Vous êtes sur la page 1sur 142

De Marseille aux Comores

Azad HALIFA

De Marseille aux Comores


Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration.

Les éditions de La Lune


4

Ce livre est publié dans la collection


Polix

ISBN : 978-2916735-13-9

© Editions de La Lune, 2007


Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions
destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction
intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le
consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une
contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la
propriété intellectuelle.

www.editions-delalune.com
Remerciements

Cette étude a pu être menée à bien grâce à l’aide, au soutien


et à la totale disponibilité de certaines personnes dont il est
nécessaire de remercier :

Mr BANEGAS Richard, le plus africain des français, maître


de conférence à Paris 1 Sorbonne, dont l’enseignement, son
amour pour l’Afrique, et ses conseils, m’ont été des plus
précieux.

Mon ami Cluzel Jean-Paul, Président de Radio France.

Mes amis DOMI Didier, footballeur français, et son


frère Ludovic, pour leur aide : merci pour tout.

Mes parents, HALIFA Mohamed, Siti Djamila et ma sœur


Siti Fatma, qui m’ont inculqué les valeurs d’honnêteté, de
respect d’autrui et de réussite par le travail.

Les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille qui ont


accepté de répondre à mes questions et qui m’ont aidé dans le
recueil d’informations sur la communauté comorienne de cette
ville.

Mme MASSONNET Paule ainsi que son mari Claude,


ancien Vice-Gouverneur de la Banque Centrale des Comores,
Directeur de la Banque de France, pour leur formidable
connaissance de la communauté comorienne de Marseille et
pour m’avoir toujours encouragé dans les moments difficiles.

Mon ami Mr VIRCOULON Thierry, Chargé de Mission de


Mr Dominique De VILLEPIN, pour son écoute et ses
conseils.
Préface

Le livre de Azad HALIFA De Marseille aux Comores :


entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration
fait partie de ces ouvrages qui outrepassent avec habilité
leur cadre géographique. Sous l’apparence d’une
monographie consacrée à la jeunesse comorienne de
Marseille, cet ouvrage embrasse en fait des horizons bien
plus larges, intéressant tous ceux qui travaillent,
réfléchissent ou simplement sont sensibles à la question de
l’immigration. Il ne s’agit pas d’un livre réservé aux « trop
rares » spécialistes des Comores ou aux « quelques »
experts de l’immigration en France ou encore aux
nombreux sociologues de la jeunesse, mais d’une étude
sur un thème majeur pour les sociétés française et
comorienne : la politisation de la seconde génération issue
de l’immigration.

L’originalité de l’approche de Azad HALIFA réside


dans son changement de perspective. Généralement, la
question de l’immigration est traitée du point de vue de la
société d’accueil ou de la société de départ. L’attention se
focalise sur l’intégration ou son absence dans le pays de
résidence ou sur l’impact transformateur que peuvent
avoir la diaspora et ses transferts financiers et culturels
dans le pays de départ. Azad HALIFA prend le contre-
pied de ces approches en localisant le regard pour ainsi
dire au milieu des deux sociétés, sur ce trait d’union entre
les deux sociétés que constituent les jeunes issus de
10 De Marseille aux Comores

l’immigration, et plus particulièrement sur leur action


politique après la crise séparatiste comorienne de 1997.

Cette crise a mis au grand jour les tendances


sécessionnistes à l’œuvre dans cet archipel comme dans
beaucoup d’autres Etats insulaires éclatés (qu’on songe,
par exemple, à Zanzibar, Trinidad et Tobago, les
Philippines, etc.). En juillet 1997, allant contre le sens de
l’Histoire, Anjouan a réclamé son rattachement à la France
puis proclamé son indépendance, un mois plus tard. Bien
que loin de Marseille, cet événement a eu un
retentissement majeur dans l’importante communauté
comorienne de cette ville. En suscitant une mobilisation
communautaire sans précédent, il a contribué à la
« renationalisation » de la jeunesse comorienne émigrée, à
sa redécouverte de la politique comorienne, voire à sa
redécouverte du pays d’origine. Le sursaut unioniste des
jeunes comoriens émigrés qui ont rejeté en bloc la
sécession d’Anjouan s’est accompagné d’une remise en
cause de l’ordre de la domination dans la communauté
immigrée : en ce sens, la lutte de pouvoir s’est transposée
des Comores à la France. Le « nationalisme retrouvé » de
la seconde génération s’est accompagné d’une critique
virulente des « anciens » et de leurs coutumes dépassées :
cette critique n’a épargné ni ce phénomène social total
qu’est le Grand Mariage, interprété comme un égoïsme
villageois, ni l’adoubement des politiciens nationaux par
les anciens de Marseille, ni leurs divisions importées
incarnées par la place d’Aix, ce « bangwe marseillais ».
Les jeunes ont bousculé la vieille garde en réécrivant
l’histoire comorienne autour de nouvelles figures
charismatiques (Ali Soilihi), en se structurant
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 11

politiquement (l’organisation de la première conférence de


tous les Comoriens de l’étranger en 1999 qui a pris
position contre la destruction de la nation comorienne) et
en développant une nouvelle génération d’associations et
de publications qui a régénéré l’espace public comorien à
Marseille. Le coup de force d’Anjouan a donc produit des
effets à plusieurs milliers de kilomètres de distance : le
renversement de l’ordre de la domination générationnelle
entre jeunes et anciens dans la communauté immigrée.

Selon cette étude, les événements de 1997 ont stimulé


la conscience politique et ravivé le « nationalisme à
distance » de la seconde génération. Cette réalité politique
nouvelle s’est sociologiquement incarnée dans la
contestation réussie du monopole de la représentation par
les anciens. Mais surtout à la faveur de cette crise et
conformément à l’expérience existentielle de l’immigré,
les jeunes comoriens de Marseille ont su inventer un autre
projet sociopolitique où l’immigration joue un rôle
central : à la double absence décrite par le sociologue
Sayad Abdelmalek (« ni ici ni là-bas »), ils ont substitué
un idéal de double présence, « ici et là-bas », qui rompt
avec l’idéal diasporique de leurs aînés. Pour eux, il ne
s’agit pas de rêver à un retour mythique mais d’être actifs
politiquement à Marseille en faisant entendre leur voix
dans l’espace public local et d’être présents au pays par le
biais des associations engagées dans le co-développement.
Ce projet promeut une double intégration en lieu et place
d’une double désintégration et consacre l’expérience de
l’immigré qui vit, au plan culturel, simultanément dans
l’espace social du pays d’origine et l’espace social du pays
12 De Marseille aux Comores

d’installation. La crise de 1997 n’a donc pas seulement


réactivé la conscience politique de la jeunesse issue de
l’immigration, elle l’a aussi et surtout conduit à repenser
son positionnement existentiel à travers un projet d’avenir.
La logique circulaire de « l’expérience immigrée » est
ainsi bouclée : le détour politique par le pays d’origine a
conduit les jeunes comoriens de Marseille à repenser leur
situation de descendants d’immigrés dans la cité
phocéenne, à transformer leur présence/absence en France
en une présence en France et aux Comores. C’est dire
qu’avec cette étude, Azad HALIFA contribue de manière
originale à notre connaissance du comportement politique
des jeunes de la seconde génération en temps de crise, tout
en levant le voile sur la communauté immigrée la plus
méconnue et la plus discrète de France.

Thierry VIRCOULON.

Chargé de mission au service


du Premier Ministre Mr
Dominique De VILLEPIN.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 13

Pour ma grand-mère SUFAT, que Dieu la bénisse.


Introduction

L’archipel des Comores, qui doit son nom à


l’expression « Jazair el-qamar » 1 utilisée par des
commerçants arabes du début du X ème siècle, est composé
de quatre îles, Grande Comore, Anjouan, Mohéli et
Mayotte. Celui-ci se déploie en arc de cercle au nord du
canal de Mozambique, dans l’océan indien, entre l’Afrique
de l’est et Madagascar.
Amputées de Mayotte depuis le référendum du 22
décembre 1974 comptabilisé île par île et non globalement
à la suite de fortes pressions exercées par des
parlementaires gaullistes et certaines personnalités proches
de l’extrême droite française sur le Président de la
République française de l’époque Valery Giscard
d’Estaing et son Premier Ministre Jacques Chirac, les
Comores, peuplées de 600 000 habitants, sont connues par
les gens qui s’intéressent à la politique pour les multiples
coups d’Etat orchestrés par le mercenaire Bob Denard et
ses lieutenants.
Malgré cette instabilité chronique qui a projeté cet Etat
au-devant de l’actualité internationale, l’ensemble de la
société française a découvert l’immigration comorienne en
France le 22 février 1995 « en ce jour tragique où, à
Marseille, des colleurs d’affiches du Front national ont
délibérément tiré sur un groupe d’une dizaine de jeunes

1
Les îles de la lune.
16 De Marseille aux Comores

gens et tué Ibrahim Ali, un français d’origine comorienne


âgé de dix-sept ans »2.
En outre c’est à Marseille, ville du sud de la
France construite par des hommes et des femmes venus de
près ou de loin tenter l’aventure de l’ailleurs fortuné, que
les comoriens vont émigrer en masse sur les pas des autres
communautés.
Cette forte émigration tardive, commencée dans les
années 1970, est communément perçue comme la plus
récente des émigrations africaines. Selon Karima Direche-
Slimani et Fabienne Le Houérou, « c’est une migration
qui a l’air de ressembler à tant d’autres, mais qui, dans son
rapport aux unités de temps et d’espace, brouille les
interprétations classiques des histoires d’émigration » 3.
Pour désigner la communauté comorienne de Marseille,
les qualificatifs utilisés sont: invisible et discrète.
Cependant au-delà des expressions, se cache une
population importante sur le plan démographique : il y
aurait selon de la plupart des études environ 70000
comoriens à Marseille4, soit 1/10 de la population actuelle
des Comores.

2
Dewitte Philippe, « Ibrahim, au cœur de Marseille », in « Les
Comoriens de France », Hommes et Migrations, n° 1215, sept.-
oct.1998, p.1.
3
Direche-Slimani Karima, Le Houérou Fabienne, Les Comoriens à
Marseille : D’une Mémoire à l’autre, Paris, Editions Autrement,
2002, p.13.
4
D’autres parlent de chiffres qui oscillent entre 50000 et 60000
comoriens à Marseille.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 17

L’empreinte comorienne à Marseille : histoire


d’une migration discrète.

Selon les archives, les premiers comoriens de Marseille


sont apparus dans les années 1940, ils étaient pour la
plupart navigateurs, originaires principalement de la
Grande Comore, employés par la Compagnie des
messageries maritimes ou la Compagnie des Indes.
Cependant, avec la crise de la marine marchande,
certains navigateurs investissent les métiers de dockers et
de manutentionnaires tandis que la plupart rentre aux
Comores, auréolée de respect et de prestige dus à leurs
parcours de marin, afin de réaliser « le Grand mariage » 5
et occuper ainsi la fonction de notable.
Comme l’a noté Houssen Zakaria, ces derniers, revenus
aux pays « acquièrent ainsi des pouvoirs dans
l’organisation des différentes activités qui structurent les
villages, les quartiers » 6. C’est à partir de ces anciens
« navigateurs »7 que s’organise l’émigration massive
comorienne à Marseille au milieu des années 1970.
Les mesures du regroupement familial décidées par les
pouvoirs publics français en 1974, la proclamation de
l’indépendance de l’archipel le 6 juillet 1975 ont été les
5
Anda en comorien, le Grand mariage est la coutume la plus
importante des Comores, ensemble de festivités très coûteuses, sorte
de rite de passage permettant au marié d’acquérir un statut important
dans la société comorienne.
6
Zakaria Houssen, « Les comoriens de France, entre « ici et là-bas » :
Variations autour d’un même thème », Ville-Ecole-Intégration Enjeux,
n°131, décembre 2002, pp.191-202.
7
En comorien.
18 De Marseille aux Comores

facteurs importants d’enclenchement d’une grande vague


de départ pour l’ancien pays colonisateur et surtout pour la
ville de Marseille.
Surnommée « cinquième île comorienne » par les uns
et « deuxième capitale des Comores après Moroni » par
les autres, la citée phocéenne est la première ville
comorienne du Monde8.

Une immigration de travail.

Ayant quitté leur archipel pour Marseille, les comoriens


voient en cette ville « un eldorado ». Cette vague
migratoire touche un grand nombre de personnes : jeunes,
hommes et femmes.
La plupart des migrants des années 1970 travaille dans
la restauration, comme serveurs, plongeurs ou cuisiniers.
Si ces comoriens migrants des années 1970 n’occupent pas
les mêmes emplois que les anciens « navigateurs », cette
migration est vécue de la même façon, comme un moyen
de gagner le maximum d’argent, de subvenir aux besoins
de la famille restée aux Comores et ensuite revenir au pays
au moment de la retraite.
L’économie comorienne est basée essentiellement
sur l’argent transféré par les émigrés.
Partis démunis et marginalisés des Comores, ils
deviennent avec l’émigration des gens très respectés.
L’émigration est donc vécue comme une étape de
transition, comme un voyage qui permet à celui qui le fait

8
Moroni, la capitale des Comores ne compte que 15000 habitants.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 19

de s’épanouir sur le plan matériel, financier, un aller avec


un retour qui doit obligatoirement se faire sous peine
d’être stigmatisé ou mis hors de la communauté du village
d’origine par les notables locaux.

De Moroni à Marseille : d’une ville comorienne à


une autre?

A Marseille, les émigrés comoriens copient


l’organisation sociale et les traditions existantes aux
Comores, surtout en Grande Comore9.
Comme l’ont montré Karima Direche-Slimani et
Fabienne Le Houérou, la société comorienne est composée
de trois classes sociales : la noblesse (kabaïla) « qui
détient le pouvoir politique, religieux et économique, et
valorise son origine chirazi qui la relie à une Perse
légendaire, la classe d’homme libres (mungwana),
composée d’artisans, d’agriculteurs et de pêcheurs et la
classe d’esclaves (mrumwa) considérée comme
exclusivement africains ».

9
La plupart des comoriens émigrés à Marseille vient de la Grande
Comore.
20 De Marseille aux Comores

Dans cette ville comme aux Comores, le quartier est un


élément important dans l’identité du comorien : on est
ainsi comorien du Panier, comorien de Félix Piat…etc.
Alors que les anciens navigateurs habitent dans les
premier, deuxième et troisième arrondissements comme la
Joliette, le Panier et Félix Piat, les nombreux émigrants
des années 1970 investissent les cités HLM des quartiers
nord comme la Viste, La Savine et la Busserine.
Malgré cette occupation éparse dans la cité phocéenne,
les comoriens réussissent à créer un lien communautaire
intra-île10 solide à travers les associations villageoises qui
sont de forts réseaux de solidarité. A Marseille, ces
émigrés des années 1970 ont aussi comme aux Comores
fait du « Mdji » groupe de parenté à l’origine d’une
organisation communale urbaine ou rurale » la référence
identitaire de base pour tout comorien, qu’il peut
compléter par la suite par son lignage maternel (Hinya).
Toutefois, cette identité « du Mdji », villageoise, se
mue en une revendication d’appartenance à l’île d’origine
lors de nombreuses festivités.
L’exemple le plus illustratif est la cérémonie du Grand
mariage, le marié invite les grands notables de son île et
donne de l’argent destiné aux populations présentes à
Marseille originaires des diverses régions de l’île
d’origine.
Ce fort lien communautaire intra-île peut être aussi
perçu à la place d’Aix située au centre de Marseille.
A cet endroit, se réunissent matin et soir des comoriens
de toute île : l’organisation des individus est très

10
A l’intérieur d’une même île.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 21

fascinante, ceux de la même île se tenant éloignés de ceux


des autres îles.
Cette occupation de l’espace publique a aussi été
importée des Comores : en effet, le « bangwe » 11 en grand
comorien, « Mpaganhari » en anjouanais et « bangani » en
mohélien, est le cœur de la cité comorienne.
Face à ces représentations, traditions, comportements
transposés des Comores, certains jeunes comoriens de
Marseille ont commencé à émettre des critiques visant
« leurs parents » et ont demandé un changement de
mentalité dans la communauté et une plus grande
souplesse par rapport à certaines valeurs jugées obsolètes
et dépassées.

L’émergence d’une « jeunesse intellectuelle »


opposée « aux anciens ».

La « jeunesse intellectuelle » comorienne est composée


pour la plupart de jeunes grand comoriens ayant émigré
dans leur enfance à Marseille en compagnie de leurs
parents dans les années 1970.
Ce sont des écrivains, des artistes, des étudiants, des
acteurs associatifs, qui, ensemble forment l’élite
comorienne de Marseille.
Se surnommant « Shudjaans du 21ème siècle » 12, ces
jeunes parlent « de l’éveil d’une génération », « d’un défi

11
Ce terme signifie place publique.
12
Vaillants guerriers.
22 De Marseille aux Comores

à relever» 13 , et revendiquent leur volonté de transformer


la communauté comorienne de Marseille, de participer
activement à la formulation d’une véritable identité
comorienne en France.
Influencés par les valeurs et les normes de la société
française, ces jeunes, de la deuxième génération, ont des
projets pour la communauté, des idées, aux antipodes de
ceux de leurs parents en prenant en compte certaines
problématiques liées à leur vie en tant que comorien
marseillais, leur retour au pays étant par exemple,
contrairement à leurs aïeux, plus proche du mythe que de
la réalité.
Ainsi, lorsque la crise séparatiste éclate en juillet 1997,
ces « jeunes intellectuels » qui, pour la plupart ne
connaissaient les Comores qu’à travers « la vitrine
communautaire» 14, vont s’intéresser à la politique aux
Comores, et stigmatiser les anciens de la communauté en
les présentant comme « ceux qui ont nourri le
séparatisme » par leurs représentations.

La crise séparatiste de 1997 : quand les


représentations deviennent réalité.

13
Tourqui Saïd Saïd-Ahmed, « Les « Shudjaans » du 21ième siècle »,
Comores Mag, n°6, Juillet- août 1999, p.9.
14
La communauté comorienne de Marseille.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 23

Pour comprendre la crise séparatiste comorienne de


juillet 1997, il est nécessaire d’analyser l’histoire et le
peuplement des diverses îles des Comores.
La Grande Comore et Anjouan ont connu l’arrivée
d’arabes originaires d’Oman, du Yémen et de Zanzibar, au
XXième siècle et d’arabo-persans, chiraziens, au XVIième
siècle alors que contrairement à ces îles , à Mohéli, ce
sont des africains venus de Mozambique qui se sont
installés en masse.
Ainsi, le grand comorien se considère supérieur à
l’anjouanais, qui lui aussi, à son tour, met en valeur ses
origines arabes par opposition au
« mohélien », ce dernier étant considéré comme un
« matsaha » 15.
En juillet 1997, ces îles s’estimant être l’objet de
mépris politique et culturel et dénonçant la centralisation
du pouvoir à Moroni ont demandé leur retour au sein de la
République française pour Anjouan et l’indépendance
pour Mohéli.
Devant bien entendu le refus du gouvernement français
d’intercéder aux demandes formulées par les séparatistes
anjouanais, ceux-ci ont déclaré le 3 août 1997 leur
indépendance.

Question principale et problématique.

15
« Une personne de la brousse » en comorien.
24 De Marseille aux Comores

Comment une crise politique dans le pays d’origine


peut engendrer une mutation d’une communauté migrante
suite à une introspection communautaire soutenue et
élaborée par certains jeunes (ceux dotés d’un capital
culturel élevé) de ladite communauté?

Dans quelle mesure pouvons-nous affirmer que cette


crise séparatiste comorienne de juillet 1997 a engendré
une prise de conscience politique dans le sens de l’unité
des Comores, un apprentissage du politique, de la part des
« jeunes intellectuels » comoriens de Marseille et une
légitimation de leurs critiques visant les anciens ?

Hypothèses.

Avant d’effectuer l’enquête sur le terrain, les


hypothèses de départ stipulaient que cette crise politique a
engendré chez la « jeunesse intellectuelle » comorienne de
Marseille une très forte politisation16. Elle a fait naître un
intérêt vif pour la politique comorienne, un désir
d’apprendre la politique chez des gens qui, au départ,
connaissaient peu de choses des Comores et au monde
politique.
16
La politisation est le degrés en fonction duquel un individu
s’intéresse à la politique.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 25

Ainsi, au fil des mois, défendant publiquement à travers


des conférences, des débats, et leurs propres médias, leurs
idées pour sortir les Comores d’une situation politique
désastreuse, cette « jeunesse intellectuelle », disposant
d’un capital culturel (de ressources culturelles) indéniable
(diplômes, capacités intellectuelles élevées…) a légitimé
les critiques éparses qu’elle émettait depuis le début des
années 1990 à l’encontre de la communauté comorienne
de Marseille.
Pour cette jeunesse, les anciens de la communauté ont
une grande part de responsabilité dans ce séparatisme en
les accusant de l’avoir nourri, ceux-ci ayant privilégié les
notions de préférence villageoise et insulaire.
A cet égard, à force de montrer leur décalage par
rapport à ces anciens, la « jeunesse intellectuelle »
comorienne de Marseille est devenue aujourd’hui le
principal interlocuteur de la population comorienne de
Marseille.
Ces jeunes ont uni les comoriens de Marseille en
fondant une véritable identité comorienne, dénuée ainsi de
toute particularité insulaire, ce que leurs aïeux, comoriens
de Marseille, de France, et des Comores n’ont pas cherché
à faire.
Alors qu’elle se considérait comme « out », en dehors
de la communauté, elle a réussi à y appartenir, à devenir
« in » et à acquérir le monopole du discours
communautaire.
Cette crise séparatiste comorienne a représenté pour les
« « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille un
moyen pour refonder la communauté.
26 De Marseille aux Comores

Par le biais d’une introspection communautaire


amorcée à la suite de la crise séparatiste, c'est-à-dire une
étude, un examen critique des règles et des idéaux en
oeuvre à l’intérieur de la communauté, la « jeunesse
intellectuelle » comorienne de Marseille a ouvert ce
champ de la communauté aux valeurs et normes du pays
d’accueil.
La refondation communautaire prenait ainsi en compte
le fait que les comoriens de Marseille devaient aussi
s’intéresser à la réalité de la vie dans cette ville en
devenant plus visibles.
Ainsi avec cette crise politique qui a engendré cette
refondation de la communauté comorienne de Marseille,
ces « jeunes intellectuels » comoriens ont tendu un fil
entre les Comores et Marseille, entre leur pays d’origine
confronté à de graves problèmes politiques et
économiques et une société française où il est difficile de
trouver sa place si on reste dans le communautarisme.

Méthodologie utilisée.

La « jeunesse intellectuelle » comorienne de Marseille


a été directement interrogée par des entretiens semi-
directifs et non-directifs.
Il a aussi été question de la méthode biographique afin
de mieux cerner tout le processus de politisation,
l’engagement politique en faveur de l’unité des Comores
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 27

de ces « jeunes intellectuels » comoriens à la suite de la


crise comorienne.
Au fil de leurs paroles, ces jeunes nous livrent le plus
profond de leur intimité collective, le rôle joué par la crise
séparatiste comorienne de juillet 1997 dans leur retour aux
sources, un retour empreint de politique pour que guérisse
l’arbre de leurs racines.
Se révèlent dans leurs discours, leur souffrance, le fait
de n’avoir pas réagi auparavant, leur culpabilité vis-à-vis
de la situation politique de leur pays d’origine et les efforts
remarquables entrepris depuis l’éclatement de la crise
séparatiste.
Première partie
La prise en charge de la crise : vers la politique
à distance.
30 De Marseille aux Comores

Selon le sociologue Abdelmalek Sayad17, « il ne peut y


avoir de politique que la politique nationaliste chez les
émigrés qui viennent à la politique », c'est-à-dire « chez
les individus qui sont dotés d’un certain nombre de
caractères distinctifs et d’un capital social et culturel d’une
espèce particulière et, qui, en viennent à se transformer en
agents politiques ».
La politisation des jeunes comoriens de Marseille à la
suite de cette crise confirme cette thèse, leur engagement
politique a une très forte consonance nationaliste.

Il ne faut pas voir le nationalisme dans la lignée de


cette définition de l’écrivain français Romain Gary selon
laquelle celui-ci serait « la haine des autres » ou l’associer
à toute forme d’extrémisme mais l’appréhender sous une
vision plus souple, plus restreinte.
Le nationalisme de cette « jeunesse intellectuelle » met
en lumière la volonté politique des « jeunes intellectuels »
comoriens de Marseille suite à cette crise séparatiste.
La France est ainsi accusée par ces « jeunes
intellectuels » d’être responsable de la crise comorienne et
de l’instabilité politique chronique.
Après un certain laps de temps, ces jeunes comoriens
de Marseille sont passés d’un nationalisme de réaction,
spontané, syncrétique à un nationalisme véritablement
élaboré, doté d’une ligne d’action, d’un programme
proprement politique.
Ce nationalisme organisé se révèle à travers le projet de
ces « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille de
créer une diaspora politique comorienne en France.

17
SAYAD Abdelmalek, La double absence: Des illusions de l’émigré
aux souffrances de l’émigré, Paris, Seuil, 1999, 437 p.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 31

Chapitre I : L’effet « primaire » de la crise:


l’avènement d’un « nationalisme de
réaction ».

La France au banc des accusés : « le


18
temps des indigènes est révolu » .

Pour les « jeunes intellectuels » comoriens de


Marseille, la France a joué un rôle actif dans l’éclatement
de cette crise séparatiste comorienne.
A travers les entretiens, ils nous font apparaître leur
étonnement quand ils ont appris que la population
anjouanaise avait brandi en masse des drapeaux français
au matin du 14 juillet 1997.
Ils se demandent comment la masse populaire
anjouanaise a pu acquérir ces drapeaux si ce n’est que
ceux-ci ont été fournis par le gouvernement français.
Le fait que les anjouanais n’aient pas demandé
directement leur indépendance mais leur rattachement à la
France montre selon ces « jeunes intellectuels » comoriens
de Marseille que les autorités anjouanaises ont dû obéir à
des ordres venus de l’extérieur.
Ils évoquent aussi leur incompréhension de la non-
intervention du gouvernement français pour rétablir

18
Entretien avec Saïd Ali de la Fédération des Comoriens de Marseille
(page 89).
32 De Marseille aux Comores

l’ordre politique, constitutionnel, comorien alors que des


accords de défense ont été signés entre les Comores et la
France en 1978.
Par ailleurs, pour donner plus de crédits à ce qu’il
qualifie de « néocolonialisme », ils font noter que les
commanditaires de cette sécession sont « des anciens
militaires français, des anjouanais retraités de l’armée
française » 19.
Pour cette « élite » comorienne, même en déclinant
l’offre rattachiste, la France est la première bénéficiaire de
cette crise : la rhétorique de l’incapacité des comoriens à
s’administrer eux-mêmes étant confortée par ce
séparatisme.
Cette jeunesse défend l’idée selon laquelle la France
voulait « encore une fois balkaniser les Comores »20 après
l’épisode de Mayotte afin que le gouvernement comorien
cesse de dénoncer devant l’ONU sa présence dans cette
île.
Cette position anti-française de cette jeunesse
intellectuelle comorienne de Marseille est nettement liée à
la question mahoraise, à la décision de la France en juillet
1975 de garder Mayotte dans la République et ainsi de
séparer les autres îles de leur « sœur ».
Dans ce sens, ils nous font remarquer que dans le lobby
qui soutenait le retour de l’île d’Anjouan dans le giron
français, se trouvaient les mêmes personnalités qui ont fait
19
Entretien avec S.M.
20
Entretien avec un jeune à l’entrée de la FECOM.
23
Caminade Pierre, Comores-Mayotte : une histoire néocoloniale,

Marseille, Agone, 2003.


Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 33

pression vingt-deux ans auparavant sur Valery Giscard


D’Estaing, Président de la République de l’époque et son
Premier ministre de l’époque Jaques Chirac afin de
comptabiliser île par île et non globalement la consultation
du 22 décembre 1974 où 95% des suffrages exprimés dans
l’archipel ont été favorables à l’indépendance (les
mahorais, soit 7.7 % des votants, se sont prononcés à 65%
contre l’indépendance fédéraliste).
Ces jeunes visent ici les articles au service « d’Anjouan
la française » de Pierre Pujo (Président du comité directeur
de l’Action Française) dans son hebdomadaire Aspects de
la France et dans un quotidien proche du Front national,
Présent.
Outre ce lobby métropolitain, ces jeunes visent le lobby
réunionnais de Jean-Claude Vallée qui, à travers son
magazine Via, se contente « d’une lecture non réfléchie et
épidermique des maux dont souffre l’archipel » 21.
Ce dernier voyait en ce séparatisme les conséquences
« des mauvais régimes qui se sont succédés à Moroni », et
demandait comme il l’a fait en 1975 pour Mayotte, que la
France « sauve les anjouanais et les mohéliens, de les
sortir de cet Etat crée à la hâte ».
Cette critique de l’ancienne puissance colonisatrice par
ces jeunes est composée de deux idées : la première
concerne la politique comorienne de l’Etat français, cette
« jeunesse intellectuelle » accusant le gouvernement
français d’agir en sous-main avec les sécessionnistes
anjouanais tandis que la seconde porte sur les
réseaux, l’appétit de certaines personnes qu’on pourrait
classer à l’extrême droite, aux Comores comme dans
d’autres Etats Africains.
34 De Marseille aux Comores

Pour cette « élite », ces deux portées se rejoignent en un


point : celui de leur vertu d’ingérence néocoloniale.
Ce nationalisme syncrétique, réactionnel, des « jeunes
intellectuels » comoriens est basé aussi sur « la honte »
qu’ils « éprouvent » lorsqu’ils se remémorent les
différents coups d’états réalisés aux Comores par Bob
Denard, surnommé le « Corsaire de la République », et ses
amis mercenaires.
Ils soulignent la responsabilité de Jaques Foccart,
« Monsieur Afrique » jusqu’à sa mort en 1997, ancien
chef du Service d’Action Civique, dans les multiples
déstabilisations de l’archipel.
Ce nationalisme de réaction, tout en condamnant
l’asymétrie des relations entre la France et les Comores,
entre un Etat dominant et un dominé qui « n’a plus un
mot à dire », ne prône pas un abandon des Comores par la
France.
En effet, ces « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille veulent une coopération égalitaire et saine entre
les deux Etats de part « le long passé qu’ils ont en
commun ».
A partir de cette réaction primaire face à cette crise
séparatiste contre l’implication qu’ils prétendent du
gouvernement français et celle de certaines personnalités
d’extrême droite, démarre la politisation, un intérêt
croissant pour la politique en général et pour la politique
comorienne en particulier de cette « jeunesse
intellectuelle » comorienne de Marseille.
Immergés dans ce champ nouveau pour eux, ces jeunes
comoriens ont cherché à l’intérieur de celui-ci « une
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 35

saillance cognitive » 22 , la personnalité de la scène


politique comorienne qui pouvait donner un sens à leur
engagement politique. La « jeunesse intellectuelle »
comorienne de Marseille se tourne vers le révolutionnaire
Ali Soilihi, un ancien chef d’Etat comorien, assassiné en
mai 1978 par Bob Denard et sa bande.
Ce choix est original dans le sens où généralement, la
saillance cognitive, la personne qui est vue comme
pouvant donner de l’intelligibilité à la situation, à la crise,
est vivante au moment de l’éclatement de celle-ci, par
exemple De Gaulle en 1958 lors de ce qu’à l’époque on
appelait « les évènements d’Algérie ».
Le politologue Michel Dobry a montré que les hommes
politiques, même ceux qui lui étaient opposés, avaient
perçu en De Gaulle le personnage qui pouvait sortir la
France de la crise.
La deuxième originalité de ce choix de la « jeunesse
intellectuelle » comorienne de Marseille est le fait qu’elle
n’a pas connu ce personnage.
Pour les habitants des villages reculés des Comores
dont est originaire la grande majorité des « jeunes
intellectuels », Ali Soilihi est une icône de part son
programme politique, qui était basé sur l’égalité entre tous
les comoriens et sa dénonciation du sentiment de
supériorité des populations des grandes villes (ces derniers
se considéraient comme les plus nobles en référence à
leurs ancêtres arabes et chiraziens).
Son assassinat par les mercenaires français de Bob
Denard l’a élevé au rang de « martyr », celui qui a sacrifié
sa vie pour défendre la cause de la nation comorienne.

22
Dobry Michel, Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de
Science politiques, 1992, 319p.
36 De Marseille aux Comores

La quête d’un modèle: idéalisation d’une figure


nationaliste comorienne.

Le fort intérêt pour la politique comorienne éprouvé par


ces « jeunes intellectuels » à la suite de la crise séparatiste
comorienne de juillet 1997 a donc nécessité pour cette
« élite » la quête d’un modèle, d’un personnage dans
l’histoire politique mouvementée des Comores qui pouvait
donner un sens à la situation politique du moment, c'est-à-
dire à ce séparatisme, mais aussi à leur combat
nationaliste.
Pour bien comprendre l’attirance de ces jeunes envers
Ali Soilihi, cette captation de son image, il est utile
d’expliquer ses projets, lorsque le 3 août 1975, soit moins
d’un mois après l’indépendance des Comores, aidé
seulement de cinq compagnons, il prend le pouvoir en
renversant le gouvernement de Ahmed Abdallah.
Ali Soilihi était un révolutionnaire, il a mis fin à la très
forte hiérarchisation sociale comorienne en mettant en
avant l’égalité de tous les comoriens (cela a duré jusqu’à
sa mort car après, la notabilité d’origine arabe et
chirazienne ayant repris le pouvoir, elle a réorganisé la
société comorienne comme auparavant, c'est-à-dire selon
trois classes : la noblesse, la classe d’hommes libres et la
classe « d’esclaves »).
Cette notion d’égalité est très essentielle dans le choix
de ces jeunes de voir en Ali Soilihi un exemple à suivre.
En effet, la plupart des proches parents de ces « jeunes
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 37

intellectuels » appartenait à la classe « d’esclaves », la


classe africaine.
La décision de Ali Soilihi de supprimer les classes
sociales a permis aux comoriens des villages reculés, à
ceux qui étaient considérés comme esclaves, de s’affirmer
dans la société comorienne.
La question d’une culture comorienne au singulier qui a
été défendue activement par Ali Soilihi a aussi participé à
cette affection qu’éprouve la « jeunesse intellectuelle »
envers lui.
La culture comorienne est en effet difficile à définir.
Carrefour du monde, les Comores ont des racines diverses,
swahilies, arabes et indonésiennes.
L’argument de la pluralité culturelle aux Comores a été
développé par les gens qui ont séparé Mayotte des
Comores. Celui-ci, comme l’ont montré les jeunes lors des
entretiens, est paradoxalement présent chez certains
comoriens des Comores comme dans la communauté
comorienne de Marseille.
Pour les « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille, comme pour ceux qui sont pour une seule
culture comorienne, la religion, l’islam (les Comores sont
à 99% musulmanes), et la langue comorienne qui
s’apparente au swahili, même s’il existe des variantes
entre les îles, sont les ciments de l’identité comorienne.
Ali Soilihi avait crée une nation comorienne, il avait
orienté l’éducation familiale, l’enseignement autour de
valeurs prônant l’unité politique et culturelle des Comores
(avec par exemple l’instauration du service national).
La jeunesse intellectuelle comorienne a trouvé en
prenant Ali Soilihi comme modèle, un individu qui
remettait en cause certaines traditions dont la principale, le
38 De Marseille aux Comores

Grand mariage, comme ils le font eux-mêmes concernant


l’importation de celle-ci à Marseille par leurs parents.
Ali Soilihi avait ordonné la rupture avec les structures
traditionnelles coutumières.
Il arguait ainsi que la suppression du Grand mariage
était un des instruments de premier apport au
développement du pays.
Il voyait en celle-ci « un facteur d’ascension pour les
jeunes et un élément traumatisant pour le train de vie des
vieux, car ces derniers estiment que c’est grâce à ces
mariages qu’ils arrivent à ne pas mendier »23.
L’abolition du Grand mariage par Ali Soilihi a ainsi été
décidée parce qu’il générait des dépenses financières
ostentatoires qui consistent par exemple lors de certaines
cérémonies composant ce Grand mariage, à brandir de
l’argent et à le jeter dans une espèce de valise pour
l’orchestre ou pour la famille de la mariée.
Une autre caractéristique qui rapproche la jeunesse
intellectuelle comorienne de Marseille de Ali Soilihi, et
non la moindre, était sa lutte contre toute forme
d’ingérence française aux Comores même si elle
condamne son côté extrême lorsqu’il avait décidé la prise
de possession par l’Etat comorien des biens mobiliers,
immobiliers et techniques de la France aux Comores.
La très forte revendication de l’île de Mayotte par Ali
Soilihi est aussi un exemple significatif dans l’explication
de fascination de cette jeunesse intellectuelle pour Ali
Soilihi: il est celui qui « a osé tenir tête à la France sur
cette question jusqu’à son assassinat »24.

23
Ali Soilihi, Conseil des ministres, 7 juillet 1976.
24
Entretien avec un jeune intellectuel comorien de Marseille.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 39

Pour un groupe qui s’intéresse à la politique, le choix


d’un modèle à suivre est très important, cela donne une
direction et un poids solide à leur engagement.
Il est fréquent, dans les pays considérés selon un
langage désuète aujourd’hui comme « en voie de
développement » ou du « tiers-Monde », qu’un groupe,
qui envisage de jouer un rôle politique de contrepoids au
régime en place, capte l’histoire, le combat anti-colonial,
d’une personnalité qui a marqué l’indépendance de leur
Etat.
Il arrive même que différents groupes s’attribuent
l’image d’un même personnage mais donnent des sens
divers à l’action de celui-ci, des sens qui peuvent même
s’opposer.
L’élément singulier de cette séduction envers Ali
Soilihi de la part de ces « jeunes intellectuels » comoriens
de Marseille est que l’histoire de ce révolutionnaire, cette
histoire qu’ils exaltent, ne leur a pas été comptée par des
gens présents aux Comores à cette époque mais par leurs
parents qui venaient juste de quitter les Comores pour
Marseille, ceux qui avaient fui le chômage et les jours
difficiles que laissaient présager l’indépendance, pour
« l’eldorado », le travail et la tranquillité.
Les « jeunes intellectuels » comoriens
« sélectionnent » ce personnage à travers une idéalisation,
une représentation exaltée de celui-ci, basée sur ce que
leurs parents ont entendu dire de cet ancien chef d’Etat,
qui faisait de « la théorie marxiste la meilleure des
thèses »25 , par leurs familles restées aux pays.
Ce choix réalisé, les « jeunes intellectuels » comoriens
de Marseille vont se mettre à comparer les différents
25
Ali Soilihi, Conseil des ministres, 21 août 1976.
40 De Marseille aux Comores

régimes qui ont succédé celui de Ali Soilihi jusqu’à la


crise séparatiste, avec ce dernier comme point référent.
Ils développent un discours sur « l’effritement
progressif de l’Etat comorien », un Etat « rongé par la
corruption et le vol des deniers publics ».
C’est dans ce sens, qu’ils vont appeler à revenir aux
valeurs de réussite par le travail, aux valeurs citoyennes,
« de fierté d’être comorien » en œuvre à l’époque de Ali
Soilihi, afin de restructurer l’Etat comorien, pour que les
Comores deviennent « un Etat juste et impartial, où tout le
monde aurait sa chance ».

La critique des dirigeants comoriens : les


Comores, « un Etat en déliquescence ».

Après la remise en cause de la politique française aux


Comores et la recherche d’un modèle dans l’histoire
politique des Comores, la « jeunesse intellectuelle »
comorienne de Marseille a dénoncé la responsabilité des
différents régimes ayant pris la suite du révolutionnaire
Ali Soilihi dans ce qu’ils qualifient de « décadence de
l’Etat comorien » 26.
Ils voient la crise séparatiste comme l’aboutissement
des politiques menées par ces différents régimes.
Ils se mettent à analyser les différents régimes d’après
ce qu’ils ont entendu de la communauté comorienne de
Marseille.

26
Entretien A. M.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 41

Dans ce sens, ils n’oublient pas de remarquer que les


trois régimes qui se sont succédés aux Comores après la
mort de Ali Soilihi ont été dirigés par des notables, des
gens de haut rang dans la société comorienne de part le
fait qu’ils ont réalisé le Grand mariage, qu’ils viennent
d’une grande famille de religieux….etc.
Ainsi, le régime du président anjouanais Abdallah
(1978-1989) était semblable, selon cette jeunesse
intellectuelle comorienne de Marseille, à celui « d’un
prince gérant son sultanat ».
Ahmed Abdallah était l’anti-Soilihi, évincé du pouvoir
par celui-ci en août 1975, il a récupéré sa place après le
coup d’Etat de Bob Denard contre le révolutionnaire en
mai 1978.
De par cela, il était difficile pour ces « jeunes
intellectuels » de voir en Abdallah un exemple.
Mais aussi, comme l’arguent ces jeunes à travers les
entretiens, Abdallah avait mis fin à l’égalité entre tous les
comoriens, mise en place par Ali Soilihi.
Le pouvoir politique et économique était donc aux
mains des notables grand comoriens et anjouanais alors
que les mohéliens étaient « laissés à l’écart ».
Les jeunes insistent sur le caractère anti-national de ce
régime comme l’abandon par celui-ci des mesures
civiques (l’obligation de l’apprentissage de l’histoire
comorienne à l’école publique, le chant de l’hymne
national par les écoliers avant chaque rentrée de classe…)
qui avaient été prises par Ali Soilihi.
Un autre critère selon ces jeunes était problématique,
c’était la présence des mercenaires français aux Comores
et le fait que le Président Abdallah a élevé Bob Denard au
rang de « Sauveur de la patrie ».
42 De Marseille aux Comores

Par opposition à Abdallah assassiné par les soldats de


Bob Denard, la jeunesse intellectuelle a noté les efforts de
démocratisation du régime suivant : celui du Président
Saïd Mohamed Djohar.
Elu démocratiquement en 1990, le Président Djohar,
demi-frère par sa mère du révolutionnaire Ali Soilihi a
ouvert l’espace politique aux classes d’hommes libres et
d’esclaves en écartant la plupart des ministres du régime
précédant.
Selon cette jeunesse, Djohar est, après son demi-frère
Ali Soilihi, celui qui a rouvert les yeux des plus démunis.
« Papa Djo », comme le surnommait la jeunesse
comorienne aux Comores, expression que réutilise la
jeunesse intellectuelle comorienne de Marseille, était un
notable.
Cet homme incarnait le respect, ancien professeur, le
natif de Majunga27 maniait le français avec facilité et
élégance.
Même si les « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille reconnaissent que Djohar était un démocrate
convaincu et qu’il avait rapproché les îles, ils n’ont pour
autant pas oublié que son régime a été miné par de grandes
affaires de corruption impliquant ses gendres Saïd
Mohamed Mchangama28.
Le dernier régime, celui du Président Taki arrivé au
pouvoir lors des élections présidentielles qui ont suivi le
coup d’Etat réalisé par Bob Denard en septembre 1995
contre le Président Djohar, est considéré par cette

27
Ville située au nord-ouest de Madagascar.
28
Ce gendre de Djohar a quitté la fille de Djohar quelques jours après
le coup d’Etat de Bob Denard et s’est empressé de rejoindre
l’opposant Taki.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 43

« jeunesse intellectuelle » de Marseille comme celui « qui


a fait le plus mal au pays, celui qui a isolé les îles ».
Pour la « jeunesse intellectuelle » comorienne de
Marseille, ce personnage a joué un rôle clé dans le
séparatisme comorien.
Lors des entretiens, ils soulignent le fait que le
Président, depuis son élection en 1996 jusqu’à
l’éclatement de la crise séparatiste, ne s’était rendu qu’une
fois à Anjouan et jamais à Mohéli.
A travers cette critique du paysage politique comorien
depuis la mort de Ali Soilihi jusqu’à la crise politique de
juillet 1997, les « jeunes intellectuels » comoriens
remettent en cause des régimes qu’ils n’ont pas vécu
directement sur place mais qu’ils ont entendu dire de la
bouche de leurs parents présents à Marseille et qui,
voyageaient fréquemment aux Comores.
Pourtant, l’analyse politique faite par cette jeunesse
intellectuelle est remarquable, comme si ces jeunes avaient
assisté eux même à ces différents épisodes de la vie
politique comorienne.
Le caractère étonnant de la qualité de ces jugements
repose aussi sur le fait que cette jeunesse ne s’intéressait
pas, comme elle l’affirme, à la politique comorienne ni à
la politique en général avant cette crise séparatiste.
Cet argument montre bien que la politisation est un
effort, il ne s’agit pas seulement de s’intéresser à la
politique mais de comprendre ce monde.
La politisation se fait étape par étape, et c’est ce que
cette « jeunesse intellectuelle » comorienne de Marseille a
compris.
44 De Marseille aux Comores

Elle investit le champ politique comorien, l’histoire


politique comorienne, en essayant d’en tirer les raisons des
différents problèmes politiques qui ont touché l’archipel.
Après cette critique des différents régimes qui ont suivi
celui de Ali Soilihi, les « jeunes intellectuels » comoriens
vont passer à un deuxième niveau dans leur processus de
politisation : d’un nationalisme syncrétique, spontané par
rapport à cette crise séparatiste, ils passent à un
nationalisme organisé, élaboré en mettant en lumière leur
projet politique.
A partir de ce moment, les comoriens de France
deviennent une ressource politique essentielle pour les «
jeunes intellectuels » comoriens de Marseille.
Ils veulent en effet que chaque comorien de l’hexagone
se sente concerné par la crise séparatiste et qu’ils
s’organisent de façon à ce qu’ils puissent partager apporter
à l’Etat comorien l’expérience de leur condition d’émigré,
de leur vie de tous les jours.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 45

Chapitre II. La mobilisation de la diaspora


comorienne: l’union de toutes les
communautés comoriennes de l’étranger
autour de la dénonciation du séparatisme ?

Le mot « diaspora », construit à partir du grec


diaspeirô, relevait uniquement jusqu’ au milieu du XX ième
siècle, dans les langues européennes, de la théologie ou de
l’étude des religions. Comme l’a montré le sociologue
Stéphane Dufoix29, il s’employait ainsi « en référence au
texte de la bible dans l’Ancien ou le Nouveau Testament
pour caractériser respectivement la dispersion des juifs ou
la situation de l’Eglise chrétienne dispersée parmi les
païens ».
Il s’appliquait également « à des cas non bibliques de
peuple ou de groupe dispersé et uni par la religion ».
Malgré l’édition de 1931 de l’Encyclopedia of The
Social Sciences où l’historien Simon Drubnov estime que
« diaspora » ne se cantonne ni à l’histoire juive ni à
l’histoire religieuse (« l’émigration de personnes touchées
par la crise économique, l’installation à l’étranger de
commerçants, ainsi que d’autres tendances similaires, qui,
ont favorisé la création de communautés de diaspora »),
c’est dans les années 60 que ce terme devient générique
dans les sciences sociales, il va être objet d’une certaine
popularisation dans le champ scientifique.

29
Dufoix Stéphane, Les Diasporas, Paris, Presses universitaires de
France, octobre 2003, 127p.
46 De Marseille aux Comores

Il va ainsi servir de nom pour certaines populations


vivant en dehors d’un territoire de référence, et de
concept spécialisé pour la description de réseaux
marchands spécialisés.
C’est ainsi, que nous entendons parler de diaspora
chinoise, diaspora noire, diaspora juive et de diaspora
palestinienne au cours des années 1970-1980.
Comme l’a suggéré en 1991 le sociologue allemand
Robert Hettlague, la question de la « diaspora » est alors
moins celle d’une théorie que celle de la définition du
terme dans le champ des sciences sociales.
Stéphane Dufoix a distingué trois types de définitions
de diaspora : ouvertes, catégoriques et oxymoriques.
Les définitions ouvertes proposent une vision lâche et
non discriminée de l’objet étudié. C’est comme celle de
Armstrong qui dit « en 1986 que les diasporas modernes
sont des groupes ethniques minoritaires issus de la
migration, qui résident et agissent dans les pays d’accueil
tout en maintenant de forts liens affectifs et matériels avec
leurs pays d’origine, leurs homelands (patries) ».
Les définitions catégoriques, elles, mettent en place des
critères destinés obligatoirement à être remplis par l’objet
pour accéder à la dénomination scientifique de
« diaspora ».
Ainsi, ces critères différencient les « vraies » des
« fausses diasporas ». Nous pouvons citer par exemple le
sociologue Yves Lacoste qui a présenté les « vraies
diasporas » comme celles où il y a « dispersion de la plus
grande partie d’un peuple ».
Le critère ici est non le chiffre absolu mais le chiffre
relatif à la population totale du pays. Selon celui-ci, il
n’existe alors que cinq diasporas : juives (ashkénazes et
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 47

séfarades), libanaise, palestinienne, arménienne et


irlandaise.
Les définitions oxymoriques trouvent « leur fondement
dans l’apparition de la pensée post-moderne » comme l’a
noté Stéphane Dufoix. Elles sont complètement différentes
des deux autres définitions dans le sens ou contrairement à
ces dernières qui insistent sur la référence à un point de
départ et sur le maintien d’une identité malgré la
dispersion, la réflexion postmoderne privilégie, à l’image
des chercheurs anglo-saxons Stuart Hall, James Clifford et
Paul Gilroy qui ont mis en avant cette vision, l’identité
paradoxale, le non centre et l’hybridité.
Allié économique des Comores30, dont l’importance ne
cesse de croître (construction de routes, d’hôpitaux…), les
émigrés comoriens de France, doivent, selon cette
jeunesse intellectuelle, s’unir pour dénoncer le séparatisme
anjouanais et mohélien.
Les comoriens de France ont l’habitude de se
considérer comme une véritable diaspora, cependant, pour
les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille, le
terme « diaspora » ne signifie pas simplement l’idée de
déplacement et de maintien de lien affectif31 et
économique avec la terre d’origine mais qu’il faut y
ajouter l’argument politique.
A cet égard, ils prétendent qu’il n’y a pas de diaspora
comorienne en France mais tout un « cosmos » de

30
Les émigrés comoriens transfèrent aujourd’hui au pays 34 millions
d’euros (chiffres de la Banque Centrale des Comores).
31
Ce que les « »jeunes intellectuels» comoriens » appellent par
« affectif » signifient la fréquence des voyages aux Comores des
comoriens de France.
48 De Marseille aux Comores

communautés comoriennes éparpillées dans les villes


comme Marseille, Paris et Dunkerque.
La crise séparatiste comorienne a entraîné une sorte de
prise de conscience chez ces jeunes comoriens dans la
quête d’une unité de tous les originaires de l’archipel
habitant en France, d’un ralliement de ces derniers pour
former une ressource politique et agir en faveur d’une
professionnalisation de la politique dans le pays d’origine.
La restructuration de cette diaspora doit entraîner selon
les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille une
reconnaissance par le pays d’accueil, la France, de leur
combat pour l’unité des Comores.
Toutefois, minée par les problèmes financiers et les
divergences de points de vue, la diaspora politique
comorienne telle que voulaient la construire les « jeunes
intellectuels » comoriens de Marseille a éclaté. Il ne restait
qu’une sorte d’organisation réunissant seulement les
comoriens de France ayant fait des études supérieurs en
France et en Amérique du Nord et qui s’intéressent à la
politique comorienne.

La représentation de la diaspora comorienne


de France par la « jeunesse intellectuelle »
comorienne de Marseille : d’un « mode enclavé »
à un « mode antagonique ».

Les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille


veulent passer d’un stade de simples communautés
comoriennes de France qui n’ont aucun lien entre elles à
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 49

un autre stade qui entraînerait la création d’une diaspora


politique contre le séparatisme comorien.
Le sociologue Stéphane Dufoix a constitué quatre types
idéaux, dont deux décrivent bien la communauté
comorienne de Marseille et le souhait de la « jeunesse
intellectuelle » comorienne de Marseille, pour expliquer
le mode de structuration de l’expérience collective à
l’étranger.
Le mode « enclavé » représente l’organisation locale,
d’une communauté au sein d’un pays d’accueil, la plupart
du temps dans une ville. Il « peut être inscrit dans le tissu
urbain lui-même quand il s’agit de quartiers
communautaires, mais pouvant également se manifester
par un réseau d’associations rassemblant ceux qui se
ressemblent, l’enclave fonctionne localement et assure
l’interconnaissance de ceux qui y participent », l’enclave
repose ainsi sur une identité partagée.
En outre, les jeunes ont affirmé que la crise séparatiste
ne doit pas seulement intéresser la communauté à
Marseille mais tous les comoriens, toutes les
communautés comoriennes de France comme de
l’étranger, Amérique du Nord, …etc.
Ainsi, la vision de la diaspora comorienne par ces
jeunes se rapproche de ce que le sociologue Stéphane
Dufoix a nommé « mode antagonique ». Pour celui-ci, ce
mode correspond à « un espace politique à la fois national
et transétatique formé par les groupes refusant de
reconnaître la légitimité du régime en place dans leur pays
d’origine ou considérant que leur pays ou leur terre
d’origine est sous occupation étrangère ».
Ceci est synonyme de ce qu’il a appelé dans ces travaux
précédents « l’exopolitie ». Comme l’explique Stéphane
50 De Marseille aux Comores

Dufoix, l’objectif visé par ces groupes exopolitiques « est


la libération du pays, de la nation, du peuple ou de la
terre ».
Ainsi, pour atteindre ce but, ils sont en compétition les
uns avec les autres pour la reconnaissance par les grandes
puissances de leur propre légitimité à mener ce combat.
Stéphane Dufoix affirme que « l’antagonisme peut
parfois aller jusqu’à la guerre réelle entre les exilés et le
régime, sous la forme d’une guérilla (par exemple entre le
Congrès national africain et le régime sud-africain ou entre
les exilés afghans au Pakistan et le régime communiste
puis taliban de Kaboul) ou d’une guerre dans laquelle les
exilés se battent contre l’armée nationale de leur propre
Etat, comme ce fut fréquemment le cas au cours de la
Seconde Guerre Mondiale ».
Il ne faut pas pousser cette analyse à l’extrême et
penser que « les jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille prônent une lutte armée contre le régime en
place aux Comores.
C’est la conférence tenue à Marseille en février 1999
qui a fait naître selon cette « jeunesse intellectuelle »
comorienne de Marseille la diaspora politique comorienne,
avec l’union de toutes les comoriens de l’étranger : cette
union des comoriens de l’étranger était le souhait des
« jeunes intellectuels » de Marseille afin d’éviter une sorte
de concurrence entre les groupes exopolitiques.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 51

La conférence du 27 février 1999 : « la


naissance » de la diaspora politique comorienne.

Les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille ont


réuni le 27 février 1999 à Marseille une vingtaine
d’associations comoriennes de France et d’Amérique du
Nord ainsi que soixante-dix personnalités, notables,
connus dans les diverses îles de Comores.
Au cours de cette conférence, les débats ont porté sur
l’organisation de la diaspora et les propositions des
associations pour une conférence inter-île qui se tenait aux
Comores un mois après.
Dans ce sens, il a été décidé de la mise en place d’un
réseau de coordination des associations de la diaspora
comorienne, et de la nécessité de la participation de la
diaspora cette conférence inter-île.
Ils ont également demandé à l’Organisation de L’Unité
Africaine de se donner les moyens de désarmer les milices
séparatistes et que toutes les composantes de la nation
comorienne soient parties prenantes dans les travaux de
l’Organisation alors que la France y participerait
seulement à titre observateur.
La question de Mayotte a aussi été évoquée à Marseille.
Pour les conférenciers, l’unité nationale ne saurait être
acquise et complète sans la réintégration de cette île dans
l’ensemble comorien. Ils ont demandé à la France de
renoncer à tout projet de départementalisation de Mayotte
et de favoriser la réintégration de Mayotte dans son
ensemble national.
52 De Marseille aux Comores

Ils vont se prononcer en faveur « d’une recherche de


solutions novatrices, notamment à travers le
développement des échanges politiques, économiques,
culturels et sportifs entre Mayotte et les îles sœurs ».
Les associations de la diaspora comorienne ont aussi
mis en avant le fait que les comoriens à l’étranger « jouent
un rôle majeur dans l’évolution du pays d’origine sans
qu’aucun statut ne leur soit attribués ».
Par conséquent, un comité de sept membres a été
constitué, chargé de la coordination du réseau et de
l’élaboration d’une charte de la diaspora comorienne.
Les diverses gens présents à cette conférence ont appelé
l’ensemble des associations et des personnalités défendant
l’unité nationale et l’intégrité des Comores à apporter leur
soutien à un professeur anjouanais de l’INALCO32,
Ahmed Chamanga, dans le procès qui lui était intenté par
les séparatistes anjouanais et des mouvements français
d’extrême droite.
Dans son journal Masiwa, il avait critiqué le
séparatisme et l’ingérence dans cette crise de certaines
personnalités proches du Front National.
Comme l’a affirmé un jeune historien comorien, le
« rendez-vous » de Marseille était « un grand moment,
l’occasion de montrer que malgré tout ce qu’ils ont vécu
depuis le début de la crise sécessionniste33, ils savent
aussi se retrouver et affirmer la pérennité de la fraternité
comorienne ».
Cependant comme a dit « professeur Chamanga »,
invité à cette conférence, « il est toujours beau de dire ce
qu’on pense mais encore faut-il faire ce qu’on dit ».

32
Institut National des Langues et Civilisations orientales.
33
Déclarations racistes des séparatistes, demande de recolonisation…
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 53

L’euphorie née de cette création de la diaspora


politique comorienne à Marseille n’a pas duré longtemps.
La disposition des individus durant cette conférence de
Marseille a révélé un élément très important : en première
ligne, se trouvaient les « jeunes intellectuels » comoriens
de Marseille ainsi que d’autres jeunes qui ont fait leurs
études supérieures dans d’autres villes françaises et en
Amérique du Nord et derrière, étaient placés les notables
représentant les diverses îles comoriennes.
Ce sont les jeunes comoriens de France, ceux qui sont
passés par l’école française qui ont dominé les débats par
opposition aux notables.
Cet élément est très important, il participe à
l’éclatement de l’unité politique qui liait depuis cette
conférence, les communautés comoriennes de l’étranger.

L’effondrement de la diaspora politique : de la


diaspora politique à la communauté comorienne
de Marseille, changement de plan.

Après la conférence de Marseille, les « jeunes


intellectuels » comoriens de Marseille qui sont les
instigateurs de l’union entre les communautés
comoriennes pour dénoncer le séparatisme en vigueur
dans les îles, se rendent compte de la difficulté de la tâche.
La diaspora comorienne se retrouve confrontée à de
nombreux problèmes : le premier élément est financier. En
effet, pour qu’un groupe politique puisse fonctionner, il ne
faut pas négliger le rôle de l’argent. A cet égard, devant le
manque de moyens financiers, un bon nombre de
54 De Marseille aux Comores

colloques devant réunir la diaspora comorienne a été


annulé.
Egalement, devant les embargos financiers, sur certains
aliments et sur les médicaments, décrétés par le
gouvernement comorien envers l’île d’Anjouan, les
notables originaires de l’île d’Anjouan s’unissent afin de
dénoncer les décisions du gouvernement des Comores qui
ont pour but selon eux « d’isoler l’île d’Anjouan ».
La diaspora politique se désorganise petit à petit,
certains notables retraités originaires de l’île d’Anjouan,
qui ont assisté à la conférence de Marseille, essayent de
s’insérer dans le paysage politique anjouanais en
proposant leurs services au gouvernement sécessionniste
de cette île.
La plupart des notables grand comoriens présente à la
naissance de la diaspora politique le 27 février 1999 quitte
le mouvement.
Ils affirment que si les notables anjouanais ont rejoint la
défense de leur île et non celle du pays, cela est leur choix
et qu’il faut l’accepter.
Cependant, la raison la plus significative est celle qui
consiste au fait que ces notables grand comoriens qui pour
la majorité sont des comoriens de Marseille, ont peur de
voir leur pouvoir dans la communauté se fragiliser avec la
montée en puissance de la « jeunesse intellectuelle »,
d’une classe qui ne cesse de contester certaines valeurs et
normes de la communauté en les qualifiant de désuètes et
d’atteinte à la liberté individuelle.
Suite à l’abandon de la cause unioniste par les notables
anjouanais et le retrait des notables grands comoriens de
France, la diaspora politique fondée le 27 février 1999, ne
regroupe que les « jeunes intellectuels » comoriens de
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 55

Marseille ainsi que d’autres intellectuels (cadres,


étudiants, journalistes) de Paris, de Dunkerque, des Etats-
Unis et du Canada.
Alors que les jeunes comoriens de Marseille voulaient
unir toutes les communautés comoriennes de l’étranger
pour agir directement aux Comores afin de lutter contre la
crise séparatiste, ils se rendent compte de la nécessité de
modifier les plans.
Avec cet effritement de la diaspora politique provoquée
par les notables comoriens de diverses villes françaises,
les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille
investissent le champ communautaire comorien de cette
ville pour réaliser au niveau local ce qu’ils voulaient
mettre en œuvre sur le plan national.
Ces jeunes se présentent comme uniques défenseurs de
la cause de l’unité comorienne et stigmatisent la tradition
importée de la Grande Comore : ils prônent un abandon de
certaines traditions perçues comme contraires à la
cohésion des Comores et à l’identité comorienne.
Nous assistons ainsi à un changement de terrain, alors
que les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille
croyaient que la mobilisation de toutes les communautés
comoriennes présentes à l’étranger dans un esprit d’unité
afin de condamner la crise séparatiste comorienne
permettrait d’agir directement aux Comores, ils
s’aperçoivent que l’évolution de la politique dans
l’archipel doit d’abord passer par une transformation des
représentations en vigueur dans la plus grande
communauté comorienne de l’étranger, celle de leur
propre ville.
Le passage d’un nationalisme syncrétique, de réaction à
un nationalisme organisé, même s’ils ont échoué dans leur
56 De Marseille aux Comores

idée de diaspora, démontre bien que les « jeunes


intellectuels » comoriens de Marseille ont franchi un pas
important.
Comme l’a montré Stéphane Dufoix, la politisation de
ces migrants, « intervient par une prise de position sur la
légitimité tend à envahir toute l’espace communautaire et
à imposer à tous le choix d’un camp », le leur.
Celle-ci « transforme en opposant des individus, des
associations, des journaux, qui n’étaient parfois
auparavant que des migrants économiques ou de simples
moyens de conserver un lien avec le pays quitté ».
Deuxième partie
La crise séparatiste comorienne de juillet 1997,
fenêtre d’opportunité pour la jeunesse
intellectuelle comorienne de Marseille.
60 De Marseille aux Comores

La jeunesse intellectuelle présente cette crise séparatiste


comme le fruit des représentations privilégiant les notions
de préférence villageoise et insulaire qui existent aux
Comores et qui ont été importées à Marseille par les
émigrés des années 1970.
Ces jeunes veulent montrer au reste de la communauté
que celle-ci doit s’organiser autour de nouvelles idées,
« d’un nouvel état d’esprit » qui unit les comoriens sans
clivages entre les îles.
Ainsi, dans leur discours, ils ne signalent pas de quelle
île ou de quelle ville ils viennent mais affirment qu’ils sont
originaires de « l’archipel des Comores ».
Le nouveau référentiel communautaire qu’ils souhaitent
créer au lendemain de cette crise est dans ce sens destiné à
prendre en compte les conditions de vie difficiles des
émigrés à Marseille ainsi que le fait qu’elle doit sortir de
sa discrétion et devenir plus visible dans cette ville.
C’est donc dans ce sens que les jeunes comoriens de
Marseille vont œuvrer au lendemain de cette crise
séparatiste. C’est ainsi que le néologisme Washko34,
contraction de Washi Komori, qui signifie originaire des
Comores (en comorien), inventé par des jeunes de
Sarcelles dans le but de désigner les comoriens d’une
façon originale et exprimant la rupture avec le
conformisme d’une époque, avec les us et les coutumes de
toute une génération va être utilisée pour servir de
« marque de fabrique » à « la renaissance » de la
communauté comorienne de Marseille.
Comme l’ont montré Karima Direche-Slimani et
Fabienne Le Houerou, le washko « remet en cause la

34
Maandziche, « Washko dans l’hexagone », l’éditorial, no 1, mars
avril mai 2000.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 61

hiérarchie sociale et les traditions sclérosantes comme le


grand Mariage, bouscule la vieille garde notabiliaire
couverte d’honneurs, stigmatise les archaïsmes
économiques et sociaux qui pèsent sur l’archipel et sur les
gens de l’exil, et n’hésite pas à afficher des positions
politiques radicales et tranchées ».
L’objectif de ces jeunes est donc d’emmener les
anciens à reconnaître leurs erreurs et à admettre l’utilité de
reformuler une identité comorienne, s’inspirant des
valeurs du pays d’accueil mais aussi de la ville de
Marseille, ville fortement métissée, cosmopolite.
Ainsi, les « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille ont-ils pu grâce à cette crise séparatiste refonder
la communauté comorienne de cette ville à partir de
critères auparavant jugés par les anciens de la
communauté comme anti-traditionnels et dangereux pour
l’avenir des Comores ?
En effet, ces jeunes de part leur fréquentation d’un
autre milieu, d’individus n’appartenant pas à la
communauté comorienne de Marseille, leur refus de
partager certaines valeurs de leur communauté, et les
critiques qu’ils émettaient envers les anciens, étaient
considérés par ces derniers comme des « gens marginaux,
déviants, trop français ».
« Perdus » pour leur groupe comme pour eux-mêmes
selon la vision des anciens, ces jeunes sont perçus comme
des égarés, au sens propre comme au sens figuré, au sens
physique comme au sens moral : le fait de « se perdre »
dans un monde physique ou humain inconnu, hostile, où
« ils ne peuvent s’orienter », « perdus pour les siens »
c'est-à-dire au regard de normes sociales exprimant la
vérité d’un groupe à un moment donné de son histoire.
62 De Marseille aux Comores

Sous de multiples rapports, ces « jeunes intellectuels »


comoriens de Marseille sont en rupture avec l’émigration
de leurs parents, et sans doute parce qu’influencés par la
socialisation en France, ensemble des mécanismes par
lesquels les individus font l’apprentissage des rapports
sociaux entre les hommes et assimilent les normes d’une
société, ils étaient prédisposés à l’être.
En effet, les normes et les valeurs que cette jeunesse
intellectuelle a héritées de sa socialisation scolaire sont
parfois en contradiction avec les règles de leur propre
famille.
Ainsi, opposés à la doxa partagée par la majeure partie
de la communauté, ces « jeunes intellectuels », taxés
d’égarés parce qu’ils étaient enclins à contrevenir aux
normes de leur groupe, ont vu en la crise séparatiste
comorienne « une opportunité pour en finir avec certaines
traditions jugées « séparatistes et dépassées » et essayer de
refonder la communauté en y incluant d’autres valeurs
non-basées sur l’honneur mais sur la méritocratie et la
réussite individuelle.
Avec la refondation de leur communauté, les jeunes
comoriens de Marseille vont chercher à occuper les
positions élevées dans celle-ci.
Ainsi, ils vont construire une différenciation entre
émigration et immigration, se considérant comme des
immigrés et non comme des émigrés.
Pour cette jeunesse, le retour au pays contrairement à
leurs aïeux, « qui sont toujours restés émigrés » est plus
proche du mythe que de la réalité.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 63

Chapitre I : La confrontation avec les


anciens qui dirigent la communauté : la
rencontre de valeurs opposées.

En sociologie, la notion de communauté s’oppose


comme l’a affirmé Stéphane Dufoix à celle de société.
Ferdinand Tönnies dans son ouvrage Communauté et
société en 1887 a défini la société comme naturelle alors
que la seconde repose sur l’artifice : « Tout ce qui est
confiant, intime, vivant exclusivement ensemble est
compris comme la vie en communauté (…).
La société est ce qui est public, elle est le monde ; on se
trouve au contraire en communauté avec les siens depuis
la naissance, lié à eux dans le bien comme dans le mal. On
entre dans la société comme en terre étrangère ».
Selon Stéphane Dufoix, « Communauté et Société
peuvent cohabiter mais l’ère de la société remplace celle
de la communauté quand les relations contractuelles
priment sur les relations de sang et de localité : c’est la
modernité ». Il dit aussi que « la communauté n’existe pas
en soi malgré son appui sur des caractéristiques
naturelles telles que le sang, l’ethnie, la couleur de la peau,
la caste, le clan, qui sont autant d’identités ascrites dont on
ne peut se détacher et dont l’accès est difficile si ce n’est
impossible ».
Comme disaient Durkheim et Weber au tout début du
XXième siècle à propos du facteur racial, la seule
appartenance objective à un groupe « naturel » n’est pas la
cause de phénomènes sociaux socialement significatives,
car le social ne peut s’expliquer par le naturel.
64 De Marseille aux Comores

Pour Weber, la communautarisation est une relation


sociale fondée sur le sentiment subjectif d’appartenir à une
même communauté.
Stéphane Dufoix a ainsi argué que « la concentration
des arrivants dans une même ville favorise le processus de
(re)constitution de l’entre soi. Le local devient alors le lieu
de production d’identités communautaires sur le modèle
de celles qui prévalaient au pays, par l’intermédiaire
d’institutions ou de pratiques assurant la pertinence
actuelle des cadres d’hier et maintenant, et ce si possible
par-delà les générations ».
Ainsi, comme le montre ce sociologue, la communauté
n’existe pas par elle-même. Elle est « la forme organisée,
structurée, objectivement visible, des points communs les
plus intimes en terme d’origine ».
Ainsi, dans ce sens, la communauté n’est pas la simple
somme de tous ceux qui viennent du même pays, son unité
repose sur des signes, des valeurs et des règles dont le
contrôle revient à des autorités.
Selon Stéphane Dufoix, « si ceux qui les incarnent
détiennent, par leur rang naturel ou acquis, une parole
autorisée et donc capable d’effets, ils sont tout autant crées
par la communauté qui les reconnaît que créateurs de la
communauté qu’ils représentent ».
Les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille,
avec leur projet de changer les représentations qu’ils
qualifient de « séparatistes » en vigueur dans la
communauté comorienne de cette ville et d’obtenir une
meilleure visibilité auprès du pays d’accueil, vont faire
évoluer cette dialectique.
Les particularismes s’effacent (préférences villageoises,
insulaires) et laissent donc place à une identité commune à
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 65

tous, l’identité comorienne, une communauté nationale,


« une véritable communauté comorienne », une
communauté réformée.
La communauté fonctionne sur un idéal de continuité
avec l’origine mais selon les nombreuses études sur les
communautés, la transplantation des traditions ne se fait
pas à l’identique : elle subit tôt ou tard l’influence des
transformations que connaissent les structures mentales
des migrants et de leurs descendants.
Parfois même, les migrants font exister des traditions
qui ont été abandonnées dans le pays d’accueil en raison
de la distance qui les sépare de leur pays d’origine ou pour
emprunter l’expression du sociologue Abdelmalek Sayad,
de la « double absence » 35 comme c’est le cas chez les
anciens de la communauté de Marseille, migrants des
années 70, qui, selon les « jeunes intellectuels » comoriens
de Marseille, sont « ni ici, ni là-bas ».
Ce sont ceux qui ont un capital culturel élevé, ceux qui
ont fait des études élevées, qui ont des diplômes, les
migrants qui ont le mieux assimilé les valeurs et les
normes du pays d’accueil, qui peuvent transformer leur
communauté.
Cependant, il ne faut pas penser que la mutation de la
communauté est automatique : contrairement à ce que
sous-entendent certaines analyses sur les communautés, il
faut une lutte, une confrontation entre anciens et jeunes,
entre des valeurs opposées pour arriver à la refonte de la
communauté.
Ces jeunes, acculturés à la société d’accueil grâce au
contact fréquent avec des personnalités diverses, doivent

35
SAYAD Abdelmalek, La double absence : Des illusions de
l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999, 437p.
66 De Marseille aux Comores

trouver un moyen de légitimer cette confrontation avec


les anciens de la communauté, ceux qui sont prisonniers
des représentations importées du pays d’origine.

De la défense d’une culture comorienne au


singulier à une remise en cause politique des
traditions.

La question d’une seule culture comorienne fait débat


depuis plusieurs années.
La culture comorienne, culture swahilie, est très
difficile à appréhender. Issue de la réunion d’influences
arabes, persanes, africaines et indonésiennes, la culture
comorienne est soumise à des particularismes coutumiers
qui remettent en cause sa singularité.
A cet égard, les diverses personnalités qui ont défendu
le maintien de Mayotte dans la République française en
1974 ont souligné la différence culturelle entre cette île à
forte population d’origine malgache par opposition à la
Grande Comore et à Anjouan.
La défense de plusieurs cultures comoriennes est très
présente chez les anciens de la communauté comorienne
de Marseille. En effet, ceux-ci, en majorité grand
comoriens, ont l’habitude d’exalter le fait que « leur
culture » est différente de celle des autres îles36, ils
illustrent cela par l’exemple du Grand mariage grand
comorien où l’argent coule à flot par opposition au Grand
mariage anjouanais.

36
Entretien H. M.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 67

Pour les gens qui défendent la singularité de la culture


comorienne, la religion, l’islam, présente en majorité dans
chaque île, est le ciment de la culture comorienne, le
facteur de cohésion de « cette population
extraordinairement métissée » 37.
L’archipel des Comores compte 99,5% de musulmans.
L’islam a été introduit entre le VIII ème et le IX ième siècle
et, s’est développé sous sa forme sunnite chaféite38 mais il
existe de nombreuses confréries qui se partagent la vie
religieuse. C’est dans le cadre d’une culture comorienne
singulière que les « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille se sont inscrits.
Ainsi, à la suite de la crise séparatiste, ils ont organisé
des ateliers de réflexion sur la culture comorienne et ont à
travers des livres, critiqué toute forme d’atteinte à la
culture comorienne.
La jeunesse comorienne de Marseille comme toute
autre jeunesse d’une communauté migrante porte un
jugement assez sévère envers la tradition.
La tradition la plus critiquée est le Grand mariage. En
effet, le Grand mariage est pour le comorien « l’acte social
le plus important dans son existence » 39. Ce mariage
coutumier permet au marié de devenir un être accompli, il

37
Direche-Slimani Karima, Le Houérou Fabienne, Les Comoriens à
Marseille : D’une Mémoire à l’autre, Paris, Editions Autrement,
2002, p.19.
38
Ecole d’interprétation de l’islam sunnite, fondée sur les
enseignements du théologien Abû Abdallah Muhammad Ibn Idris Al-
Shafi’i, qui, tenta de faire la synthèse entre la volonté divine et les
raisonnements humains.
39
Direche-Slimani Karima, Le Houérou Fabienne, Les Comoriens à
Marseille : D’une Mémoire à l’autre, Paris, Editions Autrement,
2002, p.125.
68 De Marseille aux Comores

se soumet ainsi à des cérémonies très onéreuses qui ne


peuvent avoir lieu qu’aux Comores mais, qui sont
préparées à l’étranger.
En effet, c’est à partir du pays d’accueil, de la France,
que tout s’organise, c’est le lieu où ceux qui veulent faire
le Grand mariage trouve les ressources financières
nécessaires à la réalisation de celui-ci; ce Grand mariage
est la récompense de l’exil..
Ainsi comme l’a montré Karima Direche-Slimani40,
nous ne constatons pas chez l’émigré comorien une
certaine nostalgie, une douleur forte, envers son pays que
l’on trouve particulièrement chez les émigrés kabyles.
L’exil n’est pas synonyme de marginalisation du migrant
dans son village d’origine à cause du départ mais il
participe à l’accomplissement de soi.
Avant la crise séparatiste comorienne, la remise en
cause de cet ensemble de cérémonies par la jeunesse
intellectuelle comorienne de Marseille concernait ainsi son
caractère dépensier et sa fonction de rite de passage, le
passage dans son accomplissement d’un individu non
reconnu dans la société à un être auréolé d’honneur et de
prestige.
Ces jeunes trouvaient anormal, contraire à leurs
principes, le fait qu’un individu qui n’a pas les moyens
pour réaliser ce Grand mariage se retrouve à la marge de
la société comorienne et soit considéré comme un « sous-
être ».
Avec cette situation politique dans l’archipel, c’est un
nouvel argument qui fait son apparition, celui selon lequel

40
Direche-Slimani Karima, Histoire de l’émigration kabyle en France
au XX ième siècle. Réalités politiques et culturelles et réappropriations
identitaires, Paris, l’Harmattan, 1997.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 69

le Grand mariage perpétue le séparatisme, divise les


comoriens au lieu de les unir.
En effet, la plupart des Grands mariages se fait entre
personnes du même village.
Ce type de Grand mariage est même plus fréquent
qu’entre individus issus de la même île : ces jeunes
parlent d’une pratique « obsolète, dépassée
et discriminatoire ».
Pour les premiers émigrés, les anciens, le but de « ce
mariage local » est de renforcer les liens familiaux très
forts, il est vu comme une union idéale.
Ces Grand mariages sont un pôle de rupture avec les
générations : les « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille les considérant comme une sorte de repli
familial, villageois ou insulaire et non comme participant à
la mise en avant d’une conscience nationale comorienne.
Ainsi, se développe tout un discours destiné à stigmatiser
les anciens de la communauté de la part des « jeunes
intellectuels » comoriens de Marseille.
Par ailleurs, ces jeunes critiquent aussi la présence
hebdomadaire des anciens de la communauté à la « place
d’Aix ». En effet, cette place qui, comme nous l’avons vu
précédemment correspond « au bangwe » comorien (place
publique), est l’endroit où « les anciens » palabrent,
discutent de ceux qui n’ont pas fait le Grand mariage, et
commentent les nouvelles politiques qui proviennent du
pays.
Pour les jeunes comoriens de Marseille, cette place
incarne à elle-seule la passivité des comoriens à Marseille,
leur absence en tant qu’organe dans la vie politique et
sociale de la ville de Marseille.
70 De Marseille aux Comores

La disposition des comoriens dans cette place d’Aix a


retenu l’attention des « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille.
En effet, celle-ci est le cliché de la préférence
villageoise et insulaire auquel obéit la communauté
comorienne de Marseille : les grands comoriens sont entre
eux, de même que les anjouanais et les mohéliens.
Cette occupation de l’espace par les comoriens (ceux
d’une île restant éloignés de ceux de l’autre île) révèle une
sorte de malaise, comme si « des frontières
psychologiques » les séparaient.
Un « autre rituel » a été épinglée par les « jeunes
intellectuels » comoriens de Marseille : c’est celle qui
consiste à ce qu’un homme politique comorien qui veut se
faire élire au pays se rende à Marseille afin que les
anciens, qui disposent d’un pouvoir charismatique ou
traditionnel (ce sont souvent des religieux), mobilisent « la
masse communautaire » en faveur de cette personne.
Les jeunes remettent en cause ici cette forme de
politisation par opposition à la leur, qu’il qualifie de
« démocratique ».
Cette politisation des anciens de la communauté est
ainsi perçue comme charismatique, basée sur le charisme
du dirigeant ou sur le fait qu’il vient de tel ou tel village,
ou de l’île de la Grande Comore.
A celle-ci, les « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille préfèrent donc une politisation basée sur le
registre légal- rationnel : chacun doit voter pour celui qu’il
veut sans tenir compte de la position que le dirigeant
occupe dans la société comorienne, de son île ou village
d’origine, mais en prenant comme référence son projet
politique pour l’archipel.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 71

Pour ces jeunes, le futur candidat à l’élection


présidentielle comorienne qui désire se rendre à Marseille
ne doit pas passer les anciens afin que ceux-ci mobilisent
les comoriens mais doit présenter un véritable programme
politique, une formalisation des désirs des comoriens des
Comores et de ceux de l’étranger.
Dans le but de réformer les représentations en vigueur
dans la communauté comorienne de Marseille, ces
« jeunes intellectuels » vont élaborer un discours de
l’absence.
Pour ceux-ci, les anciens, qui ont les rênes de la
communauté ne sont ni ici ni là-bas, ils sont dans leur
« bulle communautaire ».
Ils ne s’occupent ni des conditions de vie difficile, de
l’immigré, du comorien à l’étranger ni à la ville de
Marseille mais pensent seulement qu’à une seule chose :
celle du retour au pays pour faire le Grand mariage.
Or, pour les « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille, il faut être présent à Marseille et s’occuper des
problèmes qui relèvent de l’acculturation et de
l’intégration.
Pour ces jeunes, Marseille est une partie d’eux-mêmes,
« c’est la ville qui nous a accueilli », « la ville de France
qui nous ressemble le plus », affirment-ils. Ils mettent en
lumière l’idée selon laquelle la communauté comorienne
doit s’ouvrir à Marseille, aux marseillais, « à cette société
du métissage ».
Ils clament que la communauté ne doit pas « rester en
autarcie » et qu’il serait bon d’inclure dans celle-ci
certaines valeurs et normes du pays d’accueil et que le
migrant doit profiter de sa condition d’exilé pour
découvrir, ce qu’il ne connaît pas.
72 De Marseille aux Comores

Ils insistent sur le fait que les comoriens de Marseille


doivent apprendre leurs droits en France, et ainsi ne pas
voir en la ville d’accueil un terrain de passage pour
repartir demain, quand viendra le moment où ils
considéreront qu’ils ont mis assez d’argent de côté pour
refermer la page de l’exil.

Le poids des mots : l’élaboration d’un


discours de l’absence.

Comme disait Abdelmalek Sayad, « l’intégration est


cette espèce de processus dont on ne peut parler qu’après
coup, pour dire qu’elle a réussi ou qu’elle a échoué ; un
processus qui consiste, idéalement, à passer de l’altérité la
plus radicale à l’identité la plus totale (ou voulue comme
telle); un processus dont on constate le terme, le résultat,
mais qu’on ne peut saisir en cours d’accomplissement car
il engage tout l’être social des personnes concernées et
celui de la société dans son ensemble »41.
Après avoir dénoncé certaines traditions importées des
Comores par « leurs parents », les « jeunes intellectuels »
comoriens de Marseille critiquent l’absence de la
communauté comorienne dans cette ville.
Ils disent que ces anciens de la communauté sont
doublement absents, absents de leur pays d’origine mais
aussi absents dans la ville d’accueil. Les anciens de la
communauté sont perçus par ces « jeunes intellectuels »
41
Sayad Abdelmalek, La double absence : Des illusions de l’immigré
aux souffrances de l’émigré, Paris, Seuil, 1999, 439 p.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 73

comoriens de Marseille comme des individus qui bien


qu’intégrés à la société française cultivent « le
communautarisme exacerbé ». Selon ces jeunes, ils
doivent s’ouvrir au monde, à la société française.
Par ailleurs, les « jeunes intellectuels comoriens » de
Marseille rompent avec le terme émigration et parle plutôt
d’immigration.
Pour eux, c’est parce que ces anciens se considèrent
comme des migrants qu’ils se replient dans leur
communauté, et se mettent à la marge de la société
d’accueil. Ces anciens sont ainsi considérés par ces jeunes
comme des « marginaux ».
Ces anciens vivent donc l’exil, la migration, comme
une simple étape, une étape de transition, de
transformation d’un individu parti sans rien, sans
reconnaissance du pays d’origine à un autre auréolé de
réussite à travers l’aspect financier.
La migration est ainsi synonyme, pour ces jeunes,
d’absence, d’une absence morale et spirituelle alors que
l’immigration, elle, prend en compte les conditions de vie
difficiles de l’exilé.
Ce discours péjoratif, stigmatisant envers les dirigeants
de la communauté, développé par les « jeunes
intellectuels » comoriens de Marseille entraîne un certain
malaise chez les anciens, la « masse communautaire » est
poussée à réfléchir et à regarder avec un œil critique leurs
aïeux.
Ainsi, petit à petit, émerge dans la pensée de « cette
masse », la nécessité d’ouvrir le champ communautaire, de
s’intéresser « à ce qui a autour ».
Par les mots, le discours, les « jeunes intellectuels » de
Marseille remettent petit à petit en cause de l’extérieur, le
74 De Marseille aux Comores

pouvoir des anciens et veulent tourner la « masse


communautaire » vers leur conception de la communauté,
qui, doit prendre en compte les problèmes de vie de
l’immigré en France.
C’est dans ce sens que les « jeunes intellectuels »
veulent restructurer les associations qu’ils ont créées au
milieu des années 1990 : en effet, celles-ci, outre leur but
de fédérer tous les comoriens de Marseille sans clivages
entre îles, prônent des initiatives propres qui visent à sortir
les comoriens de l’invisibilité à Marseille.
Ces « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille
posent ainsi le problème du mythe du retour au pays, qui
selon eux n’a jamais « contribué à valoriser ou à
encourager l’investissement privé et individuel en
42
France » .

De nouvelles associations qui concurrencent


les anciennes: du sentiment « out » au « in ».

Les comoriens comme l’ont affirmé Karima Direche-


Slimani et Fabienne Le Houerou « se distinguent à
Marseille par une organisation associative dense et
complexe ».

42
Tourqui Saïd Saïd Ahmed, « Esprit d’entreprise : L’âme de fond »,
Comores Mag, n°1, août octobre 2002, p.9.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 75

Pour les comoriens, l’association est un lieu de


regroupement communautaire mais « également d’action
sociale et culturelle ».
Les associations créées par les anciens, les premiers
émigrés, se rattachent au village d’origine.
En effet, les personnes de tel ou tel village se réunissent
entre eux afin de réaliser des investissements dans leur
propre localité.
Ce cadre associatif permet ainsi de mettre en avant et
de renforcer l’appartenance au village d’origine qu comme
l’a montré Véronique Rey dans son étude qui portait sur
les comoriens du quartier du Panier, est « le premier
marqueur identitaire »43.
Dans ce type d’associations, on retrouve la même
organisation sociale qu’en grande Comore, avec sa
hiérarchie, ses notables…etc.
Karima Direche-Slimani et Fabienne Le Houerou ont
aussi insisté sur le fait que « ces associations sont
marquées par des logiques familiales très fortes et sont
intimement mêlées à l’organisation et au développement
des villages d’origine » 44.
Ces associations dépendent du village d’origine, ce
dernier attendant énormément de ses migrants, l’exil étant
synonyme de réussite matérielle, d’aides financières , de
solidarité pour ceux restés au pays.

43
Rey Véronique, Etude d’une communauté ethnique, Les comoriens
dans un quartier marseillais, Le Panier, maîtrise d’ethnologie,
Université de Provence, 1985.
44
Direche-Slimani Karima, Le Houérou Fabienne, Les Comoriens à
Marseille : D’une Mémoire à l’autre, Paris, Editions Autrement,
2002, p.51.
76 De Marseille aux Comores

Les rivalités entre villages aux Comores entraînent


aussi une très grande concurrence entre ces associations.
Ces associations participent à l’absence dans la vie de
la ville de Marseille des comoriens en tant que
communauté : En effet, les leaders de ces associations, qui
sont des anciens, des émigrés des années 1970 venus
trouver du travail à Marseille, se présentent chacun
comme les dirigeants de la communauté comorienne de
Marseille. Ainsi, cela gênait la mairie de Marseille qui,
peinait à trouver un interlocuteur légitime dans cette
communauté.
Dans ce sens comme l’ont montré Karima-Direche
Slimani et Fabienne Le Houerou, « ce constat est
d’ailleurs souvent utilisé comme un argument politique
pour justifier la non-représentation des comoriens dans les
instances désignées aux communautés étrangères de la
ville » 45.
Ces associations encadrent l’individu dans tous les
aspects de son existence, elles exercent un contrôle fort sur
celui-ci en reproduisant en émigration des pratiques
sociales de soumission.
Ces associations villageoises se posent comme
attentives au comportement des membres, comme l’ont
noté Karima Direche-Slimani et Fabienne Le Houerou,
« elles s’insurgent contre certaine attitudes jugées
déviantes (consommation d’alcool ou absence de pratique
religieuse), donne des conseils à des parents considérés
comme démissionnaires devant leurs responsabilités
familiales et peut parfois aller jusqu’à la mise en
quarantaine de l’individu. Celui-ci (et sa famille) est alors
exclu de toutes les célébrations religieuses ou festives et,
45
Idem.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 77

pour retrouver sa place, doit faire amende honorable en


donnant une forte somme d’argent ou en organisant des
repas collectifs ».
Au milieu des années 1990, les « jeunes intellectuels »
comoriens décident de créer d’autres associations qui
seraient en rupture avec celles qui sont à caractère
villageois.
La FECOM (Fédération des Comoriens de Marseille)
par exemple, avait pour objectif premier de fédérer tous
les comoriens de Marseille et aider les nouveaux migrants
dans leurs démarches administratives.
Avant la crise séparatiste comorienne cette association
était considérée comme une parmi tant d’autres, elle ne
réunissait que des grand comoriens et, était confrontée à
de véritables problèmes financiers (détournements de
fonds…).
Or, après la crise politique, l’association s’est
restructurée et a changé d’objet: les « jeunes intellectuels »
comoriens de Marseille vont ajouter à l’union des
comoriens de Marseille l’expression « sans clivages entre
les îles ». C’est ainsi que le 8 juillet 1999, les nouveaux
locaux de la FECOM, à la rue Mazenod, sont inaugurés.
Ainsi, dans un article anonyme tiré du magazine
Comores Mag46 de juillet et août 1999, un jeune
journaliste comorien de Marseille affirme que depuis sa
création jusqu’en juillet 1999, soit deux mois après la prise
de pouvoir du colonel Azali Assoumani à Moroni, ce qui a
exacerbé le séparatisme anjouanais et mohélien, « la
FECOM ressemblait plus à un vieux garage qu’à une

46
Inconnu, « Inauguration de la Fédération Comorienne », Comores
Mag, n°6, juillet août 1999, p.7.
78 De Marseille aux Comores

institution censée représentée une communauté riche de


plus 70000 ressortissants à Marseille ».
Ces nouvelles associations vont s’ouvrir à la politique
comorienne dans le sens de la défense de l’unité de
l’archipel. Elles dénoncent ainsi les anciennes en les
qualifiant d’associations « fermées ».
Par ailleurs ces nouvelles associations, transformées par
la crise séparatiste, se présentent au fil des mois qui
suivent la crise séparatiste comme étant légitimes aux
yeux de la masse communautaire comorienne.
Ces associations crées par les « jeunes intellectuels »
comoriens de Marseille et qui privilégient les activités
éditoriales et artistiques, se présentent comme une fenêtre
placée entre les Comores et la France.
Alors que ces associations existaient depuis le milieu
des années 90 (sauf pour Comores Mag crée en 1999)
mais ne possédaient ni base solide ni reconnaissance dans
la communauté comorienne de Marseille, les « jeunes
intellectuels » comoriens de Marseille profitent de la crise
séparatiste pour les restructurer et montrer leurs
divergences de points de vue avec les associations
traditionnelles.
Avec cette crise séparatiste, les « jeunes intellectuels »
comoriens de Marseille voient leur combat légitimé par ce
que nous appelons la masse communautaire et pénètrent à
l’intérieur de la communauté en osant faire bloc afin de
remettre en cause le pouvoir « des anciens ».
S’intéresser à l’évolution politique des Comores tout en
agissant en faveur d’une bonne visibilité des comoriens de
Marseille est le mot d’ordre de ces nouvelles associations.
Ces jeunes, qui, ont toujours été considérés par les
anciens comme « des hors la loi », plaisent aux jeunes de
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 79

la troisième génération ainsi qu’à certaines personnes de la


communauté qui remettaient en cause les règles
communautaires rigoureuses imposées par les anciens.
La crise séparatiste leur a ouvert une voie : de la
politisation à leur entrée fulgurante à l’intérieur de la
communauté comorienne, espace qui était bien délimité
par des frontières psychologiques, les « jeunes
intellectuels » comoriens se lancent vers le monopole du
discours communautaire dans le but de faire de la
communauté comorienne de Marseille un exemple pour
les Comores et pour les autres communautés immigrées à
l’étranger.
Ces « jeunes intellectuels » comoriens de cette ville se
lancent contre la place de dirigeants que les anciens de la
communauté, contre leurs propres parents. Ils réalisent ce
qu’ils n’auraient pas fait quelques années auparavant : en
s’emparant d’un problème qui concerne l’avenir de
l’archipel des Comores et qui donc doit en principe heurter
tous les comoriens de l’étranger, la crise séparatiste aux
Comores, les « jeunes intellectuels » comoriens atteignent
un rang qui a fait d’eux le principal interlocuteur de la
communauté comorienne de Marseille.
80 De Marseille aux Comores

Chapitre II : La nécessité de « l’équilibre » :


la monopolisation du discours
communautaire.

Les associations crées par les « jeunes intellectuels »


comoriens de Marseille (FECOM, Comores Mag) qui,
réunissent les comoriens sans tenir compte de leurs îles
d’origine, et qui s’occupent des démarches administratives
de ces gens à Marseille, attirent énormément de comoriens
qui étaient membres des associations traditionnelles.
Alors que pour la majorité des comoriens de Marseille,
de ceux qui sont là depuis longtemps comme des
nouveaux migrants, avait auparavant comme
interlocuteurs les associations villageoises, celle-ci se
tourne vers les nouvelles associations, vers ces
associations dont les dirigeants ne mettent en avant ni leur
village ni leur île d’origine.
Ces associations sont perçues ainsi comme une
ouverture à la société française, les comoriens de
Marseille se rendent compte de cette nécessité afin de faire
revendiquer leurs droits sous le sol français.
Ainsi, les « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille prônent une voie médiane entre la France et les
Comores, entre « un chez eux » et un autre « chez eux ».
Ils demandent donc que la communauté comorienne de
Marseille se structure autour de ces nouvelles associations
et que les « anciens » de la communauté participent à cette
refondation ».
Ces jeunes veulent mettre fin à la rupture qui était de
mise entre la communauté comorienne de Marseille quand
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 81

les anciens usaient de leur pouvoir charismatique et la


troisième génération de comoriens à Marseille.
En effet, lassés par le contrôle très accru de la
communauté sur leur mode de vie, ces jeunes de la
troisième génération ont coupé avec les valeurs et les
normes de ladite communauté.
Avant il était rare de voir un comorien être mêlé dans
des affaires de banditisme or aujourd’hui, cela n’est plus le
cas.
Les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille
vont donc chercher à rapprocher ces jeunes « marseillais
des Comores 47» de leur pays d’origine en mettant en place
une histoire idéalisée du pays d’origine, différente de celle
que leur enseignait leurs parents. Ils ne font pas l’éloge de
tel sultan de Grande Comore par rapport à son homologue
d’une autre île mais mettent en lumière les personnes, les
artistes, qui ont combattu la colonisation et ceux qui ont
apporté un plus à la culture comorienne (au singulier), une
histoire globale, unitaire des Comores et cela dans le but
de créer une identité comorienne en France.
Les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille
veulent faire de la communauté comorienne de cette ville
un exemple à suivre pour ceux qui sont au pays, pour tous
les comoriens des Comores et principalement pour
montrer aux hommes politiques anjouanais et mohéliens
que l’avenir des Comores est dans l’unité.

47
Voir entretien H. M.
82 De Marseille aux Comores

Une élite qui prône « une voie médiane ».

Les « jeunes intellectuels » comoriens tendent donc un


fil, « un trait d’union » entre les Comores et la ville de
Marseille. Ils prônent ainsi « une double présence »,
présence morale et physique dans cette ville mais aussi
une présence morale dans le pays d’origine.
Ceci se voit à travers le soutien qu’ils apportent aux
initiatives privées (encouragement aux créations
d’entreprises par exemple; leurs associations servent de
conseillers aux nouveaux entrepreneurs comoriens) à
Marseille comme dans l’archipel des Comores.
En effet, en 2001, l’association Comores Mag crée « la
Maison de L’entreprise et du co-développement France-
Comores » qui a pour objectif de « valoriser l’identité
commune en développant l’esprit d’entreprise » 48.
Dans ce sens, sous l’impulsion de L’ACOR
(association des comoriens ouverts à la réflexion), les
« jeunes intellectuels » comoriens de Marseille créent la
Chambre de Commerce franco-comorienne qui s’est fixée
cinq objectifs : favoriser le développement des échanges
économiques entre les deux pays, proposer une aide à la
création à la création d’entreprise en France ou aux
Comores ( aide à l’élaboration des études de marché, des
dossiers financiers, aide pour la mobilisation du
financement…) et épauler les porteurs de projets pour les
démarches administratives. Comme l’affirmait le jour de
l’inauguration de cette chambre, Mr Ahmada
48
Inconnu, « La Maison de l’entreprise, des associations et du co-
développement », France Comores Magazine l’Autre regard, n°1
aout-octobre 2002.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 83

M’Boussouri, l’un des créateurs de la Chambre, ces


objectifs visés par la Chambre consistent en résumé
« d’une part à promouvoir l’économie comorienne et
d’autre part à permettre une meilleure représentativité des
entreprises comoriennes en France ».
Ces « Shudjaans du 21ème siècle »49 comme ils se
surnomment, encouragent aussi les comoriens (surtout les
femmes comoriennes50) à s’engager dans la vie politique
marseillaise : Pour ceux-ci, c’est « le plus important
moyen d’être vus et d’exister51 ».
Cette double présence a pour but aussi de rompre avec
le discours négatif auquel sont confrontés les immigrés en
France.
L’immigré est perçu comme un pur artefact, comme
une catégorie abstraite : c’est ainsi, que nous croyons
diagnostiquer et formuler toute une série de problèmes que
nous appelons problèmes sociaux des émigrés tels que
l’immigré et le chômage, l’immigré et le logement,
l’immigré et la formation mais, ces problèmes sont-ils des
problèmes des immigrés ou des problèmes de la société
française ?
Comme l’a affirmé Abdelmalek Sayad, le discours
abondamment produit sur ces problèmes remplit deux
fonctions essentielles : il « régule en premier lieu un
phénomène qui risque de perturber l’ordre public (social,
politique, moral, etc.) et, en second lieu, paradoxalement,
masquer le paradoxe essentiel de l’immigration, écarter ou

49
Vaillants guerriers.
50
Aux Comores comme à Marseille, c’est la femme comorienne qui
dicte la loi au foyer. La femme a un rôle très important dans la société
comorienne et cela a été conservé dans l’exil.
51
Entretien S.M.
84 De Marseille aux Comores

neutraliser la question de savoir ce qu’est l’immigré et ce


qu’est l’immigration » 52.
Spécialiste de l’Indonésie, l’historien Benedict
Anderson, auteur en 1983 de l’ouvrage Imagined
Communities sur le nationalisme dans lequel il mettait en
lumière le rôle de la culture de l’imprimé pour faire exister
une nation en mettant en relation et en phase ses membres
qui ne se connaissent pas, a montré en 1998 que les
migrants et descendants de migrants organisent leur
présence dans leur pays d’adoption selon un rapport à
l’origine (il appelle cela « le nationalisme à longue
distance ») et tentent d’influencer la politique de l’Etat
d’accueil en faveur de l’Etat , de la nation ou du peuple
dont ils se sentent « parents ».
Cette thèse se rapproche de cette participation politique
des comoriens dans (en tant qu’élus municipaux) la vie
politique marseillaise soutenue par les « jeunes
intellectuels » comoriens : ils cherchent aussi sur un plan
national à ce que le gouvernement français fasse de la
communauté, un interlocuteur privilégié dans les relations
entre la France et les Comores et cherchent sur un plan
local à ce que la mairie se rende compte du poids électoral
que les comoriens de Marseille représentent.
Un autre élément a été pris en compte par les « jeunes
intellectuels » comoriens dans leur volonté d’établir « une
double-présence » des comoriens à Marseille et aux
Comores, c’est celui du rôle d’Internet : on assiste à une
création massive par ces « jeunes intellectuels » de sites
Internet culturels sur les Comores et de cybercafés.

52
Sayad Abdelmalek, La double absence : Des illusions de l’immigré
aux souffrances de l’émigré, Paris, Seuil, 1999, p.259.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 85

Cette initiative est très importante : en effet, la


sociologue Dana Diminescu dans l’introduction au numéro
spécial de la revue Homme et Migrations consacrée à ce
thème, a montré que les NTIC (les nouvelles technologies
de l’information et de la communication) offrent à ceux
qui peuvent y avoir accès la possibilité de ne plus vivre la
migration comme une « double absence ».
Ces efforts entrepris par ces « jeunes intellectuels »
comoriens de Marseille visent surtout les jeunes de la
troisième génération qu’ils considèrent comme
« complètement déracinés »53.
La rigidité des normes et des valeurs (mode de
conduites, style vestimentaire pour les femmes) imposée
par les anciens dans la communauté ont entraîné un rejet
de celles-ci chez ces jeunes de la troisième génération de
comoriens à Marseille.
Afin de faire émerger chez ces derniers leurs racines
comoriennes, l’élite comorienne de Marseille mobilise
l’éducation à la base : comme elle le fait remarquer à de
maintes reprises lors des entretiens, ces jeunes de la
troisième génération, même s’ils étaient coupés durant
longtemps de l’espace communautaire comorien,
éprouvent un « sentiment de révolte patriotique »54
lorsqu’ils prennent connaissance qu’un coup d’Etat a été
réalisé par des mercenaires étrangers.
Ainsi, l’objectif de ces « jeunes intellectuels »
comoriens a été d’impliquer cette troisième génération de
comoriens à Marseille ou de marseillais des Comores dans
la création d’une nouvelle histoire des Comores, une
histoire qui écarte les moments de crises politiques et les

53
Entretien avec H.M
54
Idem.
86 De Marseille aux Comores

antagonismes existants entre les trois îles, Grande


Comore, Anjouan et Mohéli et qui fait émerger une
véritable identité comorienne.
La réinvention de l’histoire politique du pays d’origine
est un phénomène très fréquent chez les jeunes issus de
parents migrants. On assiste souvent à l’avènement d’une
histoire idéalisée du pays d’origine.
Chez les jeunes algériens de France par exemple,
comme nous pouvons le noter dans bon nombre de livres,
le retour aux sources se concentre sur l’exaltation des
forces anti-coloniales lors de ce qui était considéré comme
longtemps par la France comme « les événements
d’Algérie » (la Guerre d’Algérie) et occulte le long passé
commun de ces deux pays, l’histoire de la colonisation.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 87

Une nouvelle Histoire des Comores : la


naissance d’une identité comorienne.

Les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille font


ainsi appel à la troisième génération de comoriens à
Marseille pour qu’ils s’unissent afin de refonder l’Histoire
des Comores.
Cette Histoire se doit d’être différente de celle que leur
enseignaient leurs parents, ces « jeunes intellectuels » ne
veulent plus insister par exemple sur telle ou telle
spécificité, supériorité d’une île par rapport à une autre ou
sur les exploits d’un sultan batailleur par rapport à celui
une autre île mais s’intéressent à la base, à la culture
comorienne pour créer une identité comorienne.
Ainsi, dans « cette refondation » de l’Histoire des
Comores, les « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille se concentrent vers d’autres personnages,
différents de ceux que leurs parents mystifiaient:
l’inventeur du Pohori, de la poésie comorienne, Mbae
Trambwe et le religieux Mouigni Baraka.
Comme l’a dit lors de l’entretien le jeune Saïd Ali55,
qui s’occupe de l’intégration des comoriens à Marseille, «
nos modèles, ce ne sont pas des présidents, ou notables de
telles régions mais des sages ».
Mbae Trambwe, qui , a vécu au XVIII ème siècle, fils
d’un sultan d’une région de la Grande Comore (Bambao)
et d’une autre de Mohéli (Ntibi) , est selon cette jeunesse
intellectuelle comorienne de Marseille le personnage qui

55
Entretien Ali Said.
88 De Marseille aux Comores

incarne le mieux par ses poésies les racines de la culture


comorienne. Le second personnage « sélectionné » par ces
« jeunes intellectuels » est Saïd Omar Abdallah surnommé
Mwigni Baraka. Outre le fait qu’il était un théologien
aguerri, Mwigni Baraka, né en 1918 (à Zanzibar), a fait
des études très brillantes au lycée de Zanzibar et s’est
spécialisé dans divers domaines tels que la biologie à
l’université Makarere en Ouganda, le droit et la
philosophie (il a obtenu une thèse d’Etat en philosophie en
1963) en Grande Bretagne.
Intelligent et ambitieux, passé par les bancs de la
Sorbonne, le polyglotte Mwigni Baraka, l’homme qui
intervenait dans bon nombre de conférences dans les
universités africaines, américaines et saoudiennes et qui a
réussi à concilier l’Islam et la science (en disant que
certaines questions de biologie et de physique ont été
évoquées par cette religion) , la religion musulmane de la
modernité, était un patriote : conseillers techniques du
président Abdallah durant de nombreuses années jusqu’à
sa mort en 1988, il est perçu comme celui qui a sacrifié
une carrière internationale en déclinant de nombreux
postes proposés par certains organismes internationaux
pour se consacrer à l’avenir de son archipel ( il a défendu
la singularité de la culture comorienne) et à celui de la
Ummah islamique (la communauté islamique) par ses
voyages incessants qui visaient à diffuser une dimension
scientifique et moderne de la religion. L’ouverture de la
religion à la science et au débat incarnée par Mwigni
Baraka a énormément intéressé les jeunes comoriens de
son époque (aux Comores) et a entraîné chez ceux-ci une
attirance pour l’apprentissage de la science, pour le débat
scientifique.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 89

Ces deux personnages, comme le montrent lors des


entretiens les « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille, ont « été oubliés par l’histoire des Comores qui
leur a été enseignée par leurs parents à Marseille ».
Les « jeunes intellectuels » comoriens réussissent à
rapprocher en utilisant la vie de ces deux personnages, le
premier, poète, et le deuxième, religieux (qui, se
rejoignent dans le domaine de la sagesse et de la
philosophie), qui certes ont vécu à des époques différentes
mais ont marqué de leurs empreintes la culture
comorienne.
La caractéristique religieuse dans le choix de Mwigni
Baraka n’est pas anodine, c’est aussi une manière pour ces
« jeunes intellectuels » comoriens de Marseille de montrer
que la religion musulmane, l’islam, n’est pas opposée à la
modernité mais que les deux peuvent se compléter.
Comme l’ont montré Karima Direche-Slimani et Fabienne
Le Houerou, il existe aux Comores un islam souple,
« accommodé des coutumes locales et des pratiques
animistes56 ».
Cependant à Marseille, l’importation du fait religieux
avec l’exil a entraîné une mutation de celui-ci.
Les anciens ont apporté une très forte rigueur à la
religion, justifiant ceci par le fait qu’ils sont à l’étranger,
en exerçant un contrôle strict et rigoureux sur les
comportements des membres de la communauté et en
considérant celui qui contrevenait aux normes et aux
valeurs de communautaires comme une personne anti-
religieuse.

56
Direche-Slimani Karima, Le Houérou Fabienne, Les Comoriens à
Marseille : D’une Mémoire à l’autre, Paris, Editions Autrement,
2002, p.27.
90 De Marseille aux Comores

La religion servait donc d’instrument chez les anciens


qui possédaient auparavant le discours communautaire
pour légitimer le manque de souplesse des règles qu’ils
imposaient aux comoriens de Marseille.
Cela n’a fini que par provoquer un éloignement des
jeunes de la troisième génération malgré les sanctions
infligées à leurs parents par les anciens de la communauté
(stigmatisation, interdiction de participer à certaines
cérémonies communautaires).
Avec cette nouvelle histoire des Comores les « jeunes
intellectuels » comoriens de Marseille en osmose avec
leurs cadets (la troisième génération) forment ce qu’ils
appellent la génération Karibangwé57 , du nom du vaillant
guerrier qui « seul contre tous, a soulevé et a combattu
l’invasion des pirates malgaches », de celui qui « est mort
debout, l’arme à la main pour défendre son pays ».
Cette histoire nouvelle débarrassée de tout préjugé
insulaire, fait fi des divers points ayant divisé jusqu’à cette
crise séparatiste de juillet 1997 les îles des Comores et au
contraire, fait l’éloge des personnes ayant joué un rôle
important dans la défense de l’unité des Comores, une
unité politique et culturelle, la religion musulmane étant le
ciment de cette culture comorienne.
Ainsi, qu’est ce que l’identité comorienne pour « cette
génération Karibangwé » ?
Etre comorien, comme nous l’a affirmé un « jeune
intellectuel comorien » de Marseille, « c’est ne pas dire de
quelle île l’on vient ou de quel village mais se présenter
comme originaire de l’archipel des Comores, croire en la

57
Karibangwé était un valeureux guerrier originaire de la ville d’Iconi
(à l’ouest de la Grande Comore).
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 91

singularité de la culture comorienne et être prêt à défendre


le pays, à défendre son unité lors des moments de crises ».
Le monopole du discours communautaire acquis, les
nouveaux migrants et les autres comoriens de Marseille
(auparavant pour régler leurs problèmes, ils allaient vers
les anciens de la communauté) font de ces jeunes leur
principal interlocuteur.
Les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille
deviennent un exemple pour tous les jeunes comoriens des
Comores qui eux aussi veulent « sortir des traditions et
s’affirmer ».

La contamination du discours : une « jeunesse


intellectuelle », modèle pour les jeunes
comoriens des Comores ?

L’acquisition du monopole du discours et du pouvoir


communautaire par cette jeunesse intellectuelle de
Marseille entraîne directement une sorte d’admiration chez
les jeunes comoriens des Comores.
Cette élite incarne pour ces jeunes le patriotisme, la
réussite, la modernité, ceux qui ont osé élever leur voix
pour dénoncer l’énorme rigueur de certaines traditions
comoriennes.
En outre, dans les entretiens réalisés, les « jeunes
intellectuels » comoriens de Marseille insistent sur le fait
que cette « contamination du discours58 » relève un
changement d’état d’esprit aux Comores.

58
Entretien S. S.M.
92 De Marseille aux Comores

En effet, les jeunes comoriens des Comores rêvent de


l’exil, ils cultivent toujours l’image selon laquelle la
France précisément la ville de Marseille où la base
communautaire est bien assurée59 , est synonyme
« d’eldorado ».
Or, selon la jeunesse intellectuelle comorienne de
Marseille, alors qu’auparavant dans les années 1970, les
comoriens migraient en tenant compte de l’élément
financier, c’est à dire afin d’acquérir les moyens pour
réaliser le Grand Mariage, aujourd’hui, l’exil revêt un
autre sens : celui de la découverte d’une autre culture, de
nouvelles valeurs.
Les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille se
disent être à l’origine de ce phénomène.
Les initiatives prises par les comoriens des Comores
pour faire reculer le poids de la tradition vont dans ce
sens : comme dans tous pays, les jeunes mettent en avant
le fossé générationnel avec leurs parents afin de critiquer
certaines règles, représentations. Néanmoins, ce qui est
important de noter ici pour les jeunes comoriens des
Comores, c’est qu’ils se sont rendus compte que les
diverses critiques qu’ils faisaient à l’égard des notables ne
servaient pas à grand-chose à partir du moment où elles
restaient dispersées.
A l’image des « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille (selon ces derniers, les jeunes comoriens de
Marseille les ont pris comme modèle à suivre), certains
jeunes comoriens des Comores, ceux qui ont faits des
études, créent des associations afin de mieux combattre
les traditions et les représentations jugées dangereuses
pour les comoriens eux-mêmes et pour l’avenir de
59
La base communautaire signifie organisation de la communauté.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 93

l’archipel. En outre, la disparition de certaines cérémonies


liées au Grand mariage aux Comores découle ainsi selon
la « jeunesse intellectuelle » comorienne de Marseille des
diverses critiques organisées formulées par une certaine
jeunesse comorienne, qui pour la plupart a fait leurs études
à l’étranger.
Les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille
voient aussi en ce rôle politique que veulent jouer ces
jeunes comoriens des Comores un autre exemple
mimétique de la part de ces derniers.
Comme ces « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille l’affirment lors des entretiens, « après s’être
organisés, ces jeunes comoriens ont suivi notre chemin
sauf que nous sommes partis de la politique vers le social
alors que les comoriens des Comores partent du social
pour arriver à la politique60».
Cette argumentation est très intéressante, elle sous-
entend le fait que les « jeunes intellectuels » comoriens de
Marseille en se politisant à la suite la crise séparatiste
comorienne n’avaient pas pour objectif de prendre aux
anciens de la communauté le monopole du discours
communautaire.

60
Entretien avec S.S.M.
94 De Marseille aux Comores

Conclusion

A travers cette analyse de l’impact de la crise


séparatiste sur la jeunesse intellectuelle comorienne de
Marseille, nous pouvons affirmer que les hypothèses de
départ ont été validées :
La crise séparatiste comorienne de juillet 1997 a
entraîné en premier lieu une politisation de la « jeunesse
intellectuelle » comorienne de Marseille et leur a permis
ensuite de légitimer les critiques éparses qu’elle émettait
envers les « anciens » de la communauté.
A la suite de cette crise, la jeunesse intellectuelle est
passée d‘un nationalisme syncrétique (de réaction) avec la
critique de la politique française aux Comores vue comme
néocolonialiste, à un nationalisme organisé, élaboré
avec la création même si éphémère de la diaspora
politique comorienne de l’étranger et la refondation de la
communauté mise en avant à la suite de l’effondrement de
la diaspora politique
En effet, alors qu’elle se sentait « out », hors de la
communauté, la jeunesse intellectuelle comorienne de
Marseille a pénétré la communauté avec cette crise
séparatiste et est devenue « in ».
Elle a réussi à arracher aux anciens le monopole du
discours communautaire, le pouvoir de diriger la
communauté, en devenant notamment avec leurs
associations (Comores Mag, FECOM) les interlocuteurs
des comoriens de Marseille qui constituent la « masse
communautaire » ainsi que de la troisième génération qui
était complètement déracinée en raison de la rigidité des
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 95

normes et des valeurs imposées par les anciens de la


communauté.
Les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille ont
crée une véritable identité comorienne dénuée de toute
préférence villageoise ou insulaire.
Ils ont ainsi tendu un fil entre les Comores et la France,
en prônant une « double présence » dans le pays d’accueil
comme dans le pays d’origine.
Lorsque cette jeunesse intellectuelle de Marseille s’est
politisée au lendemain de cette crise séparatiste, c’était
une réaction directe, spontanée61 face à cette crise
politique.
Ce n’est pas parce que les « jeunes intellectuels »
comoriens de Marseille critiquaient la communauté avant
la crise séparatiste qu’ils voyaient immédiatement en
celle-ci une « fenêtre d ‘opportunité » pour arriver à la
refondation de la communauté.
Comme l’ont montré certains sociologues comme
Brigitte Gaïti62, chaque situation a sa propre conjoncture :
elle avait démontré que la constitution de 1958 du Général
De Gaulle n’était pas le discours de Bayeux de juin 1946.
Dans ce sens, la situation qui prévalait avant la crise
séparatiste dans la communauté comorienne de Marseille
n’est pas celle qui prévalait à l’enclenchement de celle-ci.
De plus, comme l’a montré Michel Dobry, dans une
conjoncture fluide (situation de crise), les acteurs ne
peuvent pas jouer des coups car il n’y a pas de cadre
d’intelligibilité dans le jeu politique.

61
A cet instant, les jeunes ne savaient pas que ça leur permettrait
d’acquérir le pouvoir de captation de la communauté
62
Gaïti Brigitte, De Gaulle prophète de la Cinquième République,
Paris, Presses de Sciences Politiques, 1998.
96 De Marseille aux Comores

Concernant la communauté comorienne à la suite de la


crise séparatiste comorienne de juillet 1997, il y avait non
seulement cette crise sécessionniste dans l’archipel mais
aussi crise communautaire dans le sens où le fossé s’était
déjà creusé entre les anciens de la communauté et la
jeunesse intellectuelle comorienne de Marseille qui se
sentait hors de la communauté.
C’est en effet à partir du moment où la diaspora
politique a échoué, que la jeunesse intellectuelle
comorienne de Marseille a saisi l’opportunité de la crise
séparatiste dans le but de légitimer les diverses critiques
qu’elle émettait envers ceux qui détenaient les rênes de la
communauté et prendre leur place en apparaissant comme
les interlocuteurs valides de la population comorienne de
Marseille.
C’est ainsi plus tard dans le jeu, lorsque les jeunes ont
commencé à percevoir là où ils pouvaient aller (avec leur
cheminement) que les « jeunes intellectuels » comoriens
de Marseille ont utilisé la crise, l’ont instrumentalisée afin
de s’emparer du monopole du discours communautaire.
L’intérêt qu’ont porté les « jeunes intellectuels »
comoriens de Marseille sur la politique comorienne au
lendemain de la crise séparatiste comorienne de juillet
1997 et la refondation de la communauté qu’ils ont
réalisée en diminuant de façon très significative les
notions de préférence villageoise et insulaire et l’ouverture
de la communauté sur la société française, a entraîné une
prise de conscience dans la nécessité de se joindre à cette
jeunesse chez certains anciens de la communauté.
Certains anciens qui cultivaient auparavant le repli
communautaire se sont rendus compte des avantages que
pouvait leur apporter la visibilité de la communauté.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 97

Ils affirment que l’organisation de la communauté


autour de nouvelles associations qui ont permis à celle-ci
d’être de plus en plus visible, a fait contrepoids au
discours stigmatisant réservé à l’immigré en général.
En effet, socialement, voire moralement suspect,
l’immigré doit avant tout rassurer sa morale : on a jamais
autant parlé de valeurs républicaines si ce n’est pour
dénoncer les comportements « déviants » au regard de la
morale sociale et politique de la société française des
immigrés (surtout de basse condition sociale).
Parce que l’immigré se trouve confronté à un tel
processus ethnocentriste63, de suspicion qui pèse autour de
lui, il se doit de s’affirmer: en effet, comme ces anciens de
la communauté comorienne de Marseille qui ont choisi de
suivre la voie de la jeunesse intellectuelle comorienne de
Marseille me l’ont affirmé, le choix est simple : il faut
selon eux rechercher « l’adéquation », se parer d’une
double identité comorienne et française, « une double
culturalité64 » tout en écartant l’assimilation, c'est-à-dire
« sans renier son identité originelle et sans se renier soi-
même ».
Rassurer et sécuriser sont un impératif qui s’impose à
toute présence étrangère or avec la communauté telle que
l’a conçue la jeunesse intellectuelle comorienne de
Marseille, les comoriens de la cité phocéenne se sentent
« rassurés et sécurisés ».
Dernièrement en mars 2005, sous l’initiative d’un
comorien des Comores, a été crée à Marseille un nouveau
parti politique comorien qui porte le nom de Mouroua.

63
L’ethnocentrisme signifie juger une culture par rapport aux valeurs
et aux normes de sa propre culture.
64
Entretien H.M.
98 De Marseille aux Comores

C’est la première fois qu’un parti politique comorien


naît à l’étranger, le choix de la ville de Marseille est
essentiel. Ce parti qui se revendique de la diaspora
comorienne entend jouer un rôle actif dans les prochaines
élections présidentielles comoriennes.
Outre sa naissance à l’étranger, ce nouveau parti
politique se distingue des autres partis comoriens dans le
sens où il propose un véritable programme politique, une
marque de professionnalisation de la politique.
Dans ce nouveau parti politique émergent des manières
de faire et de voir la politique empruntée à celle du pays
d’accueil.
Les « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille
adhèrent en masse à ce parti.
Mais, peuvent-ils prétendre jouer un rôle politique actif
dans un pays où ils n’habitent pas et qu’ils fréquentent
rarement ?
Annexes

Annexe 1 : Entretien avec H. M.

Cet entretien non-directif a été réalisé à Marseille, au


mois de février 2005. Le lieu choisi par H.M est très
important. L’entretien a été effectué à la FECOM dans de
bonnes conditions, dans un bureau, aucun élément ne
pouvait influencer les opinions de la personne interrogée.

Azad HALIFA : H.M, est ce que vous pouvez vous


présenter ?

H.M : Moi, je suis H.M, je suis né aux Comores, mais


j’ai grandi à Marseille dans les quartiers nord et donc ça
fait dix ans maintenant que j’écris et que je publie des
livres qui ont deux identités, une première bien
comorienne et une autre bien marseillaise pour ne pas dire
française. Je m’inscris dans cette double culturalité. A part
cela, en dehors de l’écriture ici à Marseille, j’anime des
ateliers d’écriture un peu partout en France et au-delà,
j’étais même à Mayotte et en Guyane. Je me déplace donc
pour faire découvrir les contes des Comores dans les
écoles et les bibliothèques.
100 De Marseille aux Comores

Azad HALIFA : Ah, c’est très intéressant ! Est-ce


que vous pouvez me parler de l’impact de la crise
séparatiste sur vous, sur la jeunesse intellectuelle
comorienne de Marseille ?

H.M : Quand il y a eu cette crise, ça nous a permis de


nous remettre en question, de … (hésitation) en tout cas
ça nous a permis de découvrir beaucoup de choses. Nous,
la deuxième génération, puisque là on est à la troisième
génération dans la communauté comorienne, on se pose
pas des questions d’origine villageoise et n’en parlons plus
d’origine insulaire : ça se voit tous les jours, mes amis,
quand on se rencontre, on dit je suis H.M point alors que
dans la génération d’avant, on dit plutôt je suis H.M de
Hahaya65, de telle ville, à la limite on ne donne pas son
nom de famille. On va donc ancrer ici un individu par
rapport à un territoire bien défini. Dans notre génération,
j’ai contrairement à ça beaucoup d’amis dont je ne connais
même pas leur ville d’origine, on ne se pose pas ces
questions tandis qu’aux Comores, on nous demande de
quel village on est…etc.

Mais lorsque la politique séparatiste comorienne a


éclaté, ça a provoqué quel sentiment chez vous,
jeunesse intellectuelle comorienne de cette ville ?

On s’est directement intéressé à la politique


comorienne car auparavant on connaissait peu de choses
de ce monde et des Comores, mais on n’était pas
65
Ville des Comores.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 101

déconnecté de ce pays comme les jeunes de la troisième


génération qui, sont complètement déracinés.

Ah bon ?
Oui, par cette crise, à ce moment là, les comoriens de
Marseille ont vu que la communauté était en tort, que les
critiques qu’on faisait auparavant été justifiées, les anciens
avaient introduit à Marseille des traditions séparatistes
comme le Grand mariage qui souvent sont faits entre
personnes du même village et de la même île. Oui, à force
de parler de ce Grand mariage, ils entraînent un rejet de la
culture comorienne par les jeunes de la troisième
génération qui ne sont même pas des comoriens mais des
marseillais des Comores et ça s’est à cause des anciens, de
nos parents. Du coup, la question de comorienne renvoie
seulement au Grand mariage, à un côté négatif, là c’est les
Comores qui morflent. Le jeune ne va pas chercher à
connaître les valeurs de la société comorienne, il va
s’arrêter au Grand mariage et il va tout rejeter. Mais ça,
c’est une fumisterie car quand ces jeunes marseillais des
Comores voient à la télé, Bob Denard qui débarque, ça
provoque chez lui un sentiment de révolte patriotique.
D’ailleurs l’erreur des anciens ne s’arrête pas là car
certains d’entre eux affirment qu’il y a plusieurs cultures
comoriennes alors qu’il y en a qu’une malgré le métissage
comorien, une culture fondée sur la religion, la religion
principale, l’islam.
Avec cette crise, après s’être intéressé à ce qui se
passait aux Comores, on s’est dit qu’il fallait transformer
notre communauté ici à Marseille, l’ouvrir à de nouvelles
idées, au pays d’accueil quelquepart pour rattraper les
jeunes de la troisième génération et créer une double
102 De Marseille aux Comores

identité comorienne et française. Et, c’est cela que nous


avons fait, avec nos associations, on prend en compte la
réalité de la vie de l’immigré à l’étranger, on s’est que
c’est dur mais on a réussi la crise séparatiste de juillet
1997 est pour beaucoup dans cette réussite.
Aujourd’hui on est devenu les interlocuteurs de la
plupart des comoriens de Marseille, on a crée une nouvelle
histoire des Comores, pour tous les comoriens.

Ah bon ?

Oui, oui, on a crée une histoire basée des Comores


différente que celle que nos aïeux nous ont apprise, elle
n’est pas basée sur les mêmes personnages mais d’autres
plus anciennes comme Mbae Trambwe l’inventeur de la
poésie comorienne, qui, a vécu au XVIII ième siècle.
D’ailleurs pour finir, en créant cette nouvelle histoire
des Comores, on a fait naître une nouvelle identité
comorienne, une vraie.

Une identité comorienne, une vraie ?

Oui à travers cette histoire, on sent bien l’unité des


Comores, c’est une histoire globale de notre archipel, de
notre pays, ce n’est pas celle d’un village ou d’une île.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 103

Annexe 2 : Entretien avec S.M.

Cet entretien a été réalisé dans un bureau de Comores


Mag, aucun élément ne pouvait influencer les opinions de
la personne interrogée.

Azad HALIFA : Est-ce que vous pouvez vous


présenter ?

S.M : Oui, je suis venu à Marseille à l’âge de sept ans,


j’ai suivi le cursus classique sur le plan scolaire, je suis
issu des quartiers difficiles. Sans l’intervention d’un
professeur, je n’aurais pas été jusqu’au bac. J’ai pu aller au
plus profond de moi pour réussir, ensuite j’ai fait un DUT
génie électrique, informatique et industriel et puis une
école d’ingénieur à l’Ecole Nationale des arts et métiers à
Aix en Provence.

Azad HALIFA : Pouvez-vous me parler de Comores


Mag ?

S.M: Comores Mag a été crée en 1999. Malgré le fait


que je sois venu très tôt en France, j’ai toujours eu ses
coins des quatre îles dans ma tête et puis encore, quand
104 De Marseille aux Comores

j’étais à l’école, je n’étais jamais content quand je voyais


qu’on avait oublié d’indiquer notre archipel sur une carte
du monde. Donc, Comores Mag, c’est destiné à faire
connaître les Comores, on l’a crée avec des potes le
magazine puis l’association qui, porte le même nom.

Azad HALIFA : Quand je vous parle du


séparatisme comorien, quels sont les mots qui vous
viennent à l’esprit ?

S.M: D’abord une certaine instabilité politique, le


mercenariat, et, quelquechose qui va au-delà du
séparatisme, l’incompréhension. Nous, avec mes amis, on
n’a pas compris ce qui se passait, c’était encore une fois
un épisode malheureux concernant les îles Comores.

Azad HALIFA : Est ce que vous pensez que le


séparatisme a toujours été présent dans les
représentations des comoriens aux Comores ?

S.M: Oui, bien entendu, vous avez bien vu qu’aux


Comores, quand on se présente, on dit je suis le fils
d’untel et on cite également son village d’origine, avant
même l’insularité. Les comoriens ne s’aiment pas entre
eux ils ne se sentent pas comoriens, leur identité c’est le
village. Tout ça a été importé à Marseille dans la
communauté, ici, les « anciens », ils sont dans une boîte,
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 105

ce qui les intéressent c’est organiser le grand mariage


entre personnes du même village… etc.

Azad HALIFA : A votre avis, cette crise séparatiste


est-elle seulement le fruit de ces représentations ?

S. M : Non, le séparatisme a toujours existé aux


Comores, c’est un fait, chaque île se replie sur elle–même
en mettant en avant ses particularités. Cependant en juillet
1997, certains politiciens de droite et d’extrême droite
comme l’Action Française ont joué un rôle prépondérant
dans cette crise, dans la quête de la balkanisation de
l’archipel après ce qui s’est passé à Mayotte, ça s’est du
néocolonialisme. A Anjouan, les sécessionnistes, ce sont
des anciens militaires français, des anjouanais retraités de
l’armée française.
L’Etat comorien a lui aussi une large part de
responsabilité dans l’éclatement de la crise.
On recule au lieu d’avancer depuis la période de Ali
Soilihi. C’est ce personnage, ce révolutionnaire qui a fait
le plus de choses pour les Comores, il avait vraiment crée
un véritable sentiment national, tout le monde se disait
comorien et était fier de l’être.
Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, l’Etat comorien est en
décadence.

Azad HALIFA : Je voudrais que nous nous


intéressions à la culture comorienne. Comme vous
l’avez dit, si j’ai bien compris, chaque île des Comores
106 De Marseille aux Comores

a ses propres particularités. Ainsi, pensez-vous qu’il y


a plusieurs cultures comoriennes ?

S.M: Non, il yen a qu’une, il y a une culture


comorienne. Il ne faut pas dire comme ceux qui sont ici en
France, nos parents qui cultivent l’art de la séparation
entre les comoriens dans la communauté. En effet, pour
eux être comorien, c’est être Grand comorien. D’ailleurs,
ils justifient ceci en prenant l’exemple du grand mariage,
ils disent que cette cérémonie n’a pas la même
connotation à Anjouan, à Grande Comore, à Mohéli ou à
Mayotte. C’est vrai, mais il y a un noyau, la religion, qui
unit tous les comoriens.

Azad HALIFA : Sinon, pouvez-vous me parlez un


peu de votre mouvement de jeune, de vous qui vous
surnommez Shudjaans? D’ailleurs, pourquoi ce terme,
et quelle signification a-t-il ?

S.M: Shudjaans, ça signifie vaillant guerrier. Nous,


jeunesse intellectuelle comorienne de Marseille on a voulu
montrer notre décalage par rapport aux anciens de la
communauté et à ceux qui sont aux Comores. En fait
quand la crise séparatiste à éclaté, nous les jeunes on s’est
immédiatement intéressé à la politique aux Comores. On a
analysé la situation politique du pays depuis
l’indépendance. On avait même réuni en février 1999 si je
me souviens bien les notables comoriens de France,
anjouanais, grand comoriens ainsi qu’un certain nombre
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 107

de personnes de notre génération, étudiants à Paris, Lyon,


Dunkerque et même au Canada. On avait vraiment formé
une diaspora politique mais malheureusement certains
« anciens » anjouanais ont été vraiment touché par les
difficultés de subsistance à Anjouan à cause de l’embargo
imposé par la Grande Comore sur certains médicaments
aux Comores et ont décidé de quitter prématurément le
bloc. Cela nous a fait beaucoup de mal, mais quand même
ça nous a permis de mieux nous concentrer sur la
communauté en changeant les mentalités des comoriens
d’ici.

Azad HALIFA : Ah bon, il y a eu une mutation de la


communauté ?

S.M: Oui, on a réalisé cette mutation. Avec la crise


séparatiste, les comoriens de Marseille ont vu notre
patriotisme, notre volonté d’aider notre archipel et de faire
face aux idées de préférence villageoise ou insulaire.
Aujourd’hui, ces gens viennent nous voir, ils ne vont
plus vers les anciens, nos associations qui, prennent en
charge leurs difficultés administratives en France les
attirent beaucoup. On a crée une double identité française
et comorienne, on encourage même les comoriens à agir
en politique dans cette ville, car c’est le plus important
moyen d’être vus et d’exister.
Les jeunes de la troisième génération ont aussi aimé
nos idées, on leur a demandé de nous joindre et ils ont
accepté. Auparavant, les anciens, ils les ont rejetés de la
108 De Marseille aux Comores

communauté, et ils ont été coupés des Comores, ils ne


connaissaient pas grand-chose.

Azad HALIFA : Et comment avez-vous fait pour


intégrer cette troisième génération de comoriens à
Marseille ?

S.M: En réalité, on leur a demandé de nous rejoindre


afin de repenser nos origines, tous ensemble.
On a crée une nouvelle histoire des Comores inspirée
de ce que nous avons nous-même appris des Comores
lorsque nous avons plongé dans l’histoire de ce pays au
lendemain de cette crise séparatiste de juillet 1997.

Azad HALIFA : Pour terminer, en quoi cette


histoire est différente de celle que vous ont enseignée
vos parents ?

S.M: L’histoire que l’on nous a enseignée, c’est


l’histoire officielle. Cette histoire est simplement basée sur
les grands notables de telle ou telle région, ou sur les
victoire de tel sultan batailleur d’une île sur un d’une
autre île.
Or, nous, ce n’est pas ce qu’on voulait, on cherchait
plus loin, à travers les siècles les gens qui ont façonné la
culture comorienne, ceux qui ont vraiment défendu les
Comores c'est-à-dire par exemple Karibangwé, le guerrier
qui a combattu contre des pirates malgaches.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 109

Et oui, on a l’esprit Karibangwé, on ne se laisse pas


faire.

Annexe 3 : Entretien avec A.M de la Fédération


Comorienne de Marseille.

Cet entretien semi-directif a été réalisé dans un bureau


de la FECOM. Aucun élément ne pouvait influencer les
opinions de la personne interrogée.

Azad HALIFA : Est-ce que vous pouvez vous


présenter ?

A.M: Je m’appelle Aman Mohamed, je suis chargé de


l’intégration des comoriens de Marseille depuis 1999.

Azad HALIFA : Qu’est ce que la FECOM ? Quand


a-t-elle été crée et dans quel but ?

A.M: La FECOM a été crée dans le but d’aider les gens


d’origine comorienne mais on s’intéresse aussi à tous les
étrangers qui son en difficulté avec l’administration,
algériens, marocains…..
110 De Marseille aux Comores

Azad HALIFA : Quand je vous parle du


séparatisme comorien, quel est le premier mot qui vous
vient à l’esprit ?

A.M: Ce n’est pas normal, oui, les Comores sont


composées de quatre îles, ce n’est pas normal que des
comoriens aient demandé leur indépendance et leur
rattachement à la France. ,

Azad HALIFA : Est ce que vous pensez que le


séparatisme a toujours été présent dans les
représentations des comoriens aux Comores ?

A.M: Je dirais oui car chaque île a tendance à faire ses


affaires personnelles, enfin, je ne sais pas. Il n’y a jamais
eu d’unité des Comores, de sentiment national.
D’ailleurs, la politique de ce pays, de la France a elle
non plus jamais été en faveur de l’unité comorienne,
regardez ce qu’ils ont fait à Mayotte, regardez à Anjouan,
les mêmes, ils étaient là, ils ont fait venir des drapeaux
dans cette île. Ils sont nostalgiques, et bien qu’il sache le
temps des indigènes est révolu, Bob Denard, c’est du
passé. La société française on l’aime mais la politique de
ce pays en Afrique, c’est du pillage et oui du pillage, leur
devise c’est diviser pour mieux régner.
C’est ça ce qu’elle a voulu faire à Anjouan, nous
balkaniser. Qu’elle se prépare car nous combattrons
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 111

jusqu’à la fin, les Comores resteront unis et Mayotte doit


revenir, et elle reviendra.
Azad HALIFA : Quand vous parlez de la France,
vous visez certaines personnes précisément ?

A.M : Oui,… (Hésitation) regarde les parlementaires


qui ont entraîné le maintien de Mayotte dans la
République en 1975, ils sont toujours là, les Virapoullé66
et consorts, ils déstabilisent les Comores quand ils le
veulent, il y a de l’ingérence. De toute façon que ça soit à
droite ou à gauche c’est pareil nous comoriens, on ne
comprend pas, ont-il peur que si Mayotte revient, la
Réunion quittera à son tour le giron français ? Peut-être, je
ne sais pas ; mais ils sont pareils, regardez Rocard ce qu’il
a fait, pour mettre fin au séparatisme, il a légitimé au
devant de la communauté internationale le coup d’état de
Azali, le militaire, et aujourd’hui on voit bien ce qui est
advenu. Aux Comores les militaires ont tous les droits, ils
font ce qu’ils veulent.

Azad HALIFA: Oui mais si j’ai bien compris, à part


ce que vous qualifiez d’ingérence française, il y a
toujours eu une sorte de stigmatisation entre les
personnes des îles différentes, ce séparatisme a
toujours existé ?

A.M: Oui, exactement, surtout chez nous, grands


comoriens. Effectivement, chez les grands comoriens par
66
Sénateur UMP de l’île de la Réunion.
112 De Marseille aux Comores

exemple, on se considère comorien alors que l’on voit la


personne d’Anjouan comme un anjouanais et celle de
Mohéli comme un mohélien et non des comoriens.

Azad HALIFA : Ainsi, dans ce sens, pensez-vous


qu’il y a une culture comorienne au singulier ou une
culture comorienne au pluriel ?

A.M: Non, les comoriens ont diverses origines mais


nous avons tous la même culture. On a la même religion
que ça soit en Grande Comore, à Mayotte, à Mohéli ou en
Anjouan et, une langue, le comorien, proche du kiswahili,
qui est commune malgré quelques variantes.

Azad HALIFA : Maintenant, parlons de la


communauté comorienne de Marseille, le débat
séparatiste a-t-il été importé ici à Marseille ?

A.M: Les anciens qui sont venus dans les années 70 ont
une vision très restrictive des comoriens, de la
communauté. D’ailleurs il faut voir comment ils se
présentent, ils disent qu’ils viennent de telle île ou de tel
village. C’est cela qui compte chez eux, c’est leur identité.
De la communauté comorienne de Marseille, ils en avaient
fait exclusivement une communauté grand comorienne.

Azad HALIFA : Sinon, pouvez-vous me parlez un


peu de votre mouvement de jeune, de vous qui vous
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 113

surnommez Shudjaans67 ? D’ailleurs, pourquoi ce


terme, et quelle signification a-t-il ?

A.M: Oui, nous sommes des Shudjaans, grâce à la crise


séparatiste on a changé les choses dans la communauté, on
est des vaillants guerriers. Avant, les anciens, ils nous
embêtaient, on ne se sentait pas dans la communauté mais
à l’extérieur, ils disaient qu’on était trop français, qu’on
avait oublié nos origines alors qu’on ne les connaissait
même pas. Et oui, l’histoire qu’ils nous ont apprise c’est
celle des sultans batailleurs, celle qui fait l’éloge de tel
notable, tu sais certains d’entre nous ne connaissaient
même pas l’hymne national comorien, nos parents nous
l’ont jamais appris, ce n’est pas normal.

Azad HALIFA : Ah bon, la crise séparatiste a


entraîné une mutation de la communauté comorienne
de Marseille ? Elle a été un facteur important dans
cette transformation ?

A.M: Oui, bien entendu, cette crise nous a fait


connaître le paysage politique comorien, on a regardé on a
cherché, et on est entré dans un monde que nous ne
connaissions pas : la politique. Et on a voulu nous unir
avec tous les comoriens de France pour que l’on puisse
agir ensemble, ça a marché un temps puis ça s’est écroulé,
peut être que… (hésitation) comme on était novice dans ce
monde, on s’est vu trop beau, on voulait tout changer
67
Vaillants guerriers.
114 De Marseille aux Comores

rapidement comme si on disposait d’une baguette


magique. Ensuite, on s’est rendu compte de la difficulté de
cette tâche, on a pas fait marche arrière mais c’est vers la
communauté qu’on a focalisé nos yeux, pour montrer à
tous ces notables comoriens de France qu’on voulait
changer les choses, les mentalités comoriennes, on voulait
devenir des exemples à suivre aux pays, pour les jeunes
qui sont là bas et on l’est, c’est sûr.

Azad HALIFA : Est qu’est ce que vous avez changé


concrètement dans la communauté comorienne de
Marseille ?

A.M: (Hésitation) Ce qu’on a changé c’est


qu’aujourd’hui dans la communauté, on a ouvert les bras à
tous, à tous les comoriens, qu’ils soient anjouanais, grand
comoriens, ou mohéliens. La communauté c’est nous tous,
nous, comoriens. D’ailleurs les gens n’ont plus peur, on
organise des débats pour critiquer certaines traditions
comme le Grand mariage. On a osé dénoncer
l’immobilisme de la communauté, le repli communautaire.
Vivre à l’étranger , ce n’est pas seulement un voyage
avec un aller et un retour, on peut être comorien mais être
enterré ici car c’est ici qu’on a vécu. Des Comores, on ne
connaît pas grand monde mais on s’y intéresse, c’est notre
pays, il faut l’aider.
En France, il faut qu’on vive bien, qu’on nous voie, que
notre comportement soit exemplaire comme il l’a toujours
été, c’est d’ailleurs dans ce domaine qu’il y avait un
problème auparavant. Aujourd’hui, on est entrain de le
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 115

résoudre. En effet, nous comoriens, on a toujours été


respectueux envers les autres, modestes mais depuis
quelques années, certains garçons de la troisième
générations sont tombés dans la délinquance, ce sont des
bandits ! Aux Baumettes, il y en a plein, tu ne peux même
pas imaginer ! (Il se tient la tête, il réfléchit)
Et oui, j’ai honte, phénomène de mode ou rejet des
valeurs communautaires ? Moi-même si le premier joue un
rôle important, j’opte pour le deuxième choix, les anciens
de la communauté, à cause de leurs règles rigides, ils les
ont provoqués directement, ils ont repoussé ces jeunes.
Mais nous, on les a récupérés, on les a aidés, on leur a fait
découvrir les Comores et on va continuer dans cette voie.
On a travaillé ensemble dans la recherche d’une nouvelle
histoire des Comores et on a réussi.

Azad HALIFA : Ah bon et cette histoire des


Comores, en quoi est-elle différente de l’histoire que…
(Il me coupe) ?

A.M: Que celle que nos parents nous ont apprise ?

Azad HALIFA : Oui, de l’histoire que vos parents


vous ont transmise ?

A.M: Ah, c’est complètement différent, nous on a


plongé au fond, dans les véritables sources, on a cherché
les poètes, les conteurs, les gens qui avaient joué un rôle
116 De Marseille aux Comores

important dans la culture comorienne. Nos modèles, ce ne


sont pas des présidents, ou notables de telles régions mais
des sages, des gens comme Mbae Trambwe, comme
Mwigni Baraka et Karibangwe, un guerrier d’Iconi qui
s’est battu contre les pirates malgaches qui voulaient
envahir la Grande Comore. Eux, ce sont les vrais, ceux qui
ont donné pour les Comores.
D’ailleurs, avec les plus jeunes de la troisième
génération, on a formé la génération Karibangwe.

Azad HALIFA : Sinon, tout à l’heure, vous m’avez


parlé d’une jeunesse intellectuelle comorienne de
Marseille, exemple pour les jeunes comoriens des
Comores, pouvez-vous plus m’expliquer cela ?

A.M: Oui, les jeunes au pays, ils nous ont imité, ils
s’intéressent de plus en plus à la politique là bas et ils
veulent nous ressembler.
D’ailleurs, tu n’as qu’à regarder par exemple l’abandon
de certaines traditions en grande Comore, tout ça, c’est
qu’on leur a montré la voie, on leur a montré que quand on
est pas content, il faut manifester, il faut le clamer haut et
fort, c’est la « Voice » qui compte et tout cela
pacifiquement. Et oui, la contestation, ça s’apprend, on ne
doit pas contester n’importe comment, il faut d’abord
réfléchir, analyser ce que l’on a envie de faire.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 117

Azad HALIFA : Pour terminer que pensez-vous de


la constitution comorienne de 2002 fédérale qui a mis
en place l’Union des Comores avec une présidence
tournante entre les îles ?

A.M: Outre le fait qu’il y ait trois présidents, un


président par île et un Président de l’union, chiffre que je
trouve exagéré pour un tout petit archipel, je pense que
cette constitution est une bonne chose car chaque île aura
un Président de l’union tournante tous les quatre temps,
maintenant il faut que le colonel putschiste Azali
Assoumani arrête son mic- mac et qu’il laisse son fauteuil
en avril prochain à un autre qui doit être anjouanais. C’est
ça la démocratie, la majorité d’aujourd’hui doit être la
majorité de demain vice et versa, il faut l’accepter. Etre
comorien, c’est ne pas être anjouanais, grand comorien ou
mohélien mais c’est se considérer comme comorien,
comme appartenant à la nation comorienne.
118 De Marseille aux Comores

Annexe 4: Entretien avec Said Hassan.

Cet entretien semi-directif a été effectué dans un bureau


de Comores Mag au mois de juillet 2005. Aucun élément
ne pouvait influencer les opinions de la personne
interrogée.

Azad HALIFA : Est-ce que vous pouvez vous


présenter ?

Said Hassane: Je m’appelle Saïd Hassane, je suis


étudiant en droit.
Je suis né en France, j’ai toujours vécu plus ou moins
en France à part la période entre 2 et 18 ans où j’étais aux
Comores.
Mon retour en France coïncide avec la période trouble
qu’on a eue entre 1976 et 1978 mais je suis revenu
plusieurs fois un peu plus tard.

Azad HALIFA : En tant que jeune intellectuel


comorien de Marseille, pouvez-vous me parler de
l’impact qu’a eu sur vous la crise séparatiste
comorienne de Marseille ?

Said Hassane : Je le dis souvent avec regret mais je ne


m’attachais pas aux Comores ou je ne comprenais pas la
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 119

politique comorienne. Auparavant, j’avais une partie en


moi qui ne maîtrisait pas les faits historiques, les
personnages qui ont compté dans l’histoire des Comores.
J’étais même plus intéressé par l’histoire de France que
l’histoire des Comores.
Mais, quand a éclaté la crise séparatiste, je l’ai fait
instinctivement en même temps que mes amis qui
composent cette jeunesse intellectuelle comorienne. En
effet, à partir de 1997, non pas je me sois éveillé à ce qui
se passait aux Comores car de part mon lignage, de part
les relations avec ma famille j’ai toujours entendu de
loin ce qui se passait là bas mais disons que 1997 c’était
l’occasion d’écouter mais aussi d’émettre un avis sur ce
qui se passait. Un avis, qui pouvait être un avis écouté.
Je me souviens que nous avons organisé beaucoup de
débats au sein de notre jeunesse, au sein de la FECOM68,
beaucoup de débats au sein de nos camarades français qui
ne comprenaient pas qu’une île qui a voté à pour
l’indépendance ait redemandé plus tard de redevenir
française69.Ce qui m’avait le plus choqué à l’époque
c’était qu’à Marseille dans la communauté comme aux
Comores, il y avait une affirmation d’une certaine
normalité dans l’opposition qu’il y avait entre la Grande
Comore et Anjouan, on voyait cela comme une sorte de
vérité. Les anciens à Marseille comme à Moroni, disaient
l’anjouanais est plus compliqué, il est moins solidaire,
moins attaché à sa terre…etc. J’avais l’impression que les
grands comoriens ne voyaient pas les raisons qui ont

68
Fédération Comorienne de Marseille.
68
Anjouan.
120 De Marseille aux Comores

poussé Anjouan à partir mais ils essayaient d’expliquer


pourquoi cela était normal.

Nous les jeunes, nous avons rompu avec ça, nous avons
appelé à l’unité : aux Comores, je suis tel ou tel du
quartier Badjanani70 mais en France, il ne faut pas oublier
que je suis un étranger, qui arrive dans un lieu où on a
parqué d’autres étrangers, on est avant tout un noir, un
africain. Quand vous dites que vous voulez être un futur
cadre, ça devient même à la limite risible pour les gens, ils
n’ont pas l’impression qu’il y a une véritable réalité.
Ainsi, à la suite de cette crise, j’étais obligé tout
d’abord de me construire comme un comorien, non pas
comme un grand comorien mais vraiment comme un
comorien. Cela me permettait devant mes autres
camarades africains qui étaient sénégalais, ivoiriens de
m’identifier par rapport à eux. Effectivement, ce qu’on
peut noter c’est qu’en réalité il y a quatre îles et non une
seule.
Je me souviens m’être battu, avoir eu des mots durs un
jour à la place d’Aix où se réunissent les anciens de la
communauté pour leur dire qu’on devait se rebeller et
changer les choses dans la communauté pour devenir un
exemple au pays.
Parmi arguments qui m’ont été sortis, c’était de me
dire, ils ont eu Abdallah et Djohar à la présidence de la
République71, et il fallait une personne qui n’ait aucun lien
avec Anjouan pour que tout éclate. Ils affirmaient aussi

70
Quartier situé au centre de Moroni, quartier de la noblesse d’origine
arabe et perse.
71
Abdallah était anjouanais, et Djohar était marié à une femme
anjouanaise.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 121

que les anjouanais avec leur propre communauté, et que


chaque île a sa propre culture alors que c’est faux.
En effet, j’avais lors de la conférence de la FECOM
expliquant la constitution de l’Union qui dit que la
Présidence sera tournante entre les îles72, on a bien vu que
les anciens n’étaient pas contents, ils ont même nourri ce
séparatisme en gardant les représentations copiées collées
des Comores.
Nous les jeunes, on a jamais fait de barrières, on est
pas des donneurs de leçons : quand on se dit comorien, on
est fier. Tu sais, au lendemain de la crise séparatiste, on
s’est directement intéressé à la politique aux Comores, on
s’est intéressé à l’image du révolutionnaire Ali Soilihi,
ancien Président des Comores. Lui, à son époque, en 1975,
il envoyait les fonctionnaires grands comoriens travailler à
Mohéli, les mohéliens à Anjouan et les anjouanais en
Grande Comore, et cela rendait les comoriens très fiers, il
avait crée un véritable sentiment national. Les comoriens
se sentaient comme un même peuple or depuis sa mort, ce
sentiment a disparu aux Comores et ne parlons même pas
de Marseille.
On a même défendu le journaliste anjouanais
Chamanga quand après avoir écrit un article dénonçant le
séparatisme dans son île, certains sécessionnistes ont porté
plainte contre lui. Il a même dû payer pour cela. En fait,
on voulait fonder une diaspora politique avec la réunion de
février 1999, mais cela a échoué. Et c’est à ce moment
précis qu’on s’est tourné vers la communauté, la crise
nous est apparue comme une porte ouverte vers le

72
Cette constitution de typé fédéral a mis officiellement fin à la crise
séparatiste avec l’autonomie des îles, chaque île ayant son propre
président chapeauté par un Président de l’union.
122 De Marseille aux Comores

changement des mentalités dans la communauté, diminuer


les idées de préférence villageoise et insulaire.
D’ailleurs, tu sais aujourd’hui, on est devenu des
modèles pour nos jeunes frères qui sont aux Comores,
notre discours les a contaminé.
En effet, après s’être organisés, ces jeunes comoriens
ont suivi notre chemin sauf qu’on est parti de la politique
vers le social alors que les comoriens eux partent du social
pour arriver à la politique car ils savent là où ils veulent
aller.
Nous, on ne savait pas, c’est quand la diaspora
politique a éclaté qu’on s’est tourné vers la communauté et
aujourd’hui c’est nous qui la dirigeons car les comoriens
qui viennent en France et ceux qui étaient là, ceux qui
allaient voir les anciens de la communauté viennent nous
voir, ils voient qu’on est bien structuré, ils ont rompu avec
ces anciens qui restaient dans une sorte de vase clos, ces
anciens qui avaient pris la communauté en otage.
Nous, nous leur disons de s’intéresser à la vie en
France, on les aide, qu’ils soient grands comorien,
mohéliens ou anjouanais, c’est pareil, on est comorien.
C’est ça qui est important, c’est qu’on se sente
comorien, on ne doit pas oublier d’où l’on vient,
cependant il faut agir aussi ici en France, montrer qu’avec
notre présence en masse dans cette ville et dans ce pays,
on a notre mot à dire.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 123

Annexe 5 : Entretien avec un jeune étudiant de


Marseille.

Cet entretien semi directif a été réalisé à la Busserine,


cité HLM où vit une grande communauté de comoriens.
Aucun élément ne pouvait influencer le discours de la
personne interrogée.

Azad HALIFA: Bonjour, pouvez-vous vous


présenter ?

D. M : Oui, je m’appelle D. M, j’ai 20 ans et je suis


étudiant en droit. Je suis né à Marseille et j’habite à la
Savine.

Azad HALIFA : Etes-vous déjà allé aux Comores ?

D. M : Oui, j’y suis allé pour la première fois il y a dix


ans et depuis, j’y retourne souvent durant les grandes
vacances. J’ai une grande partie de ma famille qui réside
là-bas et je ne les connaissais pas auparavant. Cependant,
je voyais souvent mon père envoyer des mandats au pays
et je ne comprenais pas pourquoi. A la maison, on se
serrait la ceinture, on se privait de beaucoup de choses…
(Hésitation)
124 De Marseille aux Comores

Azad HALIFA : Avez-vous déjà entendu parler de la


crise séparatiste de juillet 1997 qui a touché l’ensemble
des îles ?

D. M : Oui, bien entendu, j’ai entendu parler de cette


crise ici à Marseille. Cela a fait beaucoup de bruits dans la
communauté. De toute façon, là-bas, il y a toujours des
problèmes, des coups d’Etat. C’est normal, au pays ils sont
tous corrompus, et la France fait ce qu’elle veut dans les
îles et les hommes politiques comoriens ne disent rien.
Pourtant, au pays, il y a beaucoup de ressources, sur le
plan touristique et artisanal par exemple.
De toute façon, nous on ne se sentait pas concerné, on
ne connaissait pas vraiment le bled.
Nous, on se sentait plus marseillais que comoriens
auparavant.

Azad HALIFA : Pourquoi cela ?

D.M : En fait, ici, à Marseille, les anciens de la


communauté, ils nous demandaient à chaque fois
d’assister aux Grands mariages, aux cérémonies
communautaires mais nous, on était complètement décalé
par rapport à ça. Cela nous a poussé à ne plus nous
intéresser du tout à ce qui se passait dans la communauté
ni aux Comores.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 125

Azad HALIFA : Il parait que certains anciens vous ont


toujours considéré en raison de « votre déviance » c'est-à-
dire du non-respect des valeurs et des normes du groupe
communautaire, comme des gens dangereux pour l’avenir
de la communauté et même des Comores, c’est vrai ?

D.M : Et oui, à chaque fois ils parlaient mal de nous, ils


disaient qu’on était trop français et qu’on aimait pas notre
pays les Comores, qu’en voulant mettre fin à certaines
traditions, on allait détruire la culture comorienne. Tu sais,
parfois, nos parents, ils étaient chassés de la communauté
parce qu’ils avaient dérogé à certaines règles, ils
n’assistaient pas à certaines cérémonies, pour non
paiement de telle cotisation de la communauté…etc.
Tu sais, ce n’est pas dur, il suffit de les regarder se
quereller à la place d’ Aix pour comprendre leur mentalité,
ils sont comme ça, ils se croient aux pays.

Azad HALIFA : Et les jeunes comoriens de la


FECOM, de Comores Mag, vous connaissez ?

D.M : Oui, je les connais bien. Ce sont des jeunes


entrepreneurs, des gens qui ont réussi dans les études et
qui ont crée certaines associations pour aider les
comoriens de Marseille, ceux qui rencontrent des
problèmes de papier mais aussi ils mènent des projets pour
les îles.
126 De Marseille aux Comores

Azad HALIFA : J’ai entendu parler d’une initiative de


ces « jeunes intellectuels » comoriens de Marseille qui les
à vous, jeunes de comoriens nés à Marseille, « la
génération Karibangwé ».
Pouvez-vous un peu m’éclairer ?

D.M : Je fais parti de cette génération. En fait, après


l’éclatement du séparatisme aux Comores, les jeunes de
Comores Mag et de la FECOM ont dit que les anciens de
la communauté ont toujours encouragé. A ce sujet,
ensemble on a recrée une histoire des
Comores car avant, nos parents nous parlaient que de
notre village, on ne connaissait même pas l’hymne
national comorien mais aujourd’hui nous les jeunes, on
s’est rattrapé.

Azad HALIFA: Et pour recréer comme vous dites une


nouvelle histoire des Comores, sur quoi étaient basées vos
recherches ?

D.M : On a recherché ensemble à travers les siècles, les


gens qui ont édifié à la culture comorienne, et ceux, qui se
sont battus pour les Comores. Il s’agissait de faire une
sélection des diverses personnalités qui ont marqué la
culture comorienne, il fallait aller au plus profond de
l’histoire des Comores, à la base, choisir les gens d’en bas.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 127

Azad HALIFA : Pour terminer, cette jeunesse


intellectuelle, cultive- t-elle l’idée de retour au pays
comme les anciens ?

D.M : Non, pas du tout, ça, ça reste de l’ordre du rêve.


Tu sais, on est à Marseille, on est né ici, on a nos amis ici,
et moi par exemple, je me vois pas un jour retourner aux
Comores, ça c’est fini, c’est dépassé, c’est les anciens qui
pensent comme cela.
Si l’on s’entend bien avec les « «jeunes intellectuels» «
comoriens de Marseille, c’est parce qu’eux contrairement
à Marseille, ils créent d’un côté des structures afin que
l’on vive mieux ici et de l’autre pour qu’on puisse aider
ceux qui sont là bas qu’ils soient à Anjouan, en Grande
Comore ou à Mohéli.
128 De Marseille aux Comores

Annexe 6 : Entretien avec M. M, un ancien de la


communauté comorienne de Marseille.

Cet entretien semi-directif a été effectué à Marseille


dans un bar de la place d’Aix. Aucun élément ne pouvait
influencer le discours de l’auteur.

Azad HALIFA : Mr A. M. M, pouvez-vous vous


présenter ?

M. M : Je m’appelle A. M. M, je suis né à Mohéli, mon


père était originaire de la ville de Mitsamiouli, en Grande
Comore mais il est venu se marier avec ma mère à Mohéli.
Je suis comme on dit, un ancien de la communauté
comorienne de Marseille, je suis arrivé à Marseille en
1984.

Azad HALIFA : Est-ce que vous pouvez me parler de


la vision qu’avaient auparavant et qu’ont aujourd’hui les
anciens de la communauté comorienne de Marseille de la
jeunesse intellectuelle comorienne de Marseille ?

M. M : Oui, nous les anciens, on a souvent perçu ces


« jeunes intellectuels » comoriens de Marseille comme
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 129

des gens qui ne s’intéressaient pas à la communauté. On


les voyait comme trop français. Ils se sentaient
complètement à l’extérieur de la communauté, d’ailleurs
on ne les a jamais vus dans certaines cérémonies. Ainsi,
nous, anciens, on a toujours été en confrontation avec eux,
il n’y avait jamais eu un véritable débat car c’est le non
dialogue qui primait. On ne les comprenait pas et ils ne
nous comprenaient pas non plus. Ils ont toujours rejeté,
aujourd’hui aussi, certaines traditions.

Azad HALIFA : Certaines traditions ?

M.M : Oui, certaines traditions, comme le Grand


mariage. Ils disent que c’est dépassé mais nous, on doit les
garder ces traditions, on ne peut pas se permettre de les
changer, on a été élevé dans ça, c’est comme ça. Il faut
comprendre, les Grands mariages qu’on organise, c’est
vrai ce sont entre des personnes du même village, c’est
même rare qu’on en organise entre gens de la même île.
Cependant, cela ne veut pas dire qu’on n’est pas comorien,
on l’est, ça s’est sûr on le revendique.
Mais, c’est comme ça qu’on a été éduqué par nos
parents, d’ailleurs quand on parle à quelqu’un d’une autre
île, on a l’impression de parler à un étranger, on ne peut
rien faire, c’est dans notre tête.
130 De Marseille aux Comores

Azad HALIFA : Dans votre tête ?

M.M : Oui, dans nos têtes, c’est comme si on était


programmé, mais on est conscient, c’est dans l’unité de
tous les comoriens que notre Etat pourra avancer.
D’ailleurs au lendemain de la crise séparatiste, les «
«jeunes intellectuels» « comoriens de Marseille ont fait
une bonne initiative, ils nous ont réuni, nous les anciens de
la communauté comorienne de Marseille avec d’autres
anciens de Paris, de Dunkerque et d’ailleurs.
Cependant cela n’a pas fonctionné longtemps, vous
savez, les anjouanais, quand ils ont vu que la situation
s’enlisait dans le pays, au lieu de chercher une solution, ils
sont partis soutenir les sécessionnistes. Cela, on ne l’a pas
accepté, et on a quitté à notre tour la diaspora politique.
Les jeunes, eux ont commencé à se tourner vers la
communauté. Vous savez, quand la crise séparatiste a
éclaté, ils nous ont pointés du doigt, ils ont dit qu’on avait
toujours soutenu le séparatisme, qu’on l’avait nourri, mais
c’est faux. Ils sont arrivés à apparaître comme les seules
personnes qui connaissent le mieux la politique, comme
les seuls qui voulaient défendre l’unité des Comores.
Le regard que les comoriens de Marseille avaient sur
nous était entrain de changer, on nous voyait comme des
indésirables, des bons à rien, comme ceux qui pensaient
seulement à rentrer les poches bien garnies et non à la
situation aux Comores. Ils oublient que nous, on investit
en Grande Comore, dans nos villages depuis très
longtemps. On construit des hôpitaux, des écoles, on aide
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 131

ceux qui sont aux pays. Les «jeunes intellectuels» eux,


c’est quand la crise séparatiste a éclaté qu’ils ont crée
leurs associations, avec Comores Mag ou les restructurer,
avec la FECOM. Ils ont profité de la crise, c’est évident,
lors des inaugurations de ces associations, ces «jeunes
intellectuels» ont bien insisté sur le fait que celles-ci
étaient destinés à tous les comoriens sans clivages entres
îles (il hausse le ton), que ces associations allaient agir
partout aux Comores et pas seulement en Grande Comore.
Cela c’était pour nous faire mal et ils ont réussi

Azad HALIFA : Ils ont réussi ? Pourquoi dites-vous


ça ?

M.M : Ils ont réussi, regardez la communauté


aujourd’hui, regardez les comoriens de Marseille, ils vont
tous chez eux, chez ces gens qui ne rêvent même pas d’un
retour au pays. Et oui, c’est la vie, nous, on est dehors à la
place d’Aix, comme des marginaux, certains d’entre nous
ont même choisi de suivre leur voie, bercés par les
promesses de ces jeunes qui tiennent compte de la vie en
France. D’ailleurs, sur ce point peut-être qu’ils ont raison,
mais quand même on ne peut pas être des deux côtés.

Azad HALIFA : Des deux côtés ?

M.M : En France et aux Comores, il faut choisir, soit on


est comorien soit on est Français, le discours de ces
132 De Marseille aux Comores

« jeunes intellectuels » comoriens c’est de la politique


malgache73 et oui, des promesses, c’est tout, ils vont
détruire nos traditions si on se laisse faire.

73
Ce terme est très utilisé par les vieux comoriens qui ont vécu à
Madagascar (Avant la France, les comoriens émigraient massivement
à Madagascar dans les années 50,60) pour définir les palabres
politiciennes.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 133

Annexe 7: Réactions à la suite de la Conférence de la


diaspora comorienne

(27,28 février 1999).

« Que l’homme sincère achète un bon cheval pour


fuir lorsqu’il a dit la vérité » dit un proverbe haoussa.
Nous, nous somme sincères mais nous ne fuirons pas.
Nous continuons à nous battre pour l’unité des
Comores, contre ceux qui veulent balkaniser notre
archipel, de chez nous ou d’ailleurs ».

H.M (Provence-Alpes-Côte d’Azur).

« Une identité nouvelle pour une vie nouvelle. Que


cette veille du troisième millénaire, les Comores soient
unies ».

D.M (Rhône-Alpes).

« En ce jour historique, débute le processus de la


réunification patriotique du peuple comorien
Inchaallah ».

Bruce (Provence-Alpes-Côte d’Azur).

« Félicitations à Amir et son équipe, pour cette belle


initiative. Quel espoir pour la jeunesse comorienne que
vous incarnez et quelles belles perspectives pour notre
pays, dans l’unité! Et que vive le réseau ».
134 De Marseille aux Comores

Mabadi Almedali (Ile de France)

« Détruire c’est facile, construire est un chemin


périlleux plein d’embûches. J’espère que les comoriens
oseront affronter la réalité et surpasser les vraies
querelles stériles villageoises et urbaines pour
construire la Nation ».

Nakidine Matoir (Provence-Alpes-Côte d’Azur).

« Il était temps que la diaspora entame le processus


d’unification pour la défense de l’unité nationale et de
l’intégrité territoriale, plus encore qu’elle rassemble
ses préoccupations, les partages ».

Said Ahmed Jaffar dit Guigui

« Un moment historique qui m’a rappelé les


meilleurs moments de ma jeunesse étudiante où une
pépinière d’intellectuels patriotes et démocrates avait
l’habitude de confronter les idées et les expériences et
non les personnes et les ambitions ».

Soilih Mohamed Soilih (Provence-Alpes-Côte d’Azur)


Source Comores Mag n°3 du 24 mars au 24 avril 1999
Bibliographie

Ouvrages.

AHAMED Saïd Abasse, HATUBOU Salim, De cette


terre…Quête d’une identité comorienne, Marseille, Encres
Du Sud, 2004, 87 p.

ANDERSON Benedict, L’imaginaire national :


Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris,
La Découverte, avril 2002, 216 p.

CAMINADE Pierre, Comores-Mayotte : une histoire


néocoloniale, Marseille, Agone, 2003.

CHOUZOUR Sultan, Le pouvoir de l’honneur :


tradition et contestation en Grande Comore, Paris,
L’Harmattan, 1994.

DIRECHE-SLIMANI Karima, Le HOUEROU


Fabienne, Les Comoriens à Marseille : D’une Mémoire à
l’autre, Paris, Editions Autrement, 2002,179 p.

DIRECHE-SLIMANI Karima, Histoire de l’émigration


kabyle en France au XX ième siècle. Réalités politiques et
culturelles et réappropriations identitaires, Paris,
L’Harmattan, 1997.

DOBRY Michel, Sociologie des crises politiques, Paris,


Presses de Sciences politiques, 1992, 319 p.
136 De Marseille aux Comores

DUFOIX Stéphane, Les Diasporas, Paris, Presses


universitaires de France, octobre 2003,
127 p.

GAÏTI Brigitte, De Gaulle prophète de la Cinquième


République, Paris, Presses de Sciences Politiques, 1998,
378 p.

GUEBOURG Jean-Louis, Espace et pouvoirs en


Grande Comore, Paris, L’Harmattan, 1995.

SAYAD Abdelmalek, La double absence: Des illusions


de l’émigré aux souffrances de l’émigré, Paris, Seuil,
1999, 437 p.

VERNE Véronique, La jeunesse comorienne de


Marseille, mémoire, IEP d’Aix-en Provence, 1997.

Articles.

DEWITTE Philippe, « Ibrahim, au cœur de Marseille »,


in « Les Comoriens de France », Hommes et Migrations,
n° 1215, septembre-octobre1998, p.1.

INCONNU, « La Maison de l’entreprise, des


associations et du co-développement », France Comores
Magazine l’Autre regard, n°1, août-octobre 2002.

INCONNU, « Inauguration de la Fédération


Comorienne », Comores Mag, n°6, juillet août 1999, p.7.
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 137

MAANDZICHE, « Washko dans l’hexagone »,


l’éditorial, no 1, mars avril mai 2000.

TOURQUI Saïd Saïd Ahmed, « Esprit d’entreprise :


L’âme de fond », Comores Mag, n°1, août octobre 2002,
p.9.

TOURQUI Saïd Saïd-Ahmed, « Les « Shudjaans » du


21ième siècle », Comores Mag, n°6, Juillet- août 1999, p.9.

ZAKARIA Houssen, « Les comoriens de France, entre


« ici et là-bas » : Variations autour d’un même thème »,
Enjeux, n°131, décembre 2002, 241 p.

Travaux universitaires.

REY Véronique, Etude d’une communauté ethnique :


Les comoriens dans un quartier marseillais, Le Panier,
Maîtrise d’ethnologie, Université de Provence, 1985.

Sites web consultés.

ALTERITES, 8 août 2005,


http://www.alterites.com/cache/center_initiative/id_880.ph
p

COMORES ONLINE, 10 août 2005,


http://www.comores-online.com/leforumdesîles/
138 De Marseille aux Comores

RENCONTRES DE L’OCEAN INDIEN, 17 août


2005,
http://www.200jeunes.org
Table des matières

Préface ..........................................................................9
Introduction .................................................................15

Première partie La prise en charge de la crise : vers la


politique à distance. .........................................................29

Chapitre I : L’effet « primaire » de la crise:


l’avènement d’un « nationalisme de réaction ». ..............31
La France au banc des accusés : « le temps des
indigènes est révolu ».......................................................31
La quête d’un modèle: idéalisation d’une figure
nationaliste comorienne...................................................36
La critique des dirigeants comoriens : les Comores,
« un Etat en déliquescence »............................................40

Chapitre II. La mobilisation de la diaspora


comorienne: l’union de toutes les communautés
comoriennes de l’étranger autour de la dénonciation du
séparatisme ? ...................................................................45
La représentation de la diaspora comorienne de
France par la « jeunesse intellectuelle » comorienne de
Marseille : d’un « mode enclavé » à un « mode
antagonique »...................................................................48
140 De Marseille aux Comores

La conférence du 27 février 1999 : « la naissance » de


la diaspora politique comorienne. ...................................51
L’effondrement de la diaspora politique : de la
diaspora politique à la communauté comorienne de
Marseille, changement de plan. .......................................53

Deuxième partie La crise séparatiste comorienne de


juillet 1997, fenêtre d’opportunité pour la jeunesse
intellectuelle comorienne de Marseille. ...........................59

Chapitre I : La confrontation avec les anciens qui


dirigent la communauté : la rencontre de valeurs
opposées. ..........................................................................63
De la défense d’une culture comorienne au singulier à
une remise en cause politique des traditions. ..................66
Le poids des mots : l’élaboration d’un discours de
l’absence. .........................................................................72
De nouvelles associations qui concurrencent les
anciennes: du sentiment « out » au « in »........................74

Chapitre II : La nécessité de « l’équilibre » : la


monopolisation du discours communautaire. ..................80
Une élite qui prône « une voie médiane ». .................82
Une nouvelle Histoire des Comores : la naissance
d’une identité comorienne................................................87
Entrée en politique d’une jeunesse issue de l’immigration 141

La contamination du discours : une jeunesse


intellectuelle modèle pour les jeunes comoriens des
Comores ? ........................................................................91

Conclusion...................................................................94

Annexes........................................................................99
Annexe 6 : Entretien avec M. M, un ancien de la
communauté comorienne de Marseille. .........................128
Annexe 7: Réactions à la suite de la Conférence de la
diaspora comorienne......................................................133
(27,28 février 1999)...................................................133
Bibliographie.............................................................135
142 De Marseille aux Comores

Vous aimerez peut-être aussi