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Sous la direction de
Gilles FERRÉOL
&
Abdel-Halim BERRETIMA
POLARISATION ET ENJEUX
DES MOUVEMENTS MIGRATOIRES
ENTRE LES DEUX RIVES DE
LA MÉDITERRANÉE
E.M.E.
SOMMAIRE
Introduction
Gilles Ferréol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Première partie :
Éléments de cadrage et de problématisation
Chapitre 1
Classer, désigner et dénommer. De l’étranger illégitime à l’immigré
Smaïn Laacher . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Chapitre 2
Expériences migratoires et épistémologies sédentaires
Michèle Leclerc-Olive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Chapitre 3
Exil et créativité, ou la subjectivité en question chez Jean Amrouche
Tassadit Yacine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Chapitre 4
Abdelmalek Sayad. D’une rive à l’autre :
à propos de l’œuvre d’un sociologue
Monique de Saint Martin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
Chapitre 5
L’impact de la crise économique sur les flux migratoires
des pays du Sud vers les pays du Nord
Noreddine Cherif-Touil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
Chapitre 6
Migrations et migrants dans l’espace méditerranéen
Marie-Antoinette Hily . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Chapitre 7
De la matrice coloniale à la matrice globalisée :
le cas de l’émigration algérienne
Djinina Ouharzoune . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
Deuxième partie :
Illustrations et témoignages
Chapitre 8
Candidature à la nationalité française et violences symboliques
Jean-Yves Causer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
Chapitre 9
Diversification des destinations et nouvelles stratégies
de départ en Méditerranée occidentale
Bruno Laffort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Chapitre 10
L’immigration algérienne en France.
À propos de quelques enjeux
Gérard Noirel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
Chapitre 11
L’immigration algérienne : rétrospective et perspectives
Ahsène Zehraoui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Chapitre 12
Les intellectuels algériens : entre exil et précarité
Abdel-Halim Berretima . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
Chapitre 13
La migration africaine en Algérie : une éventuelle intégration ou
un passage à l’autre rive de la Méditerranée ?
Massika Lanane . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
Chapitre 14
L’émigration irrégulière dans l’Algérie du XXIe siècle.
La production sociopolitique de l’exil à domicile
Salim Chena . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
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CHAPITRE 13
Les données qui ont contribué à la présente réflexion sont le fruit d’une
observation participante vécue pendant six ans auprès de cette population, de
2004 jusqu’en 2011. Nos investigations ont été réalisées grâce aux 30 voyages
effectués entre le nord et le sud de l’Algérie qui nous ont permis de côtoyer les
migrants africains et vivre leur quotidien. Ces migrants – hommes ou femmes –
ne sont pas tous des déshérités fuyant une condition de misère dans les pays
d’origine. Les entretiens biographiques nous ont permis de reconstituer leurs
trajectoires, les événements marquants de leur aventure migratoire, perçue
comme un projet, explorant les aspects culturel, social, politique, économique
et démographique. Ces différentes trajectoires sont souvent parsemées
d’embûches et impliquent de multiples réseaux de sociabilité aux logiques
variées. Les personnes ont été choisies en fonction de leur statut, comme celui
du plus ancien guérisseur, Boubaker Amadou, 67 ans, arrivé du Sénégal il y a
40 ans pour assister au mariage de son cousin. Se plaisant à Adrar, il s’y installa
par la suite. Actuellement, il est marié à Melha Belkbir, qui appartient à une
famille très connue et respectée dans cette ville.
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raisons s’entrelacent pour dévoiler les mutations, les tensions de la société
d’accueil et sa stratégie d’opposition aux nouveaux migrants. Les motifs
de départ de cette migration africaine restent liés au désir de partir ailleurs
(facteurs push) et à l’attraction de l’Europe du fait de l’influence qu’exerce
ce continent sur l’Afrique subsaharienne (facteurs pull) (Ravenstein, 1885).
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A. Émigration africaine et besoins financiers
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C. L’aventure migratoire volontaire ou imposée
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III. L’AFRIQUE : UN ESPACE CONTINENTAL DES
MOUVEMENTS MIGRATOIRES
Si l’équation économique universelle classifie les pays de départ comme pays
pauvres ou « en voie de développement » et les pays de destination comme pays
« riches », car fortement développés et industrialisés, la circulation des personnes
entre le bloc Nord et le bloc Sud pose la problématique de la situation politique
du phénomène migratoire en Algérie. L’enjeu de cette migration africaine exige
une éventuelle définition de la condition des déplacés, à la recherche d’un statut,
non défini dans la législation algérienne actuelle. Cette situation paradoxale
traduit la logique de domination que vivent les pays du Sud, une domination
rappelant l’influence de l’héritage colonial des pays du Nord qui continuent
d’instrumentaliser l’aliénation économique et politique des pays d’émigration
(Sayad, 1999). Ce rapport dominants/dominés est devenu un atout de négociation
et de politisation pour les pays du Nord de la rive méditerranéenne adhérant
collectivement à la stratégie d’enfermement, une position renforcée par des
mesures juridiques restrictives empêchant les flux migratoires venant des pays
du Sud. Au centre de cette situation, l’Algérie est devenue, à travers son histoire
d’émigration, un pays de transit pour les nouveaux migrants africains, intégrant
en même temps les enjeux qu’induisent les migrations internationales. Il s’agit
donc d’une confrontation réciproque et paradoxale dans les stratégies de mobilité
entre les pays situés de part et d’autre de la Méditerranée (Caselli et al., 2003).
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D’après ce témoignage, on comprend que l’Algérie soit devenue,
depuis le milieu du xxe siècle, l’un des principaux pays d’accueil de la
migration africaine et asiatique, notamment chinoise. La problématique de
l’émigration nous interpelle sur l’actualité politique incitant les pouvoirs
publics à prendre les mesures pénalisant les candidats algériens à l’aventure
de l’émigration illégale, la harraga, tout en pourchassant les candidats à
l’émigration en provenance d’un pays subsaharien.
Dès l’instant où la question des minorités noires est traitée de façon sommaire
en Algérie, les spécialistes de l’immigration africaine font rarement allusion
à sa présence ou à son installation dans la société algérienne, surtout que
cette immigration est devenue une composante ignorée sur le plan culturel
et social. En dépit de ce désintérêt sociologique pour la minorité noire,
l’Algérie est devenue la destination privilégiée de l’émigration clandestine
que connaissent les pays du sud de la Méditerranée (King et Ruiz-Gelices,
2003).
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raisons et les perspectives de cette migration subsaharienne constituent un
sujet de débat politique entre l’Algérie et les pays du Sud de la Méditerranée,
plus particulièrement la France (Laacher, 2012).
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B. Les étudiants subsahariens sont-ils une composante dissimulée ?
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dans les régions du Sud algérien. Parallèlement à cette précarisation, certains
candidats aventuriers ont trouvé la mort après s’être égarés dans le désert
algérien sans aucun soutien humain, logistique ou matériel. Empruntant des
itinéraires pénibles, ces jeunes migrants font tout pour fuir la misère qu’ils
ont vécue dans leur pays d’origine, cherchant par tous les moyens d’atteindre
l’autre rive de la Méditerranée, des tentatives qui se soldent souvent par
l’échec de leur parcours migratoire. En provenance du Cameroun, du Mali,
du Sénégal, du Niger ou d’autres pays, la plupart d’entre eux tombent dans la
mendicité ou dans des réseaux de prostitution.
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Afin de stabiliser cette migration, l’Algérie a depuis institutionnalisé cette
libre circulation sur son territoire en arrêtant un cadre légal. Plusieurs traités
bilatéraux entre l’Algérie et certains pays voisins ont institué la circulation
des nomades (particulièrement les Touaregs) dans la zone du Sahel que
partagent le Mali, le Niger et l’Algérie, une zone autorisant l’« économie de
troc » : « Les Touaregs ont toujours circulé librement en Algérie, ils étaient
nos clients, nos voisins, nos amis et même, on se permet de le dire, faisaient
partie de nos familles. Mais récemment, l’immigration des ressortissants de
pays subsahariens a chuté considérablement après que les États du Maghreb
ont accepté d’être le bouclier de l’Europe pour stopper ou, au moins, réduire
le flux migratoire. La coopération avec les États-Unis d’Amérique s’est
renforcée cette année [2004], une grande coopération avec les pays du Sahel
s’est instituée dans le cadre de l’initiative américaine pour la lutte contre
le terrorisme. Au Sud, en prononçant le mot “Touareg”, beaucoup nous
considèrent comme des terroristes islamistes, des bandits ou des trafiquants
de cigarettes et de drogue, des rebelles mauritaniens de retour vers la Libye »
[Djamel, 45 ans, policier des frontières, rencontré lors de l’enquête menée
dans le cadre de notre thèse de doctorat en avril 2004.]
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herboriste, explique que « l’héritage culturel commun est un facteur du choix
de destination ». Ceci peut se traduire par le fait que, pendant la colonisation
des pays africains, le français est devenu la langue officielle des institutions
tant à l’écrit qu’au quotidien, conséquence du « paternalisme » culturel que
les ex-colonisateurs ont eu à l’égard des Africains. L’usage au quotidien de
cette langue en Algérie et l’apprentissage des outils d’une bonne insertion
dans une société qui utilise le français comme un moyen de communication
dans la gestion administrative et économique, parallèlement à la langue arabe,
révèlent les paradoxes auxquels sont confrontés aujourd’hui les migrants
africains.
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Les seuls avantages auxquels ont accès ces migrants sont ceux
garantis par la Sécurité sociale algérienne (remboursement des frais des
soins). La législation du travail n’évoque pas le cas des travailleurs migrants
irréguliers. C’est seulement en 2004 que l’Algérie a ratifié la Convention
internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des
membres de leur famille, adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation
des Nations Unies dans sa résolution 45/158 du 18 décembre 1990, mais elle
n’est pas encore mise en application. En attendant, on continue à appliquer
les lois anciennes (Di Bartolomeo et al., 2010).
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par les autorités. Entre 2001 et 2006, 5 000 arrestations d’immigrés irréguliers
présents sur le territoire algérien ont été transcrites. Ces immigrés sont répartis
sur 22 wilayas et vivent principalement dans l’extrême Sud, notamment à
Tamanrasset et à Adrar où nous avons mené nos enquêtes. Cette répartition
témoigne d’une forte présence de migrants maliens et nigériens. Au Nord, et
plus précisément dans les villes de l’Ouest (Oran, Tlemcen et Maghnia), on
trouve les migrants congolais et angolais.
Selon nos résultats, 40 % des enquêtés sont venus en Algérie pour étudier
et 40 % pour travailler. Pour certains migrants originaires d’Afrique
subsaharienne, l’Algérie est devenue la destination finale de leur projet
migratoire. Mais ont-ils l’intention de retourner dans leur pays un jour ? La
question reste posée. En revanche, il est évident qu’une partie de ces immigrés
voudraient rentrer chez eux mais, faute de moyens, ils ne peuvent le faire.
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relatives aux titres de séjour irréguliers de ces Africains, ceux-ci – dans leur
majorité – étaient en situation régulière, mais depuis l’expiration de leur
permis de séjour ils sont rentrés dans la clandestinité.
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Dans l’espoir de traverser un jour la Méditerranée vers l’Europe,
certains immigrés peuvent rester en situation de transit pendant plus de deux ans.
Ceux déjà installés en Algérie vont alors jouer les intermédiaires entre la société
locale et les nouveaux arrivants. C’est pourquoi des circuits informels se mettent
en place entre les migrants originaires du même pays et leurs compatriotes déjà
installés en Algérie. Chaque communauté a un représentant chargé d’accueillir
et d’aider les nouveaux arrivants (Choplin, 2001). C’est le cas de ce guérisseur
sénégalais très respecté, marié à une jeune femme chorfa (noble) à Adrar. Connu
pour sa pratique de la médecine traditionnelle, il reçoit, conseille et parfois trouve
des petits emplois dans le bâtiment aux jeunes Sénégalais fraîchement arrivés :
« Quitter son pays, c’est comme ôter à son cœur les raisons de battre, c’est le
sentiment qui s’empare de tous les jeunes qui portent en eux les balafres d’une
misère commune à l’instant où ils partent à l’aventure. On est tous ici en exil, et
c’est mon devoir envers mes compatriotes de les aider, comme ceux qui m’ont
précédé l’ont fait avec moi. »
Toutefois, les étudiants africains ne sont pas tous venus s’installer pour
poursuivre leur formation en Algérie et rentrer ensuite chez eux définitivement.
Au contraire, leur projet migratoire est beaucoup plus complexe et peut se
poursuivre désespérément, surtout en ce qui concerne ceux qui souhaiteraient
obtenir le statut de réfugié. En 2006, le Haut Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés a enregistré 600 demandes d’asile en Algérie déposées par des
ressortissants de différents pays d’Afrique noire. Ce renversement de situation
transforme l’Algérie en un pays où les candidats subsahariens à l’émigration
qui souhaiteraient émigrer vers l’Europe, actuellement en crise économique,
deviennent des immigrés en transit permanent qui chercheraient à trouver une
solution définitive mais désespérée à leur séjour en Algérie. Il leur devient donc
impossible, surtout avec le renforcement des contrôles policiers aux frontières, de
gagner l’autre rive de la Méditerranée.
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Les résultats de notre étude ont démontré que l’émigration subsaharienne
vers l’Algérie diffère complètement de celle à laquelle était confronté ce pays
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dans un passé récent. L’Algérie constituait jusque-là un pays de migration
d’échange, puis de migration de main-d’œuvre et actuellement un pays de
transit pour les Africains désireux de gagner l’Europe. Ces migrants fuient
aujourd’hui les situations que connaissent les pays d’origine, la mort les
guette chaque fois que les conflits, les exécutions et les guerres font rage entre
les ethnies et les tribus. Face à cette situation, le gouvernement algérien, pour
des raisons humanitaires et pour ne pas mettre leur vie en danger, s’oppose
actuellement à la décision de refouler ces migrants vers leur pays d’origine,
plus particulièrement les Maliens.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ADAMOU Aboubacar (sous la dir. de), « Entre l’Afrique au sud et au nord
du Sahara : la ville d’Agadez, carrefour d’hier et aujourd’hui », http://www.
codesria.org/Links/conferences/north/amadou.pdf.
215
« Comprendre les dynamiques des migrations sur le continent », Centre for
Migration Studies at International Migration Institut, Accra, 18-21 septembre,
http://www.imi.ox.ac.uk/pdfs/research-projects-pdfs/african-migrations-
workshops-pdfs/ghana-workshop-2007/Berriane%20Ghana%2007.pdf
216
et RICHARD Jean-Luc, Paris, octobre.
LAACHER Smaïn (2012), Ce qu’immigrer veut dire : idées reçues sur
l’immigration, Paris, Le Cavalier Bleu.
LAHLOU Mehdi (2005), Les Migrations irrégulières entre le Maghreb et
l’Union européenne : évolutions récentes, Florence, Institut universitaire
européen, Robert Schuman Center for Advanced Studies.
LANANE Massika (2011), La Migration de la main-d’œuvre au Sud
algérien : cas pratique. La ville d’Adrar et de Tamanrasset, thèse de
doctorat en sociologie, sous la direction du professeur LOUKIA El Hechemi,
Université de Constantine.
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face au sens commun », Hommes et Migrations, n° 1241, janvier-février,
pp. 20-31.
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Dans la même collection
Sous la direction de Gilles Ferréol