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— AGORA

Bruno Zevi

Langage moderne
de l'architecture

P r i n c i p e g é n é t i q u e d u langage m o d e r n e , i l
résume en soi tous les autres ; i l trace la
l i g n e de démarcation, d u p o i n t de vue
éthique et opérationnel, entre ceux q u i
parlent en termes actuels et les ruminants
A

BRUNO Z I : V I <S ~V

Italien, né en 1918 et mort en 1999, Bruno Zevi suit


l'enseignement de Walter Gropius aux États-Unis
où il a dû émigrer en 1940. De retour en Italie, il
mène de front une carrière politique et son travail
d'historien et de critique d'architecture. Dans son
premier livre, Vers une architecture organique
(1950), il s'inscrit en faux contre le style dit " inter-
national ", et se prononce en faveur d'un modernisme
architectural dont il trouve l'archétype en Frank
Lloyd Wright, et des exemples chez Erich
Mendelsohn et Le Corbusier. Ses positions catégo-
riques sont loin de faire l'unanimité en Italie. En
France, son influence s'exerce essentiellement à tra-
vers VExpresso, devenu grâce à lui magazine leader
de l'architecture, et ses ouvrages d'initiation,
Apprendre à voir L'architecture (1948), Histoire de
l'architecture moderne (1950), et Lire, écrire, par-
ler l'architecture (1996).
Théoricien et penseur souvent contesté, mais incon-
tournable dans les débats touchant l'urbanisme, il
représente une critique militante à la fois tournée
vers le grand public et reconnue par les profession-
nels et les institutions.
LE LANGAGE MODERNE DE
L'ARCHITECTURE
AG ORA
Collection dirigée par François Laurent

BRUNO ZEVI

LE LANGAGE
MODERNE
DE
L'ARCHITECTURE

DUNOD
La présente édition est la traduction autorisée de deux essais
publiés en langue italienne :

La première partie « Le code anticlassique »


correspond aux pages 1 -84 de :
// linguaggio mode) no dell'architettura
Piccola Biblioteca Einaudi 214,
copyright © 1973, Giulio Einaudi, Turin. Préface à l'édition française

La seconde partie « Architecture et historiographie »


est la traduction de : Architettura e sloriografia Selon la prévision optimiste et, en partie, utopique
Piccola Biblioteca Einaudi 216, d'Alvin Toffler, nous sommes à la veille du troisième
copyright © 1974, Giulio Einaudi, Turin.
stade de la civilisation humaine : The Third Wave . Le 1

premier fut marqué par l'invention de l'agriculture, i l y


Traduit par Marie-José Hoyet a environ 10 000 ans ; le suivant par la révolution indus-
trielle des trois derniers siècles. Aujourd'hui, on assiste
à une série de phénomènes nouveaux dans le domaine de
la science, de la technologie et des mœurs qui entraînent
une volonté de « démassification », un refus de l'unidi-
mensionnel, de la névrose engendrée par la recherche
systématique de la productivité, de la répétition et de la
monotonie abrutissante du travail, de la séparation entre
l'activité intellectuelle et l'activité manuelle. Cherchant
désespérément sa propre identité, l'homme refuse les
conceptions monolithiques et les modèles de comporte-
ment unitaires, il veut être en même temps producteur et
consommateur, il vise à la fusion du travail et du jeu, de
l'abstrait et du concret, de l'objectif et du personnel. Le
troisième stade de l'histoire est déjà annoncé par le
triomphe du self-help et du do ityourself.
Il est clair que ce tournant se répercute sur l'architec-
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 ture. La maison standardisée et l'architecte démiurge
(2° et 3 a), d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à
e

l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, sont désormais des notions anachroniques. L'utilisateur
que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute veut participer au projet du milieu où il vit, il veut en être
représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de
l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L 122-4). l'auteur ou tout au moins le coauteur. La profession
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait
donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L . 335-2 et suivants du Code de la
change, le langage de l'architecture aussi. On assiste à
propriété intellectuelle. une violente protestation contre Y International Style,
© DUNOD, Paris, 1991
© Bordas, Paris, 1981 1 Traduction française La troisième vague, Paris, Denaël, 1980.
ISBN : 2-266-09213-8 (N.d.E.)

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La présente édition est la traduction autorisée de deux essais
publiés en langue italienne :

La première partie « Le code anticlassique »


correspond aux pages 1 -84 de :
// linguaggio mode) no dell'architettura
Piccola Biblioteca Einaudi 214,
copyright © 1973, Giulio Einaudi, Turin. Préface à l'édition française

La seconde partie « Architecture et historiographie »


est la traduction de : Architettura e sloriografia Selon la prévision optimiste et, en partie, utopique
Piccola Biblioteca Einaudi 216, d'Alvin Toffler, nous sommes à la veille du troisième
copyright © 1974, Giulio Einaudi, Turin.
stade de la civilisation humaine : The Third Wave . Le 1

premier fut marqué par l'invention de l'agriculture, i l y


Traduit par Marie-José Hoyet a environ 10 000 ans ; le suivant par la révolution indus-
trielle des trois derniers siècles. Aujourd'hui, on assiste
à une série de phénomènes nouveaux dans le domaine de
la science, de la technologie et des mœurs qui entraînent
une volonté de « démassification », un refus de l'unidi-
mensionnel, de la névrose engendrée par la recherche
systématique de la productivité, de la répétition et de la
monotonie abrutissante du travail, de la séparation entre
l'activité intellectuelle et l'activité manuelle. Cherchant
désespérément sa propre identité, l'homme refuse les
conceptions monolithiques et les modèles de comporte-
ment unitaires, il veut être en même temps producteur et
consommateur, il vise à la fusion du travail et du jeu, de
l'abstrait et du concret, de l'objectif et du personnel. Le
troisième stade de l'histoire est déjà annoncé par le
triomphe du self-help et du do ityourself.
Il est clair que ce tournant se répercute sur l'architec-
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 ture. La maison standardisée et l'architecte démiurge
(2° et 3 a), d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à
e

l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, sont désormais des notions anachroniques. L'utilisateur
que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute veut participer au projet du milieu où il vit, il veut en être
représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de
l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L 122-4). l'auteur ou tout au moins le coauteur. La profession
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait
donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L . 335-2 et suivants du Code de la
change, le langage de l'architecture aussi. On assiste à
propriété intellectuelle. une violente protestation contre Y International Style,
© DUNOD, Paris, 1991
© Bordas, Paris, 1981 1 Traduction française La troisième vague, Paris, Denaël, 1980.
ISBN : 2-266-09213-8 (N.d.E.)

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contre les boîtes de verre anonymes et contre les
constructions uniformes et déprimantes du second stade.
On demande une liberté individuelle plus grande, une
variété expressive plus grande, et surtout, le droit d'être
différents les uns des autres.
Comment les architectes ont-ils répondu à ces nou-
velles exigences ? Jusqu'à présent, de manière incer-
taine : sans en interpréter la signification profonde et en
se limitant à satisfaire les idiosyncrasies des clients.
Devant le désordre de nos villes, ils ont proposé de reve- SOMMAIRE
nir au néo-classicisme ; devant l'uniformité aliénante
des édifices, ils se sont abandonnés à l'éclectisme, à un
mélange hétéroclite de styles anciens et modernes. Tran-
quillisants superficiels et caducs et non pas thérapies MU R i . P A R T I E
courageuses. Le troisième stade de la civilisation ne peut
être représenté en réutilisant les instruments les plus LE CODE ANTICLASSIQUE
obsolètes du second stade, le classicisme despotique et
l'anarchie épidermiquement théâtrale. : XI! vu: P A R T I E

Aucun langage ne peut être inventé de toutes pièces ARCHITECTURE ET HISTORIOGRAPHIE


sous peine d'annuler la communication. Notre tâche
n'est donc pas d'effacer les valeurs que nous avons
acquises dans le passé récent mais de les redécouvrir, de
les reconquérir en les dépouillant des éléments vils,
commercialisés et uniformisés qui sont responsables de
la crise actuelle.
Ce livre s'adresse aux producteurs, aux consomma-
teurs et aux do ityourself, à ceux qui veulent gérer eux-
mêmes l'architecture. I l illustre sept invariants du lan-
gage moderne et en décrit la genèse historique : sept
libertés créatrices, utiles à tous les niveaux de l'activité,
aussi bien pour placer un tableau sur un mur que pour
construire une ville. I l lutte contre les dogmes, les vérités
absolues, les préceptes académiques, les habitudes
paresseuses, les freins bureaucratiques, afin d'encoura-
ger le développement d'un environnement organique et
agréable, approprié au troisième stade de la société.
Bruno Zevi, 1981
contre les boîtes de verre anonymes et contre les
constructions uniformes et déprimantes du second stade.
On demande une liberté individuelle plus grande, une
variété expressive plus grande, et surtout, le droit d'être
différents les uns des autres.
Comment les architectes ont-ils répondu à ces nou-
velles exigences ? Jusqu'à présent, de manière incer-
taine : sans en interpréter la signification profonde et en
se limitant à satisfaire les idiosyncrasies des clients.
Devant le désordre de nos villes, ils ont proposé de reve- SOMMAIRE
nir au néo-classicisme ; devant l'uniformité aliénante
des édifices, ils se sont abandonnés à l'éclectisme, à un
mélange hétéroclite de styles anciens et modernes. Tran-
quillisants superficiels et caducs et non pas thérapies MU R i . P A R T I E
courageuses. Le troisième stade de la civilisation ne peut
être représenté en réutilisant les instruments les plus LE CODE ANTICLASSIQUE
obsolètes du second stade, le classicisme despotique et
l'anarchie épidermiquement théâtrale. : XI! vu: P A R T I E

Aucun langage ne peut être inventé de toutes pièces ARCHITECTURE ET HISTORIOGRAPHIE


sous peine d'annuler la communication. Notre tâche
n'est donc pas d'effacer les valeurs que nous avons
acquises dans le passé récent mais de les redécouvrir, de
les reconquérir en les dépouillant des éléments vils,
commercialisés et uniformisés qui sont responsables de
la crise actuelle.
Ce livre s'adresse aux producteurs, aux consomma-
teurs et aux do ityourself, à ceux qui veulent gérer eux-
mêmes l'architecture. I l illustre sept invariants du lan-
gage moderne et en décrit la genèse historique : sept
libertés créatrices, utiles à tous les niveaux de l'activité,
aussi bien pour placer un tableau sur un mur que pour
construire une ville. I l lutte contre les dogmes, les vérités
absolues, les préceptes académiques, les habitudes
paresseuses, les freins bureaucratiques, afin d'encoura-
ger le développement d'un environnement organique et
agréable, approprié au troisième stade de la société.
Bruno Zevi, 1981
LE CODE ANTICLASSIQUE
PARLER ARCHITECTURE

En 1964, John Summerson a publié un essai, traduit


ensuite en plusieurs langues, intitulé The Classical Lan-
guage of Architecture^. J'ai attendu pendant dix ans son
complément naturel et indispensable : The Anti-classical
Language of Architecture ou mieux, The Modem Lan-
guage of Architecture mais ni Summerson ni personne
d'autre ne l'a écrit. Pour quelles raisons ? On les devine
multiples et paralysantes. Toutefois, il faut combler cette
lacune car cette tâche, qui est d'une extrême urgence
pour l'histoire et la critique architecturale, ne peut plus
être différée : nous n'avons déjà que trop tardé.
Sans langage, on ne parle pas. Et bien plus, comme
chacun sait, « c'est la langue qui nous parle » dans ce
sens qu'elle offre des instruments de communication
dont l'absence rendrait impossible l'élaboration même
de toute pensée. Mais, au cours des siècles, un seul lan-
gage architectural a été codifié : celui du classicisme.
Tous les autres, soustraits au processus simplificateur
nécessaire pour qu'ils deviennent des langages, ont été
considérés comme des exceptions à la règle classique et
non pas comme des alternatives se suffisant à elles-
mêmes. L'architecture moderne, née d'une polémique
en réaction contre le néo-classicisme, risque, si elle n'est
pas structurée comme langue, de régresser vers des
archétypes beaux-arts rebattus, une fois que le cycle de
l'avant-garde sera achevé.

1. Le langage classique de l'architecture, tr. fr., Paris, L'Equerre, 1981.


(N.d.E.).

13
ignorent comment s'exprimer, et, par conséquent, ne
disent rien et n'ont rien à dire. Un danger encore plus
grave nous guette : quand le mouvement moderne sera
passé, nous ne serons plus capables d'appréhender les
images de tous ces architectes qui ont parlé une langue
autre que celle du classicisme, c'est-à-dire les images de
l'époque paléolithique, les œuvres des maîtres de la fin
de l'Antiquité et du Moyen Age, celles des maniéristes
et de Michel-Ange, de Borromini, des mouvements Arts
and Crafts et Art nouveau, de Wright, Loos, Le Corbu-
sier, Gropius, Mies, Aalto, Scharoun et, plus récemment,
celles qui vont de Johansen à Safdie.
Aujourd'hui personne n'utilise les ordres classiques.
Mais le classicisme est un état d'esprit qui dépasse les
« ordres » et va même jusqu'à figer les discours élaborés
avec des mots et des termes anticlassiques. Le système
des Beaux-Arts a, en effet, codifié l'architecture
gothique, puis romane, baroque, égyptienne, japonaise
et, en dernier lieu, même l'architecture moderne grâce à
un expédient très simple : l'hibernation, c'est-à-dire
qu'on les « classicise ». D'ailleurs, au cas où i l s'avére-
rait impossible de codifier le langage moderne d'une
façon dynamique, il ne resterait plus que cette solution
suicidaire, déjà préconisée par quelques misérables, cri-
tiques et/ou architectes.
Il faut donc expérimenter tout de suite sans chercher
1. La dictature de la ligne droite dans un croquis de Mauris. [1 en ressort une manie des à résoudre a priori, c'est-à-dire en dehors des contrôles
parallèles, des proportions, des tracés orthogonaux, des angles à 90°, c'est-à-dire le concrets, l'ensemble des problèmes théoriques dont
lexique, la grammaire et la syntaxe du classicisme. Les monuments de l'Antiquité qu'on
dit « classiques » sont faussés pour les rendre conformes à une idéologie abstraite et a
l'étude constitue souvent un alibi pour renvoyer la ques-
priori tion à plus tard. Des dizaines de livres et des centaines
d'essais discourent afin de savoir si l'architecture peut
Cette situation est incroyable, voire absurde. Nous être assimilée à une langue, si les langages non verbaux
sommes en train de dilapider un patrimoine expressif ont une double articulation ou pas, si le désir de codifier
colossal parce que nous fuyons la responsabilité qui l'architecture moderne ne débouche pas en fait sur l'ar-
consiste à le préciser et à le rendre transmissible. Bientôt rêt de son développement. La recherche sémiologique
est fondamentale, mais il n'est pas possible de prétendre
peut-être, nous ne saurons plus parler architecture ; en
qu'elle résolve les problèmes architecturaux en dehors
fait, la plupart de ceux qui conçoivent et construisent
de l'architecture elle-même. De toute façon, les archi-
aujourd'hui bredouillent, émettent des sons inarticulés,
tectes communiquent, parlent architecture, que ce soit
dépourvus de sens, qui ne véhiculent aucun message ; ils
15
14
ignorent comment s'exprimer, et, par conséquent, ne
disent rien et n'ont rien à dire. Un danger encore plus
grave nous guette : quand le mouvement moderne sera
passé, nous ne serons plus capables d'appréhender les
images de tous ces architectes qui ont parlé une langue
autre que celle du classicisme, c'est-à-dire les images de
l'époque paléolithique, les œuvres des maîtres de la fin
de l'Antiquité et du Moyen Age, celles des maniéristes
et de Michel-Ange, de Borromini, des mouvements Arts
and Crafts et Art nouveau, de Wright, Loos, Le Corbu-
sier, Gropius, Mies, Aalto, Scharoun et, plus récemment,
celles qui vont de Johansen à Safdie.
Aujourd'hui personne n'utilise les ordres classiques.
Mais le classicisme est un état d'esprit qui dépasse les
« ordres » et va même jusqu'à figer les discours élaborés
avec des mots et des termes anticlassiques. Le système
des Beaux-Arts a, en effet, codifié l'architecture
gothique, puis romane, baroque, égyptienne, japonaise
et, en dernier lieu, même l'architecture moderne grâce à
un expédient très simple : l'hibernation, c'est-à-dire
qu'on les « classicise ». D'ailleurs, au cas où i l s'avére-
rait impossible de codifier le langage moderne d'une
façon dynamique, il ne resterait plus que cette solution
suicidaire, déjà préconisée par quelques misérables, cri-
tiques et/ou architectes.
Il faut donc expérimenter tout de suite sans chercher
1. La dictature de la ligne droite dans un croquis de Mauris. [1 en ressort une manie des à résoudre a priori, c'est-à-dire en dehors des contrôles
parallèles, des proportions, des tracés orthogonaux, des angles à 90°, c'est-à-dire le concrets, l'ensemble des problèmes théoriques dont
lexique, la grammaire et la syntaxe du classicisme. Les monuments de l'Antiquité qu'on
dit « classiques » sont faussés pour les rendre conformes à une idéologie abstraite et a
l'étude constitue souvent un alibi pour renvoyer la ques-
priori tion à plus tard. Des dizaines de livres et des centaines
d'essais discourent afin de savoir si l'architecture peut
Cette situation est incroyable, voire absurde. Nous être assimilée à une langue, si les langages non verbaux
sommes en train de dilapider un patrimoine expressif ont une double articulation ou pas, si le désir de codifier
colossal parce que nous fuyons la responsabilité qui l'architecture moderne ne débouche pas en fait sur l'ar-
consiste à le préciser et à le rendre transmissible. Bientôt rêt de son développement. La recherche sémiologique
est fondamentale, mais il n'est pas possible de prétendre
peut-être, nous ne saurons plus parler architecture ; en
qu'elle résolve les problèmes architecturaux en dehors
fait, la plupart de ceux qui conçoivent et construisent
de l'architecture elle-même. De toute façon, les archi-
aujourd'hui bredouillent, émettent des sons inarticulés,
tectes communiquent, parlent architecture, que ce soit
dépourvus de sens, qui ne véhiculent aucun message ; ils
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une langue ou pas. Nous devons définiravec exactitude invariants, mais on pourrait en ajouter dix, vingt, cin-
ce qu'implique le fait de parler architecture en termes quante autres, à condition qu'ils ne soient pas en contra-
anticlassiques ; si nous yparvenons, l'appareil théorique diction avec les précédents. La validité d'une telle
viendra de lui-même, en raison de l'approfondissement approche doit se confirmer sur les planches à dessin et
linguistique. par les œuvres. Chacun peut s'exercer àvérifierce basic
Des milliers d'architectes et d'étudiants-architectes language. Et que l'on ne s'étonnepas, endécouvrantque
projettent tout en m éconnaissant le lexique, la gram- sur cent édificesconstruits aujourd'hui, quatre-vingt-dix
maire et la syntaxe du langage moderne qui, par rapport sont tout à fait anachroniques et pourraient se situer entre
au classicisme, sont unanti-lexique, une anti-grammaire la Renaissance et la périodeBeaux-Arts, huit compren-
et une anti-syntaxe. Les critiques formulent des juge- nent quelques élém ents du vocabulaire moderne mais
ments, d'un point de vue à la fois professionnel et didac- utilisésde façonincohérente, et deux, dans le meilleur
tique, mais selon quels critères ? Et de quel droit en des cas, ne respectent pas la grammaire c'est-à-dire
l'absence de ceux-ci ? Voilà le défi que nous, produc- qu'ils ne parlent plus la vieille langue mais pas encore
teurs et usagers, devons affronter : pour se comprendre, la nouvelle. De plus, les grands m aîtresdu mouvement
il faut utiliser la même langue et se mettre d'accord sur moderne eux-mêmes, comme nous le verrons, ont pro-
les termes et les procédés. Ce problème n'apparaît duit parfois des œuvres rétrogrades, classiques, si bien
gigantesque que parce qu'il est resté inexploréjusqu'à qu'on peut se demander : quelle est cette langue que per-
maintenant. sonne ou presque ne parle ? On répondrapar une autre
Notre objectif est volontairement provocateur : fixer interrogation : pourrait-elle êtreplus répanduesans avoir
une séried'«invariants » de l'architecture moderne sur élaboréson code ?
labase des œuvres lesplus significatives et lesplus para- Cette étudeapour dessein celui detout actehérétique,
digmatiques. Un doute surgit : alors que dans le langage c'est-à-dire soulever des controverses. Si elle suscite
verbal il faut absolument tenir compte du code sous une discussion, elle aura atteint son but : au lieu de parler
peine d'incom préhension, en architecture n'importe qui sansfinsur l'architecture, finalement on parlera archi-
peut lefaire éclater sans pour autant renoncer à tecture1.
construire. Certes, on peut même construire en style
babylonien, si l'on veut, mais onne communiquera alors
que ses propres névroses.
J'ai parléde linguistique architecturale avec des pro-
fesseurs d'universitéet des architectes praticiens et sur-
tout avec des étudiantsinquiets, aux idéesconfuses,
ex asp éréspar le fait que personne ne leur enseigne une 1. Quatre ans après la publication de l'éditionitalienne de mon ouvrage,
langue avec laquelle ils puissent parler. De ces éch ang es un plaisant essai de Charles Jencks a paru, intituléThe Language of Post-
ém erg eune conclusion : s'il est vrai qu'il existe d'excel- Modem Architecture (New York, Rizzoli, 1977). Ce livre montre que le
post-modernisme, à l'op p
osédu modernisme, retourne au pré-m odernism e,
lentes raisons pour ne pas affronter un thème si difficile c'est-à-dire au classicisme acad ém iq
u e. Peut-être devrait-on retitrer mon
et si traumatisant, il n'en faut pas moins sortir de l'im- ouvrage « le langage post-post-moderne de l'architecture ». [Note de B. Zevi
passe et commencer. à l'éditionanglaise The Modem Language of Architecture, University of
Washington Press, 1978. Entre-temps le livre de C. Jencks a fait l'objet d'une
Cet essai est encore plus court que celui de Summer- traduction fran çaisepubliéechez Academy E ditions/Denoël : Le langage de
son qui était déjà succinct. On y analyse seulement sept l'architecturepost-moderne, Paris, 1979. (N.d.E.)]

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une langue ou pas. Nous devons définiravec exactitude invariants, mais on pourrait en ajouter dix, vingt, cin-
ce qu'implique le fait de parler architecture en termes quante autres, à condition qu'ils ne soient pas en contra-
anticlassiques ; si nous yparvenons, l'appareil théorique diction avec les précédents. La validité d'une telle
viendra de lui-même, en raison de l'approfondissement approche doit se confirmer sur les planches à dessin et
linguistique. par les œuvres. Chacun peut s'exercer àvérifierce basic
Des milliers d'architectes et d'étudiants-architectes language. Et que l'on ne s'étonnepas, endécouvrantque
projettent tout en m éconnaissant le lexique, la gram- sur cent édificesconstruits aujourd'hui, quatre-vingt-dix
maire et la syntaxe du langage moderne qui, par rapport sont tout à fait anachroniques et pourraient se situer entre
au classicisme, sont unanti-lexique, une anti-grammaire la Renaissance et la périodeBeaux-Arts, huit compren-
et une anti-syntaxe. Les critiques formulent des juge- nent quelques élém ents du vocabulaire moderne mais
ments, d'un point de vue à la fois professionnel et didac- utilisésde façonincohérente, et deux, dans le meilleur
tique, mais selon quels critères ? Et de quel droit en des cas, ne respectent pas la grammaire c'est-à-dire
l'absence de ceux-ci ? Voilà le défi que nous, produc- qu'ils ne parlent plus la vieille langue mais pas encore
teurs et usagers, devons affronter : pour se comprendre, la nouvelle. De plus, les grands m aîtresdu mouvement
il faut utiliser la même langue et se mettre d'accord sur moderne eux-mêmes, comme nous le verrons, ont pro-
les termes et les procédés. Ce problème n'apparaît duit parfois des œuvres rétrogrades, classiques, si bien
gigantesque que parce qu'il est resté inexploréjusqu'à qu'on peut se demander : quelle est cette langue que per-
maintenant. sonne ou presque ne parle ? On répondrapar une autre
Notre objectif est volontairement provocateur : fixer interrogation : pourrait-elle êtreplus répanduesans avoir
une séried'«invariants » de l'architecture moderne sur élaboréson code ?
labase des œuvres lesplus significatives et lesplus para- Cette étudeapour dessein celui detout actehérétique,
digmatiques. Un doute surgit : alors que dans le langage c'est-à-dire soulever des controverses. Si elle suscite
verbal il faut absolument tenir compte du code sous une discussion, elle aura atteint son but : au lieu de parler
peine d'incom préhension, en architecture n'importe qui sansfinsur l'architecture, finalement on parlera archi-
peut lefaire éclater sans pour autant renoncer à tecture1.
construire. Certes, on peut même construire en style
babylonien, si l'on veut, mais onne communiquera alors
que ses propres névroses.
J'ai parléde linguistique architecturale avec des pro-
fesseurs d'universitéet des architectes praticiens et sur-
tout avec des étudiantsinquiets, aux idéesconfuses,
ex asp éréspar le fait que personne ne leur enseigne une 1. Quatre ans après la publication de l'éditionitalienne de mon ouvrage,
langue avec laquelle ils puissent parler. De ces éch ang es un plaisant essai de Charles Jencks a paru, intituléThe Language of Post-
ém erg eune conclusion : s'il est vrai qu'il existe d'excel- Modem Architecture (New York, Rizzoli, 1977). Ce livre montre que le
post-modernisme, à l'op p
osédu modernisme, retourne au pré-m odernism e,
lentes raisons pour ne pas affronter un thème si difficile c'est-à-dire au classicisme acad ém iq
u e. Peut-être devrait-on retitrer mon
et si traumatisant, il n'en faut pas moins sortir de l'im- ouvrage « le langage post-post-moderne de l'architecture ». [Note de B. Zevi
passe et commencer. à l'éditionanglaise The Modem Language of Architecture, University of
Washington Press, 1978. Entre-temps le livre de C. Jencks a fait l'objet d'une
Cet essai est encore plus court que celui de Summer- traduction fran çaisepubliéechez Academy E ditions/Denoël : Le langage de
son qui était déjà succinct. On y analyse seulement sept l'architecturepost-moderne, Paris, 1979. (N.d.E.)]

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;es siècles de classicisme. Niant et anéantissant tout
modèle institutionnalisé, i l se libère de l'idolâtrie. I l
reconstitue et revit la genèse et le développement de
l'homme, et constate qu'au cours des millénaires, les
architectes ont fait plusieurs fois table rase de l'écriture
f.gurative et balayé toutes les règles grammaticales et
LES I N V A R I A N T S s>Titaxiques. Les créateurs authentiques sont toujours
D U L A N G A G E MODERNE repartis de zéro. La révolution architecturale moderne
• 'est donc pas un phénomène inédit, signe d'apoca-
lypse ; la lutte contre les jougs répressifs s'est répétée
iu cours des siècles.
1. L'inventaire comme méthodologie du projet Inventorier signifie resémantiser. On n'emploie plus
de mots sans avoir analysé à fond leur contenu. En
Principe génétique du langage moderne, i l résume outre, on élimine, au moins au début, les verbes, les
en soi tous les autres ; i l trace la ligne de démarcation, enchaînements, les modes syntaxiques. Donnons tout
du point de vue éthique et opérationnel, entre ceux qui de suite un exemple pour entrer dans le v i f de la
parlent en termes actuels et les ruminants des langues méthodologie du projet.
mortes : toute erreur, involution, blocage psycholo- Les fenêtres. Pour les fenêtres d'un palais Renais-
gique, effet de rouille mentale au moment de la sance, le classicisme sélectionne un module, puis en
conception, peut être ramené, sans exception, à l'inob- étudie la séquence, les rapports entre les pleins et les
servation de ce principe. I l s'agit d'un invariant fonda- vides, les alignements horizontaux et verticaux, autre-
mental du code contemporain. ment dit, la superposition des ordres. L'architecture
L'inventaire implique le refus et le démantèlement moderne s'affranchit de ces préoccupations formelles
des règles classiques, c'est-à-dire des « ordres », des a et s'engage dans un travail de resémantisation beau-
priori, des phrases toutes faites, des conventions de coup plus complexe et profitable. Tout d'abord aucun
toutes sortes et de toutes origines. I l provient d'un acte module ne se répète. Chaque fenêtre est un terme qui
destructif qui fait table rase de la culture et qui amène a une valeur en soi, par sa signification et son rôle ;
à refuser tout le bagage des normes et des canons tradi- elle ne doit pas être alignée avec les autres, ni répondre
tionnels, à tout recommencer depuis le début comme à un système de proportions. Elle peut prendre n'im-
si aucun système linguistique n'avait jamais existé et porte quelle forme : rectangulaire, carrée, circulaire,
que l'on dût construire, pour la première fois dans ellipsoïdale, triangulaire, composite, libre. Selon la
l'histoire, une maison ou une ville. pièce qu'elle doit éclairer, la fenêtre peut prendre la
Ce principe est éthique avant d'être opérationnel. En forme d'une fente longue et étroite au ras du plafond
effet, il faut se dépouiller, avec un effort terrible mais ou du plancher, d'une fente de haut en bas du mur,
avec une joie immense, des tabous culturels dont nous d'un bandeau qui se déroule à hauteur d'homme, de
avons hérités en les décelant en nous-mêmes et en les tout ce que l'on veut ou juge correct après avoir calculé
désacralisant un à un. Pour l'architecte moderne, les sa fonction pièce par pièce. I l n'y a pas de raison d'uni-
tabous qui paralysent, ce sont les dogmes, les habi- formiser les fenêtres et d'éliminer leurs caractères
tudes, l'inertie, tous les poids morts accumulés pendant propres. Quand on les aura soustraites à l'emprise du

19
;es siècles de classicisme. Niant et anéantissant tout
modèle institutionnalisé, i l se libère de l'idolâtrie. I l
reconstitue et revit la genèse et le développement de
l'homme, et constate qu'au cours des millénaires, les
architectes ont fait plusieurs fois table rase de l'écriture
f.gurative et balayé toutes les règles grammaticales et
LES I N V A R I A N T S s>Titaxiques. Les créateurs authentiques sont toujours
D U L A N G A G E MODERNE repartis de zéro. La révolution architecturale moderne
• 'est donc pas un phénomène inédit, signe d'apoca-
lypse ; la lutte contre les jougs répressifs s'est répétée
iu cours des siècles.
1. L'inventaire comme méthodologie du projet Inventorier signifie resémantiser. On n'emploie plus
de mots sans avoir analysé à fond leur contenu. En
Principe génétique du langage moderne, i l résume outre, on élimine, au moins au début, les verbes, les
en soi tous les autres ; i l trace la ligne de démarcation, enchaînements, les modes syntaxiques. Donnons tout
du point de vue éthique et opérationnel, entre ceux qui de suite un exemple pour entrer dans le v i f de la
parlent en termes actuels et les ruminants des langues méthodologie du projet.
mortes : toute erreur, involution, blocage psycholo- Les fenêtres. Pour les fenêtres d'un palais Renais-
gique, effet de rouille mentale au moment de la sance, le classicisme sélectionne un module, puis en
conception, peut être ramené, sans exception, à l'inob- étudie la séquence, les rapports entre les pleins et les
servation de ce principe. I l s'agit d'un invariant fonda- vides, les alignements horizontaux et verticaux, autre-
mental du code contemporain. ment dit, la superposition des ordres. L'architecture
L'inventaire implique le refus et le démantèlement moderne s'affranchit de ces préoccupations formelles
des règles classiques, c'est-à-dire des « ordres », des a et s'engage dans un travail de resémantisation beau-
priori, des phrases toutes faites, des conventions de coup plus complexe et profitable. Tout d'abord aucun
toutes sortes et de toutes origines. I l provient d'un acte module ne se répète. Chaque fenêtre est un terme qui
destructif qui fait table rase de la culture et qui amène a une valeur en soi, par sa signification et son rôle ;
à refuser tout le bagage des normes et des canons tradi- elle ne doit pas être alignée avec les autres, ni répondre
tionnels, à tout recommencer depuis le début comme à un système de proportions. Elle peut prendre n'im-
si aucun système linguistique n'avait jamais existé et porte quelle forme : rectangulaire, carrée, circulaire,
que l'on dût construire, pour la première fois dans ellipsoïdale, triangulaire, composite, libre. Selon la
l'histoire, une maison ou une ville. pièce qu'elle doit éclairer, la fenêtre peut prendre la
Ce principe est éthique avant d'être opérationnel. En forme d'une fente longue et étroite au ras du plafond
effet, il faut se dépouiller, avec un effort terrible mais ou du plancher, d'une fente de haut en bas du mur,
avec une joie immense, des tabous culturels dont nous d'un bandeau qui se déroule à hauteur d'homme, de
avons hérités en les décelant en nous-mêmes et en les tout ce que l'on veut ou juge correct après avoir calculé
désacralisant un à un. Pour l'architecte moderne, les sa fonction pièce par pièce. I l n'y a pas de raison d'uni-
tabous qui paralysent, ce sont les dogmes, les habi- formiser les fenêtres et d'éliminer leurs caractères
tudes, l'inertie, tous les poids morts accumulés pendant propres. Quand on les aura soustraites à l'emprise du

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classicisme, elles seront d'autant plus efficaces
qu'elles seront diverses et constitueront le support de
messages multiples.
Bouleverser la juxtaposition et la superposition des
modules amène à reconquérir l'unité de la façade que
I LLI ni
le classicisme avait démantelée jusqu'à présent en
bandes verticales et horizontales. Cela signifie aussi
quelque chose de bien plus important : la façade
mu 11*1
• |•
devient non finie. Étant donné l'irrégularité des perce-
ments qui peuvent être hauts ou bas, droits ou obliques,
la façade, délivrée des rapports axiaux, cesse d'être un
objet fermé, autonome, une fin en soi ; elle établit un
u _! ! i ^1
| 4 1 i
i — j 1 — 1 MÊL-l -j i

dialogue avec l'espace environnant, cessant d'être


étrangère et hostile à la ville ou au paysage. mmm
L'exemple des fenêtres apparaît d'ailleurs inoppor-
tun à propos de l'architecture moderne car, comme jlHMHIM )
nous le verrons ensuite, le principe de l'inventaire
exclut la notion de « façade ». Toutefois, devant opérer
dans des tissus urbains conditionnés par des trames et
des volumes préétablis, l'architecte est souvent obligé mm MM \ wm mm
de dessiner une façade, mais i l ne devra pas pour autant
renoncer à parler un langage actuel. Au moment où i l
différencie les fenêtres selon leur forme et leur empla-
cement, i l refuse la façade traditionnelle et ses connota-
tions classiques. I l peut d'ailleurs la renouveler en
concevant certaines fenêtres en saillie et d'autres
encaissées, en jouant sur l'épaisseur des murs pour cer-
ner d'une ombre la surface vitrée ou, au contraire, pour
l'exposer en pleine lumière. Et même, pourquoi ne pas
incliner les fenêtres par rapport au plan de la façade ?
l'une sera orientée vers le bas et focalisera une place,
un arbre, la porte de l'immeuble d'en face ; une autre,
tournée vers le haut, découpera une portion de ciel.
L'inclinaison peut s'effectuer vers la gauche ou vers la
droite, restituer ainsi des vues panoramiques profondes
et significatives, la perspective d'une rue, un monu-
ment, la mer. On peut réaliser des fronts aux plans 2. Méthodologie de l'inventaire appliquée aux fenêtres. Le classicisme, antique (en
:MU) ou pseudo-moderne (au milieu) s'occupe du module, de sa répétition, du rapport
multiples de façon à ce que les surfaces vitrées ne • fcc les pleins et les vides, des alignements, en somme de tout, sauf des fenêtres
soient jamais parallèles à la façade. -inventaire, au contraire, resémantise chaque élément (en bas) et procède ensuite à
. assemblage.
classicisme, elles seront d'autant plus efficaces
qu'elles seront diverses et constitueront le support de
messages multiples.
Bouleverser la juxtaposition et la superposition des
modules amène à reconquérir l'unité de la façade que
I LLI ni
le classicisme avait démantelée jusqu'à présent en
bandes verticales et horizontales. Cela signifie aussi
quelque chose de bien plus important : la façade
mu 11*1
• |•
devient non finie. Étant donné l'irrégularité des perce-
ments qui peuvent être hauts ou bas, droits ou obliques,
la façade, délivrée des rapports axiaux, cesse d'être un
objet fermé, autonome, une fin en soi ; elle établit un
u _! ! i ^1
| 4 1 i
i — j 1 — 1 MÊL-l -j i

dialogue avec l'espace environnant, cessant d'être


étrangère et hostile à la ville ou au paysage. mmm
L'exemple des fenêtres apparaît d'ailleurs inoppor-
tun à propos de l'architecture moderne car, comme jlHMHIM )
nous le verrons ensuite, le principe de l'inventaire
exclut la notion de « façade ». Toutefois, devant opérer
dans des tissus urbains conditionnés par des trames et
des volumes préétablis, l'architecte est souvent obligé mm MM \ wm mm
de dessiner une façade, mais i l ne devra pas pour autant
renoncer à parler un langage actuel. Au moment où i l
différencie les fenêtres selon leur forme et leur empla-
cement, i l refuse la façade traditionnelle et ses connota-
tions classiques. I l peut d'ailleurs la renouveler en
concevant certaines fenêtres en saillie et d'autres
encaissées, en jouant sur l'épaisseur des murs pour cer-
ner d'une ombre la surface vitrée ou, au contraire, pour
l'exposer en pleine lumière. Et même, pourquoi ne pas
incliner les fenêtres par rapport au plan de la façade ?
l'une sera orientée vers le bas et focalisera une place,
un arbre, la porte de l'immeuble d'en face ; une autre,
tournée vers le haut, découpera une portion de ciel.
L'inclinaison peut s'effectuer vers la gauche ou vers la
droite, restituer ainsi des vues panoramiques profondes
et significatives, la perspective d'une rue, un monu-
ment, la mer. On peut réaliser des fronts aux plans 2. Méthodologie de l'inventaire appliquée aux fenêtres. Le classicisme, antique (en
:MU) ou pseudo-moderne (au milieu) s'occupe du module, de sa répétition, du rapport
multiples de façon à ce que les surfaces vitrées ne • fcc les pleins et les vides, des alignements, en somme de tout, sauf des fenêtres
soient jamais parallèles à la façade. -inventaire, au contraire, resémantise chaque élément (en bas) et procède ensuite à
. assemblage.
Le principe de l'inventaire, quoique limité ici à un
sûr, mais i l s'agit d'un désordre sacro-saint qui sape
détail — celui des fenêtres — conteste la façade clas-
l'ordre idolâtrique, les tabous de la « série» et d'une
sique, en brise le fini, entame sa structure quadrangu-
aliénante massification ; i l conteste la production
laire par d'habiles coups de ciseaux aux angles et à la
industrielle néo-capitaliste comme, au milieu du
ligne de jonction entre le toit et le niveau supérieur. On
xix siècle, la révolte de William Morris avait contesté
e
atteint ainsi un double but : les possibilités d'éclairage
celle du paléo-capitalisme. L'industrie uniformise,
augmentent et on développe le pouvoir communicatif
classe, standardise, « classicise ». Les récents gratte-
de l'édifice.
ciel, enveloppés dans leur mur-rideau, sont plus sta-
Nous pouvons prévoir deux objections ; la première tiques et monolithiques que ceux qui ont été érigés il
résulte d'une sensation d'égarement et la deuxième y a cinquante ans ; i l est facile de s'en convaincre rien
tente de la masquer sous des alibis idéologiques. La qu'en regardant les fenêtres.
première est une protestation : il s'agirait d'un travail
Ces deux objections résultent d'un substrat psycho-
immense, épouvantable ! S'il fallait disséquer de cette
logique trouble. L'architecture moderne multiplie les
manière le profil et l'emplacement de chaque fenêtre,
possibilités de choix tandis que l'architecture classique
pour dessiner une façade avec dix fenêtres, i l faudrait
les réduit. Le choix fait naître l'angoisse, une « an-
un effort excessif, disproportionné du point de vue pro-
goisse de certitude » névrotique. Que faire ? I l n'y a
fessionnel. La seconde objection contre-attaque : est-
pas de tranquillisants pour l'éviter ; mais y en a-t-il
ce que tout cela ne va pas nous conduire à l'« académie
dans les autres domaines ? La peinture abstraite et la
du dérèglement », au triomphe de l'arbitraire ?
peinture informelle, la musique dodécaphonique et
A la première objection, il faut répondre qu'il en est aléatoire, l'art conceptuel ne déchaînent-ils pas l'an-
ainsi de toute façon et que pour concevoir une fenêtre, goisse ? N'est-il pas angoissant de se regarder dans un
il faut étudier l'espace qu'elle doit éclairer car la valeur miroir pour la première fois et de se reconnaître dans
perceptive et comportementale de tout espace dépend une image autre que la sienne propre, ou apprendre,
pour une grande part de la lumière ; en fait, pour don- stupéfait, que la terre tourne alors qu'elle semble rester
ner une configuration aux fenêtres, i l faut avoir déjà immobile ? Peur de la liberté, des mouvements irra-
projeté espaces et volumes, c'est-à-dire l'édifice tout tionnels. Supposons pendant un instant que, à égalité
entier. Est-ce que l'architecture moderne est difficile ? de rendement fonctionnel, les fenêtres puissent être
Sans aucun doute, mais elle est merveilleuse parce que identiques ou différentes. Le langage moderne optera
chacune de ses composantes renvoie à un contenu pour les fenêtres différentes afin de permettre un plus
social. Si elle était facile, la plupart des immeubles grand choix. Le langage classique, au contraire, les
construits aujourd'hui seraient modernes. I l suffit au veut toutes semblables, rangées comme des cadavres.
contraire d'en observer les fenêtres pour comprendre Cependant l'hypothèse que le rendement fonctionnel
quel est le résultat d'une attitude académique incons- puisse être identique est absurde et tout à fait arbitraire.
ciente. Un fait connu et incontestable, mais très difficile à
Quant à la seconde objection, à savoir que l'architec- faire pénétrer dans la conscience des architectes, est
ture moderne serait arbitraire, il faut dire à l'inverse donc confirmé : ce qui semble rationnel parce que
que c'est le classicisme qui l'est en ce sens qu'il mythi- réglementé et ordonné, est humainement et sociale-
fie l'ordre abstrait, opprimant la liberté et les fonctions ment fou et n'a de raison d'être que pour un pouvoir
sociales. L'inventaire conduit au dérèglement ? Bien despotique, tandis qu'en général, ce qu'on présume

23
Le principe de l'inventaire, quoique limité ici à un
sûr, mais i l s'agit d'un désordre sacro-saint qui sape
détail — celui des fenêtres — conteste la façade clas-
l'ordre idolâtrique, les tabous de la « série» et d'une
sique, en brise le fini, entame sa structure quadrangu-
aliénante massification ; i l conteste la production
laire par d'habiles coups de ciseaux aux angles et à la
industrielle néo-capitaliste comme, au milieu du
ligne de jonction entre le toit et le niveau supérieur. On
xix siècle, la révolte de William Morris avait contesté
e
atteint ainsi un double but : les possibilités d'éclairage
celle du paléo-capitalisme. L'industrie uniformise,
augmentent et on développe le pouvoir communicatif
classe, standardise, « classicise ». Les récents gratte-
de l'édifice.
ciel, enveloppés dans leur mur-rideau, sont plus sta-
Nous pouvons prévoir deux objections ; la première tiques et monolithiques que ceux qui ont été érigés il
résulte d'une sensation d'égarement et la deuxième y a cinquante ans ; i l est facile de s'en convaincre rien
tente de la masquer sous des alibis idéologiques. La qu'en regardant les fenêtres.
première est une protestation : il s'agirait d'un travail
Ces deux objections résultent d'un substrat psycho-
immense, épouvantable ! S'il fallait disséquer de cette
logique trouble. L'architecture moderne multiplie les
manière le profil et l'emplacement de chaque fenêtre,
possibilités de choix tandis que l'architecture classique
pour dessiner une façade avec dix fenêtres, i l faudrait
les réduit. Le choix fait naître l'angoisse, une « an-
un effort excessif, disproportionné du point de vue pro-
goisse de certitude » névrotique. Que faire ? I l n'y a
fessionnel. La seconde objection contre-attaque : est-
pas de tranquillisants pour l'éviter ; mais y en a-t-il
ce que tout cela ne va pas nous conduire à l'« académie
dans les autres domaines ? La peinture abstraite et la
du dérèglement », au triomphe de l'arbitraire ?
peinture informelle, la musique dodécaphonique et
A la première objection, il faut répondre qu'il en est aléatoire, l'art conceptuel ne déchaînent-ils pas l'an-
ainsi de toute façon et que pour concevoir une fenêtre, goisse ? N'est-il pas angoissant de se regarder dans un
il faut étudier l'espace qu'elle doit éclairer car la valeur miroir pour la première fois et de se reconnaître dans
perceptive et comportementale de tout espace dépend une image autre que la sienne propre, ou apprendre,
pour une grande part de la lumière ; en fait, pour don- stupéfait, que la terre tourne alors qu'elle semble rester
ner une configuration aux fenêtres, i l faut avoir déjà immobile ? Peur de la liberté, des mouvements irra-
projeté espaces et volumes, c'est-à-dire l'édifice tout tionnels. Supposons pendant un instant que, à égalité
entier. Est-ce que l'architecture moderne est difficile ? de rendement fonctionnel, les fenêtres puissent être
Sans aucun doute, mais elle est merveilleuse parce que identiques ou différentes. Le langage moderne optera
chacune de ses composantes renvoie à un contenu pour les fenêtres différentes afin de permettre un plus
social. Si elle était facile, la plupart des immeubles grand choix. Le langage classique, au contraire, les
construits aujourd'hui seraient modernes. I l suffit au veut toutes semblables, rangées comme des cadavres.
contraire d'en observer les fenêtres pour comprendre Cependant l'hypothèse que le rendement fonctionnel
quel est le résultat d'une attitude académique incons- puisse être identique est absurde et tout à fait arbitraire.
ciente. Un fait connu et incontestable, mais très difficile à
Quant à la seconde objection, à savoir que l'architec- faire pénétrer dans la conscience des architectes, est
ture moderne serait arbitraire, il faut dire à l'inverse donc confirmé : ce qui semble rationnel parce que
que c'est le classicisme qui l'est en ce sens qu'il mythi- réglementé et ordonné, est humainement et sociale-
fie l'ordre abstrait, opprimant la liberté et les fonctions ment fou et n'a de raison d'être que pour un pouvoir
sociales. L'inventaire conduit au dérèglement ? Bien despotique, tandis qu'en général, ce qu'on présume

23
irrationnel naît d'une réflexion intense et continue et
d'une acceptation courageuse du droit à l'imagination.
Le classicisme sied aux cimetières, pas à la vie. Seule
la mort peut résoudre l'« angoisse de certitude ».

3. Méthodologie de l'inventaire appliquée aux volumes. Le classicisme antique ou


pseudo-moderne enferme dans des bottes les fonctions humaines et étouffe leur spéci-
ficité, puis i l superpose et juxtapose les boîtes de façon à former une grande boîte (à
gauche). L'inventaire resémantise les volumes et. en les regroupant, sauvegarde leur
individualité (à droite).

Ce que nous avons dit à propos des fenêtres est


valable pour tous les aspects de la méthodologie du
projet, à toutes les échelles : volumes et espaces, inter-
pénétrations volumétriques et spatiales, tissus urbains,
aménagement du territoire. L'invariant est toujours
l'inventaire. Pourquoi faut-il qu'une pièce soit cubique
ou prismatique au lieu d'avoir une forme libre corres-
pondant à ses fonctions ? Pourquoi faut-il que l'en-
semble des pièces forme une simple boîte ? Pourquoi
un édifice doit-il être conçu comme l'empilement de
nombreuses petites boîtes dans une boîte plus grande ?
Pourquoi doit-il être renfermé sur lui-même et détermi-
ner une séparation nette entre les espaces architectu-

24
irrationnel naît d'une réflexion intense et continue et
d'une acceptation courageuse du droit à l'imagination.
Le classicisme sied aux cimetières, pas à la vie. Seule
la mort peut résoudre l'« angoisse de certitude ».

3. Méthodologie de l'inventaire appliquée aux volumes. Le classicisme antique ou


pseudo-moderne enferme dans des bottes les fonctions humaines et étouffe leur spéci-
ficité, puis i l superpose et juxtapose les boîtes de façon à former une grande boîte (à
gauche). L'inventaire resémantise les volumes et. en les regroupant, sauvegarde leur
individualité (à droite).

Ce que nous avons dit à propos des fenêtres est


valable pour tous les aspects de la méthodologie du
projet, à toutes les échelles : volumes et espaces, inter-
pénétrations volumétriques et spatiales, tissus urbains,
aménagement du territoire. L'invariant est toujours
l'inventaire. Pourquoi faut-il qu'une pièce soit cubique
ou prismatique au lieu d'avoir une forme libre corres-
pondant à ses fonctions ? Pourquoi faut-il que l'en-
semble des pièces forme une simple boîte ? Pourquoi
un édifice doit-il être conçu comme l'empilement de
nombreuses petites boîtes dans une boîte plus grande ?
Pourquoi doit-il être renfermé sur lui-même et détermi-
ner une séparation nette entre les espaces architectu-

24
raux et le paysage urbain ou naturel ? Pourquoi les
pièces d'un appartement doivent-elles avoir toutes la
même hauteur ? Et ainsi de suite. L'invariant du lan-
gage moderne réside dans les pourquoi et consiste à
refuser d'obéir à des lois établies a priori, à remettre
en question toute assertion conventionnelle, à émettre
systématiquement des hypothèses et les vérifier. La
volonté de se libérer des dogmes idolâtriques est à
l'origine de l'architecture actuelle, à commencer par
les cinq principes énoncés par Le Corbusier : le plan
« libre », la façade « libre », les pilotis qui libèrent le
terrain sous l'édifice, le toit-jardin qui implique l'utili-
sation « libre » de la toiture et même la fenêtre en lon-
gueur qui est un élément de contrôle de la façade
« libre » par rapport à l'ossature.
La méthodologie de l'inventaire fait continuellement
table rase, et va jusqu'à remettre en question et vérifier
les cinq principes comme le fit Le Corbusier lui-même,
déjà âgé, à partir de Ronchamp. Le « purisme » consti-
tuait une limitation importante car le plan « libre » ne
l'était qu'à l'intérieur du périmètre d'une figure géo-
métrique « pure ». Et pourquoi devrions-nous donc
mythifier la géométrie, la ligne droite et l'angle droit ?
L'inventaire refuse aussi ces préceptes. I l implique
contenus et formes, aspect éthique et social, comme la
langue.
Dans les paragraphes suivants, nous examinerons
d'autres significations de cet invariant. Il n'existe pas
d'architecture moderne en dehors du principe de l'in-
ventaire. Le reste n'est que tromperie, classique ou
pseudo-moderne : un véritable crime puisque l'on
pourrait parler un langage approprié.

2. Asymétrie et dissonances
: La pmzza Venezia à Rome, étroite et profonde, avec au fond le Palazzetto (en
- i . V, aurait pu accueillir un monument évocaleur comme la « main ouverte» de Le
Et où, alors ? N'importe où ailleurs. Voilà ce qu'il ::busier (seconde ligne, à gauche). Au contraire, elle a été éventrée pour faire place
faut répondre quand, après avoir critiqué un objet dis- - monument pharaonique dédié à Victor-Emmanuel II (à droite et troisième ligne)
- évidemment n'est pas asymétrique (en bas).
posé de façon à créer une symétrie, on vous demande

26 27
raux et le paysage urbain ou naturel ? Pourquoi les
pièces d'un appartement doivent-elles avoir toutes la
même hauteur ? Et ainsi de suite. L'invariant du lan-
gage moderne réside dans les pourquoi et consiste à
refuser d'obéir à des lois établies a priori, à remettre
en question toute assertion conventionnelle, à émettre
systématiquement des hypothèses et les vérifier. La
volonté de se libérer des dogmes idolâtriques est à
l'origine de l'architecture actuelle, à commencer par
les cinq principes énoncés par Le Corbusier : le plan
« libre », la façade « libre », les pilotis qui libèrent le
terrain sous l'édifice, le toit-jardin qui implique l'utili-
sation « libre » de la toiture et même la fenêtre en lon-
gueur qui est un élément de contrôle de la façade
« libre » par rapport à l'ossature.
La méthodologie de l'inventaire fait continuellement
table rase, et va jusqu'à remettre en question et vérifier
les cinq principes comme le fit Le Corbusier lui-même,
déjà âgé, à partir de Ronchamp. Le « purisme » consti-
tuait une limitation importante car le plan « libre » ne
l'était qu'à l'intérieur du périmètre d'une figure géo-
métrique « pure ». Et pourquoi devrions-nous donc
mythifier la géométrie, la ligne droite et l'angle droit ?
L'inventaire refuse aussi ces préceptes. I l implique
contenus et formes, aspect éthique et social, comme la
langue.
Dans les paragraphes suivants, nous examinerons
d'autres significations de cet invariant. Il n'existe pas
d'architecture moderne en dehors du principe de l'in-
ventaire. Le reste n'est que tromperie, classique ou
pseudo-moderne : un véritable crime puisque l'on
pourrait parler un langage approprié.

2. Asymétrie et dissonances
: La pmzza Venezia à Rome, étroite et profonde, avec au fond le Palazzetto (en
- i . V, aurait pu accueillir un monument évocaleur comme la « main ouverte» de Le
Et où, alors ? N'importe où ailleurs. Voilà ce qu'il ::busier (seconde ligne, à gauche). Au contraire, elle a été éventrée pour faire place
faut répondre quand, après avoir critiqué un objet dis- - monument pharaonique dédié à Victor-Emmanuel II (à droite et troisième ligne)
- évidemment n'est pas asymétrique (en bas).
posé de façon à créer une symétrie, on vous demande

26 27
où i l faut le situer. N'importe où ailleurs. I l n'y a qu'un
seul endroit qu'il faut éviter absolument : celui qu'on
choisit « spontanément », résurgence des conditionne-
ments ataviques venus de l'inconscient.
Nous pouvons prendre un exemple encore plus
simple que celui des fenêtres et faire une expérience
facile : un tableau. Voilà un mur : où l'accrocher?
Au milieu, évidemment. Eh bien, non. N'importe où
ailleurs, à droite, à gauche, plus haut ou plus bas, n'im-
porte où sauf là. Au milieu, i l découpe le mur en deux
parties égales, réduit et comprime ses dimensions
visuelles et i l semble isolé et encadré par le mur au
lieu d'agrandir l'espace et de permettre à la pièce de
respirer.
La symétrie est un invariant du classicisme. Donc,
l'asymétrie est un invariant du langage moderne. Extir-
per le fétiche de la symétrie signifie faire une grande
partie du chemin qui mène à l'architecture contempo-
raine.
Symétrie = gaspillage économique + cynisme intel-
lectuel. Chaque fois que vous voyez une maison
composée d'un bloc central et de deux corps latéraux
symétriques, vous pouvez émettre un jugement de
condamnation. Que contient le corps de gauche ? le
séjour, par exemple. Et celui de droite ? les sanitaires
ou les chambres à coucher. Comment est-il possible
que les deux boîtes qui les enveloppent soient identi-
ques ? L'architecte a gaspillé l'espace en augmentant
le volume du séjour pour l'uniformiser avec celui des
chambres à coucher ou vice versa ; i l a réprimé des
fonctions essentielles pour obliger la zone chambres à
prendre le même aspect que le séjour. I l suffit de regar-
der la hauteur des pièces : pourquoi une pièce vaste
devrait-elle avoir un plafond bas ? Le gaspillage est
évident, du point de vue économique comme du point
de vue esthétique : une chambre à coucher trop haute
I L-mment éclairer une pièce ? Pas au milieu d'un mur (en haut). N'importe quelle
apparaît visuellement étroite, étouffante. Par consé- . :t solution est acceptable : fenêtres d'angle, bandeau, double bandeau (au milieu).
quent, double erreur et double sacrifice. Sur l'autel de . s~ la gare de Rome, une double rangée de vitres éclaire les bureaux (en bas, à
. he) mais une plus grande variété fonctionnelle aurait été préférable (à droite).
quel tabou ? Celui de la symétrie.

28 29
où i l faut le situer. N'importe où ailleurs. I l n'y a qu'un
seul endroit qu'il faut éviter absolument : celui qu'on
choisit « spontanément », résurgence des conditionne-
ments ataviques venus de l'inconscient.
Nous pouvons prendre un exemple encore plus
simple que celui des fenêtres et faire une expérience
facile : un tableau. Voilà un mur : où l'accrocher?
Au milieu, évidemment. Eh bien, non. N'importe où
ailleurs, à droite, à gauche, plus haut ou plus bas, n'im-
porte où sauf là. Au milieu, i l découpe le mur en deux
parties égales, réduit et comprime ses dimensions
visuelles et i l semble isolé et encadré par le mur au
lieu d'agrandir l'espace et de permettre à la pièce de
respirer.
La symétrie est un invariant du classicisme. Donc,
l'asymétrie est un invariant du langage moderne. Extir-
per le fétiche de la symétrie signifie faire une grande
partie du chemin qui mène à l'architecture contempo-
raine.
Symétrie = gaspillage économique + cynisme intel-
lectuel. Chaque fois que vous voyez une maison
composée d'un bloc central et de deux corps latéraux
symétriques, vous pouvez émettre un jugement de
condamnation. Que contient le corps de gauche ? le
séjour, par exemple. Et celui de droite ? les sanitaires
ou les chambres à coucher. Comment est-il possible
que les deux boîtes qui les enveloppent soient identi-
ques ? L'architecte a gaspillé l'espace en augmentant
le volume du séjour pour l'uniformiser avec celui des
chambres à coucher ou vice versa ; i l a réprimé des
fonctions essentielles pour obliger la zone chambres à
prendre le même aspect que le séjour. I l suffit de regar-
der la hauteur des pièces : pourquoi une pièce vaste
devrait-elle avoir un plafond bas ? Le gaspillage est
évident, du point de vue économique comme du point
de vue esthétique : une chambre à coucher trop haute
I L-mment éclairer une pièce ? Pas au milieu d'un mur (en haut). N'importe quelle
apparaît visuellement étroite, étouffante. Par consé- . :t solution est acceptable : fenêtres d'angle, bandeau, double bandeau (au milieu).
quent, double erreur et double sacrifice. Sur l'autel de . s~ la gare de Rome, une double rangée de vitres éclaire les bureaux (en bas, à
. he) mais une plus grande variété fonctionnelle aurait été préférable (à droite).
quel tabou ? Celui de la symétrie.

28 29
; i = - t ; • •- sra>:i:odique de sécurité, peur de Etat, à créer un secteur tertiaire efficient, à réaliser
.a >; _r.e>5=. i e i"indétermination, de la relativité, de _n équilibre entre le N o r d et le Sud et une société fon-
~a:unte. peur du temps vécu en somme. Le schi- :ee sur la justice. En effet, une telle nation n'aurait
zophrène ne tolère pas le temps vécu ; pour contrôler r i s dilapidé l'argent public pour ériger ce monstre de
l'angoisse, i l exige l'immobilité. Le classicisme est -arbre qu'est le monument à Victor-Emmanuel I I et
l'architecture de la schizophrénie conformiste. Symé- :e figurer la piazza Venezia, la ramenant à des propor-
trie = passivité ou, en termes freudiens, homosexualité. :ns triviales, démolissant le palais Torlonia, dépla-
Les psychanalystes expliquent cela très bien. Parties .ant le Palazetto, bref, détruisant non seulement un
homologues et non parties /zéréronomes. Terreur de : .semble architectural de première grandeur, mais tout
_

l'enfant envers le père, l ' a c a d é m i s m e est une image r système urbain de Rome. Une telle nation aurait u t i -
paternelle qui protège l'enfant et le castre s ' i l agresse tt cet argent pour construire des logements popu-
une image hétéronome, celle de la femme, de la mère. i.res, des écoles, des bibliothèques, pour réaliser une
En acceptant la symétrie, on devient passif et l'an- -e forme agraire ou sanitaire. En fait, le monument à
goisse semble alors s'atténuer parce que le père ne ictor-Emmanuel I I reflète la fragilité d'un pays rétro-
menace plus, mais possède. grade qui fait semblant d'être un pays avancé et se
Toute l'histoire de l'architecture pourrait sans doute -r'.ranche derrière une façade prétentieuse, monumen-
être revue à la lumière de l'idée de névrose de symétrie - e. arrogante, grandiloquente. L a flamme du Soldat
et, très certainement, celle de l'architecture euro- -connu aux pieds de l'arc de Triomphe à Paris et le
péenne. Ce n'est pas un hasard si au moment de la .enotaphe de Whitehall à Londres pâlissent de modes-
Renaissance, c'est l'Italie qui a r e c o m m e n c é , la pre- ; devant cette horreur dont la symétrie est une abomi-
mière, à vénérer cette idole tandis que dans les autres -.:ion gigantesque.
pays on continuait à élaborer le langage gothique. Il y a des édifices symétriques qui ne sont pas rhéto-
L ' é c o n o m i e de la péninsule traversait une grave crise - aues mais tous les édifices rhétoriques, symboles de
et les classes dominantes voulaient la dissimuler en -utorité totalitaire et fruits de la paresse et du
proposant un masque classique. On évoquait le passé . r.isme, sont symétriques. N é a n m o i n s si l ' o n analyse
gréco-romain en le mythifiant pour cacher l'instabilité : : façon plus approfondie les édifices symétriques
du présent ; on se retranchait derrière une apparence _ .ais non rhétoriques, on s'aperçoit que cette symétrie
pompeuse, grossière ou olympienne, afin de cacher le :>: partielle et se limite en général au front principal.
désordre social. I l en a toujours été ainsi : la symétrie ~z'.a nous suggère une autre remarque : on a triché de
sert de façade à un pouvoir fictif qui veut apparaître - a n i è r e effrontée à propos de la symétrie architectu-
inébranlable. Les édifices qui caractérisent le fascisme, r e , déformant et faussant les relevés des monuments.
le nazisme et la Russie stalinienne sont tous symétri- 1 ::ons un exemple éclatant : les Propylées de l ' A c r o -
ques ; ceux des institutions théocratiques le sont aussi :•: '.s d ' A t h è n e s ont un plan tellement asymétrique que
et souvent doublement. Peut-on imaginer le monument . en est une hérésie. Mais l'École des beaux-arts
à Victor-Emmanuel I I asymétrique, non équilibré, aux - qui ne pouvait admettre que, justement à l'entrée
parties variées, avec une statue équestre placée à :e ce sanctuaire du classicisme, s'élevât une structure
gauche ou à droite mais pas au milieu ? Une Italie -erétique — a présenté l'œuvre de Mnésiclès comme
capable de le construire aurait été une autre nation, g elle était symétrique. Et, de toute façon, si elle ne
cherchant à instituer une gestion démocratique de était pas, cela voulait dire simplement que les Grecs,

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; i = - t ; • •- sra>:i:odique de sécurité, peur de Etat, à créer un secteur tertiaire efficient, à réaliser
.a >; _r.e>5=. i e i"indétermination, de la relativité, de _n équilibre entre le N o r d et le Sud et une société fon-
~a:unte. peur du temps vécu en somme. Le schi- :ee sur la justice. En effet, une telle nation n'aurait
zophrène ne tolère pas le temps vécu ; pour contrôler r i s dilapidé l'argent public pour ériger ce monstre de
l'angoisse, i l exige l'immobilité. Le classicisme est -arbre qu'est le monument à Victor-Emmanuel I I et
l'architecture de la schizophrénie conformiste. Symé- :e figurer la piazza Venezia, la ramenant à des propor-
trie = passivité ou, en termes freudiens, homosexualité. :ns triviales, démolissant le palais Torlonia, dépla-
Les psychanalystes expliquent cela très bien. Parties .ant le Palazetto, bref, détruisant non seulement un
homologues et non parties /zéréronomes. Terreur de : .semble architectural de première grandeur, mais tout
_

l'enfant envers le père, l ' a c a d é m i s m e est une image r système urbain de Rome. Une telle nation aurait u t i -
paternelle qui protège l'enfant et le castre s ' i l agresse tt cet argent pour construire des logements popu-
une image hétéronome, celle de la femme, de la mère. i.res, des écoles, des bibliothèques, pour réaliser une
En acceptant la symétrie, on devient passif et l'an- -e forme agraire ou sanitaire. En fait, le monument à
goisse semble alors s'atténuer parce que le père ne ictor-Emmanuel I I reflète la fragilité d'un pays rétro-
menace plus, mais possède. grade qui fait semblant d'être un pays avancé et se
Toute l'histoire de l'architecture pourrait sans doute -r'.ranche derrière une façade prétentieuse, monumen-
être revue à la lumière de l'idée de névrose de symétrie - e. arrogante, grandiloquente. L a flamme du Soldat
et, très certainement, celle de l'architecture euro- -connu aux pieds de l'arc de Triomphe à Paris et le
péenne. Ce n'est pas un hasard si au moment de la .enotaphe de Whitehall à Londres pâlissent de modes-
Renaissance, c'est l'Italie qui a r e c o m m e n c é , la pre- ; devant cette horreur dont la symétrie est une abomi-
mière, à vénérer cette idole tandis que dans les autres -.:ion gigantesque.
pays on continuait à élaborer le langage gothique. Il y a des édifices symétriques qui ne sont pas rhéto-
L ' é c o n o m i e de la péninsule traversait une grave crise - aues mais tous les édifices rhétoriques, symboles de
et les classes dominantes voulaient la dissimuler en -utorité totalitaire et fruits de la paresse et du
proposant un masque classique. On évoquait le passé . r.isme, sont symétriques. N é a n m o i n s si l ' o n analyse
gréco-romain en le mythifiant pour cacher l'instabilité : : façon plus approfondie les édifices symétriques
du présent ; on se retranchait derrière une apparence _ .ais non rhétoriques, on s'aperçoit que cette symétrie
pompeuse, grossière ou olympienne, afin de cacher le :>: partielle et se limite en général au front principal.
désordre social. I l en a toujours été ainsi : la symétrie ~z'.a nous suggère une autre remarque : on a triché de
sert de façade à un pouvoir fictif qui veut apparaître - a n i è r e effrontée à propos de la symétrie architectu-
inébranlable. Les édifices qui caractérisent le fascisme, r e , déformant et faussant les relevés des monuments.
le nazisme et la Russie stalinienne sont tous symétri- 1 ::ons un exemple éclatant : les Propylées de l ' A c r o -
ques ; ceux des institutions théocratiques le sont aussi :•: '.s d ' A t h è n e s ont un plan tellement asymétrique que
et souvent doublement. Peut-on imaginer le monument . en est une hérésie. Mais l'École des beaux-arts
à Victor-Emmanuel I I asymétrique, non équilibré, aux - qui ne pouvait admettre que, justement à l'entrée
parties variées, avec une statue équestre placée à :e ce sanctuaire du classicisme, s'élevât une structure
gauche ou à droite mais pas au milieu ? Une Italie -erétique — a présenté l'œuvre de Mnésiclès comme
capable de le construire aurait été une autre nation, g elle était symétrique. Et, de toute façon, si elle ne
cherchant à instituer une gestion démocratique de était pas, cela voulait dire simplement que les Grecs,

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dans unmoment d'aberration mentale, s'étaient La sym étrie est le sym ptôm e spécifiqueet macro-
trom pés. Il fallait corriger leur erreur. Un autre exem- scopique d'une tumeur proliférant par capillaritéet aux
ple ? l'Erechthéion, construction irrégulière et asym é- m étastases infinies : la géom étrie. En effet, l'histoire
trique, « moderne » pour ainsi dire, qui annonce déjà des villes pourrait être interprétée comme un affronte-
les niveaux multiples du Raumplan d'Adolf Loos. Quel ment entre la géom étrie—invariant du pouvoir totali-
rôle ajoué l'Erechthéion dans l'établissem ent des taire ou bureaucratique —et les formes libres qui sont
normes des Beaux-Arts ? Aucun, car n'étant pas sym é- propres à la vie et au peuple. Pendant des centaines de
trique, il n'était d'aucune utilité. milliers d 'an n éesla com m unautépaléolithiqueaignoré
Une pièce : où situer la porte ? N'importe où, sauf géom étrie. Dès le début de la périodenéolithique, les
au milieu d'un mur car on découperait l'espace en masseurs-cultivateurs sont soumis à un chef de tribu et
deux. Je dirais même plus, n'importe où ailleurs signi- plan en damier apparaît. Tous les régim espolitiques
fie à l'endroit le plus décentré afin d'exalter la diago- absolutistes géom étrisent, enrégim entent le paysage
nale et d'obtenir le maximum de profondeur. Pour urbain dans des axes et encore des axes, parallèles et
accentuer la vision en diagonale, pourquoi nedétache- orthogonaux. Toutes les casernes, les prisons, les bases
rait-on pas la porte du mur en la disposant en biais ? militaires sont rigoureusement géom étriques. Il n'est
Excellent, on la resém antiseen ladifférenciant des pas permis à un citadin de tourner à gauche ou à droite
autres. d"un mouvement naturel, c'est-à-dire en suivant une
La même pièce. Où situer la fenêtre ? N'importe où, ligne courbe ; il doit se déplacer par saccade, de 90° à
sauf au milieu afin de ne pas découperl'espace en trois h fois, comme une marionnette. De même, les nou-
zones, une éclairéeau milieu et deux sombres de veaux tissus urbains sont d essin és suivant une trame
chaque côté. R esém antisonsla fenêtre en fonction de quadrillée; dans certains cas, exceptionnels et non réa-
l'espace intérieuret valorisons la lumière. S'il n'y a lisés, ils ont un sch ém ahexagonal ou triangulaire. New
pas de panorama à regarder, alors faisons un bandeau York est un damier qui n'admet qu'une seule diago-
au niveau du plancher, une fente (de hauteur différente nale, celle de Broadway. Le Paris im périal se base sur
pour éviter lasym étrie), au niveau du plafond, des des coupures horribles qui ont déchiquetésadiquement
fentes d'angles pour éclairerles différents plans. Sur le tissu urbain préexistant. La colonisation de l'Am é-
la façadede la gare de Rome, nous trouvons deux ban- rique latine fut réaliséegrâce àdes lois pérem ptoires
deaux de lumière àchaque étage, un au niveau des qui ont im posédes formes géom étriquesaux villes,
tables de travail, l'autre au niveau du plafond ; il s'agit quelle que soit la topographie préexistante.
d'un dispositif satisfaisant quoique rendu trop clas- Les villes, surtout les capitales, sont constamment
sique àcause d'une allitérationexcessive. Au cas où victimes de transformations géom étriqueset n'yéchap-
l'on aurait la possibilitéde percer des fenêtres des deux pent que parce que leur croissance rapide circonvient
côtés, elles ne devront jamais être en face l'une de les directives administratives et politiques. Au
l'autre car elles s'éclaireraient réciproquem ent sans contraire, les villages et surtout les bourgs ruraux ne
donner de lumière àla pièce. Songez àla salle des sont, engénéral, pas géom étriques mais ceux que
mois dans le palais Schifanoia à Ferrare : en face de domine la mafia en Sicile le sont, et d'une géom étrie
chaque fenêtre, un mur plein de façonque les célèbres implacable.
fresques delafamille d'E sté soient baignées de Un cancer séculairequoique dém enti par d'illustres
lumière. exceptions, telles que la civilisation du Moyen Age et
33
dans unmoment d'aberration mentale, s'étaient La sym étrie est le sym ptôm e spécifiqueet macro-
trom pés. Il fallait corriger leur erreur. Un autre exem- scopique d'une tumeur proliférant par capillaritéet aux
ple ? l'Erechthéion, construction irrégulière et asym é- m étastases infinies : la géom étrie. En effet, l'histoire
trique, « moderne » pour ainsi dire, qui annonce déjà des villes pourrait être interprétée comme un affronte-
les niveaux multiples du Raumplan d'Adolf Loos. Quel ment entre la géom étrie—invariant du pouvoir totali-
rôle ajoué l'Erechthéion dans l'établissem ent des taire ou bureaucratique —et les formes libres qui sont
normes des Beaux-Arts ? Aucun, car n'étant pas sym é- propres à la vie et au peuple. Pendant des centaines de
trique, il n'était d'aucune utilité. milliers d 'an n éesla com m unautépaléolithiqueaignoré
Une pièce : où situer la porte ? N'importe où, sauf géom étrie. Dès le début de la périodenéolithique, les
au milieu d'un mur car on découperait l'espace en masseurs-cultivateurs sont soumis à un chef de tribu et
deux. Je dirais même plus, n'importe où ailleurs signi- plan en damier apparaît. Tous les régim espolitiques
fie à l'endroit le plus décentré afin d'exalter la diago- absolutistes géom étrisent, enrégim entent le paysage
nale et d'obtenir le maximum de profondeur. Pour urbain dans des axes et encore des axes, parallèles et
accentuer la vision en diagonale, pourquoi nedétache- orthogonaux. Toutes les casernes, les prisons, les bases
rait-on pas la porte du mur en la disposant en biais ? militaires sont rigoureusement géom étriques. Il n'est
Excellent, on la resém antiseen ladifférenciant des pas permis à un citadin de tourner à gauche ou à droite
autres. d"un mouvement naturel, c'est-à-dire en suivant une
La même pièce. Où situer la fenêtre ? N'importe où, ligne courbe ; il doit se déplacer par saccade, de 90° à
sauf au milieu afin de ne pas découperl'espace en trois h fois, comme une marionnette. De même, les nou-
zones, une éclairéeau milieu et deux sombres de veaux tissus urbains sont d essin és suivant une trame
chaque côté. R esém antisonsla fenêtre en fonction de quadrillée; dans certains cas, exceptionnels et non réa-
l'espace intérieuret valorisons la lumière. S'il n'y a lisés, ils ont un sch ém ahexagonal ou triangulaire. New
pas de panorama à regarder, alors faisons un bandeau York est un damier qui n'admet qu'une seule diago-
au niveau du plancher, une fente (de hauteur différente nale, celle de Broadway. Le Paris im périal se base sur
pour éviter lasym étrie), au niveau du plafond, des des coupures horribles qui ont déchiquetésadiquement
fentes d'angles pour éclairerles différents plans. Sur le tissu urbain préexistant. La colonisation de l'Am é-
la façadede la gare de Rome, nous trouvons deux ban- rique latine fut réaliséegrâce àdes lois pérem ptoires
deaux de lumière àchaque étage, un au niveau des qui ont im posédes formes géom étriquesaux villes,
tables de travail, l'autre au niveau du plafond ; il s'agit quelle que soit la topographie préexistante.
d'un dispositif satisfaisant quoique rendu trop clas- Les villes, surtout les capitales, sont constamment
sique àcause d'une allitérationexcessive. Au cas où victimes de transformations géom étriqueset n'yéchap-
l'on aurait la possibilitéde percer des fenêtres des deux pent que parce que leur croissance rapide circonvient
côtés, elles ne devront jamais être en face l'une de les directives administratives et politiques. Au
l'autre car elles s'éclaireraient réciproquem ent sans contraire, les villages et surtout les bourgs ruraux ne
donner de lumière àla pièce. Songez àla salle des sont, engénéral, pas géom étriques mais ceux que
mois dans le palais Schifanoia à Ferrare : en face de domine la mafia en Sicile le sont, et d'une géom étrie
chaque fenêtre, un mur plein de façonque les célèbres implacable.
fresques delafamille d'E sté soient baignées de Un cancer séculairequoique dém enti par d'illustres
lumière. exceptions, telles que la civilisation du Moyen Age et
33
le monde paysan, ne peut être extirpé que grâce à une plus à une forme tonique, à une gamme harmonique,
volontéinexorable. L'architecte est tellement condi- était parfaitement com préhensible et capable de susci-
tionné par la géom étrieartificielle et inhumaine qu'il :er des ém otions. Tonalité équivaut ici à sym étrie, pro-
la perçoit comme « naturelle » et « spontanée» ; il ne portion, consonance géom étrique. Les architectes ne
connaît pas d'autre langage. Cancer ancestral, renforcé ont pas encore compris.
par les instruments de dessin : té, équerre, compas,
appareils àdessiner qui servent àtracer des lignes
parallèles, des murs parallèles, des pièces parallèles,
des rues parallèles, des lotissements parallèles et puis,
perpendiculairement, d'autres murs parallèles, des pla-
fonds parallèles aux planchers, d'autres rues parallèles,
des quartiers entièrement orthogonaux, un univers par-
faitement découpé en rectangles ou en prismes, pou-
vant être contrôlépar les fusils et les mitraillettes. Dans
les cercueils, on enferme les cadavres mais, au moins,
leur forme trapézoïdale respecte la morphologie du
contenu. On n'en fait pas autant pour les vivants : on
les met dans des boîtes d'une façoncontre nature, abs-
traite, cynique.
Depuis lafindu Moyen Age, on a perdu l'envie de
se libérer de toute géom étrierégulière, qui coïncide de
façon em blématique avec le désir pur et simple de
liberté. Un édificecomme le palazzo Vecchio àFlo- Avec une règle et une équerre, une planche à dessin et un appareil à dessiner, il
rence, des agglom érations comme Sienne et P érouse . - difficile et extén
uan t de reproduire un épiso
d eurbain comme la piazza del Campo
semblent appartenir à une autre planète ; les architectes i î-.enne. En se servant de ces instruments, on ne peut que concevoir des architectures
x boite, faciles à rep résenteren perspective.
ne savent pas les dessiner, leur langage ne le leur per-
met pas. Pour les rééduquer, il faudrait interdire les tés,
les équerres, les compas, les appareils à dessiner, tout
l'attirail prévuen fonction de la grammaire et de la : Tridimensionnalitéantiperspective
syntaxe du classicisme. L'antigéom étrie, la forme libre
et par conséquent l'asym étrie et l'antiparallélism esont L'hécatom beeut lieu au début du xve siècle. Et ce
des invariants du langage moderne. Ils impliquent fut le triomphe de la perspective. Les architectes cessè-
l'ém ancipationgrâceà la dissonance. -:-nt de s'occuper d'architecture et se bornèrent àla
Schônberga écrit que les dissonances ne doivent pas :essiner. Les dégâts furent énorm es et se multiplièrent
être considéréescomme un condiment piquant à mettre cours des siècles, augmentant encore avec l'appari-
sur des sons insipides ; elles sont les composantes jn de l'industrie du bâtim ent.Ce paradoxe n'a sans
logiques d'un nouvel ensemble dont les phrases et les ;:ute pas d'équivalent dans d'autres domaines d'acti-
motifs ont la même vitalité que ceux des prototypes du vé : un fossése creuse entre l'architecte et l'architec-
passé. Il a découvert qu'une musique qui ne se réfère -_re et il sera impossible de le combler. Il ne faut pas
34 35
le monde paysan, ne peut être extirpé que grâce à une plus à une forme tonique, à une gamme harmonique,
volontéinexorable. L'architecte est tellement condi- était parfaitement com préhensible et capable de susci-
tionné par la géom étrieartificielle et inhumaine qu'il :er des ém otions. Tonalité équivaut ici à sym étrie, pro-
la perçoit comme « naturelle » et « spontanée» ; il ne portion, consonance géom étrique. Les architectes ne
connaît pas d'autre langage. Cancer ancestral, renforcé ont pas encore compris.
par les instruments de dessin : té, équerre, compas,
appareils àdessiner qui servent àtracer des lignes
parallèles, des murs parallèles, des pièces parallèles,
des rues parallèles, des lotissements parallèles et puis,
perpendiculairement, d'autres murs parallèles, des pla-
fonds parallèles aux planchers, d'autres rues parallèles,
des quartiers entièrement orthogonaux, un univers par-
faitement découpé en rectangles ou en prismes, pou-
vant être contrôlépar les fusils et les mitraillettes. Dans
les cercueils, on enferme les cadavres mais, au moins,
leur forme trapézoïdale respecte la morphologie du
contenu. On n'en fait pas autant pour les vivants : on
les met dans des boîtes d'une façoncontre nature, abs-
traite, cynique.
Depuis lafindu Moyen Age, on a perdu l'envie de
se libérer de toute géom étrierégulière, qui coïncide de
façon em blématique avec le désir pur et simple de
liberté. Un édificecomme le palazzo Vecchio àFlo- Avec une règle et une équerre, une planche à dessin et un appareil à dessiner, il
rence, des agglom érations comme Sienne et P érouse . - difficile et extén
uan t de reproduire un épiso
d eurbain comme la piazza del Campo
semblent appartenir à une autre planète ; les architectes i î-.enne. En se servant de ces instruments, on ne peut que concevoir des architectures
x boite, faciles à rep résenteren perspective.
ne savent pas les dessiner, leur langage ne le leur per-
met pas. Pour les rééduquer, il faudrait interdire les tés,
les équerres, les compas, les appareils à dessiner, tout
l'attirail prévuen fonction de la grammaire et de la : Tridimensionnalitéantiperspective
syntaxe du classicisme. L'antigéom étrie, la forme libre
et par conséquent l'asym étrie et l'antiparallélism esont L'hécatom beeut lieu au début du xve siècle. Et ce
des invariants du langage moderne. Ils impliquent fut le triomphe de la perspective. Les architectes cessè-
l'ém ancipationgrâceà la dissonance. -:-nt de s'occuper d'architecture et se bornèrent àla
Schônberga écrit que les dissonances ne doivent pas :essiner. Les dégâts furent énorm es et se multiplièrent
être considéréescomme un condiment piquant à mettre cours des siècles, augmentant encore avec l'appari-
sur des sons insipides ; elles sont les composantes jn de l'industrie du bâtim ent.Ce paradoxe n'a sans
logiques d'un nouvel ensemble dont les phrases et les ;:ute pas d'équivalent dans d'autres domaines d'acti-
motifs ont la même vitalité que ceux des prototypes du vé : un fossése creuse entre l'architecte et l'architec-
passé. Il a découvert qu'une musique qui ne se réfère -_re et il sera impossible de le combler. Il ne faut pas
34 35
s'étonner si de nombreux architectes n'ont pas la ne transmet aucune réalité stéréométrique, i l se décom-
moindre idée de ce qu'est l'architecture. pose en un front principal, des murs imposants qui sur-
La perspective est une technique graphique dont le rriombent les ruelles latérales et, derrière, une façade
but est de représenter une réalité tridimensionnelle sur presque indépendante. Le volume est une fin en soi,
une feuille bidimensionnelle. Pour faciliter cette tâche, achevé, dépourvu de contact avec ce qui l'entoure,
la perspective décida de découper en carrés tous les :omme parachuté ; en tant qu'objet tridimensionnel, i l
édifices et de les réduire à des prismes réguliers. Un -'est visible que d'avion. De plus, les façades ont des
gigantesque patrimoine visuel fait de courbes, de angles identiques, c'est là le « harakiri » de la pers-
formes asymétriques, de lignes divergentes, de modu- pective.
lations, d'angles autres que les angles droits, fut effacé La perspective, qui s'était imposée au nom de la
d'un seul coup : le monde se transforme en boîtes et Troisième dimension, fut appliquée, en général, selon
les « ordres » servent à distinguer les parties superpo- an cadrage central, c'est-à-dire d'une manière bidi-
sées ou juxtaposées. La perspective aurait dû fournir mensionnelle. Regardez une rue rectiligne Renaissance
les moyens pour acquérir une conscience plus exacte ou classique : fissure entre les rangées de constructions
de la troisième dimension ; au contraire, elle l'a figée et cortège de façades planes, où est la tridimensionnali-
au point d'en rendre la représentation mécanique et té ? Et alors pourquoi dilapider l'immense héritage lin-
presque inutile. Voilà une confirmation symptomatique guistique du Moyen Age, plein de messages
de ce qu'affirme les linguistes : la langue « nous par- Méréométriques et, en outre, complètement opposé à
le » ; faute d'un code nous ne pouvons penser. Ce /idée de boîte? Cherchez dans l'histoire politique et
renouveau du classicisme, axé sur la perspective, sociale, vous y trouverez la réponse.
appauvrit de façon décisive le langage architectural.
De même qu'en ce qui concerne la géométrie, i l y
Au lieu d'inventer des espaces pour la vie humaine, on
aurait bien peu de chances de surmonter la maladie de
s'est mis à dessiner des emballages pour l'envelopper.
b perspective qui ronge le corps de l'architecture
Avec la perspective, ce n'est plus l'architecture qui
usque dans ses profondeurs les plus intimes. Toute-
domine mais les containers.
rois, à ce propos, le code moderne plonge ses racines
En théorie, le mouvement perspectif aurait dû exal- dans une longue série de précédents à partir du
ter la profondeur. Tout volume aurait dû la souligner ::vi siècle justement. L'art, depuis le maniérisme, tend
e

par ses raccourcis sur l'angle ; l'angle aurait dû devenir a dépasser la vision perspective, et les innovations des
l'élément moteur du prisme et au lieu de l'isoler, l'au- mouvements d'avant-garde, de l'impressionnisme à
rait rendu partie intégrante du contexte urbain. Prenons l'art informel, ont accéléré ce processus. L'architecture
par exemple le palais Farnese à Rome : c'est une boîte, est en retard par rapport à la peinture et à la sculpture ;
d'accord ; on ne pouvait pas faire autrement en utili- !a mentalité du mouvement perspectif persiste et cor-
sant le langage perspectif ; pourtant avec des murs en rompt une infinité d'œuvres qui sont cependant
biais, fuyants, i l aurait donné une impulsion dynamique actuelles à d'autres points de vue. I l suffit de connaître
à la ville. Évidemment les angles auraient été tous dif- an peu l'histoire pour s'apercevoir que tous les vrais
férents les uns des autres ; celui qui donne sur la place architectes, de 1527 à 1980, ont entrepris une lutte
aurait été éclatant et les autres discrets, pour ne pas contre la perspective qu'il faut parachever aujourd'hui.
interrompre la continuité des rues. Vers la fin du xv siècle, nous trouvons Biagio Ros-
e

Naturellement rien de tout cela. Le palais Farnese setti, l'urbaniste de Ferrare, «première ville moderne

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s'étonner si de nombreux architectes n'ont pas la ne transmet aucune réalité stéréométrique, i l se décom-
moindre idée de ce qu'est l'architecture. pose en un front principal, des murs imposants qui sur-
La perspective est une technique graphique dont le rriombent les ruelles latérales et, derrière, une façade
but est de représenter une réalité tridimensionnelle sur presque indépendante. Le volume est une fin en soi,
une feuille bidimensionnelle. Pour faciliter cette tâche, achevé, dépourvu de contact avec ce qui l'entoure,
la perspective décida de découper en carrés tous les :omme parachuté ; en tant qu'objet tridimensionnel, i l
édifices et de les réduire à des prismes réguliers. Un -'est visible que d'avion. De plus, les façades ont des
gigantesque patrimoine visuel fait de courbes, de angles identiques, c'est là le « harakiri » de la pers-
formes asymétriques, de lignes divergentes, de modu- pective.
lations, d'angles autres que les angles droits, fut effacé La perspective, qui s'était imposée au nom de la
d'un seul coup : le monde se transforme en boîtes et Troisième dimension, fut appliquée, en général, selon
les « ordres » servent à distinguer les parties superpo- an cadrage central, c'est-à-dire d'une manière bidi-
sées ou juxtaposées. La perspective aurait dû fournir mensionnelle. Regardez une rue rectiligne Renaissance
les moyens pour acquérir une conscience plus exacte ou classique : fissure entre les rangées de constructions
de la troisième dimension ; au contraire, elle l'a figée et cortège de façades planes, où est la tridimensionnali-
au point d'en rendre la représentation mécanique et té ? Et alors pourquoi dilapider l'immense héritage lin-
presque inutile. Voilà une confirmation symptomatique guistique du Moyen Age, plein de messages
de ce qu'affirme les linguistes : la langue « nous par- Méréométriques et, en outre, complètement opposé à
le » ; faute d'un code nous ne pouvons penser. Ce /idée de boîte? Cherchez dans l'histoire politique et
renouveau du classicisme, axé sur la perspective, sociale, vous y trouverez la réponse.
appauvrit de façon décisive le langage architectural.
De même qu'en ce qui concerne la géométrie, i l y
Au lieu d'inventer des espaces pour la vie humaine, on
aurait bien peu de chances de surmonter la maladie de
s'est mis à dessiner des emballages pour l'envelopper.
b perspective qui ronge le corps de l'architecture
Avec la perspective, ce n'est plus l'architecture qui
usque dans ses profondeurs les plus intimes. Toute-
domine mais les containers.
rois, à ce propos, le code moderne plonge ses racines
En théorie, le mouvement perspectif aurait dû exal- dans une longue série de précédents à partir du
ter la profondeur. Tout volume aurait dû la souligner ::vi siècle justement. L'art, depuis le maniérisme, tend
e

par ses raccourcis sur l'angle ; l'angle aurait dû devenir a dépasser la vision perspective, et les innovations des
l'élément moteur du prisme et au lieu de l'isoler, l'au- mouvements d'avant-garde, de l'impressionnisme à
rait rendu partie intégrante du contexte urbain. Prenons l'art informel, ont accéléré ce processus. L'architecture
par exemple le palais Farnese à Rome : c'est une boîte, est en retard par rapport à la peinture et à la sculpture ;
d'accord ; on ne pouvait pas faire autrement en utili- !a mentalité du mouvement perspectif persiste et cor-
sant le langage perspectif ; pourtant avec des murs en rompt une infinité d'œuvres qui sont cependant
biais, fuyants, i l aurait donné une impulsion dynamique actuelles à d'autres points de vue. I l suffit de connaître
à la ville. Évidemment les angles auraient été tous dif- an peu l'histoire pour s'apercevoir que tous les vrais
férents les uns des autres ; celui qui donne sur la place architectes, de 1527 à 1980, ont entrepris une lutte
aurait été éclatant et les autres discrets, pour ne pas contre la perspective qu'il faut parachever aujourd'hui.
interrompre la continuité des rues. Vers la fin du xv siècle, nous trouvons Biagio Ros-
e

Naturellement rien de tout cela. Le palais Farnese setti, l'urbaniste de Ferrare, «première ville moderne

37
r d'Europe ». I l n'est pas célèbre et c'est pourquoi i l
comprend si bien les nécessités fondamentales de la
ville que les grands architectes, enlisés dans une
optique axée exclusivement sur l'édifice, ignorent. Que
découvre ce modeste artisan qui construit Ferrare sans
même recourir au dessin ? Tout simplement que, pour
faire partie du contexte, les édifices ne peuvent être
symétriques et finis ni se suffire à eux-mêmes ; l'angle
est la clef de voûte, la charnière de tout paysage
urbain ; le reste va de soi. En dessinant l'Addizione
Erculea, Rossetti concentre son attention sur les édi-
fices situés aux carrefours et i l en exalte les angles.
C'est là le seul exemple d'agglomération Renaissance
conçue en termes de perspective concrètement tridi-
mensionnelle. Trois siècles et demi plus tard, le Paris
du baron Haussmann : au lieu d'angles, des façades.
Michel-Ange aussi défia la perspective centrale
d'une manière extraordinaire. Sur la place du Capitole,
il s'insurge contre le code alors en vigueur, saisit l'es-
pace et le retient, enfreint les canons de la géométrie
élémentaire, transforme un rectangle en un trapèze ren-
versé par rapport aux lignes de la perspective, va jus-
qu'à nier le parallélisme des deux palais, pourtant
identiques, qui se trouvent de chaque côté de la place.
Michel-Ange est l'artiste le plus célèbre de l'histoire
de l'art ; ses œuvres sont admirées, mesurées et
copiées ; à Montréal i l y a une copie de Saint-Pierre à
une échelle moitié. Le Capitole est une étape obliga-
toire le long de l'itinéraire de millions de personnes et
de tous les architectes cultivés — mais combien parmi
eux, rassurés par ce précédent révolutionnaire, ont eu
le courage de disposer deux corps de bâtiment l ' u n en
face de l'autre mais de façon non parallèle ?
Rappelons brièvement une autre entreprise extraor-
dinaire de Michel-Ange : les dessins pour les fortifica-
8. Pour exalter sa tridimensionnalité le palais Famese à Rome devrait apparaître de
biais (en haut) ; au contraire, il se présente comme un mur bidimensionnel (au milieu).
tions de Florence en 1529. Les espaces intérieurs et
Sur la place du Capitole, Michel-Ange refuse le parallélisme et le point de vite per- extérieurs, avec les glacis et les bastions projetés en
spectif (en bas, à gauche) et renverse le trapèze (à droite).
avant montrent un élan jamais vu, les structures, jamais
parallèles, des murs se tordent en fonction de la résis-

38 39
r d'Europe ». I l n'est pas célèbre et c'est pourquoi i l
comprend si bien les nécessités fondamentales de la
ville que les grands architectes, enlisés dans une
optique axée exclusivement sur l'édifice, ignorent. Que
découvre ce modeste artisan qui construit Ferrare sans
même recourir au dessin ? Tout simplement que, pour
faire partie du contexte, les édifices ne peuvent être
symétriques et finis ni se suffire à eux-mêmes ; l'angle
est la clef de voûte, la charnière de tout paysage
urbain ; le reste va de soi. En dessinant l'Addizione
Erculea, Rossetti concentre son attention sur les édi-
fices situés aux carrefours et i l en exalte les angles.
C'est là le seul exemple d'agglomération Renaissance
conçue en termes de perspective concrètement tridi-
mensionnelle. Trois siècles et demi plus tard, le Paris
du baron Haussmann : au lieu d'angles, des façades.
Michel-Ange aussi défia la perspective centrale
d'une manière extraordinaire. Sur la place du Capitole,
il s'insurge contre le code alors en vigueur, saisit l'es-
pace et le retient, enfreint les canons de la géométrie
élémentaire, transforme un rectangle en un trapèze ren-
versé par rapport aux lignes de la perspective, va jus-
qu'à nier le parallélisme des deux palais, pourtant
identiques, qui se trouvent de chaque côté de la place.
Michel-Ange est l'artiste le plus célèbre de l'histoire
de l'art ; ses œuvres sont admirées, mesurées et
copiées ; à Montréal i l y a une copie de Saint-Pierre à
une échelle moitié. Le Capitole est une étape obliga-
toire le long de l'itinéraire de millions de personnes et
de tous les architectes cultivés — mais combien parmi
eux, rassurés par ce précédent révolutionnaire, ont eu
le courage de disposer deux corps de bâtiment l ' u n en
face de l'autre mais de façon non parallèle ?
Rappelons brièvement une autre entreprise extraor-
dinaire de Michel-Ange : les dessins pour les fortifica-
8. Pour exalter sa tridimensionnalité le palais Famese à Rome devrait apparaître de
biais (en haut) ; au contraire, il se présente comme un mur bidimensionnel (au milieu).
tions de Florence en 1529. Les espaces intérieurs et
Sur la place du Capitole, Michel-Ange refuse le parallélisme et le point de vite per- extérieurs, avec les glacis et les bastions projetés en
spectif (en bas, à gauche) et renverse le trapèze (à droite).
avant montrent un élan jamais vu, les structures, jamais
parallèles, des murs se tordent en fonction de la résis-

38 39
tance statique et de la double poussée des espaces
agressifs. Or pendant quatre siècles, personne n'a
regardé ces dessins, personne ne les a « découverts »
et pourtant, ils étaient parfaitement connus. Sur le plan
du langage, d'un nouveau code révolutionnaire, ils
n'ont servi à rien. Pourquoi ?
La langue de Michel-Ange n'avait pas été formali-
sée, par conséquent, personne ne pouvait la parler ;
bien plus, personne ne pouvait comprendre ce que
Michel-Ange disait. Voilà la raison de tout ce gaspil-
lage. La codification de la langue moderne, i l faut le
répéter, est la condition sine qua non pour parler d'ar-
chitecture aujourd'hui et pour comprendre les œuvres
du passé falsifiées par le classicisme. C'est là le fond
du problème : l'architecture moderne coïncide avec
une manière moderne de voir l'architecture du passé.
On n'écrit en termes nouveaux que si on l i t en termes
nouveaux et vice versa. Tout cela fait de la langue
moderne un instrument d'une portée formidable m ê m e
sur le plan de l'historiographie.
On peut faire une objection : si la seule langue codi-
fiée est celle du classicisme, comment peut-on pré-
tendre qu'on arrive à communiquer en adoptant une - architecte, un te a la main, ne pense plus à l'architecture mais seulement à la
langue anticlassique ? Dans le langage verbal, i l ne se - a rePresenter. C est le langage perspectif qui parle à travers lui et l'oblige à
-revoir en termes de prismes et d'ordres prismatiques superposés, qu'il s'agisse
produit pas de révolutions soudaines et radicales au palais Rena.ssance ou de l'horrible et grotesque « Colisée carré » qui se trouve
point de dire : j u s q u ' à hier, on parlait comme cela, à
partir d'aujourd'hui on parle comme ceci. En outre,
comment peut-on fonder un nouveau code architectural -.ellénique authentique et non celui que l'herméneu-
en se basant simplement sur quelques œuvres d'une que des Beaux-Arts a faussé, et plus loin encore, par
poignée d'artistes qui, de plus, acceptent souvent la époque paléolithique. Le seul code formalisé est celui
symétrie, les schémas géométriques, les consonances, :u classicisme ? Toutefois, nous ne sommes pas sans
les principes perspectifs ? N'est-ce pas velléitaire ? :efense contre l u i . Nous avons pour nous la force de
Non. La langue moderne de l'architecture n'apparaît phénoménologie historique : nous savons q u ' i l
pas à l'improviste en 1859 avec la « maison rouge » -'existe pas un seul monument du passé qui obéisse
de W i l l i a m Morris. Elle n'utilise pas de codes incom- . ce code, pas m ê m e un seul temple grec qui ait les
préhensibles ; ses messages ont été largement annoncés rroportions définies par l'idée abstraite de « temple
par l'éclectisme, le baroque, la Renaissance m ê m e zrec ». Les civilisations dites « classiques » ne le sont
(comme nous l'avons vu), l'épopée médiévale, la fin :;s du tout, pas m ê m e de loin. Les grands architectes
de l'Antiquité romaine, la Grèce, c'est-à-dire l'univers mr lesquels on s'est basé pour établir le code classique

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41
tance statique et de la double poussée des espaces
agressifs. Or pendant quatre siècles, personne n'a
regardé ces dessins, personne ne les a « découverts »
et pourtant, ils étaient parfaitement connus. Sur le plan
du langage, d'un nouveau code révolutionnaire, ils
n'ont servi à rien. Pourquoi ?
La langue de Michel-Ange n'avait pas été formali-
sée, par conséquent, personne ne pouvait la parler ;
bien plus, personne ne pouvait comprendre ce que
Michel-Ange disait. Voilà la raison de tout ce gaspil-
lage. La codification de la langue moderne, i l faut le
répéter, est la condition sine qua non pour parler d'ar-
chitecture aujourd'hui et pour comprendre les œuvres
du passé falsifiées par le classicisme. C'est là le fond
du problème : l'architecture moderne coïncide avec
une manière moderne de voir l'architecture du passé.
On n'écrit en termes nouveaux que si on l i t en termes
nouveaux et vice versa. Tout cela fait de la langue
moderne un instrument d'une portée formidable m ê m e
sur le plan de l'historiographie.
On peut faire une objection : si la seule langue codi-
fiée est celle du classicisme, comment peut-on pré-
tendre qu'on arrive à communiquer en adoptant une - architecte, un te a la main, ne pense plus à l'architecture mais seulement à la
langue anticlassique ? Dans le langage verbal, i l ne se - a rePresenter. C est le langage perspectif qui parle à travers lui et l'oblige à
-revoir en termes de prismes et d'ordres prismatiques superposés, qu'il s'agisse
produit pas de révolutions soudaines et radicales au palais Rena.ssance ou de l'horrible et grotesque « Colisée carré » qui se trouve
point de dire : j u s q u ' à hier, on parlait comme cela, à
partir d'aujourd'hui on parle comme ceci. En outre,
comment peut-on fonder un nouveau code architectural -.ellénique authentique et non celui que l'herméneu-
en se basant simplement sur quelques œuvres d'une que des Beaux-Arts a faussé, et plus loin encore, par
poignée d'artistes qui, de plus, acceptent souvent la époque paléolithique. Le seul code formalisé est celui
symétrie, les schémas géométriques, les consonances, :u classicisme ? Toutefois, nous ne sommes pas sans
les principes perspectifs ? N'est-ce pas velléitaire ? :efense contre l u i . Nous avons pour nous la force de
Non. La langue moderne de l'architecture n'apparaît phénoménologie historique : nous savons q u ' i l
pas à l'improviste en 1859 avec la « maison rouge » -'existe pas un seul monument du passé qui obéisse
de W i l l i a m Morris. Elle n'utilise pas de codes incom- . ce code, pas m ê m e un seul temple grec qui ait les
préhensibles ; ses messages ont été largement annoncés rroportions définies par l'idée abstraite de « temple
par l'éclectisme, le baroque, la Renaissance m ê m e zrec ». Les civilisations dites « classiques » ne le sont
(comme nous l'avons vu), l'épopée médiévale, la fin :;s du tout, pas m ê m e de loin. Les grands architectes
de l'Antiquité romaine, la Grèce, c'est-à-dire l'univers mr lesquels on s'est basé pour établir le code classique

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ont été les premiers à le nier de façon concrète. Est-ce distinctions. Quand Gropius, Mies, Aalto les ont
que Bramante est classique ? est-ce que Palladio est construits, il s'agissait d'une capitulation : faute de
classique ? et Vignole donc ? codification moderne, ils se lassèrent et régressèrent
dans le giron du classicisme. Cela n'est jamais arrivé
a Mendelsohn : son expressionnisme est tellement vio-
lent, la force de la tridimensionnalité perspective sape
:oute solennité statique, explose, électrise et aimante le
paysage. Où sont les édifices symétriques de Le Corbu-
sier ? Est-ce que la villa Savoye est symétrique ? Peut-
être pour quelqu'un qui l'a vue distraitement en photo-
graphie. Et les œuvres de Wright le sont encore moins.
Et s'il nous faut vraiment admettre que, parmi les
10. Esquisse de Erich Mendelsohn pour un studio de cinéma (1917). On note, en haut mille alternatives possibles, on peut choisir celle de la
à droite, trois formes hélicoïdales semblables au musée Guggenheim de F. L I . Wright.
Les représenlations de Mendelsohn n'utilisent pas la quadridimensionnalité des perspective, soit, pourvu qu'on la choisisse après avoir
cubistes mais elles exaltent le mouvement au moyen d'une vision d'angle et de maté-
riaux dynamiques.
soupesé les avantages des 999 autres et non pas a
priori.
Quant au fait que Wright, Le Corbusier, Gropius,
Mies van der Rohe, Aalto et autres maîtres du mouve-
ment moderne aient adopté, en général en les isolant -'. Syntaxe de la décomposition
de leur contexte, des éléments classiques, cela ne doit juadridimensionnelle
pas nous déconcerter. Le nouveau langage qui s'est
développé en opposition dialectique avec l'idolâtrie Le groupe De Stijl, le seul à tenter d'établir un code
des Beaux-Arts, a dû tenir compte de la stratégie de l'architecture moderne, s'engage dans une opération
adverse. I l s'agit d'un rapport analogue à celui qui rigoureuse et généralisable. Le problème consiste à
existe entre l'italien et le latin (quoique le moderne en défaire le bloc perspectif, i l faut d'abord supprimer la
architecture ne dérive absolument pas du classique). Troisième dimension en démontant la boîte et en la
Au cours des premiers siècles de notre ère, des mots décomposant en plans. Plus de volumes. Plus de pièces
latins se mêlent à la langue « vulgaire » et à son tour mais six plans : le plafond, quatre murs et le plancher.
le latin est « corrompu » par des termes vulgaires. A En détachant les jonctions, en libérant les cloisons, la
mesure que le temps passe, le latin devient de moins lumière pénètre dans les coins jusqu'alors sombres,
en moins latin, et la structure du code se vulgarise. Au "espace s'anime. Opération très simple à laquelle per-
xv siècle — en même temps que la perspective et pour
e sonne n'avait pensé auparavant et qui constitue le pre-
des raisons semblables — le latin revient à la mode et, mier pas décisif vers la liberté architecturale. L'espace
ramené à son code spécifique, semble alors prévaloir : intérieur reste cubique mais, éclairé de cette manière,
mais c'est à ce moment-là qu'il signe son propre arrêt :i apparaît complètement différent.
de mort car l'opération est antihistorique, répressive, Poursuivons notre raisonnement. Les cloisons sont
absurde. désormais indépendantes, elles peuvent déborder hors
Est-ce que les maîtres modernes ont construit des du périmètre de l'ancienne boîte, se prolonger, s'élever
édifices symétriques et perspectifs ? I l faut établir des DU s'abaisser, dépasser les limites qui séparaient jus-

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ont été les premiers à le nier de façon concrète. Est-ce distinctions. Quand Gropius, Mies, Aalto les ont
que Bramante est classique ? est-ce que Palladio est construits, il s'agissait d'une capitulation : faute de
classique ? et Vignole donc ? codification moderne, ils se lassèrent et régressèrent
dans le giron du classicisme. Cela n'est jamais arrivé
a Mendelsohn : son expressionnisme est tellement vio-
lent, la force de la tridimensionnalité perspective sape
:oute solennité statique, explose, électrise et aimante le
paysage. Où sont les édifices symétriques de Le Corbu-
sier ? Est-ce que la villa Savoye est symétrique ? Peut-
être pour quelqu'un qui l'a vue distraitement en photo-
graphie. Et les œuvres de Wright le sont encore moins.
Et s'il nous faut vraiment admettre que, parmi les
10. Esquisse de Erich Mendelsohn pour un studio de cinéma (1917). On note, en haut mille alternatives possibles, on peut choisir celle de la
à droite, trois formes hélicoïdales semblables au musée Guggenheim de F. L I . Wright.
Les représenlations de Mendelsohn n'utilisent pas la quadridimensionnalité des perspective, soit, pourvu qu'on la choisisse après avoir
cubistes mais elles exaltent le mouvement au moyen d'une vision d'angle et de maté-
riaux dynamiques.
soupesé les avantages des 999 autres et non pas a
priori.
Quant au fait que Wright, Le Corbusier, Gropius,
Mies van der Rohe, Aalto et autres maîtres du mouve-
ment moderne aient adopté, en général en les isolant -'. Syntaxe de la décomposition
de leur contexte, des éléments classiques, cela ne doit juadridimensionnelle
pas nous déconcerter. Le nouveau langage qui s'est
développé en opposition dialectique avec l'idolâtrie Le groupe De Stijl, le seul à tenter d'établir un code
des Beaux-Arts, a dû tenir compte de la stratégie de l'architecture moderne, s'engage dans une opération
adverse. I l s'agit d'un rapport analogue à celui qui rigoureuse et généralisable. Le problème consiste à
existe entre l'italien et le latin (quoique le moderne en défaire le bloc perspectif, i l faut d'abord supprimer la
architecture ne dérive absolument pas du classique). Troisième dimension en démontant la boîte et en la
Au cours des premiers siècles de notre ère, des mots décomposant en plans. Plus de volumes. Plus de pièces
latins se mêlent à la langue « vulgaire » et à son tour mais six plans : le plafond, quatre murs et le plancher.
le latin est « corrompu » par des termes vulgaires. A En détachant les jonctions, en libérant les cloisons, la
mesure que le temps passe, le latin devient de moins lumière pénètre dans les coins jusqu'alors sombres,
en moins latin, et la structure du code se vulgarise. Au "espace s'anime. Opération très simple à laquelle per-
xv siècle — en même temps que la perspective et pour
e sonne n'avait pensé auparavant et qui constitue le pre-
des raisons semblables — le latin revient à la mode et, mier pas décisif vers la liberté architecturale. L'espace
ramené à son code spécifique, semble alors prévaloir : intérieur reste cubique mais, éclairé de cette manière,
mais c'est à ce moment-là qu'il signe son propre arrêt :i apparaît complètement différent.
de mort car l'opération est antihistorique, répressive, Poursuivons notre raisonnement. Les cloisons sont
absurde. désormais indépendantes, elles peuvent déborder hors
Est-ce que les maîtres modernes ont construit des du périmètre de l'ancienne boîte, se prolonger, s'élever
édifices symétriques et perspectifs ? I l faut établir des DU s'abaisser, dépasser les limites qui séparaient jus-

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qu'ici l'intérieuret l'extérieur. La maison, la ville peu-
vent se transformer —c'était le rêve de Mondrian —
en un panorama de panneaux bleus, jaunes, rouges,
blancs et noirs. Une fois que la boîte sera dém ontée,
es plans ne s'assembleront plus en volumes finis
: ontenant des espaces finis, mais, au contraire, ils crée-
ront des espaces fluides qui s'articulent et s'em boîtent
de façoncontinue. Ainsi, une vision dynamique, tem-
poralisée ou, si l'on préfère, quadridimensionnelle, se
-ubstitue à l'im m obilité du classicisme.
La syntaxe du groupe De Stijl aurait pu alimenter le
angage de l'architecture pendant des dizaines d'an-
n ées; après les plans, on serait p a sséaux surfaces
Bourbes, ondulées, libres, aux articulations d'une
-.chesse infinie. Au contraire, les architectes n'ont pas
pompris le code du néo-plasticism eet l'ont ab and onné
avant d'en avoir explorétoutes les possibilités.
La décom positionreste toutefois un invariant fonda-
mental du langage moderne. Dans le complexe du Bau-
naus àDessau, par exemple, Gropius d éco m posele
olume en trois corps bien différenciés : le dortoir, les
Iailes de cours et les ateliers vitrés. On a ainsi trois
rlocs conçus de manière dissonante et défiant toute
rerspective. Il n'existe aucun endroit d'où on puisse
avoir une vision d'ensemble ; il faut marcher, il faut
au mouvement et donc du temps. Il s'agit ici encore,
:omme toujours, d'un problème d'inventaire. Une fois
que l'on a c asséle bloc compact de la boîte, on d égag e
es composantes fonctionnelles de la construction et on
accentue les distinctions et les caractères spécifiques
des différentsmessages. On élim ine tout rapport har-
monique entre les parties, les passages d'un corps à
"autre sont simples et brutaux afin de souligner la dis-
sonance.
Gropius n'a captéqu'à m oitiéle message du groupe
De Stijl etne s'est pas risqué à d éco m poser les
olumes en plans. Quant aux autres architectes, ils
-"ont compris qu'à m oitié la signification du Bauhaus.
La m éthode qui consiste à d éco m po ser le volume en
45
qu'ici l'intérieuret l'extérieur. La maison, la ville peu-
vent se transformer —c'était le rêve de Mondrian —
en un panorama de panneaux bleus, jaunes, rouges,
blancs et noirs. Une fois que la boîte sera dém ontée,
es plans ne s'assembleront plus en volumes finis
: ontenant des espaces finis, mais, au contraire, ils crée-
ront des espaces fluides qui s'articulent et s'em boîtent
de façoncontinue. Ainsi, une vision dynamique, tem-
poralisée ou, si l'on préfère, quadridimensionnelle, se
-ubstitue à l'im m obilité du classicisme.
La syntaxe du groupe De Stijl aurait pu alimenter le
angage de l'architecture pendant des dizaines d'an-
n ées; après les plans, on serait p a sséaux surfaces
Bourbes, ondulées, libres, aux articulations d'une
-.chesse infinie. Au contraire, les architectes n'ont pas
pompris le code du néo-plasticism eet l'ont ab and onné
avant d'en avoir explorétoutes les possibilités.
La décom positionreste toutefois un invariant fonda-
mental du langage moderne. Dans le complexe du Bau-
naus àDessau, par exemple, Gropius d éco m posele
olume en trois corps bien différenciés : le dortoir, les
Iailes de cours et les ateliers vitrés. On a ainsi trois
rlocs conçus de manière dissonante et défiant toute
rerspective. Il n'existe aucun endroit d'où on puisse
avoir une vision d'ensemble ; il faut marcher, il faut
au mouvement et donc du temps. Il s'agit ici encore,
:omme toujours, d'un problème d'inventaire. Une fois
que l'on a c asséle bloc compact de la boîte, on d égag e
es composantes fonctionnelles de la construction et on
accentue les distinctions et les caractères spécifiques
des différentsmessages. On élim ine tout rapport har-
monique entre les parties, les passages d'un corps à
"autre sont simples et brutaux afin de souligner la dis-
sonance.
Gropius n'a captéqu'à m oitiéle message du groupe
De Stijl etne s'est pas risqué à d éco m poser les
olumes en plans. Quant aux autres architectes, ils
-"ont compris qu'à m oitié la signification du Bauhaus.
La m éthode qui consiste à d éco m po ser le volume en
45
unités fonctionnelles plus petites a été souvent appli-
quée, en particulier aux édifices scolaires dans lesquels
il est facile de séparer le bloc « salles de classe » du
bloc « gymnase » et de celui des bureaux. Toutefois on
cherche, en général, à « harmoniser » les trois corps, à
les proportionner et à les souder entre eux par des pas-
sages « assonants », bref, à « classiciser » l'anticlas-
sique. Comment expliquer que la dissonance soit un
invariant aussi fondamental pour l'architecture que
pour la musique moderne ? C'est elle qui permet de
resémantiser les formes, les mots, les sons, c'est-à-dire
l'inventaire. Mais les architectes se mettent aussitôt à
recoudre ce qu'ils viennent à peine de découdre, et
quand les blocs salles, gymnase et bureaux « s'ordon-
nent » harmonieusement, on retombe dans la vision
perspective qui n'offre qu'un seul point de vue privi-
légié.
La folie des proportions aussi est une tumeur qu'il
faut éliminer. Qu'est-ce que la proportion ? C'est un
dispositif qui sert à unir, par un mécanisme contrai-
gnant, les parties hétérogènes d'un édifice. Névrose de
la « synthèse », qu'on effectuera de préférence a priori.
Étant donné que les phénomènes sont différents et
qu'ils sont le support de messages multiples, pourquoi
vouloir les réduire, au moyen de la proportion, à un
message unique ? Terreur de la liberté, de la maturité
et par conséquent, de la vie. De même que pour la
symétrie, chaque fois que vous voyez un édifice « pro-
portionné », méfiez-vous : la proportion fige l'élan
vital, dissimule une erreur et un gaspillage.
Mies van der Rohe est le principal représentant de
la syntaxe De Stijl : son pavillon allemand à l'exposi-
tion de Barcelone en 1929 représente le chef-d'œuvre
de cette poétique. I l se compose de dalles de travertin,
de surfaces vitrées et d'eau, disposées horizontalement
ou verticalement, de plans qui brisent l'immobilité des
espaces intérieurs, débordent et impriment une direc- '^*tÂSS%siï£ co„ c:°nr; ^TT*
r —
" ">'
c triqueen m e s fo is
tion aux espaces extérieurs. Ce pavillon n'était qu'un
début, ses plans étaient tous orthogonaux les uns par
« dans le Bauhausde Dessau conçu ^ W a T Î S ^
a van der Rohe, pour le pavHlon de Bar^e
• ieu, à gauche) P 6
11
HP ' U St" " ' <e hm
b s) ,andis
ainsi
L u d

. décompose le volume en plans (au


B a r c e l o n e
™g

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unités fonctionnelles plus petites a été souvent appli-
quée, en particulier aux édifices scolaires dans lesquels
il est facile de séparer le bloc « salles de classe » du
bloc « gymnase » et de celui des bureaux. Toutefois on
cherche, en général, à « harmoniser » les trois corps, à
les proportionner et à les souder entre eux par des pas-
sages « assonants », bref, à « classiciser » l'anticlas-
sique. Comment expliquer que la dissonance soit un
invariant aussi fondamental pour l'architecture que
pour la musique moderne ? C'est elle qui permet de
resémantiser les formes, les mots, les sons, c'est-à-dire
l'inventaire. Mais les architectes se mettent aussitôt à
recoudre ce qu'ils viennent à peine de découdre, et
quand les blocs salles, gymnase et bureaux « s'ordon-
nent » harmonieusement, on retombe dans la vision
perspective qui n'offre qu'un seul point de vue privi-
légié.
La folie des proportions aussi est une tumeur qu'il
faut éliminer. Qu'est-ce que la proportion ? C'est un
dispositif qui sert à unir, par un mécanisme contrai-
gnant, les parties hétérogènes d'un édifice. Névrose de
la « synthèse », qu'on effectuera de préférence a priori.
Étant donné que les phénomènes sont différents et
qu'ils sont le support de messages multiples, pourquoi
vouloir les réduire, au moyen de la proportion, à un
message unique ? Terreur de la liberté, de la maturité
et par conséquent, de la vie. De même que pour la
symétrie, chaque fois que vous voyez un édifice « pro-
portionné », méfiez-vous : la proportion fige l'élan
vital, dissimule une erreur et un gaspillage.
Mies van der Rohe est le principal représentant de
la syntaxe De Stijl : son pavillon allemand à l'exposi-
tion de Barcelone en 1929 représente le chef-d'œuvre
de cette poétique. I l se compose de dalles de travertin,
de surfaces vitrées et d'eau, disposées horizontalement
ou verticalement, de plans qui brisent l'immobilité des
espaces intérieurs, débordent et impriment une direc- '^*tÂSS%siï£ co„ c:°nr; ^TT*
r —
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c triqueen m e s fo is
tion aux espaces extérieurs. Ce pavillon n'était qu'un
début, ses plans étaient tous orthogonaux les uns par
« dans le Bauhausde Dessau conçu ^ W a T Î S ^
a van der Rohe, pour le pavHlon de Bar^e
• ieu, à gauche) P 6
11
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ainsi
L u d

. décompose le volume en plans (au


B a r c e l o n e
™g

46
47
rapport aux autres alors qu'il aurait pu être plus riche,
se libérer de l'angle droit et s'articuler en plans
inclinés. Mais ce pavillon fut le début et la fin : la
r De plus, la « cosmétologie » moderne ne coûte pas
cher et ne fait pas de gaspillage, alors que la « cosmé-
tologie » classique, avec ses symétries, proportions,
décomposition quadridimensionnelle devint un diver- revêtements de marbre, est d'un coût prohibitif. Obser-
tissement épidermique, un exercice agréable et futile, vons le palais de la Regina Margherita datant du
appliqué aux balcons, aux auvents et au mobilier. x:x siècle, qui se trouve à Rome, via Veneto. Conçu
c

Afin d'éviter tout malentendu, i l faut ouvrir ici une ie façon classique, il avait besoin d'un « plein » majes-
parenthèse. Le code moderne peut s'appliquer à n'im- tueux en haut afin de mettre en valeur la corniche. On
porte quelle situation, à n'importe quelle échelle, qu'il ; donc construit dans ce seul but tout un étage inhabi-
s'agisse d'une chaise ou d'un réseau d'autoroutes, table car sans fenêtres : quelle impudence ! Plus tard,
d'une cuillère ou d'une ville. En aucun cas, l'architecte iprès la Seconde Guerre mondiale, les Américains
n'a le droit de renoncer. S'il attend, pour «parler» /achetèrent pour en faire l'ambassade des Etats-Unis.
correctement, l'occasion idéale et la commande appro- ].s découvrirent l'existence de l'étage supérieur, voulu-
priée, cela veut dire qu'il a déjà abdiqué. Prenons une rent l'utiliser et percèrent une série de petites fenêtres
pièce, par exemple, même la plus traditionnelle et la ians la corniche. Double folie : une ambassade royale
plus anachronique. Commençons par peindre les plans ivec des prétentions utilitaires. Le langage moderne ne
de six couleurs différentes : jaune, rouge, bleu, blanc, rermet pas de réaliser ni même de concevoir un édifice
noir et une autre couleur. Est-ce que c'est encore la semblable, et encore moins un monument comme celui
même pièce ? Maintenant changeons la disposition ie Victor-Emmanuel ou le palais de justice de Rome,
chromatique : plafond noir, murs bleu, rouge, blanc et le code moderne, fondé sur des nécessités sociales,
jaune. Écrasé par le plafond noir, l'espace semble plus psychologiques et humaines, abhorre les réalisations
vaste. Mais où est la fenêtre ? Si nous voulons plus de trompeuses et les superstructures. L'architecture clas-
lumière, il faudra peindre le mur qui se trouve en face sique coûte cher : elle est symbolique. Elle doit être
de la fenêtre en jaune ou en blanc ; si l'on veut moins tmposante et étouffer le citadin.
de lumière, on le peindra en bleu ou en rouge, éven- La méthode de décomposition est donc un invariant :
tuellement en noir. Colorons les panneaux au-dessus même en ce qui concerne le principe de réintégration,
des portes et des fenêtres jusqu'au plafond de façon à cette dernière n'a de valeur que si elle découle du pro-
ce que ces dernières ne soient plus des trous dans le cessus de décomposition. Faute de quoi, ce n'est plus
mur mais des plans. Et pourquoi n'utiliserait-on pas une réintégration mais une intégration a priori, une
des lignes ? I l suffit d'un trait en diagonale pour rendre tntégration classique.
une surface dynamique. Le domaine de la super- Le quatrième invariant n'est pas une découverte qui
graphique est aujourd'hui à la portée de tous. aurait été faite en 1917 par le groupe De Stijl. Obser-
On pourra objecter qu'il s'agit de « cosmétiques ». vons le couvent de San Filippo Neri à Rome, conçu
Certes, mais ils peuvent jouer un rôle de correction et trar Borromini. I l se présente comme un bloc énorme,
de contestation. Le code classique regorge d'expé- décomposé en différents secteurs fonctionnels par rap-
dients de ce type, qui vont des colonnades inutiles aux port aux espaces intérieurs et à la ville. Sa façade
fausses fenêtres. Le code moderne, au moins, les utilise concave semble aspirer le monde extérieur : à gauche,
comme provocation, pour souligner la nécessité impé- un angle sublime, le plus extraordinaire de toute l'his-
rieuse d'un espace différent. toire de l'architecture, attire dans une petite rue laté-

48 49
rapport aux autres alors qu'il aurait pu être plus riche,
se libérer de l'angle droit et s'articuler en plans
inclinés. Mais ce pavillon fut le début et la fin : la
r De plus, la « cosmétologie » moderne ne coûte pas
cher et ne fait pas de gaspillage, alors que la « cosmé-
tologie » classique, avec ses symétries, proportions,
décomposition quadridimensionnelle devint un diver- revêtements de marbre, est d'un coût prohibitif. Obser-
tissement épidermique, un exercice agréable et futile, vons le palais de la Regina Margherita datant du
appliqué aux balcons, aux auvents et au mobilier. x:x siècle, qui se trouve à Rome, via Veneto. Conçu
c

Afin d'éviter tout malentendu, i l faut ouvrir ici une ie façon classique, il avait besoin d'un « plein » majes-
parenthèse. Le code moderne peut s'appliquer à n'im- tueux en haut afin de mettre en valeur la corniche. On
porte quelle situation, à n'importe quelle échelle, qu'il ; donc construit dans ce seul but tout un étage inhabi-
s'agisse d'une chaise ou d'un réseau d'autoroutes, table car sans fenêtres : quelle impudence ! Plus tard,
d'une cuillère ou d'une ville. En aucun cas, l'architecte iprès la Seconde Guerre mondiale, les Américains
n'a le droit de renoncer. S'il attend, pour «parler» /achetèrent pour en faire l'ambassade des Etats-Unis.
correctement, l'occasion idéale et la commande appro- ].s découvrirent l'existence de l'étage supérieur, voulu-
priée, cela veut dire qu'il a déjà abdiqué. Prenons une rent l'utiliser et percèrent une série de petites fenêtres
pièce, par exemple, même la plus traditionnelle et la ians la corniche. Double folie : une ambassade royale
plus anachronique. Commençons par peindre les plans ivec des prétentions utilitaires. Le langage moderne ne
de six couleurs différentes : jaune, rouge, bleu, blanc, rermet pas de réaliser ni même de concevoir un édifice
noir et une autre couleur. Est-ce que c'est encore la semblable, et encore moins un monument comme celui
même pièce ? Maintenant changeons la disposition ie Victor-Emmanuel ou le palais de justice de Rome,
chromatique : plafond noir, murs bleu, rouge, blanc et le code moderne, fondé sur des nécessités sociales,
jaune. Écrasé par le plafond noir, l'espace semble plus psychologiques et humaines, abhorre les réalisations
vaste. Mais où est la fenêtre ? Si nous voulons plus de trompeuses et les superstructures. L'architecture clas-
lumière, il faudra peindre le mur qui se trouve en face sique coûte cher : elle est symbolique. Elle doit être
de la fenêtre en jaune ou en blanc ; si l'on veut moins tmposante et étouffer le citadin.
de lumière, on le peindra en bleu ou en rouge, éven- La méthode de décomposition est donc un invariant :
tuellement en noir. Colorons les panneaux au-dessus même en ce qui concerne le principe de réintégration,
des portes et des fenêtres jusqu'au plafond de façon à cette dernière n'a de valeur que si elle découle du pro-
ce que ces dernières ne soient plus des trous dans le cessus de décomposition. Faute de quoi, ce n'est plus
mur mais des plans. Et pourquoi n'utiliserait-on pas une réintégration mais une intégration a priori, une
des lignes ? I l suffit d'un trait en diagonale pour rendre tntégration classique.
une surface dynamique. Le domaine de la super- Le quatrième invariant n'est pas une découverte qui
graphique est aujourd'hui à la portée de tous. aurait été faite en 1917 par le groupe De Stijl. Obser-
On pourra objecter qu'il s'agit de « cosmétiques ». vons le couvent de San Filippo Neri à Rome, conçu
Certes, mais ils peuvent jouer un rôle de correction et trar Borromini. I l se présente comme un bloc énorme,
de contestation. Le code classique regorge d'expé- décomposé en différents secteurs fonctionnels par rap-
dients de ce type, qui vont des colonnades inutiles aux port aux espaces intérieurs et à la ville. Sa façade
fausses fenêtres. Le code moderne, au moins, les utilise concave semble aspirer le monde extérieur : à gauche,
comme provocation, pour souligner la nécessité impé- un angle sublime, le plus extraordinaire de toute l'his-
rieuse d'un espace différent. toire de l'architecture, attire dans une petite rue laté-

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raie, un long mur opaque avec des percements faits • xûte au plan libre, de la matière à l'espace... Poursui-
presque au hasard, dissonants ; quand on arrive sur la vons. Les murs, désormais indépendants, ne sont plus
piazza dell'Orologio, l'espace s'élargit et incite l'édi- :ios, ils peuvent être raccourcis, allongés, percés et dans
fice à se dresser comme une tour, tendant ses ara- certains cas, éliminés (5). La liberté au lieu de la prison ;
besques en fer forgé vers le ciel. Les œuvres vous pouvez disposer les murs écrans comme bon vous
« modernes » du passé surpassent les œuvres clas- semble (6), l'impression de boîte fermée a disparu. Et
siques. La vie a toujours décomposé, articulé, ajouté puis, si ce processus de libération est valable dans le sens
ou retranché. Delacroix affirmait que la ligne droite horizontal, pourquoi ne le serait-il pas dans le sens verti-
n'existe pas. Les hommes de science disent que la cal ? Personne n'a regardé au travers de la boîte dans ce
symétrie n'est pas une loi de nature. De même, le clas- :oin supérieur pour voir le ciel. Mais pourquoi ? Parce
sicisme n'existe pas en architecture sauf dans les qu'il y avait toujours une corniche à cet endroit-là, mise
manuels des Beaux-Arts et dans les édifices qui en sont à justement pour que la boîte ressemble encore plus à
la simple transcription. une boîte... On a éliminé l'impression d'espace clos,
dans tous les angles, en haut et sur les côtés (7)... L'es-
pace peut maintenant éclater et pénétrer là où la vie se
5. Porte-à-faux, coques et structures à membranes déroule et devenir l'une de ses composantes (8). » Dans
cette citation , F.L. Wright annonce la syntaxe du
1

« J'essaierai de vous montrer pourquoi l'architecture rroupe De Stijl et, à partir de considérations structurales,
organique est l'architecture de la liberté démocratique... exploite à fond les possibilités linguistiques.
Voilà une boîte (1) : vous pouvez faire un gros trou à
1 Raisonnement élémentaire que celui des appuis
droite ou bien une série de petits trous à gauche (2), rlacés à une certaine distance des extrémités des pou-
comme vous voulez ; ça reste toujours une sorte d'em- tres ; même un enfant le comprendrait. Mais combien
ballage, quelque chose d'étranger à une société démo- d'architectes ? Regardez autour de vous : des millions
cratique... Je connais assez les techniques d'ingénieur de piliers placés aux extrémités de façon à barrer l'es-
pour savoir que les arêtes d'une boîte ne sont pas les pace comme pour des cages. Et les ingénieurs ? A part
endroits les plus économiques pour y placer les appuis : Quelques exceptions, ils sont victimes des préjugés
les endroits les meilleurs sont situés à une certaine dis- classiques et respectent la symétrie et les proportions.
tance des extrémités (3), on crée ainsi de petits porte-à- L'histoire de la construction regorge de compromis. La
faux latéraux qui réduisent la portée des poutres. De tour Eiffel en est un exemple éclatant. Les quatre
plus, on peut introduire l'espace dans la boîte (4) en rem- grandes arches qui semblent supporter tout le poids à
plaçant l'ancien système d'appuis et de poutres par une la base sont fausses. Le célèbre ingénieur français n'a
nouvelle façon de construire, caractérisée par l'utilisa- pas osé affronter le « scandale » et construire la tour
tion de la continuité et des porte-à-faux. C'est un proces- selon ses véritables formes structurales, avec quatre
sus de libération radicale de l'espace qui, aujourd'hui, ne pylônes qui se rejoignent en haut ; i l fallait respecter
se manifeste que dans les fenêtres d'angle ; et pourtant il la « vision statique » classique, même si elle contrefai-
représente tout ce qui fait l'importance du passage de la sait la réalité. C'est pourquoi i l disposa une poutre

1. Les chiffres entre parenthèses inclus dans cette citation renvoient aux 1. Cf. F.L. Wright, An American Architecture, éd. Edgar Kaufman, New
différents éléments de la figure 13, p. 52 (N.d.E.) York, Horizon Press, 1955, pp. 76-78.

50 51
raie, un long mur opaque avec des percements faits • xûte au plan libre, de la matière à l'espace... Poursui-
presque au hasard, dissonants ; quand on arrive sur la vons. Les murs, désormais indépendants, ne sont plus
piazza dell'Orologio, l'espace s'élargit et incite l'édi- :ios, ils peuvent être raccourcis, allongés, percés et dans
fice à se dresser comme une tour, tendant ses ara- certains cas, éliminés (5). La liberté au lieu de la prison ;
besques en fer forgé vers le ciel. Les œuvres vous pouvez disposer les murs écrans comme bon vous
« modernes » du passé surpassent les œuvres clas- semble (6), l'impression de boîte fermée a disparu. Et
siques. La vie a toujours décomposé, articulé, ajouté puis, si ce processus de libération est valable dans le sens
ou retranché. Delacroix affirmait que la ligne droite horizontal, pourquoi ne le serait-il pas dans le sens verti-
n'existe pas. Les hommes de science disent que la cal ? Personne n'a regardé au travers de la boîte dans ce
symétrie n'est pas une loi de nature. De même, le clas- :oin supérieur pour voir le ciel. Mais pourquoi ? Parce
sicisme n'existe pas en architecture sauf dans les qu'il y avait toujours une corniche à cet endroit-là, mise
manuels des Beaux-Arts et dans les édifices qui en sont à justement pour que la boîte ressemble encore plus à
la simple transcription. une boîte... On a éliminé l'impression d'espace clos,
dans tous les angles, en haut et sur les côtés (7)... L'es-
pace peut maintenant éclater et pénétrer là où la vie se
5. Porte-à-faux, coques et structures à membranes déroule et devenir l'une de ses composantes (8). » Dans
cette citation , F.L. Wright annonce la syntaxe du
1

« J'essaierai de vous montrer pourquoi l'architecture rroupe De Stijl et, à partir de considérations structurales,
organique est l'architecture de la liberté démocratique... exploite à fond les possibilités linguistiques.
Voilà une boîte (1) : vous pouvez faire un gros trou à
1 Raisonnement élémentaire que celui des appuis
droite ou bien une série de petits trous à gauche (2), rlacés à une certaine distance des extrémités des pou-
comme vous voulez ; ça reste toujours une sorte d'em- tres ; même un enfant le comprendrait. Mais combien
ballage, quelque chose d'étranger à une société démo- d'architectes ? Regardez autour de vous : des millions
cratique... Je connais assez les techniques d'ingénieur de piliers placés aux extrémités de façon à barrer l'es-
pour savoir que les arêtes d'une boîte ne sont pas les pace comme pour des cages. Et les ingénieurs ? A part
endroits les plus économiques pour y placer les appuis : Quelques exceptions, ils sont victimes des préjugés
les endroits les meilleurs sont situés à une certaine dis- classiques et respectent la symétrie et les proportions.
tance des extrémités (3), on crée ainsi de petits porte-à- L'histoire de la construction regorge de compromis. La
faux latéraux qui réduisent la portée des poutres. De tour Eiffel en est un exemple éclatant. Les quatre
plus, on peut introduire l'espace dans la boîte (4) en rem- grandes arches qui semblent supporter tout le poids à
plaçant l'ancien système d'appuis et de poutres par une la base sont fausses. Le célèbre ingénieur français n'a
nouvelle façon de construire, caractérisée par l'utilisa- pas osé affronter le « scandale » et construire la tour
tion de la continuité et des porte-à-faux. C'est un proces- selon ses véritables formes structurales, avec quatre
sus de libération radicale de l'espace qui, aujourd'hui, ne pylônes qui se rejoignent en haut ; i l fallait respecter
se manifeste que dans les fenêtres d'angle ; et pourtant il la « vision statique » classique, même si elle contrefai-
représente tout ce qui fait l'importance du passage de la sait la réalité. C'est pourquoi i l disposa une poutre

1. Les chiffres entre parenthèses inclus dans cette citation renvoient aux 1. Cf. F.L. Wright, An American Architecture, éd. Edgar Kaufman, New
différents éléments de la figure 13, p. 52 (N.d.E.) York, Horizon Press, 1955, pp. 76-78.

50 51
énorme, lourde et inutile de chaque côté et y suspendit
les arches qui sont soutenues mais semblent soutenir ;
les défenseurs du classicisme furent ainsi satisfaits de
ce gaspillage, caractéristique de nombreux travaux
d'ingénieurs.
Codifier le langage moderne signifie libérer des
entraves du classicisme non seulement les architectes
mais aussi les ingénieurs, alors qu'aujourd'hui ils sont
paralysés, et mettre fin au conflit séculaire entre tech-
nique et expression afin qu'ils retrouvent leur créati-
vité. Prenons par exemple une personnalité jouissant
d'un prestige international comme Pier L u i g i Nervi.
Après les hangars d'avions d'Orbetello, véritable
chef-d'œuvre avec leur espace clairement circonscrit,
leur volume cintré, les éléments d'angle qui projettent
la structure dans le paysage, on assiste à un retour en
arrière. Les modules du hall de l'exposition de Turin,
splendides pris séparément, se répètent de manière tra-
ditionnelle, ce qui ne résout pas le p r o b l è m e des côtés
où l ' o n trouve une horrible abside avec des décorations
pseudo-structurales. Le palais du Travail à Turin est
une boîte grosse et laide, avec des colonnes cannelées
en béton armé, flanquées de chapiteaux en acier ; i l n ' y
manque que les colossales statues pharaoniques pour
en faire un temple égyptien. Quant à la salle des
audiences pontificales au Vatican, tout commentaire
serait superflu. Le palais des Sports à l'Eur est une
sorte de gâteau cylindrique, i l suffit de dire q u ' i l s'ac-
corde très bien avec le complexe de l'architecte Mar-
cello Piacentini. Le petit palais des Sports, situé à
Rome, viale Tiziano, est plus réussi, mais sur quoi
repose la couronne de fourches qui soutient la coupo-
le ? Sur un anneau circulaire de béton armé précon-
traint enfoui sous terre, véritable maillon structural de
tout l'édifice. Et puis, pourquoi cette manie des coupo-
les ? Le symbolisme de la coupole est lié à la divinité,
13. Huit croquis illustrant une conférence de Frank Lloyd Wright sur l'intégration de aux idoles, à la monarchie absolue, au temple, à la
chaque élément d'architecture dans un schéma structural. En bas : croquis de la Mai-
son Kaufmann ou « maison sur la cascade » (1936-39), Bear Run, Pennsylvannie, qui dictature ; sur le plan psychologique, i l est lié à la
incorpore les sept invariants du langage moderne. recherche de la sécurité, vraie ou apparente, car la cou-

52 53
énorme, lourde et inutile de chaque côté et y suspendit
les arches qui sont soutenues mais semblent soutenir ;
les défenseurs du classicisme furent ainsi satisfaits de
ce gaspillage, caractéristique de nombreux travaux
d'ingénieurs.
Codifier le langage moderne signifie libérer des
entraves du classicisme non seulement les architectes
mais aussi les ingénieurs, alors qu'aujourd'hui ils sont
paralysés, et mettre fin au conflit séculaire entre tech-
nique et expression afin qu'ils retrouvent leur créati-
vité. Prenons par exemple une personnalité jouissant
d'un prestige international comme Pier L u i g i Nervi.
Après les hangars d'avions d'Orbetello, véritable
chef-d'œuvre avec leur espace clairement circonscrit,
leur volume cintré, les éléments d'angle qui projettent
la structure dans le paysage, on assiste à un retour en
arrière. Les modules du hall de l'exposition de Turin,
splendides pris séparément, se répètent de manière tra-
ditionnelle, ce qui ne résout pas le p r o b l è m e des côtés
où l ' o n trouve une horrible abside avec des décorations
pseudo-structurales. Le palais du Travail à Turin est
une boîte grosse et laide, avec des colonnes cannelées
en béton armé, flanquées de chapiteaux en acier ; i l n ' y
manque que les colossales statues pharaoniques pour
en faire un temple égyptien. Quant à la salle des
audiences pontificales au Vatican, tout commentaire
serait superflu. Le palais des Sports à l'Eur est une
sorte de gâteau cylindrique, i l suffit de dire q u ' i l s'ac-
corde très bien avec le complexe de l'architecte Mar-
cello Piacentini. Le petit palais des Sports, situé à
Rome, viale Tiziano, est plus réussi, mais sur quoi
repose la couronne de fourches qui soutient la coupo-
le ? Sur un anneau circulaire de béton armé précon-
traint enfoui sous terre, véritable maillon structural de
tout l'édifice. Et puis, pourquoi cette manie des coupo-
les ? Le symbolisme de la coupole est lié à la divinité,
13. Huit croquis illustrant une conférence de Frank Lloyd Wright sur l'intégration de aux idoles, à la monarchie absolue, au temple, à la
chaque élément d'architecture dans un schéma structural. En bas : croquis de la Mai-
son Kaufmann ou « maison sur la cascade » (1936-39), Bear Run, Pennsylvannie, qui dictature ; sur le plan psychologique, i l est lié à la
incorpore les sept invariants du langage moderne. recherche de la sécurité, vraie ou apparente, car la cou-

52 53
pôle est la forme classique par excellence, uniform é-
ment sym étriqueet close. Nervi ne s'inspire même pas
des coupoles anticlassiques deSainte-Sophie à
Constantinople ou du d ôm ede Florence, mais de celle
du P anthéon. Bien qu'il multiplie les tours de force
pour réduirel'épaisseur de la couverture et qu'il perce
une sériede fenêtres là où le P anthéon accumule la
matière, l'espace reste cependant figé et sans aucun
dialogue avec l'extérieur. Sous la protection des idoles
classiques, cette sécurité n'est qu'une peur qui se
cache.
Qu'est-il arrivéàNervi après les hangars d'avion
d'Orbetello ? Sa créativité s'est-elle épuisée? Il suffit
d'observer les papeteries Burgo à Mantoue et d'innom-
brables détailsdes œuvres que nous venons de critiquer
pour exclure cette hypothèse. La raison est plus simple
et plus grave : quand il parle architecture, il parle latin
et utilise le code classique qui mine la plupart des ingé-
nieurs. Combien d'entre eux yéchappent ? Riccardo
Morandi, en particulier avec le Salon souterrain de
l'automobile àTurin ; Buckminster Fuller avec les
coupoles géodésiques aéroportées etles projets de
gratte-ciel à structure très légère, Eduardo Torroja avec
les auvents de l'hippodrome de Madrid ; FélixCandela
avec ses paraboloïdes-hyperboliques ; Frei Otto avec
ses structures tendues transparentes... et de nombreux
jeunes qui se libèrent peu à peu du code classique et
utilisent essentiellement des enveloppes en coques et à
membranes, en plastique ou à air com primé. Architec-
ture et technique se rejoignent sous ces « tentes », l'es-
pace modèle les structures et les structures façonnent
l'espace.
L'invariant structural du langage moderne concerne,
plus que les porte-à-faux, les coques et les membranes,
l'agencement de tous les élém ents architecturaux dans
le jeu des forces statiques. Il est évident que la résis-
14 Structures modernes. En haut : coupe du Salon souterrain de l'automobile a Turin,
conçu par Riccardo Morandi. Transport d'une tour résidentielle par un dirigeable de
tance d'une structure dépend de sa forme et des ten-
Buckminstcr Fuller. Au milieu :trois paraboloïdes hyperboliques par Félix Candela. sions de ses courbes. Mais combien de personnes en
A droite • coques d'Eduardo Torroja. En bas : structures tendues de Fret Otto. tiennent compte ? Prenons, par exemple, un simple bal-

54 55
pôle est la forme classique par excellence, uniform é-
ment sym étriqueet close. Nervi ne s'inspire même pas
des coupoles anticlassiques deSainte-Sophie à
Constantinople ou du d ôm ede Florence, mais de celle
du P anthéon. Bien qu'il multiplie les tours de force
pour réduirel'épaisseur de la couverture et qu'il perce
une sériede fenêtres là où le P anthéon accumule la
matière, l'espace reste cependant figé et sans aucun
dialogue avec l'extérieur. Sous la protection des idoles
classiques, cette sécurité n'est qu'une peur qui se
cache.
Qu'est-il arrivéàNervi après les hangars d'avion
d'Orbetello ? Sa créativité s'est-elle épuisée? Il suffit
d'observer les papeteries Burgo à Mantoue et d'innom-
brables détailsdes œuvres que nous venons de critiquer
pour exclure cette hypothèse. La raison est plus simple
et plus grave : quand il parle architecture, il parle latin
et utilise le code classique qui mine la plupart des ingé-
nieurs. Combien d'entre eux yéchappent ? Riccardo
Morandi, en particulier avec le Salon souterrain de
l'automobile àTurin ; Buckminster Fuller avec les
coupoles géodésiques aéroportées etles projets de
gratte-ciel à structure très légère, Eduardo Torroja avec
les auvents de l'hippodrome de Madrid ; FélixCandela
avec ses paraboloïdes-hyperboliques ; Frei Otto avec
ses structures tendues transparentes... et de nombreux
jeunes qui se libèrent peu à peu du code classique et
utilisent essentiellement des enveloppes en coques et à
membranes, en plastique ou à air com primé. Architec-
ture et technique se rejoignent sous ces « tentes », l'es-
pace modèle les structures et les structures façonnent
l'espace.
L'invariant structural du langage moderne concerne,
plus que les porte-à-faux, les coques et les membranes,
l'agencement de tous les élém ents architecturaux dans
le jeu des forces statiques. Il est évident que la résis-
14 Structures modernes. En haut : coupe du Salon souterrain de l'automobile a Turin,
conçu par Riccardo Morandi. Transport d'une tour résidentielle par un dirigeable de
tance d'une structure dépend de sa forme et des ten-
Buckminstcr Fuller. Au milieu :trois paraboloïdes hyperboliques par Félix Candela. sions de ses courbes. Mais combien de personnes en
A droite • coques d'Eduardo Torroja. En bas : structures tendues de Fret Otto. tiennent compte ? Prenons, par exemple, un simple bal-

54 55
con : c'est la plate-forme seulement qui est le support
et non le garde-corps, d'où le gaspillage. Au contraire,
regardons la célèbre « maison sur la cascade ». Elle
apparaissait si téméraire avec ses porte-à-faux que les
ouvriers refusèrent de démonter les échafaudages de
peur qu'elle ne s'écroule. Wright dut les enlever lui-
même tandis que les personnes présentes retenaient
leur souffle. Même comme ingénieur, il parlait la
langue moderne et la consolidait en se lançant dans des
entreprises que les partisans de l'académie jugeaient
folles et suicidaires.

15. Surface ondulée dessinée par l'ordinateur de i'Aerospace Division of îhe Boeing
Company. Il serait presque impossible de Sa dessiner avec les instruments traditionnels
de l'architecte, c'est-à-dire règle, équerre, compas et appareil à dessiner. L'ordinateur
stimule l'invention de formes, enrichit le lexique, la grammaire et la syntaxe de l'ar-
chitecture.

La science dans le domaine de la construction végète


à un stade antédiluvien. D'énormes machines comme
les transatlantiques arrivent à flotter tandis que les édi-
fices urbains sont d'une lourdeur absurde. Un énorme
capital d'expériences constructives n'est pas exploité.
Sergio Musmeci dit : « L'insuffisance de prévisions
technologiques est la cause de la crise actuelle de l'ar-
chitecture et c'est ce qui l'empêche de devenir vrai-
ment moderne. L'histoire, en faisant un saut par-dessus
le passé vers l'avenir, devrait être mise à jour ; le pro-
blème de l'adaptation des formes pour le futur ne peut
plus être retardé désormais. » Est-ce une incitation à
l'utopie ? Non, au contraire, c'est un appel aux calcula-
teurs électroniques qui doivent résoudre les problèmes
structuraux et technologiques, y compris ceux des
équipements techniques, avec une rapidité et une exac- 16. Dessins exécutés par l'ordinateur de l'Airplane Division of the Boeing Company.
titude jamais atteintes auparavant. Les ordinateurs sont Os montrent comme il est facile de représenter un même objet en faisant varier les
roints de vue avec des simulateurs dirigés par un calculateur. Grâce à la prévision
de plus en plus répandus et bientôt l'ingénieur, tel que :-ehnologique, on pourra vérifier immédiatement toutes les hypothèses que Timagina-
nous le connaissons, plongé dans des calculs aussi :on aura formulées dans le domaine de l'architecture.
mystérieux qu'approximatifs, disparaîtra. Nous aurons

56
con : c'est la plate-forme seulement qui est le support
et non le garde-corps, d'où le gaspillage. Au contraire,
regardons la célèbre « maison sur la cascade ». Elle
apparaissait si téméraire avec ses porte-à-faux que les
ouvriers refusèrent de démonter les échafaudages de
peur qu'elle ne s'écroule. Wright dut les enlever lui-
même tandis que les personnes présentes retenaient
leur souffle. Même comme ingénieur, il parlait la
langue moderne et la consolidait en se lançant dans des
entreprises que les partisans de l'académie jugeaient
folles et suicidaires.

15. Surface ondulée dessinée par l'ordinateur de i'Aerospace Division of îhe Boeing
Company. Il serait presque impossible de Sa dessiner avec les instruments traditionnels
de l'architecte, c'est-à-dire règle, équerre, compas et appareil à dessiner. L'ordinateur
stimule l'invention de formes, enrichit le lexique, la grammaire et la syntaxe de l'ar-
chitecture.

La science dans le domaine de la construction végète


à un stade antédiluvien. D'énormes machines comme
les transatlantiques arrivent à flotter tandis que les édi-
fices urbains sont d'une lourdeur absurde. Un énorme
capital d'expériences constructives n'est pas exploité.
Sergio Musmeci dit : « L'insuffisance de prévisions
technologiques est la cause de la crise actuelle de l'ar-
chitecture et c'est ce qui l'empêche de devenir vrai-
ment moderne. L'histoire, en faisant un saut par-dessus
le passé vers l'avenir, devrait être mise à jour ; le pro-
blème de l'adaptation des formes pour le futur ne peut
plus être retardé désormais. » Est-ce une incitation à
l'utopie ? Non, au contraire, c'est un appel aux calcula-
teurs électroniques qui doivent résoudre les problèmes
structuraux et technologiques, y compris ceux des
équipements techniques, avec une rapidité et une exac- 16. Dessins exécutés par l'ordinateur de l'Airplane Division of the Boeing Company.
titude jamais atteintes auparavant. Les ordinateurs sont Os montrent comme il est facile de représenter un même objet en faisant varier les
roints de vue avec des simulateurs dirigés par un calculateur. Grâce à la prévision
de plus en plus répandus et bientôt l'ingénieur, tel que :-ehnologique, on pourra vérifier immédiatement toutes les hypothèses que Timagina-
nous le connaissons, plongé dans des calculs aussi :on aura formulées dans le domaine de l'architecture.
mystérieux qu'approximatifs, disparaîtra. Nous aurons

56
des structures fines, légères, démontableset donc trans- construite, il pourra la choisir et la transformer. Le hia-
portables. Nous n'irons peut-être plus « au bureau », tus qui persiste, du moins depuis la Renaissance, entre
nous nerentrerons plus « à la maison » ; nous "architecte et l'architecture sera enfin com blé. Et la
appuyerons sur un bouton, et la maison ou le bureau, distance qui sép are l'espace et les coques structurales
suspendus à un hélicoptère, viendront vers nous et se '.e sera d'autant plus.
poseront où nous voudrons.
La révolutiontechnologique coïncide avec la révolu-
tion linguistique. L'ordinateur permet de simuler la \ de l'espace
réalitéarchitecturale, non pas d'une manière statique
comme la perspective, mais sous tous ses aspects L'histoire de l'architecture est jalonnéed'occasions
visuels et comportementaux. Nous expérim entons l'es- rerdues, de bonds en avant et de retours en arrière pré-
pace d'une pièce, ses dimensions, la lumière, la cha- cités. Michel-Ange fait un pas de géant ; tout le
leur, lapossibilité de sedéplacer. Le simulateur monde fait son éloge, mais personne ne le suit. Borro-
graphique dessine les plans, les coupes, les élévations, mini part en flèche mais, isoléde son vivant, il est
il nous fait marcher dans l'édificeet à travers la ville, gnoréaprès sa mort. Après la révolutiond'Octobre, le
il établit des confrontations im m édiates entre une infi- tonstructivisme progresse nettement mais Staline, en
nité de solutions alternatives. Naturellement, il ne ton défenseur du classicisme, brise net le mouvement.
"•Vright s'élance; mais quelles sont les traces qu'il a
hissées dans le paysage actuel ?
Il est facile de comprendre pourquoi de nombreux
architectes renoncent. Il est difficile de s'affranchir de
'académ ism e. Tout au plus arrive-t-on à un compro-
mis, ce qui est la pire des solutions. Si quelqu'un avait
le courage de dire : « Je veux parler en grec ancien »,
?n le prendrait pour un fou mais, en réalité, il le serait
beaucoup moins que ceux qui parlent en grec ancien
tout en m éconnaissant le lexique et la syntaxe et sans
17. L'architecture de demain (caricature parue dans A/A Journal). L'architecte dicte
respecter la grammaire. Un seul architecte a cherché
tranquillement les projets qu'il imagine à une secrétairequi les transcrit sur le calcula- et trouvél'architecture dans la Grèce antique, il l'a
teur. La machine se met en marche et, comme un robot, construit l'édificeen trois
dimensions.
découvertedirectement, sans les œillères des Beaux-
Arts : Charles-Edouard Jeanneret qui, après s'être
garantit pas que les architectes parlent lelangage plongédans les eaux helléniques, prit le nom de Le
moderne, mais il leur en donne la possibilité, possibi- Corbusier. Si l'on veut vraiment parler en grec ancien,
lité qui était jusqu'à maintenant lim itée par les instru- :1 faut formuler les invariants du langage : antiperspec-
ments mêmes, le té, l'equerre, le compas, l'appareil à tive, pas d'alignement ou de parallélism e dans les
dessiner. En outre, l'ordinateur rend dém ocratique le volumes, refus de la sym étrie (en souvenir des Propy-
déroulem ent de la conception ; à tout moment, l'usager lées), veto au classicisme (en souvenir de l'Erech-
pourra contrôler sa maison en train de se faire, il la théion). Cesont les invariants de l'architecture
« verra » et même il y « vivra » avant qu'elle ne soit moderne ? C'est logique. Pour se délivrerdu condition-

58 59
des structures fines, légères, démontableset donc trans- construite, il pourra la choisir et la transformer. Le hia-
portables. Nous n'irons peut-être plus « au bureau », tus qui persiste, du moins depuis la Renaissance, entre
nous nerentrerons plus « à la maison » ; nous "architecte et l'architecture sera enfin com blé. Et la
appuyerons sur un bouton, et la maison ou le bureau, distance qui sép are l'espace et les coques structurales
suspendus à un hélicoptère, viendront vers nous et se '.e sera d'autant plus.
poseront où nous voudrons.
La révolutiontechnologique coïncide avec la révolu-
tion linguistique. L'ordinateur permet de simuler la \ de l'espace
réalitéarchitecturale, non pas d'une manière statique
comme la perspective, mais sous tous ses aspects L'histoire de l'architecture est jalonnéed'occasions
visuels et comportementaux. Nous expérim entons l'es- rerdues, de bonds en avant et de retours en arrière pré-
pace d'une pièce, ses dimensions, la lumière, la cha- cités. Michel-Ange fait un pas de géant ; tout le
leur, lapossibilité de sedéplacer. Le simulateur monde fait son éloge, mais personne ne le suit. Borro-
graphique dessine les plans, les coupes, les élévations, mini part en flèche mais, isoléde son vivant, il est
il nous fait marcher dans l'édificeet à travers la ville, gnoréaprès sa mort. Après la révolutiond'Octobre, le
il établit des confrontations im m édiates entre une infi- tonstructivisme progresse nettement mais Staline, en
nité de solutions alternatives. Naturellement, il ne ton défenseur du classicisme, brise net le mouvement.
"•Vright s'élance; mais quelles sont les traces qu'il a
hissées dans le paysage actuel ?
Il est facile de comprendre pourquoi de nombreux
architectes renoncent. Il est difficile de s'affranchir de
'académ ism e. Tout au plus arrive-t-on à un compro-
mis, ce qui est la pire des solutions. Si quelqu'un avait
le courage de dire : « Je veux parler en grec ancien »,
?n le prendrait pour un fou mais, en réalité, il le serait
beaucoup moins que ceux qui parlent en grec ancien
tout en m éconnaissant le lexique et la syntaxe et sans
17. L'architecture de demain (caricature parue dans A/A Journal). L'architecte dicte
respecter la grammaire. Un seul architecte a cherché
tranquillement les projets qu'il imagine à une secrétairequi les transcrit sur le calcula- et trouvél'architecture dans la Grèce antique, il l'a
teur. La machine se met en marche et, comme un robot, construit l'édificeen trois
dimensions.
découvertedirectement, sans les œillères des Beaux-
Arts : Charles-Edouard Jeanneret qui, après s'être
garantit pas que les architectes parlent lelangage plongédans les eaux helléniques, prit le nom de Le
moderne, mais il leur en donne la possibilité, possibi- Corbusier. Si l'on veut vraiment parler en grec ancien,
lité qui était jusqu'à maintenant lim itée par les instru- :1 faut formuler les invariants du langage : antiperspec-
ments mêmes, le té, l'equerre, le compas, l'appareil à tive, pas d'alignement ou de parallélism e dans les
dessiner. En outre, l'ordinateur rend dém ocratique le volumes, refus de la sym étrie (en souvenir des Propy-
déroulem ent de la conception ; à tout moment, l'usager lées), veto au classicisme (en souvenir de l'Erech-
pourra contrôler sa maison en train de se faire, il la théion). Cesont les invariants de l'architecture
« verra » et même il y « vivra » avant qu'elle ne soit moderne ? C'est logique. Pour se délivrerdu condition-

58 59
ement de la perspective, on devait puiser dans les
i\s antérieures à l'apparition de la perspec-
ve, en général dans les œuvres du Moyen Age ; mais
e Corbusier, lui, puise dans la Grèce. Prenons, par
xemple, la villa d'Hadrien à Tivoli : est-ce qu'elle
arle la langue classique ou une langue diamétralement
pposée, avec ses corps de bâtiment qui se développent
: se ramifient dans le paysage ? « Le monde classi-
que » : une abstraction insensée ; cela peut sembler
raradoxal, mais presque tout y est anticlassique.
Espace temporalisé. Voilà, en bref, le nœud de la
question : i l a fallu des millénaires avant que l'homme
te prenne possession de l'espace. Le temps fut expéri-
menté durant une brève période seulement et dans une
• ruation exceptionnelle, celle des catacombes. Mais i l
ludra des siècles, peut-être des milliers d'années, pour
que l'homme saisisse la notion dynamique, temporelle
:e l'espace.
Pour devenir moderne, i l faut revivre en soi-même
es étapes de l'histoire. Avant le Panthéon, i l n'y avait
ras d'invention dans les espaces intérieurs ; i l n'y avait
:ue des vides, des creux, des espaces en négatif.
_ homme primitif a peur de l'espace. Son monument
: st le menhir, une « pierre longue » dressée verticale-
-ent, un « plein » érigé dans un désert sans fin.
l'Orient ancien multiplie les corps solides qui vont des
ryramides aux temples avec leurs salles hypostyles
:ans lesquelles l'espace est usurpé par d'énormes
: bonnes. Le temple grec humanise le volume mais i l
more l'espace. L'idée d'utiliser la réalité non tactile
. :mme instrument architectural se réalise avec le Pan-
-.eon : espace timide cependant, enserré dans des
-urailles gigantesques, sans contact avec l'extérieur,
Idairé seulement par un oculus central qui répand un
.air-obscur sur la coupole à caissons et finit par rassu-
18 Les « pleins » : un menhir, une pyramide et un temple grec (en haut). Les espaces B grâce à la présence d'une matière pleine, profonde.
intérieurs : le Panthéon et le temple de Minerva Medica à Rome (seconde ligne/.
Parcours : Acropole d'Athènes, villa d'Hadrien à Tivoli, catacombes (troisième ligne) Des siècles passent avant que l'homme n'admette la
Mouvement unidirectionnel paléochrétien ; mouvement bidirectionnel gothique ; mou- ssibilité d'un dialogue entre les creux et la ville ; i l
vement baroque de la place du Quirinal à Rome (en bas).
:_ut arriver à la fin de l'Antiquité, au temple de

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ement de la perspective, on devait puiser dans les
i\s antérieures à l'apparition de la perspec-
ve, en général dans les œuvres du Moyen Age ; mais
e Corbusier, lui, puise dans la Grèce. Prenons, par
xemple, la villa d'Hadrien à Tivoli : est-ce qu'elle
arle la langue classique ou une langue diamétralement
pposée, avec ses corps de bâtiment qui se développent
: se ramifient dans le paysage ? « Le monde classi-
que » : une abstraction insensée ; cela peut sembler
raradoxal, mais presque tout y est anticlassique.
Espace temporalisé. Voilà, en bref, le nœud de la
question : i l a fallu des millénaires avant que l'homme
te prenne possession de l'espace. Le temps fut expéri-
menté durant une brève période seulement et dans une
• ruation exceptionnelle, celle des catacombes. Mais i l
ludra des siècles, peut-être des milliers d'années, pour
que l'homme saisisse la notion dynamique, temporelle
:e l'espace.
Pour devenir moderne, i l faut revivre en soi-même
es étapes de l'histoire. Avant le Panthéon, i l n'y avait
ras d'invention dans les espaces intérieurs ; i l n'y avait
:ue des vides, des creux, des espaces en négatif.
_ homme primitif a peur de l'espace. Son monument
: st le menhir, une « pierre longue » dressée verticale-
-ent, un « plein » érigé dans un désert sans fin.
l'Orient ancien multiplie les corps solides qui vont des
ryramides aux temples avec leurs salles hypostyles
:ans lesquelles l'espace est usurpé par d'énormes
: bonnes. Le temple grec humanise le volume mais i l
more l'espace. L'idée d'utiliser la réalité non tactile
. :mme instrument architectural se réalise avec le Pan-
-.eon : espace timide cependant, enserré dans des
-urailles gigantesques, sans contact avec l'extérieur,
Idairé seulement par un oculus central qui répand un
.air-obscur sur la coupole à caissons et finit par rassu-
18 Les « pleins » : un menhir, une pyramide et un temple grec (en haut). Les espaces B grâce à la présence d'une matière pleine, profonde.
intérieurs : le Panthéon et le temple de Minerva Medica à Rome (seconde ligne/.
Parcours : Acropole d'Athènes, villa d'Hadrien à Tivoli, catacombes (troisième ligne) Des siècles passent avant que l'homme n'admette la
Mouvement unidirectionnel paléochrétien ; mouvement bidirectionnel gothique ; mou- ssibilité d'un dialogue entre les creux et la ville ; i l
vement baroque de la place du Quirinal à Rome (en bas).
:_ut arriver à la fin de l'Antiquité, au temple de

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Minerva Medica. L'idée de continuité des espaces inté-
rieurs aux espaces extérieurs ne se concrétisera qu'un
millénaire plus tard, dans les cathédrales gothiques.
A une certaine époque, on a condamné le monde
physique, on a formulé l'hypothèse d'un « au-delà »
pour lequel on vit en méprisant les valeurs terrestres.
L'espace est alors refoulé et sous les scénographies sta-
tiques et monumentales de la Rome antique, on creuse
dans l'hypogée de la mort. Le temps est vainqueur, on
assiste à la naissance de l'architecture du parcours, du
simple parcours, sans but : il s'agit d'une approche
biblique mais métaphysique et transcendantale, une
architecture du suicide. Cela ne durera pas longtemps
car l'Église participe au monde et noue des liens avec
le pouvoir politique et administratif. Le temps ren-
contre alors la spatialité de la tradition gréco-romaine.
Seul résiste le parcours le long de la basilique, du nar-
thex à l'abside, mais bientôt tous les éléments solides,
des deux côtés, s'organisent de façon classique dans
une direction unique. Seule la cathédrale gothique offre
un contraste entre deux lignes directrices : une ligne
longitudinale qu'on peut parcourir physiquement, et
l'autre, verticale, qui trace un parcours idéal, vers le
ciel.
La temporalité est étouffée au moment de la Renais-
sance. C'est l'espace pur qui prévaut, l'objet auto-
nome, l'édifice à plan central. La bataille furieuse qui
eut lieu à propos de Saint-Pierre concerne l'immobilité
et le parcours, la Réforme et la Contre-Réforme. On
massacre le schéma de Michel-Ange pour faire place à
une basilique persuasive. Borromini reprend l'idée de
Michel-Ange pour l'église de Sant'Agnese sur la
piazza Navona et, pour Sant'Ivo alla Sapienza, i l réa-
lise l'impossible et prouve qu'un espace centralisé peut
être dynamique. Mais c'est un cri bien vite étouffé.
La conception biblique de la vie est basée sur le - Architecture sans édifices : l'architecte doit étudier minutieusement toutes les
parcours et sur le changement. La conception gréco- -étions humaines sans s'occuper de la façon dont il faut les envelopper (en haut).
fait, de toute façon, éviter de les enfermer dans un prisme unique ou dans une série
romaine, sur l'espace statique. Le christianisme adopte I prismes réguliers (au milieu). Le langage moderne adapte les espaces aux fonctions
une position intermédiaire, en équilibre instable entre : MX parcours (en bas).

62 63
Minerva Medica. L'idée de continuité des espaces inté-
rieurs aux espaces extérieurs ne se concrétisera qu'un
millénaire plus tard, dans les cathédrales gothiques.
A une certaine époque, on a condamné le monde
physique, on a formulé l'hypothèse d'un « au-delà »
pour lequel on vit en méprisant les valeurs terrestres.
L'espace est alors refoulé et sous les scénographies sta-
tiques et monumentales de la Rome antique, on creuse
dans l'hypogée de la mort. Le temps est vainqueur, on
assiste à la naissance de l'architecture du parcours, du
simple parcours, sans but : il s'agit d'une approche
biblique mais métaphysique et transcendantale, une
architecture du suicide. Cela ne durera pas longtemps
car l'Église participe au monde et noue des liens avec
le pouvoir politique et administratif. Le temps ren-
contre alors la spatialité de la tradition gréco-romaine.
Seul résiste le parcours le long de la basilique, du nar-
thex à l'abside, mais bientôt tous les éléments solides,
des deux côtés, s'organisent de façon classique dans
une direction unique. Seule la cathédrale gothique offre
un contraste entre deux lignes directrices : une ligne
longitudinale qu'on peut parcourir physiquement, et
l'autre, verticale, qui trace un parcours idéal, vers le
ciel.
La temporalité est étouffée au moment de la Renais-
sance. C'est l'espace pur qui prévaut, l'objet auto-
nome, l'édifice à plan central. La bataille furieuse qui
eut lieu à propos de Saint-Pierre concerne l'immobilité
et le parcours, la Réforme et la Contre-Réforme. On
massacre le schéma de Michel-Ange pour faire place à
une basilique persuasive. Borromini reprend l'idée de
Michel-Ange pour l'église de Sant'Agnese sur la
piazza Navona et, pour Sant'Ivo alla Sapienza, i l réa-
lise l'impossible et prouve qu'un espace centralisé peut
être dynamique. Mais c'est un cri bien vite étouffé.
La conception biblique de la vie est basée sur le - Architecture sans édifices : l'architecte doit étudier minutieusement toutes les
parcours et sur le changement. La conception gréco- -étions humaines sans s'occuper de la façon dont il faut les envelopper (en haut).
fait, de toute façon, éviter de les enfermer dans un prisme unique ou dans une série
romaine, sur l'espace statique. Le christianisme adopte I prismes réguliers (au milieu). Le langage moderne adapte les espaces aux fonctions
une position intermédiaire, en équilibre instable entre : MX parcours (en bas).

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les deux : le parcours est pluridirectionnel dans le plan I vromenade architecturale^, une architecture à par-
de la Rome de Sixte Quint ainsi que dans les articula- :ourir.
tions de la ville baroque. Ensuite, c'est l'hibernation
néo-classique.
Le sixième invariant du langage moderne est l'es-
pace temporalisé, vécu, utilisé socialement, apte à
accueillir et à exalter les événements. Quand on met
en relation les cinq premiers invariants avec l'espace
temporalisé, ils acquièrent une dimension nouvelle.
L'inventaire est une condition préalable. L'asymétrie
et les dissonances en sont les caractéristiques indispen-
sables car, devant un édifice symétrique, on ne bouge
pas, on le contemple et c'est tout. L'antiperspective est
une autre conséquence ; temporaliser signifie déplacer
sans cesse le point de vue. La méthodologie de la
décomposition et les structures en porte-à-faux sont des
instruments qui ont pour but de temporaliser, ils frag-
mentent la boîte et coupent les angles.
M Frank Lloyd Wright, de l'inventaire à la réintégration. En haut : Axonométrie des
Comment faire pour temporaliser l'espace ? Louis r.aisons Martin et Barton (1903-04), Buffalo, N.Y., construites selon une méthodo-
Kahn nous indique un moyen qui consiste à établir une :gie qui articule les différents ensembles fonctionnels. En bas : croquis du Musée
3uggenheim (1946-59), New York, spirale projetée vers la ville.
distinction entre les espaces à parcourir et les espaces
où l'on s'arrête. Prenons par exemple, un couloir dont Les escaliers sont sans aucun doute des parcours,
les murs sont parallèles comme dans un prisme sta- mais dans 99 % des cas, on les comprime dans des
tique, celui qui l'a ainsi conçu ignore tout de l'architec- rubes verticaux. Dans le pavillon suisse de l'université
ture. Les espaces où l'on s'arrête ne doivent pas non de Paris, l'escalier fait saillie hors du volume et un
plus être statiques, le séjour, le bureau, les chambres à mur ondulé, dessiné à main levée, le caresse. Citons un
coucher doivent favoriser les échanges, la tension intel- exemple encore plus avancé : les escaliers des dortoirs
lectuelle, le réveil après la torpeur. La vie est toujours d'Aalto au M.I.T. fusionnent avec les couloirs et ani-
pleine d'événements, on peut limiter graduellement ment les espaces et les volumes ondulés. Et que dire
son dynamisme mais on ne pourra jamais le réduire à d'une architecture qui n'est que parcours comme le
zéro. Dans toute pièce, on effectue un parcours, on y musée Guggenheim de New York avec sa rampe conti-
pénètre, on la traverse, on en sort : tout cela doit être nue, « promenade » hélicoïdale projetée vers l'exté-
prévu, considéré et architecture. Qu'est-ce que le plan rieur ?
libre, le principe de flexibilité, l'élimination des cloi-
Norris Kelly Smith affirme que Wright introduit,
sons fixes, la fluidité du passage d'un espace à un
pour la première fois, la pensée biblique dans le
autre ? C'est une manière différente d'exprimer la tem-
domaine de l'architecture où les conceptions gréco-
poralité. Le volume de la villa Savoye, à Poissy, est
romaines dominaient depuis deux mille ans. I l est cer-
rompu, du sol au toit-jardin, par une rampe visible de
toute part dans la maison. Le Corbusier l'a appelée
1. En français dans le texte.

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les deux : le parcours est pluridirectionnel dans le plan I vromenade architecturale^, une architecture à par-
de la Rome de Sixte Quint ainsi que dans les articula- :ourir.
tions de la ville baroque. Ensuite, c'est l'hibernation
néo-classique.
Le sixième invariant du langage moderne est l'es-
pace temporalisé, vécu, utilisé socialement, apte à
accueillir et à exalter les événements. Quand on met
en relation les cinq premiers invariants avec l'espace
temporalisé, ils acquièrent une dimension nouvelle.
L'inventaire est une condition préalable. L'asymétrie
et les dissonances en sont les caractéristiques indispen-
sables car, devant un édifice symétrique, on ne bouge
pas, on le contemple et c'est tout. L'antiperspective est
une autre conséquence ; temporaliser signifie déplacer
sans cesse le point de vue. La méthodologie de la
décomposition et les structures en porte-à-faux sont des
instruments qui ont pour but de temporaliser, ils frag-
mentent la boîte et coupent les angles.
M Frank Lloyd Wright, de l'inventaire à la réintégration. En haut : Axonométrie des
Comment faire pour temporaliser l'espace ? Louis r.aisons Martin et Barton (1903-04), Buffalo, N.Y., construites selon une méthodo-
Kahn nous indique un moyen qui consiste à établir une :gie qui articule les différents ensembles fonctionnels. En bas : croquis du Musée
3uggenheim (1946-59), New York, spirale projetée vers la ville.
distinction entre les espaces à parcourir et les espaces
où l'on s'arrête. Prenons par exemple, un couloir dont Les escaliers sont sans aucun doute des parcours,
les murs sont parallèles comme dans un prisme sta- mais dans 99 % des cas, on les comprime dans des
tique, celui qui l'a ainsi conçu ignore tout de l'architec- rubes verticaux. Dans le pavillon suisse de l'université
ture. Les espaces où l'on s'arrête ne doivent pas non de Paris, l'escalier fait saillie hors du volume et un
plus être statiques, le séjour, le bureau, les chambres à mur ondulé, dessiné à main levée, le caresse. Citons un
coucher doivent favoriser les échanges, la tension intel- exemple encore plus avancé : les escaliers des dortoirs
lectuelle, le réveil après la torpeur. La vie est toujours d'Aalto au M.I.T. fusionnent avec les couloirs et ani-
pleine d'événements, on peut limiter graduellement ment les espaces et les volumes ondulés. Et que dire
son dynamisme mais on ne pourra jamais le réduire à d'une architecture qui n'est que parcours comme le
zéro. Dans toute pièce, on effectue un parcours, on y musée Guggenheim de New York avec sa rampe conti-
pénètre, on la traverse, on en sort : tout cela doit être nue, « promenade » hélicoïdale projetée vers l'exté-
prévu, considéré et architecture. Qu'est-ce que le plan rieur ?
libre, le principe de flexibilité, l'élimination des cloi-
Norris Kelly Smith affirme que Wright introduit,
sons fixes, la fluidité du passage d'un espace à un
pour la première fois, la pensée biblique dans le
autre ? C'est une manière différente d'exprimer la tem-
domaine de l'architecture où les conceptions gréco-
poralité. Le volume de la villa Savoye, à Poissy, est
romaines dominaient depuis deux mille ans. I l est cer-
rompu, du sol au toit-jardin, par une rampe visible de
toute part dans la maison. Le Corbusier l'a appelée
1. En français dans le texte.

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tain qu'il était moins difficile pour quelqu'un comme ". Réintégration édifice-ville-territoire
Wright qui n'avait pas reçu une éducation Beaux-Arts
de se libérer du classicisme. En outre, i l détestait les Si la méthodologie de l'inventaire constitue le pre-
métropoles, les institutions bureaucratiques, l'autorité, mier invariant du langage moderne, la réintégration en
le pouvoir et voulait sauvegarder l'individualisme est logiquement le dernier ; entre les deux se situent
orgueilleux des pionniers. A Taliesin, Wisconsin, et à ;inq invariants dont le nombre pourrait devenir cin-
Taliesin West, Arizona, i l vivait en contact avec la quante si l'on passait du niveau de base à une analyse
nature, sensible et attentif au temps. D'ailleurs, on ne olus approfondie du lexique, de la grammaire et de la
peut bâtir une maison sur une cascade sans avoir syntaxe de l'architecture.
conscience de la fluidité. Au musée Guggenheim, une L'inventaire détruit la boîte, dénombre les éléments
rangée de vitres s'enroule à la spirale afin que les sans les classer et resémantise leurs données spéci-
tableaux soient éclairés avec une intensité qui résulte fiques suivant les différents messages que le classi-
d'un dosage entre la lumière du jour et la lumière artifi- cisme avait noyés dans les « ordres » et les systèmes
cielle : il temporalise le passage de la ville au musée de proportion. Les invariants suivants renforcent l'in-
et vice versa. L'espace intérieur change de ton selon ventaire en levant les tabous que sont la symétrie, les
les heures et les saisons. dessins géométriques, les tracés perspectifs ; ils
Où faut-il temporaliser ? Partout. Comment ? D'une décomposent les volumes en plans, libèrent les angles
infinité de manières. Prenez les planchers, par exem- d'un point de vue structural et temporalisent l'espace.
ple. Est-il admissible que le sol d'un couloir soit sem- Ils favorisent ainsi la réintégration des différents élé-
blable à celui du séjour, de la salle de bains, du bureau ments entre eux. Le plan libre lui-même est une étape
ou de la chambre à coucher ? Que la vitesse avec sur cette voie parce qu'il postule le maximum de
laquelle on le parcourt et sa souplesse soient les mêmes communications et de fluidité d'un espace à l'autre et
dans des pièces qui remplissent des fonctions aussi dif- les relie ensemble. I l ne s'agit toutefois plus de la syn-
férentes ? D'où vient cette règle stupide ? Du classi- thèse classique, statique et a priori mais bien au
cisme, bien sûr. En fonction de quoi ? Certainement contraire d'une unité dynamique qui retrouve le mou-
pas des œuvres classiques qui révèlent un remarquable vement et conforme l'espace au temps. Certes, on se
sens du mouvement : l'Acropole d'Athènes est caracté- déplace physiquement même dans un édifice classique
risée par un terrain rocheux à l'état naturel qui impose mais l'homme s'y sent toujours étranger et déplacé :
un déplacement lent, bien étudié. Chaque espace ces espaces n'ont pas été conçus pour lui mais pour
devrait avoir un sol différencié : dur, mou, caillouteux, des simulacres immobiles. Monumentalité funéraire.
lisse ou accidenté, en biais, n'importe comment pourvu Adolf Loos a analysé le principe de réintégration
qu'il soit bien étudié. L'événement, disait Einstein, verticale dans le Raumplan — emboîtement de cellules
doit être localisé non seulement dans le temps, mais spatiales de hauteur différente — où i l multiplie la sur-
aussi dans l'espace. Cette idée révolutionnaire n'a pas face habitable d'une façon économique tout en accrois-
encore été assimilée par l'architecture ; elle implique sant sa valeur artistique. La hauteur des sanitaires et
l'invariant suivant : conception ouverte, constamment des chambres à coucher peut-elle être inférieure à celle
en devenir, temporalisée, non finie. du séjour ? Alors exploitons cette différence de hauteur
pour en tirer d'autres espaces utiles, intimes, originaux,
accessibles grâce à quelques marches. Le maximum de

66 67
tain qu'il était moins difficile pour quelqu'un comme ". Réintégration édifice-ville-territoire
Wright qui n'avait pas reçu une éducation Beaux-Arts
de se libérer du classicisme. En outre, i l détestait les Si la méthodologie de l'inventaire constitue le pre-
métropoles, les institutions bureaucratiques, l'autorité, mier invariant du langage moderne, la réintégration en
le pouvoir et voulait sauvegarder l'individualisme est logiquement le dernier ; entre les deux se situent
orgueilleux des pionniers. A Taliesin, Wisconsin, et à ;inq invariants dont le nombre pourrait devenir cin-
Taliesin West, Arizona, i l vivait en contact avec la quante si l'on passait du niveau de base à une analyse
nature, sensible et attentif au temps. D'ailleurs, on ne olus approfondie du lexique, de la grammaire et de la
peut bâtir une maison sur une cascade sans avoir syntaxe de l'architecture.
conscience de la fluidité. Au musée Guggenheim, une L'inventaire détruit la boîte, dénombre les éléments
rangée de vitres s'enroule à la spirale afin que les sans les classer et resémantise leurs données spéci-
tableaux soient éclairés avec une intensité qui résulte fiques suivant les différents messages que le classi-
d'un dosage entre la lumière du jour et la lumière artifi- cisme avait noyés dans les « ordres » et les systèmes
cielle : il temporalise le passage de la ville au musée de proportion. Les invariants suivants renforcent l'in-
et vice versa. L'espace intérieur change de ton selon ventaire en levant les tabous que sont la symétrie, les
les heures et les saisons. dessins géométriques, les tracés perspectifs ; ils
Où faut-il temporaliser ? Partout. Comment ? D'une décomposent les volumes en plans, libèrent les angles
infinité de manières. Prenez les planchers, par exem- d'un point de vue structural et temporalisent l'espace.
ple. Est-il admissible que le sol d'un couloir soit sem- Ils favorisent ainsi la réintégration des différents élé-
blable à celui du séjour, de la salle de bains, du bureau ments entre eux. Le plan libre lui-même est une étape
ou de la chambre à coucher ? Que la vitesse avec sur cette voie parce qu'il postule le maximum de
laquelle on le parcourt et sa souplesse soient les mêmes communications et de fluidité d'un espace à l'autre et
dans des pièces qui remplissent des fonctions aussi dif- les relie ensemble. I l ne s'agit toutefois plus de la syn-
férentes ? D'où vient cette règle stupide ? Du classi- thèse classique, statique et a priori mais bien au
cisme, bien sûr. En fonction de quoi ? Certainement contraire d'une unité dynamique qui retrouve le mou-
pas des œuvres classiques qui révèlent un remarquable vement et conforme l'espace au temps. Certes, on se
sens du mouvement : l'Acropole d'Athènes est caracté- déplace physiquement même dans un édifice classique
risée par un terrain rocheux à l'état naturel qui impose mais l'homme s'y sent toujours étranger et déplacé :
un déplacement lent, bien étudié. Chaque espace ces espaces n'ont pas été conçus pour lui mais pour
devrait avoir un sol différencié : dur, mou, caillouteux, des simulacres immobiles. Monumentalité funéraire.
lisse ou accidenté, en biais, n'importe comment pourvu Adolf Loos a analysé le principe de réintégration
qu'il soit bien étudié. L'événement, disait Einstein, verticale dans le Raumplan — emboîtement de cellules
doit être localisé non seulement dans le temps, mais spatiales de hauteur différente — où i l multiplie la sur-
aussi dans l'espace. Cette idée révolutionnaire n'a pas face habitable d'une façon économique tout en accrois-
encore été assimilée par l'architecture ; elle implique sant sa valeur artistique. La hauteur des sanitaires et
l'invariant suivant : conception ouverte, constamment des chambres à coucher peut-elle être inférieure à celle
en devenir, temporalisée, non finie. du séjour ? Alors exploitons cette différence de hauteur
pour en tirer d'autres espaces utiles, intimes, originaux,
accessibles grâce à quelques marches. Le maximum de

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fantaisie dans le décalage = le maximum d'économie
spatiale. Par exemple, dans le palais Littorio à la Farne-
sina à Rome, terminé après la guerre et devenu le siège
du ministère des Affaires étrangères, i l y a des toilettes
de sept mètres de haut à l'instar des grandes salles de
réunion ; ces toilettes impériales semblent destinées à
des géants fabuleux ou a des Duce juchés sur des
echasses de cinq mètres au moins, mais, en réalité, ce
sont de petits hommes qui les utilisent et ils y font une
r>ien piètre figure. Voilà encore un exemple de schi-
zophrénie du classicisme.
Réintégration horizontale et verticale, parcours plu-
ndirectionnels suivant des lignes courbes, obliques,
inclinées et non plus des angles droits tracés à
/équerre. Ce principe va bien au-delà de l'édifice et
:oncerne son insertion dans la ville. Quand on a frac-
::onné le volume en différents plans, puisqu'on les a
assemblés de façon quadridimensionnelle, les façades
des édifices disparaissent ; toute distinction entre
espace intérieur et espace extérieur est annulée, de
même qu'entre architecture et urbanisme. De cette
rusion entre l'édifice et la ville naît Yurbatecture. Plus
:e pleins occupés par les édifices qui s'alternent avec
'.es vides que forment rues et places ; une fois que l'an-
cien tissu est désintégré, le territoire est réintégré.
Dépassant la dichotomie traditionnelle ville-campagne,
/urbatecture se dilate dans le territoire tandis que la
nature pénètre dans le tissu urbain. Des villes-territoire
et non plus des agglomérations surpeuplées, polluées,
chaotiques et homicides d'un côté, et des campagnes
désolées et abandonnées de l'autre.
Utopie ? Oui, mais seulement tant qu'elle reste une
• ague aspiration. Si elle devient une langue parlée dans
le domaine du design, de l'ameublement, dans votre
rropre pièce, dans les édifices à toutes les échelles, elle
21. Raumplan et réintégration. En haut : les niveaux décalés brisent la superposition icquiérera une force énorme. Les architectes et tous
mécanique des plans et donnent à chaque pièce une hauteur correcte du point de vue
fonctionnel, sans gaspillage. En bas : une vision urbaine qui intègre des installation :eux qui s'intéressent à l'habitat disposeront d'une
collectives, des habitations, des routes et des parcs, un réseau de transport, en jouan: irme révolutionnaire, explosive, non pas en dehors de
sur plusieurs niveaux.
architecture, mais justement grâce à elle. Si nous vou-

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fantaisie dans le décalage = le maximum d'économie
spatiale. Par exemple, dans le palais Littorio à la Farne-
sina à Rome, terminé après la guerre et devenu le siège
du ministère des Affaires étrangères, i l y a des toilettes
de sept mètres de haut à l'instar des grandes salles de
réunion ; ces toilettes impériales semblent destinées à
des géants fabuleux ou a des Duce juchés sur des
echasses de cinq mètres au moins, mais, en réalité, ce
sont de petits hommes qui les utilisent et ils y font une
r>ien piètre figure. Voilà encore un exemple de schi-
zophrénie du classicisme.
Réintégration horizontale et verticale, parcours plu-
ndirectionnels suivant des lignes courbes, obliques,
inclinées et non plus des angles droits tracés à
/équerre. Ce principe va bien au-delà de l'édifice et
:oncerne son insertion dans la ville. Quand on a frac-
::onné le volume en différents plans, puisqu'on les a
assemblés de façon quadridimensionnelle, les façades
des édifices disparaissent ; toute distinction entre
espace intérieur et espace extérieur est annulée, de
même qu'entre architecture et urbanisme. De cette
rusion entre l'édifice et la ville naît Yurbatecture. Plus
:e pleins occupés par les édifices qui s'alternent avec
'.es vides que forment rues et places ; une fois que l'an-
cien tissu est désintégré, le territoire est réintégré.
Dépassant la dichotomie traditionnelle ville-campagne,
/urbatecture se dilate dans le territoire tandis que la
nature pénètre dans le tissu urbain. Des villes-territoire
et non plus des agglomérations surpeuplées, polluées,
chaotiques et homicides d'un côté, et des campagnes
désolées et abandonnées de l'autre.
Utopie ? Oui, mais seulement tant qu'elle reste une
• ague aspiration. Si elle devient une langue parlée dans
le domaine du design, de l'ameublement, dans votre
rropre pièce, dans les édifices à toutes les échelles, elle
21. Raumplan et réintégration. En haut : les niveaux décalés brisent la superposition icquiérera une force énorme. Les architectes et tous
mécanique des plans et donnent à chaque pièce une hauteur correcte du point de vue
fonctionnel, sans gaspillage. En bas : une vision urbaine qui intègre des installation :eux qui s'intéressent à l'habitat disposeront d'une
collectives, des habitations, des routes et des parcs, un réseau de transport, en jouan: irme révolutionnaire, explosive, non pas en dehors de
sur plusieurs niveaux.
architecture, mais justement grâce à elle. Si nous vou-

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Ions vraiment parler le langage moderne, il n'existe
que deux possibilités : ou bien on nous laisse nous
exprimer librement ou bien nous devrons abattre les
obstacles qui s'interposent, c'est-à-dire qu'il faudra
lutter contre la censure. Si la spéculation foncière nous
interdit de nous exprimer, nous devrons lutter contre
elle avec une vigueur proportionnelle à l'importance
de la langue de l'urbatecture. Mais notre cause sera
affaiblie si, une fois que l'usage du sol sera collecti-
visé, rien ne change du point de vue de la censure,
comme le cas s'est produit en Union soviétique.
Évidemment, ce dernier invariant a aussi des bases
fonctionnelles. Après avoir inventorié et décomposé
les fonctions de l'édifice, du quartier, de la ville et du
territoire, i l faut réexaminer les rapports existant entre
eux. Pourquoi une école doit-elle constituer une struc-
ture en soi au lieu de fusionner avec un centre social,
les bureaux de l'administration locale, les usines, les
bureaux privés, les habitations ? Est-il juste de séparer
les quartiers résidentiels des zones de loisirs et des
zones commerciales, ou bien ne doit-on pas favoriser
une interaction de ces différentes fonctions ? Prenons
l'exemple des universités ; elles étaient constituées
autrefois de nombreuses facultés séparées, chacune
possédant son édifice, son propre amphithéâtre et sa
propre bibliothèque alors qu'aujourd'hui l'enseigne-
ment pluridisciplinaire tend à briser cet isolement. Par
ailleurs, doit-on situer les universités dans des zones
éloignées de la ville comme les campus anglais et amé-
ricains traditionnels ou doit-on les répartir de façon
capillaire au milieu des zones d'habitation et des lieux
de travail ?
Les rues aussi doivent être réintégrées. Dans l'unité
d'habitation de Marseille, à mi-hauteur, Le Corbusier
a établi une série de magasins et a réintégré ainsi l'acti-
vité commerciale dans le lieu de résidence ; il a appelé 22. John Johansen, de l'inventaire à la réintégration. Le Mummers Theater à Okla-
« rues » ces couloirs, véritables rues intérieures. Pour- homa City. On commence par disposer les cléments sur le terrain (place it), on réalise
ies structures (support il) puis on établit les liaisons au moyen de tubes (connect it) et
quoi donc ne pourrait-on pas faire passer les rues de la on aboutit enfin à une ville-édifice qui dialogue avec son environnement.
ville au niveau du dixième, du cinquantième étage, les
Ions vraiment parler le langage moderne, il n'existe
que deux possibilités : ou bien on nous laisse nous
exprimer librement ou bien nous devrons abattre les
obstacles qui s'interposent, c'est-à-dire qu'il faudra
lutter contre la censure. Si la spéculation foncière nous
interdit de nous exprimer, nous devrons lutter contre
elle avec une vigueur proportionnelle à l'importance
de la langue de l'urbatecture. Mais notre cause sera
affaiblie si, une fois que l'usage du sol sera collecti-
visé, rien ne change du point de vue de la censure,
comme le cas s'est produit en Union soviétique.
Évidemment, ce dernier invariant a aussi des bases
fonctionnelles. Après avoir inventorié et décomposé
les fonctions de l'édifice, du quartier, de la ville et du
territoire, i l faut réexaminer les rapports existant entre
eux. Pourquoi une école doit-elle constituer une struc-
ture en soi au lieu de fusionner avec un centre social,
les bureaux de l'administration locale, les usines, les
bureaux privés, les habitations ? Est-il juste de séparer
les quartiers résidentiels des zones de loisirs et des
zones commerciales, ou bien ne doit-on pas favoriser
une interaction de ces différentes fonctions ? Prenons
l'exemple des universités ; elles étaient constituées
autrefois de nombreuses facultés séparées, chacune
possédant son édifice, son propre amphithéâtre et sa
propre bibliothèque alors qu'aujourd'hui l'enseigne-
ment pluridisciplinaire tend à briser cet isolement. Par
ailleurs, doit-on situer les universités dans des zones
éloignées de la ville comme les campus anglais et amé-
ricains traditionnels ou doit-on les répartir de façon
capillaire au milieu des zones d'habitation et des lieux
de travail ?
Les rues aussi doivent être réintégrées. Dans l'unité
d'habitation de Marseille, à mi-hauteur, Le Corbusier
a établi une série de magasins et a réintégré ainsi l'acti-
vité commerciale dans le lieu de résidence ; il a appelé 22. John Johansen, de l'inventaire à la réintégration. Le Mummers Theater à Okla-
« rues » ces couloirs, véritables rues intérieures. Pour- homa City. On commence par disposer les cléments sur le terrain (place it), on réalise
ies structures (support il) puis on établit les liaisons au moyen de tubes (connect it) et
quoi donc ne pourrait-on pas faire passer les rues de la on aboutit enfin à une ville-édifice qui dialogue avec son environnement.
ville au niveau du dixième, du cinquantième étage, les
faire planer entre les gratte-ciel, architecturer le ciel ?
De nombreux projets utopiques offrent ces nouvelles
images urbaines et certains exemples déjà réalisés en
sont une préfiguration.
Les bureaux de la Ford Foundation à New York don-
I
nent sur un jardin intérieur couvert. A Rome, via
Romagna, un immeuble réintègre les fonctions
commerciale (magasins), administrative (bureaux) et
résidentielle (villas) qui se superposent. Le Mummers
Theater d'Oklahoma City se présente comme un
ensemble hétérogène : bouts de ferraille, carcasses
d'automobiles et tubes : de l'action architecture
comme le montrent les croquis de Johansen (p. 71)
Habitat '67 à Montréal constitue un empilement de cel-
lules dans lequel s'enchevêtrent l'espace architectural
et l'espace urbain avec des rues à tous les niveaux. Or.
pourrait l'agrandir en hauteur et y installer des écoles,
des hôpitaux, des places, des jardins et des parcs : une
sorte de bricolage architectural que Louis Kahn aurai:
voulu libérer de toute géométrie et rendre mouvant. S:
un conflit nucléaire ne vient pas résoudre le problème
démographique, on aura besoin de telles macrostruc-
tures. Bien sûr, elles ne devront pas être terrifiantes 15. Empilement de cellules résidentielles dans l'Habitat '67 à Montréal, conçu par
mais au contraire, confortables et vivantes avec des • 'oshe Safdie. En haut : deux caricatures de l'Habitat '67 par Ting et Daigneault. En
-us : un croquis de Louis Kahn où il critique la rigidité des formes des cellules de
espaces dynamiques pour les activités collectives et des Safdie et propose un assemblage libre, « c o m m e les feuilles sur les branches d'un
espaces intimes pour la vie privée. irbre ».

La réintégration ville-campagne implique une archi-


tecture liée à l'environnement naturel. La psychanalyse -tes alternatives concrètes, en adoptant un langage
et l'anthropologie nous enseignent que l'homme, au fur moderne qui permet de les exprimer ; sinon on s'enlise
et à mesure que la civilisation progresse, perd certaines dans une protestation romantique et on piétine au
valeurs essentielles : l'unité de l'espace-temps, la niveau zéro.
liberté de la vie nomade, la joie d'errer sans subir les Choisissons encore une fois un exemple simple et
contraintes de la perspective. Nous devons, nous pou- facilement vérifiable. Le lecteur pourra faire lui-même
vons récupérer ces valeurs. Les communautés de hip- des extrapolations à l'échelle de la ville-région et des
pies, la révolte des jeunes contre la société de territoires urbanisés. Que signifie la réintégration de
consommation, la ville polluée et perverse, les institu- l'architecture et de la nature ? Pénétrons dans une
tions répressives sont les symptômes qui indiquent caverne ou dans une grotte naturelle qui a peut-être
l'urgence de cette remise à zéro culturelle. On remet à servi de refuge à l'homme préhistorique. Quand on
zéro certes, mais en avançant cependant, en proposant marche, on sent le terrain, on en jouit. C'est une joie

72 73
faire planer entre les gratte-ciel, architecturer le ciel ?
De nombreux projets utopiques offrent ces nouvelles
images urbaines et certains exemples déjà réalisés en
sont une préfiguration.
Les bureaux de la Ford Foundation à New York don-
I
nent sur un jardin intérieur couvert. A Rome, via
Romagna, un immeuble réintègre les fonctions
commerciale (magasins), administrative (bureaux) et
résidentielle (villas) qui se superposent. Le Mummers
Theater d'Oklahoma City se présente comme un
ensemble hétérogène : bouts de ferraille, carcasses
d'automobiles et tubes : de l'action architecture
comme le montrent les croquis de Johansen (p. 71)
Habitat '67 à Montréal constitue un empilement de cel-
lules dans lequel s'enchevêtrent l'espace architectural
et l'espace urbain avec des rues à tous les niveaux. Or.
pourrait l'agrandir en hauteur et y installer des écoles,
des hôpitaux, des places, des jardins et des parcs : une
sorte de bricolage architectural que Louis Kahn aurai:
voulu libérer de toute géométrie et rendre mouvant. S:
un conflit nucléaire ne vient pas résoudre le problème
démographique, on aura besoin de telles macrostruc-
tures. Bien sûr, elles ne devront pas être terrifiantes 15. Empilement de cellules résidentielles dans l'Habitat '67 à Montréal, conçu par
mais au contraire, confortables et vivantes avec des • 'oshe Safdie. En haut : deux caricatures de l'Habitat '67 par Ting et Daigneault. En
-us : un croquis de Louis Kahn où il critique la rigidité des formes des cellules de
espaces dynamiques pour les activités collectives et des Safdie et propose un assemblage libre, « c o m m e les feuilles sur les branches d'un
espaces intimes pour la vie privée. irbre ».

La réintégration ville-campagne implique une archi-


tecture liée à l'environnement naturel. La psychanalyse -tes alternatives concrètes, en adoptant un langage
et l'anthropologie nous enseignent que l'homme, au fur moderne qui permet de les exprimer ; sinon on s'enlise
et à mesure que la civilisation progresse, perd certaines dans une protestation romantique et on piétine au
valeurs essentielles : l'unité de l'espace-temps, la niveau zéro.
liberté de la vie nomade, la joie d'errer sans subir les Choisissons encore une fois un exemple simple et
contraintes de la perspective. Nous devons, nous pou- facilement vérifiable. Le lecteur pourra faire lui-même
vons récupérer ces valeurs. Les communautés de hip- des extrapolations à l'échelle de la ville-région et des
pies, la révolte des jeunes contre la société de territoires urbanisés. Que signifie la réintégration de
consommation, la ville polluée et perverse, les institu- l'architecture et de la nature ? Pénétrons dans une
tions répressives sont les symptômes qui indiquent caverne ou dans une grotte naturelle qui a peut-être
l'urgence de cette remise à zéro culturelle. On remet à servi de refuge à l'homme préhistorique. Quand on
zéro certes, mais en avançant cependant, en proposant marche, on sent le terrain, on en jouit. C'est une joie

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m
eue nous avons perdue avec nos rues goudronnées et
nos sols lisses. Le plafond de la caverne n'est pas carré,
il se prolonge le long des murs courbes et rugueux
usqu'au sol. La lumière qui éclaire la roche et effleure
.a voûte produit des effets surprenants, magiques et
changeants selon les heures. Quant aux grottes
marines, l'eau reflète la lumière qui s'est colorée dans
ses profondeurs et se déplace avec les vagues, enre-
gistre les variations du ciel, clair ou nuageux, commu-
nique la situation des vents. Ce sont des valeurs
perdues que le langage moderne redécouvre. Dans la
chapelle du M.I.T., Eero Saarinen a éclairé l'espace
avec une lumière vacillante reflétée dans l'eau : il
s'agit d'un dispositif quelque peu décadent mais qui
donne toutefois une idée de ce qu'on pourrait faire,
l a réintégration architecture-nature doit être réalisée
scientifiquement sur la base d'études anthropologiques,
sociologiques et psychanalytiques ; le code moderne
l'exige.
De l'inventaire à la réintégration : sept invariants
contre l'idolâtrie, les dogmes, les conventions, les
phrases toutes faites, les lieux communs, les
approximations humanistes et les phénomènes répres-
sifs, sous quelque forme qu'ils se présentent, où qu'ils
se cachent, qu'ils soient conscients ou inconscients. La
nouvelle langue « nous parle », du futur à la préhis-
toire, sans mysticisme ; elle nous apporte à la fois
l'idée de Moïse et la parole d'Aaron.

24. En haut : dispositif qui tend à retrouver les valeurs tactiles et figuratives des
cavernes préhistoriques dans un édifice collectif construit avec des structures gon-
flables, conçu par J.G. Jungmann du groupe français « Utopie ». En bas : réintégration
urbaine avec macrostnictures et tubes de communications, proposée par le groupe
anglais Archigram.

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m
eue nous avons perdue avec nos rues goudronnées et
nos sols lisses. Le plafond de la caverne n'est pas carré,
il se prolonge le long des murs courbes et rugueux
usqu'au sol. La lumière qui éclaire la roche et effleure
.a voûte produit des effets surprenants, magiques et
changeants selon les heures. Quant aux grottes
marines, l'eau reflète la lumière qui s'est colorée dans
ses profondeurs et se déplace avec les vagues, enre-
gistre les variations du ciel, clair ou nuageux, commu-
nique la situation des vents. Ce sont des valeurs
perdues que le langage moderne redécouvre. Dans la
chapelle du M.I.T., Eero Saarinen a éclairé l'espace
avec une lumière vacillante reflétée dans l'eau : il
s'agit d'un dispositif quelque peu décadent mais qui
donne toutefois une idée de ce qu'on pourrait faire,
l a réintégration architecture-nature doit être réalisée
scientifiquement sur la base d'études anthropologiques,
sociologiques et psychanalytiques ; le code moderne
l'exige.
De l'inventaire à la réintégration : sept invariants
contre l'idolâtrie, les dogmes, les conventions, les
phrases toutes faites, les lieux communs, les
approximations humanistes et les phénomènes répres-
sifs, sous quelque forme qu'ils se présentent, où qu'ils
se cachent, qu'ils soient conscients ou inconscients. La
nouvelle langue « nous parle », du futur à la préhis-
toire, sans mysticisme ; elle nous apporte à la fois
l'idée de Moïse et la parole d'Aaron.

24. En haut : dispositif qui tend à retrouver les valeurs tactiles et figuratives des
cavernes préhistoriques dans un édifice collectif construit avec des structures gon-
flables, conçu par J.G. Jungmann du groupe français « Utopie ». En bas : réintégration
urbaine avec macrostnictures et tubes de communications, proposée par le groupe
anglais Archigram.

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1 F nir historique. De l'ignorance pure et simple, de l'ab-
sence de tout modèle, jaillirait la chose pure.
L'originalité lui tournait la tête à lui aussi, comme à
tous les autres. Seules les classes laborieuses étaient
originales... Oh ! non, non, non, pas du tout, pensa
Sammler. Au contraire, l'art s'est développé de
ARCHITECTURE NON FINIE ET KITSCH manière chaotique. » La société prolétaire de Staline a
copié l'architecture de l'autocratie et du despotisme et,
en Occident, la contestation globale « dérivait évidem-
ment d'autre chose. De quoi ? Des Paiutes, de Fidel
Deux thèses s'affrontent : le cri iconoclaste de Frie- Castro ? Non, des figurants de Hollywood. Ils jouaient
drich Hundertwasser et les réflexions affligées de les mythiques... I l vaut mieux accepter l'inévitabilité
Mr. Sammler dans l'œuvre de Saul Bellow. de l'imitation et ensuite, imiter les bonnes choses...
Hundertwasser déclare dans son Manifeste pour le Grandeur sans modèles ? Inconcevable. Faire la paix
boycot de l'architecture : « Tout homme a le droit de donc avec la médiation . » 1

construire comme il veut. Aujourd'hui l'architecture Un langage architectural est nécessaire, Sammler a
est censurée de la même manière que la peinture en raison, mais la force libératrice du langage moderne est
Union soviétique. Chacun devrait avoir le droit de orientée vers les objectifs de Hundertwasser : i l nous
construire ses propres murs et en assumer la responsa- apprend à désacraliser les canons et les préceptes du
bilité. L'architecture actuelle est criminellement stérile. siècle des Lumières et à multiplier les choix concrets.
La raison en est que la construction s'arrête au moment Les sept invariants que nous avons décrits se réfèrent à
où le client entre dans son habitation alors qu'elle des modèles précis, de la « maison rouge » de William
devrait justement commencer à ce moment-là et se Morris aux chefs-d'œuvre de Wright, Le Corbusier,
développer comme la peau autour d'un organisme Gropius, Mies, Aalto, aux réalisations plus récentes de
humain. » Alors envoyons tous les architectes au Safdie et lohansen. Ils se réfèrent aussi au passé, à
bûcher et restituons leur travail et leurs privilèges aux Borromini, Michel-Ange, Rossetti, Bmnelleschi, au
consommateurs, au peuple. Moyen Age, à la fin de l'Antiquité, à la villa
Mr. Sammler est beaucoup plus perplexe à propos d'Hadrien, aux acropoles helléniques et même à la
de la spontanéité créatrice : « Est-ce donc une espèce préhistoire et confirment que le langage moderne de
folle ? Oui, peut-être. Quoique la folie soit, elle aussi, l'architecture n'est pas seulement le langage de l'archi-
une mascarade. Alors que faire ? Pour rester dans le tecture moderne, mais qu'il embrasse les hérésies et les
domaine des histrions voyez, par exemple, ce qu'a fait dissonances de l'histoire, ces innombrables exceptions
Marx, cet enragé qui galvanisait les foules et affirmait qui confirment la règle et qui, aujourd'hui, se sont fina-
que les révolutions étaient faites en costumes histo- lement émancipées au point de constituer le squelette
riques : les partisans de Cromwell, en prophètes de d'un langage alternatif.
l'Ancien Testament, les Français de 1789 déguisés en
La participation est le signe de ralliement des
Romains. Mais, le prolétariat, dit-il, déclara-t-il,
affirma-t-il, ferait la première révolution qui ne soit pas
1. Cf. Saul Bellow. Mr. Semmler's Planet, New Yo.k. Viking, 1970,
une imitation, sans recourir à la drogue qu'est le souve- pp. 148-149.

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1 F nir historique. De l'ignorance pure et simple, de l'ab-
sence de tout modèle, jaillirait la chose pure.
L'originalité lui tournait la tête à lui aussi, comme à
tous les autres. Seules les classes laborieuses étaient
originales... Oh ! non, non, non, pas du tout, pensa
Sammler. Au contraire, l'art s'est développé de
ARCHITECTURE NON FINIE ET KITSCH manière chaotique. » La société prolétaire de Staline a
copié l'architecture de l'autocratie et du despotisme et,
en Occident, la contestation globale « dérivait évidem-
ment d'autre chose. De quoi ? Des Paiutes, de Fidel
Deux thèses s'affrontent : le cri iconoclaste de Frie- Castro ? Non, des figurants de Hollywood. Ils jouaient
drich Hundertwasser et les réflexions affligées de les mythiques... I l vaut mieux accepter l'inévitabilité
Mr. Sammler dans l'œuvre de Saul Bellow. de l'imitation et ensuite, imiter les bonnes choses...
Hundertwasser déclare dans son Manifeste pour le Grandeur sans modèles ? Inconcevable. Faire la paix
boycot de l'architecture : « Tout homme a le droit de donc avec la médiation . » 1

construire comme il veut. Aujourd'hui l'architecture Un langage architectural est nécessaire, Sammler a
est censurée de la même manière que la peinture en raison, mais la force libératrice du langage moderne est
Union soviétique. Chacun devrait avoir le droit de orientée vers les objectifs de Hundertwasser : i l nous
construire ses propres murs et en assumer la responsa- apprend à désacraliser les canons et les préceptes du
bilité. L'architecture actuelle est criminellement stérile. siècle des Lumières et à multiplier les choix concrets.
La raison en est que la construction s'arrête au moment Les sept invariants que nous avons décrits se réfèrent à
où le client entre dans son habitation alors qu'elle des modèles précis, de la « maison rouge » de William
devrait justement commencer à ce moment-là et se Morris aux chefs-d'œuvre de Wright, Le Corbusier,
développer comme la peau autour d'un organisme Gropius, Mies, Aalto, aux réalisations plus récentes de
humain. » Alors envoyons tous les architectes au Safdie et lohansen. Ils se réfèrent aussi au passé, à
bûcher et restituons leur travail et leurs privilèges aux Borromini, Michel-Ange, Rossetti, Bmnelleschi, au
consommateurs, au peuple. Moyen Age, à la fin de l'Antiquité, à la villa
Mr. Sammler est beaucoup plus perplexe à propos d'Hadrien, aux acropoles helléniques et même à la
de la spontanéité créatrice : « Est-ce donc une espèce préhistoire et confirment que le langage moderne de
folle ? Oui, peut-être. Quoique la folie soit, elle aussi, l'architecture n'est pas seulement le langage de l'archi-
une mascarade. Alors que faire ? Pour rester dans le tecture moderne, mais qu'il embrasse les hérésies et les
domaine des histrions voyez, par exemple, ce qu'a fait dissonances de l'histoire, ces innombrables exceptions
Marx, cet enragé qui galvanisait les foules et affirmait qui confirment la règle et qui, aujourd'hui, se sont fina-
que les révolutions étaient faites en costumes histo- lement émancipées au point de constituer le squelette
riques : les partisans de Cromwell, en prophètes de d'un langage alternatif.
l'Ancien Testament, les Français de 1789 déguisés en
La participation est le signe de ralliement des
Romains. Mais, le prolétariat, dit-il, déclara-t-il,
affirma-t-il, ferait la première révolution qui ne soit pas
1. Cf. Saul Bellow. Mr. Semmler's Planet, New Yo.k. Viking, 1970,
une imitation, sans recourir à la drogue qu'est le souve- pp. 148-149.

76 77
tecture aussi, le Mummers Theater accumule les rebuts
achetés à la ferraille.
Le non-fini a des répercussions tout au long de l'his-
toire, de Mnesicles, à Rossetti et Palladio et atteint
son paroxysme avec Michel-Ange. Cependant, l'art
contemporain codifie le non-fini grâce à un processus
ininterrompu qui requiert la participation de l'utilisa-
teur. La participation n'est donc plus une offre paterna-
liste mais un caractère inhérent à l'œuvre ouverte en
25. Projet d'un « projet de ville » : Plug-in City, élaboré par le groupe anglais Archi- train de se faire. Prenons l'urbanisme, par exemple.
gram. Pour sauver le territoire du magma urbain en favorisant une vie sociale plus
intense, il faut une forte concentration urbaine, des forêts de gratte-ciel reliés aux
Les architectes « classicistes » croient aux plans d'ur-
différents niveaux, fonctionnellement réintégrés et entourés d'immenses espaces verts. banisme définitifs qui ne peuvent être réalisés que par
des régimes dictatoriaux. Les architectes modernes, au
hommes politiques, des sociologues et des artistes, contraire, se battent pour une planification continue qui
mais i l y entre une bonne dose de démagogie. Que répond constamment aux attentes toujours renouvelées
signifie la participation en architecture ? Donner un té, de la société. Les premiers dessinent des cités « idéa-
une équerre et des compas aux gens en leur disant : les ». Renaissance, abstraites, utopiques, qui sont une
« Construisez comme vous voulez » ? Ils singeraient perpétuelle frustration. Les architectes modernes
les modèles classiques les plus rétrogrades. Préparer savent qu'ils conçoivent, non pas la ville, mais le projet
plusieurs solutions et leur dire « Choisissez » ? Selon de la ville, une hypothèse de son devenir, qui peut
quels critères ? La participation ainsi conçue n'est prendre avec le temps des formes diverses et
qu'un slogan. Alors qu'elle est, au contraire, un corol- imprévues.
laire fondamental des sept invariants du langage Le non-fini, résultat des sept invariants, est la condi-
moderne. tion nécessaire pour que l'architecture participe du
Chacun de ces invariants, de l'inventaire à la réinté- paysage urbain, en assimile les contradictions, s'em-
gration, requiert la participation car i l vise au non-fini, bourbe dans la désolation et le kitsch, et en tire parti
à un processus de formation (et pas à la forme), à une du point de vue expressif. Les sociologues ont montré
architecture capable de se développer et de changer, que dans les slums, dans les bidonvilles, favelas et bar-
une architecture qui ne soit plus isolée mais, au riadas, i l existe une activité, bouillonnante du point de
contraire, disposée à dialoguer avec la réalité exté- vue des échanges communautaires, totalement incon-
rieure et à se compromettre au contact du kitsch. Per- nue dans les quartiers populaires planifiés. Pourquoi ?
sonne ne veut plus aujourd'hui de « beaux » objets parce que, dans ces derniers, l'aventure est absente et
consolateurs. L'art descend de son piédestal pour aller la mentalité du pionnier, le sens du voisinage, le kitsch
à la rencontre de la vie et capter les propriétés esthé- spontané avec ses aspects négatifs mais toutefois pleins
tiques de la laideur et des rebuts. Burri peint des de vitalité font défaut. Dans le langage moderne non-
loques, Oldenburg découvre le message de la machine fini, la participation est le complément structural indis-
à écrire soft inutilisable ; le bruit n'est pas une anti- pensable de l'action architecturale.
musique mais une musique autre ; d'ailleurs, en archi-
1
Voilà tout. Les sept invariants offrent un vademecum
1. En français dans le texte. pour le projet. Aucun architecte — et certainement pas

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tecture aussi, le Mummers Theater accumule les rebuts
achetés à la ferraille.
Le non-fini a des répercussions tout au long de l'his-
toire, de Mnesicles, à Rossetti et Palladio et atteint
son paroxysme avec Michel-Ange. Cependant, l'art
contemporain codifie le non-fini grâce à un processus
ininterrompu qui requiert la participation de l'utilisa-
teur. La participation n'est donc plus une offre paterna-
liste mais un caractère inhérent à l'œuvre ouverte en
25. Projet d'un « projet de ville » : Plug-in City, élaboré par le groupe anglais Archi- train de se faire. Prenons l'urbanisme, par exemple.
gram. Pour sauver le territoire du magma urbain en favorisant une vie sociale plus
intense, il faut une forte concentration urbaine, des forêts de gratte-ciel reliés aux
Les architectes « classicistes » croient aux plans d'ur-
différents niveaux, fonctionnellement réintégrés et entourés d'immenses espaces verts. banisme définitifs qui ne peuvent être réalisés que par
des régimes dictatoriaux. Les architectes modernes, au
hommes politiques, des sociologues et des artistes, contraire, se battent pour une planification continue qui
mais i l y entre une bonne dose de démagogie. Que répond constamment aux attentes toujours renouvelées
signifie la participation en architecture ? Donner un té, de la société. Les premiers dessinent des cités « idéa-
une équerre et des compas aux gens en leur disant : les ». Renaissance, abstraites, utopiques, qui sont une
« Construisez comme vous voulez » ? Ils singeraient perpétuelle frustration. Les architectes modernes
les modèles classiques les plus rétrogrades. Préparer savent qu'ils conçoivent, non pas la ville, mais le projet
plusieurs solutions et leur dire « Choisissez » ? Selon de la ville, une hypothèse de son devenir, qui peut
quels critères ? La participation ainsi conçue n'est prendre avec le temps des formes diverses et
qu'un slogan. Alors qu'elle est, au contraire, un corol- imprévues.
laire fondamental des sept invariants du langage Le non-fini, résultat des sept invariants, est la condi-
moderne. tion nécessaire pour que l'architecture participe du
Chacun de ces invariants, de l'inventaire à la réinté- paysage urbain, en assimile les contradictions, s'em-
gration, requiert la participation car i l vise au non-fini, bourbe dans la désolation et le kitsch, et en tire parti
à un processus de formation (et pas à la forme), à une du point de vue expressif. Les sociologues ont montré
architecture capable de se développer et de changer, que dans les slums, dans les bidonvilles, favelas et bar-
une architecture qui ne soit plus isolée mais, au riadas, i l existe une activité, bouillonnante du point de
contraire, disposée à dialoguer avec la réalité exté- vue des échanges communautaires, totalement incon-
rieure et à se compromettre au contact du kitsch. Per- nue dans les quartiers populaires planifiés. Pourquoi ?
sonne ne veut plus aujourd'hui de « beaux » objets parce que, dans ces derniers, l'aventure est absente et
consolateurs. L'art descend de son piédestal pour aller la mentalité du pionnier, le sens du voisinage, le kitsch
à la rencontre de la vie et capter les propriétés esthé- spontané avec ses aspects négatifs mais toutefois pleins
tiques de la laideur et des rebuts. Burri peint des de vitalité font défaut. Dans le langage moderne non-
loques, Oldenburg découvre le message de la machine fini, la participation est le complément structural indis-
à écrire soft inutilisable ; le bruit n'est pas une anti- pensable de l'action architecturale.
musique mais une musique autre ; d'ailleurs, en archi-
1
Voilà tout. Les sept invariants offrent un vademecum
1. En français dans le texte. pour le projet. Aucun architecte — et certainement pas

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Wright, ni Le Corbusier, ni Mies, ni Aalto, sauf peut-
être Johansen — ne les accepterait en totalité. Sept
hérésies, ou témoignages contre l'idolâtrie du classi-
cisme, intolérables si on les prend simultanément. Peu
importe. Avec ce guide en poche, chacun les appli-
quera comme il peut. Certains ne les appliqueront pas
du tout : Marcuse les définit ainsi : « Forcenés et non POSTFACE
engagés, ceux qui s'évadent dans toute sorte de mysti-
cisme, les imbéciles et les vauriens, ceux à qui rien
n'importe, quoi qu'il arrive '. »
1. L'âge adulte

Dans l'histoire de l'architecture, la codification lin-


guistique marque le début de la maturité. En effet,
qu'est-ce qui sépare, par convention, l'histoire de la
préhistoire ? La découverte de l'écriture, c'est-à-dire
d'un mode de communication institutionnalisé. Certes,
même avant l'apparition de l'écriture, i l existait des
moyens de communication mais leur pouvoir de diffu-
sion était faible ; de même, bien que ne disposant pas
d'un langage formalisé, les architectes ont quand
même communiqué jusqu'à présent leurs idées et leurs
expériences. Toutefois, c'est seulement maintenant que
le fait de parler, lire et écrire l'architecture n'est plus
limité à une élite spécialisée. Ce résultat déborde le
cadre de la discipline et implique un tournant démocra-
tique et un renouvellement social de l'architecture
basés sur un consensus — non pas paternaliste, popu-
liste ou velléitaire dans lequel les besoins réels se
confondraient continuellement avec ceux que la publi-
cité induit — mais authentique et direct.
De nombreux architectes ont peur de l'âge adulte et
préfèrent rester à un stade infantile, dans une situation
de dépendance totale au père. Cependant, au cours des
années cinquante et soixante, les pères — Wright, Le
Corbusier, Gropius, Mies van der Rohe, Mendel-
sohn — sont morts. D'ailleurs plusieurs d'entre eux
1. Herbert Marcuse, An Essay on Liberation, Beacon Press, Boston,
1969. Traduction française de J.-B. Grasset : Vers la libération, Paris, Édi-
avaient cessé, bien avant leur disparition, de nourrir
tions de Minuit, 1969. leurs enfants : par exemple Mies, depuis qu'il avait

80 81
Wright, ni Le Corbusier, ni Mies, ni Aalto, sauf peut-
être Johansen — ne les accepterait en totalité. Sept
hérésies, ou témoignages contre l'idolâtrie du classi-
cisme, intolérables si on les prend simultanément. Peu
importe. Avec ce guide en poche, chacun les appli-
quera comme il peut. Certains ne les appliqueront pas
du tout : Marcuse les définit ainsi : « Forcenés et non POSTFACE
engagés, ceux qui s'évadent dans toute sorte de mysti-
cisme, les imbéciles et les vauriens, ceux à qui rien
n'importe, quoi qu'il arrive '. »
1. L'âge adulte

Dans l'histoire de l'architecture, la codification lin-


guistique marque le début de la maturité. En effet,
qu'est-ce qui sépare, par convention, l'histoire de la
préhistoire ? La découverte de l'écriture, c'est-à-dire
d'un mode de communication institutionnalisé. Certes,
même avant l'apparition de l'écriture, i l existait des
moyens de communication mais leur pouvoir de diffu-
sion était faible ; de même, bien que ne disposant pas
d'un langage formalisé, les architectes ont quand
même communiqué jusqu'à présent leurs idées et leurs
expériences. Toutefois, c'est seulement maintenant que
le fait de parler, lire et écrire l'architecture n'est plus
limité à une élite spécialisée. Ce résultat déborde le
cadre de la discipline et implique un tournant démocra-
tique et un renouvellement social de l'architecture
basés sur un consensus — non pas paternaliste, popu-
liste ou velléitaire dans lequel les besoins réels se
confondraient continuellement avec ceux que la publi-
cité induit — mais authentique et direct.
De nombreux architectes ont peur de l'âge adulte et
préfèrent rester à un stade infantile, dans une situation
de dépendance totale au père. Cependant, au cours des
années cinquante et soixante, les pères — Wright, Le
Corbusier, Gropius, Mies van der Rohe, Mendel-
sohn — sont morts. D'ailleurs plusieurs d'entre eux
1. Herbert Marcuse, An Essay on Liberation, Beacon Press, Boston,
1969. Traduction française de J.-B. Grasset : Vers la libération, Paris, Édi-
avaient cessé, bien avant leur disparition, de nourrir
tions de Minuit, 1969. leurs enfants : par exemple Mies, depuis qu'il avait

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opté pour les prismes ferm és et trahi la poétiquedes
espaces fluides qui découlaient des plans libres du
T estdanspleine de réminiscencesexpressionnistes surtout
les formes ondulantes d'Aalto. La chapelle de
mouvement De Stijl, ou Gropius qui, dans le groupe Ronchamp elle-même est un m élange d'expression-
de travail am éricain, avait ab ando n n é la m éthode de nisme et d'art informel avec quelques élém entsde
décom position des blocs en volumes fonctionnels, «persuasion baroque » dans les éclairagestantôt sédui-
gloire du Bauhaus. Même Le Corbusier qui après Ron- sants tantôt outranciers. Le retour au sein maternel
champ, s'était libéréde ses engagements didactiques et offre donc deux possibilités : d'une part, le classicisme
s'était isolé, a répudié ses enfants et ses petits-enfants académ ique, d'autre part, l'expressionnisme pseudo-
après les avoir obligés à suivre la « manièrecorbusé- baroque qui peut sembler plus complexe et plus fasci-
enne », celle du couvent de La Tourette et de Chan- nant mais qui n'est pas moins naïf et régressifque le
digarh. premier.
Ainsi, il n'y a plus d'image paternelle. Il faut deve-
nir adulte, se libérer de la tutelle des « grands », parler
un langage autonome, c'est-à-dire codifié qui dérive 2. Maniérismeet langage
naturellement de l'œuvre des m aîtresmais qui n'est
plus dom iné par leurs poétiques individuelles et leurs Est-il vraiment indispensable de disposer d'un lan-
personnalités écrasantes. gage codifié? Et pourquoi n'est-il pas suffisant de
Existe-t-il une autre possibilité? Aucune qui ne s'inspirer des chefs-d'œuvre des m aîtres puisque c'est
réitère l'infantilisme jusqu'au grotesque. Orphelins d'eux qu'on a tiréles sept invariants ? Pourquoi faut-
d ésem p aréspar l'absence de référenceau père, certains il subir la m édiation — nécessairem ent réductive—
architectes essayent de rentrer dans le giron de l'acadé- du langage, au lieu de puiser directement à la source ?
mie, de l'idéologiedu classicisme im poséepar le pou- Certes, tant que les constantes du langage moderne
voir, des dogmes géom étriques, de l'assonance et de la n'avaient pas étéform ulées, la seule voie historique-
proportion. Bref, leur angoisse de certitude les conduit ment légitim eétaitcelle du m aniérism e. Du point de
au suicide. D'autres tombent dans l'erreur inverse et vue théorique, il n'y avait aucune objection à faire ;
plutôt que d'accepter le langage moderne, ils exaltent bien au contraire, vive le m aniérism equi laïcise les
la remise en question totale, le chaos, l'anticulture, le poétiques des artistes de génieen touchant à leurs fon-
refus de tout système de communication et de vérifi- dements, et les dépouillede l'attitude messianique d'un
cation. Wright ou du dogmatisme d'un Le Corbusier. Si le
Les étap esdu développem entde la musique sont m aniérism epouvait rendre ces poétiques populaires et
claires : atonalité, déstructurationexpressionniste, puis accessibles à tous, il n'y aurait absolument plus besoin
rationalisme dodécaphoniqueet enfin musique post- de codifier le langage architectural. Malheureusement,
dodécaphonique et asériellequi éch app e à la rigueur ce n'est pas le cas. Le m aniérism e ne divulgue et ne
rationaliste sans toutefois retourner au chaos. Dans le dém ocratise rien ; il s'agit d'une opérationhautement
domaine de l'architecture, ces étap es sont moins évi- intellectuelle mais presque intransmissible. Pensons à
dentes parce que la remise en question expressionniste Rosso Fiorentino ou à Pontormo, aux rares disciples
(Gaudi et plus tard, Mendelsohn) ne précède pas le de Michel-Ange et de Borromini ou bien de Wright,
rationalisme mais se développeen même temps que Le Corbusier ou Mendelsohn : ils ne sont que quelques
lui. C'est pourquoi la phase post-rationaliste organique dizaines dans lemonde. Pour quelle raison ? Les
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opté pour les prismes ferm és et trahi la poétiquedes
espaces fluides qui découlaient des plans libres du
T estdanspleine de réminiscencesexpressionnistes surtout
les formes ondulantes d'Aalto. La chapelle de
mouvement De Stijl, ou Gropius qui, dans le groupe Ronchamp elle-même est un m élange d'expression-
de travail am éricain, avait ab ando n n é la m éthode de nisme et d'art informel avec quelques élém entsde
décom position des blocs en volumes fonctionnels, «persuasion baroque » dans les éclairagestantôt sédui-
gloire du Bauhaus. Même Le Corbusier qui après Ron- sants tantôt outranciers. Le retour au sein maternel
champ, s'était libéréde ses engagements didactiques et offre donc deux possibilités : d'une part, le classicisme
s'était isolé, a répudié ses enfants et ses petits-enfants académ ique, d'autre part, l'expressionnisme pseudo-
après les avoir obligés à suivre la « manièrecorbusé- baroque qui peut sembler plus complexe et plus fasci-
enne », celle du couvent de La Tourette et de Chan- nant mais qui n'est pas moins naïf et régressifque le
digarh. premier.
Ainsi, il n'y a plus d'image paternelle. Il faut deve-
nir adulte, se libérer de la tutelle des « grands », parler
un langage autonome, c'est-à-dire codifié qui dérive 2. Maniérismeet langage
naturellement de l'œuvre des m aîtresmais qui n'est
plus dom iné par leurs poétiques individuelles et leurs Est-il vraiment indispensable de disposer d'un lan-
personnalités écrasantes. gage codifié? Et pourquoi n'est-il pas suffisant de
Existe-t-il une autre possibilité? Aucune qui ne s'inspirer des chefs-d'œuvre des m aîtres puisque c'est
réitère l'infantilisme jusqu'au grotesque. Orphelins d'eux qu'on a tiréles sept invariants ? Pourquoi faut-
d ésem p aréspar l'absence de référenceau père, certains il subir la m édiation — nécessairem ent réductive—
architectes essayent de rentrer dans le giron de l'acadé- du langage, au lieu de puiser directement à la source ?
mie, de l'idéologiedu classicisme im poséepar le pou- Certes, tant que les constantes du langage moderne
voir, des dogmes géom étriques, de l'assonance et de la n'avaient pas étéform ulées, la seule voie historique-
proportion. Bref, leur angoisse de certitude les conduit ment légitim eétaitcelle du m aniérism e. Du point de
au suicide. D'autres tombent dans l'erreur inverse et vue théorique, il n'y avait aucune objection à faire ;
plutôt que d'accepter le langage moderne, ils exaltent bien au contraire, vive le m aniérism equi laïcise les
la remise en question totale, le chaos, l'anticulture, le poétiques des artistes de génieen touchant à leurs fon-
refus de tout système de communication et de vérifi- dements, et les dépouillede l'attitude messianique d'un
cation. Wright ou du dogmatisme d'un Le Corbusier. Si le
Les étap esdu développem entde la musique sont m aniérism epouvait rendre ces poétiques populaires et
claires : atonalité, déstructurationexpressionniste, puis accessibles à tous, il n'y aurait absolument plus besoin
rationalisme dodécaphoniqueet enfin musique post- de codifier le langage architectural. Malheureusement,
dodécaphonique et asériellequi éch app e à la rigueur ce n'est pas le cas. Le m aniérism e ne divulgue et ne
rationaliste sans toutefois retourner au chaos. Dans le dém ocratise rien ; il s'agit d'une opérationhautement
domaine de l'architecture, ces étap es sont moins évi- intellectuelle mais presque intransmissible. Pensons à
dentes parce que la remise en question expressionniste Rosso Fiorentino ou à Pontormo, aux rares disciples
(Gaudi et plus tard, Mendelsohn) ne précède pas le de Michel-Ange et de Borromini ou bien de Wright,
rationalisme mais se développeen même temps que Le Corbusier ou Mendelsohn : ils ne sont que quelques
lui. C'est pourquoi la phase post-rationaliste organique dizaines dans lemonde. Pour quelle raison ? Les
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maniéristes agissent sur les résultats, sur les produits 3. Succession historique des invariants
finis et négligent les processus qui les ont déterminés.
On a parlé à leur propos de « discours sur le dis- La séquence des sept invariants peut-elle être modi-
cours » : ils travaillent sur les formes, pas sur la struc- fiée à volonté ? Par exemple, peut-on placer la réinté-
ture et la formation ; ils les commentent et les gration avant la tridimensionnalité antiperspective ou
déforment d'une manière subtile mais limitée et aristo- la temporalisation de l'espace avant l'inventaire ?
cratique. Les œuvres des maîtres proviennent de la vie Une telle hypothèse ne tient pas compte de la genèse
réelle ; les œuvres des maniéristes sont tirées de celles historique et du développement graduel du langage.
des maîtres. Les maîtres déstructurent continuellement Les invariants ne sont pas des axiomes atemporels, des
le code, repartent de zéro, reviennent à l'inventaire, vérités absolues mais des étapes caractérisées par des
c'est-à-dire directement aux fonctions. Au contraire, expériences précises. William Morris déstructure le
les maniéristes perçoivent la réalité à travers le filtre code classique, le remet à zéro, se bat pour l'inventaire
d'images sélectionnées et épurées, c'est pourquoi ils se ou analyse des fonctions, se libère de tous les canons
lassent vite et sont absorbés par l'académie toujours de la symétrie, des proportions, ordres, axes, aligne-
aux aguets (néo-seizième siècle, néo-classicisme, néo- ments, rapports entre les pleins et les vides. La disso-
historicisme contemporain). nance représente un stade plus avancé car i l ne suffit
Il ne faut surtout pas oublier la tare génétique du plus de noter les différences fonctionnelles mais i l faut
maniérisme qui, pour corrompre les modèles clas- en prendre conscience et souligner les oppositions. I l
siques, les arracher furieusement ou les désarticuler est donc bien évident que ces deux premiers invariants
avec une certaine ironie, est obligé de les préserver car ne sont pas interchangeables. La tridimensionnalité
ils sont les emblèmes d'une sacralité qu'il faut démy- antiperspective se développe avec l'expressionnisme et
thifier ; pour contester une autorité, i l faut d'abord la surtout avec le cubisme, quand l'objet n'est plus
reconnaître. Les exceptions, les dissonances manié- observé d'un point de vue unique et privilégié mais, de
ristes présupposent la tyrannie des consonances clas- manière dynamique, d'un nombre infini de points de
siques. En effet, on ne peut pratiquer aucune sorte de vue. La décomposition quadridimensionnelle — syn-
maniérisme sur des méthodologies créatives anti-clas- taxe analytique du groupe De Stijl — en est la consé-
siques comme celles de Michel-Ange, Borromini ou quence logique. Comment le mouvement De Stijl
Wright. Si l'emprise despotique de l'académie ne pourrait-il précéder le cubisme puisqu'il est justement
s'exerce pas, les maniéristes n'ont plus rien à une de ses applications ? Le cinquième invariant, c'est-
combattre et leurs invectives se réduisent à de simples à-dire l'agencement de chaque élément d'architecture
marmonnements. dans le jeu structural pourrait éventuellement être
déplacé car i l concerne tout le développement de la
Le passage de l'écriture des maîtres au langage
technique moderne : toutefois, Wright (dans les huit
populaire ne se fait donc pas, ne peut se faire sans
dessins reproduits supra, fig. 13, p. 52) établit une cor-
médiation. I l serait absurde de dire aux gens : « Re-
rélation entre ce dernier invariant et la poétique des
montez aux sources, lisez La Divine Comédie et vous
porte-à-faux, la décomposition de la boîte en plans dis-
apprendrez l'italien. » Si une langue doit être parlée
sonants. Quant à la temporalisation de l'espace, elle se
par tous, il est nécessaire de dégager des œuvres des
trouve à la sixième place et i l ne pourrait en être autre-
poètes, les invariants qui permettent de communiquer,
ment étant donné qu'elle applique l'opération volumé-
même au niveau de la prose quotidienne.

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maniéristes agissent sur les résultats, sur les produits 3. Succession historique des invariants
finis et négligent les processus qui les ont déterminés.
On a parlé à leur propos de « discours sur le dis- La séquence des sept invariants peut-elle être modi-
cours » : ils travaillent sur les formes, pas sur la struc- fiée à volonté ? Par exemple, peut-on placer la réinté-
ture et la formation ; ils les commentent et les gration avant la tridimensionnalité antiperspective ou
déforment d'une manière subtile mais limitée et aristo- la temporalisation de l'espace avant l'inventaire ?
cratique. Les œuvres des maîtres proviennent de la vie Une telle hypothèse ne tient pas compte de la genèse
réelle ; les œuvres des maniéristes sont tirées de celles historique et du développement graduel du langage.
des maîtres. Les maîtres déstructurent continuellement Les invariants ne sont pas des axiomes atemporels, des
le code, repartent de zéro, reviennent à l'inventaire, vérités absolues mais des étapes caractérisées par des
c'est-à-dire directement aux fonctions. Au contraire, expériences précises. William Morris déstructure le
les maniéristes perçoivent la réalité à travers le filtre code classique, le remet à zéro, se bat pour l'inventaire
d'images sélectionnées et épurées, c'est pourquoi ils se ou analyse des fonctions, se libère de tous les canons
lassent vite et sont absorbés par l'académie toujours de la symétrie, des proportions, ordres, axes, aligne-
aux aguets (néo-seizième siècle, néo-classicisme, néo- ments, rapports entre les pleins et les vides. La disso-
historicisme contemporain). nance représente un stade plus avancé car i l ne suffit
Il ne faut surtout pas oublier la tare génétique du plus de noter les différences fonctionnelles mais i l faut
maniérisme qui, pour corrompre les modèles clas- en prendre conscience et souligner les oppositions. I l
siques, les arracher furieusement ou les désarticuler est donc bien évident que ces deux premiers invariants
avec une certaine ironie, est obligé de les préserver car ne sont pas interchangeables. La tridimensionnalité
ils sont les emblèmes d'une sacralité qu'il faut démy- antiperspective se développe avec l'expressionnisme et
thifier ; pour contester une autorité, i l faut d'abord la surtout avec le cubisme, quand l'objet n'est plus
reconnaître. Les exceptions, les dissonances manié- observé d'un point de vue unique et privilégié mais, de
ristes présupposent la tyrannie des consonances clas- manière dynamique, d'un nombre infini de points de
siques. En effet, on ne peut pratiquer aucune sorte de vue. La décomposition quadridimensionnelle — syn-
maniérisme sur des méthodologies créatives anti-clas- taxe analytique du groupe De Stijl — en est la consé-
siques comme celles de Michel-Ange, Borromini ou quence logique. Comment le mouvement De Stijl
Wright. Si l'emprise despotique de l'académie ne pourrait-il précéder le cubisme puisqu'il est justement
s'exerce pas, les maniéristes n'ont plus rien à une de ses applications ? Le cinquième invariant, c'est-
combattre et leurs invectives se réduisent à de simples à-dire l'agencement de chaque élément d'architecture
marmonnements. dans le jeu structural pourrait éventuellement être
déplacé car i l concerne tout le développement de la
Le passage de l'écriture des maîtres au langage
technique moderne : toutefois, Wright (dans les huit
populaire ne se fait donc pas, ne peut se faire sans
dessins reproduits supra, fig. 13, p. 52) établit une cor-
médiation. I l serait absurde de dire aux gens : « Re-
rélation entre ce dernier invariant et la poétique des
montez aux sources, lisez La Divine Comédie et vous
porte-à-faux, la décomposition de la boîte en plans dis-
apprendrez l'italien. » Si une langue doit être parlée
sonants. Quant à la temporalisation de l'espace, elle se
par tous, il est nécessaire de dégager des œuvres des
trouve à la sixième place et i l ne pourrait en être autre-
poètes, les invariants qui permettent de communiquer,
ment étant donné qu'elle applique l'opération volumé-
même au niveau de la prose quotidienne.

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trique du cubisme aux creux, aux vides vécus, aux Corbusier ? Ilexplore tous les invariants mais pas
lieux spécifiquesde l'architecture. Enfin, il est inutile sim ultaném ent ; dans les œuvres rationalistes, l'inven-
de dire qu'on ne peut réintégrer ce qui n'a pas été taire et la réintégration(splendide et vigoureuse cepen-
auparavant séparé, sinon il s'agirait d'une intégration dant dans le plan d'Alger) sont absents ; il procède
a priori et on retomberait dans le classicisme. rarement à la décom positionet quand il le fait, c'est
Pour conclure, nous pouvons dire que la sériedes dans un sens puriste et d'une manière inhibée; à Ron-
sept invariants, fixéepar un processus historique qui champ, ilinventorie et réintègre, exalte la tridimen-
s'est développé pendant plus d'un siècle, ne peut être sionnalitéantiperspective et tem poralisél'espace : il
m odifiée sans causer de graves inconvénients. Tout casse, mais il ne d écom po sepas.
architecte doit parcourir les différentes étap es de cet On peut trouver les sept invariants tous ensemble
itinéraireet se référer constamment aux invariants pré- dans plusieurs œuvres de Wright et, de façonoptimale,
cédents, sans en omettre aucun, c'est-à-dire à l'inven- dans la « maison sur la cascade », qui est La Divine
taire, à la remise à zérodes conventions et des phrases Comédiedu langage moderne de l'architecture.
toutes faites, à la déstructurationradicale du discours
architectural.
Le langage moderne permet une critique précise, 4. Equivoques à propos du rapport langue/parole
presque sans pitiéet, un peu comme du papier de tour-
nesol, il sert à déterm iner scientifiquement si une poé- Les recherches sém iotiquesutilisent souvent des ins-
tique est actuelle ou pas. Prenons par exemple, le cas truments nouveaux pour des finalitésanciennes et, de
d'Alvar Aalto : inventaire, dissonances, tridimension- ce fait, favorisent involontairement le retour à l'aca-
nalité antiperspective, porte-à-faux, temporalisation dém ie.
spatiale, réintégration: on trouve six invariants magni- La première équivoqueconsiste à exclure de la codi-
fiquement appliqués. Toutefois la décom positionqua- fication linguistique les chefs-d'œuvre, les œuvres
dridimensionnelle est absente, si bien que — comme exceptionnelles, les produits des génies créateurs et à
nous l'avons déjà dit —sa réintégrationapparaît discu- ne prendre en considération que les édifices « typi-
table car elle repose sur des rém iniscences de thèmes ques » ou«paradigmatiques » qui représentent la
expressionnistes et baroques. moyenne standard de l'architecture. On négligeainsi
Il n'est pas nécessaired'appliquer tous les invariants le fait que, en l'absence d'un code capable de le diffu-
mais il est indispensable de respecter leur progression. ser, le langage moderne n'a pas pu influencer beaucoup
Mackintosh est un grand poète et pourtant il s'arrête à la construction courante qui se limite à communiquer
l'inventaire. L'œuvre de Gropius est caractériséepar une p en séevague et peu significative. En excluant les
l'inventaire, les dissonances, la tridim ensionnalitéanti- chefs-d'œuvre, on ém asculele langage moderne : il ne
perspective et la décom positionvolum étriquemais il reste que la m édiocrité qui est toujours académ ique. Il
ignore l'espace tem poraliséet la réintégration. Dans faut donc suivre un processus inverse et tirer les règles
les œuvres que Mies a réalisées en Europe, on assiste des exceptions car c'est seulement en elles que s'in-
au triomphe de la décom positionet de la dynamique carne totalement le nouveau langage.
spatiale qui en découle; aux État-U nis, il oublie l'in- L'italien, d'ailleurs, a étéform alisésur la base des
ventaire et les dissonances, puis la tridim ensionnalité textes fondamentaux, àcommencer par La Divine
antiperspective et il retombe dans l'académ ie. Et Le comédie; puis, une fois structurée, la langue fut assi-
86 87
trique du cubisme aux creux, aux vides vécus, aux Corbusier ? Ilexplore tous les invariants mais pas
lieux spécifiquesde l'architecture. Enfin, il est inutile sim ultaném ent ; dans les œuvres rationalistes, l'inven-
de dire qu'on ne peut réintégrer ce qui n'a pas été taire et la réintégration(splendide et vigoureuse cepen-
auparavant séparé, sinon il s'agirait d'une intégration dant dans le plan d'Alger) sont absents ; il procède
a priori et on retomberait dans le classicisme. rarement à la décom positionet quand il le fait, c'est
Pour conclure, nous pouvons dire que la sériedes dans un sens puriste et d'une manière inhibée; à Ron-
sept invariants, fixéepar un processus historique qui champ, ilinventorie et réintègre, exalte la tridimen-
s'est développé pendant plus d'un siècle, ne peut être sionnalitéantiperspective et tem poralisél'espace : il
m odifiée sans causer de graves inconvénients. Tout casse, mais il ne d écom po sepas.
architecte doit parcourir les différentes étap es de cet On peut trouver les sept invariants tous ensemble
itinéraireet se référer constamment aux invariants pré- dans plusieurs œuvres de Wright et, de façonoptimale,
cédents, sans en omettre aucun, c'est-à-dire à l'inven- dans la « maison sur la cascade », qui est La Divine
taire, à la remise à zérodes conventions et des phrases Comédiedu langage moderne de l'architecture.
toutes faites, à la déstructurationradicale du discours
architectural.
Le langage moderne permet une critique précise, 4. Equivoques à propos du rapport langue/parole
presque sans pitiéet, un peu comme du papier de tour-
nesol, il sert à déterm iner scientifiquement si une poé- Les recherches sém iotiquesutilisent souvent des ins-
tique est actuelle ou pas. Prenons par exemple, le cas truments nouveaux pour des finalitésanciennes et, de
d'Alvar Aalto : inventaire, dissonances, tridimension- ce fait, favorisent involontairement le retour à l'aca-
nalité antiperspective, porte-à-faux, temporalisation dém ie.
spatiale, réintégration: on trouve six invariants magni- La première équivoqueconsiste à exclure de la codi-
fiquement appliqués. Toutefois la décom positionqua- fication linguistique les chefs-d'œuvre, les œuvres
dridimensionnelle est absente, si bien que — comme exceptionnelles, les produits des génies créateurs et à
nous l'avons déjà dit —sa réintégrationapparaît discu- ne prendre en considération que les édifices « typi-
table car elle repose sur des rém iniscences de thèmes ques » ou«paradigmatiques » qui représentent la
expressionnistes et baroques. moyenne standard de l'architecture. On négligeainsi
Il n'est pas nécessaired'appliquer tous les invariants le fait que, en l'absence d'un code capable de le diffu-
mais il est indispensable de respecter leur progression. ser, le langage moderne n'a pas pu influencer beaucoup
Mackintosh est un grand poète et pourtant il s'arrête à la construction courante qui se limite à communiquer
l'inventaire. L'œuvre de Gropius est caractériséepar une p en séevague et peu significative. En excluant les
l'inventaire, les dissonances, la tridim ensionnalitéanti- chefs-d'œuvre, on ém asculele langage moderne : il ne
perspective et la décom positionvolum étriquemais il reste que la m édiocrité qui est toujours académ ique. Il
ignore l'espace tem poraliséet la réintégration. Dans faut donc suivre un processus inverse et tirer les règles
les œuvres que Mies a réalisées en Europe, on assiste des exceptions car c'est seulement en elles que s'in-
au triomphe de la décom positionet de la dynamique carne totalement le nouveau langage.
spatiale qui en découle; aux État-U nis, il oublie l'in- L'italien, d'ailleurs, a étéform alisésur la base des
ventaire et les dissonances, puis la tridim ensionnalité textes fondamentaux, àcommencer par La Divine
antiperspective et il retombe dans l'académ ie. Et Le comédie; puis, une fois structurée, la langue fut assi-
86 87
milée à tous les niveaux et même dans la prose les dissonances... ' » En architecture, ce sont les règles
commune. On peut faire de même en architecture : les académiques et non pas les invariants modernes qui
invariants tirés des chefs-d'œuvre peuvent être sont arbitraires et incongrus. Adorno dit encore : « La
appliqués correctement même par des constructeurs suprématie de la dissonance semble détruire les rap-
très modestes, mais i l est vain de vouloir les trouver ports rationnels « logiques » qui existent à l'intérieur
dans des œuvres « typiques » ou « paradigmatiques » de la tonalité (lire : symétrie, proportion, schéma géo-
qui sont telles justement parce qu'elles ne les contien- métrique, harmonie des pleins et des vides, équilibre
nent pas. des masses, rapports axiaux et alignements perspectifs,
Il est vrai que le peuple parlait l'italien bien avant etc.), c'est-à-dire les relations simples des accords par-
que l'on tire sa codification de la langue de La Divine faits. En ce sens cependant, la dissonance est encore
Comédie. I l se produit quelque chose d'analogue en plus rationnelle que la consonance car elle met en évi-
architecture ; en effet, dans les maisons des paysans, dence, de manière articulée quoique complexe, les rela-
dans les constructions utilitaires, dans les patois, bref tions entre les sons qui la composent au lieu d'atteindre
dans les « architectures sans architectes », les sept à l'unité grâce à un mélange « homogène » qui sup-
invariants sont souvent employés spontanément. La prime les éléments partiels qu'elle contient... » Appli- 2

Divine Comédie provient de la langue vulgaire et rend quons ce principe à l'architecture : les phrases toutes
légitime cette impulsion qui vient du bas et qui, une faites, conventionnelles, sans valeur sémantique sont
fois codifiée, débouche sur la langue italienne. De toujours consonantes, tonales et classiques tandis que
même, la « maison sur la cascade » est le résultat d'un les messages significatifs qui expriment les choses, les
long labeur qui vise à déstructurer les classifications réalités et les comportements sont dissonants. I l faut
académiques rigides et jette les bases d'un langage éviter aussi de commettre la grave erreur qui consiste à
populaire, accessible à tous. croire, comme les maniéristes, que la dissonance n'est
Certains sémiologues insistent sur le fait que l'archi- possible que si on l'oppose à la consonance, ce qui la
tecture est faite de règles et d'exceptions et que nous réduirait à une exception à la règle de la tonalité. Ce
ne pouvons codifier que les règles. Lesquelles ? Étant n'est pas vrai du tout. Adorno continue : « Les nou-
donné que le langage moderne n'est composé que veaux accords ne sont pas les successeurs inoffensifs
d'exceptions, « les règles » ne peuvent être que celles des anciennes consonances mais ils s'en distinguent en
de l'académie et, si on les codifie, on risque de revenir ce sens que leur unité est totalement articulée en elle-
aux préjugés des Beaux-Arts : l'assonance comme même : les différents sons de l'accord s'unissent pour
règle, la dissonance comme exception. Tout le former cet accord mais, à l'intérieur de l'accord, ce
contraire de ce que préconise la musique moderne qui sont des sons distincts les uns des autres. De cette
fixe la règle justement dans les dissonances. Théodor manière, ils continuent à former une dissonance, non
Adorno l'explique très bien : « Le stade le plus avancé pas par rapport aux consonances qui ont été éliminées,
des procédés musicaux indique une ligne à suivre à mais en eux-mêmes . » 3

côté de laquelle les accords traditionnels (lire : clas-


siques) apparaissent comme des clichés impuissants. 1. Cf. Max Horkheimer et Theodor W. Adomo, Dialektik der Aufklà-
Dans certaines compositions modernes, on trouve de rung, 1947. (Traduction française : La dialectique de la Raison, Paris,
temps en temps des accords sur un mode tonal et ce N.R.F., coll. « I d é e s » , 1974.)
2. M., ibid.
sont ces accords parfaits qui sont cacophoniques, pas 3. Id, ibid.

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milée à tous les niveaux et même dans la prose les dissonances... ' » En architecture, ce sont les règles
commune. On peut faire de même en architecture : les académiques et non pas les invariants modernes qui
invariants tirés des chefs-d'œuvre peuvent être sont arbitraires et incongrus. Adorno dit encore : « La
appliqués correctement même par des constructeurs suprématie de la dissonance semble détruire les rap-
très modestes, mais i l est vain de vouloir les trouver ports rationnels « logiques » qui existent à l'intérieur
dans des œuvres « typiques » ou « paradigmatiques » de la tonalité (lire : symétrie, proportion, schéma géo-
qui sont telles justement parce qu'elles ne les contien- métrique, harmonie des pleins et des vides, équilibre
nent pas. des masses, rapports axiaux et alignements perspectifs,
Il est vrai que le peuple parlait l'italien bien avant etc.), c'est-à-dire les relations simples des accords par-
que l'on tire sa codification de la langue de La Divine faits. En ce sens cependant, la dissonance est encore
Comédie. I l se produit quelque chose d'analogue en plus rationnelle que la consonance car elle met en évi-
architecture ; en effet, dans les maisons des paysans, dence, de manière articulée quoique complexe, les rela-
dans les constructions utilitaires, dans les patois, bref tions entre les sons qui la composent au lieu d'atteindre
dans les « architectures sans architectes », les sept à l'unité grâce à un mélange « homogène » qui sup-
invariants sont souvent employés spontanément. La prime les éléments partiels qu'elle contient... » Appli- 2

Divine Comédie provient de la langue vulgaire et rend quons ce principe à l'architecture : les phrases toutes
légitime cette impulsion qui vient du bas et qui, une faites, conventionnelles, sans valeur sémantique sont
fois codifiée, débouche sur la langue italienne. De toujours consonantes, tonales et classiques tandis que
même, la « maison sur la cascade » est le résultat d'un les messages significatifs qui expriment les choses, les
long labeur qui vise à déstructurer les classifications réalités et les comportements sont dissonants. I l faut
académiques rigides et jette les bases d'un langage éviter aussi de commettre la grave erreur qui consiste à
populaire, accessible à tous. croire, comme les maniéristes, que la dissonance n'est
Certains sémiologues insistent sur le fait que l'archi- possible que si on l'oppose à la consonance, ce qui la
tecture est faite de règles et d'exceptions et que nous réduirait à une exception à la règle de la tonalité. Ce
ne pouvons codifier que les règles. Lesquelles ? Étant n'est pas vrai du tout. Adorno continue : « Les nou-
donné que le langage moderne n'est composé que veaux accords ne sont pas les successeurs inoffensifs
d'exceptions, « les règles » ne peuvent être que celles des anciennes consonances mais ils s'en distinguent en
de l'académie et, si on les codifie, on risque de revenir ce sens que leur unité est totalement articulée en elle-
aux préjugés des Beaux-Arts : l'assonance comme même : les différents sons de l'accord s'unissent pour
règle, la dissonance comme exception. Tout le former cet accord mais, à l'intérieur de l'accord, ce
contraire de ce que préconise la musique moderne qui sont des sons distincts les uns des autres. De cette
fixe la règle justement dans les dissonances. Théodor manière, ils continuent à former une dissonance, non
Adorno l'explique très bien : « Le stade le plus avancé pas par rapport aux consonances qui ont été éliminées,
des procédés musicaux indique une ligne à suivre à mais en eux-mêmes . » 3

côté de laquelle les accords traditionnels (lire : clas-


siques) apparaissent comme des clichés impuissants. 1. Cf. Max Horkheimer et Theodor W. Adomo, Dialektik der Aufklà-
Dans certaines compositions modernes, on trouve de rung, 1947. (Traduction française : La dialectique de la Raison, Paris,
temps en temps des accords sur un mode tonal et ce N.R.F., coll. « I d é e s » , 1974.)
2. M., ibid.
sont ces accords parfaits qui sont cacophoniques, pas 3. Id, ibid.

88 89
Combien d ' a n n é e s , combien de décennies faudra-t-il points communs entre l'italien du x v siècle et ce latin
e

encore pour convaincre les architectes d'une chose qui, de cour ?


depuis longtemps, est un fait acquis en musique ? Ils Le rapport « langue/parole » établi par Ferdinand de
ont peur de la liberté, exigent la cohérence harmonique Saussure a entraîné de nombreuses équivoques dans
1

à tout prix et, comme la vie est pleine de dissonances, la linguistique architecturale et ce pour deux raisons :
ils préfèrent l'inhiber grâce à un ordre a priori. Les premièrement, la langue a été interprétée non pas
Italiens surtout pratiquent l'autocensure et appauvris- comme la langue concrète des œuvres mais, au
sent le langage. Ils feraient bien d'inscrire ce passage contraire, comme l'idéologie formelle des Beaux-Arts ;
d'Adorno sur les murs de leur bureau : « Le culte de la deuxièmement, les « paroles », c'est-à-dire les actes
cohérence conduit à l'idolâtrie. Le matériel n'est plus créatifs, ont été, par conséquent, interprétés comme des
façonné et articulé à des fins artistiques, au contraire, exceptions ou des anomalies q u ' i l fallait exclure et non
c'est son organisation préétablie qui devient un but pas assimiler dans la langue. Dans le langage verbal,
artistique : la palette prend la place du tableau. » En les « paroles » passent de l'état initial d'exception au
architecture, la palette, c'est tout l'attirail fétichiste de niveau normal de la « langue » ; en architecture, au
la symétrie, de la proportion, de la perspective, de la contraire, elles restent toujours des exceptions parce
que la langue du classicisme n'est pas une vraie « lan-
monumentalité inspirée par le pouvoir.
gue » mais une abstraction théorique, réfractaire à toute
D'autres sémiologues affirment que ce ne sont pas
nouveauté. Quelles « paroles » de Michel-Ange ou de
les différences entre le langage classique et le langage
Borromini ont réussi à pénétrer dans le langage du
anticlassique qui nous intéressent mais les éléments
classicisme ? Aucune, comme on pouvait s'y attendre
qu'ils ont en commun. Cette thèse est plausible seule- car i l s'agit d'une pseudo-« langue » cristallisée par
ment en apparence car elle oublie que le classicisme nature. On peut dire la m ê m e chose pour Wright. Le
n'est pas un langage mais une idéologie linguistique Corbusier, Gropius, Mies, Mendelsohn, Aalto, dont les
qui n'a pas d'équivalents dans la phénoménologie « p a r o l e s » n'ont jamais entamé l'engrenage des
architecturale du monde gréco-romain et de la Renais- Beaux-Arts.
sance. Voilà le n œ u d de la question : nier la différence
Les difficultés que l ' o n rencontre quand on parle
qui existe entre la théorie architecturale et les expé-
avec des saussuriens dérivent de l'équivoque suivante :
riences réelles, entre les interprétations abstraites des
ils affirment que la « langue » architecturale est celle
Beaux-Arts et le langage concret grec, romain et de la
du classicisme, or nous savons que c'est celle de l'anti-
Renaissance, signifie exploiter la sémiotique à des fins classicisme, aujourd'hui comme dans le passé. C'est
réactionnaires. A u lieu d'essayer de trouver des points pourquoi le langage architectural est pour nous
communs entre ce qui est classique et ce qui est anti- composé seulement de « paroles », d'exceptions, de
classique, i l faut constater que les architectes valables, dissonances alors que pour eux, les « paroles » ne peu-
anciens ou contemporains, sont tous anticlassiques. On vent exister sans une « langue » et, en l'absence de
pourrait peut-être assimiler le classicisme en tant que cette « langue », les « paroles » se réfèrent à la non-
superstructure artificielle du pouvoir, au latin pompeux « langue » du classicisme, ce qui entraîne des résultats
que le x v siècle avait e x h u m é et qui était employé par
c désastreux.
une élite qui tendait à éluder les problèmes d'un lan-
gage vital. Ne serait-il pas absurde de chercher des 1. Cf. Le Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1949.

90 91
Combien d ' a n n é e s , combien de décennies faudra-t-il points communs entre l'italien du x v siècle et ce latin
e

encore pour convaincre les architectes d'une chose qui, de cour ?


depuis longtemps, est un fait acquis en musique ? Ils Le rapport « langue/parole » établi par Ferdinand de
ont peur de la liberté, exigent la cohérence harmonique Saussure a entraîné de nombreuses équivoques dans
1

à tout prix et, comme la vie est pleine de dissonances, la linguistique architecturale et ce pour deux raisons :
ils préfèrent l'inhiber grâce à un ordre a priori. Les premièrement, la langue a été interprétée non pas
Italiens surtout pratiquent l'autocensure et appauvris- comme la langue concrète des œuvres mais, au
sent le langage. Ils feraient bien d'inscrire ce passage contraire, comme l'idéologie formelle des Beaux-Arts ;
d'Adorno sur les murs de leur bureau : « Le culte de la deuxièmement, les « paroles », c'est-à-dire les actes
cohérence conduit à l'idolâtrie. Le matériel n'est plus créatifs, ont été, par conséquent, interprétés comme des
façonné et articulé à des fins artistiques, au contraire, exceptions ou des anomalies q u ' i l fallait exclure et non
c'est son organisation préétablie qui devient un but pas assimiler dans la langue. Dans le langage verbal,
artistique : la palette prend la place du tableau. » En les « paroles » passent de l'état initial d'exception au
architecture, la palette, c'est tout l'attirail fétichiste de niveau normal de la « langue » ; en architecture, au
la symétrie, de la proportion, de la perspective, de la contraire, elles restent toujours des exceptions parce
que la langue du classicisme n'est pas une vraie « lan-
monumentalité inspirée par le pouvoir.
gue » mais une abstraction théorique, réfractaire à toute
D'autres sémiologues affirment que ce ne sont pas
nouveauté. Quelles « paroles » de Michel-Ange ou de
les différences entre le langage classique et le langage
Borromini ont réussi à pénétrer dans le langage du
anticlassique qui nous intéressent mais les éléments
classicisme ? Aucune, comme on pouvait s'y attendre
qu'ils ont en commun. Cette thèse est plausible seule- car i l s'agit d'une pseudo-« langue » cristallisée par
ment en apparence car elle oublie que le classicisme nature. On peut dire la m ê m e chose pour Wright. Le
n'est pas un langage mais une idéologie linguistique Corbusier, Gropius, Mies, Mendelsohn, Aalto, dont les
qui n'a pas d'équivalents dans la phénoménologie « p a r o l e s » n'ont jamais entamé l'engrenage des
architecturale du monde gréco-romain et de la Renais- Beaux-Arts.
sance. Voilà le n œ u d de la question : nier la différence
Les difficultés que l ' o n rencontre quand on parle
qui existe entre la théorie architecturale et les expé-
avec des saussuriens dérivent de l'équivoque suivante :
riences réelles, entre les interprétations abstraites des
ils affirment que la « langue » architecturale est celle
Beaux-Arts et le langage concret grec, romain et de la
du classicisme, or nous savons que c'est celle de l'anti-
Renaissance, signifie exploiter la sémiotique à des fins classicisme, aujourd'hui comme dans le passé. C'est
réactionnaires. A u lieu d'essayer de trouver des points pourquoi le langage architectural est pour nous
communs entre ce qui est classique et ce qui est anti- composé seulement de « paroles », d'exceptions, de
classique, i l faut constater que les architectes valables, dissonances alors que pour eux, les « paroles » ne peu-
anciens ou contemporains, sont tous anticlassiques. On vent exister sans une « langue » et, en l'absence de
pourrait peut-être assimiler le classicisme en tant que cette « langue », les « paroles » se réfèrent à la non-
superstructure artificielle du pouvoir, au latin pompeux « langue » du classicisme, ce qui entraîne des résultats
que le x v siècle avait e x h u m é et qui était employé par
c désastreux.
une élite qui tendait à éluder les problèmes d'un lan-
gage vital. Ne serait-il pas absurde de chercher des 1. Cf. Le Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1949.

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5. Les sept invariants en urbanisme selon des schémas géométriques, avec des plans qua-
drillés ou en étoile ; leurs tracés oppressifs, despo-
L'urbanisme est tellement lié à l'architecture que le tiques, totalitaires inspirés par le pouvoir pour endiguer
terme « urbatecture » est parfaitement légitime. Les la vie sociale dans un « ordre » inflexible et impla-
sept invariants conviennent aussi bien à un édifice qu'à cable, n'ont heureusement pas été réalisés à part de
la ville et au territoire. L'inventaire n'est-il pas le pre- rares exceptions. La « cité idéale » a perturbé consi-
mier acte à accomplir pour rédiger un plan d'urbanis- dérablement, pendant des siècles, le psychisme des
me ? La dissonance n'est-elle pas indispensable pour urbanistes. Comme la société s'opposait à leurs pro-
interrompre la monotonie aliénante du zoning ? De grammes rigides de mégalomanes, ils se sont complus
même, la tridimensionnalité antiperspective sert à dans un complexe de persécution névrotique ; personne
combattre la manie des axes monumentaux, des qua- ne les appréciait ; le développement urbain ne tenait
drillages de rues, des places aux formes géométriques absolument pas compte de leurs plans ; les hommes
préétablies, carrées ou rectangulaires, circulaires ou politiques, les administrateurs, les entrepreneurs, tous
hexagonales. Décomposer la boîte équivaut à décom- — riches ou pauvres — montraient la plus profonde
poser le plan fermé de la ville classique. Et les espaces indifférence pour leurs dessins. A part quelques rares
temporalisés ? On peut les appliquer aussi bien à exceptions, les urbanistes n'ont jamais compris que les
l'échelle urbaine qu'au niveau architectural. Quant à la causes de leur échec étaient différentes : dépourvus de
réintégration, elle apparaît encore plus urgente et sensibilité en ce qui concerne la dynamique sociale
féconde pour revivifier des organismes sclérosés car mais poussés par leur suprême manie des grandeurs,
limités à des secteurs trop partiels. ils voulaient emprisonner la société dans des structures
Urbatecture. Réintégrer la ville, signifie refaire les figées, inhumaines, étouffantes. La preuve en est que
mailles du tissu urbain et stimuler les fonctions mul- les « cités idéales » ont été construites surtout en vue
tiples de ses coefficients. I l a été dit plus d'une fois de satisfaire à quatre fonctions emblématiques :
qu'une école est une structure qui fonctionne au ralenti casernes, asiles d'aliénés, prisons et cimetières. Les
si le plan d'urbanisme la relègue dans une zone isolée ; tracés quadrangulaires, circulaires, hexagonaux, en
elle est inutilisée pendant une grande partie de la jour- étoile, ont été pleinement réalisés dans les installations
née, pendant la nuit, les jours fériés et les vacances. militaires, à partir des castra romains et dans les éta-
Tous les édifices publics sont caractérisés par un blissements pénitentiaires, partout, en somme, où les
gaspillage semblable (théâtres, cinémas, ministères, hommes étaient enrégimentés ou détenus, de la prison
églises, etc.) qui ne peut être évité que si l'on réintègre de Regina Coeli à Rome à celle de San Vittore à
les fonctions éducatives, sociales, administratives, pro- Milano. La « cité idéale » n'est idéale que pour le
ductives, commerciales et récréatives dans un mode pouvoir.
d'organisation différent de la ville. En urbanisme Dans le domaine des fortifications aussi les esprits
comme en architecture, le langage moderne abhorre le rebelles ont anéanti le code géométrique ; il suffit de
gaspillage économique et culturel. mentionner ici Francesco di Giorgio, Sammicheli et
Un des multiples résultats du code anticlassique surtout les plans de Michel-Ange pour les fortifications
devrait être celui de guérir les urbanistes d'une frustra- de Florence de 1529. Le fait que les grands hérétiques
tion qui remonte au milieu du xv siècle au moins, à
c de l'histoire de l'architecture — Brunelleschi, Michel-
l'époque où l'on projetait des « cités idéales » conçues Ange, Palladio, Borromini — n'aient jamais établi de
92 93
5. Les sept invariants en urbanisme selon des schémas géométriques, avec des plans qua-
drillés ou en étoile ; leurs tracés oppressifs, despo-
L'urbanisme est tellement lié à l'architecture que le tiques, totalitaires inspirés par le pouvoir pour endiguer
terme « urbatecture » est parfaitement légitime. Les la vie sociale dans un « ordre » inflexible et impla-
sept invariants conviennent aussi bien à un édifice qu'à cable, n'ont heureusement pas été réalisés à part de
la ville et au territoire. L'inventaire n'est-il pas le pre- rares exceptions. La « cité idéale » a perturbé consi-
mier acte à accomplir pour rédiger un plan d'urbanis- dérablement, pendant des siècles, le psychisme des
me ? La dissonance n'est-elle pas indispensable pour urbanistes. Comme la société s'opposait à leurs pro-
interrompre la monotonie aliénante du zoning ? De grammes rigides de mégalomanes, ils se sont complus
même, la tridimensionnalité antiperspective sert à dans un complexe de persécution névrotique ; personne
combattre la manie des axes monumentaux, des qua- ne les appréciait ; le développement urbain ne tenait
drillages de rues, des places aux formes géométriques absolument pas compte de leurs plans ; les hommes
préétablies, carrées ou rectangulaires, circulaires ou politiques, les administrateurs, les entrepreneurs, tous
hexagonales. Décomposer la boîte équivaut à décom- — riches ou pauvres — montraient la plus profonde
poser le plan fermé de la ville classique. Et les espaces indifférence pour leurs dessins. A part quelques rares
temporalisés ? On peut les appliquer aussi bien à exceptions, les urbanistes n'ont jamais compris que les
l'échelle urbaine qu'au niveau architectural. Quant à la causes de leur échec étaient différentes : dépourvus de
réintégration, elle apparaît encore plus urgente et sensibilité en ce qui concerne la dynamique sociale
féconde pour revivifier des organismes sclérosés car mais poussés par leur suprême manie des grandeurs,
limités à des secteurs trop partiels. ils voulaient emprisonner la société dans des structures
Urbatecture. Réintégrer la ville, signifie refaire les figées, inhumaines, étouffantes. La preuve en est que
mailles du tissu urbain et stimuler les fonctions mul- les « cités idéales » ont été construites surtout en vue
tiples de ses coefficients. I l a été dit plus d'une fois de satisfaire à quatre fonctions emblématiques :
qu'une école est une structure qui fonctionne au ralenti casernes, asiles d'aliénés, prisons et cimetières. Les
si le plan d'urbanisme la relègue dans une zone isolée ; tracés quadrangulaires, circulaires, hexagonaux, en
elle est inutilisée pendant une grande partie de la jour- étoile, ont été pleinement réalisés dans les installations
née, pendant la nuit, les jours fériés et les vacances. militaires, à partir des castra romains et dans les éta-
Tous les édifices publics sont caractérisés par un blissements pénitentiaires, partout, en somme, où les
gaspillage semblable (théâtres, cinémas, ministères, hommes étaient enrégimentés ou détenus, de la prison
églises, etc.) qui ne peut être évité que si l'on réintègre de Regina Coeli à Rome à celle de San Vittore à
les fonctions éducatives, sociales, administratives, pro- Milano. La « cité idéale » n'est idéale que pour le
ductives, commerciales et récréatives dans un mode pouvoir.
d'organisation différent de la ville. En urbanisme Dans le domaine des fortifications aussi les esprits
comme en architecture, le langage moderne abhorre le rebelles ont anéanti le code géométrique ; il suffit de
gaspillage économique et culturel. mentionner ici Francesco di Giorgio, Sammicheli et
Un des multiples résultats du code anticlassique surtout les plans de Michel-Ange pour les fortifications
devrait être celui de guérir les urbanistes d'une frustra- de Florence de 1529. Le fait que les grands hérétiques
tion qui remonte au milieu du xv siècle au moins, à
c de l'histoire de l'architecture — Brunelleschi, Michel-
l'époque où l'on projetait des « cités idéales » conçues Ange, Palladio, Borromini — n'aient jamais établi de
92 93
plan d'urbanisme est particulièrement symptomatique.
Ils donnent une forme à des villes entières mais sans
contraintes a priori. Ils ont dialogué de manière intense
et passionnée avec l'organisme urbain, ils l'ont analysé
et en ont pris possession, ils ont calculé son développe-
ment selon les pôles d'activités, en faisant attention à
ne pas paralyser leur libre croissance. Paradoxalement,
on pourrait dire que les seules personnes inutiles dans
le domaine de l'urbanisme, ce sont les urbanistes.
Aurait-il été concevable qu'une ville comme Ferrare
au temps de la famille d'Esté eût été construite par un
urbaniste et non par un « urbatecte » comme Biagio
Rossetti ?
Le langage moderne répudie-t-il donc la planifica-
tion urbaine ? Certainement pas, mais i l refuse celle
du classicisme qui ne se base pas sur l'inventaire, les
dissonances, la vision antiperspective, la décomposi-
tion, l'espace temporalisé, la coordination organique.
Comment faut-il dresser les plans, gérer la ville et le
territoire ? On peut suivre l'exemple de l'expérience
artistique contemporaine qui refuse l'objet « fini » et
parcourt seulement la moitié du chemin nécessaire à la
représentation de l'image laissant à l'observateur le
soin de compléter lui-même le processus amorcé par
l'artiste. Comme l'architecture, et même encore plus,
l'urbanisme doit naître d'un dialogue fondé sur des
hypothèses ouvertes qui permettent à la société d'ap-
prouver, de modifier ou de réorienter selon ses exi-
gences multiples et complexes. I l s'agit de participer à
la vie de la ville de l'intérieur, non pas passivement
mais énergiquement, et d'intervenir de jour en jour,
sans les a priori autoritaires, rigides de l'« ordre » géo-
métrique.

97
plan d'urbanisme est particulièrement symptomatique.
Ils donnent une forme à des villes entières mais sans
contraintes a priori. Ils ont dialogué de manière intense
et passionnée avec l'organisme urbain, ils l'ont analysé
et en ont pris possession, ils ont calculé son développe-
ment selon les pôles d'activités, en faisant attention à
ne pas paralyser leur libre croissance. Paradoxalement,
on pourrait dire que les seules personnes inutiles dans
le domaine de l'urbanisme, ce sont les urbanistes.
Aurait-il été concevable qu'une ville comme Ferrare
au temps de la famille d'Esté eût été construite par un
urbaniste et non par un « urbatecte » comme Biagio
Rossetti ?
Le langage moderne répudie-t-il donc la planifica-
tion urbaine ? Certainement pas, mais i l refuse celle
du classicisme qui ne se base pas sur l'inventaire, les
dissonances, la vision antiperspective, la décomposi-
tion, l'espace temporalisé, la coordination organique.
Comment faut-il dresser les plans, gérer la ville et le
territoire ? On peut suivre l'exemple de l'expérience
artistique contemporaine qui refuse l'objet « fini » et
parcourt seulement la moitié du chemin nécessaire à la
représentation de l'image laissant à l'observateur le
soin de compléter lui-même le processus amorcé par
l'artiste. Comme l'architecture, et même encore plus,
l'urbanisme doit naître d'un dialogue fondé sur des
hypothèses ouvertes qui permettent à la société d'ap-
prouver, de modifier ou de réorienter selon ses exi-
gences multiples et complexes. I l s'agit de participer à
la vie de la ville de l'intérieur, non pas passivement
mais énergiquement, et d'intervenir de jour en jour,
sans les a priori autoritaires, rigides de l'« ordre » géo-
métrique.

97
6. Questions et réponsessur l'écriture entendu, un avant-projet ne permet pas d'évaluer le
architecturale degréd'approfondissement des dissonances ou de la
décom positionquadridimensionnelle. Toutefois, cette
La codification du langage moderne ne risque-t-elle m éthode critique est toujours valable : si l'on répond
pas de débouchersur un nouvel académisme?Lesnésept gativem ent à la question : « Peut-on à ce stade déve-
invariants ne tendent-ils pas à devenir des préceptes lopper le projet en respectant le principe des disso-
analogues à ceux des Beaux-Arts, quoique de signe nances et de la décom position? », cela signifie qu'il
opposé? s'agit d'un projet ferm é, réactionnaire, de type clas-
M entalitétypiquement latine : plutôt que de s'enga- sique, et qu'il faut l'abandonner. Dans la phase initiale,
ger dans l'expérim entation, on agite des spectres ima- l'inventaire est peut-être suffisant, mais il faut s'assu-
ginaires. Pourquoi ne pas essayer plutôt de faire un rer que la conception est assez ouverte pour accueillir
projet ou un cours de conception b asé sur ces inva- les autres invariants.
riants ? Le doute disparaîtraim m édiatem ent dès que
l'on commencera à faire la liste ou à inventorier les La phase de conception ne se fait pas par paliers
fonctions. successifs, en appliquant les invariants l'un après
l'autre. D'habitude, les architectes travaillent d'une
Le langage concerne les formes de communication, façon synthétique et conçoivent de façong
mais le vrai problème aujourd 'hui ne concerne-t-il pas leprojet. A quoi servent les invariants dans ce cas ?
plutôt les contenus ?En fin de compte, le rôlede l'ar- A être sûr que la synthèse — parfaitement légi-
chitecte dans la société ne dépend-il pas de ces time — n'est pas rigide. Il n'est pas nécessairede
contenus ? commencer par l'analyse pour passer ensuite à la syn-
Le premier invariant, l'inventaire, concerne juste- thèse, mais si cette dernière ne peut être vérifiéefonc-
ment les fonctions, les programmes de construction, les tionnellement et sém antiquem ent, elle glisse vers le
comportements sociaux. Si l'on néglige cet invariant, classicisme.
toute la question devient inutile ou même n'a plus de
sens car il n'y a plus rien à exprimer en dissonance, Est-il possible d'atteindre le degré zéro de la
plus rien à décom poser et à réintégrer. Cela montre culture ? Le « degré zérode l'écriture» de Barth
bien que le langage moderne n'admet pas les alibis et existe-t-il vraiment ? Les esprits créateurs ne font-ils
les échappatoires : si l'on n'affronte pas le problème pas les révolutions en prenant ce qu'il y a de positif
des contenus, on retombe dans le classicisme. dans le passé et dans le présent et en y ajoutant le
propre vision dufutur ?
Une méthodecritique baséesur les invariants sert àIl suffit d'examiner le rapport entre le latin et l'ita-
juger une œuvre réalisée, mais qu'en est-il pour un lien. La langue vulgaire ramène le latin au degré zéro
projet et, en particulier, pour un plan d'urbanisme ? dans le sens qu'elle déstructureson code ; naturelle-
Les invariants constituent un instrument de contrôle ment, elle conserve de nombreux élém entsdu latin
précisà chaque étapede la conception, du croquis pré- mais en les isolant de leur contexte et en les insérant
liminaire au projet final en passant par l'avant-projet.
Nous avons pu le constater des centaines de fois, 1. Cf. Le degrézérode l'écriture, Paris, Denoël-Gonthier, biblio. « Mé
devant la table à dessin ou dans l'enseignement. Bien diations », 1969.

98 99
6. Questions et réponsessur l'écriture entendu, un avant-projet ne permet pas d'évaluer le
architecturale degréd'approfondissement des dissonances ou de la
décom positionquadridimensionnelle. Toutefois, cette
La codification du langage moderne ne risque-t-elle m éthode critique est toujours valable : si l'on répond
pas de débouchersur un nouvel académisme?Lesnésept gativem ent à la question : « Peut-on à ce stade déve-
invariants ne tendent-ils pas à devenir des préceptes lopper le projet en respectant le principe des disso-
analogues à ceux des Beaux-Arts, quoique de signe nances et de la décom position? », cela signifie qu'il
opposé? s'agit d'un projet ferm é, réactionnaire, de type clas-
M entalitétypiquement latine : plutôt que de s'enga- sique, et qu'il faut l'abandonner. Dans la phase initiale,
ger dans l'expérim entation, on agite des spectres ima- l'inventaire est peut-être suffisant, mais il faut s'assu-
ginaires. Pourquoi ne pas essayer plutôt de faire un rer que la conception est assez ouverte pour accueillir
projet ou un cours de conception b asé sur ces inva- les autres invariants.
riants ? Le doute disparaîtraim m édiatem ent dès que
l'on commencera à faire la liste ou à inventorier les La phase de conception ne se fait pas par paliers
fonctions. successifs, en appliquant les invariants l'un après
l'autre. D'habitude, les architectes travaillent d'une
Le langage concerne les formes de communication, façon synthétique et conçoivent de façong
mais le vrai problème aujourd 'hui ne concerne-t-il pas leprojet. A quoi servent les invariants dans ce cas ?
plutôt les contenus ?En fin de compte, le rôlede l'ar- A être sûr que la synthèse — parfaitement légi-
chitecte dans la société ne dépend-il pas de ces time — n'est pas rigide. Il n'est pas nécessairede
contenus ? commencer par l'analyse pour passer ensuite à la syn-
Le premier invariant, l'inventaire, concerne juste- thèse, mais si cette dernière ne peut être vérifiéefonc-
ment les fonctions, les programmes de construction, les tionnellement et sém antiquem ent, elle glisse vers le
comportements sociaux. Si l'on néglige cet invariant, classicisme.
toute la question devient inutile ou même n'a plus de
sens car il n'y a plus rien à exprimer en dissonance, Est-il possible d'atteindre le degré zéro de la
plus rien à décom poser et à réintégrer. Cela montre culture ? Le « degré zérode l'écriture» de Barth
bien que le langage moderne n'admet pas les alibis et existe-t-il vraiment ? Les esprits créateurs ne font-ils
les échappatoires : si l'on n'affronte pas le problème pas les révolutions en prenant ce qu'il y a de positif
des contenus, on retombe dans le classicisme. dans le passé et dans le présent et en y ajoutant le
propre vision dufutur ?
Une méthodecritique baséesur les invariants sert àIl suffit d'examiner le rapport entre le latin et l'ita-
juger une œuvre réalisée, mais qu'en est-il pour un lien. La langue vulgaire ramène le latin au degré zéro
projet et, en particulier, pour un plan d'urbanisme ? dans le sens qu'elle déstructureson code ; naturelle-
Les invariants constituent un instrument de contrôle ment, elle conserve de nombreux élém entsdu latin
précisà chaque étapede la conception, du croquis pré- mais en les isolant de leur contexte et en les insérant
liminaire au projet final en passant par l'avant-projet.
Nous avons pu le constater des centaines de fois, 1. Cf. Le degrézérode l'écriture, Paris, Denoël-Gonthier, biblio. « Mé
devant la table à dessin ou dans l'enseignement. Bien diations », 1969.

98 99
dans le contexte de la nouvelle langue. De même, l'ar- crire cette épigraphe sur leur bureau. Si l'on conçoit
chitecture moderne récupère ce qu'il y a de positif dans l'édifice comme un objet inanimé, monumental, à
le passé et révèle son essence anticlassique. Elle refuse contempler et non à utiliser, la symétrie va très bien car
et annule, non pas le passé, mais les interprétations que elle représente parfaitement l'autoritarisme politique et
les Beaux-Arts en ont donné. bureaucratique. Mais s'il doit répondre à des fonctions
et à des contenus spécifiques, il ne peut pas être symé-
trique car la symétrie et, en général, la consonance,
assujettit chaque élément à ce qui précède ou suit, à ce
qui se trouve au-dessus ou au-dessous ; elle sacrifie ce
qui est individuel et spécifique sur l'autel d'un dessin
global, uniforme, hiérarchique et inaltérable.
Quant à Wright, il faut dire qu'on n'invente pas une
nouvelle langue en un jour ; i l devait lutter contre le
classicisme qui triomphait alors (le « latin » architectu-
ral) et on ne doit pas se scandaliser s'il a parfois
recours à des schémas partiellement symétriques. Mais
qu'est-ce qu'il y a de plus important chez Wright,
mettre en évidence les rares résidus traditionnels ou
son message révolutionnaire ? Le point de vue acadé-
mique juge ce qu'il y a d'obsolète chez tous les génies,
de Brunelleschi à Palladio. Nous, nous devons dégager
ce qu'ils ont d'original. D'où vient cette peur de la
dissonance et de l'asymétrie ? Dans Le langage de
l'Italie, le linguiste Giacomo Devoto écrit : « I l est
étrange de voir que les personnes qualifiées ont du mal
à accepter le principe fécond de l'opposition entre ce
29. Le « Modulor » de Le Corbusier, un outil de mesure fondé sur tes sections d'or
et la stature humaine (Caricature de Jan Van Gœthem). Le purisme de Le Corbusier qui est marginal et ce qui est central, opposition qui
réduit la démarche cubiste à une dominante classique. Conscient de ce danger, l'archi- marque le passage de la linguistique unidimensionnelle
tecte renia cette tendance puriste à partir de la Chapelle de Ronchamp.
à la linguistique bidimensionnelle en attendant la disci-
Mais pourquoi faut-il condamner la symétrie, si pline tridimensionnelle liée à la sociolinguistique. » La
répandue dans l'architecture antique et qui apparaît symétrie aplatit, réduit, alors que « nos besoins en ce
même dans de nombreuses œuvres de Wright ? qui concerne le lexique sont immenses. Lucrèce, au
Cesare Beccaria qui s'occupait de droit pénal et non i siècle avant Jésus-Christ, déplore à plusieurs reprises
er

de communautés libres et démocratiques, affirmait la sermonis patrii egestas, la pauvreté de l'idiome


national ». Devoto continue : « L'hypothèse platoni-
pourtant dans son Traité des délits et des peines
cienne de la langue comme nomos, c'est-à-dire " l o i "
(1764) : « C'est avoir un concept faux de l'utilité que
ou "convention" a entraîné le concept d"'analogie". Ce
de vouloir donner à une multitude d'individus une
que Platon appelle "créativité" ou energeia de la
symétrie et un ordre que seule la matière inanimée peut
langue, a produit la doctrine de l'"anomalie"... » Le
avoir. » Les architectes et les urbanistes devraient ins-

100 101
dans le contexte de la nouvelle langue. De même, l'ar- crire cette épigraphe sur leur bureau. Si l'on conçoit
chitecture moderne récupère ce qu'il y a de positif dans l'édifice comme un objet inanimé, monumental, à
le passé et révèle son essence anticlassique. Elle refuse contempler et non à utiliser, la symétrie va très bien car
et annule, non pas le passé, mais les interprétations que elle représente parfaitement l'autoritarisme politique et
les Beaux-Arts en ont donné. bureaucratique. Mais s'il doit répondre à des fonctions
et à des contenus spécifiques, il ne peut pas être symé-
trique car la symétrie et, en général, la consonance,
assujettit chaque élément à ce qui précède ou suit, à ce
qui se trouve au-dessus ou au-dessous ; elle sacrifie ce
qui est individuel et spécifique sur l'autel d'un dessin
global, uniforme, hiérarchique et inaltérable.
Quant à Wright, il faut dire qu'on n'invente pas une
nouvelle langue en un jour ; i l devait lutter contre le
classicisme qui triomphait alors (le « latin » architectu-
ral) et on ne doit pas se scandaliser s'il a parfois
recours à des schémas partiellement symétriques. Mais
qu'est-ce qu'il y a de plus important chez Wright,
mettre en évidence les rares résidus traditionnels ou
son message révolutionnaire ? Le point de vue acadé-
mique juge ce qu'il y a d'obsolète chez tous les génies,
de Brunelleschi à Palladio. Nous, nous devons dégager
ce qu'ils ont d'original. D'où vient cette peur de la
dissonance et de l'asymétrie ? Dans Le langage de
l'Italie, le linguiste Giacomo Devoto écrit : « I l est
étrange de voir que les personnes qualifiées ont du mal
à accepter le principe fécond de l'opposition entre ce
29. Le « Modulor » de Le Corbusier, un outil de mesure fondé sur tes sections d'or
et la stature humaine (Caricature de Jan Van Gœthem). Le purisme de Le Corbusier qui est marginal et ce qui est central, opposition qui
réduit la démarche cubiste à une dominante classique. Conscient de ce danger, l'archi- marque le passage de la linguistique unidimensionnelle
tecte renia cette tendance puriste à partir de la Chapelle de Ronchamp.
à la linguistique bidimensionnelle en attendant la disci-
Mais pourquoi faut-il condamner la symétrie, si pline tridimensionnelle liée à la sociolinguistique. » La
répandue dans l'architecture antique et qui apparaît symétrie aplatit, réduit, alors que « nos besoins en ce
même dans de nombreuses œuvres de Wright ? qui concerne le lexique sont immenses. Lucrèce, au
Cesare Beccaria qui s'occupait de droit pénal et non i siècle avant Jésus-Christ, déplore à plusieurs reprises
er

de communautés libres et démocratiques, affirmait la sermonis patrii egestas, la pauvreté de l'idiome


national ». Devoto continue : « L'hypothèse platoni-
pourtant dans son Traité des délits et des peines
cienne de la langue comme nomos, c'est-à-dire " l o i "
(1764) : « C'est avoir un concept faux de l'utilité que
ou "convention" a entraîné le concept d"'analogie". Ce
de vouloir donner à une multitude d'individus une
que Platon appelle "créativité" ou energeia de la
symétrie et un ordre que seule la matière inanimée peut
langue, a produit la doctrine de l'"anomalie"... » Le
avoir. » Les architectes et les urbanistes devraient ins-

100 101
verdict tranchant de Devoto sur le langage verbal peut ne peut donner qu'une réponse de simple consolation
très bien s'appliquer à l'architecture : « Une exigence en avançant différentes justifications :
subjective, sélective et par conséquent, appauvrissante, a) Tant que les maîtres du mouvement moderne
l'emporte sur l'exigence fonctionnelle qui enrichit la étaient encore en activité, on espérait qu'une « maniè-
langue. Ce caractère du langage pèsera sur toute son re » liée à leurs poétiques pourrait remplacer le langage
histoire pratiquement jusqu'à nos jours. » La peur du codifié.
changement débouche sur la géométrie et la symétrie. b) Les études structuralistes, sémiologiques et lin-
guistiques n'étaient pas encore assez avancées pour
Aujourd'hui, on ne s'intéresse pas aux problèmes bouleverser le monde de l'architecture.
du langage et de l'architecture en général. C'est une c) I l fallait une remise à zéro totale, pas seulement
question qui sort du cadre de cette discipline ; elle en architecture, mais existentielle comme celle de
concerne la lutte pour une ville nouvelle, pour un habi- mai 68 à Paris, pour stimuler, cinq ans plus tard, la
tat différent. Pourquoi s'attarder sur les sept inva- codification d'un langage démocratique.
riants ?
Pour rendre cette lutte plus efficace et plus mor- Toutes ces explications sont plausibles et il y en a
dante. On a pu le constater récemment à propos d'une d'autres, mais elles sont toutes tautologiques. Le pro-
cité-dortoir que l'on a construite à Rome dans le quar- blème demeure. Schônberg a créé et codifié le langage
tier de Pietralata. Un groupe d'étudiants gauchistes musical moderne. Wright, Le Corbusier, Gropius,
avait organisé une « exposition-protestation » sur les Mendelsohn ont créé le langage de l'architecture
conditions de vie de ce quartier : des panneaux avec moderne mais ils ne l'ont pas codifié : pourquoi ? Et
des photographies et des inscriptions sur le manque pourquoi personne d'autre ne l'a-t-il fait ? L'architec-
d'équipements, sur les manifestations organisées par ture aurait économisé des années de gaspillages et de
les habitants, sur les interventions de la police et ainsi massacres, d'idéologies sophistiquées, de fuites en
de suite. On fit beaucoup de bruit mais le résultat fut avant et de retours en arrière. Quoi qu'il en soit, le
plutôt vague. A un certain moment le groupe décida moment est venu de diffuser le langage démocratique
d'examiner le quartier au moyen des sept invariants et de l'architecture.
on ajouta une deuxième série de panneaux dans les-
quels on montrait qu'aucun des sept invariants n'avait
été appliqué au moment de la conception. L'« exposi-
tion-protestation » cessa d'être démagogique et acquit
une force de persuasion infiniment plus grande.

Enfin, pourquoi le langage moderne n 'a-t-il pas été


codifié plus tôt ? Qu 'est-ce qui a causé ce retard inex-
plicable et empêché qu 'il soit adopté sur une grande
échelle, dans l'exercice professionnel et dans l'ensei-
gnement, pendant ces décennies d'activité fébrile dans
le domaine de la construction ?
A cette question angoissante, presque obsédante, on

102
verdict tranchant de Devoto sur le langage verbal peut ne peut donner qu'une réponse de simple consolation
très bien s'appliquer à l'architecture : « Une exigence en avançant différentes justifications :
subjective, sélective et par conséquent, appauvrissante, a) Tant que les maîtres du mouvement moderne
l'emporte sur l'exigence fonctionnelle qui enrichit la étaient encore en activité, on espérait qu'une « maniè-
langue. Ce caractère du langage pèsera sur toute son re » liée à leurs poétiques pourrait remplacer le langage
histoire pratiquement jusqu'à nos jours. » La peur du codifié.
changement débouche sur la géométrie et la symétrie. b) Les études structuralistes, sémiologiques et lin-
guistiques n'étaient pas encore assez avancées pour
Aujourd'hui, on ne s'intéresse pas aux problèmes bouleverser le monde de l'architecture.
du langage et de l'architecture en général. C'est une c) I l fallait une remise à zéro totale, pas seulement
question qui sort du cadre de cette discipline ; elle en architecture, mais existentielle comme celle de
concerne la lutte pour une ville nouvelle, pour un habi- mai 68 à Paris, pour stimuler, cinq ans plus tard, la
tat différent. Pourquoi s'attarder sur les sept inva- codification d'un langage démocratique.
riants ?
Pour rendre cette lutte plus efficace et plus mor- Toutes ces explications sont plausibles et il y en a
dante. On a pu le constater récemment à propos d'une d'autres, mais elles sont toutes tautologiques. Le pro-
cité-dortoir que l'on a construite à Rome dans le quar- blème demeure. Schônberg a créé et codifié le langage
tier de Pietralata. Un groupe d'étudiants gauchistes musical moderne. Wright, Le Corbusier, Gropius,
avait organisé une « exposition-protestation » sur les Mendelsohn ont créé le langage de l'architecture
conditions de vie de ce quartier : des panneaux avec moderne mais ils ne l'ont pas codifié : pourquoi ? Et
des photographies et des inscriptions sur le manque pourquoi personne d'autre ne l'a-t-il fait ? L'architec-
d'équipements, sur les manifestations organisées par ture aurait économisé des années de gaspillages et de
les habitants, sur les interventions de la police et ainsi massacres, d'idéologies sophistiquées, de fuites en
de suite. On fit beaucoup de bruit mais le résultat fut avant et de retours en arrière. Quoi qu'il en soit, le
plutôt vague. A un certain moment le groupe décida moment est venu de diffuser le langage démocratique
d'examiner le quartier au moyen des sept invariants et de l'architecture.
on ajouta une deuxième série de panneaux dans les-
quels on montrait qu'aucun des sept invariants n'avait
été appliqué au moment de la conception. L'« exposi-
tion-protestation » cessa d'être démagogique et acquit
une force de persuasion infiniment plus grande.

Enfin, pourquoi le langage moderne n 'a-t-il pas été


codifié plus tôt ? Qu 'est-ce qui a causé ce retard inex-
plicable et empêché qu 'il soit adopté sur une grande
échelle, dans l'exercice professionnel et dans l'ensei-
gnement, pendant ces décennies d'activité fébrile dans
le domaine de la construction ?
A cette question angoissante, presque obsédante, on

102
ARCHITECTURE ET HISTORIOGRAPHIE
L ' A N T I C L A S S I C I S M E ET L A P O É T I Q U E DE
LE CORBUSIER

Dans la première partie, nous avons montré que le


code architectural contemporain ne concerne pas seule-
ment les maîtres des xix et xx siècles mais les archi-
e e

tectes qui, tout au long de l'histoire, ont contesté les


dogmes, les préceptes idolâtriques, les a priori stylis-
tiques, les tabous formels et les canons classiques.
Le langage moderne naît et se développe sur la base
d'un engagement à la fois créatif et critique qui, d'un
côté, revendique le droit de parler architecture avec un
langage qui ne soit pas celui du classicisme, et de
l'autre, recherche ses racines dans le passé. On écrit
dans une langue différente parce qu'on fait une lecture
autre, hérétique, l'impulsion à écrire coïncide avec
l'impulsion à lire ou, plutôt, à relire les textes anciens
en les libérant des fausses interprétations. Les archi-
tectes s'affranchissent du classicisme et, de même, les
historiens refusent d'examiner et de juger selon
les méthodes académiques. D'ailleurs, à l'époque
moderne, le critique — de Baudelaire à van Does-
burg — s'identifie avec l'artiste.
Comment le langage spatio-temporel s'est-il struc-
turé, de l'éclectisme du xix siècle à nos jours ? Voilà
e

le thème de cette étude qui poursuit le dialogue entre


l'architecture et l'historiographie et relève les points
communs qui existent entre les inventions linguistiques
et les recherches critiques. L'opposition entre ancienne
et nouvelle architecture peut être comparée à celle qui
existe entre le latin et l'italien ou le français, c'est-à-

107
dire entre une langue morte et des langues vivantes, à peut être comprise que dans le cadre de la culture néo-
la différence cependant que le classicisme n'est pas gothique prophétisée, dès 1747, dans la résidence
une langue mais une idéologie qui tend à codifier tous d'Horace Walpole à Strawberry Hill, à côté de
les « styles » en déduisant formules abstraites et règles Londres. La revalorisation du Moyen Age fut une arme
arbitraires des œuvres concrètes. pour combattre le néo-classicisme dont l'origine est à
Il faut surtout éliminer deux équivoques tenaces. La rechercher dont les positions ambiguës qu'un Juvarra
première concerne le mythe romantique du poète ascé- ou un Vanvitelli adoptent vis-à-vis du baroque. Main-
tique qui se tient à l'écart de tout rapport dialectique tenant nous pouvons aller plus vite. C'est le manié-
avec les événements culturels et linguistiques : tout risme qui sert de trait d'union entre le baroque et le
architecte authentique dialogue avec le passé et nourrit xvi siècle, surtout grâce à Michel-Ange qui fait des
e

ainsi son inspiration ; ses affinités électives, quoique entorses au classicisme. Le passage du xvi siècle au
e

partielles et tendancieuses, sont, en général, beaucoup xv siècle est marqué de façon emblématique par l'arri-
e

plus significatives que celles des critiques parce vée de Bramante à Rome. Entre le début de la Renais-
qu'elles affrontent mieux les problèmes actuels. La sance et le gothique, nous trouvons la coupole du dôme
seconde équivoque concerne l'illusion de pouvoir de Florence, œuvre d'Arnolfo di Cambio et de Brunel-
comprendre l'architecture moderne sans avoir à repar- leschi, et aussi les prodromes humanistes — exprimés
courir tout l'itinéraire historique ; pour faire en sorte selon le code médiéval — que sont San Miniato al
qu'elle ne subsiste pas, i l suffit d'un bref raisonnement Monte et le portique de Civita Castellana. La continuité
qui met en évidence les raisons des principales ruptures entre le gothique et le roman est établie et nous arri-
linguistiques, du présent jusqu'aux époques lointaines vons à Sant'Ambrogio à Milan, à Saint Martin à Tours,
de la protohistoire. à l'abbaye de Cluny commencée vers 960. Le monde
Prenons comme point de départ les principaux repré- roman nous renvoie au haut Moyen Age, à San Pietro
sentants du mouvement moderne, Frank Lloyd Wright à Tuscania, aux césures qui caractérisent la nef de
et Le Corbusier. Ils affichaient tous les deux une Santa Maria in Cosmedin à Rome et, par conséquent,
conception très personnelle de l'architecture mais, en au cycle byzantin et à la tradition paléochrétienne qui
réalité, leurs idées étaient ancrées dans des contextes nous fait reculer jusqu'au i siècle après J.-C, à la
e r

précis. Wright avait une grande dévotion pour Henri basilique de Porta Maggiore et aux catacombes. Le
Louis Sullivan, Lieber Meister, qui a son tour était lié concept de « basse Antiquité » indique le lien étroit qui
au style néo-roman de Henri Hobson Richardson et. existe entre la chrétienté et l'art romain, et qui provient
par opposition, à l'éclectisme américain. Le Corbusier d'une double source : d'une part, de la civilisation
se rattache à la genèse du rationalisme européen, au étrusque et donc de l'époque villanovienne, des terra-
puritanisme d'Adolf Loos, réaction contre la sécession mares, de la préhistoire européenne, d'autre part, de
Viennoise qui était la manifestation autrichienne de /hellénisme, de la Grèce classique et archaïque qui se
l'Art nouveau créé à Bruxelles en 1893 par Victor rattache à la culture Cretoise et, par conséquent, au
Horta et dirigé par Henry van de Velde, fervent apôtre Proche-Orient dont les origines se perdent, elles aussi,
de l'école anglaise de Y Arts and Crafts. On arrive ainsi dans la protohistoire.
à l'acte de naissance de l'architecture moderne, c'est- Pour saisir à fond le langage de Wright et de Le
à-dire à la « maison rouge » construite par William Corbusier i l faut donc faire un retour en arrière qui
Morris en 1859. Cependant, la réforme de Morris ne nous ramène au i.v millénaire avant J.-C. et remonte
e

108 109
dire entre une langue morte et des langues vivantes, à peut être comprise que dans le cadre de la culture néo-
la différence cependant que le classicisme n'est pas gothique prophétisée, dès 1747, dans la résidence
une langue mais une idéologie qui tend à codifier tous d'Horace Walpole à Strawberry Hill, à côté de
les « styles » en déduisant formules abstraites et règles Londres. La revalorisation du Moyen Age fut une arme
arbitraires des œuvres concrètes. pour combattre le néo-classicisme dont l'origine est à
Il faut surtout éliminer deux équivoques tenaces. La rechercher dont les positions ambiguës qu'un Juvarra
première concerne le mythe romantique du poète ascé- ou un Vanvitelli adoptent vis-à-vis du baroque. Main-
tique qui se tient à l'écart de tout rapport dialectique tenant nous pouvons aller plus vite. C'est le manié-
avec les événements culturels et linguistiques : tout risme qui sert de trait d'union entre le baroque et le
architecte authentique dialogue avec le passé et nourrit xvi siècle, surtout grâce à Michel-Ange qui fait des
e

ainsi son inspiration ; ses affinités électives, quoique entorses au classicisme. Le passage du xvi siècle au
e

partielles et tendancieuses, sont, en général, beaucoup xv siècle est marqué de façon emblématique par l'arri-
e

plus significatives que celles des critiques parce vée de Bramante à Rome. Entre le début de la Renais-
qu'elles affrontent mieux les problèmes actuels. La sance et le gothique, nous trouvons la coupole du dôme
seconde équivoque concerne l'illusion de pouvoir de Florence, œuvre d'Arnolfo di Cambio et de Brunel-
comprendre l'architecture moderne sans avoir à repar- leschi, et aussi les prodromes humanistes — exprimés
courir tout l'itinéraire historique ; pour faire en sorte selon le code médiéval — que sont San Miniato al
qu'elle ne subsiste pas, i l suffit d'un bref raisonnement Monte et le portique de Civita Castellana. La continuité
qui met en évidence les raisons des principales ruptures entre le gothique et le roman est établie et nous arri-
linguistiques, du présent jusqu'aux époques lointaines vons à Sant'Ambrogio à Milan, à Saint Martin à Tours,
de la protohistoire. à l'abbaye de Cluny commencée vers 960. Le monde
Prenons comme point de départ les principaux repré- roman nous renvoie au haut Moyen Age, à San Pietro
sentants du mouvement moderne, Frank Lloyd Wright à Tuscania, aux césures qui caractérisent la nef de
et Le Corbusier. Ils affichaient tous les deux une Santa Maria in Cosmedin à Rome et, par conséquent,
conception très personnelle de l'architecture mais, en au cycle byzantin et à la tradition paléochrétienne qui
réalité, leurs idées étaient ancrées dans des contextes nous fait reculer jusqu'au i siècle après J.-C, à la
e r

précis. Wright avait une grande dévotion pour Henri basilique de Porta Maggiore et aux catacombes. Le
Louis Sullivan, Lieber Meister, qui a son tour était lié concept de « basse Antiquité » indique le lien étroit qui
au style néo-roman de Henri Hobson Richardson et. existe entre la chrétienté et l'art romain, et qui provient
par opposition, à l'éclectisme américain. Le Corbusier d'une double source : d'une part, de la civilisation
se rattache à la genèse du rationalisme européen, au étrusque et donc de l'époque villanovienne, des terra-
puritanisme d'Adolf Loos, réaction contre la sécession mares, de la préhistoire européenne, d'autre part, de
Viennoise qui était la manifestation autrichienne de /hellénisme, de la Grèce classique et archaïque qui se
l'Art nouveau créé à Bruxelles en 1893 par Victor rattache à la culture Cretoise et, par conséquent, au
Horta et dirigé par Henry van de Velde, fervent apôtre Proche-Orient dont les origines se perdent, elles aussi,
de l'école anglaise de Y Arts and Crafts. On arrive ainsi dans la protohistoire.
à l'acte de naissance de l'architecture moderne, c'est- Pour saisir à fond le langage de Wright et de Le
à-dire à la « maison rouge » construite par William Corbusier i l faut donc faire un retour en arrière qui
Morris en 1859. Cependant, la réforme de Morris ne nous ramène au i.v millénaire avant J.-C. et remonte
e

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jusqu'à l'époque lointaine qui précède l'apparition de études successives entraînèrent un retour à l'hellénisme
l'écriture. Qu'avons-nous exclu ? L'Extrême-Orient, en Grande-Bretagne : avec la construction de la Bank
les architectures chinoise, indienne, russe, japonaise, of England (1795-1827), John Soane réinterprète
les monuments africains et précolombiens d'Amérique. l'ordre corinthien du temple de la Sybille à Tivoli ;
Cette opération non plus n'est pas légitime, non seule- l'église de Saint Paneras (1819-1822), conçue par
ment parce que les pyramides mexicaines de Cholula William Inwood, reprend les formes de l'Erechthéion ;
et de Teotihuacân nous informent des échanges qui ont le British Muséum (1823) de Robert Smirke consacre
eu lieu entre l'Orient méditerranéen et l'Amérique cen- le style néo-grec. En Allemagne, pour construire la
trale, mais surtout parce que l'influence orientale et porte de Brandebourg à Berlin en 1789, Cari Gottard
préhistorique fournit un paramètre à l'art moderne : Langhans s'inspire des Propylées de l'Acropole
chez Wright, nous trouvons souvent des réminiscences d'Athènes ; à partir de 1816, Léo von Klenze hellénise
maya et des emprunts directs à l'art japonais. Munich et Karl Friedrich Schinkel, quoique très attiré
Les analogies entre le Moyen Age et Y Arts and par le gothique, adopte des éléments classiques pour
Crafts, entre le gothique et l'Art nouveau, entre la le théâtre et la Neue Wache de Berlin, comme
Renaissance et le rationalisme, entre le baroque et l'ar- pour l'église de Saint Nicolaus 1843-1849 à Potsdam.
chitecture organique, et les invariants du langage La mode de la Grèce fait fureur et contamine les États-
moderne qui en dérivent font l'objet des quatre cha- Unis en 1820-1860 grâce à deux fervents admirateurs,
pitres qui suivent ; dans la conclusion, nous traiterons Benjamin Latrobe et William Strickland.
la préhistoire. Nous laissons de côté cependant l'Anti- Tout cela ne rentre pas dans le cadre de notre propos
quité grecque et romaine, ce qui est logique si l'on et ne contribue pas au développement du langage
pense que la nouvelle architecture est née en réaction architectural moderne mais constitue, au contraire, un
contre le classicisme formalisé par l'académie des obstacle : de l'église de la Madeleine à Paris jusqu'à
Beaux-Arts. L'art hellénique et romain sont-ils vrai- Saint George's Hall à Liverpool, les productions du
ment irrécupérables ? Nous allons le voir tout de suite. classicisme impliquent une capitulation incondition-
Le patrimoine grec fut d'abord organisé par Johann nelle de l'art devant l'érudition : des agrandissements
Joachim Winckelmann dans Gedanken ùber die de plâtre pour musée, glaciaux, emphatiques, qu'une
Nachahmung der Griechischen Werke in der Malerei imagination rêveuse a lâchés dans les régions du nord
und Bildhauerkunst (1755), puis par James Stuart et de l'Europe où s'ils s'estompent dans la brume,
Nicholas Revett en 1762 dans les Antiquities ofAthens. complètement étrangers au savoir archéologique.
par la « Dilettanti Society » en 1769 et par Lord Elgin L'amour de Le Corbusier pour la Grèce est, au
qui fit transporter les sculptures du Parthénon à contraire, hérétique au sens d'anti-Beaux-Arts. Au
Londres en 1801 '. Plus tard, la guerre d'indépendance cours d'un pèlerinage qu'il fit pendant sa jeunesse, i l
grecque de 1821 raviva encore l'enthousiasme. Les eut la révélation des qualités architecturales que les
grandes campagnes archéologiques de 1750-1780 et les partisans du retour aux sources avaient cachées ; i l
découvre les vecteurs anticlassiques du langage hellé-
1. Pour les éditions françaises, cf. JJ. Winckelmann, « Réflexions sur nique, c'est-à-dire :
l'imitation des artistes grecs dans la peinture et la sculpture », in JJ. Winc- — le goût des volumes isolés, prismes autonomes
kelmann : Recueil de différentes pièces sur les arts, Paris, Barrois l'aîné.
1786. Voir aussi J. Stuart et N . Revett, Les antiquités d'Athènes, Paris.
sous la lumière, posés librement dans un paysage irré-
5 vol., 1808. (N.d.E.). gulier, exempts de tout parallélisme, avec une propen-

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jusqu'à l'époque lointaine qui précède l'apparition de études successives entraînèrent un retour à l'hellénisme
l'écriture. Qu'avons-nous exclu ? L'Extrême-Orient, en Grande-Bretagne : avec la construction de la Bank
les architectures chinoise, indienne, russe, japonaise, of England (1795-1827), John Soane réinterprète
les monuments africains et précolombiens d'Amérique. l'ordre corinthien du temple de la Sybille à Tivoli ;
Cette opération non plus n'est pas légitime, non seule- l'église de Saint Paneras (1819-1822), conçue par
ment parce que les pyramides mexicaines de Cholula William Inwood, reprend les formes de l'Erechthéion ;
et de Teotihuacân nous informent des échanges qui ont le British Muséum (1823) de Robert Smirke consacre
eu lieu entre l'Orient méditerranéen et l'Amérique cen- le style néo-grec. En Allemagne, pour construire la
trale, mais surtout parce que l'influence orientale et porte de Brandebourg à Berlin en 1789, Cari Gottard
préhistorique fournit un paramètre à l'art moderne : Langhans s'inspire des Propylées de l'Acropole
chez Wright, nous trouvons souvent des réminiscences d'Athènes ; à partir de 1816, Léo von Klenze hellénise
maya et des emprunts directs à l'art japonais. Munich et Karl Friedrich Schinkel, quoique très attiré
Les analogies entre le Moyen Age et Y Arts and par le gothique, adopte des éléments classiques pour
Crafts, entre le gothique et l'Art nouveau, entre la le théâtre et la Neue Wache de Berlin, comme
Renaissance et le rationalisme, entre le baroque et l'ar- pour l'église de Saint Nicolaus 1843-1849 à Potsdam.
chitecture organique, et les invariants du langage La mode de la Grèce fait fureur et contamine les États-
moderne qui en dérivent font l'objet des quatre cha- Unis en 1820-1860 grâce à deux fervents admirateurs,
pitres qui suivent ; dans la conclusion, nous traiterons Benjamin Latrobe et William Strickland.
la préhistoire. Nous laissons de côté cependant l'Anti- Tout cela ne rentre pas dans le cadre de notre propos
quité grecque et romaine, ce qui est logique si l'on et ne contribue pas au développement du langage
pense que la nouvelle architecture est née en réaction architectural moderne mais constitue, au contraire, un
contre le classicisme formalisé par l'académie des obstacle : de l'église de la Madeleine à Paris jusqu'à
Beaux-Arts. L'art hellénique et romain sont-ils vrai- Saint George's Hall à Liverpool, les productions du
ment irrécupérables ? Nous allons le voir tout de suite. classicisme impliquent une capitulation incondition-
Le patrimoine grec fut d'abord organisé par Johann nelle de l'art devant l'érudition : des agrandissements
Joachim Winckelmann dans Gedanken ùber die de plâtre pour musée, glaciaux, emphatiques, qu'une
Nachahmung der Griechischen Werke in der Malerei imagination rêveuse a lâchés dans les régions du nord
und Bildhauerkunst (1755), puis par James Stuart et de l'Europe où s'ils s'estompent dans la brume,
Nicholas Revett en 1762 dans les Antiquities ofAthens. complètement étrangers au savoir archéologique.
par la « Dilettanti Society » en 1769 et par Lord Elgin L'amour de Le Corbusier pour la Grèce est, au
qui fit transporter les sculptures du Parthénon à contraire, hérétique au sens d'anti-Beaux-Arts. Au
Londres en 1801 '. Plus tard, la guerre d'indépendance cours d'un pèlerinage qu'il fit pendant sa jeunesse, i l
grecque de 1821 raviva encore l'enthousiasme. Les eut la révélation des qualités architecturales que les
grandes campagnes archéologiques de 1750-1780 et les partisans du retour aux sources avaient cachées ; i l
découvre les vecteurs anticlassiques du langage hellé-
1. Pour les éditions françaises, cf. JJ. Winckelmann, « Réflexions sur nique, c'est-à-dire :
l'imitation des artistes grecs dans la peinture et la sculpture », in JJ. Winc- — le goût des volumes isolés, prismes autonomes
kelmann : Recueil de différentes pièces sur les arts, Paris, Barrois l'aîné.
1786. Voir aussi J. Stuart et N . Revett, Les antiquités d'Athènes, Paris.
sous la lumière, posés librement dans un paysage irré-
5 vol., 1808. (N.d.E.). gulier, exempts de tout parallélisme, avec une propen-

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sion à la géom étrieélém entairecomme le montrent les cello, d'une singulière beauté, et reproduit, sans solen-
modules carrésdes plafonds àcaissons de Phidias, nités philologiques, les sch émas du P anthéondans la
véritableprophétiedu purisme moderne ; bibliothèque de l'universitéde Virginie. En revanche,
— la trame urbaine de Priène et de Milet et, en les nombreuses œuvres que nous trouvons en Europe
général, des villes construites selon les principes sont glaciales et pédantes; il suffit de mentionner, en
d'Hippodamos qui annoncent laplanification des Angleterre, le Saint George's Hall de Liverpool (1839),
m étropoles contemporaines ; œuvre de Harvey Elmes et C.R. Cockerell qui imite le
— la m odénature. Surmontant le prisme suspendu tépidariumdes thermes de Caracalla ; à Paris, le Pan-
de la villa Savoye àPoissy, des plans chromatiques théon (1757-1790) de Germain Soufflot ou la Made-
sensuels s'arc-boutent là où débouche la « promenade leine (1806-1842) de B arthélémyVignon ; en Italie, les
architecturale 1 ». Ces « objets àréactionpoétique' » œuvres de Luigi Canina, de Luigi Cagnola et de Pas-
qui soulignent avec lyrisme les stéréom étriesrigou- cale Poccianti. Le caractère syncrétiqueet la grande
reuses traditionnelles, sont les descendants des entasis souplesse des constructions romaines sont tels qu'on
et des échines, des stries et des escapes, des mille les adopte plus facilement pour les édifices qui ont
inflexions vibrantes et imperceptibles de l'arithm étique besoin de vastes espaces intérieurs, comme les banques
grecque, véritables adjectifs plastiques qui — à Ron- ou le hall de la Pennsylvania Station (1906)- à New
champ —deviennent des substantifs explosifs. York, et cela explique aussi que ni le néo-rom ainsty-
lisé de Tony Garnier (stade de Lyon) ni celui de Paul
Le problème fondamental dulangage moderne Bonatz (gare de Stuttgart), sans parler des monstruo-
consiste à d ép asser la vision perspective de la Renais- sités de Piacentini et de ses disciples en Italie, ne peu-
sance. Pour résoudrece problème, Le Corbusier se vent s'affranchir d'un retour au monumentalisme.
réfère à un langage classique antérieurà la perspective, Aucun architecte n'a su s'opposer aux exégèses aca-
réfute le système des Beaux-Arts grâceaux tém oi- dém iques et prétentieuses, et mettre en évidence l'ori-
gnages de laGrèce authentique qui apportent un ginalité— en termes modernes — de l'architecture
dém enti éclatant aux doctrines académ iques. romaine. En revanche deux historiens viennois relevè-
Quant à l'héritageromain, son influence sur l'archi- rent le défi : Franz Wickhoff dans Die Wiener Genesis
tecture moderne est à fois hybride et complexe. D'ail- (1895) et Alois Riegl dans Spàtrômische Kunstindus-
leurs, même quand il s'agit d'un revival, il revêt trie (1901). Ils montrent que l'apport fondamental de
l'aspect de l'architecture de ses m édiateurs : Palladio, la Rome antique se situe dans la « m éthodede la narra-
tout d'abord, puis l'éruditionnéo-classique; souvent le tion continue », dans les récits qui s'enroulent comme
style néo-rom ainse marie avec le style néo-grec. Les des films sur les colonnes de Trajan et d'Antonin, dans
études de Robert Wood sur Palmyre et Baalbeck le décor entièrement construit des am phithéâtres — à
(1753-1757), celles que Taylor et Cresy consacrent au l'opposédu théâtregrec dont le décor est constituépar
Palais de D ioclétienà Split dans Architectural Antiqui- le paysage naturel —dans les immenses espaces
ties of Rome (1821) encouragent les évocations élé- recouverts de coupoles et de voûtes des basiliques et
gantes et souples surtout aux Etats-Unis où, entre 1790 des thermes. De même, les transformations effectuées
et 1820, Thomas Jefferson créesa résidencede Monti- sur les acropoles grecques, à Olympie par exemple, où
les Romains multiplient les gymnases, les galeries et
1. En français dans le texte. les portiques, les petits temples et les enceintes et bou-
112 113
sion à la géom étrieélém entairecomme le montrent les cello, d'une singulière beauté, et reproduit, sans solen-
modules carrésdes plafonds àcaissons de Phidias, nités philologiques, les sch émas du P anthéondans la
véritableprophétiedu purisme moderne ; bibliothèque de l'universitéde Virginie. En revanche,
— la trame urbaine de Priène et de Milet et, en les nombreuses œuvres que nous trouvons en Europe
général, des villes construites selon les principes sont glaciales et pédantes; il suffit de mentionner, en
d'Hippodamos qui annoncent laplanification des Angleterre, le Saint George's Hall de Liverpool (1839),
m étropoles contemporaines ; œuvre de Harvey Elmes et C.R. Cockerell qui imite le
— la m odénature. Surmontant le prisme suspendu tépidariumdes thermes de Caracalla ; à Paris, le Pan-
de la villa Savoye àPoissy, des plans chromatiques théon (1757-1790) de Germain Soufflot ou la Made-
sensuels s'arc-boutent là où débouche la « promenade leine (1806-1842) de B arthélémyVignon ; en Italie, les
architecturale 1 ». Ces « objets àréactionpoétique' » œuvres de Luigi Canina, de Luigi Cagnola et de Pas-
qui soulignent avec lyrisme les stéréom étriesrigou- cale Poccianti. Le caractère syncrétiqueet la grande
reuses traditionnelles, sont les descendants des entasis souplesse des constructions romaines sont tels qu'on
et des échines, des stries et des escapes, des mille les adopte plus facilement pour les édifices qui ont
inflexions vibrantes et imperceptibles de l'arithm étique besoin de vastes espaces intérieurs, comme les banques
grecque, véritables adjectifs plastiques qui — à Ron- ou le hall de la Pennsylvania Station (1906)- à New
champ —deviennent des substantifs explosifs. York, et cela explique aussi que ni le néo-rom ainsty-
lisé de Tony Garnier (stade de Lyon) ni celui de Paul
Le problème fondamental dulangage moderne Bonatz (gare de Stuttgart), sans parler des monstruo-
consiste à d ép asser la vision perspective de la Renais- sités de Piacentini et de ses disciples en Italie, ne peu-
sance. Pour résoudrece problème, Le Corbusier se vent s'affranchir d'un retour au monumentalisme.
réfère à un langage classique antérieurà la perspective, Aucun architecte n'a su s'opposer aux exégèses aca-
réfute le système des Beaux-Arts grâceaux tém oi- dém iques et prétentieuses, et mettre en évidence l'ori-
gnages de laGrèce authentique qui apportent un ginalité— en termes modernes — de l'architecture
dém enti éclatant aux doctrines académ iques. romaine. En revanche deux historiens viennois relevè-
Quant à l'héritageromain, son influence sur l'archi- rent le défi : Franz Wickhoff dans Die Wiener Genesis
tecture moderne est à fois hybride et complexe. D'ail- (1895) et Alois Riegl dans Spàtrômische Kunstindus-
leurs, même quand il s'agit d'un revival, il revêt trie (1901). Ils montrent que l'apport fondamental de
l'aspect de l'architecture de ses m édiateurs : Palladio, la Rome antique se situe dans la « m éthodede la narra-
tout d'abord, puis l'éruditionnéo-classique; souvent le tion continue », dans les récits qui s'enroulent comme
style néo-rom ainse marie avec le style néo-grec. Les des films sur les colonnes de Trajan et d'Antonin, dans
études de Robert Wood sur Palmyre et Baalbeck le décor entièrement construit des am phithéâtres — à
(1753-1757), celles que Taylor et Cresy consacrent au l'opposédu théâtregrec dont le décor est constituépar
Palais de D ioclétienà Split dans Architectural Antiqui- le paysage naturel —dans les immenses espaces
ties of Rome (1821) encouragent les évocations élé- recouverts de coupoles et de voûtes des basiliques et
gantes et souples surtout aux Etats-Unis où, entre 1790 des thermes. De même, les transformations effectuées
et 1820, Thomas Jefferson créesa résidencede Monti- sur les acropoles grecques, à Olympie par exemple, où
les Romains multiplient les gymnases, les galeries et
1. En français dans le texte. les portiques, les petits temples et les enceintes et bou-
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chent la vue sur l'extérieur. Cette continuité, inhérente
à la technique de construction du conglomérat,
triomphe sous Hadrien et, plus tard, durant la basse
Antiquité, à Baalbek et à Split et dans le temple de
Minerva Medica à Rome. I l ne faut donc pas s'étonner
du fait qu'on rencontre des analogies entre la villa
d'Hadrien à Tivoli et le Florida Southern Collège réa- C U L T U R E M É D I É V A L E , ARTS AND CRAFTS
lisé par Wright en 1938, ou qu'un architecte comme NÉO-ROMAN : L'INVENTAIRE
Louis Kahn tire son inspiration des ruines romaines.
C O M M E M É T H O D O L O G I E D U PROJET
Le développement de l'architecture moderne se réa-
lise donc en synchronie avec un approfondissement
culturel qui modifie radicalement les méthodes et les John Ruskin (1819-1900) et William Morris ( 1834-
résultats de l'historiographie traditionnelle. Il n'y a pas 1896) dirigèrent le mouvement de revalorisation du
de fracture entre la nouvelle façon de parler et d'écrire Moyen Age. La prédilection pour l'art gothique avait
l'architecture et celle de l'interpréter. Si l'on persiste des racines si profondes en Grande-Bretagne qu'elle se
dans l'équivoque d'un code complètement détaché du prolongea sous le règne d'Elisabeth, des Stuart et des
passé, ce qui crée une série d'attitudes rétrogrades, quatre George, malgré le goût pour la Renaissance
basées sur la théorie de l'environnement, cela dépend qu'avaient suscité Inigo Jones et Christopher Wren.
de l'incapacité de déchiffrer sans préjugés le sens Bien avant que Ruskin ne publie The Seven Lamps
actuel, opérationnel, des témoignages antiques. Le but of Architecture (1849) et Stones of Venice (1851) ,
1 2

de cet essai, enrichi pendant plus de vingt ans, consiste certaines œuvres étaient très répandues, comme par
à montrer que la vitalité du langage architectural exemple Gothic Architecture Improved (1742) de Batty
moderne ne fait qu'un avec le désir de donner des Langley, An Attempt to Discriminate the Gothic Styles
époques historiques antérieures une version moderne, (1819) de Thomas Rickman, The Architectural Anti-
orientée vers l'avenir et pleine d'encouragements. En quities of Great Britain (1807-1826) The Cathedral
regard d'elles, la passivité de l'imitation des revivais, Antiquities of Great Britain (1814-1836) de John Brit-
l'indifférence et le renoncement des avant-gardes sont ton, surtout celles d'Augustus Pugin, Spécimens of
absurdes. La révolution de l'historiographie est une Gothic Architecture (1821) et Examples of Gothic
composante indispensable de la révolution architec- Architecture (1831), et en particulier, les livres encore
turale. plus célèbres et incisifs de son fils A. Welby Pugin
— Contrasts ; or a Parallel between the Architecture
of 15th and 19th Centuries (1936), True Principles of

1. Cf. pour les éditions françaises : La couronne d'oliviers sauvages. Les


sept lampes de l'architecture, traduction de G. Elwall, Paris, Société d'édi-
tion artistique, s.d. Une réédition est parue récemment : Les sept lampes de
l'architecture, Paris, éd. les Presses d'aujourd'hui, 1980. (N.d.E.)
2. Cf. Les pierres de Venise. Etude locale pouvant servir de direction
aux voyageurs..., traduction de M . T. Cremieux, Paris, 1906. (N.d.E.)

1 115
chent la vue sur l'extérieur. Cette continuité, inhérente
à la technique de construction du conglomérat,
triomphe sous Hadrien et, plus tard, durant la basse
Antiquité, à Baalbek et à Split et dans le temple de
Minerva Medica à Rome. I l ne faut donc pas s'étonner
du fait qu'on rencontre des analogies entre la villa
d'Hadrien à Tivoli et le Florida Southern Collège réa- C U L T U R E M É D I É V A L E , ARTS AND CRAFTS
lisé par Wright en 1938, ou qu'un architecte comme NÉO-ROMAN : L'INVENTAIRE
Louis Kahn tire son inspiration des ruines romaines.
C O M M E M É T H O D O L O G I E D U PROJET
Le développement de l'architecture moderne se réa-
lise donc en synchronie avec un approfondissement
culturel qui modifie radicalement les méthodes et les John Ruskin (1819-1900) et William Morris ( 1834-
résultats de l'historiographie traditionnelle. Il n'y a pas 1896) dirigèrent le mouvement de revalorisation du
de fracture entre la nouvelle façon de parler et d'écrire Moyen Age. La prédilection pour l'art gothique avait
l'architecture et celle de l'interpréter. Si l'on persiste des racines si profondes en Grande-Bretagne qu'elle se
dans l'équivoque d'un code complètement détaché du prolongea sous le règne d'Elisabeth, des Stuart et des
passé, ce qui crée une série d'attitudes rétrogrades, quatre George, malgré le goût pour la Renaissance
basées sur la théorie de l'environnement, cela dépend qu'avaient suscité Inigo Jones et Christopher Wren.
de l'incapacité de déchiffrer sans préjugés le sens Bien avant que Ruskin ne publie The Seven Lamps
actuel, opérationnel, des témoignages antiques. Le but of Architecture (1849) et Stones of Venice (1851) ,
1 2

de cet essai, enrichi pendant plus de vingt ans, consiste certaines œuvres étaient très répandues, comme par
à montrer que la vitalité du langage architectural exemple Gothic Architecture Improved (1742) de Batty
moderne ne fait qu'un avec le désir de donner des Langley, An Attempt to Discriminate the Gothic Styles
époques historiques antérieures une version moderne, (1819) de Thomas Rickman, The Architectural Anti-
orientée vers l'avenir et pleine d'encouragements. En quities of Great Britain (1807-1826) The Cathedral
regard d'elles, la passivité de l'imitation des revivais, Antiquities of Great Britain (1814-1836) de John Brit-
l'indifférence et le renoncement des avant-gardes sont ton, surtout celles d'Augustus Pugin, Spécimens of
absurdes. La révolution de l'historiographie est une Gothic Architecture (1821) et Examples of Gothic
composante indispensable de la révolution architec- Architecture (1831), et en particulier, les livres encore
turale. plus célèbres et incisifs de son fils A. Welby Pugin
— Contrasts ; or a Parallel between the Architecture
of 15th and 19th Centuries (1936), True Principles of

1. Cf. pour les éditions françaises : La couronne d'oliviers sauvages. Les


sept lampes de l'architecture, traduction de G. Elwall, Paris, Société d'édi-
tion artistique, s.d. Une réédition est parue récemment : Les sept lampes de
l'architecture, Paris, éd. les Presses d'aujourd'hui, 1980. (N.d.E.)
2. Cf. Les pierres de Venise. Etude locale pouvant servir de direction
aux voyageurs..., traduction de M . T. Cremieux, Paris, 1906. (N.d.E.)

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Christian Architecture (1841), An Apology for the sujet !), a besoin de trouver réunies les douceurs tran-
Revival of Gothic Architecture in England (1843) quilles et sereines de la vie, sont conçues avec une
— portèrent la révolte contre le classicisme à son précisionfastidieuse et une correspondance exacte des
paroxysme. proportions monumentales et comprennent quelques
Vers le milieu du siècle, Ruskin trouva donc un ter- vastes salles aux voûtes sombres et très hautes et dont
rain favorable à la diffusion de ses idées. Il suffit de lesfenêtres semblent craindre la nature environnante ;
rappeler qu'en 1836 Charles Barry, architecte qui ten- tout cela transforme les délices en un ennui pompeux.
dait au classicisme, avait confiéles décorationsde style Pour évaluer avec quelle intelligence les architectes
gothique du palais de Westminster dont il était l'auteur, du xvf siècle imitent l'architecture de Rome, il suffit
à A. Welby Pugin. Il fallait toutefois donner une orien- de comparer la villa de Pline avec l'un des édifices les
tation nouvelle à cette revalorisation du Moyen Age, plus admirés, réalisépar un grand artiste, auteur de
la délivrerdu moralisme mystique et la laïciser. Acette nombreuses autres œuvres illustres, c'est-à-dire la
fin, les exemples romans de Venise et, en général, de Rotonda di Capra, située sur les douces collines de
l'Italie du Nord, avaient beaucoup plus de valeur que Vicence. On verra que, tandis que les Romains accor-
les grandes cathédrales françaiseset anglaises. Ruskin daient une place prépondéranteà l'unitéorganique de
et Morris mirent en évidence la signification sociale et leurs maisons et de leurs villas, chez les imitateurs, au
éthiquedu langage m édiéval et soulignèrent son carac- contraire, l'organisme devenait esclave et même dispa-
tère populaire plus que ses virtuosités structurales ; en raissait devant un symbolisme impérieux, tyrannique
fait, ils méprisèrent même les progrès que le xixe siècle [...] C'était une époquede préceptes et l'architec
avait faits dans le domaine de la construction grâce à se transforma en formules, en une série de rapports
Brunei, Paxton, Eiffel et qui devaient beaucoup aux arithmétiques, en un ensemble deformes restreintes et
théoriesde Viollet-le-Duc, comme nous le verrons préétablies [...] De cette irrationalité qui singeait, on
dans le chapitre suivant. passa bientôt à l'irrationalitédélirante. »
Partout, le retour au Moyen Age fut l'arme pour
combattre le classicisme. Même dans un pays comme Si ce jugement de Boito sur le xve siècle et sur le
l'Italie où l'académ iedominait, Camillo Boito fait pré- baroque est sans appel, l'apostrophe qu'il lance contre
céder son volume Architettura del Medio Evo in Italia le néo-classicismefrise la raillerie :
(1880) d'un essai courageux intitulé« Sur le style futur
de l'architecture italienne » qui reflète des thèses avan- « L'architecture ne puisait pas aux sources ; elle se
c é es en Angleterre depuis près de trente ans. contentait d'une érudition de seconde main ; elle imi-
Boito lance ses flèches contre les architectes de la tait les imitateurs. Antonio Canova avait l'intention
haute Renaissance : d'édifierà sesfrais, comme il le fit d'ailleurs, à Possa-
gno sa ville natale, un riche et vaste temple et il
« [...] avec les colonnades, les frontispices, l'ordre écrivait à ce propos, le 5 août 1818 à l'architecte
grandiose de monuments publics romains [ils] arrivent Giannantonio Selva : "J'ai jugé bon de me limiter à
même à figer le charme et la gaieté des maisons de quelques-uns de nos meilleurs architectes et de leur
campagne ; ces agréables retraites où l'homme, cher- communiquer ma décision qui consiste à suivre, pour
chant le repos après les ennuis et les fatigues d'une l'exécution de cette œuvre, l'exemple de quelques
existence laborieuse (comme Horace parle bien à ce illustres monuments sans rien y ajouter. " Selva répon-
116 117
Christian Architecture (1841), An Apology for the sujet !), a besoin de trouver réunies les douceurs tran-
Revival of Gothic Architecture in England (1843) quilles et sereines de la vie, sont conçues avec une
— portèrent la révolte contre le classicisme à son précisionfastidieuse et une correspondance exacte des
paroxysme. proportions monumentales et comprennent quelques
Vers le milieu du siècle, Ruskin trouva donc un ter- vastes salles aux voûtes sombres et très hautes et dont
rain favorable à la diffusion de ses idées. Il suffit de lesfenêtres semblent craindre la nature environnante ;
rappeler qu'en 1836 Charles Barry, architecte qui ten- tout cela transforme les délices en un ennui pompeux.
dait au classicisme, avait confiéles décorationsde style Pour évaluer avec quelle intelligence les architectes
gothique du palais de Westminster dont il était l'auteur, du xvf siècle imitent l'architecture de Rome, il suffit
à A. Welby Pugin. Il fallait toutefois donner une orien- de comparer la villa de Pline avec l'un des édifices les
tation nouvelle à cette revalorisation du Moyen Age, plus admirés, réalisépar un grand artiste, auteur de
la délivrerdu moralisme mystique et la laïciser. Acette nombreuses autres œuvres illustres, c'est-à-dire la
fin, les exemples romans de Venise et, en général, de Rotonda di Capra, située sur les douces collines de
l'Italie du Nord, avaient beaucoup plus de valeur que Vicence. On verra que, tandis que les Romains accor-
les grandes cathédrales françaiseset anglaises. Ruskin daient une place prépondéranteà l'unitéorganique de
et Morris mirent en évidence la signification sociale et leurs maisons et de leurs villas, chez les imitateurs, au
éthiquedu langage m édiéval et soulignèrent son carac- contraire, l'organisme devenait esclave et même dispa-
tère populaire plus que ses virtuosités structurales ; en raissait devant un symbolisme impérieux, tyrannique
fait, ils méprisèrent même les progrès que le xixe siècle [...] C'était une époquede préceptes et l'architec
avait faits dans le domaine de la construction grâce à se transforma en formules, en une série de rapports
Brunei, Paxton, Eiffel et qui devaient beaucoup aux arithmétiques, en un ensemble deformes restreintes et
théoriesde Viollet-le-Duc, comme nous le verrons préétablies [...] De cette irrationalité qui singeait, on
dans le chapitre suivant. passa bientôt à l'irrationalitédélirante. »
Partout, le retour au Moyen Age fut l'arme pour
combattre le classicisme. Même dans un pays comme Si ce jugement de Boito sur le xve siècle et sur le
l'Italie où l'académ iedominait, Camillo Boito fait pré- baroque est sans appel, l'apostrophe qu'il lance contre
céder son volume Architettura del Medio Evo in Italia le néo-classicismefrise la raillerie :
(1880) d'un essai courageux intitulé« Sur le style futur
de l'architecture italienne » qui reflète des thèses avan- « L'architecture ne puisait pas aux sources ; elle se
c é es en Angleterre depuis près de trente ans. contentait d'une érudition de seconde main ; elle imi-
Boito lance ses flèches contre les architectes de la tait les imitateurs. Antonio Canova avait l'intention
haute Renaissance : d'édifierà sesfrais, comme il le fit d'ailleurs, à Possa-
gno sa ville natale, un riche et vaste temple et il
« [...] avec les colonnades, les frontispices, l'ordre écrivait à ce propos, le 5 août 1818 à l'architecte
grandiose de monuments publics romains [ils] arrivent Giannantonio Selva : "J'ai jugé bon de me limiter à
même à figer le charme et la gaieté des maisons de quelques-uns de nos meilleurs architectes et de leur
campagne ; ces agréables retraites où l'homme, cher- communiquer ma décision qui consiste à suivre, pour
chant le repos après les ennuis et les fatigues d'une l'exécution de cette œuvre, l'exemple de quelques
existence laborieuse (comme Horace parle bien à ce illustres monuments sans rien y ajouter. " Selva répon-
116 117
dit à cette lettre et donna son approbation comme renommés et s'adonne, avec une finesse extrême, aux
l'avaient fait les architectes romains et ceux de l'Aca- recherches les plus subtiles". L'architecture se nour-
démiede San Luca. Selva mourut peu après et Canova rissait alors d'expurgations homéopathiques des édi
demanda conseil àAntonio Diedo en luifaisant remar- fices qu'elle singeait, de "moyennes harmoniques" et
quer que l'atrium "de l'église était emprunté au Par-de "recherches subtiles " sur la volute ionique. »
thénon et que les autres parties dérivaient d'autres
temples antiques". Nous ne devons pas nous étonner Boito dénonçait ainsi la double absurdité du classi-
que sa passion pour le classicisme ait poussé Canova cisme qui, d'un côté, imposait des édificesen forme de
à copier minutieusement — pour une église chré- boîtes, axiaux, prospectifs, lugubres, antifonctionnels,
tienne — les temples des idolâtres et nous ne devons assujettis aux tabous de la sym étrieet de la proportion,
pas trouver étrange que les autres l'aient approuvé; et de l'autre, trahissait systém atiquem ent les œuvres de
la réponsede Diedo est intéressante : "Dans le plan, l'Antiquité dont on prétendait s'inspirer. Sur l'autel
rien ne laisse à désirer. Lafaçadeest superbe etje me d'un a priori idéologique et d'une conception dogma-
permettrais seulement d'exprimer un doute, à savoir tique façonBeaux-Arts, le classicisme sacrifiait le pré-
s'il faut reproduire le Parthénonavec ses défautspour sent et le p assé. La situation apparaissait presque
n'altérer en aucune façon la reproduction ou bien si d ésesp éréedans une Italie si im prégnéede confor-
l'on peut y apporter quelques légères modifications misme académ ique :
pour lepurger de certains défauts, comme celui, à mon
avis, d'avoir fait les deux derniers entre-colonnements «Nous sommes un peuple inquiet et paresseux;
plus étroits. Etje n'hésiteraispas àfaire tous les entre-nous n'étudionspas ce qui est ancien et nous combat-
colonnements semblables et àplacer le triglyphe de la tons la nouveauté; nous ricanons devant la singula-
dernière colonne sur l'axe et non pas sur l'angle." rité, et nous nous plaignons de limitation ; nous
Cet homme qui voulait expurger le Parthénonauquel, sommes à la fois sceptiques et pleins de préjugés;
comme nous l'avons vu, il ne comprenait absolument nous sommes scolaires et nous nous moquons de la
rien, avait, en Vénétie, la réputationd'être un illustrephilosophie, notre jugement est naturellement ferme et
architecte et un écrivain au style élégant. Dans unenotre imagination naturellement changeante. Le classi-
description de l'église du Rédempteur à Venise, il cisme nous a légué un patrimoine de rhétorique et
s'écrie : "Voilà le temple qui éclipse tous les autres, l'école néo-catholique un patrimoine de sentimenta
même les plus illustres et les plus beaux", mais bien lisme plein à la fois d'hypocrisie et de malveillance.
vite, il regrette dufond du cœur que la hauteur de la Ces deux influences littéraires généralisées, mais qu
nef "ait environ deux pieds de moins que la moyenne heureusement sont déjà sur le déclin, gâtent nos écoles
harmonique" et il remarque que cela doit être dû à et nos arts '. »
une négligence des constructeurs car il n'est pas pen-
sable que Palladio "se soit endormi sur une question
d'une telle importance". Dans un discours acadé- déL si
'éclectism
n vo l
ture
eitalien ne possédait même pas cette
irrévérencieuse qui permettait aux archi-
mique, Diedo lui-même félicite Giannantonio Selva tectes eu ropé en s de prendre les formes des différentes
d'être l'auteur d'une "Dissertation sur la volute p ériod es historiques en les isolant de leur contexte et
ionique, dans laquelle il développe, avec son habileté
coutumière, les pensées des architectes les plus 1. C. Bo ito , op. cit.

118 119
dit à cette lettre et donna son approbation comme renommés et s'adonne, avec une finesse extrême, aux
l'avaient fait les architectes romains et ceux de l'Aca- recherches les plus subtiles". L'architecture se nour-
démiede San Luca. Selva mourut peu après et Canova rissait alors d'expurgations homéopathiques des édi
demanda conseil àAntonio Diedo en luifaisant remar- fices qu'elle singeait, de "moyennes harmoniques" et
quer que l'atrium "de l'église était emprunté au Par-de "recherches subtiles " sur la volute ionique. »
thénon et que les autres parties dérivaient d'autres
temples antiques". Nous ne devons pas nous étonner Boito dénonçait ainsi la double absurdité du classi-
que sa passion pour le classicisme ait poussé Canova cisme qui, d'un côté, imposait des édificesen forme de
à copier minutieusement — pour une église chré- boîtes, axiaux, prospectifs, lugubres, antifonctionnels,
tienne — les temples des idolâtres et nous ne devons assujettis aux tabous de la sym étrieet de la proportion,
pas trouver étrange que les autres l'aient approuvé; et de l'autre, trahissait systém atiquem ent les œuvres de
la réponsede Diedo est intéressante : "Dans le plan, l'Antiquité dont on prétendait s'inspirer. Sur l'autel
rien ne laisse à désirer. Lafaçadeest superbe etje me d'un a priori idéologique et d'une conception dogma-
permettrais seulement d'exprimer un doute, à savoir tique façonBeaux-Arts, le classicisme sacrifiait le pré-
s'il faut reproduire le Parthénonavec ses défautspour sent et le p assé. La situation apparaissait presque
n'altérer en aucune façon la reproduction ou bien si d ésesp éréedans une Italie si im prégnéede confor-
l'on peut y apporter quelques légères modifications misme académ ique :
pour lepurger de certains défauts, comme celui, à mon
avis, d'avoir fait les deux derniers entre-colonnements «Nous sommes un peuple inquiet et paresseux;
plus étroits. Etje n'hésiteraispas àfaire tous les entre-nous n'étudionspas ce qui est ancien et nous combat-
colonnements semblables et àplacer le triglyphe de la tons la nouveauté; nous ricanons devant la singula-
dernière colonne sur l'axe et non pas sur l'angle." rité, et nous nous plaignons de limitation ; nous
Cet homme qui voulait expurger le Parthénonauquel, sommes à la fois sceptiques et pleins de préjugés;
comme nous l'avons vu, il ne comprenait absolument nous sommes scolaires et nous nous moquons de la
rien, avait, en Vénétie, la réputationd'être un illustrephilosophie, notre jugement est naturellement ferme et
architecte et un écrivain au style élégant. Dans unenotre imagination naturellement changeante. Le classi-
description de l'église du Rédempteur à Venise, il cisme nous a légué un patrimoine de rhétorique et
s'écrie : "Voilà le temple qui éclipse tous les autres, l'école néo-catholique un patrimoine de sentimenta
même les plus illustres et les plus beaux", mais bien lisme plein à la fois d'hypocrisie et de malveillance.
vite, il regrette dufond du cœur que la hauteur de la Ces deux influences littéraires généralisées, mais qu
nef "ait environ deux pieds de moins que la moyenne heureusement sont déjà sur le déclin, gâtent nos écoles
harmonique" et il remarque que cela doit être dû à et nos arts '. »
une négligence des constructeurs car il n'est pas pen-
sable que Palladio "se soit endormi sur une question
d'une telle importance". Dans un discours acadé- déL si
'éclectism
n vo l
ture
eitalien ne possédait même pas cette
irrévérencieuse qui permettait aux archi-
mique, Diedo lui-même félicite Giannantonio Selva tectes eu ropé en s de prendre les formes des différentes
d'être l'auteur d'une "Dissertation sur la volute p ériod es historiques en les isolant de leur contexte et
ionique, dans laquelle il développe, avec son habileté
coutumière, les pensées des architectes les plus 1. C. Bo ito , op. cit.

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de les mélanger ensuite en des pastiches horribles mais de tout rapport abstrait ; qui soit riche quand c 'est
qui témoignaient du moins de leur libre arbitre ; il était nécessaire mais en même temps modeste ; qui puisse
même puritain en ce sens qu'il n'admettait pas le utiliser des colonnes longues, courtes, minces, grosses,
m élangede styles différents: des fenêtres hautes, basses, larges, étroites, jumelées,
trilobées, de vastes corniches saillantes et de petites
«Les critiques d'art italiens conseillent de suivre le corniches à peine esquissées, de grandes archivoltes
style mauresque dans nos théâtres, le style gothique et de petites voûtes, de minces piliers et de robustes
dans nos églises, le style grec dans les portes de nos contreforts, de vigoureux arcs rampants et de fins
villes, le style romain dans nos bourses, le style muni- petits arcs, de délicatsornements et desfeuillages mas-
cipal du Moyen Age dans nos édificespublics, le style sifs ; que ce soit, en somme, une langue riche de mots
anglais Tudor ou italien oufrançaisde la Renaissance et de phrases, à la syntaxe libre, pleine d'imagination
dans nos maisons et ainsi de suite, une architecture et précise, poétiqueet scientifique, qui se prête parfai-
différentepour chaque catégorie d'édifices. Pour nos tem ent à l'expression des concepts les plus ardus et les
cimetières, les uns veulent le style égyptien, d'autres plus langue
divers. On peut trouver l'essence d'une telle
dans l'architecture lombarde et dans le style
se complaisent à emprunter aux Chinois et aux Turcs des é d ifices municipaux du XIVe siècle [...] Dans le
leurs formes et leurs concepts. Un poète chantait à style lom bard qui, durant le xf et le xif siècle, se
juste raison : "Toujours l'honnête homme ouvrit/ La r é p a n d it des provinces de l'Italie du Nord aux pro-
fenêtre des vieux âg es/ Pour aérer son esprit '". Nous
nous aérons tellement qu'une courtisane, comme l'a décorum peutet jusqu'à
vinces centrales
aller de
la région de Naples, le
pair avec l'économie; la
dit Shakespeare, attraperait un rhume2. » construction en pierres de taille de dimensions
Ainsi, étant donnéqu'une nouvelle architecture « ne moyennes disposées en diagonale, se contente de
peut sortir du cerveau d'un architecte ; ne peut être petites cubatures ; l'ornement géométrique et à feuil-
complètement nouvelle ; ne peut se composer de plu- lages r é guliersse contente d'une exécutionintelligente
sieurs styles anciens m élangésni en singer aucun ; m ais pas trop minutieuse ; dans la construction, les
qu'elle doit être nationale, qu'elle doit se rattacher é lé m e n tsenpierre et les murs forment un tout où n 'ont
librement à un seul style italien du p assé, qu'elle doit pas lieu d'être les clés de voûte, les broches et autres
perdre le caractère archéologiquede ce style pour rajoutures qui causent tant de dommage aux construc-
tions ; enfin, chaque partie de l'organisme peut s'exté-
devenir tout à fait moderne », que faut-il choisir, par rioriser librement et peut même fournir l'occasion de
exclusion ? créer des effets d'une beauté singulière. Ainsi, les
matériaux, la main-d'œuvre, la mise en œuvre, tout est
«L'architecte a besoin de sentir sous sa main un moins cher que dans les autres genres d'architecture
style qui se prête docilement et promptement à chaque et plus utile. Tout élément vulgaire qu'on ne peut
situation, qui donne lapossibilitéd'orner à l'occasion cacher sans dommage fait partie de l'art : les chemi-
chaque partie non symétrique de l'édifice; qui n 'en-nées, les gouttières, les canalisations d'eau, les brides,
nuie pas avec des formes préétablies; qui soit exempt les arcs de soutènement, les lucarnes et ainsi de suite.
Le style municipal du XIVe siècle a toutes ces vertus.
1. En français dans le texte. Certes, ilfaudrait mettre de côtécertains effets comme
2. Id., ibid.
121
120
de les mélanger ensuite en des pastiches horribles mais de tout rapport abstrait ; qui soit riche quand c 'est
qui témoignaient du moins de leur libre arbitre ; il était nécessaire mais en même temps modeste ; qui puisse
même puritain en ce sens qu'il n'admettait pas le utiliser des colonnes longues, courtes, minces, grosses,
m élangede styles différents: des fenêtres hautes, basses, larges, étroites, jumelées,
trilobées, de vastes corniches saillantes et de petites
«Les critiques d'art italiens conseillent de suivre le corniches à peine esquissées, de grandes archivoltes
style mauresque dans nos théâtres, le style gothique et de petites voûtes, de minces piliers et de robustes
dans nos églises, le style grec dans les portes de nos contreforts, de vigoureux arcs rampants et de fins
villes, le style romain dans nos bourses, le style muni- petits arcs, de délicatsornements et desfeuillages mas-
cipal du Moyen Age dans nos édificespublics, le style sifs ; que ce soit, en somme, une langue riche de mots
anglais Tudor ou italien oufrançaisde la Renaissance et de phrases, à la syntaxe libre, pleine d'imagination
dans nos maisons et ainsi de suite, une architecture et précise, poétiqueet scientifique, qui se prête parfai-
différentepour chaque catégorie d'édifices. Pour nos tem ent à l'expression des concepts les plus ardus et les
cimetières, les uns veulent le style égyptien, d'autres plus langue
divers. On peut trouver l'essence d'une telle
dans l'architecture lombarde et dans le style
se complaisent à emprunter aux Chinois et aux Turcs des é d ifices municipaux du XIVe siècle [...] Dans le
leurs formes et leurs concepts. Un poète chantait à style lom bard qui, durant le xf et le xif siècle, se
juste raison : "Toujours l'honnête homme ouvrit/ La r é p a n d it des provinces de l'Italie du Nord aux pro-
fenêtre des vieux âg es/ Pour aérer son esprit '". Nous
nous aérons tellement qu'une courtisane, comme l'a décorum peutet jusqu'à
vinces centrales
aller de
la région de Naples, le
pair avec l'économie; la
dit Shakespeare, attraperait un rhume2. » construction en pierres de taille de dimensions
Ainsi, étant donnéqu'une nouvelle architecture « ne moyennes disposées en diagonale, se contente de
peut sortir du cerveau d'un architecte ; ne peut être petites cubatures ; l'ornement géométrique et à feuil-
complètement nouvelle ; ne peut se composer de plu- lages r é guliersse contente d'une exécutionintelligente
sieurs styles anciens m élangésni en singer aucun ; m ais pas trop minutieuse ; dans la construction, les
qu'elle doit être nationale, qu'elle doit se rattacher é lé m e n tsenpierre et les murs forment un tout où n 'ont
librement à un seul style italien du p assé, qu'elle doit pas lieu d'être les clés de voûte, les broches et autres
perdre le caractère archéologiquede ce style pour rajoutures qui causent tant de dommage aux construc-
tions ; enfin, chaque partie de l'organisme peut s'exté-
devenir tout à fait moderne », que faut-il choisir, par rioriser librement et peut même fournir l'occasion de
exclusion ? créer des effets d'une beauté singulière. Ainsi, les
matériaux, la main-d'œuvre, la mise en œuvre, tout est
«L'architecte a besoin de sentir sous sa main un moins cher que dans les autres genres d'architecture
style qui se prête docilement et promptement à chaque et plus utile. Tout élément vulgaire qu'on ne peut
situation, qui donne lapossibilitéd'orner à l'occasion cacher sans dommage fait partie de l'art : les chemi-
chaque partie non symétrique de l'édifice; qui n 'en-nées, les gouttières, les canalisations d'eau, les brides,
nuie pas avec des formes préétablies; qui soit exempt les arcs de soutènement, les lucarnes et ainsi de suite.
Le style municipal du XIVe siècle a toutes ces vertus.
1. En français dans le texte. Certes, ilfaudrait mettre de côtécertains effets comme
2. Id., ibid.
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les mosaïques cosmatesques romaines, les marquete- — L'unitéorganique. Le fait que chaque élém ent
ries du dômede Florence, les colonnes en spirale, les architectural puisse « s'extérioriser librement » signifie
ajours enchevêtrés, les fantaisies, les tarabiscotages ; qu'on élim inela dichotomie qui caractérisela m éthode
mais quelle richesse il resterait encore àprendre dans néo-classique; une boîtequi contient les différents
les édificespublics, les églises, les cloîtres, les maisons espaces intérieurset une colonnade qui entoure la boîte
de ce grand siècle ! Toutefois, nous avons le courage ou bien, comme dans le Paris de Haussmann, d'abord
d'affirmer pour conclure que, selon nous, la grossière les façades,et ensuite les édificesqui sont obligés de
mais fécondearchitecture italienne qu'àdéfaut d'autre s'y adapter. Le style lombard démantèle la préciosité
nom on appelle lombarde, unefois développée, raffinédes e mosaïques byzantines, redonne sa valeur àla
et modernisée, deviendra avec le temps l'architecture matière, au mur brut, concrétisantainsi une tendance
de la nouvelle Italie '. » qui était déjà évidentedans les monuments du haut
Moyen Age. De même, la naissance du mouvement
Pieuse illusion. Si le souhait de Boito s'était réalisé, Arts and Crafts est m arquée par la construction en
l'Italie serait p a ssée à la tête du mouvement moderne 1859 de la maison de William Morris, appelée « mai-
international car, derrière cette puissante apologie de son rouge » car, après des décennies d'hypocrisies en
la périodedu débutdu Moyen Age, on retrouve les stuc, elle revalorise la brique et montre comment l'em-
mêmes motifs que ceux qui avaient p o u sséWilliam ploi honnête des m atériauxpeut fournir « l'occasion de
Morris à promouvoir la réform eArts and Crafts et créer des effets d'une beautésingulière ».
notamment : — L'agencement libre des volumes et des espaces.
— Le sens de la description et de la narration, la L'architecture s'insurge contre le despotisme des ali-
souplesse des m éthodes de conception. Les pro- gnements horizontaux et verticaux, contre la répétition
grammes modernes de construction, de plus en plus des modules des portes et des fenêtres et créedes
différenciés (maisons, usines, écoles, gares, hôpitaux, espaces intérieursqui se projettent sur deux ou trois
etc.) sont occultés et réprim és sous des déguisem ents dimensions, c'est-à-dire sur les murs et sur les coips
pseudo-helléniqueset pseudo-romains majestueux et de bâtim ent. Les pionniers du mouvement moderne
sous les ordres Renaissance assujettis aux règles des comprennent que le caractère «pittoresque » et « anec-
axes, des sym étries, des proportions, de la perspective. dotique » du langage m édiéval implique l'engagement
Par rapport aux compositions grandiloquentes de style profond d'enregistrer les év énem en
tset de les exprimer
classique, une rue m édiévaleprésenteau contraire, des finalement dans leur spécificitéet non plus de les enré-
profils et des tracéschangeants, des cadences sans gimenter dans des séq u en cesmajestueuses et des équi-
répétition, appropriées au déroulem ent dynamique de libres de pleins et de vides établis a priori. Les m aîtres
la réalitéet même su g gérées par laphénom énologie Arts and Crafts et leurs disciples, de Ashbee à Voysey,
fonctionnelle elle-même. Dans un tel climat deliberté se reconnaissent dans cette langue populaire et élabo-
par rapport aux normes préétablieset aux formules sty- rent un langage qui, en quelques an n ées, chassera tout
listiques, se manifeste une exigence morale im périeuse souvenir figuratif du Moyen Age.
qui, s'opposant à la futilitédes revivais, se propose de — Le dialogue ossature —enveloppe. La construc-
garantir la liaison entre l'architecture et la vie. tion dont les « élém ents en pierre et les murs forment
un tout » fascine les architectes néo-rom ans bien
1. I t L, ibid. résolusàs'ém anciper du structuralisme gothique et
122 123
les mosaïques cosmatesques romaines, les marquete- — L'unitéorganique. Le fait que chaque élém ent
ries du dômede Florence, les colonnes en spirale, les architectural puisse « s'extérioriser librement » signifie
ajours enchevêtrés, les fantaisies, les tarabiscotages ; qu'on élim inela dichotomie qui caractérisela m éthode
mais quelle richesse il resterait encore àprendre dans néo-classique; une boîtequi contient les différents
les édificespublics, les églises, les cloîtres, les maisons espaces intérieurset une colonnade qui entoure la boîte
de ce grand siècle ! Toutefois, nous avons le courage ou bien, comme dans le Paris de Haussmann, d'abord
d'affirmer pour conclure que, selon nous, la grossière les façades,et ensuite les édificesqui sont obligés de
mais fécondearchitecture italienne qu'àdéfaut d'autre s'y adapter. Le style lombard démantèle la préciosité
nom on appelle lombarde, unefois développée, raffinédes e mosaïques byzantines, redonne sa valeur àla
et modernisée, deviendra avec le temps l'architecture matière, au mur brut, concrétisantainsi une tendance
de la nouvelle Italie '. » qui était déjà évidentedans les monuments du haut
Moyen Age. De même, la naissance du mouvement
Pieuse illusion. Si le souhait de Boito s'était réalisé, Arts and Crafts est m arquée par la construction en
l'Italie serait p a ssée à la tête du mouvement moderne 1859 de la maison de William Morris, appelée « mai-
international car, derrière cette puissante apologie de son rouge » car, après des décennies d'hypocrisies en
la périodedu débutdu Moyen Age, on retrouve les stuc, elle revalorise la brique et montre comment l'em-
mêmes motifs que ceux qui avaient p o u sséWilliam ploi honnête des m atériauxpeut fournir « l'occasion de
Morris à promouvoir la réform eArts and Crafts et créer des effets d'une beautésingulière ».
notamment : — L'agencement libre des volumes et des espaces.
— Le sens de la description et de la narration, la L'architecture s'insurge contre le despotisme des ali-
souplesse des m éthodes de conception. Les pro- gnements horizontaux et verticaux, contre la répétition
grammes modernes de construction, de plus en plus des modules des portes et des fenêtres et créedes
différenciés (maisons, usines, écoles, gares, hôpitaux, espaces intérieursqui se projettent sur deux ou trois
etc.) sont occultés et réprim és sous des déguisem ents dimensions, c'est-à-dire sur les murs et sur les coips
pseudo-helléniqueset pseudo-romains majestueux et de bâtim ent. Les pionniers du mouvement moderne
sous les ordres Renaissance assujettis aux règles des comprennent que le caractère «pittoresque » et « anec-
axes, des sym étries, des proportions, de la perspective. dotique » du langage m édiéval implique l'engagement
Par rapport aux compositions grandiloquentes de style profond d'enregistrer les év énem en
tset de les exprimer
classique, une rue m édiévaleprésenteau contraire, des finalement dans leur spécificitéet non plus de les enré-
profils et des tracéschangeants, des cadences sans gimenter dans des séq u en cesmajestueuses et des équi-
répétition, appropriées au déroulem ent dynamique de libres de pleins et de vides établis a priori. Les m aîtres
la réalitéet même su g gérées par laphénom énologie Arts and Crafts et leurs disciples, de Ashbee à Voysey,
fonctionnelle elle-même. Dans un tel climat deliberté se reconnaissent dans cette langue populaire et élabo-
par rapport aux normes préétablieset aux formules sty- rent un langage qui, en quelques an n ées, chassera tout
listiques, se manifeste une exigence morale im périeuse souvenir figuratif du Moyen Age.
qui, s'opposant à la futilitédes revivais, se propose de — Le dialogue ossature —enveloppe. La construc-
garantir la liaison entre l'architecture et la vie. tion dont les « élém ents en pierre et les murs forment
un tout » fascine les architectes néo-rom ans bien
1. I t L, ibid. résolusàs'ém anciper du structuralisme gothique et
122 123
néo-gothique programmé. La Bourse d'Amsterdam, réside dans la méthodologie de l'inventaire. Ils annu-
construite par Hendrik Petrus Berlage, évoque lent les enchaînements grammaticaux et syntaxiques,
Sant'Ambrogio à Milan. Sur les lourds murs lombards tous les a priori et les dogmes afin de resémantiser les
enveloppés d'ombre, les piliers et les arêtes des croi- mots dont on a perdu le sens spécifique dans les
sées sont visibles sans toutefois s'opposer à la texture phrases toutes faites des « ordres », dans leur superpo-
en brique. En Hollande, les formes métalliques traver- sition et juxtaposition, dans les consonances et les pro-
sent un espace en creux limité par de robustes murs portions. L'inventaire constitue l'invariant de base du
néo-romans auxquels ils sont reliés grâce à des piliers langage contemporain : si l'on ne se libère pas des
qui disparaissent graduellement dans la maçonnerie. discours conventionnels, des dogmes abstraits et coer-
citifs du classicisme, on ne peut être un architecte
C'est le Moyen Age qui a appris à rendre apparentes moderne. Par conséquent, l'expérience du Moyen Age
les ossatures mais cela déborde le cadre de ce chapitre est, encore aujourd'hui, le moyen le plus efficace pour
sur Y Arts and Crqfts et le néo-roman. Frank Lloyd créer un langage cultivé et populaire, car elle constitue
Wright, fervent médiéviste, adopte ce système dès à la fois son point de départ et l'instrument principal
1900 pour la construction de la Hickox House à Kan- permettant de contrôler son développement.
kakee (Illinois), point de départ d'une recherche qui se
propose de détruire la « boîte » et qui conçoit les murs
comme de simples « écrans » dans la continuité entre
espaces intérieurs et espaces extérieurs. Ludwig Mies
van der Rohe le confirme avec la répétition obsession-
nelle des modules dans le campus de l'Illinois Institute
of Technology de Chicago (1940-56).
Les principaux représentants de Y Arts and Crafts,
de Morris à Voysey, et du néo-roman, de Richardson
et Root à Berlage, donnent naissance à un mouvement
qui se libère des préceptes classiques, se propage dans
le monde entier et trouve, même dans un pays acadé-
mique comme l'Italie, des adeptes convaincus tels que
Boito, Ernesto Basile et Gaetano Moretti. Des artistes
à l'imagination fertile et au courage invincible, se
détachent du « néo-médiévisme » archéologique des
romantiques du xix siècle : ce sont des poètes mo-
e

dernes qui projettent leur anxiété dans le passé. Ils


construisent et étudient, créent et cherchent, animés par
un élan créateur qui les poussent à l'exploration érudite
afin de lui redonner sa vitalité. Ils parlent en termes
contemporains et examinent le passé à la lumière d'une
sensibilité nouvelle.
Leur apport permanent au langage de l'architecture

124
néo-gothique programmé. La Bourse d'Amsterdam, réside dans la méthodologie de l'inventaire. Ils annu-
construite par Hendrik Petrus Berlage, évoque lent les enchaînements grammaticaux et syntaxiques,
Sant'Ambrogio à Milan. Sur les lourds murs lombards tous les a priori et les dogmes afin de resémantiser les
enveloppés d'ombre, les piliers et les arêtes des croi- mots dont on a perdu le sens spécifique dans les
sées sont visibles sans toutefois s'opposer à la texture phrases toutes faites des « ordres », dans leur superpo-
en brique. En Hollande, les formes métalliques traver- sition et juxtaposition, dans les consonances et les pro-
sent un espace en creux limité par de robustes murs portions. L'inventaire constitue l'invariant de base du
néo-romans auxquels ils sont reliés grâce à des piliers langage contemporain : si l'on ne se libère pas des
qui disparaissent graduellement dans la maçonnerie. discours conventionnels, des dogmes abstraits et coer-
citifs du classicisme, on ne peut être un architecte
C'est le Moyen Age qui a appris à rendre apparentes moderne. Par conséquent, l'expérience du Moyen Age
les ossatures mais cela déborde le cadre de ce chapitre est, encore aujourd'hui, le moyen le plus efficace pour
sur Y Arts and Crqfts et le néo-roman. Frank Lloyd créer un langage cultivé et populaire, car elle constitue
Wright, fervent médiéviste, adopte ce système dès à la fois son point de départ et l'instrument principal
1900 pour la construction de la Hickox House à Kan- permettant de contrôler son développement.
kakee (Illinois), point de départ d'une recherche qui se
propose de détruire la « boîte » et qui conçoit les murs
comme de simples « écrans » dans la continuité entre
espaces intérieurs et espaces extérieurs. Ludwig Mies
van der Rohe le confirme avec la répétition obsession-
nelle des modules dans le campus de l'Illinois Institute
of Technology de Chicago (1940-56).
Les principaux représentants de Y Arts and Crafts,
de Morris à Voysey, et du néo-roman, de Richardson
et Root à Berlage, donnent naissance à un mouvement
qui se libère des préceptes classiques, se propage dans
le monde entier et trouve, même dans un pays acadé-
mique comme l'Italie, des adeptes convaincus tels que
Boito, Ernesto Basile et Gaetano Moretti. Des artistes
à l'imagination fertile et au courage invincible, se
détachent du « néo-médiévisme » archéologique des
romantiques du xix siècle : ce sont des poètes mo-
e

dernes qui projettent leur anxiété dans le passé. Ils


construisent et étudient, créent et cherchent, animés par
un élan créateur qui les poussent à l'exploration érudite
afin de lui redonner sa vitalité. Ils parlent en termes
contemporains et examinent le passé à la lumière d'une
sensibilité nouvelle.
Leur apport permanent au langage de l'architecture

124
Quels sont les caractères du monde gothique qui ont
retenu l'attention des artistes modernes ? Ils sont nom-
breux et parfois contradictoires :
— Structure à ossature. Le fer et le béton armé
concentrent les poids et les résistances sur des appuis
isolés, ce qui permet d'éliminer le mur de soutien
HISTORIOGRAPHIE GOTHIQUE, continu. Les cathédrales de l'Ile-de-France, de Notre-
TRAVAUX D'INGÉNIEURS Dame à Amiens, qui illustrent bien cette atrophie pro-
DU xix SIÈCLE, e
gressive des murs, sont les antécédents historiques,
ART NOUVEAU, CITÉ-JARDIN : immédiats et inévitables de cette tendance. Les éléments
de la structure scandent verticalement espaces et
ASYMÉTRIE ET DISSONANCE,
volumes et, dans les intervalles, d'immenses ajours
PORTE-À-FAUX, COQUES ET MEMBRANES lumineux indiquent que les murs, au lieu d'être portants,
peuvent se réduire à de fins écrans. On trouve une
technique semblable dans d'innombrables édifices
modernes comme, par exemple, les magasins Wertheim
Le revival gothique prôné par Eugène Viollet-le-Duc à Berlin, conçus par Alfred Messel.
(1814-1879), précède le néo-roman : Richardson se
— Transparence. A l'apogée de l'époque gothique,
révolte contre la tendance de l'école des Beaux-Arts à
des flots de lumière qui, à travers les poussières en sus-
cristalliser les formes du xrv siècle en « style » et Ber-
e
pension dans l'air, inondent l'édifice et annulent l'im-
lage descend directement de P.J.H. Cuypers qui a conçu
pression de boîte compacte, favorisent l'interpénétration
le Rijksmuseum d'Amsterdam (1877), néo-gothique. De
des espaces intérieurs et extérieurs et créent l'image
même, le mouvement Arts and Crafts naît longtemps
d'un treillis de lignes qui se détachent sur le ciel. Les
après que soient apparues les premières constructions
ingénieurs du xix siècle, émerveillés par les virtualités
e
structurales modernes, la « maison rouge » de Morris fut
expressives du verre et du fer, cherchèrent à réaliser un
bâtie en 1859 tandis que le premier pont de fer construit
vieux rêve magique et se mirent à découper le paysage
à Coalbrookdale en Grande-Bretagne, remonte à 1775.
en longs segments verticaux qui se mesurent à un espace
Toutefois, la culture gothique, en tant que paramètre de
illimité. Plus tard, Auguste Perret ajourera de façon géo-
renouvellement du langage, a des répercussions sur les
métrique tous les murs des églises du Raincy et de Mont-
vingt dernières années du xix siècle, comme le prouvent
e
magny et, en 1951, Lloyd Wright, fils du génie de
les deux célèbres réalisations fondamentales de la nou-
Taliesin, construira une chapelle de cristal à Palos
velle technique : le Crystal Palace (1851) à Londres
Verdes en Californie.
marque une étape cruciale dans l'évolution de la
construction mais ses dentelles ornementales et ses ara- — Lignes de force. Les piliers composites des cathé-
besques Second Empire sont faibles et inefficaces, tan- drales et les corniches élancées des palais du xiv siècle
c

dis que la galerie des machines, à l'exposition de Paris annoncent la conception dynamique des lignes qui sera
de 1889, assimile le message de Viollet-le-Duc tout en reprise par l'Art nouveau, né en Belgique mais vite
le dépouillant de toute réminiscence archéologique. répandu en Europe et dans le monde. La ligne est force,
proclame Henry van de Velde qui élimine toute inertie
de ses visions mouvementées et pleines de vitalité,

126 127
Quels sont les caractères du monde gothique qui ont
retenu l'attention des artistes modernes ? Ils sont nom-
breux et parfois contradictoires :
— Structure à ossature. Le fer et le béton armé
concentrent les poids et les résistances sur des appuis
isolés, ce qui permet d'éliminer le mur de soutien
HISTORIOGRAPHIE GOTHIQUE, continu. Les cathédrales de l'Ile-de-France, de Notre-
TRAVAUX D'INGÉNIEURS Dame à Amiens, qui illustrent bien cette atrophie pro-
DU xix SIÈCLE, e
gressive des murs, sont les antécédents historiques,
ART NOUVEAU, CITÉ-JARDIN : immédiats et inévitables de cette tendance. Les éléments
de la structure scandent verticalement espaces et
ASYMÉTRIE ET DISSONANCE,
volumes et, dans les intervalles, d'immenses ajours
PORTE-À-FAUX, COQUES ET MEMBRANES lumineux indiquent que les murs, au lieu d'être portants,
peuvent se réduire à de fins écrans. On trouve une
technique semblable dans d'innombrables édifices
modernes comme, par exemple, les magasins Wertheim
Le revival gothique prôné par Eugène Viollet-le-Duc à Berlin, conçus par Alfred Messel.
(1814-1879), précède le néo-roman : Richardson se
— Transparence. A l'apogée de l'époque gothique,
révolte contre la tendance de l'école des Beaux-Arts à
des flots de lumière qui, à travers les poussières en sus-
cristalliser les formes du xrv siècle en « style » et Ber-
e
pension dans l'air, inondent l'édifice et annulent l'im-
lage descend directement de P.J.H. Cuypers qui a conçu
pression de boîte compacte, favorisent l'interpénétration
le Rijksmuseum d'Amsterdam (1877), néo-gothique. De
des espaces intérieurs et extérieurs et créent l'image
même, le mouvement Arts and Crafts naît longtemps
d'un treillis de lignes qui se détachent sur le ciel. Les
après que soient apparues les premières constructions
ingénieurs du xix siècle, émerveillés par les virtualités
e
structurales modernes, la « maison rouge » de Morris fut
expressives du verre et du fer, cherchèrent à réaliser un
bâtie en 1859 tandis que le premier pont de fer construit
vieux rêve magique et se mirent à découper le paysage
à Coalbrookdale en Grande-Bretagne, remonte à 1775.
en longs segments verticaux qui se mesurent à un espace
Toutefois, la culture gothique, en tant que paramètre de
illimité. Plus tard, Auguste Perret ajourera de façon géo-
renouvellement du langage, a des répercussions sur les
métrique tous les murs des églises du Raincy et de Mont-
vingt dernières années du xix siècle, comme le prouvent
e
magny et, en 1951, Lloyd Wright, fils du génie de
les deux célèbres réalisations fondamentales de la nou-
Taliesin, construira une chapelle de cristal à Palos
velle technique : le Crystal Palace (1851) à Londres
Verdes en Californie.
marque une étape cruciale dans l'évolution de la
construction mais ses dentelles ornementales et ses ara- — Lignes de force. Les piliers composites des cathé-
besques Second Empire sont faibles et inefficaces, tan- drales et les corniches élancées des palais du xiv siècle
c

dis que la galerie des machines, à l'exposition de Paris annoncent la conception dynamique des lignes qui sera
de 1889, assimile le message de Viollet-le-Duc tout en reprise par l'Art nouveau, né en Belgique mais vite
le dépouillant de toute réminiscence archéologique. répandu en Europe et dans le monde. La ligne est force,
proclame Henry van de Velde qui élimine toute inertie
de ses visions mouvementées et pleines de vitalité,

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conçues en termes d'Einfuhlung c'est-à-dire d'empa- classique, au moyen de surfaces qui vibrent et se
thie. Dans sa maison de la rue de Turin (1893) à plissent.
Bruxelles, Victor Horta avait déjà appliquéce principe ; La deuxième co n séquen ce cependant est positive et
il refuse de recouvrir les colonnes de fer de harnache- tout à fait actuelle : les membranes et les coques du
ments de pierre comme le faisaient les tenants de l'aca- gothique tardif élim inent les lignes de force et redonnent
dém ismeet exhibe sans préjugés ses motifs orne- à laconstruction sonunité. De même, dans les structures
mentaux pleins de vitalitéet de fantaisie. modernes les plus avancées, on ne sép areplus les élé-
— Membranes et coques linéaires. Au xve et au ments résistantsdes zones interm édiairesmais on intro-
xvie siècle, l'architecture gothique abandonne les lignes duit les saillies et les formes m oulées dans tous les
de force et opte pour des trames et des enchevêtrements élém ents de l'organisme. Les dentelles linéaires des
plus complexes, indépendantsdes structures. En Angle- coupoles de Pier Luigi Nervi en sont un exemple.
terre, on dessine la texture de la voûte de la chapelle du — Surfaces ondulées. Quand on ne peut utiliser les
King's Collège de Cambridge, les dentelles ombelli- lignes dynamiques et les grandes surfaces vitrées pour
formes de la cathédrale de Canterbury remplacent les sauvegarder la continuitéspatiale gothique, on incurve
piliers bourgeonnants de Salisbury, les lignes vibrantes les murs et on bouleverse les stéréom étries lourdes et
quoique immobiles de laBodleian Library àOxford pro- sévères. Les palais communaux de P éro useet de Sienne
duisent une impression de sérénité exempte de toute ont des fronts ondulésqui les rendent plus sensibles à la
impulsion dynamique. lumière et leurs couronnements crénelés dialoguent
continuellement avec l'atmosphère environnante. L'Art
S'affranchir ainsi des d on nées techniques entraîne nouveau aussi abhorre les surfaces géom étriquesrigou-
deuxconséquences. reuses ; pour la Maison du Peuple de Bruxelles, Horta
réalise une façadeentièrement concave et à Chicago,
La première, la plus évidente, est négative : le John Root utilise une sériede bow-windows qui, grâce
gothique tardif, m algréses chefs-d'œuvre, sombre dans à un jeu d'interruptions, brisent la monotonie du pilier
des raffinements intellectuels et décoratifs. L'Art nou- massif du Monadnock Block.
veau subira le même sort et, quand il abandonnera la — Lignes verticales. La hauteur est le symbole du
ligne cinglante de Horta et la ligne fonctionnelle de van prestige mystique et humain. Les industriels du
de Velde, il s'étioleradans des motifs floraux conven- xixe siècle compensent la crise religieuse par le culte de
tionnels. C'est le cas par exemple de Joseph Hoffmann. l'argent. Le beffroi de Bruges, la cathédrale de Stras-
En 1905, cet architecte viennois découvrele secret des bourg, l'églisedu Mont-Saint-Michel m odeléeexpres-
petites colonnes torses situéesaux angles du palais sém entpour exalter sa flèche, illustrent bien le caractère
Ducal de Venise qui accélèrent la réfraction de la transcendantal de la verticalitém édiévale. Ces édifices
lumière, séparentles surfaces volum étriqueset annulent ont des équivalentsmodernes tels que les constructions
l'épaisseur des murs. Hoffmann transpose ce principe d'Alessandro Antonelli à Turin et à Novare, la tour Eif-
dans lepalais Stoclet à Bruxelles où il créedes encadre- fel (1889) qui règne sur Paris et lesgratte-ciel am éricains
ments de bronze qui permettent d'assembler entre eux qui vont du néo-gothiqueàl'œuvre rationaliste de
les élém ents dissonants. Au contraire, dans le pavillon George Howe et de William Lescaze à Philadelphie.
autrichien à laBiennale de Venise de 1934, c'est à peine D'ailleurs, Franck Lloyd Wright, en présentant ses tra-
s'il essaie d'animer cet édificesym étrique et de style vaux en Europe, déclara qu'ils étaient «conçus selon
128 129
conçues en termes d'Einfuhlung c'est-à-dire d'empa- classique, au moyen de surfaces qui vibrent et se
thie. Dans sa maison de la rue de Turin (1893) à plissent.
Bruxelles, Victor Horta avait déjà appliquéce principe ; La deuxième co n séquen ce cependant est positive et
il refuse de recouvrir les colonnes de fer de harnache- tout à fait actuelle : les membranes et les coques du
ments de pierre comme le faisaient les tenants de l'aca- gothique tardif élim inent les lignes de force et redonnent
dém ismeet exhibe sans préjugés ses motifs orne- à laconstruction sonunité. De même, dans les structures
mentaux pleins de vitalitéet de fantaisie. modernes les plus avancées, on ne sép areplus les élé-
— Membranes et coques linéaires. Au xve et au ments résistantsdes zones interm édiairesmais on intro-
xvie siècle, l'architecture gothique abandonne les lignes duit les saillies et les formes m oulées dans tous les
de force et opte pour des trames et des enchevêtrements élém ents de l'organisme. Les dentelles linéaires des
plus complexes, indépendantsdes structures. En Angle- coupoles de Pier Luigi Nervi en sont un exemple.
terre, on dessine la texture de la voûte de la chapelle du — Surfaces ondulées. Quand on ne peut utiliser les
King's Collège de Cambridge, les dentelles ombelli- lignes dynamiques et les grandes surfaces vitrées pour
formes de la cathédrale de Canterbury remplacent les sauvegarder la continuitéspatiale gothique, on incurve
piliers bourgeonnants de Salisbury, les lignes vibrantes les murs et on bouleverse les stéréom étries lourdes et
quoique immobiles de laBodleian Library àOxford pro- sévères. Les palais communaux de P éro useet de Sienne
duisent une impression de sérénité exempte de toute ont des fronts ondulésqui les rendent plus sensibles à la
impulsion dynamique. lumière et leurs couronnements crénelés dialoguent
continuellement avec l'atmosphère environnante. L'Art
S'affranchir ainsi des d on nées techniques entraîne nouveau aussi abhorre les surfaces géom étriquesrigou-
deuxconséquences. reuses ; pour la Maison du Peuple de Bruxelles, Horta
réalise une façadeentièrement concave et à Chicago,
La première, la plus évidente, est négative : le John Root utilise une sériede bow-windows qui, grâce
gothique tardif, m algréses chefs-d'œuvre, sombre dans à un jeu d'interruptions, brisent la monotonie du pilier
des raffinements intellectuels et décoratifs. L'Art nou- massif du Monadnock Block.
veau subira le même sort et, quand il abandonnera la — Lignes verticales. La hauteur est le symbole du
ligne cinglante de Horta et la ligne fonctionnelle de van prestige mystique et humain. Les industriels du
de Velde, il s'étioleradans des motifs floraux conven- xixe siècle compensent la crise religieuse par le culte de
tionnels. C'est le cas par exemple de Joseph Hoffmann. l'argent. Le beffroi de Bruges, la cathédrale de Stras-
En 1905, cet architecte viennois découvrele secret des bourg, l'églisedu Mont-Saint-Michel m odeléeexpres-
petites colonnes torses situéesaux angles du palais sém entpour exalter sa flèche, illustrent bien le caractère
Ducal de Venise qui accélèrent la réfraction de la transcendantal de la verticalitém édiévale. Ces édifices
lumière, séparentles surfaces volum étriqueset annulent ont des équivalentsmodernes tels que les constructions
l'épaisseur des murs. Hoffmann transpose ce principe d'Alessandro Antonelli à Turin et à Novare, la tour Eif-
dans lepalais Stoclet à Bruxelles où il créedes encadre- fel (1889) qui règne sur Paris et lesgratte-ciel am éricains
ments de bronze qui permettent d'assembler entre eux qui vont du néo-gothiqueàl'œuvre rationaliste de
les élém ents dissonants. Au contraire, dans le pavillon George Howe et de William Lescaze à Philadelphie.
autrichien à laBiennale de Venise de 1934, c'est à peine D'ailleurs, Franck Lloyd Wright, en présentant ses tra-
s'il essaie d'animer cet édificesym étrique et de style vaux en Europe, déclara qu'ils étaient «conçus selon
128 129
l'esprit gothique » ; après avoir projeté Broadacre City, ches » et où l'on structurait, avec une folle audace, l'ha-
la ville-territoire, il conçut l'Illinois, un gratte-ciel qui bitat européen.
atteint un mile de haut. Howard lutte contre l'expansion hypertrophique des
— Asymétrie et dissonances. La différence éclatante métropoles et propose des agglomérations-satellites
et même, si l'on peut dire, le contraste polémique qui d'environ 30 000 habitants, autonomes du point de vue
existe entre les deux clochers de la cathédrale de économique et fonctionnel '. Sitte fait l'éloge des dimen-
Chartres, l'alliance audacieuse de chapelles early sions des agglomérations médiévales, des rues et des
English, decorated etperpendicular dans les églises bri- places asymétriques, des monuments dissonants. La
tanniques, le déséquilibre surprenant de la tour d'Ar- sociologie, la créativité artistique et l'histoire de l'archi-
nolfo di Cambio au-dessus du Palazzo Vecchio à tecture se rejoignent et on aboutit à l'idée de cité-jardin
Florence reflètent le goût de l'asymétrie et des disso- formulée par Letchworth et Welwyn, puis aux commu-
nances qui sont les principes fondamentaux du langage nautés ouvrières de Bruno Taut et de Ernst May, à la
moderne de l'architecture. Au début du Moyen Age. ville de Sabaudia près de Rome, aux greenbelts améri-
l'inventaire ou analyse fonctionnelle libère l'architec- caines, aux new towns britanniques et Scandinaves, en
ture de la consonance et, à l'époque gothique, on for- somme à tout ce qu'on réalise de positif dans le domaine
mule une méthodologie de la dissonance qui, dépassant de l'urbanisme jusqu'à l'apparition d'une hypothèse
l'unidirectionnalité de la basilique chrétienne, porte à alternative, celle de la ville-territoire.
son paroxysme le contraste entre le parcours longitudi-
nal vers l'autel et le parcours, non plus physique mais
visuel, vers les croisées vertigineuses de la voûte. En
outre, les abbayes, surtout en Angleterre, sont rarement
achevées : on les agrandit constamment en ajoutant de
nouveaux corps de bâtiment sans se soucier de l'unifor-
mité du style et parfois, on accentue même les diffé-
rences de manière surréaliste.
L'influence des plans d'urbanisme médiévaux sur les
plans modernes va bien au-delà d'une simple similitude
visuelle et symbolique. En 1889, Camillo Sitte publie
Der Stàdtebau nach seinen Kùnstlerischen Grundsàt-
zen qui révèle l'art urbain du Moyen Age. Neuf ans plus
1

tard, en 1898, Ebenezer Howard, dans son livre Tomor-


row : a PeacefidPath to RealReform qui sera l'évangile
du nouvel urbanisme international, fige les utopies du
xix siècle, de Robert Owen à Charles Fourier. L'idée de
e

cité-jardin apparaît et on trouve aussitôt son équivalent


historique à l'époque où « les cathédrales étaient blan-

1. L'art de bâtir les villes, nouvelle traduction française, Paris, Vincent- 1. Cf. E. Howard, Les cités-jardins de demain, Paris, Dunod 1969
l'Equerre, 1980. (N.d.E.) fN.d.E.)

130
l'esprit gothique » ; après avoir projeté Broadacre City, ches » et où l'on structurait, avec une folle audace, l'ha-
la ville-territoire, il conçut l'Illinois, un gratte-ciel qui bitat européen.
atteint un mile de haut. Howard lutte contre l'expansion hypertrophique des
— Asymétrie et dissonances. La différence éclatante métropoles et propose des agglomérations-satellites
et même, si l'on peut dire, le contraste polémique qui d'environ 30 000 habitants, autonomes du point de vue
existe entre les deux clochers de la cathédrale de économique et fonctionnel '. Sitte fait l'éloge des dimen-
Chartres, l'alliance audacieuse de chapelles early sions des agglomérations médiévales, des rues et des
English, decorated etperpendicular dans les églises bri- places asymétriques, des monuments dissonants. La
tanniques, le déséquilibre surprenant de la tour d'Ar- sociologie, la créativité artistique et l'histoire de l'archi-
nolfo di Cambio au-dessus du Palazzo Vecchio à tecture se rejoignent et on aboutit à l'idée de cité-jardin
Florence reflètent le goût de l'asymétrie et des disso- formulée par Letchworth et Welwyn, puis aux commu-
nances qui sont les principes fondamentaux du langage nautés ouvrières de Bruno Taut et de Ernst May, à la
moderne de l'architecture. Au début du Moyen Age. ville de Sabaudia près de Rome, aux greenbelts améri-
l'inventaire ou analyse fonctionnelle libère l'architec- caines, aux new towns britanniques et Scandinaves, en
ture de la consonance et, à l'époque gothique, on for- somme à tout ce qu'on réalise de positif dans le domaine
mule une méthodologie de la dissonance qui, dépassant de l'urbanisme jusqu'à l'apparition d'une hypothèse
l'unidirectionnalité de la basilique chrétienne, porte à alternative, celle de la ville-territoire.
son paroxysme le contraste entre le parcours longitudi-
nal vers l'autel et le parcours, non plus physique mais
visuel, vers les croisées vertigineuses de la voûte. En
outre, les abbayes, surtout en Angleterre, sont rarement
achevées : on les agrandit constamment en ajoutant de
nouveaux corps de bâtiment sans se soucier de l'unifor-
mité du style et parfois, on accentue même les diffé-
rences de manière surréaliste.
L'influence des plans d'urbanisme médiévaux sur les
plans modernes va bien au-delà d'une simple similitude
visuelle et symbolique. En 1889, Camillo Sitte publie
Der Stàdtebau nach seinen Kùnstlerischen Grundsàt-
zen qui révèle l'art urbain du Moyen Age. Neuf ans plus
1

tard, en 1898, Ebenezer Howard, dans son livre Tomor-


row : a PeacefidPath to RealReform qui sera l'évangile
du nouvel urbanisme international, fige les utopies du
xix siècle, de Robert Owen à Charles Fourier. L'idée de
e

cité-jardin apparaît et on trouve aussitôt son équivalent


historique à l'époque où « les cathédrales étaient blan-

1. L'art de bâtir les villes, nouvelle traduction française, Paris, Vincent- 1. Cf. E. Howard, Les cités-jardins de demain, Paris, Dunod 1969
l'Equerre, 1980. (N.d.E.) fN.d.E.)

130
basé sur des standards rigides. Les échanges entre la
culture historique et la créativité architecturale, quoique
dissimulés sous une opposition dialectique, sont particu-
lièrement intenses. Considérons tout d'abord les analo-
gies de caractère général :
— Réduction importante des instruments linguis-
RENAISSANCE ET RATIONALISME : tiques. Dans l'éventail de possibilités qu'offre le Moyen
TRIDIMENSIONALITÉ ANTIPERSPECTIVE, Age, Brunelleschi ne retient que quelques éléments : i l
abandonne les marqueteries de marbre, l'hédonisme
SYNTAXE DE L A DÉCOMPOSITION
chromatique, l'élasticité des volumes, les murs trop
QU ADRIDIM ENSIONNELLE ornés, les arcs aigus, les piliers composites, les struc-
tures apparentes, les asymétries et les dissonances
gothiques. I l élimine tout ce qui est accidentel et élabore
un vocabulaire formel très dépouillé. Après la Première
Comme nous avons pu le constater, l'interdépendance Guerre mondiale, Le Corbusier, Gropius, Mies van der
de l'historiographie et de l'architecture est jusqu'ici pré- Rohe et J.J.P. Oud feront de même. Ces artistes opèrent
cise et peut être confirmée de manière détaillée. I l n'en un choix semblable et refusent, avec orgueil, de recourir
est pas de même pour le retour au style Renaissance ; à une multitude d'expédients communicatifs ; ils aban-
encouragé, entre autres, par Jacob Burckhardt dans son donnent non seulement l'éclectisme romantique mais
volume intitulé Die Kultur der Renaissance in Italian aussi l'Art nouveau et le protorationalisme qui prévaut
(1860)', i l ne présente aucun point de contact avec le entre 1900 et 1914. De même que Brunelleschi avait
rationalisme des années 20 et 30. On trouve les dernières refusé la ligne gothique, ils refusent le style floral.
traces de l'influence de la Renaissance dans les travaux Réservés et inflexibles, ils créent des volumes argentés
de l'Autrichien Otto Wagner — qu'il reniera toutefois qui se distinguent, dans le panorama de l'architecture,
dans Moderne Architektur — chez les disciples de Karl
2 par le choix délibéré de la pauvreté excessive.
Friedrich Schinkel et, de façon plus limitée, dans les édi- — Idéologie scientifique et contrôle intellectuel. La
fices d'Une cité industrielle conçus par Tony Garnier en découverte de la perspective est à la base de la poétique
1901-1904 . 3
de la Renaissance, de même que la découverte de la qua-
Cependant on touche à un problème crucial quand on trième dimension par le cubisme constitue le substrat du
affirme que le rationalisme garde encore des éléments du rationalisme. Le mythe des proportions parfaites, l'utili-
classicisme, — Beaux-Arts à l'inverse — surtout en ce sation du nombre d'or, le désir de créer une méthode de
qui concerne le désir de formuler un langage universel conception qui soit valable pour tous les thèmes ainsi
que la mentalité didactique rapprochent la Renaissance
1. Cf. pour l'édition française, La civilisation en Italie au temps de la de l'architecture de la période 1920-1930. La poésie
Renaissance, traduction de L. Schmitt, Paris 1885 ; en format de poche : La tend aux mathématiques.
civilisation de la Renaissance en Italie, Paris, Denoël-Gonthier, bibliothèque
« Médiations », 1958, 2 volumes. (N.d.E.) — Géométrie élémentaire et stéréométrie. La villa
2. Première édition, Vienne, 1895. Réédité en 1914 sous le titre Die Bau- Savoye de Le Corbusier a un plan carré comme les tra-
kunsl unseren Zeil. (N.d.E.) vées du portique de l'hôpital des Innocents de Brunel-
3. Œuvre publiée ultérieurement en un volume : Une cité industrielle,
étude pour la construction des villes, Paris, 1917. (N.d.E.) leschi. Les habitations ouvrières de Oud à Rotterdam

132 133
basé sur des standards rigides. Les échanges entre la
culture historique et la créativité architecturale, quoique
dissimulés sous une opposition dialectique, sont particu-
lièrement intenses. Considérons tout d'abord les analo-
gies de caractère général :
— Réduction importante des instruments linguis-
RENAISSANCE ET RATIONALISME : tiques. Dans l'éventail de possibilités qu'offre le Moyen
TRIDIMENSIONALITÉ ANTIPERSPECTIVE, Age, Brunelleschi ne retient que quelques éléments : i l
abandonne les marqueteries de marbre, l'hédonisme
SYNTAXE DE L A DÉCOMPOSITION
chromatique, l'élasticité des volumes, les murs trop
QU ADRIDIM ENSIONNELLE ornés, les arcs aigus, les piliers composites, les struc-
tures apparentes, les asymétries et les dissonances
gothiques. I l élimine tout ce qui est accidentel et élabore
un vocabulaire formel très dépouillé. Après la Première
Comme nous avons pu le constater, l'interdépendance Guerre mondiale, Le Corbusier, Gropius, Mies van der
de l'historiographie et de l'architecture est jusqu'ici pré- Rohe et J.J.P. Oud feront de même. Ces artistes opèrent
cise et peut être confirmée de manière détaillée. I l n'en un choix semblable et refusent, avec orgueil, de recourir
est pas de même pour le retour au style Renaissance ; à une multitude d'expédients communicatifs ; ils aban-
encouragé, entre autres, par Jacob Burckhardt dans son donnent non seulement l'éclectisme romantique mais
volume intitulé Die Kultur der Renaissance in Italian aussi l'Art nouveau et le protorationalisme qui prévaut
(1860)', i l ne présente aucun point de contact avec le entre 1900 et 1914. De même que Brunelleschi avait
rationalisme des années 20 et 30. On trouve les dernières refusé la ligne gothique, ils refusent le style floral.
traces de l'influence de la Renaissance dans les travaux Réservés et inflexibles, ils créent des volumes argentés
de l'Autrichien Otto Wagner — qu'il reniera toutefois qui se distinguent, dans le panorama de l'architecture,
dans Moderne Architektur — chez les disciples de Karl
2 par le choix délibéré de la pauvreté excessive.
Friedrich Schinkel et, de façon plus limitée, dans les édi- — Idéologie scientifique et contrôle intellectuel. La
fices d'Une cité industrielle conçus par Tony Garnier en découverte de la perspective est à la base de la poétique
1901-1904 . 3
de la Renaissance, de même que la découverte de la qua-
Cependant on touche à un problème crucial quand on trième dimension par le cubisme constitue le substrat du
affirme que le rationalisme garde encore des éléments du rationalisme. Le mythe des proportions parfaites, l'utili-
classicisme, — Beaux-Arts à l'inverse — surtout en ce sation du nombre d'or, le désir de créer une méthode de
qui concerne le désir de formuler un langage universel conception qui soit valable pour tous les thèmes ainsi
que la mentalité didactique rapprochent la Renaissance
1. Cf. pour l'édition française, La civilisation en Italie au temps de la de l'architecture de la période 1920-1930. La poésie
Renaissance, traduction de L. Schmitt, Paris 1885 ; en format de poche : La tend aux mathématiques.
civilisation de la Renaissance en Italie, Paris, Denoël-Gonthier, bibliothèque
« Médiations », 1958, 2 volumes. (N.d.E.) — Géométrie élémentaire et stéréométrie. La villa
2. Première édition, Vienne, 1895. Réédité en 1914 sous le titre Die Bau- Savoye de Le Corbusier a un plan carré comme les tra-
kunsl unseren Zeil. (N.d.E.) vées du portique de l'hôpital des Innocents de Brunel-
3. Œuvre publiée ultérieurement en un volume : Une cité industrielle,
étude pour la construction des villes, Paris, 1917. (N.d.E.) leschi. Les habitations ouvrières de Oud à Rotterdam

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comprennent des éléments circulaires et la forme circu- fois peut-on répéter le module creusé du portique des
laire est l'idéal de l'humanisme de la Renaissance. Des Innocents ? Le palais Pitti doit-il avoir sept fenêtres ou
formes « pures », exposées à la lumière, faciles à appré- bien cinquante ? Les travées de San Lorenzo à Florence
hender, remplacent les valeurs incommensurables et les peuvent-elles être définies ou bien n'obéissent-elles pas
reliefs élaborés des époques précédentes. Le volume de à une règle mathématique rigoureuse ? Que se passerait-
Santa Maria délia Consolazione à Todi est un ondoie- il si l'on altérait, même très peu, les rapports du palais
ment de sphères et de cylindres qui se détachent et s'iso- Bartolini ? En d'autres termes, quand on décompose,
lent de la nature. Les parallélépipèdes sur pilotis de Le comment achève-t-on la séquence des modules,
Corbusier se détachent encore plus. comment peut-on indiquer que l'édifice finit là et non
Ces analogies dérivent d'un processus de décomposi- pas un peu avant ou un peu plus loin ? Et voilà que la
tion de l'organisme spatial, des volumes, des plans et des proportion vient à notre secours, et avec elle, l'euryth-
surfaces. Dès le portique des Innocents, sa première mie, le nombre d'or, le bagage pseudo-scientifique des
œuvre, Brunelleschi décompose. Un plan de forme rec- consonances, les dispositifs des corniches, des bossages
tangulaire ? I l le décompose en une série de carrés. Une angulaires, des frontons, des balustrades, des frises et
façade ? I l choisit un module, un arc sur un carré, et le des candélabres, des cimaises et des cornes d'abon-
répète sur toute la longueur. Pour le palais Pitti, i l doit dance, des plafonds à caissons et des panneaux, des
réaliser un front de pierre, thème qui a une glorieuse tra- modillons, des blasons qui soulignent ou allègent le
dition unitaire dans l'architecture médiévale dont les poids visuel des éléments qui influent sur le rythme pro-
édifices sont animés par une grande variété dans les portionnel.
ouvertures et lignes de force. I l désintègre l'ensemble et Si l'on transcrit ce processus en termes dynamiques,
sélectionne une fenêtre-type qu'il répète sept fois, puis on obtient l'architecture des années 20 et 30. L'expres-
il suit la même méthode dans le sens vertical en divisant sionnisme ne décompose pas mais dispose ses énormes
la hauteur en trois parties équivalentes. Cette méthode, blocs de lave de façon à imposer une vision tridimen-
que l'on nomme « superposition des ordres », est, au xv e sionnelle cinétique, c'est-à-dire antiperspective et
et au xvi siècles, la conséquence de la décomposition
e contraire aux usages de la Renaissance. En revanche,
syntaxique appliquée à deux ou trois dimensions selon les tendances issues du cubisme, on affronte la
comme, par exemple, dans la cour du palais de la Chan- boîte et on la brise en une série de plans dissonants. Le
cellerie à Rome ou à l'intérieur de Santa Maria in Car- néo-plasticisme du groupe De Stijl, dirigé par Théo van
cere à Prato. Les espaces intérieurs aussi sont Doesburg, élabore la syntaxe de la quadridimensionna-
décomposés en divers éléments : nef principale, nefs lité : i l détruit le volume, ne retient que les facteurs de
secondaires, transept, pendentifs, tambour, coupole, lan- base qu'il décompose en plans libres puis assemble de
terne, couronnement, qui sont ensuite juxtaposés ou façon à éviter toute inertie de la perspective. La qua-
superposés, mais qui ne fusionnent pas. trième dimension — le temps — devient l'élément fon-
damental du jeu architectural. Mies van der Rohe,
Un tel code architectural exige un système de propor-
véritable poète de cette tendance, élimine tous les
tions. Aucune loi ne doit régir les différents éléments des
espaces clos et statiques et exalte un seul instrument lin-
édifices médiévaux : le principe de l'inventaire possède
guistique, le diaphragme isolé, les cloisons des murs, les
des capacités correctives intrinsèques dans le cadre
plafonds, les plans d'eau, les plaques de marbre ou de
d'une approche narrative. La décomposition Renais-
verre à l'intérieur desquelles coulent les espaces fluides.
sance exige, elle, un ensemble de normes : combien de

134 135
comprennent des éléments circulaires et la forme circu- fois peut-on répéter le module creusé du portique des
laire est l'idéal de l'humanisme de la Renaissance. Des Innocents ? Le palais Pitti doit-il avoir sept fenêtres ou
formes « pures », exposées à la lumière, faciles à appré- bien cinquante ? Les travées de San Lorenzo à Florence
hender, remplacent les valeurs incommensurables et les peuvent-elles être définies ou bien n'obéissent-elles pas
reliefs élaborés des époques précédentes. Le volume de à une règle mathématique rigoureuse ? Que se passerait-
Santa Maria délia Consolazione à Todi est un ondoie- il si l'on altérait, même très peu, les rapports du palais
ment de sphères et de cylindres qui se détachent et s'iso- Bartolini ? En d'autres termes, quand on décompose,
lent de la nature. Les parallélépipèdes sur pilotis de Le comment achève-t-on la séquence des modules,
Corbusier se détachent encore plus. comment peut-on indiquer que l'édifice finit là et non
Ces analogies dérivent d'un processus de décomposi- pas un peu avant ou un peu plus loin ? Et voilà que la
tion de l'organisme spatial, des volumes, des plans et des proportion vient à notre secours, et avec elle, l'euryth-
surfaces. Dès le portique des Innocents, sa première mie, le nombre d'or, le bagage pseudo-scientifique des
œuvre, Brunelleschi décompose. Un plan de forme rec- consonances, les dispositifs des corniches, des bossages
tangulaire ? I l le décompose en une série de carrés. Une angulaires, des frontons, des balustrades, des frises et
façade ? I l choisit un module, un arc sur un carré, et le des candélabres, des cimaises et des cornes d'abon-
répète sur toute la longueur. Pour le palais Pitti, i l doit dance, des plafonds à caissons et des panneaux, des
réaliser un front de pierre, thème qui a une glorieuse tra- modillons, des blasons qui soulignent ou allègent le
dition unitaire dans l'architecture médiévale dont les poids visuel des éléments qui influent sur le rythme pro-
édifices sont animés par une grande variété dans les portionnel.
ouvertures et lignes de force. I l désintègre l'ensemble et Si l'on transcrit ce processus en termes dynamiques,
sélectionne une fenêtre-type qu'il répète sept fois, puis on obtient l'architecture des années 20 et 30. L'expres-
il suit la même méthode dans le sens vertical en divisant sionnisme ne décompose pas mais dispose ses énormes
la hauteur en trois parties équivalentes. Cette méthode, blocs de lave de façon à imposer une vision tridimen-
que l'on nomme « superposition des ordres », est, au xv e sionnelle cinétique, c'est-à-dire antiperspective et
et au xvi siècles, la conséquence de la décomposition
e contraire aux usages de la Renaissance. En revanche,
syntaxique appliquée à deux ou trois dimensions selon les tendances issues du cubisme, on affronte la
comme, par exemple, dans la cour du palais de la Chan- boîte et on la brise en une série de plans dissonants. Le
cellerie à Rome ou à l'intérieur de Santa Maria in Car- néo-plasticisme du groupe De Stijl, dirigé par Théo van
cere à Prato. Les espaces intérieurs aussi sont Doesburg, élabore la syntaxe de la quadridimensionna-
décomposés en divers éléments : nef principale, nefs lité : i l détruit le volume, ne retient que les facteurs de
secondaires, transept, pendentifs, tambour, coupole, lan- base qu'il décompose en plans libres puis assemble de
terne, couronnement, qui sont ensuite juxtaposés ou façon à éviter toute inertie de la perspective. La qua-
superposés, mais qui ne fusionnent pas. trième dimension — le temps — devient l'élément fon-
damental du jeu architectural. Mies van der Rohe,
Un tel code architectural exige un système de propor-
véritable poète de cette tendance, élimine tous les
tions. Aucune loi ne doit régir les différents éléments des
espaces clos et statiques et exalte un seul instrument lin-
édifices médiévaux : le principe de l'inventaire possède
guistique, le diaphragme isolé, les cloisons des murs, les
des capacités correctives intrinsèques dans le cadre
plafonds, les plans d'eau, les plaques de marbre ou de
d'une approche narrative. La décomposition Renais-
verre à l'intérieur desquelles coulent les espaces fluides.
sance exige, elle, un ensemble de normes : combien de

134 135
Robert Maillait, un ingénieursuisse silencieux, vient
renforcer la poétique de Mies. Il refuse d'exhiber les
structures et condense les élém entsportants de ses ponts
en plans d écoup ésdans le bétonarm é. Gerrit Rietveld,
plus spécieux, applique lam éthodologiede ladécom po-
sition au design, et en particulier aux chaises, il d ésa-
grège les formes traditionnelles en planchettes et en MANIERISME ET BAROQUE,
plaques et les assemble sans cacher les jonctions. ARCHITECTURE ORGANIQUE:
Le goût des stéréom étries rationalistes répondà un TEMPORALISATIONDE L'ESPACE,
besoin parallèle de décom poser la continuitéurbaine RÉ
INT ÉGRA T
ION
caractéristiqueduMoyen Age : plus de rues ressemblant ÉDIFIC
E-VILLE-TERRITOIR
E
à des canaux entre les ran g éesd'édifices, plus de places
ressemblant àdes cubes d'air enserrésdans les construc-
tions. Le plan, libre de toute emprise de la perspective,
constitue le principe fondamental de la vision moderne :
il est valable aussi bien pour les espaces intérieurs que G râceà la transition m aniéristequi mine l'idéal clas-
pour les espaces urbains. sique de la Renaissance en dém antelant les proportions
Ainsi, la quatrième dimension naît en réactioncontre et les rapports, le passage au baroque exprime la réinté-
la rigiditétridimensionnelle du classicisme et l'on passe gration. Le mouvement organique jouera un rôleana-
d'un plan statique (point de vue unique et vision pers- logue en ce qui concerne la direction suivie par Wright
pective fixe) à un champ cinétique (nombre infini de après lerationalisme de l'Écolede Chicago (1880-1893)
points de vue et de visions). Mais la Renaissance et le et la tendance européenne centrée sur Alvar Aalto, le
rationalisme des an nées20 et 30 ont en commun un dur néo-em pirismeScandinave et le néo-expressionnism e
travail théoriqueet analytique, au point que les roman- qui se manifestèrent après la seconde guerre mondiale.
tiques, anciens et nouveaux, leur reprochent leurs Aux xvie et xvne siècles, les routes du m aniérism eet du
tendances intellectuelles, leurs cauchemars pseudo- baroque se croisent, de même qu'à l'époquemoderne,
logiques et leur fantaisie très lim itée, et méconnaissent unphénomène m aniéristecomme le Brutalisme anglais,
la magie du nombre, la drogue enivrante et mythique du vient après lemouvement organique. Le Corbusier
rêve de laproportionparfaite oude ladissonance quadri- incarne les trois phases : dans les an nées20 et 30, il se
dimensionnelle. fait le champion du rationalisme, lerenie quand il
construit la chapelle — presque baroque — de Ron-
champ, tandis que dans le couvent de la Tourette, près
de Lyon et à Chandigarh, le m aniérism eest consolidé.
Dans le cadre de la polém ique virulente contre les
canons du classicisme, le génie de Michel-Ange s'im-
pose. L'escalier de la bibliothèque Laurenziana à Flo-
rence, débouchedans l'atrium cubique avec une force
im pétueuse, tel legrondement du tonnerre dans un
temple. D'immenses colonnes jum elées, em prisonnées
137
Robert Maillait, un ingénieursuisse silencieux, vient
renforcer la poétique de Mies. Il refuse d'exhiber les
structures et condense les élém entsportants de ses ponts
en plans d écoup ésdans le bétonarm é. Gerrit Rietveld,
plus spécieux, applique lam éthodologiede ladécom po-
sition au design, et en particulier aux chaises, il d ésa-
grège les formes traditionnelles en planchettes et en MANIERISME ET BAROQUE,
plaques et les assemble sans cacher les jonctions. ARCHITECTURE ORGANIQUE:
Le goût des stéréom étries rationalistes répondà un TEMPORALISATIONDE L'ESPACE,
besoin parallèle de décom poser la continuitéurbaine RÉ
INT ÉGRA T
ION
caractéristiqueduMoyen Age : plus de rues ressemblant ÉDIFIC
E-VILLE-TERRITOIR
E
à des canaux entre les ran g éesd'édifices, plus de places
ressemblant àdes cubes d'air enserrésdans les construc-
tions. Le plan, libre de toute emprise de la perspective,
constitue le principe fondamental de la vision moderne :
il est valable aussi bien pour les espaces intérieurs que G râceà la transition m aniéristequi mine l'idéal clas-
pour les espaces urbains. sique de la Renaissance en dém antelant les proportions
Ainsi, la quatrième dimension naît en réactioncontre et les rapports, le passage au baroque exprime la réinté-
la rigiditétridimensionnelle du classicisme et l'on passe gration. Le mouvement organique jouera un rôleana-
d'un plan statique (point de vue unique et vision pers- logue en ce qui concerne la direction suivie par Wright
pective fixe) à un champ cinétique (nombre infini de après lerationalisme de l'Écolede Chicago (1880-1893)
points de vue et de visions). Mais la Renaissance et le et la tendance européenne centrée sur Alvar Aalto, le
rationalisme des an nées20 et 30 ont en commun un dur néo-em pirismeScandinave et le néo-expressionnism e
travail théoriqueet analytique, au point que les roman- qui se manifestèrent après la seconde guerre mondiale.
tiques, anciens et nouveaux, leur reprochent leurs Aux xvie et xvne siècles, les routes du m aniérism eet du
tendances intellectuelles, leurs cauchemars pseudo- baroque se croisent, de même qu'à l'époquemoderne,
logiques et leur fantaisie très lim itée, et méconnaissent unphénomène m aniéristecomme le Brutalisme anglais,
la magie du nombre, la drogue enivrante et mythique du vient après lemouvement organique. Le Corbusier
rêve de laproportionparfaite oude ladissonance quadri- incarne les trois phases : dans les an nées20 et 30, il se
dimensionnelle. fait le champion du rationalisme, lerenie quand il
construit la chapelle — presque baroque — de Ron-
champ, tandis que dans le couvent de la Tourette, près
de Lyon et à Chandigarh, le m aniérism eest consolidé.
Dans le cadre de la polém ique virulente contre les
canons du classicisme, le génie de Michel-Ange s'im-
pose. L'escalier de la bibliothèque Laurenziana à Flo-
rence, débouchedans l'atrium cubique avec une force
im pétueuse, tel legrondement du tonnerre dans un
temple. D'immenses colonnes jum elées, em prisonnées
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dans lemur, tentent d ésespérém en td'échapperà l'étran-
glement et apostrophent le mur paisible et pur, rythm
par des modules duxvie siècle. Et les marches de l'esca-
é
T vallonnements et de protubérances ; elle jaillit de terre
comme un volcan et semble cristalliser une étap ede sa
formation dans lepaysage. Dans une scénographiespec-
lier, tombant encascade, contrastent violemment avec le trale, Otto Bartning rassemble les élém ents d'un sanc-
videfigéet dom ptédel'atrium, tel uncri expressionniste tuaire exotique et boiséet les agence librement en
lancécontre l'équilibreaseptique des espaces. formes tombantes.
Dans lespalais duCapitole, Michel-Ange réintègre le Ce mouvement révolutionnaireinsufflait un dyna-
volume en renforçant la hauteur par de gigantesques misme si violent à la perspective, qu'il temporalisait la
piliers. Quand il s'occupe du palais Farnese, il boule- tridim ensionnalitésans avoir recours à la quatrième
verse le dessin prudent de Sangallo avec une corniche dimension et à la m éthode de décom positionen plans
tout àfait disproportionnée, colossale, qui ne se rapporte bidimensionnels. Toutefois, même dans le cadre du
pas au troisième ordre mais à la façadetout entière (tan- langage dérivé du cubisme, on utilise un processus de
dis que la corniche voyante du début de la Renaissance, réintégration. Dans les pavillons de l'exposition de
qui couronne le palais Strozzi à Florence, flotte au-des- Stockholm de 1930, Erik Gunnar Asplund brise la rigi-
sus dubandeau supérieur, net et séparé, afin de respecter ditéprismatique, conteste le despotisme de la géom étrie
la répartitionde la construction sur trois niveaux bien et adopte des lignes courbes et sinueuses qui facilitent
distincts). Pour les fortifications de Florence (1529), l'interaction continue des volumes.
Michel-Ange réalise des dessins fascinants(supra, Analysons l'églisedu Gesù à Rome. Du point de vue
fig. 26-28, pp. 94-96) dans lesquels il bouleverse le code syntaxique, lam éthodede décom positionest encorepré-
de l'époque; pour la place du Capitole, il remplace les sente : l'organisme est dém anteléen une nef principale,
plans sym étriques et sans mouvement par un vide qu'il des ran g éesde chapelles, le presbytère et le transept, la
comprime enune forme trapézoïdale, débordantede ten- coupole, l'abside. Cependant, si on la compare à une
siondynamique, et dont les alignements perspectifs sont œuvre du xve siècle et même à l'églisede Sant'Andrea
inversés : avec l'abside de Saint-Pierre et Porta Pia, il à Mantoue qui la préfigurait de manière singulière, on
d ép asselem aniérismeet le baroque. perçoit la crise des conceptions de la Renaissance.
L'expressionnisme, qui joue un rôle semblable dans L'atrophie des nefs secondaires qui se réduisent à des
l'histoire moderne, engage une violente polém ique chapelles et l'encaissement dutransept dans leparallélé-
contre la décom positionet en faveur de la réintégration. pipède de la construction donnent la préém inenceabso-
Ses deuxprincipaux représentantssont Antoni Gaudi en lue à l'espace central qui domine effectivement et
Catalogne et ErichMendelsohn enAllemagne ; de nom- devient le vrai point de mire. Le passage de la division
breuses œuvres, comme le Goetheanum à Dornach, en parties équivalentes ou harmoniques à la hiérarchie
reflètent ce climat. Aphorismes univoques, violents, entraîne, comme Heinrich W ôfflin l'a m ontré de
bouleversants, dans une matière fluide et m alléable. La manière exhaustive dans Renaissance und Barock
Casa Milà à Barcelone offre un mur qui se tord et se (1888) ', la réunificationdes fragments que la période
déchire, une asym étriejamais vue, des m odelés toté- précédente avait séparés. Une nef secondaire Renais-
miques qui gesticulent et bouleversent la ligne du ciel sance est un ensemble autonome du point de vue de la
et des espaces intérieurs qui semblent creu sésdans des
mottes d'argile. La tour Einstein à Potsdam regorge de 1. Traduction françaisede Guy Ballangé, Renaissance et Baroque. Paris.
Le Livre de Poche, 1967. (N.d.E.)
138
139
dans lemur, tentent d ésespérém en td'échapperà l'étran-
glement et apostrophent le mur paisible et pur, rythm
par des modules duxvie siècle. Et les marches de l'esca-
é
T vallonnements et de protubérances ; elle jaillit de terre
comme un volcan et semble cristalliser une étap ede sa
formation dans lepaysage. Dans une scénographiespec-
lier, tombant encascade, contrastent violemment avec le trale, Otto Bartning rassemble les élém ents d'un sanc-
videfigéet dom ptédel'atrium, tel uncri expressionniste tuaire exotique et boiséet les agence librement en
lancécontre l'équilibreaseptique des espaces. formes tombantes.
Dans lespalais duCapitole, Michel-Ange réintègre le Ce mouvement révolutionnaireinsufflait un dyna-
volume en renforçant la hauteur par de gigantesques misme si violent à la perspective, qu'il temporalisait la
piliers. Quand il s'occupe du palais Farnese, il boule- tridim ensionnalitésans avoir recours à la quatrième
verse le dessin prudent de Sangallo avec une corniche dimension et à la m éthode de décom positionen plans
tout àfait disproportionnée, colossale, qui ne se rapporte bidimensionnels. Toutefois, même dans le cadre du
pas au troisième ordre mais à la façadetout entière (tan- langage dérivé du cubisme, on utilise un processus de
dis que la corniche voyante du début de la Renaissance, réintégration. Dans les pavillons de l'exposition de
qui couronne le palais Strozzi à Florence, flotte au-des- Stockholm de 1930, Erik Gunnar Asplund brise la rigi-
sus dubandeau supérieur, net et séparé, afin de respecter ditéprismatique, conteste le despotisme de la géom étrie
la répartitionde la construction sur trois niveaux bien et adopte des lignes courbes et sinueuses qui facilitent
distincts). Pour les fortifications de Florence (1529), l'interaction continue des volumes.
Michel-Ange réalise des dessins fascinants(supra, Analysons l'églisedu Gesù à Rome. Du point de vue
fig. 26-28, pp. 94-96) dans lesquels il bouleverse le code syntaxique, lam éthodede décom positionest encorepré-
de l'époque; pour la place du Capitole, il remplace les sente : l'organisme est dém anteléen une nef principale,
plans sym étriques et sans mouvement par un vide qu'il des ran g éesde chapelles, le presbytère et le transept, la
comprime enune forme trapézoïdale, débordantede ten- coupole, l'abside. Cependant, si on la compare à une
siondynamique, et dont les alignements perspectifs sont œuvre du xve siècle et même à l'églisede Sant'Andrea
inversés : avec l'abside de Saint-Pierre et Porta Pia, il à Mantoue qui la préfigurait de manière singulière, on
d ép asselem aniérismeet le baroque. perçoit la crise des conceptions de la Renaissance.
L'expressionnisme, qui joue un rôle semblable dans L'atrophie des nefs secondaires qui se réduisent à des
l'histoire moderne, engage une violente polém ique chapelles et l'encaissement dutransept dans leparallélé-
contre la décom positionet en faveur de la réintégration. pipède de la construction donnent la préém inenceabso-
Ses deuxprincipaux représentantssont Antoni Gaudi en lue à l'espace central qui domine effectivement et
Catalogne et ErichMendelsohn enAllemagne ; de nom- devient le vrai point de mire. Le passage de la division
breuses œuvres, comme le Goetheanum à Dornach, en parties équivalentes ou harmoniques à la hiérarchie
reflètent ce climat. Aphorismes univoques, violents, entraîne, comme Heinrich W ôfflin l'a m ontré de
bouleversants, dans une matière fluide et m alléable. La manière exhaustive dans Renaissance und Barock
Casa Milà à Barcelone offre un mur qui se tord et se (1888) ', la réunificationdes fragments que la période
déchire, une asym étriejamais vue, des m odelés toté- précédente avait séparés. Une nef secondaire Renais-
miques qui gesticulent et bouleversent la ligne du ciel sance est un ensemble autonome du point de vue de la
et des espaces intérieurs qui semblent creu sésdans des
mottes d'argile. La tour Einstein à Potsdam regorge de 1. Traduction françaisede Guy Ballangé, Renaissance et Baroque. Paris.
Le Livre de Poche, 1967. (N.d.E.)
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perspective. Dans l'égliseSant'Andrea à Mantoue on a peut accepter cette dichotomie et essaye tout d'abord de
une articulation spatiale tandis que les chapelles de la dép asserau moyen d'un jeu compact de formes plas-
l'égliseduGesù sont entièrement tributaires de la majes- tiques qui s'intensifie au point de jonction. Mais cela
tueuse nef principale. Comparons la coupole de cette n'est pas suffisant parce que le second espace forme une
église avec celle de Santa Maria délieCarceri à Prato, sorte deprosceniumpar rapport aupremier, et l'observa-
par exemple : sur leplan m écanique, on trouve le même teur n'est plus obligéde se déplacer. Rainaldi rompt
processus de décom position, des archivoltes qui délim i- l'équilibredes masses lumineuses ; il assombrit l'espace
tent les berceaux de la nef et du transept et un tambour antérieuret rend éblouissant l'espace postérieur : la dis-
qui repose sur un anneau. Toutefois, les différencessont sonance des dimensions devient ainsi le com plém entde
évidentes: la décorationbaroque confond les différentes la dissonance de lumière.
parties tandis que, à Prato, les voûtes, les lunettes et les Le Corbusier agit de même lorsqu'il martèle lemur de
arêtes brillantes accentuent la séparation. APrato, l'an- lachapelle deRonchamp pour endégagerdem ystérieux
neau est bien détachédes corniches latéralestandis que effets de lumière.
celui du Gesù invite à la fusion. A Rome, le diamètre L'interpénétrationdes formes spatiales — qui se
—beaucoup plus grand —de la coupole est égal à la répercutesur la continuitéde la structure —atteint son
largeur de la nef, par conséquentla coupole est énorm e, point culminant avec Borromini. Dès l'églisede San
elle domine avec une force qui est en contradiction avec Carlino aile Quattro Fontane, sonchoix est fait : l'espace
les lois eurythmiques de la Renaissance, rejette les qu'il doit am énag erest extrêmement étroitet suggère un
consonances et démantèle le système des proportions. plan rectangulaire qui impliquerait la décom positionen
Comme Vignole pour l'églisedu Gesù, Aalto, pour la mur de façade, murs latérauxet fond. Un cercle ? Il en
bibliothèque de Viipuri, boycotte tacitement la décom - résulteraitune équivalencestatique. Un ovale ? Trop
position. Un plafond de bois onduléplane, en effet, sur facile : ce serait une protestation contre le classicisme,
la salle de conférencesrectangulaire, descend et se pro- sans leminer. La solution deBorromini est extrêmement
longe sur le mur du fond, réunifiant l'espace : plus de complexe : deux fois deux ellipses en caissées et enve-
boîtedém anteléeen sixrectangles mais réunificationdu loppées dans un mur en bandeau tortueux, ensemble
mur et duplafond. Approche m aniériste, critique interne indéchiffrabled'un uniquepoint de vue et qui impose un
durationalisme et toutefois indication d'une architecture mouvement incessant àl'intérieurde cet espace restreint
organique capable d'avoir un impact direct sur les et pourtant illimité.
espaces intérieurs. La genèse de Sant'Agnese, sur lapiazza Navona, pré-
Revenons au baroque. L'aversion pour ce qui est sta- sente trois phases principales :
tique est une co nséquen cedu désir de réintégration. Le — premier acte : le plan précédent, tentative aphone
plan ellipsoïdal que Bernini, m algréquelque hésitation, et velléitairede plan longitudinal ;
utilise de façon répétée, dissocie l'espace en deux — deuxième acte : leprojet initial. Il évoquele dessin
foyers, chaque élém ent se référant à une double coordi- conçupar Michel-Ange pour Saint-Pierre avec la cou-
nation ; l'œil passant imperceptiblement de l'un à pole qui domine et comprime l'église. Approche de style
l'autre, la vision devient cinétique. Pour Santa Maria in Renaissance avec une double sym étrie, briséepar la dis-
Campitelli à Rome, Carlo Rainaldi affronte un thème sonance explosive des proportions du couronnement ;
beaucoup plus risqué : deux espaces intérieurs formant — troisième acte : plan définitif, qui se dilate et se
une séquence, disposés sur un axe longitudinal. Il ne contracte à la fois, impossible à contenir dans un cadre
140 141
perspective. Dans l'égliseSant'Andrea à Mantoue on a peut accepter cette dichotomie et essaye tout d'abord de
une articulation spatiale tandis que les chapelles de la dép asserau moyen d'un jeu compact de formes plas-
l'égliseduGesù sont entièrement tributaires de la majes- tiques qui s'intensifie au point de jonction. Mais cela
tueuse nef principale. Comparons la coupole de cette n'est pas suffisant parce que le second espace forme une
église avec celle de Santa Maria délieCarceri à Prato, sorte deprosceniumpar rapport aupremier, et l'observa-
par exemple : sur leplan m écanique, on trouve le même teur n'est plus obligéde se déplacer. Rainaldi rompt
processus de décom position, des archivoltes qui délim i- l'équilibredes masses lumineuses ; il assombrit l'espace
tent les berceaux de la nef et du transept et un tambour antérieuret rend éblouissant l'espace postérieur : la dis-
qui repose sur un anneau. Toutefois, les différencessont sonance des dimensions devient ainsi le com plém entde
évidentes: la décorationbaroque confond les différentes la dissonance de lumière.
parties tandis que, à Prato, les voûtes, les lunettes et les Le Corbusier agit de même lorsqu'il martèle lemur de
arêtes brillantes accentuent la séparation. APrato, l'an- lachapelle deRonchamp pour endégagerdem ystérieux
neau est bien détachédes corniches latéralestandis que effets de lumière.
celui du Gesù invite à la fusion. A Rome, le diamètre L'interpénétrationdes formes spatiales — qui se
—beaucoup plus grand —de la coupole est égal à la répercutesur la continuitéde la structure —atteint son
largeur de la nef, par conséquentla coupole est énorm e, point culminant avec Borromini. Dès l'églisede San
elle domine avec une force qui est en contradiction avec Carlino aile Quattro Fontane, sonchoix est fait : l'espace
les lois eurythmiques de la Renaissance, rejette les qu'il doit am énag erest extrêmement étroitet suggère un
consonances et démantèle le système des proportions. plan rectangulaire qui impliquerait la décom positionen
Comme Vignole pour l'églisedu Gesù, Aalto, pour la mur de façade, murs latérauxet fond. Un cercle ? Il en
bibliothèque de Viipuri, boycotte tacitement la décom - résulteraitune équivalencestatique. Un ovale ? Trop
position. Un plafond de bois onduléplane, en effet, sur facile : ce serait une protestation contre le classicisme,
la salle de conférencesrectangulaire, descend et se pro- sans leminer. La solution deBorromini est extrêmement
longe sur le mur du fond, réunifiant l'espace : plus de complexe : deux fois deux ellipses en caissées et enve-
boîtedém anteléeen sixrectangles mais réunificationdu loppées dans un mur en bandeau tortueux, ensemble
mur et duplafond. Approche m aniériste, critique interne indéchiffrabled'un uniquepoint de vue et qui impose un
durationalisme et toutefois indication d'une architecture mouvement incessant àl'intérieurde cet espace restreint
organique capable d'avoir un impact direct sur les et pourtant illimité.
espaces intérieurs. La genèse de Sant'Agnese, sur lapiazza Navona, pré-
Revenons au baroque. L'aversion pour ce qui est sta- sente trois phases principales :
tique est une co nséquen cedu désir de réintégration. Le — premier acte : le plan précédent, tentative aphone
plan ellipsoïdal que Bernini, m algréquelque hésitation, et velléitairede plan longitudinal ;
utilise de façon répétée, dissocie l'espace en deux — deuxième acte : leprojet initial. Il évoquele dessin
foyers, chaque élém ent se référant à une double coordi- conçupar Michel-Ange pour Saint-Pierre avec la cou-
nation ; l'œil passant imperceptiblement de l'un à pole qui domine et comprime l'église. Approche de style
l'autre, la vision devient cinétique. Pour Santa Maria in Renaissance avec une double sym étrie, briséepar la dis-
Campitelli à Rome, Carlo Rainaldi affronte un thème sonance explosive des proportions du couronnement ;
beaucoup plus risqué : deux espaces intérieurs formant — troisième acte : plan définitif, qui se dilate et se
une séquence, disposés sur un axe longitudinal. Il ne contracte à la fois, impossible à contenir dans un cadre
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perspectif, telle une immense cassure qui temporalise Panthéon, mais d'un point de vue anticlassique et
l'espace. Examinons aussi le rapport église-coupole. déchiré au plus haut degré. La forme géométrique de
Quand on entre, l'angle visuel le plus large inclut au base de Sant'Ivo ? Méconnaissable : l'hexagone du
maximum l'imposte de la corniche du tambour, alors plancher ne produit aucun effet spatial car les côtés sont
que si l'on mesure la section borrominienne, on s'aper- lacérés violemment afin d'y situer des configurations
çoit que l'on arrive à peine à la moitié de cette hauteur concaves ou convexes, des forces centrifuges qui, non
vraiment étonnante. Cette incroyable « disproportion » seulement alternent avec des impulsions centripètes,
par rapport à toute contemplation statique oblige à se mais qui sont constamment entravées et même mutilées
déplacer, à appréhender le temps selon une dimension dans leur élan vers l'extérieur. Les triangles qui s'entre-
dramatique. Le baroque rapproche l'objet de l'observa- croisent en forme d'étoile de David ne correspondent
teur de façon qu'on ne puisse le considérer comme un pas exactement au plan ; toutefois, ils sont le signe d'une
événement « autre » par rapport à soi-même : l'édifice géométrie virtuelle qui se complète en dehors de
aspire, captive ; pour le connaître, il faut le vivre de l'église, au-delà de son volume. Le génie de Borromini
façon active. accomplit ce miracle : rendre éminemment dynamique
un organisme central.
Passons à l'architecture moderne. Nous avons vu que Chaque aspect du langage baroque se propose le
le « maniérisme » d'Asplund à Stockholm a provoqué la même but. Examinons par exemple le problème de la
crise de la décomposition volumétrique et que celui communication verticale. Pendant la Renaissance, l'es-
d'Aalto à Viipuri a postulé une réintégration à l'intérieur calier est un produit parmi tant d'autres de la décomposi-
du prisme rationaliste. Le pavillon finlandais de l'expo- tion et on l'emprisonne dans une cage parce que la
sition de New York de 1939 correspond à Sant'Agnese. continuité dans le sens de la hauteur est inconciliable
Au lieu de diviser un espace quadrangulaire en plans à avec la superposition des ordres. Même en plein
« aménager », Aalto — avec un style digne de Michel- xvi siècle, l'escalier du palais de la Sapienza relégué
e

Ange — comprime l'espace au moyen d'un gigantesque dans un des nombreux rectangles qui composent l'édi-
mur plissé. Brisant ainsi toute perspective horizontale, il fice, n'a de répercussions ni sur la cour ni sur les façades.
scande la hauteur en quatre parties : la partie inférieure De même que Sant'Andrea à Mantoue annonce l'église
n'a pas de fond, les autres pèsent sur l'observateur, l'en- du Gesù, l'escalier hélicoïdal de Caprarola, préfigura-
traînent dans le circuit des formes boursouflées, débor- tion de l'escalier en colimaçon du Belvédère au Vatican,
dantes, effrangées, rugueuses qui remplacent les met fin au système précédent. Avec l'avènement du
surfaces diaphanes, les contours minutieusement définis baroque, on descelle la boîte du x v f siècle. Dans les log-
du rationalisme quadridimensionnel. gias du palais Barberini, l'espace extérieur déferle dans
L'histoire des coupoles s'achève avec le prodige de le hall d'entrée que de vastes rampes en forme de
Sant'Ivo alla Sapienza. Arrêt de mort de la décomposi- tenailles défoncent. C'est là le premier de ces escaliers
tion Renaissance et maniériste, c'est-à-dire fin du pro- grandioses qui, du palais Madame à Turin au palais
cessus qui consiste à additionner les éléments ; église + Royal de Caserte construit par Vanvitelli, attestent
raccords + tambour + coupole + lanterne. Où est la cou- — contre le fractionnement des ordres classiques — le
pole ? Elle n'existe plus : son imposte se confond avec la retour à l'intégration verticale.
corniche de la cavité qui se trouve au-dessous, prolonge Une fois qu'on a retrouvé l'unité des composantes
l'édifice et s'y enracine. Réintégration totale, comme au architecturales, on passe à la réintégration ville-édifice.

142 143
perspectif, telle une immense cassure qui temporalise Panthéon, mais d'un point de vue anticlassique et
l'espace. Examinons aussi le rapport église-coupole. déchiré au plus haut degré. La forme géométrique de
Quand on entre, l'angle visuel le plus large inclut au base de Sant'Ivo ? Méconnaissable : l'hexagone du
maximum l'imposte de la corniche du tambour, alors plancher ne produit aucun effet spatial car les côtés sont
que si l'on mesure la section borrominienne, on s'aper- lacérés violemment afin d'y situer des configurations
çoit que l'on arrive à peine à la moitié de cette hauteur concaves ou convexes, des forces centrifuges qui, non
vraiment étonnante. Cette incroyable « disproportion » seulement alternent avec des impulsions centripètes,
par rapport à toute contemplation statique oblige à se mais qui sont constamment entravées et même mutilées
déplacer, à appréhender le temps selon une dimension dans leur élan vers l'extérieur. Les triangles qui s'entre-
dramatique. Le baroque rapproche l'objet de l'observa- croisent en forme d'étoile de David ne correspondent
teur de façon qu'on ne puisse le considérer comme un pas exactement au plan ; toutefois, ils sont le signe d'une
événement « autre » par rapport à soi-même : l'édifice géométrie virtuelle qui se complète en dehors de
aspire, captive ; pour le connaître, il faut le vivre de l'église, au-delà de son volume. Le génie de Borromini
façon active. accomplit ce miracle : rendre éminemment dynamique
un organisme central.
Passons à l'architecture moderne. Nous avons vu que Chaque aspect du langage baroque se propose le
le « maniérisme » d'Asplund à Stockholm a provoqué la même but. Examinons par exemple le problème de la
crise de la décomposition volumétrique et que celui communication verticale. Pendant la Renaissance, l'es-
d'Aalto à Viipuri a postulé une réintégration à l'intérieur calier est un produit parmi tant d'autres de la décomposi-
du prisme rationaliste. Le pavillon finlandais de l'expo- tion et on l'emprisonne dans une cage parce que la
sition de New York de 1939 correspond à Sant'Agnese. continuité dans le sens de la hauteur est inconciliable
Au lieu de diviser un espace quadrangulaire en plans à avec la superposition des ordres. Même en plein
« aménager », Aalto — avec un style digne de Michel- xvi siècle, l'escalier du palais de la Sapienza relégué
e

Ange — comprime l'espace au moyen d'un gigantesque dans un des nombreux rectangles qui composent l'édi-
mur plissé. Brisant ainsi toute perspective horizontale, il fice, n'a de répercussions ni sur la cour ni sur les façades.
scande la hauteur en quatre parties : la partie inférieure De même que Sant'Andrea à Mantoue annonce l'église
n'a pas de fond, les autres pèsent sur l'observateur, l'en- du Gesù, l'escalier hélicoïdal de Caprarola, préfigura-
traînent dans le circuit des formes boursouflées, débor- tion de l'escalier en colimaçon du Belvédère au Vatican,
dantes, effrangées, rugueuses qui remplacent les met fin au système précédent. Avec l'avènement du
surfaces diaphanes, les contours minutieusement définis baroque, on descelle la boîte du x v f siècle. Dans les log-
du rationalisme quadridimensionnel. gias du palais Barberini, l'espace extérieur déferle dans
L'histoire des coupoles s'achève avec le prodige de le hall d'entrée que de vastes rampes en forme de
Sant'Ivo alla Sapienza. Arrêt de mort de la décomposi- tenailles défoncent. C'est là le premier de ces escaliers
tion Renaissance et maniériste, c'est-à-dire fin du pro- grandioses qui, du palais Madame à Turin au palais
cessus qui consiste à additionner les éléments ; église + Royal de Caserte construit par Vanvitelli, attestent
raccords + tambour + coupole + lanterne. Où est la cou- — contre le fractionnement des ordres classiques — le
pole ? Elle n'existe plus : son imposte se confond avec la retour à l'intégration verticale.
corniche de la cavité qui se trouve au-dessous, prolonge Une fois qu'on a retrouvé l'unité des composantes
l'édifice et s'y enracine. Réintégration totale, comme au architecturales, on passe à la réintégration ville-édifice.

142 143
A Bath, en Angleterre, on réalise sur une échelle urbaine Corso, avec au loin, le panorama sur lequel se détache
le mur ondulé de Borromini. L'ondulation baroque Saint-Pierre dans la direction indiquée par la ligne de
scelle les cavités, les coudes, les recoins du vaste bloc, fuite du palais. Les édifices qui l'entourent évitent le
soude les différentes parties qui deviennent interdépen- tracé orthogonal et leurs murs reflètent par conséquent
dantes par rapport à la lumière : si une sinuosité est éclai- une infinité de tonalités et de gammes lumineuses : la
rée, la suivante est sombre, la troisième est plus place du Quirinal assimile et décrit, selon les heures,
éblouissante, la quatrième voilée ; plus de décomposi- toute la lumière.
tion, plus de césures soudaines entre lumière et obscurité On ne peut réintégrer si l'on n'a pas auparavant
mais un passage graduel et homogène. décomposé. La continuité urbaine baroque dissocie
Dans les dortoirs du Massachusetts Institute of Tech- donc les façades du volume de telle sorte qu'elles
nology, on retrouve le volume ondulé. En outre, l'esca- deviennent de simples décors. Prenons deux exemples
lier qui était jusqu'ici enfermé dans un tube vertical, fait parmi tant d'autres : la façade de Sant'Agnese sur la
saillie sur toute la façade qui donne sur le campus et piazza Navona où Borromini incurve la surface des
devient l'instrument de réunification des différents murs, et la basilique de Santa Maria Maggiore avec ses
étages superposés ; Aalto remplace la décomposition portées larges et saisissantes que les côtés mettent en
des parcours en couloirs (circulation horizontale) et en relief. La façade de San Carlino conteste violemment
escaliers (circulation verticale) par un escalier-couloir. l'angle des Quattro Fontane afin de mettre l'accent sur
La Piazza di Spagna à Rome détruit toutes les conno- l'axe de la rue. Les convexités du tambour de SantTvo
tations Renaissance ; elle nie les vides symétriques sem- sont dissonantes par rapport à la partie inférieure
blables à celui de la piazza dell'Annunziata à Florence concave qui est reliée au portique du xvi siècle. Pour
e

ou même de la place du Capitole, avec leurs construc- achever la réintégration, le volume Renaissance, consi-
tions identiques sur les côtés et l'église ou l'édifice prin- déré en soi, est brisé par la double agression des espaces
cipal de face et un point de vue qui permet d'embrasser internes et de la continuité urbaine.
l'ensemble. Séparée en deux triangles qui s'interpéné-
trent, la piazza di Spagna renvoie de l'un à l'autre selon L'architecture organique est pour le rationalisme des
un rythme ralenti tandis qu'au centre, l'étranglement fait années 1920-1930 ce que le baroque est pour la Renais-
place à l'escalier de la Trinità dei Monti ou s'engage sance. I l s'agit d'un phénomène linguistique analogue,
dans le canal sombre de la via Condotti. Grâce à cette avec une différence essentielle cependant : le baroque
extraordinaire invention antiperspective, la place n'est réintègre les trois dimensions de la Renaissance tandis
plus un épisode isolé d'une ville fractionnée en une mul- que l'architecture organique réintègre les quatre dimen-
titude d'épisodes mais le point de convergence et de ren- sions du cubisme ; le baroque raisonne en termes de
voi des directrices urbaines. murs ondulés et de décors de rues, le mouvement orga-
La place du Quirinal élimine toute géométrie élémen- nique, en termes de volumes et d'espaces de la ville-ter-
taire, toute stéréométrie rigoureuse des vides ; aucune ritoire.
corrélation entre les côtés et, évidemment, aucune symé- Frank Lloyd Wright, se basant sur une expérience
trie. Une cavité sans forme préétablie où débouchent, ici, rationaliste née trente ans plus tôt que celle qui se déve-
le rectiligne de la via X X Settembre dessiné par Michel- loppera en Europe, apparaît, dès le début du siècle,
Ange qui portait autrefois le nom de Stradia Pia, là, la comme le prophète et le génie de la tendance organique.
descente vers la piazza Venezia ou bien vers la via del Il prône l'horizontalité, la ligne de terre, les matériaux

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A Bath, en Angleterre, on réalise sur une échelle urbaine Corso, avec au loin, le panorama sur lequel se détache
le mur ondulé de Borromini. L'ondulation baroque Saint-Pierre dans la direction indiquée par la ligne de
scelle les cavités, les coudes, les recoins du vaste bloc, fuite du palais. Les édifices qui l'entourent évitent le
soude les différentes parties qui deviennent interdépen- tracé orthogonal et leurs murs reflètent par conséquent
dantes par rapport à la lumière : si une sinuosité est éclai- une infinité de tonalités et de gammes lumineuses : la
rée, la suivante est sombre, la troisième est plus place du Quirinal assimile et décrit, selon les heures,
éblouissante, la quatrième voilée ; plus de décomposi- toute la lumière.
tion, plus de césures soudaines entre lumière et obscurité On ne peut réintégrer si l'on n'a pas auparavant
mais un passage graduel et homogène. décomposé. La continuité urbaine baroque dissocie
Dans les dortoirs du Massachusetts Institute of Tech- donc les façades du volume de telle sorte qu'elles
nology, on retrouve le volume ondulé. En outre, l'esca- deviennent de simples décors. Prenons deux exemples
lier qui était jusqu'ici enfermé dans un tube vertical, fait parmi tant d'autres : la façade de Sant'Agnese sur la
saillie sur toute la façade qui donne sur le campus et piazza Navona où Borromini incurve la surface des
devient l'instrument de réunification des différents murs, et la basilique de Santa Maria Maggiore avec ses
étages superposés ; Aalto remplace la décomposition portées larges et saisissantes que les côtés mettent en
des parcours en couloirs (circulation horizontale) et en relief. La façade de San Carlino conteste violemment
escaliers (circulation verticale) par un escalier-couloir. l'angle des Quattro Fontane afin de mettre l'accent sur
La Piazza di Spagna à Rome détruit toutes les conno- l'axe de la rue. Les convexités du tambour de SantTvo
tations Renaissance ; elle nie les vides symétriques sem- sont dissonantes par rapport à la partie inférieure
blables à celui de la piazza dell'Annunziata à Florence concave qui est reliée au portique du xvi siècle. Pour
e

ou même de la place du Capitole, avec leurs construc- achever la réintégration, le volume Renaissance, consi-
tions identiques sur les côtés et l'église ou l'édifice prin- déré en soi, est brisé par la double agression des espaces
cipal de face et un point de vue qui permet d'embrasser internes et de la continuité urbaine.
l'ensemble. Séparée en deux triangles qui s'interpéné-
trent, la piazza di Spagna renvoie de l'un à l'autre selon L'architecture organique est pour le rationalisme des
un rythme ralenti tandis qu'au centre, l'étranglement fait années 1920-1930 ce que le baroque est pour la Renais-
place à l'escalier de la Trinità dei Monti ou s'engage sance. I l s'agit d'un phénomène linguistique analogue,
dans le canal sombre de la via Condotti. Grâce à cette avec une différence essentielle cependant : le baroque
extraordinaire invention antiperspective, la place n'est réintègre les trois dimensions de la Renaissance tandis
plus un épisode isolé d'une ville fractionnée en une mul- que l'architecture organique réintègre les quatre dimen-
titude d'épisodes mais le point de convergence et de ren- sions du cubisme ; le baroque raisonne en termes de
voi des directrices urbaines. murs ondulés et de décors de rues, le mouvement orga-
La place du Quirinal élimine toute géométrie élémen- nique, en termes de volumes et d'espaces de la ville-ter-
taire, toute stéréométrie rigoureuse des vides ; aucune ritoire.
corrélation entre les côtés et, évidemment, aucune symé- Frank Lloyd Wright, se basant sur une expérience
trie. Une cavité sans forme préétablie où débouchent, ici, rationaliste née trente ans plus tôt que celle qui se déve-
le rectiligne de la via X X Settembre dessiné par Michel- loppera en Europe, apparaît, dès le début du siècle,
Ange qui portait autrefois le nom de Stradia Pia, là, la comme le prophète et le génie de la tendance organique.
descente vers la piazza Venezia ou bien vers la via del Il prône l'horizontalité, la ligne de terre, les matériaux

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bruts, parfois coriaces et telluriques, la maison qui, en terrompu entre les espaces intérieurset les espaces exté-
tant que facteur du paysage réintégré, s'enfonce dans le rieurs, privéset publics. Avec Wright, une nouvelle
sol. Il élim inetout résiduclassique du langage de Sulli- ligne architecturale est née qui, malgrélalenteur exaspé-
van et de l'écolede Chicago : volumes isolés,surfaces rante avec laquelle elle est assim ilée, donne son
lisses, profils nets, puretécristalline, abstractiongéom é- empreinte àtoute approche et à toute recherche contem-
trique. Pour la « maison Roberts », construite en 1908 à poraine.
River Forest, Wright va au-delà de la superposition des
étag eset réaliseun séjour de hauteur double ; quarante
ans plus tard, il conçoit, pour le m uséeGuggenheim de
NewYorkune rampe hélicoïdale grandiose qui n'est pas
seulement un escalier-couloir mais unerue-édifice.
Par rapport àlaproduction actuelle, et même en consi-
dérantlesréalisationslesplus hardies, les chefs-d'œuvre
de l'architecture organique — la « maison sur la cas-
cade », le Johnson Buildind à Racine, Wisconsin, et
Taliesin West, Arizona — appartiennent au futur. Ils
résum enttous les invariants du code moderne : l'inven-
taire, les dissonances, la tridimensionnalitéantiperspec-
tive qui permet d'éviter le dogmatisme cubiste, la
décom positionquadridimensionnelle qui fait de Wright
le père du néo-plasticism e De Stijl, les structures en
porte-à-faux qui s'expriment à Falling Water d'une
manière sans égale, la temporalisation de l'espace et la
réintégration édifice-ville-territoire. Cinquante ans
avant les autres, Wright a l'intuition que l'invention de
l'automobile a détruit l'antinomie traditionnelle entre
les agglom érations urbaines et la campagne. Dans son
projet pour Broadacre City, il propose ainsi une urbani-
sationqui se développesur tout le territoire, sans exclure
toutefois des creusets de densitéfortement concentrée,
vertébréspar des gratte-ciel d'un mile de haut projetés
vers le futur.
Leprincipe de réintégrationqualifie toutes les réalisa-
tions contemporaines valables. Il suffit de citer l'Habitat
de Moshe Safdie à M ontréal et le Mummers Theater de
John Johansen à Oklahoma City. Dans les deux cas,
montage de cellules et tubes de communication, édifices
non finis et ouverts, qui accueillent dans leur propre
organisme l'espace de la ville grâceà un dialogue inin-
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bruts, parfois coriaces et telluriques, la maison qui, en terrompu entre les espaces intérieurset les espaces exté-
tant que facteur du paysage réintégré, s'enfonce dans le rieurs, privéset publics. Avec Wright, une nouvelle
sol. Il élim inetout résiduclassique du langage de Sulli- ligne architecturale est née qui, malgrélalenteur exaspé-
van et de l'écolede Chicago : volumes isolés,surfaces rante avec laquelle elle est assim ilée, donne son
lisses, profils nets, puretécristalline, abstractiongéom é- empreinte àtoute approche et à toute recherche contem-
trique. Pour la « maison Roberts », construite en 1908 à poraine.
River Forest, Wright va au-delà de la superposition des
étag eset réaliseun séjour de hauteur double ; quarante
ans plus tard, il conçoit, pour le m uséeGuggenheim de
NewYorkune rampe hélicoïdale grandiose qui n'est pas
seulement un escalier-couloir mais unerue-édifice.
Par rapport àlaproduction actuelle, et même en consi-
dérantlesréalisationslesplus hardies, les chefs-d'œuvre
de l'architecture organique — la « maison sur la cas-
cade », le Johnson Buildind à Racine, Wisconsin, et
Taliesin West, Arizona — appartiennent au futur. Ils
résum enttous les invariants du code moderne : l'inven-
taire, les dissonances, la tridimensionnalitéantiperspec-
tive qui permet d'éviter le dogmatisme cubiste, la
décom positionquadridimensionnelle qui fait de Wright
le père du néo-plasticism e De Stijl, les structures en
porte-à-faux qui s'expriment à Falling Water d'une
manière sans égale, la temporalisation de l'espace et la
réintégration édifice-ville-territoire. Cinquante ans
avant les autres, Wright a l'intuition que l'invention de
l'automobile a détruit l'antinomie traditionnelle entre
les agglom érations urbaines et la campagne. Dans son
projet pour Broadacre City, il propose ainsi une urbani-
sationqui se développesur tout le territoire, sans exclure
toutefois des creusets de densitéfortement concentrée,
vertébréspar des gratte-ciel d'un mile de haut projetés
vers le futur.
Leprincipe de réintégrationqualifie toutes les réalisa-
tions contemporaines valables. Il suffit de citer l'Habitat
de Moshe Safdie à M ontréal et le Mummers Theater de
John Johansen à Oklahoma City. Dans les deux cas,
montage de cellules et tubes de communication, édifices
non finis et ouverts, qui accueillent dans leur propre
organisme l'espace de la ville grâceà un dialogue inin-
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encore une fois, sont en même temps critiques et créa-
tives. L'étude des territoires, des paysages, des habitats
de moindre importance, le développement même de la
recherche urbaine nous ont amenés à reconnaître la
valeur de « l'architecture sans architectes », des milieux
et des environnements spontanés en dehors desquels les
PREHISTOIRE ET DEGRE ZERO DE monuments perdent toute leur signification. D'ailleurs,
L'ARCHITECTURE il existe des réalisations artistiques suprêmes — de la
piazza del Campo à Sienne à la piazza di Spagna à
Rome — qui ne possèdent aucun édifice digne d'atten-
tion, et des villes splendides, comme Ferrare, construites
Historiographie, revivais et langage moderne sont les par des architectes modestes. Les plans d'aménagement
trois pôles suivant lesquels nous avons examiné l'évolu- modernes embrassent tous les aspects physiques des
tion de l'architecture depuis les monuments de la Grèce communautés humaines et il est logique qu'ils analysent
antique jusqu'à la période baroque. Nous avons vu que, aussi les agglomérations « hors du temps » que sont les
d'une part, l'analyse érudite dupasse conduit aux orgies barriadas, les favelas, les taudis et les baraques, bref,
de l'éclectisme stylistique qui a cependant eu le mérite tout ce qui a été jusqu'à présent banni de l'histoire de
de s'affranchir de la dictature néo-classique et que, l'art.
d'autre part, les aspects positifs de la recherche histo- Les architectes ont encore une autre raison, bien plus
rique ont nourri l'expérience moderne d'une manière profonde, pour méditer sur la préhistoire. A une époque
ineffable et occulte, d'autant plus incisive qu'elle était de consommation fébrile sur le plan linguistique, où l'on
moins évidente. gaspille les structures et les codes avant même de les
Il nous faut considérer maintenant l'époque préhisto- avoir formalisés et où les signes vieillissent sans avoir
rique qui remonte à des centaines de millénaires avant atteint la maturité, les architectes se tournent vers les ori-
l'apparition de l'écriture et qui s'est prolongée, parallè- gines, vers les habitats des peuples sauvages ou des
lement à l'époque historique, dans les régions les plus hommes qui, dans le magma métropolitain, vivent dans
arriérées sur le plan technologique, dans les campagnes des conditions « sauvages ». Dégoûté des expédients et
et, en partie, dans les constructions urbaines anonymes, des modes épidermiques, l'architecte — pour employer
partout où les architectes sont absents et où règne le une expression de Roland Barthes — revient au « degré
kitsch. I l s'agit d'un panorama immense qui va de l'ha- zéro de l'écriture » ou essaye de lui insuffler une nou-
bitat paléolithique aux enseignes lumineuses de Las velle vigueur au moyen des idiomes populaires. Cette
Vegas et qui comprend les patois, les modes d'expres- opération « hippy » pleine d'équivoques et d'illusions,
sion exotiques, spontanés, dialectaux, étrangers aux est toutefois salutaire. I l ne fait aucun doute que toutes
codes officiels, c'est-à-dire primitifs, « préhistoriques » les révolutions linguistiques sont issues du refus des
quoique provenant de l'accumulation des rebuts de la codes en vigueur, d'une remise à zéro. Quoique d'une
société industrielle récupérés par le pop art. manière différente et dans une mesure différente, Bru-
nelleschi, Michel-Ange, Borromini, Gaudi quand i l
L'intérêt pour la préhistoire, dans la plus grande
s'inspire des cavernes d'Almeria et des cabanes du
acception du terme, s'est énormément développé au
Tongo, Wright pour l'Ocotillo Désert Camp, à côté de
cours des dernières décennies. Pourquoi ? Les raisons,

148 149
encore une fois, sont en même temps critiques et créa-
tives. L'étude des territoires, des paysages, des habitats
de moindre importance, le développement même de la
recherche urbaine nous ont amenés à reconnaître la
valeur de « l'architecture sans architectes », des milieux
et des environnements spontanés en dehors desquels les
PREHISTOIRE ET DEGRE ZERO DE monuments perdent toute leur signification. D'ailleurs,
L'ARCHITECTURE il existe des réalisations artistiques suprêmes — de la
piazza del Campo à Sienne à la piazza di Spagna à
Rome — qui ne possèdent aucun édifice digne d'atten-
tion, et des villes splendides, comme Ferrare, construites
Historiographie, revivais et langage moderne sont les par des architectes modestes. Les plans d'aménagement
trois pôles suivant lesquels nous avons examiné l'évolu- modernes embrassent tous les aspects physiques des
tion de l'architecture depuis les monuments de la Grèce communautés humaines et il est logique qu'ils analysent
antique jusqu'à la période baroque. Nous avons vu que, aussi les agglomérations « hors du temps » que sont les
d'une part, l'analyse érudite dupasse conduit aux orgies barriadas, les favelas, les taudis et les baraques, bref,
de l'éclectisme stylistique qui a cependant eu le mérite tout ce qui a été jusqu'à présent banni de l'histoire de
de s'affranchir de la dictature néo-classique et que, l'art.
d'autre part, les aspects positifs de la recherche histo- Les architectes ont encore une autre raison, bien plus
rique ont nourri l'expérience moderne d'une manière profonde, pour méditer sur la préhistoire. A une époque
ineffable et occulte, d'autant plus incisive qu'elle était de consommation fébrile sur le plan linguistique, où l'on
moins évidente. gaspille les structures et les codes avant même de les
Il nous faut considérer maintenant l'époque préhisto- avoir formalisés et où les signes vieillissent sans avoir
rique qui remonte à des centaines de millénaires avant atteint la maturité, les architectes se tournent vers les ori-
l'apparition de l'écriture et qui s'est prolongée, parallè- gines, vers les habitats des peuples sauvages ou des
lement à l'époque historique, dans les régions les plus hommes qui, dans le magma métropolitain, vivent dans
arriérées sur le plan technologique, dans les campagnes des conditions « sauvages ». Dégoûté des expédients et
et, en partie, dans les constructions urbaines anonymes, des modes épidermiques, l'architecte — pour employer
partout où les architectes sont absents et où règne le une expression de Roland Barthes — revient au « degré
kitsch. I l s'agit d'un panorama immense qui va de l'ha- zéro de l'écriture » ou essaye de lui insuffler une nou-
bitat paléolithique aux enseignes lumineuses de Las velle vigueur au moyen des idiomes populaires. Cette
Vegas et qui comprend les patois, les modes d'expres- opération « hippy » pleine d'équivoques et d'illusions,
sion exotiques, spontanés, dialectaux, étrangers aux est toutefois salutaire. I l ne fait aucun doute que toutes
codes officiels, c'est-à-dire primitifs, « préhistoriques » les révolutions linguistiques sont issues du refus des
quoique provenant de l'accumulation des rebuts de la codes en vigueur, d'une remise à zéro. Quoique d'une
société industrielle récupérés par le pop art. manière différente et dans une mesure différente, Bru-
nelleschi, Michel-Ange, Borromini, Gaudi quand i l
L'intérêt pour la préhistoire, dans la plus grande
s'inspire des cavernes d'Almeria et des cabanes du
acception du terme, s'est énormément développé au
Tongo, Wright pour l'Ocotillo Désert Camp, à côté de
cours des dernières décennies. Pourquoi ? Les raisons,

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Chandler, Arizona (1927), Mendelsohn quand il Wright à prôner le principe de « la maison comme refu-
découvre P« architecture des dunes », Le Corbusier ge » reflète-t-elle un besoin atavique qui se manifeste au
quand il rejette — pour construire Ronchamp — les cinq cours des siècles, des temples hypogées aux catacombes,
principes énoncés en 1921, repartent de zéro. Safdie des grottes Renaissance et baroques aux boîtes souter-
remet à zéro quand i l transplante l'organisation du vil- raines, ou bien est-ce le principe des pilotis préconisé par
lage du Moyen-Orient et l'esprit des Kibboutz au Le Corbusier qui est valable ? Et encore : les construc-
Canada, de même que Johansen quand i l entasse la fer- tions qui enveloppent l'espace intérieur et éliminent les
raille pour construire le Mummers Theater. Les réalisa- « coutures » et les plans juxtaposés comme on en trouve
tions du mouvement « informel », les habitations à Capri, Positano, Ravello, Procida et Amalfi, dans les
pseudo-troglodytes et les « espaces sculptés » d'André toits à coupole de la Riviera ou des campagnes de Bar-
Bloc, les édifices « sans fin » de Frederick Kiesler, les letta, dans les trulli des Pouilles ne sont-elles pas des
projets « à l'oblique » de Claude Parent, les « architec- organisations préférables aux décompositions de la
tures de terre » rentrent dans la même optique. Renaissance ou du néo-plasticisme ? Et l'enchevêtre-
Le retour à la préhistoire se généralise au moment où ment des maisons et des rues de Matère ne témoigne-t-il
s'écroule l'optimisme envers le futur de la société tech- pas d'une tendance à la réintégration ? Les dolmens et
nologique et où l'on dénonce les conséquences du les menhirs éparpillés dans les zones préhistoriques et
désastre écologique, d'une massification aliénante, du les ruines énigmatiques de Stonehenge n'attestent-elles
nivellement bureaucratique, de l'individu conformiste et pas que la monumentalité est un caractère inhérent à
sans qualité. La peinture moderne se tourne vers le geste l'expérience humaine ?
et la musique accueille favorablement l'esthétique du De nombreuses interrogations se présentent à l'esprit
bruit et la technique aléatoire ; Burri et Rauchenberg inquiet de l'architecte et requièrent des réponses scienti-
apportent des chiffons dans les musées, les jeunes accep- fiques. I l n'est pas question de régresser à des attitudes
tent le provisoire et, s'habillant de hardes, tentent de romantiques basées sur le charme légendaire et mysté-
faire entrer l'art dans la vie. rieux du passé mais d'établir un dialogue systématique
La psychanalyse et l'anthropologie explorent les cou- entre l'art et la critique, d'affronter avec courage et éner-
tumes, les totems et les tabous des peuples primitifs pour gie une nouvelle lecture de la préhistoire et de l'histoire
identifier les exigences élémentaires et instinctives que afin de parler le langage moderne de l'architecture.
la civilisation des machines réprime. En architecture
aussi, remettre à zéro signifie affronter tous les pro-
blèmes de base comme si l'on devait construire la pre-
mière maison de l'histoire : l'entassement de milliers de
personnes dans des métropoles surpeuplées est-il
compatible avec la survivance de l'individu ? Quelles
sont les limites de la tolérance de la société correspon-
dant aux différentes phases du développement économi-
que ? Le plan des habitats archaïques suit-il un schéma
géométrique, comme le damier conçu plus tard par Hip-
podamos de Milet, ou bien, au contraire, des tracés non
orthogonaux ? La fidélité envers la terre qui pousse

150
Chandler, Arizona (1927), Mendelsohn quand il Wright à prôner le principe de « la maison comme refu-
découvre P« architecture des dunes », Le Corbusier ge » reflète-t-elle un besoin atavique qui se manifeste au
quand il rejette — pour construire Ronchamp — les cinq cours des siècles, des temples hypogées aux catacombes,
principes énoncés en 1921, repartent de zéro. Safdie des grottes Renaissance et baroques aux boîtes souter-
remet à zéro quand i l transplante l'organisation du vil- raines, ou bien est-ce le principe des pilotis préconisé par
lage du Moyen-Orient et l'esprit des Kibboutz au Le Corbusier qui est valable ? Et encore : les construc-
Canada, de même que Johansen quand i l entasse la fer- tions qui enveloppent l'espace intérieur et éliminent les
raille pour construire le Mummers Theater. Les réalisa- « coutures » et les plans juxtaposés comme on en trouve
tions du mouvement « informel », les habitations à Capri, Positano, Ravello, Procida et Amalfi, dans les
pseudo-troglodytes et les « espaces sculptés » d'André toits à coupole de la Riviera ou des campagnes de Bar-
Bloc, les édifices « sans fin » de Frederick Kiesler, les letta, dans les trulli des Pouilles ne sont-elles pas des
projets « à l'oblique » de Claude Parent, les « architec- organisations préférables aux décompositions de la
tures de terre » rentrent dans la même optique. Renaissance ou du néo-plasticisme ? Et l'enchevêtre-
Le retour à la préhistoire se généralise au moment où ment des maisons et des rues de Matère ne témoigne-t-il
s'écroule l'optimisme envers le futur de la société tech- pas d'une tendance à la réintégration ? Les dolmens et
nologique et où l'on dénonce les conséquences du les menhirs éparpillés dans les zones préhistoriques et
désastre écologique, d'une massification aliénante, du les ruines énigmatiques de Stonehenge n'attestent-elles
nivellement bureaucratique, de l'individu conformiste et pas que la monumentalité est un caractère inhérent à
sans qualité. La peinture moderne se tourne vers le geste l'expérience humaine ?
et la musique accueille favorablement l'esthétique du De nombreuses interrogations se présentent à l'esprit
bruit et la technique aléatoire ; Burri et Rauchenberg inquiet de l'architecte et requièrent des réponses scienti-
apportent des chiffons dans les musées, les jeunes accep- fiques. I l n'est pas question de régresser à des attitudes
tent le provisoire et, s'habillant de hardes, tentent de romantiques basées sur le charme légendaire et mysté-
faire entrer l'art dans la vie. rieux du passé mais d'établir un dialogue systématique
La psychanalyse et l'anthropologie explorent les cou- entre l'art et la critique, d'affronter avec courage et éner-
tumes, les totems et les tabous des peuples primitifs pour gie une nouvelle lecture de la préhistoire et de l'histoire
identifier les exigences élémentaires et instinctives que afin de parler le langage moderne de l'architecture.
la civilisation des machines réprime. En architecture
aussi, remettre à zéro signifie affronter tous les pro-
blèmes de base comme si l'on devait construire la pre-
mière maison de l'histoire : l'entassement de milliers de
personnes dans des métropoles surpeuplées est-il
compatible avec la survivance de l'individu ? Quelles
sont les limites de la tolérance de la société correspon-
dant aux différentes phases du développement économi-
que ? Le plan des habitats archaïques suit-il un schéma
géométrique, comme le damier conçu plus tard par Hip-
podamos de Milet, ou bien, au contraire, des tracés non
orthogonaux ? La fidélité envers la terre qui pousse

150
T A B L E DES M A T I È R E S

Préface à l'édition française 7

PREMIÈRE PARTIE
LE CODE ANTICLASSIQUE

INTRODUCTION
Parler architecture 13
LES INVARIANTS DU LANGAGE MODERNE
1. L'inventaire comme méthodologie du projet 18
2. Asymétrie et dissonances 26
3. Tridimensionnalité antiperspective 35
4. Syntaxe de la décomposition
quadridimensionnelle 43
5. Porte-à-faux, coques et structures
à membranes 50
6. Temporalité de l'espace 59
7. Réintégration édifice-ville-territoire 67
CONCLUSION
Architecture non finie et kitsch 76
POSTFACE
1. L'âge adulte 81
2. Maniérisme et langage 83
3. Succession historique des invariants 85
4. Équivoques à propos du rapport langue/parole .. 87
5. Les sept invariants en urbanisme 92
6. Questions et réponses sur l'écriture
architecturale 98

DEUXIÈME PARTIE
ARCHITECTURE ET HISTORIOGRAPHIE

INTRODUCTION
L'ANTICLASSICISME ET LA POÉTIQUE DE LE CORBUSIER ... 107
CULTURE MÉDIÉVALE, ARTS AND CRAFTS, NÉO-ROMAN : L ' I N -
VENTAIRE COMME MÉTHODOLOGIE DU PROJET 115
COLLECTION AGORA
HISTORIOGRAPHIE GOTHIQUE, TRAVAUX D'INGÉNIEURS DU
X I X SIÈCLE, ART NOUVEAU, CITÉ-JARDIN : ASYMÉTRIE ET DIS-
e

Collection de sciences humaines de Pocket, « Agora » aborde tous les


SONANCES, PORTE-À.FAUX, COQUES ET STRUCTURES À MEM-
domaines de la pensée : des grands textes fondateurs regroupés dans « Agora
BRANES 126
les Classiques », aux réflexions d'aujourd'hui.
Collection dirigée par François Laurent.
RENAISSANCE ET RATIONALISME : TRIDIMENSIONNALITÉ
ANTIPERSPECTIVE, SYNTAXE DE LA DÉCOMPOSITION QUADRI- (Les titres suivis d'une puce • font partie de la collection «Agora les
DIMENSIONNELLE 132 Classiques ».)

ARENDT Hannah
MANIÉRISME ET BAROQUE, ARCHITECTURE ORGANIQUE :
Auschwitz et Jérusalem
TEMPORALISATION DE L'ESPACE, RÉINTÉGRATION ÉDIFICE- Condition de l'homme moderne
V1LLE-TERR1TOIRE 137 Du mensonge à la violence
Rahel Varnhagen
CONCLUSION :
ARISTOTE
PRÉHISTOIRE ET DEGRÉ ZÉRO DE L'ARCHITECTURE 148
Ethique à Eudème •
Ethique à Nicomaque •
Leçons de physique •
La Métaphysique •

B Ë C H T E L Guy
La sorcière et l'occident

BÉDARIDA François
Le nazisme et le génocide

B E R L I N Isaac
Trois essais sur la condition juive

B O R E L France
Le vêtement incarné

BRUNF/rrÈRE Ferdinand
Evolution des genres dans l'histoire de la littérature

B U C A I L L E Maurice
La Bible, le Coran et la science

CARON François
Les deux révolutions industrielles du xx siècle
c

CHALIAND Gérard
Miroirs d'un désastre
La persuasion de masse
CULTURE MÉDIÉVALE, ARTS AND CRAFTS, NÉO-ROMAN : L ' I N -
VENTAIRE COMME MÉTHODOLOGIE DU PROJET 115
COLLECTION AGORA
HISTORIOGRAPHIE GOTHIQUE, TRAVAUX D'INGÉNIEURS DU
X I X SIÈCLE, ART NOUVEAU, CITÉ-JARDIN : ASYMÉTRIE ET DIS-
e

Collection de sciences humaines de Pocket, « Agora » aborde tous les


SONANCES, PORTE-À.FAUX, COQUES ET STRUCTURES À MEM-
domaines de la pensée : des grands textes fondateurs regroupés dans « Agora
BRANES 126
les Classiques », aux réflexions d'aujourd'hui.
Collection dirigée par François Laurent.
RENAISSANCE ET RATIONALISME : TRIDIMENSIONNALITÉ
ANTIPERSPECTIVE, SYNTAXE DE LA DÉCOMPOSITION QUADRI- (Les titres suivis d'une puce • font partie de la collection «Agora les
DIMENSIONNELLE 132 Classiques ».)

ARENDT Hannah
MANIÉRISME ET BAROQUE, ARCHITECTURE ORGANIQUE :
Auschwitz et Jérusalem
TEMPORALISATION DE L'ESPACE, RÉINTÉGRATION ÉDIFICE- Condition de l'homme moderne
V1LLE-TERR1TOIRE 137 Du mensonge à la violence
Rahel Varnhagen
CONCLUSION :
ARISTOTE
PRÉHISTOIRE ET DEGRÉ ZÉRO DE L'ARCHITECTURE 148
Ethique à Eudème •
Ethique à Nicomaque •
Leçons de physique •
La Métaphysique •

B Ë C H T E L Guy
La sorcière et l'occident

BÉDARIDA François
Le nazisme et le génocide

B E R L I N Isaac
Trois essais sur la condition juive

B O R E L France
Le vêtement incarné

BRUNF/rrÈRE Ferdinand
Evolution des genres dans l'histoire de la littérature

B U C A I L L E Maurice
La Bible, le Coran et la science

CARON François
Les deux révolutions industrielles du xx siècle
c

CHALIAND Gérard
Miroirs d'un désastre
La persuasion de masse
CHARBONNIER Georges F E B V R E Lucien
Entretiens avec Lévi-Strauss Combats pour l'Histoire
COHEN Daniel GÉNÉREUX Jacques
Les infortunes de la prospérité Une raison d'espérer
COLLECTIF GUICHARD-MEILI Jean
De la violence des femmes L'art de Matisse
Histoire de la France coloniale 3 tomes
HERDER Johann Gottfried
CURTIUS Ernst Robert Idées sur la philosophie de l'histoire de l'humanité
La littérature européenne
ISAAC Jules
DANIELSSON Bengt Genèse de l'antisémitisme
Gauguin à Tahiti et aux îles Marquises
JANKELEVITCH Vladimir
DELBARY Françoise Fauré
La psychanalyse : une anthologie
1. Les concepts fondamentaux JASPERS Karl
2. L'expérience clinique Les grands philosophes, tome 1, tome 2 et tome 3

Domecq Jean-Philippe KAUFMANN Jean-Claude


Artistes sans art ? La trame conjugale
Ce que nous dit la vitesse Corps de femmes regards d'hommes

Duby Georges/Mandrou Robert KLEMPERER Victor


Histoire de la civilisation française L T I , la langue du IIP Reich
1. Du Moyen Âge au x v f siècle
2. Du xvrf au xx° siècle K R A F F T - E B I N G R. VON
Psychopathia sexualis, tome 1, tome 2, tome 3
DUCLOS Denis
Le complexe du loup-garou LACHELIER Jules
Fondements de l'induction •
E L I A D E Mircea
L'Inde LAMENNAIS Félicité de
Le journal des Indes Paroles d'un croyant

LEIBNIZ
E L I A D E Mircea/CouLiANO I.P.
Discours de métaphysique •
Dictionnaire des religions
L E F O R T CLAUDE
ELIAS Norbert/DuNNiNC Eric
Écrire à l'épreuve du politique
Sport et civilisation
LÉVI-STRAUSS Claude
E Ï C H E G O Y E N Alain Anthropologie structurale
Le temps des responsables Anthropologie structurale deux
La valse des éthiques Histoire de lynx
Le corrupteur et le corrompu La pensée sauvage
CHARBONNIER Georges F E B V R E Lucien
Entretiens avec Lévi-Strauss Combats pour l'Histoire
COHEN Daniel GÉNÉREUX Jacques
Les infortunes de la prospérité Une raison d'espérer
COLLECTIF GUICHARD-MEILI Jean
De la violence des femmes L'art de Matisse
Histoire de la France coloniale 3 tomes
HERDER Johann Gottfried
CURTIUS Ernst Robert Idées sur la philosophie de l'histoire de l'humanité
La littérature européenne
ISAAC Jules
DANIELSSON Bengt Genèse de l'antisémitisme
Gauguin à Tahiti et aux îles Marquises
JANKELEVITCH Vladimir
DELBARY Françoise Fauré
La psychanalyse : une anthologie
1. Les concepts fondamentaux JASPERS Karl
2. L'expérience clinique Les grands philosophes, tome 1, tome 2 et tome 3

Domecq Jean-Philippe KAUFMANN Jean-Claude


Artistes sans art ? La trame conjugale
Ce que nous dit la vitesse Corps de femmes regards d'hommes

Duby Georges/Mandrou Robert KLEMPERER Victor


Histoire de la civilisation française L T I , la langue du IIP Reich
1. Du Moyen Âge au x v f siècle
2. Du xvrf au xx° siècle K R A F F T - E B I N G R. VON
Psychopathia sexualis, tome 1, tome 2, tome 3
DUCLOS Denis
Le complexe du loup-garou LACHELIER Jules
Fondements de l'induction •
E L I A D E Mircea
L'Inde LAMENNAIS Félicité de
Le journal des Indes Paroles d'un croyant

LEIBNIZ
E L I A D E Mircea/CouLiANO I.P.
Discours de métaphysique •
Dictionnaire des religions
L E F O R T CLAUDE
ELIAS Norbert/DuNNiNC Eric
Écrire à l'épreuve du politique
Sport et civilisation
LÉVI-STRAUSS Claude
E Ï C H E G O Y E N Alain Anthropologie structurale
Le temps des responsables Anthropologie structurale deux
La valse des éthiques Histoire de lynx
Le corrupteur et le corrompu La pensée sauvage
La potière jalouse RODINSON Maxime
La voie des masques La fascination de l'islam
L'islam : politique et croyance
LEWIS Bernard De Pythagore à Lénine
Istanbul et la civilisation ottomane
Sémites et antisémites ROMILLY Jacqueline de
« Patience, mon cœur ! »
MAISTRE Joseph de Problèmes de la démocratie grecque
Sur les sacrifices
ROSTAND Jean
MAURIAC François Confidences d'un biologiste
Le romancier et ses personnages
ROUSSEAU Jean-Jacques
M I L L John Stuart Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité
De la liberté Essai sur l'origine des langues •

MOSSE George L . SCHOLEM Gershom


L'image de l'homme Fidélité et utopie
Le messianisme juif
PAPAIOANNOU Kostas
Hegel SPENCER Colin
Histoire de l'homosexualité
PASCAL Pierre
Dostoïevski, l'homme et l'œuvre SPINOZA
Traité de la réforme de l'entendement •
POUAKOV Léon
Bréviaire de la haine STENGERS Jean / VAN N E C K ANNE
Le mythe aryen Histoire d'une grande peur, la masturbation

POPPER Karl STOCZKOWSKI Wictor


Misère de l'historicisme Aux origines de l'humanité
La quête inachevée
STRAUSS Léo
POTOK Chaïm
La persécution et l'art d'écrire
Histoire du peuple juif
SUN Tse
L'art de la guerre •
POULET Georges
Etudes sur le temps humain, tome 1, tome 2, tome 3 et tome TADIÉ Jean-Yves
La critique littéraire au xx siècle
c

RENAN Ernest Le roman au xx siècle


e

Qu'est-ce qu'une nation? • Proust, le dossier


RENOUVIN Pierre/DuROSELLE Jean-Pierre TOCQUEVILLE Alexis de
Introduction à l'histoire des relations internationales Textes essentiels

R E V E L Jean-François WEBER Max


L'absolutisme inefficace Essais sur la théorie de la science
Histoire de la philosophie occidentale L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme
L'œil et la connaissance Le judaïsme antique
La potière jalouse RODINSON Maxime
La voie des masques La fascination de l'islam
L'islam : politique et croyance
LEWIS Bernard De Pythagore à Lénine
Istanbul et la civilisation ottomane
Sémites et antisémites ROMILLY Jacqueline de
« Patience, mon cœur ! »
MAISTRE Joseph de Problèmes de la démocratie grecque
Sur les sacrifices
ROSTAND Jean
MAURIAC François Confidences d'un biologiste
Le romancier et ses personnages
ROUSSEAU Jean-Jacques
M I L L John Stuart Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité
De la liberté Essai sur l'origine des langues •

MOSSE George L . SCHOLEM Gershom


L'image de l'homme Fidélité et utopie
Le messianisme juif
PAPAIOANNOU Kostas
Hegel SPENCER Colin
Histoire de l'homosexualité
PASCAL Pierre
Dostoïevski, l'homme et l'œuvre SPINOZA
Traité de la réforme de l'entendement •
POUAKOV Léon
Bréviaire de la haine STENGERS Jean / VAN N E C K ANNE
Le mythe aryen Histoire d'une grande peur, la masturbation

POPPER Karl STOCZKOWSKI Wictor


Misère de l'historicisme Aux origines de l'humanité
La quête inachevée
STRAUSS Léo
POTOK Chaïm
La persécution et l'art d'écrire
Histoire du peuple juif
SUN Tse
L'art de la guerre •
POULET Georges
Etudes sur le temps humain, tome 1, tome 2, tome 3 et tome TADIÉ Jean-Yves
La critique littéraire au xx siècle
c

RENAN Ernest Le roman au xx siècle


e

Qu'est-ce qu'une nation? • Proust, le dossier


RENOUVIN Pierre/DuROSELLE Jean-Pierre TOCQUEVILLE Alexis de
Introduction à l'histoire des relations internationales Textes essentiels

R E V E L Jean-François WEBER Max


L'absolutisme inefficace Essais sur la théorie de la science
Histoire de la philosophie occidentale L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme
L'œil et la connaissance Le judaïsme antique
Imprimé en France sur Presse Offset par

B R O D A R D & T A U P I N
CR O U P E CPI

5432 - La Flèche (Sarthe), le 11-12-2000


Dépôt légal : décembre 2000

POCKET - 12, avenue d'Italie - 75627 Paris cedex 13


Tél. : 01.44.16.05.00
AGORA
Les idées, les arts, les sociétés.

"Le langage moderne de l'architecture n'est pas seu-


lement le langage de l'architecture moderne mais i l
embrasse les hérésies et les dissonances de l'histoire,
ces innombrables exceptions qui confirment la règle
et qui, aujourd'hui, se sont finalement émancipées
au point de constituer le squelette d'un langage
alternatif."
C'est ainsi que Bruno Zevi présente son ouvrage,
comme une tentative pour mettre au jour, à travers
des exemples architecturaux internationaux, les
invariants d'un code "anticlassique". I l met en évi-
dence les liens qu'entretient l'architecture moderne
avec les productions de toute architecture créative,
quelle que soit son époque.

ISBN 2-266-09213-8

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