeudi 22 mars 2018.

223
très grave, obligeant l’Union africaine à dépêcher sur place et pour la énième
fois une délégation. Celle-ci avait été conduite par Ramtane Lamamra, son
Commissaire à la Paix et à la Sécurité.
Finalement, il a été décidé d’organiser le scrutin le 7 novembre 2010 pour
le premier tour, et le 26 décembre 2010 pour le second tour. Ahmed Sambi
devait désigner un de ses proches collaborateurs mohéliens pour assurer sa
succession. Il avait le choix entre trois hommes :
- Ikililou Dhoinine, le vice-président taiseux, effacé et fidèle,
- Mohamed Larif Oucacha, qui avait commencé à fourbir ses armes depuis
la période des mercenaires, qu’il défiait avec un sens d’une témérité sans
doute mêlée à une forme de folie qui ne disait pas son nom. Après des
études supérieures au Togo (Urbanisme), il est désigné à d’importantes
fonctions au ministère des Travaux publics, fut nommé ministre par Saïd
Mohamed Djohar à la demande de la classe politique mohélienne, fut
désigné Directeur du Cabinet du même Saïd Mohamed Djohar en charge
de la Défense, et se fait élire Député en 2004. Par la suite, il sera nommé
au Cabinet d’Ahmed Sambi.
- Fouad Mohadji, Docteur en Philosophie, enseignant au Lycée de Fomboni,
dont il devint le Proviseur, me dit que sa relation avec Ahmed Sambi est
plus personnelle et humaine que politique. Il est un des acteurs politiques
les plus fidèles à Ahmed Sambi, que ce dernier soit au pouvoir ou non.
Ahmed Sambi imposa Fouad Mohadji à Ikililou Dhoinine comme colistier
et donc comme vice-président en cas d’élection de leur liste. De 2011 à
2016, les deux hommes allaient devoir se regarder en chiens de faïence,
se détestant et se méprisant même en public, créant d’inutiles conflits de
personnes au sommet de l’État.
Mon inévitable et inimitable cousin Soilihi Mohamed Soilihi était parti de
Mohéli pour être à Moroni le jour de la désignation par Ahmed Sambi de son
candidat. Il logeait chez Mohamed Larif Oucacha, également de Djoiezi, y
prit son petit déjeuner, préparé par la belle-mère de ce dernier, à qui il lança
un tonitruant « je vais de ce pas voir le président pour arranger le choix et la
candidature de mon fils ». Le « fils » en question n’était autre que Mohamed
Larif Oucacha. « Ami » de tous les présidents comoriens de 1970 à 2016, il
n’eut aucune peine à faire son entrée théâtrale et flamboyante à la Présidence
de la République, où il dit à Ahmed Sambi : « Nous autres Mohéliens avons
décidé de porter notre choix sur Ikililou Dhoinine pour défendre les couleurs
de notre courant politique ».
Qui est ce président comorien qui serait assez fou pour contester les ordres
de Soilihi Mohamed Soilihi ? Ahmed Sambi accepta ce choix, poussant les
langues de vipères du pays à se répandre en rumeurs perfides sur ce qu’elles
qualifiaient de cooptation dictée par la realpolitik, Ikililou Dhoinine s’étant
toujours montré sans relief, ni « ambitions », donc plus facile à manipuler.
Après son sanglant coup de poignard sur le dos de son « fils » Mohamed
Larif Oucacha, Soilihi Mohamed Soilihi n’osa même pas retourner chez sa

224
victime. Il se fit porter ses affaires personnelles dans la nouvelle résidence
qu’il avait choisie. Soilihi Mohamed Soilihi était un caméléon, et ses choix
politiques étaient difficilement saisissables et impossibles à défendre.
Ikililou Dhoinine a été élu président des Comores le 26 décembre 2010, et
son élection a été validée par la Cour constitutionnelle le 13 janvier 2011. Il
avait pour slogan de campagne « Le Relais qui rassure ». Excédé, j’avais
expliqué à son équipe que ce slogan était réducteur et humiliant. Personne ne
se donnait la peine de m’écouter. Or, j’étais chargé « clandestinement » de la
rédaction de son programme électoral et m’étais employé à lui préparer des
documents de travail qu’il agréa après lecture, mais que ses proches allaient
retirer de la circulation après avoir compris qu’ils émanaient de moi, qui
n’étais candidat à aucun poste, qui ne cherchais même pas à ce qu’on sache
que je prenais une part quelconque à la campagne électorale. J’ai grandi avec
Ikililou Dhoinine, ai étudié avec lui de l’école primaire à la terminale, et ai
quelques relations de famille avec lui par alliance.
Pour autant, dès qu’il entra en politique, je n’ai jamais cherché à entrer en
contact avec lui. J’avais juste reçu un appel téléphonique de lui en septembre
2008, alors qu’il était vice-président, et il s’agissait de gérer des affaires qui
n’avaient aucune connotation politique. Je l’ai vu à Paris en février 2011 en
deux minutes (il était dans une voiture) et à l’aéroport de Hahaya en octobre
2015 en moins de 10 minutes.
Ahmed Sambi l’a fait élire, en s’impliquant sur tous les aspects du scrutin.
Les Comoriens disaient qu’Ikililou Dhoinine allait devenir la marionnette de
son mentor. Comme ils se trompaient ! Élu président le 26 décembre 2010,
Ikililou Dhoinine ne fut investi que le 26 mai 2011. Moins d’une semaine
après l’investiture, son épouse était à Paris avant de se rendre à New York,
où elle devait participer à une conférence des épouses des chefs d’État et de
gouvernement sur le sida. Elle demanda à me voir et je partis à sa rencontre.
Après des échanges d’amabilités elle me demanda de remettre à son retour
de New York la discussion portant sur les choses sérieuses. Deux jours après
son départ de Paris, elle quitta précipitamment New York, et m’appela de
l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, m’expliquant qu’elle devait rentrer
immédiatement aux Comores, où son époux accordait trop d’importance par
des nominations aux fidèles d’Ahmed Sambi ! Déjà, à la mi-janvier 2011,
elle m’avait dit, parlant d’Ahmed Sambi : « Ce père-là ne veut pas partir et
nous céder la place ».
Petit à petit, Ikililou Dhoinine et ses hommes s’employèrent à tourner le
dos à Ahmed Sambi, qui devait subir des fouilles au corps chaque fois qu’il
était de passage à l’aéroport, des coupures de son téléphone quand il était
hors des Comores, la réduction drastique de son quota téléphonique, etc. Il
n’a même pas fallu deux ans pour que le divorce entre Ikililou Dhoinine et
son mentor soit consommé sur la place publique.
Le feu couvait depuis un certain temps, mais les apparences étaient sauves.
Il a fallu attendre le 13 mars 2013, quand le volcanique Fouad Mohadji, resté

225
fidèle à son ami Ahmed Sambi, avait étalé sur la place publique et lors d’une
mémorable conférence de presse la haine et le mépris qui prévalaient dans
ses relations avec Ikililou Dhoinine, martelant : « Depuis longtemps, je me
suis tu. Mais, maintenant, s’il faut nous manquer mutuellement de respect,
nous allons nous manquer mutuellement de respect, et s’il s’agit de nous
déshonorer les uns les autres, nous allons donc nous déshonorer les uns les
autres ». Fouad Mohadji affectionne ce langage très viril et charnel.
Le 26 mars 2013, le blog Wongo, dont la ligne éditoriale est favorable à
Ahmed Sambi, fait part de l’autorisation donnée pour critiquer désormais la
politique d’Ikililou Dhoinine. Le même jour Ahmed Hassane El-Barwane,
proche d’Ahmed Sambi et alors Conseiller politique d’Ikililou Dhoinine, est
passé à l’action, démissionnant avec éclats. Voici sa lettre de démission, sur
laquelle apparaissent clairement et visiblement le nom et l’action de son ami,
l’ancien président Ahmed Sambi.
« Excellence, Monsieur le Président,
J’ai l’honneur de vous adresser cette lettre pour vous faire part de ma
profonde consternation face à l’état de déchéance dans lequel se trouve
plongée la gouvernance du pays, alors que votre élection à la présidence de
l’Union des Comores fut l’occasion pour le peuple comorien de rompre avec
une tradition politique douloureuse faite d’incertitude et d’instabilité.
Cela a été rendu possible grâce à l’héritage de paix civile et de pers-
pectives économiques prometteuses entamées par votre prédécesseur Ahmed
Abdallah Sambi dont vous fûtes un des vice-présidents durant cinq ans. Un
héritage qui, outre l’unité retrouvée, avait permis d’ancrer notre pays dans
un monde islamique multipolaire, ouvert et tolérant, d’y nouer des liens
solidaires et permettre à notre pays de retrouver un certain rayonnement sur
le plan international. Tout cela n’aurait été possible sans les efforts et la
détermination du président Sambi. Ainsi, ma disponibilité à servir loyale-
ment votre politique n’obéissait qu’à une triple exigence :
- De fidélité à vous-même
- De réussite et de succès à votre politique
- De conformité aux objectifs fixés par le président Sambi dont vous avez été
choisi, donc principal bénéficiaire pour en assurer le relais.
Malheureusement rien de tout cela n’a donné lieu à une appréciation juste
et constructive de votre part vis-à-vis de mon engagement, laissant planer le
doute sur mon rôle de Conseiller politique. Force est, également, de constater
que l’orientation prise par votre politique marque une rupture vis-à-vis de
ces objectifs rendant de facto inefficiente ma fonction de Conseiller politique.
Pire encore, les règles les plus élémentaires qui conditionnent la marche
cohérente de l’État sont inexistantes, ouvrant ainsi la porte à la confusion, à
l’improvisation et à l’incohérence.
Ajouté à cela, le manque de collaboration et d’esprit d’équipe qui devait
prévaloir au sein du Cabinet et qui devait nous permettre de vous apporter
notre modeste contribution ne me permet pas, en l’état actuel des choses, de

226
jouer pleinement mon rôle de Conseiller. De tout cela, je nourris un profond
sentiment que ma croyance à servir utilement mon pays a été trahie.
Pour tous ces motifs, je me trouve dans l’obligation de vous soumettre ma
démission au poste de Conseiller politique que vous avez bien voulu me
confirmer dès votre élection.
Comptant sur votre compréhension, je vous prie Excellence, Monsieur le
Président, de croire à l’expression de ma très haute considération ».
Depuis, le 26 mars 2013, toutes les relations étaient rompues entre Ikililou
Dhoinine et Ahmed Sambi.
Chez Ikililou Dhoinine, la trahison n’est pas une simple pratique ; il s’agit
avant tout d’une culture, sa seule culture politique.
Ikililou Dhoinine a trahi tous ceux envers qui il est redevable. Il a trahi son
ancien mentor Ahmed Sambi, mais aussi ses vice-présidents Mohamed Ali
Soilihi et Nourdine Bourhane, après avoir marginalisé Fouad Mohadji, son
vice-président originaire de Mohéli comme lui. C’est lui qui a orchestré la
fraude électorale qui a privé Mohamed Ali Soilihi de sa victoire à l’élection
présidentielle de 2016, alors qu’il avait recueilli 56,63% des suffrages.
Or, c’est grâce à Mohamed Ali Soilihi que le chef officiel des Mohéliens
de Beït-Salam a obtenu un nombre incalculable de dons des autres États et
des organisations internationales. Pendant qu’Ikililou Dhoinine s’entourait
d’une camarilla très médiocre, Mohamed Ali Soilihi portait sur les épaules
les injures du peuple comorien même pour les dysfonctionnements qui sont
constatés dans les autres ministères. Ikililou Dhoinine a laissé Hamada Madi
Boléro, son Père Joseph, organiser sur Internet une haineuse campagne de
dénigrement et de diffamation contre Mohamed Ali Soilihi, en inventant les
saletés les plus répugnantes qu’il mettait sur son compte. Cette campagne de
détestation était tellement indécente et malsaine qu’un ami français en était
dégoûté, me demandant ce qui pouvait pousser les Comoriens à descendre à
niveau aussi bas du caniveau. Pour favoriser Assoumani Azali lors du scrutin
présidentiel de 2016, les Mohéliens de Beït-Salam ont eu recours à toutes les
bassesses. Ikililou Dhoinine encourageait ses hommes et femmes à pousser
en direction de Mohamed Ali Soilihi un lancinant et assourdissant cri de
haine. Même après avoir vu dans quel désastre Assoumani Azali, son préféré
de 2016, avait plongé les Comores du 30 avril 1999 au 26 mai 2006, il ne fit
aucune réprobation publique. En février 2017, il refusa même de signer un
document agréé par toute la classe politique de Mohéli pour condamner la
volonté clairement affichée par Assoumani Azali de détruire les institutions,
la présidence tournante et l’autonomie des îles, dans le but affiché clairement
de s’autoproclamer président à mort et de léguer le pays à ses fils.
Dans cette galaxie de manque de convictions civiques et politiques, il est
un homme qui se détache du lot : mon incomparable et très déroutant cousin
Soilihi Mohamed Soilihi, l’acteur politique comorien qui a traversé tous les
régimes politiques du pays sans avoir passé un seul jour dans l’opposition.

227
Au moment de la décolonisation des Comores, il est Député. Comme cela
est indiqué au cours des développements qui précèdent, en 1972, il avait juré
fidélité au Prince Saïd Ibrahim, mais avait été parmi les parlementaires qui
avaient voté la motion de censure contre lui. Au lendemain du 3 août 1975, il
remet à l’autorité intérimaire de Mohéli une lettre adressée au putschiste Ali
Soilihi. Ce dernier eut entre ses mains la lettre en question, qu’il jeta dans la
poubelle sans la lire, accusant Soilihi Mohamed Soilihi de tous les vices de
la Terre. Or, deux semaines plus tard, l’autorité intérimaire de Mohéli reçut
de Soilihi Mohamed Soilihi un appel téléphonique lui parlant de la venue du
chef de l’État à Mohéli. « Comment avait-il fait ? », se demandait encore cet
acteur politique devant moi en 2012, au Coudray-Montceaux, en France.
Par la suite, le vrai Gouverneur de Mohéli n’était pas celui qui en portait le
titre officiel, à savoir le Grand-Comorien Saïd Mohamed Sagaf, mais Soilihi
Mohamed Soilihi, l’organisateur de la répression à Mohéli de 1975 à 1978.
Le 13 mai 1978, Ali Soilihi partit en prison à l’aube en Grande-Comore, et
Soilihi Mohamed Soilihi dans l’après-midi. Leur sort était lié dans la terreur
d’État, le premier à l’échelle des Comores, le second au niveau de Mohéli.
Revenu au pouvoir le 13 mai 1978, Ahmed Abdallah Abderemane jura en
présence de témoins qu’il n’allait plus faire confiance à Soilihi Mohamed
Soilihi, le Député qu’il avait soudoyé pour voter la motion de censure contre
le Prince Saïd Ibrahim. En 1979, Soilihi Mohamed Soilihi sortit de prison.
En prison, il invoquait Dieu avant de déclarer solennellement qu’il n’allait
plus s’intéresser à la politique. Je le vois encore fanfaronner dans son très
beau costume d’un blanc immaculé rendant visite aux différents membres de
notre famille, le jour de sa libération. Naïvement, je me demandais pourquoi
il ne pouvait pas se montrer plus discret et adopter un profil bas. C’était mal
le connaître.
Par un tour de passe-passe digne du plus habile des prestidigitateurs et du
plus adroit des magiciens, il se rendit « indispensable » auprès du Président
Ahmed Abdallah Abderemane, et était arrivé à reléguer à l’arrière-plan le
très consensuel Gouverneur Ahmed Mattoir, pourtant très respecté à Mohéli.
C’est mon cousin Soilihi Mohamed Soilihi qui avait organisé la répression
qui s’était abattue à Mohéli au lendemain de la publication du tract de mars
1988, une opération dans laquelle étaient impliqués notre cousin commun
Abdou Moustakim Soilihi (ancien ministre d’Ahmed Abdallah Abderemane)
et mon frère Mohamed Nassur, qui avaient tous atterri en prison, à Fomboni,
à sa demande.
Après Ahmed Abdallah Abderemane, vint Saïd Mohamed Djohar. Celui-ci
n’avait pas de relations particulières avec Soilihi Mohamed Soilihi, qui ne
resta pas inactif, lui faisant parvenir des cartons de banane et de manioc, et
des glacières de viande bovine. Au début, Saïd Mohamed Djohar n’avait pas
compris le sens du message, et avait demandé le paiement des cadeaux au
prix du marché. Son entourage lui expliqua que ce paiement aurait constitué
une injure personnelle et inconvenante pour Soilihi Mohamed Soilihi, dont le

228
geste valait une allégeance au nouveau maître des Comores. Saïd Mohamed
Djohar avait fini par comprendre ce qu’on lui expliquait.
De nouveau, Soilihi Mohamed Soilihi régna en maître sur l’île de Mohéli.
Cette fois, il est même nommé à une fonction officielle : Directeur régional
de la société d’État Eau et Électricité des Comores (EÉDC). Ce que m’avait
raconté en septembre 1992 mon ami Arthur Den Dooven, coopérant belge
de la CÉE à Mohéli, vaut d’être connu : « Chaque jour, je me dis que je suis
un parfait connaisseur de Mohéli et des Comores, et chaque jour, je me
rends compte que je ne connais pas ce pays. Soilihi Mohamed Soilihi avait
été nommé Directeur régional d’EÉDC à Mohéli. Rapidement, il s’était fait
une spécialisation dans les coupures des compteurs d’eau et d’électricité,
exaspérant toute la population de l’île. Le ministre en charge des Travaux
publics et de l’Énergie avait limogé Soilihi Mohamed Soilihi, le remplaçant
par Saïd Dhoifir Bounou, qui était très rigoureux, mais sans agresser les
gens comme le faisait son prédécesseur. Les Mohéliens ont laissé s’exprimer
leur joie avec éclat.
Mais, cette joie a été de très courte durée parce que Soilihi Mohamed
Soilihi arriva à renverser la situation, faisant chasser Saïd Dhoifir Bounou
et reprenant sa place. J’ai alors assisté à la plus ahurissante des scènes de
rue. Tous ceux qui avaient applaudi le renvoi de Soilihi Mohamed Soilihi
étaient à l’aéroport de Mohéli pour lui faire le plus éclatant des accueils le
jour de son arrivée de Moroni, où le président Saïd Mohamed Djohar l’avait
nommé de nouveau Directeur régional de la société. S’ensuivit un pique-
nique inédit à Mohéli pour les réjouissances avec Soilihi Mohamed Soilihi.
Ce spectacle était ahurissant. Je vis dans ce pays depuis un certain nombre
d’années, mais des fois, je n’y comprends rien. Je n’y comprenais rien.
C’est exactement comme quand, dans la perspective de mon mariage avec
Fatima et même après, j’ai décidé de faire la prière à la mosquée. Mais, j’ai
arrêté cela quand j’ai constaté que certains des imams dans les mosquées
étaient les plus grands dragueurs des femmes d’autrui. Pourtant, j’aime et
respecte les Comores et les Comoriens, mais parfois je suis confronté à des
situations et à des contradictions qui me dépassent ».
Lors de ce même voyage à Mohéli en août et septembre 1992, j’étais avec
Soilihi Mohamed Soilihi dans sa voiture, conduite par son neveu Mohamed
Abdou El Kader. Nous nous rendions à Ziroudani, sur le plateau de Djando.
Soilihi Mohamed Soilihi me fit l’édifiant récit suivant : « Abodo Soefo, mon
ministre de tutelle, profita d’un voyage à l’étranger du chef de l’État pour
me remplacer par Saïd Dhoifir Bounou, sans la moindre raison officielle ou
officieuse, même si je sais qu’il s’agit d’un geste de solidarité entre anciens
compagnons du Front démocratique.
À son retour de l’étranger, le président m’appela, et je lui fis part de l’acte
du ministre. Il l’obligea à me réintégrer à mes fonctions. Il refusa. Il s’est
alors passé quelque chose d’extraordinaire. Le président Saïd Mohamed
Djohar procéda à un remaniement ministériel, juste pour pouvoir changer

229
de ministre en charge de l’Énergie, et signala au nouveau ministre que sa
première mission était ma réintégration à mes fonctions. Ce qui fut fait dans
l’immédiat.
Le président Saïd Mohamed Djohar me demanda de me rendre à Moroni.
Ce que je fis. Le jour de mon retour à Mohéli, j’ai eu droit à un accueil de
Roi, et dans la foulée, à un grand pique-nique. Le Tout-Djoiezi était présent
sauf les membres de la famille de notre oncle M., qui avaient choisi, une fois
de plus, de se singulariser dans l’isolement volontaire ».
La famille de l’oncle M. ne pouvait oublier que l’un de ses enfants, alors
âgé de 16 ans et innocent, a été de ceux des Djoieziens qui avaient été jetés
en prison pour avoir formé un groupe jouant aux dominos, alors que ce jeu
n’était pas interdit par la Loi comorienne. Ce n’est qu’au crépuscule de sa
vie que notre oncle M. accepta de se réconcilier avec son encombrant neveu.
Nommé Directeur régional d’EÉDC à Mohéli, Soilihi Mohamed Soilihi
avait ordonné la coupure de l’électricité dans la résidence de son « ami »
Ahmed Mattoir, ancien Gouverneur de Mohéli, dont la veuve ne bénéficiait
d’aucune pension, alors que de l’autonomie interne à sa mort, son époux avait
été un fonctionnaire au service des Comores. Cet acte avait scandalisé toute
l’île de Mohéli et avait failli se régler à coups de machettes.
En 1996, Mohamed Taki Abdoulkarim est élu président des Comores. Il
connaît Soilihi Mohamed Soilihi depuis les années 1970, sous l’autonomie
interne. Le Mohélien avait voté pour lui en 1996.
Par la suite, il soutient le putschiste Assoumani Azali, dans la mesure où il
n’a jamais été dans l’opposition. Pourtant, il finit par lui vouer détestation et
mépris pour la plus incroyable des raisons : Hamada Madi Boléro, neveu de
Soilihi Mohamed Soilihi, avait été successivement auprès du chef de la junte
militaire le Directeur de son Cabinet chargé de la Défense, Premier ministre,
président de la République par intérim, ceci pour la pente ascendante, puis
ministre de la Défense, candidat malheureux aux élections législatives de
2004 et enfin premier Directeur général de l’ORTC, ceci pour la glissante
pente descendante. Or, l’oncle Soilihi Mohamed Soilihi voulait que le neveu
Hamada Madi Boléro reste à vie soit Premier ministre, soit chef de l’État par
intérim. À l’été 2012, je vois souvent Hamada Madi Boléro en France.
En effet, à l’été 2012, Hamada Madi Boléro est en France. Assoumani
Azali était invité à Fomboni au grand mariage de l’ancien vice-président de
la République Mohamed Hassanaly, le facilitateur de l’Accord-cadre signé à
Fomboni le 17 février 2001 pour la réconciliation nationale des Comores.
Hamada Madi Boléro a tout fait pour qu’Assoumani Azali soit invité par sa
famille en son absence. Soilihi Mohamed Soilihi s’y était opposé avec un rare
acharnement, et l’invitation n’eut pas lieu, malgré l’accord de principe de la
belle-famille de Hamada Madi Boléro à Djoiezi. Soilihi Mohamed Soilihi ne
prenait pas ses décisions à la légère.
En 2006, Soilihi Mohamed Soilihi vota pour le super grand favori Ahmed
Sambi, dont le colistier à Mohéli était Ikililou Dhoinine, de Djoiezi comme

230
lui. Nous avons déjà évoqué les conditions dans lesquelles il avait demandé à
Ahmed Sambi d’avoir pour dauphin Ikililou Dhoinine en 2010.
Quand Ikililou Dhoinine se présenta à l’élection présidentielle en 2010 en
même temps que Hamada Madi Boléro, le calculateur et très réaliste Soilihi
Mohamed Soilihi savait que son neveu, haï, détesté et méprisé à Mohéli, ne
pouvait figurer parmi les trois candidats devant s’affronter au second tour du
scrutin. Il soutint son « fils » Ikililou Dhoinine, élu, alors que Hamada Madi
se retrouvait à la cinquième place, sur dix candidats. Il n’avait même pas eu
à forcer son talent pour devenir le Conseiller occulte mais surtout l’éminence
grise du nouveau président, un dirigeant dépourvu de tout sens d’État et de
culture politique.
De 2011 à 2016, Soilihi Mohamed Soilihi a été très influent auprès de son
« fils » Ikililou Dhoinine. Cette proximité lui coûta bon. En effet, dès 2015,
Hadidja Aboubacar, épouse d’Ikililou Dhoinine, tristement célèbre pour son
mépris envers toutes les couches de la population et son autoritarisme, avait
commencé à afficher sa volonté d’être candidate à l’élection du Gouverneur
de Mohéli. Or, son impopularité et la haine que lui vouent les Mohéliens ne
la destinaient pas à cette fonction. Alors, Soilihi Mohamed Soilihi demanda
à Ikililou Dhoinine de l’en dissuader. Or, Ikililou Dhoinine a l’habitude de
citer devant toute personne faisant l’objet de rumeurs le nom du colporteur
de ces dernières. Naturellement, il rapporta à son épouse sa discussion avec
Soilihi Mohamed Soilihi. Cette femme, accusée sur un tract de 2016, d’être
une « dictatrice », injuria pendant des minutes un Soilihi Mohamed Soilihi
ayant vieilli sur pieds et qui n’a pas eu la suprême intelligence de se retirer
de la vie politique. En tyran habitué à être obéi et craint, le notable influent
de Djoiezi fit un accident vasculaire cérébral (AVC) qui avait détérioré très
sensiblement sa santé et qui lui fut fatal en juin 2010.
Maintenant, rendons-nous au Maroc. Très sarcastique à ses heures, la rue
marocaine a créé par dérision la notion de « parti cocotte-minute » ou « parti
de l’administration », qu’elle met sur le compte du Maghzen ou Makhzen,
l’appareil d’État. Notons que « dans le langage politique marocain, il s’agit
d’une formation politique créée de toutes pièces par le Makhzen, plus
particulièrement par Driss Basri et, avant lui, par Ahmed Réda Guédira, ami
et conseiller du Roi Hassan II »1. Il faut préciser que « l’une des réalités les
plus visibles de la vie politique au Maroc réside dans le phénomène des
“partis cocottes-minuteˮ. Ceux-ci sont les relais du Maghzen et sont créés
quand les circonstances politiques l’exigent.
Le Palais royal est régulièrement accusé d’être à l’origine de la création
des “partis cocottes-minuteˮ »2.

1 Riziki Mohamed (Abdelaziz) : Sociologie de la diplomatie marocaine, L’Harmattan,


Collection « Histoire et Perspectives méditerranéennes », Paris, 2014, p. 44.
2 Riziki Mohamed (Abdelaziz) : Ce que le Maroc doit au Roi Hassan II, L’Harmattan,

Collection « Histoire et Perspectives méditerranéennes », Paris, 2014, p. 85.

231
Les Comores ont eu un « parti cocotte-minute » quand, sous la présidence
d’Ikililou Dhoinine, a été créée l’UPDC, qui a fait comme ses homologues
du Maroc, en s’imposant dès son apparition sur l’échiquier politique du pays.
En 2016, les candidats de l’UPDC étaient censés être ceux des Mohéliens de
Beït-Salam, et Mohamed Ali Soilihi, candidat de l’UPDC à l’élection du chef
de l’État, était censé être le candidat des Mohéliens de Beït-Salam et donc de
Soilihi Mohamed Soilihi. En février 2016, dans la perspective du second tour
de l’élection présidentielle, Mohamed Ali Soilihi était accueilli au sein de la
famille d’Ikililou Dhoinine, à Djoiezi, par des nièces très arrogantes, haïes et
méprisées partout à Mohéli, alors que la trahison des Mohéliens de Beït-
Salam envers ce candidat était déjà une réalité. Cette invitation fut un piège.
Soilihi Mohamed Soilihi y fera une brève apparition alors qu’il devait être
l’organisateur de la cérémonie comme il sait et aime le faire. Mais, quand il
avait senti que la fraude électorale orchestrée dans la violence par son neveu
Hamada Madi Boléro avait favorisé de façon scandaleuse Assoumani Azali,
il se rangea derrière celui-ci avant la proclamation des résultats tronqués sur
la base d’une élection déjà truquée dès le début, toujours au profit d’un
candidat qui ne faisait pas partie des 3 candidats devant s’affronter au second
tour de l’élection et dont la chance de se faire élire dans les conditions d’une
élection démocratique étaient nulles. Mais, au lendemain des tripatouillages
électoraux de 2016, Soilihi Mohamed Soilihi tomba gravement malade, et
quelques jours après l’investiture d’Assoumani Azali, le 26 mai 2016, il est
mort à Madagascar, en juin 2016. Il « eut droit » à des funérailles nationales.
Maintenant, parlons d’Assoumani Azali.
Parmi les acteurs politiques comoriens les plus abonnés au manque total de
toute conviction civique et politique, nous retrouvons Assoumani Azali, plus
préoccupé par la préparation des coups bas et des trahisons contre les alliés
que par le développement économique et social des Comores. C’est le point
sur lequel il se retrouve avec Hamada Madi Boléro, l’un et l’autre étant
totalement dépourvus de tous sens moral et civique.
Au cours des développements qui précèdent, nous avons évoqué les faits
les plus significatifs et les conditions anticonstitutionnelles particulières dans
lesquelles Hamada Madi Boléro a organisé la fraude électorale de 2002 en
faveur d’Assoumani Azali. En toute logique, lors du scrutin présidentiel de
2010, Hamada Madi Boléro, membre de la CRC, aurait dû être le candidat de
la CRC. Or, en 2010, Assoumani Azali avait choisi de soutenir le candidat
Mohamed Saïd Fazul, mais dans une « clandestinité » politique totale, et il
n’a jamais été question de soutien officiel. Lors de sa conférence de presse
tenue à Mohéli le 30 décembre 2015, Assoumani Azali avait été questionné
sur l’ambiguïté dans laquelle se trouvait son parti politique, dont certains
membres soutenaient son candidat officiel à l’élection gubernatoriale, tandis
que d’autres avaient opté pour un soutien à Mohamed Saïd Fazul.
Dans sa réponse alambiquée, nous retrouvons ce passage : « Par contre, ce
que je ne comprends pas à Mohéli, c’est que Fazul n’a jamais été à la CRC.

232
Je ne comprends donc pas pourquoi vous mentez sur notre compte en
prétendant qu’à la CRC, on se bagarre à cause de Fazul. Fazul n’a jamais
été à la CRC. Fazul, je l’ai soutenu à trois reprises, mais il n’a jamais été à
la CRC. Le reste, c’est vous qui le savez, c’est vous qui nous direz ce qu’il en
est. […].
Je peux vous certifier que jusqu’en ce moment, et vous pouvez le demander
à Fazul, il ne m’a pas appelé une seule fois, et il ne m’a vu ne serait-ce
qu’une seule fois pour me parler de ses affaires. Vous pouvez le lui
demander. Je ne sais pas avec qui il parle, mais si nous mettons de côté les
années passées, je ne sais plus depuis combien d’années nous n’avons pas
échangé. […]. Depuis 2010, quand nous le soutenions, et quand il perdit les
élections, je ne me souviens pas d’une seule fois où il m’a appelé ou est venu
me voir à la Grande-Comore, mais ça, il ne faut pas le dire à la radio.
Maintenant, il a des ambitions, il y va. C’est normal. Il est normal pour lui
d’avoir des ambitions. Mais, qu’on me cite un seul moment où il est venu me
voir pour discuter. S’il est là et s’il tourne, ça n’engage que lui. Mais, je
vous dis que s’agissant des gens de la CRC qui suivent Fazul, la chose est
possible. Cependant, ils n’ont pas été mandatés par la CRC. Ce sont des
gens qui font des choses sur lesquelles nous ne sommes pas d’accord, et je
les ramène à la raison parce qu’aujourd’hui, il doit y avoir une discipline du
parti, et quand le parti prend une décision, tout le monde doit s’y conformer ».
Nous retenons de la déclaration d’Assoumani Azali au moins deux choses
fondamentales : d’une part, son parti politique avait un candidat officiel pour
l’élection du Gouverneur de Mohéli, mais celui-ci ne bénéficiait nullement
de son soutien, préférant aider Mohamed Saïd Fazul, un candidat sans idée
politique, ni culture d’État, mais juste une grande capacité à amuser le tapis.
D’autre part, en 2010, Hamada Madi Boléro, membre fondateur de la CRC,
était tout simplement désargenté, malgré les sommes d’argent public qu’il
avait détournées lors de la junte militaire d’Assoumani Azali. Très sale sur le
plan moral, l’escroc Baguiri, son « meilleur ami », un cacique de la CRC, qui
devait être son colistier à Mohéli, avait pris la décision d’aller se placer
derrière un autre candidat plutôt que de suivre un acteur politique fauché. Il
ne faut pourtant pas s’en étonner : Baguiri est un escroc sans principes, ni
morale. Il ne s’impose aucune règle éthique.
Plus tard, plus exactement le 1er avril 2016, pour bénéficier du soutien de
Fahmi Saïd Ibrahim et d’Ahmed Sambi en vue du second tour de l’élection
présidentielle, Assoumani Azali avait signé un accord dans lequel on retrouve
les trois articles suivants, s’agissant des engagements de ce dernier envers
ses deux alliés circonstanciels de temps :
6.- Il s’engage à soutenir un candidat Juwa à l’élection primaire de 2021
dans l’île d’Anjouan et à faire campagne au profit du candidat Juwa à
l’élection des Gouverneurs de l’île autonome de Ngazidja en 2021.
7.- Il s’engage à attribuer un portefeuille ministériel régalien au parti
Juwa ainsi que deux Directions générales des sociétés d’État stratégiques.

233
8.- Il s’engage à rétablir les relations diplomatiques entre l’Union des
Comores et la République islamique d’Iran dans les 10 mois qui suivront
son investiture.
Le Juwa (« Soleil », en comorien) est le parti politique d’Ahmed Sambi et
Fahmi Saïd Ibrahim.
Or, comme nous l’avons signalé au cours des développements précédents,
Assoumani Azali ne fait rien pour qu’en 2021, une élection primaire puisse
être organisée à Anjouan en vue de l’élection d’un Anjouanais à la tête des
Comores, puisque son dessein se résume à la perversion pure et simple de la
présidence tournante de manière à ce qu’il puisse être à la Présidence de la
République jusqu’en 2030, pour son « émergence à l’horizon 2030 ».
S’agissant des nominations à des ministères de souveraineté, Fahmi Saïd
Ibrahim et Mohamed Bacar Dossar, tous deux très proches d’Ahmed Sambi,
avaient été nommés au lendemain du 26 mai 2016 respectivement ministre
de la Justice et ministre des Affaires étrangères. Néanmoins, le 7 juin 2017, à
la demande de l’Arabie Saoudite, dont l’ambassadeur à Moroni est devenu
un véritable proconsul violent, méprisant et arrogant, Assoumani Azali avait
décidé de rompre les relations diplomatiques entre les Comores et le Qatar,
un État à qui les Comores n’avaient rien à reprocher. Assoumani Azali avait
pris sa décision sans même consulter le gouvernement. Il va sans dire que les
Comoriens sont très déçus par cette décision violente et inappropriée, une
décision dictée par une puissance régionale arrogante et méprisante qui croit
que ses pétrodollars lui donnent tous les droits.
Cette mesure brutale avait tellement irrité Ahmed Sambi qu’il avait choisi
de prononcer un bref discours le jeudi 8 juin 2017 pour déplorer cette rupture
des relations entre les Comores et le Qatar pour d’introuvables raisons quand
on se place au niveau des Comores : « Honorables Comoriens, et honorables
Musulmans d’autres pays, où que vous vous trouvez, que Dieu vous protège.
Aujourd’hui, j’ai souhaité faire ce message oral, comme l’exige la coutume
chaque fois que survient un événement important, et je viens toujours
exprimer mon point de vue devant vous. Aujourd’hui, je souhaite vous faire
part de mon point de vue au regard de ce qui s’est passé dans la journée
d’hier dans notre pays, étant noté que notre pays, l’État des Comores, a
rompu ses relations officielles avec l’État du Qatar. Cette affaire, je suis sûr
et je n’ai pas de doute là-dessus, plusieurs Comoriens ne l’ont pas approuvée.
En plus, d’aucuns affirment que j’aurais été consulté pour cette affaire et
que je l’aurais avalisée. J’ai tenu à communiquer avec vous ici pour vous
dire que c’est faux. Je n’ai pas été consulté, et si je l’avais été, je n’aurais
pas accepté que cette affaire se fasse, dans la mesure où je sais que rompre
nos relations officielles avec l’État du Qatar n’est ni dans l’intérêt des
Comores, ni dans celui des Comoriens.
Chers frères et sœurs, je souhaite vous dire que l’Arabie Saoudite et les
Émirats Arabes Unis sont des pays frères pour nous, des pays amis pour
nous, des pays qui nous ont souvent honorés, qui nous ont souvent aidés et

234
avec qui nous entretenons de bonnes relations. Le Qatar aussi est un pays
frère pour nous, un pays qui nous a également honorés souvent et nous a
souvent aidés. De mon point de vue, je crois que pour l’intérêt des Comores
et pour l’intérêt des Comoriens, face à un litige fratricide comme celui-ci,
nous aurions dû être des gens devant nous précipiter pour une réconciliation,
pour calmer les cœurs, pour éviter les coups de sang. Mais, quand il s’agit
de rompre nos relations officielles avec un pays ami, avec un pays frère, moi
je pense que c’est une faute, et c’est une faute grave qui vient de se produire,
chers frères et sœurs.
Chers frères et sœurs, le Qatar nous a causé quel tort ? Nous a-t-il fait du
mal ? Nous a-t-il insultés ? Nous a-t-il humiliés ? Nous a-t-il déclaré la
guerre ? Pour rompre des relations officielles avec un pays, il faut avoir un
conflit avec lui, il faut être en désaccord avec lui. Nous n’avons pas des
désaccords avec ce pays.
Il nous appartenait de nous précipiter pour améliorer notre relation avec
l’Arabie Saoudite, pour améliorer notre relation avec les Émirats Arabes
Unis, pour améliorer notre relation avec le Qatar, et face à des frères qui
sont en conflit, nous aurions dû nous précipiter pour procéder à leur récon-
ciliation, dans la mesure de nos moyens.
Je tenais à vous dire, chers Comoriens, et à vous qui n’êtes pas d’accord
avec une chose pareille, que le Qatar est un pays qui nous a honorés, qui
nous a aidés, et qui continue à nous aider jusqu’à ce jour. C’est un pays
dont le chef d’État a foulé le sol de notre pays, et en arrivant dans notre
pays, il nous a fait un grand honneur parce que cela a permis à des gens qui
ne connaissaient pas les Comores de les connaître. Il a dit au monde entier
que les Comores étaient un pays qui méritait d’être visité.
Cela étant, aujourd’hui, j’ai tenu à vous dire que je n’ai pas été consulté,
et je ne crois pas qu’il était de l’intérêt des Comores de rompre ces relations
diplomatiques : l’intérêt des Comores est dans la démarche d’apaisement.
Chers frères et sœurs, croyez-moi : casser est facile, mais raccommoder est
le plus difficile, comme détruire est facile, mais construire est le plus difficile.
Chers frères et sœurs, détériorer est facile, mais arranger est plus difficile.
J’espère et prie Dieu pour que disparaisse cette anarchie [le mot arabe
“Fitna” signifie à la fois discorde et anarchie] fasse l’objet d’un apaisement.
Nous souhaitons que ce désaccord prenne fin.
Et c’est la chose qui demande aux Comoriens, surtout en ce mois sacré de
Ramadan, de lever les bras au ciel pour implorer Dieu. Dieu nous répondra
favorablement. Dieu fera en sorte que ceux qui sont en litige aujourd’hui se
pardonnent, se réconcilient et s’entendent. Nous autres Comoriens sommes
touchés parce que je ne sais pas ce qui se passera quand demain ceux qui
sont en litige aujourd’hui se réconcilient, est-ce que dans ce cas-là, le Qatar
va accepter de se réconcilier avec nous ?
Nous sommes des frères. Nos frères d’Arabie Saoudite sont nos frères. Nos
frères des Émirats Arabes Unis sont nos frères. Nos frères du Qatar sont nos

235
frères. Nous aurions dû être avec eux, et les Comores, par leur sens de la
noblesse et de l’honneur, nous devons être soucieux de faire réconcilier et
non des gens devant nous séparer avec des gens qui ne se séparent pas de
nous. Nous ne devons rompre nos relations qu’avec des gens qui nous ont
fait du mal, des gens qui nous ont déclaré la guerre ou qui nous causent du
tort. Mais, au contraire, le Qatar est un pays qui nous a honorés, qui nous a
rendu des services et qui n’a pas cessé de nous aider. Nous aurions dû
valoriser notre honneur au lieu de le jeter à terre. Priez, et Dieu exaucera
nos prières, pour que, en nous réveillant demain, nous apprenions que la
discorde a pris fin. Que la paix et la bénédiction de Dieu Tout-puissant
soient sur vous ».
Quelques jours plus tard après la rupture des relations diplomatiques entre
les Comores et le Qatar, Fahmi Saïd Ibrahim, qui n’était plus ministre, était
reçu à Doha, selon un protocole réservé aux ministres en exercice. Invité sur
le plateau de la chaîne de télévision Al Jazeera, il avait condamné la rupture
des relations diplomatiques en question. Le faste de son accueil avait été si
bien soigné que le gouvernement dirigé par Assoumani Azali en était jaloux.
Mohamed Amine Soeuf, étouffant nettement d’une jalousie qu’il ne pouvait
contrôler, avait fait une déclaration publique pour dire que dès son arrivée
aux îles Comores, Fahmi Saïd Ibrahim allait être jeté en prison. Cette sortie
médiatique très mal inspirée avait provoqué une immédiate levée de boucliers
chez les Comoriens.
Revenons à la déclaration d’Ahmed Sambi.
L’ancien président avait-il exagéré en tenant un tel discours ?
Il aurait impossible de dire qu’il y a de l’exagération et de l’excès dans son
discours. Or, Assoumani Azali estime que les propos de son ancien allié de
2016 constituent un casus belli. Il en prit prétexte pour limoger en juin 2017
Fahmi Saïd Ibrahim et Mohamed Bacar Dossar, tous deux connus pour être
les deux hommes de confiance d’Ahmed Sambi. Ce qui conduit à la rupture
entre les deux camps politiques. À la suite de cette rupture, Azali Assoumani
créa une Commission parlementaire prétendument pour mener une enquête
sur la « citoyenneté économique », un programme de vente de la nationalité
comorienne à des apatrides du Moyen-Orient en contrepartie d’une certaine
somme d’argent. Ce dossier fait l’objet de manipulations politiciennes pour
le moins ignobles et inadmissibles de la part d’Assoumani Azali.
Or, autant les Comoriens sont soucieux de savoir ce qui s’est passé sur ce
dossier sensible, autant ils ont été horrifiés en découvrant que le but de toute
la manœuvre concoctée par Assoumani Azali était de se servir d’une enquête
bidon pour neutraliser ses principaux adversaires : Mohamed Ali Soilihi et
Ahmed Sambi. Le chef de sa Commission parlementaire aux ordres n’est
autre que Toiliha Dhoulkamal qui, suite à l’usurpation de l’identité de l’un
des membres de sa famille pour son diplôme, est désormais devenu Dhoihir
Dhoulkamal. Ironie du sort, Toiliha Dhoulkamal, surendetté à Mayotte après
la chute de la dictature du Colonel Mohamed Bacar, suite au débarquement

236
militaire du 25 mars 2008 à Anjouan, avait détourné du matériel de travaux
publics qui a été acquis grâce aux fonds de la « citoyenneté économique » !
Ayant appris qu’une instruction avait même été ouverte sur le dossier au
Tribunal de Moroni, Assoumani Azali exerce un sordide chantage sur lui, lui
expliquant que, soit il rédige un rapport essentiellement accusatoire contre
ses ennemis politiques précités, soit lui-même se trouve poursuivi par le juge
sur l’affaire du détournement du matériel de travaux publics. D’ailleurs, il
est édifiant de noter que sur cette affaire, le complice du Député corrompu
n’est autre qu’Anissi Chamsidine, qui avait agi en tant que Gouverneur de
l’île d’Anjouan, où était stocké et détourné le matériel en question.
Assoumani Azali avait commis une lourde erreur sur ce dossier en limitant
la rédaction du rapport parlementaire au seul Toiliha Dhoulkamal, le Député
voleur et corrompu, négligeant les quatre autres parlementaires. Il avait fait
rédiger le faux rapport parlementaire avec la complicité de Nourdine Abodo,
surnommé « le mercenaire » ou « le serpent à lunettes », un « juriste » qui
n’a jamais fait des études de Droit, mais spécialisé dans le pervertissement
des magistrats du Tribunal de Moroni. Nourdine Abodo est l’exécuteur des
basses œuvres « juridiques » et « judiciaires » d’Assoumani Azali.
Nourdine Abodo et Toiliha Dhoulkamal sont tellement incompétents et
tricheurs que le Député indélicat a daté ses « investigations » dans les pays
du Moyen-Orient le 8 décembre 2017, alors qu’à cette date, il n’y avait pas
encore posé les pieds !
Le Député Tocha Djohar Abdallah, suppléant de Fahmi Saïd Ibrahim,
dont il est l’ami de longue date, et siégeant à l’Assemblée de l’Union des
Comores, a dénoncé la manœuvre anticonstitutionnelle par un communiqué
qui résume toute la manipulation politicienne du rapport bidon. Le vendredi
16 mars 2018, il publia le communiqué suivant :
« Depuis quelques jours, un document présenté comme le rapport de la
Commission parlementaire sur la citoyenneté économique circule et fait
l’objet de commentaires sur les réseaux sociaux et dans la presse nationale.
En tant que Député membre de cette Commission, je tiens à souligner les
faits suivants :
Ce document n’émane pas de la Commission, dans la mesure où plusieurs
membres de la Commission ignorent sa source, et le découvrent pour la
première fois sur les réseaux sociaux. À ce jour, aucun rapport n’a été
présenté, discuté et approuvé par les membres de la Commission.
Le document a été diffusé au mépris des procédures propres à l’Assemblée
clairement stipulées dans son règlement intérieur. À savoir, il n’a pas été
soumis à la Conférence des Présidents, qui est la seule instance habilitée à
décider de la suite à donner aux travaux de la Commission.
En foi de quoi, moi-même et d’autres membres de la Commission consi-
dérons ledit document comme nul et non avenu. En outre, nous demandons
au Président de l’Assemblée de diligenter une enquête interne afin d’identifier

237
les auteurs de cette faute grave qui compromet la crédibilité de la Commis-
sion, et de prendre les mesures qui s’imposent ».
Par ce communiqué dépourvu de toute amphibologie, le Député Tocha
Djohar Abdallah a dévoilé la vérité sur un faux rapport parlementaire. Il est
significatif que trois autres Députés de cette Commission parlementaire de
cinq membres aient dénoncé la fausseté et la forfaiture d’un document rédigé
et diffusé de manière illégale et à des fins politiciennes.
Restons sur la « citoyenneté économique », et cela pour signaler que quand
avaient commencé à circuler les rumeurs et les informations selon lesquelles
Ahmed Sambi et d’autres dirigeants comoriens de haut niveau allaient être
auditionnés sur ce dossier, ce dernier avait fait de l’étranger une déclaration
par vidéo, déclaration diffusée sur Internet le mercredi 25 octobre 2017,
quelques jours après la création de la Commission parlementaire qui était la
propriété d’Assoumani Azali, Nourdine Abodo et Toiliha Dhoulkamal.
De cette déclaration, nous allons retenir le passage suivant : « Je veux vous
rassurer, et je m’adresse en particulier à ceux qui disent que je vais refuser
d’être auditionné par la Commission parlementaire, pour vous demander les
raisons pour lesquelles je vais refuser de le faire. Quand on me convoquera,
j’irais répondre aux questions qu’on va me poser. Mais, il y a une chose que
moi, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, je sollicite. C’est une chose que je
sollicite auprès des citoyens comoriens, en particulier auprès des Députés
qui ont délégué d’autres Députés qui sont membres de cette Commission
parlementaire.
Je leur dis qu’au vu de ce qui a été dit et a été écrit, et comme certains
disent que pour l’enquête diligentée, c’est Sambi qu’on cherche, pour qu’on
trouve un prétexte afin de le tourmenter, le persécuter, l’humilier et même
l’emprisonner, et comme j’ai appris que certains Députés qui ont délégué
certains de leurs collègues qui sont membres de la Commission parlemen-
taire ont même des doutes sur ladite Commission, moi, je souhaite que le
jour où on m’appellera pour être auditionné, la chose ne soit pas secrète. Je
ne veux pas être interrogé dans une pièce de maison. Je veux être interrogé
publiquement et que cela passe à la radio et à la télévision pour que les gens
entendent.
Je veux que les gens entendent et surtout les Députés qui ont délégué leurs
collègues pour qu’ils soient au courant de ce qu’on m’a demandé et mes
réponses, pour que demain on ne leur dise pas des choses que j’aurais dites
et que je n’aurais pas dites ou qu’on leur cache des choses que j’ai dites.
Je suis convaincu que des procès-verbaux seront établis et seront envoyés
à l’Assemblée de l’Union des Comores. Alors, je ne veux pas qu’on ajoute
ou qu’on diminue des choses sur mes déclarations. Je sollicite des Députés
comoriens qu’ils m’accordent ce droit. Je demande aux Comoriens l’accep-
tation de cela pour que tout ce que je dis soit connu de tous.
Ce n’est pas un début. Aujourd’hui, c’est la première fois qu’aux Comores,
une telle chose va se faire. Les anciens présidents et l’actuel président sont

238
interrogés sur ce sujet. En soi, ce n’est pas une mauvaise chose. Ce n’est pas
une mauvaise chose parce que chaque personne qui aura une responsabilité
étatique va avoir peur, et cela va l’inciter à agir de la meilleure façon qui
soit. Nous savons que dans les grandes puissances, notamment aux États-
Unis, les présidents font l’objet d’auditions quand les gens doivent connaître
certaines choses. Nous avons vu de nombreux ministres être auditionnés, et
cela peut se faire en public pour que les gens puissent savoir de quoi il s’agit.
C’est ce que, moi, je souhaite. Je souhaite que tout le monde soit auditionné
publiquement, et s’agissant de moi, je souhaite que les choses se passent
ainsi pour que nous puissions fuir la discorde et l’anarchie, les racontars, en
évitant les “il a dit ceci”, les “il a répondu cela”.
Je répondrai avec droiture et discipline aux questions qui me seront
posées pour qu’on puisse entendre la vérité et mes réponses. C’est ce que
j’ai voulu dire aujourd’hui, en attendant mon retour au pays ».
Ahmed Sambi avait demandé par écrit une audition publique. Mais, cela
lui sera refusé. Le Député Toiliha Dhoulkamal et son complice Nourdine
Abodo feront encore pire en caviardant les propos d’Ahmed Sambi lors de
son audition devant la Commission parlementaire. Nullement découragé, à la
suite du refus par la Commission parlementaire de toute publicité de son
audition devant celle-ci, Ahmed Sambi avait demandé par écrit le droit de se
présenter à l’Assemblée de l’Union des Comores accompagné de son propre
caméraman. Cette nouvelle demande lui fut également refusée.
La Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) ont érigé la
bonne gouvernance en Étoile polaire et Croix du Sud du monde moderne en
matière de gestion, estimant qu’il ne saurait y avoir bonne gouvernance sans
transparence. Dès lors, une question se pose : pourquoi Assoumani Azali et
les siens refusent la transparence en matière d’audit et de gestion publique ?
Nous pourrions trouver une partie de la réponse à cette question dans le fait
qu’à l’époque de sa singulière junte militaire (1999-2006), Assoumani Azali
et Mohamed Elamine Soeuf, son cousin et ministre des Affaires étrangères,
avaient monté un immense trafic de passeports comoriens à l’étranger, sans
la moindre loi, et en dehors de toute transparence. Les deux cousins n’ont
jamais parlé en public de leur trabendo villageois et familial des passeports
des Comores à l’étranger. Or, même depuis leur retour au pouvoir le 26 mai
2016, ils refont leur trafic dans une opacité totale, et dans l’illégalité.
Ces précisions étant faites, revenons à l’article 8 de l’accord conclu le 1er
avril 2016 par Ahmed Sambi, Fahmi Saïd Ibrahim et Assoumani Azali : « Il
[Assoumani Azali] s’engage à rétablir les relations diplomatiques entre
l’Union des Comores et la République islamique d’Iran dans les 10 mois qui
suivront son investiture ». Qu’en est-il exactement ?
En fait de rétablissement de relations diplomatiques entre les Comores et
la République islamique d’Iran, tout se passa le jeudi 11 août 2016, une date
à laquelle, les Comoriens, médusés et complètement dépassés, apprirent que
Kiki, le ministre de l’Intérieur, avait adressé le même jour un courrier au

239
Directeur général de la Fondation Tibyane et au président de l’Université Al-
Madinah, deux institutions iraniennes aux Comores.
Dans sa lettre, confuse et alambiquée, il signalait aux responsables iraniens
que « dans le cadre des nouvelles orientations stratégiques du gouvernement
en matière d’Éducation, dont l’objectif est de mieux coordonner, organiser
et faciliter l’insertion socioprofessionnelle des diplômés de l’enseignement
supérieur, le gouvernement comorien a décidé, à travers l’Université des
Comores, d’assurer dorénavant la formation supérieure et rassurées [???]
que des démarches seront mis [Sic : « Mises »] en place afin d’intégrer les
étudiants de votre structure au sein de l’Université des Comores ». Les deux
écoles iraniennes aux Comores ont été sommées de « ne plus procéder à
aucune nouvelle inscription dès la rentrée scolaire et universitaire en cours,
et de prendre les dispositions nécessaires en vue de cesser toutes activités
liées à l’enseignement supérieur ». C’était hallucinant et pathétique.
Même l’hôpital iranien aux Comores fut fermé par Assoumani Azali, alors
qu’il rendait d’énormes services aux Comoriens. Au moment de la fermeture
des institutions iraniennes aux Comores, ce dernier pays n’avait fait aucun
progrès en matière de santé et d’enseignement. Ce faisant, la correspondance
de Kiki est dépourvue de crédibilité aussi bien dans le fond que dans la forme.
On y décèle l’impréparation, facteur d’incompétence et d’incurie. Comment
expliquer la maladroite intrusion du ministre de l’Intérieur dans le domaine
de la diplomatie, de l’enseignement et de la Santé publique ?
Assoumani Azali trahissait ses alliés, se disant qu’à partir du moment où il
était installé de nouveau à la Présidence de la République par la fraude, il
n’avait plus besoin de ceux-ci. Hamada Madi Boléro, qui nourrit une haine
bestiale et viscérale envers Ahmed Sambi et Fahmi Saïd Ibrahim, au-delà du
rationnel, ne pouvait supporter l’alliance entre son chef et bénéficiaire de ses
fraudes électorales et ces derniers.
En même temps, il serait prudent de ne pas sous-estimer la culture et la
pratique du complot, l’inconstance idéologique et politique, le manque de
convictions civiques et le goût de la trahison chez Assoumani Azali. Ahmed
Sambi, nullement intimidé par les méthodes violentes et traîtresses de son
ancien allié, lui répondra par un bref discours prononcé lors d’un mariage à
Mutsamudu, à la mi-août 2017. Il avait déclaré notamment, sur le ton du
défi : « Si je veux m’adresser au président Azali, je le ferai chez moi, si un
jour je veux lui dire une chose. Sur ce qu’il fait et sur ce qu’il dit ici et là, je
parlerai parce que je n’ai pas peur de lui et je ne quémande pas auprès de
lui. Pour autant, je ne le ferai pas dans une cérémonie religieuse liée à un
mariage. Je pourrai même appeler des gens pour lui transmettre mes
messages. De chez moi, je lui ferai parvenir mes messages. […].
Quand je veux m’adresser à quelqu’un, je le fais directement car je n’ai
peur de personne. Je lui parlerai d’une langue droite, sans avoir peur. Le
jour où j’en ai envie, je parlerai. Je souhaite donc que nos mariages se
déroulent dans des conditions normales. Je souhaite que nos cérémonies se

240
déroulent dans des conditions normales. Ne créons pas de confusion entre la
politique et les activités communautaires et sociales. Moi, quand j’ai envie
de parler, je parle, que cela plaise ou pas. En tout état de cause, je ne
profiterai jamais d’une cérémonie religieuse liée à un mariage pour parler
de politique ».
Assoumani Azali est un homme d’une rare violence, l’auteur d’un putsch
ayant failli faire imploser les Comores par son soutien apporté aux leaders
du mouvement séparatiste anjouanais, un militaire qui a torturé à mort ceux
des militaires qui, avec lui, voulaient renverser Saïd Mohamed Djohar le 26
septembre 1992, qui avait assassiné froidement l’officier Ahmed Abdallah
dit Apache, dont il avait promené à travers la ville de Moroni le corps sans
vie ne portant qu’un slip sur un véhicule, un dirigeant dont les seuls moyens
d’arriver et de rester au pouvoir sont le coup d’État et les fraudes électorales.
C’est ainsi qu’il a marqué de la façon la plus négative les années 1999 (coup
d’État militaire), 2002 (fraude électorale malsaine), 2016 (fraude électorale
indécente) et 2018 (« référendum » anticonstitutionnel, bidon et malséant).
Il provoque Ahmed Sambi mais sait qu’il causera un bain de sang aux îles
Comores le jour où il essayera de le tourmenter pour des raisons politiques.
Connaissant le caractère épouvantable d’Assoumani Azali, habitué à humilier
ceux qui l’approchent, dans l’unique but de cacher son infériorité, qu’il tente
de faire passer pour un sentiment de supériorité, dès le 26 avril 2016, quand
fut connue son alliance avec Maître Fahmi Saïd Ibrahim et Ahmed Sambi,
sur mon site Internet www.lemohelien.com, j’avais choisi de parler d’« alliés
circonstanciels de temps ». En mai 2017, lors d’une interview accordée au
site Comores-Infos, je rejetais l’expression « frères ennemis », en expliquant
qu’il s’agissait uniquement de vrais ennemis dont la relation finirait dans le
sang. Deux semaines plus tard, Assoumani Azali trahissait Ahmed Sambi et
Fahmi Saïd Ibrahim, et ce fut la rupture haineuse et infecte.
Sur la scène politique comorienne, le manque total de conviction civique
et politique est une réalité sociologique et sociopolitique. Cependant, il est
un homme qui, en la matière, a franchi toutes les limites : Saïd Larifou. Ce
dernier était un parfait inconnu sur l’espace public comorien. Avocat basé à
la Réunion, département français de l’océan Indien, il était le parfait inconnu,
un Comorien (naturalisé français) émigré comme des milliers d’autres. Une
fois à Marseille, il voit François Mitterrand à la télévision et dit doctement à
l’assistance qu’il veut faire comme lui : être un avocat qui devient président
de la République. Il manifeste publiquement sa volonté de diriger un jour les
Comores, où il n’était connu que des siens.
Dans la communauté comorienne installée à l’étranger, il est impossible de
faire le recensement des doux rêveurs qui se voient diriger un jour leur pays
d’origine. Ce ne sont pas des gens sur qui on s’attarde. Quand on se trouve à
la Courneuve et dans d’autres banlieues de France, et quand on est quelqu’un
de crédible et de sérieux, on traite par l’indifférence ces Comoriens parmi
lesquels les plus grands émetteurs de chèques sans provisions de leur pays.

241
On observe de loin ces prétentieux, et on ne leur prête guère attention. Saïd
Larifou appartient à cette race de Comoriens menteurs, prétentieux, vantards
et inutilement bavards. Pour les Comoriens, il est frappé de malédiction.
C’est son opposition à la junte militaire d’Assoumani Azali au début des
années 2000 qui le fait connaître. En 2006, convoitant un poste de ministre,
il soutient la candidature d’Ahmed Sambi, le grand favori. En 2010, il prend
une part active dans la défense de la présidence tournante et dans la demande
de l’organisation de l’élection devant conduire pour la première fois dans
l’Histoire des Comores un Mohélien à la Présidence de la République. Il sera
battu à mort par la Police à l’aéroport de Hahaya alors qu’il cherchait à se
rendre sur l’île de Mohéli pour s’enquérir de la situation qui prévalait sur
place, alors que le pays demandait l’organisation de l’élection présidentielle.
De 2010 à 2015, il accuse Ahmed Sambi de tous les maux de la Terre. Or,
début 2015, alors que son cabinet d’avocat est fermé par les autorités pour sa
situation financière catastrophique, conséquence d’une immense fraude au
Fisc, et alors que sa maison est vendue aux enchères à la Réunion, il se fait
l’allié d’Ahmed Sambi, croyant naïvement que ce dernier allait lui donner de
l’argent pour payer ses dettes. Il n’est pas excessif de dire que Saïd Larifou
était devenu le larbin d’Ahmed Sambi, dans l’unique but d’obtenir de lui tout
l’argent qui lui était nécessaire à l’apurement de sa situation financière, qui
est désastreuse.
Pour obtenir d’Ahmed Sambi l’argent nécessaire au remboursement de ses
incommensurables dettes à la Réunion, Saïd Larifou avait même soutenu la
constitutionnalité de la candidature de l’ancien président en 2016 alors que
seuls les Grands-Comoriens pouvaient briguer la magistrature suprême cette
année-là. Que n’a pas fait Saïd Larifou pour s’attirer la bienveillance de celui
qu’il dénigrait dans toutes ses déclarations par un passé récent ?
Mais, ayant bien compris les motivations profondes de Saïd Larifou, bien
lancé dans une incroyable quête d’argent, Ahmed Sambi refusa de l’aider à
rembourser ses dettes. Saïd Larifou se porta candidat au scrutin présidentiel
de 2016. Il obtint 6,12% des suffrages et fut classé à la cinquième place. Il se
rangea derrière le vice-président Mohamed Ali Soilihi au second tour et fut
l’un des rédacteurs du recours entièrement fondé sur le plan juridique que ce
dernier déposa à la Cour constitutionnelle. Pour participer à la rédaction de
ce recours, Saïd Larifou, qui visait un poste de ministre en cas d’élection de
Mohamed Ali Soilihi, se fit rémunérer, alors qu’il prétendait militer pour une
cause qui était la sienne. Ahamada Baco et Mohamed Abdouloihabi, les 2
autres juristes qui ont travaillé avec lui, dont le premier est un membre de la
direction de son parti politique, attendaient, eux aussi l’élection de Mohamed
Ali Soilihi pour se faire nommer, et avaient été rémunérés. De 2017 à 2018,
les 3 lascars soutiennent publiquement toutes les saletés anticonstitutionnelles
et liberticides d’Assoumani Azali, qu’ils combattaient en 2016 !
De la mi-février à la mi-mai 2016, Saïd Larifou était logé à l’hôtel par le
candidat Mohamed Ali Soilihi, qui avait pris en charge tous ses frais. Saïd

242
Larifou avait extorqué à Mohamed Ali Soilihi des quantités astronomiques de
fonds. Dans la pure tradition comorienne, on ne loge pas à l’hôtel quand on
est sur son île d’origine. Quand je suis arrivé aux îles Comores le 17 octobre
2015, après 23 ans et un mois d’absence, et comme j’y étais pour présenter
la biographie de Mohamed Ali Soilihi, celui-ci voulait que mon séjour à la
Grande-Comore se fasse dans un hôtel. Je n’avais accepté la chambre d’hôtel
que pour une seule nuit. Mes neveux qui vivent à Moroni ont exigé que je
sois logé chez eux. Je suis Mohélien et non Grand-Comorien, et je refusais
l’hôtel à la Grande-Comore. Pourquoi alors Saïd Larifou, Grand-Comorien
vivant sur son île, s’y fait loger à l’hôtel ?
Le lundi 16 mai 2016, au lendemain de la proclamation des résultats d’une
élection présidentielle complètement et totalement fraudée par les Mohéliens
de Beït-Salam, j’étais à Moroni quand Saïd Larifou m’appela pour me faire
part de sa volonté et disponibilité à continuer à travailler avec Mohamed Ali
Soilihi. Or, dès début 2017, il est devenu le griot dégoulinant d’obséquiosité
et de servilité auprès d’Assoumani Azali, qu’il voulait renverser en 2003 par
une insurrection populaire qu’allait filmer un caméraman qu’il avait ramené
de France.
Le 30 mars 2016, en pleine campagne électorale pour le second tour du
scrutin, Saïd Larifou expliqua à une assistance médusée et horrifiée que le
candidat Assoumani Azali voulait obtenir son ralliement en contrepartie d’une
somme d’argent : « Moi, je vous confirme qu’il a voulu me corrompre, il a
même avancé le montant de 20 millions de francs comoriens [40.000 euros].
J’ai été énervé. J’ai immédiatement quitté les discussions car j’ai estimé que
c’était de l’insolence ».
Lors de la même campagne électorale, Saïd Larifou avait déclaré en public
qu’il lui était moralement impossible de soutenir Assoumani Azali, qui avait
froidement tué Ahmed Abdallah dit Apache, un officier né à Foumbouni, sa
ville d’origine. Il avait rappelé à l’assistance qu’après avoir assassiné Ahmed
Abdallah « Apache », suite à l’échec de la tentative de putsch du 26 septembre
1992 contre Saïd Mohamed Djohar, il en avait promené le corps ne portant
qu’un slip à travers toute la ville de Moroni.
Dès janvier 2017, Saïd Larifou s’est fait le griot d’Assoumani Azali. Toute
honte bue, lui qui sait que les îles Comores ne produisent même pas un cure-
dents, lui qui n’a aucune notion d’Économie, de Finances publiques et de
gestion publique (sa faillite à la Réunion en dit long sur le sujet) s’emploie à
aller dans les hameaux et villages pour dire qu’Assoumani Azali, qui a déjà
plongé les Comores dans un désastre plus dramatique que celui de sa junte
militaire (1999-2006), va réaliser « l’émergence à l’horizon 2030 ».
Le même Saïd Larifou, qui a été battu à mort à l’aéroport de Hahaya pour
le soutien qu’il apportait à la présidence tournante en 2010, devint dès 2017
le plus farouche adversaire de cette modalité électorale qui stabilise le pays
et permet aux Comoriens originaires de toutes les îles de diriger ce pays par
rotation. Le même Saïd Larifou, qui s’était autoproclamé abbé Pierre des îles

243
Comores, pour avoir l’argent du peuple comorien auprès d’Assoumani Azali,
est devenu le plus zélé et le plus fanatique avocat de ses lubies liberticides. Il
est devenu « l’avocat du gouvernement comorien ». Le lundi 19 février 2018,
juste quelques secondes après « la découverte » de clous sur la piste de
« l’aéroport » de Mohéli, il claironnait sur Facebook, parlant de « tentative
d’attentat », voire d’« attentat » et, quelques jours plus tard, il demanda la
peine de mort sur deux jeunes Mohéliens absolument innocents.
Il est passé d’une défense démagogique du Droit à une mendicité l’ayant
plongé dans un discrédit total et définitif auprès des Comoriens et même des
chancelleries. Quand il a commencé à mendier auprès d’Assoumani Azali
début 2017, il voulait duper l’opposition en voulant continuer à la fréquenter
tout en quémandant auprès d’Assoumani Azali, qui saisit toute occasion pour
l’humilier en public et pour lui rappeler ses attaques contre lui par le passé.
Pour avoir son premier poste de ministre, il est prêt à toutes les bassesses. Il
est ce qu’on peut imaginer de pire en matière de « politique du ventre »1.
Du jour au lendemain, Saïd Larifou s’associa à Sounhadj Attoumane, un
charlatan se présentant comme « cardiologue », dont l’incompétence notoire
a envoyé prématurément au cimetière même une fille de 18 ans. Les victimes
de Sounhadj Attoumane se comptent par dizaines. Deux médecins français
qui ont pris connaissance des ordonnances irresponsables et criminelles que
Sounhadj Attoumane établit pour ses victimes déguisées en patients, ont pris
l’utile initiative de lui écrire pour lui demander d’arrêter immédiatement la
cardiologie parce qu’ils le considèrent comme un danger mortel pour tous
ceux et celles qui ont le malheur de recourir à son charlatanisme « médical ».
« Médecin » notoirement incompétent, Sounhadj Attoumane est également
un piètre politicien. Quand on lui enlève la mendicité, il ne lui reste rien du
tout. C’est le président Ahmed Sambi qui l’a tiré de l’anonymat de caniveau
et de l’insignifiance de caniveau. Lors de nos entretiens téléphoniques en
2015, il vouait un respect sans bornes à Ahmed Sambi. Au lendemain de
l’accord du 1er avril 2016, ce dernier le présenta à Assoumani Azali. Or, sans
la moindre gêne, lors de la rupture entre son ancien mentor et Assoumani
Azali en juin 2017, Sounhadj Attoumane essaya de faire du parti politique
créé par Ahmed Sambi sa propriété personnelle, se faisant éjecter de celui-ci.
On peut ne pas être un partisan d’Ahmed Sambi, mais quand on voit avec
quelle ingratitude Sounhadj Attoumane s’est mis à le dénigrer dans la rue, on
est obligé de se poser des questions sur la crédibilité de la classe politique
comorienne.
Par ailleurs, au lendemain du 26 mai 2016, les Comoriens furent horrifiés
quand ils apprirent que d’autres acteurs politiques regroupés autour du vice-
président et candidat Mohamed Ali Soilihi se cachaient pour rencontrer celui
qui avait été placé à la Présidence de la République par la fraude électorale

1 Bayart (Jean-François) : L’État en Afrique. La politique du ventre, Nouvelle édition,

Fayard, Collection « Espace du politique », Paris, 2006 (514 p.).

244
des Mohéliens de Beït-Salam. Même Houmed Msaïdié Mdahoma, colistier
de Mohamed Ali Soilihi en Grande-Comore lors du scrutin présidentiel de
2016, fait partie de ces personnes vouées au mépris des Comoriens. Nombre
d’acteurs politiques ne s’étaient retrouvés auprès de Mohamed Ali Soilihi
que pour s’enrichir. Le Directeur de sa campagne électorale fait partie de ce
groupe, et n’a jamais accepté de faire le bilan de sa mission. Quand il a été
choisi par le candidat lui-même, le vice-président Fouad Mohadji lui avait
posé des questions sur son engagement aux côtés de Mohamed Ali Soilihi, et
avait signalé qu’il voulait de l’argent. Quand les élections ont pris fin dans la
confusion et la fraude organisée par les Mohéliens de Beït-Salam, mon ami
Fouad Mohadji lui demanda s’il avait obtenu les sommes qu’il convoitait. Il
avait déclaré avoir reçu plus qu’il n’en voulait au départ.
Le cas d’Achirafi Saïd Hachim présente quelques similitudes avec celui de
Saïd Larifou. Achirafi Saïd Hachim avait été nommé ministre lors de la très
éphémère présidence de Mohamed Taki Abdoulkarim (1996-1998). Il avait
été l’instigateur de la tentative de coup d’État contre Assoumani Azali qui a
échoué par la mort des mercenaires à Mohéli le 19 décembre 2001. C’est en
2003 que Saïd Larifou avait tenté de renverser Assoumani Azali. Achirafi
Saïd Hachim atterrit dans une prison parisienne après l’échec de son équipée
à Mohéli. Exactement comme Saïd Larifou, en 2015, la mendicité l’avait
conduit aux côtés d’Ahmed Sambi, dont il soutenait la constitutionnalité de
la candidature en 2016. Mais, comme Ahmed Sambi ne lui donnait pas les
sommes d’argent désirées, rapidement, il lui tourna le dos.
Exactement comme Saïd Larifou, il se porta candidat à l’élection du chef
de l’État comorien en 2016. Nanti de 2,91% des suffrages et classé huitième,
il a soutenu Mohamed Ali Soilihi au second tour. Cependant, depuis 2017, il
n’a pas cessé de demander à son ancien ennemi de le nommer quelque part.
À toutes les délégations de notables partant vers Assoumani Azali, il délivre
un message très simple : « Allez lui dire que j’ai faim. Allez lui dire que je
crève de faim ». Or, jusqu’en 2016, chaque fois qu’il devait s’exprimer sur
un média, Achirafi Saïd Hachim devait porter de lourdes accusations fondées
sur Assoumani Azali, l’ennemi, qu’il aime détester. Comme ce dernier est
très rancunier, il refuse de le recevoir seul. Achirafi Saïd Hachim avait formé
un petit groupe de politiciens mendiants ne représentant rien électoralement,
groupe auquel appartient un autre émetteur de chèques sans provisions ayant
choisi comme mot d’ordre « l’alternative », tout en reprenant à son compte
et en perpétuant les viles méthodes des voleurs qui ont causé le malheur des
îles indépendantes de l’archipel des Comores.
Mais, l’une des affaires les plus sinistres en matière de rejet de toute forme
de convictions civiques et politiques aux Comores a eu lieu en avril 2018,
alors qu’Assoumani Azali s’apprêtait à signer sa « décision » de tuer la Cour
constitutionnelle par son engloutissement par une Cour suprême aux ordres.
Le protagoniste de cette farce sinistre n’est autre que Hassani Hamadi, le
Gouverneur de la Grande-Comore. Quand Hassani Hamadi, le Gouverneur

245
sans la moindre visibilité politique, s’est senti floué par Assoumani Azali,
surtout parce que ce dernier a bloqué tous ses intérêts et avantages, il a réuni
l’opposition pour dénoncer les méthodes barbares, sauvages et ouvertement
anticonstitutionnelles de celui qu’il qualifie de « Petit Bokassa », comme le
faisait en 1999 le Premier ministre Abbas Djoussouf.
Hassani Hamadi disait doctement sa détermination à être à la tête de la
fronde contre Assoumani Azali pour se racheter auprès de ses concitoyens.
Toute honte bue, il prétendait crânement que même seul et isolé de toute
l’humanité, il était prêt et déterminé à combattre Assoumani Azali. Or, après
avoir suscité beaucoup de boucan dont la presse traditionnelle et la presse
sociale des Comores furent le véhicule, il s’était bien empressé d’appeler au
téléphone Cheikh Salim, huileux, obséquieux et servile président de la Cour
suprême Léviathan devant absorber la Cour constitutionnelle au mépris de
toutes les règles constitutionnelles du pays.
Il demanda à Cheikh Salim de passer le voir de toute urgence avant qu’il
ne voyage vers la Réunion. Ce que fit le servile et obséquieux président de la
Cour suprême. Dès que les deux hommes furent seuls, les yeux dans les yeux
dans le bureau du Gouverneur, la main sur le cœur, le visage tourné vers La
Mecque en signe de dévotion sincère, la voix tremblant des trémolos de la
sincérité, Hassani Hamadi dit à Cheikh Salim : « Dis à Azali Assoumani
que tout ce qui se dit actuellement sur ma prétendue rupture avec lui est
archifaux et relève de la diffamation haineuse et de l’acharnement fielleux.
Je ne suis pas solidaire avec l’opposition. Je marche toujours avec lui. Oui,
l’opposition a tenté de me piéger, mais je ne marcherai pas avec elle ».
Le soumis et rampant Cheikh Salim était heureux d’entendre un message
aussi rassurant, plaisant et agréable, et était très content de le transmettre à
son maître Assoumani Azali, auprès de qui, il prend tous ses ordres. Cheikh
Salim est l’un des hommes sans scrupules chargés de lire et dire le « Droit »
sur tout contentieux sur le référendum constitutionnel pour la présidence à
mort d’Assoumani Azali et sur les élections présidentielles envisagées après
le coup d’État institutionnel contre la Cour constitutionnelle. Le deuxième
homme est le mercenaire et faux « juriste » Nourdine Abodo, surnommé
« Satan » par les magistrats, « l’Intrigant » par les avocats, « l’Infâme » par le
peuple, « le Serpent à lunettes » par une fonctionnaire à la Présidence de la
République lors du règne sans gloire des Mohéliens de Beït-Salam.
Pourtant, après le départ de Cheikh Salim, qui affichait un sourire béat
après avoir entendu ce qu’il venait d’entendre, le même Gouverneur Hassani
Hamadi a appelé l’opposition pour lui dire qu’Assoumani Azali a dépêché
auprès de lui un émissaire, en la personne de Cheikh Salim. Il expliqua sans
la moindre gêne : « Azali Assoumani a besoin de moi et n’est pas prêt à me
perdre. En grand seigneur et homme de parole que je suis, j’ai renvoyé
brutalement Cheikh Salim, en lui rappelant une chose fondamentale : le
président d’une institution judiciaire comme lui n’a pas à être l’émissaire
d’un homme politique, même s’il est le président de la République ».

246
Il a insulté Cheikh Salim devant l’opposition, alors que c’est lui qui l’avait
appelé. Il avait rappelé sa prétendue « fidélité indéfectible et éternelle » à
l’opposition. Pour son malheur, Hassani Hamadi ne sait pas qu’il se dit sous
le manteau, se chuchote, se susurre, et se murmure qu’il souffre d’un grave
problème psychologique dû à un dédoublement de sa personnalité. In fine,
c’est lui qui avait organisé la rencontre du samedi 16 juin 2018 au cours de
laquelle Djaffar Ahmed Saïd Hassani avait désavoué Assoumani Azali.

S.V.- DU MONOPARTISME AU « MULTIPARTISME MONOCÉPHALE »


Nous étudierons le système de parti unique (§1) avant de nous pencher sur
le multipartisme en trompe-l’œil (§2) et sur le multipartisme de façade (§3).

§1.- DU MULTIPARTISME HÉRITÉ DE LA FRANCE À L’ABSENCE TOTALE DE


PARTIS POLITIQUES
Dans bien de domaines, les Comores sont un pays en régression. Même les
rares et maigres acquis du pays dans certains secteurs ont été anéantis par la
médiocrité d’une classe politique notoirement indigente sur le plan intellectuel
et professionnel, une classe politique dont la plupart des membres sont bien
connus pour être dépourvus d’imagination, de convictions civiques, sociales
et politiques.
Le système des partis politiques est l’un des domaines dans lesquels les
acteurs politiques expérimentent le plus leur inconstance, leur duplicité et
leur incapacité intellectuelle à penser la politique sous un angle civique et
sous une optique citoyenne.
Mais, tout d’abord, posons-nous la question suivante : comment définir un
parti politique ? Pour aller à l’essentiel, nous notons qu’il s’agit d’un type
particulier d’organisation, une organisation pérenne, structurée, implantée à
l’échelle nationale et locale dont le véritable objectif est le rassemblement et
l’encadrement de la population en vue de la conquête et de l’exercice du
pouvoir par les moyens juridiques appropriés.
L’invocation du Droit est d’autant plus utile qu’elle suppose la prohibition
de l’arrivée au pouvoir par des méthodes et des moyens illégaux que sont le
coup d’État et la fraude électorale, pourtant très usités en Afrique de façon
générale, et aux Comores en particulier. De même, l’exercice du pouvoir et
la conservation de celui-ci doivent se faire aussi dans le respect de la Loi.
Selon Maurice Duverger, « un parti n’est pas une communauté, mais un
ensemble de communautés, une réunion de petits groupes disséminés à travers
le pays (sections, comités, associations locales, etc.) liés par des institutions
coordinatrices »1.

1 Duverger (Maurice) : Les partis politiques, Armand Colin, Nouvelle édition, Paris, 1976,
p. 62.

247
Pour Max Weber, « les partis politiques sont les enfants de la démocratie,
du suffrage universel, de la nécessité de recruter et d’organiser les masses »,
et, logiquement, c’est « dans l’État légal à Constitutions représentatives que
les partis prennent leur physionomie moderne ». En d’autres termes, on ne
saurait concevoir un État démocratique moderne sans vrais partis politiques,
même si l’Histoire contemporaine nous apprend que le véritable label de la
démocratie n’est pas dans la pléthore d’organisations partisanes, mais dans
leur véritable place sur la scène politique nationale et dans leur capacité à se
situer dans une vraie représentation et dans l’encadrement de la population.
Pour preuve, en juillet 2009, quelque 120 partis politiques sont reconnus et
enregistrés au Mali. En 2015, le Mali en comptera 176. Est-ce à dire que le
Mali est un État plus démocratique que les États-Unis et la Grande-Bretagne,
deux pays dont le système politique est dominé par l’alternance au pouvoir
de deux organisations partisanes ?
En aucune façon, la démocratie d’un pays ne saurait être évaluée à l’aune
de la pléthore des partis politiques, surtout quand ceux-ci n’ont pas un vrai
enracinement sur la scène politique nationale.
Les partis politiques sont classés en plusieurs groupes et sous-groupes,
selon leur nature intrinsèque.
Ces remarques liminaires étant faites, il serait nécessaire de préciser qu’Ali
Soilihi a été le président qui a dirigé les Comores sans parti politique, même
un parti unique. Ali Soilihi au pouvoir était la négation du parti politique. Il
n’avait pas besoin de formations partisanes dans un régime politique qui était
censé être d’origine populaire et d’essence populaire. Ali Soilihi n’avait pas
besoin de partis politiques dans un système politique censé représenter toute
la population et dans lequel toute la population était censée se retrouver et se
reconnaître, alors qu’elle y était complètement étrangère.
Durant la Révolution d’Ali Soilihi, aucun débat public n’a été engagé par
les partis politiques. Ces derniers n’existaient pas. C’est tout. Pourtant, Ali
Soilihi avait milité au sein du Parti Vert de Saïd Mohamed Cheikh dans les
années 1960, avant de fonder Umma-Mranda avec le Prince Saïd Ibrahim, le
« Prince rouge », des décennies avant Moulay Hicham Alaoui du Maroc.
Quelques années plus tard, on retrouve Ali Soilihi au Front national uni des
Comores (FNUC), dont on n’entendra plus parler par la suite.
Replaçons les choses dans le contexte du Droit.
Le 23 avril 1977, a été adoptée la Loi fondamentale. Dans le Préambule, on
ne retrouve pas les principes qui y sont habituellement définis, mais des
considérations idéologiques qui font peu de cas de la plupart des droits et des
libertés des citoyens, dans la logomachie révolutionnaire de cette époque si
troublée de la vie politique et sociale aux Comores :
« Le peuple comorien proclame :
- sa détermination à libérer par tous les moyens l’île de Mahoré, partie
intégrante de son territoire occupée illégalement par la France ;

248
- sa solidarité envers tous les peuples en lutte contre le racisme et la
domination :
- son attachement aux valeurs authentiques de la religion Islamique.
Valeurs qui, entre autres, impliquent la lutte contre l’exploitation de
l’ignorance et de la crédulité, par le charlatanisme, le désœuvrement ;
- son attachement à tous les principes de la Déclaration Universelle des
Droits de l’Homme adoptée par l’Organisation des Nations Unies le 10
décembre 1948.
Il insiste particulièrement sur les points suivants :
- le travail est un droit et une obligation pour tous ceux, hommes et femmes,
qui ne sont pas empêchés par l’âge ou par l’inaptitude physique. L’État
s’efforce donc de promouvoir le plein emploi et d’assurer à chacun une
juste rétribution pour sa participation à la production ;
- Dans le respect des équilibres naturels qui conditionnent leur renouvel-
lement, toutes les ressources naturelles des Comores, sols, sous-sols,
forêts, eaux maritimes et fonds marins, doivent être exploitées au mieux
de l’intérêt général. Le droit de propriété ne peut faire en aucun cas
obstacle à cette nécessité ;
- L’égalité des droits entre l’homme et la femme s’entend aussi bien sur le
plan civil et civique que sur le plan effectif de l’emploi et des possibilités
de promotion ;
- L’Administration est au service des travailleurs manuels et reste sous leur
contrôle. Le coût de son fonctionnement venant fatalement en déduction
de la part des recettes budgétaires destinées aux investissements produc-
tifs, il doit être maintenu au minimum ;
- L’Administration n’assure que les services indispensables qui ne peuvent
encore être pris en charge par les travailleurs manuels, eux-mêmes. La
formation des jeunes et adultes est conçue pour orienter toutes les col-
lectivités vers l’autogestion ».
Il n’est donc pas question de parti politique.
On aurait pu s’attendre à ce que la notion de « parti politique » figure à
l’article 5 de la Loi fondamentale ainsi rédigé : « La souveraineté nationale
appartient au peuple qui l’exerce par le suffrage, direct et indirect.
Sont électeurs, tous les citoyens de deux sexes âgés de 15 ans au minimum,
qui jouissent de leurs droits civiques.
La majorité civile et pénale sera définie par ordonnance ».
La Loi fondamentale n’a pas prévu l’encadrement du peuple par le parti
politique choisi par chacun, en fonction de ses choix personnels, mais par les
Comités populaires. Or, en réalité, ces derniers sont des organes de délation
et de répression dans les hameaux, villages et villes, semant la terreur et le
deuil : « Le peuple comorien s’organise au niveau des villages, des quartiers
des villes, des moudirias, des wilayas, des lieux de travail ou d’études et au
niveau national, en comités populaires » (article 13). Qui plus est, « les
comités populaires de base, c’est-à-dire les comités de village et de quartier,

249
sont élus au suffrage universel direct et au scrutin de liste, les modalités de
ce scrutin étant précisées par ordonnance » (article 14).
Abstraction faite du scrutin sans nom du 28 octobre 1977, ni qualification
en Droit, ni conséquence directe, ni indirecte, en dehors de la répression qui
s’était abattue à Mohéli, il n’y a jamais eu d’élections sous la Révolution.
Donc, ni de près, ni de loin, les Comités populaires, créés par Ali Soilihi, à
qui ils étaient inféodés, ne sont des partis politiques. En toute logique, leur
existence est sans la moindre ressemblance avec celle des partis politiques.
Ce faisant, on note que si les autres dictatures tropicales africaines essaient
de sauver les apparences en se dotant de textes juridiques trompeurs, Ali
Soilihi n’était même pas soucieux de se donner une vitrine « démocratique ».
Même la logomachie officielle était porteuse des dérives de l’autocratie.
L’une des plus grandes contradictions de la vie politique aux Comores se
retrouve dans le fait que la colonisation française a été accusée de beaucoup
de maux par nombre d’acteurs politiques du pays. Or, même si la période de
l’autonomie interne était émaillée de fraudes électorales au profit de Saïd
Mohamed Cheikh, force est de constater que la France avait apporté aux îles
Comores un pluralisme politique très actif, voire virulent. Comme cela est
déjà noté au cours des développements qui précèdent, la vie politique des
Comores était dominée par deux principaux partis politiques : le Parti Vert
(conservateur) et le Parti Blanc (progressiste). En d’autres termes, le Prince
Saïd Ibrahim a eu raison de déclarer, le 20 juillet 1975, que « la France nous
a apporté la République, c’est bien, mais la démocratie est restée en France »1.
L’héritage politique français le plus important que les Comores ont dilapidé
dès leur accession à l’indépendance est le pluralisme politique. Naturellement,
les bien-pensants des Comores continuent à vouer la France aux gémonies,
mais sans la moindre analyse critique sur le vrai désastre causé par leurs acteurs
politiques comoriens sur le sol de leur propre pays.
Nous avons évoqué le parti Oudjamaa (« Unité » ou « Communauté ») dirigé
par le vice-président Mohamed Hassanaly. En réalité, il s’agit d’une formation
partisane implantée uniquement à Mohéli, composée de seuls Mohéliens et
dont l’action se déroulait à Mohéli. Cette dernière île a toujours eu son parti
politique insulaire, de l’Oudjamaa au Mouvement du 17-Février, en passant par
le FPC. Aucune adhésion populaire n’est possible à Mohéli en dehors du parti
politique mohélien du moment, très exactement comme à Mayotte. Mohamed
Hassanaly est présent dans tous ces partis politiques mohéliens.
Cependant, au lendemain de l’étrange et innommable consultation électorale
du 28 octobre 1977, qui se solda par le rejet d’Ali Soilihi par l’électorat de
Mohéli, le parti Oudjamaa a été décapité par Ali Soilihi, qui déporta toute sa
direction et ses principaux membres dans des citernes et cachots médiévaux de
la Grande-Comore. Sous la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane, Quand
Mohamed Hassanaly se présenta à l’élection du Gouverneur de l’île de Mohéli

1 Cité par Riziki Mohamed (A.) : Comores. Les institutions d’un État mort-né, op. cit., p. 38.

250
en 1978, son parti n’eut même pas le droit de s’exprimer sur l’espace public.
Or, le vice-président Mohamed Hassanaly, désapprouvant totalement l’action
du régime politique d’Ali Soilihi, n’était pas comptable du bilan de ce dernier,
et avait été placé en résidence surveillée jusqu’au 13 mai 1978, au moment du
coup d’État ramenant Ahmed Abdallah Abderemane au pouvoir. Il avait été un
otage d’Ali Soilihi et de sa Révolution.

§2.- DU MULTIPARTISME EN TROMPE-L’ŒIL AU PARTI-ÉTAT LÉVIATHAN


Nous ne le dirons jamais assez : après les souffrances endurées sous la dure
Révolution d’Ali Soilihi, Ahmed Abdallah Abderemane s’était présenté aux
Comoriens en libérateur et, pendant les premiers mois du nouveau pouvoir, le
peuple le voyait comme tel. Mais, comme dit le proverbe mohélien « un début
n’est jamais émaillé de conséquences désastreuses ».
La Constitution comorienne du 1er octobre 1978 est rassurante. Le Préambule
porte toutes les garanties juridiques de l’État de Droit et de la démocratie : « Le
peuple comorien proclame solennellement sa volonté de puiser dans l’Islam,
religion d’État, l’inspiration permanente des principes et des règles qui
régissent l’État et ses institutions.
Il affirme son attachement aux principes définis par la Charte des Nations
Unies et par celle de l’Organisation de l’Unité africaine.
S’inspirant de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme des
Nations Unies, il proclame et garantit :
- l’égalité de tous les citoyens en droits et en devoirs sans distinction de
sexe, d’origine, de race, de religion ou de croyance ;
- la liberté et la sécurité de chaque individu sous la seule condition qu’il
n’accomplisse aucun acte de nature à nuire à autrui ;
- la liberté de circulation et de résidence sous réserve des prescriptions
législatives ;
- les libertés d’expression et de réunion, la liberté d’association et la
liberté syndicale dans le respect des lois de la République ;
- le droit de tout enfant à l’éducation et à l’instruction par ses parents et
les maîtres choisis par eux ;
- le droit de la jeunesse à être protégée par l’État et les collectivités
contre l’abandon moral et contre toute forme d’exploitation ;
- les libertés de pensée, de conscience et de pratique de la religion sous
les seules réserves du respect de la morale et de l’ordre public ;
- l’inviolabilité du domicile dans les conditions prescrites par les lois de
la République ;
- l’inviolabilité de la propriété, sauf nécessité publique constatée confor-
mément à la Loi et sous condition d’une juste et préalable indemnité ;
- la sécurité des capitaux et des investissements affectés à des program-
mes établis ou approuvés par les autorités comoriennes ;
- le droit de grève dans le cadre des lois qui le réglementent ;

251
- l’égalité de tous les citoyens devant la justice et le droit pour tout justi-
ciable à la défense ;
- l’indépendance des juges ».
En ce qui concerne les partis politiques, l’article 4 de la Constitution du 1er
octobre 1978 dispose : « La souveraineté appartient au peuple qui l’exerce,
dans chaque île et dans l’ensemble de la République, par ses représentants
et par la voie du référendum. Aucun groupement ni aucun individu ne peut
s’en attribuer l’exercice. Dans les conditions déterminées par la Loi, le suf-
frage est universel, égal et secret. Il peut être direct ou indirect.
Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la Loi, tous les natio-
naux comoriens des deux sexes, âgés de dix-huit ans au moins et jouissant de
leurs droits civils et politiques.
Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage.
Ils se forment et exercent leur activité librement dans le respect de la souve-
raineté nationale, de la démocratie et de l’intégrité territoriale. La loi fédérale
peut fixer le nombre des partis et groupements politiques ».
La disposition relative à la souveraineté populaire et signalant qu’« aucun
groupement, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice » est une
interdiction pure et simple du parti unique. La Constitution marocaine du 7
décembre 1962 interdit le parti unique dans les termes suivants : « Les partis
politiques contribuent à l’organisation et à la représentation des citoyens. Il
ne peut y avoir de parti unique au Maroc » (article 3).
L’article 4 de la Constitution du 1er octobre 1978 est intéressant à plus
d’un titre, en ceci qu’il pose le principe de la libre formation et activité des
partis, et les conditionne à des principes objectifs, à savoir « le respect de la
souveraineté nationale, de la démocratie et de l’intégrité territoriale ». Par
contre, la limitation du nombre des partis politiques est un pas fait vers une
direction liberticide. À partir du moment où la création et l’activité des partis
politiques sont libres et dans la mesure où ceux-ci respectent la souveraineté
nationale du pays, la démocratie et l’intégrité du territoire comorien, aucune
loi ne saurait limiter le nombre des partis.
Finalement, par un douloureux bégaiement de l’Histoire, c’est le Député
Abderemane Ahmed Abdallah, le fils de l’ancien président qui s’acharna à
faire voter à l’Assemblée de l’Union des Comores une loi qui définit tous les
critères que doivent remplir les partis politiques comoriens pour avoir une
existence légale.
Le 6 février 1982, les Comoriens assistent à la création du « parti cocotte-
minute » Union comorienne pour le Progrès (UPC) ou Oudzima (« Unité »).
Seulement, il existe une différence fondamentale entre l’UPC en tant que
« parti cocotte-minute » et un « parti cocotte-minute » marocain, car l’UPC
est créée pour être un parti unique alors que son grand frère marocain est
conçu pour faire de l’ombre aux grands partis politiques, le premier étant
l’Istiqlal, dont les visées hégémoniques étaient de notoriété publique.

252
Pour preuve, en 1958, Allal El-Fassi (10 janvier 1910-19 mai 1974), le
« Zaïm » (leader) du Parti de l’Istiqlal, pourtant proche du Palais royal, tout
comme l’étaient ses ancêtres, avait fait sur le Roi Mohammed V ce qu’on
doit appeler une déclaration incendiaire : « Je vous donne ma parole que
nous ne lui laisserons que les inaugurations de mosquées et que nous ne lui
abandonnerons même pas les imams et les muezzins, dont nous ferons
d’ailleurs un parti »1.
L’UPC est créée, mais les Comoriens n’entendirent plus parler des partis
politiques classiques. S’agissant des nouvelles formations partisanes, elles
n’avaient aucune existence légale. Le Front démocratique n’existait que par
le courage de ses membres. Le régime politique des mercenaires le traitait de
la même manière qu’une organisation terroriste.
Lors de la création du « parti cocotte-minute » UPC, les Comoriens avaient
assisté à une grande opération d’enrôlement forcé. Partout, circulaient les
agents du pouvoir en place pour obliger les Comoriens à devenir membres
de ce « parti micro-ondes ». Par peur de l’autorité, les Comoriens les moins
armés sur les plans intellectuel, culturel et professionnel, se résignaient avec
un fatalisme bien comorien, se faisaient photographier par des étrangers qui
venaient de la Grande-Comore, et devenaient membres du parti politique du
pouvoir des mercenaires. C’était de l’escroquerie pure. Cette arnaque avait
traumatisé et dégoûté les Mohéliens au plus haut point, et ceux-ci devaient se
taire pour ne pas se faire tuer par les mercenaires. En dictature, cette peur
était largement justifiée.
En résumé, la Constitution comorienne reconnaissait le multipartisme, et le
régime politique d’Ahmed Abdallah Abderemane l’interdisait, en imposant
le monolithisme politique. Très rapidement, l’UPC était passée du stade de
« parti cocotte-minute » à celui de parti-État, avant qu’elle ne se transforme
en parti-Léviathan. Aucun autre parti politique n’avait le droit d’exister et
d’avoir une activité sur le sol comorien. Partout, le Front démocratique était
pourchassé comme une dangereuse organisation terroriste ayant commis le
plus horrible des génocides et d’autres crimes contre l’humanité. Certains de
ses militants ont été assassinés au cours de cette redoutable période, pendant
que d’autres allaient croupir en prison pour de nombreuses années, tout cela,
sans le moindre jugement.
Naturellement, ce monolithisme politique signifiait qu’en dehors d’Ahmed
Abdallah Abderemane, aucun autre Comorien n’avait le droit d’être candidat
à une élection présidentielle. Ahmed Abdallah Abderemane était l’unique
candidat à l’élection présidentielle de 1978 et celle de 1984. Comme cela a
été signalé au cours des développements qui précèdent, en 1984, le Mahorais
Youssouf Saïd avait été candidat à la magistrature suprême des Comores. Il
était le candidat du Front démocratique. Il fallait un courage mêlé à une folie

1 Cité par Dalle (Ignace) : Les trois rois. La monarchie marocaine, de l’indépendance à nos

jours, Fayard, Paris, 2004, p. 147.

253
intelligente pour être candidat contre un Ahmed Abdallah Abderemane qui
se voyait en Dieu sur Terre.
Mais, la candidature de Youssouf Saïd fut rejetée au prétexte fallacieux
que l’intéressé, homme courageux, n’était pas inscrit sur les listes électorales
et n’avait pas de carte d’électeur. Naturellement, il s’agissait d’un prétexte,
surtout à un moment où le Front démocratique, la meilleure des alternatives
politiques de l’époque, avait mené une grande campagne de sensibilisation.
En 1984, Ahmed Abdallah Abderemane n’était plus le libérateur du 13 mai
1978. Aux yeux de ses partisans les plus zélés, il était toujours Dieu, mais
ailleurs, on a « vu Dieu mourir après l’agonie des anges et des démons »1.
Le slogan de campagne électorale pour Ahmed Abdallah Abderemane était
tout trouvé : « Déoiyé Oiyé », « C’est le même ». Aucune voix dissidente
n’était tolérée. Les Comoriens devaient voter comme un seul homme pour
un président qui clamait partout que, étant le meilleur, il ne voyait pas quel
était ce Comorien qui pouvait être son successeur. En 1985, des partisans de
Youssouf Saïd avaient failli perdre la vie pour leur soutien à un candidat qui
avait commis « l’horrible crime » de remettre en cause la déité et la sacralité
d’un dirigeant qui disait être le seul Comorien capable de diriger un pays
qu’il avait conduit à la ruine, en le transformant en une immense prison qui
était placée sous la férule sanglante des mercenaires français, sud-africains et
belges, les véritables maîtres des Comores.
Déjà, le 27 juillet 1983, quelque 40 militants du Front démocratique avaient
été arrêtés lors de la campagne pour l’élection des Conseillers des îles. Ahmed
Abdallah Abderemane avait la désagréable habitude de qualifier les opposants
de « drogués », avec un incroyable mépris.
La situation des droits de l’Homme dans les Comores du parti-Léviathan était
dans un état tellement déplorable que certaines organisations de défense des
droits de l’Homme étaient dans l’obligation d’interpeller le gouvernement de ce
pays. C’est ainsi qu’en 1987, Amnesty International, « notant que les Comores
ont ratifié depuis juillet 1986 la Charte africaine des droits de l’Homme et des
peuples, a demandé instamment au gouvernement de ratifier les autres instru-
ments de défense de droits de l’Homme, en particulier la Convention des
Nations Unies contre la torture, le Pacte international relatif aux droits civils
et politiques, et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux
et culturels »2.
Il ne s’agissait pas d’un simple problème de ratification de traités, mais celui
de leur application. Dans la Constitution du 1er octobre 1978, les Comores ont
proclamé leur attachement à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme,
tout en violant les libertés fondamentales qui y sont inscrites. D’ailleurs, quand
je rédigeais à l’Université Mohammed V de Rabat ma Thèse de Doctorat sur
« La diplomatie en terre d’Islam » (1995-2003), j’étais horrifié quand, sur la

1 Rodinson (Maxime) : L’Islam. Politique et croyance, Fayard, Paris, 1993, p. 271.


2 Amnesty International : Rapport annuel 1987, Paris 1987, p. 34.

254
base de documents officiels de l’ONU1, je devais me rendre compte que l’État
comorien n’avait toujours pas ratifié la Convention de Vienne du 18 avril sur
les relations diplomatiques2. Comment un État peut-il se targuer de faire de la
diplomatie sans ratifier une telle convention ?
Toujours à cette époque, sur la base des documents officiels de l’ONU3, j’ai
constaté que les Comores n’avaient pas ratifié la Convention de Vienne du 24
avril 1963 sur les relations consulaires4. C’est un scandale. C’est honteux.
Les Comores ne sont pas soucieuses de ratifier les conventions onusiennes
garantissant la protection et la promotion des droits de l’Homme. Pourtant, il
est évident que celles qu’elles ont signées ou ratifiées suffisent pour asseoir
une normalité juridique nécessaire à la protection des libertés fondamentales
de la population. Mais, la sociologie juridique du pays nous apprend qu’aux
îles Comores, la réception de la règle de Droit n’est pas assurée, et cela, pour
une raison bien liée à la mentalité du pays : la conviction sur la nature non
obligatoire de la norme juridique, norme qui est réduite à un simple décor.
Ceci est d’autant plus vrai que la Constitution comorienne du 1er octobre
1978 a reconnu le multipartisme, mais Ahmed Abdallah Abderemane fera de
son UPC un parti unique, transformé en parti-État et même en un hideux
parti-Léviathan. Pour Ahmed Abdallah Abderemane, l’UPC était l’alpha et
l’oméga de la vie politique aux Comores. Ce message était relayé auprès de
la population avec un zèle véhiculant une forte dose de fanatisme. Dès lors,
toute personne qui espère mener une activité politique normale et officielle
devait être membre de l’UPC. Mais, avec un rare courage, qu’on ne retrouve
plus au sein de la classe politique nationale comorienne aujourd’hui, le Front
démocratique avait défié le régime politique des mercenaires.
Le monolithisme politique était d’autant plus poussé que toute personnalité
politique susceptible de faire de l’ombre au chef de l’État voyait sa carrière
brisée du jour au lendemain. Mohamed Taki Abdoulkarim, le président de
l’Assemblée fédérale, et Ali Mroudjaé, le Premier ministre, en ont fait la très
triste expérience. C’est ainsi que la fonction de Premier ministre a été tout
simplement supprimée, alors que l’ambitieux Mohamed Taki Abdoulkarim
était poussé vers la sortie, en exil, à Paris.
Au sein de l’UPC, aucune voix dissidente n’était admise. La caporalisation
des partisans, transformés en courtisans, était poussée au maximum. Il fallait
faire allégeance. Cette autocratie finit dans le sang la nuit du 26 novembre
1989, quelques jours seulement après une énième révision constitutionnelle
destinée à faire d’Ahmed Abdallah Abderemane un président à vie en voie
de devenir un président à mort, et qui en est mort.

1 Nations Unies : Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général. État au 31


décembre 2000, Volume I, Partie I, Chapitres I à XI, New York, 2001, pp. 99-100.
2 Riziki Mohamed (A.) : La diplomatie en terre d’Islam, op. cit., p. 308.
3 Nations Unies : Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétariat général. État au 31

décembre 2001, volume I, Partie I, Chapitre I à XI, op. cit., pp. 87-88.
4 Riziki Mohamed (A.) : La diplomatie en terre d’Islam, op. cit., p. 309.

255
§3.- UNE PLÉTHORE DE PARTIS POLITIQUES DANS LE DÉSORDRE POUR
UN « MULTIPARTISME MONOCÉPHALE »
Les acteurs politiques comoriens aiment les titres ronflants et ampoulés. Ils
ont une nette prédilection pour la glorification et l’autocélébration. Ahmed
Abdallah Abderemane sera célébré en « Père de l’indépendance » pour avoir
fait une tonitruante proclamation le 6 juillet 1975 à la Chambre des Députés
des Comores, à Moroni. Or, les vrais militants pour l’indépendance du pays
étaient basés à Dar-Es-Salam, Tanzanie, regroupés autour du MOLINACO,
un mouvement à forte résonance internationale1. Pourtant, au lendemain de
l’accession des Comores à l’indépendance, tous les militants du MOLINACO
ont été jetés aux oubliettes, au point qu’avant sa mort, survenue le mercredi
14 mars 2018, Abdou Bakari Boina2, éminent membre du MOLINACO et un
des héros de l’indépendance des Comores, avait demandé à sa famille de
refuser tout hommage officiel que l’État comorien serait tenté de lui rendre.
Dans le cas du multipartisme, c’est Saïd Mohamed Djohar qui l’a rétabli
dans la réalité. Celui-ci étant inscrit dans la Constitution, le président par pur
accident devenu le président de la fraude électorale organisée par le ministre
Omar Tamou n’avait fait que mettre en application la Constitution. Pouvait-
il faire autrement à un moment où, traumatisé par la violente répression du
régime politique d’Ahmed Abdallah Abderemane et de ses mercenaires, les
Comoriens aspiraient au pluralisme politique ?
Saïd Mohamed Djohar n’avait pas le choix. Le pluralisme politique lui a
été imposé. Les circonstances politiques douloureuses et traumatisantes de la
nuit du 26 novembre 1989 exigeaient l’ouverture du système politique du
pays à toutes les sensibilités idéologiques et à tous les acteurs politiques, loin
des méthodes répressives de son prédécesseur.
Ahmed Abdallah Abderemane a été assassiné dans la nuit du 26 novembre
1989. Les mercenaires avaient installé Saïd Mohamed Djohar à la tête de l’État
comorien. Le 4 mars 1990, a eu lieu le premier tour du scrutin présidentiel. On
avait recensé huit candidats à cette élection : Saïd Mohamed Djohar, Mohamed
Taki Abdoulkarim, Saïd Ali Kemal, Abbas Djoussouf, Moustoifa Saïd Cheikh,
Ali Mroudjaé, Mohamed Hassanaly et Mohamed Mbalia.
Ce fut une grande révolution, dans la mesure où les Comoriens n’avaient plus
à choisir entre un seul candidat et lui-même, mais entre plusieurs personnalités.
C’est la première fois que cela arrive aux Comores, jusqu’alors, le pays de la
candidature unique, celle d’Ahmed Abdallah Abderemane.
Par ailleurs, fait sociopolitique très intéressant, « pour la première fois dans
l’histoire des Comores, un Mohélien, Mohamed Hassanaly, brisa un tabou en
se présentant à un scrutin présidentiel, même s’il était convaincu d’être battu

1 Hasbi (Aziz) : Les mouvements de libération nationale et le Droit international, Éditions


Stouky, Rabat, 1981 (540 p.).
2 Youssouf Alwahti (Ali) : Abdou Bakari Boina. Une figure emblématique du MOLINACO,

Komédit, Paris, 2016 (170 p.).

256
dès le premier tour (25.000 Mohéliens face à une population comorienne de
460.000 habitants). M. Hassanaly avait été élu par plus de 80% de la popula-
tion mohélienne, et n’avait obtenu que 0,80% des suffrages à Anjouan et 0,60%
à la Grande-Comore »1.
Les résultats obtenus sont les suivants :

TABLEAU N°1
Résultats des élections présidentielles des 4 et 11 mars 1990
Premier tour Second tour
Le 4 mars 1990 Le 11 mars 1990
% des % des % des
Nombre Nombre
inscrits inscrits votants
Inscrits 310.925 315.391
Votants 198.370 63,80% 190.074 60,30%
Suffrages exprimés 187.422
Bulletins blancs ou nuls 2.652
Abstentions 112.555 36,20% 125.317 39,70%
% des % des
Candidats voix Voix Voix voix
exprimées exprimées
Saïd Mohamed Djohar 23,07% 103.244 103.244 55,09%
Mohamed Taki Abdoulkarim 24,35% 84.178 84.178 44,91%
Saïd Ali Kemal 13,71%
Abbas Djoussouf 13,57%
Moustoifa Saïd Cheikh 9,12%
Ali Mroudjaé 9,03%
Mohamed Hassanaly 4,56%
Mohamed Ali Mbalia 2,60%

Source : Riziki Mohamed (A.) : La présidence tournante aux Comores, op. cit., p. 203.
Ces candidats sont tous des chefs de partis politiques. Mais, il s’agit de partis
politiques dont personne n’entendait parler sous la Révolution d’Ali Soilihi et
sous la dictature des mercenaires d’Ahmed Abdallah Abderemane. Dès lors, la
renaissance et l’acceptation des formations partisanes sur la scène politique du
pays étaient un événement digne de la remarque, surtout en comparaison avec
la dictature du parti-Léviathan sous Ahmed Abdallah Abderemane.
Comme cela est signalé ci-haut, c’est bien Mohamed Taki Abdoulkarim qui
avait remporté ce scrutin. Mais, la « dextérité » du ministre Omar Tamou avait
permis d’en attribuer la victoire à Saïd Mohamed Djohar dont la trahison l’avait
poussé à déclarer publiquement Place Badjanani, à Moroni, que c’était bien lui
qui avait intronisé Saïd Mohamed Djohar par une immense fraude électorale,
qui n’était pas suivie d’actes de violences. Mohamed Taki Abdoulkarim lui-
même savait qu’il allait remporter le scrutin mais que Saïd Mohamed Djohar
serait déclaré vainqueur.

1 Riziki Mohamed (A.) : Comores. Les institutions d’un État mort-né, op. cit., p. 180.

257
Cette élection est d’une grande importance pour les Comores parce que, non
seulement le pluralisme politique y était revenu, mais en plus et surtout, les
partis politiques n’avaient plus besoin d’opérer dans la clandestinité comme
cela se passait avant, sous l’autocratie d’Ahmed Abdallah Abderemane. Qui
plus est, la mascarade consistant à déclarer vainqueur à 99% l’homme installé
au pouvoir n’avait plus cours, sauf quand Hamada Madi Boléro a tripatouillé le
scrutin présidentiel de 2002 dans des conditions tellement indignes, indécentes
et malsaines que les deux candidats qui devaient affronter Assoumani Azali au
second tour avaient préféré se retirer de la compétition pour ne pas avoir à
cautionner une mascarade électorale organisée par un petit amateur qui ne sait
même pas comment on organise une fraude électorale.
Se sachant confirmé à la tête de l’État comorien dans des conditions pour le
moins scandaleuses, contestables et contestées, Saïd Mohamed Djohar était en
position de faiblesse. De fait, contrairement à un Assoumani Azali, qui n’a pas
de sens et de finesse politiques, Saïd Mohamed Djohar devait lâcher du lest
face à une opposition qui avait retrouvé les accents de la contestation face à un
président très faible et non préparé à la plus haute charge étatique. Nous avons
vu comment, au moment de son intronisation, le 27 novembre 1989, alors que
le corps sans vie d’Ahmed Abdallah Abderemane était encore chaud, la seule
chose qui l’intéressait était un nouveau réfrigérateur.
Cela étant, dans sa déclaration du 27 avril 1990, Saïd Mohamed Djohar avait
parlé de la nécessité pour les Comores d’organiser une table ronde nationale
pour élaborer la nouvelle Constitution, signalant que « le dispositif est donc en
place qui ne permettra plus l’arbitraire et qui contribuera à la réalisation du
compromis indispensable » entre les îles de la République fédérale islamique
des Comores. Les Comores se lancèrent alors dans une série de rencontres dont
le but était la définition d’un nouveau cadre institutionnel.
L’année 1990 n’est pas seulement celle de la confirmation (par la fraude) de
Saïd Mohamed Djohar au pouvoir ; c’est également celle du discours prononcé
par François Mitterrand à La Baule le 20 juin 1990 devant ses homologues des
États d’Afrique, discours au cours duquel le chef de l’État français avait bien
expliqué les vertus de la démocratie.
Au cours de cette rencontre historique, François Mitterrand avait déclaré en
substance devant Saïd Mohamed Djohar et d’autres chefs d’État africains :
« Il nous faut parler de démocratie. C’est un principe universel qui vient
d’apparaître aux peuples de l’Europe centrale comme une évidence absolue
au point qu’en l’espace de quelques semaines, les régimes, considérés comme
les plus forts, ont été bouleversés.
Le peuple était dans les rues, sur les places et le pouvoir ancien sentant sa
fragilité, cessait toute résistance comme s’il était déjà, et depuis longtemps,
vidé de substance et qu’il le savait. Et cette révolution des peuples, la plus
importante que l’on eut connue depuis la Révolution française de 1789, va
continuer. Je le disais récemment, à propos de l’Union Soviétique : cette
révolution est partie de là et elle reviendra là. Celui qui la dirige le sait bien,

258
qui conduit avec courage et intelligence une réforme qui, déjà, voit se
dresser devant elle toutes les formes d’opposition celles qui s’y refusent,
attachées au système ancien et celles qui veulent aller plus vite. Si bien que
l’histoire reste encore en jeu. Il faut bien se dire que ce souffle fera le tour
de la planète. Désormais on le sait bien : que survienne une glaciation ou un
réchauffement sur l’un des deux pôles et voilà que le globe tout entier en
ressent les effets. Cette réflexion ne doit pas rester climatique, elle s’applique
à la société des hommes !... Enfin, on respire, enfin on espère, parce que la
démocratie est un principe universel ».
François Mitterrand avait devancé ses pairs africains, toujours réticents à
la démocratisation de leurs pays : « Nous en avons discuté plusieurs fois et
hier soir encore en particulier. Je sais combien certains défendent scrupu-
leusement leur peuple et cherchent le progrès y compris dans les institutions.
Plusieurs d’entre vous disaient : “Transposer d’un seul coup le parti unique
et décider arbitrairement le multipartisme, certains de nos peuples s’y refuse-
ront ou bien en connaîtront tout aussitôt les effets délétèresˮ.
D’autres disaient : “Nous l’avons déjà fait et nous en connaissons les
inconvénientsˮ. Mais les inconvénients sont quand même moins importants
que les avantages de se sentir dans une société civiquement organisée.
D’autres disaient : “Nous avons commencé, le système n’est pas encore au
point, mais nous allons dans ce sensˮ. Je vous écoutais ».
Le chef de l’État français avait dit : « Nous parlons entre États souverains,
égaux en dignité, même si nous ne le sommes pas toujours en moyens ».
En d’autres termes, « il est évident que l’aide normale de la France sera
plus tiède envers les régimes qui se comporteraient de façon autoritaire sans
accepter d’évolution vers la démocratie, et enthousiaste vers ceux qui fran-
chiront le pas avec courage »1.
Placé au pouvoir le 27 novembre 1989, Saïd Mohamed Djohar prenait part
pour la première fois à une conférence franco-africaine. Notons que du 13 au
14 mai 1990, François Mitterrand avait effectué une visite officielle aux îles
Comores, enfin débarrassées de la présence criminelle des mercenaires de
Robert « Bob » Denard. À Saïd Mohamed Djohar, il avait tenu les propos qu’il
allait répéter à la Baule un mois et une semaine plus tard : « Une démarche
démocratique encouragera vos amis à s’engager plus encore ».
Traduite du lourd langage diplomatique, la remarque de François Mitterrand
signifie que « l’aide actuelle ne sera pas diminuée, mais elle ne sera augmentée
que si l’hypothétique processus de démocratisation se confirme et si l’économie
est “assainieˮ »2.

1 Wauthier (Claude) : Quatre présidents et l’Afrique. De Gaulle, Pompidou, Giscard

d’Estaing, Mitterrand. Quarante ans de politique africaine, Le Seuil, Collection « L’Histoire


immédiate », Paris, 1995, p. 561.
2 Amalric (Jacques) : M. Mitterrand demande au président des Comores d’« assainir »

l’économie, Le Monde, Paris, 15 juin 1990, p. 15.

259
Quelle avait été la réaction des chefs d’État africains face au plaidoyer du
président François Mitterrand en faveur de la démocratie ?
Le discours prononcé à La Baule par François Mitterrand le 20 juin 1990
avait déplu. Il avait tourmenté les chefs d’État africains, qui n’avaient même
pas tardé à le faire savoir. À ce propos, l’africaniste Claude Wauthier note
que, « s’il faut croire Libération, les participants africains sont “médusés”
par ce virage pourtant prévisible, qui suscite plutôt la grogne chez la plupart
des dirigeants présents, en règle générale chefs de parti unique. Hissène
Habré a peu apprécié une “leçon” qui ressemble “à du mépris pour
l’Afrique”, tandis que Moussa Traoré estime que la démocratie est avant
tout “un état d’esprit”. Hassan II s’interroge sur le point de savoir
“comment, après trente ans de parti unique, digérer le pluralisme en deux ou
trois ans”. Le président Eyadema explique qu’il ne peut “imposer le multipar-
tisme à son peuple”, qui réclame le maintien du RPT (le parti unique), et le
président du Rwanda, Juvénal Habyarimana, regrette que François Mitter-
rand “donne des leçons”, ce qui n’est pas à ses yeux une “attitude
démocratique”. Le président du Mozambique, Joaquim Chissano – pour la
première fois présent à un sommet franco-africain –, est un des rares à
défendre la position de son homologue français, en affirmant que la démoc-
ratie est une “nécessité universelle” »1.
Joaquim Chissano partage la position de François Mitterrand sur l’univer-
salité de la démocratie pendant que d’autres chefs d’État ergotaient.
Saïd Mohamed Djohar n’avait donc pas le choix. Il devait promouvoir au
plus vite le multipartisme, qu’il confondait avec la démocratie stricto sensu,
alors qu’il est une des composantes de cette dernière. Même s’il s’était fait
attribuer le titre amphigourique et emphatique de « Père de la démocratie »,
par dérision, il préférait parler de « démo-crachat » au lieu de démocratie :
les Comoriens avaient juste le droit de parler.
Toujours est-il qu’en quelques jours, on vit apparaître une flopée de partis
politiques, dont certains étaient créés au sein de certaines familles et avaient
pour membres l’époux et l’épouse, si encore leur progéniture acceptait d’en
faire partie. Les formations partisanes poussaient comme jardin au printemps
et avaient la redoutable habitude de se démantibuler en quelques jours. De
fait, en quelques heures, les Comores comptèrent jusqu’à 42 partis, et on vit
apparaître même 62 organisations partisanes à un autre moment.
Donc, « Djohar n’a pas eu le temps de bien s’asseoir sur le trône laissé
vacant par Abdallah, que les anciens partis renaissaient de leurs cendres : des
familles et des clubs d’amis créaient des partis, les alliances politiques se
faisaient, se défaisaient, les partis se scindaient, fusionnaient, des politiciens
pressés marchandaient déjà leur électorat auprès du leader de tel parti ou tel
autre, de paisibles chefs de famille se transformaient en chefs de partis. Dans

1Wauthier (C.) : Quatre présidents et l’Afrique. De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing,


Mitterrand. Quarante ans de politique africaine, op. cit., p. 561.

260
ces conditions, quarante-deux partis virent le jour. Longtemps sevrés de
tribune d’expression, les politiciens comoriens ont pris une drôle de revanche
sur l’autocratie antérieure »1.
Même après le régime politique de Saïd Mohamed Djohar, la prolifération, la
saignée et l’hémorragie des partis politiques ont continué. Même en France, des
Comoriens désœuvrés, sans charisme, ni imagination, ouvertement menteurs,
coupés des réalités sociopolitiques comoriennes et dont certains sont parmi les
plus grands émetteurs de chèques sans provisions de toute l’Histoire de leur
pays créent des partis politiques sans la moindre prise sur le terrain comorien.
Je connais certains parmi eux, qui sont des escrocs et des menteurs notoires,
capables de se vanter de toutes sortes de relations politiques et économiques, et
dont la crédibilité est nulle. Après les avoir fréquentés, je me suis rendu compte
qu’au-delà de leurs fanfaronnades, il n’y avait aucune vérité. L’un d’entre eux a
même menti à des candidats à des élections en France sur sa capacité de bien
mobiliser pour eux les électeurs d’origine comorienne de leurs circonscriptions.
Mais, n’ayant aucune crédibilité, ils ne sont écoutés nulle part. Le pullulement
de ces parasites est affligeant et épouvantable.
Saïd Mohamed Djohar est arrivé au pouvoir à un moment de très grands
bouleversements sur la scène mondiale, de la disparition du Mur de Berlin à
la dislocation de l’Union Soviétique. La complaisance qui avait prévalu lors
de la guerre froide n’avait aucune raison d’être. L’Afrique de la guerre froide
n’était pas l’Afrique de l’après guerre froide. Les grandes puissances avaient
d’autres préoccupations en matière de politique étrangère, et la plupart des
États d’Afrique avaient subitement perdu leur rente stratégique.
L’avènement de Saïd Mohamed Djohar avait coïncidé avec l’entrée d’un
certain nombre d’États africains dans un cycle de conférences nationales, la
première étant celle du Bénin, du 19 au 28 février 1990, avant la conférence
de la Baule. Cette dernière incitait les pays africains à imiter le Bénin. Le but
des conférences nationales dans les pays où elles étaient organisées était de
pousser des régimes politiques monolithiques et sclérosés vers le pluralisme
politique. Certains États réussirent à évoluer vers le multipartisme, pendant
que d’autres s’accrochaient obstinément au monolithisme politique.
Le 11 mars 1990 a eu l’élection atrocement fraudée ayant « légitimé » la
présence de Saïd Mohamed Djohar à la tête de l’État comorien. Il avait fallu
de nombreux rendez-vous manqués avant d’arriver au premier anniversaire
de ce naufrage électoral.
Le 11 mars 1991, Saïd Mohamed Djohar recevait les partis politiques pour la
énième fois pour parler de la tenue de la conférence nationale. Autant noter que
ces organisations politiques avaient formulé des conditions avant de participer
aux travaux de la conférence nationale :
- Celle-ci ne doit être ouverte qu’aux partis politiques existant réellement,
- Les associations seront dotées d’un statut d’observateurs,

1 Riziki Mohamed (A.) : Comores. Les institutions d’un État mort-né, op. cit., p. 202.

261
- La conférence doit être souveraine et tenir lieu d’assemblée constituante,
- Les révisions constitutionnelles de 1982, 1985 et 1989 étant jugées par trop
liberticides, la Constitution de 1978 doit prévaloir et servir de référence,
- Le nombre des participants à la conférence nationale souveraine doit être égal
pour tous les partis politiques (le décret n°93/013/PR du 31 janvier 1991
avait fixé ce nombre à 3 délégués par formation politique),
- Le projet de Constitution élaboré par la conférence nationale doit être ratifié
par voie référendaire au plus tard trois mois à compter de la date de clôture
des travaux de cette assemblée.
La conférence nationale a commencé à la mi-mai 1991, mais ses travaux ont
tourné court à cause des divergences entre acteurs politiques comoriens. On
avait vu la délégation mohélienne rentrer sur son île dès qu’elle comprit que ses
doléances n’étaient pas prises en compte. Il avait fallu attendre la réconciliation
nationale opérée en décembre 1991 et la nomination du gouvernement d’union
nationale du 6 janvier 1992 pour créer une dynamique politique propice à une
reprise des travaux de la conférence nationale. Celle-ci s’est finalement tenue
du 24 janvier au 8 avril 1992, dans une ambiance démocratique, sans commune
mesure avec les assises « nationales » de la terreur organisée par Assoumani
Azali en février 2018. En 1992, les Comoriens avaient pu s’asseoir et élaborer
ensemble une nouvelle Constitution, dans des conditions démocratiques tout à
fait remarquables et de dignes d’intérêt.
Le Prophète Mohammed avait dit : « Ma Communauté ne se mettra jamais
d’accord sur une erreur ». Cet accord signifie unanimité et donc démocratie.
C’est le 7 juin 1992 qu’est adoptée la Constitution, jugée plus démocratique
que ses devancières. En effet, « la Constitution de 1992 est plus démocratique
que sa devancière car, non seulement elle reconnaît les droits reconnus en
1978, mais en plus, elle est porteuse de nouvelles libertés. Aux termes de
l’article 4 de la Constitution de 1992, c’est au peuple qu’appartient la
souveraineté. Ce même article 4, à l’instar de son équivalent dans la Consti-
tution de 1978, souligne qu’aucun groupement ou individu ne peut s’attribuer
l’exercice exclusif de la souveraineté populaire, mais à la différence du texte
précédent, ne donne pas pouvoir au législateur pour limiter le nombre des
partis politiques. C’est la raison pour laquelle l’archipel s’est vite retrouvé
avec quelque quarante-deux partis, dont le caractère dérisoire et folklorique de
la majorité ne fait aucun doute »1. Les Comores sont passées d’une extrémité à
une autre, mais un trop-plein de partis politiques vaut mieux qu’un système
politique fondé sur l’absence d’une opposition pouvant s’exprimer à travers des
organisations partisanes.
Le même article 4 de la Constitution du 7 juin 1992 est porteur d’un certain
nombre d’innovations d’un grand intérêt : « […]. Les partis et groupements
politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent
leur activité librement dans le respect de l’unité et de la souveraineté

1 Riziki Mohamed (A.) : Comores. Les institutions d’un État mort-né, op. cit., p. 205.

262
nationale, de l’intégrité territoriale, de la démocratie et de l’équilibre entre
les Iles. Les partis veillent à ce que les hautes fonctions de l’État que sont le
Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée
fédérale et le Président du Sénat soient réparties à raison d’un poste au
moins par île. La loi fixe les procédures applicables en matière de déclaration
et d’enregistrement des partis et groupements politiques, conformément à la
Constitution. Dans les conditions définies par la loi et dans le respect de
l’égalité et de l’équité, les partis et groupements politiques reconnus bénéfi-
cient du soutien multiforme de l’État.
L’accès de tous les courants d’opinions aux moyens de communication de
masse écrits et audio-visuels gérés par l’État ainsi que la liberté de créer
tout autre moyen de communication sont un droit reconnu.
Les programmes de ces moyens de communication tiendront compte de
l’exercice de ce droit.
La loi fixe les conditions de création, d’organisation et de fonctionnement
d’une autorité de régulation des moyens de communication de masse ».
Ces avancées sont significatives, même si l’État n’a jamais aidé les partis
politiques. À la différence d’Ahmed Abdallah Abderemane et d’Assoumani
Azali, Saïd Mohamed Djohar, nonobstant les incessantes manipulations de
sa « gendrocratie », avait accepté la conférence nationale souveraine. Les
diverses sensibilités politiques du pays avaient pu se réunir et avaient rédigé
une vraie Constitution. Sur le chapitre de l’État de Droit et de la démocratie,
les potentats Ali Soilihi, Ahmed Abdallah Abderemane et Assoumani Azali
ont échoué parce qu’ils n’admettaient pas les vertus du dialogue politique.
Ils ne connaissent que la violence. Ils ignorent le Coran et la Sounna. Ils
n’ont sans doute jamais entendu parler des versets coraniques suivants :
« […]. Consulte-les sur toute chose » (III, La Famille d’Imran, 159).
« […]Ceux qui délibèrent entre eux au sujet de leurs affaires […]» (XLI,
La Délibération, 38).
La consultation est valorisée dans le Coran et est un des éléments de base
de la démocratie. On parle de « consultation électorale », le scrutin au sens
juridique et politique actuel du terme. La consultation remplit une « fonction
modératrice du pouvoir ; la consultation politique en Islam apparaît comme
la suprême garantie de la liberté et de la justice, et s’impose comme une des
exigences fondamentales de la démocratie » et, sans elle, « il ne peut y avoir
de légitimité »1.
Les tyrans Ali Soilihi, Ahmed Abdallah Abderemane et Assoumani Azali
ont beaucoup à apprendre du discours d’investiture du 8 juin 632 d’Abdallah
Ibn Abî Quouhfah (573 ?-634) dit Abou Bakr Al Saddiq (« Le Véridique »)
en tant que premier Khalife (632-634) : « O peuple ! Je jure, au nom de Dieu

1 El Attaoui (Abdallah) : Réflexions sur le concept de Choura ou Consultation, Mémoire de

DÉSA en Science politique, Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales, Rabat-
Agdal, janvier 2003, p. 8.

263
que je n’ai jamais convoité le pouvoir, ni de jour ni de nuit, et que je n’ai
jamais eu d’inclinaison pour lui. Ni ouvertement, ni secrètement, je n’ai
jamais prié Dieu de me le conférer. Et certainement, j’ai peur à l’idée de
commettre des erreurs. En réalité, une grande tâche m’a été assignée, qui
dépasse mes pouvoirs, et que je ne peux remplir qu’avec l’aide de Dieu
Tout-Puissant. J’aurais souhaité voir le plus puissant des hommes à ma
place. Maintenant, il ne fait pas de doute que j’ai été choisi comme Khalife,
même si je ne vaux pas mieux que vous. Aidez-moi quand je suis sur le droit
chemin. Mettez-moi sur ce dernier quand je m’égare. La vérité est la base de
la confiance. La fausseté est une trahison »1.
Ce que disait Abou Bakr Al Saddiq le 8 juin 632, Ali Soilihi, Ahmed
Abdallah Abderemane et Assoumani Azali ne l’ont pas compris et ne l’ont
pas dit, du 6 juillet 1975 au 17 août 2018. Ali Soilihi et Ahmed Abdallah
Abderemane sont morts pour avoir ignoré les doléances du peuple en matière
de regroupement et d’expression de ses opinions, que ce soit directement ou
par le biais de ses représentants. Au 17 août 2018, Assoumani Azali règne en
maître absolu, brisant des vies par violence, pervertissant des consciences
par la corruptibilité et l’inélégance des plus malhonnêtes et des plus indignes
des acteurs politiques des Comores. Ces derniers sont légion, et naviguent à
vue dans un océan transformé en désert d’idées et de principes.
Sous la présidence de Saïd Mohamed Djohar, les partis politiques avaient
la redoutable habitude de pousser dans chaque coin de rue, certains n’ayant
qu’une existence nominale. Ces organisations politiques étaient très actives
et ne manquaient pas une occasion pour interpeller et critiquer le pouvoir en
place. Il est vrai que la « gendrocratie » concentrait toutes les prérogatives
entre ses mains. Il est vrai que nombre d’acteurs politiques courbaient leur
échine devant le gendre Mohamed Saïd Abdallah Mchangama par cupidité et
par manque de convictions civiques. Mais, les formations partisanes avaient
le droit de manifester dans la rue et de critiquer même le chef de l’État.
Durant la présidence de Saïd Mohamed Djohar, je n’avais passé que trois
semaines aux Comores (en août et septembre 1992). C’était une période très
agitée, en prélude à la tentative de coup d’État du 26 septembre 1992. Lors
de ce court séjour, je voyais les caciques déjà vieillissants du régime politique
d’Ahmed Abdallah Abderemane, ceux qui avaient soutenu Saïd Mohamed
Djohar à ses débuts, manifester à Moroni. J’étais présent dans la capitale des
Comores le jour de septembre 1992 où ces « dinosaures » avaient rédigé des
faux décrets de nomination des Gouverneurs des îles, semant une immense
confusion dans le pays, qui était relatée par la presse internationale. Ce fut
un immense scandale, mais qui n’avait pas eu les conséquences qu’on aurait
vues si c’étaient Ali Soilihi, Ahmed Abdallah Abderemane ou Assoumani
Azali qui étaient au pouvoir. Je vois encore mon oncle Youssouf Ali, alors

1Iqbal (Afzal) : Diplomacy in early Islam, 4ème édition, Institute of Islamic Culture, Lahore,
1988, pp. 173-174.

264
Commandant de la Gendarmerie fédérale, avaler rageusement des cuillérées
de piment en répétant inlassablement : « Comment des gens qui ont dirigé ce
pays et aspirent à revenir au pouvoir ont pu faire une chose pareille ? ».
Élu président de la République en 1996, Mohamed Taki Abdoulkarim a
hérité de Saïd Mohamed Djohar le surcroît de partis politiques folkloriques à
l’existence douteuse. Le souci du nouveau chef d’État était de mettre un peu
d’ordre dans ce Babel politique. Il demanda la rédaction d’une Constitution
reconnaissant le multipartisme mais devant en limiter les excès, qui font le
bonheur des déroutants acteurs politiques comoriens, très à l’aise dans les
confusions et troubles. Le chef d’État avait demandé à l’Union syndicale, à
Ulanga (« Environnement » : association de protection de l’environnement) et à
la Fédération des Associations féminines de rédiger la nouvelle Constitution.
L’article 5 de la Constitution adoptée par référendum le 20 octobre 1996
dispose : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du
suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement dans le respect de
la souveraineté nationale, de la démocratie et de l’intégrité territoriale.
Toutefois sont de droit dissous les partis ou groupements politiques qui
n’ont pas obtenu à l’Assemblée fédérale, à la première élection législative
qui suit l’adoption de la présente Constitution, une représentation d’au
moins deux députés par île, à moins que ces partis ou groupements politiques
ne fusionnent avec d’autres valablement représentés au sein de ladite Assem-
blée. Dans le cas où un parti ou groupement politique est seul valablement
représenté à l’Assemblée fédérale, le parti ou groupement politique qui, par
le nombre des suffrages obtenus, est placé en seconde position, continue à
exercer librement son activité.
Dans tous les cas, seuls les partis et groupements politiques exerçant leur
activité sur l’ensemble de la République peuvent participer à des élections
nationales dans les conditions définies par la loi. Leurs structures internes et
leur fonctionnement doivent être démocratiques ».
L’article 5 de la Constitution du 20 octobre porte des germes liberticides
en ceci qu’il ne tolère pas les petits partis. Il est vrai que la plupart des partis
politiques comoriens relèvent du pur folklore et ne représentent rien sur le
plan politique et électoral ; cependant, frapper d’inconstitutionnalité nombre
d’organisations politiques au prétexte qu’elles ne sont pas représentées par
des élus à l’Assemblée fédérale n’est pas démocratique. Aux Comores, des
partis politiques existent et participent à la vie citoyenne sans le moindre
électeur, ni élu. Le Rassemblement pour une Initiative de Développement
avec une Jeunesse avertie (RIDJA) est très bruyant et brouillon, mais n’a ni
électeurs, ni élus. Son chef, Saïd Larifou, spécialiste des retournements de
vestes pour des raisons alimentaires, n’a jamais été élu. Il est incapable de
présenter des candidats à Mohéli et à Anjouan lors des élections. En son
temps, le FPC avait une écrasante majorité à Mohéli, pouvait faire élire 4
Députés sur 5 circonscriptions sur l’île, mais ne disposait pas d’assises sur

265
les autres îles. Aurait-il été judicieux de le frapper d’inconstitutionnalité,
alors qu’aucun autre parti politique ne pouvait avoir 2 Députés à Mohéli ?
L’Union nationale pour la Démocratie des Comores (UNDC), la formation
partisane de Mohamed Taki Abdoulkarim, dominait la vie politique du pays,
mais sans excès. Il y a eu quelques ralliements au parti politique du chef de
l’État, mais cette transhumance relevait de l’opportunisme cher à la plupart
des personnalités politiques comoriennes. Qui plus est, malgré la restriction
posée par la Constitution, aucun parti politique n’avait été sommé de faire
ses adieux à l’espace public. La mise en œuvre de la nouvelle Constitution
n’avait rien changé sur l’existence et les activités de ces carcans et carcasses
qui se prennent pour des partis politiques.
La Constitution du 23 décembre 2001, adoptée donc sous la junte militaire
d’Assoumani Azali, n’apporte aucune novation. Son article 3 dispose : « La
souveraineté appartient au peuple qui l’exerce, dans chaque île et dans
l’ensemble de l’Union, par ses représentants élus ou par la voie du référen-
dum. Aucun groupement ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».
On y trouve ainsi une interdiction du parti unique. En 2001, la CRC, parti
politique d’Assoumani Azali, n’existait pas encore. Mais, la coterie formée
autour du putschiste était pire qu’un parti-Léviathan. Cette camarilla, formée
de militaires et de civils, était en pays conquis, terrorisant tout un peuple et
pillant sans pitié tout un pays. Elle n’avait de comptes à rendre à personne.
Elle avait désorganisé l’administration avec une furie destructrice. Elle avait
institutionnalisé l’impunité et le laxisme.
S’agissant de l’article 6 de la Constitution du 23 décembre 2001, il assurait
un « service minimum », reprenant les dispositions de certaines Constitutions
comorienne précédentes : « Les partis et groupements politiques concourent
à l’expression du suffrage, ainsi qu’à la formation civique et politique du
peuple. Ils se forment et exercent librement leur activité, conformément à la
loi de l’Union. Ils doivent respecter l’unité nationale, la souveraineté et
l’intangibilité des frontières des Comores, telles qu’internationalement recon-
nues, ainsi que les principes de la démocratie ».
La révision de la Constitution le 17 mai 2009 par Ahmed Sambi n’a pas
modifié l’article 6 de la Constitution de 2001. Ahmed Sambi n’avait même
pas un parti politique, mais était soutenu par des formations partisanes qui
formaient la « Mouvance présidentielle ». À la fin de la présidence d’Ahmed
Sambi le 26 mai 2011, le Groupement des Personnalités sambistes (GPS)
devait être créé, mais c’est Juwa (« Soleil » en comorien) qui a vu le jour.
Le 26 décembre 2010, Ikililou Dhoinine a été élu sous le signe du Baobab.
Le 26 mars 2013, est intervenue sa rupture officielle avec Ahmed Sambi, le
fondateur de son Juwa. Le 16 mars 2013, est fondé le Rassemblement pour
le Développement des Comores (RADECO) par le régime politique d’Ikililou
Dhoinine. Très caustique et sarcastique comme d’habitude, le vice-président
Fouad Mohadji, proche d’Ahmed Sambi, avait traduit le sigle RADECO en
« Rats des Comores », et cette appellation perfide et assassine était devenue

266
un grand sujet de dérision. Très vite, il avait fallu transformer le RADECO en
UPDC. L’opportunisme d’une partie de la classe politique avait permis de
faire de l’UPDC un vrai « parti cocotte-minute ».
Pour autant, ce « parti cocotte-minute » n’a jamais été hégémonique. Il se
contentait d’être un « parti du gouvernement ».
Les Comores n’allaient renouer avec le « multipartisme monocéphale », le
parti-État et le parti-Léviathan qu’au lendemain du 26 mai 2016, suite au
retour anticonstitutionnel d’Assoumani Azali au pouvoir. La CRC, sortant
d’une terrible et horrible « nuit tropicale des longs couteaux » ayant conduit
à l’éjection, par décision d’une juge incompétente et corrompue, de Houmed
Msaïdié Mdahoma du secrétariat général au profit du clan d’Assoumani
Azali, avait repris tous les postes qui n’étaient pas occupés par des natifs de
Mitsoudjé, le village natal d’Assoumani Azali.
Le multipartisme existe, mais est nominal, et cela pour deux raisons qui se
complètent. D’une part, la dictature instaurée par la République villageoise
de Mitsoudjé ne permet aucune activité de l’opposition, même quand elle
doit avoir lieu dans un domicile privé. L’opposition est interdite dans les
faits. D’autre part, certains partis politiques opportunistes sans électeurs, ni
élus, n’ont pas tardé à se ranger derrière Assoumani Azali, contre qui ils ont
lutté lors de l’élection présidentielle de 2016. Fait juridique très surprenant,
sous la présidence d’Ikililou Dhoinine, sur la base d’une proposition de loi
du Député Abderemane Ahmed Abdallah, fils de l’ancien président, chaque
parti politique doit avoir des élus à l’Assemblée de l’Union des Comores et
dans les Conseils des Îles pour prétendre à une existence légale.
Sous Ikililou Dhoinine, cette loi n’a jamais été appliquée, compte tenu de
la forte contestation qu’elle soulève. Assoumani Azali l’a dépoussiérée en
2017 après son exhumation. Il ne l’a mise en œuvre dans l’unique but de
démanteler les partis politiques.
Or, Assoumani Azali prétend bénéficier de leur soutien alors qu’il est celui
de partis sans le moindre élu. Leurs leaders ont fait des scores insignifiants
lors de l’élection présidentielle de 2016. Il s’agit d’un simple remplissage,
sans réalité politique. Cette grossière manipulation politicienne renforce la
tendance liberticide chère à Assoumani Azali, le plus violent des dirigeants
comoriens, le chantre du nettoyage par le vide.
Même Ahmed Abdallah Abderemane, connu pour son autocratie féodale,
pouvait se montrer plus conciliant avec certains de ses opposants, par un
subtil système de cooptation. Sous Ahmed Abdallah Abderemane, certains
opposants avaient été nommés à des postes de responsabilité, même s’ils ont
subi par la suite des affectations abusives.
Sous Assoumani Azali, cette ouverture politique est impossible. Au sein
même de la CRC, les luttes intestines font rage. Le Député Ali Mhadji a fini
par quitter ce parti politique fanatisé et entraîné dans une intolérance que les
Comoriens rejettent et honnissent.

267
Des caciques ultras et fanatiques de la CRC ne veulent même pas entendre
parler d’alliances avec certaines personnalités et formations politiques. Il y a
trop de solliciteurs pour peu de places. La bataille est féroce. Déployant tous
les efforts possibles et imaginables pour faire semblant d’oublier et de faire
oublier ses querelles de 2013 et 2014 avec Assoumani Azali pour le contrôle
de la CRC, Houmed Msaïdié Mdahoma fait partie des solliciteurs de postes
ministériels. Les zélateurs de la CRC n’en veulent pas. Ils l’empêchaient de
rencontrer Assoumani Azali à la Présidence de la République. En mars 2018,
il a fallu que l’intéressé se rende à Paris, où il espérait pouvoir rencontrer
celui contre qui il se battait et s’insultait dans la rue, après avoir compris que
l’ostracisme qui le frappait était bien préparé à Beït-Salam par les membres
du sérail.

268
CHAPITRE IV
PRATIQUES SOCIOPOLITIQUES DÉPRÉCIANT
LES INSTITUTIONS ET L’AUTORITÉ DE L’ÉTAT

Il était une fois une valeur : le respect des institutions et de l’autorité de


l’État aux Comores. Cette vertu cardinale n’a plus cours aux Comores. Plus
les années passent, plus la situation se dégrade. Nous allons étudier cette
réalité sociopolitique à travers quatre aspects : l’affaiblissement des diverses
institutions de l’État par le comportement des dirigeants (S.I.), la mauvaise
conception des institutions face à la mauvaise foi des dirigeants (S.II.), les
réalités d’une institutionnalisation de la corruption (S.III.) et la prévalence de
la sorcellerie comme pratique sociopolitique (S.IV.).

S.I.- DES INSTITUTIONS ÉTATIQUES AFFAIBLIES ET DISCRÉDITÉES PAR


LE COMPORTEMENT DES DIRIGEANTS
Ici, deux idées principales nous aideront à avancer dans l’analyse. D’une
part, l’incompétence et l’impréparation des dirigeants (§1) et l’adoption au
quotidien d’un comportement indigne et irresponsable (§2).

§1.- L’INCOMPÉTENCE ET L’IMPRÉPARATION DES DIRIGEANTS


Dans leur écrasante majorité, les dirigeants comoriens sont incompétents.
Le fait a été amplifié au lendemain du départ des fonctionnaires français des
Comores, suite à la déclaration unilatérale d’indépendance. De fait, cette
réalité pourrait être étudiée à travers le constat fait sur l’incompétence des
dirigeants dès la décolonisation (A) et sur la perpétuation du phénomène par
une extrême politisation par l’exclusion et l’ostracisme, par la suite (B).

A.- L’INCOMPÉTENCE, LE PÉCHÉ ORIGINEL D’UN PAYS SANS CADRES ET


QUI NE SE CONNAÎT PAS LUI-MÊME
Les autorités comoriennes n’ont certainement jamais entendu parler du
principe de Peter, et si elles en ont entendu parler, leur comportement devant

269
les responsabilités étatiques indique exactement le contraire. Il est important
d’en parler parce que le principe de Peter ou « syndrome de la promotion
Focus » concerne les organisations hiérarchiques et se résume par l’idée
selon laquelle « dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à
son niveau d’incompétence », par conséquent, « avec le temps, tout poste sera
occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité ».
Quand, en 1969, paraît l’ouvrage Le principe de Peter1, avant sa traduction
en France, en 1970, c’était la stupéfaction, de nombreuses personnes ayant
trouvé humiliante l’affirmation selon laquelle tout poste a vocation à être
occupé par une personne incompétente. Ce livrait bousculait beaucoup de
certitudes socioprofessionnelles.
Pour mieux comprendre la réalité du principe de Peter dans un pays comme
les Comores, il serait nécessaire de nous situer dans le contexte particulier de
la décolonisation, notamment au regard de la résolution 1514 (XV).
L’article 3 de la résolution 1514 (XV) adoptée par l’Assemblée générale de
l’ONU le 14 décembre 1960 dispose : « Le manque de préparation dans les
domaines politique, économique ou social ou dans celui de l’enseignement
ne doit jamais être pris comme prétexte pour retarder l’indépendance ».
Il fallait décoloniser tous les pays, quel que soit leur niveau économique et
social. Dans la ferveur révolutionnaire et tiers-mondiste sentimentale de
cette époque, la résolution 1514 (XV) était le texte de référence. Personne
n’osait poser en public la question de savoir s’il fallait préparer
l’indépendance. Personne n’osait poser publiquement la question de savoir
s’il n’était pas réaliste de préparer l’indépendance en formant les cadres
devant assurer la relève après le départ des fonctionnaires coloniaux. Il
fallait que toutes les colonies deviennent des États souverains. C’est tout. Au
cours de ces années 1960-1970, qui allait poser des questions qui l’auraient
fait passer pour un infâme « valet du colonialisme, néocolonialisme et
impérialisme », la pire des injures de l’époque ? « Mkolo Nalawé ! », « Que le
colonisateur sorte ! », scandaient les indépendantistes comoriens dans les
années 1960-1970.
En 1960, l’Afrique est prise dans le tourbillon de la décolonisation balayant
ce continent depuis la fin de la décennie 1950. « Indépendance » était le mot
à la mode. Pour être dans l’air du temps, il fallait parler aussi de « lutte contre
le colonialisme, le néocolonialisme et l’impérialisme », la logomachie de ce
moment de l’Histoire. Gagnée aux idées révolutionnaires et tiers-mondistes,
la jeunesse comorienne nageait très bien dans cette phraséologie. Dans les
années 1960-1970, la jeunesse des Comores était l’une des plus politisées au
monde. Comment, pouvait-il en être autrement quand l’Afrique entière était
dans les revendications en faveur de l’indépendance ?

1 Peter (Laurence J.) et Hull (Raymond) : Le Principe de Peter, Stock, Paris, 1970,
nouvelle édition 2011, Le Livre de Poche (224 p.).

270
Pourtant, on note deux exceptions notables : l’Ivoirien Félix Houphouët-
Boigny et le Gabonais Léon M’Ba ne voulaient pas que leurs pays respectifs
se libèrent : « Houphouët ne voulait pas de cette indépendance. Il reprocha
amèrement à de Gaulle de l’avoir imposée, d’avoir abandonné le projet de
Communauté francophone sous hégémonie française officielle. Mais, avait
compris le Général, un tel Empire new look serait intenable, du moins en
gestion directe. Houphouët ne s’y est jamais fait : “J’ai attendu en vain sur le
parvis de l’église, avec mon bouquet de fleurs fanées à la main”. Faute de
mariage, va pour le concubinage ! Les accords de coopération signés dès
1961 reprenaient de fait l’essentiel des dispositions financières et militaires
prévues par la Communauté »1.
Dans le cas du Gabon, la situation était encore plus emberlificotée car le
très francophile nostalgique Léon M’Ba avait demandé avec insistance à la
France la départementalisation pure et simple de son pays. Or, la France
avait opposé à sa demande une fin de non-recevoir : « Quand il apprend la
nouvelle, Léon M’Ba entre dans une grande colère. Il voit dans ce refus un
rejet du Gabon par la France. […]. Le Gabon ne sera jamais plus un dépar-
tement comme la Corrèze ou la Sarthe »2.
Le refus de Charles de Gaulle au sujet de la départementalisation du Gabon
aussi définitif soit-il « n’entame pourtant pas en profondeur la francophilie
de Léon M’Ba, qui sait par cœur tous les départements français et souhaite
garder aux Gabonais leurs “ancêtres gaulois”.
Il conservera toujours, derrière son bureau, le drapeau français remis par
le Général de Gaulle à tous les pays membres de la Communauté. Obéissant
à la même logique, le “Vieux” souhaitera donner au Gabon un drapeau
bleu-blanc-rouge – avec un okoumé pour le différencier tant soit peu de
l’emblème métropolitain. Léon M’Ba, malgré le rejet de Paris, veut donc
demeurer le chef d’un Gabon français et attend en échange de la France
qu’elle l’aide à disposer du pouvoir absolu. […]. Le jour de la proclamation
de l’indépendance, le 17 août 1960, la France, représentée par André
Malraux, signe avec le Gabon des accords de coopération qui laissent à
Paris des droits presque aussi importants que si ce pays était resté un simple
territoire d’Outre-mer.
On peut parler, en ce qui le concerne, de souveraineté limitée »3.
La notion de « souveraineté limitée » est très dangereuse.
L’Afrique était plongée dans l’euphorie des indépendances, pour la plupart
octroyées. L’agronome français René Dumont (1904-2001) avait décidé de
jouer le rôle de Cassandre, en mettant en garde l’Afrique contre la fausseté
des indépendances et le mauvais départ pris. La publication en 1962 de son

1 Verschave (F.-X.) : La Françafrique. Le plus long scandale de la République, op. cit., p.

130.
2 Péan (P.) : Affaires africaines, op. cit., pp. 41-42.
3 Péan (P.) : Affaires africaines, op. cit., p. 42.

271
emblématique L’Afrique noire est mal partie1 avait fait de lui la mauvaise
conscience de la plupart des dirigeants d’Afrique francophone.
Pour sa part, Julius K. Nyerere, premier président de Tanzanie, avait daubé
sur l’« indépendance de drapeau »2 (« Ouhourou wa bandria » en swahili) :
certains États se contentent du drapeau et ont une indépendance nominale.
Pour le leader tiers-mondiste marocain Mehdi Ben Barka, « il est bien
évident que la proclamation de l’indépendance, qui est un fait uniquement
politique, sinon juridique, ne peut changer les structures fondamentales du
pays anciennement colonisé.
L’indépendance est la condition, la promesse d’une libération, elle n’est
pas la libération elle-même »3.
Dans le cas particulier des Comores, le Prince Saïd Ibrahim avait été le
plus réaliste des acteurs politiques comoriens. Son raisonnement était simple
et pragmatique : les Comores avaient vocation à devenir un État souverain,
mais une souveraineté se prépare. La préparation nécessite notamment une
bonne formation des cadres devant assurer le fonctionnement d’un pays qui
dépend entièrement de la France. Où étaient les ressources humaines devant
assurer au futur État comorien sa viabilité et sa crédibilité ? Elles n’étaient
visibles nulle part.
Accusé par ses adversaires d’être un « valet du colonialisme français », il
expliquait que son père, le Sultan Saïd Ali, dernier souverain ayant régné sur
la Grande-Comore, avait été déporté par la France, et que personne aux îles
Comores n’avait plus que lui des raisons de se montrer méfiant envers Paris.
Alain Deschamps parle de « notre protégé, le sultan Saïd Ali, se voyant
reconnaître avec le titre envié de Ntibé (grand sultan) la suzeraineté de toute
l’île avant d’être proprement (ou plutôt fort malproprement) expédié en exil
par ses protecteurs »4.
Dans une excessive politisation de la politique politicienne et dans la volonté
de rejeter tout pragmatisme et dépersonnalisation du débat politique, nombre
d’acteurs politiques comoriens avaient décidé de tenir le Prince Saïd Ibrahim en
suspicion. C’est ainsi que les Comores proclamèrent l’indépendance le 6 juillet
1975. Dès ce jour, les îles Comores se trouvèrent livrées à elles-mêmes, sautant
dans le vide sans parachute. Qui plus est, en raison de la très épineuse affaire de
Mayotte, les possibilités de coopération entre les Comores et la France étaient
absolument nulles. La rupture entre les deux pays avait été brutale et irréfléchie,
alors que les Comores avaient besoin de la France.

1 Dumont (René) : L’Afrique Noire est mal partie, Le Seuil, Paris, 1962 (254 p.).
2 Leymarie (Ph.) : Du « pacte colonial » au choc des ingérences, op. cit., p. 14.
3 Ben Barka (Mehdi) : Les exigences des mouvements de libération africains. Rapport de

l’UNFP à la Deuxième Conférence des Peuples africains, Tunis, janvier 1960, cité par
Abdel-Malek (Anouar) : La Pensée politique arabe contemporaine, 2ème édition revue et
augmentée, Éditions du Seuil, Paris, 1975, p. 126.
4 Deschamps (A.) : Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœla-

canthe, op. cit., p. 18.

272
La France est partie. Que fait alors Ali Soilihi ? Avec une imprudence et une
démagogie d’une rare violence, il décrète que même les fonctionnaires locaux
ayant servi lors de l’autonomie interne étaient des traîtres qu’il fallait au plus
vite « renvoyer auprès de leurs mamans ».
Ali Soilihi avait une méthode de travail qui permettait d’éviter les surprises. Il
avait l’habitude d’annoncer à la radio toutes ses actions à venir. On y trouvait
de la pédagogie, de la démagogie, de l’audace et de la naïveté, la naïveté d’un
dirigeant violent qui croyait pouvoir décréter et réaliser le développement et le
socialisme par le haut, sans la base.
C’est ainsi que dès le début de sa Révolution, Ali Soilihi avait déclaré que
« la charte sera socialiste et devra prévoir le bouleversement des structures
actuelles »1. En fait de « bouleversement », les Comores ont vécu un véritable
cataclysme institutionnel, administratif, social et sociétal. Cette déclaration sera
suivie par la Réforme fondamentale de 1976, qui avait affirmé abruptement et
doctement que « les vestiges laissés par l’ancienne puissance administrante
aux Comores sont loin de constituer un système cohérent capable d’animer une
transformation sociale et économique du pays ».
Le discours de la Révolution se résumait par une stigmatisation en règle de
l’administration héritée de la France. Il fallait tout faire pour accréditer l’idée
selon laquelle tous les malheurs des Comores venaient de la France et même de
l’administration qu’elle a laissée derrière elle au moment de l’accession du pays
à l’indépendance. Même en situant les événements dans le contexte révolution-
naire de l’époque, force est de constater qu’il y a eu beaucoup d’exagération de
la part d’Ali Soilihi, qui allait remplacer les fonctionnaires de la période de
l’autonomie interne par des collégiens et des lycéens de 17 à 19 ans. Ces jeunes
lycéens n’avaient ni formation, ni expérience en matière administrative. Ils
étaient juste bons à scander des slogans révolutionnaires creux et à persécuter et
réprimer la population.
Dans un discours très virulent et très emblématique, celui du 12 avril 1977,
Ali Soilihi déclara la guerre à l’« administration féodo-coloniale » : « Nous allons
mettre par terre l’administration. Nous allons faire table rase absolue et brûler
les dossiers. Déjà les fonctionnaires, au nombre de 3500 et qui engloutissent
entièrement le budget de fonctionnement (et même à 150%...), ont été prévenus
de leur licenciement sans solde à une date prochaine ».
Fait absolument ahurissant et stupéfiant, une ordonnance fut signée ce même
12 avril 1977 et « renvoya auprès de leur mère », « pour téter », selon les mots
d’Ali Soilihi contre « les fonctionnaires parasites incapables de se rendre
compte des vrais problèmes des paysans ». Ce jour-là, la curiosité du jeune
garçon m’avait conduit à Fomboni, où je devais assister aux plus surprenants
des discours. J’ai encore en mémoire le jeune révolutionnaire Hamada Malida
Msoma monté sur une tribune dressée devant la Place de l’Indépendance pour

1In Favoreu (Louis) et Maestre (Jean-Claude) : L’accession des Comores à l’indépendance,


APOI 1975, volume II, (publié en 1977), p. 28.

273
expliquer le plus sérieusement du monde à une foule médusée que même Ali
Soilihi était retourné chez sa propre mère, dans son village de Chouoini en
Grande-Comore pour téter ! Seulement, personne n’expliquait aux Comoriens
comment devait fonctionner une administration sans administrateurs, même les
jeunes collégiens et lycéens inexpérimentés. Toujours sur le registre du lyrisme
tropical et du folklore des tropiques, ce 12 avril 1977, le gouvernement avait
symboliquement démissionné pour amuser la galerie, s’octroyant 3 semaines de
congé. La folie destructrice avait atteint son paroxysme.
Dans un contexte de profond désordre administratif généralisé, Ali Soilihi
avait décidé de supprimer les retraites et les pensions des fonctionnaires et
agents de l’État. Ali Soilihi a obtenu le transfert des fonds déposés à la Caisse de
retraite en France, pour les placer à la Trésorerie de Moroni. Quand on connaît
l’état de décadence de l’administration comorienne après le départ de la France,
on ne peut qu’être dubitatif face à une telle folie supplémentaire.
Ali Soilihi, au lieu de créer une vraie administration, continuait à faire
pleuvoir sur celle héritée de la France des critiques hystériques.
L’administration créée lors de l’autonomie interne était accusée d’ignorer les
réalités concrètes du monde rural, d’être la « copie des structures
métropolitaines, une réalité lointaine, étrangère et incompréhensible »1.
Dans cet élan démagogique, l’administration coloniale est considérée comme
ne permettant pas un « encadrement extrêmement précis des paysans »2 et ne
contribuant nullement à « compléter les programmes agricoles en permettant
d’assurer la collecte et le stockage des produits du sol et d’entreposer, pour
distribuer l’outillage et les semences destinés à ces programmes »3.
Dans le déluge de stigmatisations qu’elle subit, l’administration coloniale
aux îles Comores est surtout accusée de médiocrité4.
Il était très facile pour Ali Soilihi et ses hommes de fustiger l’administration
coloniale, alors que la Révolution n’a pas été capable de faire mieux. Ali Soilihi
et ses lycéens produisaient de démagogiques discours d’autoglorification, mais
furent incapables de passer du verbe à l’action. Il est vrai que certains bâtiments
administratifs étaient implantés même en milieu rural, mais après le renvoi des
vrais fonctionnaires, qui allait pouvoir faire fonctionner une administration qui
était complètement démantibulée ?
Dans un discours prononcé en 1977, Ali Soilihi avait bruyamment déclaré
qu’« en nous appuyant sur les femmes et les jeunes, qui avaient seuls le souffle
nécessaire pour prendre d’assaut la société féodale en raison de la sujétion
totale où ils étaient tenus, nous avons liquidé le pouvoir traditionnel, incarné

1 Saïd Soilihi (Y.) : Comores. Les défis du développement indépendant 1975-1978, op. cit., p.
111.
2 République des Comores : Présentation du Plan intérimaire 1978-1983, APOI 1978, Tome

V (publié en 1980), p. 592.


3 Cf. Marchés tropicaux et méditerranéens, Paris, 30 janvier 1976.
4 Saïd Soilihi (Y.) : Comores. Les défis du développement indépendant 1975-1978, op. cit., p.

111.

274
par les hommes à turban, les hommes à “Grand mariageˮ, les charlatans de
toutes sortes qui encombraient les mosquées et les villages, les bureaucrates
qui vivaient grassement dans la capitale aux crochets des Français et du
peuple ». Une fois de plus, pendant que le Comité populaire semait le désordre
dans les villes et villages, et pendant que le Commando Moissi torturait et tuait
les Comoriens, Ali Soilihi était resté dans son discours de stigmatisation de
l’administration héritée de la colonisation, et de glorification d’une jeunesse
incompétente et n’hésitant pas se croire au-dessus des lois.
Quelle est la place de la jeunesse dans la Loi fondamentale ? En son article 6,
la Loi fondamentale du 13 avril 1977 définit le rôle de la jeunesse de la manière
la plus amphigourique et populiste qui soit : « La jeunesse, et particulièrement
la jeunesse estudiantine, est le fer de lance de l’animation populaire. Vivant en
symbiose avec les travailleurs manuels, elle s’imprègne en permanence de la
pratique sociale. Elle initie les travailleurs à l’appréhension scientifique des
questions techniques et développe la critique des méthodes traditionnelles ».
Bien évidemment, les jeunes du Comité populaire se situaient aux antipodes
de telles préoccupations. Ils se contentaient de régner dans la délation et dans la
persécution de la population, tout en étalant au grand jour leur incompétence et
leur incurie. L’administration avait été entièrement paralysée. Le Mohélien
Andjilane Mansoib faisait partie des jeunes joueurs de dominos à Djoiezi qui
avaient été jetés en prison peu de temps après l’étrange élection du 28 octobre
1977. Or, il était le principal responsable de la tour de contrôle de « l’aéroport »
(un bien grand mot !) de Mohéli. Son incarcération pour du domino avait été
suivie d’un nombre incommensurable de problèmes techniques à « l’aéroport »
en question. Il avait fallu le libérer à titre exceptionnel.
Le Docteur Youssouf Saïd Soilihi parle de « l’instauration d’un État-service,
qui doit servir le citoyen, l’aider à s’épanouir par le travail collectif qui doit
faire de chaque Comorien un élément nécessaire du développement, par sa
participation [...]. Les nouvelles structures visent à [...] redécouvrir les notions
de responsabilité individuelle et collective, et la notion d’intérêt général »1.
Youssouf Saïd Soilihi suit Mehdi Ben Barka : « Une bonne partie des
cadres intellectuels et administratifs, hérités de la période coloniale et qui
n’ont guère participé au mouvement de libération gardent l’habitude de la
servilité, un manque d’imagination, d’enthousiasme et d’honnêteté qui les
rend inaptes à servir avec efficacité les aspirations populaires, et se trouvent
vite asservis par les détenteurs du pouvoir. Le danger qui guette les pays
nouvellement indépendants est que la conjonction de ces forces du mal risque
de perpétuer une dépendance économique, le sous-développement, rendant
sans objet l’indépendance politique.
L’alliance d’une féodalité puissante et réactionnaire, d’une bourgeoisie
servile et sans courage et d’un mandarinat administratif inefficace et pourri,

1 Saïd-Soilihi (Y.) : Comores. Les défis du développement indépendant 1975-1978, op. cit., pp.

111-112.

275
risque de constituer une régression par rapport même à certaines formes de
l’impérialisme »1.
Le discours des révolutionnaires comoriens peut paraître séduisant, mais la
réalité sur le terrain en était autrement. Un effort fut déployé par Ali Soilihi
pour rapprocher l’administration des administrés, par l’audacieuse politique
de décentralisation. Cependant, les bâtiments devant servir à cette nouvelle
administration « plus citoyenne », selon les laudateurs, n’avaient même pas eu
le temps d’être inaugurés que les Comoriens avaient assisté au renversement
d’Ali Soilihi.
Dès lors, il ne serait pas excessif de remarquer que l’État comorien est né
hypocritement sous les signes des pleurnicheries larmoyantes, du mensonge
et de l’incompétence généralisée, dans une débauche de mauvaise foi et de
manque de modestie pour reconnaître ses propres limites. Les lycéens d’Ali
Soilihi, sans formation, ni expérience en gestion publique, avaient conduit
les Comores dans un désastre visible à l’œil nu. Point n’était besoin d’être un
expert pour constater que l’incompétence des lycéens était source de moult
désastres. Les lycéens ne comprenaient rien sur la manière d’administrer un
pays qui venait d’accéder à la souveraineté, surtout dans un contexte de
sous-développement social et économique avancé et de rupture irréfléchie
avec l’ancienne puissance coloniale.
Les jeunes révolutionnaires de lycée étaient d’une incompétence notoire et
criminelle. Dès lors, nul ne fut surpris d’apprendre que, « livrés à eux-mêmes
après le départ des enseignants français, les jeunes lycéens notamment ont été
– au début de l’expérience surtout – heureux de secouer le carcan des notables
traditionnels et se sont souvent mobilisés au service d’Ali Soilihi »2.
Or, les jeunes révolutionnaires, plongés dans l’incurie et l’incompétence
criminelle, ne valaient pas mieux que les fonctionnaires de l’administration
coloniale, qu’ils se plaisaient à livrer en pâture à un peuple à la recherche des
boucs émissaires au sujet des maux qui rongeaient l’administration héritée
de la France, l’épouvantail qu’il fallait constamment agiter.
Pour autant, malgré le désastre dans lequel étaient plongées les Comores,
l’autosatisfaction et l’autoglorification étaient au cœur du discours officiel de
la Révolution, même après l’échec patent de celle-ci.
Les chantres de la Révolution et de sa vulgate démagogique s’enfermaient
dans leur discours aux relents populistes, et parlaient de « [...] la substitution
d’un personnel inactif, inopérationnel et incompétent de l’Ancien Régime par
des agents plus jeunes, plus compétents, motivés, capables de prendre des
initiatives et d’innover. C’est une administration nouvelle dans ses méthodes et
dans ses objectifs, engagée dans l’effort de développement économique, plus

1 Ben Barka (M.) : Les exigences des mouvements de libération africains. Rapport de

l’UNFP à la 2ème Conférence des Peuples africains, op. cit., p. 130.


2 Maestre (J.-C.) : L’expérience révolutionnaire d’Ali Soilihi aux Comores (1976-1978), op.

cit., p. 29.

276
serviable et plus proche du citoyen, sensible à ses problèmes, plus équitable et
plus dynamique »1. D’habitude, mon ami Youssouf Saïd Soilihi est plus prudent.
Malgré le discours révolutionnaire, qui ne voyait que des succès dans son
échec, l’incompétence et l’impréparation des nouvelles autorités avaient été
des facteurs fondamentaux ayant conduit au fiasco de la Révolution. Les îles
Comores sont entrées dans l’ère de l’indépendance en passant par la porte de
l’incompétence criminelle. La dénonciation de l’administration coloniale a
permis de faire de la France le bouc émissaire le plus commode.
Cet aveuglement a eu des conséquences désastreuses parce que la politique de
dénonciation de l’ennemi colonial n’a pas été suivie de la mise en place d’un
cadre institutionnel plus viable et crédible : « Certes, il a été aussi spectaculaire
qu’aisé de renvoyer brutalement quelque 3500 fonctionnaires, et de brûler
dans un immense autodafé toutes les archives, les registres d’état civil, tous les
dossiers2.
Mais sans agents publics, comment faire fonctionner certains services publics,
comment notamment faire rentrer l’impôt ? Effectivement, l’impôt direct ne fut
plus perçu, ce qui n’arrangea guère les finances publiques. De même, il était
assez facile de lancer la jeunesse, que l’âge portait naturellement à la contes-
tation, à l’assaut des “féodaux, des charlatans et autres exploiteursˮ »3.
Pour autant, ce n’est pas avec la démagogie qu’on fait des réformes sérieuses.
Ali Soilihi était sincère quand il parlait de l’utilité de réformer la société et
le cadre institutionnel des Comores, mais il lui manquait à la fois du réalisme
et de la compétence. Il vivait sur des nuages, loin des Comoriens, dans leur
souffrance atroce. L’incompétence était le fait d’Ali Soilihi lui-même et de
ses lycéens. Tout l’appareil d’État était paralysé parce que le pouvoir croyait
naïvement et faisait croire hypocritement qu’avec des slogans creux, il était
possible de faire la Révolution aux Comores. De fait, « même si l’activité des
comités reste vivante, la démobilisation des responsables compétents entraîne
la paralysie du pays. […] La période de la “table raseˮ a non seulement porté
préjudice aux Comores sur le plan international, mais elle est chez beaucoup
ressentie comme une persécution supplémentaire ; la désorganisation des
services de l’État a, en matière fiscale, des effets désastreux. Le vide de la
trésorerie rend la situation encore plus difficile et l’achèvement des Moudiria
impossible »4.
Toute la politique de développement et de décentralisation de la Révolution
dépendait de la construction des « Moudiria ».

1 Saïd Soilihi (Y.) : Comores. Les défis du développement indépendant 1975-1978, op. cit., p.
112.
2 « Y compris, disent les mauvaises langues, le casier judiciaire du chef de l’État » (Jean-

Claude Pomonti : Comores, État-lycéen, Le Monde, Paris, 5-6 août 1977).


3 Maestre (J.-C.) : L’expérience révolutionnaire d’Ali Soilihi aux Comores (1976-1978), op.

cit., p. 30.
4 Vérin (E.) : Les Comores dans la tourmente : vie politique de l’Archipel, de la crise de 1975

jusqu’au coup d’État de 1978, op. cit., p. 83.

277
Les « Moudiria » étaient les bâtiments implantés dans toutes les régions du
pays par la Révolution, surtout en milieu rural, pour la mise en œuvre de la
politique de décentralisation chère à Ali Soilihi.
Parler d’incompétence criminelle à l’endroit de la Révolution n’est guère
excessif, ni désobligeant. Ceci est d’autant plus vrai que, tout en prêchant la
vertu révolutionnaire, les membres du Comité populaire, qui avaient accédé
rapidement et brutalement au pouvoir, étaient corrompus, du moins dans le
cas de certains : « On s’interroge cependant devant une économie arrêtée et
les accusations de corruption commençant à peser sur quelques lycéens et
responsables »1.
La découverte de l’argent facile avait produit dans leur structure mentale
des effets néfastes. Cela étant, en plus de naître dans l’incompétence, l’État
comorien toujours embryonnaire était bercé par la corruption. Or, comment
faire fonctionner de façon optimale un État dont les péchés originels sont
l’incompétence criminelle et la corruption institutionnalisée ?
Au lendemain de l’accession des Comores à l’indépendance, on assista au
départ des enseignants français. Ce faisant, les Comores ont été confrontées
à la dure réalité du manque de professeurs. L’enseignement secondaire a été
paralysé. L’Agence de Coopération culturelle et technique (ACCT) dépêcha
d’urgence des enseignants belges et tunisiens aux Comores. Comme ceux-ci
n’étaient pas suffisants, Ali Soilihi avait instauré le service national pour les
nouveaux bacheliers, qui devaient enseigner une année au Collège avant de
bénéficier éventuellement d’une bourse d’études pour l’étranger.
Les bacheliers qui ont été scolarisés depuis l’époque coloniale avaient un
niveau tout à fait convenable. Mais, c’est le service national qui a introduit
aux îles Comores les « notes sexuellement transmissibles » (NST) et d’autres
formes de corruption. Hamada Madi Boléro était parmi les enseignants en
service national ayant le plus exigé une « dîme » aux parents d’élèves. Celle-
ci allait de l’argent en espèces à des cartouches de cigarettes, et les parents
d’élèves les plus aisés et dont les enfants étaient habitués à passer en classe
supérieure par des moyens peu orthodoxes payaient la dîme en ronchonnant
et en maugréant, avant de se lamenter amèrement devant les villageois sur
les places publiques. J’ai effectué mon service national en 1985-1986 au
Collège de Fomboni. Mohamed Saïd Fazul, futur Gouverneur de Mohéli, qui
avait déjà échoué 2 fois au Baccalauréat et qui allait subir 3 nouveaux échecs
au même examen jusqu’à ce que des femmes de Fomboni se mobilisent pour
demander au président de lui accorder le fameux sésame, avait effectué son
service national la même année. Pour mettre les élèves à l’abri de son incurie
légendaire, il avait fallu le cantonner aux Travaux pratiques agricoles (TPA),
une matière qui consistait à montrer les instruments de travail du cultivateur
comorien. Il couchait avec nos élèves. Son incompétence et sa médiocrité le

1Bourges (H.) et Wauthier (C.) : Les 50 Afriques. Tome II. Afrique centrale. Afrique des
Grands Lacs. Afrique australe. Océan Indien, op. cit., p. 626.

278
poursuivront partout. Il a ruiné le Collège islamique de Fomboni, qui avait
eu le malheur d’être dirigé par lui, avant qu’il n’aille causer le malheur de
Mohéli, île dont il a été à deux reprises le Gouverneur.
Malgré tous les errements liberticides et les dysfonctionnements de l’État
constatés lors de la Révolution d’Ali Soilihi, certains des héritiers de celui-ci
ont instauré un terrorisme mental, intellectuel et politique destiné à interdire
toute critique envers le régime politique né du coup d’État du 3 août 1975 et
renversé le 13 mai 1978. Pour avoir rappelé le caractère violent et répressif
de la Révolution d’Ali Soilihi, Mohamed Abdou Soimadou, militant sincère
de la cause de l’État de Droit et de la démocratie aux Comores, avait reçu sur
Internet des injures sauvages d’une rare bassesse et d’une grande indigence
intellectuelle et politique, qui n’honorent pas leurs auteurs.

B.- MAINTIEN DU PÉCHÉ ORIGINEL DE L’INCOMPÉTENCE PAR LA


POLITISATION ET L’EXCLUSION DES CADRES LES PLUS VALABLES
Nous ne le dirons jamais assez : quand Ali Soilihi faisait sa Révolution, qui
avait pour but la décapitation de l’État comorien, le pays manquait de cadres
valables, surtout à un moment où les fonctionnaires français étaient retournés
en France, et leurs collègues comoriens, considérés comme des « traîtres et
des incompétents », furent « renvoyés auprès de leurs mères pour téter ».
Mais, au lendemain du coup d’État du 13 mai 1978, les élèves qui avaient
fait la grève au Lycée de Moroni au premier semestre 1968 étaient devenus
des cadres formés en France. Il va sans dire que la répression qui prévalait au
pays sous la Révolution d’Ali Soilihi ne les incitait pas à rentrer en masses
aux Comores. Dans leur écrasante majorité, ils avaient attendu jusqu’à la fin
du régime politique d’Ali Soilihi avant d’envisager leur retour aux Comores.
C’est ainsi qu’au renversement d’Ali Soilihi, nombre de cadres comoriens
formés en France dans les années 1970 sont rentrés dans leur pays.
Il s’agit de la génération la plus politisée de la jeunesse comorienne. Parmi
ces cadres bénéficiant d’une solide formation (en France et en Algérie), il y a
de nombreux militants de l’ASÉC. Certains parmi eux ont été très brillants au
lycée avant de se rendre en France où le militantisme actif les avait empêchés
de faire des études supérieures sérieuses auxquelles leurs capacités pouvaient
leur donner droit. Les plus sérieux avaient des convictions civiques solides et
étaient sincères quand ils parlaient de la manière de faire des Comores un
État de Droit pouvant aspirer à une vie meilleure. Mais, ils n’étaient pas tous
aussi sincères. Certains parmi eux étaient des opportunistes et n’avaient pas
tardé à « oublier » leur progressisme dès le jour où ils ont découvert qu’ils
pouvaient être des carriéristes à la mémoire courte.
Contrairement à une idée répandue, la défense des idéaux progressistes ne
signifie pas le chômage, mais la fidélité envers les principes et valeurs des
années de lutte. Au Maroc, par exemple, au cours des années 1960-1990, qui
étaient celles de la lutte politique, le Roi Hassan II n’a jamais exclu de façon

279
définitive l’opposition. Il nommait des opposants à d’importants postes de
responsabilité (ambassadeurs, ministres, Directeurs d’établissements publics
ou de sociétés d’État, etc.). C’est ainsi qu’il avait nommé le Docteur Habib
El Malki, brillant économiste de renommée mondiale, à la tête du stratégique
Conseil de la Jeunesse et de l’Avenir (CNJA), l’organisme qui fut chargé du
recensement et du recrutement des jeunes diplômés. En janvier 1991, quand
Habib El Malki fut nommé secrétaire général du CNJA, il était toujours un
membre de la Direction politique de l’Union socialiste des Forces populaires
(USFP). Par la suite, il sera nommé plusieurs fois ministre.
Cinq des ambassades du Maroc sont les plus stratégiques pour ce pays :
Arabie Saoudite (Islam), Algérie (voisinage conflictuel), Espagne (voisinage
face au détroit de Gibraltar et ancien colonisateur des zones Nord et Sud, qui
occupe toujours les présides de Ceuta et Melilla), France (ancien occupant)
et États-Unis (première puissance mondiale). En 1990-1994, l’ambassadeur
du Maroc en France était Abbas El Fassi, un des chefs du Parti de l’Istiqlal,
encore dans l’opposition. Il dirigera ce parti politique de 1998 à 2012.
Pour apaiser le climat politique au Maroc et alors que la Constitution ne le
lui obligeait pas, le Roi Hassan II avait formé un gouvernement d’alternance
le 14 mars 1998, dirigé par le socialiste Abderrahmane Youssoufi, un de ses
anciens opposants les plus farouches. Ce gouvernement comprenait presque
toutes les sensibilités conservatrices et progressistes du pays. En 2018, cette
formule politique de rassemblement consensuel a toujours cours au Maroc.
Le Roi Hassan II avait reconnu un statut officiel à l’opposition. Il venait en
aide à des opposants se trouvant dans des difficultés spécifiques, n’hésitant
pas à faire transporter par avion médicalisé l’opposant M’Hamed Boucetta
(Parti de l’Istiqlal) de Rabat à Paris et à prendre en charge tous les frais liés
au traitement médical de l’un des enfants du bruyant et tonitruant Député
communiste Ali Yata, leader du Parti communiste marocain (PCM), interdit
avant de renaître sous l’appellation de Parti de la Libération et du Socialisme
(PLS) et après, du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS).
L’habile Driss Basri, inamovible ministre de l’Intérieur de 1979 à 1999, se
livrait à ses manœuvres en direction des formations partisanes, mais dans un
système politique fondé sur la tolérance, après des années 1960-1990 faites
de remous et soubresauts. Il avait des amis dans l’opposition. Je répète ces
exemples et d’autres aux autorités comoriennes qui osent me parler.
Aux Comores, Ahmed Abdallah Abderemane n’avait pas une position très
tranchée en ce qui concerne le choix des hommes. Il pouvait demander à un
notable : « Ton fils ne veut pas travailler ? ». C’était la question rituelle qu’il
posait au père ayant un fils aux idées révolutionnaires explosives qu’il devait
recruter. Un père ne dit jamais que son fils ne veut pas travailler.
Ahmed Abdallah Abderemane avait nommé le Docteur Mtara Maécha
ministre de l’Éducation nationale. Ce dernier est celui qui a le plus marqué le
ministère de l’Éducation, à la fois par son sens et goût de la provocation et
par les mesures radicales qu’il a prises pour fermer l’internat du Lycée de

280
Moroni, alors creuset de la jeunesse des quatre îles, en réaction à la grève
des élèves en 1979. Surnommé perfidement et surtout sarcastiquement par
ses anciens compagnons de route « le gynécologue d’Ahmed Abdallah », le
Docteur Mtara Maécha, connu pour ses plaisanteries graveleuses, avait été
l’un des chefs de l’ASÉC. Ce mouvement ne manquera jamais une occasion
pour le traiter de « ministrillon », en signe de profond mépris.
Un autre exemple vaut d’être cité, celui de l’Ingénieur agronome Mohamed
Ali Soilihi, qui détient aux Comores le record national des nominations
ministérielles et en particulier à la tête du ministère de l’Économie et des
Finances. Alors qu’il était en mission à Washington, et sans même être avisé
et consulté, il fut nommé ministre de la Production (Agriculture) en 1985.
Mohamed Ali Soilihi avait été un militant de l’ASÉC, mais avait eu à dire à
ses camarades que les références idéologiques extérieures du mouvement ne
pouvaient correspondre aux réalités et nécessités de développement des îles
Comores. Sa prise de position lui avait valu de sévères critiques de la part de
zélateurs très dogmatiques, qui avaient décidé de le « pendre haut et court »,
selon la terminologie qui avait été employée par les fanatiques de l’ASÉC, un
mouvement qui avait tendance à noyer les problèmes des Comores dans un
océan de considérations idéologiques oiseuses sans la moindre relation avec
les problèmes sociaux et économiques des Comoriens.
Mohamed Ali Soilihi explique ceci : « Ahmed Abdallah ne manqua pas de
multiplier les gestes de confiance à mon égard tout en continuant, pour
amuser sa galerie, à m’affubler du sobriquet de “Kampuchéaˮ qu’il lançait
à la cantonade, en référence à mon alors récent passé de militant de l’ASÉC,
et à la révolution au Cambodge dont on ne devait découvrir les horreurs que
bien plus tard. Ce pas méchant sobriquet avait d’ailleurs, je m’en suis rendu
compte après, le don d’atténuer les rancœurs que certains des membres de
l’entourage du président nourrissaient à l’égard de l’intrus que je représen-
tais, n’étant pas un pur jus du sérail des “vertsˮ, le Parti Vert étant celui des
conservateurs.
N’ignorant rien des arcanes de la politique comorienne, tu sais, Oba, que
le vert, c’est la couleur du parti d’Ahmed Abdallah. Ces gestes de confiance
et en quelque sorte de reconnaissance de compétence pouvaient prendre des
tours ubuesques, Ahmed Abdallah n’hésitant pas, au besoin et au risque de
froisser certains de mes collègues ministres, à me confier des missions à
l’étranger, ne relevant pas de mon département ministériel.
Ces empiétements m’aidèrent très tôt à édifier mon expérience internati-
onale que j’avais par ailleurs commencée au CEFADER auprès du PNUD et
de la FAO, où je connus le Libanais Édouard Saouma, qui me colla le
surnom (encore un), de “grand travailleurˮ »1.

1Ali Soilihi (M.) : Lettres d’une vie. Parcours d’un homme d’État comorien, op. cit., pp. 45-
46.

281
Ahmed Abdallah Abderemane, qui avait besoin du soutien des notables des
îles, pouvait coopter la progéniture de ceux-ci. En même temps, il ostracisait
nombre de cadres pour leurs idées politiques révolutionnaires, surtout quand
les intéressés ne bénéficiaient du soutien des chefs des familles influentes. Il
avait dressé un mur infranchissable entre la Fonction publique et les cadres
les plus progressistes. Moustoifa Saïd Cheikh pouvait moisir en prison pour
son engagement sincère en faveur de l’État de Droit et de la démocratie.
Un cadre compétent pouvait être recruté, mais pour subir par la suite toutes
sortes de tracasseries administratives et des tortures morales. Les Mohéliens
virent arriver sur leur île en 1982 l’un des cadres comoriens les plus brillants
et les honnêtes : Mohamed Abdou Soimadou, originaire de Mbéni, Grande-
Comore. Intransigeant sur tout ce qui touche l’État de Droit, la démocratie et
les droits de l’Homme, Mohamed Abdou Soimadou est incontestablement le
meilleur professeur de Lettres des Comores. Il ne supportait pas du tout la
dictature d’Ahmed Abdallah Abderemane, et militait activement au sein du
Front démocratique. Il était l’un des cadres les plus prometteurs du pays.
Pour le punir, Ahmed Abdallah Abderemane l’exila à Mohéli, où il devait
enseigner les Lettres au Lycée de Fomboni. En quelques jours, toute l’île de
Mohéli comprit que la dictature d’Ahmed Abdallah Abderemane venait de
lui rendre le meilleur des services en affectant à Fomboni un professeur
d’une telle compétence. En quelques jours de présence à Mohéli, Mohamed
Abdou Soimadou fut entouré de tous les progressistes de l’île. Mais, chaque
fois que l’île de Mohéli était inondée de tracts dénonçant les dérives de l’État
des mercenaires, avant même le début d’une enquête judiciaire, Mohamed
Abdou Soimadou et mon cousin Aboubacar Salim se retrouvaient en prison.
Je vois encore la tristesse indescriptible qui se lisait sur le visage de l’épouse
de Mohamed Abdou Soimadou chaque fois que son mari était jeté en prison
sans le moindre jugement.
C’est de cette façon que les Comores se privèrent de l’expertise de certains
de leurs cadres les plus compétents parce que dévoués à la cause de l’État de
Droit. Or, pendant qu’Ahmed Abdallah Abderemane tournait le dos aux plus
compétents des cadres comoriens, il avait recruté un ministre de l’Économie
et des Finances qui disait à une délégation de la Banque mondiale et du
Fonds monétaire international (FMI) n’avoir jamais entendu parler de termes
aussi usités que « récession », « inflation » et « stagflation ». Saïd Mohamed
Djohar nommera un ministre de l’Économie et des Finances qui dira à des
experts de la Banque mondiale et du FMI son ire face à l’acharnement de ses
collaborateurs à remplir ses documents de travail d’un « S barré », étant bien
incapable de comprendre que le $ est le symbole du dollar des États-Unis, la
monnaie mondiale de référence !
La politisation excessive de la Fonction publique avait conduit au recours à
un personnel administratif et technique de piètre qualité. Comme la politique
menée consistait à marginaliser l’opposition, on assistera à la nomination et
à « l’élection » de fidèles qui ne sont pour la plupart que des épiciers (dont

282
des vendeurs de poisson séché dans les échoppes) sans aucune compétence.
Les Comoriens avaient senti que le pays avait touché le fond quand Abdallah
Halifa avait été élu président de l’Assemblée fédérale, lui qui avait été une
simple marionnette de Nassuf Ahmed Abdallah, le fils aîné du chef de l’État,
occupant la fonction de vice-président de l’institution et dirigeant de fait de
l’institution. Abdallah Halifa a toujours été inapte même à lire un discours
écrit. Il incarnait bien l’ignorance et l’incompétence en politique.
Sous Ahmed Abdallah Abderemane, un Député en pleine séance de travail
de discussion sur la loi des finances entendra les autres parlementaires dire
que le budget serait déficitaire. Il tiendra alors des propos qui font encore rire
les Comoriens. Confondant déficit avec excédent, il demanda alors que ce
« petit déficit » lui soit attribué pour goudronner les routes de sa région
d’origine. À Mohéli, un des Conseillers de l’île était un simple épicier et
vendeur de poisson séché à Fomboni. Sous la présidence d’Ahmed Abdallah
Abderemane, le Conseil de l’Île de Mohéli était dirigé par un analphabète,
mais qui avait juré fidélité au président de la République. Or, en vertu de la
Loi, c’est cet illettré qui assurait l’intérim du Gouverneur, et il le faisait dans
la réalité. Comment peut-on placer une île sous l’autorité même provisoire
d’un analphabète ? Dans quelle langue s’exprime-t-il lors des passages d’un
expert étranger à Mohéli ? Naturellement, les étrangers en mission sur l’île
de Mohéli quittaient celle-ci avec le sentiment d’un immense gâchis.
Les Comoriens se souviennent encore de l’Anjouanais Abdou Djaha, qui
était instituteur à Moroni et qui apprenait par Radio Comores que le chef de
l’État l’avait nommé ministre de l’Éducation nationale alors qu’il ne savait
rien sur le fonctionnement d’une administration. Le cas d’Abdou Djaha avait
beaucoup dérangé les Comoriens, qui en parlent encore. Ces derniers, qui
croyaient avoir tout vu, se rappellent encore d’une autre situation encore plus
rocambolesque : Omar Tamou, emblématique ministre de l’Intérieur sous le
président Ahmed Abdallah Abderemane, roulait dans sa voiture quand il
apprit par Radio Comores qu’il venait de perdre son poste ministériel et qu’il
était désormais le nouveau Directeur de la radio nationale. Il se rendit alors à
Radio Comores. Une fois sur place, il a demandé à faire une déclaration en
direct. Tout a été fait pour l’en empêcher. Il finit par accéder au studio et à
déclarer avoir pris connaissance de la décision qui le concernait et qu’il la
rejetait. C’était du folklore tropical pur. Les Comoriens en parlent encore car
le scandale avait été énorme. L’autorité de l’État avait pris un coup à la suite
de cette affaire, qui prouvait de manière éclatante la fragilité des institutions
et le manque de sérieux des autorités aux Comores.
L’incompétence avait conduit les Comores au désastre, pendant que la rue
grondait de colère. Pour preuve, en 1982, Bernard Vinay et Chantal Vie,
deux fonctionnaires français, étaient chargés d’évaluer la situation économique
et financière des Comores. La teneur de leur rapport était le plus éloquent des
signaux d’alarme face à la calamité qu’était la gestion à l’époque, quand « ça
allait mieux » : « Il ne faut pas se cacher que les maux étant tellement graves et

283
profonds, ce n’est pas de la médecine traditionnelle que relève le pays, mais de
la chirurgie d’urgence »1.
Dans le Rapport élaboré par ces deux fonctionnaires, il était clairement noté
ce qui devait être signalé pour que les autorités comoriennes comprennent que
leur gestion de l’État relevait de la catastrophe : « Le pays n’est pas au bord du
gouffre. Il est dedans », « le pays vit très largement au-dessus de ses moyens »,
« une situation financière inquiétante », « la situation déficitaire des finances
publiques de l’État (Fédération et gouvernorats) », « la plaie des créances
triangulaires », « le déficit budgétaire a épuisé la Trésorerie publique », « des
sociétés d’État ou d’économie mixte en état de cessation de paiement ou à la
veille de l’être », « un laxisme généralisé », « une société de transports aériens
en cessation de paiement (Air Comores) », « une société nationale maritime en
liquidation », « une société d’importation des hydrocarbures en position
délicate », « une société des eaux et électricité en situation difficile », « une
société d’importation de viande au bord du gouffre », « le coût des missions à
l’extérieur », « le non recouvrement des recettes des services publics », et « une
consommation d’essence étonnante »2.
Si un tel constat a été fait dès 1982, c’est uniquement parce que les Comores
étaient placées sous le signe de l’incompétence. Les Comores étaient dirigées
par des autorités incompétentes. Toutes les preuves sont dans le rapport rédigé
par les deux fonctionnaires français à l’issue de leur mission aux îles Comores.
Ahmed Abdallah Abderemane n’avait tiré aucune leçon du rapport rédigé par
Bernard Vinay et Chantal Vie pour essayer d’améliorer la gouvernance aux îles
Comores. Que fallait-il faire pour mieux administrer les Comores ? Il n’y avait
pas une pluralité de solutions ; il fallait juste recruter des cadres compétents et
honnêtes, et appliquer les règles de la comptabilité publique. Mais, le chef de
l’État ne pouvait se résoudre à de telles décisions, pourtant salutaires.
Il ne pouvait en être autrement car Ahmed Abdallah Abderemane disait de
lui-même : « Je suis illettré »3 et avait été qualifié de « self-made-man peu
cultivé »4.
Par la suite, sous la présidence de Saïd Mohamed Djohar, l’incompétence est
amplifiée, malgré l’abandon du monolithisme politique et l’entrée du pays dans
une ère d’abandon de l’ostracisme qui frappait les Comoriens « mal nés » et qui
ne font pas partie des héritiers. Mohamed Saïd Abdallah Mchangama, le gendre
le plus influent, s’était chargé lui-même de la mission de coopter les jeunes qui

1 Vinay (Bernard) et Vie (Chantal) : La situation financière de la République fédérale


islamique des Comores (Rapport Vinay), Inspection générale des Affaires d’Outre-mer, Paris,
1982, p. 41.
2 Cf. Abal Anrabe (Abdou Chacourou) : Le contrôle des finances publiques aux Comores,

L’Harmattan, Collection « Logiques juridiques », Paris, 1992, pp. 238-276.


3 Pomonti (J.-C.) : Comores. Le régime de M. Ahmed Abdallah paraît jouir d’un large soutien

populaire, op. cit., p. 3.


4 Bourges (H.) et Wauthier (C.) : Les 50 Afriques. Tome II. Afrique centrale. Afrique des

Grands Lacs. Afrique australe. Océan Indien, op. cit. p. 622.

284
correspondaient à sa volonté de création d’une caste administrative et politique
à sa dévotion. Il sélectionnait à tour de bras et de façon discrétionnaire les plus
malléables et les plus carriéristes des cadres comoriens venant d’obtenir un
diplôme de l’Université. Les naïfs voyaient en lui celui qui ouvre les portes de
la Fonction publique aux Comoriens « mal nés », alors qu’il s’agissait pour lui
de s’assurer une clientèle politique servile. Hamada Madi Boléro, Ibrahim Ali
Mzimba, Houmed Msaïdié Mdahoma et Mohamed Abdou Mouigni dit Méda
lui doivent beaucoup. En mai 2013, j’avais noué une relation d’amitié avec
Ibrahim Ali Mzimba, avocat à Moroni. Il ne m’a jamais dit qu’il avait quémandé
une présentation au gendre Mohamed Saïd Abdallah Mchangama, qui en avait
fait le Conseiller juridique du président Saïd Mohamed Djohar.
Rapidement, les Comoriens se redirent compte que la compétence n’était la
qualité des « protégés » du chef des gendres. À lui seul, l’exemple de Hamada
Madi Boléro résume toute l’ambiguïté de la situation. Celui-ci était présenté au
gendre Mohamed Saïd Abdallah Mchangama par Mohamed Larif Oucacha, qui
est passé de ministre de l’Éducation nationale à Directeur du Cabinet de Saïd
Mohamed Djohar chargé de la Défense, un baron du régime politique en place
qui avait une influence qui lui avait valu le surnom de Bill Clinton. La relation
entre le gendre Mohamed Saïd Abdallah Mchangama, d’une part, et l’éthique
et la morale, d’autre part, sont nulles, inexistantes. Mais, l’influent gendre était
très dérangé en notant que Hamada Madi Boléro, le plus sale et le plus abject
des acteurs politiques d’un pays connu pour la vilenie de sa classe politique, se
faisait un devoir de le rencontrer uniquement pour dénigrer et essayer de faire
limoger son mentor Mohamed Larif Oucacha.
C’est Assoumani Azali, chef de la junte militaire, noyé dans le désespoir que
lui infligeaient l’enlisement du séparatisme à Anjouan et un rejet total de toute
la communauté internationale, qui prendra au sérieux un Hamada Madi Boléro.
Le régime politique de Saïd Mohamed Djohar était celui de l’ouverture, mais
aussi celui de l’incompétence à tous les niveaux. Comme indiqué au cours des
développements qui précèdent, l’ancien ministre de l’Intérieur (sous Ali Soilihi)
et futur ministre des Affaires étrangères (sous la présidence de Mohamed Taki
Abdoulkarim) « Salim Himidi a relevé la succession chaotique de “dix-huit
équipes gouvernementales et de 200 nominations ministérielles en 5 ans de
règne” »1. Quand on fait les calculs, on se rend compte qu’il n’y a aucune
exagération dans l’affirmation de mon ami Salim Himidi.
Il est même arrivé qu’un Premier ministre nommé le matin soit sommé le
soir de démissionner. Cette valse de Premiers ministres et de gouvernements
a été analysée sous le seul angle des tiraillements entre les gendres et entre
clans rivaux du sérail. Le facteur incompétence a toujours été occulté alors
qu’il est au centre de la problématique de la gouvernance totalement ratée et
définitivement maudite sous Saïd Mohamed Djohar. Autrement dit, le chef

1Deschamps (A.) : Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœla-


canthe, op. cit., p. 173.

285
de l’État changeait de Premiers ministres et de ministres, mais les malheurs
des Comoriens restaient les mêmes parce que l’incompétence prévalait.
C’est la présidence de Saïd Mohamed Djohar qui a poussé les Comoriens à
faire leurs choux gras sur la « Oumra », le petit pèlerinage. Comme le petit
pèlerinage en Arabie Saoudite est toujours de courte durée, les Comoriens,
toujours caustiques et peu charitables quand il s’agit de dénoncer le pouvoir
en place et la classe politique dans sa globalité, ont appelé « Oumra » toutes
les nominations ministérielles, estimant qu’on est nommé ministre juste pour
quelques jours. C’est Saïd Mohamed Djohar qui est le père de ce phénomène
qui a détruit ce qui restait de l’État comorien.
Nous avons évoqué les événements absolument surréalistes qui avaient eu
lieu les l8 et 19 juillet 1993, quand Ahmed Ben Cheikh, nommé Premier
ministre le 18 juillet 1993, avait été sommé le même jour de démissionner,
tout seulement parce qu’un clan de la « gendrocratie » était favorable à sa
nomination, alors que d’autres s’y opposaient catégoriquement.
L’incompétence avait été poussée à son paroxysme le jour où le président
Saïd Mohamed Djohar, pour se faire une clientèle politique dans telle ville et
telle région de la Grande-Comore, avait débauché un jeune lycéen pour en
faire le ministre de l’Urbanisme et de l’Environnement. En septembre 1992, à
Moroni, j’ai vu l’adolescent en question avec son cartable d’écolier. Perfides,
ses anciens condisciples le chahutaient en lui demandant méchamment d’aller
préparer d’abord son Baccalauréat. Le gamin baissait stoïquement la tête et
laissait passer l’orage. Après son « petit pèlerinage », l’adolescent ministre était
retourné au lycée, finissant par obtenir son Baccalauréat. Par la suite, il avait été
en Égypte pour ses études supérieures, muni de son passeport diplomatique, qui
portait la mention « ministre », à la consternation des autorités égyptiennes.
C’est le gendre en chef Mohamed Saïd Abdallah Mchangama qui avait été à
l’origine de la nomination ministérielle de l’adolescent.
L’incompétence qui a détruit ce qui restait de l’État comorien était tellement
institutionnalisée sous Saïd Mohamed Djohar que les Comores entrèrent dans
le cycle malheureux des « années blanches », qui ont eu pour corollaire majeur
la ruine totale du système d’enseignement des Comores, encadré par la France
sous la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane et qui permettait aux élèves
comoriens d’étudier dans de bonnes conditions scientifiques dans n’importe
quel établissement d’enseignement supérieur du monde, pour peu qu’ils n’aient
pas obtenu leur Baccalauréat par le « Mkarakara », la corruption. Pour tenter de
pallier les graves insuffisances d’un enseignement ruiné par Saïd Mohamed
Djohar, des Comoriens se mirent à fonder des écoles sauvages qui poussaient
comme des champignons, à qui on reconnaît bien de vertus, mais qui étaient et
sont, en réalité, loin de répondre aux critères académiques reconnus dans les
pays scientifiquement développés.
Sous la présidence d’Ali Soilihi et d’Ahmed Abdallah Abderemane, le salaire
des fonctionnaires et des agents de l’État n’était pas systématiquement versé à
la fin du mois. Mais, Saïd Mohamed Djohar, qui a complètement détruit le peu

286
qui restait de l’administration comorienne, était devenu le chantre des arriérés
de salaires. Les Comoriens pouvaient passer neuf mois sans le moindre salaire
versé par l’État.
Pourtant les compétences existaient, mais étaient systématiquement ignorées
et même écrasées. Citons le cas du douanier mohélien Baco Hassane, nommé
receveur des douanes à Mutsamudu en août 1990 : « À ce poste depuis le début
du mois d’août dernier [1990], Baco Hassane est parvenu en deux mois, grâce
à une gestion rigoureuse à quintupler les recettes. 200 millions de KMF en
septembre, 155 millions au mois d’août alors que les recettes mensuelles
étaient tablées dans le passé sur 40 millions. [...]. Tous les privilèges attribués
auparavant à des intouchables sont supprimés. [...] La douane de Mutsamudu
s’était présentée aux yeux de la population comme un État dans l’État. Pour
certains, c’était une vraie passoire »1.
Baco Hassane avait été tellement intègre et compétent que Saïd Mohamed
Djohar l’avait cité en exemple dans un discours à Radio Comores. Mais, son
intégrité et sa compétence menaçaient trop d’intérêts crapuleux qu’il avait
échappé à une tentative d’assassinat. Il avait fallu le réaffecter à Moroni, et
la douane de Mutsamudu retrouvait ses vieilles habitudes d’incompétence et
de corruption.
L’incompétence mêlée à de la malhonnêteté sacralisée et à de la corruption
généralisée avait tellement détruit les Comores sous Saïd Mohamed Djohar
qu’à un moment donné, il avait fallu que ce dernier nomme un Français à la
tête de l’Office des Postes et Télécommunications (OPT). La restructuration
qui avait suivi avait permis de rentabiliser l’OPT. Au bout de quelques mois,
les Comoriens ont repris en main l’OPT, qui replongea dans l’incompétence
des mois et années d’avant. Pourtant, les cadres compétents existaient déjà à
cette époque, mais il fallait avoir la bénédiction du gendre en chef Mohamed
Saïd Abdallah Mchangama, qui avait les moyens d’exercer un chantage sur
Saïd Mohamed Djohar et d’obtenir de lui tout ce qu’il voulait, aussi bien
pour lui-même que pour les siens et ses obligés. Le surnom « Raspoutine des
Comores » dont il était affublé résumait tout sur son influence sans limites.
Mais, il s’agissait d’une influence surdimensionnée mise en œuvre pour les
causes de l’incompétence, de la corruption et du Mal. En réalité, Mohamed
Saïd Abdallah Mchangama incarnait tous ces maux.
La « gendrocratie » était tellement engluée dans l’incompétence qu’il avait
fallu envisager la nomination à la tête du gouvernement d’un fonctionnaire
international originaire d’Anjouan. Les partenaires des Comores voyaient en
cette nomination le moyen de mettre de l’ordre dans une administration qui
était à terre. Néanmoins, le gendre Mohamed Saïd Abdallah Mchangama s’y
opposa énergiquement. Comme c’est le gendre en chef qui avait le pouvoir
le plus étendu en matière de prise de décision, Saïd Mohamed Djohar avait

1Boudouri (Mohamed) : Anjouan. Douanes de Mutsamudu. Les miracles de Baco Hassane,


Al-Watwany n°134, Moroni, 15-21 novembre 1990, p. 9.

287
continué à nommer des bras cassés pour diriger le gouvernement d’un pays à
la dérive et plongé dans la folie.
Depuis l’avènement de Saïd Mohamed Djohar, il est une réalité que les
autorités comoriennes ne veulent pas admettre : changer les hommes tout en
laissant intactes les mauvaises habitudes ne sera jamais une solution pour un
État mort-né. Depuis 1989, le tourbillon des nominations de complaisance
ravage les Comores, et le pays est resté dans sa médiocrité et dans un état de
délabrement très avancé. Les acteurs politiques comoriens plastronnent et
paradent avec orgueil devant le peuple, mais sont des incompétents notoires,
des incompétents sans la moindre imagination quand il s’agit de promouvoir
le bien commun.
De 1996 à 1998, alors qu’il était président, Mohamed Taki Abdoulkarim
avait eu l’intelligence de recourir à des personnalités plus expérimentées et
plus compétentes. Mais, ses ennemis, chez lui en Grande-Comore, avaient eu
à cœur de saboter tous ses efforts. Ils ont plongé les Comores dans le noir en
sabotant les groupes électrogènes, en versant du sucre dans les réservoirs, et
le pays ne s’en est jamais relevé. Par la suite, il y eut la crise séparatiste qui a
éclaté à Anjouan le 16 février 1997. Le 6 novembre 1998, le chef de l’État
est décédé dans des conditions ténébreuses. Tadjidine Ben Saïd Massounde
assurait l’intérim dans l’attente de l’organisation d’un nouveau scrutin pour
le nouveau chef de l’État quand survint le coup de force du 30 avril 1999
d’Assoumani Azali, chef d’État-major de l’Armée qui avait fui en slip le 28
septembre 1995 pour se cacher à l’ambassade de France à Moroni, quand
Robert « Bob » Denard et ses hommes renversaient Saïd Mohamed Djohar.
La junte militaire d’Assoumani Azali a été une débauche d’incompétence
dans un désordre total. Des militaires incompétents et corrompus avaient pris
tous les leviers du pouvoir, relayés par des civils également incompétents et
corrompus. Sans la moindre culture étatique, Assoumani Azali avait placé
nombre de ses espoirs sur Hamada Madi Boléro. Ce dernier sait se mettre en
valeur, en se faisant passer pour un « juriste » bien formé et expérimenté. La
réalité est beaucoup plus nuancée : ses connaissances juridiques sont des plus
limitées et des plus fantaisistes. Depuis sa tendre enfance, Hamada Madi
Boléro s’invente des compétences qu’il n’a jamais eues. Déjà, au Collège de
Fomboni, il s’était surnommé Lénine, se faisant passer pour un connaisseur
du marxisme-léninisme, alors que son discours sur Karl Marx et Vladimir
Oulianov dit Lénine était entièrement faux. Ce sociopathe pathologique est
un menteur habitué à pervertir la vérité.
Hamada Madi Boléro a une prédilection pour les publics de naïfs, auprès
de qui il peut inventer et raconter les histoires devant faire de lui « l’expert »
au grand talent et à la compétence inouïe. En réalité, tout ce qu’il dit sur
l’application du Droit et le fonctionnement de l’administration est un long
tissu d’arrangements avec la vérité. Alors Premier ministre puis président de
la République par intérim, il avait tué l’administration et l’économie dans un
pays qui, pourtant, regorge de talents affirmés dans tous les domaines de la

288
gestion étatique. Il est l’un des constituants du 23 décembre 2001, un texte
dont la rédaction relève de l’amateurisme fou des profanes en Droit.
Cette Constitution a pour pierre angulaire l’instauration de la présidence
tournante. Quel est le but de cette présidence ? Cette modalité électorale a été
conçue à un moment de grave crise séparatiste aux Comores pour restaurer
la confiance entre Comoriens des différentes îles. Or, Hamada Madi Boléro
et les autres amateurs qui ont rédigé cette Constitution n’ont pas été capables
de préciser deux choses fondamentales pour une bonne application du texte
constitutionnel en question :
- Pour être candidat à la magistrature suprême, il faut être originaire de l’île
qui organise l’élection primaire,
- Il ne sera imposé à aucun Comorien une origine insulaire quand ce dernier
a des origines qui se situent sur plus d’une île. Dès lors, le Comorien est
entièrement libre d’opérer son choix personnel sur ses origines, mais ne
peut se déclarer de deux îles différentes quand il veut se porter candidat
à une élection présidentielle et pour la magistrature suprême.
Sur le plan physique, tout bon juriste voit en la Constitution de Hamada
Madi Boléro et de ses complices le vulgaire travail d’une bande d’amateurs
qui s’autoproclament constituants sans savoir qu’un vrai professionnel du
Droit doit avoir le souci de la clarté et de la précision pour éviter polémiques
et controverses. Or, la Constitution du 23 décembre 2001 comporte certains
articles qui comportent jusqu’à 20 lignes ou 20 phrases. Cette Constitution
est illisible et indigeste. Elle alimente de confusions et d’exégèses maudites.
Hamada Madi Boléro et les autres constituants autoproclamés ont introduit
un virus mortel dans le système étatique comorien. Il s’agit de l’article 20 de
la Constitution du 23 décembre 2001, conçu pour permettre au président de
la République de contrôler le pouvoir législatif : « L’Assemblée de l’Union
est composée de représentants désignés par les Assemblées des îles, à raison
de 5 députés par Île et de 18 représentants élus au suffrage universel direct
dans le cadre d’un scrutin uninominal à deux tours. La loi électorale précise
les modalités du mode de scrutin ainsi que les circonscriptions électorales
dont le nombre ne peut être inférieur à deux par Île. Le président de
l’Assemblée de l’Union est élu pour la durée de la législature.
Une loi organique détermine les conditions et les modalités de l’élection
des députés de l’Assemblée de l’Union et de son président, le régime des
inéligibilités et des incompatibilités, ainsi que les indemnités des députés.
Elle précise les conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées
à assurer, en cas de vacance du siège, le remplacement des députés jusqu’au
renouvellement général ou partiel de l’Assemblée de l’Union.
L’Assemblée de l’Union adopte, à la majorité des deux tiers de ses
membres, son règlement intérieur. Avant la mise en application de celui-ci,
la Cour constitutionnelle se prononce sur sa conformité à la Constitution ».
Depuis que Hamada Madi Boléro et ses « constituants » ont décidé de faire
fi du suffrage universel direct et de la représentation à l’Assemblée du pays

289
de chaque région par un Député, ils ont introduit un cancer dans le système
institutionnel des Comores : chaque fois que des Conseillers des îles doivent
devenir des Députés, toute la bestialité de l’acteur politique comorien refait
surface et paralyse le pays. Les saletés politiciennes les plus condamnables
ont cours. Des élus changent de camp parce qu’ils ont été corrompus. Le
pouvoir politique en place bloque de façon anticonstitutionnelle le passage
de certains membres du Conseil de leur île à l’Assemblée de l’Union des
Comores. Ces intrigues de caniveau divisent et paralysent tout un pays, sans
pousser les autorités à revenir à l’ancien système, celui plus facile par lequel
chaque région naturelle élisait son Député. Ces tripatouillages ont conduit au
fusionnement de certaines régions qui n’ont ni une Histoire commune, ni la
même personnalité sociologique. La vile création d’une région regroupant le
Hamahamet et le Mboinkou correspond tout simplement à l’absorption du
Mboinkou par le Hamahamet.
Mais, Hamada Madi Boléro n’est pas homme à faire de l’introspection et à
se demander s’il est un bon juriste ou pas. Et, pourquoi aurait-il eu besoin
d’être un bon juriste alors que son but n’a jamais été d’être au service de ce
que l’on appelle le bien commun et l’intérêt général, mais la promotion des
causes dont la finalité se situe aux antipodes des solutions aux problèmes du
Comorien au quotidien. Tout ce que les jeunes contestataires de Djoiezi ont
dit sur lui est vrai, et la vérité sur lui s’avère encore plus dégoûtante.
Quand il prend la parole sur des questions de Droit, il ment parce qu’il ne
maîtrise pas la matière. Ses prises de parole sur l’administration relèvent du
scandale. Son ignorance des questions constitutionnelles est navrante. Il n’a
aucune notion d’Économie, et répète devant les gens : « Je n’ai pas besoin
d’être économiste pour savoir comment fonctionne l’économie d’un État.
Quand j’étais Premier ministre puis président de la République par intérim,
je faisais preuve de logique, et je réussissais. Pour preuve, j’arrivais à payer
les fonctionnaires en temps et en heure ».
Cette autoglorification relève de l’autocélébration la plus exagérée et la
plus indécente : du fait de leur incompétence, Assoumani Azali et Hamada
Madi Boléro avaient laminé l’administration comorienne dans un océan de
laxisme, d’impunité et d’irresponsabilité. En plus de son incompétence sur
les affaires étatiques, Hamada Madi Boléro traîne une autre malédiction : sa
misanthropie. Il n’est jamais à l’origine d’un acte positif. Il se complaît et ne
se plaît que dans les complots et dans la destruction des carrières des autres,
des fonctionnaires civils et militaires. La liste de ses victimes est très longue,
vraiment longue. Hamada Madi Boléro, surnommé Makridine, « le religieux
de la magouille », est un malfaiteur pathologique. On ne lui connaît aucun
acte positif.
Il s’arrange avec la vérité quand il raconte qu’en janvier 2002, alors qu’il
était Premier ministre et bientôt chef d’État par intérim devant diriger un
gouvernement d’union nationale, il était soucieux du bon fonctionnement de
celui-ci dans un esprit républicain. Il prétend qu’il avait accordé à Mohamed

290
Ali Soilihi toute latitude pour diriger l’Économie et les Finances du pays, se
posant en dirigeant républicain et responsable1.
Toute cette affirmation est basée sur le mensonge. En réalité, il s’arrangeait
toujours pour bloquer le travail de Mohamed Ali Soilihi et celui des autres
ministres qui n’appartenaient pas à son clan politique. Il sabotait sciemment
les décisions et actions de ces ministres, dans une inconscience généralisée,
pendant que ses proches se comportaient en potentats et en arrivistes qui ont
atterri dans les premiers cercles du pouvoir.
Hamada Madi Boléro donnera de nouveau la mesure de son incompétence
d’octobre 2012 à avril 2015, sous la présidence d’Ikililou Dhoinine. Comme
il sait que Hadidja Aboubacar, l’épouse du chef de l’État, malgré sa dictature
et son autoritarisme de parvenue, ne comprenait rien aux affaires publiques,
il a passé tout son temps à l’enfumer. Avant d’aller s’entretenir avec elle, le
conspirateur Hamada Madi Boléro demandait à l’un de ses amis de l’appeler
à tel moment précis. Après avoir reçu l’appel téléphonique « tant attendu »,
le comploteur Hamada Madi Boléro se tournait vers Hadidja Aboubacar et se
mettait à lui raconter des mensonges dont la fausseté aurait été décelée par
toute personne ayant une certaine culture générale et une certaine culture
politique : « C’était mon ami Mikheil Saakashvili, le président de Géorgie.
Nous avons étudié ensemble à Kiev, aux temps de l’ex-Union Soviétique. Il
attire mon attention sur le fait qu’un coup d’État se prépare et que nous
devons en informer le président Ikililou Dhoinine ». Face à la même Hadidja
Aboubacar et à sa famille, Hamada Madi Boléro restera dans l’affabulation
et la mystification. Cela a fini par « payer » : le mercredi 10 octobre 2012, il
est nommé Directeur du Cabinet du président chargé de la Défense.
Il ne sera d’aucune utilité à Ikililou Dhoinine, lui-même un incompétent
notoire. Hamada Madi Boléro est d’autant plus incompétent qu’il prépare à
la signature d’Ikililou Dhoinine des projets de décrets qui seront rejetés par
la Cour constitutionnelle. Comment un homme qui a la prétention d’être « le
meilleur juriste des Comores », « le Comorien qui maîtrise mieux tout ce qui
se rapporte au protocole », « le juriste dont l’expertise est recherchée par les
Députés, obligés de payer pour en bénéficier », « le cadre supérieur formé à
Bordeaux sur la préparation du travail législatif », l’ancien Premier ministre
et ancien président de la République par intérim peut-il préparer des projets
de décrets que la Cour constitutionnelle, formée de non-juristes et de juristes
amateurs, invalide à bon droit ?
Les Comoriens ont même des doutes sur l’authenticité du diplôme obtenu
par Hamada Madi Boléro en ancienne Union Soviétique parce que, tantôt
l’intéressé parle de « Doctorat », tantôt de « MBA ». Après des lancinantes et
légitimes interrogations sur le « Doctorat », inexistant et imaginaire, celui
qui change de désignation de ses « titres universitaires » s’était cru obligé de
s’autoproclamer titulaire d’un « MBA » né de son imagination.

1 Madi Boléro (H.) : Au service des Comores. Tome II. La renaissance, op. cit., p. 48.

291
En vrai, Hamada Madi Boléro ment sur son prétendu « MBA ». Pourquoi ?
Parce que MBA signifie « Master of Business Administration », Maîtrise en
Administration des Affaires. En d’autres termes, le MBA est un diplôme qui
est délivré dans le domaine des Affaires. Or, Hamada Madi Boléro prétend
avoir fait ses études supérieures en Relations internationales en URSS, et ne
doit pas confondre cette matière avec l’Administration des Affaires.
Plus grave encore, où a-t-il vu que l’ancienne URSS, pays communiste par
excellence, formait ses étudiants en Administration des Affaires, comme un
pays capitaliste ? Il existe des diplômes de Commerce international. Mais,
Hamada Madi Boléro ne raisonne pas ainsi ; il a obtenu un diplôme portant
sur « l’Administration des Affaires privées en Relations interétatiques », que
l’Union Soviétique a dû créer spécialement pour lui seul. Il ment bêtement.
Un autre mensonge proféré par Hamada Madi Boléro réside dans le fait
que le MBA est un diplôme anglo-saxon qui se décline en anglais. Pourquoi
donc a-t-il fallu que l’URSS se mette à pasticher les intitulés des diplômés de
l’ennemi capitaliste, alors que la France, pays capitaliste par excellence, a sa
préférence pour ses propres formations de référence (École des Mines, École
nationale d’Administration ou ÉNA, Institut national Polytechnique, École
des Hautes Études commerciales de Paris ou HÉC, École supérieure des
Sciences économiques et commerciales ou ÉSSÉC, et.) ? Donc, l’URSS avait
dû se convertir partiellement en pays capitaliste pour Hamada Madi Boléro ?
L’érudit Salim Hadj Himidi, ministre de l’Intérieur d’Ali Soilihi et ministre
des Affaires étrangères de Mohamed Taki Abdoulkarim, grand connaisseur
de la classe politique comorienne, dit de Hamada Madi Boléro : « Hamada
Madi Boléro a une seule compétence : savoir se faire passer pour quelqu’un
d’intelligent alors qu’il n’a jamais fait la preuve de son “intelligence”. Je ne
veux pas polémiquer. Par contre, je souhaite juste qu’il dise : “J’ai réalisé
pour les Comores tel projet. Ce projet demandait de l’intelligence. J’ai été à
l’origine de ce projet qui a nécessité de l’intelligence et de l’amour pour mon
pays”. Il ne le fera jamais parce que c’est un être malfaisant, méprisable et
complexé socialement et politiquement puisqu’il est rejeté partout et par tout
le monde. Il se considère comme Mohélien et doit vivre avec la douloureuse
réalité des Mohéliens qui le qualifient d’étranger et de Grand-Comorien. En
même temps, aucun Grand-Comorien ne veut entendre parler de lui. À cause
de ses frustrations sociales et politiques, il est animé d’une indescriptible
haine envers les Comoriens et les Comores. Il porte en lui la malédiction.
Actuellement, il est secrétaire général de la Commission de l’océan Indien
ou COI. Son mandat, entamé en juillet 2016, finira en juillet 2020. Après son
passage à la COI, il se voit à un poste à l’Organisation internationale de la
Francophonie ou OIF, mais tout en ayant une grande capacité de nuisance
aux Comores. À l’OIF, il devra continuer ce qu’il a toujours fait depuis qu’il
est entré en politique : lutter contre les intérêts des Comores.
Je pèse mes mots en disant ceci : Hamada Madi Boléro est chargé de la
mission de faire désintégrer les Comores en tant qu’État. Depuis que l’idée

292
d’une confédération comorienne regroupant quatre États formés des quatre
îles de l’archipel des Comores a été évoquée, il y a vu le moyen de parvenir
à ses fins destructrices puisque chaque île fera une adhésion individuelle à
la confédération, sans même être obligée d’en faire partie, dans la mesure
où une confédération est par définition formée d’États souverains, et il est
impossible d’obliger un État souverain de faire partie d’un ensemble, quel
qu’il soit. Donc, cette idée va donner à Hamada Madi Boléro la possibilité
de noyer le poisson. C’est un être infect pour qui je n’ai que du mépris.
En d’autres termes, c’est un homme sans compétence, ni expertise. Je le
vois plutôt en intriguant, en homme assoiffé de pouvoir et en Raspoutine. Je
le vois en intriguant qui se cache derrière les rideaux, comme il a su le faire
sous la présidence d’Ikililou Dhoinine. Il est borné et imbu de sa personne.
Je le vois aussi en être frustré sur les plans social, politique et électoral. Il
a été candidat à la députation en 2004 et a été battu alors qu’il était l’un des
plus proches collaborateurs d’Azali Assoumani. Lors du scrutin présidentiel
de 2010, toutes ses ambitions de règne direct ont été anéanties : il avait été
classé 5ème sur 10 candidats. Par la suite, il refusera de se ranger derrière
l’opposition et finit par atterrir à la Présidence de la République en octobre
2012, détruisant le régime politique d’Ikililou Dhoinine.
Une fois nommé Directeur du Cabinet du président chargé de la Défense,
il est devenu marionnettiste. Lors de sa nomination, il avait fait une véritable
déclaration de politique générale, comme s’il avait été nommé à un poste de
Premier ministre. Une fois de retour à la Présidence de la République, il a
passé son temps à agir contre les intérêts des Comores au niveau interne et
à l’échelle internationale.
J’insiste sur le fait que je le vois comme un homme dangereux ayant pour
tâche de militer contre les droits légitimes des Comores, sans la moindre
volonté ou capacité de travailler pour l’intérêt général. Ce n’est pas et ça ne
sera jamais sa vocation. C’est un homme qui a construit sa carrière en dents
de scie et en pointillés dans la trahison. Il agit toujours en marionnettiste. Il
est haineux parce que rejeté à Mohéli, surtout lors du scrutin présidentiel de
2010, lui dont la présidence tournante est le bébé.
Il est dans l’amertume et dans l’aigreur. Il est amer et aigri. Il est haineux.
Il est contre tout le monde. Il déteste tout le monde. Le nouveau passage de
la présidence tournante à Mohéli n’est pas sa priorité parce qu’il sait qu’il
ne sera jamais élu.
Je ne le vois pas concevoir et gérer un projet économique et social. Un être
aigri, frustré, haineux et amer ne réalise pas des projets économiques et
sociaux. Je vais aller plus loin en soutenant l’idée selon laquelle si les îles
Comores étaient ravagées par une catastrophe naturelle, il aurait été le tout
dernier à le déplorer. Il se croit malin, mais est incapable de proposer une
solution face à un problème.
Hamada Madi Boléro souffre d’un complexe de non recevabilité sociale,
politique et électorale de sa personne. L’élection législative de 2004 l’a tué,

293
et le scrutin présidentiel de 2010 l’a complètement enterré. Une réalité se
présente à lui, et il ne veut pas la regarder en face et en tirer les conclusions
qui s’imposent : les bases de sa popularité ne sont posées ni à Mohéli, ni
ailleurs. Il est détesté à Mohéli, haï en Grande-Comore, méprisé à Anjouan,
ignoré à Mayotte. Il ne s’est pas rendu le meilleur service social et politique
en commettant d’incroyables crimes envers des personnalités emblématiques
de la Grande-Comore, qui n’attendent que le jour où elles pourront assouvir
leur vengeance. Pourquoi refuse-t-il de s’interroger sur la détestation et la
haine qui le poursuivent partout ? Il n’aura jamais l’intelligence de se poser
des questions sur lui-même. Cela l’a tué socialement et politiquement !
Comment fait-il pour se croire le plus intelligent, mais en étant rejeté par
toute personne sensée ? Il n’a que des problèmes avec les Comoriens, et il ne
saurait avoir raison face à tous les Comoriens. Il incarne bien son rôle de
Raspoutine, mais il doit penser à l’horrible mise à mort de Raspoutine, lui
qui a fait ses études supérieures en ancienne Union Soviétique »1.
De 2012 à 2016, Hamada Madi Boléro avait été le Directeur du Cabinet du
chef de l’État en charge de la Défense. Ce chef d’État est Ikililou Dhoinine.
Ce dernier est un président par accident. Ikililou Dhoinine est devenu chef
d’État par pur accident. Il s’agit d’un accident de l’Histoire. Autrement dit,
une erreur d’aiguillage a placé Ikililou Dhoinine à la tête de l’État comorien.
Il a été formé en Pharmacie en Guinée. Il est tellement médiocre que même
l’homme de la rue comorienne dit qu’il n’est pas Docteur en Pharmacie mais
un préparateur en Pharmacie. Pourquoi ? La raison est très simple : Ikililou
Dhoinine est incompétent, effacé, sans le moindre charisme, ni sens et esprit
de leadership. Sa connaissance réelle des réalités et exigences de la gestion
publique est nulle. Il n’a jamais milité. Il n’a aucune notion d’État dans sa
tête. Il n’a ni culture générale, ni culture d’État, ni culture politique. Il est
une sorte de zombie. Il n’est donc pas différent des autres chefs d’État qui
ont brisé la vie des Comoriens depuis le 6 juillet 1975 et pour des siècles.
Avant son investiture, le 26 mai 2011, Ikililou Dhoinine s’était entretenu
avec un diplomate étranger de passage à Moroni qui, après l’entretien, s’était
empressé de se répandre en commentaires acides sur son caractère lunatique
et sur son incompétence. À la limite, Ikililou Dhoinine peut s’exprimer plus
ou moins bien en français, alors qu’Assoumani Azali en est incapable même
en langue comorienne.
Que de projets fort profitables Ikililou Dhoinine a fait avorter parce qu’il
est à la fois ignorant, incompétent, haineux et complexé ! Dès qu’on lui fait
part d’une idée intelligente, il sursaute en lançant : « Tu crois que je suis
bête ? ». Un ingénieur agronome lui fait observer que le site qu’il a choisi
pour l’implantation du dispensaire de Djoiezi est menacé par les coulées de
boue ? Il lance à la cantonade : « Tu crois que je suis bête ? ». On lui dit de
confier la construction de l’aéroport de Mohéli, le rêve de tous Mohéliens

1 Entretiens du samedi 7 avril 2018.

294
depuis des décennies, à une vraie entreprise au lieu d’un petit machin de
Mohéli sans ingénieur, ni matériel, alors qu’il s’agit d’une infrastructure
stratégique, il ressort son refrain : « Tu crois que je suis bête ? ». Personne ne
pouvait lui dire qu’il était « bête » ; mais, les Mohéliens le maudissent pour
leur avoir fait perdre une belle occasion de construire cet aéroport dont on
voit juste la carcasse. Les fonds pour la construction de l’aéroport de l’île
avaient été débloqués, mais l’ignorant de Djoiezi a saboté ce projet. Quand il
a constaté que les Mohéliens ne lui adressaient plus la parole après la fin de
son mandat, il vit le comique pompeusement baptisé « entrepreneur » à qui il
avait remis l’argent pour les travaux de l’aéroport pour lui demander de lui
enlever un poids de la conscience, et l’étrange personnage lui dit pouvoir
réanimer le chantier à condition que l’État lui remette encore de l’argent !
Alors que les Mohéliens réclament un vrai port en eaux profondes sur leur
île, il s’était attelé à un projet pharaonique de 180 millions d’euros supposés
venir de la Chine populaire, et pour une grosse « industrie industrialisante »
à l’algérienne (toujours synonyme de recette à l’échec), alors qu’un port de
dimensions modestes mais bien implanté aurait fait le bonheur de Mohéli et
des Comores, car cette île est la ferme et le grenier de l’archipel.
Ce projet de port imaginaire aux relents d’« industrie industrialisante » a
été une immense escroquerie imaginée par l’ambassadeur des Comores en
Chine, dont la vraie mission à Beijing est la commercialisation de l’ylang-
ylang du Djoiezien à l’étranger. Durant sa présidence, il a acheté nombre de
parcelles de terres au Sud de la Grande-Comore au nom de son complice et
ministre Abdoulkarim Mohamed (avec leur ami Badaouia Mohamed Fakih,
ils ont détruit ensemble la Pharmacie nationale autonome des Comores) et
celles se trouvant à Ndréméani, à Mohéli, où il plante de l’ylang-ylang. Celui
qui a été un vice-président insipide, inodore et incolore de 2006 à 2011
s’avéra un chef d’État nullissime et d’une rare médiocrité. Les autres chefs
d’État comoriens n’ont pas fait mieux que lui, mais Ikililou Dhoinine est tout
simplement inexcusable parce qu’il est supposé être nanti d’un Doctorat en
Pharmacie, obtenu à Conakry, en Guinée.
Toute la classe politique mohélienne et comorienne avait fait part à Ikililou
Dhoinine de sa disponibilité à travailler avec lui pour que le premier chef
d’État originaire de Mohéli puisse bénéficier de tous les atouts pour réussir.
Convaincu de ne pas être « bête », il préféra se constituer un sérail plus que
méprisable. Aucun des membres de son entourage politique à Djoiezi n’a été
plus loin dans les études qu’en première année de Collège. Il ne s’agit pas
d’une question de modestie et d’humilité, dans la mesure où depuis qu’il est
entré en politique, Ikililou Dhoinine a perdu ces deux qualités, choisissant la
médiocrité. Aucun de ses « fidèles » de Djoiezi n’avait un commencement
d’idée à lui proposer. C’étaient des bouffons qui faisaient pitié et honte par
leur manque d’imagination et par leur incapacité à faire rire le Roi.
Du début de sa présidence le 26 mai 2011 à janvier 2016, Mohamed Ali
Soilihi, vice-président et ministre de l’Économie et des Finances, avait été le

295
réceptacle de toutes les injures, malédictions et damnations adressées à la
présidence d’Ikililou Dhoinine. Or, c’est lui qui avait redressé l’économie
des Comores, demandait et obtenait les aides des différents partenaires du
pays, réussissait la suppression de la dette extérieure des Comores, arrivait à
donner une crédibilité internationale à un pays qui en avait besoin…
Il sera expliqué à Ikililou Dhoinine que l’achat d’un avion de lignes par les
Comores ne nécessitait aucun déplacement d’un cadre comorien avec sur sa
tête une valise d’argent, mais juste l’établissement d’un contact intelligent et
efficace avec les grandes sociétés. Celui qui proclame ne pas être « bête » ne
pouvait écouter des gens qui voulaient porter atteinte à son intelligence. Dès
lors, il remettait une valise de grosses coupures en euros à un intermédiaire
comorien enrichi par ce trafic qui a eu pour résultat majeur de ramener aux
Comores des carcans et carcasses d’avions incapables de voler. Pendant ce
temps, les Comores sont incapables de créer une compagnie aérienne.
Ikililou Dhoinine préférera organiser une immense fraude électorale pour
le putschiste Assoumani Azali, qui avait ruiné les Comores du 30 avril 1999
au 26 mai 2016. L’incompétence criminelle des deux hommes a beaucoup de
points communs. Le narcissisme arrogant des deux hommes est légendaire,
et a pour but l’occultation de leur incompétence.
Et si nous parlions d’Assoumani Azali, un autre chantre de l’incompétence
criminelle ?
Pour aller à l’essentiel, nous devons préciser que, de par sa gouvernance
complètement ratée, du 30 avril 1999 au 26 mai 2006, et de nouveau depuis
le 26 mai 2016, du fait de ses carences intellectuelles et professionnelles, le
putschiste Assoumani Azali est le grand exemple de l’incompétence et de
l’incurie au sommet de l’État. En privé, quand on lui parle de l’expérience
qu’il est censé avoir du fait de la période de sa junte militaire, il avoue n’en
avoir tiré aucune leçon salutaire. Il n’a jamais été capable de prouver une
quelconque culture générale, étatique et politique. Toute sa « compétence »
réside dans la manière polémique par laquelle Hamada Madi Boléro fraude
les élections dans le désordre et dans la controverse.
Il n’a jamais été capable de réaliser un projet d’envergure au profit des
Comoriens. Il limite toute son activité politique aux magouilles politiciennes
et à des coups bas qui ne présentent aucun intérêt pour le développement des
Comores. Exactement, comme son homme de main Hamada Madi Boléro, il
est incapable de la moindre initiative positive pour les Comores. Il intrigue et
croit qu’un pays doit être dirigé dans les aventures et les complots.
Son très faible niveau intellectuel l’empêche de se projeter au-delà de ses
opérations crapuleuses au profit de son clan de prédateurs, de kleptomanes et
de kleptocrates sur lequel règne de manière impériale Ambari Darouèche, sa
première épouse. Celle-ci est connue pour sa rapacité, son insatiabilité, son
goût sans limites pour les lubies dépensières, et même pour l’usage abondant
de faux billets en euros qu’il avait fait Place Vendôme, à Paris, sous la junte
militaire dirigée par son époux. Cet immense scandale avait été étouffé.

296
Soucieux de s’enrichir au plus vite sur le dos des Comoriens, Assoumani
Azali n’a jamais le temps de penser à la descente des Comores aux enfers.
Le 25 mai 2017, avec un jour d’avance, il célèbre le premier anniversaire
de son retour anticonstitutionnel au pouvoir. Il avait choisi de célébrer cette
usurpation de plus sur l’île d’Anjouan, en inaugurant l’hôpital construit par
la Chine populaire à la demande d’Ahmed Sambi, alors président, qui ne
sera même pas invité à l’évènement. Quand la Chine propose de gérer cet
hôpital très fonctionnel pendant 10 ans, le temps de procéder à un transfert
de technologie au profit des personnels comoriens, il refuse, et cette grosse
infrastructure est devenue un éléphant blanc : les personnels comoriens sont
incapables d’en assurer le fonctionnement. En plus, il voulait transformer cet
hôpital en caserne pour l’Armée comorienne !
C’est par incompétence qu’il se laisse dominer par le chauvinisme insulaire
au point de refuser tout budget au bâtiment de Comores Télécom à Fomboni,
estimant que cet édifice n’avait sa place que chez lui, en Grande-Comore. Il
en est de même pour son refus de faire reprendre les travaux de construction
de l’aéroport de Mohéli. En Grande-Comore, il a détruit l’Hôpital de Moroni
avant d’avoir obtenu le moindre centime pour la construction de celui qui est
censé remplacer celui qui constituait l’hôpital de référence aux Comores, en
dépit de ses nombreuses imperfections et insuffisances. Quand il se sentira
au pied du mur, il quémandera une aide de l’Arabie Saoudite au prétexte que
l’un de ses Princes, dans un pays qui compte 15.000 Princes et Princesses,
lui avait promis de l’aide pour reconstruire ce qu’il n’était pas obligé de faire
supprimer de la surface de la Terre. Quand les autorités saoudiennes lui
demandent le nom de ce Prince, il n’a jamais été capable de le dire.
Comme il a senti que la situation lui avait définitivement échappé sur ce
sujet, il s’était rué dans les vestiaires d’une salle de danse de Bercy, à Paris,
le dimanche 10 décembre 2017 pour offrir une prétendue médaille à l’artiste
franco-comorien Soprano et mendier auprès de lui un événement musical
devant générer de l’argent pour la reconstruction de son hôpital pharaonique
de « 7 étages ».
Sous la présidence d’Ikililou Dhoinine, la loi des finances des Comores se
limitait à des dépenses annuelles de 29 milliards de francs comoriens (60
millions d’euros). À l’échelle des Comores, il s’agit d’un montant important
et il était très difficile de disposer d’une telle somme d’argent. Or, dès juin
2016, Assoumani Azali, qui n’a aucune notion de Finances publiques, s’est
lancé dans une aventure très risquée : faire passer les dépenses annuelles de
l’État comorien de 29 à 81 milliards de francs comoriens (60 à 190 millions
d’euros), et financer des investissements d’un montant de 200 milliards de
francs comoriens (400 millions d’euros).
Il soumit les Comoriens à une incroyable pression fiscale, dont le résultat
majeur a été la destruction de toute l’activité économique et commerciale du
pays. Seuls 30 millions de francs comoriens ont été récoltés par les services
financiers de l’État, le tout dans un climat de grave crise économique, alors

297
que, quand il s’agit de travailler pour le bien commun, la puissance publique
est partout démissionnaire.
Avec un sens aigu de l’exagération, Assoumani Azali et ses hommes ont eu
à claironner partout en prétendant qu’ils venaient de trouver des solutions au
problème des coupures sauvages et de délestages d’électricité. Toute honte
bue, Assoumani Azali avait même cru bien faire d’aller pérorer du haut de
la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU le 21 septembre 2017, mentant
effrontément à la communauté internationale, réunie à New York : « Dans
mon pays, en Union des Comores, nous avons réussi en un an, à enrayer les
pénuries d’électricité et aux [Sic : « Les »] délestages permanents qui plom-
baient notre économie, nos entreprises et nos foyers, et à sortir le pays d’une
longue crise de l’énergie ».
En réalité, quand la « Républiquette » familiale de Mitsoudjé a commencé à
crâner sur le sujet, le discret Mohamed Ali Soilihi avait haussé les épaules et
s’était contenté d’ironiser sur ce qu’il avait joyeusement qualifié de « feux
d’artifice ». Pour parader, Assoumani Azali et ses hommes n’avaient reculé
devant aucune excentricité, inaugurant leur centrale électronique à grands
renforts publicitaires, allant jusqu’à s’attribuer la paternité de l’électricité
aux Comores. Ils venaient de voler les Comoriens en achetant des moteurs
d’occasion repeints en jaune et revendus au prix du neuf.
Lors de cette transaction crapuleuse, le Code des marchés publics avait été
superbement ignoré, et la famille d’Assoumani Azali se servit de ce dossier
pour continuer à s’enrichir dans l’illicéité, sur le dos des Comoriens, à coups
de rétrocommissions, une pratique illégale. Or, quelques mois après l’arrivée
de ces 9 groupes électrogènes usagés et moribonds aux Comores, un à un, ils
ont rendu l’âme. Assoumani Azali et sa famille ont sauvagement gaspillé les
fonds du peuple comorien, plus que jamais écrasé par le poids de la misère la
plus accablante.
Assoumani Azali a fait le choix de l’incompétence. Celle-ci se remarque à
tous les niveaux de son entourage. Les exemples les plus emblématiques de
sa prédilection pour l’incurie se voient à travers le choix des hommes à qui il
a confié d’importantes responsabilités étatiques. Assoumani Azali n’a jamais
fait de bons choix sur les hommes. Nommer Kiki à la tête du ministère de
l’Intérieur est la pire des bêtises parce que l’intéressé est un voleur notoire
d’argent public, qui a ruiné les Douanes des Comores, un ancien maître-
nageur au Nord de la France qui prétendra par la suite avoir réussi la grande
prouesse mondiale, celle ayant fait de lui le seul homme sur Terre et pour
l’éternité à avoir « obtenu » le même jour un « Master 2 » et un « Doctorat »
en « Intelligence économique ». Kiki dirige un escadron de la mort à Moroni
depuis des années.
Assoumani Azali a pour Directeur de Cabinet chargé de la Défense Bellou
Magochi, fonctionnaire du ministère de l’Agriculture, qui ne comprend rien
au fonctionnement d’une administration, à la gestion d’un agenda de chef
d’État et aux besoins d’un État en matière de Défense. Bellou Magochi doit

298
sa nomination, qui a indigné tous les Comoriens qui connaissent toute sa
médiocrité et son incompétence, à son ami Idaroussi Hamadi. Ce dernier, qui
n’a aucune formation juridique, mais en eaux et forêts (Maroc), est le neveu
d’Assoumani Azali, qui lui a confié la lourde responsabilité étatique de
secrétaire général du gouvernement. Surnommé « Tonton-m’a-dit » par un
blogueur comorien, surnom partout repris par les Comoriens, Idaroussi
Hamadi est un « expert » en incompétence et en corruption.
Lors de la junte militaire de son oncle, Idaroussi Hamadi avait commis un
retentissant vol d’argent public et de matériel au ministère de la Production
(Agriculture). Sous la présidence d’Ahmed Sambi, il avait atterri à la prison
de Moroni. C’est alors que Bellou Magochi, après avoir juré sur le Coran de
dire toute la vérité sur l’affaire, produit le plus important faux témoignage de
toute l’Histoire des îles Comores, un pays dont la Justice est dévoyée. Ce
faux témoignage fit obtenir à Idaroussi Hamadi une libération provisoire, et
on connaît « cette vertu du provisoire, qui est de durer »1.
Cette libération « provisoire » dure depuis 2006 ! Pour récompenser Bellou
Magochi pour son faux témoignage, Idaroussi Hamadi l’a fait nommer à son
poste, où il n’a aucune compétence. L’incompétence de Bellou Magochi est
de notoriété publique, même si l’intéressé se donne des grands airs lors de
ses injures inutiles envers l’opposition, pourtant formée de cadres beaucoup
plus compétents et plus honnêtes que lui.
Idaroussi Hamadi lui-même ne vaut guère mieux. Se prenant pour un vrai
Premier ministre, il est le grand spécialiste des dysfonctionnements et de la
paralysie de toute l’action du gouvernement, s’illustrant partout où il peut
dénicher des marchés publics qui vont lui permettre de se livrer à des fausses
factures pour s’enrichir considérablement sur le dos du peuple comorien. Il
s’est fait construire à Moroni et en moins de deux ans un palais des Mille et
une Nuits qui se passe de toute discrétion.
Ne sachant que faire face à une cohorte de quémandeurs, Assoumani Azali
a nommé des dizaines de Conseillers à la compétence douteuse et à l’utilité
introuvable, parmi lesquels un « Conseiller aux Affaires religieuses » et un
« Conseiller spécial aux Affaires religieuses » !
Ayant demandé un poste qui allait lui permettre un enrichissement rapide
et illicite, Mohamed Chatur Al Badaoui, ancien gardien de parkings à Paris,
est nommé Directeur général de la SCH, où il s’est illustré avec fracas par
l’achat au prix du neuf d’un camion-citerne d’occasion de transport de lait de
ferme, les vols massifs d’argent public et la construction de son château !
Plus grave encore, Assoumani Azali a nommé Saïd Ali Saïd Chayhane
ministre de l’Économie et des Finances. Déjà, lors de sa junte militaire, il
l’avait nommé à la tête des Douanes comoriennes, alors que celui-ci n’avait

1 Charles-Roux (François) : Souvenirs diplomatiques d’un âge révolu. Saint-Pétersbourg

1902-1904. Paris 1904. Constantinople 1905-1907. Le Caire 1907-1912, Londres 1912-1914,


Fayard, Paris, 1956, pp. 177-178.

299
même pas le grade d’Inspecteur de Douanes. Or, pour être Directeur général
des Douanes, il faut obligatoirement être Inspecteur des Douanes. Saïd Ali
Saïd Chayhane a été promu à deux reprises par Assoumani Azali uniquement
car l avait accepté de prendre pour épouse une des nombreuses maîtresses de
son chef, à la demande de ce dernier. Cette énième maîtresse a eu hors
mariage un enfant avec Assoumani Azali, qui voulait que ça soit Saïd Ali
Saïd Chayhane qui s’occupe de l’éducation dudit enfant.
Quant aux responsables de la communication d’Assoumani Azali, ils ne se
signalent que par leur omniprésence puérile sur Facebook.
En résumé, après son procès à charge contre l’administration coloniale, Ali
Soilihi avait cru pouvoir faire sa Révolution en s’appuyant sur des lycéens
qui n’avaient ni formation, ni expérience en matière de gestion publique.
Ahmed Abdallah Abderemane ignorait, méprisait et ostracisait les cadres
les plus compétents du pays, préférant recourir à certains notables et à leurs
héritiers, les uns et les autres pouvant s’avérer d’une grande incompétence.
Saïd Mohamed Djohar avait jeté l’État comorien à terre, même si on doit
lui reconnaître le mérite de l’ouverture de l’administration comorienne à des
cadres naguère exclus des affaires publiques du fait de leurs origines sociales
modestes et de leurs opinions politiques.
Mohamed Taki Abdoulkarim avait rappelé des personnalités expérimentées
qui auraient pu l’aider à redresser les Comores, mais il y a eu le séparatisme
à Anjouan et le sabotage de ses efforts par ses ennemis les plus vicieux et les
plus cyniques, qui pensaient plus à le faire échouer qu’à voir les Comoriens
s’éloigner progressivement de la misère. Sa mort prématurée a été un facteur
de régression pour les Comores, pays qui allait devenir l’otage d’Assoumani
Azali et de sa famille, formant un clan mafieux gangrené par l’incompétence
la plus malséante et la corruption la plus infecte.
Ahmed Sambi a été élu en 2006 sur la destruction et les ruines laissées par
Assoumani Azali en quittant Beït-Salam le 26 mai 2006. Il avait réussi la
plus structurée des campagnes électorales jamais organisées aux Comores,
suscitant l’espoir partout. Cependant, il n’avait pas eu le gouvernement qu’il
lui fallait pour réaliser l’ambitieux programme électoral qu’il avait proposé
aux Comoriens.
Son vice-président Ikililou Dhoinine hérita du pouvoir et fut investi chef de
l’État le 26 mai 2011. Bien qu’il soit le président comorien le plus diplômé
(il est Docteur en Pharmacie), il n’a pas su prouver une supériorité culturelle,
intellectuelle et professionnelle par rapport à ses prédécesseurs. Complexé à
l’extrême, il a toujours refusé la collaboration des meilleurs cadres du pays,
se murant dans le « monologue de sourds-muets » avec ses amuseurs de tapis
et de galeries, incapables de lui faire la moindre proposition constructive.
Par la fraude électorale la plus éhontée, qu’il a lui-même initiée, supervisée
et financée, il a laissé le pouvoir au plus honni, incompétent et corrompu des
acteurs politiques comoriens : Assoumani Azali, qui fait tout pour noyer son
incompétence dans un narcissisme arrogant poussiéreux et médiéval auquel

300
s’accommodent ses quémandeurs, solliciteurs, mendiants et visiteurs du soir.
Apologiste de la médiocrité, Assoumani Azali est logiquement l’ennemi juré
de la compétence et de la méritocratie.

§2.- L’ADOPTION AU QUOTIDIEN D’UN COMPORTEMENT INDIGNE ET


IRRESPONSABLE
Chacun se comporte au quotidien comme il veut. Cependant, la conduite de
l’individu cesse d’être une affaire purement privée dès qu’elle implique une
institution étatique, d’une manière ou d’une autre. Dès lors, analysons l’effet
du mauvais comportement du dirigeant comorien à l’intérieur du pays (A.) et
devant les responsables étrangers (B.).

A.- INDIGNITÉ, DÉCRÉPITUDE ET IRRESPONSABILITÉ DU DIRIGEANT


COMORIEN AUX COMORES
Au quotidien, le comportement du dirigeant comorien relève du scandale.
Ceci est d’autant plus vrai que de manière générale, la plupart des politiciens
comoriens ont décidé de vivre dans l’opprobre, discréditant profondément à
la fois leur personne et leurs fonctions au sein de l’appareil d’État. Autant
dire que l’indigence culturelle et intellectuelle de nombreux politiciens des
Comores favorise toutes sortes de dérives, dont la principale victime est
l’État comorien, qui n’a jamais eu bonne presse, du fait des agissements
honteux et criminels de ses responsables de premier plan.
Dans de nombreux domaines, le dirigeant comorien est indigne, et donne la
preuve de son irresponsabilité. Il se montre blâmable. Il se dévalorise devant
les Comoriens, qui n’en peuvent plus d’assister à la détérioration de ce qui
reste de l’image de leur pays.
Qui est ce Comorien ayant le sens des valeurs et des principes qui a envie
de respecter des acteurs qui se comportent en voyous sur l’espace public,
dans un petit pays où tout le monde connaît tout le monde, où tout se sait ?
En réalité, même si l’autorité exploite la précarité dans laquelle vit le peuple,
force est de noter que de nombreux Comoriens lui vouent un profond mépris
et une inébranlable haine.
L’un des domaines dans lesquels s’illustrent tristement les responsables du
pays est celui de la sexualité. En effet, la débauche sexuelle ruine le sommet
de l’État comorien, et il est interdit d’en parler. Cependant, je ne me sens pas
concerné par ce tabou. Les faits sociaux n’ont d’intérêt que si on en parle de
manière libre.
J’avais donc décidé de briser l’omerta sur la débauche sexuelle en politique
aux Comores, sachant que la tartufferie et la duplicité sont les 2 mamelles
des acteurs politiques comoriens. Il s’agit d’une expérience très édifiante.
C’était le vendredi 19 avril 2013. Ce jour-là, j’avais publié sur mon site
www.lemohelien.com un article intitulé « “Sexus politicus”, ou sexualité et
homosexualité en politique comorienne – Quand le sexe devient l’étoile

301
polaire d’une classe politique en nette perdition ». Cet article avait été mis à
jour le lundi 13 janvier 2014. Il avait provoqué une véritable tempête sur les
réseaux antisociaux, me valant des injures et des menaces de mort. Ce n’était
pas une nouveauté. En effet, chaque fois que je soulève des questions sur les
ressorts intimes de la société comorienne, faute de dire que j’avais tort –
alors que je n’invente rien –, les bien-pensants utilisent la seule arme qu’ils
ont contre moi : l’injure, l’invention d’une vie qui n’a jamais été la mienne,
le dénigrement et les menaces de violences pouvant entraîner la mort.
Comme je ne vois jamais l’intérêt de lire des écrits évacuant toute forme
d’intelligence mais charriant la haine, l’ignorance et le refus d’évoquer des
sujets de société, je ne me perds jamais dans des tentatives de justification.
La bien-pensance a ses chantres aux Comores, et ces derniers sont tous dans
la tartufferie. Pour bien comprendre la virulence des injures et des menaces
que j’avais reçues, il est souhaitable de lire l’article lui-même. Cette lecture
est d’autant plus instructive que l’article ne cite aucun nom mais se limite à
évoquer des faits, dont certains sont connus des Comoriens.
« Sexus politicus », ou sexualité et homosexualité en politique comorienne
Quand le sexe devient l’étoile polaire d’une classe politique en nette perdition
Par ARM
La Comorienne est vertueuse et pieuse. Le Comorien est vertueux et pieux.
Donc, tout va bien aux Comores, côté morale. Il n’est donc pas nécessaire, pour
le politologue et pour le sociologue de la politique, de se livrer à des investi-
gations sur la relation coupable entre sexe et politique aux Comores, comme
cela a été fait en France par Christophe Deloire et Christophe Dubois : Sexus
politicus, Albin Michel, Paris, 2006 (380 p.).
Aux Comores, celui qui se livrerait à une telle étude prendrait le risque de
s’exposer à la vindicte d’une classe politique dépravée, et finir en prison. La
société comorienne elle-même n’accepterait pas qu’on parle publiquement de la
sexualité « publique » de ses dirigeants, alors que dans les discussions privées, le
sujet est récurrent. Tout se sait, tout se dit. D’ailleurs, pourquoi ne le serait-il pas
quand on sait que telle personnalité, masculine ou féminine, doit plus sa carrière
à son horizontalité dans les canapés de bureaux le soir qu’à sa compétence, une
compétence inexistante ? Si l’épouse de tel chef de l’État avait tout fait pour
obtenir la tête d’un rival ou d’une rivale, c’est que le malaise est profond et
qu’on ne saurait jeter un voile pudique sur lui.
« Le mariage pour tous aux Comores », sur les traces du débat qui divise
actuellement la société française ? Voilà un thème que personne ne soulèvera
aux Comores. Or, les autorités qui ont été promues pour cause de sexualité et
homosexualité dans notre pays sont légion. Et connues. Et même si personne
n’ose évoquer pareille « infamie », ce n’est pas pour autant qu’on pourra dire que
la piété et la vertu chères aux Comoriens concernent les autorités. Et là, nous ne
parlons même pas de la débauche sexuelle des dirigeants qui, soit sont dragués
par ceux qui les jugent « beaux et séduisants » dès qu’ils exercent une parcelle
de pouvoir, soit ceux qui se font payer sur la bête, nommant à des postes de très

302
haute responsabilité tels nullissimes et tels nullards qui font commerce de leur
corps. La promotion canapé a conduit les Comores à la ruine.
Quand une autorité comorienne dit « se sacrifier » pour le pays au point de rester
au bureau au-delà de 18 heures, cela signifie qu’elle se livre à des galipettes et
montre sa collection de bouteilles d’eau minérale à ses visiteuses du soir.
Au-delà du scandale que constituent de tels agissements, force est cependant
de reconnaître que le plus grave réside dans la promotion socioprofessionnelle
de tels nullissimes pour coucheries « bureautiques ». Cette promotion canapé ne
concerne pas des petites secrétaires au sang chaud et à la morale chancelante
dont on aime pincer les fesses, mais des personnalités des deux sexes très haut
placées. Le sexe remplace le capital culturel et l’expérience, au vu et au su de
tout le monde. Certains gigolos acceptent que leurs « épouses » se livrent à ce
sport qui peut amener la « prospérité » au sein du foyer pendant quelques mois.
En même temps, telle « Marie-couche-toi-là » ne sera jamais effarouchée et
scandalisée par le fait que son « mari » se fait peloter par un autre homme.
L’histoire du ministre [Mohamed Elamine Souef] qui a brisé la hanche de sa
copine [son copain de Bangoi, en réalité] sur la table de son bureau, après avoir
fait jaser le Tout-Moroni, ne fait plus rire personne. Le dossier de la sexualité de
quelques politiciens en vue, très en vue, est un secret de Polichinelle.
Et l’Armée nationale de Développement dans tout ça ? Elle n’est pas épargnée
par ce fait social. L’AND a ses brebis galeuses. Certes, chacun est libre de faire ce
qu’il veut de son corps, comme ce Soudanais qui s’est marié à une chèvre… Mais,
quand on fait de la sexualité et de l’homosexualité des facteurs de promo-tion
socioprofessionnelle, c’est que le pays a touché le fond. Les maquereaux et
maquerelles perçoivent leur dîme au passage. À terme, cela devra inciter les
autorités comoriennes à lancer un grand débat sur le sujet. Mais, ce tabou sera
difficile à briser dans une société très conformiste et « pudique » comme la nôtre.
Si chacun est libre de faire ce qu’il veut de son corps, il lui est interdit de faire
de celui-ci le moyen de gestion des affaires de l’État. Parler d’un tel sujet relève-
t-il de l’insolence ou de la folie ? En tout cas, tôt ou tard, il faudra en parler
publiquement. Ça finira bien par arriver…
Par ARM
© www.lemohelien.com – Vendredi 19 avril 2013.
Mise à jour : Lundi 13 janvier 2014.

Comme on peut le constater, aucun nom n’a été mentionné, mais certains
responsables comoriens avaient jugé que la simple évocation d’un tel sujet
constituait un grand problème de conscience pour les bien-pensants. Ceux
qui ont l’injure facile avaient juste « oublié » d’expliquer au peuple pourquoi
ils étaient subitement devenus colériques alors qu’aucun nom n’avait été cité
sur l’article.
En réalité, le thème de la sexualité est celui sur lequel l’acteur politique et
l’autorité des Comores se font le plus déprécier. Ali Soilihi, au nom de sa
prétendue émancipation de la femme, avait fait de sa Révolution une usine
de débauche sexuelle. Il a fait sortir de force de leurs maisons des filles qui

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avaient choisi par tradition un mode de vie plus casanier et les a jetées en
pâture à ses lycéens.
Sous Ahmed Abdallah Abderemane, la sexualité des autorités était mesurée
mais en envol. L’homosexualité des femmes de la « haute société » tuait.
La « gendrocratie » a été un catalyseur de débauche sexuelle au sommet de
l’État et à tous les niveaux de l’administration.
Mais, c’est la junte militaire d’Assoumani Azali qui incarne la République
sexuelle, pornographique et pédophile. Le sexe devenait le facteur dominant
des passe-droits des militaires et civils qui avaient vampirisé ce qui restait de
l’État. Plus grave encore, c’est la junte militaire d’Assoumani Azali qui avait
fait des îles Comores un lieu de tournage de films pornographiques destinés
à l’étranger et aux dirigeants comoriens. Des militaires proches d’Assoumani
Azali étaient impliqués dans le tournage des films pornographiques. Il est
très important de souligner que le producteur de ces films s’appelle Hamada
Madi Boléro. C’est lui qui supervisait toute la chaîne pornographique.
Ce dernier a même écrit un livre électronique dans lequel il relate par le
menu ses aventures relevant de la pure pédophilie avec l’une de ses élèves.
Ce livre électronique donne froid au dos. Il commence par de « Propositions
de titres » pour son livre : « 5.256.000 minutes d’amour », « Amoureusement
correct », « Une colère saine, un amour fou, fou », « Une rose qui pique »,
« Testament d’amour », et « Dan et Tian, un fol amour ». On y retrouve les
passages suivants, « Dan » et « Dardan » étant les pseudonymes que s’attribue
Hamada Madi Boléro dans ce livre hallucinant.
« Dardan, jeune homme, pas bête du tout mais un peu naïf, est né vers 1965
dans un petit pays musulman ; il vient tout juste de rentrer au pays après sept
ans passés en Europe avec en poche, un diplôme de master of law ». « C’est
donc 7 ans après ses études universitaires en Europe que Dan épousa Haloi,
une très jolie fille cadette de 7 ans de Dan. De ce mariage naîtront 3 enfants,
deux filles et un garçon ».
« Tianrafa est une jeune fille très coquette qui sort avec un autre élève depuis
bientôt une année. D’une taille très fine, un peu élancée avec un regard vif et
direct qui gêne parfois, Tianrafa est une jeune fille moderne qui n’a peur de
personne. Dès le premier jour de classe, Dan l’a vite remarquée et il s’est dit
que celle-là deviendra un jour son épouse. Les romantiques parleraient du
fameux coup de foudre ». « Au deuxième trimestre, Dan décida de dévoiler à son
élève ses sentiments ».
« Ce fut en récréation que Dan décida enfin de s’adresser à son élève : – Tian,
tu es belle et je voudrai faire l’amour avec toi. – Pardon, merci… Euh ! Tian
expliquera plus tard à son professeur qu’elle a été choquée de la brutalité de sa
déclaration d’amour ».
« Ce n’est que vers la fin de l’année scolaire 1997 que Tian aura accepté enfin
de rencontrer son professeur Dan dans un lieu secret ».
« Je peux t’embrasser ? Et Dan ferma les yeux lorsque les lèvres de cette belle
fille se posèrent sur les siennes. Dan avait tout réglé à l’avance pour que Tian

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n’ait pas les moyens d’échapper à ses désirs. Arrivé en premier au lieu du
rendez-vous, Dan s’était vite débarrassé des chaises qui étaient dans la chambre
et les avait cachées à la cuisine ; ceci ne devait laisser aucune chance à Tian
d’éviter le lit où Dan avait déjà pris place. Aussi, Dan savait qu’il ne devait en
aucune façon poser des questions concernant les relations visiblement très
célèbres de Tian avec son copain s’il espérait lui ravir la place plus tard ».
« Plus tard il expliquera à Dan qu’elle ne cessait de se demander comment a-t-il
su qu’elle n’était pas vierge. Cette situation la mettra toujours mal à l’aise car
elle ne comprenait pas comment est-ce possible alors qu’elle se comporte bien.
Dan, plus expérimenté que son élève, avait compris qu’il ne pouvait pas forcer
dès la première rencontre d’autant que pour lui, Tian avait déjà accepté de faire
le chemin avec lui puisqu’elle était là en face de lui et lui souriait. Il restait
maintenant à gagner sa confiance ».
« Primo, elle avait peur que son copain apprenne sa relation naissante avec son
professeur de français, d’autant qu’il la soupçonnait déjà depuis qu’elle avait
commencé à bien travailler en classe de seconde. Secundo, Tian n’arrivait pas à
intégrer le fait qu’elle puisse être la copine de son professeur ; comment ses
amies réagiront-elles en apprenant cela ? La troisième préoccupation était la
plus difficile à résoudre : son copain lui disait toujours que les professeurs
aiment profiter de leur position d’enseignant pour draguer leurs élèves et les
abandonner après “usage”. Tian se demandait donc si elle ne commettait pas là
une faute grave dont elle regrettera toute sa vie ».
« “Tian, je t’aime. Il est vrai que je suis marié, j’ai une famille et je suis ton
professeur, mais je suis sincère dans ma démarche et d’ailleurs tu verras que je
t’accompagnerai tout au long de ta vie estudiantine pour t’apporter tout mon
soutien. Ensuite, tu sais très bien que je suis professeur par accident mais je ne
devrai pas me trouver là où je suis. L’amour est spontané et les règles qu’il
observe ne sont pas si rigides. Je t’aime un point c’est tout et je n’ai rien à me
reprocher et toi à craindre”. Cette déclaration a rassuré Tian conquise d’avance
et qui, sans perdre du temps, s’accrochera à celui qu’elle va aimer désormais
corps et âme ».
« L’histoire de Dan et Tian devenait de plus en plus un secret de polichinelle ».
« Ils s’aimaient comme personne dans ce monde, pensaient-ils. Mais le
lendemain, Dan qui était professeur par défaut, fut nommé à une haute fonction
politique et devait quitter l’école avant que Tian ait passé son bac. Un mois
après, Tian obtint son diplôme du second degré et Dan l’appela de son bureau
pour la féliciter et lui souhaiter bonne chance ».
« “M’aimez-vous vraiment ou voulez-vous tout simplement sortir avec moi pour
quelque temps comme le font tous les garçons ? Et puis, j’ai des difficultés à
réaliser comment est-ce possible qu’une élève sorte avec son professeur car vous
le savez bien que cela donne une mauvaise image à l’élève”, plaida Tian,
maladroitement ».
Que faut-il penser d’un ancien Directeur du Cabinet de deux chefs d’État
chargé de la Défense, ancien Premier ministre, ex-chef d’État par intérim,
ancien ministre de la Défense et futur secrétaire général d’une organisation

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internationale, la Commission de l’océan Indien, en l’occurrence, qui écrit de
telles horreurs ? Comment les Comoriens peuvent avoir du respect envers les
dirigeants de leurs pays quand ceux-ci avouent eux-mêmes dans des livres
leur propre perversité sexuelle ?
En juin 2012, Hamada Madi Boléro m’a dit, en présence de deux femmes,
avoir été dragué par l’avocate Harmia Ahmed Ali, qui a l’âge de sa mère, et
avoir eu une aventure sexuelle avec elle, alors qu’il était Premier ministre.
Plié de rire, il m’expliqua : « Elle m’avait beaucoup étonné en me disant le
plus sérieusement du monde qu’elle me trouvait “beau et séduisant”. Comme
elle insistait, j’ai sauté le pas dans tous les sens du terme ».
Ne nous étonnons point. En effet, toute idée d’étonnement doit être écartée
parce que Hamada Madi Boléro s’implique encore et toujours dans des actes
et affaires de mœurs le discréditant à jamais auprès des Comoriens. Sous la
présidence d’Ikililou Dhoinine, il se lance dans une aventure sexuelle dans
son bureau à la Présidence de la République avant de recevoir en début de
soirée et au même endroit un diplomate occidental. Or, que voit ce dernier
par terre ? Il y voit des préservatifs ayant servi. Il baissa pudiquement ses
yeux par terre. Le lendemain, ce sont des Comoriens qui vont mettre la main
sur lesdits préservatifs et qui identifieront la fille qui était à la Présidence de
la République en pleine nuit avec Hamada Madi Boléro, qui était supposé
« travailler avec acharnement pour le bien du pays » : dans la précipitation,
la fille en question n’avait pas eu le temps de se déconnecter de son compte
Facebook, qui était resté en service.
Même si la sexualité est une affaire purement privée, force est de constater
que quand l’État sert de « matelas » à la débauche sexuelle des détenteurs du
pouvoir, on n’est plus sur la sphère privée. Quand Marie Mayobe dite « La
Préférée de la République », « Marie-Madeleine » ou encore « la Maîtresse
en titre et la plus titrée » d’Assoumani Azali, présente des fausses factures à
l’entreprise publique Comores Télécom et l’oblige à payer, il y a un profond
malaise au sein de la société comorienne : la sensibilité et la susceptibilité
des Comoriens sont mises à rude épreuve. Quand Marie Mayobe vampirise
l’aviation civile comorienne à son propre profit, le malaise au sein de la
société comorienne devient tout simplement insupportable. Marie Mayobe fit
un pas de plus en direction de la République du matelas et des moustiquaires
ce jour de février 2018 quand, à Dubaï, elle a obtenu le monopole de vente
de toutes les boissons produites aux Émirats Arabes Unis et vendues aux îles
Comores. En mars 2018, des commerçants comoriens se rendirent à Dubaï et
apprirent qu’ils n’avaient plus le droit de commercialiser ces boissons sans
passer par « La Préférée » Marie Mayobe. C’est du déjà vu parce pour les
Comoriens, qui se rappellent du monopole qu’avait Ambari Darouèche, la
première épouse d’Assoumani Azali qui, au début très tardif de la téléphonie
mobile aux Comores, avait pour elle tout le marché des téléphones portables
dans le pays. Aucun appareil téléphonique ne marchait aux Comores tant
qu’il n’était pas vendu par le réseau personnel d’Ambari Darouèche. Elle

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avait obtenu de Comores Télécom la commande de puces téléphoniques très
spéciales, qui ne fonctionnaient que sur les appareils de son trafic personnel.
Sur le même registre, force est de noter que dans le gouvernement formé le
31 mai 2016, une femme avait été nommée secrétaire d’État chargée des
Transports auprès du Vice-président chargé du ministère des Transports, des
Postes et Télécommunications, des Technologies de l’Information et de la
Communication. Elle était la seule femme membre du gouvernement, et elle
est l’une des maîtresses d’Assoumani Azali, qu’il étrennait même à l’ONU.
Depuis la junte militaire d’Azali Assoumani, des dirigeants comoriens ne
sont nullement gênés de baisser leur braguette devant des petites filles, qui
peuvent les filmer et photographier dans une superbe nudité et parler après
de leur anatomie. La pédophilie est devenue un enjeu de pouvoir politique
aux Comores. Maoulana Charif, notoire voleur d’argent public, ex-ministre
de l’Économie et des Finances lors de la junte militaire d’Assoumani Azali,
dont il est le vrai héritier politique, se sert de son poste de vice-président de
l’Assemblée de l’Union des Comores pour recruter des petites stagiaires, à
qui il promet la titularisation. Toutes ces filles finissent sur son lit. Une de
ces filles, originaire de la région du Mboundé, en Grande-Comore, avait eu
le malheur de tomber enceinte. Maoulana Charif la fit avorter à l’étranger et,
pour la reconnaissance du ventre et au nom du fœtus, la fit titulariser.
Mais, l’attitude malheureuse des autorités comoriennes ne se limite pas au
sexe. Elle peut revêtir d’autres aspects.
Quand Ahmed Abdallah Abderemane était président des Comores, il était
impossible de voir son épouse dans des cérémonies publiques. Elle n’avait
pas d’existence publique. Au samedi 18 août 2018, je peux affirmer que je
ne sais pas à quoi elle ressemblait. Quand Saïd Mohamed Djohar s’installa à
la Présidence de la République, il reçut le surnom de « Papadjo », et une de
ses épouses, la plus influente car la plus impliquée dans la « gendrocratie »,
à savoir celle de Mitsamiouli, reçut le sobriquet de « Mamadjo ».
En 1991, à Rabat, au Maroc, mon ami Nassuf Ahmed Abdallah, fils aîné de
l’ancien président, me parlait des colères terribles de « Mamadjo », déplorant
sa détestable habitude à casser, chaque fois qu’elle était fâchée, la vaisselle
achetée naguère par Ahmed Abdallah Abderemane. Nassuf Ahmed Abdallah
expliquait que ce qui était irresponsable et gênant dans cette attitude, c’est
que « Mamadjo » avait tendance à casser de la vaisselle quand le chef d’État
recevait des personnalités et des délégations, qui entendaient le fracas.
À elle seule, la « gendrocratie » avait complètement discrédité les Comores
même à l’étranger. Le mot était arrivé aux oreilles du Canard enchaîné. Les
scandales qui avaient émaillé ce régime politique ridicule avaient achevé de
donner des dirigeants comoriens et des Comores l’image la plus caricaturale
et la plus dégradante qui soit.
Aux Comores, Hadidja Aboubacar, épouse Ikililou Dhoinine, est la femme
de chef d’État la plus influente et la plus ambitieuse. Ne connaissant pas ses
limites et se moquant de la haine que lui vouaient les Comoriens, elle ne se

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souciait guère de la mauvaise image qu’elle donnait à son mari du fait de son
étouffante tutelle sur lui. Toujours caustique, corrosif, mordant et capable
d’attribuer à ses ennemis et adversaires les pires surnoms, le vice-président
Fouad Mohadji avait résumé la situation en surnommant Ikililou Dhoinine
« Ma Haloua », « la Mère de Haloua ». Il signalait que Hadidja Aboubacar
portait la culotte. Le surnom a amusé les Comoriens, qui l’ont adopté.
Hamada Madi Boléro me faisait part de situations surréalistes, notamment
quand Hadidja Aboubacar veut obliger Ikililou Dhoinine à nommer certaines
personnes à des postes de responsabilité. Hamada Madi Boléro dit avoir vu
Ikililou Dhoinine jeter des feuilles et un stylo à son épouse, après l’avoir
bien injuriée : « Tiens ! Si tu crois qu’il est aussi facile de signer des décrets
de nomination, prends ceci et signes-en autant que tu veux ! ».
En 2016, en pleine élection gubernatoriale, des Mohéliens fustigeaient dans
un tract Hadidja Aboubacar, en la traitant de « dictatrice ». Ces Mohéliens
étaient parfaitement au courant de la scène publique la plus honteuse qui
avait eu lieu à la Présidence de la République depuis qu’elle existe : une lutte
eut lieu entre Ikililou Dhoinine et Hadidja Aboubacar. La Première Dame
voulait obliger le chef d’État à signer des décrets de nomination au profit de
ses protégés. La scène avait fini dans la confusion, par des coups de poing et
par des insultes échangées entre Monsieur et Madame, devant de témoins.
Pendant des semaines, cette terrible et honteuse bagarre de chiffonniers était
dans la bouche de nombreux Comoriens. Les chancelleries devaient savoir.
Saïd Bacar, demi-frère d’Ikililou Dhoinine, ne s’était pas privé d’appeler
tous ses contacts téléphoniques pour dauber sur la bagarre qui a opposé dans
l’opprobre et la fange Ikililou Dhoinine et Hadidja Aboubacar. N’est-il pas
l’ennemi juré de Hadidja Aboubacar ? Cette affaire avait été discutée partout
où il y avait des Comoriens. Comme certains sites Internet et blogs l’avaient
relatée, on imagine facilement que les chancelleries doivent l’avoir apprise.
L’investiture d’Ikililou Dhoinine a eu lieu le 26 mai 2011. Quelques jours
avant l’événement en question, un diplomate étranger a discuté avec lui. Il
me dira tout simplement : « Cet homme-là n’est pas fait pour être président
de la République ; il n’en a pas l’étoffe. Il va décevoir les Comoriens. Je ne
sais pas comment il a fait pour arriver à la Présidence de la République. Ce
qui est sûr, c’est qu’il n’a pas en lui le raisonnement et la compétence d’un
cadre ayant préparé et soutenu une Thèse de Doctorat ».
En octobre 2009, alors vice-président, Ikililou Dhoinine était en mission à
Paris. Il était reçu quelque part dans la capitale française par une personnalité
comorienne qui y vit depuis le milieu des années 1970. Cette personne était
en compagnie de consultants français le rencontrant à titre privé, dont l’un
sera si étonné par son indigence culturelle, intellectuelle et professionnelle
qu’il lui demandera s’il était à son premier voyage en France (ce qui était le
cas), avant de l’interroger sur le pays où il a fait ses études supérieures.
Mais, l’attitude la plus infâme sera celle d’Assoumani Azali. Au cours de
la campagne électorale de 2016, on verra partout cet homme danser avec des

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femmes dans la rue. Il a ressuscité le « Bumping », une célèbre danse des
années 1970 aux îles Comores, mettant en scène un homme et une femme
tournoyant et virevoltant au son d’une musique bien rythmée, et dont le clou
du spectacle est le moment où chaque partenaire cogne ses fesses contre
celles de l’autre. Les Comoriens avaient oublié le « Bumping ». En 2016, le
candidat Assoumani Azali l’a ramené dans la rue comorienne. Au cours de la
campagne électorale de 2016, il était impossible de voir Assoumani Azali si
ce n’est au milieu de femmes en train de frotter ses fesses contre les leurs.
En période électorale, on voit les candidats comoriens faire trop de choses
ahurissantes. Mais, dès que les élections prennent fin, les candidats sont dans
la nécessité de retrouver leurs esprits. Or, comme « on retrouve le pas de
danse dans l’arène », Assoumani Azali est resté un danseur de « Bumping »
même après l’élection présidentielle. Dès qu’il arrive dans un village, il se
met au « Bumping », joue au tambourin, joue aux dominos, danse joue contre
joue avec des fillettes. Sur une vidéo qui avait indigné tous les Comoriens au
cours de la campagne électorale de 2016, on le voit mimer un égorgement, et
la personne dont il simulait la mise à mort est Mohamed Ali Soilihi, le vrai
vainqueur de l’élection présidentielle de 2016, celui qui a été spolié.
Après la fraude électorale de 2016, on le verra dans un dancing à l’étranger
engagé dans un débat très animé avec femme qui y travaille. Que faisait-il en
un tel endroit, portant une simple chemise ? Comme cela est indiqué ci-haut,
il sera également vu dans un dancing de Bercy, à Paris, où il quémandait de
l’argent auprès de l’artiste franco-comorien Soprano pour la construction de
l’hôpital de Moroni, qu’il a rasé, au cours sans doute d’un accès de folie, car
on ne peut expliquer autrement ce qui peut inciter un dirigeant à détruire une
infrastructure médicale alors qu’il n’a pas les moyens d’en édifier un autre.
En septembre 2016, il est présent à New York pour les travaux annuels de
l’Assemblée générale de l’ONU. À eux seuls, les frais d’hôtels vont s’élever
à 86.000 euros, transportés dans une valise, pour un voyage ayant coûté les
200.000 euros, une fortune à l’échelle des Comores. Il aura dans ses bagages
une cohorte de femmes, dont sa maîtresse Marie Mayobe, surnommée « La
Préférée de la République ». La présence à New York de Marie Mayobe en
tant que membre de la délégation officielle comorienne finit par accréditer
les informations récurrentes sur la débauche sexuelle qui prévaut dans le
sérail d’Assoumani Azali, sérail devenu un harem. Autrement, comment est-
il possible d’expliquer et de concevoir l’acceptation par Ambari Darouèche,
l’épouse légitime 1.000 fois trompée, de deux de ses rivales les plus en vue
dans une délégation officielle comorienne à l’ONU ? En effet, en plus de la
très dangereuse et ambitieuse Marie Mayobe, il fallait compter avec l’autre
maîtresse, nommée, dans le gouvernement du 31 mai 2016 par Assoumani
Azali secrétaire d’État chargée des Transports auprès du vice-président
chargé du ministère des Transports, des Postes et Télécommunications, des
Technologies de l’Information et de la Communication.

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Ce n’est qu’en juin et septembre 2017 qu’Ambari Darouèche arrivera à se
venger, après de lancinantes questions du site www.lemohelien.com sur sa
passivité face à des rivales qui s’affichent de manière aussi ostentatoire avec
son mari. La secrétaire d’État fut chassée de son poste lors du remaniement
ministériel de juin 2017, et Marie Mayobe sera bannie de la délégation de
2017 à l’Assemblée générale de l’ONU.
Pourtant, nous disposons ici d’une image très parlante, celle montrant la
Préférée de la République derrière sa rivale Ambari Darouèche lors d’une
conférence d’épouses de chefs d’État et de gouvernement sur le sida, alors
que le Tout-Moroni connaît la relation intime qui existe entre Assoumani
Azali et Marie Mayobe. Il se dit des choses, pas nécessairement belles, sur la
relation coupable et très ambiguë qu’Ambari Darouèche entretient avec ses
rivales les plus en vue : partouzes. Le vilain mot ! Maintenant, examinons la
photo montrant Ambari Darouèche et Marie Mayobe ensemble à l’étranger,
lors d’une conférence consacrée au sida.

Par quelle bizarrerie sexuelle, Ambari Darouèche traîne-t-elle partout sa


dangereuse et entreprenante rivale, même sur la place publique mondiale,
alors qu’elle sait très bien qui est Marie Mayobe au regard de son mari ?
Ahmed Abdallah Abderemane et Mohamed Taki Abderemane étaient des
chefs d’État d’une époque où les valeurs traditionnelles étaient au centre de
la vie politique aux Comores. Progressivement, ces valeurs sont abandonnées
au profit d’autres comportements. Les dérives les plus graves sont constatées
chaque fois qu’Assoumani Azali est au pouvoir, lui qui a toujours compté
sur les plus méprisables et les plus méprisés des Comoriens pour régner. Il

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ne serait pas superfétatoire d’évoquer la personnalité de certains membres de
son entourage :
- Le vice-président Baguiri qui, lors du premier intérim de chef d’État qu’il
assurait, a été vu échangeant des tickets de carburant contre de l’argent.
C’est un homme au long passé d’escroc et de voleur : il avait volé un sac
contenant le salaire de tous les militaires basés à Mohéli, quand il était le
Gouverneur par intérim de cette île. Il avait promis d’« arranger » auprès
du Procureur Soilihi Mahmoud Mansour dit Sako au Tribunal de Moroni
le dossier judiciaire lié à un homicide qui avait été commis lors d’une
bagarre entre des habitants de Chezani-Mboinkou et ceux de Hantsindzi.
Ayant appris sa promesse, le Procureur en question l’avait fait menotter
et voulait le faire jeter en prison, juste avant que Salim Djabir, ancien
président de l’Assemblée fédérale, n’intervienne pour demander sa mise
en liberté, « pour ne pas salir l’image de Mohéli et des Mohéliens ». Or,
aucun Mohélien ne prend l’intéressé pour un Mohélien : il ne l’a jamais
été et ne le sera jamais. Jamais. Baguiri est un Anjouanais né à Mohéli.
Dans la pure tradition comorienne, il est un Anjouanais. La plupart des
escroqueries commises par lui sont liées à son addiction obsessionnelle
aux jeux de hasard et à l’alcool. Alors Député, il se fit saucissonner à la
corde par des habitants de Vouvouni à qui il avait pris de l’argent, sans
ramener les visas Schengen qu’il avait promis et qu’il croyait obtenir
grâce à une intervention de son ami Hamada Madi Boléro. Le lundi 16
mai 2016, en présence de deux éminentes personnalités comoriennes, les
victimes de l’escroquerie m’ont raconté elles-mêmes leur mésaventure
avec l’escroc Baguiri.
- Le vice-président Moustadroine Abdou « Mafitsi » ne sait s’illustrer que par
le vin, dont il fait un usage immodéré. Ce qui le pousse à être très violent
sur l’espace public. Le 10 avril 2016, lors du deuxième tour de l’élection
présidentielle, le colistier et futur vice-président Moustadroine Abdou et
ses hommes investissent les bureaux de vote, les saccagent et empêchent
11.500 personnes, soit 10% de l’électorat d’Anjouan, de se rendre aux
urnes. Corrompue de la manière la plus visible par Assoumani Azali, la
Cour constitutionnelle se contenta de faire voter à peine 3.000 électeurs,
dans un contexte de fraude éhontée. Ikililou Dhoinine écoutera d’une
oreille très distraite les représentants de la communauté internationale lui
parlant d’un délit qui ne relève pas de la politique, mais du Droit pénal,
et exigeant des sanctions exemplaires. Aucune sanction ne sera prise à
l’encontre de Moustadroine Abdou « Mafitsi » et de ses hommes, qui ont
agi au nom et surtout au profit d’Assoumani Azali. Moustadroine Abdou
« Mafitsi » « échappa » à un grossier simulacre d’attentat dans la nuit du
samedi 21 au dimanche 22 juillet 2018, sur l’île d’Anjouan, chez lui.
L’image de l’acteur politique comorien est très désastreuse et calamiteuse.
Comme elle conditionne celle des Comores, il est facile d’imaginer que ce
pays ne peut jamais avoir bonne presse tant que perdurent des actes et des

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comportements funestes et dégoûtants de la part des acteurs politiques les
plus en vue. Quand Hamada Madi Boléro se livre à des trafics de visas
Schengen, nombre de Comoriens le savent et trouvent une raison de plus de
le mépriser. Il est méprisable et haïssable.
Et, il y a le méprisable et méprisé, haïssable et haï, détestable et détesté
Saïd Larifou. Les Comoriens sont obligés de le mépriser, haïr et détester en
apprenant qu’il a pris 5.000 euros par personne à 22 jeunes gens du Sud de la
Grande-Comore, dont 2 de Gnambeni, 18 de Kové et 2 de Malé. Un rapide
calcul mental permet de constater que 5.000 euros X 22 personnes = 110.000
euros ou 55 millions de francs comoriens. Aux Comores, où certains salaires
ne dépassent pas 30 euros par mois, ces sommes sont très importantes. Les
22 jeunes Comoriens qui avaient fait confiance à Saïd Larifou ne verront ni
la couleur des visas promis, ni celle de leur argent. Saïd Larifou est dévoyé.
En réalité, Saïd Larifou, qui avait représenté une alternative très sérieuse au
début des années 2000, n’a pas dégradé que son image personnelle, mais
aussi celle de toute la classe politique comorienne. Il a jeté la fange à la face
de la classe politique nationale, sur laquelle il laissa des balafres, les balafres
de la honte. Les initiés savent qu’il a commencé son trafic de visas Schengen
en 2016, notamment pour tenter de payer ses dettes incommensurables au
Fisc de la Réunion, où il ne peut plus exercer son ancien métier d’avocat.

B.- INDIGNITÉ ET ATTITUDE HONTEUSE DU DIRIGEANT COMORIEN FACE


AUX RESPONSABLES ÉTRANGERS
L’acteur politique peut-il procéder à un dédoublement de sa personnalité et
faire en sorte qu’il se comporte de façon honorable devant les responsables
étrangers alors que son comportement devant les siens est condamnable ? En
réalité, le dirigeant comorien se comporte de la même façon quand il est en
présence des Comoriens et quand il est devant des responsables étrangers.
L’anecdote suivante est très parlante. De passage aux Émirats Arabes Unis,
le vice-président Fouad Mohadji a obtenu des tapis pour la mosquée de sa
ville natale de Fomboni. Ikililou Dhoinine, le chef de l’État, qui le déteste
sans chercher à s’en cacher, l’apprend, pique une grosse colère et provoque
un énorme scandale. Il veut ses tapis et nattes pour la grande mosquée de sa
ville natale de Djoiezi. Ce sont des enfantillages de gamins à la garderie.
Déjà, depuis un certain nombre d’années, l’Arabie Saoudite se plaint des
autorités comoriennes, incapables de demander des avions, même en leasing,
pour désenclaver leurs îles et leur pays par rapport au reste du monde, mais
qui sont toujours promptes à quémander des carcasses des moutons sacrifiés
lors de la Oumra (Petit Pèlerinage) à La Mecque, des nattes et des tapis pour
les mosquées. Cela fait des décennies que les dirigeants du Moyen-Orient
daubent et soupirent sur la petitesse et la mesquinerie des responsables des
Comores, toujours incapables de préparer un projet de développement pour

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leur pays, mais sont très « compétents » quand il s’agit de quémander des
gadgets électroniques, surtout les ordinateurs et les téléphones portables.
Les dirigeants comoriens ne comprennent pas les méthodes des pays arabes
du Machrek. Ce sont des États qui sont très soucieux de leur sécurité interne.
Dès lors, quand ils arrivent sur le territoire de ces pays, ils se croient dans un
village de la campagne comorienne. Un « proche » d’Assoumani Azali très
déçu par les affaires de mœurs qui font le quotidien de la vie du dictateur de
Mitsoudjé m’explique doctement : « En 2004, Hamada Madi Boléro s’était
présenté à la députation et avait été battu par Mohamed Larif Oucacha, à
qui il voue une haine bestiale, malgré tout ce que ce dernier a fait pour lui
quand il est revenu d’URSS après ses études.
Azali Assoumani lui-même avait tout fait pour que Hamada Madi Boléro
ne soit pas élu. Le chef de la junte voulait ce qu’il y a de pire pour Hamada
Madi Boléro qui, au lendemain de son échec, avait démissionné de son poste
de ministre, “par esprit républicain”. La réalité est beaucoup plus triviale. La
voici : Ambari Darouèche, l’épouse d’Azali Assoumani, était à Dubaï. Telle
personnalité comorienne travaillant à Dubaï est allée la voir à son hôtel. On
lui dit que l’intéressée était sortie. La personnalité comorienne demande
alors à voir Hamada Madi Boléro. On lui explique qu’Ambari Darouèche et
Hamada Madi Boléro étaient descendus dans la même suite d’hôtel et qu’il
n’y avait personne dans la suite en ce moment précis. Cet homme a fait son
petit rapport à Assoumani Azali.
Mais, il n’y avait pas qu’Azali Assoumani qui était au courant de cette
“cohabitation” ; les premiers à le savoir sont les dirigeants des Émirats
Arabes Unis, informés en temps réel des fréquentations des hôtels par les
étrangers, pour d’évidentes raisons de sécurité. Dès qu’un étranger prend
ses quartiers dans un hôtel, la police locale a déjà sa fiche et la photocopie
de son passeport ».
Une question se pose alors : que doivent penser les dirigeants des Émirats
Arabes Unis d’un Assoumani Azali qui va crâner chez eux et qui n’arrive
pas à mettre de l’ordre dans sa propre maison ? Naturellement, les dirigeants
des Émirats Arabes Unis savent que « cohabitation » il y a eu. Quand on voit
le mépris avec lequel les monarchies du Machrek traitent Assoumani Azali,
on n’est guère surpris. On ne voit pas en eux des autorités agissant devant un
homologue étranger, de surcroît originaire d’un pays musulman et membre
de la Ligue des États arabes, mais des maîtres traitant avec condescendance
leur servile valet nègre. Le comportement d’Assoumani Azali encourage les
autorités des pétromonarchies du Machrek à le traiter avec tout le mépris
auquel il se destine lui-même.
Il n’y a pas une lubie ou un caprice de l’Arabie Saoudite qu’Assoumani
Azali ne satisfait pas. En juin 2017, il rompt les relations diplomatiques entre
les Comores et le Qatar uniquement parce que l’Arabie Saoudite, en conflit
avec le Qatar, le veut. Il ferme toutes les institutions iraniennes aux Comores
parce que telle est la volonté de ses maîtres d’Arabie Saoudite, qui sont aux

313
Comores en pays conquis. Il n’est donc pas étonnant que l’ambassadeur du
Royaume d’Arabie Saoudite à Moroni soit devenu un proconsul impliqué
même dans le règlement des crises internes de la CRC, le parti politique créé
par Assoumani Azali. Le même ambassadeur d’Arabie Saoudite avait une
cagnotte destinée à la corruption de Députés comoriens quand serait venu le
moment pour Assoumani Azali de faire passer par la force son projet de
Constitution devant faire de lui un monarque de Droit divin devant régner à
mort et pour l’éternité.
Se sentant dans le « droit » de mépriser les Comoriens comme il le fait très
bien avec son dictateur de Mitsoudjé, l’ambassadeur d’Arabie Saoudite se
déplace pour demander aux chefs de l’opposition de cesser toute attitude qui
serait critique à l’égard de la dictature de village de Mitsoudjé. Dans certains
cas, il n’hésite pas à exiger d’un opposant d’aller travailler avec Assoumani
qui, en réalité, ne vise pas le recrutement des cadres comoriens, mais le
musellement des voix les plus indépendantes et les plus libres. Aucun autre
diplomate étranger qui est en poste à Moroni ne se comporte avec autant de
mépris envers les Comores que l’ambassadeur d’Arabie Saoudite, et parce
qu’Assoumani Azali s’affiche devant lui en simple larbin sans personnalité,
ni la moindre dignité. Assoumani Azali fait honte aux Comoriens.
Les personnalités comoriennes qui avaient été embarquées dans un avion
pour le Moyen-Orient par Bashar Kiwan dans la perspective de la mise en
place du programme de la « citoyenneté économique », consistant à vendre la
nationalité comorienne à des apatrides des pays arabes concernés, avaient eu
leur part de gadgets électroniques et d’enveloppes remplies de pétrodollars
pour les impressionner.
Sous la junte militaire d’Assoumani Azali, furent organisées 2 conférences
de bailleurs de fonds sur les Comores, l’une en France, l’autre à Maurice. Au
cours de celle qui avait été organisée à Paris, le Maroc s’était engagé sur une
somme de 300.000 dollars en faveur des Comores. Tout de suite après la fin
de la rencontre, il ne se passait pas un jour sans qu’Assoumani Azali ne se
mette à déranger au téléphone tel diplomate marocain à l’aube pour lui
demander quand son pays allait enfin lui remettre « son » argent. La mendicité
du quémandeur Assoumani Azali dans cette affaire avait dépassé toutes les
limites de la honte. Début décembre 2005, sur l’île Maurice, s’était tenue une
autre conférence du même genre. Mais, comment décaisser les sommes qui
avaient été promises si les Comores ont été dans l’incapacité intellectuelle et
professionnelle de présenter ne serait-ce qu’un seul projet viable en matière
de développement économique et social ?
Le mardi 9 et le mercredi 10 mars 2010, a eu lieu la conférence de Doha,
au Qatar, au cours de laquelle les donateurs avaient promis aux Comores 540
millions de dollars (537,817 millions d’euros, 215.347.927.627,96 de francs
comoriens). Il était juste demandé aux Comores de présenter aux partenaires
ainsi engagés des projets de développement économique et social.

314
Les Comores n’ont jamais été capables de présenter les projets demandés.
Un ami français qui suivait de près le traitement de ce dossier m’expliquait
qu’il avait même fallu confier celui-ci à un Tunisien qui, en réalité, n’a guère
accompli des miracles, étant donné que les Comores n’ont jamais bénéficié
des fonds promis à Doha. Une telle incompétence n’honore pas les Comores
et leurs dirigeants.
Quand des acteurs politiques comoriens me parlent de « l’arrogance et du
mépris » de tel ambassadeur occidental envers les Comoriens, je lui fais juste
observer que ce diplomate se comporte ainsi parce que les politiciens qui
vont le voir se conduisent en mendiants de visas Schengen et médailles. Et, il
est de notoriété publique que rares sont les responsables comoriens qui ont le
savoir-vivre le prédisposant à une rencontre avec une personnalité venue
d’un autre pays sans mendier auprès d’elle. On peut reprocher beaucoup de
choses à Ikililou Dhoinine, mais au moins, il avait eu la décence de dire à tel
ambassadeur occidental accrédité à Moroni de ne jamais donner une suite
favorable aux demandes de visas Schengen formulées par son épouse.
L’ambassadeur Alain Deschamps apporte un témoignage digne d’intérêt :
« De mon temps encore où, depuis une indépendance tardive, le chef de
l’État comorien et ceux qui détenaient une parcelle d’autorité avaient leurs
dévots, leurs clients et leurs thuriféraires, l’ambassadeur de l’ex-métropole,
que l’on imaginait dispensant les aides financières, visas, bourses d’étude,
ces décorations dont les insulaires sont si friands et tirant toutes les ficelles
locales, était l’objet d’attentions flatteuses, et dont je n’ai vu nulle part
l’équivalent. Sans doute poussait-il l’hyperbole jusqu’à la caricature ce
notable qui, sollicitant en vain le ruban de la Légion d’honneur, prétendait
que, si on ouvrait son cœur on y trouverait inscrit mon nom… »1.
Même le Mufti de la République était dans la mendicité des médailles de la
République française, et lui aussi aura recours à son cœur pour la « cause ».
Ici aussi, Alain Deschamps livre son témoignage : « Sur ma proposition, le
président de la puissante confrérie Chadouli qui rassemblait près des trois
quarts des pieux musulmans reçut la cravate de la Légion d’honneur. Le
Grand Mufti fut fait chevalier. Je les décorai. L’un et l’autre étaient des
saints hommes de l’Islam, estimés de tous et dont le ruban rouge, auquel les
Comoriens attachent tant de prix, rehaussait la dignité. Il établissait ainsi,
avec l’ambassadeur, un lien qui, en cas de vraie crise avec le président
aurait pu s’avérer utile. Quand je lui épinglai sa médaille, le Grand Mufti
me dit, tout ému : “Mon cœur est français” »2. Cette francisation du cœur
pour une médaille est tout simplement loufoque, et relève de la mendicité du
quémandeur obséquieux.

1 Deschamps (A.) : Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœla-


canthe, op. cit., p. 50.
2 Deschamps (A.) : Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœla-

canthe, op. cit., p. 61.

315
Rien n’a changé dans la mentalité des mendiants et des quémandeurs. C’est
en 1987 que l’ambassadeur Alain Deschamps a quitté les Comores, à la fin
de sa mission. S’il y retournait le 18 août 2018, il aurait constaté qu’en plus
de la mendicité, il y a les trafics de visas organisés par les autorités.
En somme, Hamada Madi Boléro, Kiki, Bellou Magochi, Saïd Larifou,
Mohamed Elamine Soeuf (…) ne sont que de vulgaires trafiquants de visas.
Souvent, ils prennent l’argent des pauvres villageois, sans fournir le fameux
sésame européen si cher à certains Comoriens, qui vendent tout juste pour un
visa Schengen. Mais, qui, dans l’entourage d’Assoumani Azali n’est pas un
vulgaire trabendiste de visas Schengen volant des pauvres villageois ?
En avril 2018, usant de son statut officiel, Bellou, le Directeur du Cabinet
d’Assoumani Azali chargé de la Défense, a présenté au consulat de France à
Moroni une pile de demandes de visas pour des fonctionnaires et agents de la
MAMWÉ, la moribonde entreprise publique d’eau et d’électricité. Lesdits
dossiers ont été étudiés, et chaque demandeur convoqué au consulat pour un
court entretien. Aucun employé de la MAMWÉ n’a été capable de citer le
nom de son Directeur ou celui de son chef de service. Le trafic de Bellou fut
mis à rude épreuve, et les demandeurs de visas avaient chacun remis à celui-
ci 3 millions de francs comoriens (6.000 euros) auparavant. Bellou était à
Paris au moment où son trafic tombait à l’eau. Les demandeurs de visas qui
ont été éconduits n’avaient pas attendu le retour de Bellou de Paris pour se
rendre à son bureau et commencer à faire du bruit afin d’obtenir leur argent.
Les fonctionnaires du consulat de France à Moroni savent qui est Bellou et
ne doivent pas avoir mis beaucoup de temps pour se rendre compte qu’ils
étaient en présence d’un trafic de visas monté par le trabendiste Bellou.
Bien évidemment, aucun des demandeurs de visas présentés par Bellou
Magochi ne travaillait à la MAMWÉ. Bellou Magochi s’était fait ridiculiser.
Saïd Ahmed Saïd Ali est prétendument chargé de la communication à la
Présidence de la République au lendemain du 26 mai 2016. Il ramène tout à
l’amusement et aux enfantillages sur Facebook, qu’il inonde d’insanités au
point d’aligner une série d’images tendant à suggérer qu’il aurait une grande
ressemblance avec William Shakespeare, dont il pourra sans doute réclamer
l’ascendance et des droits d’ayant droits, avant de dire qu’Othello et Roméo
et Juliette ont été écrits sous l’arbre à pain et le cocotier jouxtant la case de
ses ancêtres à Ntsoudjini. Saïd Ahmed Saïd Ali, en plus de ses crâneries sur
Facebook pour son chef Assoumani Azali, a une deuxième activité, et celle-
ci est très lucrative : son trabendo de visas Schengen. Comme la concurrence
est très rude, et après avoir subi des déboires à Moroni, il a « délocalisé » son
trafic en Tanzanie, où il bénéficie de la complicité de l’ambassadeur des
Comores à Dar-Es-Salam, de Ntsoudjini comme lui. Croit-il qu’au consulat
et à l’ambassade de France aux Comores, la chose ne se sait pas ?
Par ailleurs, la scène suivante a vraiment eu lieu, et cette fois, l’acteur n’est
pas un des sous-fifres précités, mais leur chef : Assoumani Azali. Il venait de
commettre son coup d’État du 30 avril 1999. La communauté internationale

316
ne veut pas entendre de lui. L’OUA venait de déclarer le rejet de tout régime
politique issu d’un putsch. Il vivait très mal cette marginalisation frappant
les desperados accédant au pouvoir par la force. Il lui a donc fallu organiser
le honteux scrutin présidentiel de 2002, que Hamada Madi Boléro, son âme
damnée, allait frauder de la plus indécente des façons. Après des années de
« sevrage », cette fausse onction populaire lui permet enfin de se rendre dans
les conférences internationales. Le voilà croisant Blaise Compaoré, alors
dictature du Burkina Faso, et il se met à crier « Blaise ! ». Les personnes qui
ont assisté à cette scène étaient médusées, s’interrogeant sur l’énergumène
qui criait comme un hurluberlu dans un tel lieu, une enceinte internationale.
La vidéo montrant Assoumani Azali dans une salle de danse à l’étranger,
face à une femme qui peut être n’importe qui, est toujours en ligne, et les
Comoriens continuent à la partager sur Internet. Elle donne aux Comores
l’image la plus déplorable. Alors que les Comoriens sont scandalisés quand
ils voient Assoumani Azali danser le « Bumping » dans les rues, monter sur
les estrades pour faire des fausses notes avec une guitare devant des milliers
de personnes, faire la corrida à Mohéli, où une vache en colère a failli le
tuer, ils doivent désormais vivre avec l’idée d’un Assoumani Azali déboulant
dans les dancings de Paris pour se déhancher ou pour quémander auprès de
l’artiste franco-comorien Soprano de l’argent pour reconstruire l’hôpital de
Moroni, qu’il a détruit dans un moment de folie extrême.
C’est le 26 mai 2006 qu’Ikililou Dhoinine est investi vice-président de
l’Union des Comores. Or, c’est en octobre 2009 qu’il effectue sa première
visite en France, alors que l’autorité comorienne fait du voyage à Paris un
sacerdoce expiatoire, un voyage initiatique et l’exutoire devant apporter la
reconnaissance de l’ancienne puissance coloniale. Hamada Madi Boléro m’a
expliqué la perplexité et le désarroi d’un ambassadeur occidental accrédité à
Moroni qui avait remis sa carte de visite au vice-président Ikililou Dhoinine
en précisant qu’il serait ravi de s’entretenir de temps en temps avec lui, et
qui n’a jamais reçu un coup de téléphone du Mohélien taiseux.
Au même moment, d’autres acteurs politiques comoriens prennent d’assaut
les ambassades des pays riches pour demander toutes sortes de services qui
font d’eux des mendiants sans la moindre envergure. Kiki, par exemple, est
un trabendiste de visas Schengen et, par la suite, de passeports comoriens au
Moyen-Orient. Il fait partie des gens qui peuvent être chargés des sales
besognes quand cela est nécessaire, mais qu’on évite de prendre au sérieux.
Quand Assoumani Azali le charge d’une mission à l’étranger, il fait subir à
la réputation des Comores une rude épreuve, dans la mesure où le ministère
de l’Intérieur est un des ministères de souveraineté et à l’ère de Google, il ne
se trouve aucun ministre de l’Intérieur qui recevra son homologue sans
s’intéresser à lui. En dehors des saletés, qu’est-ce qu’un dirigeant étranger
peut trouver sur Internet concernant un voleur de la trempe de Kiki, connu
plus pour ses saletés que pour des talents d’homme d’État, qu’il n’a pas ?

317
Un autre exemple est encore plus dramatique, celui de Mohamed Elamine
Soeuf. Quand l’intéressé arriva au Maroc en 1988, dans la même maison où
j’avais ma chambre, je commençais ma troisième année d’études supérieures
en Administration publique, à Rabat. Au cours de cette année universitaire
1988-1989, il sera vu à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de
Fès et à l’École supérieure Roi Fahd de Traduction de Tanger. Il n’était pas
capable de faire des études au Maroc. Il n’a même pas fini l’année en cours
au Maroc, et il fuyait ce pays. On ne le verra au Maroc qu’en 1996, alors
qu’il était ambassadeur des Comores en Égypte. Au cours de ce voyage, il a
commis l’irréparable : il est parti voir le Recteur de l’Université de Fès pour
lui expliquer qu’il n’avait pas été capable de faire ses études supérieures au
sein de cette Université mais qu’il fallait lui délivrer une Maîtrise en Lettres
de pure complaisance. Littéralement tué par cette information, un ami venant
d’un pays d’Afrique de l’Ouest m’appela pour crier son indignation avant
que d’autres personnes ne viennent confirmer l’horrible information.
Faisons un saut de 20 ans, en passant de 1996 à 2016, mais restons dans
l’environnement familial de Mohamed Elamine Soeuf, en nous intéressant à
son cousin Assoumani Azali, qui répète partout : « Mohamed Elamine Souef
a la carrure d’un secrétaire général de l’ONU et peut le devenir ».
Le vendredi 7 octobre 2016, je publiais sur mon site www.lemohelien.com
un article intitulé « Azali Assoumani, chassé de l’hôtel, Kiki prend la fuite –
À Paris, la honte et l’opprobre sur l’usurpateur de Beït-Salam ». En moins
de 24 heures, cet article recevait 22.000 visites personnelles. Comme indiqué
ci-haut, l’affaire s’est passée début octobre 2016. Assoumani Azali arrivait à
Paris après son tour de piste à l’Assemblée générale de l’ONU et un retour
peu glorieux aux Comores pour quelques heures, après avoir fait semblant
d’« oublier » l’épineux dossier de Mayotte. Justement, cet accueil improvisé
à Paris était le cadeau qu’il recevait pour avoir « oublié » Mayotte. Il avait
été reçu à la Présidence de la République française par François Hollande.
Sur la vidéo, on voit Ambari Darouèche, sa première épouse, se lancer dans
un incroyable sprint, juste pour pouvoir être présentée au président français.
Pourtant, ce n’était qu’un début. À l’Élysée, Assoumani Azali se présenta
avec une ribambelle de courtisans à l’utilité douteuse, se comportant comme
des maquignons en ville. On peut imaginer l’effet psychologique produit
dans la tête de Mohamed Chatur Al Badaoui, l’ancien gardien de parkings
parisiens nommé Directeur général de la SCH aux îles Comores, quand il
retourne à Paris comme membre de la délégation officielle reçue par les plus
hautes autorités françaises.
À la sortie de l’Élysée, Assoumani Azali se lança dans la plus décousue des
déclarations, dans un français très approximatif, sans le moindre respect des
règles de grammaire, ni la moindre considération pour le masculin/féminin,
le tout dans une confusion monumentale. Il a même fallu qu’un membre du
Service du Protocole français demande à un membre de la délégation venue

318
des Comores de dire à Assoumani Azali qu’il était temps pour lui de se taire
pour de bon parce qu’il en avait assez fait !
Ce n’était toujours qu’un début. En effet, les autorités françaises avaient
fait une réservation pour la délégation comorienne pour les deux jours qui
étaient prévus pour les rencontres officielles. Cependant, comme souvent
quand il s’agit de délégations des pays sous-développés, Assoumani Azali,
ses hommes et femmes crurent qu’ils pouvaient rester à vie à l’hôtel, où des
suites et des chambres avaient été louées pour eux. Au deuxième jour de leur
inqualifiable séjour, ils ont reçu l’ordre d’évacuer l’hôtel. Ils ont déguerpi
dans la honte. Voici l’article qui avait révélé l’immense scandale, recevant
22.000 visites en 24 heures.
Azali Assoumani, chassé de l’hôtel, Kiki prend la fuite
À Paris, la honte et l’opprobre sur l’usurpateur de Beït-Salam
Par ARM
Les youyous les plus bruyants des femmes comoriennes de la Courneuve, Sarcelles,
Saint-Denis et Aubervilliers ont retenti. Même les touristes qui étaient au sommet de
la Tour Eiffel et du Mont-Blanc ont entendu ces youyous flamboyants.
Après enquête, il s’avéra que ces youyous sont lancés pour célébrer la honte et
l’opprobre qui frappent en ce moment même le « pouvoiriste » polygame Azali
Assoumani à Neuilly-sur-Seine, près de Paris. Mais, qu’est-ce qui se passe encore ?
Eh bien, la situation est très grave, voire désespérée.
Le dictateur inculte et analphabète de Moroni a été chassé de l’hôtel. Oui, le
dictateur inculte et analphabète Azali Assoumani et sa bande de maquignons ont été
virés sec de l’hôtel où ils s’étaient installés à Neuilly-Sur-Seine. Virés comme les
voleurs qu’ils sont. Chassés. « Allez, ouste ! ». C’est que ces bandits avaient loué
leurs suites et chambres pour deux jours, et voulaient y rester une semaine. Au
troisième jour, la Direction de l’hôtel les a chassés comme des malpropres, comme
les malpropres qu’ils sont. Ils avaient cru qu’un hôtel de Neuilly-sur-Seine, l’endroit
le plus sélect de France, était un bouiboui ou une gargote de Moroni.
Ils se sont lourdement trompés, et quand ils ont trouvé leurs slips déchirés dans les
couloirs de l’hôtel, Kiki a vu rouge, a pris ses strings et a pris la fuite dans une
colère indescriptible. Avant de fuir, il tempêtait comme un charretier après la
traversée du désert Mohave : « Comment peut-on nous faire subir une telle honte à
l’étranger ? Quel scandale ! Si la chose se sait, nous sommes tous morts. Faisons
tout pour que la nouvelle n’arrive pas aux oreilles des blogueurs hostiles ».
Monsieur Kiki, « les blogueurs hostiles » sont déjà au courant de la nouvelle honte
qui frappe l’usurpation et le seront chaque fois que l’opprobre frappera votre bande
de voleurs et de ploucs. Et ce régime politique de la honte sera frappé d’opprobre
jusqu’au jour où Dieu va le mettre hors d’état de nuire. Le criminel électoral et
économique Azali Assoumani est frappé de honte du premier jour au dernier jour de
sa présidence criminelle et illégitime. Chaque geste qu’il fera sera marqué du sceau
de la honte.
D’ailleurs, ce vendredi 7 octobre 2016, il est parti faire la prière à la mosquée
parisienne de Place Monge, mais les personnalités du Hamahamet en général et du
Mbéni en particulier qui ont l’habitude d’y prier vendredi avaient préféré aller prier
ailleurs, pour ne pas se retrouver aux côtés d’un homme dont les mains sont rouges du

319
sang de l’officier Ahmed Abdallah dit Apache et de bien d’autres. À la mosquée de
Plage Monge, le bon Salim Hassan, dans sa volonté de bien faire, a organisé une
rencontre clandestine entre le chassé de l’hôtel et quelques Comoriens. Et là, toute
honte bue, on entendit le dictateur radoter, en disant qu’il lui manquait 200 euros pour
des formalités sur son billet de retour aux Comores. De nouveau, les Comoriens sont
très en colère. Les réseaux sociaux et antisociaux sont à feu et à sang…
En tout cas, le dictateur de Beït-Salam s’est retrouvé dans une mosquée sans
Comoriens. Le bannissement du dictateur sera complet quand le peuple se réveillera
à Moroni et l’y bannira. Mais, comme tout est question de temps, ça viendra.
En tout cas, dès son retour à Moroni, le dictateur comorien devra gérer l’immense
scandale provoqué par son ministre qui fait cric-crac avec la femme du Directeur de
son Cabinet, un scandale qui plonge le Tout-Moroni en émoi. En avant la musique…
Par ARM
© www.lemohelien.com – Vendredi 7 octobre 2016.

Si 22.000 lecteurs et lectrices avaient accordé leur attention à l’article, c’est


parce que les malheurs qui frappent Assoumani Azali amusent le Comorien.
Cette fois-ci, les Comoriens s’amusent pour une honte qui est survenue dans
un pays étranger, et cela s’explique : ils détestent et méprisent vraiment le
dictateur Assoumani Azali. Horriblement gêné par le contenu de l’article, le
sérail du tyran de Mitsoudjé crut dissiper la honte en essayant de discréditer
l’auteur de l’article, accusé de « folie » sur Internet, ignorant que sur ce
chapitre, leur chef en connaît un rayon et peu animer un séminaire d’une
année à l’Université : son père a vécu dans la folie furieuse et est mort dans
la folie furieuse. Le fils en a hérité.
Et, il y a les événements de 2017 à l’ONU. En juin 2017, la communication
d’Assoumani Azali, qui se limite à des billevesées puériles et infantiles sur
Facebook, claironne, pérore et annonce que le dictateur de Mitsoudjé sera
reçu par Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, pour parler du sujet
qui divise la société comorienne : les assises « nationales ». Mais, comment
ce Service de Communication a-t-il pu annoncer une rencontre alors que les
Comores n’avaient même pas sollicité une audience ? Finalement, au prix de
nombreux efforts déployés à New York par la représentation permanente des
Comores à l’ONU, la rencontre a eu lieu. D’entrée de jeu, Antonio Guterres
annonce à Assoumani Azali : « Je présume que vous allez me parler de vos
assises ».
Assoumani Azali se lança dans le plus décousu des discours, mélangeant
tout. C’est son habitude, qu’il s’exprime en comorien ou dans son français
approximatif, dans une confusion monumentale. C’est alors qu’il se lança
dans une incroyable divagation : « Dites à vos cousins Gaulois que l’État des
Seychelles est prêt à leur céder une de leurs nombreuses îles s’ils évacuent
Mayotte et me la laissent » ! Comment un homme qui se considère comme
un chef d’État peut-il désigner la France devant le secrétaire général de
l’ONU par « vos cousins les Gaulois » ? Existe-t-il encore dans le monde un
État qui s’appelle la Gaule, et peuplé de Gaulois ? Est-ce que le secrétaire

320
général est à son poste pour ses « cousins », « Gaulois » de surcroît ? Qui est
ce chef d’État qui se respecte qui peut tenir des propos aussi irresponsables ?
La réponse du secrétaire général de l’ONU a été des plus éloquentes : il
s’est levé pour signifier la fin de l’entretien.
Nombre d’acteurs politiques des Comores se posent en victimes, estimant
que leur pays est méprisé par d’autres pays, à commencer par la France. Du
reste, d’aucuns soutiennent la thèse selon laquelle « il n’y a pas si longtemps,
la France n’avait que mépris pour les Comores, ce qui ne l’empêcha pas d’y
rester durant des décennies et d’être encore présente à Mayotte »1. On peut être
tenté d’y voir une certaine forme de confirmation dans la petite déclaration faite
par Ahmed Abdallah Abderemane, lors de la première audience qu’il avait
accordée à l’ambassadeur français Alain Deschamps en 1983 : « Nous sommes
un peuple méprisé »2.
Si réellement « mépris » il y a, pourquoi ne se trouve personne au sein de la
classe politique comorienne pour s’interroger sur ses origines ? Ce mépris est
une réalité imputable au comportement des autorités comoriennes.

S.II.- MAUVAISE FOI DES ACTEURS POLITIQUES COMORIENS FACE À DES


INSTITUTIONS MAL CONÇUES ET INADAPTÉES
Dès le lendemain du coup d’État d’Ali Soilihi, le 3 août 1975, les Comores
sont dans une quête perpétuelle d’institutions publiques « idéales ». Le débat
sur le sujet est interminable (§1.). Or, au lieu de travailler sérieusement sur la
question, les autorités comoriennes sont obsédées par les manipulations qui
doivent leur permettre de procéder aux tripatouillages constitutionnels les
plus surréalistes pour convenance personnelle, écartant dédaigneusement le
caractère général et impersonnel de la Loi (§2.).

§1.- INTERMINABLE QUÊTE D’INTROUVABLES INSTITUTIONS « IDÉALES »


Les acteurs politiques comoriens doivent répondre à trois questions :
- Quand vont-ils adopter de vraies institutions nationales et se mettre au vrai
travail en faveur du développement économique et social de leur pays ?
- Quand vont-ils s’atteler à cette tâche dans le sens de l’intérêt général pour
que les institutions publiques adoptées soient celles qui vont favoriser le
bien commun et non des petits intérêts personnels et claniques tout à fait
mesquins et ridicules ?
- Quand les Comores vont-elles confier la mission sur les institutions à des
vrais juristes, capables de mener une véritable réflexion, dénuée des
oripeaux du pouvoir personnel et clanique, toutes choses qui ont conduit
leur pays au pied du mur ?

1Fasquel (J.) : Mayotte, les Comores et la France, op. cit., p. 19.


2Deschamps (A.) : Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœla-
canthe, op. cit., p. 54.

321
Ces questions conditionnent toute la vie institutionnelle des Comores. Ceci
est d’autant plus vrai que dès son avènement par coup d’État, le 3 août 1975,
Ali Soilihi avait mené une critique très sévère contre l’administration léguée
par la France. Or, au-delà des polémiques déclenchées par la question dans
les rangs des « bons et vrais Comoriens », il faudrait avoir l’honnêteté un
jour de reconnaître que malgré l’extrême centralisation dont elle souffrait,
cette administration était dirigée par des professionnels, qui n’étaient pas des
Comoriens dans leur ensemble. Et, c’est au cours de la période française que
certains administrateurs comoriens vont pouvoir donner toute la mesure de
leur compétence. Ces administrateurs étaient formés pour la plupart sur l’île
de Madagascar et étaient d’une vraie efficacité. Cependant, rapidement, Ali
Soilihi les classa à la catégorie infâme et infamante des « traîtres » et des
« suppôts du colonialisme, néocolonialisme et impérialisme », une race qui
devait être écartée des institutions publiques. Les lycéens firent apparition
sur la scène étatique, et les résultats ont été catastrophiques. Ils ont beaucoup
critiqué, très peu proposé et tout désorganisé.
Ali Soilihi avait de l’ambition pour les Comores. La décentralisation du
pays, le cœur palpitant de sa réforme administrative, était trop ambitieuse,
mais il n’avait pas les moyens de la financer de manière efficiente. La part
du rêve et de l’incantation était très élevée. La Révolution était verbale, ses
moyens limités. Elle sombrait dans des rêves fantasmagoriques.
Le principal texte juridique de la Révolution d’Ali Soilihi demeure la Loi
fondamentale du 23 avril 1977. Ce texte comporte les 9 Titres suivants :
- La souveraineté (Titre I),
- Les circonscriptions territoriales (Titre II),
- Les instances du Pouvoir populaire (Titre III),
- Le Conseil d’État (Titre IV),
- Les traités et accords internationaux (Titre V),
- L’autorité judiciaire (Titre VI),
- La nationalité comorienne (Titre VII),
- La révision (Titre VIII),
- Les dispositions transitoires (Titre IX).
Les partisans d’Ali Soilihi estiment que la Loi fondamentale du 23 avril
1977 constitue la référence suprême en matière institutionnelle aux Comores
depuis l’indépendance. Pourtant, ce texte pèche par ses nombreuses lacunes
et incohérences.
Le Titre II (« Les circonscriptions territoriales ») correspond parfaitement
aux objectifs de la Révolution en matière de décentralisation. La cohérence y
est assurée.
Par contre, s’agissant du Titre III (« Les instances du Pouvoir populaire »),
il est d’une confusion totale, suite à l’enchevêtrement emberlificoté de tout
un ensemble d’institutions aussi démagogiques qu’incompétentes et inutiles,
confiées à des villageois, collégiens et lycéens sans la moindre expérience en

322
matière administrative. On y trouve une inspiration directe et indéniable des
Comités populaires de la Libye sous la dictature de Mouammar Kadhafi.
Selon l’article 13 de la Loi fondamentale, « le peuple comorien s’organise
au niveau des villages, des quartiers des villes, des moudirias, des wilayas,
des lieux de travail ou d’études et au niveau national, en comités populaires ».
Les Comités de quartiers et des villages sont élus au suffrage universel direct
et au scrutin de liste. Aucune élection n’a eu lieu. Les Comités populaires
des quartiers et des villages élisent les Comités des « Moudiria » (régions),
qui se réunissent en Congrès de « Bavou » (île). Des Comités populaires des
« Moudiria » naissent les Comités populaires des Wilayas. Le Comité popu-
laire de chaque Wilaya élit son « Mouhafidh », et les Comités populaires des
« Moudiria » élisent le Comité populaire national.
Il y a trop d’institutions, là où il aurait fallu faire simple.
Le Comité populaire national se réunit en session ordinaire le premier lundi
de chaque trimestre, pour une durée de trois jours.
L’instance suprême du Comité populaire national est le Congrès national,
compétent notamment dans la désignation des candidats à la présidence et à
la vice-présidence du Conseil d’État.
À la tête du pays, se trouve le Conseil d’État, composé du président et chef
de l’État, du vice-président et un maximum de 9 autres membres. Le Pouvoir
populaire est associé par le Conseil d’État au traitement de certaines affaires
du pays : planification, Défense et sécurité, informations, jeunesse et sports,
et affaires culturelles et artistiques. Il s’agit des affaires que la Révolution
considérait comme les plus importantes, au vu de ses objectifs officiels.
En application des directives adoptées par le Comité national, le Conseil
d’État définit et conduit la politique des Comores, disposant des institutions
civiles et militaires nécessaires à l’accomplissement des missions en cours.
Le président de la République nomme certains membres du Conseil d’État
soit au Comité central des Affaires intérieures, soit au Comité central des
Affaires extérieures. Aux termes de l’article 28 de la Loi fondamentale, « le
Coordinateur du Comité central des Affaires intérieures porte le titre de
ministre d’État pour les Affaires Intérieures. Le Coordinateur du Comité
central des Affaires extérieures porte le titre de ministre d’État pour les
Relations extérieures. Au sein de chacun des deux comités centraux, les
décisions sont prises de manière collégiale ».
Même si chaque État a toute latitude pour définir les institutions publiques
de son choix, force est cependant de constater qu’Ali Soilihi n’a pas fait dans
la simplicité. Il est victime du syndrome des millefeuilles institutionnels sans
la moindre utilité. Il existe des manières plus simples et plus productives de
création des institutions d’un État. En étudiant la superposition de toutes ces
institutions, on a la nette impression qu’elles sont nées d’un cerveau torturé
et non d’une structure mentale normale. Un cerveau normal n’aurait jamais
imaginé de tels entrelacs, entournures, emberlificotages et confusions.

323
Si les autorités doivent passer leur vie à chercher à comprendre la relation
entre les institutions entremêlées, elles n’allaient jamais avoir le temps de se
projeter sur d’autres occupations, celles relatives à vie des Comoriens. Il va
sans dire que cette conception des institutions demeure inintelligente, stérile
et inutile. Un pays normal se dote d’un Parlement, d’un gouvernement et
d’un pouvoir judiciaire. On n’a pas besoin d’asphyxier l’État comorien sous
un amas de carcasses institutionnelles vides et à l’utilité douteuse.
Seuls les pays sous-développés ont cette capacité à créer des institutions se
plaçant les unes au-dessus des autres, dans une structure pyramidale, et dont
le fonctionnement relève de l’impossible. Un fait est tout de même étonnant :
au lendemain du putsch du 13 mai 1978, personne n’a pleuré le coup de balai
passé sur ces institutions paranoïaques et monstrueuses visiblement conçues
par un cerveau très particulier et tournant dans le sens de la complexité et de
la complication. Pourtant, la malédiction institutionnelle d’Ali Soilihi a été
érigée en référence institutionnelle majeure : depuis l’accession des Comores
à l’indépendance, le dirigeant comorien n’a jamais été capable de concevoir
des normes juridiques susceptibles d’application sans des batailles de rue. Le
dirigeant comorien, toujours très mal préparé à occuper des fonctions de haut
niveau, se cache derrière des textes juridiques touffus et complexes, et crée
des institutions dont la plupart des tentatives de fonctionnement conduisent
dans des voies en impasse.
Ali Soilihi a écrit sa Loi fondamentale dans une phraséologie indigeste, une
logomachie verbeuse, oiseuse et vaseuse, et dans une logorrhée qui provoque
des maux de tête. La Révolution nécessitait-elle toute cette torture morale ?
Or, Ali Soilihi a commis une faute qui est encore beaucoup plus grave et aux
conséquences plus profondes : il a créé ses institutions pour paysans illettrés
et revanchards dans les villages, mais a « oublié » qu’un pays moderne ne
peut jamais fonctionner sans un Parlement.
Que lisons à ce propos sur la Loi fondamentale ?
Aux termes de l’article 29 de cette Loi fondamentale, « en association avec
le Comité Populaire national, le Conseil d’État exerce le pouvoir législatif.
Le Président de la République signe les ordonnances, les décrets et les
arrêtés adoptés par ce Conseil ». C’est très grave parce que le Conseil d’État
est tout de même l’organe qui incarne le pouvoir exécutif. Pour autant, il est
également chargé d’incarner le pouvoir législatif, dans une grave confusion
des pouvoirs. De fait, les Comores étaient devenues un régime politique de
confondantes confusions de pouvoirs.
Sans considérer que la Déclaration française des Droits de l’Homme et du
Citoyen du 26 août 1789 est un texte juridique international, force est tout de
même de considérer qu’elle a un magistère juridique et moral devenu une
référence mondiale. Dès lors, il n’y a aucune démocratie dans le monde qui
remettrait en cause son article 16 : « Toute Société dans laquelle la garantie
des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a
point de Constitution ».

324
Les ordonnances prévues à l’article 29 de la Loi fondamentale du 23 avril
1977 posent problème, et cela, même dans les grandes démocraties. Elles ont
des effets négatifs sur la séparation des pouvoirs.
Cela étant, posons-nous une question : qu’est-ce qu’une ordonnance ?
En Droit constitutionnel, l’ordonnance est une mesure prise par le pouvoir
exécutif dans un domaine qui relève de la loi (domaine du Parlement). Elle
doit obéir à deux conditions de base : d’une part, cette procédure législative
déléguée ne peut être envisagée qu’avec l’autorisation du Parlement. D’autre
part, l’ordonnance doit être approuvée et ratifiée par la suite par le Parlement
dans les délais fixés par les textes juridiques pertinents. Or, dans le cas des
Comores sous la Révolution d’Ali Soilihi, le Conseil d’État incarne à la fois
le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. C’est très grave. C’est gravissime.
De fait, la destruction totale et définitive de l’architecture institutionnelle
démoniaque et paranoïaque d’Ali Soilihi au lendemain du coup d’État du 13
mai 1978 était plus une nécessité juridique et institutionnelle qu’un acte de
vengeance politicienne. Les Comores ne pouvaient fonctionner normalement
sous une législation aussi monstrueuse et indigeste.
Dès lors, Ahmed Abdallah Abderemane avait raison de détruire l’armature
institutionnelle monstrueuse et inutilement compliquée mise en place par Ali
Soilihi et dont l’utilité n’a jamais été prouvée. En la matière, on constate que
le président Ahmed Abdallah Abderemane a eu l’intelligence de proposer au
peuple comorien une vraie Constitution le 1er octobre 1978. Celle-ci a permis
aux Comores d’avoir pour la première fois depuis l’indépendance un texte de
Constitution digne de ce nom, à tous points de vue. En la matière, il n’est pas
excessif de considérer que les Comores faisaient leur entrée dans le concert
des États normaux sur le plan constitutionnel, loin des élucubrations débiles
et pathétiques de la Loi fondamentale d’Ali Soilihi, qui avait omis les droits
fondamentaux pour mettre l’accent sur un lyrisme révolutionnaire qui avait
fini par étaler en public ses propres incohérences et limites.
La Constitution du 1er octobre 1978 est un texte très équilibré à bien des
égards. Elle demeure la Constitution la mieux écrite des Comores. Mais, en
1982 et en 1989, Ahmed Abdallah Abderemane l’a vidée de la substance qui
en faisait le texte juridique de référence nationale. Insatiable au point de faire
dans l’obsession de pouvoir, le chef de l’État a détruit cette Constitution et
en a fait un instrument de pouvoir personnel et de déséquilibre entre les îles.
Au lendemain de l’assassinat sanglant d’Ahmed Abdallah Abderemane, la
classe politique comorienne imposa à Saïd Mohamed Djohar la nécessité de
revenir à un équilibre de pouvoirs au sein de l’architecture institutionnelle du
pays et entre les îles. Saïd Mohamed Djohar, qui se targuait d’être « le père
de la démocratie comorienne », n’avait pas cédé aux pressions de la classe
politique nationale de gaieté de cœur, mais à la suite du déclenchement de la
crise séparatiste à Mohéli, que ne pouvaient traiter par le mépris les acteurs
politiques comoriens. Du reste, de 1990 à 1992, l’opposition comorienne n’a
eu de cesse d’évoquer la revendication mohélienne d’équilibre entre les îles,

325
contrairement à un Saïd Mohamed Djohar, qui considérait qu’il ne fallait pas
accorder de l’importance à la colère de Mohéli, la serpillière sur laquelle les
dirigeants comoriens essuyaient leurs pieds depuis l’autonomie interne.
L’insurrection de Mohéli avait des racines politiques, sociologiques, sociales
et économiques tellement profondes qu’elle a été l’un des facteurs majeurs et
objectifs ayant poussé la Cour suprême à tenter de destituer Saïd Mohamed
Djohar le 3 août 1991 lors d’une rocambolesque tentative de « coup d’État
médico-constitutionnel ». Il était reproché au chef de l’État, absolument sénile
et dépassé par les événements, « [...] un manque certain de lucidité dans la
conduite des affaires de l’État ». Mais, même si cette tentative de destitution de
Saïd Mohamed Djohar avait été accueillie favorablement par la grande majorité
des Comoriens, elle avait été l’œuvre très maladroite et très mal conçue de ceux
qui ont été des « putschistes en herbe, utilisant des méthodes d’amateurs »1.
Moins d’une semaine après l’échec de la Cour suprême, soit le 9 août 1991,
l’opposition comorienne, dans une longue lettre adressée au président François
Mitterrand, a souhaité que « la France cesse de cautionner un régime désormais
honni par le peuple comorien et qui emploie depuis les événements récents des
méthodes dictatoriales ». Dans cette lettre très critique sur le régime politique
de Saïd Mohamed Djohar, à un moment où la classe politique mohélienne avait
quitté la conférence nationale chargée d’élaborer une nouvelle Constitution,
l’opposition comorienne n’avait pas manqué de signaler que « le départ des
représentants de Mohéli de cette Conférence [...] a justifié la décision de
suspension des travaux par la Cour suprême. Cette île se trouve en état de
sécession de fait sans que, saisi par la Cour suprême, [Saïd Mohamed Djohar]
ait jugé nécessaire de s’intéresser à cet événement d’une importance capitale ».
La Constitution du 7 juin 1992 a été imposée par l’opposition au président
de la République. L’opposition était unie, solidaire et n’avait que du mépris
envers la « gendrocratie ». Les mendiants politiques ne manquaient pas et ne
manquent jamais aux Comores. Mais, l’opposition savait que Saïd Mohamed
Djohar était en situation de faiblesse et comptait exploiter cette impuissance.
Saïd Mohamed Djohar avait le pire des entourages et était ce qu’on pourrait
imaginer de pire dirigeant sur le plan du leadership et celui de l’autorité. Son
arrivée au pouvoir n’a précédé que de quelques mois le discours prononcé le
20 juin 1990 à la Baule par François Mitterrand, discours qui avait été suivi
d’une déclaration de François Mitterrand qui a été qualifiée de « prime pour
la démocratie ».
De fait, la Constitution du 7 juin 1992 a été plus démocratique que celle du
1er octobre 1978 après les tripatouillages d’Ahmed Abdallah Abderemane
pour convenance personnelle. En termes de droits de l’Homme, la nouvelle
Constitution avait évité tous les pièges liberticides et restrictifs qui avaient été
imaginés par un Ahmed Abdallah Abderemane tenté par la présidence à mort

1 Perri (P.) : Comores. Les nouveaux mercenaires, op. cit., p. 19.

326
comme les autres dictateurs africains sans imagination autre que celle de
durer au pouvoir au détriment de « leurs » peuples.
La Constitution du 7 juin 1992 n’a pas été un texte élaboré par une petite
assemblée mise en place par le pouvoir en place, mais a été l’œuvre de toute
la classe politique comorienne, même si Mohamed Taki Abdoulkarim avait
des réserves sur certains aspects de ladite Constitution.
L’une des principales revendications du début des années 1990 portait sur
l’équilibre entre la Fédération et les îles et entre les îles. Elle a été satisfaite.
Les institutions des îles ont été rénovées et renforcées. Il y avait eu aussi un
réaménagement des institutions fédérales pour les rendre plus démocratiques
et plus opérationnelles, après avoir tiré les leçons de l’autocratie du pouvoir
despotique d’Ahmed Abdallah Abderemane.
Néanmoins, croyant bien faire, le constituant du 7 juin 1992 avait inséré à
l’article 32 de celle-ci les dispositions suivantes, alors qu’à l’époque, il était
bien établi que les Comores pouvaient compter jusqu’à 42 partis politiques :
« Le président de la République nomme le Premier ministre au sein du parti
majoritaire à l’Assemblée fédérale. Il met fin à ses fonctions ». Au surplus, aux
Comores, les alliances politiques ne sont jamais durables. Elles n’ont aucune
valeur politique pérenne.
Quant au Sénat, prévu au Titre IV de la Constitution, il n’avait pas d’utilité et
relevait de l’inflation institutionnelle. Tous les pays africains qui font le choix
du bicamérisme se trouvent dans une impasse. Le bicaméralisme est un luxe
pour tout pays pauvre. Et les Comores ne sont pas seulement pauvres, mais
aussi et surtout misérables. Multiplier par fanfaronnades les institutions aussi
inutiles qu’onéreuses n’aidera jamais les Comores. Ce pays a toujours intérêt à
simplifier les institutions, mais ne sait pas le faire.
Toujours est-il que la Constitution du 7 juin 1992 avait été très utile et avait
aidé le pays à enterrer ne serait-ce que pour un temps limité ses vieux démons
de l’autocratie et du monolithisme politique. Autant rappeler que les résultats
obtenus en la matière l’ont été du fait du consensus national qui avait prévalu
au sein de la classe politique nationale pour créer aux Comores les conditions
du pluralisme politique.
Mais, les réformes apportées par la Constitution du 7 juin 1992 n’ont pas
adouci les mœurs politiques du pays, où quelques situations malheureuses ont
eu à se produire entre Députés et ministres, et n’étaient pas rares, étant fondées
sur des raisons bassement personnelles et mercantiles, au mépris de toute idée
républicaine. Pour preuve, en novembre 1991, il avait été constaté qu’« après
les échanges virulents entre Saïd-Hassane [Saïd Hachim], ministre des Affaires
étrangères, et Abdallah Halifa, président de l’Assemblée fédérale, les députés
ont été traversés par un vent d’indignation et de colère. Une fois n’est pas
coutume. Ils avaient donc fermement l’intention de censurer le gouvernement
de Papa Djo et obtenir du coup la “têteˮ de Saïd-Hassane. Mais à l’heure
actuelle, tout semble s’apaiser. Les raisons ? Les mauvaises langues racontent
que des enveloppes judicieusement garnies ont circulé sous les mains des

327
députés. À moins que ça ne soit tout simplement la crainte d’être enfermés tous
en prison »1.
Dans un pays doté d’une classe politique sérieuse, il aurait fallu considérer
comme définitive la Constitution du 7 juin 1992, notamment parce qu’elle
est l’œuvre de toute la classe politique nationale et qu’elle avait apporté des
solutions à certains des problèmes institutionnels les plus lancinants du pays.
Or, Mohamed Taki Abdoulkarim allait réviser une Constitution qui donnait
satisfaction à de larges pans de la société, y compris à la classe politique des
Comores. Cette manie de sous-développés consistant à faire correspondre à
chaque régime politique comorien une inutile révision de la Constitution est
une preuve d’immaturité politique et de faiblesse institutionnelle.
Pays de la manipulation politicienne, les Comores ont suivi la mauvaise
voie tracée par les autres dictatures africaines, habituées aux tripatouillages
et au dévergondage de la Constitution, alors qu’il y a mieux faire, surtout
dans un pays qui est à terre du point de vue constitutionnel, institutionnel,
économique et social. Des vrais problèmes existent, mais non seulement les
autorités regardent ailleurs, mais en plus, ne proposent que des solutions qui
sont biaisées, malhonnêtes et inopérantes. Rien ne justifiait la révision de la
Constitution le 7 juin 1992. Mais, Mohamed Taki Abdoulkarim voyait en ce
texte une source d’« insuffisances et incohérences ».
Or, la révision constitutionnelle du 20 octobre 1996 (acceptée par 84% des
électeurs), sans être liberticide dans l’absolu, a créé de nouvelles institutions, à
l’utilité incertaine. La Constitution du 20 octobre 1996 proclame l’attachement
du peuple comorien à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et à la
Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Il va sans dire que cette
Charte n’est pas le souci premier des États signataires, l’Afrique étant le bastion
de la violation des droits de l’Homme, dans une impunité totale. Cependant,
comme cela a été signalé au cours des développements qui précèdent, la liaison
de l’existence des partis politiques à l’existence d’élus sur toutes les îles est une
mesure liberticide. Certes, les Comores comptent trop de partis politiques, mais
il s’agit de gadgets politiques sans base populaire, mais qui sont « inoffensifs ».
Ces carcasses et carcans participent au débat politique du pays. Qu’ils aient ou
non des élus n’est pas un facteur de perturbation institutionnelle.
Mohamed Taki Abdoulkarim, accusé haineusement par ses ennemis d’être un
« islamiste », avait tenu à ce que le pouvoir législatif soit confié à l’Assemblée
fédérale, comme c’est le cas depuis l’adoption de la Constitution du 1er octobre
1978, mais avait obtenu la mise en place d’un fantomatique et inutile Conseil
des Oulémas, au pays des théologiens défroqués, hypocrites et corrompus. Pour
qu’il ne s’agisse pas d’une nouvelle coquille tout à fait vide au doux pays de
l’inflation institutionnelle, le Conseil des Oulémas ainsi créé était compétent
sur certaines questions législatives. Cela étant, réviser une Constitution pour
créer un Conseil des Oulémas n’est pas forcément une brillante idée.

1 Motion de censure, Miandi n°27, Moroni, 15-30 novembre 1991, p. 7.

328
On doit reprocher à la Constitution du 20 octobre 1996 son mépris envers la
population des îles, qui n’avait même pas le droit d’élire leurs Gouverneurs,
ceux-ci étant désormais nommés par le président de la République.
Incontestablement, Mohamed Taki Abdoulkarim est le plus charismatique des
acteurs politiques comoriens. Il était adulé même quand il n’était pas président
de l’Assemblée fédérale ou président de la République. Il est le seul politicien
comorien à disposer d’un vrai fief. Quand il s’était volontairement exilé sur le
sol français sous le régime politique d’Ahmed Abdallah Abderemane puis celui
de Saïd Mohamed Djohar, il était entouré, sollicité, suivi et choyé plus qu’un
chef d’État. Sa ville de Mbéni et sa région du Hamahamet lui étaient fidèles, et
cette fidélité était inédite.
À un niveau légèrement différent, Mohamed Ali Soilihi, lui aussi de Mbéni, a
su capitaliser ce soutien surtout depuis les élections législatives de décembre
2009. Ce capital de confiance a fait des bonds prodigieux au lendemain de la
grosse et ignominieuse fraude électorale de 2016, organisée par les Mohéliens
de Beït-Salam au profit d’Assoumani Azali, incompétent et corrompu. Quand,
le 26 mai 2016, Assoumani Azali retourna à Beït-Salam par la fraude électorale
et donc par l’inconstitutionnalité et l’illégitimité, et quand il se mit à tourmenter
et à mépriser les Comoriens de la façon la plus vulgaire, le peuple replaça ses
espoirs en Mohamed Ali Soilihi, bien au-delà de Mbéni et du Hamahamet.
Dans le cas spécifique de Mohamed Taki Abdoulkarim, force est de constater
qu’il a une personnalité très complexe et qu’on ne peut connaître qu’en faisant
preuve de beaucoup de subtilité. L’intéressé était charismatique et avait un vrai
sens du leadership. Il avait des partisans qui lui vouaient une admiration sans
bornes et qui croyaient en lui. Comme il était adulé en Grande-Comore, il avait
les airs d’un autocrate. Or, ce n’était pas le cas. Mohamed Taki Abdoulkarim
n’a jamais été un politicien assoiffé de pouvoir. Il voulait juste le pouvoir, sans
en faire un instrument de domination personnelle, alors que, adulé par nombre
de Comoriens, il aurait pu mettre en place un régime politique autocratique.
Mon cousin Soidri Salim Madi, qui avait été son fidèle compagnon au cours
de nombreuses années, m’a expliqué l’ambiguïté de la situation : « Mohamed
Taki Abdoulkarim était le pur produit de la société traditionnelle comorienne.
Son respect envers les valeurs de cette société a fait de lui le leader naturel de
nombreux Comoriens, surtout en Grande-Comore. Ce n’était pas un tyran,
mais un leader respectueux d’une tradition que certains jugeaient surannée et
poussiéreuse. Il n’obligeait personne à se conduire en courtisan envers lui ; les
partisans décidaient d’eux-mêmes de se conduire avec beaucoup de respect
envers un acteur politique qui se souciait de leurs valeurs sociales. Nous étions
nombreux à l’avoir entouré même quand il n’était pas au pouvoir. Pourtant, ce
respect, ce n’est pas lui qui le demandait. Il n’exigeait rien de personne.
Mohamed Taki Abdoulkarim n’a jamais été un dictateur. Il avait un destin
hors du commun. Il n’était pas un acteur politique comme les autres. Il faut le
connaître pour savoir qu’il n’était pas un dictateur. Les autres politiciens de
notre pays réclament une autorité qui était naturelle chez Mohamed Taki

329
Abdoulkarim, qui était un libéral, très loin de l’image austère qu’on pourrait
lui prêter »1.
En tout état de cause, même s’il y a matière à discussion dans la révision de la
Constitution opérée par Mohamed Taki Abdoulkarim en 1996, il faudrait noter
que cette dernière n’a nullement bouleversé l’ordre constitutionnel du pays.
C’est sous la très courte présidence de Mohamed Taki Abdoulkarim que l’île
d’Anjouan entra en dissidence le 16 février 1997. Ce chef d’État mourut avant
que les Comores ne s’engagent dans la voie de la réconciliation nationale. Pour
autant, les Comores n’étaient pas au bout de leurs peines puisque le 30 avril
1999, Assoumani Azali commit un coup d’État irresponsable, criminel, inutile
et inintelligent, en pleine période de déconfiture de la République comorienne,
empêtrée dans la grave crise séparatiste anjouanaise.
C’est sous la junte militaire d’Assoumani Azali qu’a été adoptée la nouvelle
Constitution, celle du 23 décembre 2001. Celle-ci a été adoptée à la suite de la
signature de l’Accord-cadre de réconciliation du 17 février 2001. Pour une fois,
après le 1er octobre 1978 et le 7 juin 1992, l’adoption d’une Constitution avait
une justification logique, reconnue même par la communauté internationale,
associée à tout le processus de réconciliation nationale des Comores. En effet,
l’État des Comores était à terre du fait de la grave crise séparatiste d’Anjouan.
En 1992 et en 1996-1997, l’île de Mohéli était entrée en rébellion, même si elle
était loin d’atteindre les proportions qui ont été celles du séparatisme insulaire
d’Anjouan. Le séparatisme de Mohéli avait des objectifs précis et justifiés de
longue date. Or, celui d’Anjouan était confus, radical, extrémiste et spécieux.
Assoumani Azali avait commis une série de crimes horribles contre l’État des
Comores. En avril 1999, il a été l’instigateur et l’organisateur des pogromes
contre les Anjouanais vivant à Moroni, refusant, en tant que chef d’État-major
de l’Armée comorienne, d’aider à leur sécurisation. C’est au moment même où
il faisait chasser les Anjouanais de Moroni qu’il accomplit son ignoble putsch.
Au lieu de rassembler les Comoriens, il a éloigné les Anjouanais de leur pays,
multipliant les nominations inutiles de Mohéliens inutiles, ignorant et frappant
d’ostracisme les Anjouanais, pendant qu’il donnait le sein aux séparatistes les
plus radicaux de leur île. C’est bien lui qui a placé à la tête d’Anjouan son ami
le Colonel Mohamed Bacar, un dangereux tortionnaire corrompu qui ne pensait
qu’aux femmes des autres et à l’argent. Assoumani Azali et Mohamed Bacar
avaient fait du port de Mutsamudu une immense zone de trafics immondes et
de trabendo. Hamada Madi Boléro et Assoumani Azali faisaient semblant de
négocier avec les séparatistes anjouanais, alors qu’en réalité, ils favorisaient le
pourrissement de la situation de l’île, une île gangrenée par le séparatisme.
Assoumani Azali a cédé le pouvoir à Ahmed Sambi le 26 mai 2006, et laissait
derrière lui un pays en ruines sur tous les plans : une unité nationale en
lambeaux malgré l’Accord-cadre de réconciliation nationale signé à Fomboni le
17 février 2001, une économie détruite, un pays traumatisé et sans espoir… La

1 Entretiens du vendredi 27 avril 2018.

330
fin du séparatisme à Anjouan se fera par le débarquement d’Anjouan du 25
mars 2008, un débarquement décidé par Ahmed Sambi et dirigé par le Général
Salimou Mohamed Amiri, et qui est une gifle sur le front d’Assoumani Azali.
Or, la Constitution du 23 décembre 2001 était censée régler le grave problème
du séparatisme, en rassurant Mohéliens et Anjouanais sur le fait que désormais,
le pays sera dirigé par rotation de quatre ans par un Grand-Comorien, après par
un Anjouanais et par la suite par un Mohélien. L’instauration de la présidence
tournante est la principale innovation de la Constitution du 23 décembre 2001.
On peut mentionner également le remplacement du titre de Gouverneur de l’île
autonome par celui de président, le fort inutile remplacement de la République
fédérale islamique, appellation à laquelle tenaient beaucoup les Comoriens, par
Union des Comores, une dénomination à l’introuvable utilité, le changement
tout à fait puéril des couleurs du drapeau national. On y retrouve l’amateurisme
et la lâcheté antipatriotique de Hamada Madi Boléro et d’Assoumani Azali. En
2012 et en 2014, j’ai assisté à des rencontres au cours desquelles Hamada Madi
Boléro a été interpellé sur la « disparition de la République », et comme il n’est
pas capable de comprendre l’attachement des Comoriens aux symboles, il se
met à lire les dispositions de l’article 1er de la Constitution, qui commencent par
« L’Union des Comores est une République […] ». Les Comoriens ne sont
pas des ignares qui ne savent pas que leur pays n’a pas été transformé en
Droit en monarchie ; ce qu’ils souhaitaient, c’était l’appellation République,
qu’on n’a pas besoin de rechercher dans un fatras d’articles illisibles de la
Constitution. Ils veulent qu’on parle de la République des Comores.
En plus, pour la forme, la Constitution du 23 décembre 2001 relève de la
malédiction rédactionnelle : phrases interminables, articles comportant moult
lignes et ayant une longueur kilométrique, mélanges des genres, manque de
précisions sur des sujets essentiels. Que des fois je dis et répète aux autorités
comoriennes : « Une phrase, un article pour une Constitution claire, lisible
et sans nécessité d’exégèses et d’interprétations fastidieuses ». Que des fois
je dis et répète aux autorités comoriennes qu’elles ont le droit et l’intérêt de
rédiger une Constitution comportant autant d’articles qu’elles le souhaitent,
même 300 articles, car c’est la clarté qui doit prévaloir. Je n’ai jamais obtenu
de réponse de la part de Hamada Madi Boléro quand je l’interrogeais sur les
raisons qui avaient conduit à la rédaction d’une Constitution rabougrie.
La Constitution du 23 décembre 2001 comporte 40 articles. Ça ne fait pas
sérieux. Ce n’est pas sérieux. Cette Constitution est très lacunaire, imprécise
et incomplète. Elle est source de moult interprétations et exégèses, qui sont
appelées à verser dans la défense des intérêts personnels et partisans. J’ai eu
à signaler qu’aucune disposition de la Constitution ne mentionne le fait que
le candidat à la magistrature suprême doit être originaire de l’île sur laquelle
est organisée l’élection primaire. Or, toute la modalité électorale en relation
avec la présidence tournante tourne autour de cette idée. Cela étant, on doit
se poser la question de savoir ce qu’il en aurait coûté au constituant du 23
décembre 2001 d’apporter une telle précision.

331
Empêtrés dans les petites magouilles politiciennes, Hamada Madi Boléro et
Assoumani Azali n’ont pas été capables de proposer aux Comoriens un texte
constitutionnel applicable sans des bagarres de rues, ni menaces, ni injures.
La révision constitutionnelle opérée par Ahmed Sambi le 17 mai 2009 est
tellement simple que son principal apport réside dans le passage du mandat
du chef de l’État et des Gouverneurs des îles de 4 à 5 ans et la transformation
des présidents des îles autonomes en Gouverneurs. On peut noter également
la survenance de l’empêchement définitif du chef de l’État 900 jours après
son investiture.
Pour autant, le plus grave problème allait faire son apparition au lendemain
du retour anticonstitutionnel d’Assoumani Azali à Beït-Salam le 26 mai
2016. Il a entrepris de détruire l’architecture institutionnelle laborieusement
créée par les Comoriens, avec l’aide de la communauté internationale. Du
jour au lendemain, il tua la CNPLC alors qu’il n’avait aucune compétence
pour ce faire.
Un des exemples les plus tristes en matière institutionnelle date du jeudi 12
avril 2018. Ce jour-là, en ignorance totale et au grand mépris du Droit dans
tous les pays du monde, même les plus sombres dictatures, Assoumani Azali
a signé une « décision » constituant une première dans le monde en ceci que
ce texte juridiquement inclassable et institutionnellement inédit est d’une
suprématie normative dépassant celle de la Constitution, la norme suprême
en Droit positif comorien. Par cette « décision », Assoumani Azali transfère
les compétences de la Cour constitutionnelle à la Cour suprême, en toute
inconstitutionnalité, prétendant hypocritement et fallacieusement qu’« il est
constaté le nombre incomplet des juges composant la Cour constitutionnelle
et, partant, l’impossibilité d’assurer son fonctionnement en conformité avec
les dispositions constitutionnelles et législatives précitées » (article 1er de la
« décision ») et que « la Cour suprême exerce provisoirement les attribu-
tions de la Cour constitutionnelle » (article 2).
Comment une « décision » peut-elle supplanter une Constitution ? On ne
devait même pas se poser la question, puisque la manœuvre honteuse ayant
été à l’origine d’un tel tripatouillage n’a aucun fondement juridique mais est
un coup de force destiné à décapiter le système institutionnel du pays pour le
goût obsessionnel d’un dictateur pour le pouvoir.
On ne peut qu’être révolté quand on lit dans les motifs ayant été à l’origine
de ce crime contre le Droit les mensonges éhontés suivants :

332
Assoumani Azali a perdu toute vocation à invoquer une Constitution qu’il
place sous sa « décision », et dont les normes relatives à la Cour suprême et à
la Cour constitutionnelle interdisent toute aventure comme celle du jeudi 12
avril 2018. Son crime contre l’État et le Droit est d’autant plus grave que « la
Cour suprême est la plus haute juridiction de l’Union en matière judiciaire,
administrative et des comptes de l’Union et des îles » (article 29 de la
Constitution), étant également noté que « la Cour constitutionnelle est le
juge de la constitutionnalité des lois de l’Union et des îles. Elle veille à la
régularité des opérations électorales tant dans les îles qu’au niveau de
l’Union, y compris en matière de référendum ; elle est juge du contentieux
électoral. Elle garantit enfin les droits fondamentaux de la personne
humaine et les libertés publiques. La Cour constitutionnelle est garante de la
répartition des compétences entre l’Union et les îles. Elle est chargée de
statuer sur les conflits de compétence entre deux ou plusieurs institutions de
l’Union, entre l’Union et les îles et entre les îles elles-mêmes » (article 36).
Dès lors, une question se pose avec acuité : comment la Cour suprême peut-
elle se substituer à cette Cour constitutionnelle ? Sur le plan juridique stricto
sensu, cette substitution est impossible. En effet, la Cour constitutionnelle et
la Cour suprême ne sauraient être confondues en Droit comorien.
Dans la Constitution, les deux institutions sont traitées dans des rubriques
qui sont sans rapport l’une et l’autre. La Cour suprême est traitée au Titre III
(« Du pouvoir judiciaire ») et n’est citée qu’aux articles 29 et 30. En aucune
manière, les compétences d’une Cour constitutionnelle ne sauraient relever
d’un « pouvoir judiciaire », mais plutôt d’un « pouvoir juridictionnel ». En la
matière, il ne s’agit même pas d’une nuance, mais d’un fossé juridique que
personne ne peut combler sur le plan du Droit.
Le juriste est effaré en notant l’invocation par Assoumani Azali de l’article
12-3 de la Constitution et par la formule « après consultation du Président

333
de l’Assemblée de l’Union et de la Cour suprême ». La démarche entreprise
ainsi par Assoumani Azali n’a aucune relation avec l’article 12-3 évoqué et
qui dispose : « Lorsque les institutions constitutionnelles, l’indépendance de
la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements
internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate, et que le
fonctionnement régulier des institutions constitutionnelles est interrompu, le
président de l’Union, après consultation officielle du Conseil des ministres,
du président de l’Assemblée de l’Union et de la Cour constitutionnelle,
prend les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances ».
Posons-nous une question : qui empêche le renouvellement des membres
de la Cour constitutionnelle ? La réponse est : Assoumani Azali. Autrement
dit, il aurait suffi qu’il arrête de s’acharner contre la Cour constitutionnelle
pour éviter la signature d’une « décision » dotée d’une autorité normative
bien supérieure à celle de la Constitution. Il empêche le renouvellement des
membres de la Cour constitutionnelle et, toute honte bue, et au grand mépris
envers les Comoriens, ose signaler après que le « fonctionnement régulier
des institutions constitutionnelles est interrompu ». Le Droit n’a pas sa place
dans cette combine politicienne concoctée avec la complicité du faux juriste
et mercenaire Nourdine Abodo, objet de la colère et de la haine du peuple.
L’article 12-3 de la Constitution auquel il fait référence l’oblige à consulter
le président de la Cour constitutionnelle et non celui de la Cour suprême. En
plus, quand les Comores se retrouvent dans un des cas de figure mentionnés
à l’article 12-3 de la Constitution, « le président de l’Union en informe la
Nation par message ». Cela n’a pas été fait. Le Droit n’a pas sa place ici.
Même si on connaît la manie des autorités des pays sous-développés à faire
des textes juridiques ce qu’elles veulent, on ne peut s’empêcher de constater
que celles des Comores ne connaissent même pas la valeur de la Loi. Aux
Comores, la Loi n’a aucune valeur. Elle sert juste de décor. Sans la moindre
formation en Droit, les autorités font ce qu’elles veulent du Droit juste pour
assouvir leurs bas instincts et appétit en matière d’argent et de pouvoir. Elles
ne se soucient pas des conséquences très désastreuses de leurs crimes contre
l’État et le Droit. Il est inquiétant de constater que même des Comoriens qui
se prennent pour des « juristes » se comportent de la même manière que les
ignorants installés au pouvoir à Moroni. Les deux exemples les plus sales
constatés en la matière sont donnés par Hamada Madi Boléro et l’ex-avocat
français Saïd Larifou. Il suffit de discuter avec les deux personnages pour se
rendre compte que leurs connaissances en Droit sont nulles et spécieuses. La
liste peut être complétée par le nom du quémandeur Ibrahim Ali Mzimba.
La Cour constitutionnelle comorienne donne au peuple 1.000 raisons de lui
vouer une solide haine et un mépris sans bornes. Mais, comment vivre dans
un pays normal sur le plan institutionnel sans une Cour constitutionnelle ? La
Cour constitutionnelle des îles Comores, ayant en son sein des instituteurs
sans la moindre formation juridique, composée de Conseillers incompétents
et corrompus, est haïssable et méprisable. J’en ai personnellement étudié les

334
forfaits à la lumière de ses graves crimes lors de l’élection présidentielle de
20161. Pour autant, cette Cour constitutionnelle composée de corrompus et
d’incompétents, aussi haïssable et méprisable soit-elle, doit être maintenue,
mais au lieu d’y nommer des charlatans, leurs charlatans, le chef de l’État,
les Gouverneurs des îles et les vice-présidents de la République doivent faire
en sorte de nommer à la Cour constitutionnelle des juristes à la compétence
confirmée et à l’honnêteté sans tâche.
Le lundi 9 avril 2018, j’ai eu un interminable entretien téléphonique avec
Ibrahim Ali Mzimba, le Bâtonnier de Moroni. Je n’aurais jamais cru que
j’entendrai un jour des propos aussi dangereux et décevants dans la bouche
de celui qui se prend comme un grand juriste. Voici certaines de ses phrases,
qui me font encore trembler de colère : « Arrête de faire des exégèses sur ton
site Internet pour rappeler continuellement le primat de la Constitution.
Nous n’en voulons pas ici. Nous vivons la réalité et nous ne nous intéressons
pas à tes exégèses juridiques. Le Droit constitutionnel n’a pas d’existence
juridique. Il n’est pas un Droit, mais un rapport de forces, même dans les
grandes démocraties.
Je déteste cette Cour constitutionnelle, qui nous a volé notre victoire lors
de l’élection présidentielle de 2010, quand elle a injustement disqualifié le
ticket conduit par Bianrifi Tarmindhi, dont j’étais le colistier à la Grande-
Comore. Je suis d’accord avec Azali Assoumani quand il fait disparaître
cette Cour constitutionnelle de merde. Je ne vais pas pleurer cette institution
de merde, qui n’a pas prouvé son utilité.
Azali Assoumani va convoquer les avocats du Barreau de Moroni et nous
demander ce que nous pensons de son projet de mise sous tutelle de la Cour
constitutionnelle par la Cour suprême. Moi, je serai le premier à dire que
j’approuve la démarche pour sauver mon cabinet d’avocats. Je subis trop de
pressions en ce moment par le biais du Fisc, et je dirai ce qui est attendu de
moi. Je vais approuver Azali Assoumani pour sauver mon cabinet d’avocats,
et je te demande de ne pas me critiquer sur ton site Internet. Certains des
avocats qui seront présents ne savent même pas pourquoi ils sont convoqués
à la Présidence de la République par Azali Assoumani. Il faut en finir avec
cette Cour constitutionnelle corrompue et composée de voleurs ».
Je lui expliquais que ce ne sont pas des individus que je défendais, mais le
Droit, la Constitution et les institutions nationales. Il haussa le ton, adopta la
menace et, depuis, j’ai décidé de ne plus lui adresser la parole. Il a le droit de
soutenir ou pas le régime politique d’Assoumani Azali, mais pas de mépriser
le Droit, la Constitution et les institutions avec autant d’arrogance. La Cour
constitutionnelle a toujours été un organe de complaisance, où les autorités
compétentes nommaient des membres de leurs familles respectives et des
amis qui ne maîtrisent aucune notion de Droit. Cela fait des années que je dis

1 Riziki Mohamed (A.) : Mohamed Ali Soilihi. Vérités sur une élection aux Comores, op. cit.,

pp. 359-379, pp. 457-462.

335
aux autorités comoriennes que si elles pouvaient choisir leurs proches, elles
devaient au moins fournir l’effort de nommer des juristes professionnels.
Cette Cour constitutionnelle a été entièrement corrompue par Assoumani
Azali lors de l’élection présidentielle de 2016. Hamada Malida Msoma disait
à qui voulait l’entendre qu’Assoumani Azali lui avait remis une forte somme
d’argent et lui avait fait de belles promesses. C’était en mai 2016. En pleine
crise politique liée au dévergondage des résultats des élections par une CÉNI
aux ordres des Mohéliens de Beït-Salam pour ramener Assoumani Azali au
pouvoir par la fraude et l’inconstitutionnalité, les Comoriens, médusés et
indignés, virent Hamada Malida Msoma monter dans la voiture de Djaafar
Ahmed Saïd Hassani, colistier d’Assoumani Azali à la Grande-Comore, et se
faire déposer par le même véhicule devant la même institution des heures
plus tard.
Personne n’a plus dénoncé cette Cour constitutionnelle que moi, et ce, au
vu de ses graves crimes contre l’État et le Droit lors de l’élection du chef de
l’État en 2016. Pour autant, je n’ai jamais demandé la suppression de cette
institution. Les Comores en ont besoin. Il lui est arrivé de désavouer le chef
de l’État, notamment quand il s’arroge anticonstitutionnellement le droit de
limoger des membres de la CÉNI qui étaient visiblement corrompus et qui
empêchaient le fonctionnement régulier cette institution. En Droit comorien,
quand un tel constat est fait, c’est la CÉNI elle-même qui a compétence pour
sanctionner ses brebis galeuses.
Le mercredi 18 avril 2018, Assoumani Azali recevait les avocats véreux du
Barreau de Moroni. Officiellement, il était question de parler de l’exercice
du métier d’avocat aux Comores. Ces gens-là ne pouvaient aller plus loin.
Déjà, sur mon site Internet, www.lemohelien.com, j’avais annoncé la tenue
de leur « conclave » contre la Cour constitutionnelle. Mais, dès la fin de cette
rencontre honteuse, Ibrahim Ali Mzimba tenait une conférence de presse
dans son cabinet d’avocats pour se dévoyer de la plus honteuse des façons :
« Le président n’a pas violé la Constitution. Il a été astucieux pour bien
profiter de la manière dont les institutions sont formulées. Il s’agit d’une
dictature légale et prévue par la Constitution. Trouver les failles dans les
textes fait partie du travail des conseillers juridiques du président. On
pourrait dire qu’il a fait usage de son pouvoir d’une manière princière pour
ne pas dire abusive. Toutefois, l’article 12-3 lui en donne la possibilité de
recourir aux dispositions exceptionnelles ».
Tout ce prêchi-prêcha de la mendicité et du rejet du Droit est basé sur une
interprétation criminelle de la Constitution comorienne. Ibrahim Ali Mzimba
ment sans vergogne, notamment quand il parle de « Conseillers juridiques »,
qui se limitent au faux juriste Nourdine Abodo, et quand il dit qu’Assoumani
Azali exploite « les failles » de la Constitution. Il n’est plus dans la posture
du juriste, mais dans celle du quémandeur sans honneur, ni dignité.
Abdou-Elwahab M’sa Bacar, autre avocat de la mendicité et du racolage,
avait précédé de quelques jours Ibrahim Ali Mzimba. Il avait affirmé, sans

336
honte : « Je pense que dans le cas présent, les institutions constitutionnelles
sont menacées et que cela a entraîné un fonctionnement irrégulier des insti-
tutions. Donc, il était du devoir du chef de l’État de prendre des mesures
pour pallier cette situation qui pouvait s’avérer difficile pour le pays ».
Une fois de plus, il faut rappeler que ces avocats sans formation appropriée
disent ce que leur maître Assoumani Azali leur a demandé de dire en public,
et débitent un tas d’incongruités malsaines. Ils font semblant de ne pas voir
que c’est Assoumani Azali qui est à l’origine des blocages qui ont conduit la
Cour constitutionnelle au cimetière du Droit. Or, il ne peut pas bloquer les
institutions et prétendre après que le fonctionnement régulier de celles-ci est
impossible et qu’il doit recourir à des mesures exceptionnelles et violentes.
Même les Comoriens qui n’ont pas étudié du Droit dénoncent et rejettent
les manœuvres criminelles d’Assoumani Azali, qui n’a pas cessé de mépriser
les Comoriens par des gestes malheureux.
Alors que des avocats de Moroni tentent de légitimer le projet criminel
d’Assoumani Azali, ce qui n’est pas leur rôle, projet consistant à enterrer la
Cour constitutionnelle, créée par la Constitution, en la plaçant sous la tutelle
anticonstitutionnelle de la Cour suprême, trois Conseillers au sein de la Cour
constitutionnelle ont eu un courage historique, méritoire et exceptionnel en
écrivant à Assoumani Azali pour dénoncer sa manœuvre. Ils lui signifient
que sa « décision » est anticonstitutionnelle et qu’ils n’étaient pas concernés
par le transfert anticonstitutionnel de la Cour constitutionnelle à la Cour
suprême. Ces trois Conseillers sont : Chams-Edine Maulice Abdourahamani
(Fomboni, Mohéli), Mohamed Chanfioun Ahamada (Mbéni, Grande-Comore)
et Soidri Salim Madi (Fomboni, Mohéli). Il s’agit d’un acte dicté par un
courage exemplaire dans l’une des plus sombres dictatures du monde actuel.
Dans la cinglante lettre de dénonciation rédigée par ces 3 Conseillers, on
ne sent aucune peur, mais plutôt un courage exceptionnel, un vaillant rappel
à l’ordre, une farouche volonté de dire la vérité à un dictateur violent qui se
prend pour Dieu. La flagornerie est bannie de cette lettre de remontrances,
dont la formule finale est des plus lapidaires : « Haute considération ». C’est
tout. Maintenant, nous allons prendre connaissance du contenu de cette lettre
qui constitue une première aux Comores.

337
Notons également la lettre adressée par Soidri Salim Madi, le doyen d’âge
à la secrétaire générale de l’Association des Cours constitutionnelles ayant
en partage la langue française (ACCPUF), dont la Cour constitutionnelle des
Comores est membre. Cette lettre est encore plus détaillée et explique par le
menu les manœuvres criminelles d’Assoumani Azali contre le Droit.

338
339
Ces développements permettent de constater que les institutions publiques
sont d’une très grande fragilité. Ceci est d’autant plus vrai que les politiciens
comoriens sont dans l’incapacité de se mettre d’accord une bonne fois pour
toutes sur un modèle institutionnel donné. Ils sont à la recherche d’un cadre
institutionnel répondant aux réalités du pays, mais s’enferment toujours dans

340
leurs petits calculs de pouvoir. La Constitution souhaitée par les Comoriens
dans leur immense majorité est celle qui respecte les droits de l’Homme, fait
la promotion de l’État de Droit et de la démocratie, crée les équilibres entre
les pouvoirs et entre les îles, et permet une application ne suscitant pas des
complications particulières.

§2.- TRIPATOUILLAGES DE LA CONSTITUTION POUR CONVENANCES


PERSONNELLES AU PAYS DE « LA CONSTITUTION, MON BON PLAISIR »
En matière constitutionnelle, les acteurs politiques comoriens commettent
une lourde erreur, celle de mépriser le primat de la Constitution et de tourner
le dos au caractère général et impersonnel de la Loi. Les dirigeants des îles
Comores ont fait du Droit un instrument de pouvoir personnel, familial et
clanique. Non formés aux missions étatiques mais vivant d’improvisation et
dans l’amateurisme, ces dirigeants n’ont que du mépris envers le Droit.
Aux Comores, les dirigeants ignorent des valeurs juridiques fondamentales,
dont la hiérarchie des normes juridiques, dans un pays qui se définit comme
un État de Droit et une démocratie. Or, pour qu’un système politique puisse
se réclamer des attributs de l’État de Droit et de la démocratie, il se doit de
disposer d’un système juridique rigoureux et cohérent, qui favorise non pas
les desseins d’un individu, d’une famille, d’un clan ou d’une fraction de la
population, mais le Droit dans son ensemble, considéré comme le vecteur du
bien commun, une hérésie aux Comores.
Le respect du Droit suppose la prise en compte de la hiérarchie qui existe
entre les normes juridiques. Dès lors, la norme supérieure s’impose à celles
qui se trouvent en dessous d’elle. En la matière, les travaux de Hans Kelsen
(1881-1973) font autorité. La pyramide de Hans Kelsen place la Constitution
au-dessus de toutes les règles de Droit interne. Seul le traité dûment ratifié
par l’État en présence peut avoir une autorité supérieure à la Constitution. La
suprématie de la Constitution s’explique surtout par le fait qu’il s’agit du
texte juridique qui organise l’État et ses institutions.
Dans un pays majoritairement peuplé de Musulmans, comme c’est le cas
des Comores, l’Islam est déclaré « source d’inspiration » suprême, mais il
s’agit de la poudre aux yeux, une immense hypocrisie. Pour preuve, le Coran
interdit, par exemple, la vente et la consommation d’alcool alors que la loi
nationale comorienne permet et réglemente ces activités. L’Islam est censé
être supérieur à la Constitution, mais la réalité donne à réfléchir en ceci que
l’écart est énorme entre les proclamations solennelles et les faits.
L’Islam dispose-t-il d’un corpus suffisant de règles juridiques pour inspirer
valablement le Droit positif d’un pays comme les Comores ? La question se
pose avec d’autant plus d’acuité que « les auteurs musulmans distinguent les
versets [du Coran) qui régissent le statut personnel (au nombre de soixante-
dix), les versets relevant du “droit civilˮ (au nombre de soixante-dix), les
versets à caractère pénal (au nombre de trente), les versets réglementant la

341
procédure judiciaire (au nombre de treize), les versets “constitutionnelsˮ (au
nombre de dix), les versets relatifs à l’économie et aux finances (au nombre
de dix) et enfin les versets concernant le “droit internationalˮ (au nombre de
vingt-cinq) »1.
La jurisprudence et la doctrine musulmane sont très riches, mais elles n’ont
pas de valeur pour les dirigeants des pays musulmans. Aux Comores, les
domaines qui sont régis par des règles musulmanes sont le statut personnel,
la famille et les successions. En la matière, le Minhaj Al-Talbîne d’Abou
Mouhidine Al-Nawawy (1233-1277) fait autorité. Cependant, il s’agit d’une
exception car l’application des règles liées à l’Islam se limite à ces matières.
Dès lors, quelles sont les conditions qui doivent être remplies par un État
pour qu’on puisse le considérer comme faisant partie de la terre d’Islam, et
donc, de faire du Coran la norme supérieure de l’État, qui s’impose même à
la Constitution ? Pour répondre à la question posée, il faudrait prendre en
considération le fait qu’« il n’est pas toujours aisé de déterminer les critères
rattachant un État à la terre d’Islam. Toutefois, les indices généralement
retenus peuvent être : l’application de la Charia, l’appartenance à des cadres
de solidarité islamique et l’existence d’une population nationale majoritai-
rement musulmane. Ces critères ne sont pas exclusifs les uns des autres »2.
Cette situation est tout de même compliquée car le mot Charia, galvaudé
par un certain nombre d’organisations terroristes se réclamant abusivement
et fallacieusement de l’Islam, fait peur, et les pays musulmans eux-mêmes
répugnent à l’employer. Comme c’est souvent le cas, les dirigeants des pays
musulmans invoquent l’Islam, mais sans y croire.
En la matière, une hypocrisie générale prévaut. L’Islam est invoqué pour
satisfaire le peuple, souvent très attaché à la religion. Les Comores avaient
pour appellation « République fédérale islamique » de la Constitution du 1er
octobre 1978 à celle du 23 décembre 2001.
La Mauritanie et l’Iran sont officiellement des Républiques islamiques. Au
Maroc, le Roi est Commandeur des Croyants. L’Afghanistan des Talibans
était dirigé un « Commandeur des Croyants », pour un régime politique qui
était largement impliqué dans le terrorisme transfrontalier. De fait, l’Islam
est devenu un instrument politique entre les mains de politiciens dont les
actes sont sans le moindre rapport avec cette religion.
Mais, cela ne doit étonner personne parce que, comme le constate Maxime
Rodinson, « gouvernement islamique en soi ne veut rien dire. On peut
déclarer islamique l’État qu’on dirige moyennant quelques conditions
minimales aisées à remplir : proclamer la fidélité à l’Islam dans les textes
constitutionnels, mettre ou remettre en vigueur légalement quelques mesures
archaïques spectaculaires, se concilier – facilement (chez les Sunnites) ou

1 David (René) et Jauffret-Spinosi (Camille) : Les grands systèmes de droit contemporains,

9ème édition, Dalloz, Paris, 1988, p. 521.


2 Riziki Mohamed (A.) : La diplomatie en terre d’Islam, op. cit., pp. 26-27.

342
avec plus de difficultés éventuellement (en pays chiite) – le corps des Uléma.
Mais en dehors de ce minimum, le champ est vaste. On peut avoir affaire à
des régimes différents et même diamétralement opposés. Ils peuvent s’accuser
mutuellement de trahir le “vraiˮ Islam »1.
Mais, est-ce que « la vertu de l’islamité proclamée d’un État » intéresse les
autorités des pays dits musulmans ? Pour répondre à la question, il faudrait
prendre en compte la réalité selon laquelle les Comores et la plupart des
autres pays musulmans sont des bastions des inégalités sociales, que prohibe
l’Islam. Cette religion prône les vertus de la solidarité des riches envers les
pauvres. Aux Comores, pays miséreux par excellence, Assoumani Azali et sa
famille de prédateurs passent leur temps à voler l’argent du peuple pendant
que ce peuple patauge scandaleusement dans la misère. Lancées dans la quête
effrénée de l’argent sale, les autorités comoriennes n’ont aucune compassion
pour un peuple qui a faim et soif, et qui vit dans les ténèbres à la tombée de
la nuit et dans l’obscurité sur le plan intellectuel. Or, le même Assoumani
Azali, avec la complicité de son vieil ami, le Mufti défroqué, s’est surnommé
Al Imam Ghazali, en référence à l’Imam Abou Ḥamid Moḥammed Al-
Ghazālī (1058-1111), l’un des meilleurs théologiens de l’Islam. Un impie
vivant dans la fornication, l’assassinat, le vol d’argent public, la persécution
de tout un peuple et le rejet de toute règle morale et juridique se compare à
l’un des représentants les plus emblématiques de la culture islamique.
Avec un sens extraordinaire de l’exploitation de l’Islam à des fins de pure
politique politicienne, l’Arabie Saoudite a conçu sa propre relation entre le
Coran et la Sounna, d’une part, le pouvoir politique, d’autre part, et, « après
avoir rappelé que le Coran et la Sunna sont la seule Constitution d’Arabie
Saoudite, la loi fondamentale confirme et étend les pouvoirs discrétionnaires
du roi »2. Or, l’Arabie Saoudite produit de nombreux terroristes, qui sont
généralement des Saoudiens désapprouvant les dérives du régime politique
de leur pays. Le chef terroriste Oussama Ben Laden était un milliardaire
saoudien, dont le retrait de la nationalité pour terrorisme est un non-sens.
Aux Comores et dans les autres pays majoritairement musulmans, même le
Coran fait l’objet de manipulations politiciennes. Le verset du Coran qui fait
l’objet du plus grand nombre de manipulations et dévergondages de nature
politicienne est incontestablement celui-ci :
« O vous qui croyez ! Obéissez à Allah ! Obéissez au Prophète et à ceux
d’entre vous qui détiennent l’autorité » (IV, Les Femmes, 59).
Or, il ne suffit pas de disposer de l’autorité pour être obéi ; encore faudrait-
il respecter les normes de l’Islam. Le respect du peuple envers l’autorité ne
peut être obtenu que quand cette dernière est soucieuse d’obéissance à Dieu

1 Rodinson (Maxime) : Réveil de l’intégrisme musulman ? in Balta (P.) : L’Islam dans le

monde, op. cit., pp. 49-50.


2 Gresh (Alain) : Un royaume bâti sur du sable. Les nouveaux visages de la contestation

islamique en Arabie Saoudite, Le Monde diplomatique, Paris, août 1992, pp. 8-9.

343
et au Prophète : « Dieu est la loi exprimée dans le Coran. Mohammed est
l’exemple parfait que rapporte la tradition ; “ceux qui détiennent l’autoritéˮ
n’apparaissent qu’en troisième lieu. L’obéissance à leur endroit est donc
conditionnée par le respect dont eux-mêmes font preuve à l’égard des deux
pouvoirs supérieurs »1.
La normativité en terre d’Islam est très subtile, en raison de l’imbrication
entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel dans la cité musulmane : « La loi
est la concrétisation de la foi, l’État dirige les prières et protège la religion,
en même temps que la société profane dont il doit régler les affaires »2.
Ces précisions préliminaires étant faites, il est nécessaire que les deux rois
des Comores les plus enclins à considérer que la Constitution est un enjeu de
pouvoir personnel sont incontestablement Ahmed Abdallah Abderemane et
Assoumani Azali. Ce sont deux dirigeants d’un rare narcissisme arrogant,
d’un incroyable mépris envers le peuple et dont la seule conviction politique
se limite à se croire au-dessus de la Constitution et donc de tout le système
normatif et institutionnel du pays. L’un et l’autre ont en commun de se croire
indispensables et les seuls à pouvoir diriger les îles Comores. Si les autres
dirigeants comoriens ont procédé à quelques aménagements techniques de la
Constitution, eux sont allés très loin, en procédant aux pires tripatouillages
de la Magna Carta des pays.
La seule différence qu’il y a entre les deux dirigeants se base sur le fait que
si de nombreux espoirs ont été placés en Ahmed Abdallah Abderemane pour
démocratiser le pays au lendemain au lendemain du coup d’État du 13 mai
1978, il n’en a jamais été le cas avec Assoumani Azali, un rustre très frustré,
complexé par les conditions dans lesquelles son père a vécu et est mort dans
une horreur indescriptible, un être borné et obtus, sans culture, ni culture
générale, ni culture politique, ni culture d’État.
Ahmed Abdallah Abderemane savait traiter avec soin, sans humilier, ni
menacer, la vieille société traditionnelle comorienne. Il savait obtenir d’elle
tout le soutien politique qui lui semblait nécessaire pour se maintenir en paix
au pouvoir. Dans l’espace urbain et dans les zones rurales, il savait fidéliser
une vieille clientèle politique qui lui était acquise depuis l’autonomie interne
et qu’il consolidait au fil du temps. Cela est sans commune mesure avec les
méthodes vulgaires d’un Azali Assoumani, qui ne pense à la notabilité du
pays que quand il a décidé de faire avaler aux Comoriens une couleuvre de
plus. Ahmed Abdallah Abderemane était un autocrate, mais il avait le sens
des subtilités et parfois de la nuance. D’ailleurs, c’est sous sa présidence que
le jeune Assoumani Azali avait obtenu une bourse pour aller faire des études
en matière de Défense au Maroc, avant de servir sans le moindre problème
de conscience sous les ordres de Robert « Bob » Denard et de ses « affreux ».

1Boisard (Marcel A.) : L’Islam aujourd’hui, UNESCO, Paris, 1984, p. 56.


2 Ben Achour (Yadh) : Islam et laïcité. Propos sur la recomposition d’un système de
normativité, in L’Islam dans la cité, Pouvoirs n°62, PUF, Paris, septembre 1992, p. 15.

344
C’est à cette époque qu’il avait commencé à se faire la main en matière de
tortures et d’assassinats politiques. Très rapidement, il fit sa lugubre carrière
dans ce domaine lugubre.
Le 1er octobre 1978, Ahmed Abdallah Abderemane a fait adopter par voie
de référendum une Constitution bien équilibrée. Il devait rassurer le peuple
comorien après la parenthèse sanglante et aventureuse d’Ali Soilihi, et avait
eu le souci de jeter les bases du fédéralisme dans le vain espoir que Mayotte
allait être séduite par la perspective de la reconnaissance de la personnalité
de chaque île au sein de la République fédérale islamique des Comores.
En effet, « le fédéralisme de 1978 avait été constitué pour permettre le retour
de Mayotte en préservant la personnalité de chacune des îles. En fait, la
pratique a débouché sur un échec politique et sur un désordre financier ; le
partage entre compétences des gouverneurs et compétences du pouvoir fédéral
n’a pas été toujours facile. En matière d’éducation pour ne prendre qu’un
exemple, la dualité du système a débouché le plus souvent sur la paralysie,
voire l’anarchie ; inévitablement la présidence a dû arbitrer des conflits entre
gouverneur et ministre »1.
En réalité, au lendemain du traumatisme subi par les Comoriens durant la
période révolutionnaire d’Ali Soilihi et ses tortionnaires, Ahmed Abdallah
Abderemane était dans l’obligation politique de modérer, dans un premier
temps, ses appétits de pouvoir. Il faisait semblant de se conformer aux règles
de la démocratie, même si les Comoriens avaient peur de s’interroger sur les
raisons qui avaient conduit à la présentation d’une seule candidature lors de
l’élection présidentielle de 1978. Ahmed Abdallah Abderemane continuait à
afficher un visage rassurant de « bon démocrate ». Il n’avait pas eu besoin
d’interdire les candidatures : il était « le Libérateur » du 13 mai 1978, et cela
suffisait à calmer les ambitions présidentielles des autres Comoriens.
Mais, sous les effets des démons de la dictature et du goût obsessionnel du
pouvoir politique, le 5 novembre 1982, Ahmed Abdallah Abderemane a fait
adopter la loi constitutionnelle n°82-018/PR portant révision des articles 5, 6, 7,
10, 11, 17 et 20 de la Constitution du 1er octobre 1978. Ce fut le début d’une
longue série de tripatouillages et dévergondages de la Constitution pour simple
convenance personnelle, pour vider la Magna Carta de sa substance, dans le
but de renforcer les pouvoirs d’un homme au détriment de l’intérêt collectif.
À la lumière de la Constitution de 1978, le Gouverneur de l’île était élu par la
population insulaire. La révision constitutionnelle de 1985 fait du Gouverneur
une autorité nommée par le président de la République. Dans une fédération, il
n’est pas permis de remplacer le vote populaire par des nominations. Ceci est
d’autant plus vrai que c’est l’élection des autorités des entités fédérées qui est le
facteur qui permet d’accorder à ces dernières une vraie latitude d’action face à
la Fédération : l’autonomie.

1Pineau (Michel) et Audibert (Lucien) : La République fédérale islamique des Comores.


Panorama des années 1982-1983, APOI 1984-1985, Volume X, pp. 129-130.

345
À raison, Abdou Djabir avait parlé de « fédéralisme sous surveillance »1.
Déjà, dans l’allocution radiodiffusée du 22 octobre 1980, Ahmed Abdallah
Abderemane avait dit aux Comoriens : « Vous avez pris le pari courageux de
voter une Constitution fédérale qui réserve à chaque île sa place particulière.
Chaque île est responsable de la gestion du quotidien. Le gouvernement fédéral
et l’Assemblée fédérale ont la charge de préparer l’avenir. Les uns et les autres
doivent savoir que la liberté meurt toujours de ses excès ».
Sous Ahmed Abdallah Abderemane, aucune liberté n’était morte de « ses
excès », et ceci, parce que, d’une part, les libertés n’existaient pas, et d’autre
part, parce qu’il n’y a pas eu des excès dans la jouissance des libertés.
Le 5 novembre 1989, Ahmed Abdallah Abderemane fit réviser de nouveau la
Constitution. Suite à cette révision constitutionnelle très disputée, la présidence
à vie de fait se transformait en présidence à mort de « Droit ». Mais, en fait de
mort, le 26 novembre 1989, soit 21 jours après ce coup d’État institutionnel,
elle eut raison d’Ahmed Abdallah Abderemane lors d’une discussion houleuse
avec Robert « Bob » Denard et ses hommes, qui l’avaient torturé de manière
très inhumaine et barbare, avant de l’achever.
De 1992 à 2009, les révisions constitutionnelles n’ont pas manqué aux îles
Comores. Les présidents Saïd Mohamed Djohar, Mohamed Taki Abdoulkarim
et Ahmed Sambi avaient révisé la Constitution. Mais, on n’y trouve pas l’idée
et la volonté de la « Constitution, mon bon plaisir ». Par contre, en matière de
dévergondage du Droit positif comorien pour ses lubies de pouvoir personnel et
obsessionnel, Assoumani Azali est incontestablement l’héritier unique, maudit
et honni d’Ahmed Abdallah Abderemane.
Les développements qui précèdent ont permis de prendre connaissance de son
opinion malsaine et indécente sur la présidence tournante, qu’il a comparée à un
« garrot », le 30 décembre 2015 à Fomboni. Hamada Madi Boléro et lui ont
l’habitude de déclarer devant les Comoriens que la présidence tournante devait
faire l’objet d’une évaluation en 2016, dès la fin du premier mandat présidentiel
d’un Mohélien. Or, en lisant la Constitution du 23 décembre 2001, nous ne
retrouvons aucune disposition qui oblige les autorités comoriennes à procéder à
une évaluation de la présidence tournante.
Pis, le mal constitutionnel est beaucoup plus ancré dans la structure mentale
d’Assoumani Azali que dans celle d’Ahmed Abdallah Abderemane. Ce dernier
n’a jamais eu pour projet le démantèlement total et définitif de tout le système
institutionnel du pays. Or, le 4 juin 2017, Assoumani Azali a reçu les leaders du
Mouvement du 11-Août, leur affirmant sa disponibilité à organiser les assises
pour faire le bilan de l’indépendance proclamée le 6 juillet 1975. Mais, avec
une incroyable imprudence, il se comporta de manière à susciter la méfiance de
tout le peuple et même de la communauté internationale. Toutes les personnes
qui étaient à l’origine du projet des assises finirent par comprendre que le pays
allait se retrouver dans la plus difficile des situations, et lui ont tourné le dos.

1 Djabir (A.) : Les Comores. Un État en construction, op. cit., p. 124.

346
Il organisa ses assises en février 2018 dans la solitude, désavoué par le peuple
et la classe politique. Il recruta des mercenaires affublés du titre d’« experts »,
alors que personne ne connaît le domaine de leur expertise. Ces personnes lui
ont remis un document de 400 pages assorti de « recommandations » dont le
seul objectif est de valider son maintien au pouvoir jusqu’en 2030, comme il le
proclame depuis 2016, prétendument pour réaliser une « émergence à l’horizon
2030 », dans un pays incapable de fabriquer un cure-dents.
Malgré tous les référendums constitutionnels organisés aux Comores et qui
n’ont pas permis de régler les problèmes du pays, dans la mesure où l’appétit
du pouvoir et du gain prédomine, Assoumani Azali, visiblement souffrant de la
très grave maladie mentale qui avait détruit son père avant de le tuer dans des
conditions difficiles, défie la nation avec un profond mépris. Il n’a pris aucune
mesure de bon sens, mais s’acharne à détruire avec inconscience, ignorance et
dédain toute l’architecture institutionnelle du pays. Après ses assises, un échec
total, il s’employa à tuer la Cour constitutionnelle, dont il empêche avec haine
et obstination le renouvellement des membres, juste pour pouvoir proclamer, en
manipulant la Constitution, que « le fonctionnement régulier des institutions
constitutionnelles est interrompu » (article 12-3).
Or, l’interruption du « fonctionnement régulier des institutions » ne saurait
être invoquée ici, et cela, pour une raison très simple : Assoumani Azali est
dans la posture du voleur qui crie au voleur puisque c’est lui-même qui avait
paralysé puis tué la Cour constitutionnelle, et qui a demandé son placement
sous la tutelle de la Cour suprême, dont il choisit les membres parmi les plus
abjects et les plus incompétents des « juristes » comoriens.
L’article 16 de la Constitution française du 4 octobre 1958 a inspiré celle
de certains pays francophones d’Afrique, dont celle des Comores. Cet article
dispose : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la
nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements interna-
tionaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonction-
nement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Pré-
sident de la République prend les mesures exigées par ces circonstances,
après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemb-
lées ainsi que du Conseil constitutionnel.
Il en informe la nation par un message.
Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs
publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir
leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.
Le Parlement se réunit de plein droit.
L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs
exceptionnels. Après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le
Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l’Assemblée
nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux
fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent
réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il

347
procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes condi-
tions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à
tout moment au-delà de cette durée ».
Quand on est de bonne foi, on sait que la rédaction de cet article permet
d’éviter toute équivoque : les événements qui doivent justifier sa mise en
œuvre doivent être graves, et cela ne concerne pas les caprices d’une autorité
qui ne veut pas nommer un membre du Conseil constitutionnel dans le but de
paralyser l’État et en tirer prétexte pour imposer et pervertir les institutions
de la République.
En France, la mise en œuvre de l’article 16 de la Constitution est soumise à
un certain nombre de conditions objectives : « Ces conditions sont parfois
cumulatives, parfois alternatives.
Cumulatives : il faut que pèse une menace grave et immédiate. Si la
menace est grave mais lointaine, ou immédiate mais sans réel danger, l’article
16 est exclu.
Alternatives : la menace peut porter soit sur les institutions de la République,
soit sur l’indépendance de la Nation, soit sur l’intégrité du territoire, soit,
enfin, sur l’exécution de ses engagements internationaux. Il suffit qu’un seul
de ces quatre éléments soit en cause, et à plus forte raison plusieurs.
Cumulatives : il faut que le caractère grave et immédiat de la menace, sur
n’importe lequel des enjeux cités, se conjugue avec l’interruption du fonc-
tionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels : ces derniers sont
réputés pouvoir faire face, dans le respect de leurs règles ordinaires de fonc-
tionnement, à une menace grave et immédiate et ce n’est donc que s’ils sont
eux-mêmes entravés qu’il devient possible de recourir à cet article »1.
Le même raisonnement peut être tenu aux Comores, où aucune « menace
grave et immédiate » ne fut constatée avant qu’Assoumani Azali ne se soit
mis à détruire l’architecture institutionnelle du pays. Comme il n’a aucun
vrai juriste à ses côtés pour lui expliquer ce qu’il doit comprendre en Droit, il
prend pour vérité de Coran et d’Évangile les élucubrations pathétiques d’un
Nourdine Abodo, un individu haïssable, détestable, foncièrement véreux, haï
et détesté par les Comoriens, qui voient lui un vulgaire tricheur et un voleur
sans honneur. Tous les dictateurs africains qui ont voulu plier le Droit sous
leurs ordres et volontés ont échoué devant un obstacle : en aucune manière,
le Droit n’a été en leur faveur. Ce qu’ils font depuis la fin des années 1950 et
le début des années 1960 relève tout simplement du recours à la force tant et
si bien qu’ils finissent le plus souvent dans la violence, parfois baignant dans
leur propre sang après un coup d’État.
D’ailleurs, il n’y a qu’en Afrique où les dirigeants jouent avec le Droit et
font tout pour le caporaliser. La relation entre les dirigeants d’Afrique Noire
et le Droit relève du scandale. Pourquoi ces dictateurs ne peuvent et veulent-

1 Carcassonne (Guy) et Guillaume (Marc) : La Constitution, Préface de Georges Vedel,

14ème édition, Éditions du Seuil, Collection « Points Essais », Paris, 2017, pp. 118-119.

348
ils prendre exemple sur leurs homologues occidentaux, civilisés et incapables
de réinventer le Droit en leur faveur ? Et pourquoi les dirigeants africains
s’indignent-ils quand, après avoir semé les malheurs et les deuils dans leurs
pays, ne veulent pas que le reste du monde en parle ?
Le samedi 28 avril 2018, Assoumani Azali prononça l’un de ses discours
les plus incohérents, décousus et hallucinants, lui qui n’arrive plus à parler ni
en comorien, ni en français de manière logique et ordonnée, lui qui divague
et radote même devant la presse internationale.
Ses propos sont d’autant plus choquants que, alors que les assises avaient
été rejetées même par leurs initiateurs du Mouvement du 11-Août et avaient
été dénoncées par toutes les couches de la société comorienne, il ose leur
attribuer une dimension nationale tout à fait imaginaire et surtout des vertus
introuvables. Au lieu de dire qu’il veut s’éterniser au pouvoir pour continuer
à piller les Comores en compagnie de sa famille, comprenant des voleurs,
comme cela avait été le cas du 30 avril 1999 au 26 mai 2002, et comme cela
est de nouveau le cas depuis le 26 mai 2016, toute honte bue, il prétend : « Je
veux tracer avec vous une nouvelle voie pour les Comores, un meilleur avenir
pour notre peuple, conformément à vos recommandations et à vos aspirations,
exprimées lors de ces assises. Je compte en effet, conformément aux recom-
mandations entérinées par ces assises, proposer un processus de modifi-
cation de notre Constitution, pour consolider l’unité nationale, la paix et la
stabilité, et soutenir le renforcement et la préservation des valeurs sociore-
ligieuses, qui fondent notre foi et notre identité.
Vous serez donc consultés, dans les mois à venir, sur ces modifications,
destinées à moderniser et renforcer nos institutions, consolider les acquis
démocratiques et l’État de Droit, et améliorer la gouvernance des affaires
publiques, en vue de favoriser l’émergence de notre pays à l’horizon 2030 et
le bien-être du peuple comorien.
En plus de cette nécessité d’adapter notre Loi fondamentale aux exigences
du développement, je dois aussi engager, sans plus tarder, comme le
soulignent les recommandations de ces assises, les mesures indispensables
pour redresser les finances publiques et les sociétés d’État, lutter vigoureu-
sement contre la corruption et les détournements des fonds publics, et
améliorer la gouvernance de l’administration publique.
Cette lutte sans merci contre la corruption et les détournements des fonds
publics, tant réclamée par tous depuis toujours et par les participants des
assises nationales, ne pourra atteindre ses objectifs, sans la transmission des
dossiers tant décriés à la Justice ».
Ce discours est un tas de mensonges et d’inepties : la Constitution n’a pas
besoin d’être modifiée pour permettre la réalisation des mensonges annoncés
ici avec autant de mauvaise fois et d’infantilisme. Les vœux pieux dont il est
question ici auraient pu avoir une certaine chance de se réaliser, mais si leur
« prophète » n’était pas un dangereux voleur qui pille les maigres ressources
de l’État en compagnie de sa famille et des gens de son village de Mitsoudjé.

349
Son petit discours incantatoire, fumeux, vaseux et oiseux sur « l’émergence à
l’horizon 2030 » relève de la pure escroquerie, dans un pays incapable même
de fabriquer un cure-dents, une épingle ou un bouton pour chemise.
Comment Assoumani Azali peut-il lutter contre la corruption alors qu’il est
un voleur notoire d’argent public et qu’il vole avec la complicité de toute sa
famille ? Comment croit-il que par une révision constitutionnelle criminelle,
il pourra instaurer la bonne gouvernance aux Comores alors que lui-même et
les siens sont les pires voleurs mettant les Comores en coupe réglée ?
Comment Assoumani Azali peut-il tenir un discours sur sa volonté de faire
respecter les vertus de la bonne gouvernance alors que par un simple décret,
il a tué la CNPLC, pourtant créée par une loi, alors que la loi, dotée d’une
valeur supérieure à celle d’un décret, ne peut être supplantée par un décret ?
Cet homme est tellement méprisant que, quand la Cour constitutionnelle eut
frappé d’inconstitutionnalité son décret, il avait fait comme si l’institution en
question n’existait pas parmi celles des Comores.
Que veut Assoumani Azali ? Il ne souhaite que son maintien au pouvoir. Il
veut dénaturer la présidence tournante, en permettant au ressortissant d’une
seule et même île de rester au pouvoir au cours de deux mandats successifs,
se donnant ainsi la possibilité de rester à la tête des Comores « à l’horizon
2030 », pour « l’émergence à l’horizon 2030 ». Plus grave, il est convaincu
qu’il peut imposer aux Comoriens toutes les inconstitutionnalités possibles et
imaginables sans susciter la moindre réaction négative de la part de ceux-ci.
Le dimanche 29 avril 2018, il blessa de nouveau la susceptibilité du peuple
comorien en déclarant ainsi avec sa morgue habituelle : « Dans le cas où, le
référendum obtient l’adhésion de la population, des élections présidentielles
auront lieu non pas en 2021, mais en 2019. Tous ceux qui souhaiteraient
candidater à la magistrature suprême auront la possibilité de le faire. Toute-
fois, ceux qui ont des mandats devront nécessairement démissionner. Je
serai donc amené à démissionner pour briguer à nouveau le poste de premier
magistrat du pays. J’espère en sortir gagnant, démocratiquement, car contrai-
rement à certains qui ont l’habitude de ravir le pouvoir et de placer les
leurs, frauduleusement, moi j’ai le souci permanent de respecter la démo-
cratie ». Est-ci Assoumani Azali qui parle d’élections démocratiques ?
En quoi des élections fraudées et anticipées pourront faire des Comores un
« pays émergent à l’horizon 2030 » ? En quoi un mandat électif écourté peut-
il être un facteur d’« émergence à l’horizon 2030 » ?
Plus grave encore, comment un homme violent et qui a fait de la fraude des
élections en 2002 et en 2016 son seul moyen d’accéder au pouvoir ose-t-il se
poser en dirigeant qui a « le souci permanent de respecter la démocratie » ?
Le lundi 30 avril 2018, Assoumani Azali a signé le décret n°18-026/PR
« portant convocation des électeurs pour un référendum constitutionnel ».
La date du référendum est le lundi 30 juillet 2018. À l’annexe du décret, on
lit : « Lors du référendum, les électeurs auront à répondre par “oui” ou par
“non” à la question ci-après : “Approuvez-vous le projet portant révision de

350
la Constitution du 23 décembre 2001, révisée en 2009 et en 2013” ? ». Mais,
les sujets sur lesquels doit porter le référendum ne sont pas mentionnés sur le
décret, malgré ce qui y est écrit. Pourtant, les trois sujets en question sont :
- L’instauration d’une présidence à mort pour Assoumani Azali,
- La suppression des postes des trois vice-présidents, qui représentent les
trois îles au niveau fédéral, pour que le dictateur de Mitsoudjé puisse se
retrouver seul avec sa famille à la tête d’un pays qu’ils pillent sans honte
du 30 avril 1999 au 26 mai 2006, et de nouveau depuis le 26 mai 2016,
- La nomination des Gouverneurs des îles par le seul Assoumani Azali, étant
donné que la population de chaque île n’a plus le droit d’élire en toute
liberté ses propres dirigeants.
En d’autres termes, la présidence à mort doit s’appuyer sur une dictature.
Assoumani Azali ne parle pas d’organisation matérielle, même si l’Arabie
Saoudite, qui l’a placé sous tutelle, a donné des garanties pour tout payer. Où
sont les listes électorales ? Où sont les cartes des électeurs ? Comment faire
une élection sans la logistique ? La question des assesseurs a été « réglée » :
Azali Assoumani avait désigné ses hommes pour la besogne. Il avait préparé
à Madagascar tous les documents et matériels qui devront servir à sa fraude
électorale. La Cour constitutionnelle n’existant plus, et comme il a nommé
les siens à la Cour suprême, devenue une simple succursale de Beït-Salam,
les conditions matérielles de la fraude électorale étaient réunies.
Cependant, des Députés et des Conseillers des îles au nombre de 43 élus et
le Gouverneur d’Anjouan ont dénoncé en public les manipulations grossières
d’Assoumani Azali sur la place publique. Le jeudi 3 mai 2018, les élus des 3
îles se rendirent à la Cour suprême pour y déposer un mémorandum, et y ont
été battus et gazés par les forces de l’ordre, sur instruction de Kiki, ministre
de l’Intérieur. Ce sont des Députés et des Conseillers des îles qui ont subi de
tels traitements dégradants, alors qu’ils jouissent légalement d’immunités
d’élus. Le référendum du 30 juillet 2018 fut boycotté par 95% des votants.

S.III.- DÉPRÉCIATION DES INSTITUTIONS ET DE L’AUTORITÉ DE L’ÉTAT


PAR UNE CORRUPTION ENDÉMIQUE ET LE DÉTOURNEMENT DES FONDS
PUBLICS
Les Comores sont l’un des pays les plus corrompus au monde. Le fléau de
la corruption est beaucoup profond que ne le disent les rapports annuels qui
sont rédigés par Transparency International, organisme qui place ce pays à la
144ème place sur un classement comprenant 180 pays. Si ce classement était
absolument et entièrement rigoureux, les Comores auraient été placées à
179ème place, juste avant la Somalie et avant le Sud Soudan. Cela étant, pour
une meilleure analyse de la corruption aux Comores, il serait utile de nous
intéresser au Droit positif comorien face à la corruption (§1.) et au laxisme et
à la prévalence d’une culture, d’une sociologie et d’une pratique sui generis
de la corruption dans cet État embryonnaire (§2.).

351
§1.- RÉPRESSION DE LA CORRUPTION ET DES DÉTOURNEMENTS DES
FONDS PUBLICS PAR LE DROIT POSITIF COMORIEN
L’autorité de l’État est un vieux souvenir aux Comores. Elle a été détruite
par les dirigeants comoriens. Les pratiques les plus pernicieuses constatées
en la matière sont la corruption et le détournement des fonds publics.
Les autorités comoriennes sont parmi les plus corrompues au monde. Elles
n’ont aucun sens de l’intérêt général. Elles ne s’en soucient pas. Insensibles
à la misère des Comoriens, elles s’enrichissent sur le dos d’un peuple qui
figure parmi les plus pauvres au monde.
La corruption est la « justification » de la présence de la plupart des acteurs
politiques comoriens sur l’espace public.
La corruption est une pratique. Cette pratique est haïssable. Elle détruit la
vie de nombreuses vies, surtout dans les pays du Tiers-monde, en particulier
en Afrique. Elle est la principale cause du sous-développement.
Pierre Péan ne dit pas autre chose quand il affirme à raison que, « plus que
la peste hier et le sida aujourd’hui, la corruption tue. Pour parler clair, en
détournant à leur profit l’argent public, en méprisant, au-delà de toute
décence, l’intérêt général, de nombreuses élites du Tiers-monde doivent être
tenues pour responsables, au moins partiellement, de la misère dans laquelle
croupissent au moins deux milliards d’êtres humains. Par un enchaînement
pervers et souvent mécanique, la corruption est devenue l’un des facteurs
essentiels du sous-développement. Traitée généralement à la rubrique “faits
divers”, elle devrait, dans certains cas, passer à celle des “crimes contre
l’humanité”.
Sans doute intimidés par la “raison d’État”, ni les experts, ni les hommes
politiques ne lui reconnaissent la place qu’elle mérite : un rouage détermi-
nant dans l’économie du Tiers-monde. Nommer soudain, au grand jour, les
responsables de la corruption engendrerait nombre de problèmes diploma-
tiques qu’il est bien confortable d’éviter. Mais, faute d’une telle audace, le
traitement de certaines questions graves comme celle de la dette du Sud à
l’égard du Nord devient impossible, puisqu’il s’appuie sur un diagnostic
incomplet. Cette pudeur est particulièrement étonnante au pays des Droits
de l’homme »1.
Pierre Péan a parfaitement résumé la problématique et les conséquences de
la corruption, la première cause de la descente des Comores aux enfers.
Dès lors, nous devons nous poser une question fondamentale : qu’est-ce
que la corruption ?
La corruption est un grave délit pénal. En Droit pénal, la corruption est un
« comportement pénalement incriminé par lequel sont sollicités, agréés ou
reçus des offres, promesses, dons ou présents, à des fins d’accomplissement
ou d’abstention de faveurs ou d’avantages particuliers. La corruption est

1 Péan (Pierre) : L’argent noir. Corruption et sous-développement, Fayard, Paris, 1988, p. 9.

352
dite passive lorsqu’elle est le fait du corrompu, elle est dite active lorsqu’elle
est le fait du corrupteur »1. La corruption est souvent liée à l’autorité. Ceci
est d’autant plus vrai qu’elle est un comportement qui ne peut prendre corps
que là où il y a une autorité auprès de laquelle certaines personnes physiques
ou morales sollicitent des passe-droits et des services indus. Ce n’est donc
pas par hasard si certains auteurs classent la corruption dans la catégorie des
« infractions contre l’autorité publique ».
Il faut préciser que « trois catégories de personnes peuvent théoriquement
se trouver impliquées dans une affaire de trafic des fonctions publiques. De
là, trois incriminations possibles.
a) La corruption passive est le fait du fonctionnaire qui se laisse acheter,
soit pour accomplir un acte de sa fonction, soit pour s’en abstenir.
b) La corruption active, à l’inverse, est commise par l’administré ou le
justiciable qui rémunère la complaisance du fonctionnaire.
c) Le trafic d’influence, enfin, ne doit pas être confondu avec la complicité
ordinaire dont se rend coupable, par exemple, celui qui aide ou assiste
sciemment le corrupteur ou le corrompu. C’est le délit d’un tiers qui, moyen-
nant rétribution reçue, intervient dans l’intérêt de celui-ci auprès du déposi-
taire de l’autorité publique pour en obtenir la faveur en vue de laquelle lui-
même aura été payé.
Ces trois formes de l’activité délictueuse sont si étroitement liées qu’il
semblerait normal d’incriminer l’une d’elles et de sanctionner les deux
autres au titre de la complicité. Telle n’est pas cependant, la solution du
Code pénal français, qui, dans ses articles 177 à 182, souvent remaniés
depuis 1810, incrimine séparément le trafic d’influence et traite même en
délits distincts les deux formes de la corruption, définies par la qualité de
l’agent et non l’initiative dans l’accord délictueux »2.
La corruption suppose l’existence d’au moins deux personnes : corrupteur
et corrompu. Or, dans le cas des Comores, le mal le plus pernicieux est celui
du vol de l’argent public. Les Comores regorgent de voleurs d’argent public.
La plupart des dirigeants comoriens sont des voleurs de fonds publics. C’est
la raison pour laquelle il est essentiel d’insister sur le détournement de fonds
publics. C’est un délit pénal par lequel une ou des personnes utilisent les
fonds publics à de fins autres que l’intérêt général. Il s’agit du vol de l’argent
public, acte qui peut être commis par une seule personne ou par un groupe de
personnes.
Dès lors, il y a détournement de fonds publics quand une personne qui
dispose de l’autorité publique ou qui est chargée d’une mission de service
public vole l’argent public. La tentative de détournement des fonds publics
est punie de la même manière que le détournement lui-même.

1Guillien (R.), Vincent (J.) et autres : Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 183.
2 Vouin (Robert) et Rassat (Michèle-Laure) : Droit pénal spécial, 6ème édition, Dalloz,
Paris, 1988, pp. 698-699.

353
Le détournement des fonds publics fait partie d’un ensemble d’atteintes à
l’honnêteté du fonctionnaire ou agent public dont font partie le favoritisme,
la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, le pantouflage
et d’autres pratiques condamnables du même genre.
Dans les pays démocratiques occidentaux, la corruption est à l’origine de la
destruction de certaines carrières parmi les plus prometteuses. En Afrique, la
corruption est un phénomène banal. Philippe Madelin dénonce, à raison,
« des pratiques douteuses qui ont permis aux chefs d’État africains et à leurs
clans de s’enrichir au-delà de toute mesure, et de l’extrême difficulté qui fait
obstacle à la récupération des fortunes détournées »1.
Aux Comores, la corruption et les détournements de fonds publics sont des
délits relevant du Droit pénal, mais sont banalisés. En son temps, Ali Soilihi
avait un salaire de 60.000 francs comoriens (120 euros), et n’a jamais été
accusé de détournement de fonds publics. Après sa Révolution, les Comores
devinrent un pays de détournement massif d’argent public, dans l’impunité
totale et un laxisme absolu.
Aux Comores, la corruption et les détournements des deniers publics ont
pris leur envol et atteint leur vitesse de croisière sous le régime politique qui
a été instauré par Ahmed Abdallah Abderemane au lendemain du putsch du
13 mai 1978. Or, c’est celui-ci qui a adopté la loi n°81-007 du 19 novembre
1981 portant Code pénal. Ce texte juridique réprime sans réserve toute forme
de corruption et de détournement de fonds publics.
C’est ainsi que l’article 155 du Code pénal des Comores dispose : « Tous
fonctionnaires ou officiers publics, tous percepteurs des contributions ou
deniers publics, leurs commis ou préposés qui auront reçu, exigé ou ordonné
de percevoir pour droits, taxes, contributions ou deniers ou pour salaires ou
traitements ce qu’ils savaient n’être pas dus ou excéder ce qui était dû,
seront punis, à savoir :
Les condamnés pourront être interdits pendant dix ans au plus, à partir de
l’expiration de la peine, les droits énumérés à l’article 33 du présent Code.
En outre, ils pourront être déclarés incapables d’exercer aucun [Sic : « Un
emploi public »] emploi public pendant 20 ans au plus.
Les dispositions qui précédent sont applicables aux greffiers et officiers
ministériels lorsque le fait a été commis à l’occasion des recettes dont ils
sont chargés par la Loi.
Seront punis de ces mêmes peines, tous détenteurs de l’autorité publique
qui ordonneront des contributions directes ou indirectes, autres que celles
autorisées par la Loi, tous fonctionnaires, agents ou employés qui en étab-
liront les rôles et feront le recouvrement.
Les mêmes peines seront applicables aux détenteurs de l’autorité publique,
qui, sous une forme quelconque et pour quel que motif que ce soit, auront

1Madelin (Philippe) : L’or des dictatures, Fayard, Collection « Enquêtes », Paris, 1993, p.
295.

354
sans autorisation de la loi, accordé des exonérations ou franchises des
droits, impôts ou taxes publiques ou auront effectué gratuitement la déliv-
rance de produits des établissements de l’État.
Les bénéficiaires seront punis comme complices.
Dans tous les cas prévus au présent article, la tentative de délit sera punie
comme le délit lui-même ».
Or, les actes réprimés par l’article 155 sont commis quotidiennement par
les autorités comoriennes de tous les niveaux, au vu et au su des Comoriens.
L’article 156 est également très intéressant en matière d’interdiction et de
répression de la corruption : « Tout fonctionnaire, tout officier public, tout
membre ou agent du gouvernement, soit ouvertement, soit par actes simulés,
soit par interpositions de personnes, aura pris ou reçu quelque intérêt que ce
soit dans les actes, adjudications entreprises dont il a ou avait, au temps de
l’action en tout ou partie l’administration ou la surveillance, sera puni d’un
emprisonnement d’un an au moins et cinq ans au plus et sera condamné à
une amende qui ne pourra excéder le quart des restitutions et des indemnités,
ni être au-dessous du deuxième.
Il sera de plus déclaré à jamais incapable d’exercer aucune [Sic : « Une
fonction publique »] fonction publique.
La présente disposition est applicable à tout fonctionnaire ou agent du
gouvernement qui aura pris un intérêt quelconque dans une affaire dont il
était chargé d’ordonnancer le paiement ou de faire la liquidation.
Tout fonctionnaire public, tout agent ou préposé d’une administration,
chargé à raison même de sa fonction de la surveillance ou du contrôle direct
d’une entreprise privée et qui, soit en position de congé ou de disponibilité,
soit après admission à la retraite, soit par démission, destitution, révocation
et pendant un délai de cinq ans à compter de la cessation de la fonction,
prendra ou recevra une participation par travail, conseil ou capitaux (sauf
par dévolution héréditaire en ce qui concerne les capitaux), dans les conces-
sions, entreprises ou régies qui étaient directement soumises à sa surveillance
ou à son contrôle, sera puni de la même peine d’emprisonnement et de
100.000 à 500.000 francs comoriens d’amende.
Il sera en outre frappé de l’incapacité prévue dans l’alinéa 2 du présent
article.
Les dirigeants des concessions, entreprises ou régies considérés comme
complices seront frappés des mêmes peines ».
C’est la disposition du Droit positif comorien la plus violée. À preuve, en
2016, Assoumani Azali et ses hommes ont claironné partout, proclamant que
les problèmes d’électricité étaient définitivement derrière les Comoriens. Ils
avaient passé des commandes de groupes électrogènes d’occasion et pourris
qui avaient étaient peints en jaune pour paraître neufs pour tromper le peuple
comorien. Les neuf groupes électrogènes en question allaient exploser un à
un jusqu’au dernier. Cet immense vol d’argent public avait coûté 6 millions
d’euros (3 milliards de francs comoriens), alors que leur coût total n’aurait

355
jamais dû dépasser 1,5 million d’euros (750 millions de francs comoriens).
Assoumani Azali et son entourage s’enrichirent à la suite de ce vol.
Le lundi 23 juillet 2018, un homme d’affaires étranger me disait avoir été
aux Comores pour investir, mais y a renoncé après avoir entendu Assoumani
Azali, son avocat et ses proches lui réclamer constamment de l’argent au
titre de la corruption. Nour Al-Fath, le fils d’Assoumani Azali, quémandait
même de l’argent pour acheter du carburant pour sa voiture !
Dans le cas des groupes électrogènes, il s’agit d’une escroquerie organisée
sans le moindre appel d’offres, confiée à un ancien pilote et ancien Directeur
d’une petite compagnie aérienne incapable de diriger sa propre entreprise,
tombée en faillite, un Européen spécialisé dans les opérations douteuses qui
enrichissent la cupide et immorale Ambari Darouèche, la première épouse
d’Assoumani Azali, insatiable en matière d’argent.
Cette escroquerie avait enrichi par rétrocommissions Assoumani Azali, son
neveu et grand voleur Idaroussi Hamadi, un ancien repris de justice pour
vols d’argent et de matériel de l’État, qui se prend pour un Premier ministre
parce que nommé secrétaire général du gouvernement, Bellou Magochi, le
Directeur du Cabinet à Beït-Salam en charge de la Défense et homme qui
avait fourni sous Ahmed Sambi le faux témoignage qui avait permis à son
ami Idaroussi Hamadi de bénéficier d’une libération provisoire transformée
en libération définitive au pays du laxisme, et quelques autres membres d’un
sérail de voleurs.
Interpellé sur cette grave violation du Code des Marchés publics par son
régime politique, c’est-à-dire par lui-même, le méprisant Assoumani Azali
avait dit que ce qui intéressait les Comoriens, c’était la solution définitive
aux problèmes de l’électricité et non les conditions de passation des marchés
publics relatifs à l’achat des groupes électrogènes. L’argent du peuple a été
offert à des prétendus vendeurs étrangers, mais les problèmes de l’électricité
sont restés les mêmes aux îles Comores.
Quant à l’article 157 du Code pénal, il dispose : « Tout fonctionnaire, tout
agent de l’ordre administratif ou judiciaire, tout officier ou militaire de
carrière, qui, ouvertement ou par des actes simulés ou par interposition de
personnes, aura exercé une activité commerciale, sera puni d’une amende
de 100.000 à 500.000 francs et de la confiscation de tous biens faisant
l’objet de cette activité ou en permettent l’exercice.
Le conjoint ne sera pas réputé comme personne interposée lorsque le
fonctionnaire, l’agent de l’ordre administratif ou judiciaire, l’officier ou le
militaire de carrière aura accompli la formalité qui consiste, lorsque le
conjoint exerce une activité lucrative, d’en faire la déclaration du ministre
investi du pouvoir de nomination, lequel prend, s’il y a lieu, les mesures
propres à sauvegarder les intérêts de l’administration après avis du conseil
supérieur de la fonction publique ».
Or, sous le régime politique d’Ahmed Abdallah Abderemane, c’est le chef
de l’État lui-même qui était l’homme d’affaires le plus puissant du pays, ne

356
payant jamais d’impôts et n’étant soumis à aucun contrôle. Il ne serait pas
excessif de signaler que les Établissements Abdallah Fils étaient un État sur
l’État. Dirigés d’une main de fer par le très redouté fils aîné Nassuf, lesdits
Établissements ont fait faillite au lendemain de l’assassinat du président de la
République le 26 novembre 1989.
Des années plus tard, sous la première kleptocratie de son époux, la vorace
Ambari Darouèche s’empara du commerce des téléphones portables. Aucun
appareil téléphonique ne fonctionnait aux Comores s’il n’était pas vendu par
le réseau mafieux de cette femme dégoûtante. Son époux, kleptocrate, et elle-
même sont actionnaires dans des hôtels et banques aux Comores et ailleurs.
Relevons aussi l’article 158 : « Sera puni d’un emprisonnement de deux à
dix ans et d’une amende double de la valeur des promesses agréées ou des
choses reçues ou demandées, sans que la dite amende puisse être inférieure
à 150.000 francs comoriens, quiconque aura sollicité, agréé des offres ou
promesses, sollicité ou reçu des dons OLI présents pour :
1.- étant investi d’un mandat électif, fonctionnaire public de l’ordre admi-
nistratif ou judiciaire, militaire ou assimilé agent ou préposé de l’adminis-
tration publique, citoyen chargé d’un ministère de service public, dirigeant
ou agent de toute nature d’un établissement public, d’un ordre professionnel,
d’une coopérative bénéficiant du soutien de l’État ou d’une collectivité
publique, d’un organisme privé chargé d’une mission, d’un service d’une
société dont une collectivité publique détient la moitié au moins du capital,
faire ou s’abstenir de faire un acte de ses fonctions ou de son emploi, juste
ou non, mais sujet à salaire ;
2.- étant arbitre ou expert nommé soit par le tribunal, soit par les parties,
rendre une décision ou donner une opinion favorable ou défavorable à une
partie ;
3.- étant médecin, chirurgien, dentiste, sage-femme, certifier faussement ou
dissimuler l’existence de maladies ou d’infirmités ou état de grossesse, ou
fournir des indications mensongères sur l’origine d’une maladie ou infirmité
ou la cause d’un décès.
Sera puni d’un emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de
15.000 à 100.000 francs comoriens, ou de l’une de ces deux peines seule-
ment, tout commis, employé, préposé, salarié ou rémunéré sous une forme
quelconque, qui, soit directement, soit par personne interposée, aura, à
l’insu et sans le consentement de son patron, soit sollicité ou agréé des
offres ou promesses, soit sollicité ou reçu des dons, présents, commissions,
escomptes ou primes pour faire ou s’abstenir de faire un acte de son emploi.
Si les offres, promesses, dons ou sollicitations tendaient à l’accomplis-
sement ou à l’abstention d’un acte qui, bien qu’en dehors des attributions
personnelles de la personne corrompue était facilité par sa fonction ou par
le service qu’elle assurait, la peine sera dans ce cas du paragraphe 1er du
premier alinéa, dû emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de
50.000 à 500.000 francs comoriens.

357
Dans le cas du second alinéa, d’un emprisonnement de six mois à deux ans
et d’une amende de 25.000 à 100.000 francs comoriens ou de l’une de ces
deux peines seulement ».
Cet article aurait dû envoyer en prison de nombreux fonctionnaires véreux,
dont des juges incompétents et corrompus et des faux médecins sévissant
aux Comores. Cependant, le laxisme et l’impunité prévalent. En tout état de
cause, chaque fois qu’un fonctionnaire indélicat est interpellé par la Justice
pour corruption, les notables de son village et de sa région se mobilisent
pour réclamer sa libération immédiate et inconditionnelle. Cette pratique est
banale dans certaines régions en faveur de notoires délinquants malfaisants.
Les articles 163 à 170 sanctionnent les abus d’autorité, des pratiques que
les Comoriens déplorent au quotidien.
Les articles 171 à 174 concernent l’abus relatif à la tenue de l’état civil. Or,
l’état civil aux Comores est une plaie. À Mohéli, par exemple, la délivrance
de documents attestant une fausse naissance à des Anjouanais destinés à
devenir du bétail électoral est une pratique courante instaurée par Mohamed
Saïd Fazul, Gouverneur de l’île qui ne pense qu’à son élection, au détriment
des intérêts de Mohéli. Sur les autres îles, la tenue de l’état civil relève aussi
de la foutaise. Les conséquences de cette monstruosité étant bien connues, il
suffirait à peine de signaler que 90% des documents administratifs relatifs à
l’identité des Comoriens en France sont des faux, et que les Comoriens sont
les plus grands fraudeurs de documents administratifs en France.
Les articles 151 à 154 du Code pénal répriment les « détournements et
soustractions commis par les agents publics », mais sont d’une application
nulle, sauf s’il s’agit de tourmenter un adversaire politique.
Dans l’ensemble, le Droit positif comorien a pris une position très ferme
contre la corruption et les détournements de fonds. Mais, personne ne se fait
des illusions sur la question, dans la mesure où le sommet de ces maux est au
sommet de l’État et au sein de l’appareil judiciaire. Cela étant, les sanctions
sont rarement prises, et quand elles sont envisagées par l’autorité judiciaire,
les notables du village et de la région du délinquant se mobilisent et exigent
sa libération sans même réfléchir sur ses méfaits. Quand la libération exigée
est obtenue, la population du village et de la région du délinquant attend dès
4 heures du matin la sortie de son voleur pour les sempiternelles couronnes
de fleurs et pour l’accueil du malfaiteur en héros.

§2.- LAXISME, IMPUNITÉ ET PRÉVALENCE D’UNE CULTURE, SOCIOLOGIE


ET PRATIQUE DE LA CORRUPTION AUX COMORES
Nous ne le dirons jamais assez : si les méthodes d’évaluation du redoutable
fléau de la corruption par Transparency International étaient absolument
fiables, les Comores auraient toujours été le pire élève en la matière ou juste
avant le dernier élève de la classe. Aux Comores, les institutions publiques
sont infestées de voleurs notoires et malfaisants. Ce sont des voyous dont la

358
seule motivation dans la vie est le vol d’argent public. Ces voyous volent
tout ce qui est à portée de leur vue. Ce sont des êtres malfaisants habitués à
voler l’argent du peuple comorien et qui volent cet argent sans interroger le
peu de conscience qu’ils ont.
Plus grave, le peuple refuse toujours d’établir une relation de cause à effet
entre ses malheurs et l’argent que les voyous lui volent chaque jour. Dans
certains cas, il arrive que la population de tel village ou de telle région érige
en héros un grand voleur d’argent public.
Depuis des années, je demande à diverses autorités comoriennes formées
en Finances publiques si le principe de la séparation des ordonnateurs et des
comptables est arrivé aux oreilles des dirigeants de haut niveau, et pourquoi
on ne l’applique pas pour arrêter tout ce chaos. Elles me répondent toujours :
« C’est le principe de base, mais, ici, il ne veut rien dire. Les autorités s’en
moquent ».
Je me rappelle en particulier de mes discussions en la matière avec Madi
Ahamada (ancien vice-gouverneur de la Banque centrale des Comores ou
BCC), Youssoufa Moustakim (ancien membre du Conseil d’administration
de la BCC) et Andhume Abdallah (ancien Directeur général des Impôts),
tous de Mohéli. Ces trois personnes étaient dépitées en parlant de la manière
par laquelle les pouvoirs publics peuvent piétiner les règles élémentaires des
finances publiques et de la comptabilité publique. Madi Ahamada connaît
très bien les conséquences de l’évocation du principe de la séparation des
ordonnateurs et des comptables, lui qui avait dû subir l’ire haineuse du Mufti
de la République, la plus haute autorité « spirituelle » du pays, qui réclamait
de l’argent sans la moindre écriture comptable sur les textes officiels. Cela
lui avait valu une suspension et, par la suite, son renvoi à Mohéli, l’île d’où
il vient. Le Tout-Mohéli était scandalisé par cette affaire. Cette triste affaire
avait eu lieu sous la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane.
Pourquoi le principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables
est-il si important pour sauver les finances publiques d’un pays du vol des
prédateurs habitués à piller les ressources de l’État, surtout quand il s’agit
d’un pays pauvre comme le sont les îles Comores, toujours empêtrées dans
la pauvreté et le dénuement ?
Pour répondre à la question, il est nécessaire de prendre en compte l’idée
selon laquelle l’ordonnateur est un agent d’autorité qui doit faire le constat
des recettes, d’en arrêter le montant et en ordonner le recouvrement. Il décide
de la dépense, se charge de sa liquidation et en ordonne la mise en place du
paiement. Par la liquidation, le fonctionnaire compétent vérifie et constate
que le service demandé est fait, que la facture correspond au montant dû,
identifie et joint les pièces justificatives, et s’assure du caractère libératoire
du paiement. La liquidation permet de noter que la dette potentielle imputée à
la collectivité publique est réelle. Cela suppose qu’il s’assure, par les moyens
les plus appropriés, que le cocontractant de la personne publique a accompli
toutes les obligations attendues de lui dans de bonnes conditions techniques

359
et autres prévues. La liquidation revêt une grande importance, surtout lors de
l’authentification des opérations relatives à l’exécution du budget et pour la
complémentarité entre l’ordonnateur et le comptable public.
Mais, comme « l’argent brûle les doigts », l’ordonnateur n’a pas le droit de
manipuler l’argent public. La manipulation de l’argent public relève ainsi de
la compétence exclusive du comptable public. Autrement dit, il appartient au
comptable public, sur l’ordre de l’ordonnateur, d’encaisser ou de décaisser
l’argent public. Il est responsable pécuniairement et personnellement (sur ses
deniers propres) des sommes qui viendraient à manquer de son compte.
La séparation des ordonnateurs et des comptables présente un grand intérêt
dans la mesure où elle est le seul grand principe de finances publiques qui est
typiquement comptable, alors que les autres règles ont pour origine le Droit
budgétaire. Ce principe est d’autant plus important qu’il poursuit un but de
contrôle, en instaurant une méthode destinée à repérer et à éviter toutes les
erreurs et irrégularités en amont, avant le décaissement l’argent public, mais
aussi un but d’honnêteté : dans un pays aux procédés rigoureux, deux agents,
remplissant des missions différentes mais complémentaires, sont plus enclins
à respecter les règles que quand il s’agit d’un seul fonctionnaire.
Il est institué une incompatibilité totale et définitive entre les fonctions de
l’ordonnateur et celles de comptable. Cette incompatibilité est étendue aux
conjoints des deux catégories de fonctionnaires.
Si on avait appliqué un tel principe, Kiki n’aurait jamais pu piller avec
hargne les Douanes des Comores, et Assoumani Azali n’aurait pu voler aux
Comoriens 40 millions d’euros entre le 30 avril 1999 et le 26 mai 2006.
La corruption et les détournements de fonds publics sont les deux fils aînés
et même les mamelles du régime politique d’Ahmed Abdallah Abderemane
et de ses mercenaires. Quelques dérapages financiers ont été constatés lors
de la Révolution d’Ali Soilihi, mais il s’agit du menu fretin, des vétilles, des
petites sommes sans importance. Il ne s’agit pas de minimiser des faits liés à
des détournements de fonds publics, mais de constater que dans un pays où
une autorité peut détourner pour une seule opération 300 millions d’euros
(150 milliards de francs comoriens, les dépenses de l’État pendant trois ans),
que doit-on dire d’un détournement de 500 ou 1.000 euros ? Chaque acte de
détournement doit être puni. Cependant, sous Ali Soilihi, les détournements
de deniers publics étaient très limités, s’agissant des montants des sommes
en jeu. C’est au lendemain de la Révolution d’Ali Soilihi que les Comores
ont fait leur véritable envol en matière de pillage de ressources étatiques.
Le rapport rédigé par Bernard Vinay et Chantal Vie en 1982 permet de voir
dans quelles proportions très dangereuses les Comores étaient plongées dans
le pillage systématique des ressources de l’État. Les autorités comoriennes et
les mercenaires de Robert « Bob » Denard se livraient à une compétition, et
le peuple comorien était le témoin de cette descente aux enfers. Il en souffre
encore. Il en est encore pénalisé. Les dirigeants comoriens volaient et avaient
entraîné le pays dans un dangereux endettement. Assoumani Azali en vit.

360
Le régime politique d’Ahmed Abdallah Abderemane était tellement noyé
dans la corruption que le 3 octobre 1989, le chef de l’État s’était senti dans
l’obligation d’interpeller les cadres du pays sur ce fléau pernicieux, ravageur
et destructeur. Il les avait convoqués à la Présidence de la République et leur
parlait les yeux dans les yeux : « La situation d’aujourd’hui m’oblige à faire
appel à vous tous. Frères, collaborateurs, amis ou ennemis – et je ne pense
pas qu’il y a beaucoup d’ennemis – nous devons parler un peu de notre
pays, particulièrement de la situation économique, sociale et politique, au
moment où il y a une évolution de ce pays, que vous connaissez, que vous
aimez, que nous aimons tous, je crois, à moins que je ne me trompe. […].
Si je vous ai appelés aujourd’hui, c’est parce que je suis très inquiet. Je
suis inquiet de cette situation. […]. En conjuguant la situation de notre pays
avec celle des autres pays, vous trouverez que nous sommes dans une grande
erreur et dans une impasse facile […]. Vous pouvez changer et arriver à une
situation honnête, à une solution meilleure, à une solution qui pourrait
réveiller dans le bon sens notre pays. […]. Je vous demanderais de suivre un
autre chemin, qui est le meilleur. La situation actuelle, que vous dominez,
que vous devez dominer, nous inquiète. […]. Vous avez ceux qui travaillent
pour l’économie et ceux qui détruisent l’économie. Vous voulez être riches
tous en même temps. Vous volez à tout le monde. Vous, les enseignants, dites
que vous allez faire la grève parce que vous n’êtes pas payés. Comment
voulez-vous être payés alors que vous volez tous ? À la Douane, vous savez
ce qui se passe, et ailleurs. Je ne vais pas m’étendre. […].
Vous êtes nombreux dans les bureaux et vous êtes très peu dans les
bureaux. […]. Vous êtes nombreux sur les papiers. Vous ne devriez pas
avoir assez de chaises pour vous asseoir dans les bureaux, vu votre nombre
sur les papiers. Et si je foutais le nez, et si j’allais dans les bureaux, je ne
trouverais personne sur ces chaises. Sur les papiers, vous êtes 100, et sur les
bureaux, vous êtes 20. Personne ne pourra remédier à cette situation sauf
vous-mêmes. […]. Les femmes ont honte de faire ce que vous faites. […]. Si
la femme est honnête aujourd’hui, peut-être demain, elle pourra changer en
vous imitant. […]. Votre femme peut copier en vous. En 1984, nous avons
fait une grande réunion, qui a très bien réussi. En 1986, nous avons fait une
réunion qui a bien réussi. J’avais beaucoup d’espoirs, j’étais fier de vous,
j’étais fier, très fier. Mais, depuis, ça commence à baisser, à baisser, à
baisser, jusqu’à ce que je me retrouve dans le devoir de vous appeler
aujourd’hui pour vous dire : “Halte !ˮ. […].
J’aimerais avoir une réponse sur les actes. Ceux qui volent, il n’y a pas de
voleurs parmi vous, il y a ceux qui prennent des choses qui ne leur
appartiennent pas. Vous dites que ça vous appartient parce que c’est dans
notre pays. Oui. Mais, le pays n’est pas à vous seuls. Tous les biens de l’État
appartiennent à tout le monde. En bon comorien, on dit qu’on vole. Un autre
Comorien dit qu’on prend. Quelle est la vérité ? Je ne peux pas savoir. Vous
pouvez me le dire vous-mêmes. Est-ce que c’est un accaparement ou quoi ?

361
Vous savez qu’il y a la Banque mondiale et le FMI, qui sont venus ici,
plusieurs fois. Ils vous ont fait confiance pour trouver la solution. […]. Ici, à
Moroni, et non pas à la Grande-Comore, il y a 127 instituteurs, et ce sont
des intégristes, qui ne sont pas dans les bureaux, mais sont sur les papiers
pour être payés. Ils sont payés. Où va l’argent ? Je parle de l’enseignement,
mais, partout, c’est pareil. […].
Cette situation se trouve partout. La Douane, c’est le chef-lieu. Vous voyez
et vous n’arrêtez pas ces choses-là. […]. Connaissez-vous notre manque à
gagner sur les cigarettes ? 2 milliards de francs CFA. Les cigarettes nous
faisaient gagner 300% autrefois à la Douane. Nous avons baissé les tarifs,
créé le service STAC, nous avons baissé à 125%, et nous gagnons environ
1,5 milliard ou 2 milliards de francs comoriens, et maintenant, c’est zéro.
Zéro. […]. Si je vous parle des cigarettes, c’est parce que c’est là que nous
perdons en gros. […].
Je vous ai appelés ici pour vous demander de bien vouloir vous rectifier. Si
vous ne pouvez pas vous rectifier, je jure sur l’honneur que je vous recti-
fierai, dans l’amitié, de bon cœur. […]. Les vrais fonctionnaires, il n’y a pas
plus de 2.500. Quant aux agents de l’administration, il y en a plus de 10.000.
Inacceptable ! […]. Les gens ne sont pas là. Il y en a qui sont à Madagascar,
en Afrique, en France, et des noms préfabriqués, paraît-il. […].
Quand vous voyez quelqu’un qui gagne 100.000 francs par mois, qui est en
voiture, qui se construit des maisons, qui s’achète des terrains… Soyez
prudents. Aujourd’hui, il y a peut-être le laisser-aller […], mais attention, il
y a un fossé dans lequel vous allez tomber. […].
Nous sommes capables de faire vivre notre pays. Nous sommes capables
de payer nos agents, nos fonctionnaires, si tout rentrait honnêtement et
régulièrement dans ce pays. Il y a des droits fixés par vos Députés, proposés
par vos ministres, vos Députés, et appliqués par vous, Messieurs, dans des
bureaux, que ce soit de la Douane, que ce soit des Finances, etc. Il y a un
mot d’Italie qu’on appelle “mafiaˮ. Il ne faut pas que ce mot existe aux
Comores. Vous pouvez trouver une solution. J’avale mes mots parce que j’ai
honte d’en parler. […]. Mais, abandonnez ce qui est mauvais. On ne peut
pas dire que ce sont les petits. C’est tout le monde : les grands comme les
petits. Vous douaniers, pourquoi vous refusez d’ouvrir les conteneurs ?
Non ! Vous êtes là pour faire cela. Vous ouvrez tous les conteneurs. Vérifiez,
même pour les sociétés d’État ! […]. Je vous demande de tout ouvrir, sans
peur, ni crainte. Ouvrez les conteneurs, quels qu’en soient les propriétaires.
Je le dis en public : n’ayez pas peur. Parce que les gens me disent que là-
bas, c’est “deux pour vous, un pour moiˮ. Il y a des chefs de service qui
tiennent des milliards et des milliards, qui passent, qui rentrent dans notre
pays. Vous savez, les services de l’agriculture ont consommé pendant une
dizaine d’années, 20 milliards, mais si vous regardez le travail qui est fait
dans notre pays, c’est peut-être pour 3 milliards. […]. Nous, dans le gouver-
nement, nous sommes une dizaine. Mais, vous, dans les bureaux, vous êtes

362
nombreux. Et si vous êtes nombreux, vous pouvez cacher beaucoup de choses
à vos ministres. […].
La Poste et l’électricité les plus chères au monde, c’est aux Comores. […].
Pour ne pas entendre, il faut payer cher. […]. Chacun veut faire sans que
l’autre ne sache. Il faut en finir avec le FMI et la Banque mondiale. […]. Les
autres ont la drogue, nous aussi, nous avons notre drogue. […]. Il est temps
de changer de chemin. […]. Je suis passé dans un service un jour […]. Il y
avait 300 personnes en ce moment-là, et j’y ai trouvé 30 chaises. Les gens
entrent au bureau à 7 heures, et je suis allé à 7 heures et quart, et je n’y ai
trouvé personne. […]. Presque partout, c’est comme ça. […].
Réveillez-vous pour montrer votre dignité, pour montrer vos capacités
pouvant aider votre pays, notre pays. […]. Il faut une organisation nouvelle,
par votre volonté ou sans votre volonté. […]. Vous pouvez guérir la maison
ou vous pouvez l’empoisonner. Aujourd’hui, vous l’empoisonnez. Il faut
trouver le médicament. Le médicament, c’est avec vous, Messieurs, quel que
soit le service. Travaillez dans la dignité et dans le respect des biens de
l’État, votre bien, notre bien à nous tous. […]. Celui qui vous dit “deux pour
moi, un pour vousˮ, il ne faut pas marcher avec lui. Vous savez ce que je
veux dire par là. Je vous demande de vous rectifier. J’espère en vous un
changement profond, pour le bien-être des Comores.
Essayez d’éviter les défaillances. Vous en êtes tous capables. Diminuez ce
qu’il faut diminuer pour que la Banque mondiale et le FMI nous aident.
Essayez d’abandonner cette impasse […]. Beaucoup de pays veulent nous
aider […]. Essayez de vous parler entre vous. […]. Il faut en finir. On ne
demande pas beaucoup de choses aux Comores : il faut que les détourne-
ments cessent. Nous envoyons de l’argent pour payer les gens de Mohéli, et
l’argent est détourné et est parti à Mayotte […]. Je vous demande de cesser
ce vol. Vous allez à la Justice : hop ! […]. Quand vous passez à certains
endroits, on crie : “Les bandits ! Les bandits ! Voilà les voleurs !ˮ. Je ne
mens pas. […]. Réorganisez tous les services. Dénoncez les chefs qui
touchent des pots-de-vin » (transcription personnelle d’un discours de 47
minutes posté sur Facebook le 17 décembre 2014).
Ahmed Abdallah Abderemane avait choisi de s’adresser aux jeunes cadres
des Comores parce que la corruption avait jeté les Comores dans une voie en
impasse. Pendant des années, il avait encouragé et béni la corruption, et c’est
le 3 octobre 1989 qu’il eut la lucidité d’une telle initiative, alors qu’il allait
être assassiné par Robert « Bob » Denard et ses mercenaires le 26 novembre
1989. On dirait que c’est au crépuscule de sa vie qu’il se rendit compte de la
plupart de ses fautes les plus lourdes. N’est-ce pas le 25 novembre 1989, à
quelques heures seulement de sa torture et de sa mise à mort dans la violence
inouïe qu’il s’était mis à se repentir devant son vieil ami et successeur Saïd
Mohamed Djohar sur la faute impardonnable de la présence prolongée de ses
mercenaires aux Comores, au détriment des Comoriens ?

363
Même les étrangers de passage aux Comores savent que les dirigeants des
îles Comores sont des kleptocrates. Les dirigeants comoriens ont toujours été
incapables de faire preuve de la moindre dignité. Habitués à voler, ils volent,
sans une pensée pour l’intérêt public. Alain Deschamps, ambassadeur de
France aux Comores de 1983 à 1987, donc sous la présidence d’Ahmed
Abdallah Abderemane, affirme : « Mais il y a les Chinois ! La République
populaire de Chine avait, à l’époque d’Ali Soilihi, ouvert à Moroni une
ambassade qui, depuis la fin brutale de la révolution culturelle comorienne,
n’avait plus grand-chose à faire. Certes la construction du Palais du Peuple
avait occupé un temps ses diplomates. Bien entendu, elle n’avait pas été
confiée aux Comoriens, jugés incapables de tout travail un peu sérieux mais
en revanche fort habiles à détourner ciment, fer à béton, outils et boulons.
On avait donc eu recours à des ouvriers chinois, sans doute, triés sur le
volet, mais dont il fallait néanmoins chauffer le zèle et vérifier la rectitude
idéologique »1.
Les dirigeants comoriens volaient au port de Moroni le ciment avec lequel
la Chine allait construire le Parlement. Pour arrêter le vol, la Chine fit venir
de Beijing un ciment qu’on mélange avec un produit, et sans ce mélange, ce
ciment est un simple sable. Quand les voleurs de l’État virent leurs bâtiments
s’effondrer, ils rendirent le ciment devant être mélangé avec le produit. Les
voleurs étaient les dirigeants du pays.
Déjà, sous la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane, les représentants
de la Chine populaire à Moroni manifestaient des signes de lassitude, à cause
de la kleptocratie des dirigeants comoriens. Saïd Mohamed Djohar n’allait
pas faire mieux…
Justement, parlons de l’anomalie qu’avait été le régime politique de Saïd
Mohamed Djohar, anomalie affublée du lugubre surnom de « gendrocratie »
en raison de la mainmise des gendres sur cette douloureuse parenthèse qui a
été celle de tous les scandales. Mon ami Ahmed Wadaane Mahamoud a fait
un excellent travail ayant consisté à dresser le catalogue des principaux actes
de corruption du régime politique familial de Saïd Mohamed Djohar2. Cette
longue litanie de scandales fait apparaître en filigrane une réalité juridique :
la faiblesse des institutions étatiques comoriennes. Énumérons certains des
scandales en question.
- L’affaire Intertrade, du nom d’une entreprise italienne : le gendre en chef
Mohamed Saïd Abdallah Mchangama est à l’origine de ce scandale qui
portait sur du matériel de travaux publics d’une valeur de 30 milliards de
francs comoriens (60 millions d’euros), qu’il a fallu inclure dans la dette
des Comores lors de l’acceptation de l’initiative pays pauvre très endetté

1 Deschamps (A.) : Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœla-


canthe, op. cit., pp. 34-35.
2 Mahamoud (A. W.) : Scandales politiques en série. Le cri du Président Djohar : « La

France m’a déporté », op. cit., pp. 83-89, pp. 131-145 et pp. 321-352.

364
(IPPTE) en 2012-2013, sous la houlette de Mohamed Ali Soilihi, alors
vice-président et ministre de l’Économie et des Finances. Ce matériel de
travaux publics n’a jamais été vu aux Comores. Tout le gouvernement, y
compris Saïd Mohamed Djohar lui-même, était impliqué dans l’arnaque
qu’était cette affaire.
Comme s’il s’agissait d’un vulgaire voyou, le 7 juin 1995, Hubert Soland,
basé à Lille, en France, avocat de la société Intertrade, avait adressé à Saïd
Mohamed Djohar une sévère mise en demeure : « […] Vous êtes débiteur à
titre personnel, de par vos prises de position et engagements formels en
tant que président de la République fédérale islamique des Comores, à
l’égard de ma cliente de sommes très importantes […] » ; « [...] en
conséquence, j’ai reçu mission d’engager à votre encontre toutes
poursuites en justice qui s’imposent avec, parallèlement, prise de mesures
conservatoires sur l’ensemble de vos biens personnels aux fins d’obtenir
garantie du paiement et remboursement des sommes que vous devez à la
société Intertrade et qui s’élèvent à ce jour à plus de 15 millions de
dollars ». Plus humiliant encore, un délai de 15 jours avait été accordé à
Saïd Mohamed Djohar avant les poursuites judiciaires contre lui.
Saïd Mohamed Djohar ayant traité par le plus profond des mépris la mise
en demeure qui lui a été adressée, il en reçut une autre datée du 5 juillet
1995, lui signifiant qu’une procédure à son encontre a été engagée et « fait
suite à une mise en demeure transmise par voie officielle, lettre recom-
mandée avec accusé de réception, à l’Ambassade de la République
fédérale islamique des Comores ainsi qu’un courrier spécial directement à
Monsieur le président de la République fédérale islamique des Comores
[...] ». L’avocat lillois prit le soin de rappeler que le but des poursuites
judiciaires engagées est « le non-paiement des sommes qui lui [Intertrade]
sont dues et qui s’élèvent à ce jour à plus de 15 millions de dollars
américains, sommes pour lesquelles le Président Djohar est débiteur à titre
personnel […] ».
- Le 21 juillet 1994, pour le président Saïd Mohamed Djohar, le Premier
ministre Mohamed Abdou Madi signe un décret n°94-065/PR nommant
à la tête d’Air Comores l’escroc mauricien Moonlem Simsamy Directeur
d’Air Comores. Cet escroc se faisait passer aux Comores pour Rowland
Ashley, d’une famille de Londres. Après enquête, il s’avéra que la famille
en question n’avait aucune relation avec l’escroc Moonlem Simsamy, le
faux Rowland Ashley. La famille du président Saïd Mohamed Djohar avait
été à l’origine de la cession à titre gratuit de la société Air Comores à
l’escroc mauricien Moonlem Simsamy. Quand elle se rendit compte de
l’énormité de son crime, elle avait incendié le siège d’Air Comores, et cette
prospère entreprise saignée à blanc disparut à jamais.
- Le passage par Moroni des fonds du terrorisme transfrontalier en direction du
Groupe islamique armé (GIA) d’Algérie et d’autres mouvements criminels
de Somalie et d’ailleurs était organisé par Mohamed Saïd A. Mchangama.

365
- La facilitation des démarches des jeunes Comoriens allant prétendument faire
leurs études au Pakistan et en Afghanistan et qui finissent dans les camps
d’Oussama Ben Laden, où n’étaient enseignées que les techniques usitées
en matière de terrorisme. L’attentat du 7 août 1998 contre les ambassades
des États-Unis au Kenya et en Tanzanie a été planifié et exécuté d’un bout
à un autre par Abdallah Mohamed Fazul, un Comorien qui devait étudier la
Médecine à Rawalpindi (Pakistan) et qui devint l’une des figures de proue
du terrorisme international et le représentant personnel du chef terroriste
Oussama Ben Laden en Afrique de l’Est, avant de périr sous une quantité
de bombes de l’Armée des États-Unis le 8 juin 2011 à Mogadiscio, dans ce
qui reste de la défunte Somalie.
- Les détournements d’argent de l’État dans des proportions inégalées.
- La très éphémère reconnaissance par Saïd Mohamed Djohar et en contrepartie
d’argent de la Chine nationaliste, le 9 novembre 1992.
En effet, malgré toute l’aide qu’apporte la Chine populaire (Beijing) aux
Comores depuis les premiers mois de l’indépendance, toute honte bue, le 9
novembre 1992, le président Saïd Mohamed Djohar en personne a signé le
décret par lequel il affirme que les dirigeants comoriens sont « prêts à établir
immédiatement des relations diplomatiques officielles avec la République de
Chine (TAIPEI) ». Seule l’intervention énergique de Chen Baoqian, alors
ambassadeur de la République populaire de Chine à Moroni, avait empêché
la réalisation de ce projet fondé sur la distribution de pots-de-vin même au
chef de l’État comorien.
Ce sont des étrangers connus pour leurs relations douteux avec le gendre
Mohamed Saïd Abdallah Mchangama qui ont fait signer à Saïd Mohamed
Djohar ce décret controversé, qui avait été monnayé. Pour aller à l’essentiel,
retenons que, « la Chine non communiste de Taiwan cherche une légalité
internationale. C’est en Afrique et dans les pays pauvres fortement endettés
qu’elle espère trouver des soutiens qui briseront son isolement. Dans ce
contexte, Catinat est chargé de démarcher les présidences africaines en
proposant au passage de confortables enveloppes. […]. Aux Comores, M.
[Philippe] Buchard et ses amis [lobbyistes] sont en terrain connus. M. S.
Mchangama qui reste leur associé dans d’autres affaires a un accès direct
au Président et surtout une influence déterminante sur son beau-père »1.
Ce qu’écrit Pascal Perri au sujet de cette transaction est tout simplement
honteux pour les Comores car prouvant l’extrême vénalité et corruption qui
ravagent cette « Ripoux-bliquette » tropicale de gendres véreux mariés aux
filles d’un président surtout sénile : « La manipulation présente cette fois un
caractère diplomatico-financier mais l’esprit reste le même : s’implanter en
Afrique et dans l’océan Indien grâce à la plateforme comorienne. Une
impressionnante brochette d’hommes d’affaires, parmi lesquels Ibrahim Al
Bawab, signe un bon de commission à Catinat Consult en vue d’obtenir la

1 Perri (P.) : Comores. Les nouveaux mercenaires, op. cit., pp. 135-136.

366
reconnaissance diplomatique de la République de Chine (Taiwan) par 14
pays d’Afrique dont les Comores. Il est entendu que Catinat Consult versera
une commission d’un montant de “500.000 dollars des États-Unis sur les
deux millions cinq cent mille dollars des États-Unis, montant de la rémuné-
ration du marché se rapportant au mandat. Les conditions de ladite commis-
sion étant fixées pour leur montant et leur date de règlement aux conditions
et dates effectives des règlements perçus par Catinat Consult de la République
de Chineˮ »1.
À ce stade, il n’était plus permis de se représenter sur les plans intellectuel,
institutionnel et politique les Comores comme un État, mais comme une
mafia, l’une des plus grandes associations de malfaiteurs sévissant dans le
monde.
- Le vol par la famille de Saïd Mohamed Djohar et ses complices en France des
fonds débloqués par les Émirats Arabes Unis pour le paiement de la bourse
des Comoriens étudiant à l’étranger.
- Le détournement de tous les fonds publics faisant leur apparition quelque part
aux Comores.
Fait très important, sous la présidence de Saïd Mohamed Djohar, l’aide au
développement reçue par les Comores est supérieure aux dépenses budgétaires
de ce pays. Les chiffres communiqués à cet égard par Benoît Aubenas, alors
représentant de l’Union européenne aux Comores, sont très éloquents : « L’aide
extérieure – bilatérale et multilatérale – varie de 45 millions à 55 millions de
dollars des États-Unis par an, soit 15.000 millions de KMF alors que le budget
de l’État est de 11.000 millions »2.
Autrement dit, l’aide extérieure reçue par les Comores était supérieure au
budget de 4 milliards de francs comoriens (8 millions d’euros). Or, sous la
présidence de Saïd Mohamed Djohar, les Comores traversent l’une des crises
économiques et institutionnelles les plus graves et les plus profondes.
Le dévoiement et les contradictions intrinsèques de l’aide internationale au
développement nous incitent à nous interroger sur son utilité afin de savoir si
Saïd Mohamed Djohar et ses gendres ne peuvent pas prétendre à l’innocence
en rejetant la faute aux ressorts intimes de l’aide publique au développement.
En la matière, fions-nous à Tibor Mende, pour qui le développement est
« l’original inimitable ». Il dénonce la « rencontre déformante », appelle à
réfléchir sereinement sur le passage « de l’idéal à la pratique » et sur « ce
qu’il en coûte d’être généreux et d’être assisté », en finissant par poser la
« mère des questions » en matière d’aide : « Qui aide qui et pourquoi ? ».
Le regretté Tibor Mende signale douloureusement que « des mots comme
“aide” et “assistance au développement” ont des connotations humanitaires

1 Perri (P.) : Comores. Les nouveaux mercenaires, op. cit., p. 135.


2 Aubenas (Benoît) : Coopération CÉE-Comores, in Oyowé (Augustin) : Les Comores. Une
situation économique critique, Le Courrier ACP-CÉE n°130, Bruxelles, novembre-décembre
1991, p. 43.

367
et charitables. Une logique naïve conduirait à croire que l’aide se dirige soit
là où la misère est la plus grande, soit où elle est le mieux employée pour
mettre fin à une situation intolérable. Un examen même rapide des données
existantes montre qu’il n’en est rien »1.
Plus intéressant encore, de manière très imagée et métaphorique, Tibor
Mende explique avec pédagogie et une certaine dose d’humour que « l’aide
étrangère ressemble à un artichaut. Quand il est en fleur, il est assez
plaisant par la forme et la couleur. Avec le temps il devient une plante
piquante dont une petite partie seulement est mangeable. Estimé par les
spécialistes, il a également ses enthousiastes. On dit même que l’un de ses
composants a des effets bénéfiques contre certaines maladies. Mais pour
juger sa valeur véritable, il faut enlever une à une ses innombrables feuilles.
Beaucoup peuvent être jetées comme sans valeur.
D’autres contiennent la substance nutritive responsable de sa réputation.
À l’intérieur, profondément, on arrive au petit cœur qui, convenablement
préparé et mélangé avec les condiments appropriés, fournit une récompense
savoureuse pour l’effort accompli en enlevant patiemment les feuilles plus
ou moins sans valeur qui le cachaient. Pour aller au cœur de ce que l’on
appelle couramment “l’aide” aux pays sous-développés, il est peut-être
préférable de s’y prendre de la même façon »2.
L’aide publique au développement est une réalité très fuyante et subtile.
Or, malgré ses imperfections, force est de constater que le régime politique
de Saïd Mohamed Djohar était fondé sur le vol, la prédation, le pillage et le
gaspillage de l’argent public. Au sens propre, c’était une grande association
de malfaiteurs effectivement malfaisants, qui volait l’aide internationale.
Nous avons noté que dans son sermon aux jeunes cadres comoriens en date
du 3 octobre 1989, le président Ahmed Abdallah Abderemane avait insisté
sur les fonctionnaires fantômes. Il s’agit de l’un des principaux maux ayant
détruit pour des décennies les institutions publiques comoriennes. Les listes
de la Fonction publique des Comores comportent des noms de personnes
fictives, mortes, se trouvant à l’étranger, des retraités considérés comme des
agents encore en activité, etc.
Sous la présidence de Saïd Mohamed Djohar, ce phénomène pernicieux a
explosé, dévoilant des pratiques infectes et honteuses, alors que le FMI et la
Banque mondiale pressaient les Comores d’appliquer ce qui était à la mode
dans les années 1990 : un programme d’ajustement structurel (PAS). Or, la
colonne vertébrale de la politique des PAS était la réduction des dépenses
publiques, et ceci nécessitait la diminution du nombre des fonctionnaires et
agents de l’État. Rapidement, on se rendit compte qu’avant de diminuer le
nombre des fonctionnaires, il fallait surtout chasser les fantômes des listes de

1 Mende (Tibor) : De l’aide à la recolonisation. Les leçons d’un échec, Le Seuil, Collection
« L’Histoire immédiate », Paris, 1972, p. 91.
2 Mende (T.) : De l’aide à la recolonisation. Les leçons d’un échec, op. cit., p. 67.

368
la Fonction publique. Ces fonctionnaires fictifs ne s’étaient pas inscrits sur
les listes de la Fonction publique eux-mêmes mais par la complaisance et la
corruption. Dans les années 1980-1990, les fonctionnaires fantômes sont des
milliers.
Il y a eu une floraison de discours hypocrites sur le sujet, mais la situation
reste inchangée, empirant même année après année. Chaque régime politique
comorien a ses fonctionnaires fantômes. La présidence de Saïd Mohamed
Djohar ne pouvait se permettre la moindre « cachotterie » en la matière car
le FMI et la Banque mondiale exigeaient un « toilettage » total des listes de
la Fonction publique, qui pouvait correspondre à une sorte de nettoyage par
le vide.
Un seul exemple suffira pour illustrer notre propos. Il vient de Mohéli, île
réputée être la plus « gentille » et la plus « innocente » de l’archipel des
Comores : « Comme cette honorable dame de 16 ans, forte de ses 5 années de
service et mère [...] d’un petit garçon âgé de… 18 ans et qui poursuit des
études en classe de Terminale au lycée de Fomboni. La dame présentait des
papiers d’une authenticité limpide. Ils étaient tous signés par les autorités
compétentes sans aucune imitation de signature, et avec les cachets des
services concernés ». Cette femme de 16 ans et « mère » d’un enfant de 18 ans
totalisait déjà 5 ans de fonctions au sein de l’administration, et les documents
administratifs qu’elle produisait n’étaient pas des faux, mais des documents qui
présentaient tous les signes visibles de l’authenticité. Ce qui est réellement très
triste, c’est qu’il ne s’agissait pas d’un cas isolé, mais du contenu d’une cuillère
d’eau face à l’immensité de l’océan Indien. On cite aussi le cas d’une « dame
qui perçoit, après 6 années de service, le double de ce que touche “un agent
normalˮ du même cadre en fin de carrière ! ». Il serait instructif de citer le cas
de « cet ancien gouverneur par intérim de Mohéli qui a été recruté en tant que
planton au gouvernorat avec un salaire de 45.000 KMF. Comme quoi l’État est
bon prince envers ses fidèles serviteurs. Mais il n’y a pas que des privilégiés :
cet agent de l’aviation civile recruté au mois de mars 1967 et qui se trouve à
quelques mois de la retraite avec un salaire net mensuel de 7.500 KMF. Même
pas de quoi se payer un sac de riz par mois »1. 45.000 francs comoriens sont
l’équivalent de 90 euros, et 7.500 francs correspondent peu ou prou à 15 euros.
Un autre dirigeant comorien brille par son enracinement le plus profond
dans la corruption la plus abjecte et la plus ignoble : Assoumani Azali, celui
qui se croit tout permis. Il a commencé à piller l’État comorien au lendemain
de son coup d’État infâme et ignominieux du 30 avril 1999, alors que l’État
comorien était gravement empêtré dans sa crise juridique, institutionnelle et
politique la plus grave : celle liée au séparatisme à Anjouan.
De sa première kleptocratie (1999-2006) à la deuxième (à compter du 26
mai 2016), Assoumani Azali est resté un voleur dirigeant une grande bande

1 Riziki Mohamed (Mohamed Nansuri) : Mohéli. Recensement des fonctionnaires : des cas de

conscience, Al-Watwany n°134, Moroni, 15-21 novembre 1990, p. 9.

369
familiale et politique de voleurs. Personne n’a plus pillé les Comores que lui.
L’absence en lui d’éducation, de bonnes manières, d’une culture générale,
d’une culture politique et d’une culture d’État est un facteur déclenchant en
lui tous ses bas instincts. Commençons par lire et relire le rapport accablant
rédigé par Thierry Vircoulon au lendemain du départ d’Assoumani Azali de
la Présidence de la République le 26 mai 2006 sous les injures, malédictions
et quolibets des Comoriens.
Comme noté ci-haut, en janvier 2007, Thierry Vircoulon a relevé que « la
privatisation de l’État, le “néo-paternalisme” de type sultanique ou la
“politique du ventre”, bref les racines de ce que la Banque mondiale appelle
la “mauvaise gouvernance” n’ont pas été éradiquées durant la transition.
Corruption et mauvaise gouvernance ont continué à prospérer sous les yeux
de la “communauté internationale” : aux Comores, comme l’atteste la
découverte de 40 millions d’euros dans des comptes à l’étranger, le colonel
Azali a pillé le Trésor public et distribué les contrats publics à la coterie
formée par ses proches ».
Examinons d’autres extraits du rapport de Thierry Vircoulon sur la junte
militaire d’Assoumani Azali : après la destruction de l’État comorien par
Assoumani Azali, sa famille et sa bande de voleurs, voleurs parmi lesquels
figure Hamada Madi Boléro, surnommé Ebola par les jeunes de Djoiezi, qui
ne voient en lui qu’un criminel très misanthrope sans attaches familiales,
villageoises et insulaires, l’État comorien était une misérable succursale de la
communauté internationale. Or, celle-ci avait posé sur Assoumani Azali et
sur ses voleurs un regard de suspicion et de mépris : « Malgré une rhétorique
d’auto-affirmation, c’est une fois encore à l’étranger qu’est recherché le
salut ». Les Comores et le Congo-Kinshasa étaient dans la même catégorie
infâme et infamante : « États en échec, les Comores et la RDC ont été
placées en situation de souveraineté contrôlée par ceux qui ont bien voulu
sponsoriser les accords de paix et endosser le rôle de garants d’une unité
nationale en péril ».
Même l’Armée comorienne était dans un état de putréfaction avancée, et
lors de l’élection présidentielle de 2006, la communauté internationale avait
dû créer la Mission de l’Union africaine pour la sécurisation des élections
aux Comores (AMISEC) car, aux Comores ou à l’étranger, Assoumani Azali
n’inspirait confiance à personne : « L’AMISEC avait d’ailleurs réduit la
capacité d’action de l’armée comorienne », et il n’était guère étonnant de
constater que « les responsables de l’AMISEC et de la MONUC1 avaient
demandé à ce que les forces de Défense soient cantonnées lors du vote, les
bureaux de vote étaient gardés par les militaires sud-africains de l’AMISEC
aux Comores. Le financement du scrutin et sa sécurisation ont été internati-
onalisés, de même que sa validation, comme l’indique l’intense observation

1MONUC : Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du


Congo.

370
électorale internationale qui a eu lieu dans ces deux pays ». Autant dire que
l’Armée comorienne sous Assoumani Azali était horrible et effrayante.
Les îles Comores sous Assoumani Azali et le Congo étant des caricatures
d’États, il s’était avéré que « dans ces deux pays, l’internationalisation ne
s’applique pas seulement à la politique nationale, mais aux rouages mêmes
de l’État, à l’administration. Ainsi, les arriérés de salaires des fonctionnaires
des “îles de la Lune” sont payés par la France », puisque « l’économie qui
ne relève pas de la subsistance se limite à un import-export largement
informel, très internationalisé (commerce du riz et des hydrocarbures aux
Comores) et souvent criminalisé ».
De fait, « la déception populaire a été grandissante au fil de la transition,
et la forte participation aux scrutins finaux traduit un engouement soudain
pour la démocratie que la volonté d’en finir avec un régime temporaire
prédateur qui s’éternise », « le consensus des grands acteurs de la politique
internationale n’a pas apporté les réponses nécessaires à la faillite structu-
relle de ces pays », dans la mesure où l’État comorien sous la présidence
destructrice et nihiliste d’Assoumani Azali était doté d’un « gouvernement
tutellisé et contraint de s’engager dans la voie de la démocratisation ».
La violente destruction de l’État comorien par Assoumani Azali, ses séides,
dont Hamada Madi Boléro, l’acteur politique qui n’a même pas hérité de ses
parents une concession pour la construction d’une paillote, ni une parcelle de
terrain pour planter de la banane et du manioc, ne suffisait pas. Il avait fallu
en plus que ces 2 individus détestés par les Comoriens recherchent l’argent
dans le sexe : la production et la réalisation de films pornographiques aux
Comores. Ce fut une première dans ce pays très conservateur. Les acteurs et
actrices des films pornographiques en cause étaient des Comoriens et des
Comoriennes. Le peuple comorien en est encore dégoûté.
Plus grave encore, les Comores sous la junte militaire d’Assoumani Azali
nageaient dans une telle misère que pour la première fois dans l’Histoire du
pays, de la fausse monnaie avait été mise en circulation dans le pays par les
autorités. Des membres du Cabinet d’Assoumani Azali avaient été mis en
examen pour cette très grave affaire. Cependant, au pays du laxisme et de
l’impunité, ce dossier brûlant avait été enterré au Tribunal de Moroni à la
demande d’Assoumani Azali et Ambari Darouèche, son épouse kleptomane.
Cette lugubre affaire avait été largement et quotidiennement commentée
par la presse comorienne, qui allait faire l’objet de diabolisation et surtout de
toutes sortes de tentatives d’intimidation.
Ceci est d’autant plus vrai qu’en 2001, juste pour la forme et pour tenter de
tromper les Comoriens, « une demi-douzaine de personnes ont été écrouées
pendant que d’autres sont placées sous contrôle judiciaire de ce réseau de
fabrication de faux billets comoriens de 10.000, 5.000, 2.500 et 1.000 francs.
En effet, selon la déclaration du ministère de l’Intérieur, c’est depuis un an
environ que les services de renseignement du ministère de l’Intérieur mènent
des investigations pour démanteler le réseau.

371
Les enquêtes ont permis les arrestations de deux personnes supposées être
les tenants du réseau, un certain Saïd Ali, originaire de Koimbani-Oichili,
soupçonné d’être le cerveau de ladite affaire, et le nommé Mistoihi,
originaire de Dzahani II. D’autres personnes dont les noms courent dans la
rue, qui semblent impliquées dans cette affaire, ne sont toujours pas inqui-
étées. Elles semblent bénéficier de protection en haut lieu de par leurs
fonctions aux côtés du Colonel Azali.
Deux autres personnes, les nommés Haddad, propriétaire du restaurant Le
Quotidien, originaire de Mitsamiouli, et Toihir dit James Or, originaire de
Mitsoudjé, ont été arrêtées et placées en mandat de dépôt par la suite. La
Banque centrale aurait fait savoir aux autorités comoriennes que la Banque
de France, garant du franc comorien, exige que cette affaire poursuive son
cours et que la justice fasse son travail sans entrave. Ces derniers jours,
l’enquête, qui avait semblé en stand-by, a repris. Le conseiller politique du
Colonel Azali Assoumani, Ousseine Boina, a été entendu par la police
judiciaire le mardi 24 juillet. Le secrétaire général de la Présidence, M.
Mahmoud dit Lamartine, devrait être convoqué incessamment également par
la police.
D’autres personnes haut placées seraient sur la liste. L’affaire semble
prendre une tournure internationale du fait qu’un ressortissant suisse serait
le cerveau de cette affaire. Un Mozambicain serait également impliqué et
recherché par la police. Mais aussi des billets de 500 francs français auraient
été interceptés par la Banque centrale et remis aux autorités compétentes.
Il est à croire que ces faux billets ont été fabriqués à l’île comorienne de
Mayotte, où Saïd Ali a résidé un temps. À l’heure où nous mettons sous
presse, nous aurions appris que le juge d’instruction chargé de cette affaire
aurait été dessaisi de cette affaire au profit d’un autre juge à la demande du
Procureur général.
Toujours est-il que dans cette affaire, il y va de la crédibilité du franc
comorien. Le pouvoir et les autorités judiciaires ne doivent pas jouer avec
notre monnaie, qui reste le seul indicateur fiable et stable de l’économie
comorienne »1.
De passage à Paris, Ambari Darouèche, la première épouse d’Assoumani
Azali, avait laissé derrière elle une longue traînée de faux billets alors qu’elle
faisait ses achats. C’est seulement pour des raisons diplomatiques qu’elle a
échappé à des poursuites judiciaires. On en parle encore Place Vendôme…
D’un rare narcissisme arrogant comme son époux, Ambari Darouèche est
vénale, voleuse, kleptomane, cupide, mesquine, impitoyable, corrompue et
corruptrice. Spécialisée dans le « ramassage » et « grattage » de l’argent de
l’État partout où il y en a, elle est connue pour faire le tour des entreprises
publiques pour son lugubre « commerce », ayant une prédilection pour des

1SOB : Trafic de faux billets. Des membres du cabinet du Colonel seraient impliqués, La
Gazette des Comores n°89, Moroni, 27 juillet 2001, p. 3.

372
institutions publiques comme Comores Télécom, la SCH, la Banque centrale,
le Trésor public, la moribonde Société d’Eau et Électricité et la Direction des
Impôts. Sous la junte militaire de son époux (1999-2006), c’est elle-même
qui avait allumé le feu qui avait ravagé la Direction des Impôts, où sévissait
Djounaïdi Soilihi, son très jeune amant attitré.
L’affaire avait défrayé la chronique. Djounaïdi Soilihi avait tellement volé
d’argent public qu’il se passait de toute discrétion et, le jour où il apprit que
l’ambassade de France à Moroni avait mis en vente une de ses propriétés
immobilières, il s’était présenté à l’ambassade avec une mallette contenant
200.000 euros en espèces. Naturellement, cette ambassade lui avait demandé
de dégager et avait signalé l’affaire à l’État des Comores, qui avait jeté en
prison ce voleur originaire d’Ouzioini, au Sud de la Grande-Comore. Dès
qu’il atterrit en prison, Djounaïdi Soilihi n’appelait qu’une seule personne
sur 7 milliards de personnes vivant sur Terre : son amant Ambari Darouèche.
Il va sans dire que ce préféré de la Sultane du Hambou n’avait pas tardé à
retrouver sa liberté, sur intervention d’Ambari Darouèche. Une autre fois,
Djounaïd Soilihi oublia dans sa chambre d’hôtel à Paris une caissette remplie
de bijoux en or d’une valeur de 75.000 euros. Il ne s’en rappela que quand il
était dans un taxi en direction de l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle. Il
ne se donna même pas la peine de faire demi-tour tant la valeur de ces bijoux
lui paraissait dérisoire…
Abamri Darouèche est la reine des pyromanes. Dès que le putschisme et la
fraude électorale conduisent son époux au pouvoir, elle se sert d’allumettes
et de bidons d’essence pour incendier certaines des institutions où elle est la
plus compromise : la Direction des Impôts quand son jeune amant Djounaïdi
Soilihi y avait commis les vols les plus inqualifiables avec sa bénédiction
(sous la junte militaire de son époux), le Trésor public (2017) et la Banque
de Développement des Comores (BDC) en 2018. Le samedi 4 mars 2017,
quand un incendie ravagea le Trésor public, où Ambari Darouèche fait son
marché, je publiais un article sur mon site www.lemohelien.com dans lequel
je signalais que cette femme avait la redoutable habitude d’effacer ses traces
les plus compromettantes par le feu. Elle lança un cabinet d’avocats à mes
trousses, me demandant de retirer l’article en question. Ce que je fis sans des
regrets puisque l’article avait déjà été lu pendant un mois. Autrement dit, elle
a fait du feu un allié, et cela, depuis la première kleptocratie de son époux.
La « gendrocratie » de Saïd Mohamed Djohar avait eu son « baptême de
feu » en incendiant Air Comores, compagnie aérienne engluée dans moult
scandales mais qui avait une clientèle tellement importante qu’elle n’était en
mesure de lui donner satisfaction, suscitant de nombreuses frustrations. Or,
Assoumani Azali et Ambari Darouèche ont à leur compteur de pyromanes
les incendies sur la Direction des Impôts, le Trésor public et la BDC.
Par ailleurs, les Comores sont entrées dans l’ère du téléphone portable sur
le tard. Mais, qu’allait être la désagréable surprise des Comoriens quand ils
ont constaté qu’ils devaient obligatoirement acheter à Ambari Darouèche et

373
à elle seule ses téléphones, les puces électroniques commandées et vendues
par Comores Télécom étant spécialement fabriquées pour ne fonctionner que
sur les appareils vendus par cette kleptocrate dont la cupidité et les méthodes
prédatrices font pâlir d’envie les kleptocrates les plus endurcis et les plus
rapaces d’Afrique.
C’est le président Mohamed Taki Abdoulkarim qui avait lancé le chantier
de l’ORTC, et c’est la première kleptocratie d’Assoumani Azali qui l’acheva.
Cette tâche avait été confiée à Hamada Madi Boléro, le premier Directeur
général de cet établissement public. La Chine populaire et l’Arabie Saoudite
avaient soutenu financièrement et techniquement ce projet, mais Hamada
Madi Boléro a détourné tout cet argent, qu’il a offert à des petites gamines,
qui parlent de lui comme d’un pervers sexuel, photos à l’appui.
Chaque fois qu’il est au pouvoir, Assoumani Azali et les siens font du pays
leur chose, pillant les maigres ressources publiques. Ce dictateur corrompu,
incompétent et obsédé et Ambari Darouèche ont plongé les Comores dans un
trou. Sa deuxième kleptocratie est encore plus destructrice que la première.
Or, la première était une calamité. Dans sa deuxième kleptocratie, son neveu
Idaroussi Hamadi, surnommé « Tonton-m’a-dit », nommé, par complaisance
démagogique, secrétaire général du gouvernement, se comporte en Premier
ministre. Il bloque les projets, entrave le travail gouvernemental, insulte les
diplomates étrangers et les fonctionnaires internationaux, mais surtout a une
capacité d’enrichissement illicite personnel à donner le tournis, comme peut
en témoigner le chantier pharaonique qu’il a lancé pour se faire construire au
quartier Malouzini à Moroni une villa aux dimensions monstrueuses.
Idaroussi Hamadi dit « Tonton-m’a-dit » est un voleur pathologique. Il faut
préciser qu’il s’est fait la main lors de la première kleptocratie de son oncle.
Au temps de la junte militaire honnie de son « Tonton », il avait volé de
l’argent et du matériel au ministère de la Production (Agriculture). C’était un
scandale tellement énorme qu’à l’arrivée d’Ahmed Sambi au pouvoir le 26
mai 2006, Idaroussi Hamadi atterrit en prison. Son complice Bellou Magochi
fit le plus retentissant faux témoignage de l’Histoire des Comores. Ce faux
témoignage avait permis à Idaroussi Hamadi de bénéficier d’une libération
provisoire, devenue définitive. Ce grossier mensonge ne sera pas oublié par
Idaroussi Hamadi, qui fera nommer Bellou Magochi Directeur du Cabinet de
son « Tonton » chargé de la Défense au lendemain du 26 mai 2016.
Bellou Magochi et Idaroussi Hamadi sont dans toutes les sales affaires de
surfacturations et de rétrocommissions, notamment s’agissant des groupes
électrogènes d’occasion peints en jaune pour paraître neufs et qui allaient
imploser les uns après les autres. Jamais des dirigeants comoriens n’ont volé
autant d’argent public en si peu de temps.
Il y a eu des actes de vol d’argent public dès le 26 mai 2016, dans la nette
continuité de la première kleptocratie d’Assoumani Azali. L’un des cas les
plus révoltants a été celui de Mohamed Chatur Al Badaoui, sans la moindre
instruction, ancien gardien de parkings à Paris, nommé Directeur général de

374
la SCH, qu’il pille avec une rare méchanceté, irresponsabilité, sécheresse du
cœur et manque total de sens de l’intérêt général. Il a été l’auteur de moult
actes de surfacturation, dont celle d’un camion de transport de lait censé être
utilisé pour le transport de produits pétroliers, pour 180.000 euros !
Pendant, ce temps, Ambari Darouèche engrange placidement l’argent qui
est généré par la location de son immeuble de Marseille et celui engendré par
ses activités hôtelières et bancaires.
Mais, il y a aussi le fils Nour Al-Fath ! C’est un voleur notoire par héritage
génétique du côté paternel et maternel. Il travaillait à Exim Bank, à Moroni,
mais a démissionné au lendemain du retour anticonstitutionnel de son père à
Beït-Salam le 26 mai 2016, pour s’occuper de toutes les sociétés désireuses
d’investir aux Comores, et qui n’y investissent pas un centime. Ce fils très
surdoué en matière de vol d’argent public les rackette toutes au passage, sans
exception. Il pille aussi les sociétés d’État, contrôle toutes les attributions de
marchés publics et perçoit des commissions exorbitantes pour le compte de
ses parents prédateurs. Il est chargé aussi de couler Comores Télécom pour
ne laisser survivre que Telma. Cette dernière société de télécommunications
a fait rentrer la famille Azali Boinaheri dans le capital social de Telco, donc
dans le sien propre. Saïd Ali Sultan est l’homme de paille qui représente la
famille Assoumani Azali Boinaheri dans la société.
Le caractère prédateur de ce régime politique ravageur a été affirmé dès le
mois de juin 2016. Le vice-président Baguiri assurait l’intérim à Beït-Salam.
Or, on le vit échanger des tickets de carburants de l’État contre de l’argent en
espèces pour le loto et autres jeux de hasard, le vice qui le conduit aux pires
escroqueries et abus de confiance. Un jour, il avait été saucissonné par des
habitants de Vouvouni-Bambao, en Grande-Comore, à qui il avait soutiré de
l’argent sans fournir les visas Schengen promis, et une autre fois menotté à
la suite de sa promesse non tenue de faire obtenir gain de cause à un tueur
qui avait tué au couteau un homme lors d’un conflit opposant les habitants
de Hantsindzi à ceux de Chezani-Mboinkou. Il avait donné les assurances
sur sa capacité d’influencer le Procureur Soilihi Mahmoud Mansour dit Sako
ou Massa Kokari, qui était chargé de l’affaire. Il avait échoué et la famille de
l’assassin avait directement réclamé l’argent au Procureur, qui ne savait rien
de cette affaire et qui avait demandé son arrestation avant que des notables
ne réclament sa libération pour lui faire éviter la honte.
En 2008, sous la présidence d’Ahmed Sambi, un programme de vente de la
nationalité comorienne à des apatrides du Moyen-Orient a été mis en place.
Il reçut le nom de « citoyenneté économique ». Ce programme est l’objet de
nombreuses polémiques aux Comores. Faire la lumière sur lui aurait permis
de lever les zones d’ombre sur cette affaire. Or, Assoumani Azali en fit un
instrument de règlements de comptes politiques. Emporté par la haine envers
autrui et par sa prédilection pour les complots, en 2017, il procéda à la mise
en place d’une Commission parlementaire prétendument chargée d’enquêter
sur le sujet. Il fit placer à la tête de cette Commission parlementaire l’un des

375
pires enfants engendrés par les îles Comores : Toiliha Dhoulkamal, le faux
Dhoihir Dhoulkamal.
En réalité, Dhoihir Dhoulkamal ne s’appelle pas Dhoihir Dhoulkamal mais
Toiliha Dhoulkamal. Il a usurpé le nom d’un proche parent uniquement pour
user frauduleusement et illégalement de son diplôme. Au lendemain de la
dictature séparatiste du tortionnaire sadique Mohamed Bacar à Anjouan, le
25 mars 2008, il échoua à Mayotte, où il laissa derrière lui une montagne de
dettes et un essaim de créanciers. En 2015, il se fit « élire » Député dans une
confusion honteuse. On le retrouve dans un énorme scandale d’appropriation
illicite de matériel de travaux publics appartenant conjointement à l’État des
Comores et à une entreprise turque de construction qui s’était installée aux
Comores sous la présidence d’Ahmed Sambi pour réaliser un programme de
logements et de construction de routes.
Cette affaire d’engins de travaux publics est entre les mains de la Justice, et
Assoumani Azali s’en sert pour exercer un chantage sur le Député véreux,
obtenant de lui la rédaction d’un faux rapport, rejeté par 3 des 5 membres de
la Commission parlementaire. C’est un tissu de mensonges sans consistance,
de contrevérités inintelligentes et de manipulations politiciennes dont le but
est de museler les adversaires politiques.
Or, la vente de la nationalité comorienne à l’étranger a commencé sous la
présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane, et sous la houlette de Robert
« Bob » Denard, au profit de Chinois de Hong-Kong, qui cherchaient une
citoyenneté de refuse avant la rétrocession de leur pays à la Chine Populaire
le 1er juillet 1997. Puis, le gouvernement de Mohamed Taki Abdoulkarim se
mit à vendre des passeports pour obtenir de l’argent pour le paiement de 6
mois de salaires des fonctionnaires et agents de l’État. Alors qu’il dirigeait la
junte militaire, Assoumani Azali et Mohamed Elamine Soeuf, son cousin et
ministre des Affaires étrangères, avaient créé le plus grand trabendo relatif
aux passeports comoriens vendus à l’étranger, et cela, dans l’illégalité totale
et dans une opacité intégrale. Seuls les initiés connaissaient leur trafic dans
ce domaine sensible. Au lendemain du 26 mai 2016, ce trabendo a repris.
Alors, autant les Comoriens sont soucieux de voir les autorités enquêter sur
le sujet, autant ils désapprouvent et rejettent totalement toute la politisation
et l’instrumentalisation d’un dossier aussi sensible. En mai 2018, Assoumani
Azali se permet même de placer Ahmed Sambi en résidence surveillée, voire
de frapper d’interdit de voyager à l’intérieur et à l’extérieur du pays nombre
d’acteurs politiques comme les anciens présidents Ahmed Sambi et Ikililou
Dhoinine, les ex-vice-présidents Mohamed Ali Soilihi et Nourdine Bourhane
(…). Si on fait abstraction d’Ikililou Dhoinine, retourné dans l’insignifiance,
les autres personnes visées sont ses adversaires politiques.
Assoumani Azali fait preuve d’un rare acharnement haineux à l’égard de
ses adversaires politiques, instrumentalise la Justice et politise le Droit pour
ses intérêts immédiats. Il poussa l’indécence jusqu’à placer Ahmed Sambi en
résidence surveillée, et cela, non pas sur la base d’une décision de justice,

376
mais par une circulaire signée de la main du secrétaire général du ministère
de l’Intérieur. Or, il ne s’est trouvé personne au sein du régime politique de
la famille d’Assoumani Azali pour saisir qu’une circulaire administrative est
un texte écrit adressé par une autorité administrative aux personnes qui sont
sous sa responsabilité pour les informer de l’interprétation d’une législation
ou d’une réglementation, et de la manière de l’appliquer concrètement. Dès
lors, la circulaire n’est pas une décision, mais une recommandation. Elle n’a
pas de caractère obligatoire. Plus édifiant encore, en Droit administratif, une
circulaire est une simple note d’organisation interne d’un service donné. Elle
est émise par le fonctionnaire qui en assure la direction. Elle ne s’adresse pas
aux usagers. C’est pour cela qu’en cas de contentieux, elle ne peut pas faire
l’objet d’un recours. Toutes ces réalités juridiques sont piétinées par ce qui
tient lieu de « gouvernement », sous la « Ripoux-blique » de Mitsoudjé.
En définitive, même si la corruption prévaut aux Comores au lendemain de
la proclamation de l’indépendance des Comores, force est de constater que le
régime politique le plus englué dans la prévarication est sans conteste celui
qui est dirigé par Assoumani Azali et les membres de sa famille.

S.IV.- PRÉVALENCE DE LA SORCELLERIE ET DE LA MAGIE NOIRE


Le politicien comorien place tous ses espoirs de pouvoir sur des pratiques
qui relèvent de la sorcellerie et de la magie noire. Il relègue à l’arrière-plan
ses compétences et son expertise, si tant est qu’il en ait, et compte sur des
pratiques occultes. Il va compter plus sur la profanation des tombes et sur
l’enterrement d’animaux que sur le marketing politique. Cette singulière
situation s’explique par la survivance chez le Comorien d’un fonds culturel
animiste préislamique (§1.), et cela se traduit par une importance exagérée
accordée au recours aux marabouts et aux sorciers (§2.).

§1.- SURVIVANCE DE L’HÉRITAGE ANIMISTE PRÉISLAMIQUE


L’animisme est la croyance aux esprits. L’animisme fait de certains êtres
vivants, certains hommes et animaux, des génies protecteurs, et dote même
les objets et les éléments naturels d’une âme. Il se présente comme le culte
des esprits mystiques, des divinités animales et de certains défunts. Sans être
une religion au sens propre, il est intimement lié à la religion, et peut être
considéré dans certains cas comme la vraie religion de nombreux Africains,
qu’ils soient Musulmans ou Chrétiens. L’animisme accorde une importance
capitale à la tradition orale et recouvre un champ très étendu et englobant les
pratiques de nombreux peuples, vivant sur tous les continents.
L’animisme est considéré comme un ensemble de pratiques primitives qui
ont pour base l’attribution d’une « âme » à des forces naturelles et à des
forces surnaturelles, par la valorisation d’un certain vécu. L’animisme fait
des morts des forces capables de déclencher des événements bénéfiques ou
maléfiques. Les vivants craignent les revenants et doivent faire en sorte de

377
ne pas les irriter. À Madagascar, pays proche des Comores et auquel les 4
îles empruntent beaucoup en matière de croyances et de rites, il y a même un
culte des morts. Les Comoriens ont leur propre culte des morts.
Pour mieux comprendre ce qui se passe aux Comores, il est nécessaire de
situer la problématique au niveau général de l’Afrique. Cette étude touchant
toute l’Afrique est d’autant plus importante que sur recommandation de leurs
sorciers et marabouts, les chefs d’État africains et d’autres acteurs politiques
du continent se livrent aux pires excès : tel chef d’État africain mange des
testicules humains pour être « invincible », un autre buvait du sang humain
selon le témoignage de son ancien ministre de la Communication, pendant
qu’un troisième arrivé au pouvoir à la suite de l’un des premiers scrutins de
chefs d’État répondant aux critères et standards internationaux en matière de
démocratie en Afrique dans le sillage des conférences nationales souveraines
du début des années 1990 refuse de s’installer au palais présidentiel tant que
celui-ci n’a pas fait l’objet d’un « déminage » de la part de son sorcier le plus
compétent.
Dans les milieux politiques d’Afrique de façon générale et des Comores en
particulier, tout comme dans la vie des simples citoyens, l’animisme est un
aiguillon de la vie quotidienne. Les pratiques animistes sont un instrument
de pouvoir, à la fois pour sa conquête et pour sa conservation.
À en croire Antoine Glaser et Stephen Smith, le contact des dirigeants
africains a même « contaminé » les présidents de la République française,
excepté Nicolas Sarkozy : « Premier président français sans gris-gris sur
son bureau, Nicolas Sarkozy s’est prononcé pour une politique de rupture
avec les complicités du passé dans l’ancien pré carré, pour s’ouvrir sur
l’ensemble du continent et être à l’écoute des jeunesses africaines. Las, le
nouveau chef de l’État a, lui aussi, très vite plongé la tête dans la case à
fétiches »1.
Il y a sans doute de l’exagération dans ces propos. En France, les gris-gris
pourraient être de simples souvenirs et de décoration, sans vraie comparaison
avec l’importance que les dirigeants africains accordent aux amulettes, aux
fétiches et aux gris-gris en tant qu’objets sacrés qui assurent le pouvoir à des
dirigeants animistes et superstitieux dès la tendre enfance. Aux îles Comores,
une éruption volcanique, l’éclipse du soleil ou de la lune et les séismes n’ont
qu’une signification pour la population : l’annonce de la mort proche du chef
de l’État.
Toujours aux îles Comores, chaque être est né sous une étoile particulière.
Parmi ces étoiles, le Mohélien accorde à Ala-Karabou les pouvoirs les plus
étendus, dont celui d’attribuer le pouvoir. Les acteurs politiques les plus cités
comme étant sous la protection d’Ala-Karabou sont Mohamed Hassanaly,
l’insipide Mohamed Saïd Fazul et le déroutant Soilihi Mohamed Soilihi.

1Glaser (Antoine) et Smith (Stephen) : Sarko en Afrique, Plon, Paris, 2008, quatrième de
couverture.

378
Le cas personnel de Soilihi Mohamed Soilihi de Djoiezi, évoqué ci-haut,
est très éloquent. Comme cela a signalé au cours des développements qui
précèdent, le 13 mai 1978, dans l’après-midi, l’intéressé a été arrêté par des
jeunes de Fomboni, qui n’avaient aucun pouvoir pour ce faire, mais qui
avaient profité du flottement et vide de pouvoir à la suite du putsch contre le
président Ali Soilihi pour assouvir une vengeance populaire qui appartenait à
tous les Mohéliens. Or, pendant que les Djoieziens se réjouissaient de cette
arrestation illégale, une de mes tantes et une de mes cousines s’appliquèrent
à expliquer à la population de se calmer car Soilihi Mohamed Soilihi est né
pour régner et qu’il allait revenir au pouvoir plus influent qu’auparavant. Ce
discours s’avéra exact.
En reposant le problème à l’échelle de l’Afrique Noire, on constate qu’ici,
« l’unité du monde – le sacré et le profane, le naturel et le surnaturel sont
intégrés à un continuum spatio-temporel. L’ici-bas et l’au-delà sont liés à ce
que Salomon Iyasere a appelé l’“éternel présent” et John Mbiti le “passé
indéfini”. […]. La trame de l’existence est ainsi faite de l’entrelacement du
sacré et du profane, de l’interaction des vivants et des morts, du mortel et de
l’immortel. On ne comprend pas toujours les actions des dieux, mais leur
intervention est admise »1.
Les pratiques animistes ne sont pas le monopole des couches sociales les
plus pauvres, mais concernent même « l’élite », car dans les pays africains,
acteurs politiques et hommes d’affaires ont pour la plupart leurs sorciers et
marabouts. Cela se sait parce que les sorciers et les marabouts se croient bien
obligés de se faire de la publicité en s’attribuant généreusement la « réussite
socioprofessionnelle » de telle personnalité bien en vue. Au Maroc, un ami
de Salé m’a raconté des histoires pittoresques et abracadabrantesques sur des
personnalités publiques et leurs petites amies fréquentant assidûment mais de
manière séparée le « Chouaf » et la « Chouafa », le sorcier et la sorcière. Un
ami de Rabat dont la grand-mère est une sorcière très fréquentée m’a parlé
de la colère et des injures de celle-ci le jour où la deuxième chaîne de la
télévision marocaine avait diffusé un reportage sur la sorcellerie au Maroc,
signalant perfidement que ces croyances et pratiques n’étaient pas sérieuses
mais juste superstitieuses. Dépitée et emportée par la rage, la grand-mère
avait soupiré : « Ces imbéciles nous retirent le pain de la bouche ».
L’erreur généralement commise par la plupart des chercheurs en sciences
sociales consiste à exclure le Maghreb de la sphère des pratiques occultes,
comme si cette partie de l’Afrique avait choisi de vivre uniquement dans le
monde des vivants et du visible. Or, du Nord au Sud de l’Afrique, l’Africain,
blanc et noir, reste lié à ses croyances, rites et pratiques occultes. Ce n’est ni
un problème de race, ni de classe sociale, mais d’enracinement sur un socle
cosmogonique faisant la part belle à l’irrationnel et à l’occulte.

1 Potholm (Christian P.) : La politique africaine. Théories et pratiques, Nouveaux Horizons

– Economica, Paris, 1981, p. 112.

379
Dans l’univers africain, les esprits occupent une place prépondérante. Dès
lors, il arrive que quand un problème dépasse les capacités de l’individu ou
quand ce dernier veut parer à toute éventualité avant de faire face à certaines
réalités de la vie, il se réfugie dans les pratiques occultes et animistes. Seules
celles-ci peuvent lui donner confiance.
Comme les acteurs politiques ont les moyens de se permettre les services
des sorciers, féticheurs et marabouts les plus en vue, ils font de leurs gris-
gris et amulettes leurs seuls moyens de « réussite ». D’ailleurs, dès le début
des indépendances africaines, de la fin des années 1950 au début des années
1960, des chefs d’État africains font parler d’eux par le culte qu’ils vouent à
diverses pratiques animistes : « Le thème omniprésent de l’indissociabilité
du sacré et du profane se retrouve dans l’univers “réel” de la politique. Le
colonel Micombero attendit pour déclencher son putsch que le Mwami soit à
l’étranger afin de pouvoir s’emparer des tambours sacrés traditionnellement
liés au pouvoir séculier.
Durant la guerre civile qui embrasa l’ex-Congo en 1964, les deux camps
ont largement recours aux spécialistes des rites, à la magie afin de détourner
les balles, bref à toute la panoplie conçue pour tirer avantage de cet état
d’esprit sur le plan politique. Si Kwame Nkrumah prit le titre d’osagyefo, le
Grand rédempteur, c’était en partie à cause du symbolisme dont ce nom
était chargé. Pourtant, par la suite, il en vint à croire que la sorcellerie était
capable de le protéger de ses ennemis de l’intérieur. Les actuels présidents
du Malawi et de la Guinée équatoriale se sont pareillement donné beaucoup
de mal pour apparaître comme des dépositaires de pouvoirs surnaturels.
Nous n’irons pas jusqu’à prétendre que la politique africaine soit nécessai-
rement liée, en tant que telle, au continuum du sacré et du profane en tout
temps et en tous lieux. Néanmoins, il existe suffisamment d’exemples pour
pouvoir penser que ce thème dominant, si abondamment développé par les
écrivains contemporains, est solidement ancré dans la réalité de la société
africaine. Ceux qui assument la direction politique doivent tenir compte de
ce substrat »1.
Les Comores étant un pays peuplé à plus de 99% de Musulmans, il faudra
poser la question de savoir si les pratiques sont compatibles avec l’Islam. Il
est de notoriété publique que l’animisme est une forme de religion pour les
uns, et une religion à part entière pour les autres. Or, l’Islam interdit toute
association de Dieu à qui que ce soit. Dieu est un. L’unicité de Dieu est le
principal dogme de l’Islam. Or, l’animisme n’est pas constitué que de rites,
qu’on serait tenté de traiter de folklore ; à bien des égards, l’animisme est la
religion de nombreux Africains, le Christianisme et l’Islam étant considérées
comme des « religions importées ». Il est polythéisme et paganisme.
On ne le dira jamais assez : « Les forces naturelles des sociétés africaines
se révélant inefficaces, une réaction classique fut de recourir aux pulsions

1 Potholm (Ch. P.) : La politique africaine. Théories et pratiques, op. cit., p. 114.

380
maléfiques – opposées aux forces bénéfiques du culte et des rites animistes
présidés par le prêtre ou “féticheur”. La floraison de la sorcellerie révélait
la profondeur du malaise […] »1.
Le Coran parle des Djinns, et évoque la sorcellerie, qu’il condamne sans la
moindre complaisance. Il est donc demandé aux Musulmans de se détourner
de la sorcellerie et de Satan. Pour autant, les Musulmans des îles Comores ne
sont pas disposés à accepter le fait que l’Islam prohibe l’idolâtrie, quelle que
soit la forme qu’elle emprunte. Pourtant, l’animisme est toujours synonyme
d’idolâtrie. En son temps, le Prophète Mohammed avait détruit les idoles se
trouvant dans la Kaaba, à La Mecque.
Ce faisant, l’Islam aurait dû prémunir les Comoriens et d’autres peuples de
la terre d’Islam contre les pratiques animistes. Le peuplement des Comores a
commencé des siècles avant l’implantation de l’Islam dans l’archipel, et il
est impossible pour le Comorien de faire table rase de son héritage d’avant la
religion islamique. Cet héritage a sa part de paganisme et de polythéisme.
Des thèses sont développées sur la relation très ambiguë entre l’Islam – la
religion de l’écrasante majorité des Comores, plus de 99% – et l’animisme.
Selon l’une de ces thèses, « la présence musulmane en Afrique a plus d’un
millénaire. Et l’on comprend un peu l’irritation des Africains musulmans
d’aujourd’hui lorsqu’on parle devant eux de l’Islam comme d’une religion
importée. […]. Mais aujourd’hui tombent peu à peu les dernières bastilles,
et bien rares sont ceux qui osent encore se réclamer de la tradition. Le port
d’un nom musulman (ou chrétien) est perçu comme une promotion sociale et
l’on se réclame volontiers de la “coutume musulmane” quand bien même on
ne serait pas musulman. Il semble bien que l’Islam soit venu prendre une
place laissée vacante par un animisme en faillite : “Les religions africaines
plus ou moins oubliées se sclérosaient, se vidaient de leur contenu spirituel,
de leurs anciennes métaphysiques écrit Cheikh Anta Diop. Ce fatras de
formes vides qui en restaient n’était plus de taille à rivaliser avec l’Islam”.
En fait, ce dernier fut moins l’agent destructeur qui provoqua la chute
d’un ordre de choses millénaire que l’heureux bénéficiaire d’un brutal “vide
culturel” provoqué pour l’essentiel par l’impact de la colonisation et la
société nouvelle qui en est issue. Cette place demeurée vide et opportunément
comblée par l’Islam explique peut-être pourquoi on voit dans l’Islam, tel
qu’il se vit aujourd’hui, une forme plus ou moins bâtarde la tradition ortho-
doxe, une religion de compromis dont aucun vrai musulman ne saurait
s’accommoder mais sur laquelle en l’occurrence, il est opportun de fermer
les yeux.
Ainsi reconnaîtra-t-on que “la grande communauté de l’Islam sait offrir
aussi des cadres plus étroits qui permettent de conserver à l’occasion des
particularismes et au sein desquels la rigueur du culte régulier le cède à des

1 Coquery-Vidrovitch (Catherine) : Afrique noire. Permanences et ruptures, 2ème édition


révisée, L’Harmattan, Paris, 1992, p. 238.

381
pratiques qui, par un bonheur supplémentaire, flattent les goûts ancestraux
de l’Africain pour les rites initiatiques et magiques : l’action des confréries
et des marabouts joue ainsi dans l’Islam noir, un rôle profond et caractéri-
stique”1. Toutefois, il est une autre analyse possible qui montre combien, en
nombre de points, l’Islam rejoint les requêtes du monde traditionnel et exp-
lique par là pourquoi il lui a si naturellement succédé »2.
Les Comores ne dérogent pas aux spécificités de cet « Islam noir »3. En
effet, même s’il n’est pas permis de douter de la foi sincère du Musulman
des Comores, on ne pourra pas s’empêcher de constater que sa pratique de
l’Islam n’exclut guère un recours à des recettes animistes, dont certaines sont
incompatibles avec la religion musulmane. Pour preuve, les Comoriens ont
l’habitude de consulter au quotidien des sorciers qui, pour devenir de vrais
praticiens, doivent solennellement rejeter Dieu et faire allégeance au Diable.
Ali Soilihi avait tout fait pour combattre le penchant naturel du Comorien
pour la superstition, la sorcellerie et tout ce qui relève de l’occulte. Quand
une personne était soupçonnée de sorcellerie, elle était humiliée en public. Je
me souviens du cas d’une femme originaire de Grande-Comore qui avait dû
subir l’humiliation de porter sur la tête son matériel de sorcellerie à travers
les rues de Djoiezi en répétant inlassablement qu’elle était une menteuse
abusant de la crédibilité des « masses populaires ». Les habitants de Djoiezi
étaient alors obligés de la suivre pour donner à l’humiliation une tonalité
dissuasive aux autres personnes susceptibles de recourir à toute pratique
occulte. Le sorcier Soulé Mroimoungou, accusé d’assassinat, avait été fusillé
de manière spectaculaire au port de Moroni. Cette mise en scène absolument
macabre avait été à l’origine d’un grand traumatisme chez les Comoriens,
nonobstant l’horreur des assassinats dont ce Soulé Mroimoungou avait été
l’auteur.
L’enracinement de la sorcellerie aux Comores, pays pratiquant un Islam de
la première génération est troublant parce que l’entrée de l’Islam aux îles
Comores n’a pas suivi les voies habituelles des prédicateurs prêchant comme
ailleurs la « bonne parole » ; ce sont les Comoriens eux-mêmes qui étaient
partis à la rencontre de l’Islam et qui ont ramené cette religion dans leur pays
lointain, à un moment où les moyens de transport, par la mer, étaient très
rudimentaires.
En effet, quand « des marins arabes, faisant escale en Grande-Comore,
parlèrent du ministère de Mahomet à Médine et à La Mecque », une mission,
conduite par Saïd Mouhammad, était partie « vers l’Arabie, pour rencontrer
le Prophète. Mais ce dernier mourut avant l’arrivée » des Comoriens dans le

1 Rondot (Pierre) : L’Islam et les musulmans d’aujourd’hui. De Dakar à Djakarta. L’Islam


en devenir, Éditions Orante, Paris, 1960, p. 48.
2 Thomas (Louis-Vincent) et Luneau (René) : La terre africaine et ses religions. Traditions

et changements, 2ème édition, L’Harmattan, Paris, 1995, pp. 312-313.


3 Monteil (Vincent) : L’Islam noir. Une religion à la conquête de l’Afrique, 3ème édition

refondue, Le Seuil, Paris, 1980 (469 p.).

382
foyer de l’Islam. Pour autant, les membres de la délégation comorienne y
sont restés pendant une dizaine d’années afin de mieux apprendre les règles
de l’Islam et les enseigner à leurs compatriotes, dans leur pays.
Ce n’est que par la suite que ces Comoriens regagnèrent leur pays, où
l’érudit Mouhammad Athoumani, un compagnon de Saïd Mouhammad, a
« fondé au VIIème siècle la mosquée du village de Ntsaoueni. Un tombeau
dans le Nord de l’île [Grande-Comore) rappelle son souvenir »1. Il n’est pas
inutile de signaler que cette mosquée de Ntsaoueni est le plus ancienne des
Comores, et attire des scientifiques étrangers, qui lui consacrent des travaux
archéologiques.
Dans sa Chronique, Bourhane Mkellé, a écrit au sujet de l’entrée de Islam
aux îles Comores : « La notion la plus communément admise ici, depuis
longtemps, est que les habitants de la Grande-Comore, dès qu’ils eurent
appris l’existence du Prophète, dépêchèrent en Arabie une délégation de
notables, ayant pour mission de faire sa connaissance et de recevoir sa foi.
Arrivés à Djeddah, ils apprirent que le Prophète – que la bénédiction et le
salut soient sur lui – était mort depuis deux ans. Ils effectuèrent un séjour
d’un an chez l’un de ses successeurs, le calife Abu Bakr ou Omar ou Othman
– que Dieu soit satisfaits d’eux ! – dont ils reçurent l’enseignement des
préceptes de l’Islam, dispensé par les Compagnons du Prophète. Quand ils
eurent appris d’eux les règles essentiellement, ils retournèrent dans leur
pays, où ils commencèrent aussitôt à diffuser la nouvelle religion »2.
Les cérémonies par lesquels le Comorien manifeste son attachement à tout
ce qui relève de l’animisme ne manquent pas, et celles-ci n’excluent pas des
scènes de possession, dont l’origine malgache et païenne ne fait pas de doute
même pour le Comorien lui-même. Il y a dans ces cérémonies beaucoup de
rites polythéistes et païens qu’interdit l’Islam.

§2.- SORCELLERIE ET « MARABOUTAGE », LES DEUX MAMELLES DE


L’ACTEUR POLITIQUE COMORIEN
Existe-t-il un acteur politique comorien qui n’a pas mis sa carrière entre
les mains d’un féticheur, d’un marabout ou d’un sorcier ? Il ne s’agit pas de
faire des affirmations hâtives, mais de signaler que les acteurs politiques de
l’archipel des Comores croient plus à la magie qu’à leurs compétences, pour
ceux d’entre eux – une petite et insignifiante minorité – qui en ont. L’acteur
politique comorien ne peut pas exister sans son marabout, son sorcier ou son
féticheur. Les pratiques qui en sortent peuvent inclure le sang qui coule, et ce
sang peut être humain.
C’est la raison pour laquelle, quand des tentatives d’enlèvement d’enfants
sont faites depuis le début de l’année 2018, les Comoriens sont plongés dans

1 Därr (Wolfgang) et Wodtcke (Anne) : Madagascar. Comores, Éditions Arthaud, Paris,

1993, p. 149.
2 Cité par Vérin (P.) : Les Comores, op. cit., p. 62.

383
une indescriptible psychose. Pour tous les Comoriens, ces tentatives, qui ont
été faites aussi bien à Fomboni qu’à Moroni, ne peuvent être que le fait d’un
seul homme : Assoumani Azali. Les Comoriens ont d’autant plus raison que
ce sont toujours des véhicules officiels qui font ces tentatives, qui ne sont
pas sans rappeler qu’en Afrique continentale, certaines pratiques animistes
conduisent à des sacrifices humains, notamment ceux d’albinos, sur qui sont
prélevés des organes spécifiques, à qui sont attribuées bien de « vertus » par
toutes sortes de criminels.
Aux Comores, la sorcellerie est la sœur jumelle de la politique. On ne peut
pas y concevoir la politique sans son lot de pratiques occultes et de sacrifices
rituels. Mais, tout d’abord, nous devons absolument nous fixer sur le statut
« professionnel » des praticiens qui agissent dans le domaine de l’occulte.
On apprend qu’« au préalable, une distinction terminologique s’impose
car il importe de ne pas mettre sur le même plan ce que les Anglo-saxons
nomment magician (magicien), sorcerer (qui se livre à la “magie noire”) et
witch, le sorcier proprement dit. Le tableau qui suit pourrait résumer ces
distinctions ; toutefois, compte tenu de l’extrême diversité ethnico-culturelle
et des faits de contamination dus à l’acculturation, des échanges s’avèrent
parfois possibles entre les caractéristiques des trois personnages. Il appelle
en tout cas divers commentaires. Deux clivages significatifs peuvent être mis
en lumière.
Tout d’abord et malgré les passages que nous évoquions plus haut, une
coupure majeure s’instaure entre la magie (blanche) et le wizardry (sorcel-
lerie lato sensu) ; elle correspondrait grosso modo à l’opposition Bien/Mal,
Licite/Illicite, l’Admis/le Puni. Voilà un thème à propos duquel l’unanimité
se fait entre les africanistes »1.

1Thomas (L.-V.) et Luneau (R.) : La terre africaine et ses religions. Traditions et change-
ments, op. cit., p. 77.

384
Tableau n°2 : La distinction entre magie, magie noire et sorcellerie
Wizardry
Magie
Sorcellerie lato sensu
Magician Sorcerer Witch
(Magicien) (Magicien/sorcier) (Sorcier stricto sensu)
Conscient de son état et de ses
actes. Vend sa force de travail Conscient. Agit délibérément.
(profession libérale).
Responsable devant le groupe. Responsable devant le groupe. Responsable devant le groupe.
Motivations objectives. Le plus Motivations objectives. Pous- Pas de motivations objectives
souvent être utile à lui-même, à sé par le désir de nuire, de se (ou du moins plus rarement).
autrui (devin, guérisseur, venger, de supprimer le rival Accomplit des actions mal-
oracle, chasseur de sorcier…). dangereux. faisantes.
Surtout un état. Le witch est
possédé ou habité par une
Pouvoir lié ou non à une Pouvoir lié ou non à une entité malfaisante, que décè-
entente avec une puissance. entente avec une puissance. lent, sous forme de symbole
matériel, la divination ou
l’autopsie.
Technique qui opère à l’aide Technique qui opère à l’aide Agit par machination surnatu-
de substances matérielles bé- de substances maléfiques dont relle, indépendante de sa
néfiques dont il a le secret et il a le secret et de paroles volonté (télékinésie, bilocation,
des paroles magiques. A magiques. métamorphose).
toujours besoin d’un relais A toujours besoin d’un relais Travail à distance et n’a pas
matériel (usage extérieur de matériel (usage extérieur de besoin de relais matériel
techniques). techniques). (fantasme de dévoration).
Parfois don inné ou révélé Parfois don inné ou révélé
mais la plupart du temps mais la plupart du temps Situation héréditaire, donnée
acquiert cette situation par acquiert cette situation par par essence. Peut se confirmer
apprentissage, pratique apprentissage, pratique (fait plus rare) par initiation.
matérielle, initiation. matérielle, initiation.
Personnage ambivalent à
Toujours redouté et redoutable Toujours redouté et redoutable
cause de son pouvoir

Source : Thomas (L.-V.) et Luneau (R.) : La terre africaine et ses religions. Traditions et
changements, op. cit., p. 78.
L’étude ainsi effectuée a négligé un grand aspect de la question, celui des
marabouts dans les pays d’Afrique musulmane, au Nord comme au Sud du
continent. Aux îles Comores, ceux-ci ont pignon sur rue, et le peuple se
donne bonne conscience en expliquant doctement : « Ce marabout fait tout
son travail à partir du Coran. Il évite soigneusement les pratiques païennes
et animistes et n’utilise que le Coran. Donc, il n’y a aucun péché au regard
de l’Islam à aller le consulter ». Les marabouts pullulent en Afrique du Nord
et en Afrique Noire musulmane. Les faux marabouts constituent également
une réalité, aux Comores et dans les autres pays d’Afrique.
Sous la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane, tel professeur de
français originaire de Chouani, en Grande-Comore, et exilé à Mohéli pour
ses idées progressistes et révolutionnaires, était rituellement emprisonné. Il

385
était un brillant professeur, mais incompris, et aujourd’hui, il me dit sans la
moindre amertume : « Enseigner est un métier très ingrat ». Il n’avait pas été
mon professeur, mais j’ai beaucoup de respect pour lui, contrairement à mon
cousin bien-pensant Mohamed Salami Hamidi, qui le traitait injustement de
« fasciste », sans vraiment connaître le sens de ce mot.
C’est alors qu’un marabout proposa à ce professeur son « aide » afin de
mettre un terme à ses tourments liés à ses interminables séjours en prison.
Une séance de « déminage » du professeur persécuté eut lieu et, bon prince, à
la fin de la cérémonie, ce dernier avait payé la somme demandée pour « la
prestation de services ». Tout en remettant la somme d’argent demandée,
l’enseignant avait perfidement lancé à son « bienfaiteur » du jour : « Quand
tu arriveras à comprendre la traduction et le contenu de ce magnifique livre
de géographie, tu seras un homme très cultivé ». En bon arabophone qu’il
est, il avait bien compris que le « livre de prières » devant mettre fin à la
persécution dont il faisait l’objet n’était qu’un livre de géographie en arabe.
Son « marabout » ne le savait même pas, se contentant de lire son texte en
arabe. Il faut signaler qu’aux Comores, on a tendance à dire « Amen » dès
qu’un Arabe parle et même quand on ne sait pas ce qu’il dit.
Pourtant, il y a les marabouts et les sorciers que les Comoriens prennent au
sérieux et craignent. Ceux-là sont courtisés notamment par les autorités
supérieures des Comores, et cette fréquentation est le témoignage vivant de
la relation très forte qu’un peuple musulman peut entretenir avec l’animisme,
sur le dos de l’Islam. L’acteur politique qui va soumettre ses problèmes à un
féticheur, marabout ou sorcier ne se pose aucune question sur le fait que ce
spécialiste de pratiques occultes lise ou non le Coran, invoque le nom Allah
ou celui de Satan ; ce qui l’intéresse se limite au message de l’homme apte à
la production des miracles, dont celui d’anéantir les desseins des ennemis et
de favoriser ses propres projets. Face à un marabout, féticheur ou un sorcier,
l’acteur politique ne s’interdit rien.
Tel politicien adulé sur l’île de la Grande-Comore a bel et bien sacrifié son
propre fils pour des raisons liées à sa réussite en politique. Quelques initiés
triés sur le volet connaissent la malheureuse histoire de ce dirigeant de club
de football entretenant des relations suivies avec la politique qui, pour que
son club soit en mesure de remporter le championnat des Comores, avait
accepté la mort d’un homme. Au moment même où le but salvateur a été
marqué par son club, son propre fils fit une chute mortelle dans un puits. Il
va sans dire que les « rationalistes » peuvent toujours hausser les épaules et
dire de la manière la plus sceptique : « Ce sont encore des superstitions de
Nègres, toujours prêts à se lancer dans des divagations et idolâtries sans
fondements ». Aux Comores, on ne plaisante pas avec les pratiques rituelles
et occultes.
En réalité, la relation entre politique et sorcellerie est un problème qui a été
posé de manière plus visible aux Comores au lendemain l’accession du pays
à l’indépendance. Comme cela a déjà été signalé, Ali Soilihi avait été d’une

386
virulence inouïe envers les sorciers et les sorcières, qu’il faisait persécuter et
humilier dans les rues des villes et des villages. Officiellement, il prétendait
vouloir éloigner l’Islam des superstitions et des ajouts qui ne pouvaient que
l’alourdir en le déformant. Pourtant, la réalité est beaucoup plus triviale : Ali
Soilihi lui-même était un grand adepte de la sorcellerie, de la magie noire et
du « maraboutage ». En d’autres termes, il interdisait aux autres ce qu’il se
permettait lui-même.
Les Comoriens ont entendu Ali Soilihi prédire un sombre avenir aux îles
Comores, annonçant 3 ou 5 coups d’État et une guerre devant commencer à
Itsandra et finissant à Mitsoudjé. C’est après que le pays tournera le dos à la
médiocrité, à l’instabilité et à la misère noire. À quel titre faisait-il ces
sombres prévisions sur le devenir des Comores ? J’ai écrit l’information sur
les prédications d’Ali Soilihi le samedi 9 juin 2018. Or, le dimanche 10 juin
2018, le site Internet Comores-Infos a publié ce qui suit en encadré.
Le 3ème coup d’État hante les esprits
Depuis l’assassinat du guide de la révolution comorienne (« Mongozi wahé siyasa
yawufwakuzi »), le regretté Ali Soilihi Mtsachioi, en mai 1978, les Comoriens rêvent
toujours d’un grand changement qui pourrait bouleverser le paysage politique et
socioéconomique du pays. Cet événement est plus qu’imaginaire.
Selon la rumeur, le Mongozi aurait prédit un 3ème coup d’État qui ferait beaucoup de
morts et de blessés. Après ce pronunciamiento, le développement socioéconomique
du pays démarrerait d’une manière spectaculaire, et le pays serait dirigé par un
inconnu qui sortira de nulle part. Est-il un extraterrestre ?
De toute façon, chaque fois que le pays va mal, et quand la population commence à
se lasser du gouvernement, au lieu de descendre dans les rues pour manifester son
mécontentement, elle se soulage en parlant de ce fameux 3ème putsch prédit par le
« Mongozi wahé mapinduzi ». Une façon, peut-être, de rappeler au président de la
République et à son gouvernement qu’ils doivent absolument changer de
comportement et trouver une autre façon de gérer les affaires du pays avant qu’un
événement majeur ne les surprenne. Ce qui m’intrigue dans cette histoire du 3ème
coup d’État, c’est l’implication de la ville de Mitsoudjé où selon les on-dit, les
hostilités de cet événement tant attendu depuis des décennies débuteront à l’entrée
de la ville natale de l’actuel PIA (Président Imam Azali). Dans un pays où plus de
45% de la population croit et pratique la magie, actuellement beaucoup de nos
compatriotes espèrent que la vision du Mongozi n’est pas le fait du hasard.
Puisque, le moment où le feu Président Ali Soilihi Mtsachioi prophétisé cette vision,
Azali Assoumani Boinaheri était encore étudiant au lycée Saïd Mohamed Cheikh, et
personne ne songeait qu’il deviendrait un futur Président de la République.
Aujourd’hui, il est président et le climat politique du pays n’a jamais été aussi tendu.
[…].

Lors de son discours radiodiffusé du 20 juin 1977 portant sur la sorcellerie


et la science, Ali Soilihi, chef d’État doté d’un immense talent pédagogique
et oratoire, avait expliqué que l’origine de la sorcellerie était l’ignorance, et
que l’Islam rejetait ces pratiques animistes et occultes : « Avant que l’homme

387
n’ait atteint son présent degré de connaissance, il adorait de nombreux
phénomènes naturels ; la raison pour laquelle les premiers hommes adoraient
ces phénomènes, c’est qu’ils n’avaient pas les connaissances pour les comp-
rendre, pour en comprendre les causes, ni leur constitution.
L’homme adorait les collines, il adorait les ténèbres, la nuit quand elle
tombait, il adorait la mer, il adorait la lune, il adorait certains animaux,
grands ou dangereux ; il y eut même une époque où l’homme adorait son
semblable, parce qu’il lui attribuait des qualités extraordinaires. En effet,
lorsque les hommes, dans les temps passés, se trouvaient face à un phéno-
mène dont ils ne comprenaient ni l’origine, ni le fonctionnement, ils les
déifiaient ; ces phénomènes devenaient de la sorcellerie pour eux.
La sorcellerie, c’est l’interprétation que les hommes donnaient de tout ce
dont ils ne comprenaient pas l’origine, qu’ils ne pouvaient analyser ; cela
devenait de la sorcellerie pour eux, ils adoraient ce dont ils ne comprenaient
pas la cause.
À ce propos, j’ai déjà dit que le citoyen comorien, en raison de la politique
révolutionnaire elle-même qui repose sur une base scientifique, ne peut pas
croire à la sorcellerie ; et il y a encore un autre facteur, c’est qu’il est Musu-
man, il ne peut pas non plus croire à la sorcellerie parce que l’Islam ne
laisse le moindre espace qui autorise à croire à la sorcellerie, pas le
moindre espace ».
Par la suite, Ahmed Abdallah Abderemane avait engagé l’un des siens, un
proche parent de Domoni, sa ville natale, pour s’occuper uniquement de tout
ce qui relevait des pratiques occultes. Cet homme, sans la moindre expertise
en matière agricole, était officiellement nommé Conseiller du chef de l’État
chargé des Affaires agricoles. Conscient de l’ampleur de sa mission dans un
pays très dangereux en matière de sécurité présidentielle, le Conseiller était
connu pour l’importance qu’il accordait à sa charge. Quelques heures avant
l’assassinat d’Ahmed Abdallah Abderemane par Robert « Bob » Denard et
ses mercenaires dans des conditions atroces (des tortures et des mutilations
avant la mise à mort), le chef de l’État se trouvait à Anjouan. Il le pria de ne
pas se rendre à Moroni car les augures prévoyaient un grave danger pour lui.
Il s’y rendit et a perdu la vie dans l’horreur absolue.
Nous avons déjà signalé que Mohamed Taki Abdoulkarim s’était présenté
au scrutin présidentiel de 1990 tout en sachant que la présidence intérimaire
de Saïd Mohamed Djohar allait lui voler sa victoire. C’est ce qui arriva.
Nous voici à la période d’octobre à décembre 2010, quand il fallait élire
pour la première fois un président originaire de Mohéli. La classe politique
nationale comorienne s’y retrouva, au grand dam de la population locale, qui
n’en voulait pas. Elle avait raison, notamment car, même des politiciens de
la Grande-Comore plongèrent dans la grande farce consistant à faire venir de
marabouts et de sorciers de Tanzanie, se faisant ridiculiser par le pouvoir en
place, qui divulgua l’information sur cette débauche de magie, en accusant à
titre personnel Mohamed Abdouloihabi et Saïd Larifou d’être à l’origine de

388
ces arrivées de sorciers tanzaniens aux Comores. L’affaire avait fait grand
bruit, Mohamed Abdouloihabi et Saïd Larifou ridiculisés. C’était pathétique.
À Djoiezi, ville d’origine du candidat Ikililou Dhoinine, le vice-président
sortant, le favori des pronostics de « Radio Cocotier », ce fut l’horreur dans
l’hilarité : chaque camp politique enterrait vivants des animaux (des bovins,
des caprins et des moutons), accusait l’adversaire, dont il déterrait les bêtes
sacrifiées et les exhibait devant le peuple. Aucun camp politique ne pouvait
proclamer son innocence en la matière. Je fus témoin, à Paris, des démarches
des partisans du candidat Ikililou Dhoinine, qui se déplaçaient de la région
parisienne vers Marseille, Le Havre et Dunkerque à la recherche des sorciers
et des marabouts les plus réputés de la communauté comorienne.
Par la suite, Ikililou Dhoinine et Hadidja Aboubacar, son épouse, qualifiée
de « dictatrice », firent de Mohamed Faïze Tamadoune Bacar leur agent en
charge des sorciers et des marabouts, notamment à Zanzibar et Mkazi (sur
l’île de la Grande-Comore), et en firent un millionnaire roulant en Hummer
sur les routes très étroites de Mohéli. L’intéressé, dont le talent politique est
au niveau de zéro, s’enrichit considérablement, Ikililou Dhoinine et Hadidja
Aboubacar ayant poussé la complaisance démagogique et l’irresponsabilité
jusqu’à en faire un entrepreneur en travaux publics sans le moindre matériel,
ni personnel qualifié. Une fois, je devais récupérer auprès de lui un colis
pour le compte d’une belle-sœur, et je le retrouvais confortablement installé
dans un luxueux hôtel en banlieue parisienne, menant grand train de vie. Je
me suis contenté de récupérer la valise qui avait motivé mon déplacement et
de disparaître sans engager la moindre discussion avec cet individu passé du
cocotier aux voitures Hummer.
Rappelons que dans le tract historique « Kala Wa Dala » de mai 2014, les
cousins et les neveux d’Ikililou Dhoinine avaient gravement accusé Hadidja
Aboubacar d’être une sorcière, n’hésitant pas à interpeller le chef de l’État
sur ce sujet douloureux : « La sorcellerie de votre méchante femme a endurci
votre cœur et elle a engendré tant de haines envers la population, en
particulier envers les Djoieziens ». Sur le même tract, ces jeunes de Djoiezi
n’avaient pas été tendres envers Hadidja Aboubacar, qu’ils traînaient dans la
boue de la manière la plus irrévérencieuse et la moins charitable : « Vous
adorez la sorcellerie mais cela ne nous étonne pas car votre mère biologique
est une véritable sorcière. Telle mère, telle fille ». Comme on le sait très bien
depuis mai 2014, les cousins et neveux d’Ikililou Dhoinine impliqués dans la
rédaction de ce tract, considéré comme le plus grand scandale du régime
politique de leur cousin et oncle, avaient atterri en prison à la demande de la
Première Dame, connue pour son incapacité à jeter une rancune à la rivière.
Il est quand même édifiant de noter que Hadidja Aboubacar est toujours
accusée de vivre dans la sorcellerie. Trop de choses ont été dites et redites au
sujet de la relation que cette femme entretient avec la sorcellerie. Et quand
on la connaît bien depuis des années, on sait que ce qui se dit sur elle dans le
domaine de la sorcellerie ne reflète qu’une infime partie de ses pratiques. Il

389
n’est pas exagéré de dire que cette femme est plus que dangereuse, et quand
il s’agit de sorcellerie, pouvoir et argent, elle est au-delà de la dangerosité. Je
vais même avoir la prétention de dire que personne ne la connaît mieux que
moi, et je n’exagère pas. Quand nous sommes admis au concours d’entrée en
sixième, nous nous asseyions sur le même banc, et nous avons été en même
classe jusqu’au Baccalauréat, moi-même étant admis en 1985, elle et Ikililou
Dhoinine en 1986. Je répète : cette femme est un danger, et pour arriver à ses
fins, elle ne s’embarrasse pas de scrupules.
Hadidja Aboubacar affronte depuis les années de collège une rivale connue
pour être également dans les pratiques occultes : Fatima Hamidi, qui n’est
autre que l’épouse de Mohamed Saïd Fazul, président puis Gouverneur de
l’île autonome de Mohéli. Ces deux femmes sont de la même promotion, et
même si Fatima Hamidi fera une partie de ses études secondaires au Lycée
de Mutsamudu, Anjouan. Après avoir été amies, elles ont subitement choisi
de devenir des ennemies, et cela, depuis les années de collège, à la fin de la
décennie 1970. En 2010, leurs deux époux ont été candidats à l’élection du
président de la République, Ikililou Dhoinine étant classé à la première place
et Mohamed Saïd Fazul à la deuxième. Pis, Mohamed Saïd Fazul considère
qu’il a été le vrai vainqueur de l’élection, et cela n’a pas amélioré la relation
entre les deux anciennes camarades de classe.
Fatima Hamidi, épouse Mohamed Saïd Fazul, est très énigmatique et aime
faire dans le mysticisme. Elle adore s’enfermer dans un monachisme chez
elle, faisant vœu de silence pendant des jours, quand elle prie pour demander
la victoire aléatoire d’un époux qui n’est pas le meilleur fils qu’a enfanté
l’île de Mohéli, un époux qui a remporté sa première élection par la fraude,
battu en 2007 lors de l’élection gubernatoriale de Mohéli par Mohamed Ali
Saïd (d’une nullité intellectuelle et professionnelle totale) et en 2010 par le
candidat Ikililou Dhoinine, lors de l’élection présidentielle. En 2016, il n’a
été élu Gouverneur de Mohéli que parce que les Mohéliens haïssaient sans la
moindre complaisance Hadidja Aboubacar, arrivée à la deuxième place.
Fatima Hamidi n’« œuvre » pas seule quand il s’agit de pratiques occultes,
elle qui accorde beaucoup d’importance aux élucubrations pathétiques d’une
de ses petites sœurs. Mohamed Saïd Fazul, dirigeant au capital culturel et au
niveau intellectuel d’une nullité exécrable, prend sa belle-sœur pour la plus
grande sorcière du monde. Quand Mohamed Abdouloihabi et Saïd Larifou
avaient fait venir de Tanzanie des sorciers, il s’avéra que la plupart des bêtes
enterrées vivantes à Djoiezi lors du scrutin présidentiel de 2010 l’ont été par
leur allié politique d’alors : Mohamed Saïd Fazul.
Pour autant, le « pape de la sorcellerie en politique » aux Comores reste le
putschiste Assoumani Azali. Il est entièrement soutenu en cela par Ambari
Darouèche, sa première épouse. Ce couple maléfique, adorateur de Satan, ne
recule devant aucune bassesse immorale pour le pouvoir. Lors de l’élection
présidentielle de 2016, Assoumani Azali apprit ceci d’un sorcier de Pemba,
en Tanzanie : « Méfie-toi de cette élection. Tu ne la remporteras jamais de

390
manière démocratique et honnête. Et si tu la remportes, ça sera par des
moyens et des procédés anticonstitutionnels. Mais, malheur à toi par la suite
parce que tu ne pourras jamais pouvoir finir ta troisième année de pouvoir.
Donc, il vaut mieux t’éloigner de cette élection si tu veux rester en vie. Fais
très attention et évite cette élection ».
Le « référendum » bidon et anticonstitutionnel du lundi 30 juillet 2018
avait pour but d’écourter le mandat entamé le 26 mai 2016, par une révision
de la Constitution et l’organisation d’une élection présidentielle anticipée
destinée à finir la présidence en 2019 de son propre chef, sans coup d’État,
nécessairement mortel !
Toujours dans la perspective de cette élection présidentielle de 2016, il fut
à l’origine de la plus horrible et de la plus macabre des manœuvres : un de
ses sorciers du Sud de la Grande-Comore lui apprit son incapacité à être élu
à l’issue d’un scrutin régulier, mais que, s’il voulait retourner à Beït-Salam,
il devait profaner la tombe de son propre père et enlever une de ses dents de
son squelette. Il le fit sans hésiter, toujours emporté par une obsession plus
que maladive du pouvoir.
Un proche collaborateur d’Assoumani Azali a bien compris le danger dans
lequel ce dernier plonge les Comores. Il prit contact avec moi pour me faire
connaître les secrets les mieux gardés du dictateur pour publication sur mon
site www.lemohelien.com. Un jour, mon informateur m’apprit que son chef
et sa femme avaient enterré à 3 heures du matin une vache à Beït-Salam et
que l’un de ses sorciers était à la manœuvre, sous l’œil extatique de ses deux
clients. Dès publication de l’information, un ministre du dictateur m’appela
pour me demander comment et par quel canal j’avais obtenu la nouvelle, et
pour la confirmer. Autrement dit, les pratiques occultes d’Assoumani Azali
relèvent de la pure magie noire. Ne perdons pas de vue le fait que depuis le
début de l’année 2018, Assoumani Azali cherche à sacrifier deux jeunes
personnes, mais qu’à chaque tentative d’enlèvement, les victimes arrivent à
s’échapper des griffes des criminels qui cherchent à organiser le rapt.
Assoumani Azali a fini par prendre au sérieux les prédications faites par le
sorcier de Pemba : l’impossibilité de finir sa troisième année de pouvoir. Il
s’empare donc des assises « nationales » pour un bilan de l’indépendance, en
fait une affaire personnelle, hérisse toute la communauté nationale, dicte un
rapport bidon et truffé de fautes et d’incongruités, notamment pour réformer
et déformer totalement le système de la présidence tournante. C’est alors
qu’il lança son projet très controversé de réforme constitutionnelle, surtout
pour défigurer totalement la présidence tournante et pour faire en sorte que
son fils, le voleur Nour Al-Fath (chargé des dossiers relatifs à l’argent noir
de sa famille et qui fait capoter tous les projets d’investissement par ses
demandes excessives de « grattage » faites à toutes les personnes voulant
investir aux Comores) devienne candidat, quand lui-même se sait gravement
malade, incurable et condamné. Est-il alors permis de parler de l’effet de la
prédication du sorcier de Pemba ? L’affirmation est permise. Assoumani

391
Azali est prêt à tout pour garder le pouvoir. Et c’est ainsi que sur la base des
paroles d’un sorcier tanzanien, Assoumani Azali a détruit toute la structure
institutionnelle des îles Comores par un « référendum » anticonstitutionnel et
bidon pour éviter les malheurs de la troisième année.
Assoumani Azali a une prédilection pour les sorciers de Pemba. Lors des
élections législatives de 2004, il avait même déplacé l’un d’entre eux jusqu’à
Moroni, l’avait arrosé d’argent et lui avait demandé de tout faire pour que
ses proches, plus particulièrement le violent Fakri Mahmoud Mradabi, soient
élus. Les résultats de cette équipée avaient été désastreux. Mais, cela ne l’a
pas « guéri » des sorciers de Pemba.
En tout état de cause, pour réaliser son projet fou de succession dynastique
en « Ripoux-blique » de Mitsoudjé, Assoumani Azali a défié la communauté
nationale, faisant fuir tous les fidèles des mosquées et priant seul chaque fois
qu’il y entre. Pour ne citer qu’un seul exemple, il s’était fait inviter à Iconi,
en Grande-Comore, pour la rupture du jeûne, le mardi 5 juin 2018. Cela a eu
pour effet d’irriter toute la notabilité locale, avant de dégoûter tout le peuple
comorien, très respectueux des valeurs traditionnelles, sacralisées. Parmi ces
normes sociales, nous retrouvons celles relatives à l’hospitalité et à l’accueil.
Le scandale prit une nouvelle dimension quand on découvrit que c’est Saïd
Ali Kemal Eddine, fils aîné du Prince Saïd Ibrahim, à qui Assoumani Azali
avait remis 4 millions de francs comoriens (8.000 euros) pour cette lubie de
la honte qui avait eu lieu chez Mohamed Abdoulhamid, le cousin de Saïd Ali
Kemal Eddine.
Le jour de « l’invitation », Assoumani Azali se retrouva dans une mosquée
déserte, là où prient habituellement des centaines de personnes.
Lors du scrutin présidentiel horriblement truqué, tronqué et fraudé de 2002
– sous la férule de Hamada Madi Boléro – Saïd Ali Kemal Eddine provoqua
un émoi sans bornes en expliquant aux Comoriens au cours d’un meeting que
c’est pour des raisons prosaïques liées à la sorcellerie que le chef de la junte
se faisait appeler Azali Assoumani et non Assoumani Azali Boinaheri, pour
échapper aux pratiques des sorciers, qui ont toujours besoin de l’identité
exacte de personnes en présence. Cette démarche est tout à fait superflue
parce que, ce qui intéresse le sorcier ou la sorcière, ce n’est pas le prénom du
père, mais plutôt celui de la mère.
Le mardi 10 juillet 2018, un collaborateur d’Assoumani Azali qui méprise
et haït son chef m’apprit une chose surréaliste au téléphone : « Du fait de tes
articles sur ton site Internet, tu déranges tellement le dictateur et son épouse
Ambari Darouèche qu’ils ont mobilisé des gens dans le village de Mkazi
pour une lecture du Coran destinée à demander à Dieu ta mort. Je ne t’ai
jamais menti, et cette fois encore, l’information est entièrement fondée. Une
femme de Mkazi qui ne te connaît pas personnellement mais dont la fille a
des relations amicales avec un membre de ta famille est allée demander à
ces gens-là d’arrêter la sinistre farce. Ces Mkaziens ont eu tellement honte
qu’ils ont préféré se lever et partir. Mais, le couple satanique va reprendre

392
ailleurs sa diabolique opération. Plaçons nos espoirs en Dieu, qui ne reçoit
pas des ordres de ce couple de malfaiteurs. Ambari Darouèche a même fait
une promesse d’un milliard de francs comoriens à celui ou celle qui lui fera
le plaisir de t’apporter dans un sac et déposera celui-ci sous ses pieds ».
Mais, il y a pire. En effet, le mardi 14 août 2018, mon ami de la Présidence
de la République m’a communiqué des informations qui m’ont permis de
rédiger l’article « Le sorcier d’Assoumani Azali “prieˮ nu à Bête-Salam –
Satanique, Ambari Darouèche aime beaucoup le spectacle ». L’affaire relève
de la folie : effrayés par la catastrophe mortelle inévitable déclenchée par
leur « référendum » bidon du lundi 30 juillet 2018, Assoumani Azali et
Ambari Darouèche mobilisent chaque nuit à Beït-Salam un sorcier qui
« prie » nu comme ver ! C’est du paganisme satanique qu’abhorre l’Islam,
car aucun Musulman ne peut prier le nombril et les genoux découverts, et à
plus forte raison le corps intégralement nu. Un Musulman ne prie jamais nu.
Ambari Darouèche a trouvé un « dieu » en Satan. Elle assiste à toutes les
séances de charlatanerie satanique, apprécie beaucoup le spectacle, admirant
le sorcier nu, avec ses yeux de droguée extatique au bord de la folie.
Cette bouffonnerie satanique devait assurer au couple maudit la quiétude
durant son règne à mort, et s’inscrit dans le cadre d’une longue série de
pratiques sataniques. Ayant perdu le sommeil, Ambari Darouèche a dépêché
à l’étranger et aux frais de l’État comorien des proches chargés de mobiliser
sorciers, marabouts, charlatans, chamans, derviches tourneurs, faux dévots et
adeptes de Satan. À la mi-août 2018, Souleymane Mohamed Ahmed, postier
nommé ambassadeur à Paris pour la deuxième fois, était spécialement en
« mission maraboutique » à Mayotte à la demande de la Sultane et du Sultan
de Mitsoudjé. À Mohéli, l’ivrogne Bianrifi Tarmindhi, ex-Premier ministre
d’Assoumani Azali, est très actif du côté de Hamoidjio, à Nioumachioi, pour
la protection, par Satan, du Roi de Mitsoudjé, qui a tellement peur qu’il passe
ses nuits chez son ami le Mufti, à Ntsoudjini.
Après Assoumani Azali, c’est au sein de l’Armée qu’il faut aller chercher
son second en sorcellerie : le « Colonel » Youssoufa Idjihadi dit « Youssoufa
Mfamanga », « Youssoufa-poisson-séché », en souvenir de son passé de petit
vendeur de poisson séché au marché. Les bracelets qu’il porte aux poignets
sont fabriqués à Majunga, Madagascar, et sont des amulettes destinées à sa
« protection ». Il est connu pour les « maraboutages » qu’il fait faire contre
ceux qu’il croit être ses ennemis et adversaires. Ses visites clandestines en
pleine nuit autour des demeures de ses ennemis et adversaires sont un sujet
de plaisanteries grasses, salées et grivoises aux îles Comores. Il s’y rend pour
répandre des « malédictions » qui ont été conçues à Majunga, où il a même
des maisons, qu’il a achetées avec l’argent du peuple comorien.

393
CHAPITRE V.
UNE SOCIOLOGIE REFLÉTANT LE PROFIL
DES ACTEURS POLITIQUES DES ÎLES COMORES

Selon le proverbe mohélien bien connu, « on ne prépare pas du poisson


pour faire sortir de la viande de la marmite ». De même, du mauvais ne va
jamais naître le meilleur, mais le pire, tout comme une chienne ne pourra
jamais faire naître des chatons. Autant dire donc que la sociologie politique
des Comores est fortement conditionnée par le profil des acteurs politiques
du pays, parce que toute sociologie politique est dépendante de ce que sont
les dirigeants du pays en question.
Compte tenu de la pluralité et de l’extrême hétérogénéité des politiciens
dans un pays sans Who’s Who et autres documents répertoriant la biographie
des principaux dirigeants du pays, le champ d’études va se limiter aux chefs
d’État. D’autres dirigeants seront évoqués à titre d’illustration.
Dès lors, nous allons examiner la relation entre les origines culturelles des
chefs d’État et leur profil (S.I.), avant de nous intéresser à leur personnalité
si particulière (S.II.).

S.I.- ORIGINES CULTURELLES ET PROFIL DES CHEFS D’ÉTAT COMORIENS


Pour une meilleure intelligence de l’inévitable relation entre les origines
culturelles et le profil des chefs d’État comoriens, il conviendrait d’étudier à
tour de rôle la situation particulière des dirigeants comoriens de la période
d’avant l’indépendance (§1.) et de la période de l’indépendance (§2.).

§1.- LES DIRIGEANTS DE LA PÉRIODE D’AVANT L’INDÉPENDANCE


Au cours de la période d’avant l’indépendance, celle au cours de laquelle
les Comores étaient dans un régime d’autonomie interne, sous administration
française, certains acteurs politiques comoriens de haut rang s’attribuaient
des diplômes tout à fait exagérés (A.), tandis que d’autres étaient sans titres
ou pourvus de diplômes difficilement identifiables (B.). Dans l’ensemble, les
diplômes dont se prévalaient les uns et les autres étaient modestes, reflétant

395
le niveau culturel de la période considérée, à un moment où les Comores
n’avaient pas formé un nombre important de cadres qui pouvaient assumer
d’importantes fonctions au sein de l’administration (C.).

A.- L’ÈRE DES DIPLÔMES TAILLÉS DANS L’EXAGÉRATION


De prime abord, un constat s’impose : au cours de la période coloniale, le
taux d’alphabétisation et de formation était des plus faibles aux îles Comores.
Toujours désignée comme responsable de cet état, la France n’échappe pas
aux accusations. Pour Sultan Chouzour, « cet enseignement mit beaucoup
de temps à se développer, en partie parce que l’administration n’était pas
particulièrement favorable à sa généralisation, et ensuite parce que la popu-
lation ne ressentait pas la nécessité de limiter son potentiel de travail, en
maintenant à l’école des jeunes dont la participation aux activités de produ-
ction était indispensable à l’équilibre de l’économie familiale.
Sans compter que l’enseignement coranique, très ancien, très répandu et
très suivi dans le pays, était censé fournir toutes les connaissances néces-
saires à l’individu, tant pour cette vie que pour l’autre. D’une manière géné-
rale, on s’accorde à dire que par rapport à d’autres colonies françaises, il
n’y eut jamais vraiment aux Comores une politique de scolarisation systé-
matique »1.
Ce que ne dit pas Sultan Chouzour, c’est que le Comorien regardait d’un
œil sévère et suspicieux « l’École des Blancs et des Infidèles », considérée
comme un facteur d’acculturation et d’aliénation culturelle et religieuse. Le
Comorien de la période coloniale estimait que l’École française était à éviter
parce que très dangereuse. Par la suite, il acceptera de scolariser certains de
ses enfants, mais à l’exclusion de ses filles. En effet, ce n’est vraiment que
sur le tard que les filles comoriennes pourront se faire scolariser à « l’École
des Blancs et des Infidèles ». Cependant, ce ne sont pas toutes les familles
qui reconnaissaient l’utilité de scolariser leurs filles, à un moment où même
la scolarisation des garçons était très aléatoire. En effet, dans de nombreuses
familles, surtout en zone rurale, on préférait souvent que les enfants gardent
les bœufs et cultivent les champs au lieu d’aller à « l’École des Blancs et des
Infidèles ».
Personnellement, j’ai vu comment la scolarité de l’un des meilleurs élèves
des Comores a été détruite quand cet élève talentueux avait été obligé par sa
mère de quitter l’École primaire de Djoiezi pour retourner dans le village de
sa mère, anéantissant toutes ses potentialités dans les travaux des champs.
Les résultats du rejet de « l’École des Blancs et des Infidèles » ne se firent
guère attendre, puisque « c’est ainsi qu’en 1923, 142 enfants seulement se
trouvaient sur les bancs de l’école, alors que la population scolarisable

1 Chouzour (S.) : Le pouvoir de l’honneur. Tradition et contestation en Grande-Comore, op.


cit., p. 216.

396
s’élevait à 12.000. En 1972, le taux de scolarisation n’avoisinait que les
30%. Cette situation, au demeurant fort préjudiciable au développement, eut
pour principal et unique avantage une certaine préservation de la culture
nationale qui, durant de nombreuses années, ne subit pratiquement pas
d’influences extérieures. Le développement des effectifs scolaires dans les
années 1970 devait s’intensifier dans la période qui suivit l’indépendance en
1975, pour atteindre aujourd’hui un taux légèrement inférieur à 70%. Au
niveau de la population scolarisée, malgré le retard mis par l’enseignement
français à se développer, on peut dire que l’acculturation est réelle, profon-
dément intériorisée, et qu’elle aboutit à un véritable façonnement des géné-
rations montantes, complètement acquises à l’idéologie libertaire et égali-
taire véhiculée par le système éducatif français, qui influence encore, dans
une très large mesure, l’école publique comorienne »1.
N’avons-nous pas tendance à être injustes quand nous critiquons l’École
française lors de la période coloniale ? Personnellement, j’estime qu’il y a un
manque de sincérité de notre part quand, de façon caricaturale privilégiant
les miroirs idéologiques déformateurs, nous réduisons l’enseignement de la
France à quelques clichés comme les livres de lecture parlant à des élèves de
colonies françaises d’Afrique de « Nos ancêtres les Gaulois ». Il se trouve
d’autres livres qui prêtent également le flanc aux pires sarcasmes par certains
contenus et schémas réducteurs sur les Africains.
Pourtant, il faudra reconnaître une réalité : avant l’indépendance, aux îles
Comores comme dans les autres colonies françaises, l’enseignement était
d’un niveau nettement supérieur à celui de la période de la décolonisation.
Les bacheliers ayant été formés lors de la période coloniale enseignaient au
collège lors d’une année de service national, alors que ceux formés sans le
soutien de la France restent d’un niveau nettement inférieur même quand ils
ont une Licence, une Maîtrise, un Master 1 ou 2. Par nostalgie, j’ai acheté les
livres de la collection « Mamadou et Bineta », en usage dans les écoles des
colonies françaises d’Afrique. Je peux certifier sans risques de me tromper
que les élèves de la classe de 3ème d’aujourd’hui auraient du mal à travailler
sur le livre de la collection destiné aux cours moyens.
Les meilleurs administrateurs comoriens ont été formés par la France sous
la colonisation. On ne retrouve plus aux Comores des administrateurs ayant
le talent de ceux formés par la France avant la décolonisation des Comores.
Chaque jour, on fait le bilan de la colonisation française et, il est rituel de le
désigner de la manière la plus négative. Il aurait été hérétique de trouver à la
colonisation une seule raison de ne pas la condamner entièrement. Or, par
souci d’honnêteté, il faudra expliquer un jour aux Comoriens pourquoi dans
certains domaines, les Comores sont en nette régression actuellement surtout
par rapport à la période de la colonisation. À preuve, du XIXème siècle à

1 Chouzour (S.) : Le pouvoir de l’honneur. Tradition et contestation en Grande-Comore, op.


cit., pp. 216-217.

397
1956, les sociétés coloniales produisaient 2.000 tonnes de sucre par an, et
aujourd’hui, les Comores ne produisent pas un gramme de sucre, denrée de
consommation courante, qu’elles importent. Il en est de même pour le sel.
Il y a eu un problème de formation en termes d’effectifs dans l’ensemble
des quatre îles. Mais, il y a également un grave problème de diplômes. Le
problème de diplômes est relativement ancien, et mérite d’être explicité pour
être mieux appréhendé.
Aux Comores, dès qu’il s’agit de diplômes, on tombe dans l’exagération.
À preuve, l’aide-soignant qui ne peut se prévaloir du moindre diplôme sera
appelé « Docteur » parce qu’il travaille dans le domaine de la médecine et de
la santé. En d’autres termes, le « Docteur » est celui soigne, quelle que soit
sa fonction exacte dans le système médical et sanitaire, et abstraction faite de
son niveau d’instruction. Le vrai Docteur, en Lettres, Science politique ou
Droit ne sera jamais reconnu comme Docteur parce qu’il ne soigne personne.
La période de l’autonomie interne est celle de tous les excès en la matière.
Cela s’explique par le fait que le Comorien ne connaît pas toujours la réalité
des diplômes.
J’allais en faire l’amère expérience en 2001. Poussé par une certaine façon
mohélienne de dire les choses, celle rejetant l’idéalisation hypocrite des gens
sans mérite personnel, par pure complaisance démagogique sociale, j’avais
écrit ce qui était considéré par des bien-pensants de Grande-Comore comme
le plus horrible des « crimes contre l’humanité », un horrible « génocide », à
savoir : « En 1962, eut lieu une des plus grandes catastrophes politiques des
Comores au XXème siècle : l’élection de Saïd-Mohamed Cheikh à la tête du
Conseil de gouvernement. Cheikh, aide-soignant autoproclamé docteur (aux
Comores, infirmiers et aides-soignants portent le titre de docteur !), mesquin
jusqu’à la caricature, inculte, ouvertement fasciste, et originaire de l’île de la
Grande-Comore, n’avait aucun projet de société, si ce n’était son mépris
viscéral et son hostilité envers Mayotte et Mohéli. L’une de ses premières et
plus graves décisions a été le transfert injustifiable de la capitale des Comores
de Dzaoudzi (Mayotte) à Moroni, chez lui en Grande-Comore. Mayotte n’a
jamais oublié cet affront qui ne cessera pas d’avoir des retombées négatives
sur le devenir des Comores. L’impopularité de Cheikh à Mayotte a battu des
records, au point que quand celui-ci s’est rendu sur place, le 2 août 1966, il a
été accueilli par des Mahorais furieux qui le lapidèrent. De même, quand des
“Serrer-la-mainˮ (les Mahorais favorables au rapprochement avec les autres
îles) ont voulu se rendre à Moroni le 13 octobre 1969 pour soutenir Cheikh, ils
en ont été empêchés par le Mouvement populaire mahorais (MPM) »1.
Aux Comores, une chape de plomb est jetée sur les graves fautes commises
par Saïd Mohamed Cheikh, présenté de façon absolument criminelle et fausse
comme « le plus grand politicien comorien de tous les temps ». Cette hérésie
est acceptable en Grande-Comore, mais pas sur les autres îles. À la sortie de

1 Riziki Mohamed (A.) : Comores. Les institutions d’un État mort-né, op. cit., p. 23.

398
mon premier livre en 2001, on me reprochait ma remise en cause du statut de
« Docteur » complaisamment attribué à Saïd Mohamed Cheikh. Je n’ai pas
peur de signaler qu’Ahamada Wafakana Mohamed Soeuf, né à Miringoni sur
l’île de Mohéli, est le premier bachelier et le premier Docteur en Médecine de
l’Histoire des Comores. Saïd Mohamed Cheikh n’a jamais été bachelier et n’a
jamais été Docteur en Médecine. Quand je l’affirmais en 2001, tel thuriféraire
originaire de la Grande-Comore s’indignait et s’enrageait contre moi dans une
sorte de journal qui semble n’être publié que ce jour-là, d’ailleurs en 2 versions
contre mon rejet total et définitif du « Doctorat en Médecine » de cet homme
qui a fait exploser l’archipel des Comores par son mépris irréfléchi et haineux
envers Mayotte et Mohéli.
Sur le volet relatif à son « Doctorat en Médecine », son biographe le présente
ainsi : « Après avoir fréquenté l’École Régionale de Mutsamudu (Anjouan), il
fait des études de médecine à Madagascar, études qu’il termine en 1928. Il
devient auxiliaire de l’administration dans les années 1930. Il est affecté dans
son île natale en tant que médecin de l’hôpital de Foumbouni. Mais après des
démêlés avec l’administration, qui souhaite qu’il ne s’occupe pas de politique,
il est muté à Mohéli »1.
Il n’est pas dit qu’il a obtenu un « Doctorat en Médecine », mais qu’« fait des
études de médecine ». Or, comment, dans un pays dépourvu de compétence en
matière médicale, « le premier médecin des Comores » n’exerce pas dans ce qui
est supposé être son domaine de compétence, mais devient « auxiliaire de
l’administration », avant de retourner à la Médecine ? Pis, le biographe de Saïd
Mohamed Cheikh dit de celui-ci qu’« il est muté à Mohéli », alors qu’il y était
exilé, et cela non pas pour « des démêlés avec l’administration, qui souhaite
qu’il ne s’occupe pas de politique », mais car il est accusé d’avoir détourné une
somme d’argent à l’hôpital de Foumbouni, mais cela, personne n’ose le dire en
public, alors qu’il s’agit d’une réalité historique. On pourra toujours méditer sur
l’interdiction faite à l’« auxiliaire de l’administration » de faire de la politique.
Le biographe de Saïd Mohamed Cheikh se montre plus précis en signalant ce
qui a été de nature à déplaire aux zélateurs du personnage : « Avec quatre ans
d’études de médecine comme tous les Malgaches qui suivent ces cours pendant
cette période, Cheikh n’obtient pas de doctorat, même si, aux Comores, il se
fait appeler “docteur”, comme toute personne qui soigne, y compris les infir-
miers. En fait, déjà à l’École, et même à l’hôpital d’Ankadinandriana, tout le
monde est appelé dokotera, sauf les métropolitains, qui sont les dokotera lehibe,
expression qui peut indiquer, soit qu’ils ont un doctorat en médecine, soit qu’ils
sont perçus comme supérieurs aux Malgaches.
C’est en fait le système du XIXème siècle qui a été importé à Madagascar et
dépendances jusqu’en 1972. À cette époque en France, on distinguait les “offi-
ciers de santé” et les “docteurs en médecine”, qui sont sortis des facultés de

1Ibrahime (Mahmoud) : La naissance de l’élite politique comorienne (1945-1975), Éditions


L’Harmattan, Collection « Archipel des Comores », Paris, 2000, p. 157.

399
médecine. On peut remarquer que dans les notices de présentation de l’Assem-
blée Nationale, il commence par faire noter qu’il est médecin (titre qu’il a
obtenu après ses années d’études à Le Myre de Vilers), puis, au milieu des
années 1950, il écrit qu’il est simplement docteur.
Il s’agit pour lui de ne pas donner une impression d’infériorité par rapport à
d’autres “docteurs” à l’Assemblée, notamment Houphouët-Boigny, qui a suivi
exactement le même parcours que lui, mais à William Ponty »1, au Sénégal.
Cette explication a le mérite de la clarté, et elle permet de comprendre que le
titre de « Docteur en Médecine » que s’attribue Saïd Mohamed Cheikh relève
purement et simplement de l’exagération et de l’arrangement avec la vérité. Il
n’est donc pas étonnant d’apprendre que quand le biographe de Saïd Mohamed
Cheikh soutenait sa Thèse de Doctorat en Histoire sur ce dernier, il avait été
confronté à l’hostilité et à la malveillance de certains membres de la famille de
l’ancien président du Conseil du Gouvernement, qui souhaitaient visiblement
que le personnage soit présenté comme un héros de contes de fées. C’est la
raison pour laquelle j’ai toujours poliment rejeté les offres de rédaction de la
biographie d’acteurs politiques comoriens faites par les familles. Ces dernières
veulent des biographies à l’eau de rose pour des dirigeants qui avaient été d’une
méchanceté extrême et d’un incivisme destructeur envers leur pays, et il aurait
été criminel d’écrire sur commande des ouvrages destinés à les réhabiliter. Le
jugement de l’Histoire ne peut pas suivre la même voie que la Justice dévoyée
et aux ordres qui a fait le malheur des Comores et le deuil des Comoriens.
En revenant sur Saïd Mohamed Cheikh, nous lisons sous la plume de Sultan
Chouzour que Saïd ce dernier était un « politicien adroit et averti »2, et il faut
juste se demander alors pourquoi sur YouTube, dans un certain de discours qui
sont prononcés par cette perle rare, il y a trop de menaces et d’injures envers les
Mohéliens et les Mahorais, et pourquoi c’est cet homme arrogant, narcissique
et violent est à l’origine de l’éclatement des Comores par le refus de Mayotte
de faire partie de l’État comorien après la proclamation de l’indépendance le 6
juillet 1975. Le souvenir des injures de Saïd Mohamed Cheikh reste vivace.
Au-delà du cas personnel et particulier de Saïd Mohamed Cheikh, qui n’a
jamais été « Docteur en Médecine », deux controverses existent, et touchent à la
fois Ali Soilihi et Mohamed Taki Abdoulkarim.
Mahmoud Ibrahime présente Ali Soilihi dans les termes suivants : « Il fait
des études à Madagascar, mais est renvoyé du lycée Gallieni à Tananarive, en
classe de Seconde. Il retourne alors aux Comores, où il devient secrétaire ad-
ministratif. En 1958, il réussit le concours d’entrée au lycée agricole d’Amba-
tobé (Madagascar). Il en sort diplômé. Il revient encore une fois aux Comores,
et travaille pendant deux ans dans le secteur agricole de la Grande-Comore.

1 Ibrahime (M.) : Saïd Mohamed Cheikh (1904-1970). Parcours d’un conservateur. Une
histoire des Comores au XXème siècle, op. cit., pp. 65-66.
2 Chouzour (S.) : Le pouvoir de l’honneur. Tradition et contestation en Grande-Comore, op.

cit., p. 209.

400
Par la suite, il arrive en France en tant que stagiaire du Bureau pour le Déve-
loppement de la Production Agricole (BDPA).
Après ce stage, il entre à l’Établissement d’Enseignement d’Agriculture
Tropicale de Nogent (Val-de-Marne), et suit le stage de l’Institut d’Études du
Développement Économique et Social (IÉDÉS).
En même temps, il lit des ouvrages sur le marxisme »1.
Il n’est mentionné nulle part ici qu’Ali Soilihi était Ingénieur agronome. Or,
il est présenté partout aux Comores comme « Ingénieur agronome ». Certains
Comoriens ont tenté d’expliquer qu’il avait fait des études d’Agronomie sans
être « Ingénieur agronome ». Cette précision est d’un grand intérêt, mais n’est
pas du goût des partisans d’Ali Soilihi, qui dénoncent le « dénigrement haineux
d’un mort ». Il faut reconnaître que si, aux Comores, toute personne travaillant
dans le milieu sanitaire et médical est qualifié de « Docteur », il en est de même
pour le titre d’Ingénieur, attribué abusivement à toute personne qui occupe un
quelconque emploi supérieur dans le secteur agricole (« Ingénieur agronome »)
ou aux Travaux publics (« Ingénieur »), même quand ladite personne n’a même
pas fait des études secondaires. N’a-t-on pas vu d’« entreprises » comoriennes
sans le moindre Ingénieur, ni architecte se voir confier des travaux d’envergure
sans le moindre appel d’offres.
En raison de la connivence entre voleurs d’argent public, alors chef de l’État
comorien, Ikililou Dhoinine avait confié les travaux de construction de la digue
de Djoiezi à « l’entreprise » de Mohamed Ali Saïd, Gouverneur kleptomane et
kleptocrate de Mohéli à l’époque. En quelques minutes, les vagues de l’océan
Indien avaient complètement ravagé cette immense supercherie. Très limité sur
le plan intellectuel, nonobstant un Doctorat en Pharmacie obtenu à l’Université
de Conakry, en Guinée, et incapable de tirer la moindre leçon de ce qu’il en
coûte de confier des travaux publics à des « entreprises » sans Ingénieurs, le
même Ikililou Dhoinine confiera les travaux de construction de l’aéroport de
l’île Mohéli à « l’entreprise » d’Akmal Lahadji Maka, qui n’a ni Ingénieur, ni
matériel approprié. L’argent public injecté dans cet important projet disparut, et
le chantier devint un éléphant blanc, au grand dam des Mohéliens, qui ont fait
de la construction de cet aéroport une question de vie ou de mort.
S’agissant de Mohamed Taki Abdoulkarim, il a la belle et solide réputation
de « premier Ingénieur des Comores ». Plus intéressant encore, il est dit qu’il a
fait ses études supérieures à l’École nationale des Ponts et Chaussées (ÉNPC),
en région parisienne. Deux problèmes se posent. D’une part, ses ennemis les
plus farouches jurent que Mohamed Taki Abdoulkarim s’était contenté de faire
du tourisme en France et qu’il est retourné les mains vides aux Comores. Cette
accusation pourrait être exagérée parce que Mohamed Taki Abdoulkarim avait
étudié en France lors de la colonisation française, et il n’aurait pu mentir sur
des études supérieures en France sans se faire dénoncer par la France, dans sa
colonie. D’autre part, l’Ingénieur Saïndou Bacar, originaire de Miringoni, sur

1 Ibrahime (M.) : La naissance de l’élite politique comorienne (1945-1975), op. cit., p. 155.

401
l’île de Mohéli, formé en URSS avant de parachever ses études en France, m’a
dit et répété qu’il était le premier Comorien diplômé de l’ÉNPC. La première
fois qu’il me l’a dit, c’était le vendredi 13 janvier 2017. Nous étions dans sa
voiture, et nous rendions chez lui, à Champs-sur-Marne, quand nous passâmes
devant l’ÉNPC. Avant d’écrire cette information sur ce livre, j’ai dû l’appeler
au téléphone pour lui demander une confirmation1.
Que nous disent les livres au sujet de Mohamed Taki Abdoulkarim ?
Mon ami Ahmed Wadaane Mahamoud, de Mbéni comme lui et proche de
lui, avait écrit ceci : « Aussitôt arrivé aux Comores, après avoir fini ses études
d’ingénieur, il a affronté avec respect et fermeté Saïd Mohamed Cheikh, ancien
président du Conseil de gouvernement à l’époque de l’autonomie interne »2.
Ahmed Wadaane Mahamoud, qui connaît bien le président Mohamed Taki
Abdoulkarim, nous parle donc tout juste de sa formation d’Ingénieur.
Pour sa part, Mahmoud Ibrahime a écrit sur Mohamed Taki Abdoulkarim :
« Formé à Madagascar et en France, il devient Ingénieur des Travaux Publics.
À la fin de ses études, après des hésitations, il entre dans le camp de Saïd
Mohamed Cheikh »3.
À l’instar d’Ahmed Wadaane Mahamoud, l’historien Mahmoud Ibrahime se
contente d’évoquer la formation d’Ingénieur de Mohamed Taki Abdoulkarim,
sans mentionner l’établissement au sein duquel il a fait ses études supérieures.
Mais, voilà Saïd Mohamed Djohar qui, visiblement déteste son ancien élève
de Mbéni, Mohamed Taki Abdoulkarim, parle de sa formation d’Ingénieur à
l’ÉNPC : « Mohamed Taki a été mon meilleur élève quand j’étais instituteur-
conseiller général à Mbéni, son village natal, en 1947. Il a continué ses études
primaires et secondaires avec succès en Grande-Comore, puis à Madagascar.
Après le baccalauréat, le gouvernement Saïd Mohamed Cheikh l’a envoyé en
France à l’École des Ingénieurs des Ponts et Chaussées.
Après sa formation, il est rentré aux Comores et a été nommé Directeur
adjoint au ministère de l’Énergie et des Travaux publics »4.
Mohamed Taki Abdoulkarim vouait aux valeurs et vertus sociales rattachées
à l’honneur, honnêteté, dignité et prestige un grand respect, et n’aurait jamais
accepté d’être interpellé un jour pour une affaire de faux diplômes. Qui plus est,
il a travaillé aux Travaux publics pendant des années avant de se consacrer
entièrement à la politique. Il avait défié l’autorité excessive de Saïd Mohamed
Cheikh en demandant brutalement le remplacement de la vieille génération par
des jeunes mieux formés. Il en avait douloureusement subi les conséquences,
par un bannissement que rien ne justifiait en dehors de la dictature coutumière,
qui a tendance à sacraliser des autorités incompétentes et corrompues.

1 Entretiens du lundi 11 juin 2018.


2 Mahamoud (Ahmed Wadaane) : Refonder les Comores, Cercle Repères, Champigny-sur-
Marne, 1996, p. 58.
3 Ibrahime (M.) : La naissance de l’élite politique comorienne (1945-1975), op. cit., p. 166.
4 Djohar (S. M.) : Mémoires du Président des Comores. Quelques vérités qui ne sauraient

mourir, op. cit., p. 127.

402
B.- ABSENCE DE DIPLÔMES ET PRÉVALENCE DE TITRES DIFFICILEMENT
IDENTIFIABLES
La période coloniale est souvent qualifiée de « période sombre ». Ce sont
les nouvelles générations qui ont forgé cette expression, considérant qu’au
cours de la période considérée, les Comoriens étaient d’un niveau culturel
faible que n’importe quel bon parleur issu de la « bonne société » passait à
leurs yeux pour le plus grand des hommes d’État. Personne ne demandait un
diplôme à personne. La notoriété familiale et le talent oratoire suffisaient et
permettaient aux plus prétentieux de s’imposer à un peuple dont l’essentiel
du capital culturel se limitait à des cours d’École coranique, dont le maître
n’avait aucune connaissance de la langue arabe et du Coran, se contentant de
faire mémoriser de force aux élèves des sourates entières du Livre sacré dont
ils ne pouvaient rien comprendre.
Ce n’est pas dans un tel environnement socioculturel que le peuple pourra
se soucier des diplômes des uns et des autres.
Nous avons vu qu’Ahmed Abdallah Abderemane se présentait et avait
été présenté sous les traits du dirigeant manquant de capital culturel. Pour
nous en rendre compte, il nous suffit à peine de rappeler ce qu’il avait dit de
lui-même : « Je suis illettré »1, pendant que d’autres le voyaient sous les traits
d’un « self-made-man peu cultivé »2. Il n’est donc pas surprenant de lire sur lui
ce qui suit : « Né le 12 juin 1919 à Domoni (Anjouan) dans une famille de
notables, il fréquente l’École Régionale de Majunga (Madagascar), jusqu’à
la troisième année, mais en sort sans diplôme »3.
Ahmed Abdallah Abderemane a été Sénateur à Paris, président du Conseil
de Gouvernement de 1972 à 1975 et président de la République de 1978 à
1989, battant tous les records de longévité à la tête de l’État comorien, de la
période coloniale (autonomie interne) au 20 août 2018.
Nous retrouvons d’autres dirigeants comoriens qui ont longtemps imposé
leur présence sur la scène politique nationale mais qui n’ont jamais fait des
études, ne serait-ce qu’au niveau secondaire.
Un autre problème se pose : l’imprécision des études et des diplômes des
dirigeants comoriens de la période de l’autonomie interne. Nous allons citer
certains cas, à la lumière de l’enquête menée par Mahmoud Ibrahime4 :
- Ahmed Abdou : « Originaire de l’île d’Anjouan, Ahmed Abdou est né à
Mutsamudu (Anjouan) en 1936. Après des études primaires dans sa ville
natale, il arrive à la Grande-Comore, et fréquente le lycée de Moroni

1 Cité par Pomonti (J.-C.) : Comores. Le régime de M. Ahmed Abdallah paraît jouir d’un large
soutien populaire, op. cit., p. 3.
2 Bourges (H.) et Wauthier (C.) : Les 50 Afriques. Tome II. Afrique centrale. Afrique des

Grands Lacs. Afrique australe. Océan Indien, op. cit. p. 622.


3 Ibrahime (M.) : La naissance de l’élite politique comorienne (1945-1975), op. cit., p. 152.
4 Ibrahime (M.) : La naissance de l’élite politique comorienne (1945-1975), op. cit., pp. 151-

175.

403
avant de se rendre à Madagascar. Il arrive par la suite en France, où il
entre à l’École nationale des Impôts ». En a-t-il obtenu le diplôme ?
- Ahmed Soilihi : « Né le 5 octobre 1925 à Mtsapéré (Mayotte), il a des
parents commerçants. Il fréquente l’École Régionale d’Administration
de Majunga jusqu’en classe de Troisième ».
- Dahalani Mohamed : « Il a fait des études à l’école régionale de Majunga.
Possédant le Certificat d’études, ancien élève de l’école Le Myre de
Vilers, il commence sa carrière en tant que commis des PTT ».
- Mikidache Abdou Rahim : « Né vers 1937 à Mutsamudu (Anjouan), Miki-
dache entre réellement en politique en 1968. Major du Centre pédago-
gique de Tuléar (Madagascar), promotion 1956-1959, il devient institu-
teur. Mais bientôt, il est admis à l’Institut des Hautes Études d’Outre-
mer à Paris (1960-1961). En 1963, il effectue un stage à la Direction du
Développement de Bruxelles (Belgique), dans le cadre de la CÉE. En
1964, il entre dans le secteur du développement économique de la BIRD
à Washington pour un perfectionnement. À la fin de son stage, en juillet
1964, il entre à la Direction des services du Plan aux Comores ».
- Ali Mirghane : « Né le 25 mai 1939 à Mutsamudu, il est le deuxième
Ingénieur des Travaux Publics aux Comores, il est en poste à Mohéli ».
- Mohamed Ahmed : « Il fait ses études primaires à Mutsamudu, avant de
rejoindre l’école régionale de Majunga, et d’entrer à l’école Le Myre de
Vilers ».
- Mouzaoir Abdallah : « Il a fait des études d’éducateur et de Conseiller
pédagogique à Lyon. Revenu au pays, il exerce dans l’enseignement
primaire dans les années 1960 ».
- Ali Mroudjaé : « Après des études primaires dans sa ville natale [Moroni],
il se rend à Madagascar pour suivre des études secondaires à l’École
Normale d’Instituteurs de Tananarive. Il y obtient le bac (sciences expé-
rimentales) et le Certificat d’aptitude pédagogique.
De retour aux Comores, il se met à enseigner au lycée de Moroni. Mais
assez vite, il reprend les études à l’Université de Tunis, puis à l’École
Normale Supérieure de Saint-Cloud.
Il devient Inspecteur de l’Enseignement primaire ».
- Omar Tamou : « Après des études primaires à Morondava [Madagascar],
il poursuit des études secondaires au lycée technique et industriel de
Tananarive ».
- Saïd Hassane Saïd Hachim : « Il fait ses études secondaires à Majunga
jusqu’à la classe de troisième ».
- Prince Saïd Ibrahim : « Fils du Sultan Saïd Ali, Saïd Ibrahim est né le 17
avril 1911 à Tananarive (Madagascar). Comme de nombreux étudiants
comoriens cherchant à entrer dans l’administration indigène, il passe
par l’école Le Myre de Vilers ». Le Prince Saïd Ibrahim a été le premier
dirigeant comorien à avoir posé le problème de la formation des cadres.
Il avait expliqué que, dans la mesure où l’accession à l’indépendance n’a

404
jamais été un simple défi, il fallait que les Comores s’y préparent avant
de réclamer l’indépendance. Traité de « valet du colonialisme » par des
adversaires à qui il manquait de vision pour le pays, il eut du mal, dans
un océan de haine, de précipitation et de démagogie, à expliquer que,
son père, le Sultan Saïd Ali étant destitué et exilé traîtreusement par des
agents de la France, il n’avait aucune raison particulière de faire preuve
de complaisance envers ce dernier pays. À juste titre, Sultan Chouzour
voit en lui un « notable distingué et fin lettré »1.
- Saïd Ali Saïd Tourqui : « Il a fait ses études secondaires à l’École Normale
de Tananarive. Il a achevé des études de Droit à Aix-en-Provence et
Paris, où il devient licencié ».
- Saïd Bakar Saïd Tourqui : « Il est d’abord un médecin, et même le premier
chirurgien comorien formé dans la section médicale de l’école Le Myre
de Vilers ».
- Saïd Mohamed Saïd Tourqui : « Il fait des études dans le lycée Gallieni
(Tananarive) avant d’entrer dans l’administration comorienne en 1959 ».
De nombreux dirigeants comoriens de cette période de l’autonomie interne
n’ont pas donné d’indication sur la nature de leurs études et des diplômes qui
viennent consacrer celles-ci, si tant est qu’ils ont fait des études et obtenu de
diplômes. Parmi ceux que répertorie Mahmoud Ibrahime, nous retrouvons :
Abdou Bakari Boina, Ahmed Dahalane, Saïd Omar Dahalani, Saïd Salim
Dahalani, Ahmed Djoumoi, Mohamed Hassanaly, le Prince Saïd Housseïn,
le Prince Saïd Mohamed Jaffar, Saïd Ali Youssouf, etc.
Madagascar formait la plupart des cadres comoriens de l’époque coloniale,
et sur cette île, un établissement a joué un rôle fondamental sur la formation
de cette jeunesse : l’école Le Myre de Vilers. Pour en comprendre la raison,
il faudrait commencer par prendre en compte la composition de cette école :
« Curieusement, les témoins disent souvent que les études de médecine se
font à la section médicale de l’École Le Myre de Villers à Tananarive. En
fait, cette dernière, comme l’École William Ponty à Dakar, est composée de
trois sections : la section administrative, l’École normale, qui forme les
instituteurs, et la section médicale, qui prépare à l’entrée à l’École de méde-
cine. Le Myre de Vilers commence à accueillir les élèves comoriens dans la
section administrative au début des années 1920, et formera une grande
partie des cadres comoriens »2.
La plupart des responsables de la génération d’avant l’indépendance et qui
ont, parfois, été en service pendant la première ou la deuxième décennie de
la décolonisation des Comores ont été formés à Madagascar, et souvent, à
l’École Le Myre de Vilers. Les diplômes de cette époque manquent parfois

1 Chouzour (S.) : Le pouvoir de l’honneur. Tradition et contestation en Grande-Comore, op.


cit., p. 229.
2 Ibrahime (M.) : Saïd Mohamed Cheikh (1904-1970). Parcours d’un conservateur. Une

histoire des Comores au XXème siècle, op. cit., p. 64.

405
de précision, et les cadres de cette époque n’étaient pas vraiment soucieux de
faire des études supérieures très poussées comme cela sera le cas à partir des
années 1970.

C.- DES DIPLÔMES MODESTES REFLÉTANT LE NIVEAU CULTUREL DE LA


PÉRIODE CONSIDÉRÉE
À chaque époque correspond un niveau culturel et technique donné. Dès
lors, il aurait été illusoire de tenter de comparer ce niveau à travers deux
périodes différentes. Le phénomène n’est pas propre aux Comores, puisque
tous les autres pays accédant à l’indépendance ont connu un faible niveau de
formation des cadres pendant la période coloniale, niveau qui doit connaître
une sensible accélération au lendemain de la décolonisation.
Élargissons les horizons de notre étude et de ses perspectives, et servons-
nous de l’exemple du Maroc, un pays qui peut être d’une grande utilité pour
comprendre la similitude qui existe en matière de formation dans différentes
possessions françaises en Afrique. D’emblée, il faudra noter qu’au moment
de son accession à l’indépendance, le Maroc était l’un des très rares pays du
Tiers-monde qui disposait d’une classe politique prête à assumer nombre de
responsabilités administratives, et même certaines fonctions techniques, en
dépit de la faiblesse des effectifs des élèves et étudiants sous le protectorat.
Il faudrait signaler que, « quand est imposé le Traité du 30 mars 1912
instaurant le protectorat de la France sur le Maroc, ce dernier pays compte
3 millions d’habitants. Seul un enfant sur six est scolarisé. En 1914, les
écoles franco-arabes comptent 2.853 élèves, essentiellement des enfants de
soldats et de notables favorables à la France et “des fils de miséreux qui
profitent surtout de la cantine”1.
On compte 6.000 écoliers en 1925, contre 8.000 en 1930, 22.000 en 1938,
35.000 en 1945, et surtout 110.000 en 1950 et 206.000 en 1955. On comptait
également, en 1946, quelque 3.300 élèves dans les collèges et lycées du pays
et 150 étudiants marocains en France. Le nombre des bacheliers est passé
de 33 en 1945, à 87 en 1950 et 155 en 1955 »2.
Ces chiffres sont faibles au regard de l’ensemble de la population du pays
à cette époque ; cependant, il y avait déjà de nombreux cadres bien formés
pour occuper des fonctions dans plusieurs domaines de l’activité étatique.
Aux Comores, le nombre des cadres formés était très faible. Mais, il faudra
reconnaître que cette faiblesse reflétait parfaitement la situation générale de
cette époque. Plus intéressant encore, jamais aux Comores, il n’y a eu autant
d’administrateurs compétents qu’au cours de la période coloniale. Autrement
dit, la qualité compensait la quantité, contrairement à l’époque actuelle, au
cours de laquelle la quantité est obtenue mais au détriment de la qualité. Ceci

1 Dalle (Ignace) : Le règne de Hassan II 1961-1999. Une espérance brisée, Maisonneuve &
Larose et Tarik Éditions, Paris et Casablanca, 2001, p. 45.
2 Riziki Mohamed (A.) : Ce que le Maroc doit au Roi Hassan II, op. cit., p. 107.

406
est d’autant plus vrai que de la période coloniale à la période actuelle, il ne
fait pas de doute que le nombre de cadres a été sensiblement multiplié, mais
la quantité en pâtit.
Bien évidemment, les caricatures ne manquent pas sur les administrateurs
de la période coloniale, mais il s’agit d’une grande erreur. L’un d’un cas les
plus édifiants à citer à ce sujet est celui précité de Mikidache Abdou Rahim,
formé à l’époque coloniale, mais qui avait été par la suite le responsable de
la formation aux techniques administratives de nombreux cadres comoriens
pourtant beaucoup diplômés que lui. Parmi eux, il y a l’Ingénieur mohélien
Bianrifi Tarmindhi, seul Comorien à ce jour diplômé de la prestigieuse École
Hassania des Travaux publics de Casablanca, au Maroc, et Premier ministre
des Comores au début des années 2000. Fort d’une solide formation et d’une
solide expérience, Mikidache Abdou Rahim lui dictait même le courrier pour
qu’il en comprenne les techniques et les subtilités. Bianrifi Tarmindhi n’était
pas le seul cadre de haut niveau à avoir bénéficié des enseignements et de
l’expérience de Mikidache Abdou Rahim.
Quand avait éclaté la grave crise séparatiste à Anjouan le 16 février 1997,
cette île allait donner du fil à retordre à l’État comorien, et cela, jusqu’au 25
mars 2008, suite au débarquement militaire sur cette île. Les administrateurs
anjouanais formés au cours de la période coloniale avaient pris en charge les
jeunes de leur île confrontés à des exigences administratives dépassant leurs
compétences, et il n’est pas rare d’entendre des Comoriens dire qu’Anjouan
a les cadres administratifs les plus compétents du pays.
Pourtant, les administrateurs de la période coloniale sont considérés par le
fougueux révolutionnaire Ali Soilihi comme des parasites incompétents. Pis,
toutes sortes de caricatures circulaient sur ces administrateurs pour accréditer
l’idée forcément malveillante selon laquelle il suffisait de connaître la langue
française pour réussir sur le plan professionnel, et c’est une idée « [...] qui
signifie : “Apprends le français, tu seras derrière un bureauˮ (et tu gagneras
beaucoup d’argent sans rien faire) »1.
Le dénigrement des cadres formés au cours de la période coloniale et ayant
acquis leur expérience pendant cette époque était tellement poussé que le chef
de la Révolution ainsi que les Jeunes Révolutionnaires ne manquaient jamais
une occasion pour fustiger ces administrateurs irremplaçables à tous points de
vue. Lors de la réunion des secrétaires généraux en date du 15 mars 1976 sur le
Pouvoir populaire, l’administration de base, les changements à apporter dans
les pratiques coutumières et la politique étrangère, Ali Soilihi avait déclaré avec
fracas et mépris : « Nous avons convenu ensemble que, dans l’état actuel de
cette administration, elle ne peut pas jouer ce rôle qui doit être le sien, d’abord
parce que les structures administratives sont mal adaptées, et qu’en plus,
souvent, les hommes mêmes qui les servent sont dépassés. Ceci, nous l’avons

1Bouvet (Henri) : Les problèmes de formation dans la République fédérale islamique des
Comores, APOI 1984-1985, publié en 1989, p. 123.

407
dit dans un esprit d’honnêteté qui, bien sûr, nous guide toujours ensemble et
nous avons pensé instaurer un système de tests qui permettrait la sélection des
responsables de l’administration de base. Ce test a été réalisé hier. J’ignore les
résultats, peut-être dans quelques jours, on les connaîtra, peut-être il faudra
des tests supplémentaires qui puissent faire ressortir les qualités humaines de
chacun, encore que ce soit très compliqué.
Mais en tout cas, le test principal est fait, et ensemble, ou lorsque la Fonction
publique nous aura donné les résultats, nous les étudierons cas par cas et nous
verrons ensemble s’il est nécessaire de prévoir des tests supplémentaires qui
permettront de faire ressortir des qualités qui ont souvent du mal à apparaître
à travers des examens écrits »1.
Deux remarques s’imposent. D’une part, Ali Soilihi appartient à la génération
de fonctionnaires qu’il fustige, a été formé par la France comme les cadres qu’il
a l’habitude de dénigrer, se considère comme le meilleur pendant que les autres
fonctionnaires représentent ce qu’il y a de pire. Comment croit-il échapper à un
héritage culturel qui serait une malédiction quand il s’agit des autres, mais une
bénédiction quand il s’agit de lui-même ? Comment pouvait-il se considérer
comme le seul rescapé d’une génération de naufragés sociaux, intellectuels et
idéologiques ? D’autre part, au nom de quoi Ali Soilihi pouvait-il pousser la foi
en sa Révolution jusqu’à faire passer des « tests » à des vrais administrateurs
par des collégiens tout juste soucieux de courir derrière les jeunes filles et qui
ne savaient que réprimer et humilier la population dans les villages ?
Le retour en grâce des administrateurs de la période coloniale ne signe pas
seulement le rejet total et définitif des collégiens incompétents et violents ; il est
aussi la reconnaissance d’un talent méprisé durant la Révolution par un État qui
était embryonnaire et qui aurait gagné à capitaliser les ressources humaines du
pays dans leur totalité à un moment de pénurie en la matière. La grande erreur
qu’avait commise Ali Soilihi en la matière, c’est qu’il n’avait pas organisé une
transition générationnelle, mais avait voulu purement et simplement faire naître
une génération par enterrement d’une autre, en procédant par un nettoyage par
le vide, une formule chère aux dirigeants comoriens.
Il est vrai que les diplômes obtenus par les cadres comoriens de la période de
l’indépendance étaient modestes, mais jusqu’au régime politique de Mohamed
Taki Abdoulkarim, même les plus diplômés des jeunes ministres recouraient
aux « dinosaures », malgré l’avènement sur la scène publique de jeunes sortant
de l’Université avec des références intellectuelles beaucoup plus importantes et
impressionnantes. En septembre 1992, Bacar Ahmed Kassim m’expliquait que
le ministre Madi Ahamada, formé en Finances publiques à Dakar, Sénégal, et
futur vice-gouverneur de la Banque centrale des Comores, l’avait supplié pour
qu’il soit le Directeur de son Cabinet. Bacar Ahmed Kassim me disait qu’il ne
souhaitait qu’une seule chose : profiter de sa retraite, après avoir fait carrière

1 Vérin (E. et P.) : Archives de la révolution comorienne 1975-1978. Le verbe contre la


coutume, op. cit., pp. 88-89.

408
dans l’administration depuis l’époque coloniale, au cours de laquelle il avait pu
bénéficier de sa formation d’administrateur civil. Pourtant, en 1992, les rues
des villages et villes des Comores pullulaient de jeunes Comoriens diplômés de
l’Université.

§2.- LES DIRIGEANTS DE LA PÉRIODE DE L’INDÉPENDANCE


Les dirigeants comoriens de la période de l’indépendance ont plus de titres
universitaires que leurs aînés. Pour autant, on constate une prévalence de la
carence du capital culturel (A.) et en même temps une amélioration même
insuffisante de ce capital culturel (B.).

A.- PRÉVALENCE DE LA CARENCE DU CAPITAL CULTUREL


L’accession des Comores à l’indépendance le 6 juillet 1975 a-t-elle permis
de mettre fin aux problèmes de capital culturel dans ce pays ? On ne saurait
répondre affirmativement à la question posée. En effet, le pays est placé sous
l’autorité de dirigeants dont le niveau intellectuel est très faible. Pour nous
en rendre compte, il suffirait à peine de nous intéresser à la formation des
chefs d’État comoriens :
- Ali Soilihi : Agronome présenté comme « Ingénieur agronome », mais qui
ne l’était pas en réalité, nonobstant sa formation dans ce domaine.
- Ahmed Abdallah Abderemane : Il n’a pas fini ses études secondaires, et se
présentait lui-même comme un « illettré ».
- Saïd Mohamed Djohar : Ancien instituteur entré en politique à la faveur de
ses vieilles relations personnelles avec Saïd Mohamed Cheikh et Ahmed
Abdallah Abderemane. Il devint président de la République par intérim à
la suite de l’assassinat d’Ahmed Abdallah Abderemane alors qu’il était
président de la Cour suprême et a été confirmé à la tête de l’État par une
fraude électorale organisée par le gouvernement qu’il avait hérité de son
prédécesseur, le chef d’orchestre du trucage ayant été Omar Tamou, le
truculent et sémillant ministre de l’Intérieur de l’époque.
- Mohamed Taki Abdoulkarim, Ingénieur des Travaux publics. Entré très tôt
en politique, « prédestiné » et né pour régner les Comores selon tous les
« oracles » consultés à ce sujet. Alors étudiant au Maroc, j’avais appris
d’un Grand-Comorien dont le père était l’ami et l’allié de longue date de
« l’enfant chéri » de Mbéni et du Hamahamet que ce dernier n’allait
jamais diriger les Comores. Mohamed Taki Abdoulkarim n’exerça pas
longtemps son métier d’Ingénieur des Travaux publics, dans la mesure
où peu après son retour aux Comores, il est entré en politique. Malgré sa
naissance dans un milieu très conservateur à Mbéni, il a été le premier
dirigeant comorien à avoir déclaré en public que la vieille garde formée
de notables devait céder la place aux jeunes cadres, plus diplômés. Ce
fut un grand scandale. Saïd Mohamed Djohar, qui ne le portait pas sur
son cœur et qui ne s’en cachait nullement, parle des « premières bavures

409
de Mohamed Taki Abdoulkarim » : « Après sa formation, il est rentré
aux Comores et a été nommé Directeur adjoint au ministère de l’Énergie
et des Travaux publics. Pour manifester leur joie, ses concitoyens de
Hamahamet ont organisé des festivités auxquelles ont été invités des
représentants des villes et villages de la Grande-Comore ainsi que les
membres du gouvernement, dont je faisais partie comme ministre de la
Fonction publique »1. Mahmoud Ibrahime complète le récit : « À son
arrivée aux Comores, un grand déjeuner est organisé en son honneur
dans sa ville natale. Il y invite les fonctionnaires et leur fait un discours
moral sur le rôle sur le Conseil de gouvernement. Il demande ainsi que
les postes de ministres soient occupés par des hommes plus compétents.
“Tsasi ridja” (“nous voici arrivés”) aurait-il déclaré.
La critique atteint son destinataire. Saïd Mohamed l’affecte à Anjouan
en tant que Directeur des Travaux publics. Mais dans la subdivision, il
entre en contact avec l’homme fort de l’île : Ahmed Abdallah. Il travaille
sur le tracé des routes à Anjouan »2. Cette affectation constituait tout
simplement une sanction à caractère politique et social.
- Tadjidine Ben Saïd Massounde. Il était le beau-frère d’Ahmed Abdallah
Abderemane. Il fut propulsé à la tête de l’État comorien à la suite de la
mort dans des conditions mystérieuses de Mohamed Taki Abdoulkarim
le 6 novembre 1997. Il avait été chassé du pouvoir le 30 avril 1999 par
Assoumani Azali.
Il a fait ses études secondaires à Madagascar avant de faire son entrée à
l’École des Services extérieurs du Trésor français (Paris), d’où il sort
avec le diplôme d’Inspecteur des Finances. Par la suite, il occupe divers
postes de responsabilité : ministre des Finances et du Commerce sous la
Révolution d’Ali Soilihi ; premier fondé de pouvoir au Trésor Public, et
par la suite Directeur des Finances sous la présidence d’Ahmed Abdallah
Abderemane ; Trésorier payeur général (TPG) sous Ahmed Abdallah
Abderemane et au début de la présidence de Saïd Mohamed Djohar ;
ministre des Finances et du Budget puis Délégué à la Présidence de la
République chargé des Finances sous Saïd Mohamed Djohar ; Premier
ministre de Mohamed Taki Abdoulkarim ; président du Haut Conseil de
la République et chef d’État par intérim à la mort de Mohamed Taki
Abdoulkarim. Il a eu une des carrières les plus cohérentes aux Comores,
ayant travaillé avec tous les chefs d’État comoriens qui l’ont précédé. Sa
formation d’Inspecteur des Finances l’a beaucoup aidé pour avoir un tel
parcours professionnel, et il ne fait pas partie des acteurs politiques qui
sont considérés comme ayant la redoutable et détestable habitude de

1 Djohar (S. M.) : Mémoires du Président des Comores. Quelques vérités qui ne sauraient
mourir, op. cit., p. 127.
2 Ibrahime (M.) : La naissance de l’élite politique comorienne (1945-1975), op. cit., pp. 166-

167.

410
« manger à tous les râteliers », habitude qui a été constatée chez les plus
méprisables et les plus indignes des acteurs politiques comoriens.
- Assoumani Azali. Il est l’archétype des soudards que Philippe Leymarie
classe dans la catégorie des « brutes galonnées »1 qui ont tant endeuillé
l’Afrique depuis le début des années 1960. Formé à l’Académie Royale
militaire de Meknès au Maroc, il a toujours fait preuve d’une vénalité à
faire mourir de honte le plus corrompu des dictateurs africains, et d’une
incompétence à faire baisser le front au plus médiocre des chefs d’État
africains qui ne se distinguent que par leur concussion, leur prévarication
et leur incurie. Il bénéficiera d’un complément de formation en France,
mais tout en restant dans la médiocrité. Cette nullité se ressent surtout
quand il s’exprime en français, en confondant le masculin et le féminin,
le singulier et le pluriel, et quand il dit n’importe quoi.
En janvier 2016, à quelques jours du commencement de la campagne
électorale en vue du scrutin présidentiel, il était l’invité de la journaliste
Patricia Drailline, sur la chaîne de télévision panafricaine Télésud.
Quand Patricia Drailline l’interrogea sur son programme électoral, après
lui avoir perfidement signalé qu’il n’incarnait pas le renouveau aux îles
Comores, Assoumani Azali a été d’une médiocrité tellement immense et
profonde que même ses adversaires et ses détracteurs avaient honte à sa
place. Incapable de laisser passer un insipide et monocorde discours
débile d’autosatisfaction infecte et d’autoglorification inconvenante, la
journaliste finit par lui lancer dans un soupir de profonde lassitude, pour
ne pas dire de colère : « Concrètement, parce que vous ne dites pas votre
programme ! ».
Médusés et profondément scandalisés, les téléspectateurs entendirent et
virent Assoumani Azali se lancer dans des divagations d’une incroyable
incohérence, dans un français tout simplement horrible et horrifiant :
« Concrètement, nous avons un programme intitulé en trois points. La
sécurité, la sécurité des personnes. C’est un point très essentiel aux
Comores, puisque la situation qu’on vit aujourd’hui où la situation
qu’on a mise en place, c’est à la suite de crises séparatistes très
profondes qui ont eu à Moroni, qui ont failli éclater le pays et que,
effectivement, on a mis ce système pour aller à ce système-là, et il a fallu
effectivement œuvrer pour la paix et la sécurité du pays. Deux, en
deuxième point, cette sécurité, elle ne peut tenir que si les problèmes
socioéconomiques sont résolus, et il y a beaucoup à faire dans ce
domaine-là ». Le « sociologue “bourdieusienˮ » d’Assoumani Azali, de
Levallois Perret, où il sévissait avant d’aller se faire fourvoyer dans
« l’odieux-visuel » comorien, s’était échiné pendant de longues semaines
à vouloir supprimer sur Internet les enregistrements étalant la médiocrité
et l’insipidité de son maître, mais n’arrivant qu’à se faire ridiculiser et

1 Leymarie (Ph.) : Du « pacte colonial » au choc des ingérences, op. cit., pp. 14-15.

411
s’exposer au mépris des Comoriens. En décembre 2016, j’en parlais à un
journaliste de Télésud, qui me signala que le putschiste et ses Comoriens
de la région parisienne avaient vigoureusement réagi contre « l’attitude
agressive et hostile » de la journaliste.
Pour impressionner son auditoire en conseil des ministres ou au sein de
son parti politique, Assoumani Azali aime répéter les mots « stratégie »
et « tactique », avant de se lancer dans des propos décousus commençant
systématiquement par « à l’École de Guerre, j’ai appris que… ». Il ne
peut qu’impressionner ceux qui ne savent pas que même comme soldat,
il ne vaut rien. Sa déplorable image reste définitivement liée à la honte
constituée par sa fuite de chef d’État-major de l’Armée comorienne face
à Robert « Bob » Denard et ses mercenaires le 28 septembre 1995, lors
du renversement de Saïd Mohamed Djohar, avant d’aller se réfugier en
slip à l’ambassade de France aux Comores. S’en ajoute le fait que, lors
de « son » coup d’État du 30 avril 1999, chaque fois que ses militaires
allaient le voir pour lui dire qu’il était temps de passer à l’action, ils le
trouvaient assis sur un tapis de prière ! Le coup d’État se fit donc sans
lui, mais il en fut le principal bénéficiaire. Une fois installé au pouvoir, il
s’est employé à détruire l’Armée par une criminelle politisation, rendant
celle-ci une simple institution tribale et familiale, faisant former l’un de
ses enfants à Meknès, là où lui-même n’apprit que « la pâtisserie pour
militaires », selon ses détracteurs. Mon éternelle question sur le sujet est
très simple : comment un soldat qui a échoué dans le domaine militaire
peut réussir en matière politique, dans la conduite des affaires de l’État,
qui réclament, comme partout ailleurs, une grande expertise ?
Sa haine du capital culturel l’a conduit à vouer une solide détestation aux
Comoriens les mieux formés et les plus compétents, ne choisissant dans
son entourage que des tricheurs et des voleurs, dont certains se déclarent
« juristes », mais spécialisés dans l’ignorance et le pervertissement de la
Loi. Ses ignorants préférés sont : le fraudeur pervers et ignominieux qui
répond au nom de Hamada Madi Boléro, le grand trabendiste de visas
Schengen, connu pour son passé de pédophilie au Lycée de Moroni, et le
mercenaire Nourdine Abodo, le « juriste » autoproclamé.
- Ahmed Sambi : Théologien et prédicateur formé essentiellement en Arabie
Saoudite et en Iran.
- Ikililou Dhoinine : Premier président comorien originaire de Mohéli, il a
fait ses études en Pharmacie à Conakry, Guinée. Mais, sa grande nullité
intellectuelle lui vaut d’être accusé d’avoir usurpé son titre de Docteur
en Pharmacie et d’être un simple « préparateur en Pharmacie ».
Le 26 septembre 2010, sur www.moheli2010.com, mon premier site de
combat politique, je publiais sous pseudonyme un article repris par toute
la blogosphère du pays à l’époque, et même par des médias étrangers.
Cet article, intitulé « L’excellence mohélienne », rédigé sans la moindre
fausse modestie, surtout à un moment où la tenue de l’élection devant

412
porter un Mohélien à la tête de l’État avait été conflictuelle. Néanmoins,
cet article ne comporte aucune exagération en faveur de Mohéli.
L’excellence mohélienne
L’île de Mohéli n’a pas la classe politique qu’elle mérite. C’est un fait. Un fait
incontestable. Un fait affligeant.
Ce fait incontestable et affligeant devient un facteur de frustration et de rage quand
on voit sévir sur la scène politique mohélienne Abdallah Saïd Sarouma, dit
Chabouhane, dit Baguiri et autres sobriquets – je le vois encore porter des menottes,
sur ordre du Procureur général de la République, suite à une énième escroquerie
commise à Moroni – et Mohamed Saïd Fazul – qui a ruiné le Collège islamique de
Fomboni, le Gouvernorat et la Présidence de l’Île autonome de Mohéli.
Pourtant, Mohéli ne se résume pas à des individus de cet acabit. Mohéli, ce n’est
pas seulement des politiciens puant la naphtaline, ayant passé leur carrière à vendre
ce qui ne leur appartient pas, quand il s’agit des intérêts légitimes de l’île que
d’aucuns marchandent comme de vulgaires marchandises au marché de Volo-Volo.
Mohéli, ça peut être autre chose, et mieux que ces individus grossiers, portés sur la
trivialité de leurs actes et pour leurs propos prosaïques quand il s’agit de s’adresser
aux Mohéliens, leurs électeurs. L’élection présidentielle de novembre et décembre
2010 permet de le constater car, ce qu’on n’a pas encore dit de ce scrutin qui doit
porter à la tête de l’État comorien un Mohélien, c’est le niveau intellectuel et
l’expérience professionnelle de certains candidats en présence. À la Grande-
Comore et à Anjouan, on continue à considérer que Mohéli, c’est du menu fretin,
une quantité négligeable.
Or, il faudra bien reconnaître que cette petite île de 290 km², peuplée de 35.000
habitants aligne, en 2010, les candidats ayant le profil intellectuel et professionnel
le plus élevé depuis que les Comores organisent des élections. Aucune autre île n’a
fait mieux que Mohéli. Que cela ne nous étonne pas car aux Comores, c’est Mohéli
qui détient la proportion de diplômés la plus élevée par rapport au nombre
d’habitants, même si nous devons prendre en compte les Anjouanais installés sur
l’île – généralement analphabètes – que le système social mohélien ne permet pas
de considérer comme des Mohéliens. Que les choses soient claires de ce côté, et
qu’on n’oublie pas que chaque île a sa propre organisation sociale, ses codes et ses
ressorts intimes.
En effet, parmi les candidats à cette élection, nous recensons un ancien président de
la République par intérim (Hamada Madi Boléro), deux anciens Premiers ministres
(Bianrifi Tarmindhi et Hamada Madi Boléro), un ancien Vice-président de la
République (Mohamed Hassanaly), un Vice-président encore en exercice (Ikililou
Dhoinine), un ancien Président et ancien Gouverneur de l’Île autonome de Mohéli
(Mohamed Saïd Fazul), le premier ministre de la Défense des Comores
indépendantes (Saïd Dhoifir Bounou), un ancien Président de l’Assemblée
nationale (Saïd Dhoifir Bounou), des parlementaires (Abdou Djabir, Saïd Dhoifir
Bounou, Saïd Mohamed Ben Cheikh, Abdallah Saïd Sarouma, Bianrifi Tarmindhi),
etc.
De la même façon, sur la liste de candidats à la présidence ou à la vice-présidence,
nous comptons un Docteur en Médecine (Nakib Ali Mbaraka), un Docteur en
Médecine dentaire (Abdoulhakim Ben Allaoui), un Docteur en Pharmacie (Ikililou
Dhoinine), un Docteur en Droit (Abdou Djabir), un Docteur en Philosophie (Fouad

413
Ben Mohadji), un Ingénieur civil (Bianrifi Tarmindhi), une Professeure
d’Éducation physique (Mme Zaharia Saïd Ahmed), un spécialiste d’Urbanisme et
d’Aménagement du Territoire (Mohamed Larif Oukacha), un professeur d’Histoire
et Géographie (Saïd Dhoifir Bounou), etc. Plus intéressant encore, dans l’Histoire,
le premier candidat comorien ayant présenté le profil intellectuel le plus élevé est
également mohélien. Il s’agit d’Ahamada Wafakana Mohamed Souef, dont le père,
Mohamed Soeuf, a été le premier instituteur comorien. Qu’on se le dise : Ahamada
Wafakana Mohamed Souef a été le premier Comorien à avoir obtenu un
Baccalauréat, le premier Comorien ayant obtenu un Doctorat et un Doctorat en
Médecine. Ce qui rend ridicules les prétentions de l’ancien président du Conseil de
Gouvernement Saïd Mohamed Cheikh sur son Doctorat tout à fait imaginaire et
risible.
Cette excellence mohélienne s’est réalisée dans la douleur car, pendant longtemps,
le Mohélien n’accédait pas à un poste de responsabilité – tous les présidents
comoriens veillaient à sa marginalisation – et le lycéen mohélien ne voyait des
professeurs venus des autres îles que lors des examens du Baccalauréat et du
BEPC, quand les enseignants en question infestaient Mohéli comme des mouches
pour venir faire échouer les élèves. Pourtant, malgré tous ces actes de sabotage
imprégnés de racisme insulaire, Mohéli s’affirme dans l’excellence. Dieu soit loué !

Le 13 juillet 2013, Ikililou Dhoinine avait nommé le gouvernement le plus


« diplômé », puisque, sur 10 ministres, 4 étaient Docteurs (Fouad Mohadji en
Philosophie, Abdoulkarim Mohamed en Pharmacie, El-Anrif Saïd Hassan en
Droit international public et Relations internationales, et Abdou Oussene en
Médecine), 1 Ingénieur agronome formé en Économie et Finances publiques
(Mohamed Ali Soilihi), 1 titulaire du Diplôme d’Études supérieures – DÉS
équivalent en Master 2 – en Économie (Abdou Nassur Madi).
À la lumière de ce qui précède, il est facile de constater que l’accession
des Comores à l’indépendance n’a pas résolu les immenses problèmes qui se
posent en termes de capital culturel. Cette carence est d’autant plus grave
qu’aucun des chefs d’État comorien n’est formé en gestion étatique. Ce sont
des personnes qui, dans une très large mesure, n’ont aucune culture générale,
ni culture politique, ni culture d’État. Ces personnes sont arrivées au pouvoir
par coups d’État (Ali Soilihi, Ahmed Abdallah Abderemane et Assoumani
Azali), par hasard (Saïd Mohamed Djohar, Tadjidine Ben Saïd Massounde et
Ikililou Dhoinine), par l’usage habile qu’elles font de la fonction tribunitienne
et leur capacité à se poser en sauveurs dans un pays détruit par l’incurie
indécente et la concussion malsaine des dirigeants sortants du fait de la
transition politique (Mohamed Taki Abdoulkarim et Ahmed Sambi), et par la
fraude électorale indécente, malséante et grossière (Saïd Mohamed Djohar et
Assoumani Azali).
Dans le cas d’Ikililou Dhoinine, j’ai déjà noté que le 13 juillet 2013, il
avait constitué le gouvernement le plus « diplômé » du pays. Pour autant, il
ne faudrait pas perdre de vue que les critères de compétence n’entraient pas
en ligne de compte lors de ce choix. Le copinage avait été le facteur le plus
important en la matière. Pour ne citer que quelques exemples, au demeurant

414
très éloquents, Abdoulkarim Mohamed, qui avait soutenu à Rabat sa Thèse
de Doctorat en Pharmacie sous mes yeux, devait sa nomination contestable
et très contestée à la tête de la diplomatie comorienne à son copinage entre
pharmaciens avec Ikililou Dhoinine. D’ailleurs, les deux complices allaient
se retrouver lors de la destruction de la Pharmacie nationale autonome des
Comores (PNAC), et cela, avant la nomination du garçon de Djankagnoi, au
Sud de la Grande-Comore, pour diriger à la dérive le ministère des Relations
extérieures. Cette disparition de la PNAC a été orchestrée et réalisée avec la
complicité d’un autre pharmacien, formé à Conakry au même moment que le
futur chef des Mohéliens de Beït-Salam : Badaouia Mohamed Fakih, qui
sera nommé chef de la mission diplomatique des Comores en Tanzanie, où il
s’illustra par des trafics de visas Schengen avec Saïd Ahmed Saïd Ali, un des
animateurs haineux de la « communication Facebook » d’Assoumani Azali
au lendemain du 26 mai 2016. Les deux individus sont originaires de la ville
de Ntsoudjini, Grande-Comore.
De temps à autre, quelques cadres de haut niveau sont nommés ministres,
dans des départements où ils n’ont aucune expertise, ni compétence et dans
lesquels ils étalent leur médiocrité et leur vénalité. Or, au Maroc, certains des
diplomates les plus emblématiques ont été des médecins de formation, dont
Youssef Ben Abbès Taarji (ambassadeur à Paris de 1972 à 1990) et Moulay
Ahmed Laraki. Il n’est pas superfétatoire de signaler que Moulay Ahmed
Laraki, titulaire d’un Doctorat en Médecine obtenu à Paris en 1957, avait été
nommé chef de la diplomatie marocaine du 6 juillet 1967 au 7 octobre 1969
et du 25 avril 1974 au 10 octobre 1977. L’intéressé explique le choix porté
sur lui lors de son entrée en diplomatie, avant de la diriger : « “Je voulais
poursuivre une carrière de médecin mais Mohammed V m’a dit ceci : ‘Pour
me soigner, je peux toujours faire appel à des médecins français ou
espagnols. Mais, je ne peux pas me faire représenter par des étrangers à
l’international’”, raconte Moulay Ahmed Laraki, ministre des Affaires
étrangères en 1967 puis en 1977 »1.
Aux Comores, les critères de compétence sont rarement pris en compte
lors des nominations. C’est ce qui explique le fait qu’à la date du 20 août
2018, le pays n’a jamais été dirigé par des personnalités formées en Droit
international et Relations internationales. Lors de l’autonomie interne, les
Comores avaient pour président du Conseil de Gouvernement du 2 avril 1970
au 16 juillet 1972 le Prince Saïd Ibrahim. Malgré la modestie des études
supérieures à son époque, il reste le meilleur dirigeant du pays. À ce jour,
aucun autre dirigeant comorien ne peut l’égaler en termes de gouvernance,
de vision pour le pays et de sérieux dans la conduite des affaires de l’État.
Même en 2018, malgré le nombre important des diplômés de l’Université
qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi, les Comores demeurent

1Bennani (Driss) : Enquête. Voyage au cœur de la diplomatie marocaine, TelQuel n°513,


Casablanca, 10-16 mars 2012, p. 24.

415
livrées à des charlatans qui infestent les bureaux, mais qui ne sont d’aucune
utilité pour leur pays. Le plus souvent, les dirigeants comoriens nomment
des affidés d’une médiocrité culturelle, intellectuelle et professionnelle totale
et soulevant la colère du peuple comorien.
L’Assemblée fédérale, sous Ahmed Abdallah Abderemane, a été dirigée
par un analphabète qui était incapable de lire un discours écrit. Presque tous
les membres de la Cour constitutionnelle sont des charlatans n’ayant aucune
connaissance du Droit et n’ayant jamais étudié cette matière. Même en 2018,
à leur instar de leur chef Assoumani Azali, des ministres sont incapables de
faire une phrase en français et parlent ce que les Mohéliens appellent avec le
mépris le plus profond du « français manioc », dans un pays francophone.
De manière générale, ces dirigeants au rabais font honte au peuple comorien.
Quand on compare le vrai profil des ministres, on remarque que ceux de la
période de l’autonomie interne avaient un niveau beaucoup plus correct que
ceux de la période actuelle, malgré le nombre plus élevé de cadres diplômés
de l’Université, des Grandes Écoles et des Instituts supérieurs aujourd’hui.

B.- AMÉLIORATION MÊME INSUFFISANTE DU CAPITAL CULTUREL


Le temps a fait son œuvre. Les Comores ne sont pas restées au stade de
« l’État lycéen » et de la « République des imberbes »1, le régime politique
d’Ali Soilihi, qui faisait la part belle au manque des ressources humaines, du
capital culturel et des cadres supérieurs, sans expérience professionnelle. Les
années sont passées, et les Comores ont formé des milliers de diplômés de
l’enseignement supérieur. Le Maroc à lui seul a formé des milliers de jeunes
Comoriens, qu’on retrouve dans toutes les administrations de leur pays. Aux
Comores, il n’y a pas une seule administration qui n’a pas en son sein ses
« Marocains », ces jeunes Comoriens formés au Maroc.
Mais, les diplômés comoriens de l’enseignement supérieur qui font leurs
études à l’étranger sont formés dans plus de 20 États étrangers, dont certains
sont très dangereux pour le devenir des jeunes qui en « bénéficient ». Ceux-ci
deviennent, dans certains cas, des terroristes internationaux, et d’autres
rentrent dans leur pays en contestant ouvertement le Sunnisme et même le
rite chaféite, qui ont toujours été au centre de la vie sociale et religieuse du
pays. Ils sont profondément détestés par la population locale.
La quantité y est, mais, s’agissant de la qualité, le problème reste entier.
Les Comores ont formé des tas d’incompétents, qui ne servent à rien. Il est
édifiant de remarquer que les jeunes cadres comoriens sont confrontés à une
série de problèmes : ils peuvent avoir les diplômes sans la connaissance et
l’expertise, ils n’ont aucune capacité de proposition et d’innovation, ils se
contentent de reproduire et de faire perpétuer les méthodes malheureuses qui

1 Toihiri (Mohamed) : La République des imberbes (Roman), L’Harmattan, Collection

« Encres Noires », Paris, 1985 (228 p.).

416
ont fait le malheur de leur pays, sans se poser des questions et sans avoir des
problèmes de conscience, soit par lâcheté, soit par esprit carriériste, soit par
négligence. Nous ne le dirons jamais assez : la quantité est obtenue, mais au
détriment de la qualité.
De formation administrative à la base (1986-1990 et 1992-1995), quand je
me suis rendu aux Comores en 1992, 2015 et 2016, dès que j’entre dans une
administration du pays, je ne peux nullement m’empêcher d’observer le
travail effectué par les fonctionnaires et agents de l’État. Que vois-je ? Je
vois des personnes qui arrivent en retard au travail et n’exécutent aucune
tâche particulière. Quand elles se donnent la peine d’être présentes à leurs
bureaux, elles lisent des journaux locaux, insipides, et dont les feuilles sont
pleines de fautes de français, et commentent l’actualité politique. Je ne vois
aucun dossier posé devant un squatteur de bureau, je ne vois personne traiter
un dossier. Mais, à la fin du mois, tout le monde revendique un salaire.
Cependant, quand je me rends au ministère des Affaires étrangères, je me
retrouve devant des bureaux pris d’assaut par des centaines de Comoriens,
pour la certification de documents administratifs destinés à des membres de
leurs familles en France, pays où 90% des « papiers » qui sont présentés par
les Comoriens sont des faux ! Les Comoriens sont les plus producteurs et
usagers de faux « papiers » en France.
Le retour au pouvoir d’Ahmed Abdallah Abderemane, suite au putsch du
13 mai 1978, ne s’est pas seulement accompagné du retour en grâce de tous
les administrateurs locaux de la période de l’autonomie interne, eux qui ont
été la cible régulière et expiatoire de la Révolution d’Ali Soilihi ; il présente
aussi l’avantage d’avoir pris toute la mesure des carences des Comores en
matière de ressources humaines. Cela étant, dès la rentrée universitaire 1978-
1979, le gouvernement comorien a favorisé la formation supérieure de toute
une jeunesse assoiffée de savoir et capable de réussir dans les universités des
pays étrangers. En même temps, le gouvernement créa à Mvouni, non loin de
la capitale Moroni, l’École nationale d’Enseignement supérieur (ÉNES), qui
a donné ses preuves de crédibilité, grâce à un encadrement pédagogique de
professeurs comoriens, français, belges et canadiens.
Les résultats ne se firent pas attendre. En quelques années, et déjà sous la
présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane, les Comores virent rentrer dans
leur pays de nombreux cadres bardés de diplômes et d’expertise, même si le
climat politique de l’époque maintenait à la marge les plus progressistes, qui
étaient généralement affiliés à l’ASÉC et au Front démocratique, les ennemis
jurés de la République des mercenaires. À cette époque, il y avait au sein de
l’État comorien un mélange de petits épiciers aigris et de jeunes cadres, étant
noté que les premiers, profitant du retour de la féodalité, faisaient tout pour
étouffer les seconds. Quand les jeunes diplômés ne pouvaient pas compter
sur des soutiens politiques au sein de l’appareil d’État, notamment ceux des
notables des villageois et des régions, ils étaient marginalisés, occupaient des
emplois subalternes par rapport à leurs qualifications.

417
Inversement, des Comoriens sans qualification, ni expertise, mais soutenus
par la notabilité villageoise d’Anjouan et de Grande-Comore, brillaient par
leur incompétence au sommet de l’État. Du jour au lendemain, un instituteur
anjouanais en poste à Moroni « abandonna la craie » pour devenir ministre,
sans même être consulté. Nous le savons, il s’agit d’Abdou Djaha.
C’est sous la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane que les premiers
cadres civils et militaires comoriens formés au Maroc commencèrent à faire
leurs premiers pas au sein de l’État comorien. Les administrateurs rescapés
de la période de l’autonomie interne, les petits épiciers aigris et les cadres
formés dans les universités étrangères se retrouvèrent les uns face aux autres,
se regardant en chiens de faïence, se lançant l’anathème, s’accusant de toutes
sortes de maux caractérisant les ressources humaines aux îles Comores, dont
l’inexpérience, l’obsolescence, la corruption et l’incompétence.
C’est la « gendrocratie » de Saïd Mohamed Djohar qui apporta quelques
changements au mode de recrutement et de cooptation des jeunes cadres du
pays. Cette évolution n’est pas le fruit du hasard, peu s’en faut. Emporté par
ses rêves insensés de devenir Khalife à la place du Khalife, en succédant au
vieux président Saïd Mohamed Djohar, dont il était le gendre en chef de par
son incommensurable influence, Mohamed Saïd Abdallah Mchangama avait
besoin de consolider ses assises politiques personnelles en faisant entrer au
sein de l’appareil administratif de nombreux jeunes Comoriens. Il va sans
dire que tous ceux qui sont passés entre ses mains devenaient ses obligés et
lui devaient le lancement de leur carrière. Dès qu’un jeune Comorien arrivait
à Moroni, à la fin de ses études supérieures, il n’avait qu’une seule volonté :
être présenté au gendre en chef, Mohamed Saïd Abdallah Mchangama. C’est
le cas, notamment de Hamada Madi Boléro, Ibrahim Ali Mzimba et d’autres
ambitieux incapables de faire confiance à leur profil et mérites personnels.
Du jour au lendemain, des Comoriens d’origine modeste apparurent sur
l’espace public, parfois pour le pire. Jeunesse ne rimait pas toujours avec
vertu et compétence. Certains des pires voleurs d’argent public font partie de
la bande des jeunes brigands gravitant autour du tout-puissant gendre en chef
Mohamed Saïd Abdallah Mchangama, dégoulinant d’obséquiosité devant lui
afin d’obtenir des passe-droits et des prébendes.
Lors de cette présidence controversée de Saïd Mohamed Djohar, le jeune
diplômé de l’Université subissait la hargne haineuse et le mépris des « vieux
cons », rapidement surnommés « dinosaures ». On retrouvait dans les rangs
du pouvoir des figures politiques des années 1960-1970 : Saïd Hassan Saïd
Hachim, Ali Mroudjaé, Mouzaoir Abdallah, Salim Ben Ali, Soilihi Mohamed
Soilihi (de Djoiezi, Mohéli), mon ami Saïd Ali Mohamed, le Docteur Mtara
Maécha (le blagueur à qui je fus présenté à Paris en 2005), Mohamed Taki
Abdoulkarim, Ahmed Abdallah Sourette, Bourhane Saïd Omar, Mohamed Ali
Mbalia, Ibrahima Hissani Mfoihaya (truand notoire et immonde escroc)…
Des histoires d’homosexualité avérées circulent au sujet de la cooptation
de certains par Mohamed Saïd Abdallah Mchangama, et parmi les noms les

418
plus cités, on retrouve celui de Hamada Madi Boléro, toujours prêt à tout ce
qui est condamnable et condamné par les Comoriens pour une petite parcelle
de pouvoir, toujours dans le but de nuire. C’est Mohamed Larif Oucacha qui
avait présenté Hamada Madi Boléro à Mohamed Saïd Abdallah Mchangama.
Mais, du jour au lendemain, Hamada Madi Boléro se sentait tellement dans
une folle envie de devenir « quelqu’un » qu’il fit de son mentor Mohamed
Larif Oucacha un ennemi mortel, qu’il s’employait régulièrement à dénigrer
auprès du gendre en chef, un être immonde et ignominieux, qui, pourtant ne
cachait pas son étonnement.
On admet que la génération politique actuelle est plus diplômée que celle
de la période de l’autonomie interne. C’est une réalité. Pourtant, la prudence
s’impose parce que, même si le capital culturel s’est sensiblement amélioré,
force est de constater que les Comores sont entrées dans l’ère des diplômes
fallacieux et imaginaires. Un ministre de l’Éducation nationale, qui fut formé
à l’École normale supérieure (ÉNS) de Rabat s’autoproclame « Docteur »,
alors qu’au Maroc, on n’obtient un Doctorat qu’à l’Université, et l’ÉNS n’en
fait pas partie, et ne peut donc délivrer de Doctorat.
Kiki va plus loin, en prétendant avoir obtenu le même jour un « Master 2 »
et un « Doctorat » en « Intelligence économique », réalisant une « prouesse
académique » inégalée dans les annales mondiales de la connaissance. Il faut
dire que « l’Intelligence économique » de Kiki se limite à des trafics et à des
vols d’argent public. C’est un individu abject ayant volé des milliards de
francs comoriens à l’époque où il était Directeur général des Douanes, et qui
s’est reconverti au trafic de passeports au Moyen-Orient au lendemain du 26
mai 2016. Son épouse l’a chassé de la maison pour son homosexualité.
Et, il y a le cas Hamada Madi Boléro. Sur la quatrième de couverture du
Tome I de ses prétendus « Mémoires », on lit : « Hamada Madi Boléro est né
en 1965 à Boingoma (Mohéli, Comores). Il a effectué ses études en URSS
(Kiev), où il a obtenu un “Master of Law” (DÉA) ». Mais, parfois, il parle de
« Master of Law », de MBA et, à ses heures perdues, de « Doctorat », comme
si l’URSS, bastion du communisme, de la Révolution de 1917 à sa fin, le 31
décembre 1991, avait vocation à faire préparer à ses étudiants des diplômes
typiquement anglo-saxons (« Master of Law » et « MBA »).
À la page 38 du Tome 1 de ses prétendus « Mémoires », toute honte bue, il
ose s’attribuer fallacieusement et artificiellement une Thèse de Doctorat, et
le titre de Docteur en Relations internationales : « Lorsqu’en avril 1992, je
présentais ma thèse à l’université d’État de Kiev (capitale de l’Ukraine
soviétique), un de mes très proches amis, Mirhane Bourhane, docteur en
relations internationales, s’était étonné du choix du sujet : “Le système
fédéral et les relations internationales entre les États en cas de dislocation
d’un État fédéral et la mise en place d’un nouvel État” ». Ouf ! Déjà, tout
spécialiste en Relations internationales peut constater qu’il aurait pu intituler
sa chose : « Fédéralisme et succession d’États » ou « La succession d’États
dans les systèmes fédéraux ». Et le plus grave reste dans ce mot « Thèse »,

419
étant noté que « Thèse » en milieu universitaire doit toujours correspondre à
« Thèse de Doctorat », « Thèse de Doctorat d’État » ou « Thèse de Doctorat
de Troisième Cycle », dans le cas de certains régimes universitaires.
Par contre, il n’y a pas de « Thèse de DÉA », encore moins de « Thèse de
“Master of Law” ». En d’autres termes, Hamada Madi Boléro, en plus d’être
un pédophile autoproclamé, un trabendiste de visas, un acteur majeur de la
fraude électorale (en 2002 et 2016), un voleur d’argent public, est également
un faussaire de diplômes, et fait dans le faux et usage de faux diplômes.
Autoproclamé « meilleur spécialiste comorien en Droit international public
et en Relations internationales », il est pourtant dans l’incapacité de savoir
qu’une organisation internationale peut être appelée Ligue, Commission,
Traité, Alliance, Organisation, Communauté, Union, Pacte, Association, etc.
Nommé secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI) en
2016, il s’acharne à renier à la COI le statut d’organisation internationale au
prétexte qu’une telle institution ne saurait s’appeler « Commission ».
Citons, enfin, le cas pittoresque de Sounhadj Attoumane. Ce dernier a été
tiré de l’anonymat par Ahmed Sambi, élu président des Comores en 2006. Il
a été l’ombre de son mentor de 2006 à 2016. Le 1er avril 2016, alors que les
Comores étaient plongées dans une confusion politique monumentale, suite à
la gigantesque fraude électorale organisée par les Mohéliens de Beït-Salam
au profit d’Assoumani Azali, les amis et alliés Ahmed Sambi et Fahmi Saïd
Ibrahim ont signé un accord électoral avec l’ancien putschiste. Quand une
CÉNI corrompue et une Cour constitutionnelle « achetée » ont accordé la
victoire acquise à 56,63% par Mohamed Ali Soilihi à un Assoumani Azali
« racheté » pour entrer au second tour au détriment de Fahmi Saïd Ibrahim,
il est arrivé à Ahmed Sambi de présenter Sounhadj Attoumane à Assoumani
Azali, qui en fit un de ses dizaines de Conseillers, à l’introuvable utilité.
Quand, en juin 2017, la rupture fut consommée entre Assoumani Azali,
d’une part, et Ahmed Sambi et Fahmi Saïd Ibrahim, d’autre part, suite à la
rupture brutale et inutile des relations diplomatiques entre les Comores et le
Qatar, acte qui a été condamné et dénoncé par Ahmed Sambi et Fahmi Saïd
Ibrahim, on vit le bruyant et brouillon Sounhadj Attoumane tenter follement
de récupérer le parti Juwa. Il se mit alors et se livrer à des attaques d’une rare
virulence contre celui qui l’a tiré de l’anonymat dans lequel il croupissait
depuis sa naissance. Pour survivre politiquement, le très médiocre Sounhadj
Attoumane prit fait et cause pour Assoumani Azali dans toutes ses aventures
anticonstitutionnelles : fausses assises « nationales » du 5 au 12 février 2018,
restrictions des libertés fondamentales, transfert anticonstitutionnel de la
Cour constitutionnelle – ainsi mise à mort – à la Cour suprême, décision de
la « Ripoux-blique » de Mitsoudjé pour un référendum anticonstitutionnel
pour faire éterniser au pouvoir Assoumani Azali jusqu’à « l’horizon 2030 »,
etc. Pourtant, Sounhadj Attoumane aurait gagné à être plus respectueux du
Droit et à se montrer plus discret. Lancé dans la mendicité politique, il n’a
jamais été capable de faire preuve d’un minimum de décence et de dignité.

420
En effet, le « cardiologue » Sounhadj Attoumane symbolise la médiocrité
professionnelle : un charlatan, un piètre médecin, un faux « cardiologue »
qui tue ses pauvres patients par des traitements contre-indiqués. En 2018, il
empoisonne par un traitement déconseillé une patiente de 18 ans, qui meurt à
l’Hôpital d’Antananarivo, à Madagascar. Il n’y aura pas de poursuites dans
un tribunal. Il est tellement médiocre et incompétent que deux cardiologues
français lui ont écrit pour lui demander de ne pas exercer la cardiologie,
compte tenu du danger mortel qu’il constitue pour ses patients.
Enfin, je me souviens encore du samedi 27 avril 2013, quand je me rendis
à Aulnay-sous-Bois, près de Paris, où était organisée une belle manifestation
culturelle animée par des Mohéliennes venues spécialement de leur île de
l’océan Indien. J’étais en compagnie d’un acteur politique dont le parti se
pose en « alternative » et qui était candidat à la candidature lors de l’élection
présidentielle de 2016, mais qui n’avait pas un centime pour payer la caution
demandée à tout candidat. Sur cet homme qui m’a souvent déçu par des
actes relevant de l’ignominie et à qui je n’adresse plus la parole, suite à une
énième escroquerie le 26 février 2018, tout a été dit, et surtout sur la fausseté
de son « Doctorat en Médecine ». Incapable de faire une phrase correcte en
français, il m’avait donné toutes les raisons de douter de son « diplôme ».
Dès notre arrivée dans la salle de fêtes d’Aulnay-sous-Bois, un Mohélien qui
a étudié à Madagascar et qui est Commissaire de Police aux Comores me prit
à part et me dit : « Le type qui t’accompagne est un menteur et un faussaire.
Il prétend qu’il a obtenu un Doctorat en Médecine à Madagascar. Je te dis
tout de suite que c’est faux. Il n’a obtenu aucun Doctorat en Médecine sur
l’île de Madagascar. Je peux même le répéter devant lui et le confondre ».
En définitive, aux Comores post-indépendantes, l’État, entièrement ravagé
et détruit, est entre les mains de petits épiciers aigris, de vrais diplômés, de
faussaires de diplômes et de charlatans. La plupart des faux diplômés des îles
Comores font fabriquer leurs cartons scannés dans les rues de Madagascar.

S.II.- PERSONNALITÉ DES CHEFS D’ÉTAT COMORIENS


Étudions la personnalité des chefs d’État comoriens à travers les aspects
majeurs suivants : la cohabitation de dictateurs affirmés et de démocrates par
défaut (§1.), la militarisation de la vie politique et la résistance des civils
(§2.), une sociologie politique marquée par des conflits de générations (§3.),
« Dine oi Dawla », « Religion et État » (§4.) et la personnalité des chefs
d’État comoriens par le charisme des uns, la légitimité charismatique des
autres, et l’insipide insignifiance de certains d’entre eux (§5.).

§1.- DICTATEURS AFFIRMÉS ET DÉMOCRATES PAR DÉFAUT


Les chefs d’État comoriens appartiennent globalement à deux catégories
principales, les dictateurs affirmés et les timides démocrates : l’inquiétante
présence de dictateurs sur l’espace public des Comores (A.) et la très lente

421
percée d’apprentis en démocratie sans réelle démocratie, dans un pays livré à
une caste d’autocrates sans réelle vision politique constructive (B.).

A.- INQUIÉTANTE PRÉSENCE DE DICTATEURS SUR L’ESPACE PUBLIC


Les Comores ne sont pas une démocratie. Il leur arrive même d’avoir à
leur tête de vrais dictateurs. Déjà, sous l’autonomie interne, Saïd Mohamed
Cheikh avait donné toutes les preuves d’un dictateur qui surestimait à la fois
son importance et son intelligence. Il a régné par l’autocratie, le mépris total
envers Mohéli et Mayotte, le trucage électoral, la marginalisation de celles
des couches sociales populaires et un amour obsessionnel pour le son de sa
propre voix. Sa dictature arrogante et narcissique a été à l’origine du rejet de
l’État comorien par Mayotte. Cet homme a semé la haine dans les cœurs.
Ici et là, des Grands-Comoriens lui attribuent le beau rôle, poussant très
loin la complaisance démagogique jusqu’à lui décerner de façon abusive et
mensongère le titre de « plus grand politicien comorien de tous les temps »,
refusant de reconnaître que son discours méprisant et son attitude violente à
l’égard de Mayotte sont à l’origine du choix fait par cette île pour ne jamais
faire partie de l’État comorien indépendant. Il avait poussé l’irresponsabilité
jusqu’à refuser à Mayotte une barge destinée à assurer les liaisons maritimes
de 15 minutes entre les deux principales parties de cette île, Grande Terre et
Petite Terre. Il disait que les Mohéliens et les Mahorais n’étaient pas dignes
d’être ministres et de s’asseoir sur la même table que les Grands-Comoriens
et les Anjouanais, qu’il voyait en « races inférieures », face à la « race des
seigneurs ».
En mai 2014, Hamada Madi Boléro disait, au cours d’une interview, qu’il
ne fallait pas faire de l’insularité la base de la vie politique aux Comores car
cela conduirait à reconnaître que c’était le Grand-Comorien Saïd Mohamed
Cheikh qui a éloigné Mayotte des autres îles de l’archipel des Comores et
que c’était le Grand-Comorien Ali Soilihi qui avait introduit Robert « Bob »
Denard et ses mercenaires aux Comores. Même si Hamada Madi Boléro est
un politicien méprisable et méprisé, haïssable et haï, détestable et détesté, il
faudra avoir l’honnêteté de reconnaître que pour une fois, il ne mentait pas.
Malgré l’inexistence de tout échange entre lui et moi au moment des faits, je
m’étais moi-même porté à son secours, dénonçant le discours de mépris et de
haine produit à la Grande-Comore et exigeant d’Ikililou Dhoinine le renvoi
du Directeur de son Cabinet chargé de la Défense.
Or, à l’époque, Damir Ben Ali, « gendrocrate » quand Tadjidine Ben Saïd
Massounde, dont il est le gendre, était au pouvoir, misanthrope, chauvin très
haineux et fielleux, l’« ethnologue » autoproclamé et l’« anthropologue » de
pure invention personnelle, produisait un discours lugubre destiné à disculper
Saïd Mohamed Cheikh, le tout dans une « analyse » très faux-cul et nageant
en plein délire de soumission insulaire, le tout dans un français de très bas
niveau et charriant des dizaines de fautes d’orthographe et de grammaire. Il

422
n’avait pas hésité à produire des documents officiels qui n’avaient aucune
relation avec le sujet. Rappelons le mot de Charles de Gaulle signalant les
dangers pesant sur les Mahorais sous l’emprise violente de Saïd Mohamed
Cheikh : « Nous ne pouvons pas livrer ces malheureux à Saïd Mohamed
Cheikh s’ils ne sont pas d’accord »1. Les « malheureux » en question sont tout
simplement les Mahorais. Les mots de Charles de Gaulle sont très éloquents.
Par la suite, les Comores sont tombées sous les griffes d’Ali Soilihi, qui a
fait preuve d’une autocratie délirante, sanglante et hystérique. À l’époque de
sa Révolution, il n’a jamais organisé une élection au sens démocratique du
terme. Le scrutin folklorique qu’il avait organisé le 28 octobre 1977 relevait
de la pure mascarade tropicale, et quand les Mohéliens avaient voté presque à
100% contre lui, ils subirent lourdement sa répression. Pour Ali Soilihi, il ne
fallait pas accorder de l’intérêt à l’opinion des Comoriens.
L’interdiction des pratiques religieuses à certaines époques, l’interdiction
des partis politiques et des libertés fondamentales, les emprisonnements sans
procès, les abus commis par le Commando Moissi et les Comités populaires,
la stigmatisation continue de « ceux qui vivent bien », des « aristocrates » et
des « bourgeois », les humiliations continues de la population et la violence
politique sont des comportements qui avaient fini par faire apparaître tous les
ingrédients d’une dictature sans direction, nonobstant une logomachie dite
« révolutionnaire », mais qui relevait du banditisme d’État.
Pour sa part, Ahmed Abdallah Abderemane, revenu aux Comores sous le
signe de la liberté retrouvée, au lendemain de son coup d’État du 13 mai
1978, n’avait pas tardé à donner toute la mesure de sa dictature :
- Plusieurs révisions constitutionnelles destinées à asseoir puis conforter un
pouvoir personnel déjà exorbitant ;
- L’interdiction du pluralisme politique ;
- L’adhésion forcée au parti-État ;
- La marginalisation des opposants ;
- La politisation de la Fonction publique ;
- L’interdiction de toute forme de contestation ;
- L’interdiction même des droits et libertés inscrits dans la Constitution ;
- Le rejet des candidatures qui n’étaient pas celles des soutiens au pouvoir
en place ;
- L’interdiction de se porter candidat contre Ahmed Abdallah Abderemane ;
- La lourde répression des combattants de la liberté, qui réclament avec foi
et courage le départ de Robert « Bob » Denard et de ses mercenaires ;
- L’accaparement, par Ahmed Abdallah Abderemane, de terres appartenant
à de simples citoyens, notamment à Mohéli, où les mercenaires bornant
les parcelles spoliées dans la violence par le président menaçaient même
de tuer tout propriétaire terrien contestataire ;

1Gaillard (Ph.) et Foccart (J.) : Foccart parle. Entretiens avec Philippe Gaillard. Tome I,
op. cit., p. 256.

423
- L’assassinat d’opposants, dont le corps, découpé en petits morceaux, était
déposé devant les maisons familiales ;
- Les emprisonnements abusifs et extrajudiciaires ;
- La non-reconnaissance du mérite individuel.
Pourtant, les Comores n’étaient pas encore au bout de l’horreur. Ce pire a
un nom et un visage que connaissent les Comoriens : Assoumani Azali. Lors
de junte militaire (30 avril 1999 – 26 mai 2006), il était déjà un tyran inculte,
incompétent et corrompu dont les Comoriens connaissent bien le narcissisme
arrogant et le mépris ; néanmoins, c’est au lendemain du 26 mai 2016 qu’il
s’affranchit totalement de toute règle morale et juridique susceptible de lui
faire tempérer ses bas instincts de pouvoir.
En effet, au lendemain du 26 mai 2016, Assoumani Azali arriva à horrifier
et à dégoûter les Comoriens par une rare obsession du pouvoir, par une folle
frénésie du pouvoir, par une arrogance narcissique personnelle et familiale
d’une intensité inédite aux Comores. Tout a pris une dimension absolument
horrible le 4 juin 2017 quand il reçut les « dinosaures » nostalgiques ayant
cru pouvoir ressusciter politiquement par le Mouvement du 11-Août. Il leur
dit qu’il était favorable à l’organisation obsessionnelle de leurs prétendues
« Assises “nationales” » sur le bilan de l’indépendance.
Cependant, il n’a même pas eu l’intelligence de laisser les « dinosaures »
organiser l’événement. Du jour au lendemain, il récupéra avec une violence
inouïe tout le projet et en fit une affaire personnelle, familiale et clanique. Il
suscita une telle méfiance chez les Comoriens que, un à un, les membres du
Mouvement du 11-Août se retirèrent de cette aventure qu’il transforma en un
instrument de perpétuation d’un pouvoir personnel et clanique de voleurs qui
volent et pillent les maigres ressources de l’État en bande familiale.
Quand les « Assises “nationales” » furent organisées par une petite bande
de voleurs et de mendiants regroupant certains des acteurs politiques les plus
répugnants du pays, ce fut un désaveu personnel. Ces mendiants sont :
- Saïd Larifou, avocat radié sur l’île de la Réunion et sur qui circule sous le
manteau un rapport rédigé par des services de renseignements étrangers
sur des choses répugnantes. Ce rapport fut remis à Ikililou Dhoinine,
alors président de la République, par telle ambassade installée à Moroni ;
- Saïd Mohamed Sagaf, « gendrocrate » et kleptocrate sous la présidence de
Saïd Mohamed Djohar, incorrigible grand voleur d’argent public sous la
« gendrocratie » et mendiant capable d’avaler toutes les couleuvres tant
que cela peut lui rapporter de l’argent ;
- Djaé Ahamada Chanfi, fils de berger obsédé par l’irrésistible envie de faire
oublier ses origines sociales très modestes. Très complexé par son statut
éternel de fils de berger de la campagne du Oichili, très médiocre sur les
plans intellectuel et professionnel, il mange à tous les râteliers depuis
que, ayant perdu son épouse et ses enfants lors du crash d’un avion de la
Yemenia le 29 juin 2009, Ahmed Sambi l’avait pris sous son aile, juste
par pitié. C’est avec le peu d’argent qu’il reçut à la suite de la perte de sa

424
famille lors du crash de l’avion de la Yemenia qu’il se noya dans l’idée
puis le projet de grand mariage avec une autre femme, sous l’indignation
et la malédiction. Il est l’allié de l’homme qui est au pouvoir et ne se
pose jamais des questions d’ordre moral. Il trahit systématiquement tous
ceux qui ont eu le malheur de lui faire confiance un jour. C’est donc un
mendiant s’exprimant dans un français dégoûtant et qui, aux Comores,
s’attribua le titre de « Professeur des Universités en France », alors qu’il
n’était qu’un contractuel remplaçant dans des collèges de la banlieue
parisienne. Il est un des acteurs politiques les plus répugnants et les plus
abjects des Comores.
- Abdallah Msa, un économiste infâme devenu un mercenaire ne se plaisant
que dans la complaisance criminelle, et prêt à toutes les bassesses tant
qu’elles peuvent lui apporter de l’argent.
Assoumani Azali use et abuse de son équipe d’aigrefins et de mendiants.
Même après l’échec cuisant des « Assises “nationales” », rejetées par tous
les Comoriens, de manière très bruyante et violente, il ne ratera pas une seule
occasion pour parler inlassablement des prétendues « recommandations des
Assises “nationales” », qu’il faut mettre en application, selon lui. Il ne tarda
pas à faire de la révision constitutionnelle du 30 juillet 2018 une question de
survie de la race humaine et de l’humanité, alors que le but qu’il poursuit est
de préparer l’avènement de son fils Nour El-Fath, un voleur notoire. Au nom
du père, le fils devait devenir président en 2019, à la suite d’une élection
bidon, parce que le père se sait atteint d’une grave et incurable maladie.
Cependant, ses projets ont été publiquement dénoncés par Djaffar Ahmed
Saïd Hassani, qui est à la fois son premier vice-président, représentant de la
Grande-Comore, et beau-frère. La virulente dénonciation a eu lieu le samedi
16 juin 2018 au cours d’un meeting au siège du Gouvernorat de la Grande-
Comore, sur invitation du Gouverneur de cette île, et devant tous les chefs de
l’opposition nationale et de nombreuses personnalités de l’île en question et
d’autres îles de l’archipel. Voici son discours en comorien du samedi 16 juin
2016, que j’ai traduit personnellement, pour son intérêt historique.
« Le fait n’est pas habituel, mais je me présente ici, aujourd’hui, pour prendre la
parole. Mais, comme cela a été dit, quand le Gouverneur de l’île de la Grande-
Comore m’a invité à venir ici, aujourd’hui, j’ai jugé nécessaire d’y répondre fa-
vorablement pour exposer mes opinions, celles des Comoriens qui nous ont chargés
de diriger ce pays depuis deux ans. Avant tout, j’ai l’heureuse opportunité de vous
souhaiter une bonne fête de la fin du Ramadan. Je vous présente donc des vœux qui
vont nous apporter des bienfaits, s’il plaît à Dieu. C’est la première chose.
Par la suite, je dois remercier le frère Hassani Hamadi, qui a accepté de m’accorder
une telle opportunité, parce qu’il y a des gens qui me voient ici présent. […].
Je suis donc sans peur, ni crainte. Je ne sens ni peur, ni crainte parce que, à mon
arrivée ici, quand je lève le regard et vois toutes les personnes qui sont ici
présentes, je sais que ce sont des Musulmans, je sais que ce sont mes honorables
aînés, je sais que ce sont des patriotes, je sais que je suis en sécurité. Je sais que

425
suis en sécurité. Je ne vois pas ce qui pourrait m’arriver, mais il y a l’appareil
d’État, qui pourrait m’importuner, mais seul Dieu peut faire ce qui pourrait
m’atteindre. Mais, l’appareil d’État, dès le moment où je parle, ne pourra rien
faire. Ce qui m’arrivera est ce qui viendra de Dieu. Quand je venais ici, j’ai dit à
ma mère que venais ici, elle m’a répondu “vas-yˮ, j’ai dit à mes frères et sœurs que
je venais ici, ils m’ont répondu “vas-yˮ, j’ai dit aux amis que je venais ici, ils m’ont
répondu “vas-yˮ, tous ceux qui sont ici m’ont dit “vas-yˮ. Je ne vois pas ce qui
pourrait m’arriver ici en dehors de ce que Dieu a décidé. […].
Honorables personnalités, je voudrais vous rappeler que le 26 mai 2016, vous nous
avez élus. Vous nous avez élus, vous nous avez investis. Vous nous avez choisis en
disant, “je choisis cette personne parce qu’elle pourra faire quelque chose de
positifˮ. Vous nous avez élus, et cela, non pas parce que vous avez vu la photo
d’une seule personne ; vous avez voté parce que vous avez vu la photo de quatre
personnes. Chacun disait : “Je choisis celui-ciˮ. La Constitution des Comores nous
oblige à prêter serment collectivement. Un seul élu aurait pu prêter serment et nous
représenter tous. Nous avons été alignés, et tous les quatre avons prêté serment.
J’ai même demandé à ce que le serment des politiciens soit prêté au nom du peuple
comorien, car le contenu du Coran est lourd de conséquences.
Chaque personne d’Itsandra me dit : “Tu ne m’as rendu aucun serviceˮ. Il y a des
membres de ma famille, même des frères et des sœurs de même père et de mère, à
qui je n’ai rendu aucun service, et qui ne m’adressent plus la parole. Peut-être
doit-on commencer par rendre service aux siens, mais il y a le serment prêté sur le
Coran. Est-ce qu’on peut présenter ses doléances pendant cinq ans ? Mais, quand
on agit en respectant Dieu et le serment prêté, là Dieu comprend qu’on ne fait du
mal à personne. Vous êtes tous des Comoriens, et nous devons faire ce qu’il faut
pour que votre vie soit meilleure. Vous savez que depuis 25 ans, je suis de retour
dans ce pays, je travaille dans ce pays. Je ne travaille que dans le domaine du
Droit. Dieu soit loué, il n’y a eu personne qui est venu me dire “ce que tu fais n’est
pas normalˮ. Je respecte le Droit et me dis que je dois respecter le serment que j’ai
prêté et qui m’oblige à faire ce que j’ai juré devant Dieu de faire.
Depuis deux ans, je suis entré en politique. Personne n’est plus chanceux que moi
car, dès mon entrée en politique, j’ai été élu. Des gens sont longtemps en politique
et cherchent depuis longtemps et vainement à se faire élire, mais moi, dès mon
entrée en politique, j’ai été élu. Je loue Dieu pour ça. Mais, j’avais peur en me
disant que celui qui m’avait donné pourrait tout reprendre et le donner à autrui.
Donc, aujourd’hui, que personne ne soit étonné en apprenant que je suis contre ce
qu’on veut faire [le projet anticonstitutionnel de réforme constitutionnelle par pure
convenance personnelle, familiale et clanique].
Je vais exposer ce que je dois dire ici. J’aurais pu rester chez moi et parler. Mais,
comme je sais que toute la Grande-Comore est ici présente, je me dis que
l’occasion est très belle. Je veux dire que nous avons un pays. Dieu soit loué, ce
pays était en paix parce que le vaincu acceptait sa défaite sans remettre en cause la
Constitution. Nous avons prêté serment en disant que nous allions rester au
pouvoir cinq ans en vertu de la Constitution élaborée en 2009. Réviser une
Constitution n’est pas difficile. On peut réviser la Constitution. Mais, réviser la
Constitution est difficile parce qu’elle a été approuvée par tous les Comoriens.
Nous étions en conflit, et c’est cette Constitution qui nous a réconciliés. Vous
connaissez le conflit que nous avions ici. […]. Nous avons commencé à travailler et

426
avons constaté les problèmes qu’il y avait dans ce pays. Aujourd’hui, tous les
Comoriens disent “nous nous aimons grâce à cette Constitutionˮ. Grâce à cette
Constitution, notre pays a une meilleure réputation dans le monde. Nous avons
commencé à travailler même si Azali dit qu’on ne lui a pas tout donné. Nous avons
commencé à travailler. Nous avons dit qu’il valait mieux construire notre pays.
Tout le monde est d’accord avec cette Constitution. Vous avez vu : même l’OUA,
qui était présente ici, y a fermé son bureau, après avoir constaté que ce qu’elle
voulait faire en matière de paix et de stabilité est accompli, en disant qu’elle
n’avait pas à s’éterniser dans un pays ayant retrouvé la paix et la stabilité.
Alors, il faudra qu’on nous dise si depuis que le projet de révision constitutionnelle
est lancé, il y a la paix et la stabilité ? Depuis le lancement de ce projet, les réseaux
sociaux – il y a des moments, ils mentent – nous apprennent qu’avant, il n’y avait
pas des manifestations, et personne ne s’était levé. Le Commandant de la
Gendarmerie dit qu’il a déployé 250 de ses hommes. C’est lui qui l’a dit, et cela,
dans le but de persécuter les manifestants sortant des mosquées du vendredi et se
rendant à l’esplanade des ministères.
Alors, je vous dis et je ne vais proférer aucun mensonge. Le projet de Constitution
qui sera soumis au peuple est anticonstitutionnel. Notre Constitution a créé une
Cour constitutionnelle. La Cour constitutionnelle, comme vous le savez, est
chargée de veiller au fonctionnement régulier de l’État et à la régularité des
élections. Il n’y a pas beaucoup de choses en dehors de cela : le fonctionnement
régulier de l’État, et la régularité des élections. Si on supprime la Cour
constitutionnelle, comment va fonctionner l’État ? Comment va fonctionner l’État
si on élabore la loi des finances et des lois qui doivent passer par la Cour
constitutionnelle ? Comment va fonctionner l’État ?
Donc, nous devons restaurer la Cour constitutionnelle. Si nous devons organiser
des élections, en amont et en aval, nous devons retrouver la Cour constitutionnelle.
Mais, voilà, on nous dit que la Cour constitutionnelle n’existe plus.
On m’a appelé et on m’a dit que la Cour constitutionnelle allait être supprimée.
J’ai rétorqué en disant : “Ce n’est pas normalˮ. Je le dis ici. “Ce n’est pas normalˮ.
Depuis que le projet d’assises a été lancé, il [Assoumani Azali] m’a dit : “Nous
allons supprimer telle institution et telle autre institutionˮ, et j’ai rétorqué : “Ce
n’est pas normalˮ. Et quand nous sommes allés aux séances plénières des assises,
j’ai dit : “Ce n’est pas normalˮ.
Les Grands-Comoriens disaient : “Celui-là ne dit rienˮ. Mais, aujourd’hui, je suis
venu parler devant tout le monde. Je suis venu ici poser une question : comment
sera organisé le référendum envisagé, quand ce qui doit commencer par la Cour
constitutionnelle n’existe plus ? Les prérogatives de la Cour constitutionnelle ont
été transférées à la Cour suprême. Or, la Cour suprême n’a pas été instituée pour
ça. En plus de la Constitution, il y a une loi organique portant organisation et
compétences de la Cour constitutionnelle : “Comment sont organisées les séances
de la Cour constitutionnelle ? Quand se voient les membres de la Cour constitu-
tionnelle ? Combien doivent-ils être ? Qui doit être présent ? Quand doivent
commencer les travaux de la Cour constitutionnelle ? Comment doivent être clos
les travaux ? Après la prise des décisions, comment procéder ?ˮ.
Les trois personnes nommées [à la Cour suprême], qui sont mes amis, comment
vont-elles faire ces travaux ? Comment vont-elles agir ? […]. On peut mettre à mal
la Constitution. […]. On ne pervertit pas la Constitution d’un pays. S’il y a

427
quelqu’un parmi ceux qui ne sont pas ici présents qui veut contester ce que je dis –
parce que je sais que ceux qui sont présents ici diront que j’ai dit ce que je devais
dire – qu’il vienne dire que la Constitution n’est pas violée. Au vu de ce qui est
envisagé, la Constitution est violée. Si la Constitution est violée, comment allons-
nous travailler ? Comment allons-nous organiser des élections ? Il ne suffit pas de
dire que la Constitution n’est pas violée. La Constitution est violée.
La Cour suprême n’a aucun droit pour accomplir les missions de la Cour constitu-
tionnelle. Ses missions sont définies par la Constitution pour chaque jour, pour les
hommes. C’est tout. Ce qui est envisagé n’a jamais été fait dans un autre pays. Je
ne sais donc pas pourquoi on veut le faire ici. Personne n’a déjà fait de telles
choses, et même mon président n’a jamais fait ça auparavant. Je ne sais même pas
qui lui a dit d’agir ainsi. Il n’a jamais accompli de tels actes par le passé, et je ne
sais pas qui lui a dit d’agir ainsi.
Honorables personnalités, je souhaite vous dire que ce qui se passe est anticonsti-
tutionnel. Aujourd’hui, 16 juin, je vous prie de nous unir, et pas seulement les
personnes ici présentes, mais aussi, les Anjouanais, les Mohéliens, les Grands-
Comoriens et les Mahorais, et disons-nous que nous ne devons pas entrer dans
l’inconstitutionnalité, mais faire en sorte que la Constitution soit appliquée de
manière appropriée. C’est ce que je dis ici. Moi, je suggère que le peuple s’unisse
et applique la Constitution. Ce qui se passe actuellement n’est pas conforme à la
Constitution.
Nous nous targuions d’être dans un État de Droit, dans le respect de la tradition,
les gens pouvant s’occuper de leurs affaires sans problèmes. […]. Il n’est pas
normal d’empêcher les gens de voyager. Cela doit s’arrêter. Ne répétons plus ces
erreurs. Ne les répétons plus, et je le dis pour que les gens puissent m’entendre.
C’est notre pays. Nous nous rencontrons. Je suis venu et j’ai vu toute la Grande-
Comore ici. Je suis agréablement surpris, et je me dis que tout le monde est
présent. Il est illégal de persécuter les gens. Il est illégal d’emprisonner les gens
qui font des manifestations. Il n’est pas normal de violer le Droit que nous avons
appris. Les sophistes disent : “Il fut un temps, on nous impressionnait, on nous
demandait de faire ceci ou celaˮ, mais quels que soient nos actes, ils doivent être
conformes à la Constitution, même si d’autres personnes diront que cela n’est pas
conforme à la Constitution. Les choses sont ainsi faites. Nous devons respecter la
Constitution.
Je le dis ici : il y a des gens qui disent que l’ancien président Ikililou Dhoinine – et
on ne parle même pas de Sambi – est empêché de voyager, et cela sur la base d’un
papier qui ne respecte aucune loi. Cela est illégal. […]. Je prie Dieu pour que nous
retournions dans une ère de paix et de stabilité. Ce 16 juin, nous qui sommes au
pouvoir et ceux qui sont dans la société civile devons-nous nous unir, parce que les
membres de la société civile disent que ce qui se fait actuellement viole le Droit.
Nous devons nous unir aussi avec les opposants en nous disant que nous devons
faire marche arrière, car on peut faire marche arrière pour faire les choses
normalement, pour aller vers des bases réelles. […].
Faisons marche arrière. Asseyons-nous, restaurons la Cour constitutionnelle,
respectons la Constitution, et après, nous pourrions faire ce qui doit être fait.
Maintenant, je dis deux choses qui me concernent. La première chose, c’est que, en
1987, celui qui était au pouvoir s’appelait Ahmed Abdallah Abderemane. Vous
savez que, parmi les choses de cette époque, il y avait une Armée de Blancs. […].

428
Tous mes honorables aînés de cette époque – et Mohamed Ali Soilihi peut le dire
ici – avaient dit à Ahmed Abdallah qu’il agissait mal. Ce sont des gens comme Saïd
Hassan Saïd Hachim, qui, en 1985, lui avaient dit qu’il faisait fausse route.
Moustoifa [Saïd Cheikh] faisait partie des premiers à le lui avoir dit. Mouzaoir a
été parmi les premiers à le lui avoir dit. Mais, il y a même ceux qu’il prenait pour
ses propres enfants spirituels et qui le lui ont dit. C’est pour cela que je dis ceci. Il
ne pensait pas que ces gens-là allaient lui dire qu’il faisait fausse route ; or, ces
gens-là lui ont dit qu’il faisait fausse route.
Mohamed Ali Soilihi était présent et sait. Celui qui a organisé la fraude électorale,
c’est notre respectable aîné Ali Bazi. Mais, tous les autres, dont Saïd Hassan Saïd
Hachim – il est ici présent ; tu t’en souviens, cher père, n’est-ce pas ? – n’avaient
pas peur. Alors, pourquoi aujourd’hui devons-nous avoir peur ? Nous devons dire :
“Ce n’est pas normalˮ. C’est tout. Il n’y a rien d’autre à ajouter.
Deuxième chose. J’avais 9 ans à cette époque. C’était en 1975. Feu Ahmed Saïd
Hassan, mon père, était parmi les Députés qui allaient proclamer l’indépendance
des Comores. Il était parmi ceux qui ont proclamé l’indépendance des Comores.
Nous étions nés à cette époque. Nous étions au nombre de 8. Mon frère Bahassane,
ici présent, n’était pas encore né. Mon père a appelé mon oncle Saïd Abdou Nour.
Il a appelé mon oncle Abdou Hamadi, qui est toujours vivant. […]. Il leur a dit :
“Nous y allons, mais nous ne savons pas si nous allons retourner vivants dans nos
maisons. Nous allons proclamer l’indépendance des Comores, et nous ne savons
pas si nous allons revenir vivants dans nos maisonsˮ. J’étais présent et j’écoutais. Il
ajouta à l’intention de chacun : “Je te confie ces 8 enfants, parce que je ne sais pas
si je vais revenir vivant chez moiˮ.
Il est parti, et nous savons ce qui s’est passé après. Il a dit qu’il était pour
l’indépendance des Comores. C’était mon père. Cette indépendance m’a conduit
jusqu’ici aujourd’hui, je suis vice-président, et je suis fier de mon père, là où il est.
Alors, pourquoi avoir peur aujourd’hui alors que je sais que l’indépendance est
acquise ? Je sais que l’indépendance a suivi sa route jusqu’à la Chambre des
Députés.
Nous sommes dans cette indépendance, nous devons valoriser cette indépendance
et nous ne devons pas lâcher cette indépendance, pour que notre pays ne soit pas
opprimé. Valorisons l’héritage de nos aînés, parmi lesquels Mohamed Taki
Abdoulkarim, Ahmed Abdallah Abderemane. Moustoifa Saïd Cheikh est ici avec
nous, et il est porteur d’idées. Il n’a pas eu peur d’Ahmed Abdallah. Cela étant,
aujourd’hui, nous devons dire que la Constitution doit être respectée, et ceux qui
nous écoutent doivent comprendre que nous sommes des patriotes courageux, nous
n’accepterons pas d’être empêchés de parler ».

Dès que Djaffar Ahmed Saïd Hassani eut prononcé ces mots, les personnes
présentes dans l’enceinte du Gouvernorat de la Grande-Comore entonnèrent
l’hymne national des Comores dans une grande ferveur patriotique.
Un dirigeant normal aurait évalué la signification profonde d’un tel acte de
dénonciation, venant de son vice-président et beau-frère. Mais, Assoumani
Azali n’a pas la structure mentale pouvant l’aider à comprendre qu’il s’agit
d’un désaveu très grave. Il préféra se livrer aux mêmes provocations envers

429
les Comoriens, au même mépris, aux mêmes gesticulations dramatiques, à la
même irresponsabilité dans la conduite désastreuse des affaires de l’État.
Refusant toute introspection, Assoumani Azali crut bien faire et sortir dans
la pire des crises en organisant une conférence de presse bidon mettant en
scène 2 de ses ivrognes, les vice-présidents Moustadroine Abdou « Mafitsi »
et Baguiri. Cette conférence de presse a été un échec retentissant, même si
Baguiri avait passé son temps à faire du Baguiri : en amusant le tapis et la
galerie. Il finit par qualifier bêtement de « super trahison » la condamnation
publique et hautement salutaire faite par Djaffar Ahmed Saïd Hassani des
dérives dictatoriales et anticonstitutionnelles du dictateur de Mitsoudjé.
Les deux ivrognes ont passé leur temps à parler de la « marginalisation »
de Djaffar Ahmed Saïd Hassani au sein du gouvernement. Or, le propos
central de sa déclaration ne porte pas sur cette « marginalisation », mais sur
les méthodes dictatoriales et anticonstitutionnelles de la « Ripoux-blique » de
Mitsoudjé. Djaffar Ahmed Saïd Hassani avait centré son propos non pas sur
sa place au sein d’un gouvernement, mais sur son rejet total des pratiques
très dangereuses d’un régime politique aux abois, dont le chef est un roitelet
lubrique, voleur, kleptocrate et sanguinaire.
Dans l’action de tout être humain, de tout dirigeant, il y a un actif et un
passif, et Djaffar Ahmed Saïd Hassani a eu l’intelligence de laisser parler sa
conscience de juriste. L’ivrogne Moustadroine Abdou « Mafitsi » suggéra sa
démission. Cette démission n’est exigée par aucun texte juridique en cas de
désaccord. Du reste, depuis l’instauration de la présidence tournante par la
Constitution du 23 décembre 2001, chaque président comorien est confronté
à des désaccords publics avec un vice-président. Cependant, cette fois-ci, les
choses sont allées très loin parce que l’un des vice-présidents désavoue en
public son chef, l’accusant d’inconstitutionnalité et de dérive dictatoriale, et
l’appelant solennellement à arrêter les pratiques liberticides.
Par ailleurs, le monde entier se souvient douloureusement du footballeur
colombien Andrés Escobar Saldarriaga, né le 13 mars 1967 et assassiné le 2
juillet 1994, pour avoir marqué un but contre sa propre équipe nationale,
entraînant l’élimination de son pays lors de la Coupe du monde de football
qui eut lieu aux États-Unis en 1994. Moustadroine Abdou « Mafitsi » dit que
Djaffar Ahmed Saïd Hassani est un joueur qui a marqué contre son propre
camp. Après avoir évoqué le très douloureux et morbide souvenir d’Andrés
Escobar Saldarriaga, Moustadroine Abdou « Mafitsi » avait appelé le peuple
avec insistance à assassiner Djaffar Ahmed Saïd Hassani. Il l’a dit et répété.
Quand il tenait ses propos haineux et irresponsables, il est une personne
lunatique et sadique qui buvait ses paroles fielleuses, le sourire aux lèvres,
hochant constamment la tête en signe d’approbation : Ambari Darouèche, la
première épouse du dictateur de Mitsoudjé. La question que tout le peuple
comorien se pose est : que faisait la vieille femme dans cette conférence de
presse complètement débile et ratée ? La réponse demeure : la vieille femme
malade – et qui allait tomber par terre quelques jours plus tard à Mutsamudu,

430
Anjouan, était présente à la conférence de presse uniquement parce que son
époux et elle-même ne faisaient nullement confiance à Baguiri. Le couple de
dictateurs croyait que Baguiri allait lui tourner le dos et faire comme Djaffar
Ahmed Saïd Hassani, en dénonçant les projets anticonstitutionnels en cours.
Le couple de tyrans ne fait confiance à personne.
Les Comoriens ont entendu Baguiri donner des leçons de civisme et même
de bonne gouvernance aux Comoriens, lui qui, Gouverneur par intérim de
Mohéli sous la présidence de Mohamed Taki Abdoulkarim, avait volé le sac
contenant le salaire des militaires basés sur l’île, lui qui a volé les Comoriens
sur les licences d’exploitation des compagnies aériennes étrangères voulant
investir et travailler aux îles Comores, et qui a construit en quelques jours à
Fomboni un château pour sa fille, sa femme lui demandant d’attendre un peu
pour ne pas attirer l’œil courroucé des Mohéliens, lui qui arnaque encore les
Grands-Comoriens dans des trafics de visas Schengen sans en faire délivrer,
lui qui avait arnaqué des villageois lors du conflit meurtrier entre Hantsindzi
et Chezani, promettant la victoire judiciaire au village de l’assassin, récoltant
des menottes de la part du Procureur Soilihi Mahmoud Mansour dit Sako ou
Massakokari, qu’il avait promis de corrompre. « Médecin » autoproclamé, il
s’arroge même le droit de mettre en doute la santé mentale de Djaffar
Ahmed Saïd Hassani à la suite de son discours du samedi 16 juin 2018.
Toute honte bue, Moustadroine Abdou « Mafitsi » évoque du « copinage »
à la Cour constitutionnelle et parle de la nécessité de nommer des juges
constitutionnels très expérimentés en Droit, mais sans dire aux Comoriens
pourquoi dans un pays disposant de vrais juristes, il n’en a pas nommé un
seul, et pourquoi les autres membres de sa famille politique ne font rien pour
choisir un véritable juriste chacun. En d’autres termes, il est resté dans le
mensonge.
En juin 2018, l’Union africaine et l’ONU ont dépêché des émissaires aux
Comores. L’Algérien Ramtane Lamamra, qui était membre de la délégation
de l’Union africaine, a bien affirmé à l’opposition comorienne qu’il n’était
pas possible de discuter avec Assoumani Azali, emporté par l’obsession très
maladive d’organiser un référendum anticonstitutionnel qui sera le début de
la fin de quelque chose.
Dans l’ensemble, la dictature mise en place par Assoumani Azali aux îles
Comores au lendemain du 26 mai 2016 se résume par les caractéristiques les
plus parlantes qui sont les suivantes :
- La restriction de toutes les libertés publiques et fondamentales.
- L’interdiction de toute manifestation politique, même dans les lieux privés,
y compris les domiciles. Les thuriféraires, les applaudisseurs laudateurs
et les griots d’Assoumani Azali peuvent organiser autant d’événements
politiques publics qu’ils veulent, mais quand il s’agit de l’opposition, ses
manifestations finissent toujours par des arrestations, des incarcérations
sans procès, des bastonnades et des humiliations. Or, au lieu de refroidir
les colères de la population, la dictature a galvanisé la population, même

431
sa frange qui n’est pas habituée à l’activité politique. C’est ainsi que le
vendredi est devenu un jour de contestation publique aux îles Comores,
où le slogan est « Azali, dégage ! ». Les Comores n’ont jamais atteint un
tel niveau de contestation. Les élus de toutes îles indépendantes ont crié
leur hostilité sur les manœuvres anticonstitutionnelles et dictatoriales du
clan de Mitsoudjé, un clan de voleurs empêtré dans les vols d’argent du
peuple comorien, dans le rejet de la démocratie et dans la bêtise de croire
que les Comoriens qui, dans les années 1980, avaient hardiment affronté
la dictature d’Ahmed Abdallah Abderemane, le protégé des mercenaires
de Robert « Bob » Denard, allaient accepter de croupir dans la dictature,
et mourir sans réagir sous celle des voleurs de Mitsoudjé jusqu’en 2030.
- La mise à mort de la CNPLC, par décret du seigneur de Mitsoudjé, alors
que cette institution avait été créée par une loi.
- La mise à mort de la Cour constitutionnelle, dont les compétences furent
transférées « provisoirement » à la Cour suprême aux ordres et dont tous
les membres sont nommés par le maître de Mitsoudjé, sans le moindre
respect de la Constitution, qui a créé les deux institutions, en confiant à
chacune une mission spécifique.
- Le licenciement abusif et punitif de plus de 10.000 Comoriens considérés
comme ayant des relations avec le régime politique d’Ikililou Dhoinine
qui, pourtant, a confié le pouvoir à Assoumani Azali en 2016 sans même
se soucier de la grossièreté, de l’inconstitutionnalité et de la vulgarité de
ses méthodes très sales.
- Le démantèlement et la fermeture dans une illégalité totale de la fenêtre de
liberté qu’était la Radio Baraka FM d’Abdallah Agwa.
- Dans la nuit du samedi 21 au dimanche 22 juillet 2018, Assoumani Azali
organisa un simulacre d’attentat contre Moustadroine Abdou « Mafitsi »,
se donnant un prétexte pour arrêter des dizaines d’opposants à Anjouan,
où il dépêcha des dizaines de soldats en vue de son référendum bidon.
En définitive, les régimes politiques les plus dictatoriaux aux îles Comores
sont ceux d’Ali Soilihi, Ahmed Abdallah Abderemane et celui d’Assoumani
Azali, rendu fou par la génétique et l’obsession maladive du pouvoir.
À ce jour, les partisans de ces trois dictateurs sanguinaires se lancent dans
la surenchère pour défendre le bilan inexistant de leurs champions. Ceux qui
se réclament d’Ali Soilihi mettent en avant la politique de décentralisation,
mais oublient qu’Ali Soilihi a versé le sang des Comoriens et les empêchait
de vivre comme des êtres humains. Ils mettent en exergue son prétendu Plan
de développement, tout en « oubliant » de parler des résultats concrets dudit
Plan. Ali Soilihi était un dictateur et un assassin qui ne se souciait nullement
de la vie et de la liberté des Comoriens.
Rien de ce que ses nostalgiques pourront dire ne pourra faire oublier les
affres de son effroyable dictature. Ali Soilihi était un destructeur de l’État,
des libertés fondamentales et de la vie des Comoriens.

432
Ahmed Abdallah Abderemane est devenu le « Père de l’indépendance »,
pour laquelle il n’avait jamais milité, ce travail revenant au MOLINACO. Au
lendemain du coup d’État du 13 mai 1978, ses laudateurs et thuriféraires lui
trouvent une nouvelle qualification valorisante : « Le Père de la libération ».
En réalité, Ahmed Abdallah Abderemane était le « Père de la libération sans
liberté », dans la mesure où il n’avait libéré les Comoriens de la dictature
d’Ali Soilihi que pour les plonger dans la sienne propre. Une dictature avait
remplacé une autre, un dictateur avait remplacé un autre, et les nostalgiques
d’Ahmed Abdallah Abderemane font tout pour accréditer l’idée fallacieuse
selon laquelle la tyrannie sanglante de leur maître pouvait avoir des raisons
valables et des justifications, dont la première serait la création d’institutions
cohérentes et crédibles.
Pourtant, il est impossible de jeter une chape de plomb sur les Comoriens
découpés en morceaux, dont les corps ont été mis dans des sacs en plastique
avant d’être déposés devant leurs domiciles familiaux. Que dire de toutes les
restrictions constatées en matière de libertés publiques et individuelles ? Que
dire de la confiscation de tous les leviers du pouvoir par la famille politique
d’Ahmed Abdallah Abderemane ?
Quant à Assoumani Azali, il est le champion de la petitesse. Emporté par
le vol d’argent public et par l’obsession maladive du pouvoir, il est prêt aux
pires excès. Il n’a rien construit mais, au contraire, beaucoup détruit, et sait
s’entourer d’une bande de voleurs et d’assassins sans la moindre capacité de
réflexion, ni d’analyse, et dont le seul travail consiste à s’attribuer les mérites
qui reviennent aux autres. Il rebaptise l’ÉNES de Mvouni Université des
Comores (UDI), le bastion des « notes transmissibles sexuellement » (NTS),
et n’a pas honte de s’attribuer la paternité de l’UDI. La société d’électricité et
d’eau s’appelait EÉDC ; il la rebaptise MAMWÉ et prétend avoir créé une
institution ex nihilo. Naturellement, il affabule et ment.
Assoumani Azali a du sang sur les mains. Il a volé les Comoriens. Il vole,
injurie et humilie les Comoriens, qu’il a réduits à l’état de bêtes de somme
devant subir sa dictature sans la moindre protestation. À la différence de ses
prédécesseurs, Assoumani Azali n’a pas de vrais partisans, mais des petits
mendiants et comiques qui veulent juste manger. On sait, par exemple, que
l’ancien ministre Achirafi Saïd Hachim voulait renverser Assoumani Azali le
19 décembre 2001 et que pendant des années, il s’est employé à le dénigrer
partout. Après sa piteuse tentative de coup d’État, il avait atterri à la Prison
de la Santé, en France. Depuis 2017, toute honte bue, il demande à diverses
délégations de notables de sa région (Oichili) qu’il a l’habitude de dépêcher
auprès d’Assoumani Azali : « Allez dire à Azali Assoumani que j’ai faim. Je
meurs de faim. Je veux manger ».
Cela étant, ceux qui défendent un quelconque bilan d’Assoumani Azali ne
sont pas des partisans, mais des mendiants sans la moindre conviction, mais
qui veulent juste obtenir de l’argent de lui. Les plus dégueulasses de tous ces
mendiants sont incontestablement Ibrahim Ali Mzimba, Houmed Msaïdié

433
Mdahoma, Saïd Larifou, Achirafi Saïd Hachim et Sounhadj Attoumane, le
faux cardiologue spécialisé dans l’empoisonnement mortel de ses patients !
En dehors de l’appropriation frauduleuse des mérites revenant à autrui, il
est impossible de trouver un quelconque élément positif à mettre à l’actif
d’Assoumani Azali. Il est un dictateur qui spolie les Comoriens et qui ne leur
est d’aucune utilité. Son bilan est entièrement négatif. Il est le dirigeant le
plus contesté aux Comores, celui que le peuple maudit le plus, chaque jour, à
la fin de chacune des cinq prières quotidiennes. Il ne veut toujours pas en
tirer les conclusions qui s’imposent, et continue à s’enfoncer dans les fautes
qui font que son départ de Beït-Salam ne pourra se faire que dans le sang.
Assoumani Azali a commis la très grave faute de confier le ministère de
l’Intérieur à Kiki, un voleur notoire, qui a ravagé la Douane comorienne et
qui a poussé la saleté mentale jusqu’à être le maquereau de la personne qu’il
devait le plus chérir au monde. Il était le maquereau de cette femme auprès
d’un président de la République. Il est un être abject, ignoble et ignominieux,
qui n’a aucun respect pour la vie humaine, la liberté, le Droit, les valeurs de
la société. N’a-t-il pas transformé une mosquée en Commissariat de Police à
Anjouan, au prétexte que celle-ci appartiendrait à des Chiites ? Comment
Assoumani Azali a-t-il pu confier un ministère de souveraineté à un assassin
dirigeant des escadrons de la mort ? Comment Assoumani Azali peut-il faire
représenter le pays en certaines occasions par l’ancien docker de Dunkerque
qui n’a de l’autorité qu’une vision répressive et une longue série de pratiques
liberticides ?

B.- TRÈS LENTE PERCÉE D’APPRENTIS EN DÉMOCRATIE SANS RÉELLE


DÉMOCRATIE
Il aurait été injuste de réduire la vie politique aux Comores aux dictateurs
sans imagination, ni intelligence, ni vision politique tels Ali Soilihi, Ahmed
Abdallah Abderemane et Assoumani Azali. Aux îles Comores, il y a aussi
les autres dirigeants, ceux qui, tout en commettant leurs erreurs, ne sont pas
inscrits sur le registre de la dictature et de la répression sauvage.
Une certaine tendance à l’exagération a poussé les plus laudateurs et les
plus faux-culs des thuriféraires, mendiants et pique-assiettes politiques des
Comores, à faire de Saïd Mohamed Djohar « le Père de la démocratie aux
Comores ». En réalité, Saïd Mohamed Djohar n’a rien décrété en la matière.
Il est devenu président à un moment où il ne pouvait se permettre le maintien
des Comores dans un statu quo autocratique. Ahmed Abdallah Abderemane
venait de se faire assassiner dans des conditions horribles par les mercenaires
étrangers qui étaient censés assurer sa protection… contre les Comoriens.
Cet horrible assassinat avait traumatisé les Comoriens. La classe politique en
profita pour imposer à Saïd Mohamed Djohar la sortie du carcan dictatorial.
Seulement, la sortie de la carcasse tyrannique ne fait pas des Comores une
démocratie. Saïd Mohamed Djohar, qui accède au pouvoir à la suite d’une

434
fraude électorale par trop visible et grossière, ne pouvait pas maintenir aux
Comores un système politique craché et vomi par les Comoriens. Il devait
aller de l’avant. Pourtant, il avait choisi de traîner les pieds. Cependant, il ne
pouvait pas rester trop longtemps dans les louvoiements et les tergiversations
parce que la classe politique nationale et les acteurs politiques de Mohéli ne
comptaient pas le laisser faire. Saïd Mohamed Djohar avait fait preuve d’une
réelle mauvaise foi avant que le peuple ne lui impose le pluralisme politique
et la liberté d’expression, deux attributs que les plus pressés des thuriféraires
ont qualifiés abusivement de « démocratie ». Saïd Mohamed Djohar et ses
gendres avaient d’autres soucis en tête que des Comoriens qui se mettent
dans un coin de la rue et qui parlent d’État de Droit, de démocratie et de
droits de l’Homme. Ce qui les intéressait, c’était voler l’argent des Comores,
se lancer dans des scandales politico-financiers les enrichissant, et laisser les
Comoriens crier au scandale autant de fois qu’ils le souhaitaient.
Saïd Mohamed Djohar et sa « gendrocratie » ont fini par céder aux divers
cris des Comoriens, réclamant une conférence nationale souveraine en vue
de l’adoption d’une Constitution plus libérale. Arrivé au pouvoir à la suite de
l’assassinat d’Ahmed Abdallah Abderemane le 26 novembre 1989, donc par
pur accident, il n’accéda aux demandes du peuple qu’en 1992. Un démocrate
n’aurait pas attendu tout ce temps avant de prendre en compte une demande
en matière de démocratie.
En plus, comme le gendre Saïd Abdallah Mohamed Mchangama avait été
éliminé dès le premier tour de l’élection législative de 1992, après quelques
semaines, il avait fallu dissoudre l’Assemblée fédérale et le faire « élire »
Député afin qu’il puisse prendre anticonstitutionnellement la présidence de
l’Assemblée fédérale. Est-ce l’acte d’un « père de la démocratie » ?
En matière de répression, le faiblard Saïd Mohamed Djohar n’a pas eu la
main aussi lourde qu’Ahmed Abdallah Abderemane. Il lui arrivait de jeter en
prison des récalcitrants, mais la cadence de ces incarcérations n’était pas
celle constatée sous le régime politique d’Ahmed Abdallah Abderemane, qui
était d’essence purement et essentiellement dictatoriale. Autant signaler que
la plupart des prisonniers politiques de l’ère Saïd Mohamed Djohar étaient
liés à la tentative du coup d’État du 26 septembre 1992. Il s’agit de militaires
et de personnalités civiles.
Il est arrivé à Saïd Mohamed Djohar de fermer la Radio Tropiques FM du
politicien Abbas Djoussouf, quand ce média fait des annonces défavorables
au régime politique en place. Mais, en aucune façon, Saïd Mohamed Djohar
ne peut être comparé à Ahmed Abdallah Abderemane en matière répressive.
Le « gendrocrate » et gendre en chef Mohamed Saïd Abdallah Mchangama
évoluait dans son environnement de voyous et de parvenus, allant jusqu’aux
sanctions contre certains récalcitrants, mais sans faire régner la terreur.
Par la suite, Mohamed Taki Abdoulkarim a dirigé les Comores de 1996 à
1998, dans des conditions très difficiles, surtout à la suite de l’éclatement, le
16 février 1997, de la grave crise séparatiste anjouanaise qui avait ébranlé les

435
bases de l’État comorien. Pour faire face au séparatisme à Anjouan et Mohéli
en 1997, Mohamed Taki Abdoulkarim avait dû procéder à des nominations
malheureuses aux Gouvernorats de Mohéli et Anjouan. Mais, on ne peut lui
reprocher aucune dérive dictatoriale.
Quant à Assoumani Azali, nous avons vu qu’il a commis un irresponsable
et criminel coup d’État, qui a été suivi de la destruction totale de l’édifice
étatique et institutionnel du pays, dans une débauche de violation des droits
de l’Homme et des libertés fondamentales. Assoumani Azali est à la fois un
destructeur et un dictateur sans la moindre vision politique et étatique.
De 2006 à 2011, Ahmed Sambi a dirigé les Comores. On lui a reproché la
révision constitutionnelle du 17 mai 2009. Pourtant, à la suite de cet acte, le
président de l’époque n’avait pas augmenté et renforcé ses prérogatives. En
réalité, il s’était limité à de simples aménagements techniques sans véritables
conséquences juridiques et politiques. Mais, on reproche à Ahmed Sambi le
refus d’organiser l’élection qui allait permettre à un Mohélien d’entrer à la
Présidence de la République le 26 mai 2010 en tant que chef d’État, le climat
de répression qui a suivi la contestation de ce refus, et son maintien indu au
pouvoir jusqu’au 26 mai 2011.
Ikililou Dhoinine était très falot, sans imagination, ni vision, mais on ne
peut lui reprocher aucune dérive dictatoriale. L’inconstitutionnalité la plus
grave qu’on peut lui reprocher réside dans la fraude électorale immense et
inacceptable de 2016 en faveur du putschiste très incompétent et corrompu
Assoumani Azali. Ikililou Dhoinine était le président de l’incohérence et des
zigzags, mais il n’a jamais été un dictateur. Ce n’est pas pour autant qu’il est
un démocrate. C’était un faible arrivé au pouvoir à la fois par un pur accident
de l’Histoire, par hasard et par un malheureux aiguillage d’une Histoire des
Comores, forcément malheureuse et décevante.
En résumé, les Comores n’ont pas encore élu un chef d’État résolument en
phase avec les idéaux et principes de l’État de Droit et de la démocratie, un
vrai militant des droits de l’Homme. Pour autant, tous les présidents des îles
Comores n’ont pas affiché une hostilité ouverte envers l’État de Droit.
Les Comores ne sont pas encore une démocratie. Elles ont tout juste des
présidents moins dictatoriaux que d’autres, moins répressifs que d’autres. Ici
et là, on a confondu la fin du monolithisme politique avec la démocratie. Or,
il serait plus prudent d’éviter les amalgames de cette nature parce que même
les quelques acquis démocratiques cumulés depuis 1992 ont été détruits par
un Assoumani Azali assoiffé de pouvoir et d’argent.

§2.- MILITARISATION DE LA VIE POLITIQUE ET RÉSISTANCE DES CIVILS


La vie politique des Comores a toujours été dominée par les civils. Mais,
le coup d’État du 30 avril 1999 a complètement changé la donne politique
aux Comores. Cet événement survenu alors que les Comores étaient en
pleine détresse causée par le séparatisme à Anjouan, a créé un nouveau pays,

436
« les Comores des Colonels », des îles Comores se définissant par
l’aggravation de l’incompétence et de la corruption (A.), même si les
personnalités civiles sont arrivées à maintenir leur prééminence sur la scène
politique (B.).

A.- « LES COMORES DES COLONELS », PARADIS DE L’INCOMPÉTENCE ET


DE LA CORRUPTION
L’expression « Armée mexicaine » existe. Elle est foncièrement péjorative
et liée à la dérive d’une institution militaire dont les chefs sont légion, alors
que les exécutants sont d’un nombre très réduit. Naturellement, une Armée
de cette nature ne peut qu’être gangrenée par l’incompétence et l’inefficacité
de ses membres. Les médailles ridicules et de pacotille que des officiers plus
qu’incompétents et corrompus arborent en se bombant le torse ne changent
rien au fait qu’il s’agit d’une Armée risible et pittoresque, une Armée tout
juste bonne aux parades, mais inutile sur le plan opérationnel.
« L’Armée mexicaine » est sous le poids d’une hiérarchie qui existe sans
combattants devant obéir aux ordres des officiers. La Révolution mexicaine
de 1910 y est pour beaucoup dans l’apparition et le développement de cette
expression taillée dans le mépris. Mais, est-ce que ce mépris est volé ?
Au-delà de la réponse que chacun peut apporter à la question posée, force
est de constater que les Comores ont leur « Armée mexicaine », une Armée
faite de nombreux officiers promus pour la forme, mais n’ayant ni expertise,
ni compétence, une structure militaire au sein de laquelle les promotions se
font par groupes et non au mérite personnel. D’ailleurs, l’Armée comorienne
a quels mérites ?
Depuis les premiers mois de l’indépendance, l’Armée comorienne traîne
un horrible sobriquet : « Maya Bouré », « Ceux qui mangent pour ne rien
faire ». Elle a une réputation épouvantable. Elle est méprisée par le peuple.
Même se sachant dédaignée par les Comoriens, elle n’a jamais été soucieuse
d’améliorer son image de marque. Les Mohéliens se souviennent encore de
ce militaire comorien qui n’a pas été capable d’abattre à quatre mètres un
âne gravement malade et en divagation à Fomboni. Cette image est devenue
celle de l’Armée des « Maya Bouré ».
Cette Armée fit irruption sur la scène politique le 30 avril 1999, quand des
militaires comoriens ont commis un coup d’État et ont remis le pouvoir à un
Assoumani Azali qui a passé toute la soirée sur son tapis de prière. Il avait
attendu que les autres fassent le putsch et qu’ils lui remettent un pouvoir à la
conquête duquel il n’avait guère contribué. Après les mercenaires de Robert
« Bob » Denard, les Comores renouaient avec la douloureuse militarisation
de la vie politique. Le pays allait se retrouver en face du plus méprisable de
ses « officiers » : Assoumani Azali.
Assoumani Azali est opposé à toute honorabilité et à tout patriotisme. Il ne
parie que sur la violence. Sa relation avec la lâcheté est très ancienne. Elle se

437
manifeste publiquement pour la première fois le 26 septembre 1992. À cette
date, a eu lieu la tentative de coup d’État contre Saïd Mohamed Djohar. Cet
acte avait été le fait d’une partie de l’Armée et de l’opposition. Dégoûtés et
scandalisés, les auteurs de la tentative de putsch virent Assoumani Azali, qui
était pourtant impliqué dans la manœuvre, tourner casaque et se lancer dans
la traque et la répression de ses compagnons en putschisme. Indirectement et
directement, il provoqua la mort de la mère de Mohamed Ali Soilihi et tua
par dizaines de balles l’officier Ahmed Abdallah dit Apache, en poussant le
manque d’humanité jusqu’à faire promener son corps sans vie sur le capot
d’un véhicule militaire à travers toute la ville de Moroni.
Par la suite, précisément le 28 septembre 1995, Robert « Bob » Denard et
ses mercenaires arrivèrent aux Comores, destituèrent Saïd Mohamed Djohar,
qui allait prendre le chemin de l’exil vers l’île française de la Réunion. Lors
de la tentative de putsch du 26 septembre 1992 comme lors du coup d’État
du 28 septembre 1995, le chef d’État-major de l’Armée comorienne était le
même Assoumani Azali. Ce dernier massacra ses compagnons d’armes après
son retournement de treillis du 26 septembre 1992, et avait pris la fuite en
slip pour ne pas affronter Robert « Bob » Denard le 28 septembre 1995. Il se
cacha sous une table et dans les toilettes de l’ambassade de France, après
avoir mis à l’abri Ambari Darouèche, sa première épouse, à Iconi.
Le 6 novembre 1998, le président Mohamed Taki Abdoulkarim est mort
dans des conditions ténébreuses, des conditions non élucidées à ce jour, étant
tout de même entendu que l’empoisonnement ne fait aucun doute. Le jour
même de cette mort mystérieuse, Assoumani Azali, redevenu chef d’État-
major de l’Armée, convoque tous les officiers et leur fait part de sa décision
de prendre le pouvoir par la force, alors que selon la Constitution, c’est bien
Tadjidine Ben Saïd Massounde qui devait assurer l’intérim. Le futur Général
Salimou Mohamed Amiri et trois autres officiers s’opposèrent frontalement
aux projets d’Assoumani Azali. Or, ce n’était que partie remise parce que, le
30 avril 1999, Assoumani Azali s’installa au pouvoir à la suite d’un putsch, à
la réalisation duquel il n’a pas participé, se contentant de rester sur son tapis
de prière toute la nuit.
Du 30 avril 1999 au 26 mai 2006, Assoumani Azali, Ambari Darouèche,
ses « Colonels » en carton-pâte et Hamada Madi Boléro, l’exécuteur de ses
basses œuvres électorales par la fraude, ont mis les Comores à feu et à sang,
détruisant toute la gouvernance du pays. Partout, les « Colonels » faisaient la
Loi. En quelques jours, semaines et mois, on vit apparaître une vraie nuée de
faux « Colonels ». En 2002, j’étais chez moi, à Rabat, au Maroc, avec, à mes
côtés, le Commandant Mohamed Anrifi Moustoifa Bacar Madi dit José, un
idiot de village dont la mauvaise réputation a dépassé les horizons de l’île de
Mohéli. Un autre idiot de village, Mohamed Saïd Fazul, alors Gouverneur de
l’île de Mohéli, m’appela au téléphone. La discussion s’étendit à l’officier à
mes côtés, qui s’entretint à Mohamed Saïd Fazul, Baguiri et à Hamada Madi
Boléro. Ce dernier m’avait superbement ignoré, très fâché depuis qu’il avait

438
lu ce que j’avais écrit sur « sa carrière criminelle » en 2001, constatant que
les Comoriens n’avaient pas tous peur de lui et que ses méthodes mafieuses
pouvaient être dénoncées par un ancien camarade de classe qui n’a que du
mépris pour lui1.
Médusé et complètement dépassé, c’est dans une sorte de cauchemar sans
nom que j’entendis le Commandant lancer très violemment à Hamada Madi
Boléro : « Je proteste ! Je proteste vigoureusement contre la discrimination
dont je fais l’objet. Vous avez attendu mon séjour actuel au Maroc pour
procéder à la promotion de gens qui n’ont rien fait pour défendre le pays.
Vous oubliez que le 19 décembre 2001, il n’y a eu que moi pour repousser
les mercenaires qui avaient débarqué à Mohéli en croyant que ça serait un
bon départ pour eux. L’acte du gouvernement est à la fois discriminatoire et
ingrat ». Hamada Madi Boléro, qui a la détestable habitude de se prendre
au sérieux en écrasant les faibles par son mépris, lança un vigoureux : « Hé !
Sais-tu que tu parles au ministre comorien de la Défense, ton ministre de
tutelle ? ». Son ton méprisant et cassant m’avait vraiment déplu et horrifié.
La discussion prit fin, mais m’apprit une chose horrible : aux Comores, les
promotions au sein de l’Armée ne se font pas au mérite individuel, mais en
groupe et de manière à promouvoir en même temps tout un groupe de culots,
bidasses et troufions. Cette immense fumisterie a pour auteur Assoumani
Azali. Sous les régimes politiques précédents, les promotions pouvaient se
faire sur plus de 10 ans, et les officiers étaient de véritables professionnels et
non les « Colonels » fabriqués de toutes pièces par Assoumani Azali et ses
petits plaisantins. C’est Assoumani Azali qui prit l’habitude de distribuer les
galons de « Colonels » à une bande d’incompétents et de corrompus connus
pour le tournage de films pornographiques sous la direction de Hamada
Madi Boléro. Mon oncle Youssouf Ali, qui a commencé sa carrière militaire
sous l’uniforme de la France et dont la compétence n’a jamais été contestée,
est parti à la retraite avec le grade de Commandant. Il avait dirigé la garnison
de Mohéli pendant des années, et a été nommé Gouverneur par intérim de
l’île par divers présidents de la République, dans des circonstances souvent
douloureuses. Le Commandant Youssouf Ali et les officiers de sa génération
ne sont pas de nature à prendre au sérieux des « Colonels » de pacotille nés
sous la plume d’un Assoumani Azali.
La détérioration de l’Armée comorienne prit une nouvelle forme, jugée
plus dangereuse encore : l’intrusion de l’élément familial en son sein. Arrivé
au Maroc fin septembre 1986, je quitte ce pays le 25 mars 2005. De 1999 à
2005, j’ai vu défiler devant moi des dizaines de fils et de neveux des chefs
de la junte militaire. Viendra par la suite, le fils du putschiste Assoumani
Azali, devenu par la suite le chef de la garnison de Mdé, en Grande-Comore,
d’où il supervise les arrestations arbitraires et les tortures.

1 Riziki Mohamed (A.) : Comores. Les institutions d’un État mort-né, op. cit., p. 342.

439
À l’Université de Rabat, j’ai fait la connaissance d’un jeune lieutenant des
Forces Armées Royales (FAR) du Maroc qui préparait une Maîtrise en Droit
public. Il me dit au cours d’une discussion : « Les Comores ont l’habitude de
nous envoyer des nuls à l’Académie militaire, mais le plus nul de tous est
A… ». « A » a arrêté ses études en classe de troisième, s’était fait fabriquer
un Baccalauréat A et par la suite un Baccalauréat scientifique. Sa nullité
crasse alimente les conversations dans les salons feutrés et sur les places
publiques. Cet individu est impliqué dans la production des films porno-
graphiques. Un jour de janvier 2001, je rencontrais « A ». Il me fit part de sa
volonté de devenir chef d’État et de « la peur » qu’il suscite chez Assoumani
Azali, qui invente toujours des mesures d’éloignement pour lui, par
méfiance.
Les « Comores des Colonels » sont aussi le paradis des bidasses écervelés.
Nous voici en janvier 2002. Assoumani Azali avait fini par admettre que la
communauté internationale ne voulait plus entendre parler de pouvoirs issus
de coups de force. En janvier 2002, il avait fini par confier la présidence par
intérim à Hamada Madi Boléro, l’exécuteur de ses basses œuvres. Celui-ci a
formé un gouvernement d’union nationale. Fantasmant et fanfaronnant, à son
habitude, toute honte bue, Hamada Madi Boléro ose prétendre : « Un mois
après le remaniement du gouvernement, Mohamed Ali Soilihi, le ministre
des Finances et du Budget, issu de l’opposition, revint me voir pour me
demander de reprendre le dossier de paiement régulier des salaires. En
effet, pour le premier mois de son exercice, nous arrivions à la fin du mois
sans que les fonctionnaires ne soient payés, alors qu’ils étaient habitués à
percevoir leurs salaires le 25ème jour du mois. Tout le monde croyait que la
nomination d’un ministre issu de l’opposition constituerait un frein au bon
fonctionnement de l’exécutif de Transition. Avec Mohamed Ali Soilihi, les
choses reprirent leur cours normal ; la dette publique continuait à être
payée et, de toute façon, Moindjié Sandi, le Trésorier payeur général,
n’aurait jamais permis que cela ne soit pas ainsi. L’expérience et surtout son
sens des responsabilités l’avaient aidé à se tailler une image d’homme de
principe. Lorsque je lui disais de faire comme si les portes du Trésor public
étaient fermées, Moindjié Sandi n’acceptait aucun cas d’urgence pour
décaisser de l’argent public. Mohamed Ali Soilihi le connaissait bien et il me
disait qu’il le respectait et qu’il n’y aurait donc aucun problème pour
appliquer les décisions gouvernementales »1.
Hamada Madi Boléro ment : Moindjié Sandi, le Trésorier payeur général
(TPG), est un grand voleur d’argent public. Contrairement aux prétentions
fantasmagoriques et fallacieuses d’un Hamada Madi Boléro, toujours englué
dans les pires mensonges, Moindjié Sandi n’a jamais eu de « principes » au
sens noble du terme. Sa prétendue « expérience » se limite à sa kleptocratie,
lui qui a passé toute sa vie à voler l’argent du peuple comorien, avec ou sans

1 Madi Boléro (H.) : Au service des Comores. Tome II. La renaissance, op. cit., pp. 49-50.

440
la complicité d’Ambari Darouèche. De quel « sens des responsabilités » le
menteur Hamada Madi Boléro a vu chez le voleur Moindjié Sandi ? Une fois
de plus, il est dans le mensonge et dans les fanfaronnades.
Pis, Hamada Madi Boléro, nageant toujours dans ses mensonges les plus
abjects et ignobles, n’a aucune honte à s’enfermer dans le piège de ses pires
inventions pour s’attribuer « le beau rôle » : « Après ce premier Conseil des
ministres, le nouveau ministre des Finances issu de l’opposition, Mohamed
Ali Soilihi dit “Mamadou”, demanda à me rencontrer en tête-à-tête. Il me
demanda solennellement de lui faire confiance et de le laisser gérer son
ministère, car, selon lui, lorsqu’il avait occupé ce poste sous la présidence
de Mohamed Taki Abdoulkarim, cela n’avait pas été le cas. Je lui répondis
que j’étais ravi qu’il me fasse cette remarque et qu’il était libre de gérer son
domaine dans le respect des règles républicaines, tout en lui rappelant que
la priorité du gouvernement en matière de dépenses publiques était le
paiement régulier des salaires y compris les pensions des retraités et le
remboursement de la dette publique »1.
Or, Mohamed Ali Soilihi tient à juste titre Hamada Madi Boléro pour un
fieffé menteur, et a une lecture plus sincère de ce qui s’est passé de janvier à
juin 2002, quand il était ministre dans le gouvernement d’union nationale,
dirigé par le menteur et fraudeur électoral de Boingoma : « Je suis quand
même étonné d’apprendre que Hamada Madi Boléro prétend dans le Tome
II de son livre qu’il m’avait donné carte blanche pour gérer de façon
autonome le ministère de l’Économie et des Finances de janvier à juin 2002.
Ce n’était pas le cas. Au cours de chaque Conseil des ministres, je signalais
que je ne contrôlais aucun Directeur lié à mon ministère. Les hommes
d’Azali Assoumani avaient un contrôle total sur la Douane, et faisaient ce
qu’ils voulaient de l’argent de l’État. La Direction des Impôts était un État
dans l’État, et la situation scandalisait tous les Comoriens, qui parlent
encore de cette période avec une sainte horreur.
Je me plaignais constamment auprès de Hamada Madi Boléro en Conseil
des ministres, mais personne ne se donnait la peine de m’écouter. Je ne
pouvais avoir aucune sorte de dialogue avec ces gens-là. Tous les chefs des
services financiers se moquaient ouvertement de moi et me narguaient dans
une impunité totale, alors qu’ils conduisaient inexorablement le pays à la
ruine, dans une insouciance et inconscience à glacer le sang. Ce sont des
gens qui se savaient au-dessus de tout le monde.
Ces gens-là contrôlaient tout et s’occupaient de tout, mais de la pire des
façons. Au moins, sous Mohamed Taki Abdoulkarim, je disposais d’une
certaine latitude d’action, hormis quand il était question du TPG. Mais, sous
le régime politique d’Azali Assoumani et Hamada Madi Boléro, je ne
pouvais rien faire. J’ai souffert en silence parce qu’on ne gère pas les

1 Madi Boléro (H.) : Au service des Comores. Tome II. La renaissance, op. cit., p. 48.

441
affaires de l’État d’une manière aussi cavalière. Je n’en veux à personne,
mais les choses étaient ainsi.
On ne me facilitait pas les choses. Notre collaboration au sein du gouver-
nement manquait d’exemplarité et de sérieux. On ne me laissait même pas
planifier les salaires. Je ne voyais personne travailler de manière respon-
sable. J’étais l’opposant à qui il ne fallait pas faire confiance, à qui il ne
fallait accorder aucune marge de manœuvre. C’est le pays qui en pâtit »1.
Les hommes d’Assoumani Azali et Hamada Madi Boléro ne comprennent
rien aux affaires de l’État. Champion de l’exagération mensongère sur son
prétendu « talent » en matière de gestion publique, Hamada Madi Boléro, n’a
pas compétence en la matière. Il ne connaît rien, il ne comprend rien dès
qu’il s’agit de gestion publique. Ses connaissances du Droit sont encore pires.
Il s’est autoproclamé « le plus grand juriste comorien de tous les temps »,
mais tout bon juriste remarque son incompétence en matière de Droit et de
gestion publique au bout de quelques secondes. J’ai eu à l’interpeller sur ses
mensonges à plusieurs reprises, et je l’ai vu me fuir pour aller raconter ses
mensonges à des Comoriens qui vivent en région parisienne et n’ont aucune
notion de Droit en tête. Or, il est, avec le vil mercenaire Nourdine Abodo, le
« juriste » d’Assoumani Azali.
Lors de la junte militaire d’Assoumani Azali, les Comoriens assistèrent à
la transformation de l’Armée en institution tribale et insulaire. Un militaire a
tué l’Armée comorienne. Partout, on retrouvait des militaires ayant droit de
vie et de mort sur chaque Comorien. Ces militaires avaient vampirisé toute la
sphère étatique. Du 30 avril 1999 au 26 mai 2006, les Comoriens ont vécu
sous la férule de militaires « Maya Bouré », incompétents et corrompus. Ce
sont les militaires qui ont dirigé les Comores à l’aveuglette au cours de cette
période sombre. Quand, le 26 mai 2006, Assoumani Azali quitta Beït-Salam
sous les huées, injures, quolibets et malédictions du peuple comorien, c’est
parce que sa gestion a été calamiteuse. L’individu qui a appris « la pâtisserie
militaire » à Meknès est resté dans la petitesse et dans la médiocrité.
Un autre militaire s’était tristement illustré aux Comores : le mercenaire
Combo Ayouba, la créature et fils spirituel de Robert « Bob » Denard, quand
il dirigeait la Garde présidentielle d’Ahmed Abdallah Abderemane. Il n’est
pas inutile de signaler que, vraiment impliqué dans la tentative de putsch du
26 septembre 1992, il croupissait en prison quand le mercenaire français est
parti renverser Saïd Mohamed Djohar le 28 septembre 1995. Il retrouvait la
liberté pendant qu’Assoumani Azali fuyait en slip pour aller se cacher sous
une table et dans les toilettes de l’ambassade de France à Moroni.
Tout de suite après sa libération par Robert « Bob » Denard et ses affreux,
Combo Ayouba fut présenté comme le « nouvel homme fort des Comores ».
On l’entendit dire devant la presse nationale et internationale ce qui peut

1 Entretiens du jeudi 10 septembre 2015. Cité par Riziki Mohamed (A.) : Mohamed Ali

Soilihi. Les Comores à cœur et dans l’âme, op. cit., p. 88.

442
sortir de pire de la bouche d’un Comorien qui est sensible aux malheurs qui
ont été apportés aux Comores par Robert « Bob » Denard et ses hommes :
« Tout ce que je peux vous dire, c’est que, Bob Denard, lui, est un Comorien.
C’est un Comorien de nationalité. Il est venu avec des amis et pas avec des
mercenaires ». À la question de savoir s’il allait y avoir une « intervention
française », le mercenaire comorien de Robert « Bob » Denard avait répondu
crânement, et avec un incroyable aplomb : « Il n’y a pas la guerre aux
Comores. L’intervention française doit avoir lieu s’il y a la guerre ou si les
ressortissants français sont menacés. Vous circulez dans le pays et vous
voyez que le pays est calme. Tout est calme ».
Le 13 juin 2010, Combo Ayouba se faisait cribler de balles à Moroni, dans
des conditions qu’aucun juge n’a essayé d’élucider.
Après la très brève parenthèse incarnée par Combo Ayouba, le pouvoir
avait été confié pour quelques heures à Mohamed Taki Abdoulkarim et à
Saïd Ali Kemal Eddine, mais l’intervention française mit un terme à toute
cette improvisation de plus de Robert « Bob » Denard à la tête de l’État, tel
que cela a été constaté lors de l’assassinat d’Ahmed Abdallah Abderemane
le 26 novembre 1989. Ce qui avait incité Claude Wauthier à signaler que,
« à l’autre bout de l’Afrique, aux Comores, en mars également [1996], le corps
électoral a porté au pouvoir un compagnon de route de Bob Denard et de ses
mercenaires, qui l’avaient nommé en septembre 1995 coprésident (avec le
prince Saïd-Ali Kemal) du régime éphémère auquel mit fin l’intervention
française »1. Il s’agit de Mohamed Taki Abdoulkarim. Mais, en réalité, n’est-il
pas quelque peu excessif de le déclarer « compagnon de route de Bob Denard
et de ses mercenaires » ? Robert « Bob » Denard n’avait pas fait le coup d’État
pour l’installer au pouvoir, mais juste pour libérer les fils jumeaux d’Ahmed
Abdallah Abderemane et se réconcilier avec la famille du président qu’il avait
froidement et sauvagement assassiné le 26 novembre 1989. Le retour en grâce
de Robert « Bob » Denard auprès de la famille d’Ahmed Abdallah Abderemane
est un sujet d’interrogations indignées et de dégoût chez les Comoriens.
On retrouvera d’autres militaires sur la scène politique comorienne, mais à un
autre niveau, à Anjouan, où ils ont été les chefs du séparatisme sanglant : le
Lieutenant-colonel Abeid Saïd Abderemane (retraité de l’Armée française) et le
« Colonel » assassin et tortionnaire Mohamed Bacar, chassé du pouvoir suite au
débarquement militaire du 25 mars 2008. Assoumani Azali a été le complice de
ces deux militaires bornés et aux tendances criminelles. Comme cela a été déjà
noté lors des développements qui précèdent, en mai 2018, Ambari Darouèche,
sa première épouse, avait déclaré publiquement son amour pour le Colonel
Mohamed Bacar, qu’il a connu dans une caserne de Pamandzi, à Mayotte.
Assoumani Azali se servait de Mohamed Bacar pour faire pourrir la situation
politique à Anjouan, afin de s’enrichir avec lui.

1Wauthier (Claude) : Entre coups d’État et désaffection électorale. Dures épreuves pour les
démocraties africaines, Le Monde diplomatique, Paris, septembre 1996, p. 3.

443
En conclusion, le seul militaire qui a dirigé l’État comorien (pour le malheur
du peuple comorien) reste Assoumani Azali, mais ce dernier avait organisé une
longue chaîne criminelle incluant d’autres militaires. Ces militaires gagnés par
le banditisme sévissaient au niveau de tout le pays tout comme ils pourrissaient
la vie des Comoriens sur la seule île d’Anjouan. Ils se comportent de la manière
la plus contestable.

B.- UNE MAJORITÉ DE CIVILS SUR LE CHAMP POLITIQUE


L’entrée très violente d’Assoumani Azali sur le champ politique a réveillé
des appétits de pouvoir chez un certain nombre de soldats comoriens. Cette
irruption fort regrettable et nuisible, même si elle se limite à la junte militaire
d’Assoumani Azali, et a marqué les esprits d’autres soldats qui croient avoir
un destin national, en dirigeant les Comores un jour, suite à un coup d’État.
Cependant, la scène politique comorienne reste dominée par des civils :
- Saïd Mohamed Cheikh,
- Le Prince Saïd Ibrahim,
- Ahmed Abdallah Abderemane,
- Ali Soilihi,
- Saïd Mohamed Djohar,
- Mohamed Taki Abdoulkarim,
- Tadjidine Ben Saïd Massounde,
- Ahmed Sambi,
- Ikililou Dhoinine.
Même la plupart des ministres sont des personnalités civiles. C’est sous la
junte militaire d’Assoumani Azali que les Comoriens verront un militaire à
la tête d’un ministère : Halidi Charif. De même, c’est à la suite du décès du
Gouverneur d’une île, qu’un militaire sera chargé d’assurer l’intérim. Plus
d’une fois, mon oncle, le Commandant Youssouf Ali fut nommé Gouverneur
par intérim de Mohéli, à la suite de la mort de l’autorité, et souvent dans le
but de créer les conditions d’une réconciliation au sein de l’île quand survint
une crise politique d’une certaine ampleur. Notons que, quand commença la
crise séparatiste qui allait durer du 16 février 1997 au 25 mars 2008 sur l’île
d’Anjouan, Mohamed Taki Abdoulkarim avait choisi comme Gouverneur
pour cette île un « dur » : le Commandant Cheikh Allaoui. Mais, la crise a
été tellement grave que ce dernier ne tarda pas à se rendre compte qu’il était
dépassé par les événements et qu’il devait se retirer de la scène politique.

§3.- UNE SOCIOLOGIE POLITIQUE FORTEMENT MARQUÉE PAR DES


CONFLITS DE GÉNÉRATIONS
Dès l’accession du pays à l’indépendance, les jeunes partirent à l’assaut du
pouvoir politique, contre les gérontocrates (A.). Cette conquête du pouvoir a
transformé les « anciens » en fossiles et carcasses de « dinosaures » (B.).

444
A.- LES JEUNES À L’ASSAUT DU POUVOIR, BASTION DES GÉRONTOCRATES
Le conflit des générations constitue une des réalités sociologiques les plus
visibles aux Comores. Longtemps, l’appareil d’État a été considéré comme
la chasse gardée des « anciens ». Or, Ahmed Abdallah Abderemane n’avait
pas fini de faire la proclamation unilatérale de l’indépendance des Comores,
le 6 juillet 1975, que, le 3 août 1975, Ali Soilihi, le renversait lors d’un coup
d’État bon enfant et débonnaire. Quelques armes de chasse ne dépassant pas
le nombre de cinq avaient suffi. Les Comoriens assistèrent alors à une chose
tout à fait inédite : le pays passa des « anciens », les administrateurs formés
et expérimentés par la France lors de la période de l’autonomie interne, aux
jeunes collégiens et lycéens qui ont décidé de faire la Révolution.
Du jour au lendemain, les Comores devinrent un immense chantier dans
lequel fut expérimenté « l’État lycéen » cher à Jean-Claude Pomonti. À tous
les niveaux de l’État, les jeunes prirent les commandes du pays. Saïd Dhoifir
Bounou, originaire de Mlabanda, Mohéli, quitta le lycée pour aller occuper
la fonction de ministre de la Défense. En d’autres termes, les îles Comores
avaient un ministre de la Défense, leur premier ministre de la Défense, qui
avait juste 20 ans. Après le coup d’État du 13 mai 1978, il se retrouva dans
une cellule de prison pendant 12 mois, sans le moindre jugement, comme les
autres dignitaires du régime politique révolutionnaire. Ce n’est qu’après la
prison politique que Saïd Dhoifir Bounou a repris ses études secondaires en
vue de la préparation de son Baccalauréat. Il y arrivera et fera un passage
fructueux à l’ÉNES de Mvouni et à l’Université de la Sorbonne, où il obtint
une Maîtrise en Histoire et Géographie. Comme du milieu des années 1970 à
la fin des années 1980, les nouveaux bacheliers devaient effectuer le service
national en enseignant dans un Collège, Saïd Dhoifir Bounou avait été mon
Professeur de français et d’anglais en 4ème au Collège de Wanani, le village
d’origine de mon père, où j’avais atterri, à la suite d’une grave accusation de
« tchip » ou « tchipage » formulée par mon professeur d’arabe au Collège de
Fomboni, juste pour prouver son autorité. Par la suite, Saïd Dhoifir Bounou
deviendra le Proviseur du Lycée de Fomboni, et était à ce poste lors de mon
admission au Baccalauréat. Sa carrière politique sera bien remplie, comme
on peut le noter notamment à la lumière de son élection à la Présidence de
l’Assemblée de l’Union des Comores.
La première délégation comorienne qui se rendit à l’ONU, en novembre
1975, et qui fit admettre le pays au sein de cette organisation comprenait sa
part de collégiens et lycéens, sans la moindre expérience étatique, encore
moins pour les affaires internationales. Certains de ces collégiens et lycéens
refusèrent de retourner aux Comores, et attendirent le putsch du 13 mai 1978
pour pouvoir s’y rendre. À Mohéli, on rit encore en évoquant l’affrontement
entre Hadj Ousseine Mkandra et les chefs révolutionnaires. Saïd Ousseine dit
Abdou Mkandra était un jeune révolutionnaire arraché des bancs du lycée et
dépêché à l’ONU en novembre 1975. De retour de sa mission à New York

445
après l’admission des Comores à l’ONU, le 11 novembre 1975, il décida de
ne pas rentrer à Moroni. Il s’arrêta en France. Les chefs de la Révolution se
rendirent auprès de son père, un ancien gendarme très sûr de lui-même. Un
monologue des sourds-muets a eu lieu :
- Où est votre fils Abdou ?
- Il étudie au Lycée de Mutsamudu, à Anjouan.
- Il n’y est plus. Il a profité d’un voyage aux Nations Unies pour fuir en
France. Vous devez nous le ramener sinon vous serez considéré comme
son complice et jeté en prison.
- Ah bon ? Mais, c’est moi qui vais vous poursuivre en justice ! Je croyais
que mon fils était au Lycée de Mutsamudu, à Anjouan. Or, vous l’avez
déscolarisé, vous l’avez envoyé je ne sais où, et maintenant, c’est vous
qui venez vous plaindre ? Vous êtes culottés. Je vais vous poursuivre en
justice, et je vous somme de ramener mon fils ici.
Ayant compris qu’ils étaient en présence d’une personne qui ne se laissera
jamais impressionner, les jeunes chefs de la Révolution battirent en retraite.
Hadj Ousseine Mkandra s’était copieusement moqué d’eux. Dès 1973-1974,
alors que le slogan des indépendantistes comoriens était « Ouhourou na
Kazi », « Indépendance et travail », il ne cessait de répéter, très moqueur :
« Ouhourou na Kazi ou Ouhourou na Ouwidzi ? », « Indépendance et travail
ou indépendance et vol ? », parlant des maraudeurs de ses noix de coco dans
sa plantation de Massangani, sur les hauteurs de Djoiezi.
Le régime politique d’Ali Soilihi avait été un extraordinaire exutoire pour
les jeunes révolutionnaires, essentiellement issus de couches sociales parmi
les plus défavorisées et qui tiraient un plaisir sadique des humiliations inutiles
qu’ils faisaient subir aux « bourgeois, aristocrates et viveurs dans le luxe ».
Les jeunes révolutionnaires étaient doués pour l’invective, les humiliations
et les injures sur les aînés, en particulier sur ceux qui avaient travaillé lors de
la période de l’autonomie interne. Pourtant, un minimum de réalisme oblige
chacun à se poser la question : comment des collégiens et des lycéens sans la
moindre formation en gestion publique et qui n’avaient aucune expérience
en la matière pouvaient faire fonctionner efficacement un État, satisfaire les
besoins élémentaires de la population et trouver des solutions réalistes à ses
nombreux problèmes, dans un contexte de rupture brutale des relations avec
la France, qui alimentait totalement le budget du Territoire des Comores ?
De fait, « l’État lycéen » relevait plus du folklore, sans constituer un État
au sens civilisé du terme. Même le paiement des salaires des fonctionnaires
et agents de l’État relevait de la gageure. Qui plus est, il fallait beaucoup de
pudeur pour parler de « salaires » car le chef de l’État avait des émoluments
qui étaient fixés à 60.000 francs comoriens, soit 120 euros par mois. Même
en invoquant la ferveur révolutionnaire, on ne saurait prendre au sérieux un
régime politique dont le président perçoit un salaire de 120 euros.
Le régime politique d’Ali Soilihi manquait visiblement de sérieux.

446
Les jeunes révolutionnaires étaient fougueux, mais on ne pouvait compter
sur eux pour faire fonctionner un État. Les jeunes Comoriens étaient sortis
de leur carcan social, mais pour semer le désordre dans le pays.
Revenu au pouvoir à la faveur de son coup d’État du 13 mai 1978, Ahmed
Abdallah Abderemane avait fait appel aux « anciens », ceux dont ne voulait
pas « l’État lycéen », mais les jeunes étaient aux aguets. La « gendrocratie »
de Saïd Mohamed Djohar leur donna l’occasion de revenir sous les feux de
la rampe, mais pour se mettre sous les ordres du gendre en chef Mohamed
Saïd Abdallah Mchangama. Ce dernier se voyait en futur chef d’État et avait
commencé à recruter son équipe. Il avait été à l’origine du recrutement d’un
certain nombre de jeunes qui n’allaient plus quitter la scène publique, dont la
plupart sont des malfaiteurs, des mendiants et des voleurs. On raconte encore
comment, tout juste arrivé de France, Ibrahim Ali Mzimba avait déployé des
trésors de mendicité pour être présenté au chef des gendres. Arrivé à ses fins
en la matière, il fut nommé Conseiller juridique du président Saïd Mohamed
Djohar à la demande de son très puissant protecteur Mohamed Saïd Abdallah
Mchangama, qui pouvait humilier qui il voulait en public.
Le régime politique de Saïd Mohamed Djohar a été le second paradis des
jeunes inexpérimentés, après la Révolution d’Ali Soilihi. Les jeunes ont pris
l’habitude de mépriser les aînés, les « inutiles vestiges du passé ».

B.- LES GÉRONTOCRATES, TRANSFORMÉS EN FOSSILES ET CARCASSES DE


« DINOSAURES »
Les « dinosaures ». Mais, que viennent faire dans la vie politique des îles
Comores ces animaux qui sont apparus il y a environ 240 millions d’années
et ont disparu il y a 66 millions d’années à la fin du Crétacé, selon nombre
de paléontologues ? En réalité, le mot « dinosaures » en langage politique
des Comores n’est nullement lié à la paléontologie en tant que science des
restes fossiles des êtres vivants du passé, mais à une volonté de singulariser
la présence, sur la scène politique comorienne, de personnalités ayant vieilli
en politique mais qui considèrent que l’heure de la retraite n’a pas sonné.
Plus exactement, il faut signaler que, « généralement impitoyables envers
les membres de leur classe politique, les Comoriens ont trouvé un surnom à
ceux d’entre eux qui ont vieilli sur pied : “Dinosaures”. Parfois, en parlant
de “dinosaures”, on peut désigner même un acteur politique qui n’a pas
atteint l’âge de 50 ans. Que s’est-il passé ? En réalité, lors de la présidence
de Saïd Mohamed Djohar (1989-1995), les Comoriens virent arriver sur
l’espace public de nombreux jeunes inexpérimentés, mais assistèrent aussi
au départ prématuré à la retraite de la plupart des principaux animateurs du
régime politique d’Ahmed Abdallah Abderemane (1978-1989).
Les anciens collaborateurs, les fonctionnaires et les cadres ayant servi
sous la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane et qui avaient quitté la
scène politique depuis la période de Saïd Mohamed Djohar sont devenus des

447
“dinosaures”, considérés comme sans avenir politique. La “momification
politique” a laissé des traces profondes, et il est impossible de donner vie à
une “momie politique” aux Comores… »1.
Les jeunes loups de la politique comorienne ont un autre mot pour parler
des « dinosaures » : les « vieux cons ». Cette deuxième expression est encore
plus inhumaine, et est dénuée de toute forme de charité. Autant dire que les
jeunes loups aux dents acérées et les « dinosaures » se regardent en chiens de
faïence. Pendant que les jeunes considèrent que les « anciens » sont des
hommes du passé, les « dinosaures » estiment que leurs adversaires sur le
plan générationnel sont des « arrivistes, des incapables et des irresponsables
sans manières, ni fierté, ni amour pour leur pays », malgré leurs diplômes
universitaires.
Le « dinosaure » Saïd Hassane Saïd Hachim commença sa carrière politique
lors de la période coloniale, a connu son heure de gloire sous les présidences
d’Ahmed Abdallah Abderemane, Saïd Mohamed Djohar et Mohamed Taki
Abdoulkarim. Il fit des apparitions très remarquées sous le régime politique
d’Ahmed Sambi et celui d’Ikililou Dhoinine. Quand Assoumani Azali lança
son projet d’« assises “nationales” », il ne fit que reprendre à son compte, à
compter du 4 juin 2017, une idée chère au « dinosaure » Ali Bazi Selim et
d’autres gérontocrates de la Grande-Comore. Saïd Hassane Saïd Hachime est
l’un de ces derniers. Mais, quand les « dinosaures » de la Grande-Comore
finirent par comprendre que la « Ripoux-blique » de Mitsoudjé avaient pour
projet le pervertissement à des fins dictatoriales et népotiques des « assises »
prétendument « nationales », ils avaient eu l’élégance morale de dénoncer de
manière significative la démarche entreprise contre la nation comorienne. La
dénonciation en question a été significative et avait enlevé toute crédibilité à
la dictature familiale, clanique et villageoise de Mitsoudjé, désavouée un peu
partout aux Comores et par les communautés comoriennes fixées à l’étranger
– surtout en France. Saïd Hassane Saïd Hachime est de ceux qui dénoncent
le référendum anticonstitutionnel du lundi 30 juillet 2018.
En Grande-Comore, les conventions sociales sont très différentes de celles
des autres îles. Aucun Mohélien n’est obligé de vénérer mon cousin Soilihi
Mohamed Soilihi, « l’ami » de tous les présidents comoriens, de l’accession
du pays à l’indépendance à sa mort, survenue en juin 2016, le prince de tous
les « dinosaures » comoriens. À Anjouan, Mohéli et Mayotte, un « ancien »
sera respecté parce que les valeurs sociales l’exigent, mais personne n’est
prêt à y ajouter une dimension politique. Par contre, en Grande-Comore, sur
l’espace public, même les jeunes les plus progressistes sont prêts à fermer un
peu trop facilement les yeux sur les actes des plus contestables des vieux
politiciens, uniquement parce qu’il s’agit des « anciens ». Le Comorien qui
oserait porter en public des accusations sur le passé politique des anciens tels

1 Riziki Mohamed (A.) : Mohamed Ali Soilihi. Vérités sur une élection aux Comores, op. cit.,

p. 174.

448
que Saïd Mohamed Cheikh, le Prince Saïd Ibrahim, le Prince Saïd Mohamed
Djaffar, Mohamed Taki Abdoulkarim, Salim Ben Ali, Ali Bazi Selim, Ali
Mroudjaé, Mouzaoir Abdallah et Saïd Hassane Saïd Hachim (…) prendrait
le risque de se faire lyncher même devant un Commissariat de Police.
Les « dinosaures » eux-mêmes ne se considèrent pas comme des hommes
du passé. Pour preuve, lors de l’élection présidentielle de 2010, Mohamed
Hassanaly faisait partie des candidats. Né en 1941, il était alors âgé de 69
ans et était le doyen de tous les candidats. Il était candidat non pas parce
qu’il avait la faiblesse de croire qu’il avait des chances de se faire élire, mais
parce qu’il ne se voyait pas encore quitter la scène politique, et parce qu’il
avait quelques comptes personnels à régler avec ses anciens camarades du
FPC, un parti politique essentiellement mohélien de par ses origines réelles,
sa vocation et sa composition. En 1971, il avait été le premier Mohélien qui
a été nommé ministre. Au cours de la même période, il est élu Député et, en
1975, il sera désigné vice-président de la République par Ali Soilihi, avec
qui il était en désaccord total sur la gouvernance, et surtout sur le chapitre
des droits de l’Homme. Ali Soilihi le placera en résidence surveillée, et c’est
à la suite du coup d’État du 13 mai 1978 qu’il en sortira. Son rejet de la
politique de la Révolution lui vaudra de ne pas figurer parmi les autorités qui
furent jetées en prison au lendemain du putsch en question. Pourtant, il subit
l’ostracisme du régime politique d’Ahmed Abdallah.
Lors de l’élection présidentielle de 2016, on retrouve parmi les candidats,
des « dinosaures », bien évidemment originaires de la Grande-Comore, dont
la présence sur la scène politique nationale est relativement ancienne :
- Saïd Ali Kemal Eddine, fils aîné du Prince Saïd Ibrahim, présent sur la
scène publique depuis 1969, quand il dirigeait la radio nationale ;
- Le Docteur Mtara Maécha, médecin formé en France mais lancé très tôt en
politique, ancien président de l’ASÉC, ministre de l’Éducation nationale
au lendemain du putsch du 13 mai 1978, surnommé « le gynécologue du
président Ahmed Abdallah Abderemane », dont il était un fidèle parmi
les fidèles, ministre des Affaires étrangères sous la présidence de Saïd
Mohamed Djohar, avant de se retourner contre lui, étant impliqué dans
la tentative de coup d’État du 26 septembre 1992, implication qui lui a
valu une condamnation à mort sans suite. Il fut libéré lors du coup d’État
du 28 septembre 1995 ;
- Charif Saïd Ahmed Saïd Ali, né en 1945, ancien ministre de l’Économie et
des Finances sous Ahmed Abdallah Abderemane ;
- Ibrahima Hissani Mfoihaya, ancien Inspecteur de l’Enseignement sous la
présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane, ministre de Saïd Mohamed
Djohar, spécialiste des injures haineuses, des menaces envers ceux qu’il
considère comme des adversaires et des ennemis, chantre et thuriféraire
de la dictature de Mitsoudjé s’étant prononcé en faveur de la suppression
de la Cour constitutionnelle, à qui il voue une sourde haine ;

449
- Mohamed Ali Nassor, ancien ministre de l’Économie et des Finances sous
la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane, Conseiller du putschiste
Assoumani Azali lors de sa junte militaire. Très affaibli par la maladie, il
était complètement rayé de la mémoire des Comoriens jusqu’à ce que le
site www.lemohelien.com rappela dans un article du mardi 2 septembre
2014 aux Comoriens qu’il était encore en vie. À l’époque, il cherchait à
se faire éjecter de son sarcophage politique, en suppliant Ahmed Sambi
de faire de lui le candidat de son parti politique Juwa lors du scrutin
présidentiel de 2016. C’est Fahmi Saïd Ibrahim qui avait été choisi.
Dès 2017, quand Assoumani Azali sombra complètement dans les délires
fantasques et fantasmagoriques sur son « émergence à l’horizon 2030 », soit
le rêve de rester au pouvoir jusqu’en 2030, Moustoifa Saïd Cheikh s’opposa
à lui de façon catégorique. Cela lui vaudra d’être traîné sur le goudron par
les forces de l’ordre, lors d’une manifestation de protestation en juin 2018.
La Justice aux ordres le condamna à 12 mois de prison, dont 12 jours de
prison ferme pour sa participation à cette manifestation. L’intéressé n’est pas
un novice sur la scène politique comorienne, lui qui y est depuis la fin des
années 1960, et qui s’y est particulièrement et courageusement illustré dans
les années 1980 par son opposition au régime politique d’Ahmed Abdallah
Abderemane, notamment à cause de la présence des mercenaires de Robert
« Bob » Denard aux Comores. Jeté en prison lors de la tentative de putsch de
1985, il refusa de demander pardon, et y croupira jusqu’à l’assassinat de son
adversaire Ahmed Abdallah Abderemane le 26 novembre 1989. Refusant de
renier ses principes, il se fait insulter sur Internet par les mercenaires de la
plume payés par Ambari Darouèche pour dénigrer et tenter d’intimider les
adversaires de la « Ripoux-blique » de Mitsoudjé, qui lui reprochent son âge
et lui demandent de ne plus se mêler de politique !
Les « dinosaures » ont beaucoup de choses à se reprocher, notamment du
fait de leur compromission auprès de Robert « Bob » Denard et de la caution
qu’ils avaient apportée à la dictature d’Ahmed Abdallah Abderemane. Mais,
en même temps, ils sont devenus la mémoire du pays, ceux qui aiguisent la
conscience civique des jeunes, incarnant le magistère moral des Comores, en
dépit de tout ce qu’il y a de négatif sur leur passé.
Les « dinosaures » ont eu une seconde vie quand Ikililou Dhoinine a été
élu président de la République le 26 décembre 2010 et investi le 26 mai 2011
dans ses nouvelles fonctions. Se présentant goulûment et abusivement sous
le nom de « Grands Notables », ils exercent une grande influence politique et
sociale sur les dirigeants, s’investissant de missions particulières. Or, ils
refusent de dire de qui ils tiennent leur pouvoir.
Mouzaoir Abdallah, né à Moroni en 1941 et dont la carrière commença en
1967, a été président de la Chambre des Députés au cours des années qui ont
précédé l’accession des Comores à l’indépendance, le 6 juillet 1975. Suite à
son coup d’État du 3 août 1975, Ali Soilihi le nomma ministre des Affaires
étrangères. Considéré comme un des « dinosaures » les plus emblématiques

450
des Comores, on le retrouve président de la Cour constitutionnelle lors du
régime politique d’Ahmed Sambi, avec qui il sera en désaccords profonds, et
qui l’y fera destituer, malgré l’inamovibilité inhérente à la fonction. Alors
que les Comoriens avaient tendance à oublier jusqu’à son existence, il avait
choisi de s’illustrer dans la clandestinité et l’inconstitutionnalité totale lors
de l’élection présidentielle de 2016, quand il est devenu le porteur de valises
d’argent destinées à corrompre les membres de la Cour constitutionnelle en
faveur d’Assoumani Azali, qui n’avait aucune chance de se faire élire dans
des conditions constitutionnelles et démocratiques.
Proche du vice-président Djaffar Ahmed Saïd Hassani, marié à un membre
de sa famille à Moroni, il tenta vainement de devenir le président du Conseil
d’administration de la Banque pour l’Industrie et le Commerce (BIC) avec le
soutien de ce dernier. Mais, le poste a été attribué à Saïd Mohamed Sagaf, en
septembre 2017, pour son implication dans les « assises “nationales” » de la
haine et du mépris, « assises » qui lui permirent de s’enrichir rapidement,
considérablement et illégalement, comme aux temps de la « gendrocratie »,
lui-même étant un gendre de Saïd Mohamed Djohar. Saïd Mohamed Sagaf
est un homme sans honneur, mais qui se prévaut de son statut de Chérif,
descendant du Prophète, et commet les vols d’argent public les plus vils et
les plus condamnables. Les années sont passées et ne l’ont pas assagi.
Quand, le samedi 16 juin 2018, Djaffar Ahmed Saïd Hassan prononça son
discours pour dénoncer la dictature d’Assoumani Azali, les Comoriens on vu
Mouzaoir Abdallah à ses côtés. D’aucuns prétendirent même que celui qui
avait préparé l’exercice oratoire de son protégé. Toujours en juin 2018, à la
suite d’une manifestation publique contre la dictature d’Assoumani Azali, on
avait assisté à l’arrestation illégale de l’ancien ministre Ahmed Hassane El-
Barwane, de Moroni, connu pour être l’un des proches d’Ahmed Sambi,
dont il dirige le parti politique. Cette arrestation avait dégoûté les Comoriens
sur toutes les îles. Le jour de la libération d’Ahmed Hassane El-Barwane, de
nombreux Comoriens l’attendaient pour l’acclamer chaleureusement devant
la porte de la prison de Moroni. Parmi ces Comoriens, Mouzaoir Abdallah
ne cherchait même pas à se cacher. Son apparition publique lors d’une telle
manifestation publique revêt une signification profonde, contre le dictateur
dont il défendait les intérêts illégaux depuis 2016.
En décembre 2017, à Pamandzi, Mayotte, j’ai assisté à un mariage. Quelle
a été ma surprise quand l’animateur de la première cérémonie cita parmi les
personnalités présentes des acteurs politiques de l’île que je croyais morts
depuis longtemps. C’est que, à la différence des politiciens des autres îles, ils
ont choisi une discrétion totale après leur départ à la retraite, cédant la place
aux jeunes politiciens. Cela n’est pas sans rappeler qu’en Grande-Comore,
Ali Mroudjaé, né à Moroni en 1939, ex-Premier ministre et ancien ministre,
notamment des Affaires étrangères, ne fait plus parler de lui-même. Il s’est
placé lui-même dans une retraite politique, pendant que d’autres politiciens
comoriens de sa génération se font humilier sur l’espace public.

451
Les « dinosaures » n’ont pas encore dit leur dernier mot, et refusent de se
faire chasser de l’espace public par des jeunes loups aux dents acérées, qu’ils
regardent d’un œil très sévère. La guerre des générations reste vivace.

§4.- « DINE OI DAWLA », « RELIGION ET ÉTAT »


Société ne manquant pas de contradictions, les Comores assistent à une
situation très particulière : les religieux investissent le champ politique (A.)
et les profanes s’invitent sur la chasse gardée des religieux (B.).

A.- BRUYANTE IRRUPTION DU RELIGIEUX SUR LA SCÈNE POLITIQUE


La relation entre Islam et politique n’est pas toujours explicitée de façon
sincère, dans sa juste dimension, dans sa réalité intrinsèque. Certains auteurs
occidentaux la présentent souvent de manière négative, de préférence sous
l’angle de l’autocratie et de la théocratie, la dictature religieuse.
Les Musulmans eux-mêmes n’aident pas à son intelligence, et ajoutent la
confusion à la confusion. Et comme l’avait si bien dit Houari Boumediene,
alors président de l’Algérie, « il convient de faire une distinction entre l’Islam
et les Musulmans. Le défaut n’est pas dans l’Islam mais dans ceux qui se
disent Musulmans »1. Les « islamistes » autoproclamés, chantres de la haine
sauvage, de l’inculture, de l’ignorance et de l’obscurantisme, accentuent les
amalgames préjudiciables à la réputation de l’Islam. Or, il est important de
signaler que le Coran a adopté une position très claire sur le sujet :
« Point de contrainte en religion » (II, La Vache, 256).
Donc, aucune violence ne peut être exercée au nom de l’Islam.
Ce verset du Coran est très important parce que l’Islam est avant tout une
« attitude religieuse de soumission à Dieu »2. Chacun est libre d’embrasser
l’Islam ou non. Aucune violence n’est admise pour obliger les personnes et
les communautés à adopter cette religion. Ici aussi, la position du Coran est
dépourvue de toute ambiguïté :
« Dis : “O vous les infidèles ! Je n’adore pas ce que vous adorez ; vous
n’adorez pas ce que j’adore. Moi, je n’adore pas ce que vous adorez ; vous,
vous n’adorez pas ce que j’adore. À vous, votre religion ; à moi, ma
religionˮ » (CIX, Les Infidèles, 1-6).
Lors de la période classique de l’Islam, nul n’était contraint de devenir
Musulman. Le libre arbitre prévaut en la matière, et chacun agit en parfaite
connaissance de cause, au gré de ses convictions personnelles. Cela étant, la
rhétorique belliciste, belliqueuse et guerrière des « islamistes », emportés par
la haine et l’ignorance, se situe aux antipodes de l’Islam.

1 Cité par Mameri (Khalfa) : Citations du Président Boumediène, 4ème édition revue et

augmentée, Éditions Karim Mameri, Tipaza, 1993, p. 39.


2 Sourdel (Dominique) : L’Islam, 12ème édition revue, PUF, « Que sais-je ? » n°355, Paris,

1981, p. 5.

452
En replaçant la religion islamique dans sa vraie dimension sociétale, on
constate que « l’Islam, il faut le savoir, est à la fois la religion, loi, morale,
style de vie, culture, la langue arabe étant à travers le Coran langue sacrée
pour tous les Musulmans »1.
Dès lors, Al Oumma ou grande Communauté islamique universelle a pour
fondement la religion (« Dine »), étant tout de même précisé que dans cette
société, peuvent vivre également ceux qui n’ont pas l’Islam pour religion. La
Communauté musulmane constitue un système politique (« Dawla », État).
De fait, la notion de « Dine wa Dawla » signifie « Religion et État », parce
que les deux pouvoirs sont consubstantiels au regard de l’Islam. Ce faisant,
toute tentative de les séparer contredit l’Islam. L’Islam se différencie ici du
Christianisme, fondé sur une séparation du spirituel et du temporel tel que
l’avait proclamé Jésus-Christ : « Mon royaume n’est pas de ce monde » et
« rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ! ». Il est
entendu que Dieu est l’incarnation de la religion islamique pendant que César
représente le pouvoir temporel.
Plus exactement, il n’y a aucune exagération dans la thèse de Maxime
Rodinson selon laquelle « la Communauté des croyants était en même temps
structure politique, État. En devenant Musulman, on adhérait en même
temps, dans le même mouvement, simultanément, à une religion (dîn), c’est-
à-dire à un ensemble de dogmes qu’on s’engageait à professer avec les pra-
tiques qu’on s’engageait à observer, et à une organisation de type politique
(dawla). On devenait du même coup un croyant et un sujet. Le chef de la
Communauté (le Prophète et ses successeurs, les califes) était le guide qu’on
s’engageait à suivre aussi bien dans les choses de la foi que lorsqu’il
décidait de l’organisation interne de la Communauté nation (Umma), de ses
relations extérieures, des problèmes de tout ordre qui se posaient à ses
adhérents »2.
L’erreur commise en la matière est celle qui consiste à vouloir voir l’Islam
se transformer en simple succursale et copie du Christianisme.
Dans l’Islam des origines, cette relation entre religion et État était bien
affirmée. C’est ainsi que le Prophète Mohammed, les Khalifes et les autres
guides de la Communauté des Musulmans exerçaient à la fois un pouvoir
spirituel et une autorité temporelle, sans porter atteinte aux droits et libertés
des minorités religieuses. Le Prophète était doté d’un magistère particulier
envers les membres de sa Communauté et, de ce fait, était pourvu d’un statut
spécifique : « Le Saint Prophète n’était pas seulement chef religieux, il était
aussi l’homme d’État. Il ne prêchait pas seulement la religion, il montra
également au peuple la façon de vivre et améliora leurs vies sur terre. Dès
lors, la signification politique de la doctrine sur la finalité du statut de
Prophète de Mouhammad est que non seulement le Saint Prophète était un

1 Balta (P.) : L’Islam dans le monde, op. cit., p. 11.


2 Rodinson (M.) : L’Islam. Politique et croyance, op. cit., pp. 31-32.

453
Guide politique et un chef d’État de son vivant ; il continuera d’être le Guide
politique et le chef d’État pour toujours »1.
Lors de l’Hégire, c’est-à-dire la Migration du Prophète Mohammed et des
autres Musulmans de La Mecque à Médine en juin 632, avait été rédigée la
Constitution de Médine. Celle-ci avait pour rôle la définition des relations
entre Musulmans, Juifs et autres communautés religieuses à Médine, sur une
base d’équité et de réciprocité afin d’éviter les injustices et les trahisons des
uns envers les autres. On y retrouve les dispositions suivantes :
- « Aux Juifs leur religion et aux Musulmans leur religion, qu’il s’agisse de
leurs maula [clients], ou protégés, ou d’eux-mêmes » (article 25),
- « Aux Juifs leurs dépenses et aux Musulmans leurs dépenses. Qu’il ait
entre eux entraide contre quiconque combattra ceux que vise cet écrit.
Qu’il y ait entre les Juifs et les Musulmans bienveillance et bonne dispo-
sition, observance, non-violence » (article 27),
- « Le voisin protégé tient la place de protecteur lui-même, à condition qu’il
ne fasse aucun mal et qu’il n’agisse pas traîtreusement » (article 40).
Naturellement, bien de problèmes du monde contemporain, dont celui de
la Palestine, auraient pu être réglés si leurs acteurs avaient l’intelligence de
s’en inspirer pour voir plus loin que des cailloux et des sentiers auxquels ils
attribuent des rôles historiques relevant des mensonges et des mystifications.
Dans le même ordre d’idée, en 637, est signé le Traité d’Aelia (Jérusalem),
permettant la cohabitation exemplaire dans la ville entre les Musulmans, les
Chrétiens et les Juifs. Quelques années après la conclusion de ce Traité, qui
est synonyme d’intelligence politique et de tolérance religieuse, il s’avéra
que les successeurs du patriarche Sophronius (ou Sophrone, l’interlocuteur
des Musulmans à Jérusalem) disaient que « les nouveaux maîtres musulmans
ne s’immiscent pas dans les affaires privées de leurs sujets. “Ils sont
équitables, écrit au IXème siècle le patriarche de Jérusalem à celui de Cons-
tantinople, ne nous font aucun tort et ne se livrent à aucun acte de violence
envers nousˮ. Ils accordent aux non-musulmans de leur empire toutes les
libertés religieuses et civiques, pourvu qu’ils paient leurs impôts et obéissent
leurs maîtres. […]. Bien plus que ne le voulaient les Arabes, ils cherchent à
embrasser la foi de Mahomet pour profiter des avantages économiques et
sociaux réservés aux Musulmans. Sans qu’il ne soit jamais question de
contrainte, les adeptes du Christ fondent comme neige au soleil. […]. La
tolérance proverbiale des Arabes est d’une autre nature que l’indifférence
religieuse des Romains décadents qui, sur le Forum, offraient une petite
place aux dieux de toute autre origine »2.

1 Ul-Hasan (Masud) : Reconstitution of Political Thought in Islam, Islamic Publications


(Pvt.) Limited, Lahore, Pakistan, 1988, pp. 79-80.
2 Hunke (Sigrid) : Le soleil d’Allah brille sur l’Occident. Notre héritage arabe, Albin

Michel, Paris, 1963, pp. 218-219.

454
Pourquoi, donc ? La réponse est bien simple : à cette époque, les normes de
l’Islam en matière de tolérance religieuse étaient rigoureusement appliquées.
Les Musulmans étaient dans l’obligation morale de respecter toutes les autres
communautés religieuses. Ils ne voulaient, en aucune manière, perturber la
vie des populations n’ayant pas embrassé l’Islam, et qui vivaient avec eux.
Dès lors, « […]la conquête est apparue aux habitants des pays conquis
comme ne rompant pas la continuité de leur existence locale. Les dynasties
étaient tombées ou écartées, mais il ne s’ensuivait pas de bouleversement
nécessaire dans les institutions qui régissaient la vie quotidienne. […]. Dans
le reste des territoires maintenant acquis, l’idée d’une conversion générale
ne paraît pas avoir effleuré les conquérants. […]. Les vaincus conservent
donc une liberté du culte que limite seulement, là où il y a des Musulmans,
l’obligation d’éviter les manifestations publiques de nature à les heurter.
[…]. Les cadres indigènes restent à la tête de leurs congénères, sans doute
moins contrôlés même que par les États précédents »1.
Cette explication liminaire étant faite, posons-nous une question : qu’en
est-il de la relation entre l’Islam et la politique aux Comores ?
Pour répondre à la question posée, nous devons prendre en compte la Loi
fondamentale d’Ali Soilihi en date du 23 avril 1977.
Dans son Préambule, « le peuple comorien proclame […] son attachement
aux valeurs authentiques de la religion Islamique. Valeurs qui, entre autres,
impliquent la lutte contre l’exploitation de l’ignorance et de la crédulité, par
le charlatanisme, le désœuvrement ». Mais, à l’article 1er, est proclamée la
laïcité de l’État : « L’archipel des Comores est un et indivisible. Il constitue
une République Démocratique Laïque et Sociale. L’État est l’instrument des
travailleurs manuels pour améliorer leurs conditions d’existence ».
En soi, la laïcité n’est pas le vrai problème, dans ma mesure où la liberté
religieuse qu’on retrouve dans le Coran va au-delà de la laïcité. En réalité, le
vrai problème vient du mépris acharné affiché par Ali Soilihi envers l’Islam.
Le combat en question heurtait la sensibilité et la susceptibilité du Comorien,
très attaché à l’Islam depuis le VIème siècle. Interdire aux Musulmans des îles
Comores la pratique de l’Islam et tourner en dérision cette religion avaient
inutilement mis Ali Soilihi en difficulté face aux Comoriens.
Le chef de la Révolution n’avait pas eu l’intelligence de le comprendre et,
à la suite de la « consultation électorale » du 28 octobre 1977, les mosquées
de Mohéli avaient été fermées par les autorités, et les fidèles qui s’y étaient
rendus en dépit de la fermeture, y avaient été battus à mort par le Commando
Moissi. Après le Coup d’État du 13 mai 1978, Ahmed Abdallah Abderemane
avait eu l’intelligence de tenir compte des sentiments des Comoriens envers
l’Islam, en faisant de celui-ci la religion d’État, dès la première ligne du
Préambule de la Constitution adoptée par référendum le 1er octobre 1978 :

1 Cahen (Claude) : L’Islam. Des origines au début de l’Empire ottoman, Éditions Bordas,

Collection « Histoire universelle », Paris, 1970, p. 23.

455
« Le peuple comorien proclame solennellement sa volonté de puiser dans
l’Islam, religion d’État, l’inspiration permanente des principes et des règles
qui régissent l’État et ses institutions. […] ».
Plus intéressant encore, pour sa part, l’article 45 de la Constitution du 1er
octobre 1978 dispose notamment : « […] Les caractères républicain, fédéral
et islamique de l’État ne peuvent faire l’objet d’une révision ».
Or, dans leur Constitution très contestable et contestée du 23 décembre
2001, Assoumani Azali et Hamada Madi Boléro (l’athée notoire qui prétend
mensongèrement être un bon connaisseur de l’Islam) ont supprimé toute
mention relative à l’Islam, religion d’État, se contentant de faire inscrire au
début de son Préambule : « Le peuple comorien, affirme solennellement sa
volonté de : puiser dans l’Islam, l’inspiration permanente des principes et
règles qui régissent l’Union […] ».
La Constitution du 23 décembre 2001 transforme la République fédérale
islamique des Comores en Union des Comores, au grand mécontentement du
peuple comorien, qui déplore à la fois « la disparition de la République » et
celle de l’Islam. Bien évidemment, on ne retrouve dans la Constitution de la
junte militaire aucune disposition exprimant le souci figurant à l’article 45 de
la Constitution du 1er octobre 1978.
En tout état de cause, dans un État se réclamant de l’Islam, est-il possible
et même souhaitable de se passer des théologiens, plus particulièrement des
prédicateurs religieux ? Cette question aura plusieurs réponses aux Comores
depuis le coup d’État du 13 mai 1978.
En effet, Ahmed Abdallah Abderemane et Assoumani Azali ont toujours à
cœur de se cacher derrière l’hypocrisie fumeuse et les tartufferies d’un Mufti
vil et menteur. Chacun de ces deux dictateurs aura son Mufti défroqué de
service, pour légitimer ses pires dérives.
Au début des années 1980, est de retour à Anjouan un prédicateur nommé
Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, surnommé l’« Ayatollah », compte tenu
de son séjour pour ses études en République islamique d’Iran. Parlant de lui,
Ahmed Abdallah Abderemane disait ironiquement : « Il paraît qu’il y a un
Prophète qui a fait son apparition là-bas ». En d’autres termes, l’arrivée
d’Ahmed Sambi aux îles Comores après ses études en Théologie n’était pas
passée inaperçue. Mieux, dès le début des années 1980, Ahmed Sambi faisait
peur par son aura. En octobre 1982, je le croise dans une ruelle de la médina
de Mutsamudu, et l’ami qui me le montrait de doigt alors qu’il était en train
de s’approcher de nous dégoulinait d’obséquiosité à son égard, alors que,
suivant ses habitudes de l’époque, Ahmed Sambi avait les yeux levés vers le
ciel, ne regardant personne.
Dès son retour aux îles Comores, Ahmed Sambi dérangeait l’establishment
religieux, et intriguait le peuple par sa remise en cause d’un certain nombre
de préceptes et croyances de l’Islam sunnite de rite chaféite. Autrement dit,
Ahmed Sambi avait fait un retour fracassant aux Comores, et ne laissait pas
les Comoriens dans l’indifférence. Ses conférences religieuses suscitaient les

456
commentaires les plus contrastés. Par la suite, quand il devint chef d’État, il
finira par être qualifié de « Chiite », étant noté que le Chiisme n’a jamais été
vu de manière favorable par les Comoriens.
Ahmed Sambi est élu Député d’Anjouan, présidant la Commission des
Lois de l’Assemblée fédérale de 1996 à 1997, en pleine crise de séparatisme
à Anjouan, son île d’origine. Quand Anjouan plongea dans le séparatisme à
partir du 16 février 1997, on vit Ahmed Sambi défiler seul avec sa pancarte
dans les rues de Moroni, avant d’être suivi par une foule impressionnante.
Le 14 mai 2006, il est élu président des Comores à 58,40%, face à deux
autres candidats au second tour. Très habile et prudent face à la susceptibilité
religieuse des Comoriens, il ne manifestera jamais une appartenance au rite
chiite. Lors de sa présidence (2006-2011), il traita le Mufti en parent pauvre,
à qui il n’accordait la moindre importance. L’initiative était heureuse.
L’élection d’Ahmed Sambi à la Présidence de la République constitue une
évolution politique majeure aux Comores. Pourquoi ? L’élection en question
constitue un grand moment de la vie politique aux Comores parce que, suite
à l’échec patent des profanes, les Comoriens avaient choisi de placer à la tête
de leur pays un théologien, un prédicateur religieux qui sait parler de Dieu,
du Prophète, des anges et du Paradis. Cet homme séduit les Comoriens, déjà
désespérés et dégoûtés par les voleurs d’argent public que sont les politiciens
« laïcs ». Ahmed Sambi avait su trouver les mots qu’il fallait pour séduire le
peuple, dégoûté et meurtri par la junte militaire d’Assoumani Azali.
L’élection de l’« Ayatollah » était prévisible sauf pour les aveugles qui se
croyaient plus intelligents que les vrais observateurs de la vie politique des
Comores. Je suis arrivé en France en 2005. Un groupe travaillant sur les îles
Comores, notamment dans la perspective du scrutin présidentiel de 2006, me
demanda à l’aider à comprendre les enjeux réels de ce scrutin. Ce que je fis
de juillet 2005 à mai 2006. Ce groupe croyait que Mohamed Caambi El
Yachouroutu, vice-président pour le compte d’Anjouan, pouvait et devait
être élu. Mohamed Caambi El Yachouroutu était paré de toutes les vertus, la
plus importante étant sa qualité de « républicain ». Mon discours se focalisait
sur deux points essentiels : d’une part, Mohamed Caambi El Yachouroutu
était trop insipide, était sans charisme, était totalement comptable du bilan
désastreux de la junte militaire d’Assoumani Azali, et ne suscitait aucun élan
d’espoir chez les Comoriens. D’autre part, Ahmed Sambi était invincible car
il incarnait à merveille la fonction tribunitienne, exploitant à fond les misères
et les champs de ruines qu’Assoumani Azali laissait derrière lui. Il affichait
ostensiblement ses habits de religieux, et demandait à la population de ne pas
hésiter à appeler sur lui la malédiction de Dieu s’il s’écartait du chemin de la
bonne gouvernance. Qui pouvait contrecarrer un tel discours aux Comores,
pays de l’Islam des origines ? Ahmed Sambi s’imposa facilement comme le
favori des candidats dans un pays incapable d’organiser des vrais sondages
d’opinion, et où les projections électorales se limitent à des pronostics en
période électorale.

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À 48 heures de l’élection présidentielle de mai 2006, j’avais expliqué, lors
d’une émission sur Radio France Internationale (RFI), qu’Ahmed Sambi était
imbattable parce qu’il était le candidat proposant des « idées nouvelles et des
hommes nouveaux », et que le peuple comorien lui faisait confiance, en tant
que religieux, pour combattre la corruption, le principal obstacle à la bonne
gouvernance. Le même jour, j’ai reçu les critiques les plus acerbes et les plus
hypocrites des bien-pensants et des chantres de la bien-pensance, qui me
reprochaient traîtreusement et hargneusement « un manque de neutralité de
la part d’un observateur devant prendre ses distances vis-à-vis de tous les
candidats ». Les donneurs de leçons qui ont tué le débat politique aux îles
Comores m’ont habitué à ce genre de tartufferies. Ils me veulent muet.
Par la suite, Ahmed Sambi a soutenu Ikililou Dhoinine, son vice-président
mohélien, et l’a fait élire chef d’État le 26 décembre 2010. Comme cela sera
étudié avec plus de consistance lors des développements ultérieurs, Ikililou
Dhoinine a trahi ignominieusement son mentor. Lors de l’élection du chef de
l’État en 2016, il y avait eu plusieurs péripéties frauduleuses de la part des
Mohéliens de Beït-Salam. Le 1er avril 2016, Ahmed Sambi et son ami et allié
Fahmi Saïd Ibrahim signèrent un accord politique, électoral, de gestion de
pouvoir et de gouvernance avec Assoumani Azali. Mais, quand Assoumani
Azali, sous la dictée de l’Arabie Saoudite, a rompu brutalement les relations
diplomatiques entre les Comores et le Qatar, Ahmed Sambi et Fahmi Saïd
Ibrahim exprimèrent publiquement leur désaccord et réprobation sur un acte
aussi violent. Assoumani Azali en profita pour rompre également sa relation
avec Ahmed Sambi et Fahmi Saïd Ibrahim.
Suite à la rupture décidée unilatéralement et violemment par Assoumani
Azali en juin 2017, Ahmed Sambi voyagea beaucoup à l’étranger. Le samedi
12 mai 2018, il est de retour aux Comores. Il aurait pu se rendre directement
à Anjouan via Nairobi et Dzaoudzi (Mayotte) par un aéronef de la Kenya
Airways. Mais, il est parti défier Assoumani Azali à Moroni. Il est accueilli
en liesse par une foule impressionnante lors de son arrivée à l’aéroport de
Hahaya. Cette foule l’avait escorté durant le trajet qui sépare l’aéroport de sa
résidence de Voidjou, où il était attendu par toute la classe politique, hormis
les proches d’Assoumani Azali. Il va sans dire que le pouvoir illégitime et
anticonstitutionnel en place avait pris cet accueil populaire pour une grave
humiliation qui lui avait été infligée, lui qui avait tout fait pour plonger
Ahmed Sambi dans la peur quand il était à l’étranger, usant d’un faux rapport
parlementaire pour l’accuser de corruption sur le dossier de la « citoyenneté
économique ».
Le vendredi 18 mai 2018, Ahmed Sambi a fait la grande prière collective
de midi à la Mosquée Al-Qasm de Moroni. Assoumani Azali y était aussi, et
a été superbement ignoré par les milliers de Comoriens présents. Or, dès la
fin de la prière ceux-ci se jetèrent littéralement sur Ahmed Sambi, avec une
ferveur inédite aux Comores. On vit défiler devant lui toute la notabilité de
la Grande-Comore, dont certains membres étaient venus de leurs villages

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pour être vus aux côtés de l’ancien président. La scène dura de très longues
minutes. Une fois dehors, Ahmed Sambi se retrouva face à plus de 10.000
Comoriens qui l’acclamèrent avant d’entonner l’hymne national. La vidéo
montrant la scène avait logiquement plongé Assoumani Azali et ses hommes
dans la honte et la fureur.
Le pouvoir en place était vraiment en colère face à la descente aux enfers
d’Assoumani Azali et à la popularité d’Ahmed Sambi, y compris dans les
rangs de ceux qui avaient soutenu le dictateur de Mitsoudjé en 2016 ou après
l’innommable fraude électorale des Mohéliens de Beït-Salam pour le porter
au pouvoir. Avant de prier à la Mosquée Al-Qasm de Moroni, Ahmed Sambi
s’était présenté à une autre mosquée de la capitale des Comores, et avait pris
la parole pour parler de l’Islam. Ce prêche a été considéré comme un casus
belli. Assoumani Azali et les siens commirent alors une grave faute juridique,
sociale et politique : interdire les prêches d’Ahmed Sambi dans les mosquées,
sans le nommer. Or, les Comoriens savent que c’est lui qui est visé.
Lisons cette mesure d’interdiction, relevant du crétinisme politique.

459
460
Pourquoi l’interdiction de prêcher l’Islam devait concerner uniquement les
mosquées de la ville de Moroni ? Depuis quand dans un pays musulman, une
personne qui ne fait pas du prosélytisme pour une autre religion devait subir
les affres du régime politique en place au point d’être privée du droit à la
parole ? Si Assoumani Azali et son entourage n’avaient pas peur de l’ancien
allié Ahmed Sambi auraient-ils pris le risque de se faire ridiculiser par une
mesure aussi stupide et improductive ?
Ahmed Sambi ridiculisa Assoumani Azali et son entourage en organisant
ses prêches à domicile, dans sa résidence de Voidjou. De nombreux acteurs
politiques s’y présentèrent, et de nouveau, la « Ripoux-blique » de Mitsoudjé
entra en deuil. Que faire alors ? Elle prit une décision d’une grande gravité et
d’une illégalité totale : le placement d’Ahmed Sambi en résidence surveillée.

On lit donc sur cette note circulaire ce qui suit, et cela n’est pas de nature à
convaincre un bon juriste du bien-fondé d’une mesure aussi gravissime et
visiblement anticonstitutionnelle : « Considérant ses agissements constatés
ces derniers jours et en vue de préserver l’ordre et la sécurité publics, M.
Ahmed Abdallah Mohamed Sambi est placé en résidence surveillée. En cas

461
de nécessité impérieuse de déplacement, l’intéressé est tenu d’introduire une
demande auprès du département chargé de la sécurité publique ».
L’inconstitutionnalité manifeste et flagrante de cette mesure a fait l’objet
des critiques les plus acerbes des très rares bons juristes comoriens, ceux qui
connaissent le Droit, le respectent et demandent sa stricte observation, sans
tenir compte des idées, convictions et affinités politiques des personnes en
présence.
Cette « note circulaire » n’avait même pas été signifiée à l’intéressé. Mais,
quand, finalement, le samedi 19 mai 2018, Ahmed Sambi la reçut, elle avait
déjà fait le tour du monde par Internet. Son auteur et signataire, le secrétaire
général du ministre de l’Intérieur, est tellement nullissime qu’il ne sait même
pas que le mot « jour » est masculin, écrivant « ces dernières jours » au lieu
de « ces derniers jours ».
Par ailleurs, deux autres remarques sont à faire : d’une part, une circulaire
administrative est un texte écrit adressé par une autorité administrative à ses
subordonnés pour les informer de l’interprétation à donner d’une loi ou d’un
règlement, et de la façon de les appliquer concrètement. Il est très important
de noter que la circulaire n’est pas une décision, mais une recommandation,
sans caractère obligatoire. Plus intéressant encore, en Droit administratif,
une circulaire est une note d’organisation interne d’un service émise par le
fonctionnaire qui en assure la direction. Elle ne s’adresse pas aux usagers.
C’est la raison pour laquelle elle ne fait pas l’objet d’un recours contentieux.
D’autre part, le secrétaire général du ministère de l’Intérieur n’est pas un
juge, ne peut se substituer à un juge, et n’a aucun pouvoir légal pour placer
même un criminel en résidence surveillée. Cette mesure ne peut être prise
que par un juge.
Comme signalé ci-haut, Ahmed Sambi avait organisé ses prêches dans sa
résidence, et il ne lui était pas notifié qu’il était interdit de parole et d’accueil
de ses proches chez lui. Or, en plein mois de ramadan, sa résidence avait été
encerclée par des militaires, empêchant la sortie des personnalités suivantes :
Ahmed Sambi, l’ancien ministre Ahmed Hassan El Barwane, Abdou Saïd, le
Docteur Chacour, le Député Mohamed Bacar Dossar, le Député Tocha
Djohar Abdallah, le Député Mohamed Msaïdié, Ali Bakar, l’ancien ministre
Ibrahima Mhoumadi Sidi, Massound Ali, Jaffar El Maceli et Ibrahim Alfonse.
Un domicile a été violé. Pourtant, l’inviolabilité du domicile est une norme
inscrite dans tous les textes juridiques du monde. La liberté d’aller et venir
est annihilée sans la moindre explication juridique ou judiciaire.
En la matière, il y a séquestration et détention arbitraires. Or, l’article 333
du Code pénal des Comores dispose : « Seront punis de la peine des travaux
forcés à temps de dix à vingt ans ceux qui, sans ordres des autorités
constituées et hors les cas où la loi ordonne de saisir des prévenus, auront
arrêté, détenu ou séquestré des personnes quelconques ». Il y a arrestation,
détention et séquestration d’Ahmed Sambi et des siens, et ces actes sont
interdits par la Loi. La démarche entreprise pour lutter contre l’illégalité du

462
placement d’Ahmed Sambi en résidence surveillée a été enterrée par l’État
de Mitsoudjé, sans le moindre respect de la Constitution et de la législation
des Comores. Comme souvent aux Comores, l’inconstitutionnalité a prévalu,
et la voix des rares vrais juristes du pays a été ignorée.
En résumé, Ahmed Sambi, prédicateur religieux, a su se faire une place au
soleil politique des Comores. S’appuyant sur la religion islamique, il avait su
ringardiser toute une classe politique incapable d’entendre la voix du peuple
comorien, plongé dans la souffrance et dans la misère. Francisco Madeira,
diplomate et fonctionnaire international mozambicain souvent en mission de
crise aux Comores, exprimait son étonnement devant les acteurs politiques
du pays qu’il côtoie habituellement, ne comprenant pas pourquoi et comment
un « inconnu » a pu battre ceux qu’il considérait comme les plus grands et
les plus connus des politiciens comoriens. Il aurait tout compris s’il avait su
la place réelle de l’Islam aux Comores. Il aurait tout compris s’il avait essayé
de comprendre qu’après l’échec patent et lamentable des acteurs politiques
profanes, les Comoriens croyaient que l’espoir pouvait venir du religieux.
Ahmed Sambi incarne ce religieux.

B.- INTRUSION DES PROFANES SUR LA CHASSE GARDÉE DES RELIGIEUX


Ahmed Sambi, le théologien, réussit une entrée fulgurante et spectaculaire
sur la scène politique comorienne, devenant en quelques années l’un des plus
grands acteurs politiques des Comores. Les Comoriens ont vu des profanes
faire le chemin inverse, en partant de la politique, où ils sont entrés par pure
effraction, pour essayer de se tailler un costume religieux, n’obtenant qu’un
seul résultat : se rendre plus ridicules. En la matière, deux acteurs politiques
sont arrivés à se faire distinguer : Ikililou Dhoinine et Assoumani Azali.
Je connais Ikililou Dhoinine depuis toujours. Nous avons eu une enfance
commune et avons quelques relations de famille. Nous avons vécu ensemble
à Djoiezi jusqu’à nos départs respectifs pour l’étranger, dans la perspective
de nos études supérieures respectives. Nous avons fait ensemble toutes sortes
de bêtises inhérentes aux enfants et aux adolescents de Djoiezi des années
1970 et 1980. Il est vrai qu’il fréquentait l’excellent cours de théologie du
Maître Bounou Soilihi, alors que je me limitais au strict minimum en matière
de religion. Mais, en aucune façon, je ne voyais Ikililou Dhoinine en tenue
de religieux. Pourtant, mon ancien ami, qui me tourna le dos dès son entrée
par accident en politique, abandonna sa tenue civile pour des accoutrements
ridicules de religieux le jour même où il fut élu président de la République.
Ces accoutrements choquaient de nombreux Comoriens.
Ali Soilihi n’est sur aucune photo ou vidéo en boubou ou djellaba. Ahmed
Abdallah Abderemane, Saïd Mohamed Djohar, Mohamed Taki Abdoulkarim
et Tadjidine Ben Saïd Massounde alternaient le costume occidental, d’une
part, et boubou ou djellaba, d’autre part, et étaient élégants en portant leurs
tenues traditionnelles ou leurs tenues occidentales. Ils avaient de la classe et

463
de l’allure. Saïd Mohamed Cheikh était souvent en costume occidental, mais
portait son tarbouch avec élégance sans jamais paraître ridicule, comme le
sont certains dirigeants des îles Comores devenues indépendantes. Le Prince
Saïd Ibrahim, Ahmed Abdallah Abderemane et Mohamed Ahmed portaient
des costumes d’une élégance exquise, bien avant l’indépendance des îles
Comores, et n’ont jamais été égalés sur le plan vestimentaire par ceux qui,
depuis le coup d’État du 13 mai 1978, ne font que voler l’argent du peuple
comorien.
Ahmed Sambi porte la tenue traditionnelle et, comme il est un religieux, il
ne soulève la réprobation de personne. Il choisit toujours sa tenue avec soin.
Devenu président des Comores, Ikililou Dhoinine n’a pas fait que changer
de tenue vestimentaire ; il est, en plus imam, dans toutes les mosquées où il
fait la prière. C’est lui qui dirige la prière ordinaire et même la prière pour
les morts. Avant lui, on n’a vu aucun président comorien se comporter de la
sorte, en s’étranglant littéralement dans des accoutrements honteux, et en
s’érigeant en imam dans les mosquées. C’est honteux et pathétique.
J’ai vécu au Maroc de septembre 1986 à mars 2005, et je n’ai jamais vu le
Roi Hassan II ou le Roi Mohammed VI diriger la prière. Or, je suivais avec
attention toutes leurs activités officielles et publiques, que transmettait dans
leur intégralité la première chaîne de la télévision marocaine. Au Maroc, le
Roi prie juste derrière l’imam, et n’est jamais celui qui dirige la prière. Cette
affirmation est importante car l’article 19 de la Constitution marocaine du 7
décembre 1962 dispose : « Le Roi, “Amir Al Mouminine” (Commandeur des
Croyants), symbole de l’unité de la nation, garant de la pérennité et de la
continuité de l’État, veille au respect de l’Islam et de la Constitution. Il est le
protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collec-
tivités. Il garantit l’indépendance de la nation et l’intégrité territoriale du
royaume dans ses frontières authentiques ».
De plus, la grande prière collective de la journée du vendredi, de la fête
marquant la fin du Ramadan ou la fin du pèlerinage à La Mecque et à Médine
est dirigée au nom du Roi, les fidèles présents sollicitant de Dieu ce qu’il y a
de meilleur pour leur Souverain et la Famille royale.
En suivant bien la démarche d’Ikililou Dhoinine, on est bien obligé de dire
qu’il s’était doté d’un statut religieux dépassant celui du Roi du Maroc, qui
est pourtant, le Commandeur des Croyants.
Comme on sait, avant de quitter la Présidence de la République, Ikililou
Dhoinine, Hadidja Aboubacar (son épouse) et le criminel haineux Hamada
Madi Boléro avaient tenu à ne céder le pouvoir qu’à Assoumani Azali, qui
avait complètement ruiné les Comores du 30 avril 1999 au 26 mai 2006. Il
s’agissait d’une transmission de pouvoir entre malfaiteurs habitués aux pires
tartufferies.
Lors de l’élection présidentielle de 2016, l’ouléma défroqué et mendiant
qu’est le Mufti Saïd Toihir Ahmed Maoulana squattait le bureau d’Ikililou
Dhoinine, répétant ad nauseam le même message haineux et inintelligent, le

464
message qui consistait à qualifier Mohamed Ali Soilihi et ses colistiers de
« mécréants », à qui il ne fallait pas confier les rênes du pays. Le Tartuffe de
Ntsoudjini répétait qu’Assoumani Azali était un vrai Musulman, qu’il fallait
placer au pouvoir en ayant recours aux procédés les plus anticonstitutionnels,
les plus illégitimes et les plus contestables du point de vue légal et moral.
Quand, le 26 mai 2016, Assoumani Azali accéda de nouveau à Beït-Salam
et de nouveau par les procédés les plus méprisables, le Mufti faisait semblant
de tenir un discours de rassemblement. Ce n’était que de la poudre aux yeux.
On l’a même entendu jouer le rôle d’une Cour constitutionnelle, prétendant
que son ami de longue date était élu dans les meilleures conditions qui soient
du point de vue constitutionnel, que personne ne pouvait le contester.
C’est ce Mufti défroqué et corrompu qui attribua au putschiste et fraudeur
d’élections qu’est Assoumani Azali le titre de « Imam Azali », en référence à
l’Imam Abû Ḥamid Moḥammed Ibn Moḥammed Al Ghazali (1058-1111), le
grand soufi persan, l’un des plus grands savants de l’Islam, dont l’érudition
se situe aux antipodes de l’inculture d’Assoumani Azali, et dont la propreté
morale est très éloignée des saletés du dictateur violent de Mitsoudjé.
Durant la campagne pour le scrutin présidentiel de 2016, Assoumani Azali
s’est distingué par ses danses « Bumping » de rues, ses fesses contre celles
des femmes. Au lendemain du 26 mai 2016, il continua ses « Bumping » de
rue et y ajouta le népotisme le plus scandaleux et le plus révoltant dans un
pays qui, après la « gendrocratie » de Saïd Mohamed Djohar, n’est pas à son
galop d’essai. Il ajouta également son « statut » d’Imam, dégoûtant tous les
Comoriens, qui ne l’ont jamais élu, et qui savent tout sur ses vols d’argent du
peuple, un peuple végétant dans les bas-fonds de la misère noire.
Sur ce registre, Assoumani Azali est allé beaucoup plus loin qu’Ikililou
Dhoinine, car il offre l’argent du peuple comorien à des villageois souvent
corrompus pour se faire inviter dans leurs mosquées afin de lui permettre d’y
radoter à satiété sur les « assises “nationales” » de février 2018 et par la suite
sur son référendum constitutionnel de tous les dangers. Assoumani Azali se
ridiculisa dans les mosquées, où il se retrouve souvent seul en compagnie de
ses hommes, étant noté que les fidèles refusent de prier avec lui, d’écouter
ses divagations sur un Islam qu’il ne connaît pas, ne maîtrise pas, ne respecte
pas et ne l’intéresse que pour des raisons bassement politiciennes.
Sur les trois îles, Assoumani Azali a vidé les mosquées. Chaque fois qu’il
entre dans les mosquées, les fidèles s’en vont, et refusent de le laisser parler
pour dire des insanités. Il est devenu « l’imam sans fidèles ».
Assoumani Azali s’était même fait inviter à Iconi pour la rupture du jeûne
du Ramadan le mardi 5 juin 2018. Les Comoriens sont dégoûtés en apprenant
que c’est Saïd Ali Kemal qui avait reçu 4 millions de francs comoriens
(8.000 euros) des mains d’Assoumani Azali pour l’inviter chez son cousin
Mohamed Abdoulhamid. La ville d’Iconi s’était réunie le lundi 4 juin 2018
dans la soirée pour dénoncer la venue de cet homme. Les jeunes voulaient
s’opposer à l’invitation. Ils voulaient aussi se préparer à lancer des pierres

465
pour empêcher le dîner. Les notables refusèrent, disant que dès lors que cela
se faisait dans un lieu privé, c’était le problème des invitants et des invités.
Par contre, ils ont convaincu les jeunes d’organiser un grand dîner parallèle à
la place Bichioni au même moment. Toute la ville avait boycotté le dîner de
Saïd Ali Kemal, et s’était réunie sur la place où Assoumani Azali était obligé
de passer.
Par la suite, quand Assoumani Azali arriva à Iconi, il se rendit dans une
mosquée désertée par toute la population. Il se résolut à prier aux côtés de 10
autres personnes. Ce fut un immense scandale. Quelques jours auparavant, à
Mutsamudu, Anjouan, les militaires avaient brandi leurs armes pour essayer
d’empêcher les fidèles de quitter la mosquée et laisser prier Assoumani Azali
seul avec ses soldats. À Mohéli, au cours du Ramadan 2018, la population a
rendu les invitations à un dîner organisé pour Assoumani Azali, un affront
inédit aux Comores, pendant que la ville de Djoiezi refusa d’accueillir dans
sa grande mosquée le dictateur de Mitsoudjé, qui voulait s’y faire inviter
pour débiter ses mêmes billevesées.
Assoumani Azali subit le même affront à Mtsangdjou-Dimani, Ntsoudjini
et Itsandra, notamment. À Mtsangadjou-Dimani, il s’était exposé aux lazzis
et quolibets de toute la population comorienne, quand, en désespoir de cause,
il en était réduit à faire d’un homosexuel notoire celui qui devait sauver son
« honneur » dans la région, faisant semblant d’oublier le mépris et les réserves
des Comoriens envers les pédérastes.
En 2017, Assoumani Azali avait même voulu diriger la prière à la grande
Mosquée de Paris et dans des mosquées de la banlieue parisienne, et chaque
fois, il lui était signifié qu’il ne pouvait diriger la prière et se servir de la
mosquée à des fins politiciennes…
Le Mufti Saïd Toihir Ahmed Maoulana, qui fait partie des hommes les
plus corrompus, les plus haïs et les plus méprisables du pays, est entièrement
et définitivement responsable des dérives « religieuses » d’Assoumani Azali.
Les maladresses criminelles du Mufti sont tellement voyantes, dégoûtantes
et révoltantes aux yeux du peuple que les Mohéliens et les Anjouanais
réclament désormais le choix du Mufti ailleurs qu’en Grande-Comore. Cette
réclamation n’a guère empêché Assoumani Azali de déclarer, début juillet
2018, son statut de « chef de la religion islamique aux Comores », puisque
c’est bien lui qui a le pouvoir de nommer le Mufti. Sa déclaration a dégoûté.
Le couple formé par Assoumani et Saïd Toihir Ahmed Maoulana est haï
par les Comoriens. Ce duo honni a donné toute la mesure de son impiété lors
de la célébration de l’Aïd marquant la fin du pèlerinage à La Mecque et à
Médine en 2017. Cette fête porte aux Comores le plus explicite des noms : la
fête du pèlerinage à La Mecque.
Le jeudi 31 août 2017, Assoumani Azali et son Mufti étaient à La Mecque,
et ont bien vu, le même jour, le grand rassemblement à Al Arafat, un rite qui
précède toujours d’un jour la célébration de l’Aïd Al-Kabir, la Fête du
Sacrifice, marquant la fin du pèlerinage. En toute logique, le couple formé

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du dictateur et de « théologien » défroqué a dû célébrer l’Aïd Al-Kabir le
vendredi 1er septembre 2017, comme devaient le faire tous les Musulmans
du monde. Or, ces deux personnages avaient décidé arbitrairement que la
célébration de la plus grande fête musulmane, liée au rassemblement à Al
Arafat, devait avoir lieu le samedi 2 septembre 2017. Cette décision avait été
imposée aux Musulmans comoriens car selon la superstition, la célébration
de l’Aïd Al-Kabir un vendredi entraîne la mort du gouvernant du pays ! Dès
lors, il fallait éviter la mort d’Assoumani Azali par des procédés liberticides
et contraires à l’Islam.
Cependant, en bons Musulmans, en certains endroits, les Comoriens sont
allés dans les mosquées pour prier comme il se doit. Ils ont été pourchassés
par les forces de « l’ordre », battus à mort et jetés en prison. Dans certaines
localités, les gens ont prié à l’intérieur de leurs maisons et ont tout de même
été chassés, battus, jugés de façon bâclée et illégale, et emprisonnés sur la
base d’une loi qui n’existe même pas.
Assoumani Azali et Kiki ont détruit des mosquées à Anjouan, les accusant
d’être d’obédience chiite. En même temps, il faut noter que la Constitution
du 23 décembre 2001, fruit de l’imagination d’Assoumani Azali et de Hamada
Madi Boléro, ne garantit même pas la liberté de croyance et de culte ; ce qui,
du point de vue du Droit, constitue une grave régression. Or, la Constitution
du 1er octobre 1978 garantissait « les libertés de pensée, de conscience et de
pratique de la religion sous les seules réserves du respect de la morale et de
l’ordre public » (Préambule).
Assoumani Azali est donc « l’imam » sans religion, ni fidèles, et qui fait
fuir les Musulmans. La complicité du Mufti ne lui est d’aucun secours, et le
rejet des deux complices par les Comoriens est total et définitif.

§5.- CHARISME, LÉGITIMITÉ CHARISMATIQUE, INSIPIDE INSIGNIFIANCE


ET MANQUE DE LOYAUTÉ
Aux Comores, rares sont les dirigeants charismatiques (A.). Autrement dit,
la plupart des dirigeants comoriens sont effacés et sans le moindre charisme
(B.). Certains parmi eux ont recours à un « charisme violent et imposé » C.),
dans un pays dont certains dirigeants sont des traîtres professionnels (D.).

A.- TRÈS RARES DIRIGEANTS CHARISMATIQUES


Le charisme peut être défini comme étant la faculté – parfois naturelle – de
séduire, émouvoir, influencer et fasciner les personnes. Le charisme existe
grâce au talent oratoire, aux postures, au caractère et aux agissements de la
personne charismatique. Il peut favoriser la manipulation des personnes, et
cela, quand la personne charismatique peut annihiler la capacité de jugement
du public, conduisant ainsi à des excès. Pour être charismatique, l’individu
doit nécessairement être sûr de lui-même, avoir une confiance en lui-même
et une forte personnalité. Un personnage falot ne peut pas avoir du charisme.

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De la plume de l’Allemand Max Weber (1864-1920) naquit l’expression
« légitimité charismatique ». Autant signaler que quand Max Weber parle de
« domination charismatique », il évoque « l’autorité fondée sur la grâce
personnelle et extraordinaire d’un individu. […]. Elle se caractérise par le
dévouement tout personnel des sujets à la cause d’un homme et par leur
confiance en sa seule personne en tant qu’elle se singularise par des qualités
prodigieuses, par l’héroïsme ou d’autres particularités exemplaires qui font
le chef ».
La légitimité charismatique est celle créée par le charisme, et comporte une
dose de légitimité démocratique, car le charisme ne doit pas être synonyme
d’autocratie. Ceci s’explique par le fait que le chef, rendu légitime par ses
dons personnels, détient un pouvoir légitimé par la population, dans le cadre
d’un mandat limité dans le temps. La population n’est pas obligée de se
soumettre au leader charismatique, et jouit de tout son libre arbitre. C’est le
peuple qui accepte le leadership de la personne charismatique. La légitimité
charismatique peut s’accompagner de la réalisation avec succès d’un certain
nombre d’objectifs, et ces succès peuvent, à certains égards, conditionner la
confiance du peuple.
Par ailleurs, au cours d’une conférence de 1919 sur « Politik als Beruf »
(« Politique comme profession et vocation »), Max Weber lie la légitimité
charismatique à la passion, au coup d’œil et au sentiment de responsabilité.
Ce sentiment de responsabilité suppose que le leader charismatique est bien
disposé à assumer les conséquences de ses actes. Ici, le charisme dépasse le
stade de l’émotion et de la rationalité.
On assiste à la prise en compte de la dimension personnelle qui permet
d’évaluer ce qui est objectivement mesurable, et il est nécessaire de faire
cohabiter, selon Max Weber, « dans la même âme, la chaleur de la passion
et la froideur du coup d’œil ».
En définitive, le charisme est toujours lié à la capacité de persuasion de la
personne. Le charisme est favorisé par une capacité de séduction.
Aux Comores, deux chefs d’État peuvent se targuer d’être charismatiques :
Mohamed Taki Abdoulkarim et Ahmed Sambi.
Le cas de Mohamed Taki Abdoulkarim est très particulier. Dès son enfance
à Mbéni, tout le monde s’attendait à ce qu’il dirige les Comores un jour. On
peut dire qu’il était « prédestiné ». Dès son retour aux Comores, après avoir
fini ses études à Madagascar et en France, ceux qui le connaissaient savaient
qu’il fallait attendre le jour de son sacre. Ce retour dans son pays avait été un
événement politique important. D’ailleurs, il ne tarda pas à réclamer la mise
en orbite politique de la nouvelle génération, à laquelle il appartenait, et était
pour la prise en compte des Comoriens les plus diplômés, en remplacement
de la génération de Saïd Mohamed Cheikh.
Il avait une position qu’on peut qualifier de « révolutionnaire », lui qui est
issu d’un milieu conservateur de la Grande-Comore. Il avait heurté de front
la vieille garde de la politique de son île en déclarant devant Saïd Mohamed

468
Cheikh que la jeunesse comorienne était de retour dans son pays et qu’elle
attendait une juste redistribution des cartes politiques en sa faveur. Il va sans
dire que les tenants de l’ordre traditionnel avaient pris son discours pour une
déclaration de guerre, et avaient obtenu son bannissement socioprofessionnel
et son exil à Anjouan. Mohamed Taki Abdoulkarim était charismatique car il
avait la capacité de séduire les Comoriens, surtout en Grande-Comore. Ses
partisans ne le suivaient pas parce qu’il était au pouvoir et pouvait leur
distribuer des cadeaux, mais uniquement parce qu’il était capable de séduire.
Il se souciait d’afficher en toutes circonstances un respect naturel, profond et
spontané envers les valeurs sociales et sociétales des Comores, pendant que
certains jeunes affichaient des positions qui réclamaient le renversement de
l’ordre social traditionnel.
Mon ami Ahmed Wadaane Mahamoud, qui était proche de Mohamed
Taki Abdoulkarim, a écrit ceci sur ce dernier : « L’élection de Mohamed
Taki Abdoulkarim est un événement longtemps attendu par ses partisans
comoriens tant de l’intérieur que de l’extérieur. Taki a une stature présiden-
tielle convenable, l’élan qu’il faut pour assurer la charge suprême. Cette
personnalité reste un mythe pour certains, un gêneur pour d’autres. Il parle
peu, il déteste les bavards, il choisit ses termes pour rassembler à sa façon.
Il est intransigeant quand il s’agit d’affirmer ses convictions. Mohamed Taki
déroute, il surprend et agit beaucoup plus là où on n’attend pas qu’il
intervienne. On a du mal à le suivre, à savoir ce qu’il veut et ce qu’il ne veut
pas. Il n’aime pas les commérages, il a horreur des intrigues, dédaigne la
mode et reste ce qu’il est avec ses costumes droits et ses pantalons à
bretelles.
Cet homme sait servir, et exige la cohérence et la patience, mais sa
tactique ne correspond parfois pas à la conjoncture. Taki sait rebondir au
moment où il juge crucial, il prédit avec son franc-parler, il avertit, il
prévoit, il cultive la patience souvent considérée comme une lâcheté par
certains ou une peur par d’autres.
Il prêche toujours le rassemblement, il insiste constamment sur l’intérêt
capital de respecter les adversaires, il supporte les camps politiques dès lors
que ceux-ci deviennent bien distincts, il se méfie surtout des hommes
politiques qui changent facilement de trajectoire ou de cap lorsqu’ils
subissent le moindre échec politique. La stratégie politique de Mohamed
Taki mobilise les énergies, inspire confiance aux gens, sans qu’il sollicite
leur adhésion au combat qu’il mène souvent dans le silence. À chaque fois
que l’on pense que son parcours politique est fini, c’est à ce moment-là que
les simples gens redoublent de combativité et d’espoir dans le soutien qu’ils
apportent. Taki lui-même n’est pas en mesure d’expliquer l’origine de ce
culte que lui vouent tant de Comoriens. Peut-être que Mohamed Taki a un
côté mystique caché que nul ne peut découvrir »1.

1 Mahamoud (A. W.) : Refonder les Comores, op. cit., pp.57-58.

469
Même pendant les heures les plus sombres de sa longue carrière politique,
quand il était dans l’opposition et même en exil en France, il était entouré
d’une foule de partisans, qui ne lui demandaient rien, lui qui n’avait rien à
leur offrir. Il avait une autorité naturelle. Ahamada Satoulou, un de ses
proches, m’a raconté cette anecdote : « Un jour, j’accompagnais Mohamed
Taki Abdoulkarim, qui devait raconter Jacques Foccart. Ce dernier finissait
un entretien avec une personnalité avant de nous recevoir. Il nous fit savoir
par sa secrétaire de patienter moins de cinq minutes. J’assistais alors à une
scène qui m’a fort surpris. Mohamed Taki Abdoulkarim se leva pour partir,
me demanda de l’accompagner. Informé de la situation, Jacques Foccart
sortit de son bureau, se mit à lancer des “Attendez, Monsieur le président !”,
et Mohamed Taki Abdoulkarim l’ignora superbement. Nous sommes partis
sans nous retourner. Je ne comprenais pas ce qui arrivait, et me disais que
Jacques Foccart n’était pas quelqu’un dont on devait ignorer les appels. Un
autre rendez-vous avait été nécessaire pour faire oublier les ratés de celui
qui venait d’échouer. Même aujourd’hui, je n’en reviens toujours pas ».
Mohamed Taki Abdoulkarim était surnommé « Le Bien-aimé ». Il avait une
vraie aura, et si d’autres acteurs politiques étaient suivis uniquement quand
ils étaient au pouvoir, il en était autrement pour « Le Bien-aimé ». En exil en
France sous une partie de la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane et
de Saïd Mohamed Djohar, ses partisans étaient disposés à tous les sacrifices
pour leur champion. En aucun moment, ils n’avaient de doutes sur son destin
de futur président des Comores.
Mohamed Taki Abdoulkarim était considéré comme un vrai Roi par ceux
qui croyaient en son destin présidentiel. Il ne consommait que la viande dont
la bête était abattue le jour même, et il ne lui manquait jamais de la viande.
Contrairement à d’autres politiciens comoriens, il n’a jamais été vu en train
de mendier. Il ne mendiait pas. Quand il devait signer un document, il y avait
un de ses proches qui devait lui présenter le stylo destiné à cette opération.
Dès qu’il devait porter sa veste, il y avait toujours l’un des siens qui devait
l’aider à le faire. Quand il se mettait à table, l’un des siens devait découper
pour lui la viande. Personne ne se plaignait. Les siens étaient disposés à lui
donner satisfaction en toutes choses, et il n’en abusait pas.
Il disposait d’un vrai fief : sa ville natale de Mbéni et sa région d’origine
du Hamahamet. Ses partisans poussaient la ferveur et la fidélité envers lui
jusqu’à organiser des séances de lecture du Coran pour demander la punition
de Dieu sur toute personne qui voterait contre lui à Mbéni et dans sa région
du Hamahamet. Quelques années plus tard, c’est Mohamed Ali Soilihi, qui a
hérité de Mbéni et du Hamahamet. En dehors d’eux, aucun autre politicien
comorien ne peut se vanter de disposer d’un fief au sens premier du terme.
Lors de l’élection présidentielle de 1996, ses adversaires les plus acharnés
qu’il avait par le passé se réconcilièrent avec lui. Doté d’un sens de l’État et
du prestige social et politique, il ne s’attardait jamais sur des petites querelles
du passé ou sur des mesquineries inutiles.

470
Voici une affaire qui va nous permettre de comprendre beaucoup de choses
sur la personnalité de Mohamed Taki Abdoulkarim. Le 16 mars 1996, celui-
ci est élu président des Comores à 64,29% contre Abbas Djoussouf. Il s’était
avéré que Mohamed Ali Soilihi, de Mbéni comme lui, n’avait pas voté pour
lui. Cela n’avait pas empêché le rapprochement des deux hommes, dans un
vrai esprit de maturité.
Pour mieux comprendre ce qui s’était passé, il faut partir de l’idée selon
laquelle, « quand le président Mohamed Taki Abdoulkarim place Mohamed
Ali Soilihi au cœur de son régime politique, il savait que celui-ci ne l’avait
pas soutenu lors des élections et s’était ouvertement rangé dans le camp
d’un candidat adverse, Omar Tamou, originaire de Foumbouni. Mohamed
Ali Soilihi, fidèle à une idée qui lui est chère, avait refusé de soutenir
Mohamed Taki Abdoulkarim au premier tour au seul prétexte qu’il était de
Mbéni comme lui. “L’esprit villageoisˮ prenait un coup très sévère. Pourtant,
l’affaire n’est pas très simple, et en la matière, le témoignage de Mohamed
Ali Soilihi est très éclairant »1.
Voici le témoignage de Mohamed Ali Soilihi : « En 1996, il y eut une
dissension au sein de l’Udzima, et le Docteur Mtara Maécha s’en alla parce
qu’il voulait être notre candidat, et nous étions pour la candidature d’Omar
Tamou, que nous trouvions plus politique et donc plus rassembleur. Pour-
tant, le Docteur Mtara Maécha ne manquait pas de moyens, fournis par on
ne sait qui à l’étranger.
Cela étant, lors des élections présidentielles de 1996, notre candidat était
Omar Tamou, qui ne franchit pas le cap du deuxième tour. Nous décidâmes
de soutenir la candidature de Mohamed Taki Abdoulkarim, et j’y étais vrai-
ment pour beaucoup. Mohamed Taki Abdoulkarim a été élu président de la
République. Il s’est installé à Beït-Salam. Un jour, il effectua un voyage en
Chine, où il était parti négocier le projet de télévision comorienne. De
retour de Chine, il s’était arrêté à Paris, à un moment où aux Comores on ne
parlait que de remaniement ministériel, chacun essayant de ne pas en faire
les frais.
En effet, il y avait à Moroni, à cette époque, une gesticulation politique
incroyable, chacun se positionnant pour rester au sein du gouvernement ou
pour y entrer. J’étais chez moi, où je vis arriver le Docteur Mouhtar Charif,
le Directeur du Cabinet du président. Il était chargé de me dire que le chef
de l’État allait quitter la France le lendemain pour les Comores mais voulait
me voir avant de quitter Paris. C’était quand même étrange. Un billet aller-
retour en première classe était prêt parce qu’il n’y avait pas de places en
classe économique. À l’époque, j’étais Commissaire général au Plan. Le
président avait l’habitude de me charger de quelques missions ponctuelles à
l’étranger. J’ai pris l’avion pour Paris. J’arrive à l’Hôtel George V, où je

1Riziki Mohamed (A.) : Mohamed Ali Soilihi. Les Comores à cœur et dans l’âme, op. cit., p.
75.

471
trouve une foule incroyable de Comoriens voulant s’entretenir avec le
président.
C’est alors que j’entendis le plus extraordinaire des discours. Le président
Mohamed Taki Abdoulkarim me dit : “J’ai vu mon père en rêve. Il m’a
demandé de ne pas te lâcher parce que tu es un mon porte-bonheur. Mon
père m’a dit que tu pourras tout faire pour moi, pour aider les Comores. Tu
dois accepter le ministère de l’Économie et des Finances, à la tête duquel je
compte te placer dans quelques heures. Je te demande donc de gérer ce
ministère comme tu as géré le CEFADER. Si tu vois que je t’ai fait venir
spécialement des Comores pour te dire tout ça, c’est que j’ai mes raisons. Je
veux éviter les racontars de ceux qui disent que tu n’as jamais été avec moi.
Si notre rencontre avait eu lieu aux Comores, certaines personnes auraient
tout tenté pour saboter ta nomination, alors que je dois respecter les paroles
de mon père, que Dieu l’agrée au Paradis.
Je dois respecter les conseils de mon père. C’est toi qui vas faire aimer et
faire respecter le pays à l’étrangerˮ. Quand je lui ai dit que ses partisans ont
des prétentions démesurées et ont l’habitude de dire qu’ils l’ont aidé quand
il était à Paris, il promit d’organiser une réunion spéciale à Mbéni. Il le fit
et dit aux Mbéniens : “Il y a plein de Directeurs et de ministres que j’ai
nommés. Allez les embêter comme vous voulez, mais, de grâce, laissez
tranquille Mamadou. Oubliez-le. Il est en mission pour le pays, pour l’image
du pays à l’étranger, surtout pour l’image du pays à l’étranger, auprès des
institutions financières internationales. Il n’y a que lui pour cette mission, et
il a besoin d’être tranquille”. Le même jour, il prenait l’avion pour les
Comores, et je restais quelques jours à Paris, où j’ai appris ma nomination
à la tête du ministère de l’Économie et des Finances. Entre le président
Mohamed Taki Abdoulkarim et moi, la confiance était totale et entière »1.
Mohamed Taki Abdoulkarim était ainsi car il n’avait cessé de témoigner sa
fidélité envers les valeurs sociales et sociétales du pays, et avait une foi très
solide en la relation humaine. Même s’il était considéré comme un Roi par
ses partisans, il n’a pas profité de son arrivée au pouvoir pour mépriser ceux
qui lui ont fait confiance et qui ont suivi sa carrière depuis des décennies. On
constate qu’en la matière, il avait fait montre de plus de grandeur que ne le
fera par la suite un Ikililou Dhoinine qui tournera le dos à tous ses anciens
amis, préférant la compagnie de ceux qu’il ne connaissait pas avant et qui ne
lui rappelleront jamais ses origines modestes, mais qui allaient contribuer à
son échec dans la médiocrité et la petitesse.
Mohamed Taki Abdoulkarim avait même nommé un Conseiller en charge
de la Notabilité. Il tenait à cette notabilité, qui incarnait les valeurs sociales
et traditionnelles du pays mais qui, sous la présidence incohérente d’Ikililou
Dhoinine, allait devenir un fardeau politique et social.

1 Entretiens du vendredi 11 septembre 2015. Cf. Riziki Mohamed (A.) : Mohamed Ali
Soilihi. Les Comores à cœur et dans l’âme, op. cit., pp. 75-76.

472
En 1996, Mohamed Taki Abdoulkarim s’était fait élire sous le slogan très
ambitieux de « Réhémani », « Au Paradis ». Promettre le « Paradis » n’est
pas le plus simple, le plus réaliste et le plus réalisable des engagements lors
d’une campagne électorale ; pourtant, Mohamed Taki Abdoulkarim avait été
pris au sérieux et avait été élu confortablement à 64,29%, lors de la première
élection présidentielle vraiment démocratique des Comores. Le séparatisme
à Anjouan, les divers sabotages et sa mort prématurée le 6 novembre 1998
l’ont empêché de prouver s’il était capable ou non de réaliser ses promesses
électorales de « Réhémani ».
Je prenais Mohamed Taki Abdoulkarim pour un dictateur vraiment assoiffé
de pouvoir. Mon cousin Soidri Salim Madi, qui avait été un de ses hommes
de confiance depuis de nombreuses années et qui avait été aussi son ministre
d’État – le seul –, m’expliqua ce qui suit en juillet 2005 : « Détrompe-toi car
Mohamed Taki Abdoulkarim était un libéral convaincu. Il était tout sauf un
dictateur. J’irais plus loin en soutenant que sa confiance naturelle envers
ses collaborateurs l’induisait en une certaine forme de laxisme. En effet, il
m’arrivait de voir en lui un chef laxiste, à force de le voir faire confiance de
manière aveugle aux personnes qui l’entouraient ».
Abdoulkarim, le fils de Mohamed Taki Abdoulkarim, nonobstant une forte
ressemblance physique avec son père, n’a ni son charisme, ni son grand sens
politique, ni le respect sacerdotal des valeurs traditionnelles des Comores. Il
lui arrive très souvent de prendre des positions qui ne vont pas dans le sens
de ce que souhaitent les Comoriens dans leur immense majorité, et cela juste
pour apporter son soutien au dictateur honni Assoumani Azali. À Mbéni, on
lui reproche certaines paroles malheureuses contre certaines personnalités de
la ville, et cela ne le grandit pas aux yeux du peuple.
En plus de son surnom de « Bien-aimé », Mohamed Taki Abdoulkarim était
également « Yi Moina », « L’Enfant chéri ». On a essayé « Moina Oihé Yi
Moina », « L’Enfant chéri de l’Enfant chéri » sur son fils Abdoulkarim, mais
le charisme ne se décrète jamais. Des notables qui ont suivi Mohamed Taki
Abdoulkarim depuis les années 1970 sont encore fidèles à sa mémoire, alors
que quelques jours avant son départ de la Présidence de la République, un
Ikililou Dhoinine est dédaigneusement snobé par ceux qu’il prenait pour ses
« amis » quand il trônait à Beït-Salam.
Suite au scrutin présidentiel fraudé de 1990, Mohamed Taki Abdoulkarim,
la victime, entretenait des relations particulièrement difficiles avec celui qui
avait bénéficié de cette fraude : Saïd Mohamed Djohar. Les deux hommes
ont fini par se réconcilier à Paris en novembre 1991. Saïd Mohamed Djohar
avait même nommé Mohamed Taki Abdoulkarim Responsable de l’Action
gouvernementale (RAG), un Premier ministre sans le titre officiel.
Le 25 novembre 1991, les deux anciens adversaires rentraient ensemble aux
Comores. À leur arrivée à l’aéroport de Hahaya, 5.000 partisans de Mohamed
Taki Abdoulkarim ont accueilli leur héros. Même avec l’argent du peuple, Saïd
Mohamed Djohar n’a jamais eu droit à un tel accueil. Ces 5.000 personnes se

473
souciaient plus de Mohamed Taki Abdoulkarim que de sa réconciliation avec
un Saïd Mohamed Djohar déjà aux abois.
Mohamed Taki Abdoulkarim fondait-il son charisme sur son éloquence ? Il
serait nécessaire que je précise ceci pour mieux répondre à la question. Je me
suis retrouvé une fois, et une fois seulement, en présence de Mohamed Taki
Abdoulkarim. À l’époque, il était le président de l’Assemblée fédérale, et ne
cherchait même pas à cacher ses ambitions présidentielles. Il faisait le tour
des Comores, et avait choisi Djoiezi parmi les villes où il devait s’adresser à
la population. Cette nuit-là, je n’ai pas vu en lui un grand tribun. Dès lors, il
n’était pas adulé pour son talent oratoire, mais pour sa personnalité, pour sa
capacité à séduire et à convaincre ses partisans, par le fait que nombreux ont
été ceux qui, dès sa tendre enfance, voyaient en lui un futur président dont il
fallait suivre et favoriser l’ascension politique.
À l’opposé de Mohamed Taki Abdoulkarim, « l’Ayatollah » Ahmed Sambi
est un redoutable tribun dont le discours a le tranchant du rasoir. Il sait tenir
les discours les plus mobilisateurs dans un pays dont la classe politique est
méprisée et haïe pour ses nombreux rendez-vous manqués avec l’Histoire et
pour son incapacité à penser au peuple, empêtré dans les malheurs et dans la
misère noire. Que n’a-t-on pas entendu sur le talent oratoire d’Ahmed Sambi
depuis son entrée fracassante sur les scènes religieuse et politique des îles
Comores ?
Accusé de Chiisme dans un bastion sunnite où l’on déteste les Chiites et les
rites religieux qui sont les leurs, Ahmed Sambi s’est créé divers ennemis qui
ont la dent dure contre lui et qui disent ouvertement que c’est en Iran « où il
a appris à mentir, puisque le Chiisme recommande le mensonge si cela est
nécessaire ». Par sa capacité à galvaniser les foules, il fait penser à un vrai
Ayatollah d’Iran : Rouhollah Moussavi Khomeiny (1902-1989).
Le Comte Alexandre de Marenches (1921-1995), Directeur du Service
français de Documentation extérieure et de Contre-espionnage de 1970 à
1981, disait de Rouhollah Moussavi Khomeiny : « Le discours de Khomeiny
est porteur. Il est prononcé dans un style et un langage que nous ne connais-
sons plus : celui des analphabètes. Il parle pour des gens qui ne savent pas
lire mais seulement écouter. Le petit livre vert de Khomeiny est quelque
chose d’incroyable ! Quand je pense qu’il est le chef d’une des puissances
importantes du monde et qu’il a publié un ouvrage où il explique très
sérieusement que, si par exemple, vous avez des privautés corporelles avec
votre bourricot, il faut ensuite faire attention au moment où vous allez faire
subir le même sort à votre femme ou votre petite amie… Que Son Éminence
se mêle de techniques de ce genre, cela dépasse l’entendement occidental !
Voilà le personnage avec lequel nous devons négocier et qui vit toujours au
XIème siècle »1.

1 Ockrent (Christine) et De Marenches (Alexandre) : Dans le secret des princes, Éditions

Stock, Paris, 1986, pp. 235-237.

474
Rouhollah Moussavi Khomeiny savait parler. Ahmed Sambi sait parler. En
termes de techniques de communication, on peut dire beaucoup de choses
sur la structuration et le contenu du discours d’Ahmed Sambi, notamment en
matière d’arguments circulaires et de formulation des idées. Mais, le peuple
ne s’attarde pas sur de telles choses quand il a envie d’écouter et de prendre
en considération un homme qu’il a envie de traiter en Messie.
Ahmed Sambi avait fourbi ses armes oratoires depuis le début des années
1980, en utilisant habilement son discours religieux pour se poser en homme
qui sait. Il sait entraîner les foules dans la direction qu’il veut. Ayant décidé
d’être candidat à l’élection présidentielle de 2006, il s’est lancé en campagne
électorale dès 2004, proposant des solutions à tous les malheurs et deuils qui
sont amplifiés ou créés par la junte militaire mafieuse d’Assoumani Azali. Il
arriva à créer un climat politique propice à son dessein présidentiel, de façon
à ce que dès 2005, les Comoriens étaient convaincus qu’il était invincible. À
partir de 2005, je répétais ce sentiment avec insistance devant le petit comité
installé à Paris et qui suivait cette élection. Naturellement, on ne voulait pas
me prendre au sérieux. Même à Moroni, les chancelleries ne voulaient pas du
tout admettre qu’Ahmed Sambi s’était imposé par un talent oratoire soutenu
par des promesses préélectorales et électorales très sophistiquées. Le jour où
les chancelleries comprirent l’erreur d’appréciation, il était déjà trop tard, et
il n’était pas possible de renverser la tendance. Il avait fallu que les missions
diplomatiques et autres chancelleries s’intéressent au nombre de personnes
présentes dans les meetings pour admettre la différence entre Ahmed Sambi,
qui réunissait 5.000 personnes au cours d’un meeting, et les autres candidats
qui peinaient à attirer 500 curieux et badauds dans une réunion publique.
Après le scrutin de 2006, Madi Hamada, de Djoiezi, colistier de Mohamed
Djaanfari à Mohéli, m’expliquait, le sourire aux lèvres : « Quand fut lancée
la campagne électorale, nous sommes arrivés en certains lieux portés sur les
épaules par une foule en liesse, parfois sous la pluie. Je disais à notre équipe
que nous avions le vent en poupe. Mais, quand je me rendis compte que les
femmes qui fabriquaient des couronnes de fleurs présentaient des factures
pour être rémunérées en retour, j’ai brusquement compris que tout n’était
que fausseté, mensonges et hypocrisie ». Mohamed Djaanfari avait été classé
deuxième.
Dépité, Mohamed Ahmed Chamanga, Professeur à l’Institut des Langues et
Civilisations orientales (INALCO), à Paris, m’a dit la même chose, insistant
sur le fait que c’est à Pomoni, Anjouan, qu’il avait tout compris à la suite de
la réclamation d’argent par les fameuses femmes fabriquant les couronnes de
fleurs et qui réclamaient de l’argent. Il fut classé à la 13ème et dernière place.
Ahmed Sambi n’a pas honoré toutes ses promesses. Or, ce que j’entends, y
compris à Mayotte, où il compte de nombreux partisans, est très explicite :
« Ahmed Abdallah Mohamed Sambi est le meilleur de tous les présidents des
Comores. Les autres ne sont que des ingrats et des incompétents ». Depuis
que j’ai commencé à entendre cela, j’ai compris une chose : ce ne sont pas

475
ses réalisations qui comptent, mais sa personne. Qu’il réalise des projets ou
pas ne va jamais compter, dans la mesure où c’est sa personne qui séduit.
J’ai rencontré à Mayotte des Comoriens prêts à mourir pour Ahmed Sambi,
et la plupart d’entre eux ne l’ont jamais vu physiquement un jour ! Ils se
reconnaissent en lui, c’est tout. Le reste ne compte pas.
Les Mohéliens ont une belle expression charnelle : « Mbéndzoi Bouré »,
« Celui qu’on aime pour rien ». Une telle personne n’a pas besoin d’afficher
les canons de la beauté pour être aimée ; elle est aimée pour elle-même. Le
leader charismatique est sur le même registre.
Assoumani Azali n’est pas un analyste politique. Dans son entourage, il n’a
ni juriste, ni analyste politique, mais des soudards qui ne savent même pas
frauder des élections dans la discrétion et de manière professionnelle. Mais,
il a fini par comprendre une chose essentielle : si l’île d’Anjouan fournit tous
les candidats à l’élection présidentielle de 2021, Ahmed Sambi retourne sans
le moindre problème à la Présidence de la République. Que faire alors ? Il
n’a trouvé qu’une seule parade : le faire condamner par la Justice discréditée
et aux ordres pour le rendre inéligible à vie. Mais, il a commis une faute très
grave en croyant qu’il peut disposer du destin des autres et même celui d’un
État à sa guise. Il a même des prétentions divines.
Le dimanche 8 juillet 2018, des milliers d’Anjouanais sont descendus dans
les rues pour réclamer la libération d’Ahmed Sambi de sa prison sous forme
de résidence surveillée. Or, si les Grands-Comoriens ont l’habitude de faire
des manifestations de soutien à leurs acteurs politiques, il en est autrement
pour les Mohéliens et les Anjouanais. La manifestation du dimanche 8 juillet
2018 a donc un sens très profond, qu’il faut aller chercher dans les tréfonds
de l’âme de l’Anjouanais, devenu solidaire d’un autre Anjouanais, victime
d’une grave injustice.
De juillet 2017 à mai 2018, l’opposition avait été discrète. Le retour aux
Comores d’Ahmed Sambi en mai 2018 a bien changé la donne, alors que les
journalistes aux ordres et de révérence manifestaient leur « inquiétude » face
à la discrétion d’Ahmed Sambi et de Fahmi Saïd Ibrahim. Quand Ahmed
Sambi redonna des couleurs à une vie politique qui était devenue très terne,
les mêmes journalistes de la mendicité ont versé des larmes de crocodile.
Qu’on aime ou pas Mohamed Taki Abdoulkarim et Ahmed Sambi, qu’on
soit de leurs partisans ou pas, force est de reconnaître qu’ils ont un charisme.
Ils ne sont pas adulés par les leurs parce qu’ils ont une capacité de réalisation
de projets, mais parce que leurs partisans leur font confiance. Ils peuvent
même rivaliser avec les plus entreprenants des dirigeants, tant que ceux-ci
seront dépourvus d’une forte personnalité.

B.- PLURALITÉ DE DIRIGEANTS EFFACÉS ET SANS LE MOINDRE CHARISME


En faisant abstraction de Mohamed Taki Abdoulkarim et d’Ahmed Sambi,
les dirigeants comoriens manquent singulièrement de charisme. Ils sont très

476
effacés. Ils sont insipides et n’ont aucun magnétisme, ni attirance. On les suit
le jour où ils sont au pouvoir, et on les évite quand ils n’y sont pas.
Ali Soilihi, détesté par des Comoriens excédés par sa dictature folklorique
tropicale, n’avait pas de charisme. On ne peut pas être charismatique et être
détesté par l’écrasante majorité de la population.
Ahmed Abdallah Abderemane n’a jamais été charismatique. Il s’imposait
non pas par charisme, mais par sa dictature et la corruption de la notabilité
de toutes les îles.
Saïd Mohamed Djohar n’a jamais été charismatique. Il avait été un vieux
chef d’État manipulé par son entourage, complètement coupé des réalités du
monde, et dépassé par les événements, même ceux qui se faisaient autour de
lui et en son nom. Il n’a jamais été un meneur d’hommes, un rassembleur, un
acteur politique en qui on pouvait voir la flamme du futur président des îles
Comores. Il est devenu président de la République par accident, quand son
ami Ahmed Abdallah Abderemane, qui l’avait nommé président de la Cour
suprême, a été sauvagement torturé et assassiné par Robert « Bob » Denard
et ses mercenaires.
Comme noté plus haut, quand on lui annonça la mort brutale d’Ahmed
Abdallah Abderemane, et quand on signala que c’était lui qui devait assumer
l’intérim, son seul souci du moment avait été la demande d’un réfrigérateur.
Le pays était plongé dans un grand malheur, et Saïd Mohamed Djohar ne se
souciait que d’un réfrigérateur.
Au surplus, les Comoriens vinrent en Saïd Mohamed Djohar un président
tellement effacé que la « gendrocratie » le manipulait à sa guise. Mohamed
Saïd Abdallah Mchangama, son gendre principal, avait fait de lui une simple
marionnette qu’il pouvait manipuler à sa guise. Sa vraie famille n’était pas
en reste. Le Mohélien Mohamed Larif Oucacha, le Directeur de son Cabinet
chargé de la Défense, l’enivrait à mort, le retirait de la circulation pendant
quelques jours et lui faisait signer tous les décrets qu’il voulait.
Quand, le 3 août 1991, la Cour suprême a tenté de destituer Saïd Mohamed
Djohar par « coup d’État médical et constitutionnel », elle évoqua notamment
et sans charité sa sénilité et son incapacité à conduire les affaires de l’État. Il est
impossible de transformer un dirigeant aussi falot en leader charismatique.
Après le charismatique Mohamed Taki Abdoulkarim, l’intérimaire Tadjidine
Ben Saïd Massounde n’avait pas de relief particulier, et n’a été au pouvoir que
de la mort de son prédécesseur, le 6 novembre 1998, à son renversement, le 30
avril 1999. Président de la République par pur accident et par le plus grand des
hasards politiques, lui-même ne s’était jamais attendu à devenir un jour chef
d’État. Il avait connu son heure de « gendrocratie », mais celle-ci n’atteignait
pas les proportions dégoûtantes de celle de Saïd Mohamed Djohar, le pionnier.
Deux gendres de Tadjiddine Ben Saïd Massounde étaient « gendrocrates »,
mais n’avaient pas dépassé certaines limites.
Assoumani Azali, dépourvu de tout charisme, n’est qu’un soudard méprisable
et méprisé en plus d’être détesté par les Comoriens depuis sa lâcheté lors de la

477
tentative de coup d’État du 26 septembre 1992, et surtout quand il avait fui en
slip devant Robert « Bob » Denard et ses mercenaires le 28 septembre 1995,
pour aller se cacher sous une table et les toilettes de l’ambassade de France aux
Comores ; ce qui avait fait dire à Saïd Ali Kemal Eddine que dans un pays
normal, il aurait été traduit en cour martiale et aurait passé le reste de sa vie
dans une cellule de prison pour haute trahison.
Par la suite, le charismatique Ahmed Sambi cédera le pouvoir à l’insignifiant
Ikililou Dhoinine. Ce dernier avait été tellement fade que Fouad Mohadji, son
vice-président, Mohélien comme lui, l’avait méchamment affublé de l’horrible
surnom « Mahaloua », « la mère de Haloua ». Ce surnom, volontairement vil et
hideux, n’avait qu’un seul but : signaler qu’Ikililou Dhoinine était un simple
fantoche entre les mains de Hadidja Aboubacar, son épouse, qualifiée par les
Mohéliens dans un tract très violent d’être une « dictatrice ». En mai 2014, le
tract historique « Kala Wa Dala », entièrement rédigé par les jeunes de Djoiezi,
achèvera de mettre à nu le couple présidentiel, en dénonçant à la fois un chef
d’État insipide, ennuyeux et effacé et une épouse qui déchirait les décrets dont
le contenu ne lui plaisait pas. Le jour où le couple présidentiel se battit à coups
de poing à Beït-Salam, les Comoriens trouvèrent un sujet de plaisanteries les
plus grivoises et les plus grasses. Muni de son téléphone, Saïd Bacar, le demi-
frère d’Ikililou Dhoinine, une des bêtes noires de sa belle-sœur, n’avait pas des
mots assez durs pour amplifier l’événement, inédit aux Comores, même si on
sait que du temps de la « gendrocratie », à en croire Nassuf Ahmed Abdallah,
l’épouse de Saïd Mohamed Djohar en Grande-Comore passait sa colère sur la
vaisselle, qu’elle cassait en mille morceaux.
Transformé en femmelette sans envergure par une épouse par trop ambitieuse,
violente, insolente et cupide, Ikililou Dhoinine était la caricature d’un président
et avait l’œil rivé sur la fortune qu’il accumulait et sur le calendrier, comptant
les jours qu’il lui restait à passer à la Présidence de la République.
Si Assoumani Azali choisit la compagnie de voyous et de soudards déguisés
en « juristes » manipulateurs et maladroits et en politiciens de fin semaine, pour
sa part, Ikililou Dhoinine avait jeté son dévolu sur les rigolos qui pullulent dans
les rues de Djoiezi et Fomboni, en plus de ses faux amis de Grande-Comore,
qui lui tournèrent le dos le jour où il quitta la Présidence de la République pour
aller s’occuper de ses boutiques de conserves de tomate et de ses plantations de
Ndréméyani, où il exploite l’ylang-ylang.
Ikililou Dhoinine est perclus par les complexes alimentés par sa petitesse. Il
déteste l’intelligence, l’expertise et la compétence, préférant la compagnie de
ce que le Tout-Mohéli compte comme petits loubards de quartiers, pendant que
son épouse avait créé le plus grand réseau de délation, commérages et bruits de
couloirs et de chiottes, faisant des rumeurs de bouchère son vrai instrument de
pouvoir, sans se rendre compte qu’elle était ridicule aux yeux du peuple et des
chancelleries, dont certaines sont friandes de ragots, dans un pays au système
politique pour le moins ennuyeux.
Les autres chefs d’État comoriens et leurs épouses ne valent guère mieux.

478
La fonction présidentielle est tombée à un niveau très bas aux Comores, où
même les petits escrocs de quartiers ont des prétentions de chef d’État. Même
des escrocs spécialisés dans l’émission de chèques sans provisions et dans
d’autres vilenies croient qu’ils ont un destin national. Je les connais bien.

C.- INVENTION DU « CHARISME VIOLENT ET IMPOSÉ »


Faute de charisme dans le sens défini par Max Weber, des chefs d’État ont
inventé aux Comores un « charisme violent et imposé ». En la matière, c’est
Saïd Mohamed Cheikh qui fait office de pionnier.
Certains, en Grande-Comore, disent que Saïd Mohamed Cheikh est « le
plus grand politicien comorien de tous les temps ». Ils peuvent dire qu’il est
« le plus grand politicien grand-comorien de tous les temps », et ne pas lui
donner une dimension nationale, qu’il n’a jamais eue.
Saïd Mohamed Cheikh était un dirigeant d’une violence verbale inégalée.
Convaincu d’avoir tous les droits, il ne prenait aucune précaution de langage
pour insulter les Mohéliens et les Mahorais, et pour les dénigrer en public. Il
est responsable à 100% du mur de la haine qui s’est dressé entre Mahorais et
Comoriens des autres îles. C’est à cause de lui et uniquement à cause de lui
que depuis 1966, aucun dirigeant comorien de haut niveau ne peut se rendre
sur l’île de Mayotte. Ses thuriféraires bien-pensants prétendent ainsi qu’il a
été trompé par la France. Ils mentent. La France ne lui a jamais demandé
d’être désobligeant envers les Mohéliens et les Mahorais. En plus, quand il a
eu l’idée de transférer la capitale des Comores de Dzaoudzi à Moroni, des
personnalités de la Grande-Comore lui avaient clairement dit que ce projet
allait détruire l’unité des îles, et il n’a voulu écouter personne.
Saïd Mohamed Cheikh a régné et s’est imposé en maître absolu alors que
les Comores n’avaient pas de nombreux cadres. Il usait et abusait du statut
de Chérif (descendant du Prophète) et de « Docteur ». Le maître absolu avait
toute latitude pour se faire passer pour celui qu’on devait obéir au doigt et à
l’œil, sans oser émettre la moindre critique. Comme cela est signalé ci-haut,
pour avoir « osé » dire que des jeunes Comoriens, mieux formés étaient de
retour dans leur pays, Mohamed Taki Abdoulkarim avait été banni sur le
plan social, et exilé à Anjouan, de manière illégale et antidémocratique. Son
bannissement était surréaliste et indigne.
Haï à Mayotte pour son mépris envers les Mahorais, détesté à Mohéli pour
son dédain envers les Mohéliens, Saïd Mohamed Cheikh ne peut avoir de
charisme uniquement parce que certains, à la Grande-Comore, l’idolâtrent.
La Grande-Comore, à elle seule, ne peut pas représenter les Comores, et ce
n’est pas parce que les Grands-Comoriens ont décidé de le déifier que les
autres Comoriens doivent suivre ce qui a été décidé par d’autres. Personne
en Grande-Comore n’ose émettre la moindre critique envers le politicien qui
insultait publiquement les Mohéliens et les Mahorais, alors qu’il devait taire
sa morgue et rassembler les Comoriens.

479
Personnellement, je suis très peiné d’entendre des Mahorais dire « je ne
suis pas Comorien » quand on leur demande s’ils sont Comoriens, et de tenir
des propos très durs envers leurs habitants des autres îles, avec qui ils ont
tous des liens fondés sur le sang. Existe-t-il un seul habitant de l’archipel qui
n’a pas des relations de famille sur au moins une des trois autres îles ? Mais,
il ne faut pas oublier que les Mahorais sont les héritiers d’une Histoire faite
de mépris et de haine entre les habitants des îles, selon leur origine insulaire.
L’Histoire écrite par l’encre de l’arrogance narcissique et le mépris de Saïd
Mohamed Cheikh n’est pas de celles qui s’oublient facilement.
Sous le règne de Saïd Mohamed Cheikh, émergea un jeune cadre répondant
au nom d’Ali Soilihi. Celui-ci avait rendez-vous avec l’Histoire de son pays.
Ali Soilihi était un dictateur d’une grande violence. Il avait un discours qui
était destiné à expliquer son action. Ce discours était intéressant du point de
vue de la rhétorique. Mais, que vaut un discours habile dont l’auteur avait la
redoutable habitude de jeter les opposants réels ou supposés dans les citernes
sans le moindre jugement, qui faisait déshabiller en public les notables et les
personnes accusées de sorcellerie, faisait battre les opposants sans procès, les
faisait défiler dans les rues pour les déshonorer ?
En quoi Ali Soilihi pouvait-il être un chef charismatique, lui qui voulait
pour le peuple un bonheur selon ses propres critères, sans tenir compte de ce
voulait ce peuple ? Sur quoi devait reposer le charisme d’un président qui eut
même la prétention de changer les habitudes alimentaires des Comoriens, à
qui il voulait imposer ses propres choix culinaires ? À ces questions, ceux
qui se disent soilihistes n’ont aucune réponse convaincante. Pis, ils refusent
toute critique sur leur champion, eux qui ont trahi ses idéaux et qui refusent
de se retrouver au sein d’un seul et même parti.
Les soilihistes prétendent que leur champion était un vrai « visionnaire »,
mais refusent qu’on parle de ses dérives dictatoriales. Ils exigent qu’on jette
une chape de plomb sur ses graves atteintes aux droits de l’Homme, voulant
faire de lui le plus intelligent des dirigeants comoriens.
Les Comoriens n’ont jamais vu Ali Soilihi organiser une élection au vrai
sens du terme. Celle-ci aurait permis de mesurer sa popularité et, quand avait
été organisée la mascarade du 28 octobre 1977, les Mohéliens avaient dit
tout le mal qu’ils pensaient du chef de la Révolution comorienne. Sur les îles
d’Anjouan et Grande-Comore, ceux qui avaient voté pour Ali Soilihi avaient
peur de représailles, et avaient préféré adopter un profil bas, sachant en plus
que leur opinion ne comptait pas.
Pour sa part, Ahmed Abdallah Abderemane avait également opté pour le
mal qu’on peut voir sous les traits du « charisme violent et imposé ». Il se
targuait d’être adulé sur chaque île de l’archipel des Comores. Il poussait les
mensonges d’autoglorification jusqu’à déclarer qu’il ne voyait personne qui
pouvait être son successeur aux Comores. Naturellement, il prenait toutes les
libertés qu’il voulait avec la vérité.

480
Ahmed Abdallah Abderemane s’imposait par la dictature. Il était toujours
candidat unique à toutes les élections. S’il était sûr de son charisme, il aurait
commencé par admettre les candidatures des opposants, étant sûr que son
« aura » allait les écraser un à un. Il aurait accepté le multipartisme, étant sûr
que son « aura » aurait raison de tous les partis politiques autres que le sien.
En plus, il y avait la corruption des notables de toutes les îles. Chez lui,
Ahmed Abdallah Abderemane avait un gros registre sur lequel étaient notées
toutes les dépenses liées aux « cadeaux » distribués à ces notables. Quand il
était au pouvoir, quelques notables pouvaient décider pour tous les autres
membres de la communauté villageoise. Cela étant, il lui suffisait de créer
des relations solides avec les notabilités villageoises pour régner en paix.
Or, tel n’est pas le cas de Mohamed Taki Abdoulkarim. Ce dernier n’avait
pas besoin de corrompre les notables, et ce sont ces personnalités qui étaient
ses fidèles sans rien obtenir de lui au préalable. Il rendait service mais jamais
pour quémander le soutien des uns et des autres.
En définitive, on constate que Saïd Mohamed Cheikh, Ali Soilihi et Ahmed
Abdallah Abderemane n’avaient pas de charisme, mais s’imposaient par la
violence politique. Saïd Mohamed Cheikh n’avait pas pu dépasser certaines
limites parce que la France était présente aux Comores et était consciente de
ses manies autocratiques.

D.- LES TRAÎTRES PROFESSIONNELS


Aux Comores, on a tendance à confondre politique et mensonge. D’aucuns
prétendent même que la politique est l’art du mensonge pour le pouvoir, soit
pour le conquérir, soit pour le conserver. De fait, certains acteurs politiques
comoriens ont fait de la trahison leur seule façon de faire la politique. En la
matière, Assoumani Azali et Ikililou Dhoinine tiennent le haut du pavé.
Comme cela a été noté au cours des développements qui précèdent, la nuit
au cours de laquelle devait être réalisé le coup d’État du 30 avril 1999, il se
passa des choses pour le moins étranges. Assoumani Azali, qui devait diriger
les opérations, était resté pendant des heures et des heures assis sur son tapis
de prière. Les autres militaires sont allés prendre le pouvoir des mains de
Tadjiddine Ben Saïd Massounde et le lui ont remis – dans la mesure où il
était le chef d’État-major de l’Armée –, obtenant de lui le ferme engagement
que ledit pouvoir allait être remis aux civils dans les plus brefs délais. Il ne
l’a pas fait. Il a conservé le pouvoir, conduisant le pays à la ruine, cultivant
la division née du séparatisme à Anjouan le 16 février 1997.
Assoumani Azali avait promis de mettre de l’ordre au sein de l’Armée,
pour en faire une vraie institution républicaine. Au contraire, il l’érigea en un
instrument de pouvoir basé sur le népotisme, le clanisme et l’insularité, sans
tenir compte des nécessités professionnelles qui devaient être défendues pour
le bien du pays. Il a été le fossoyeur de l’Armée comorienne, sans le moindre
regret, convaincu d’avoir toujours raison.

481
Les militaires qui avaient remis le pouvoir à Assoumani Azali dirent avoir
été trahis par cet homme toujours prompt à renier sa propre parole. Du reste,
ils parlent toujours de cette trahison et même en public. Le Lieutenant Rachad
Abdallah refuse de lui serrer la main. N’est-ce pas Rachad Abdallah qui était
le plus prompt à réclamer la restitution du pouvoir aux civils ?
Le 30 avril 1999, les Comores étaient un pays divisé et parcouru par divers
cris de haine. La recherche d’une solution de réconciliation nationale devait
passer par Mohéli, l’île qui incarnait la neutralité entre les « hégémonistes »
de Grande-Comore et les « victimes » d’Anjouan. Pendant des mois, la junte
militaire s’appuya sur la classe politique mohélienne, surtout sur Mohamed
Hassanaly et sur Mohamed Fazul (l’oncle de Mohamed Saïd Fazul), les deux
« dinosaures » de l’île. L’Accord-cadre de réconciliation nationale fut signé
à Fomboni le 17 février 2001, grâce à leur crédibilité personnelle. Pourtant,
au lendemain de la signature de l’Accord-cadre, Assoumani Azali s’employa
à ignorer ostensiblement les deux personnalités mohéliennes précitées. Dès
lors, malgré l’importance de cet Accord-cadre, la réconciliation nationale n’a
jamais été une réalité, avant le débarquement militaire du 25 mars 2008, qui
signait tous les échecs de la junte militaire sur le dossier anjouanais.
Maintenant, intéressons-nous à l’élection présidentielle de 2016.
Au deuxième tour du scrutin présidentiel de 2016, Ahmed Sambi et Fahmi
Saïd Ibrahim avaient attendu un appel de Mohamed Ali Soilihi. Cet appel ne
vint jamais. Ahmed Sambi et Fahmi Saïd Ibrahim signèrent un accord avec
Assoumani Azali pour l’entrée au futur gouvernement de cadres d’Ahmed
Sambi, pour le soutien d’Assoumani Azali lors de l’élection présidentielle de
2021 et pour le rétablissement des relations diplomatiques entre les Comores
et l’Iran. Durant la campagne électorale pour le second tour du scrutin, on vit
Ahmed Sambi, Fahmi Saïd Ibrahim et leurs partisans se mobiliser totalement
pour Assoumani Azali.
Or, ce dernier était éliminé dès le premier tour du scrutin, mais a été placé
sur la liste des trois candidats devant s’affronter au second tour par la fraude
des Mohéliens de Beït-Salam, et au détriment de Fahmi Saïd Ibrahim, le vrai
troisième candidat. Pourtant, Assoumani Azali a chassé du gouvernement au
bout d’une année au pouvoir Fahmi Saïd Ibrahim et Mohamed Bacar Dossar,
les deux ministres proches d’Ahmed Sambi, a chassé des Comores toutes les
institutions iraniennes, alors que ses deux alliés étaient en droit d’attendre de
lui le rétablissement des relations diplomatiques avec l’Iran, et s’est acharné
avec une haine inouïe sur Ahmed Sambi.
Assoumani Azali, qui n’avait même pas été élu dans le Hambou, sa région
d’origine, n’avait aucune chance de retourner à Beït-Salam sans la fraude et
la complicité par trop visible et anticonstitutionnelle d’Ikililou Dhoinine et
de ses Mohéliens de Beït-Salam. Or, pour faire traîner Ahmed Sambi devant
une Justice aux ordres, il a pris une décision empêchant de voyager d’une île
à une autre et des îles Comores à l’étranger certains dirigeants, dont Ikililou
Dhoinine, qui n’est pas plus coupable que lui sur le trabendo international

482
des documents administratifs comoriens vendus à des étrangers inconnus aux
Comores, dont des passeports. Ikililou Dhoinine est méprisable et haïssable.
Personne ne se plaindra des malheurs qui tombent sur lui et qui ont pour
auteur celui à qui il a remis frauduleusement et anticonstitutionnellement le
pouvoir le 26 mai 2016. Mais, pourquoi Assoumani Azali s’acharne-t-il sur
son bienfaiteur sur un dossier sur lequel il n’y a que des turpitudes de sa
part ? Pourquoi ce juridisme de façade, là où il n’a aucune volonté de faire
régner le Droit ?
Assoumani Azali est un traître. Pour autant, en trahissant Ikililou Dhoinine,
il a trahi un traître notoire.
En effet, Ikililou Dhoinine est un traître dépourvu de scrupules et de sens
moral. Il était insignifiant et moisissait dans l’anonymat et la médiocrité. Il a
été tiré de l’insignifiance par Ahmed Sambi, qui l’avait choisi vice-président
en 2006 avant de s’engager résolument dans son élection le 26 décembre
2010. Ikililou Dhoinine n’a pas su traiter Ahmed Sambi avec élégance ; bien
au contraire, il s’est comporté à son égard de façon indigne, se livrant à des
mesquineries d’une rare petitesse à son égard : restrictions en matière de
téléphone, fouilles corporelles aux aéroports, interdictions de ses réunions, y
compris dans les domiciles privés, refus de l’inviter à certaines célébrations
nationales, marginalisation totale, malgré certains engagements, exclusion
des proches d’Ahmed Sambi, etc.
Par ailleurs, comme président, Ikililou Dhoinine a été insipide, insignifiant,
fade, inodore, incolore et incohérent. Il n’avait aucun sens de la logique. Le
seul qui donnait de la cohérence et de la logique à son régime politique était
son vice-président Mohamed Ali Soilihi. C’est ce dernier qui s’était employé
à donner de la crédibilité à un régime politique dont le principal dirigeant n’a
été qu’un monument de petitesse et de mesquinerie. À l’étranger, Mohamed
Ali Soilihi était la vitrine d’un régime politique qui manquait singulièrement
de relief.
En 2015, parce qu’il n’avait nullement le choix, Ikililou Dhoinine avait fait
de Mohamed Ali Soilihi « son » candidat pour l’élection présidentielle de
2016. Il ne prononça aucun discours en sa faveur, n’assista à aucune de ses
réunions électorales et ne lui remit aucun centime. Mohamed Ali Soilihi est
arrivé à obtenir le financement de sa campagne électorale par des apports qui
sont venus de l’étranger. « Le candidat du pouvoir » n’avait obtenu aucune
aide de son régime politique. Pourtant, il avait été élu à 56,63%, mais Ikililou
Dhoinine et ses Mohéliens de Beït-Salam avaient jugé que leur vrai candidat,
Assoumani Azali, devait retourner à Beït-Salam, malgré la haine et le mépris
des Comoriens à son égard.
Le colistier de Mohamed Ali Soilihi pour l’île d’Anjouan était Nourdine
Bourhane, le vice-président d’Ikililou Dhoinine. Ikililou Dhoinine l’a trahi
aussi, et de la plus ignominieuse des façons. Ikililou Dhoinine a été un traître
en amont et en aval de sa présidence. Entré à la Présidence de la République
par la trahison, il en est sorti par la traîtrise. Les Comoriens finirent par lui

483
attribuer le plus horrible des sobriquets : Ikililou « Dhoilime », soit Ikililou
« Le Malfaiteur ». Mohamed Ali Soilihi me dira un jour à Paris : « Tu as
bien fait de forger cette expression de “Mohéliens de Beït-Salam”, qui a le
grand avantage d’expliquer que ce ne sont pas tous les Mohéliens qui ont été
des traîtres, mais juste une petite caste ».
Quand Ikililou Dhoinine a trahi Mohamed Ali Soilihi, il avait perdu de vue
quelques réalités fondamentales :
- Mohamed Ali Soilihi ne lui avait jamais demandé sa complaisance en vue
de la fraude électorale, mais une neutralité totale ;
- Mohamed Ali Soilihi ne lui avait jamais demandé de prendre la parole au
cours de ses réunions électorales ;
- Mohamed Ali Soilihi ne lui avait pas demandé un centime pour financer sa
campagne électorale ;
- Mohamed Ali Soilihi aurait remercié Ikililou Dhoinine si celui-ci lui avait
clairement dit qu’il allait adouber un autre candidat ;
- Mohamed Ali Soilihi refusait de croire qu’Ikililou Dhoinine pouvait aller le
trahir de manière aussi abjecte.
La trahison en politique comorienne est à tous les niveaux et peut venir de
partout, de n’importe qui. Pour l’élection du Gouverneur de Mohéli, nombre
de Mohéliens vivant à Mayotte avaient soutenu financièrement le candidat
de Mohamed Saïd Fazul pour punir la « dictatrice » Hadidja Aboubacar. Ils
en sont dégoûtés à vie. Ils n’ont pas tardé à constater, comme tout le monde,
que leur candidat était devenu le défenseur des intérêts mafieux d’Assoumani
Azali et de son association de malfaiteurs, au détriment de l’intérêt général,
celui du peuple comorien.
Ainsi vont les Comores…

484
CONCLUSION GÉNÉRALE

La vie politique d’un pays pauvre peut être faite de gloire, mais pas aux
îles Comores… Au-delà de la pauvreté matérielle, il y a celle à caractère
intellectuel, psychologique et mental.
La vie politique d’un pays dont les principaux protagonistes n’ont pas de
structure mentale politique n’est jamais faite de gloire…
La volonté d’analyser la relation que les Comoriens entretiennent avec le
phénomène du pouvoir nous conduit dans un long périple dans les entrailles
du système ou plutôt des systèmes politiques comoriens. Il fallait plonger en
profondeur dans ces entrailles pour essayer de comprendre ce qui s’y passe.
Le voyage dans le corps politique des Comores a été long, très long, mais a
permis de découvrir les ressorts intimes de la vie politique de ce pays, dont
les mœurs politiques sont le reflet de toute une vie sociale.
L’odyssée dans le labyrinthe politique des Comores est un exercice pour le
moins périlleux, compte tenu de ce qui s’y passe.
Les Comores sont un pays foncièrement conservateur, voire féodal, selon
les progressistes et les révolutionnaires des années 1960-1980, reconvertis au
carriérisme, au « lèche-bottisme » des « lèche-bottistes », à « la politique du
ventre » (Jean-François Bayart), à la « navigation » des « navigateurs » sans
convictions politiques et qui se réclament systématiquement de l’homme qui
a le pouvoir à un moment donné.
Du 3 août 1975 au 13 mai 1978, Ali Soilihi, chef d’une Révolution totale,
avait sévèrement critiqué l’ordre social, politique et institutionnel légué par
la France, l’ancienne puissance dominante. Il avait entrepris ce qui peut être
considéré comme « un nettoyage par le vide », dont la réalisation a été faite par
étapes : l’affranchissement « d’une tutelle sociale étouffante » pour libérer, les
jeunes, les femmes et les paysans pauvres », de façon à « réduire les privilèges
des notables » et à « purifier une religion islamique asphyxiée par les conven-
tions hiérarchiques et les pratiques superstitieuses ». Puis, fut envisagée une
autre étape : l’instauration progressive d’une nouvelle architecture étatique et
institutionnelle aux niveaux national, régional et local, sous la supervision des
redoutables et redoutés Comités de la Jeunesse. Pour ce faire, il avait bien fallu

485
détruire toute l’administration héritée de la colonisation, car elle était jugée par
trop « bureaucratique » et « alliée à la féodalité » et à l’ordre ancien, alors que
le but de la Révolution était l’instauration progressive d’une administration qui
serait capable d’être autogestionnaire et de proximité1.
Ali Soilihi a été un pionnier, qui fit des émules auprès de ses successeurs :
il disait vouloir « le bonheur » des Comoriens sans se soucier de ce que ces
derniers voulaient, prétendait réformer tout un pays sans sa population, disait
vouloir tout faire sans la population concernée, se mit à tuer l’ordre ancien
sans que son modèle ne puisse séduire la population. En d’autres termes, sa
conception et sa pratique du pouvoir se ramènent au mot « dictature ».
La pratique dictatoriale du pouvoir se retrouve chez d’autres dirigeants
comoriens : Ali Soilihi, Ahmed Abdallah Abderemane et Assoumani Azali.
Il est facile de constater que ces responsables étaient tellement obsédés par le
pouvoir qu’ils étaient prêts à tout pour le conserver, au grand malheur de
tout un peuple. Ali Soilihi ne s’était jamais soucié d’élections. Pour sa part,
Ahmed Abdallah Abderemane ne les organisait que dans un monolithisme
politique qui excluait toute participation de l’opposition, celle-ci n’ayant pas
d’existence officielle. Ahmed Abdallah Abderemane était le président de la
candidature unique, dans un système de parti unique, de bulletin unique…
De manière très abusive, Saïd Mohamed Djohar a été qualifié de « Père de
la démocratie », alors que, pressé par la classe politique nationale et par l’île
de Mohéli depuis son accession au pouvoir le 26 novembre 1989, ce n’est
qu’en 1992 qu’il a, enfin, organisé la conférence nationale qui avait permis
de faire élaborer la nouvelle Constitution. S’il était réellement un démocrate
et surtout le « Père de la démocratie », il n’aurait pas perdu tout ce temps. Il
a restauré aux Comores le multipartisme et certaines libertés, mais n’a pas du
tout été un pionnier en matière de démocratie.
Dans le pays féodal que sont les Comores, le pouvoir politique reste très
lié à diverses considérations, dont les principales sont l’esprit villageois, le
népotisme, l’origine insulaire, le chauvinisme, l’appartenance partisane, la
prévalence de l’intolérance, le sectarisme sous toutes ses formes, etc.
Aux Comores, les procédés d’accession au pouvoir privilégient la fraude
électorale et l’exclusion de toute forme d’opposition, et cela a été constaté
durant toute la présidence d’Ahmed Abdallah Abderemane. Or, la fraude est
restée vivace, même après l’assassinat du « Père de l’indépendance ». Le pic
de la fraude électorale a été constaté lors de l’élection présidentielle de 1990,
2002 et 2016. L’élection présidentielle de 2010 n’était pas très « propre »,
mais n’avait pas atteint le niveau de saleté constaté en 1990, 2002 et 2016.
Les impuretés électorales de 2002 et 2016 ont profité au même homme, qui
n’avait aucune possibilité de se faire élire dans des conditions démocratiques
et qui, chaque fois, fait un usage excessif de procédés frauduleux, mais sans

1 Leymarie (Ph.) : Décentralisation et lutte anti-féodale aux Comores. Une révolution essentiel-
lement culturelle ? Op. cit., p. 20.

486
le professionnalisme usité en la matière dans certains pays, où de véritables
professionnels de la fraude électorale opéraient en douce, éveillant quelques
soupçons, sans que les accusateurs puissent situer l’origine et la modalité de
la fraude électorale. Ce sont des réalités qu’Assoumani Azali et son fraudeur
électoral en chef qu’est Hamada Madi Boléro ignorent. Ces deux fraudeurs
truquent les élections, mais chaque fois qu’ils entrent en scène, ils causent un
tel désordre que la confusion et la contestation sont partout.
Les Comores sont également le pays du putschisme. Les coups d’État qui
sont accompagnés d’un changement de régime politique sont légion. On ne
peut, d’ailleurs, que déplorer le fait que le 3 août 1975, soit moins d’un mois
après l’accession des Comores à l’indépendance, le 6 juillet 1975, un putsch
soit commis : Ali Soilihi renversait Ahmed Abdallah Abderemane, qui allait
le destituer à son tour le 13 mai 1978, avant qu’il ne soit lui-même torturé et
assassiné de manière atroce et inhumaine le 26 novembre 1989 par Robert
« Bob » Denard et ses mercenaires chargés de sa sécurité.
C’est le très révolutionnaire, progressiste, anticolonial et anti-impérialiste
Ali Soilihi qui a introduit Robert « Bob » Denard aux Comores, même si ses
partisans éludent toute accusation portant sur ce sujet sensible. Destitué le 13
mai 1978, Ali Soilihi a été froidement assassiné le 29 mai 1978 par un acteur
politique originaire de Moroni, pendant que les Comoriens préfèrent ne voir
dans cette affaire que la main de Robert « Bob » Denard.
Le 28 septembre 1995, on assista au dernier coup d’État de Robert « Bob »
Denard et de ses mercenaires aux Comores. Curieusement, nombre d’auteurs
français ont présenté ce coup d’État comme un échec, sans se soucier du fait
que Saïd Mohamed Djohar avait été destitué et ses prisonniers politiques, qui
étaient au centre du putsch, avaient été libérés. Suprême humiliation pour les
Comores, en tant qu’État prétendument souverain, Saïd Mohamed Djohar
avait même été déporté sur l’île française de la Réunion, dans l’océan Indien,
comme la France pouvait le faire jadis de certains gêneurs dans ses colonies.
Il avait fallu d’âpres négociations à Antananarivo pour que Saïd Mohamed
Djohar puisse, enfin, retourner aux Comores en 1996, où il ne disposait plus
de pouvoir à la Présidence de la République et où il devait juste assister à
l’élection de Mohamed Taki Abdoulkarim la même année.
Les tentatives de coups d’État sont incalculables aux Comores. Il y en a
trop eu, et tant que les institutions ne seront pas consolidées comme cela se
doit dans un État civilisé, il y en aura d’autres. Cette consolidation de l’État
ne vaudra rien tant que les acteurs politiques comoriens resteront dans leurs
lubies obsessionnelles de pouvoir, sans tenir compte des malheurs et deuils
qui sont le lot du peuple comorien. C’est ainsi qu’Assoumani Azali ne peut
en aucune manière quitter le pouvoir vivant le 26 mai 2021, mais sera chassé
du pouvoir bien avant. J’écris ces lignes d’une chambre d’hôtel de Dubaï le
jeudi 12 juillet 2018. D’ici la publication de ce livre, il se passera beaucoup
de choses, et il sera très difficile pour le dictateur de Mitsoudjé de rester au
pouvoir au-delà du 31 décembre 2019. Cette prédiction ne s’appuie même

487
pas sur les prières incessantes faites partout aux Comores et ailleurs pour la
mort de ce dictateur inculte, arrogant et narcissique qui croit que ses désirs
sont tous appelés à devenir des réalités.
Parmi les facteurs qui ont le plus miné le phénomène du pouvoir aux îles
Comores, nous retrouvons en bonne place le rejet de toute forme de mérite et
de méritocratie. Avoir préparé un grand mariage, même dans des conditions
douteuses, vaut plus en Grande-Comore que le plus prestigieux des diplômes
et la plus enrichissante des expériences. Cela favorise les dérives de toutes
sortes, dont le règne des faux diplômes et la marginalisation des vrais cadres
diplômés des meilleurs établissements d’enseignement supérieur. Alors que
les faussaires professionnels règnent, on assiste à la marginalisation sous le
sceau du sectarisme et de la haine envers les jeunes cadres du pays les plus
diplômés, volontaristes, expérimentés et compétents.
Aux Comores, le phénomène du pouvoir est miné par d’autres maux : le
manque de convictions politiques et civiques, la prévalence de la trahison
entre acteurs politiques, la mendicité politique, la transhumance politique des
« navigateurs » qui « naviguent » et leur corollaire, à savoir le retournement
spectaculaire des vestes. En la matière, les actes les plus ignobles et les plus
abjects sont commis par Houmed Msaïdié Mdahoma, Achirafi Saïd Hachim,
Ibrahim Ali Mzimba et Saïd Larifou, qui se dépouillèrent au fil des mois de
toute forme de dignité et de personnalité, ne cherchant qu’à s’accrocher à la
chemise du dirigeant du moment, en criant devant les notables de leur région
mobilisés pour rencontrer le dirigeant du moment : « Dites au président que
j’ai faim et que je souffre atrocement ».
Le manque de convictions politiques et civiques conduit aux trahisons les
plus horribles sur la scène politique comorienne, où les meilleurs alliés du
jour deviennent les pires ennemis le lendemain.
Aux Comores, les acteurs politiques ramènent tout au cadre institutionnel,
changent constamment les institutions, mais ne règlent aucun problème. Il ne
serait pas réaliste de croire pouvoir améliorer des institutions si le travail ne
repose pas sur l’expertise des meilleurs juristes que compte le pays et si les
acteurs politiques ne pensent pas au peuple comorien, mais à leurs intérêts
mesquins du moment. Que peut apporter un changement de drapeau ou celui
de l’hymne national quand les Comoriens croupissent dans la misère noire,
quand ils n’ont pas à manger, quand la scolarisation de leurs enfants est dans
l’incertitude, quand ils n’ont pas un hôpital pour se faire soigner, quand ils
ne peuvent même pas s’exprimer, quand ils sont poursuivis par une Justice
aux ordres pour avoir célébré la plus grande musulmane conformément au
calendrier musulman ?
Par malheur, les autorités comoriennes ont choisi de vivre dans la petitesse
et dans la mesquinerie, se ridiculisant à l’intérieur du pays comme auprès des
dirigeants étrangers. Elles placent toute leur confiance sur la sorcellerie,
Assoumani Azali n’hésitant pas à profaner la tombe de son propre père pour
lui arracher une dent, à la demande d’un sorcier, le tout pour remporter une

488
élection dans la fraude, la violence, la menace et l’inconstitutionnalité. Est-
ce avec des dirigeants pareils que les Comores, réduites au simple hameau de
Mitsoudjé, peuvent réaliser leur « émergence à l’horizon 2030 », alors qu’il
est de notoriété publique qu’elles ne fabriquent même pas un cure-dents ? Le
dictateur qui vit dans ce rêve fou d’« émergence à l’horizon 2030 » n’a été
capable que d’une seule chose : la mort de la Constitution, des institutions et
de la Justice.
« L’État, c’est moi », avait dit Louis XIV. Assoumani Azali va plus loin, et
dit désormais : « Dieu, c’est moi ». Au même moment, Ambari Darouèche,
la voleuse qui lui tient lieu de première épouse, prend le micro devant ses
solliciteurs, solliciteuses, mendiants, et mendiantes pour insulter et menacer
les Comoriens, qui ne lui ont rien fait, et qui ne demandent qu’à vivre en
paix et dans le respect.
Le niveau de la classe politique comorienne n’a pas cessé de dégringoler.
Année après année, ce niveau fait un sprint vers les bas-fonds de la nullité et
de la médiocrité. Les Comoriens en sont à penser amèrement à la période de
l’autonomie interne, quand les acteurs politiques avaient plus de personnalité
et de dignité, et donc plus de « classe ».
Et, il y a le problème posé par le profil des acteurs politiques.
Le profil des acteurs politiques comoriens pose problème. Les Comoriens
en parlent. L’objectivité n’est pas leur principale préoccupation, chacun étant
porté sur la défense de la personnalité et des intérêts des siens, au détriment
de la vérité. En la matière, le débat pourrait se résumer par la phrase : « Les
miens sont les meilleurs, les autres représentent ce qu’il y a de pire ».
Les Comoriens disent souvent que leur sport national est la politique. Ils
ne savent pourtant pas que leur conception et leur pratique de la politique ne
correspondent en rien à la définition exacte de la politique : l’organisation et
l’exercice du pouvoir au sein de l’État selon des règles précises pour le bien
de la communauté nationale. Par malheur, aux Comores, la politique a été
ramenée à l’art du mensonge sur l’espace public, soutenue par le vol massif
de l’argent du peuple par une petite caste de brigands, dont le portrait le plus
achevé est celui d’Assoumani Azali, Ambari Darouèche et leur famille de
voleurs d’argent public.
Nonobstant toutes ces misères, il est interdit d’émettre la moindre critique
sur une classe politique complètement discréditée. Je n’ai jamais respecté les
mesures constituant des restrictions aux libertés fondamentales, et cela me
vaut d’interminables plaintes pour diffamation. Ces plaintes ne m’intimident
pas et ne m’intimideront jamais. En 2017, j’ai même reçu des menaces de
poursuites judiciaires de l’avocat d’Ambari Darouèche, m’intimant l’ordre
de retirer un article de mon site www.lemohelien.com parlant des incendies
qui ravagent les institutions publiques des îles Comores chaque fois que le
couple maudit formé d’Assoumani Azali et Ambari Darouèche est à la tête
des Comores, au grand malheur des Comoriens. Je n’oublie pas le dimanche
19 novembre 2017, quand l’avion que j’avais pris pour me rendre de Paris à

489
Dzaoudzi, Mayotte, faisait l’escale technique de Hahaya, Grande-Comore. Je
n’oublie pas non plus le samedi 30 juin 2018 : l’avion de Kenya Airways qui
avait décollé de Dzaoudzi vers Nairobi avait fait une escale à Hahaya. Je me
posais des questions sur ce qui aurait pu se passer si la « Ripoux-blique » de
Mitsoudjé demandait à Air Madagascar et à la Kenya Airways de me faire
descendre de l’avion pour qu’elle puisse aller me fusiller, sans en avoir le
droit et les moyens, puisque les deux aéronefs représentent chacun le sol
d’un État étranger. Envers un tel régime politique, on ne peut avoir que le
plus profond des mépris.
S’agit-il de simples anecdotes ?
Justement, la prudence nous impose d’aller au-delà de l’anecdote, car il est
impératif de situer les faits politiques dans leur réel contexte juridique et
institutionnel, celui d’une dictature de village, où le Droit n’a pas sa place.
En la matière, une évidence s’impose : du 30 avril 1999 au 26 mai 2006 et,
de nouveau, depuis le 26 mai 2016, le régime politique clanique et villageois
de Mitsoudjé a transformé les Comores en une immense prison à ciel ouvert,
où les droits et libertés ont brutalement été confisqués. Assoumani Azali, son
épouse erratique Ambari Darouèche et leurs courtisans, forcément illettrés,
cupides, zélés et fanatisés, ont fait des Comores un État voyou à la viabilité
douteuse et incertaine.
La « Ripoux-blique » de Mitsoudjé s’acharne à démolir tous les maigres
acquis des îles Comores en matière de droits, détruisant systématiquement,
quotidiennement et avec acharnement toute l’architecture juridique, politique
et institutionnelle du pays. Depuis le 26 mai 2016, il ne se passe plus un jour
sans que ce régime politique de Mitsoudjé ne fasse reculer les barrières du
Droit, de la morale et de l’éthique.
On trouve une des preuves de cette dangereuse dérive dans l’acharnement
haineux contre Djaffar Ahmed Saïd Hassani, brutalement dépouillé de son
statut et de sa fonction de vice-président, alors que, en vertu du principe de
la non-rétroactivité de la Loi (Constitution du 23 décembre 2001), il aurait
dû rester au sein du gouvernement et avec les mêmes attributions jusqu’au
26 mai 2021.
Plus grave encore, le lundi 3 septembre 2018, Djaffar Ahmed Saïd Hassani
voyagea de l’aéroport de Hahaya vers Dar-Es-Salam, en Tanzanie. Tout de
suite après son départ, l’État clanique et villageois de Mitsoudjé fit abattre
une sourde répression sur les policiers et gendarmes affectés à cet aéroport,
mais aussi sur les membres du personnel du salon VIP et sur le chef d’escale
de la compagnie AB Aviation. Les arrestations anticonstitutionnelles les plus
violentes se multiplièrent à une cadence diabolique. Il est reproché aux uns
et aux autres d’avoir permis le voyage de Djaffar Ahmed Saïd Hassani.
Or, aucune mesure judiciaire ou administrative – dans un pays où même
un sombre fonctionnaire peut se substituer à un juge pour confisquer la
liberté des uns et des autres – ne visait l’intéressé et ne lui interdisait la sortie
du territoire national. Le jeudi 6 septembre 2018, l’épouse de Djaffar Ahmed

490
Saïd Hassani, une femme qui ne mène aucune activité politique, avait été
brutalement arrêtée, jetée à terre, et transportée après vers la Gendarmerie de
Moroni. On lui reprochait le voyage en Tanzanie de son mari. Elle ne
retrouva la liberté que le dimanche 9 septembre 2018 après la multiplication
des protestations sur les réseaux sociaux. Les Comoriens étaient franchement
scandalisés et dégoûtés par cette dérive, surtout à un moment où, le samedi 8
septembre 2018, deux mesures entièrement loufoques ont visé l’époux.
La première de ces mesures entièrement anticonstitutionnelles et violant
toutes les Conventions internationales, dont la Déclaration universelle des
Droits de l’Homme, est la note verbale que l’appareil diplomatique de
Mitsoudjé a fait parvenir aux chancelleries pour leur signifier l’invalidité des
passeports de Djaffar Ahmed Saïd Hassani.

491
La deuxième est le « mandat d’arrêt international » émis « au nom de
Dieu » à l’encontre du même Djaffar Ahmed Saïd Hassani.

Ces deux documents sont d’une bouffonnerie théâtrale totale et définitive.


En effet, jusqu’à son voyage du lundi 3 septembre 2018, Djaffar Ahmed
Saïd Hassani circulait librement aux îles Comores, même après l’arrestation
anticonstitutionnelle de Maître Bahassane Ahmed Saïd Hassani, son jeune
frère, accusé sans la moindre preuve de fomenter un coup d’État. Assoumani
Azali, Ambari Darouèche et leurs « hommes de bouches et de mains » se

492
contentaient de distiller des intimidations que Djaffar Ahmed Saïd Hassani,
juge à Moroni pendant 25 ans, n’a jamais prises au sérieux.
La question qui se pose est celle de savoir pourquoi a-t-il fallu attendre son
voyage pour lancer des accusations très graves contre lui ? Pourquoi,
pendant le temps qui s’est écoulé entre le kidnapping de son jeune frère et
son voyage en Tanzanie, aucun magistrat ne lui avait signifié que des
poursuites judiciaires étaient lancées contre lui ? Dans les Comores devenues
un goulag tropical, il aurait fallu qu’on explique pourquoi la dictature de
Mitsoudjé a arrêté une bonne partie du personnel de l’aéroport de Hahaya et
même le chef d’escale de la compagnie aérienne AB Aviation, alors
qu’aucune mesure d’interdiction de voyager ne visait Djaffar Ahmed Saïd
Hassani.
En réalité, comme cela a été explicité ci-haut, la deuxième kleptocratie de
Mitsoudjé, qui a commencé le 26 mai 2016, est un condensé de toutes
dérives tyranniques constatées aux Comores depuis l’accession de ce pays à
l’indépendance, le 6 juillet 1975. On n’y voit aucune volonté de faire
prévaloir le Droit, mais de le bafouer et de sanctifier de sombres dirigeants
corrompus, incompétents et sans la moindre vision politique pour un pays
tanguant entre l’autocratie et la misère noire.
En définitive, la sociologie politique des Comores est très tributaire d’une
conception hautement autocratique du pouvoir et de pratiques dictatoriales
dans un pays dont les autorités arrivent au pouvoir par des procédés
anticonstitutionnels et illégitimes, règnent dans l’inconstitutionnalité et la
violence, méprisent le Droit dans le pur style de « la Constitution, mon bon
plaisir », détruisent les institutions au profit de leurs petits intérêts mesquins
du moment, et n’ont aucune considération pour un peuple pris en otage par
un État de bandits.
La sociologie politique comorienne fait apparaître un monstre appelé
dictature familiale, clanique et villageoise, qui détruit avec fracas tout ce qui
s’apparente à une pratique civilisée du pouvoir. De fait, pour comprendre les
ressorts intimes du pouvoir politique aux Comores, il faut s’intéresser à la
personnalité des acteurs politiques du pays, qu’il s’agisse de ceux qui
accèdent au pouvoir ou des « navigateurs » qui gravitent autour d’eux dans
l’attente de « naviguer » : les grands acteurs de la transhumance politique,
ceux qui, dépourvus de toute conviction civique, idéologique et politique,
mangent à tous les râteliers.

493
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

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497
TABLE DES MATIÈRES

Pages
REMERCIEMENTS .......................................................................................... 5
SIGLES OFFICIELS EMPLOYÉS .................................................................... 11
INTRODUCTION GÉNÉRALE ........................................................................ 13
I.- De la sociologie à la sociologie politique.................................................. 15
A.- Comment définir la sociologie ? ........................................................... 15
B.- Comment définir la sociologie politique ? ............................................ 17
II.- Présentation du champ d’études : les Comores........................................ 22
A.- L’évolution politique............................................................................. 22
B.- L’évolution institutionnelle ................................................................... 31
Chapitre I.- Prévalence d’un conservatisme sociopolitique
qualifié de féodalisme .................................................................................... 45
S.-I.- Traits du conservatisme « féodal »
et impact sur la vie sociopolitique ................................................................. 45
§1.- Un conservatisme divisant la société comorienne en « races » ........... 46
§2.- Un conservatisme divisant la société comorienne en classes............... 53
§3.- Un conservatisme opposant traditionnellement
les citadins aux campagnards ...................................................................... 65
§4.- Un conservatisme excluant la femme de la sphère publique ............... 68
S.II.- Lutte contre la « féodalité » sous la Révolution d’Ali Soilihi
(1975-1978) ................................................................................................... 74
S.III.- Résurgence et consolidation des forces traditionalistes
à travers la notabilité ...................................................................................... 82

499
Chapitre II.- Prévalence d’une insularité sœur jumelle
du culte du village natal ................................................................................. 95
S.I.- L’insularité, facteur dominant de la vie politique aux Comores ............ 95
S.II.- Des « Sultans batailleurs » au « rattrapage ethnique »
découlant de la présidence tournante ........................................................... 112
§1.- Inscription de la présidence tournante
dans la Constitution comorienne ............................................................... 112
§2.- Aux origines de la présidence tournante ............................................ 112
S.III.- Prédominance du village natal du chef.............................................. 122
S.IV.- Toute-puissance très insolente et très arrogante de la famille
du chef de l’État ........................................................................................... 126
Chapitre III.- Des pratiques sociopolitiques rejetant l’État
de Droit et la démocratie .............................................................................. 145
S.I.- Le putschisme comme mode d’arrachement du pouvoir politique ...... 145
§1.- Culture et pratique des coups d’État aux Comores ............................ 145
§2.- Culture spécifique et pratique sui generis du mercenariat ................. 155
S.II.- La fraude électorale comme mode d’accession
au pouvoir politique ..................................................................................... 168
S.III.- L’autocratie et la terreur comme moyens
de maintien au pouvoir ................................................................................ 186
§1.- « Républiquette » des « Tontons Macoutes à la comorienne »........... 186
§2.- La République des mercenaires ......................................................... 195
§3.- Terreur dans la « Républiquette »
devenue la « Ripoux-blique » de Mitsoudjé .............................................. 207
S.IV.- Un manque total de convictions civiques et politiques ..................... 216
S.V.- Du monopartisme au « multipartisme monocéphale » ....................... 247
§1.- Du multipartisme hérité de la France
à l’absence totale de partis politiques ........................................................ 247
§2.- Du multipartisme en trompe-l’œil au parti-État Léviathan ................ 251
§3.- Une pléthore de partis politiques dans le désordre
pour un « multipartisme monocéphale » ................................................... 256
Chapitre IV.- Pratiques sociopolitiques dépréciant les institutions
et l’autorité de l’État .................................................................................... 269
S.I.- Des institutions étatiques affaiblies et discréditées
par le comportement des dirigeants ............................................................. 269
§1.- L’incompétence et l’impréparation des dirigeants ............................. 269
A.- L’incompétence, le péché originel
d’un pays sans cadres et qui ne se connaît pas lui-même ............... 269
B.- Maintien du péché originel de l’incompétence
par la politisation et l’exclusion des cadres les plus valables ......... 297

500
§2.- L’adoption au quotidien d’un comportement indigne
et irresponsable.......................................................................................... 301
A.- Indignité, décrépitude et irresponsabilité
du dirigeant comorien aux Comores ............................................... 301
B.- Indignité et attitude honteuse du dirigeant comorien
face aux responsables étrangers ...................................................... 312
S.II.- Mauvaise foi des acteurs politiques comoriens
face à des institutions mal conçues et inadaptées ........................................ 321
§1.- Interminable quête d’introuvables institutions « idéales » ................. 321
§2.- Tripatouillages de la Constitution pour convenances
personnelles au pays de « la Constitution, mon bon plaisir » ................... 341
S.III.- Dépréciation des institutions et de l’autorité de l’État
par une corruption endémique et le détournement des fonds publics .......... 351
§1.- Répression de la corruption et des détournements
de fonds publics par le droit positif comorien ........................................... 352
§2.- Laxisme, impunité et prévalence d’une culture,
sociologie et pratique de la corruption aux Comores ................................ 358
S.IV.- Prévalence de la sorcellerie et de la magie noire .............................. 377
§1.- Survivance de l’héritage animiste préislamique ................................ 377
§2.- Sorcellerie et « maraboutage », les deux mamelles
de l’acteur politique comorien................................................................... 383
Chapitre V.- Une sociologie reflétant le profil des acteurs politiques
des îles Comores .......................................................................................... 395
S.I.- Origines culturelles et profil des chefs d’État comoriens .................... 395
§1.- Les dirigeants de la période d’avant l’indépendance ......................... 395
A.- L’ère des diplômes taillés dans l’exagération ........................... 396
B.- Absence de diplômes et prévalence de titres
difficilement identifiables ............................................................... 403
C.- Des diplômes modestes reflétant le niveau culturel
de la période considérée .................................................................. 406
§2.- Les dirigeants de la période de l’indépendance ................................. 409
A.- Prévalence de la carence du capital culturel ............................. 409
B.- Amélioration même insuffisante du capital culturel ................. 416
S.II.- Personnalité des chefs d’État comoriens ............................................ 421
§1.- Dictateurs affirmés et démocrates par défaut ..................................... 421
A.- Inquiétante présence de dictateurs sur l’espace public ............. 422
B.- Très lente percée d’apprentis en démocratie
sans réelle démocratie ..................................................................... 434
§2.- Militarisation de la vie politique et résistance des civils.................... 436
A.- « Les Comores des Colonels », paradis de l’incompétence
et de la corruption ........................................................................... 437
B.- Une majorité de civils sur le champ politique........................... 444

501
§3.- Une sociologie politique fortement marquée
par des conflits de générations .................................................................. 444
A.- Les jeunes à l’assaut du pouvoir, bastion des gérontocrates ..... 445
B.- Les gérontocrates, transformés en fossiles et carcasses
de « dinosaures »............................................................................. 447
§4.- « Dine oi Dawla », « Religion et État » .............................................. 452
A.- Bruyante irruption du religieux sur la scène politique .............. 452
B.- Intrusion des profanes sur la chasse gardée des religieux ......... 463
§5.- Charisme, légitimité charismatique, insipide insignifiance
et manque de loyauté ................................................................................. 467
A.- Très rares dirigeants charismatiques ......................................... 467
B.- Pluralité des dirigeants effacés et sans le moindre charisme .... 476
C.- Invention du « charisme violent et imposé » ............................. 479
D.- Les traîtres professionnels ........................................................ 481
CONCLUSION GÉNÉRALE .......................................................................... 485
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ..................................................................... 495

502
COMORES
AUX ÉDITIONS L'HARMATTAN

Dernières parutions

COMPLAINTES
Poésie
Mohamed Ben Charafaine
Complaintes, est un recueil écrit par une main froide, des paupières humides et des poumons
étouffés pour tenter de rattraper ailleurs la poésie comme un univers de refuge. Ces écrits
douloureux, d'attaques et de sollicitations, font d'abord le poète africain avant l'îlien des Comores.
Et pourtant le continent qu'il déclare le sien, péniblement terrorisé par les guerres, aujourd'hui
l'exaspère et lui cède la lourde parole.
(Coll. Les Impliqués, 90 p., 12 euros)
ISBN : 978-2-343-10264-1, EAN EBOOK : 9782140026140

LA PRÉSIDENCE TOURNANTE AUX COMORES


Abdelaziz Riziki Mohamed
La présidence tournante, adoptée aux Comores en 2001, a pour objectif d'instaurer une confiance
n'ayant jamais existé entre ces îles de l'océan indien occidental. Elle atténue la fracture insulaire et
apporte une certaine tranquillité au pays des coups d'Etat, mais sans panser les vieilles blessures
causées par la haine et le mépris. Ceux qui ont ruiné le pays sont restés dans les manipulations
politiciennes, et veulent l'implosion de cet Etat par suppression de la présidence tournante.
(304 p., 30 euros)
ISBN : 978-2-343-13353-9, EAN EBOOK : 9782140050343

RÊVERIES DU PAYS DES FÉES


Ben Ali Saindoune
Dans ce recueil, Ben Ali Saindoune interroge surtout les obscénités de l'histoire et de la société.
Dans les rues de son archipel, il est un fou dont les enseignements qu'il donne aux passants
provoquent toujours l'hilarité contagieuse, comme pour ne pas donner à voir son visage de torturé
face aux dures réalités de sa société.
(Coll. Poètes des cinq continents, 104 p., 12,5 euros)
ISBN : 978-2-343-08490-9, EAN EBOOK : 9782140015922

RIVES À DÉRIVES
Roman comorien
Ibrahim Ali
Certes, l'eau a beau bouillir, elle n'enflamme pas pour autant une case même en feuilles de
cocotiers, mais un peuple qui bout de colère est à même d'enflammer un océan de glace. Si
seulement ceux qui ont sous leur responsabilité la société foisonnante se désolidarisaient de la
source qui entretient la ladrerie, la masse populaire comorienne ne se verrait pas ainsi condamnée à
s'adonner, par nécessité plus que vocation, à une bassesse de basse-cour pour survivre.
(Coll. Lettres de l'Océan Indien, 294 p., 25 euros)
ISBN : 978-2-343-04411-8, EAN EBOOK : 9782336364070
LA DÉPARTEMENTALISATION DE MAYOTTE
La sécurité de tout un peuple
Soula Said-Souffou
Préface d'Emmanuel Caulier
Mayotte, département français d'outre-mer depuis 2011, reste pourtant revendiqué par l'Union des
Comores depuis les années 70. Le combat départementaliste trouve alors ses origines dans
l'aspiration légitime des Mahorais à la sécurité et à la liberté. Devant la revendication comorienne,
la transformation de l'île en département était-elle devenue, avec le temps, un enjeu de sécurité
nationale ? Cette évolution statutaire était-elle rendue nécessaire eu égard aux enjeux de puissance
à l'oeuvre dans l'océan indien ?
(Coll. Diplomatie et stratégie, 264 p., 25,5 euros)
ISBN : 978-2-343-04866-6, EAN EBOOK : 9782336391366

MOHAMED ALI SOILIHI


Les Comores à coeur et dans l'âme
Abdelaziz Riziki Mohamed
Cet ouvrage permet de découvrir la personnalité et le parcours professionnel de Mohamed Ali
Soilihi, homme d'Etat comorien, à travers un récit qui se confond avec l'histoire des Comores
depuis la seconde moitié du XXe siècle. Ce parcours professionnel détient le record des
nominations ministérielles et celui des nominations à la tête du ministère en charge de l'Economie
et des Finances aux Comores.
(270 p., 30 euros)
ISBN : 978-2-343-07659-1, EAN EBOOK : 9782336393810

LETTRES D'UNE VIE


Parcours d'un homme d'État comorien
Mohamed Ali Soilihi
On ne présente plus l'homme d'État comorien Mohamed Ali Soilihi. De lui, on connaît surtout son
entrée dans les arcanes du pouvoir politique comorien en 1979, et son extraordinaire longévité
politique, lui attribuant le record national des nominations à des fonctions ministérielles, surtout au
ministère de l'Économie et des Finances. Mohamed Ali Soilhi entraîne le lecteur à la redécouverte
de sa personne et de son oeuvre à travers ses échanges épistolaires avec son ami Oba. Mohamed Ali
Soilihi est candidat à l'élection présidentielle comorienne de 2016.
(74 p., 12 euros)
ISBN : 978-2-343-08468-8, EAN EBOOK : 9782140001727

GOUVERNER UN ETAT VULNÉRABLE


Le cas des Comores
Youssouf Boina
Cet ouvrage explore les conditions de consolidation de l'État comorien. Il fait ainsi l'inventaire des
problématiques d'ordres juridique, sociologique et politique, Parmi les causes de retard qu'affiche le
pays figurent la sécession précoce de Mayotte, la mauvaise gouvernance et le manque de sens de
l'État des dirigeants politiques. Les prochaines assises nationales pourraient marquer un pas
sensible vers un modèle de démocratie interactive.
(354 p., 36,5 euros)
ISBN : 978-2-343-13985-2, EAN EBOOK : 9782140088971

LÉON HUMBLOT
Le grand seigneur à la Grande Comore
(1887-1912)
Ali Madi Djoumoi
Le 5 novembre 1885, le naturaliste Léon Humblot fait signer au sultan Saïd Ali un contrat plaçant
les Comores Indépendantes sous protectorat français. Léon Humblot exploite alors toute l'île, en
renverse l'autorité puis la déporte. Il contrôle les cadis et les notables de la région, tout en gardant
un oeil sur sa succession. Il faudra attendre 1912, et son procès devant la justice française, pour le
voir s'écarter du pouvoir. Cet ouvrage décrit l'hégémonie de Léon Humblot à la Grande Comore, et
ses conséquences tant sociales que politiques.
(Coll. Océan Indien/Etudes, 154 p., 16,5 euros)
ISBN : 978-2-343-07939-4, EAN EBOOK : 9782140018572

MOHAMED ALI SOILIHI


Vérités sur une élection aux Comores
Abdelaziz Riziki Mohamed
A travers cet ouvrage, on découvre la scène et les coulisses de la campagne électorale, les meetings
et les secrets de l'élection présidentielle de 2016 qui a fait reculer les Comores de trois décennies.
Le chef d'Etat sortant avait désigné son vice-président, Mohamed Ali Soilihi, comme son candidat,
mais s'était employé à empêcher son élection. La trahison se mit au service de la fraude, de la
menace et de la terreur, et le score électoral de 56.36 % obtenu par Mohamed Ali Soilihi fut ramené
à 39.66 % de manière artificielle.
(476 p., 39 euros)
ISBN : 978-2-343-10467-6, EAN EBOOK : 9782140023521

L'IRRÉSISTIBLE ASCENSION DU PRÉSIDENT MUMBA


Roman
Saandi Assoumani
On est en 2038, soit 12 ans que le président Mumba, qui a quitté l'archipel des Îles Mélunes situé
quelque part entre l'Afrique et l'Asie du Sud de 2016 à 2026, a quitté le pouvoir. Il livre ses
Mémoires sous forme d'interview à une journaliste. Dans son récit, il retrace son parcours, la
conquête du pouvoir, son exercice et les secrets de ce qui est devenu une success story. Il porte en
fait un nouveau regard aussi bien sur les problèmes spécifiques de la gouvernance de son pays natal
que sur la situation des autres pays africains en voie de développement.
(Coll. Harmattan Mali, 186 p., 19,5 euros)
ISBN : 978-2-343-09171-6, EAN EBOOK : 9782140008849

CAPITAINE STEDMAN
ou le négrier sentimental
Christophe Grosdidier
Mieux connu aux États-Unis qu'en France, le capitaine Stedman est passé à la postérité par la
dénonciation des atrocités qu'il a de ses yeux vues, à la poursuite des esclaves marrons. Le journal
de ses quelques années passées au Surinam, vers 1773, a nourri un récit qui, en Angleterre, a servi
la cause du mouvement abolitionniste. Ce roman, que l'auteur a construit en suivant fidèlement les
écrits du capitaine Stedman, apporte un éclairage nouveau sur l'esclavage à une époque où
l'Amérique s'appelait encore les Indes occidentales.
(Coll. Romans historiques, 174 p., 17 euros)
ISBN : 978-2-343-01915-4, EAN EBOOK : 9782336329505

INSULARITÉ, LANGUE, MÉMOIRE, IDENTITÉ


Sous la direction de Foued Laroussi
Réunissant des textes en français et en arabe, le présent ouvrage est le résultat de réflexions de
spécialistes (sociolinguistes, anthropologues, géographes, archéologues, littéraires...) sur une notion
pluridisciplinaire, l'insularité. Les chercheurs ne portent pas sur cette notion uniquement un regard
théorique mais traitent aussi d'aspects concrets relatifs à l'insularité dans les îles telles que Djerba,
la Corse, Mayotte, les Comores, Kerkennah, etc.
(420 p., 35 euros)
ISBN : 978-2-343-10435-5, EAN EBOOK : 9782140037412
L'AFRIQUE DANS LA MAIN DU DIABLE
Nadjloudine Abdelfatah
Cette oeuvre traite de la question de l'émigration clandestine des Africains vers l'Europe avec, en
toile de fond, une interrogation sur les maux qui rongent l'Afrique. Elle se veut une tribune où les
concernés s'expriment. D'aucuns cherchent à défendre une sorte de philosophie patriotique, et
d'autres la primauté de la Vie sur les valeurs de la patrie.
(Coll. Théâtres, 84 p., 12 euros)
ISBN : 978-2-343-12707-1, EAN EBOOK : 9782140044540

LA QUATRIÈME VÉRITÉ
Roman
Ahmed Toiouil
Lors d'un séjour touristique aux Comores, Camille avait rencontré Mchangama, dont elle était
tombée follement amoureuse. Dix ans après, la jeune Française y revient, en quête de cet homme.
Mais ce retour se révèle accablant. Elle est accusée du meurtre de sa femme de ménage et ne peut
compter que sur son avocat pour la défendre. Dans ce roman, rempli de secrets et de révélations
inattendues, Ahmed Toiouil dépeint, avec émotion, vigueur et complicité un amour interracial, fort
malgré les contraintes du temps.
(Coll. Lettres de l'Océan Indien, 262 p., 23 euros)
ISBN : 978-2-343-09168-6, EAN EBOOK : 9782140009358

MSAFUMU
La fin d'un sultan et du système traditionnel des sultanats comoriens
Damir Ben Ali
Transposition dramatique des événements qui ont précédé l'installation française aux Comores,
cette pièce restitue la fin du règne de Msafumu. C'est tout un monde social, et ses propres rapports
de domination, qui va être bouleversé sous la pression et l'influence des puissances extérieures. La
fin du système des sultanats comoriens est aussi un bon moyen, pour l'auteur, de réfléchir à des
questions plus larges, plus humaines.
(Coll. Théâtre des cinq continents, 186 p., 18,5 euros)
ISBN : 978-2-343-09496-0, EAN EBOOK : 9782140013591

CULTURE INTELLECTUELLE ET COLONISATION AUX COMORES (1895-1974)


Ahmad Qamar al-Dîn et sa génération
Toibibou Ali Mohamed
Préface de Noël. J. Gueunier
Y avait-il place pour la figure de l'intellectuel dans une société telle que celle des Comores de la
période coloniale ? Ce livre analyse le parcours d'intellectuel et de fonctionnaire colonial, aux
Comores et à Madagascar, d'Ahmad Qamar al-Dîn. Sa position de lettré, de journaliste et de
gouverneur indigène lui a permis de prendre part aux principaux débats politiques, intellectuels qui
agitaient la colonie. Il suscita une prise de conscience collective sur l'identité nationale, le
patriotisme et l'accès à l'indépendance.
(Coll. Océan Indien/Etudes, 426 p., 42 euros)
ISBN : 978-2-343-07823-6, EAN EBOOK : 9782140001420

LES COMORES, UN PEUPLE BAFOUÉ


Un archipel aux avatars coloniaux
LOUIS VERMAY
L'archipel des Comores, quatres îles qui, au mépris des résolutions internationales, sont séparées
depuis 1975 entre l'Union des Comores et Mayotte, devenue en mars 2011 un département français.
S'appuyant sur l'analyse de l'assassinat du Président Abdallah orchestré par Bob Denard, l'auteur
condamne les avatars récurrents du colonialisme au sein de l'archipel entremêlant mercenaires,
apartheid, services secrets et Françafrique.
(300 p., 31 euros)
ISBN : 978-2-343-01919-2, EAN EBOOK : 9782336337036
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N° d’Imprimeur : 02570 - Dépôt légal : septembre 2018
Sociologie politique
des Comores
Assassinats, coups d’État, mercenariat, tripatouillages de la Constitution,
dictatures, fraudes électorales, tentation de la présidence à mort, corruption,
mépris de l’intérêt général, incompétence, chauvinisme, Justice aux ordres…
Pourtant, les optimistes disent que les Comores ne sont pas maudites.
Les pessimistes, fatalistes, soutiennent que la situation du pays relève de la
seule compétence divine. Les réalistes voient les désastres engendrés depuis
1975 par « l ’État lycéen », le « Sultanat des mercenaires », la « gendrocratie »,
la « Ripoux-blique » de Mitsoudjé et d’autres « Républiquettes » de village.
Le propos de ce livre est ambitieux : étudier le phénomène du pouvoir aux
Comores à travers le conservatisme qui caractérise les mœurs politiques du pays,
les effets de l’insularité et du culte du village natal du chef du jour, le rejet du
primat du Droit et de l’universalité de l’exigence démocratique, la
destruction de la crédibilité et de la viabilité des institutions publiques et de
l’État par des pratiques malsaines, la disparition de l’autorité de l’État, et le profil
des acteurs politiques les plus connus du pays, souvent pour le pire.
L’incarcération des Comores dans une conception hystérique et surréaliste du
pouvoir et dans des pratiques douteuses est une réalité qui éloigne
chaque jour ce pays de la normalité juridique, institutionnelle et politique.

Natif de Djoiezi, Mohéli, Abdelaziz Riziki Mohamed est diplômé de l’École Nationale
d’Administration Publique de Rabat au Maroc (Maîtrise et Diplôme d’Études supérieures en
Administration publique), de la Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales de
Rabat-Agdal (Diplôme d’Études supérieures en Droit public et Doctorat d’État en Science
politique), de l’Université Paris-1 – Panthéon-Sorbonne (Doctorat en Science politique) et de
l’École de Formation professionnelle des Barreaux de la Cour d’Appel de Paris (CAPA). Il a
publié aux Éditions L’Harmattan : Comores : Les institutions d’un État mort-né (2001),
La diplomatie en terre d’Islam (2005), Sociologie de la diplomatie marocaine (2014),
Ce que le Maroc doit au Roi Hassan II (2014), Mohamed Ali Soilihi. Les Comores à
cœur et dans l’âme (2015), Mohamed Ali Soilihi. Vérités sur une élection aux
Comores (2016) et La présidence tournante aux Comores (2017).

Photographie de couverture : Libération d'un prisonnier politique à Mohéli.


© Elamine Ali Mbaraka, dit Aboulkhaïr.

ISBN : 978-2-343-15770-2
45 e

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