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Le Travail dans les industries de

traitement de déchets
Octobre 2013

Étude réalisée pour le compte de l’ADEME par


Chay Claire (Doctorante) et Jens Thoemmes (DR au CNRS, responsable scientifique),
avec la participation de Michel Escarboutel (IR au CNRS)
et Elodie Pucheu (Ingénieur contractuel)
(Convention n°1006C0132)

Coordination technique : Chantal Derkenne


Service Economie et Prospective – Direction Recherche et Prospective – ADEME Paris
Jean-François Blot
Service Planification et Observation des Déchets – Direction Consommation Durable et Déchets –
ADEME Angers

RAPPORT
08/2013

REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier tous les interlocuteurs ayant accepté de partager leur
expertise et leur quotidien au cours de cette étude. Nous remercions les entreprises et
leur collaboration dans cette recherche, les travailleurs des installations enquêtées, les
acteurs des organismes publics et professionnels et les élus politiques.

Nous remercions de plus l’ensemble des membres du Comité de Pilotage pour leur
appui au bon déroulement de l’étude :

Agnès Jalier-Durand – ADEME


Jean-François Blot – ADEME
Chantal Derkenne – ADEME

En français :

Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de


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articles L 122-10 à L 122-12 du même Code, relatives à la reproduction par reprographie.

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Sommaire
1 Problématique et méthodologie de l’étude .............................................. 6
1.1 Objectif et problématique de l’étude ................................................... 6
1.1.1 Travail et profession dans le secteur des déchets ............................. 6
1.1.2 Une approche par la notion de « travail d’organisation »................... 7
1.2 Méthodologie de l’étude ....................................................................... 8
1.2.1 Les entretiens et le guide................................................................... 8
1.2.2 Les observations ............................................................................. 10
1.2.3 Une analyse statistique de données qualitatives ............................. 10
1.3 Plan du rapport et logique d’exposition des résultats ..................... 11
2 Présentation des structures .................................................................... 13
2.1 Le syndicat départemental Optitri ..................................................... 13
2.2 Le site de traitement et de valorisation des déchets Valori ............ 14
3 Axe 1 : Le travail ....................................................................................... 15
3.1 Travail du tri des déchets : un travail d’exécution ........................... 16
3.1.1 Le travail en centre de tri ................................................................. 17
3.1.2 Des conditions de travail difficiles .................................................... 27
3.1.3 Le travail de tri comme activité « choisie » ...................................... 31
3.1.4 Un travail collectif ............................................................................ 33
3.2 Le Travail de conception sur les déchets ......................................... 38
3.2.1 Le secteur des déchets : des règles et des acteurs particuliers ...... 39
3.2.2 Les aspects économiques du travail de conception ........................ 54
4 Axe 2 : Les logiques d’action du traitement des déchets ..................... 69
4.1 Logiques d’action publique................................................................ 70
4.1.1 La figure du syndicat départemental Optitri : un modèle
environnemental et pour l’emploi ?............................................................. 70
4.1.2 Une vision publique du travail se distanciant du privé ..................... 74
4.1.3 L’usager (et son tri) placé au centre du traitement des déchets ...... 76
4.2 Logiques d’action privée .................................................................... 81
4.2.1 Les avantages d’une gestion privée ................................................ 82
4.2.2 Négociations collectives : sécurité au travail, formation
professionnelle et salaires ......................................................................... 88
4.2.3 La recherche de l’efficacité productive ............................................ 95
5 Axe 3 : Les risques : travail contre environnement ............................... 99
5.1 Les risques professionnels du tri .................................................... 101
5.1.1 Le centre de tri et la mobilisation pour la prévention des risques
professionnels .......................................................................................... 102
5.1.2 Des actions variées qui visent l’amélioration du « confort » du trieur :
contradictions, difficultés et conséquences incertaines ........................... 108
5.1.3 L’automatisation : gain économique versus amélioration du bien-être
des travailleurs ......................................................................................... 114
5.2 Les risques environnementaux : les ouvriers de l’incinérateur en
première ligne ............................................................................................ 120
5.2.1 Caractériser le contexte du travail : prévenir les aléas techniques 121
5.2.2 La gestion des déficiences techniques : assurer la continuité de la
production et éviter les risques environnementaux .................................. 128
6 Conclusion et Recommandations ......................................................... 136

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7 Annexes ................................................................................................... 141


7.1 Grille d’entretien commune à tous les acteurs ............................... 142
7.2 Organigramme des services d’Optitri ............................................. 145
7.3 Organigramme Bioréacteur d’Optitri ............................................... 146
7.4 Organigramme Centre de tri C1 Optitri ........................................... 147
7.5 Organigramme centre de tri C2 Optitri ............................................ 147
7.6 Organigramme centre de tri C3 Valori ............................................. 148
7.7 Organigramme Incinérateur Valori (niveau productif) ................... 149
7.8 Les représentations graphiques des trois axes ............................. 149
7.9 Tableau des enquêtés ....................................................................... 153
8 Bibliographie ........................................................................................... 156

TABLE DES PHOTOS

Photo 1 : La chaîne sur la ligne du plat à C1 18


Photo 2 : La chaîne sur la ligne des creux à C2 18
Photo 3 : Balayage au centre de tri (C1) 19
Photo 4 : Environnement poussiéreux (C1) 19
Photo 5 : Planning hebdomadaire des postes à C2 21
Photo 6 : Positionnement postes de tri à C2 21
Photo 7 : Viscères d'un animal dans un sac plastique (C2) 22
Photo 8 : Chargement des déchets sur le convoyeur (C1) 24
Photo 9 : Machine de tri : le crible (C1) 25
Photo 10 : Machine de tri optique (vue de l'intérieur) (C1) 25
Photo 11 : Tapis peu chargé 26
Photo 12 : Tapis chargé 26
Photo 13 : Planning du suivi d'entretien (C1) 27
Photo 14 : Identification des tâches de maintenance 27
Photo 15 : Boîtes de DASRI trouvés sur la chaîne (C1) 29
Photo 16 : Intérieur d'une boîte de DASRI (C2) 29
Photo 17 : Brochure éditée par l'INRS 104
Photo 18 : Brochure éditée par la CRAM 104
Photo 19 : Projet de norme AFNOR 104
Photo 20 : Procédures en cas d'accident d'exposition 107
Photo 21 : Procédure de nettoyage à C2 107
Photo 22 : Accumulation de poussières sur des balles de produits 107
Photo 23 : Au pré-tri : secouer les sacs 113
Photo 24 : Variabilité des apports et « tapis chargé » 113
Photo 25 : Plan d'un centre de tri « dernière génération » 115
Photo 26 : 6 Trieurs sur la chaîne de creux 116
Photo 27 : Gestion de la fosse par un conducteur pontier 122
Photo 28 : Ecran de contrôle du bioréacteur 122
Photo 29 : Conducteur du bioréacteur sur un engin compacteur 124
Photo 30 : Un travail de terrassement 124
Photo 31 : Plan du bioréacteur 131
Photo 32 : Apport des déchets entrant au bioréacteur (à l'année) 134

TABLE DES GRAPHIQUES

Graphique 1 : Entretiens menés avec les différents acteurs 10

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Graphique 2 : Répartition par Catégories Socioprofessionnelles et sexe 10

TABLE DES SCHEMAS

Schéma 1 : Les principaux résultats de l’analyse factorielle


et de la recherche 12
Schéma 2 : Rôles et acteurs de la conception en lien avec nos enquêtés 41
Schéma 3 : Schéma organisationnel de la gestion de l'entreprise Valori 84

TABLES DES FIGURES

Figure 1 : Regroupement des individus selon les variables,


par ordre d’importance 17
Figure 2 : Regroupement des individus selon les variables,
par ordre d’importance 39
Figure 3 : Regroupement des individus selon les variables,
par ordre d’importance 71
Figure 4 : Regroupement des individus selon les variables,
par ordre d’importance 82
Figure 5 : Regroupement des individus selon les variables,
par ordre d’importance 102
Figure 6 : Regroupement des individus selon les variables,
par ordre d’importance 121

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1 Problématique et méthodologie de l’étude

1.1 Objectif et problématique de l’étude


Dans le cadre du programme « Déchets et société », l’ADEME souhaitait faire appel aux
sciences humaines et sociales pour éclairer les problématiques sociales et économiques sur la
gestion, la prévention des déchets et la société du recyclage. En France, le travail de
production et les travailleurs des industries des déchets sont souvent absents des analyses.
Dans cette perspective, nous avons proposé une recherche sociologique portant sur « le Travail
dans les Industries de traitement de déchets » (TRADEC). Elle s’inscrit dans le programme
« individus et jeux d’acteur » et plus particulièrement dans l’axe 2 « Stratégie des
organisations ». Cette étude cherche à montrer dans quelle mesure le développement du
secteur des déchets ménagers intègre la dimension professionnelle des opérateurs du déchet.
Elle est centrée sur la relation entre travail et environnement, et sur les interactions entre la
sphère du travail, la sphère économique et celle de l’action politique.

1.1.1 Travail et profession dans le secteur des déchets

Depuis le début des années 1980, le traitement des ordures ménagères est devenu une
problématique sociale, économique et sanitaire, en raison d’une très forte augmentation du
volume des déchets générée par le mode de vie contemporain et d’une montée de la sensibilité
aux problèmes environnementaux dans l’opinion publique, liée à la préservation de
l’environnement et à l’acceptabilité sociale des installations. Cela s’est traduit par l’élaboration
de politiques du développement durable et la redéfinition des filières de déchets qui aboutissent,
entre autres, à l’émergence de nouvelles professions ou au re-modelage de professions déjà
existantes. Les incidences des nouveaux enjeux et objectifs en matière d’environnement ont
1
permis l’émergence de nouvelles « figures du travail » : telles que les emplois dits verts ,
2
associées à de nouveaux « lieux de travail » les éco-activités ou les éco-industries.

Le secteur du déchet, important pourvoyeur de métiers verts, regroupe « près de 40 % des


salariés exerçant dans les professions vertes » soit 50 000 personnes (Ast et Margontier, 2012).
Se composant d’une multitude de métiers et de salariés il constitue un ensemble de tâches
fortement différenciées à l’intérieur d’une même organisation, mais qui concourent toutes à la
même finalité : celle d’éliminer et/ou de valoriser les déchets. Nous voudrions d’abord
mentionner l’effet de l’émergence de ce secteur industriel sur l’emploi. Car comme cela a été
déjà signalé, les conditions de travail ne sont que très rarement étudiées et abordées par les
chercheurs scientifiques dans ce domaine (Bazillier, 2011).

La gestion des déchets constitue l’un des principaux enjeux du développement durable. Ce
concept met en exergue la recherche de solutions pour élaborer des compromis entre les
aspects économiques, écologiques et sociaux.
- Au niveau environnemental, la gestion des déchets s’effectue sur le choix des
installations de traitement qui engendrent un impact en termes de pollution, mais aussi sur les
politiques de prévention et de réduction des déchets, et enfin sur l’objectif de réutilisation et de
valorisation des déchets.
- Au niveau économique, l’activité de gestion des déchets englobe plusieurs dimensions :
l’une liée à la politique du financement du service, l’autre rattachée à la rentabilité des
installations, et enfin celle due à l’imbrication des marchés et à la pérennité des filières des
produits à valoriser.
- Au niveau social, deux dimensions sont retenues : d’une part, il s’agit de prendre en
compte les relations entre les usagers et les installations de déchets. Les problématiques

1
« Les métiers verts sont des métiers dont la finalité et les compétences mises en œuvre contribuent à
mesurer, prévenir, maîtriser, corriger les impacts négatifs et les dommages sur l’environnement. »
2
« Elles produisent des biens ou services ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion
des ressources naturelles »

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autour de l’acceptation sociale des structures de traitement des déchets, et la mise en place de
campagnes de communication et de sensibilisation sont centrales et constituent des préalables
pour une « meilleure » gestion des déchets ménagers ; d’autre part, il s’agit de tenir compte des
conditions de travail des opérateurs du traitement des déchets, ces derniers étant au centre de
ces compromis productifs, économiques et environnementaux.

C’est sur ce dernier point que notre recherche se focalise, sans pour autant esquiver les autres
aspects et dimensions relevés. Alors que de nombreuses recherches sont dirigées vers des
problématiques prenant en compte les comportements individuels des usagers, en particulier
sur le rapport à l’environnement, au déchet, à la pratique du tri et du compostage, l’activité de
ceux et celles qui travaillent autour de la filière déchet n’a pas été prise en considération.

1.1.2 Une approche par la notion de « travail d’organisation »

Le secteur des déchets est traversé par des logiques différentes, des exigences concurrentes
et des intérêts contradictoires selon les groupes d’acteurs qui le composent. Ces groupes
d’acteurs variés interviennent dans la gestion des déchets, dans une perspective d’opérer les
meilleurs choix en fonction des valeurs et des intérêts de chacun. Dès lors, des conflits peuvent
émerger (que ce soit dans le choix d’un certain type d’installation, d’un type de gestion
politique : gestion en service public, ou en délégation, partenariat public-privé…) et leurs
résolutions passent par la construction de compromis ou d’accords qu’il s’agit d’expliciter. Le
compromis doit être entendu ici comme le point d’étape d’un processus d’élaboration : il n’est
pas spontané, il reste fragile et intègre des stratégies multiples (salariés, management,
responsables politiques, associations) aux finalités différentes, voire opposées.

Au début de ce projet, nous avons fait l’hypothèse générale que se développe entre l’action
publique, le marché et le travail, une zone d’intersection qui détermine la « place » et les
possibilités d’évolution des éco-industries. En identifiant les différentes formes de gestion et de
traitement des déchets, au travers des arbitrages entre pression environnementale, maîtrise
des coûts (rationalisation des infrastructures) et travail, nous avons considéré que ces trois
pivots s’imbriquent, avec un fonctionnement spécifique pour chaque entreprise.

Il s’agit ainsi d’analyser comment chacun des trois domaines (travail, marché et action publique)
est approprié et opérationnalisé par les acteurs, pour définir le travail de ces industries.

Tout comme l’environnement, l’impératif de valorisation des déchets ménagers concerne tous
les acteurs : les collectivités locales, les institutions politiques les industriels de l’emballage, les
entreprises du déchet, les usagers. Ils se doivent de travailler ensemble pour maîtriser et
contrôler « l’invasion » des déchets. D’autres chercheurs vont plus loin en stipulant que la prise
en charge du déchet est une chose publique, qui « repose clairement sur la philosophie de la
responsabilité partagée » (Barbier. R, 2002).

Notre usage du terme « travail » cherche à intégrer les apports de nombreux acteurs tout
en ciblant les contributions à la structuration des univers productifs. Le travail
opérationnel ainsi que toute activité qui vise à organiser la filière « déchet » sont au
centre de notre intérêt.
3
La notion de « travail d’organisation » permet de penser ensemble, la réalisation et la
décision, l’exécution et la conception de la filière des déchets et de saisir les évolutions de ses
univers professionnels. Ainsi, ceux qui conçoivent l’organisation et qui participent à la création
de règles ne sont pas seulement les concepteurs/ingénieurs, mais également tous ceux qui
agissent au sein de celle-ci (les travailleurs, la société civile, les politiques, le marché), sans
que pour autant leurs actions aient pour affichage de concevoir le système en place.
Il s’agit ainsi d’élargir doublement la notion de travail à partir de son noyau industriel : du point
de vue de ses objets en interrogeant les finalités environnementales, économiques et

3
« Le travail d’organisation apparaît comme un processus de structuration de l’action : structuration de
l’action des autres, lorsque les décisions des uns doivent être mises en œuvre par les autres et
structuration de sa propre action pour ordonner les interactions avec les autres acteurs qui participent à
son action » (De Terssac, 2002, p.147)

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politiques ; et du point de vue des acteurs qui ne se cantonnent pas à un périmètre d’activité
préalablement défini.

1.2 Méthodologie de l’étude


Notre approche repose sur la réalisation d’entretiens semi-directifs (87), enregistrés et
retranscrits intégralement, et de nombreuses observations in situ dans deux structures et cinq
installations de déchets. De plus, nous avons recouru à une analyse factorielle des discours
(utilisation du logiciel TROPES et SPAD). Cette approche nous a permis d’organiser nos
matériaux et de présenter synthétiquement nos résultats en indiquant une mesure statistique de
nos données qualitatives. Prise isolément l’approche qualitative (observations et entretiens)
permet d’identifier les logiques d’actions, les formes d’organisation du travail, et les pratiques au
travail.

L’enquête s’appuie sur l’étude de trois centres de tri de déchets, d’un incinérateur, et d’un
centre d’enfouissement dit « alternatif » : le bioréacteur. Le choix des structures (Optitri et
Valori) s’est fait pour incarner la diversité des entreprises, tant sur le plan géographique
(localisation territoriale : rural/ semi urbanisé), que sur le plan organisationnel (taille,
fonctionnement interne, stratégies politiques, économiques et sociale) que sur le mode de
gestion (privée ou publique). Un autre point de comparaison concerne le volume et la diversité
des activités : Optitri est de taille plus importante que Valori, mais ce dernier est une filiale d’un
groupe privé. A Optitri les activités industrielle du tri et du bioréacteur sont deux activités du
déchet parmi d’autres (cf. 2.1). A Valori, l’incinérateur et le tri des déchets sont au cœur de leurs
activités.

1.2.1 Les entretiens et le guide


4
Le guide d’entretien est commun à chacun des acteurs identifiés et interrogés, mais il est
ajusté selon que l’on rencontre un salarié, un élu politique ou un acteur du marché. Il a été
élaboré de manière à prendre en compte la diversité des situations et à traiter l’ensemble des
dimensions d’analyse, à savoir :

 Les variables caractérisant les individus : âge, sexe, diplôme, situation matrimoniale,
ancienneté dans la structure, expérience professionnelle antérieure.
 Les spécificités techniques des équipements, des installations, ou de leur structure.
 Un premier volet concerne l’activité de travail : on y interroge ce qui a trait à
l’organisation de travail, aux conditions de travail, aux relations et motivations au travail
et aux représentations du travail.
 Un second volet porte sur la politique et l’action publique du secteur des déchets : elle
vise à connaître les liens qu’ont nos enquêtés avec d’autres acteurs du secteur, à
« identifier » les connaissances en matière de politique et de gestion des déchets, à
connaître les dispositifs qui les concernent et comment ils peuvent configurer et
« contraindre » leur activité, les problèmes qu’ils rencontrent, leurs opinions sur certains
dispositifs ou politiques.
 Un troisième volet qui s’intéresse aux enjeux économiques et à la construction des
marchés des déchets : le rapport au marché, la question des prix et des coûts, les
difficultés ou contraintes qu’ils rencontrent, la représentation au niveau économique
qu’ils ont du secteur.
 Enfin, un dernier volet interroge le rapport aux déchets et à l’environnement, dans le but
d’analyser les valeurs et finalités environnementales au regard des positions des
acteurs et de leurs activités.

La plupart des entretiens ont une durée moyenne d’une heure. Au sein des installations, ils ont
été réalisés durant le temps de travail, dans des salles de travail ou des bureaux prêtés pour
l’occasion. Certains des enquêtés ont été rencontrés plusieurs fois à l’intérieur de leur structure

4
cf. Annexe

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d’appartenance. La figure ci-dessous présente le nombre d’entretiens effectués selon les


5
acteurs rencontrés durant la recherche .

Graphique 1 : Entretiens menés avec les différents acteurs (n = 87)

25
21
20
17
15
15

10
10 9

6
5
5 4

Graphique 2 : Répartition par Catégories SocioProfessionnelles et sexe

24 22
22
20
18
16 15
14
14 12
12
10 8
8 6
6 5
Hommes
4 2 2
2 1 Femmes
0 0
0

légende n= 87

5
En annexe nous détaillons quelques caractéristiques de nos enquêtés.

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1.2.2 Les observations

Notre démarche empirique accorde une place centrale aux situations de travail et au processus
de production. Elle s’appuie ainsi sur des observations participantes et directes menées dans
quatre des installations de déchets. Les périodes cumulées correspondent à une année
d’observation à temps plein.

En se faisant embaucher en tant qu’intérimaire, au poste de trieur, l’une d’entre nous a travaillé
pendant plusieurs années (2004-2008) à Valori sur des intervalles allant de 15 jours à deux
mois. En 2009, un stage d’un mois a également été effectué à l’incinérateur de Valori. Les
observations ont été conduites auprès des équipes de quart à deux reprises pendant 15 jours.
Menées essentiellement dans la salle de commande, nous avons suivi des conducteurs
pontiers et des adjoints chef de quart lors des déplacements sur le terrain à effectuer chaque
jour. Ces expériences professionnelles antérieures à ce projet ont permis d’acquérir une
certaine familiarité avec ces milieux professionnels du déchet.
Dans le cadre du projet « TRADEC », nous avons souhaité renouveler ces expériences
d’observation. Pour cela, nous avons négocié avec la direction et les contremaîtres des centres
de tri d’Optitri des périodes d’observation de 15 jours, à deux reprises. Les premières
séquences d’observation se sont déroulées en 2011 avant les travaux d’optimisation entrepris
dans les deux installations. En 2012, nous sommes retournés sur ces deux terrains afin
d’apprécier les changements techniques et organisationnels.
Les observations ont été également l’occasion de filmer quelques séquences de travail dans les
centres de tri, et de photographier les installations et les travailleurs en situation. Dans la partie
6
résultat, nous avons choisi d’intégrer quelques observations (notes de terrain) de nos terrains
d’investigation et des photographies.

1.2.3 Une analyse statistique de données qualitatives

Notre recherche à partir de la retranscription intégrale des entretiens, intègre une analyse
textuelle assistée par ordinateur de notre corpus d’entretiens composé d’environ 700 000 mots,
en combinant un logiciel d’analyse du discours (TROPES) et un logiciel de statistiques
multidimensionnelles (SPAD). L’usage de ces deux logiciels vise à organiser les discours de
nos acteurs en distinguant les différents registres qu’ils mobilisent quand ils parlent de leur
activité de travail et du secteur des déchets, afin d’aboutir à une typologie.
TROPES est un logiciel qui permet la catégorisation de mots-clés en comptabilisant le nombre
de mots, selon leur fréquence d’apparition (occurrences), que contient le corpus d’entretien. En
usant de l’analyse des discours assistée par ordinateur, cela nous permet de réduire le nombre
de mots du corpus de 50% afin de travailler sur des tableaux lexicaux plus petits pour privilégier
une meilleure robustesse des traitements statistiques. De plus, le logiciel d’analyse des
7
contenus TROPES donne la possibilité de séparer les mots polysémiques et de lever des
ambiguïtés.

A la suite de la lecture de l’ensemble des entretiens, pour l’analyse textuelle opérée par
TROPES, nous avons élaboré un scénario sémantique dans lequel nous avons défini des
variables (107) se composant de termes et de mots-clés issus de nos enquêtés. Pour exemple,
la construction de la variable « machines » se compose de l’inventaire de toutes les machines
qui ont été citées par nos interlocuteurs (exemple : compacteur, convoyeur, crible, presse à
balle etc.). Celle de « qualificatifs négatifs des métiers du déchet » assemble, en partie, les
termes suivants : honte, ingrat, pénibilité, ennui etc..
Une fois le scénario et les variables stabilisés, nous l’appliquons sur le discours de chacun de
nos enquêtés afin de voir comment chacun de ces individus privilégie ou évite telles ou telles

6
Elles sont représentées par un encadré.
7
Par exemple, le mot « course » selon qu’il se réfère à « faire les courses » ou à « course à pied » sera
classé dans des variables ou catégories sémantiques différentes. De la même façon, nous avons pu créer
nos propres variables en intégrant des mots que le logiciel ne connaît pas. Par exemple, le terme « refus »
qui dans le centre de tri correspond aux matières non valorisables a été classé dans la variable « déchets
non valorisables » ; ou encore le mot « main » qui peut se référer à « avoir la main sur le process » ou à
avoir « mal aux mains » a été classé de façon différente dans les variables selon la manière dont il est
utilisé par nos enquêtés.

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variables. Cette application permet d’obtenir « une fiche de mise en scène » pour chaque
individu, dans laquelle nous trouvons la liste des fréquences des co-occurrences de mots,
calculée pour chacun des entretiens. Cette liste sous forme de tableau représente les données
8
textuelles sous la forme de données quantitatives chiffrées exploitables statistiquement . Puis,
les traitements statistiques de ces données par une analyse factorielle (SPAD) montrent la
contribution des individus et des variables à la structure globale des discours dans un espace
multidimensionnel (Cf. Annexe). Ce dernier est sous forme de graphique dans lequel deux axes
sont représentés. Il nous montre les correspondantes les plus significatives ou importantes qui
existent entre les mots énoncés dans les entretiens de nos 87 individus. Enfin, nous avons
sélectionné les extraits d’entretiens les plus significatifs intégrant les mots-clés des variables et
dont l’analyse factorielle nous a signifié l’importance.

1.3 Plan du rapport et logique d’exposition des résultats

Après la présentation des deux structures étudiées (Valori et Optitri), ce que vous allez voir est,
selon l’analyse factorielle du discours, la présentation des résultats tels qu’ils apparaissent à
l’issue du traitement fait par les logiciels (TROPES et SPAD).

Les résultats de l’analyse qualitative ont donné une valeur statistique à l’ensemble des
matériaux du discours. Les observations de terrain sont mobilisées à l’endroit même où
l’analyse factorielle a donné un résultat. Nous allons voir que nos entretiens ont donné lieu à
des mots clés regroupés sous formes de variables, qui ont été évaluées. Nous indiquons les
variables qui ont été mobilisées par nos acteurs en note de bas de pages, à chaque titre ou
sous titre de partie.

Nous avons aussi évalué la distance entre les individus qui ont répondu à nos questions. Le
procédé a donné lieu à un regroupement d’individus (6) qui vont aussi décrire l’espace de
représentation.

Au total, nous allons exposer nos trois principaux résultats en fonction des trois axes factoriels
de l’analyse et en fonction des coordonnées, de la contribution à la construction des axes et en
fonction de la qualité de représentation des variables sur les axes. Chaque axe décrit un champ
de tension et de contradiction que nous allons mobilisé dans notre logique d’exposition. Nous
allons aussi expliquer qui parmi nos interlocuteurs s’avère être le porte-parole de la logique
exposée.

Sur les trois axes retenus, nous sommes en présence pour chaque axe de deux « régimes de
référence » qui s’opposent et qui décrivent un champ de tensions dans lequel s’inscrivent les
paroles singulières de nos enquêtés. Ainsi, à partir des 87 entretiens mobilisés, 6 catégories
d’acteurs se distribuent dans l’espace avec pour chacune d’entre elles un discours singulier soit
« un régime de référence ». Rappelons que ce régime de référence se constitue à partir de la
mobilisation des 107 variables. Une même variable ne peut pas être utilisée par deux
catégories d’acteurs différentes.

Cette méthode nous a permis de voir comment les acteurs de la filière déchet se distribuent
dans cet espace tridimensionnel caractérisé par une multiplicité de significations.

A partir des 107 variables, celles qui sont communes à chacun de nos enquêtés, ont participé à
la construction de chaque axe. Le premier axe est celui du travail, il explique 16,5 % des
informations de départ. Le second est celui des logiques d’action expliquant 7,46 % des
informations. Enfin, le dernier axe est celui des risques recoupant 6,74 % des informations. Au
total la contribution cumulée des variables sur les trois axes est de 30,69 %.

Le schéma ci-dessous permet de voir les contrastes entre les différents discours mobilisés et
les groupes d’acteurs associés sur les trois axes.

8
Pour chacune des variables, la valeur du Khi2 indique le degré de correspondance.

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Schéma 1 : Les principaux résultats de l’analyse factorielle et de la recherche

Les risques professionnels Logiques d’action publique

Groupe 5 Groupe 3
Les experts Les élus membres et
salariés d’Optitri

Axe 2 : Les logiques d’action du traitement des déchets


Axe 3 : Les risques

Le travail de conception sur les


Travail du tri des déchets : un travail déchets
d’exécution Groupe 2
Groupe 1 Axe 1 : Le travail Les acteurs de la
Les salariés du tri conception

Les risques environnementaux

Groupe 6
Logiques d’action privée Les ouvriers de
l’incinérateur et du
bioréacteur
Groupe 4
Le Travail dans les Industries de Déchets Les salariés du privé 12/160
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2 Présentation des structures


2.1 Le syndicat départemental Optitri
Optitri est un syndicat mixte départemental qui détient les compétences de valorisation et de
traitement des déchets ménagers et assimilés. Il traite près de 75 % des déchets du
département étudié (soit environ 250 communes) et « dessert » également des communes et
des collectivités de trois départements limitrophes (près de 50 communes). Avec une activité
déployée sur environ 6 000 km2, Optitri se trouve ainsi en position de leadership sur le
département, l’activité de traitement des autres zones du territoire étant assurée et répartie
entre deux autres syndicats. Optitri s’est construit autour d’un projet de fédération des
équipements du service public.

En 2010, le syndicat comptabilise 43 équipements pour assurer le traitement, l’élimination et la


valorisation des déchets ménagers. Nous les présentons ci-dessous.

Le syndicat a fait le choix de s’équiper d’un bioréacteur, sa mise en service date du 1er janvier
2007 (capacité réglementaire 90 000 tonnes/an). En octobre 2010, l’autorisation préfectorale
est passée à 180 000 tonnes/an. L’installation s’étale sur un territoire de 66 hectares. La
question de la maîtrise foncière s’est réglée sans qu’aucune expropriation n’ait eu lieu et toutes
les ventes auraient été consenties à l’amiable. Le mode du bioréacteur consiste à la circulation
des lixiviats. Ils sont récupérés afin d’améliorer le processus de décomposition des ordures
ménagères et de méthanisation.
Le biogaz produit est récupéré (90%) et est transformé sous la forme de biométhane utilisé
pour la production d’électricité. Depuis 2010, le site a intégré une station de production de
biométhane carburant, qui alimente le fonctionnement d’un véhicule léger et d’un camion
polybenne. Les recherches se poursuivent dans le souhait d’alimenter des véhicules poids
lourds, et des tests seront effectués sur des tracteurs semi-remorques.

A l’échelle départementale, il y a deux centres de tri de déchets qui emploient environ une
cinquantaine de personnes. Ils sont situés au nord et au sud du département. Le premier centre
de tri (C1) qui est proche de quelques habitations, a été mis en service en 2003. Le deuxième
(C2) est situé sur d’anciennes mines de charbon et son activité a débuté en 2005. En 2012, les
déchets entrants représentent environ 20 000 tonnes. Le taux de refus affiché est de 13 %, et le
taux moyen de recyclage 61 %. Au cours de l’année 2011, des travaux d’optimisation ont été
réalisés sur les deux installations.
En périphéries de ces usines se situent deux plateformes de compostage, qui sont sous la
responsabilité du contremaître d’exploitation. En 2010, environ 15 000 tonnes de déchets verts
ont été réceptionnées. Après préparation, 6 600 tonnes ont été cédées à la filière agricole et
3 100 tonnes ont été mises à disposition des usagers.

Les déchèteries (26) emploient une cinquantaine de gardiens. Elles sont implantées de façon à
ce qu’aucun habitant ne se trouve à plus de 15 kilomètres d’une déchetterie, ce qui représente
une déchetterie pour 2 cantons. 68 228 tonnes de déchets auraient été accueillies en 2012. Le
service proposé est gratuit auprès des particuliers. Les professionnels doivent s’acquitter d’un
droit annuel d’accès et des redevances correspondant aux volumes et aux types de leurs
apports.

Sur l’ensemble du département, 9 quais de transfert sont distribués, pour répondre à l’objectif
de maîtrise du transport et du contrôle des coûts économiques. Enfin, deux plateformes de bois
sont en activité au centre et au sud du département. Les forêts couvrant 28 % du territoire, elles
présentent le plus fort gisement de bois pour la région. Le bois récolté sur deux sites et sur les
déchetteries est préparé en broyat et alimente des chaufferies automatiques au nombre de 13
sur le département. En 2010, 4 300 tonnes de combustibles ont été préparées et expédiées par
les deux plateformes.

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9
Ensuite, la structure, conformément à une volonté d’innovation , a engagé plusieurs projets
pour le développement des énergies renouvelables. Un projet de réseaux de chaleur (à partir
de la filière bois) est en voie d’opérationnalisation afin d’alimenter plusieurs établissements
(logements sociaux, écoles, et lieux culturels et sportifs) au sein de la ville qui abrite le siège.
Ces futurs réseaux de chaleur fonctionneront en régie, avec autonomie financière et budget
annexe. Optitri travaille également avec des partenaires publics et privés sur la production
d’énergie non fossile, qui ont aboutit à un projet de recherche sur l’hydrogène. Le président de
la structure est membre du bureau d’une instance de promotion européenne du vecteur
d’énergie hydrogène sur le territoire national et régional.

Enfin, 3 centres d’enfouissement techniques de classe 3 (pour les déchets inertes) sont établis
au nord et au sud du département.

La spécificité d’Optitri réside dans le choix d’assurer l’intégralité du service du traitement des
déchets en régie publique alors qu’une majorité des collectivités françaises délègue la
compétence du traitement à des entreprises privés.

2.2 Le site de traitement et de valorisation des déchets Valori

Valori est une entreprise filiale d’un groupe privé. Il est implanté au nord d’un département
urbanisé. Il s’occupe de traiter principalement les déchets ménagers du syndicat mixte Propret
et est au service de collectivités et d’industriels pour le traitement et la valorisation de leurs
déchets.

En 1998, le syndicat Propret regroupant près de 160 communes du nord d’un département a
contracté une délégation de service public pour le traitement des déchets du territoire à Valori.
Propret est un syndicat mixte de réalisation, créé en 1993, qui est composé d’Etablissements
Publics de Coopération Intercommunale (ECPI). Le syndicat a délimité deux zones
géographiques pour le traitement de ses déchets. L’une de ces zones compte les équipements
de traitement et de valorisation de l’entreprise de Valori. Le financement, la construction et
l’exploitation des installations pour la valorisation et le traitement des déchets ménagers et
assimilés lui ont été confiés. Le site ouvert depuis 2001, emploie près de 90 personnes.

Le site de valorisation des déchets se compose d’un centre de tri de déchets, d’un incinérateur
à valorisation énergétique (électricité) et d’une plateforme de mâchefers (assurée et gérée en
partenariat avec une autre société). La capacité de traitement du centre de tri est de 30 000
tonnes par an, celle de l’incinérateur est de 170 000 tonnes par an et celle du centre de
traitement de valorisation des mâchefers est de 45 000 tonnes par an.

En outre, il gère et exploite un centre de compostage de déchets verts d’une capacité de 8 000
tonnes par an, et quatre centres de transfert.

En 2011, le centre de tri aurait accueilli 20 226 tonnes d'emballages. Une fois triés 17 579
tonnes des matériaux ont été redirigés vers les filières de recyclage. L’incinérateur a incinéré
169 301 tonnes d'ordures ménagères et produit 101 293 MW/h d'électricité (20% de l’électricité
produite permet d’alimenter l’ensemble du site, les 80% restantes sont vendues à EDF). Pour
finir, 8 486 tonnes de déchets verts et 22 840 tonnes de mâchefers ont été traités.

En outre, soulignons que l’incinérateur a été l’objet d’une étude pilotée par l’Institut National de
la Veille Sanitaire (INVS), en 2005, qui visait à analyser et mesurer l’imprégnation par les
dioxines par les populations vivant à côté des usines d’incinération d’ordures ménagères.

9
La structure accorde une forte importance à l’innovation qui représente une valeur portée et soutenue par
les élus, et notamment par le directeur général des services : « une collectivité reconnue est une
collectivité qui innove ». Un pôle de recherche et de développement s’est constitué et travaille sur des
filières et des projets « inscrits dans l’avenir ».

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3 Axe 1 : Le travail
Le secteur des déchets se base sur une chaîne d’activités articulant une diversité d’enjeux :
enjeux liés au service public et au bon usage des moyens mis en place, enjeux d’efficience de
l’activité de travail pour les différents salariés, enjeux réglementaires en vue d’assurer la sûreté
environnementale et la préservation de l’environnement, enjeux économiques avec la rentabilité
des installations et du service de traitement.

Notre première hypothèse a porté sur un travail coordonné et coopératif dans le secteur des
déchets c’est-à-dire que tous les acteurs, du salarié aux élus politiques, participent à la
régulation et à la coordination du processus décisionnel. Il était donc plutôt surprenant
d’observer dans les discours et les représentations une séparation particulièrement forte
10
entre le travail d’exécution et celui de conception . Même si les processus de prise de
décision dans le secteur des déchets s’appuient sur la mobilisation d’acteurs hétérogènes qui
interagissent entre eux, nous verrons que les ouvriers et employés des industries du déchet
sont les absents du processus de construction des normes productives et de l’élaboration de
politiques réglementaires.

En effet, ce premier résultat fort de notre étude, interprété par l’axe qui représente le
11
« travail » , est celui d’une tension entre ceux qui font les règles du travail d’un côté et de
l’autre ceux qui produisent la valorisation des déchets. Ces deux mondes sont bien
distincts. Le secteur des déchets apparaît « clivé » entre ceux qui organisent, réglementent,
institutionnalisent des pratiques et ceux qui réalisent le travail, en particulier les acteurs
travaillant dans le secteur du tri des déchets ménagers des collectes sélectives. La concertation
sur les cadres et les règles du secteur ne semble donc pas acquise et possible pour les salariés
« du bas de l’échelle ». Comment comprendre et expliquer ce résultat ?

Au cours de nos entretiens, nous avons d’abord constaté que les salariés disaient ne pas avoir
de connaissances ou ne s’attardaient pas ou peu sur les politiques réglementaires et sur les
acteurs qui définissent leur activité. Certains d’entre eux refusaient aussi ouvertement d’aborder
les questions politiques ou les questions du marché, estimant que cela n’était pas de leur
ressort mais de celui de leur direction ou des dirigeants de leur entreprise. De ce fait, leurs
discours se concentrent davantage sur le travail de production, sur l’exposition de leurs
conditions de travail et sur l’organisation du travail. Puis, avec les entretiens menés avec les
acteurs situés « en périphérie » des installations, ceux qui coordonnent les activités du secteur,
nous avons remarqué que certains d’entre eux méconnaissaient le travail des professionnels du
déchet, en particulier celui qui relève du domaine du traitement. Le manque de visibilité de cette
profession et le fait qu’elle soit relativement récente pourrait expliquer qu’elle soit peu
appréhendée ou de façon fragmentaire par les acteurs rencontrés.

De nombreuses recherches ont montré que la définition de normes environnementales se


structure par l’intégration et le rassemblement de différentes parties prenantes et fractions de la
société (les responsables politiques et administratifs, les acteurs industriels et les différentes
composantes syndicales, la société civile, les associations environnementales, les experts etc.).
Bien que les milieux industriels du secteur des déchets apparaissent comme des univers
fermés et difficilement pénétrables par les chercheurs en sciences humaines et sociales, notre
analyse montre comment les industriels participent au processus réglementaire (cf. « le travail
de conception »). Mais seuls les cadres et dirigeants des entreprises de déchets participent à la
mise en œuvre de la coordination et à l’articulation des enjeux du secteur.
Les variables les plus significatives alimentant les discours mobilisés dans « le travail de
conception » ne s’articulent pas autour de la problématique de l’activité de travail du tri, alors
même que le travail d’exécution relie des problématiques diverses relevant de questions
sociales, économiques, politiques du travail mais aussi environnementales.

10
Marx, 1867 ; Braverman, 1974 ; De Terssac et Friedberg,1996.
11
Le premier axe est celui du « travail », il explique près de 17 % des informations de départ. Sur le plan
factuel, deux régimes de référence se distinguent selon les variables propres à chacun d’entre eux (Cf
annexe). Ces variables sont rangées pour chaque groupe et selon l’ordre d’importance mis en évidence
par l’analyse factorielle.

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Nous verrons que les discours véhiculés sur le « travail du tri » rendent compte des formes
d’organisation du travail, des conditions de travail, et du travail réel effectué par les salariés du
tri. Ceux qui s’articulent autour du « travail de conception » visent à répondre à la question :
comment s’organisent le rôle et la rencontre des acteurs intervenants dans la gestion des
déchets ?

Cette première partie questionne donc le rapport à l’action collective de la gestion des déchets,
entre d’un côté un discours « micro » centré sur ces effets dans le travail industriel des centres
de tri, et de l’autre un discours « macro » porté sur le travail d’organisation de l’action publique
du secteur. Si ces deux discours abordent la finalité ou l’utilité sociale de la gestion des déchets,
l’un intègre les enjeux et les contraintes réglementaires environnementaux alors qu’ils sont peu
abordés voire absents dans le second.
Afin d’analyser à la fois les groupes d’acteurs et les discours qui constituent cet axe, nous
avons effectué un regroupement de variables dans chacun des régimes de sens. La
présentation propose de mettre en lumière ces regroupements de variables par l’illustration des
extraits d’entretiens les plus significatifs.

3.1 Travail du tri des déchets : un travail d’exécution

Le groupe d’acteurs est constitué de l’ensemble des exécutants du tri : les trieurs et trieuses,
les agents au sol et les agents de maintenance ; mais aussi l’encadrement intermédiaire : les
chefs d’équipe et chefs de cabines, ainsi qu’un contremaître du centre de tri sud d’Optitri
(structure publique).
Ce groupe de variables se distingue par un discours porté sur les contenus et la description de
l’activité du tri. Il est aussi spécifique de par le caractère plutôt négatif des discours portant sur
les conditions de travail.
Figure 1 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d’importance

Variables Mobilisées Individus du regroupement

Travail de chaîne CE _22 TR_4


Encadrement intermédiaire CE _26 TR_10
Machines TR _2 TR_15
Santé, douleurs, fatigue physique TR _17 TR_44
Déchets valorisables, matières premières CE _21 TR_12
Travail au sol CE _23 AS_47
Conditions de travail défavorables TR _3 TR_13
Travail d'équipe TR_11
MA _33
Gratifications TR_18
TR _8
Tâches de nettoyage
TR _1 AS_42
Contrats temporaires
TR _39 RE_25
Santé troubles pathologiques
MA _37 TR_40
Temps libre
CC _27 CC_19
Horaires de travail
TR _14 TR_35
Homme
TR _5 AS_41
Conditions de travail : dégoûts et dangers
TR _6 TR_9
Pause
MA _36 TR_45
Première cabine de tri des déchets ménagers
Sécurité de l'emploi TR _87 QU_86
Mauvaise ambiance de travail TR _34 TR_16
Déchets répugnants AS _43 TR_7
Equipements de protection
Abréviations postes :
Famille
Femme TR : Trieur
Opérateurs hors chaîne CC : Chef de cabine
Qualificatifs négatifs des métiers du déchet CE : Chef d’équipe
Travail sans qualité AS : Agent au sol
RP : Responsable Presse
Rémunération MA : Agent de Maintenance
Chômage RE : Responsable Exploitation
Le Tâches
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et missions
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Pour comprendre comment s’organisent les chaînes d’activités dans le centre de tri de déchets,
il importe de revenir sur l’organisation générale du travail en portant attention à la manière dont
les opérateurs décrivent leur activité et leur positionnement dans l’usine. Dans cette partie,
nous évoquerons quatre grands points, qui entrent en résonnance à plusieurs reprises avec le
travail d’exécution.
Il s’agit ainsi de décrire l’environnement technique de l’activité, soit la place des machines et
des hommes dans cet univers caractérisé par l’objet « déchet » et la saleté, et de montrer les
relations entre les opérateurs tout en exposant la place des différents métiers et leur rôle
particulier (1). Puis, nous aborderons les conditions de travail et les risques professionnels
encourus par les opérateurs. Nous verrons alors que l’activité du tri comporte des dimensions
physiques et morales difficilement supportables (2). Ensuite, nous chercherons à comprendre
quels sont les facteurs qui incitent les opérateurs à travailler dans le centre de tri, en particulier
pour les trieurs (3). Pour finir, le dernier point concernera le travail collectif, dont nous
montrerons qu’il peut être à la fois un facteur de satisfaction au travail ou au contraire source de
conflit (4).

3.1.1 Le travail en centre de tri12

L’activité productive dans le centre de tri de déchets est répartie entre trois catégories
d’ouvriers et d’employés : les agents au sol, les trieurs et les agents de maintenance dont nous
montrons ici leur degré de dépendance. Elle se caractérise par le travail à la chaine et ses
appendices (machines), où des petits groupes de trieurs exécutent une série de gestes
relativement identiques, sans outils et selon une cadence déterminée. Les degrés de liberté et
les marges de manœuvre possibles et laissés aux opérateurs sont minces. Ainsi, l’avènement
d’un nouveau « modèle productif » et la thèse de la fin du taylorisme annoncés par plusieurs
recherches en sciences humaines et sociales (Kern et Schuman, 1989 ; Coriat, 1990 ; Coninck
1991 ; De Terssac, 1992 ; Veltz et Zarifian, 1994) sont questionnés ici par notre étude sur les
centres de tri de déchets. En effet au-delà de la séparation entre travail d’exécution et travail
de conception, la division du travail dans la production elle-même est forte.

Chaîne, tapis et convoyeurs

La production dans les centres de tri doit répondre aux flux d’arrivée des déchets de la collecte
sélective. Ces apports sont convoyés dans différentes cabines de tri dans lesquelles sont
postés les agents. Le travail en centre de tri est donc organisé autour des différents convoyeurs.
A l’instar du travail en abattoir (Muller, 2008), l’activité ne vise pas à construire un produit mais
à démanteler une masse importante de déchets.

Photo 1 : La chaîne sur la ligne du plat à C1 Photo 2 : La chaîne sur la ligne des creux à C2

12
Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Travail de chaîne ; machines ; déchets valorisables,
travail au sol, tâches de nettoyage, opérateurs hors chaîne, tâches et missions, déchets répugnants,
travail sans qualité, première cabine de tri des déchets ménagers (pré-tri) ; encadrement intermédiaire ».

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Bien que les trieurs soient dits « polyvalents » du fait de la rotation entre chacun des postes leur
activité est et reste majoritairement sur la chaîne, même s’ils s’occupent parfois de tâches
annexes telles que le nettoyage des postes, des cabines de tri et du rez-de-chaussée de l’usine.
Certains d’entre eux peuvent aussi être amenés à réaliser la caractérisation des apports de la
collecte sélective, surveiller et/ou actionner le fonctionnement de la presse à fer, ou encore
vider les poubelles d’appoint des postes de tri.
Les tâches de nettoyage, qui sont attribuées aux trieurs lors des pannes ou des arrêts de
chaîne, sont perçues de façon plus négative pour les trieurs. Ils les considèrent comme
dévalorisantes du fait de leur caractère sale, inutile, sans fin, et parce qu’elles ne relèvent pas
des tâches pour lesquelles ils sont présents dans le centre de tri. Elles constitueraient une
négation des compétences des trieurs et seraient un facteur de dévalorisation.

« Mais moi mon métier ce n’est pas de balayer, et puis il faut voir la saleté, la poussière,
quand on sort de là-dedans, on est crasseux, quand on se mouche, c'est du noir qui sort.
Alors imagine ce qu’on respire quand on balaye. Et puis ça va, merde, on est déjà à la
chaîne avec des poubelles et pour nous occuper, pour rattraper le retard, on balaie, des
boniches du balai. » Trieuse_17

Arrivée au centre de tri d’Optitri du sud du département, on m’informe qu’il n’y aura qu’une
heure de travail sur la chaîne du tri des creux, car le crible a une palle cassée ce qui engendre
un arrêt de la chaîne du plat et donc de l’activité, jusqu’à la réparation de la machine. Une petite
dizaine de trieurs, essentiellement des titulaires et des femmes, sont au tri des bouteilles, le
reste étant en support avec les agents au sol. Les agents s’inquiètent de cette panne, et
espèrent ne pas devoir aller la semaine au centre de tri du nord du département. Au bout d’une
heure et demie de tri, nous passerons la journée à effectuer du nettoyage dans l’usine, au
programme : balayage, dépoussiérage, nettoyage des vitres des cabines au chiffon, nettoyage
du parking. Tous les recoins sont passés en revue. J’observe des petits groupes d’individus,
des agents se cachent pour discuter, d’autres en profitent pour aller fumer. Pour ma part, je
reste avec un des agents de tri, des plus âgés, nous dépoussiérons une petite zone située sous
le tapis qui part du crible pour aller en cabine (Photo 1 et 2). Au bout d’une trentaine de
minutes, nous en ressortons couverts de poussières de la tête au pied et passons plus de 10
minutes à nous dépoussiérer à l’aide d’un souffleur. Une large majorité des agents râlent,
certains s’ennuient et trouvent le temps long, d’autres sont dégoûtés de devoir faire le ménage.
Plus tard dans la journée, plusieurs balles de tétra sont déliées, car il y a de l’alu dedans. Nous
sommes au rez-de-chaussée de l’usine, à genoux en train de séparer l’alu du tétra-pack. Trois
des agents refusent de participer à cette tâche, le chef d’équipe laisse faire, il m’explique qu’il
n’a pas envie de se battre aujourd’hui. Un des agents prend une photo de cette scène avec son
portable, qui nous paraît « surréaliste ». Une des trieuses dit « on croirait être des gitans, ce
n’est pas normal d’être comme ça, on n’est pas payé pour être à genoux ».
Notes de terrain (Novembre 2012).

Photo 3 : Balayage au centre de tri (C1) Photo 4 : Environnement poussiéreux (C1)

En revanche, nous avons observé qu’à C3, les tâches annexes telles que s’occuper des ferreux,
ou participer à la caractérisation apparaissent comme une « récompense », car elles donnent la
possibilité de quitter la chaîne ne serait-ce qu’une dizaine de minutes et de rompre la
monotonie de la tâche du tri.

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« Ben maintenant je tourne, je vais au ferreux par exemple donc je peux sortir de la
chaîne, pas longtemps mais tu vois ça fait du bien de sortir de la prison de la chaîne, de
cet endormissement, donc je pars de temps en temps et ça fait du bien… » Trieuse_7

Les différents postes sur la chaîne pour les trieurs ne semblent pas avoir une valeur
équivalente notamment physiquement. La première cabine de tri, appelée pré-tri, se compose
de 2 à 4 postes jugés comme étant les plus difficiles. Du fait de son positionnement en amont
de la chaîne, le « pré-tri » réceptionne les produits « bruts » de la collecte, et donc les plus
« sales » et « dangereux » mais aussi les plus massifs (imposant cartons ou refus : animaux
morts ; carcasses de motos ; batteries de voiture etc.). Les trieurs postés au pré-tri sortent les
déchets les plus lourds, les plus encombrants, et les plus sales. La charge physique apparaît
donc plus élevée pour les opérateurs comparés à ceux qui sont situés par exemple en fin de
chaîne.

« Au pré-tri, on est trois, avant on était que deux et une personne aujourd’hui est donc
préposée aux cartons, mais pareil, ça aussi, c’est un poste dur, parce qu’on fait les sacs
et ça, c’est dur. Les sacs souvent arrivent mais ils ne sont pas ouverts donc il faut les
ouvrir à la main, donc on met les cartons d’un côté, les sacs de l’autre, et puis, on enlève
le gros refus, par exemple un magnétoscope. Donc voilà, le pré-tri, et creux c’est là où on
dérouille des épaules, c’est là où c’est intense. Le pré-tri c’est pas toujours dur, mais
souvent il y a des gros cartons, vraiment aussi grand que vous, alors il faut les enlever et
ça, c’est très dur surtout quand c’est mouillé, il y a des grosses choses qui passent, et
puis il y a aussi beaucoup de poussière et c’est ça le plus gênant […] » Trieur_1

A C3, certaines filles trieuses n’allaient que très rarement au poste du pré-tri. L’une des
principales raisons évoquées était la hauteur du tapis et le fait que les trieuses de petite taille
(1M50-1M55) ne pouvaient pas opérer un tri de qualité sans se fatiguer rapidement et sans se
faire au mal au dos ou aux épaules.
Notes de terrain

Le roulement des postes (préconisé par la médecine du travail dans les trois sites étudiés)
apparaît comme un point central de l’organisation du travail dans le discours des trieurs, au
même titre que les pauses, et peut être source de conflit entre les trieurs ou avec l’encadrement.
Le fait de tourner sur tous les postes est aujourd'hui obligatoire dans les trois centres de tri.
Cadré par un planning effectué par le chef de cabine, le chef d’équipe ou le contremaître, il
s’est peu à peu institué au fil des années. Il est considéré par l’ensemble des trieurs comme un
élément d’allégement des conditions de travail et de la dureté de la situation de travail.

« Donc en fait suivant le nombre de personnes qu’on est, on va sur le plat, puis sur le
creux puis on ira au pré-tri toutes les 2h15, ça change et c’est ça qui est important. Au
début quand on passait la semaine aux bouteilles le vendredi on était naze. Et donc au
début en 2003, le planning était à la semaine, on passait toute la semaine sur le même
poste. Tandis que là c’est vrai que c’est bien, de tourner chaque 2h15 c’est super, ça
passe vite c’est plus du tout pareil, ça fait à peu près 1 an, c’est dommage qu’on n’ait pas
percuté avant. » Trieur_13
« Avant c’était nous qui décidions sous l’ancien chef. Chacun prenait la place où il voulait.
Il fallait juste aller au pré-tri une fois par semaine. Le problème qu’il y a eu c’est que
certaines personnes ne bougeaient plus d’un poste, et puis certains se débrouillaient
pour ne pas aller au pré-tri, alors ça posait des problèmes relationnels, maintenant les
choses sont claires et justes. » Trieur_16

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Photo 5 : Planning hebdomadaire des postes à C2 Photo 6 : Positionnement postes de tri à C2

En ce qui concerne les agents au sol, bien qu’ils interviennent en amont et en aval de la chaîne,
leur activité est dépendante de celle des trieurs : ce sont eux qui chargent la chaîne de tri avec
les apports de la collecte sélective. Ils gèrent les alvéoles (stalles) de produits, puis les
conditionnent et les stockent en balles pour la vente. Enfin ils finissent par charger les camions
d’expédition livrant les matières premières recyclables (MPR) dans les usines de recyclage. Il
existe une forte interdépendance entre le travail effectué en amont par les agents au sol, qui
influence la charge de travail de l’aval. Par exemple, le volume de chargement de déchets sur
la chaîne qui dépend du stock des apports, aura une incidence sur l’activité de travail des
trieurs. De la même façon, si les stalles se remplissent rapidement et sont sous dimensionnées,
le travail des agents au sol s’intensifie fortement (observé au centre de tri sud d’Optitri après
travaux d’optimisation).

Il en est de même de la maintenance qui doit entretenir les différents équipements présents sur
la chaîne et assurer son fonctionnement. Leurs horaires de travail sont dépendants de l’activité
des trieurs puisqu’une partie de leurs tâches (notamment l’entretien) est exécutée lors de l’arrêt
du centre de tri. Les agents de maintenance ont aussi une action directe sur la chaîne en
présence des trieurs puisqu’ils sont astreints à la « débourrer », tâche qui présente des risques
professionnels. De plus, ils peuvent aussi servir de renfort aux équipes du sol.

Enfin, les chefs d’équipe et les chefs de cabine ont pour fonction d’organiser et de gérer le
personnel de la chaîne (rappelons que les chefs de cabine chez Valori sont aussi trieuses et
que les chefs d’équipes à Optitri sont agents au sol). Ils s’occupent de régler la cadence et de
surveiller l’approvisionnement de la chaîne, d’anticiper ses blocages et ralentissements afin de
maintenir un rythme de production constant. Leur logique est donc différente de celle des trieurs
qui souvent espèrent la panne ou le bourrage afin de pouvoir bénéficier d’un temps de
récupération plus ou moins prolongé dans le travail.

« Je fais beaucoup de management, plus de papier, et plus de pas aussi, je fais


beaucoup de déplacements. Je ne suis jamais dans le bureau. Je dois y passer une
demi-heure par jour maximum dans le bureau, une demi-heure maximum et après je ne
fais que marcher. Je suis tout le temps en train d’essayer d’anticiper un bourrage,
j’anticipe, je vois un bruit ou quelque chose. J’essaye d’intervenir avant que ça s’arrête. »
Chef d’équipe_22

On peut émettre l’hypothèse que les agents au sol, de maintenance et les encadrants, de par
les objectifs qui leur sont fixés et par le caractère plus polyvalent de leurs tâches et mission,
sont dans une logique d’optimisation de la production par la recherche du « bon » réglage, par
la nécessité d’anticiper des bourrages ou des pannes. Certains trieurs contrebalancent cette
logique d’optimisation et de recherche de régulation de l’activité, en souhaitant un allégement
de leur activité de travail (réduction des gestes) voire en espérant une panne pour que l’activité
soit stoppée.

« Moi déjà premièrement (mon rôle c’est) d’assurer le fonctionnement de la chaîne, ça,
c’est le premier truc, faut que la chaîne elle tourne à fond ; après placer les agents, les
plannings et tout ça » Chef d’équipe_22

Le Travail dans les Industries de Déchets 20/160


08/2013

« La bonne journée c’est quand tout marche, on a fait l’entretien normal, on a fait notre
travail et il n’y a pas eu de panne, la journée se termine bien. La mauvaise, ce qui
m’arrive à chaque fois, à 17 heures ou à 20 heures quand je dois partir il y a un truc qui
pète. » Agent de maintenance_37
« Quand ça tombe en panne, ça tombe en panne ce n’est pas de notre faute. À partir de
là on appelle le chef mais honnêtement si le chef n’est pas en bas, qu’il est en train de
boire son café ou qu’il prend sa pause, on n’ira pas le chercher. Il prend sa pause il n’y a
pas droit, il la prend donc il se démerde mais bon à la limite on attendra qu’il revienne,
c’est tant pis pour lui en même temps. » Trieuse_3
« Une bonne (journée) pour moi c’est quand il y a des pannes. » Trieuse_8

Les déchets valorisables comme objet du travail

Le déchet est l’objet de travail de la totalité des opérateurs dans le centre de tri, qu’ils soient ou
non sur la chaîne. Pourtant, le fait de travailler dans ce secteur semble être perçu différemment
entre les opérateurs de chaîne et hors chaîne. La division verticale et horizontale du travail au
sein du secteur du tri semble jouer un rôle déterminant dans la perception de ce travail. Plus on
s’éloigne du contact avec le déchet, plus son appellation pour le qualifier diffère. En effet, les
agents du centre de tri emploient des qualificatifs différents pour « parler » de leur objet de
travail (le déchet) suivant la position qu’ils y occupent. Chaque poste utilise donc un langage
spécifique pour nommer le déchet, ce qui montre un rapport différencié des salariés à l’activité.
Les trieurs travaillent avec « le déchet », « la poubelle », « la merde » ; les agents au sol traitent
des « produits », des « apports », et de la « matière première secondaire » ; les agents de
maintenance nettoient, contrôlent et mettent en place des actions préventives pour assurer le
rythme productif, soit le fonctionnement continu de la chaîne et des machines.

« C’est des déchets, et des fois c’est des grosses poubelles parce que ce n’est pas
spécialement propre. Ici on est vraiment au top pour trouver de la merde. Sinon c’est de
la matière première il faut l’appeler comme ça mais pour nous c’est des déchets. »
Trieuse_3
« Déjà ils n’ont pas la même matière, nous, on a énormément de sacs, eux, ils n’en ont
pas, et c’est très important cette différence. Le vrac ne se trie pas comme du sac, sur les
chaînes il n’y a pas la même quantité de bouteilles, de-ci de-là quand on est en sac, au
niveau du crible c’est pas le même, l’apport de matière est plus régulier sur leurs tapis
que sur le nôtre » Agent au sol_43

Photo 7 : Viscères d'un animal dans un sac plastique (C2)

Nos observations et notre immersion dans les centres de tri ont montré que les déchets
présents sur la chaîne n’étaient pas seulement des emballages ménagers. On y retrouve de
tout : de l’argent à l’excrémentiel. Ainsi, les agents ne trient pas seulement une collecte de
propre et de sec. Aux déchets recyclables s’ajoutent toutes sortes d’objets allant du récupérable
au plus répugnant : parfums, chaussures, vêtements, sous-vêtements, trousses, équipements

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ménagers, mobiles, batteries de voiture, chaises de jardin, carcasses de motos, cadavres


13
d’animaux voire d’humains .
De plus, les trieurs sont constamment en contact direct avec le déchet, car le tri est un travail
effectué sans instrument, seules les mains séparent l’agrégat. Plus que les autres corps de
métiers de l’installation, ils encourent les risques liés au caractère dangereux de certains
produits sur la chaîne.
L’analyse qualitative permet de voir que pour les agents au sol et de maintenance, le rapport
avec le déchet est plus lointain. Les outils utilisés dans leur travail permettent de limiter les
risques, et le dégoût lié au déchet est donc moins présent dans cette catégorie. Cependant,
travailler sur le déchet représente un aspect du travail des agents de maintenance. Bien qu’ils
ne soient pas amenés à le toucher quotidiennement, ils sont aussi exposés au dégoût et aux
dangers liés aux déchets répugnants lorsqu’ils interviennent ou nettoient l’intérieur des
machines.

« Même si tous les jours ce n'est pas agréable. Il y a des choses il faut être accroché. J'ai
été malade, il y a des choses, je vous dis honnêtement, on nettoyait des machines, des
trucs qui me sont tombés dans la tête en décomposition et tout… ça va loin. J'ai été
malade, des vomissements et tout… ça arrive parce qu'il n'y a pas que du sélectif, les
animaux morts… » Agent de maintenance_36

On peut aussi penser que le poste de travail ainsi que les qualifications et compétences du
métier exercé influent sur la manière de percevoir sa fonction en lien avec l’objet déchet. Les
trieurs observent une dévalorisation par la société du travail avec le déchet, thème qui est peu
présent chez les agents au sol ou de maintenance.

« Mais j’évite de dire où je travaille, c’est un métier comme un autre, je sais très bien qu’il
n'y a pas de sous métier, mais je travaille dans les poubelles » Trieuse_3
« Au début j’ai eu honte, je me sentais nulle et dévalorisée […] Mais après c’est vrai
qu’au début je disais que je travaillais dans la poubelle, et déjà à l’époque mon père il
récupérait la ferraille à droite et à gauche, donc déjà ma famille on avait été catalogué à
ce niveau-là « ton père il fouille dans les poubelles » alors que ce n’était pas le cas et je
me suis dit « putain, s’il faut ils vont croire que je fais pareil que mon père » » Trieuse_8

Le travail au sol

Comme nous l’avons vu, le travail au sol et le travail de chaîne, bien que distribués
différemment dans l’espace productif, sont étroitement liés. Au même titre que le travail de
chaîne, le travail du sol est un lieu de production central du centre de tri, le bon ou le mauvais
déroulement de l’un accentue ou amoindrit les difficultés de l’autre.

« Dès qu’on arrive on regarde les cages qui sont à presser, alors il n’y a pas d’ordre à
respecter, alors on attaque les cages, après il faut ranger les balles, après on regarde s’il
y a des arrivages, ou s’il y a des chargements à faire de papiers, ou de cartons ou de
PET. Après il faut tenir la chaîne toujours pleine, il faut déstocker, et après il y a du
nettoyage. » Agent au sol_42

Les agents au sol ont souvent des qualifications plus reconnues que le personnel de tri, bien
que certains aient fait la passerelle entre les deux métiers. L’activité du travail au sol oblige
d’utiliser des engins spéciaux de levage (tracteur, manitou), d’acquérir des certificats d’aptitude
à la conduite en sécurité (CACES), de se former régulièrement au maniement de nouvelles
machines (presse, nacelle) et d’avoir une aisance relationnelle dans la relation client avec les
différents transporteurs de déchets.
Les agents au sol décrivent et apprécient une autonomie de travail plus importante qu’au tri. En
effet, les opérateurs de tri sont soumis au rythme du convoyeur, ils ne peuvent intervenir sur la
quantité de matière à traiter. Cette organisation ne leur concède que peu de marges de
manœuvre et d’autonomie.

13
Dans un centre de tri du Loir-et-Cher en décembre 2012 a été retrouvé le cadavre d’un nourrisson sur le
tapis du pré-tri.

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Par nos observations, notamment à C3, le travail du sol est cadré par des objectifs de
production et des quotas journaliers à respecter. Mais, à la différence du travail à la chaîne, les
agents au sol apparaissent plus autonomes dans la manière de prendre des pauses et
d’organiser leur travail qu’ils peuvent modifier. Ainsi l’organisation de leurs tâches se fait
d’abord par des arrangements entre les travailleurs de l’équipe, et il reste possible de
s’aménager des petites pauses, de prendre du temps pour discuter avec les chauffeurs, d’aller
fumer une cigarette, etc.

« Au sol, on est 2, il y en a un qui s’occupe de presser les produits, et l’autre il s’occupe


de charger les camions ou de les réceptionner, de vider les cages, mais ça c’est comme
on veut. On s’entend entre nous, on peut changer dans la journée, enfin je peux faire le
contraire si je veux. On s’arrange, on s’entend, s’il y a deux camions à charger. On en fait
un chacun ou s’il n’a pas envie de charger aujourd’hui alors je le fais. » Trieur et agent au
sol_15

Les agents au sol sont moins soumis à la cadence fixée par le convoyeur et moins sous le
contrôle de leur hiérarchie (C3) que les trieurs. Ils affichent davantage de satisfaction et
d’intérêt à leur travail.
Il existe une part de relationnel dans leur travail puisqu’ils sont en contact avec les
transporteurs qui viennent décharger les apports ou charger les produits. La possibilité
d’échanges avec l’extérieur est souvent appréciée par les agents au sol et participe à
l’instauration de petites formes de sociabilités. Ces dialogues contribuent à rompre la tâche
relativement monotone du chargement de la chaîne. Par exemple, des agents nous diront avoir
des liens amicaux et familiers avec des chauffeurs-transporteurs.
Le travail au sol est considéré par la majorité des agents du centre de tri comme moins difficile
physiquement et surtout moralement que le tri. Suivant les périodes et les besoins, quelques
opérateurs de chaîne peuvent aller au sol remplacer ou aider leurs collègues, et inversement.

« Les deux me conviennent (agent au sol et trieur) mais à choisir je préfère l’agent au sol.
Bon j’ai déjà travaillé à la chaîne pendant 1 an et demi et je fais les remplacements si
besoin, mais c’est mieux le métier d’agent au sol parce qu’on est amené à conduire les
engins, à avoir des contacts avec les gars, il y a un peu plus de responsabilité. En haut
bon c’est le tapis, on trie, c’est 7 heures, nous, on est appelé à faire plusieurs choses, et
on bouge plus aussi c’est important parce qu’en cabine de tri le mec il reste 2h15 fixé à
son poste, et ça épuise moralement » Agent au sol_43

Photo 8 : Chargement des déchets sur le convoyeur (C1)

Le rôle majeur des machines

Le quotidien des trieurs des déchets n’est pas représentatif de l’image d’Épinal de ces
industries vertes ayant recours aux technologies les plus récentes. Si le tri en France reste
encore aujourd’hui une activité avec un fort recours au travail manuel, les différents corps de
métiers, à plus ou moins grande échelle, travaillent avec les machines. Qu’ils aient une action
sur elles (les agents de maintenance), que leur travail soit cadré et rythmé par elles (les trieurs),

Le Travail dans les Industries de Déchets 23/160


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qu’elles soient le gage d’une meilleure production tant en qualité qu’en quantité (agent au sol et
encadrement), la place de la machine est centrale dans les centres de tri. L’activité mécanisée
doit permettre de faciliter le travail des trieurs et d’améliorer le rendement et la qualité du tri.

Photo 9 : Machine de tri : le crible (C1)

Parmi les trois sites, il existe plusieurs types de machines et des degrés de mécanisation
différenciés. Après que les agents au sol aient déposé les déchets sur les convoyeurs (ou fonds
mouvants) à l’aide de tractopelles, en amont du pré-tri on retrouve :
- « l’ouvreur de sac » qui déchiquette les sacs plastiques permettant aux déchets de se
déverser sur le tapis (C1 et C2) ;
- « l’overband » qui extrait les matières ferreuses (C1, C2, C3) ;
- un « extracteur de cartons » qui collecte les plus gros et imposants cartons. (C1, C2)
- un « régulateur » (C3)

À la suite de la cabine de pré-tri on trouve « le trommel », sorte de tamis cylindrique qui sépare
les déchets en corps creux et corps plats (C3), ou un « crible » qui a la même fonction. Depuis
2011, les deux centres de tri en régie publique sont équipés de machines optiques à éjection
pneumatique (C1, C2).
Dans ces univers mécanisés, le travail manuel reste encore prépondérant. Il assure l’efficience
du process, car les déchets sont acheminés dans les cabines de tri où l’homme ou la femme
prendra le relais. Par la suite, le travail revient aux agents au sol qui auront pour mission de
compacter les déchets (selon leur nature) à l’aide d’une « presse à balles », puis de charger les
camions avec cette marchandise.

Depuis plusieurs années, les centres de tri sont entrés dans une démarche d’automatisation. La
machine y est donc de plus en plus présente, autant pour améliorer la production, s’adapter aux
potentielles évolutions des collectes séparées que pour améliorer les conditions de travail.

Photo 10 : Machine de tri optique (vue de l'intérieur) (C1)

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À partir de l’analyse qualitative, nous avons observé des disparités sur la représentation et la
perception des différentes machines par les trieurs. Elles peuvent être jugées comme ayant
participé à une amélioration ou au contraire à une dégradation de leurs conditions et rythme de
travail, ou comme n’ayant rien changé à leur activité. Par exemple, l’arrivée du trommel à Valori
a été vécue par la majorité des trieurs comme un avantage, car il permettait une moindre
sollicitation physique des membres supérieurs. En revanche, selon eux, le régulateur (machine
qui par brassage des apports de déchets permet que l’alimentation du tapis soit régulière) a peu
facilité ou changé l’activité, car ils notifient qu’il y a toujours autant d’irrégularité dans le
chargement des déchets sur la chaîne. Ces variabilités sur la chaîne peuvent s’observer en
quelques minutes : de 3 centimètres d’épaisseur de déchets ou de quelques déchets sur le
tapis (photo à gauche), l’activité peut devenir très « chargée » (photo à droite) et l’épaisseur
peut-être multipliée par 10. Les photos suivantes sont issues d’un enregistrement filmé d’une
séquence de travail, d’une durée de 46 secondes, au pré-tri. Elles montrent la discontinuité du
chargement sur quelques secondes.

Photo 11 : Tapis peu chargé Photo 12 : Tapis chargé

À Optitri, spécifiquement à C2, le fait de ne plus trier manuellement les bouteilles apparaît
comme une chance. Cependant les agents de tri rapportent que sur les autres postes (pré-tri et
chaîne des corps plats) le nombre de gestes effectué est toujours aussi important, voire aurait
augmenté. En effet, la mécanisation dans les centres de tri entraîne souvent une augmentation
de la production et des cadences. Ces dernières sont jugées comme « intenables ou
infernales » par de nombreux opérateurs.
Enfin, si les machines doivent pouvoir faciliter le travail des trieurs, leur efficacité au niveau de
la qualité est remise en cause. Lorsque les agents regardent la qualité du flux des déchets triés
par la machine, ils découvrent les erreurs et considèrent que le travail a été « bâclé ». On
observe ainsi que les ouvriers du tri peuvent s’opposer aux nouvelles machines. C’est alors
l’occasion pour eux de faire valoir le travail manuel, leur habileté et leurs propres capacités
productives.

« Au début on pensait que la machine pourrait faire une erreur mais qu’en le remettant
[en faisant un réglage] ça allait bien trier, mais non, elle refait la même erreur, parce que
bon, c'est une machine » Trieur_34

Lorsque les machines sont décrites comme étant l’objet d’aliénation et de dégradation des
conditions de travail c'est en référence à l’augmentation de la charge de travail qu’elles
produisent ou du bruit et de la poussière qu’elles émettent. On peut voir par les observations
que dans ce dernier cas, les agents de maintenance, responsables des réglages, sont aussi
mis en cause par les trieurs.

« Je pense qu'il y a trop de débit. Les machines marcheraient bien si l'on avait un débit
peut être un peu inférieur et un arrivage, parce que ce qui nous pose beaucoup de
problèmes, c'est l'arrivage des bouteilles du centre de tri nord, parce qu'il y a
énormément de cartons qui nous font de bouchons, c'est ce qui nous fait avoir une
mauvaise qualité » Trieur_34
« J’ai deux fois plus de boulot, y’a deux fois plus de poussière. Y’a eu un comité de
pilotage fait en complicité avec les trieurs, y’a rien qui va dans les cabines. Il faut que je
modifie tout parce que les gestes de tri sont catastrophiques. » Agent de
maintenance_33

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Pour les agents de maintenance, le rapport à la machine est très direct puisqu’ils y agissent au
quotidien, soit par la mission d’entretien, soit par la réparation. La machine, son fonctionnement
et son amélioration sont des éléments constitutifs de l’intérêt qu’ils portent à leur travail, et elle
représente une source de compétences de ces agents.

« Après dans les améliorations me concernant et liées au balistique, quand on a créé ce


nouveau système de machines, on a créé le système… bon le prototype que j’avais fait
avec les trappes d’air comprimé ils l’ont adapté ici ce qui fait qu’il fait plus chaud » Agent
de maintenance_33
« Et nous, c'est pareil, ils vont acheter un engin pour le sol en bas ou une machine, on
n’est même pas consulté. C'est quand même dingue. Pour l'entretien et tout, pour aller la
voir au moment de l'acheter, pour aller voir ta bécane, toi tu as des questions en tant que
technicien, des vraies. Et combien ça coûte en pièces détachées ? Alors si la machine
dans l'année elle te coûte trois fois le prix en entretien… à un moment donné il y a des
trucs très intéressants par rapport à nous. On n'est pas consultés, on nous la livre, on
nous la monte et après… » Agent de maintenance_36

Photo 13 : planning du suivi d'entretien (C1) Photo 14 : identification des tâches de maintenance

À travers ce dernier extrait d’entretien, on remarque ici que le fait de ne pas consulter les
agents de maintenance lors de l’achat de machine est vécu comme une non-reconnaissance de
leurs compétences. Il en est de même lorsqu’ils ne peuvent pas assurer l’entretien et la
réparation des nouvelles machines. Certaines missions sont ici retirées aux agents de
maintenance qui jugent cela comme une perte de temps et d’argent pour l’entreprise.

« Alors moi depuis peu je n’ai même pas le droit de toucher les machines, j’aurais besoin
de tendre des courroies sur l’ouvre sac : « Non tu ne touches pas tu fais venir
quelqu’un » ; l’autre jour y’avait une fuite sur le réducteur j’ai dit y’a que des joints à
changer, « tu ne t’emmerdes pas t’appelles le constructeur », il y a un type qui est venu
pour changer deux joints, il y a passé 2 heures, ça lui a fait plaisir le gars il était de
Montpellier, il s’est pris la com, il s’est pris le déplacement. » Agent de maintenance_33

Nous avons vu que dans cet univers industriel le travail est organisé et agencé par les différents
convoyeurs et les machines. Il se distribue autour du déchet qui ne cesse de circuler du bas
vers le haut, puis du haut vers le bas pour devenir un produit. Chaque métier est dépendant du
bon fonctionnement de ces organes mécaniques qui par leur ampleur et multitude donne
l’image d’une industrie complexe. Ici, le travail ne consiste pas à fabriquer une pièce mais à
démanteler une masse importante de déchets qui au fil des jours ne semble pas s’amoindrir.
Les opérateurs rapportent la saleté de leur environnement de travail, la monotonie de la tâche
du tri, la difficulté de plusieurs postes. On voit donc l’importance de pouvoir tourner sur tous les
postes. Nous voyons avec ces quelques éléments, que pour un travail considéré (souvent à
tort) comme « simple » et adapté pour des personnes en insertion professionnelle, il nécessite
néanmoins de « bonnes dispositions » face à des conditions de travail difficilement soutenables.

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3.1.2 Des conditions de travail difficiles14

En effet, l’activité de travail présente des risques auxquels s’exposent quotidiennement les
professionnels du tri. En les présentant ci-dessous, nous verrons qu’ils sont de natures
diverses : certains recoupent des pathologies « classiques » dues à la répétition quotidienne
des gestes (TroublesMusculosquelettiques - TMS) ; d’autres sont liés à l’exposition à certaines
substances telles que les moisissures, agents microbiens, résidus de peintures, produits
phytosanitaires ; il existe aussi des risques de piqûres par des seringues et de coupures par
des objets tranchants ou des éclats de verres ; des risques d’écrasement par les engins (en
particulier les agents au sol), des risques liés aux machines (bras happé entre les tapis).
Aux risques physiques s’ajoutent ceux liés aux difficultés morales de l’activité du tri. La
monotonie et le travail routinier en centre de tri mais aussi la dévalorisation sociale du métier
sont des facteurs supplémentaires de mal-être au travail.

Les maladies et douleurs liées au travail de chaîne

Comme nous l’avons vu précédemment, le travail des trieurs est guidé par la chaîne de par sa
vitesse mais surtout de par les apports en déchets qui « approvisionnent » les trieurs. En
fonction des apports journaliers, l’activité de travail peut s’intensifier, et se caractérise par « un
tapis plus chargé » et/ou une cadence plus soutenue, et donc par un effort supplémentaire à
déployer dans la rapidité du geste, la concentration pour repérer le produit, et la force pour
soulever les papiers accumulés. Il est difficile pour le trieur de pouvoir se déplacer, cantonné
dans un espace restreint, le travail ne s’arrête jamais (hormis lors des pannes). Les déchets ne
cessent de défiler sur le tapis, les yeux sont toujours à la recherche du produit à retirer, et
l’opérateur ne peut réguler la vitesse du tapis.
La variable « santé, douleurs, fatigue physique » illustre les difficultés rencontrées par les
trieurs et leurs conséquences : la majorité ressent des douleurs aux jambes, aux bras et au dos
du fait de postures pénibles et exténuantes.

« J’ai des douleurs aux jambes, articulations des genoux et des chevilles, et les pieds et
parfois les épaules enfin c'est plutôt régulier. On vit et on travaille avec la douleur. »
Trieur_40
15
Les troubles musculosquelettiques et les tendinites représentent les principales atteintes à la
santé.

« Rien de changé, maintenant la douleur s’est déplacée, elle est montée. Je me suis fait
opérer des deux mains, et maintenant c’est monté, mais comme j’ai dit normalement je
ne devrais plus être au tri, mais bon là j’ai la maison maintenant, 24 ans de crédit, donc
24 ans à faire, donc pour l’instant je reste là, et quand je pourrais plus et bien je
m’arrêterais… j’ai une décalcification et je ne peux rien y faire, il n’y a rien à faire. »
Trieuse_7

On observe que les trieurs parlent plus facilement de douleurs que de maladies
professionnelles : peu réalisent la démarche de la recherche de reconnaissance de la maladie
professionnelle du fait de la complexité de la procédure et de la peur de la perte d’emploi.

« Alors on en a parlé, y’a les TMS, mais d’abord personne n’en parle trop et encore
moins les employeurs, les troubles musculosquelettiques c’est pas encore dans les
mœurs quoi, c’est un sujet qu’on évite, et moi quand je me suis blessée en 2004 j’en ai

14
Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Santé, douleurs, fatigue physique ; conditions de travail
défavorables ; santé, troubles pathologiques ; qualificatifs négatifs des métiers du déchet ; conditions de
travail : dégoûts et dangers ; équipements de protection individuels ».
15
« Les troubles musculosquelettiques (TMS) regroupent un ensemble d’affections douloureuses touchant
les tissus mouspéri articulaires (muscles, tendons, nerfs etc.) secondaires à l’hyper sollicitation des
membres supérieurs et/ou inférieurs d’origine professionnelle. Les affections les plus fréquentes sont,
d’une part des maladies bien codifiées comme le syndrome du canal carpien (SCC) ou compression du
nerf médian au poignet, l’épicondylite à la face latérale du coude et les tendinopathies de la coiffe des
rotateurs (TCR) de l’épaule et, d’autre part, des syndromes douloureux non spécifiques. » (Chiron E., et al
2008)

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discuté avec la médecine du travail mais la médecine du travail de suite allait me mettre
inapte, j’ai dit non je ne vous en parle pas pour que vous me mettiez inapte, je vous en
parle pour que vous nous aidiez à trouver des solutions » Trieuse_14

Pour les trieurs, ces conditions physiques difficiles sont aggravées par différents éléments
comme le bruit, la poussière, les agents microbiens, l’odeur, la chaleur en été, le froid en hiver.

« Nous, on fait un métier à risques ne serait-ce que pour les seringues et les piqûres qui
passent sur la chaîne, après il y a les microbes, mais normalement ils sont morts, mais
bon c’est pas terrible d’avoir tout ça, il y a les odeurs, on ne sait pas ce qu’on respire en
fait. » Trieuse_3
« C’est quand même à 85 décibels alors que c’est 80 autorisés. Oui c’est gênant (le bruit),
alors là quand ça ne tourne pas trop vite il y a moins de bruit de suite. C’est pour cela
que l’on ne peut pas faire toute la journée dans la même cabine au creux. C’est
impossible. Moi au début j’avais des maux de tête. » Trieuse_44

Les opérateurs hors chaîne sont aussi exposés à ces conditions difficiles. Positionnés dans un
lieu ouvert, ils sont fortement exposés aux conditions météorologiques, au fonctionnement des
machines, à la poussière et au bruit des camions et des machines. Ajoutons que
statistiquement (bien que peu de chiffres soient disponibles sur le sujet) les accidents les plus
graves concernent le travail au sol et majoritairement les agents au sol.

« Sur les EPI (Equipements de protection individuelle) je suis attentif, je peux pas sortir
sans mes bouchons, en 2003 je suis rentré ici avec mes bouchons de X, moulés, après
ici ils nous en ont faits. Je ne peux pas travailler sans, c'est impossible. » Chef
d’équipe_21
« Alors c'est vrai qu’on travaille en bas, et que donc on subit le temps, la météo quoi.
Après ce qui est dur c’est le temps des fois l’hiver. Il fait plus froid dedans que dehors, et
l’été c’est pareil mais le contraire, mais on est obligé de laisser ouvert pour les camions,
l’hiver on essaie quand même de fermer mais ça réchauffera pas le bâtiment » Agent de
maintenance_37

Cependant, on observe que ces conditions sont vécues plus difficilement par les opérateurs de
chaîne. On peut faire l’hypothèse que l’accumulation de ces éléments aux douleurs, au travail
de chaîne et aux contraintes morales, accentue les difficultés ressenties.
De plus, les dangers qu’ils encourent du fait de la nature de certains produits sur la chaîne
(aiguilles, produits toxiques, etc.) rajoutent au sentiment de subir des conditions de travail
difficiles. Une majorité de trieurs abordent dans leurs discours les piqûres, les brûlures qui ont
eu lieu sur la chaîne et leurs conséquences. Ils peuvent éprouver de la peur, de la colère
envers les usagers qui déposent ces produits, mais aussi un sentiment d’injustice à l’idée de
pouvoir se blesser ou contracter des maladies dans le cadre du travail.

Photo 15 : Boîtes de DASRI4 trouvés sur la chaîne (C1) Photo 16 : intérieur d'une boîte de DASRI (C2)

« On se pique, ça m’est arrivé au début quand j’étais sur la chaîne, 15 jours après crac,
je me suis fait piquer, donc on fait les examens, on a un suivi de 6 mois. Heureusement

Le Travail dans les Industries de Déchets 28/160


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j’ai rien eu, parce qu’avoir sa vie de fichue comme ça, ça ne serait vraiment pas une
récompense. » Trieur_11

Les opérateurs hors chaîne, et notamment les agents de maintenance sont aussi, dans une
moindre mesure, exposés à ces risques. Lors des bourrages de la chaîne, ils sont en contact
avec tous types de produits ce qui peut engendrer des accidents de travail. L’appréhension du
danger est donc aussi présente chez ces opérateurs.

« Les bourrages de matière c’est l’enfer, donc là on est en contact direct avec les
déchets quand ça arrive, après on est comme on est. On a juste des gants et on saute
donc là aussi c’est dangereux, parce qu’on trouve des seringues, des couteaux, de tout,
en sautant il peut y avoir un couteau, enfin voilà c’est dangereux. » Agent de
maintenance_37

Les difficultés morales

À ces difficultés et risques physiques s’ajoutent pour les opérateurs des freins et contraintes
d’ordres moraux. Comme nous l’avons vu, la dévalorisation sociale liée à une activité sur les
déchets peut affecter les trieurs et la représentation qu’ils se font de leur travail. Le déchet est
un objet/acteur qui aura une incidence, en somme, sur la représentation que les trieurs se font
d’eux-mêmes. (Lhuillier, 2011, 2005)

« Quand vous dites à quelqu’un que vous travaillez à Optitri et au tri alors de suite c’est
un boulot de con, c’est pas intéressant, ça pue, c’est sale. C’est surtout le regard des
autres qui sont sur vous, vous le sentez qu’ils vous dévalorisent. » Trieur_16

La dévalorisation du statut peut conduire à la dépréciation de soi, perçue comme naturelle. Les
entretiens montrent la prégnance de l’assignation au métier s’ajustant, selon eux, à ce qu’ils
sont : « On est primaire, il faut le reconnaître, non mais c’est vrai, les trieurs on n’a pas inventé
l’eau chaude, ni tiède … Pas tous … mais certains oui. » Trieur_1. D’autres trieurs, des femmes,
nous expliqueront avoir caché ou travesti la nature de leur travail « pour ne pas avoir honte. ».
Le regard ou les commentaires d’autrui qui se traduisent parfois par du mépris, le sentiment de
faire un travail humiliant, constituent des atteintes morales supplémentaires.

La variable « qualificatifs négatifs des métiers du déchet » nous montre l’image que les trieurs
se font de leur travail au travers du vocabulaire employé pour le décrire. La notion de pénibilité
est souvent employée ainsi que celles de dévalorisation ou du manque d’intéressement et
d’utilité. Le manque de diversification des tâches conduirait les trieurs à éprouver un sentiment
de monotonie et d’ennui au travail se traduisant par un manque d’intérêt, et qui parfois pourrait
aboutir à des situations de retrait ou de freinage.

« Après le boulot moi je le trouve, enfin le travail en général je le trouve fatiguant, quoi.
Pas très intéressant, ça, c'est sûr, c'est très monotone. Enfin, c'est mon avis personnel. »
Trieuse_87
« Et puis après même, quand il en manque deux ou plus de personnes, normalement on
devrait baisser soit la quantité ou la vitesse, mais là ça ne change rien, on est toujours à
fond, donc on ne parle même plus de qualité, ça n’existe pas ou plus. Pour l’instant on dit
c’est à fond, pesé et envoyé. On ne changera pas le mouvement que l’on soit plus ou
moins, en bas ce sera toujours pareil. Alors à un moment les gens ils disent aussi bon et
bien s’ils veulent faire comme ça, et ben nous aussi on va trouver une compensation et
freiner en fait. » Trieuse_5

Les formes d’opposition, de résistance ou de freinage au travail tel que le degré d’implication du
personnel de tri et les situations de retrait sont mis en cause par les agents de l’encadrement
intermédiaire. Ils critiquent les opérateurs « qui viennent faire leurs 8 heures », ceux qui
n’auraient pas ou plus de conscience professionnelle et qui ne « se donnent pas à fond ». À
l’inverse, les agents jugés impliqués sont encouragés et soutenus dans les discours de cette
catégorie d’acteurs.

Le Travail dans les Industries de Déchets 29/160


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Ce constat diffère pour les agents au sol et de maintenance qui éprouvent un intérêt plus fort à
leur activité. Les qualifications et compétences qu’ils développent, la diversité des tâches à
effectuer dans une journée, les marges d’autonomie dont ils jouissent, sont autant d’éléments
aidant à se « sentir bien » dans leur travail.
Mais les aspects difficiles du travail de trieur peuvent aussi être contrebalancés dans les
entretiens lorsqu’ils exposent la finalité environnementale du geste de tri. Certains se
présentent comme étant les « pièces maitresses » du processus du recyclage, ou « comme le
complément à l’incinération ». Plus finement, quelques trieurs argumentent l’utilité de leurs
gestes et de leur activité. Le souci de préservation de l’environnement et de la nature apparaît
comme une des justifications positives à effectuer ce travail.

« Comme je dis c'est un boulot qui n’est pas… qui est dur il faut le reconnaître, alors
j’avais une petite expression qui disait le métier de trieur n’est pas enrichissant pour l’être
humain mais valorisant pour la planète, donc je résume en gros. » Trieur_40

Ce sentiment d’œuvrer pour la protection de l’environnement bien qu’il ne soit pas une
motivations pour effectuer ce travail, leur permet de « se sentir utile ». Les demandes de
conseils de la part de leur entourage (ami, voisin, famille) sont par exemple l’occasion de se
voir reconnaître des connaissances en matière de tri et recyclage des déchets. Mais, dans leur
activité quotidienne de travail, le manque de qualité des matières recyclables, le chargement et
la cadence de la chaîne qui compliquent la réalisation d’un tri de qualité sont des éléments
participant au sentiment de se sentir inutile sur la chaîne.

« Même si j’ai mal aux épaules, le plus dur c’est de voir qu’on ne peut pas faire de la
qualité, quand ça dégueule sur le côté, qu’il y en a trop et bien on ne sait plus à quoi on
sert, je sais qu’on ne peut jamais vraiment tout attraper, mais il y a des jours on ne sait
plus si on est là pour faire du tonnage ou pour trier. Le plus dur c'est de sentir qu’on ne
sert à rien, et puis on finit par baisser les bras. » Trieuse_12

Ces derniers mettent en cause la finalité économique et non écologique mise en avant par leur
hiérarchie et qui ne leur donnerait pas les moyens de réaliser un tri de qualité. L’analyse nous
permet d’observer un décalage entre la perception de la qualité par les trieurs et celle de la
direction.

« Ce n'est pas qu'il faut que l'on soit toujours en train de travailler, c'est qu'il y en a trop
pour que l'on puisse bien trier, c'est ça qu'ils n'entendent pas, il me semble. Parce que
nous, on voudrait de la qualité mais eux, ils s’en foutent de la qualité, ils veulent la
quantité. Mais nous, ce que l'on pense c'est qu’en triant, enfin, moi ce que je pense et
c'est ce que les autres pensent aussi, c'est que quand on est sur la chaîne on pense à
ceux qui ont trié avant nous. Donc quand on voit tout ce qu'ils ont trié et que ça part au
refus, on se dit mais c'est dommage. » Trieuse_44

En résumé, nos explorations montrent une triple charge que le métier fait peser sur les
salariés : une charge physique qui, avec des conditions de travail difficiles, fait peser des
menaces sur la santé des salariés (1) ; une charge mentale combinant l’appréhension des
risques sur la chaîne et une gestion professionnelle qui prolonge l’espace domestique des
consommateurs (2). Enfin, le métier de trieur constitue une charge morale qui fait porter au
travailleur l’image que la société projette sur lui, traitant « les restes » des consommations dans
des conditions d’une production taylorisée (3). Le travail du tri est pénible physiquement et
moralement, le contenu de travail ennuyeux et fastidieux, dénigré, discrédité et peu reconnu.
Pourtant ces salariés restent dans cet univers professionnel et s’engagent dans le travail. Ce
travail dit « non qualifié » montre toutefois une réalité plus nuancée lorsqu’on s’attarde sur le
mode de valorisation du travail qu’ils adoptent et sur les raisons de leur attachement à rester
dans les centres de tri.

Le Travail dans les Industries de Déchets 30/160


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3.1.3 Le travail de tri comme activité « choisie »16

Les conditions de travail sont rudes, le corps est mis à l’épreuve, le sens du travail et le sens au
travail sont interrogés et parfois difficilement (ou peu) visible et concret. Pourtant, une majorité
de trieurs s’emploie à rester. Depuis ces cinq dernières années, selon la direction et les équipes
de tri, le turn-over est très faible alors que les atteintes à la santé sont visibles et endurées.
Comment alors expliquer l’engagement durable dans cet emploi ? Pourquoi la volonté de partir
est si faible ? Nous tenterons d’y répondre en prêtant attention au profil sociologique des agents
et à leur parcours professionnel antérieurs, et en tenant compte également de la perception du
marché de l’emploi et des choix opérés par les opérateurs.

Les difficultés rencontrées avant l’arrivée en centre de tri

La sécurité de l’emploi est un élément fort dans le choix qui est fait de travailler en centre de tri.
Avant d’y rentrer, le parcours des opérateurs est, de façon générale, ponctué de périodes plus
ou moins longues de chômage dues en partie à la fermeture d’usines, ou de formes d’activité
17
qui correspondent à la définition du travail précaire (petits boulots, CDD, temps partiel subit).
Les trieurs, souvent caractérisés par leur manque de diplômes, ont éprouvé des difficultés à
trouver un emploi stable et durable en période de crise et dans des zones géographiques où le
marché de l’emploi semble relativement sinistré. Cette situation est aussi valable pour les
agents au sol et de maintenance qui, malgré de nombreuses qualifications acquises sur de
précédents postes, ont aussi souvent connu des périodes creuses au niveau de l’emploi.

« Alors j'ai fait beaucoup de choses, j'ai travaillé dans la biscuiterie, 10 ans, un
licenciement économique, parce que bon ça ne marchait plus. Après j'ai fait de l'intérim,
après j'ai travaillé à Hyper U mais à mi-temps, après j'ai travaillé là-haut, je ne sais pas si
tu vois… bon, j'ai fait un peu de tout. J’ai travaillé chez X, salaisons à X, voilà, j'ai goûté
un peu à tout. » Trieuse_87
« J’ai fait 20 ans de maroquinerie en tant qu’ouvrière en maroquinerie bagagerie, puis
licenciement économique et quand on a 40 ans c’est pas facile de se recaser surtout
quand on fait que de la maroquinerie, alors j’ai fait 8 ans d’intérim : femme de ménage,
électronique, X les pièces automobiles » Trieuse_12

Bien que l’arrivée dans le centre de tri se caractérise souvent par des périodes d’intérim, de
contrats courts, et que les difficultés liées au travail soient importantes, les acteurs ont une forte
motivation à rester dans l’entreprise.

Les avantages du tri

On peut donc considérer qu’avoir un métier représente pour un trieur une amélioration de son
18
quotidien dans le contexte que nous avons décrit et à un âge pouvant être discriminant .
L’arrivée dans le centre de tri est souvent vécue comme « une chance » par les opérateurs du
fait de leur manque de mobilité dans les départements ou régions alentours et de leur manque
de qualifications qui entraîne un accès restreint au marché de l’emploi. Ce rapport instrumental
à l’emploi permet d’accepter passivement les conditions de travail difficiles. Loin d’être un
métier rêvé, la peur du chômage et la « chance » d’avoir un emploi à proximité de chez soi sont
régulièrement évoquées dans les entretiens. Mais, le secteur des déchets apparaît comme un
milieu protégé. Les entreprises du déchet et leurs emplois sont difficilement délocalisables. De
plus, lors de changement de prestataire de contrat, les contrats des salariés sont maintenus et
poursuivis. La sécurité de l’emploi représente donc l’avantage le plus fort lié au travail de tri, en
opposition avec les situations de précarité passées.

« Ben moi, j’ai quand même privilégié la sécurité de l’emploi, c’est sûr qu’aujourd’hui à
mon âge je ne sais pas si j’aurai retrouvé un emploi fixe. L’intérim, le problème c’est que

16
Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Gratifications, temps libre ; horaires de travail ; sécurité
de l’emploi ; chômage ; rémunérations ; contrats temporaires ; famille ».
17
On se réfère ici à la définition INSEE « les statuts d’emplois qui ne sont pas des contrats à durée
indéterminée ».
18
Dans les trois centres de tri, la moyenne d’âge parmi la population des trieurs est de 45 ans.

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quand on est arrêté on ne sait pas pour combien de temps, quand on est intérimaire on
sait jamais si le contrat va être renouvelé, il faut attendre la fin de semaine et encore. Bon
moi j’ai fait 3 ans dans la même boîte, mais on pouvait m’arrêter à tout moment, alors pas
de congé et puis on ne peut jamais rien envisager, alors à un moment donné on arrive à
un stade où on dit stop. […] Vous savez aujourd’hui la sécurité de l’emploi c’est ça qui
nous tient, quand on n’a pas de formation on reste. » Trieuse_12

Cet argument se retrouve aussi chez les agents au sol, de maintenance ou les chefs d’équipe.
Bien que souvent plus diplômés que les trieurs, la sécurité de l’emploi (surtout pour les plus
âgés) représente l’aspect le plus important du travail.

« Mais bon ce qui m’a poussé à signer ma titularisation c’est que comme je disais tout à
l’heure j’ai 50 ans, et à 50 ans ce n’est pas facile d’avoir du travail. Donc j’ai signé au plus
bas de l’échelle mais pour être sûr d’avoir la sécurité de l’emploi, c’est le seul truc qu’il y
a dans la fonction publique. » Agent de maintenance_32
« Pour la sécurité de l’emploi, ah ouais la sécurité de l’emploi. Parce que bon à X on
nous disait qu’un jour X allait fermer, et si X ferme dans ma ville, il n’y aura vraiment plus
de boulot. Et pour trouver du boulot vers chez moi, avec un crédit sur le dos pour la
maison, j’avais peur. » Chef d’équipe_21

Si les salaires proposés ne sont pas particulièrement élevés, la stabilité du CDI ou du statut de
fonctionnaire et les mesures financières associées (mutuelle, prime d’intéressement, prime du
bénéfice, 13e mois, chèque-vacances) sont des avantages non négligés par les salariés. Ils
participent à la décision de ne pas quitter ce poste et d’y rester « si le physique le permet »
jusqu’à la retraite. Les trieurs mettent en avant ces avantages (et non le salaire pour la majorité
d’entre eux) par rapport aux emplois non qualifiés qu’ils pourraient occuper dans une autre
entreprise.

« Et puis on a de bons avantages, la mutuelle est d’enfer, le 13e mois, prime


d’intéressement, chèques vacances, les primes vacances, participation au bénéfice. Ce
n’est pas mirobolant mais par rapport au boulot, il faut toujours prendre cela en compte,
si tu es ingénieur c'est pas assez, mais par rapport à une caissière il n’y a pas de
questions à se poser ici c'est bien. » Trieur_35

L’environnement familial et personnel pèse aussi lourd dans la décision de rester à la chaîne.
L’éducation ou les études des enfants, le crédit de la maison, sont autant d’éléments qui
poussent les agents de tri à ne pas renoncer à la stabilité et à la rémunération de cet emploi.

« Et bien CDI, un emploi, rien de plus, parce que maintenant on trouve rien, si j’avais
trouvé autre chose il y aurait longtemps que je serai partie, mais maintenant que j’ai une
maison, que j’ai un crédit et ben on peut pas partir comme ça… » Trieuse_7

Mais la conservation de cet emploi a tout autant d’importance qu’investir durablement,


aujourd’hui, leur vie personnelle. Ici, la réalisation de soi n’est pas ou peu recherchée par le
travail. C’est ailleurs qu’elle peut s’exprimer et qu’elle doit prendre place : il n’est plus question
de donner sa vie au travail.
Les horaires en journée et en 2X7 sont ici particulièrement appréciés par les trieurs. Les fins
d’après-midi et les week-ends libres permettent de développer des activités annexes : prendre
du temps auprès de sa famille, s’occuper de ses enfants, réaliser son hobby, bricoler, se
balader dans la nature.
La distance limitée entre la maison et le lieu de travail représente aussi un avantage important
pour les opérateurs de tri du fait de la limitation des frais dus aux déplacements et du temps
ainsi dégagé pour la vie privée.
C’est un mode de vie mettant l’accent sur la qualité de la vie privée qui est promu, permettant
ainsi de contrebalancer la monotonie et le manque d’intérêt porté au travail.

« Alors après il y a le service informatique en voie de développement qui m’intéresserait,


mais pareil il faut voir les conditions. Parce que là dans ma condition, je privilégie ma vie
de famille, et mon confort, c'est vrai que les horaires sont bien, maintenant en

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contrepartie le boulot n’est pas intéressant mais il faut savoir ce que l’on veut. »
Trieur_40

Ainsi, les mutations en déchetterie ou sur d’autres installations ne sont pas désirées par
plusieurs trieurs qui ne souhaitent pas perdre les avantages de ces horaires de travail au profit
d’une activité jugée pourtant moins pénible physiquement et mentalement. Le caractère
monotone et sans responsabilité du travail de tri peut aussi être appréciable car permettant une
tranquillité de la vie personnelle.

« Ce qui me plaît dans mon travail… ce qui me plaît c’est d’avoir le travail à côté de la
maison, d’avoir tous ces avantages, d’avoir au fil du temps… faire une équipe comment
dirais-je, avoir une bonne entente dans l’équipe, ne pas venir avec le mal au ventre,
même si de temps en temps il y a des petits trucs, nul n’est parfait mais bon. Ce qui me
plaît moins c’est que ce n’est pas enrichissant quoi, j’apprends rien contrairement à mon
ancien métier. Et par contre ce qui me plaît beaucoup c’est de travailler avec des papiers,
avec des bouteilles, une fois que la journée est finie je rentre j’ai la tête vide, je n’ai pas à
me poser de questions si j’ai laissé une bouteille là ou là, contrairement à quand je
travaillais avec des êtres humains… » Trieuse_14

On remarque dans cette citation que le travail en équipe et la « bonne entente » entre collègues
est un aspect du travail qui est valorisé par les trieurs. L’ambiance dans le centre de tri ou sur la
chaîne semble favoriser le bien-être au travail lorsqu’elle est perçue comme « bonne », mais
peut aussi être un élément de dégradation des conditions de travail dans la situation contraire.

3.1.4 Un travail collectif19

Avec ce dernier point, nous abordons l’importance du travail collectif dans le centre de tri de
déchets. Comme nous l’avons déjà exposé précédemment, la situation de travail impose des
coopérations entre les opérateurs du tri, entre les opérateurs du sol, mais aussi entre ces deux
corps de métier. Dans les cabines de tri, les agents travaillent en face-à-face ainsi la plupart
d’entre eux peuvent communiquer et s’adresser les uns aux autres. Puis, leurs tâches
réclament un collectif. De plus, nos observations ont montré que les agents eux-mêmes
expriment un rapport d’appartenance à leur équipe de travail, notamment chez les trieurs qui
selon les équipes plaident pour une amélioration des conditions de travail ou défendent au
niveau syndical la mise en place d’une prime « spéciale » pour le métier de trieur. Entre les
équipes (maintenance, sol, tri) le collectif prend une place importante lors de dysfonctionnement
ou de panne, lorsque le travail demande à être réorganisé, ou lorsqu’il faut remédier à d’autres
complications productives.

Le travail d’équipe en centre de tri

L’organisation du travail dans le centre de tri est répartie en équipes. Suivant les installations
étudiées, il peut exister une ou deux équipes de trieurs et d’agents au sol. Pour les 3 catégories
d’équipes (tri, sol, maintenance), le sentiment d’appartenance à l’équipe semble être fort, du
moins plus important que l’attachement au site de production ou plus généralement au secteur
des déchets. Ici, c’est la place occupée dans la division du travail du centre de tri qui prime sur
ce dernier. On observe tout de même que les équipes de maintenance et du sol ont des
rapports plus directs. Les relations semblent plus étroites entre ces deux équipes. Cela
s’explique en partie par le partage d’un même lieu de travail, par des interventions parfois
communes sur des machines ou lors de remplacements (les agents de maintenance aident au
sol lorsqu’il manque du personnel).

Sur la chaîne, la production se construit en équipe, et les conditions de travail peuvent être
rendues plus ou moins difficiles par les opérateurs se situant en amont de la chaîne. Le travail
de chaque trieur se répercute ensuite sur le suivant. Pour les opérateurs, l’égalité dans la
quantité de travail et l’implication sur le poste représentent un aspect important du travail en

19
Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Travail d’équipe ; mauvaise ambiance de travail ».

Le Travail dans les Industries de Déchets 33/160


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équipe. On voit que la position et les dispositions de chacun sur la chaîne peuvent être sources
de conflit entre personnel de tri.

« Bon, c'est sûr que l'on ne peut pas tout enlever, moi non plus, je n'enlève pas tout, je
ne peux pas. Ce n'est pas que je ne veux pas, c'est que je ne peux pas. Mais je veux dire
que si chacun fait son travail, enlève au maximum, je pense que ça soulagera le collègue.
Bon, on ne fait pas tous pareil, mais bon, il y en a qui papotent mais pas tout le monde
quand même et heureusement qu'il y en a pas mal qui sont comme moi. Parce que si
tout le monde était comme ça… » Trieuse_18
« L’autre fois elle ne voulait pas tourner, elles se sont mis une flambée avec Laure qui lui
a dit « tu ne veux pas y aller, alors moi je laisse tout passer, et je vais y aller » »
Trieur_35
« Hélène elle a eu des problèmes au dos, ou je ne sais pas quoi, elle ne pouvait pas
porter du poids pendant quelque temps. Guillaume il ne peut pas porter plus de 3,5 kg, et
puis tu en as d’autres, Amandine elle n’est pas très costaud donc je ne leur tape pas
dessus, alors Laurie qui est dessus c'est elle qui va se vider sans arrêt les poubelles. Et
attends, elle touche la même paye que les autres ! Elle n’a pas à en faire autant, tout le
monde doit être égal, ou alors qu’ils prennent un homme pour faire ça. » Trieur_35

L’équipe : facteur de satisfaction au travail ou source de conflit et de concurrence

Suivant le positionnement sur la chaîne, les interactions entre les trieurs pourront être plus ou
moins importantes. Sur plusieurs postes, le dialogue reste limité voire inexistant pour quatre
raisons majeures : le bruit, l’isolement, la cadence imposée par le tapis qui exige de la
concentration, le chargement important de la chaîne. Dans les cabines, bien que les
discussions en collectif soient difficiles voire impossibles, les interactions duelles entre voisins
sont présentes. Ces postes sont préférés par les opérateurs qui trouvent dans les discussions
entre collègues de quoi supporter un travail monotone et physiquement difficile.

La bonne ou mauvaise ambiance sur la chaîne et plus largement dans le centre de tri revêt une
importance particulière pour les opérateurs et constitue un élément fort de la perception positive
ou négative du travail occupé. Suivant la nature et la qualité des relations entre opérateurs, le
travail d’équipe pourra être :
- facteur de satisfaction au travail : mise en avant de la solidarité des trieurs, de la bonne
ambiance sur la chaîne, mise en place de jeux collectifs.
- source de conflits et de concurrence : entre personnel du centre de tri mais aussi à
l’intérieur des différentes équipes.

Ce constat est d’autant plus fort pour les trieurs. En effet, la définition d’une bonne journée
prend fortement en compte l’ambiance sur la chaîne, les discussions entre collègues (Teiger,
1995), les jeux (Roy, 2006), permettant de « ne pas voir le temps passer ». Le travail d’équipe
permettrait d’oublier un temps ou d’amoindrir les conditions de travail difficiles et de créer de la
solidarité entre les membres. Des recherches en sociologie clinique ont montré l’importance du
collectif de travail dans la construction du lien santé-travail (Clot et Caroly, 2004 ; Daveziès
2005 ; Dejours et Gernet, 2009). Le collectif contribue à la mise en place d’espaces de
discussions entre les travailleurs, par son biais se constituent des liens de solidarité et
d’échanges. Dans ce sens, le collectif de travail peut donc participer à la convivialité et au bien-
être de ses membres. L’extrait de journal de terrain qui suit montre un arrangement qui se met
en place sur la chaîne, souvent implicitement, pour favoriser les échanges. Mais rappelons
aussi que cet arrangement peut-être compromis lorsque l’activité est trop dense ou que les
contraintes s’accumulent.

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Vendredi, dernière journée de la semaine, à midi nous serons libérés. Souvent en fin de
semaine, l’ambiance est meilleure dans les cabines de tri, l’équipe apparaît soudée : tout le
monde parle, des blagues sont faites et circulent de poste en poste pour ceux qui sont trop
éloignés. On se raconte le programme du week-end à venir, certaines filles reprennent à tue
tête les refrains de leurs chansons préférées et parfois elles dansent, la chef de cabine laissant
faire ou pouvant même participer à cet état « d’euphorie » éphémère. Sur la ligne du plat, du
côté droit où sont placées trois trieuses statutaires sur chacun des trois postes, j’observe
pendant près d’une heure que lorsqu’il y a peu d’apport de déchets sur le tapis, chacune à leur
tour, seule une d’entre elles trie. Cela demande une certaine organisation. Prenons l’exemple
du premier poste sur la chaîne du plat, où normalement l’agent de tri doit retirer les bouteilles et
les cartons. Dans le cas présent j’observe que non seulement elle retire les bouteilles et les
cartons, mais elle prépare aussi le travail du prochain poste en plaçant en évidence, et au bord
du tapis, les tétras et le refus qui devra être retirer par l’agent du tri du second poste. Ce travail
de préparation permet au second trieur de relâcher la pression continue et de pouvoir discuter
plus aisément avec ses collègues.
Notes de terrain C3

On voit bien ici que l’arrangement en cours mobilise davantage une personne sur son poste de
travail pour qu’une ou deux autres puissent être déchargées de son service habituel pendant
une petite période. Cela permet le développement d’autres activités « de travail » ou de
« loisirs ». Cette sur-mobilisation volontaire crée un temps de « répit » pour l’autre personne.
L’espoir que la personne qui a bénéficié de l’arrangement, rende ce service à un autre moment
contribue à l’aménagement de rythmes collectifs sur la chaîne.
« Ce qui me plaît… le travail en équipe. Voilà, après le travail lui-même, ceux qui disent
qu'ils adorent trier des poubelles, bon, je pense qu'ils mentent un peu » Trieur_34
« Une bonne journée c’est quand on a bien rigolé avec les collègues, qu’on a pu penser
à autre chose, bon on a trié on a fait notre job, mais on a pu s’évader de ce qu’on fait,
voilà c’est penser autre chose. » Trieur_11
« Et on a des rondelles, comment t'expliquer, tu as du cappuccino, tu as déjà vu les
grosses boîtes cappuccino ? Tu as des rondelles en plastique dessus, et ben on les
prend. Ce sont des couvercles en plastique, on les prend on se les jette comme des
frisbees. On s'amuse à ça. Bon, c'est… pour emmerder celui qui est devant, pour le
chahuter, le taquiner et puis ça fait passer 5 minutes, on rigole, voilà. Après c'est suivant
aussi ce que l'on trouve sur la chaîne. Il y a des trucs rigolos, on se le montre, voilà.
Sinon c'est triste. » Trieur_2

La mauvaise journée se définit aussi en rapport avec ce critère :

« Une mauvaise journée de travail c’est quand on est en face de quelqu’un qui parle pas,
moi c’est ça qui m’emmerde quand je suis face à quelqu’un qui me parle pas, et 7 heures
c’est long. Quand on peut pas rigoler ou discuter de tout et de rien avec quelqu’un c’est
pas la peine qu’il soit en face » Trieuse_5

D’autres éléments comme l’aménagement des cabines de tri (ouvertes sur l’extérieur à C1 et
C2) la présence de musique sur la chaîne (C1, C2, C3), la possibilité pour les trieurs d’utiliser
des walkmans (C2), de laisser libre cours à sa pensée et à rêver contribuent à manifester de la
satisfaction à ce travail routinier.

Mais les conflits ne sont pas absents des centres de tri. La plupart du temps, ils sont jugés
comme étant de « courte durée » et peuvent prendre plusieurs formes. Les plus abordés sont
ceux présents entre les différentes équipes : les trieurs critiquent les attitudes des agents au sol
et de maintenance et inversement.

« Après au niveau des autres il y a des histoires surtout de jalousie, quand on se balade
rien que sur la passerelle, par exemple il y a une panne là-bas, donc on va chercher les
outils on repasse devant eux 50 fois ils vont dire « tiens ceux-là ils font rien » c’est que
des trucs comme ça, bon moi je laisse passer, moi je leur dis dès fois quand ça me prend
« si vous êtes jaloux il fallait postuler quand il y avait le poste. Vous avez vous aussi les
moyens d’évoluer alors pourquoi vous ne le faites pas », après moi je laisse passer, mais

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bon je le sais tous… pas les agents au sol parce qu’on travaille ensemble, y’a pas trop de
jalousie, on travaille ensemble, on s’entraide au contraire ça se passe très bien avec eux.
Mais c’est vraiment avec les trieurs, enfin moi je les comprends aussi, moi je ne pourrais
pas le faire. » Agent de maintenance_37
« Il y a toujours une guerre entre le sol et le tri parce qu’on dit nous, c'est difficile, on a
mal au dos et eux, ils nous disent « quoi tu crois que notre boulot est facile », mais
comme on dit dès qu’il y a un poste de travail qui se libère en bas, les trieurs ils veulent y
aller, mais en haut on a jamais vu des types venir. » Trieur_1

On voit ici que les agents au sol et de maintenance forment une équipe, un collectif qui
s’oppose à celui des trieurs. Ces derniers représentent une catégorie à part de par leur
absence de reconnaissance de leurs qualifications, la difficulté de leur travail mais aussi du fait
du genre : on retrouve sur la chaîne une majorité de femmes alors que les autres postes du
centre de tri sont occupés uniquement par des hommes. Plus généralement, l’activité des
déchets est essentiellement masculine. Dans les centres de tri, on retrouve une proportion
importante de femmes, mais celles-ci sont présentes uniquement sur les postes de tri donc
avec des qualifications non reconnues. Sur les 17 trieurs de notre échantillon, 11 sont des
femmes.
Entre les trieurs et suivant les équipes de nombreux conflits sont aussi présents, et la question
du genre est souvent mise en avant : les femmes seraient vectrices de conflit et de « mauvaise
ambiance ».
Cette idée provient aussi bien des discours des hommes que des femmes, des trieurs que de
l’encadrement.

« Après sinon ça va, le boulot est toujours aussi dur, l’ambiance est bonne mais quand
elle est mauvaise ça vient des filles, je n’ai rien contre elles, mais elles s’engueulent
souvent entre elles je ne comprends pas pourquoi. Si c’est que les mecs ensemble ça va,
on rigole, c'est bon mais alors avec les filles il y a toujours un problème. » Trieur_1
« Parce que quelques fois avec les femmes c’est plus mesquin, enfin moi je trouve, que
de travailler avec les hommes où eux sont plus francs peut-être, plus directs, voyez ce
que je veux dire » Chef de cabine_19

Sur la scène du travail, les activités de langage jouent un rôle important dans le bien-être des
salariés, cette dynamique relationnelle portée par la langue, les jeux et la solidarité esquisse
quelques traits des processus de construction à l’œuvre pour l’individu : son appartenance à un
collectif, à un groupe.

****

A notre connaissance, le travail dans les centres de tri de déchets n’a pas encore fait l’objet
d’une analyse en sociologie. Au terme de ce rapide éclairage, nous voudrions résumer les
points forts des métiers du tri qui permettent de mieux comprendre le rôle de ces travailleurs qui
sont en coulisse des enjeux du recyclage et du développement durable.
Alors que certains travaux en sociologie montrent l’amélioration des conditions de vie des
employés des industries « traditionnelles », nous avons vu que dans ces industries de la
« modernité » et du développement durable (le premier centre de tri ouvre ces portes en 1993
en lien avec la loi de 1992), le métier de trieur reste soumis à des normes tayloriennes du
travail. Les agents au sol et de la maintenance sont davantage sollicités pour organiser leur
propre activité (vérification de l’état des machines, accueil des clients (transporteurs de
déchets), auto-organisation du planning des interventions). En revanche, les tâches des trieurs
sont parcellaires et élémentaires à l’instar du travail sur les chaînes de montage et
d’assemblage des années 1970.
Le manque d’autonomie, les pénibilités morales et physiques telles que les gestes répétitifs, les
cadences élevées et incontrôlables, l’exposition aux déchets sales et dangereux peuvent
causer de l’usure au travail et des problèmes de santé irrémédiables. Ils posent la question du
bien-être de ces nouveaux ouvriers d’exécution. Nous constatons que la pénibilité dans ces
métiers occupe une place essentielle, elle se constitue aussi à travers l’environnement sale des
cabines de tri, la dévalorisation sociale du métier, la difficulté de faire de l’objet déchet son objet
de travail : « travailler avec le déchet n’a pas bonne presse » et il est parfois difficile de trouver
une finalité et un sens à cette activité.

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Pourtant, les salariés du tri s’accoutument aux tâches parcellaires et répétitives et énumèrent
les avantages de leur situation de travail : le statut de fonctionnaire territorial, la proximité du
lieu de travail à leur habitation, les horaires à la journée, la vie de famille, etc. La crainte du
chômage, la chance de trouver un « boulot à notre âge » et la précarité de certaines situations
sociales contraignent aussi à accepter des conditions de travail souvent difficiles.
Enfin nous avons vu que la manière dont est distribué le travail dans les centres de tri implique
de la coopération entre les trois corps de métier, dans la mesure où le processus du tri est
dépendant des uns et des autres. Ainsi, en réponse aux conditions générales de travail, la
qualité des relations humaines entre les équipes et au sein des équipes et l’entente entre les
membres conduisent à une revalorisation de ce travail. Le sens du collectif, le plaisir de
converser et de jouer sur la chaîne contribuent à manifester de la satisfaction et un intérêt au
travail.

Nous allons maintenant aborder le deuxième aspect de l’axe « Travail ». Si le déchet est l’objet
du travail des agents du centre de tri (un travail d’exécution), il est aussi un problème public et
l’objet à part entière d’une politique publique dans laquelle intervient une multiplicité d’acteurs
de la conception.
Pour rappel, nous verrons rapidement que ce travail de conception ne touche que très
marginalement les ouvriers et les trieurs des installations, ou en tout cas, la structure des
discours nous renvoie à une division du travail très marquée entre d’un côté l’organisation de la
filière et du travail dans les déchets et de l’autre les opérations de travail d’exécution elles-
mêmes. La problématique de la valorisation des compétences du trieur et de son implication
dans le processus de décision reste entière.

Le Travail dans les Industries de Déchets 37/160


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3.2 Le Travail de conception sur les déchets

Problématique relevant du politique, la gestion des déchets ménagers intègre des composantes
techniques, sociales, économiques et culturelles qui génèrent la mobilisation d’un faisceau
d’acteurs ayant leur propre perception sur la réglementation du secteur des déchets, sur les
liens qu’ils entretiennent et qui interviennent dans la gestion des déchets et sur l’économie des
déchets. Les discours ici sont donc focalisés sur la thématique de la politique de la gestion des
déchets et sur l’économie des déchets.

Mais regardons de plus près comment s’effectue le travail de conception sur les déchets.
Quelles sont les attentes des acteurs interrogés vis-à-vis des politiques étatiques ? Sur quels
points sont-ils en désaccord ? Quels paradoxes ou contradictions relèvent-ils ? Dans quelles
mesures les contraintes réglementaires peuvent-elles être un frein dans leur activité ?
Comment la gestion des déchets peut-elle être un enjeu de pouvoir et cristallise des problèmes
politiques, économiques et techniques ? Quel est l’état de la concurrence ? Comment le
marché fonctionne t-il ? Quelles sont les recettes d’exploitation des industries du déchet ?

Figure 2 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d'importance

Variables Mobilisées Individus du regroupement

Acteurs réglementaires PREF_70


Collectivités territoriales FEDENV_69
Recettes marchandes DRC_OPTITRI_61
Syndicat de collecte et /ou de traitement DSO_82
Déchets RE_63
Dispositifs réglementaires des collectivités territoriales DRC_VALORI_57
Dispositifs réglementaires de l'Etat BU_66
Méthodes de traitement des déchets OF_62
Economie et marché des déchets PROPRET_59
Société civile et associations environnementales
RH_OPTITRI_65
Centre d'enfouissement technique
RE_BIO_72
Politiques environnementales
Valorisation énergétique
Services au public Abréviations postes et fonctions :
Environnement
Acteurs du traitement des déchets PREF : Agent de préfecture
Contraintes FEDENV : Représentant d’une fédération
environnementale
Incinérateur
DRC : Directeur général des services Optitri
Réunions DSO : Directeur sud-ouest groupe privé
Communication RE : Responsable d’exploitation centres de tri Optitri
Sites villes et territoires DRC : Directeur du site Valori
Carrière BU : Membre du bureau Optitri
OF = Responsable service Optimisation des filières
Optitri
PROPRET : Président du syndicat de traitement
Propret
RH = Responsable ressources humaines Optitri
RE_BIO= Responsable d’exploitation du bioréacteur

Dans ce régime de sens lié au travail de conception aucun ouvrier ou employé d’exécution des
cinq installations de traitement des déchets étudiées n’est présent. Pourtant cette partie est
constituée d’un ensemble d’acteurs hétérogènes. À la première lecture, on observe qu’elle
englobe des cadres dirigeants des organisations liées au déchet représentant différents
services, un acteur d’une institution représentant l’Etat (Préfecture), des élus locaux, et un
délégué d’une fédération environnementale. Chacun d’entre eux contribue à la réflexion et à la
conception de la politique des déchets et à un ou plusieurs intérêts à défendre pour influencer
le processus décisionnel. Nous verrons dans cette partie, qu’ils ont chacun une stratégie ou une

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tactique spécifique pour faire valoir leurs intérêts, et que les décisions d’un acteur ou groupes
d’acteurs dépendent aussi de celles des autres. On observera alors des jeux d’influence et des
relations de pouvoir entre les différents acteurs ou parties prenantes.

Leurs discours nous permettent dès lors d’apporter un regard relativement complet sur les
différents aspects de la gestion des déchets : techniques, politiques, environnementaux et
sociaux. Il nous semble important de noter que dans ce régime de sens et au travers des
variables qui sont mobilisées dans les discours, l’aspect gestionnaire est central, autrement
dit c'est le travail de coordination des décisions et des acteurs qui participent aux
décisions qui est au cœur des discours. De plus, on retrouve une vision globale du secteur
de traitement des déchets. Enfin, en proposant une radiographie du secteur, le discours des
acteurs (hors FEDENV_69 et RH_Optitri_65) met en lumière la dynamique du marché des
déchets.
Dans un premier temps, nous proposons ici de rendre compte, tel qu’il a été rapporté par nos
enquêtés, du rôle respectif des différents acteurs intervenant dans la gestion des déchets et
leurs perceptions à l’égard des politiques sur la gestion des déchets. Dans un second temps,
nous présenterons les aspects économiques de la gestion des déchets avec un resserrement
sur le fonctionnement du marché des déchets.

3.2.1 Le secteur des déchets : des règles et des acteurs particuliers20

De nombreuses recherches ont montré l’évolution de la gestion des déchets ménagers (Buclet,
2005 ; Rumpala, 1999, 2006 ; Rocher, 2006 ; Lupton, 2011). La plupart d’entre elles
s’accordent à dire qu’à partir de 1960, le déchet devient « un objet de politique publique »
(Rocher, 2006). Sa gestion se caractérise par l’émergence de réglementations couplée au
développement des entreprises privées (Defeuilley, Godart 1998). En 1975, les exigences
réglementaires relatives à la protection de l’environnement se renforcent. La loi du 15 juillet
1975 stipule que la responsabilité et le coût de la gestion des déchets ménagers sont sous la
responsabilité des autorités locales (qui peuvent déléguer ce service à des entreprises agréées).
De plus, elle intègre le principe du pollueur-payeur et la notion de valorisation mais qui ne
prendra corps que dans les années 1990. Cette même année, la première directive cadre
européenne en matière de gestion des déchets est votée. Puis, un grand nombre de travaux
rapporte le tournant institutionnel des années 1990. Dans un contexte où les polémiques sur les
déchets sont grandissantes et médiatisées, la problématique du traitement des déchets
nécessite une intervention urgente de l’action publique. Elle sera alors l’enjeu central de la
politique des déchets. Aux acteurs politiques et administratifs, l’espace de conception se voit
élargi aux professionnels du secteur, aux industriels de l’emballage, aux collectivités locales,
aux experts et aux associations environnementales (Barbier, 2002). La loi du 13 juillet 1992
initie le principe de réduction des déchets, instaure le principe de proximité, affirme la notion de
« valorisation », impulse le traitement des emballages ménagers et introduit des mesures pour
informer le public.

Cette section est destinée à examiner la réglementation du point de vue des acteurs enquêtés,
en leur laissant la parole, à travers leurs visions des cadres juridiques et des autres acteurs du
secteur (1 et 2). Les points qui suivront montrent d’une part des jeux d’influence et de stratégie
entre les acteurs qui tentent de défendre leurs intérêts ou projets (3), et d’autre part reprennent
par le discours de nos enquêtés, les contraintes que peuvent poser les grandes orientations de
la loi de 1992, en particulier le principe de proximité du traitement des déchets (4).

Le schéma ci-dessous a été élaboré, à partir des discours de nos enquêtés. Il présente les
acteurs de la gestion et de la conception des déchets, ainsi que leurs liens réciproques. Cet
espace d’interaction montre la multiplicité des acteurs, qui se traduit par l’articulation d’un
niveau local, départemental, national et européen. Si la majorité de nos enquêtés s’accorde à

20
Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Acteurs réglementaires ; collectivités territoriales ;
dispositifs réglementaires des collectivités territoriales ; dispositifs réglementaires de l’Etat ; Société civile
et associations environnementales ; acteurs du traitement ; politiques environnementales ; syndicat de
collecte et/ou de traitement ; service au public ; contraintes ; environnement ; sites, villes et territoires,
réunions ».

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dire que l’Europe a une influence sur leur activité, notamment parce qu’elle fixe des directives,
des objectifs et donne les orientations à mener, ils ne donnent pas pour autant leur avis ni ne
font part de contraintes ou d’avantages particuliers à ce niveau. Tout au long de la présentation
qui suit, nous verrons que ce schéma fait sens grâce aux extraits d’entretiens choisis.

Schéma 2 : Rôles et acteurs de la conception en lien avec nos enquêtés

INDUSTRIELS
Directives de
Objectifs L’EMBALLAGE
EUROPE
Orientations

ADEME
Lobbying
Jeu d’influence
ETAT Transposition en
Ministère de droit français
l’environnement Fixe les objectifs
Soutien financier nationaux
et technique

PREFECTURE DREAL

ECO-
ORGANISMES

CONSEIL FEDERATIONS
PDEDMA PROFESSION-
GENERAL
NELLES
Finance le
recyclage

COMMUNES et Organise le
groupement de service de
gestion des
communes
déchets

OPERATEURS
du secteur des
déchets
USAGERS et
FEDERATION
ENVIRONNEMENT
ALE

Repreneurs
(Industries du
recyclage, EDF
etc.)

Ce schéma illustre la complexité des intervenants de la conception du secteur. En même temps


qu’il indique la multitude des acteurs qui participent aux choix décisionnels et de conception,
nous comprenons les relations entre les différents acteurs.

Les visions des cadres réglementaires du secteur

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La gestion des déchets est encadrée par un ensemble de réglementations qui s’accompagnent
aussi d’instruments économiques. Ces derniers sont des incitations monétaires pour orienter
les choix du mode de traitement des déchets ou pour modifier les comportements des usagers.
Ici, nous proposons de présenter la perception des liens entre les acteurs du déchet et les
représentations des différents dispositifs réglementaires.

Concernant le contexte réglementaire, tous les acteurs s’accordent à le considérer comme


« extrêmement changeant » et imprévisible. Il devient alors nécessaire pour les professionnels
du déchet, mais aussi pour les acteurs étatiques (préfecture) d’ajuster leurs pratiques et leurs
manières de travailler. Cette évolution de la réglementation est rapportée, jugée et vécue de
manière différente selon les acteurs : comme un frein ou une contrainte au niveau économique,
organisationnel ou environnemental avec une difficulté à coordonner ces trois domaines ; en
décalage entre ce qui est attendu et ce que permet la réalité du terrain ; un avantage ou une
entrave pour faire avancer ou passer un projet innovant.
Les difficultés rencontrées ne pèsent pas sur un seul acteur, c'est l’ensemble du système
d’acteurs qui est concerné. Ainsi chacun des acteurs de la conception est impacté d’une
manière ou d’une autre. Ces changements réglementaires ne semblent pas faciliter leurs
relations de travail, et les placent dans une zone d’incertitude quant à la gestion de leurs
propres activités de travail.

«Par contre, la difficulté c’est qu’on est dans un environnement notamment réglementaire
qui évolue à peu près en permanence, et ça, c’est toujours s’adapter » Directeur sud-
ouest groupe privé_82
« On a une réglementation environnementale qui est extrêmement changeante, qui
évolue très rapidement sous la pression européenne … qui change les logiques,
puisqu'on est passé d'une logique de provenance des déchets à maintenant une logique
de production des déchets. … elle galope et qui fait une classification, qui rechange la
classification des déchets qui avait été modifiée il y a moins d'un an, et donc on réadapte
tout ça. … On a aussi une organisation des services de l'Etat qui n'est pas toujours
extrêmement lisible pour un exploitant » Agent de Préfecture_70
« La politique sur les déchets à ce jour elle me déçoit, les grandes politiques sur les
déchets ont été formalisées dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Or les
engagements de 2007 avant même la loi de 2009, les objectifs qui paraissaient
consensuels au niveau de traitement et de valorisation des déchets sont tous passés peu
ou prou à la trappe. On assiste quand même à un ramollissement des politiques
publiques dans le domaine des déchets » Directeur des services Optitri_61
« En revanche, la contrainte réglementaire impose des choix techniques ou des mises en
œuvre techniques qui sont effectivement très coûteuses et c’est toujours la
réglementation environnementale …. La contrainte réglementaire est telle qu’elle
s’oppose même parfois à l’efficacité du système, très souvent elle génère des coûts qui
sont infondés. … Mais voilà au niveau du déchet, il y a des contraintes réglementaires
qui sont très fortes, et qui sont à la fois pénalisantes, qui quelquefois empêchent
l’initiative et l’innovation, et quelquefois qui sont génératrices de coûts qui sont…, qui font
gaspiller de l’argent, ça, c’est clair. Alors en plus on se heurte quelquefois à des …, les
personnes qui font appliquer ces contraintes réglementaires sont des administrations qui
sont pas du tout dans les mêmes…, vivent leurs métiers différemment et ne sont pas là
pour adhérer à des mécaniques, à des perspectives, ils sont pas là pour ça, ils sont pour
vérifier, contrôler la bonne application d’une démarche dans un instant T, c’est tout. »
Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63
« Alors ça, c’est insupportable, c’est insupportable que les normes, qu’une
réglementation vienne se substituer à une autre avant que la première n’ait été amortie.
Ce qu’avait dit le premier ministre Jospin, « avant d’éditer des nouvelles normes, il faut
s’assurer que les premières sont amorties », mais ça continue encore et ça, c’est
insupportable parce qu’on ne parvient pas à maîtriser les coûts. » Président Propret_59

Le responsable d’exploitation du bioréacteur expose lui aussi des difficultés à mettre en œuvre
certaines réglementations ou normes environnementales sur son installation. Mais ses propos
sont plus modérés, et son discours rapporte le caractère « positif » de la réglementation. En

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effet, pour lui les contraintes existent mais permettraient en même temps de mieux intégrer le
respect et la protection de l’environnement.

« On est parti de loin parce que si on revient 20 ans en arrière il n’y avait vraiment pas
grand-chose au niveau de la réglementation environnementale sur les centres de
stockage, donc déjà ce qui est très positif c’est que ça met des petites barrières, on a
des objectifs sur l’étanchéité etc. Donc je trouve ça assez positif d’avoir cette base
réglementaire et qu’elle évolue, c’est positif pour l’environnement et en général. Après
c’est sûr ça reste quand même parfois compliqué de répondre aux réglementations
environnementales, tout ce qu’on nous demande au niveau des analyses, les normes
qu’on nous demande, mais bon même si c’est difficile je trouve ça assez positif. »
Responsable d’exploitation bioréacteur_72

Le discours du représentant du syndicat national des activités du déchet est lui aussi largement
orienté sur l’aspect réglementaire du secteur. Il reprend et explicite certaines directives les plus
récentes, et en explique les répercussions. Son discours va à l’encontre de ceux des acteurs
publics et de l’association environnementale, il ne décrie pas la politique environnementale
française, sans pour autant l’encenser. Il relate la complexité des relations avec l’administration
et les différents acteurs qui sont invités à participer en donnant leur avis sur l’évolution d’une
norme environnementale ou dans la rédaction du Grenelle de l’environnement, notamment
quand les intérêts des uns sont à l’opposé des autres.

« Par exemple le travail qui peut être fait avec les élus parlementaires qui travaillent dans
ces sujets-là, en général ça se passe bien, ça se passe plutôt bien, il y a eu un rapport
sénatorial par exemple qui a été fait qui était très équilibré entre notamment les intérêts
publics, privés, etc. … C’était pas trop mal parti si j’ose dire parce qu’il y avait cet
enthousiasme du Grenelle, et puis progressivement chacun reprend son rôle,
l’association fait de la surenchère en permanence, l’industriel est supposé ne pas donner
les bonnes informations, bon chacun fait un truc dans son coin, ça a mis 3 ans à sortir et
finalement ça prend plus de temps que ça en aurait mis auparavant mais voilà. Et
l’administration a été un petit peu sclérosée au début parce qu’elle voulait satisfaire un
peu tout le monde quoi, et on ne peut pas satisfaire tout le monde, il faut trancher quoi,
bon ça s’est résolu » Directeur sud-ouest groupe privé_82

Un dysfonctionnement des politiques est évoqué par différents acteurs entre ce qui est prescrit
et ce qui est vraiment appliqué et réalisé sur le terrain au regard des normes et objectifs de la
politique européenne et française sur les déchets. Bien qu’ils aient le « mérite d’exister » selon
la fédération environnementale ils ne sont pas suffisamment portés ou contrôlés par les acteurs
politiques et les objectifs « ne sont pas suffisamment élevés », nécessitant alors des actions
menées par les associations environnementales et « une participation obligatoire de la société
civile » pour les faire appliquer.

« On est assez loin des directives européennes … Mais on se rend compte quand
même que ces cadres-là on les respecte pas souvent malgré tout, les lois, les directives
européennes, les décrets c’est comme partout, dans toute la législation, il y en a très peu
et ils sont pas tous respectés. … Et aujourd’hui, on est en train de se rendre compte
que les objectifs fixés par le Grenelle ne seront pas probablement atteints dans les 10
ans qui viennent, donc on se fait plaisir… Donc il faut bien sûr fixer des objectifs, aller
vers des voies, ça oriente surtout les esprits, ça fait entrer dans les esprits des gens qu’il
faut faire attention à telle ou telle chose, mais moi je ne considère pas ça comme un
cadre très contraignant, parce que les gens de toute façon n’y rentrent pas. »
Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63
« Il faut se tenir au courant des nouvelles réglementations environnementales pour
qu’elles soient effectives sur le territoire parce que sinon… comme dit le sénateur, il y a
60 % des lois qui sont votées au Sénat qui ne sont pas en application parce que
personne ne veut les mettre en application, personne ne veut faire jurisprudence etc. »
FEDENV_69

Si les réglementations évoluent rapidement notamment en faveur du recyclage, il est


nécessaire que le département s’adapte lui aussi et se recompose avec un essaimage

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d’installations de tri et de traitement des déchets plus ou moins importantes (multiplication des
centres de tri et des déchetteries en l’espace de 20 ans). Les petits incinérateurs et la majorité
des centres d’enfouissement et décharges présents sur un département étudié ont été fermés
pour privilégier le mode du bioréacteur qui accueille 75 % des déchets du département
auparavant dispatchés sur les anciennes installations.

« En 2008-2009/2010, on complète le panel des déchetteries présentes sur le territoire


pour couvrir un peu les objectifs de maillage territorial qui sont dans le PDEDMA. En
2010 c'est aussi l'année où l'on a une fermeture des centres d’enfouissement
techniques préexistants qui fait que l'on se retrouve avec un fort besoin en termes de
tonnage d'enfouissement, et avec deux acteurs pour le faire, Optitri et un opérateur
privé » Agent de Préfecture_70

Ces installations sont régulièrement rénovées pour respecter les normes environnementales en
y ajoutant des nouveaux équipements ou de nouvelles techniques. Cela nécessite un travail
administratif avec les acteurs de la conception et également un travail de négociation avec le
donneur d’ordre.

« Il y a des installations qui ont été mises en service récemment, des nouveaux
équipements installés ici pour anticiper les normes réglementaires sur les mesures de
dioxine, on a installé des analyseurs de fumées qu’on n’était pas obligé d’installer
maintenant, car la réglementation environnementale qui sera mise en vigueur est pour
2014, mais en accord avec Propret on a fait ça. Donc ces nouveaux équipements ont
un coût de suivi et d’analyse, donc tout ça on doit l’intégrer dans la DSP. Donc c'est
sans arrêt des évolutions, et donc des avenants, l’avenant 18 sera sûrement en lien
avec le projet de chauffage des serres. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Enfin, les relations avec l’ADEME sont peu exposées, son nom apparaissant 30 fois sur les 147
pages du corpus d’entretien de ce groupe d’acteurs. Seul un acteur a une image plutôt négative
de cette agence du fait d’un manque d’appui et de considération de sa part sur le mode de
traitement du bioréacteur. Sinon, la majorité des acteurs s’y réfère lorsqu’ils abordent les
politiques de prévention et de réduction des déchets ou lorsqu’elle assure un soutien financier
dans des projets. Une critique lui est toutefois adressée par deux acteurs.

« Avec l’ADEME on n’est pas toujours d’accord sur tout avec eux, surtout dans le
traitement du déchet résiduel eux, ils ont une vision complètement différente, ils sont
plutôt partis sur une logique d’incinération forte que de la technique de la méthanisation.
On souffre un peu on a l’impression du syndrome parisien, du gros équipement, de ce
qui se fait à Paris et on regarde pas trop ce qui peut se faire à l’extérieur » Membre du
bureau Optitri_66
« Eux [les grands groupes] ils sont plus armés que nous, parce qu’ils ont souvent une
vision plus globale, car à eux seuls, ils ont un retour d’expériences à l’échelle nationale
[…] Alors les gens qui pourraient nous aider là-dedans, ce sont les gens comme
l’ADEME et ils le font, c’est leur boulot, pour essayer de consolider des données. De
plus en plus aujourd’hui elle intervient sur les territoires, pour consolider des données
sur tous les métiers. Ils nous sollicitent souvent, il y a des questionnaires, jusqu’à
maintenant, de mon point de vue, ils étaient très peu efficaces, pour une consolidation
efficace, mais maintenant ils se donneraient un peu plus les moyens de faire des
consolidations nationales qui nous permettent d’avoir un peu de recul. » Responsable
d’exploitation centres de tri Optitri_63

En résumé, la vision des réglementations environnementales à un niveau global, montre un


sentiment de lassitude face à un cadre qui oblige sans cesse à des réajustements et des
adaptations. Les acteurs sont confrontés à plusieurs incertitudes et doivent articuler ces
réglementations à la réalité du terrain. Nous allons voir que ce travail de conception exige un
travail de négociation entre les parties prenantes notamment à l’échelle du département.

Le Travail dans les Industries de Déchets 43/160


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Les acteurs de la conception

Face au sentiment de la déshérence de l’Etat sur la gestion des déchets, ici, nous avons
retracé ici ce travail de négociation entre les industriels du déchet, les services de la Préfecture
et le Conseil général.
Dans notre panel d’enquêtés, l’acteur qui représente le mieux cet axe est le chef de service du
bureau de l’environnement de la Préfecture du département. C'est essentiellement autour des
aspects réglementaires, du lien avec les collectivités territoriales et les syndicats de collecte ou
de traitement (en particulier Optitri) que s’organise son discours. « Garant du bon suivi de la
procédure administrative », il définit sa mission comme un « travail de mise en musique
administratif » et comme « un travail de réponse du corps préfectoral qui eux, la partition
administrative il faut qu'elle soit jouable ». Il s’agit ainsi d’opérer pour son service « une veille de
ce qui se passe sur le territoire » et de « faire la synthèse des différentes positions, des
différents services déconcentrés » afin de « faire rentrer ça dans un cadre unique ». Tout au
long de son discours, il ne cesse de rappeler la complexité de ce secteur pour coordonner les
contraintes économiques des prestataires de traitement des déchets avec les contraintes
administratives et réglementaires. Soulignons que les aspects environnementaux ne sont pris
en compte qu’au travers de son opinion sur les politiques environnementales.
Il réitère son discours sur ce manque de coordination à plusieurs reprises pour mieux souligner
son rôle de « congruence » en tant que responsable du bureau de l’environnement. Le
problème étant d’être assuré de pouvoir mettre en œuvre une norme édictée par le « haut » sur
laquelle il n’a « pas de prise directe », vers le bas, soit à l’échelon local dans lequel un
ensemble d’intérêts divergents doivent être pris au compte et au mieux satisfaits.

« Mais avec des structures de pilotage en Préfecture pour qu'il y ait vraiment une
coordination qui soit faite parce que ça manque et que l'on a des discours différents. La
DREAL a le point de vue du Ministère de l'Environnement sur les déchets et la partie
ordures ménagères, la partie financière on a un discours du Ministre des finances
avec… On va exonérer mais on exonère le moins possible parce que l’on n’est pas en
période florissante, donc il y a plusieurs discours qui sont menés et qu'il faut vraiment
harmoniser. » Agent de Préfecture_70

De plus, son propos est articulé autour du fonctionnement d’Optitri, présenté comme un acteur
important du département par son empreinte sur le territoire, la personne de son Président et le
caractère innovant de la structure qui pose des contraintes supplémentaires. Il considère le
syndicat comme un acteur du développement durable, mais surtout du développement local,
notamment par les emplois qu’il a directement créé au sein des différentes installations et par
l’activité qu’il génère en faisant appel à diverses entreprises qui interviennent sur ses sites.

« Après le vrai problème c'est qu'il y a un temps pour eux de l'innovation qui n'est pas
notre temps administratif » Agent de Préfecture_70
« Il y a des relais départementaux, où l'on suit l'avis de nos entreprises économiques et
où l'un de nos principaux acteurs économiques qui est aussi Optitri. » Agent de
Préfecture_70

Au niveau local et du département étudié, certains discours des acteurs sont plutôt négatifs sur
le rôle occupé par l’Etat dans le secteur des déchets. Ils critiquent en particulier les services de
la Préfecture et de la DREAL. Jugés comme éloignés, ces services n’appliqueraient pas (ou
pas bien) les missions qui leur sont déléguées. De plus, les acteurs pointent les failles des
politiques et des dispositifs qui sont mis en œuvre par l’Etat.

« Sur l’Etat je n’ai que du mal à en dire, sur l’Etat nous assistons à un désengagement et
à une déshérence consternante des services de l’Etat dans le département. … il
n’existe plus que des avatars assez difficiles à définir, de direction multisectorielle,
multipolaire avec des définitions de conscience professionnelle très floues, dans la
mesure où n’ayant plus de budget, n’ayant plus de conscience professionnelle, les
directions ne servent plus à rien. … Des services qui ne font rien et qui pour donner
l’illusion aux gens qu’ils servent à quelque chose, prétendent exercer des missions de
contrôle, souvent quand on contrôle c’est qu’on fait semblant d’agir, et c’est comme ça
que nous avons quasi quotidiennement des bisbilles avec des gens de la Préfecture, bien

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qu’au plan personnel nous ayons des relations cordiales. Mais dans leur fonctionnement
ces gens passent leur temps à prétendre éplucher le moindre de nos actes, de nos
délibérations et demandent des décomptes sur nos moindres points-virgules, c’est
épuisant et c’est exaspérant. L’Etat n’est plus pour des gens comme nous, n’est plus une
ressource, l’Etat est un empêcheur de tourner en rond, l’Etat s’enferme dans des
logiques de défiance et de contrôle totalement veines, alors qu’on attend plutôt de lui des
logiques d’actions et des logiques de régulation » Directeur des services Optitri_61

La Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL), sous


l’autorité du Préfet de région et des préfets du département, et en particulier l’inspecteur des
installations classées pour l’environnement (ICPE), assure le contrôle et la conformité des
installations industrielles au regard des normes environnementales et techniques existantes. On
constate que seuls les exploitants font ici référence à la DREAL.

Plusieurs difficultés relationnelles et de compréhension avec la DREAL sont évoquées par les
différents acteurs de ce régime de sens lié au travail de conception. Ils sont la conséquence,
selon la personne rencontrée à la Préfecture, du caractère innovant de certains syndicats de
traitement et au cadre serré de la réglementation.

« La contrepartie de cette innovation c'est que l'Etat derrière il a des règles qui sont
immuables, y compris sur les projets innovants, et des fois la règle elle est stricte et il faut
pouvoir réfléchir à comment l'adapter pour permettre de développer des projets qui sont
intéressants par ailleurs, mais tout en restant dans le cadre. » Agent de Préfecture_70

Pour le responsable d’exploitation des installations de tri de déchets d’Optitri, la DREAL n’est
pas neutre dans le contrôle des installations selon qu’elle ait affaire à un prestataire privé ou
public. Ce même argument est repris par un élu local membre d’Optitri. Avec d’autres acteurs il
lui semble ajouter de la lenteur dans les procédures de révision des arrêtés d’exploitations, et
déplore que leur mission ne prenne pas en compte les disparités entre les territoires.

« Si je le vis, concrètement de ce cadre très lourd, c’est qu’on a un inspecteur qui nous
impose de rentrer ligne à ligne dans ce qui est écrit. Et je ne m’en rendais pas compte
avant, mais je m’en rends compte, aujourd’hui, que les cadres qui sont fixés sont
extrêmement contraignants. Autrefois on n’y rentrait pas toujours, aujourd’hui on nous y
oblige, je mesure le chemin qu’il faut faire et l’énergie qu’il faut dépenser pour y entrer, et
je mesure l’absurdité d’y rentrer, euh, quelquefois par la réalisation d’études ou
d’analyses qui ne servent à rien […] Mais si je devais répondre à la question : est ce que
les administrations sont plus dures avec le public ou le privé, globalement, je dirai le
public, oui. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63
« Les liens ne sont pas faciles parce qu’ils ont des directives nationales à faire appliquer
qui ne prennent pas en considération les arguments qu’on peut avoir, qui sont
légèrement différents et propres à une situation locale. C’est assez pénible, c’est
beaucoup de négociation, pas mal de retard, c’est assez pénible, on a l’impression que
ce sont des gens qui vont chercher le poil dans l’œuf, il manque toujours ou souvent un
petit document pour le transmettre au Préfet, pour que l’arrêté apparaisse. » Membre du
bureau Optitri_66
« Il y a toujours cet échange pendant la phase d'instruction entre la DREAL et les
exploitants, donc ça prend du temps, et des fois le temps administratif est clairement
perçu comme trop long par Optitri » Agent de Préfecture_70

Pour le responsable du bioréacteur, les contraintes administratives sont intégrées et


« connues ». A l’inverse de ses collègues, il ne blâme pas la lenteur administrative bien que
l’installation ait connu d’importantes transformations au niveau technique. Il importe pour lui de
mener un « travail de collaboration » et de négociation en expliquant finement le
fonctionnement de l’installation à l’inspecteur de la DREAL. Pour lui, il est impératif d’informer
ce service sur l’installation du bioréacteur, car ce procédé de traitement est peu reconnu et
pratiqué en France.

« Quand on fait les sites comme ça pour bien leur expliquer ce qu’on fait, si ça rentre
dans un cadre réglementaire, donc c’est vraiment un travail en binôme on va dire, et

Le Travail dans les Industries de Déchets 45/160


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après ils viennent nous inspecter régulièrement le site pour voir justement si on répond
bien à nos arrêtés d’exploitation […] Ils viennent faire les inspections, c’est très carré,
c’est quand même intéressant parce que c’est eux qui nous disent au niveau du curseur
si on est bien, si on répond bien à ce qu’ils nous demandent. Au niveau réglementaire on
appuie bien le fait que l’exploitation en centre de stockage classique ou en bioréacteur
c’est différent, que le bioréacteur est vraiment maintenant un nouveau process de
traitement des déchets, donc c’est ce qui a été le plus dur à intégrer et ça a été le cas, on
a des arrêtés d’exploitation justement qui expliquent bien qu’on traite le déchet en tant
que bioréacteur, donc ça a vraiment été intégré au niveau réglementation
environnementale française et après dans le cadre des arrêtés d’exploitation. »
Responsable d’exploitation bioréacteur_72

Enfin, pour le directeur du site Valori, les échanges avec la DREAL et la Préfecture sont jugées
« normaux ». En revanche, les relations avec ces services semblent plus difficiles au sujet de
l’élargissement du périmètre géographique de la zone de traitement des déchets pour en capter
davantage à l’extérieur de la région.

« Bon, ça se passe normalement, après on a des relations avec eux, lorsqu’on demande
des modifications, là on est en train de demander une modification de notre périmètre
géographique, parce qu’il y a des départements dans l’est de région qui sont en manque
d’outils de traitement du fait de la saisonnalité et du tourisme, et donc il y a un gros
besoin en termes de traitement. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Le Conseil général est un autre acteur participant à la gestion des déchets. Il réalise un suivi et
un accompagnement par le biais de l’élaboration du plan départemental d’élimination des
déchets ménagers et assimilés (PDEDMA). Ils ont pour fonction de détailler les gisements de
déchets du département et les modes de collecte, de faire un inventaire des installations
existantes, prévues ou en voie de réalisation, de définir les priorités et les objectifs du plan, de
présenter les modes de financements et d’investissement, et de prévoir les perspectives
d’évolution tout en fixant des orientations. Son élaboration était à l’origine sous la responsabilité
de l’Etat, puis cette compétence a été transférée en 2005 au Président du Conseil général. Cela
a nécessité en 2007 un transfert de savoirs, et « des négociations serrées entre le Conseil
général et la Préfecture pour que les services de l'Etat qui connaissaient à l'époque, qui avaient
fait le premier plan, transfèrent les données qu'ils avaient en leur possession au Conseil général
pour les aider à faire le diagnostique initial du PDEDMA. » Agent de Préfecture_70

Dans le cas de ce département du grand sud-ouest, le PDEDMA s’appuie sur l’expérience


d’Optitri étant donné qu’il est considéré comme l’acteur incontournable pour assurer le
traitement et la valorisation des déchets sur le territoire. Jouant un rôle clef dans l’élaboration
du PDEDMA, nous constatons que, même si les intérêts sont multiples, les parties prenantes
d’un projet collectif de développement durable et économique s’appuient sur des mécanismes
de codécision et de négociation.

« Donc le Conseil général, quand il a élaboré son PDEDMA, il s'est appuyé sur divers
documents, et notamment sur les études d’Optitri. Le modèle Optitri a servi à l'élaboration
du PDEDMA … mais il s'appuie beaucoup sur l'expérience, qui est quand même
majeure dans le département, d’Optitri. » Agent de Préfecture_70

Dans le même temps, la construction de ce PDEDMA n’est pas exempte de relations


interpersonnelles. Le lien entre le Conseil général et Optitri dépasse la simple relation de
soutien, le mot employé pour le qualifier par l’un des acteurs du syndicat départemental étant
celui de « pilier », car il apparaît comme absolument nécessaire au fonctionnement économique
de la structure.

« Le département est un acteur majeur pour deux raisons : il fait partie des pères
fondateurs d’Optitri, c’est rare, parce qu’il n’a pas dans ses compétences traitement
déchets, mais lorsque nous avons à l’origine présenté le projet aux élus du département,
ils ont dit - c’est un bon projet, c’est un projet d’intérêt public, nous voulons en être . Le
département est donc fondateur et membre d’Optitri, nous avons 11 conseillers
généraux dans notre comité syndical. Il finance 20 % de nos investissements et 15 %

Le Travail dans les Industries de Déchets 46/160


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de notre fonctionnement, ce qui est également rarissime. » Directeur des services


Optitri_61

Du côté des industriels privés, le représentant d’une filiale d’un groupe privé montre à son tour
le rôle des acteurs et leurs relations dans la construction du PDEDMA. Il souligne les difficultés
à trouver un équilibre entre les différentes parties prenantes, en particulier avec les associations
environnementales, pour aboutir à un compromis permettant de conforter les stratégies et les
intérêts des différents acteurs. La conception s’avère aussi être structurée par une division du
travail entre les experts d’un côté et les décideurs de l’autre.

« On est quand même dans des schémas où on travaille ensemble, on travaille


ensemble par exemple dans l’élaboration des PDEDMA, alors quand je dis on travaille
ensemble c’est un peu comme le cheval et l’alouette c’est-à-dire qu’il y a ceux qui
décident et ceux qui sont considérés comme des experts. Alors dans l’élaboration d’un
PDEDMA, on met autour de la table à la fois les collectivités, les associations, les
entreprises, donc en règle générale les associations sont contre les entreprises, j’allais
dire réciproquement c’est pas toujours vrai mais enfin ça peut arriver. Disons que dans
l’élaboration d’un PDEDMA les associations sont un peu l’aiguillon vis-à-vis des élus
pour leur faire prendre des décisions plus publiques, donc les privés sont souvent là
comme, d’abord ce sont souvent des industriels qui ont des installations qui existent,
donc qui ont comme premier souci déjà que ces installations qui existent soient utilisées
correctement donc soient pérennisées le cas échéant, validées par les PDEDMA …
er
Donc 1 souci c’est de dire on a les outils, on pense qu’on les exploite correctement, on
est déjà en collaboration avec des collectivités pour travailler sur ces outils-là … Et là
où il y a une difficulté c’est que quelque part les PDEDMA ne sont pas des plans
directifs malgré tout, ils ne peuvent pas apporter de garanties, c’est-à-dire que j’ai une
installation, le plan va éventuellement dire que mon installation existe, mais elle ne va
pas me garantir qu’elle sera toujours remplie et que la collectivité ne va pas partir pour
aller ailleurs, ou pour faire son propre outil. » Directeur sud-ouest groupe privé_82

Ce même constat est repris par le directeur du site Valori qui y ajoute la longueur du processus
de négociation entre les différentes parties prenantes. Il exprime au fil de l’entretien que bien
que les opérateurs privés aient leurs visions à apporter, ce sont les enjeux et intérêts politiques
défendus par les élus et les associations environnementales qui sont avantagés dans
l’élaboration du PDEDMA. Il juge ces derniers comme « déconnectés » de la réalité au regard
des problématiques existantes dans le traitement des déchets et de l’implantation des
installations des déchets dans un territoire.

« Au travers du PDEDMA […] Il y a un décalage abyssal, entre la vision des élus qui
composent ces PDEDMA, des élus et des associations, parce que la rédaction de ce
PDEDMA c'est un peu l’armée mexicaine, les commissions qui sont chargées de
rédiger ces PDEDMA, il y a beaucoup d’élus, il y a les professionnels, les
associations… c'est donc une vision extrêmement théorique, politique, qui défini des
schémas de traitement, qui déjà au plan de la région sont quasiment tous obsolètes,
parce que ces PDEDMA ont été faits il y a plusieurs années et ils n’ont pas été
réactualisés ou alors ils vont l’être, mais justement avec les associations c'est très long
qui ont chacune leurs credo donc ils ne vont pas les froisser, il faut faire ça dans un
souci de dialogue, de participation… participatif enfin bref c'est très long et peu
productif. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Rapidement esquissé ci-dessus, nous voyons que le travail de concertation et de négociation


sur la gestion des déchets n’est pas exempt de jeux de pouvoir dans lesquels la lutte et les
stratégies se propagent dans cet espace. La concertation nuit-elle à l’efficacité du montage de
la filière ? Nous verrons ensuite que le conflit et le compromis sont bien au fondement de cette
activité de régulation.

Relations et stratégies des acteurs

Comme vu précédemment, il y a des relations d’influence entre le Conseil général et les


prestataires de traitement de déchets dans l’élaboration des PDEDMA. Les acteurs exposent

Le Travail dans les Industries de Déchets 47/160


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aussi les relations entre les professionnels du déchet, la DREAL, et la Préfecture. Cette
dernière représentante de l’Etat assume plusieurs casquettes (administration du territoire et
économique, développement durable) et jongle avec les intérêts des uns et des autres, en
tentant de les coordonner afin que « l'équilibre global puisse continuer à fonctionner ». Ce qui
met en lumière d’une part que s’occuper du déchet est à l’interstice de plusieurs domaines
(politique, économique et social), et d’autre part cela montre l’importance des jeux d’influence et
de négociation à l’échelle départementale. Cela nous permet aussi de constater la difficile
articulation des objectifs de chaque structure. En somme, les enjeux socio-économiques,
politiques et les relations propres à un territoire dévoilent qu’il est difficile aujourd’hui d’avoir une
gestion harmonisée des politiques en matière de déchets sur le territoire français.

« Et la Préfecture qui est dans son rôle de droit, qui va mettre du lien dans la Préfecture,
qui va suivre les étapes administratives, mais le Préfet a une casquette de
développement territorial, et qui va aider [le prestataire]. Donc qui va modérer un peu
l'ardeur de la DREAL sur le contrôle, sur certains contrôles … le Préfet va freiner
certaines fois la longueur de la DREAL, aller jusqu'au bout des sanctions, mais va aussi
booster certains projets et mettre un coup de pression sur l'instruction de certains
dossiers pour qu’à certaines échéances qui ont été convenues ensemble devant tout le
monde : la DREAL, Préfecture, exploitant, pour que ces dossiers puissent aboutir
rapidement » Agent de Préfecture_70
« On a en plus un président du syndicat mixte qui est investi dans les relations publiques,
donc on ne le regarde pas uniquement comme un simple exploitant en dépit de ce que dit,
de ce qui est l'affichage de la DREAL quand ils disent, c'est comme n'importe quel autre
exploitant. Ce n'est pas vrai, c’est-à-dire que l'on a un acteur institutionnel de notre
territoire, donc on ne le traite pas comme on traite celui qui fait des déchets de bois dans
un village dans les montagnes » Agent de Préfecture_70

Ce jeu d’influence est présent également dans le discours du représentant de la fédération


environnementale du département. À travers la présentation et l’historique de la fédération puis
de la création du collectif contre l’incinération, il montre à la fois comment la fédération peut être
enrôlée politiquement, comment elle représente un enjeu politique et social, et comment à son
tour elle peut influencer les décisions politiques en matière de traitement des déchets. Cette
même idée est présente dans le discours du directeur des services d’Optitri.

« [La fédération environnementale], tellement proche des pouvoirs en place, ne s’était


pas du tout élevée contre l’incinération et même voire n’était pas spécialement contre,
disons que c’était neutre bienveillant. Et donc 96 … on crée le collectif économie,
emploi, environnement donc le C3E qui est dévolu à proposer une alternative au niveau
des traitements des déchets puisque la seule solution qui était ressortie du PDEDMA
c’était l’incinération point … [La fédération environnementale] elle n’a pas bougé, y’en a
assez, c’est pas normal, donc les associations fédérées dans le collectif ont pris le
pouvoir à l’intérieur de celle-ci … Ben on a fait un coup d’Etat … C’est là qu’on s’est
aperçu que la fédération était un objet de pouvoir car on s’est retrouvé confronté à une
tentative de prise de pouvoir du parti socialiste du département, alors il faut dire qu’à
l’époque moi j’avais pris ma carte aux Verts, on était plus nombreux aux Verts et on avait
récupéré la fédération sans la verdir véritablement … Donc il y a eu pendant des
années une bataille là … effectivement à force de réunions à la Préfecture, Conseil
général, partout, l’orientation a été prise de ne pas faire d’incinérateur, de refuser
l’incinération et de créer ce qu’on appelle le bioréacteur » FEDENV_69
« [À propos des associations environnementales] Elles sont devenues les
propagandistes d’Optitri et du bioréacteur, parce que ce sont elles qui ont contribuées à
ce choix, et nous continuons de travailler avec elles, nous les réunissons régulièrement.
Parfois nous discutons avec elles, certaines sont dures à convaincre, nous avons pris la
peine de leur expliquer que nous avions de bonnes raisons de prendre le marché d’un
autre département et de faire venir chez nous les 70 000 tonnes qu’ils génèrent, sur le
coup les associations étaient très choquées par cette perspective, et ont dit « on n’a pas
vocation à devenir la poubelle de toute la région ». Mais on leur a dit « oui vous avez
raison mais si vous voulez qu’on continue dans de bonnes conditions il faut qu’on
maîtrise des tonnages critiques, et bien ce marché c’est une bonne façon d’y arriver très
rapidement et de faire du bon travail plus vite ». Directeur des services Optitri_61

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Traiter plus de déchets que le département ne produit, augmenter l’apport des matières
premières, privilégier la rentabilité d’une installation est dans ce cas un objectif commun non
seulement de la gestion publique, mais aussi de la fédération environnementale. Une fois que
cette dernière a pu infléchir sur le choix de l’installation, elle se fait l’avocate d’une politique du
« nombre » qui permet de sécuriser la structure.

Les collectivités de traitement et de valorisation des déchets peuvent elles aussi influencer la
politique en matière de gestion des déchets. C'est le cas pour Optitri qui, par des phénomènes
d’aller-retour entre les pouvoirs locaux et nationaux et par le biais de son président, sénateur du
département et membre du groupe d’étude sur les déchets au Sénat, a défendu dans plusieurs
instances institutionnelles le principe selon lequel le bioréacteur est un intermédiaire entre la
21
méthanisation et le stockage . L’un des enjeux était de le présenter comme une technique
vertueuse afin de bénéficier d’une exonération de la TGAP (taxe générale des activités
polluantes). Structure innovante (cf. axe 2) de la même façon que les groupes privés, elle
participerait à faire évoluer les techniques de traitement.

« Puis Optitri, c'est aussi de par son président une puissance politique au sens noble du
terme, c’est-à-dire que c'est quelqu'un qui peut faire avancer la législation des déchets
notamment sur l'amendement de la loi finances rectificatives de 2010 qui permettait une
meilleure prise en compte dans l'exonération de la TGAP. Donc c'est quelqu'un qui fait
avancer aussi le secteur des déchets au niveau législatif » Agent de Préfecture_70
« Donc X a tout misé là-dessus, comme il est sénateur il a pu faire passer des
amendements, dans un premier temps parce qu’après ça a moins marché » Directeur
sud-ouest groupe privé_82

Lancer le débat et favoriser le respect et la protection de l’environnement pour le représentant


de la fédération environnementale correspond à s’engager dans une action collective
politiquement affichée, par exemple en adhérant à un parti politique ou en devenant élu
Président d’un collectif ou d’une structure environnementale. C'est aussi agir sur le terrain par la
mise en place de groupe de pression. À travers son discours on trouve les notions de bataille et
de pression relativement récurrentes tout au long de l’entretien et utilisées sur tous les fronts :
que ce soit contre les grands groupes, contre la Préfecture, ou pour promouvoir certaines
directives de la politique environnementale.

« On peut agir en tant qu’association puisque tous ces nouveaux règlements et tout ça
qui créent ces réunions de sensibilisation ben c’est à l’association aussi de les prendre
en main et de le faire savoir, bon, c’est ce qu’il faudrait qu’on fasse en tant que fédération
[…] Il faut que nous-même de nouveau on remette un peu la pression parce que sinon…
il faut le voir comme ça quoi, c’est pour ça que même s’il y a des protestations en disant
ça n’a servi à rien et tout ça, c’est un peu inexact, ça dépend comment on peut le
récupérer […] Il faut s’en accaparer, se l’approprier, pour faire monter les choses quoi, et
ça, je pense qu’on va être obligé de la faire parce que ça ronronne » FEDENV_69
« [sur la mobilisation contre le projet de l’incinération] alors je me suis pris la carte aux
Verts en disant il faut aussi une action politique parce que ce n’est pas suffisant et on le
sent bien, il y a aussi les arcanes politiques donc je suis allé aux Verts, je suis
rapidement devenu porte-parole départemental des Verts et c’est au nom des Verts
qu’on a mené des manifestations de la fédération parce qu’à un moment donné j’étais
responsable de la fédération, des Verts, et de l’association, donc j’avais les piliers
politiques, administratifs et le collectif EEE où on pouvait faire des manifestations. »
FEDENV_69

Pour le représentant du syndicat national des activités du déchet et d’une filiale d’un groupe
privé, faire progresser les enjeux propres à ces deux unités de rattachement se joue sur deux
plans : l’influence dans les décisions politiques et notamment réglementaires au niveau national
et européen, et la défense de la profession par l’élaboration de la convention collective. Son
discours dans ce régime de sens lié à la conception est largement porté sur le premier plan.

21
Se référer aux « comptes rendus de la mission commune d’information sur les déchets » dans le cadre
des travaux parlementaires disponibles sur le site du Sénat.

Le Travail dans les Industries de Déchets 49/160


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« Alors comme regroupement professionnel son objet c’est tout ce qui est défense de la
profession, rassemblement de la profession, tout ce qui est les actions, la
représentation vis-à-vis des pouvoirs publics, ce qu’on pourrait qualifier de lobbying le
cas échéant, même si en France le terme n’est pas très apprécié, enfin dans tous les
cas c’est un interlocuteur des pouvoirs publics, sur la question réglementaire en
particulier, et c’est aussi la gestion évidemment de la convention collective, donc voilà
l’activité … Il y a une forte activité qui est liée à l’activité européenne parce qu’on a
une profession qui est fortement impactée par l’activité européenne » Directeur sud-
ouest groupe privé_82

Le responsable d’exploitation du tri d’Optitri, en présentant les grands groupes comme des
« organisations fédérées », ne récuse pas la démarche de lobbying, mais s’y appuie pour faire
une distinction entre secteur public et secteur privé. Il expose d’une part que les élus politiques
ont des difficultés à se regrouper sur le thème des déchets, et d’autre part, qu’à la différence
des groupes privés, le secteur public ne parvient pas à développer un modèle économique et
des perspectives stratégiques communes qui pourraient être portées à l’instar du privé dans les
institutions nationales afin de défendre leurs intérêts.

« [Au sujet du centre d’enfouissement des déchets dangereux] c’était spectaculaire, le


lobbying d’Alpha, d’une puissance à l’intérieur de la Commission européenne, la vache,
on avait presque gagné et ils ont réussi… ils sont passés de 2 000 mètres de périmètre
de sécurité à 200 mètres. » FEDENV_69
« je pense que le privé se met beaucoup plus dans des perspectives stratégiques que le
public, puisque le privé a des intérêts économiques beaucoup plus forts derrière, et
développe très souvent des stratégies, fait du lobbying pour développer, leurs stratégies,
qui sont des stratégies d’implantation, de développement d’un process, voilà. Donc ils ont
des stratégies, ils ciblent et à partir de là ils font du lobbying pour que les choses
évoluent dans leur sens » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63

En résumé le fait d’avoir comme président un acteur qui peut mobiliser un réseau d’influence au
niveau national (Optitri) ou d’appartenir à un grand groupe exerçant des activités de lobbying
(Valori) permet de défendre des intérêts, de porter et de mener des stratégies de conception de
la filière pour dépasser le cadre local.
Le point suivant aborde des éléments de réflexion sur le territoire qui apparaît central dans les
discours dans le choix d’un mode et d’équipement de traitement de déchets. La question du
territoire est aussi posée en fonction de la taille des installations et de leurs positionnements
géographiques dans le département. Il transparait alors des points de friction entre les services
de la Préfecture et les industriels du déchet lorsque ces derniers demandent d’augmenter la
capacité de traitement de certaines installations.

Le territoire et les niveaux de la régulation : le département est-il la bonne échelle


pour traiter les déchets ?

Dans les discours, la question des territoires et des liens entre les départements et la région est
abordée pour interroger le « bon » niveau de régulation à adopter. Ce point est essentiellement
représenté par les exploitants d’installations de déchets. Il y a des différences entre les
départements dans la manière dont est organisée la gestion des déchets que ce soit au niveau
législatif ou technique. Afin de répondre à des objectifs économiques et sociaux, le territoire et
plus particulièrement sa géologie semble être ainsi un enjeu stratégique pour promouvoir et
légitimer un mode de traitement des déchets.

« Un bioréacteur nécessite des emprises foncières très importantes, comment voulez-


vous qu’une collectivité comme la communauté urbaine qui a des problèmes fonciers
majeurs, à force de s’étaler sans densifier la population […] Comment voulez-vous
qu’elle mobilise 100 hectares pour construire, il en faudrait même à l’échelle de cette
communauté il en faudrait plus 300 hectares pour implanter un bioréacteur, même pour
un process vertueux c’est pas possible » Directeur des services Optitri_61

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Si le travail d’exécution est peu abordé en tant que tel, l’enjeu principal qui apparaît concerne
l’emploi. Le secteur des déchets est considéré comme un gisement d’emplois que tel ou tel
mode de traitement peut favoriser ou freiner.

« Les alternatives permettent de créer et de maintenir les emplois, alors que l’option
centrale [l’incinérateur] ça favorise les grands groupes mais ça défavorise le territoire,
non seulement au niveau du transport, de la centralisation mais aussi au niveau de
l’emploi. » Agent de Préfecture_70
« La contribution d’Optitri à l’économie du département se manifeste au travers d’un
souci d’aménagement du territoire, nous avons opéré un maillage du territoire et nous
essayons d’être présents sur tout le territoire de manière homogène. Pourquoi ? Parce
qu’Optitri c’est de l’emploi, » Directeur des services Optitri_61
« Dans tous les cas moi je pense qu’on va continuer quand même à travailler dans une
alternance entre les deux [incinération et enfouissement], et selon comme on disait, selon
les endroits, selon les départements, y’a une histoire de territoire, de PDEDMA »
Responsable d’exploitation bioréacteur_72

Les besoins sociaux du territoire sont aussi relayés pour à nouveau relever une démarcation
entre une gestion du traitement par le secteur public en comparaison du privé. Ainsi, le
responsable des installations de tri rapporte que le public prend en compte dans le choix du
mode de traitement et d’implantation des infrastructures les intérêts de l’usager et ceux relatifs
à l’emploi. À cela, le directeur des services d’Optitri ajoute que le découpage du territoire
national est à image de l’état de la concurrence entre les groupes de traitement des déchets.

« Dans le secteur public, les décisions, leurs choix, leurs modes de réalisation,
s’adaptent souvent à des problématiques territoriales, elles s’adaptent aux besoins du
territoire, beaucoup plus. Le privé va faire des choix, des décisions qui sont totalement
indépendants des besoins des territoires et qui ne prennent en compte le territoire que
dans un cadre stratégique et économique, c’est tout […] Par exemple, au niveau
transport, il est clair qu’en mutualisant les équipements sur les territoires, on les
positionne de façon beaucoup plus cohérente car on a une vision globale du territoire,
donc les installations de traitement sont positionnées de manière cohérente et on va
limiter le coût du transport des déchets d’une installation à une autre. […] Et après on voit
que pour nos coûts, il y a aussi le bioréacteur, c’est-à-dire que la politique publique a fait
le choix d’un mode de traitement, qui a été innovant et avec lequel les élus ont pu faire la
démonstration de son caractère vertueux pour l’environnement, et là du coup on a pu
bénéficier d’une taxe réduite qui permet dans le coût global du déchet, puisque cette taxe
elle est payée par des usagers qui amènent le déchet, et bien le coût global du déchet
s’en trouve réduit. Et pour parler clair, aujourd’hui quand on compare les prix faits par
Optitri pour ses adhérents et les prix que font les privés pour leurs clients, on est plutôt
moins cher pour des mêmes métiers sur un territoire équivalent. » Responsable
d’exploitation centres de tri Optitri_63
« Je peux vous dire qu’il y a un phénomène déterminant c’est l’état de la
concurrence. Les opérateurs privés se sont partagés le territoire depuis longue date, et
ils apportent un certain nombre de prestations de qualité plus ou moins variables qui les
amènent à faire, à concentrer sur des infrastructures industrielles qu’ils ont amorties
depuis longtemps, des gisements de déchets, des tonnages de déchets très importants.
Donc c’est une question d’échelle, ils dégagent des marges considérables ». Directeur
des services Optitri_61

Une problématique liée à l’échelle du département est posée par les professionnels du
traitement du déchet que ce soit des opérateurs privés ou publics. Le PDEDMA a l’obligation de
favoriser le traitement des déchets au plus près de leur lieu de production. Ce « principe de
22
proximité » défini dans le PDEDMA se couple avec l’obligation de préciser la quantité et
l’origine géographique des déchets dans l’arrêté d’autorisation de l’installation. Ces deux
éléments s’avèrent être une contrainte pour les exploitants. En effet, limitant le périmètre du

22
« Il se comprendra comme un traitement à une échelle départementale en évitant les transferts
interdépartementaux, mais sans que ces pratiques fassent l’objet d’interdiction ni d’un encadrement
formel » (Rocher , 2006)

Le Travail dans les Industries de Déchets 51/160


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transport des déchets entre les producteurs de déchets et ceux qui les traitent, ils imposent
ainsi une « zone tampon périphérique » (Mtibaa, Méry, Torre, 2012). Or, aujourd'hui les petites
installations de traitement ferment pour laisser place à des unités plus grandes, c’est-à-dire
avec des capacités de traitement beaucoup plus importantes. Cela implique de plus en plus
pour l’opérateur public ou privé d’aller capter des volumes de déchets souvent à l’extérieur du
département. D’autre part, plusieurs territoires n’ont pas les équipements nécessaires pour
traiter leurs déchets. C'est le cas d’un département limitrophe à celui de notre étude qui envoie
une partie de ces apports dans le bioréacteur d’Optitri. À cet effet dans une logique industrielle
proche du privé, la direction du syndicat souhaitait capter ce marché et a demandé aux services
de l’Etat d’augmenter la capacité de traitement de l’installation.

« Il y a un premier problème qui est quelle est l’échelle à laquelle on raisonne ? … De
plus en plus de gens disent que ce n’est pas forcément la bonne échelle, en particulier
pour les filières de traitement … Donc beaucoup, un certain nombre de gens je dirais,
pensent, et c’est plutôt l’opinion au niveau de notre fédération, qu’il vaudrait mieux
raisonner, au moins pour le traitement, au niveau régional. » Directeur sud-ouest groupe
privé_82
« C'est le fossé entre la vision des PDEDMA et la réalité des déchets, la vraie vie des
déchets qu’il faut bien traiter, et parfois les périmètres géographiques ne sont pas
adaptés. Il y a une vision très administrative et politique inadaptée. » Directeur centre de
tri incinérateur Valori_57
« Alors les PDEDMA ils étaient auparavant gérés par l’Etat au travers de la Préfecture, ils
sont passés au Conseil général, alors ça a eu comme conséquence de rapprocher bien
sûr les collectivités … Mais ça a eu comme inconvénient entre guillemets de politiser un
petit peu les choses, donc à la fois rendre les choses peut-être plus difficiles en termes
de coopération interdépartementale, le département va résoudre son problème
véritablement et il a beaucoup de mal à intégrer les contraintes ou les avantages des
départements voisins » Directeur sud-ouest groupe privé_82
« Un opérateur public […] est astreint au principe de spécialité territoriale, moi j’ai pris le
marché de l’autre département, et j’ai encore des courriers de la Préfète qui ne comprend
pas comment on a fait, elle me dit « mais vous êtes sorti de votre territoire », « ben oui
évidement je suis sorti de mon territoire », sauf que j’ai le droit de répondre à des
marchés, la loi me reconnaît le droit de répondre à des marchés. Par définition, sur le
périmètre d’Optitri, il n’y a pas lieu de passer des marchés puisque les collectivités
membres ont délégué leur propre compétence à Optitri, et nous exerçons la compétence
de traitement directement à leur place, si j’ai le droit en vertu de la loi de passer des
marchés, c’est nécessairement en dehors de mon périmètre. » Directeur des services
Optitri_61

Le directeur du site de Valori argumente aussi l’intérêt de mutualiser les outils de traitement à
l’échelle de la région. Cependant en s’appuyant sur l’exemple de l’élaboration des PDEDMA, il
relève une éventuelle difficulté sous jacente, celle de l’entente et de la mise en place de
compromis entre les parties prenantes. Autrement dit, il exprime la crainte de voir les débats se
politiser et « s’éterniser » alors qu’ils devraient être « techniques et raisonnés » comme il nous
le dira plus tard.

« J’ai la crainte que ça devienne encore plus compliqué et déconnecté parce qu’on va
multiplier les intervenants dans ces cercles de réflexion, on va multiplier les
départements, toutes les parties prenantes, et ça sera encore plus complexe. Mais
l’image du millefeuille est pas mal, et cette image française c'est une réalité. » Directeur
centre de tri incinérateur Valori_57

Pour la Préfecture, les questions d’échelle dans le traitement des déchets devraient être
résolues au niveau local et non régional, notamment en ce qui concerne le service de contrôle
et de surveillance des installations (DREAL). Ce dernier étant de plus en plus régionalisé, ne
peut être informé des particularités et des difficultés rencontrées par un prestataire. En filigrane,
c’est le souci de coordonner les intérêts du prestataire de traitement et l’aspect réglementaire
qui semble motiver cette argumentation.

Le Travail dans les Industries de Déchets 52/160


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« C'est au niveau local qu'il faut que cette concertation soit faite. Et on a un problème de
positionnement au niveau départemental, aussi. C’est-à-dire que l'on a des décisions qui
sont prises de plus en plus au niveau régional. … Les Préfets de département ont des
difficultés à faire valoir leurs points de vue par rapport à un échelon régional » Agent de
Préfecture_70

Pour les installations de tri, le questionnement du territoire n’est pas absent mais moins
prégnant comparé aux discours portés sur les méthodes de l’enfouissement et l’incinération.
Face aux objectifs européens de recyclage matière, aux nouvelles potentialités de l’activité
(élargissement des consignes de tri) et à sa rentabilité économique, Eco-Emballages et
l’ADEME tentent de « convaincre » les collectivités de remplacer les centres de tri de petite
capacité par des centres plus automatisés, mécanisés et traitant des volumes de déchets plus
importants. Les propos de nos enquêtés et notre étude montrent que la position des
collectivités est plutôt de maintenir des petites installations en vue de limiter les coûts de
transport et de garantir des emplois d’insertion et locaux. À ce titre, lors des travaux
d’optimisation des deux centres de tri d’Optitri, l’une des conditions des élus et de la direction
était de conserver les deux usines notamment pour sécuriser et pérenniser les emplois du tri.
Cependant, les notions de performance économique, de rendement et d’amélioration de la
qualité des produits n’ont pas été évincées, car les travaux entrepris ont intégré une part
importante de mécanisation (tri optique, installations de nouvelles machines).

« Le petit centre de tri va correspondre à quelques emplois locaux etc., donc les
collectivités vont y tenir quelque part comme un outil d’intégration … Faut aussi se dire
que la collecte sélective c’est quelque chose qui se transporte relativement mal parce
que c’est du volume, on a de très gros volumes, … Donc le combat entre guillemets des
collectivités c’est plutôt d’avoir leur centre de tri, de s’assurer qu’ils ont des aides Eco-
Emballages suffisantes pour maintenir l’activité que de faire une analyse économique
performante, ce qui amène d’ailleurs des conflits entre les élus et Eco-Emballages parce
qu’Eco-Emballages a tendance à dire il faut des centres de tri très performants et à bas
coûts, et à la limite moi je n’ai pas de raison de payer quelque part, de subventionner un
petit centre de tri pas performant, donc je dois donner ce qui est le vrai coût, enfin le coût
optimisé » Directeur sud-ouest groupe privé_82

En résumé, le secteur des déchets est construit par de l’action collective. Il a connu de
nombreux changements en termes processuels, en ce sens il est un « monde social » où « des
représentants de ses micro-mondes débattent, négocient, se battent, exercent contraintes et
manipulations à propos de questions diverses. Ces arènes sont le lieu d’activité politiques, mais
pas nécessairement de la part des corps législatifs ou des cours de justice. De même, à
l’intérieur des micro-mondes des questions sont âprement débattues entre les différents
membres. (…) Les membres des divers micro-mondes ou des mondes sociaux ont des intérêts
différentiels, cherchent des fins différentiels, s’engagent dans des contestations et font ou
défont des alliances pour faire les choses qu’ils souhaitent. » (Strauss, 1992).
En effet, le monde de l’action publique des déchets regroupe une multitude d’institutions et
d’acteurs publics et privés sur les différentes échelles du territoire, qui participent aux décisions
et à la conception du secteur, en tentant pour chacun d’entre eux d’imposer ses intérêts propres.
Le secteur des déchets se construit autour de règles qui sont sans cesse négociées en fonction
des interactions des acteurs qui sont sollicités de manière diachronique. Nous avons vu que les
zones de pouvoir variaient entre les acteurs et que la prise en compte du territoire mène à des
modes de coordination spécifiques aboutissant à une action publique territorialisée. Qu’en est-il
de l’économie des déchets ? Le point qui suit s’articule autour des aspects économiques qui,
imbriqués et encastrés dans ce contexte politique et réglementaire, influencent et orientent les
choix et pratiques de nos enquêtés. L’aspect économique du travail de conception s’avère être
primordial.

Le Travail dans les Industries de Déchets 53/160


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3.2.2 Les aspects économiques du travail de conception23

Les questions de coût, de prix, des produits et du marché des déchets, ainsi que son
organisation ont été abordés par nos enquêtés. . Les modes de traitement sont abordés dans
les discours et laissent entrevoir que les entreprises privées ou publiques des déchets intègrent
dans leurs programmes des préoccupations environnementales. L’usage du terme
« environnement » et la référence à la réglementation environnementale (1) influencent les
choix du mode de traitement et orientent les investissements dans les filières d’avenir. Puis se
pose la question de la rentabilité du traitement : quelles sont les recettes des différentes
activités du traitement de déchets ? Comment sont-elles distribuées en fonction de nos deux
sites étudiés (2) ? Nous verrons alors que le marché des déchets est incertain du fait de la
fluctuation des prix des matières premières secondaires, de la baisse de la production des
déchets et par la difficulté d’acquérir de nouveaux contrats (3). Le principe de réduction des
déchets est acquis voire plébiscité, les acteurs soulèvent le paradoxe de la difficile conciliation
des enjeux environnementaux édictés par le haut et des enjeux économiques des industriels (4).
Pour finir, nous montrons que les intérêts des industriels privés et publics du déchet peuvent
converger et aboutir à des partenariats sur des projets précis et délimités. (5)

Le mode de traitement des déchets

Depuis les années 90, les nouvelles réglementations et normes environnementales ont impulsé
une diversification de méthodes de traitement. Les plus anciennes se sont complexifiées et
professionnalisées et de nouvelles apparaissent avec plus ou moins de réussite et d’appui
institutionnel. De nombreux débats ont aujourd'hui cours sur le traitement des déchets : quelles
méthodes doivent être employées ? Quelles seront les conséquences au niveau
environnemental ? Quel sera le coût économique ? Quelle gestion faut-il privilégier pour
l’avenir ?
Aujourd'hui, il existe plusieurs techniques pour traiter et éliminer le déchet. La réglementation
française hiérarchise les modes de traitement et en privilégie en particulier trois : la valorisation
24
matière (où est intégrée la gestion biologique), la valorisation énergétique et le stockage . À
travers la réglementation européenne l’accent est mis sur le recyclage. Les travaux de Yannick
Rumpala (1999, 2003) montrent que le développement de la valorisation matière (déchets
d’emballages ménagers) en France ne dépend pas seulement de raisons environnementales
mais aussi d’intérêts économiques. Si les effectifs des centres de stockage et des incinérateurs
depuis les 1990 sont en constante baisse, l’enfouissement, dans les discours a un statut de
plus en plus incertain.

« La valorisation matière a vraiment creusé, c'est vraiment ce qui ce, c'est vraiment le
pôle de pointe d’Optitri, c'est sa vitrine. Après de ce que me dit la DREAL, ce que l'on
peut craindre c'est qu'il y a certaines formes de valorisation qui seront rentables et qui
marcheront. Il y en a d'autres qui relèvent plus du gadget et de la vitrine, en fait. Donc il y
a certaines formes de valorisation qui ne sont pas soutenables, quoi… Après ici […] il y a
eu fermeture de tous les centres d'incinération. Il n'y a pas d'incinération ici. Il y en a à X
je crois, donc on est sur un choix qui est binaire, soit on fait de l'enfouissement, soit on
fait de la valorisation » Agent de Préfecture_70
« Mais la France a un modèle disons plus équilibré que beaucoup d’autres pays, on a
différentes filières qui font qu’on est à peu près à parité entre le recyclage … La France,
contrairement à d’autres pays, n’a pas fait un vrai choix c’est-à-dire qu’elle n’a pas par
exemple privilégié l’incinération par rapport au stockage contrairement à l’Allemagne ou à
l’Angleterre, enfin un ensemble de pays maintenant. » Directeur sud-ouest groupe
privé_82

23
Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Recettes marchandes, économie et marché des
déchets, centre d’enfouissement, incinérateur, valorisation énergétique ; méthodes de traitement des
déchets ».
24
37% des déchets ménagers et assimilés sont orientés vers le recyclage, 33% vers la valorisation
énergétique, et près de 30% vers l’enfouissement.

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Par la promulgation de normes dans les années 90, l’incinération et l’enfouissement ont fait
peau neuve, le recyclage s’est développé par le biais de la mise en place des déchetteries, des
centres de tri et des plateformes de compostage. Dans le même temps, de nouvelles formes et
projets de traitement et de valorisation sont testés voire adoptés et d’autres sont « rejetés » par
les pouvoirs publics.
Le discours des acteurs rapporte que certaines méthodes de traitement doivent être adossées
à d’autres, en ce sens ils défendent l’idée de la complémentarité des filières. Ce qui est certain,
c'est que le traitement, la valorisation et l’élimination des déchets sont confiés aux
professionnels et industriels du déchet, en particulier au privé. L’ensemble des acteurs (hormis
FEDENV_69) s’accorde à dire que le privé, notamment les groupes leaders sont
particulièrement opérants et efficaces dans la maîtrise de leurs installations et qu’ils ont su
développer des compétences professionnelles et techniques reconnues.

« La défense de la profession c’est la complémentarité des filières, c’est le grand credo


français par rapport à peut-être d’autres pays européens, c’est nous estimons que les
filières sont complémentaires, que des types de déchets vont vers certaines filières plutôt
que vers d’autres, mais qu’il n’y a pas à moins privilégier une filière qu’une autre »
Directeur sud-ouest groupe privé_82
« On ne gère plus les déchets comme on les gérait il y a dix ans et donc on confie
vraiment ça à des professionnels […]. » Agent de préfecture_70
« Il faut affirmer que les opérateurs industriels du traitement des déchets ont développé
une compétence et un savoir-faire qui doit servir de référence. Ça peut paraître
paradoxal, mais même sur des process industriels comme l’incinération qui sont très
impopulaires et peu acceptés dans l’opinion, les industriels, les privés, les grands
groupes savent parfaitement bien traiter le problème. » Directeur des services Optitri_61
« Au niveau de la collecte on peut maîtriser facilement parce que ce n’est pas un univers
inconnu, par contre je suis parti du principe que tout ce que je ne savais pas maîtriser, et
pas bien traiter et bien je devais le faire faire par d’autres. Donc l’incinérateur et le centre
de tri on a fait une consultation pour faire une DSP (Délégation de Service Public) avec
des gens hautement performants pour qui c’était le métier. » Président Propret_59

Dans les discours des acteurs privés, l’incinération est défendue comme un mode respectueux
de l’environnement et qui ne devrait pas ou plus susciter de polémiques sanitaires. En revanche
l’enfouissement sans être fortement critiqué semble être mis à la marge. Il ne s’agit pas de le
faire disparaître car il reste encore indispensable sur le territoire français et que la majorité des
installations appartiennent aux groupes privés, mais il faudrait s’adapter et investir dans les
technologies d’avenir et celles qui sont le plus valorisées au niveau réglementaire.

« Malgré tout la France maintenant a quand même admis l’idée que l’enfouissement sans
aucun prétraitement c’est quand même pas une très très bonne solution […] Les grands
groupes, en particulier, ont bien acté la contrainte d’aller vers des déchets valorisés au
maximum c’est-à-dire que tout ce qui est commerce de base, qui est stockage et tout ça,
du fait de ses coûts bas est plus rémunérateur si j’ose dire, tout le monde sent bien que
ce n’est pas ce qui va durer éternellement. » Directeur sud-ouest groupe privé_82
« Les procédés que l’on a ici, que ce soit le tri ou l’incinération ils sont pas plus mauvais
que d’autres, et je considère très partiellement qu’ils sont même bons, évidemment parce
que si je n’étais pas convaincu je ne travaillerais pas là-dedans. Je considère que c'est
mieux que de les mettre dans le trou. Même si dans les centres d’enfouissement
technique maintenant on récupère du méthane pour faire de l’électricité, mais c'est 7 à 10
fois moins à tonnage égal que l’incinération, donc il faut quand même rester réaliste. […]
Maintenant on a des nouvelles filières, et des nouveaux modes de traitement : la
méthanisation, le TMB (Tri Mécano-Biologique), on a des combustibles de substitution
c’est-à-dire faire des combustibles à partir du déchet. Donc on a des sociétés qui sont en
train de s’implanter là-dedans, il faut que les groupes comme le nôtre sachent s’implanter
dans ces nouveaux créneaux. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57
« Donc il y a un problème de réduction et à l’heure actuelle et jusqu’à preuve du contraire
l’incinération est à mon sens et je crois que ça commence à être reconnu est un mode de
traitement propre à partir du moment où l’on contrôle toutes les émissions et que ce soit
la X [autre usine d’incinération] et encore plus l’usine Valori qui fonctionne depuis 2001,
tous les contrôles les plus sévères pour tous les polluants qu’il peut y avoir, en particulier

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les dioxines et les furanes, on est au dixième des normes minimales qu’il faut, parce que
les pollutions peuvent venir de bien d’autres choses. » Président Propret_59

Par contre, la fédération environnementale rejette vivement le procédé de l’incinération. Divers


arguments sont mobilisés : l’aspect environnemental sur les rejets de polluants et les risques
sanitaires, l’aspect économique en termes d’investissement pour la création d’une telle
infrastructure, et celui du social avec la création d’emploi. Elle fait mention également des
intérêts économiques et des rapports de force qui s’établissent entre les promoteurs de projets
et les communes qui accueillent les installations de déchets.

« L’aspect environnemental bien sûr ça gêne, l’aspect dioxyne, et en tant que fédération
on a fait la tournée de plusieurs villes pour expliquer les dangers de l’incinération mais
aussi ce qui a été perçu et repris par le syndicat, c’est le coût, ça parle beaucoup plus le
coût parce qu’effectivement ça allait coûter très cher et ça allait interdire tout
développement du tri etc., toute la thématique autour de l’incinération, et le coût a été… »
FEDENV_69

Si l’incinération continue de générer des craintes et des polémiques, un des acteurs formule
l’obstacle de l’acceptabilité sociale des installations de déchets de la part des usagers mais
aussi des élus politiques qui luttent contre l’implantation de ces infrastructures d’élimination et
de valorisation des déchets.

« Vous avez 2 syndromes : le NIMBY [Not In My BackYard], faites ce que vous voulez
mais pas chez moi et l’autre que j’appelle le syndrome BANANA [Build Absolutely
Nothing Anywhere Near Anyone] qui vient maintenant souvent des élus c'est de dire ne
faites rien ni ici ni ailleurs ni auprès de personnes voilà, et tout ça ce sont des oppositions,
des associations qui disent ça. Si vous traversez la France et bien vous voyez fleurir
« Non à l’usine de ceci ; non à la décharge ; non à la ligne haute tension ; non à
l’incinérateur ». N’importe quoi que vous fassiez qui est peu industrialisé, il y a de
l’opposition sans savoir ce que c'est, c'est de suite vilipendé. Vous voulez faire une unité
de valorisation de déchets verts c'est comme si vous assassiniez la moitié de la
planète… voilà. » Président Propret_59

Le discours au sujet de l’incinération véhiculé par les représentants d’Optitri est beaucoup plus
nuancé. Il n’y a pas de franche opposition à l’incinération par rapport aux enjeux
environnementaux. Il semble que ce soit essentiellement des raisons politiques, économiques
et idéologiques qui ont contrecarrées le projet de l’Etat et motivées l’alternative du bioréacteur,
qui selon eux est une des solutions des plus vertueuses et des plus adaptées au contexte du
département. En ce qui concerne ce mode de traitement, chacun d’entre eux use de la notion
d’environnement et de développement durable pour légitimer ce mode de traitement en
précisant qu’il ne doit pas être assimilé à de l’enfouissement classique.

«Ce qui nous a amené au sénateur qui était déjà mon président mais à un autre titre, et
moi même à aller voir le Préfet de l’époque avec lequel nous avions d’excellentes
relations pour lui dire « Ça peut pas marcher comme ça, on peut pas imposer une
démarche aussi technocratique sans la moindre concertation et au final il nous paraît que
les résultats économiques et environnementaux ne seront pas satisfaisants » […] Ce
projet est justement de miser sur des process vertueux pour la préservation de
l’environnement et pour le développement durable […] Cette technique c’est
certainement pas de les enfouir sous la terre pour les oublier pendant des siècles, cette
technique elle est vertueuse » Directeur des services Optitri_61
« Bon le bioréacteur est clairement inscrit dans le développement durable je dirais bon
même si c'est pas facile qu’il soit reconnu, peu pratiqué, voire qu’il est sans être reconnu,
mais si on cherche à appliquer une énergie qui soit validée ou reconnue pour pouvoir la
vendre, donc le bioréacteur est vraiment un outil au service du développement durable »
RH_Optitri_65
« L’exploitation d’un bioréacteur a des vertus quand même, des avantages, des
inconvénients, mais c’est quand même différent d’un centre de stockage classique pour
X raisons mais qu’il y a quand même des qualités au niveau environnemental. »
Responsable d’exploitation bioréacteur_72

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Ainsi, faire le choix d’un mode de traitement revient à devoir intégrer des critères
environnementaux, économiques et sociaux et à se confronter à une pléiade d’acteurs. Ce qui
aboutit à la représentation de débats controversés et à des éventuelles oppositions (effet
NIMBY) avec certains types d’acteurs comme les associations environnementales ou la société
civile. Les discours montrent que l’intégration et la gestion de ces dynamiques ne sont pas sans
risques pour les porteurs de projet ou pour les élus qui accueillent ces installations dans leur
commune.

« Quand vous êtes l’élu qui défend la création d’une usine d’incinération ou d’une
décharge bon vous pouvez ne pas être réélu la fois d’après. » Directeur sud-ouest
groupe privé_82
« Au départ lorsque l’installation, en 96, quand le maire de X au grand soulagement de
tout Propret a dit oui moi je prends l’installation, ben et bien l’année d’après le pauvre il
n’a pas été réélu. Il y a eu une très forte opposition, il y a des élus qui sont toujours en
place ici et qui se sont couchés devant les camions, je veux dire que ça a été dur. Il y a
eu des assemblées de Propret qui ont été bloquées par des manifestants. » Directeur
centre de tri incinérateur Valori_57

Bien que les critères environnementaux pèsent dans le choix d’un mode de traitement et de
gestion (c’est-à-dire en régie publique ou dans la contractualisation avec un opérateur pour
assurer le traitement des déchets), ce sont les coûts et enjeux économiques qui semblent
primer. Par exemple, sur l’un des départements investigué, le refus de l’incinération a été
motivé, en partie, par des arguments portés sur les coûts économiques du transport des
déchets et les coûts de gestion des REFIOM (déchets ultimes) ; le rejet de la méthanisation par
des coûts d’investissement jugés trop onéreux. En outre, la fiscalité environnementale sur les
déchets qui donne des orientations sur les choix dans le mode de traitement est aussi fortement
considérée lors des décisions. Cependant, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP)
reste encore peu incitative, car comme le précise l’un de nos enquêtés l’enfouissement reste
« le moyen de traitement aujourd'hui le moins cher » Directeur sud ouest groupe privé_82.

« Les choix politiques doivent avoir une crédibilité économique sinon ce n’est pas la
peine. Il y a des enjeux bien sûr aussi environnementaux […] [au sujet du bioréacteur] Ça
coûte moins cher qu’un incinérateur, la question de la rentabilité pose la question du
marché. Aujourd’hui là où on peut être le plus rentable c’est avec un centre
d’enfouissement technique. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63
« Ce qui a été perçu et repris par le syndicat, c’est le coût, ça parle beaucoup plus le coût
parce qu’effectivement ça allait coûter très cher […] Sinon le traitement des déchets par
l’incinérateur la redevance rentrait dans l’escarcelle des grands groupes et c’était très
cher, après il faut stocker les refiom, c’est très onéreux quoi, c’est très onéreux. »
FEDENV_69
« Je choisis sur les critères que j’ai mis en base à la consultation, faut pas se faire
d’illusions, dans 90 % des cas je prends le moins-disant, je prends le moins cher même
si la règle c’est vraiment le mieux-disant faut quand même pas se faire d’illusions le plus
souvent c’est… pourquoi, parce que les élus quand ils sont quand même observés sur
leurs choix sauront toujours défendre celui qui est le moins cher et auront toujours plus
de mal à défendre « ben j’ai choisi un tel il est un peu plus cher ou il est même le plus
cher le cas échéant, mais la qualité est mieux » […] C’est souvent quand même quelque
chose qui va vers l’offre la plus compétitive au plan économique, bon ce qui n’est pas
toujours la meilleure solution, mais enfin bon c’est comme ça. » Directeur sud-ouest
groupe privé_82
« Donc, lui [le président] il avait quand même une stratégie, même économique derrière
ça, puisque l’objectif était de faire reconnaître la mécanique vertueuse, et du coup de
bénéficier de taxe réduite, la fameuse TGAP […] Par exemple, au niveau transport, il est
clair qu’en mutualisant les équipements sur les territoires, on les positionne de façon
beaucoup plus cohérente car on a une vision globale du territoire, donc les installations
de traitement sont positionnées de manière cohérente et on va limiter le coût du transport
des déchets d’une installation à une autre. […] Et après on voit que pour nos coûts, il y a
aussi le bioréacteur, c’est-à-dire que la politique publique a fait le choix d’un mode de
traitement, qui a été innovant et qui, avec lequel les élus ont pu faire la démonstration de

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son caractère vertueux pour l’environnement, et là du coup on a pu bénéficier d’une taxe


réduite qui permet une réduction dans le coût global du déchet, […]. » Responsable
d’exploitation centres de tri Optitri_63
« [la TGAP] Elle a été décidée, tout le monde l’a subi, après il y a une différentiation
selon les modes de traitement, les centres d’enfouissement technique paient une TGAP
plus importante, et puis les usines d’incinération c'est en fonction de leur taux de
valorisation, donc nous, on est au plus bas, en espérant qu’on le restera. » Directeur
centre de tri incinérateur Valori_57
« […] La fiscalité si j’ose dire aujourd’hui elle est presque utilisée pour équilibrer plutôt
que pour orienter, et ça, ça rend les choses un peu compliquées pour les élus, bon, alors
en plus avec, aujourd’hui je dirais les élus sont quand même observés sur ce sujet-là par
les associations, par le consommateur, par le citoyen, bon. » Directeur sud-ouest groupe
privé_82

Si le choix des procédés de traitement intègre des enjeux environnementaux et suscitent


toujours des débats et des controverses, nous avons vu qu’ils cristallisent de forts objectifs
économiques. L’environnement semble finalement mis de côté pour conforter et assurer la
croissance économique, l’efficacité du service et la rentabilité des industries du déchet. Ainsi
face aux réalités productives l’enfouissement reste encore un choix stratégique intéressant ;
l’incinération à valorisation énergétique considérée comme un mode de traitement « propre » et
à valeur ajoutée pour les industriels continue à conserver une image suspecte ; et les projets
innovants tels que le bioréacteur nécessitent encore des retours d’expérience pour évaluer les
impacts environnementaux. La valorisation des déchets permet l’économie des matières
premières et génère des recettes d’exploitation pour chacune des installations étudiées que
nous présentons ci-dessous.

Les recettes et les coûts d’exploitation selon le mode de traitement

Comme l’indique l’un de nos enquêtés, la valorisation du déchet « a un coût, mais à la clé il a
une valeur ajoutée » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57. Les déchets représentant
aujourd'hui une ressource économique, ils nécessitent alors une gestion entrepreneuriale. Les
exploitants privés ou publics de déchets doivent dégager des recettes afin que perdure l’activité
voire qu’elle se développe. L’organisation du travail reste soumise à un impératif économique.

Dans chacun des sites étudiés, les exploitants dégagent des recettes issues de la valorisation
des déchets. Elles proviennent de la vente d’électricité (bioréacteur et incinérateur), des
mâchefers (incinérateur) et des matériaux recyclables (centres de tri et déchetteries). De plus,
chacun d’entre eux a proposé des projets innovants en faveur du développement des énergies
renouvelables ou de la valorisation, ce qui leur a permis de bénéficier d’un soutien financier et
de subventions de l’ADEME, représentant alors un renforcement de leurs revenus.

Dans le cadre de la Délégation de Service Public (DSP) contractée entre Valori et le syndicat
de traitement Propret, l’entreprise perçoit une redevance de ce dernier pour le service rendu
durant plus de 20 ans. En retour ce dernier est rémunéré par les résultats de l’exploitation soit
par les recettes de valorisation. Pendant cette période relativement longue, le prestataire
connaît ses revenus futurs et a donc des risques économiques limités. Ainsi, hors problèmes
techniques, l’exploitant est relativement protégé et en situation de monopole car d’une part son
activité est assurée sur le long terme, et d’autre part économiquement, les frais de dépense
sont supportés ici par le syndicat Propret. Enfin, dans le milieu de l’incinération le parc
d’incinérateurs est essentiellement contrôlé par deux groupes de la gestion des déchets, et les
contrats relativement longs les protègent ou limitent la concurrence.

« Les recettes c'est avant tout le service qu’on apporte à Propret et aux clients, que ce
soit à l’usine ou au centre de tri. […] Pour la DSP les prix ont été fixés dès le départ en
94, tous les prix sont fixés en 94 avec des formules d’indexation bien sûr. C’est-à-dire
qu’au départ on a défini, c'est assez compliqué la facturation, on a une part fixe qui est
celle du loyer qui correspond à l’amortissement des installations, après il y a une part fixe
d’exploitation qui correspond à la rémunération des frais fixes dans le fonctionnement de
l’installation, le personnel et la maintenance, et après il y a des redevances dites
proportionnelles pour couvrir nos dépenses qui dépendent du tonnage, parce que par

Le Travail dans les Industries de Déchets 58/160


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exemple les dépenses de maintenance pour les fours et les chaînes de tri c'est à peu
près forfaitaire, mais par contre les dépenses pour les réactifs pour traiter les fumées
sont éminemment liées au tonnage, s’il n’y a pas de tonnage on ne met pas de réactif.
Donc il y a cette redevance proportionnelle pour couvrir les frais proportionnels. […] C'est
le même topo sur les quais de transfert où il y a une part fixe pour les loyers, et le
fonctionnement du personnel, et une part variable liée au transport, et la redevance de
transport elle est fixée pour chaque matière. C’est-à-dire qu’il y a un prix au km pour les
OM, pour la collecte sélective, pour les déchets verts. Il y a une grille de facturation assez
complexe. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57
« L’électricité en dehors de celle dont ils ont besoin ils la vendent à EDF, et Propret est
intéressé parce qu’il a une part, une recette qui vient de la revente de cette électricité. »
Président Propret_59

Au bioréacteur, le procédé permet de capter du biogaz issu de la fermentation des déchets, il


est composé en grande partie de méthane qui après traitement fait tourner un moteur à
explosion. Avec une turbine, de l’électricité est créée puis convertie par un transformateur pour
être renvoyée dans les réseaux Électricité De France (EDF). Ce biogaz peut aussi être valorisé
en le transformant en biométhane carburant. Par la combustion des déchets, l’incinérateur
étudié produit lui aussi de l’électricité et a le projet de faire de la cogénération en produisant de
la chaleur pour chauffer des serres maraîchères.
25
En France, EDF a l’obligation de racheter l’électricité produite pour une durée de 15 ans à
compter de la mise en service industrielle de l’installation. Le contrat d’achat passé entre EDF
et le producteur précise les caractéristiques techniques de l’installation et définit les puissances
garanties durant la période hivernale et estivale. Une prime en fonction de l’efficacité
énergétique de l’installation peut être ajoutée. Dans le cas de nos deux installations, les
contrats sont différents car il existe un cadre réglementaire et des tarifs de rachat spécifiques à
la production d’électricité par le biogaz. Au niveau de leur fonctionnement, le bioréacteur achète
de l’électricité pour son fonctionnement, l’incinérateur quant à lui est autonome en produisant sa
propre électricité, le surplus étant revendu à EDF.

« On a un contrat avec eux de revente, donc pareil c’est un long processus pour arriver à
avoir le contrat, on a une certaine puissance à revendre à EDF et dès qu’on modifie cette
puissance en fait il faut relancer le processus, donc c’est un contrat de revente qu’on a
avec eux qui nous lie, et nous derrière on rachète de l’électricité pour notre
fonctionnement interne au site, on revend l’électricité qu’on produit et on rachète chez
eux l’électricité pour faire fonctionner le site. Donc il y a des tarifs qui sont arrêtés par
rapport à la puissance, si c’est une énergie qui arrive du biogaz ou par exemple d’un
incinérateur c’est des tarifs différents, voilà. » Responsable d’exploitation bioréacteur_72
« Alors là par contre nous produisons un bien qui est de l’électricité ou du biogaz
carburant, l’électricité nous sommes dans un marché captif parce qu’EDF a l’obligation
réglementaire de racheter cette électricité et étant donné qu’ils ont l’obligation
réglementaire, nous la vendons à personne d’autre qu’à EDF et le prix de vente du
kilowatt est normé par un arrêté ministériel qui fixe ce prix d’achat. On n’est pas dans une
logique de marché, au sens premier du terme, on est dans un marché captif. » Directeur
des services Optitri_61
« Les produits que l’on vend c'est l’électricité à EDF, et puis après c'est les matières que
l’on vend aux repreneurs. Non on différencie, pour l’usine c'est pareil on a une redevance
pour Propret pour les tonnes traitées, ensuite on a la recette de l’électricité que l’on vend
à EDF, et après on a la recette des métaux issus des mâchefers. » Directeur centre de tri
incinérateur Valori_57

Le représentant d’une fédération professionnelle rapporte que ce tarif d’achat fixé par les
pouvoirs publics n’est pas en adéquation avec le cours de l’électricité du marché. L’incinération
des déchets ne serait donc pas en soi une activité rentable, et elle ne le deviendrait que par les
26
conditions fixées dans la délégation de service public .

25
Cf. Arrêté du 2 octobre 2001
26
Or lors des entretiens lorsque nous abordions les conditions de négociation des contrats passés,
chacun des enquêtés a esquivé la question ou n’a pas souhaité y répondre.

Le Travail dans les Industries de Déchets 59/160


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« Il y a une compétitivité économique à produire de l’énergie à partir des déchets, plus


forte qu’elle ne l’est en France, et en France avec une raison en particulier c’est que les
tarifs d’une usine d’incinération qui fait de l’électricité elle bénéficie entre guillemets d’un
tarif d’achat imposé par les pouvoirs publics et qui est aujourd’hui bas, qui est même pas
au prix du marché limite, mais garanti, alors quand on travaille dans un contexte où on
travaille pour des collectivités, en règle générale les collectivités préfèrent la sécurité
dans le temps que les aléas du marché, enfin disons que ce prix il est devenu… il n’a pas
évolué de la même façon que les prix du marché et le prix du marché l’a dépassé. »
Directeur sud-ouest groupe privé_82

Comparativement à l’incinération ou à l’enfouissement, les discours signalent que les coûts de


collecte et de traitement des déchets recyclables sont dispendieux, bien que la réglementation
et le mode de gestion économique contribuent à son développement et à son renforcement.
C’est ainsi que le travail de tri est considéré comme une activité exigeante et particulièrement
complexe. Son coût est élevé. D’autres activités sont considérées comme moins « chères ».

« Aujourd’hui là où on peut-être le plus rentable c’est avec un centre d’enfouissement


technique, au centre de tri les coûts seront toujours très importants, s’il n’y avait pas les
aides d’Eco-Emballages, pour vous donner une idée, l’enfouissement revient à 40 euros
la tonne ou 50 euros, un centre de tri c’est 200 euros la tonne. » Responsable
d’exploitation centres de tri Optitri_63
« Par contre sur des prestations très complexes comme le tri et le conditionnement des
plastiques ou des papiers, là les coûts sont plus élevés et nous n’avons pas vocation à
fonctionner à 100 % à perte. » Directeur des services Optitri_61
« Après vous avez tout ce qui sont les filières dites de recyclage et autres, où là c’est
plus difficile parce que le coût du traitement est nettement plus élevé mais il y a des
recettes. » Directeur sud-ouest groupe privé_82

Dans les centres de tri, les recettes comprennent les soutiens économiques des éco-
organismes et la revente des matériaux, qui est organisée de deux façons différentes selon les
sites étudiés. Dans le cas d’Optitri, depuis 2005 le syndicat perçoit les soutiens financiers
d’Eco-Emballages et ne les reverse pas aux collectivités adhérentes, en contrepartie leur coût
de traitement est abaissé selon leur performance. Pour Valori, la vente et les recettes des
emballages sont gérées et perçues par un service de Propret, mais le papier ou JRM (Journaux,
Revues, Magasines) reste sa propriété.

« Mais de faire profiter à nos adhérents de prix de tri, de tarif de tri à la tonne entrante
très compétitif. […] Une commune ou un groupement de communes, qui vient livrer ces
déchets sur les installations d’Optitri paie le service qui lui est rendu par tonne, chaque
année nous calculons le prix de revient de telle prestation sur telle nature de déchet à la
tonne, nous réduisons ce prix de revient du montant des soutiens qui nous sont restitués
par Eco-Emballages, et nous facturons à nos collectivités membres un tarif et un prix. »
Directeur des services Optitri_61
« Il y en a qui paient un peu plus d’autres un peu moins selon leur performance, c’est là
que j’interviens avec des bilans, qui est le bon ou le mauvais élève, et donc on a un jeu
de majoration du tarif ou pas selon que l’on soit dans les bons ou les mauvais, mais bon
la moyenne est de 38 euros pour l’année 2011 tonne entrante de collecte sélective. […]
Donc c’est un prix très compétitif […]. » OF_TRI_62
« Donc les emballages restent la propriété de Propret, donc les recettes de ces
matériaux c'est pour eux, c'est Propret qui négocie ces filières de reprise, par contre les
JRM ça c'est nous qui les revendons à des repreneurs. Là on passe par une filiale du
groupe, qui est un courtier, et qui revend au mieux ces matières-là. » Directeur centre de
tri incinérateur Valori_57

Dans le cadre du tri, l’interlocuteur privilégié est Eco-Emballages qui a le monopole du


recyclage des emballages ménagers. Après avoir perçu les contributions auprès des
producteurs d’emballages, ce dernier distribue des aides aux collectivités locales ou syndicats
qui mettent en place les collectes sélectives en fonction d’un barème tenant compte des
performances. Ce dernier est jugé « complexe » voire « opaque ». En effet, un certain nombre
d’acteurs révèlent un manque de confiance et plusieurs difficultés, suscitant alors des

Le Travail dans les Industries de Déchets 60/160


08/2013

controverses et entraînant des relations complexes alors même qu’ils sont fortement
interdépendants.

« Du fait qu’on ne s’est pas plongé dedans dans les coûts de revente, on trouve que c’est
très opaque. […] C’est opaque, on ne sait jamais trop si les hausses sont bien
répercutées, si les baisses ne sont pas très fortes, ça n’est pas très transparent, et
comme ce sont souvent les mêmes qui font le traitement et qui ont aussi quelques unités
de recyclage, donc on se permet d’y mettre des fois un doute, mais on va y mettre le nez.
[…] Voir d’autres collectivités qui fonctionnement autrement que nous et comparer s’il y a
un intérêt ou pas, si le gain justifie qu’on développe une activité de vente de matériaux. »
Membre du bureau Optitri_66
« En ce qui concerne les emballages et les producteurs d’emballages, eux aussi donnent
une participation à Eco-Emballages, mais ce travail-là est opaque, car on ne connaît pas
trop le barème appliqué aux producteurs d’emballages. » OF_TRI_62
« Eco-Emballages qui à l’heure actuelle doit théoriquement prendre 80 % du coût de
collecte et de traitement et qui n’en prend réellement que 60 % […] En fait, on est très
loin, parce que sur l’enveloppe normale pour atteindre ces 80 % il nous manque
140 millions, donc on est en pétard contre Eco-Emballages pour ce manque de
résultat. » Directeur Propret_59
« Or Eco-Emballages fait tout sauf de la péréquation, de la répartition de moyens, ils font
de la communication, ils placent même de l’argent public aux îles Caïmans qu’on a
jamais vu revenir, ça a été un scandale majeur de ces dernières années sans que l’Etat
fasse quoique ce soit. » Directeur des services Optitri_61

En résumé, une partie des recettes d’exploitation sont issues de la revente de l’énergie ou des
matières de tri. Cadrés par des contrats, nous observons que les exploitants publics des
industries et les collectivités locales signalent des difficultés avec Eco-Emballages sur les coûts
de la collecte et du tri. Dans le point qui suit d’autres difficultés sont soulignées par nos
enquêtés-industriels. Se pose alors la question de la rentabilité du secteur du traitement, en
particulier celui du tri.

Les difficultés du marché : la volatilité des prix des matières et des contrats
incertains

Nous l’avons vu, le premier régime de sens se caractérise par la place singulière du travail
d’exécution effectué au sein de l’activité de tri. Les discours étaient fortement orientés sur une
mise en lumière des conditions de travail difficiles. Dans ce second régime de sens du travail de
conception de la filière, on retrouve à nouveau une particularité de cette installation du tri.
27
Nécessitant la mobilisation des acteurs de la branche professionnelle du recyclage , les
relations entre les professionnels du tri et les professionnels du recyclage sont étroites et
indispensables pour le fonctionnement des deux secteurs.

« Quelque chose de plus diversifié au niveau du tri et du recyclage parce que vous avez
à la fois les acteurs des déchets mais aussi les acteurs disons de l’industrie du recyclage
et des papetiers, ou des gens qui travaillent pour des papetiers, des gens qui travaillent
avec la sidérurgie etc. » Directeur sud-ouest groupe privé_82

Lors de la revente des matières premières de recyclage (MPR), l’une des contraintes les plus
énoncée est celle de la variation de leurs cours et plus largement de l’imprévisibilité des
marchés. Revendues aux repreneurs de l’industrie du recyclage, les MPR sont essentiellement
commercialisées sur le territoire national et européen dans le cas d’Optitri, et pour les groupes
privés elles peuvent être exportées à l’international. Inscrite dans une logique de marché
mondialisé, jusqu’en 2005 dans un contexte d’accroissement de la demande de ces matières,
notamment dans les pays émergents (Chine, Inde), la production de MPR était en constante
augmentation et le prix de certaines matières a triplé en quelques années (exemple des
métaux). Dès 2007 et jusqu’en 2010, face à la crise économique, on observe un ralentissement
dans la demande mondiale qui a entraîné la fermeture de sites de production utilisant certaines

27
Elle a connu ces 20 dernières années une expansion et une profonde restructuration. Depuis 1999, le
nombre d’emploi de la branche a augmenté de 20%. Source : Rapport annuel de Federec (2012)

Le Travail dans les Industries de Déchets 61/160


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des MPR, et une baisse généralisée des prix de vente. L’instabilité des revenus est un risque
important pour Optitri et pourrait, plus largement, enrayer le développement du secteur du
recyclage et du tri des déchets.
À la fluctuation, parfois brutale, du prix des MPR s’ajoutent les effets de stocks comme en
témoigne l’un de nos enquêtés à propos du stock du verre qui est actuellement élevé et en
retour son prix de vente a diminué. Les déséquilibres entre l’offre et la demande entraînent une
exigence croissante de la qualité des produits triés de la part des repreneurs et des hausses ou
baisses importantes des prix des MPR difficilement maîtrisables et nécessitant des ajustements
constants notamment pour les opérateurs, en particulier ici Optitri.

« [Les cours de ces matières] ils peuvent naturellement connaître des fluctuations
importantes et ça a été le cas en 2008 où les cours se sont totalement effondrés […]. »
Directeur des services Optitri_61
« Il y a une telle différence entre des marchés hauts et bas que pour nous c’est une
recette annuelle qui peut osciller entre 200 000 ou 1 million d’euros […]. » Responsable
d’exploitation centres de tri Optitri_63
« […] Vous savez aujourd’hui l’équilibre c'est surtout la Chine et l’Inde, en lisant la revue
spécialisée on se rend bien compte que ces deux pays font la pluie et le beau temps. On
est vraiment, ce qui est inquiétant, on se rend compte que s’ils bloquent tout, on se casse
la figure […]. » OF_TRI_62
« En 2009, on a plongé quand même on a perdu 850 000 euros sur Optitri. […] Ensuite,
au niveau économique, il faut qu’on jongle, il faut accepter de créer des recettes
spécifiques pour la fluctuation des cours pour temporiser ces mouvements de hausses et
de baisses, et je pense qu’il faudra de plus en plus anticiper ces choses-là, aujourd’hui
c’est reparti mais demain ça peut s’effondrer et on peut pas déséquilibrer nos budgets
parce que rien n’a été prévu. » Membre du bureau Optitri_66
« Ben c'est un marché volatile pour les matières revendues et pour les DIB (Déchets
Industriels Banals) surtout. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57
« Tout ce qui est emballages, tout ce qui est papiers, cartons, aluminium, enfin bon les
déchets métalliques et tout ça, est sur un marché effectivement qui est européen voire
mondial, il y a une exploitation en Chine, alors c’est pas sans difficultés parce que les
marchés des fois sont un peu tendus, en particulier par exemple des papetiers y compris
des papetiers extérieurs à la France se plaignent des fois qu’on aurait tendance à
exporter les papiers à la Chine plutôt que de les traiter sur place, bon c’est un marché
ouvert. » Directeur sud-ouest groupe privé_82
« Alors après effectivement, on obéit aux règles des marchés en général, plus il y a de la
matière première, plus les prix vont être bas, plus les exigences des repreneurs vont être
importantes. On est dans un cadre où les exigences des repreneurs qui reprennent les
produits peuvent être importantes, c’est le cas aujourd’hui du verre parce qu’il y avait
beaucoup de verre […], puisque dans tous les cas de toute façon la fourniture ils l’ont,
donc ils peuvent refuser telles ou telles livraisons, parce que ça leur va pas, parce que le
verre est trop petit… On rentre dans les lois du marché où les exigences et les prix du
marché sont liés aux lois de l’offre et de la demande. » Responsable d’exploitation
centres de tri Optitri_63

À cet effet, parmi les trois options de reprise des matériaux proposées par Eco-Emballages,
depuis 2010, Optitri a fait stratégiquement le choix de l’option fédération pour la majorité de la
vente de ces produits (sauf verre). Alors qu’une large majorité des collectivités adopte l’option
filière sur les matériaux issus de la collecte sélective, les arguments avancés pour justifier le
choix de l’option fédération semblent liés à l’autonomie de pouvoir établir un contrat de 3 ou 6
ans selon ces critères et avec le libre choix de son repreneur (labellisé par la Fnade et
Federec) ; d’être mieux informé sur les prix du marché ; de négocier des prix de reprise et des
prix planchers et révisables avec les repreneurs ; de se défaire d’un repreneur jugé défaillant.
L’objectif in fine étant de trouver « les clients les plus rémunérateurs » et de « privilégier la
souplesse et la réactivité ». Directeur des services Optitri_61

« Si on veut maîtriser nos prix […] on porte une grande attention à la manière dont on
revend nos produits et on s’efforce de l’encadrer par des contrats qui garantissent
notamment des prix planchers dans le cas où le marché s’effondre, on s’arrête à un
certain niveau. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63

Le Travail dans les Industries de Déchets 62/160


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« Ces repreneurs ont été retenus sur 3 critères : le prix, le partenariat c’est-à-dire
l’engagement parce que ce qu’on souhaite avec ces repreneurs ce n’est pas que d’avoir
des relations mercantiles, c’est-à-dire d’argent, bon oui on a établi des prix, avec des prix
de reprise, et des révisions de prix. Donc on voulait un vrai partenariat et on voulait que
ces repreneurs s’engagent aussi, donc on voulait des rencontres, un travail collaboratif,
qu’ils nous apportent leurs expertises de professionnels, qu’ils nous aident à améliorer la
qualité de nos produits […]. Enfin le troisième critère où le repreneur s’engage dans des
démarches de développement durable, c’est-à-dire où il nous montrait qu’il intégrait bien
cette dimension dans leurs prestations, que ce soit au niveau de l’optimisation de leurs
transports, là aussi de rechercher l’optimisation maximum pour limiter les impacts
environnementaux […] Mais après sur le prix de reprise, on a un prix avec une valeur de
référence, par exemple pour mars 2011 il y a un prix de base et puis on s’entend sur
quelle révision de ce prix, parce que le prix du carton, des plastiques, de l’acier ou de
l’alu au niveau des marchés fluctuent beaucoup. Donc on s’entend sur des prix de
référence que l’on trouve dans les revues spécialisées, et puis on dit qu’on appliquera les
hausses ou les baisses et avec un prix plancher, qui a été négocié, de façon à nous
garantir tout le temps et quoiqu’il arrive […] on nous garantit un prix minimum de recette
sinon toute notre politique serait déstabilisée. » OF_TRI_62

Pour revendre les matériaux au prix le plus fort, s’informer du prix du cours des matériaux et
détenir une capacité de stockage vaste sont deux éléments qui semblent nécessaires, mais qui
sont péniblement réalisables pour les petits centres de tri d’Optitri. La stratégie de garder du
stock est également utilisée chez Valori. Selon les propos du directeur du centre de tri, pour
mettre la pression au papetier repreneur, ils ont conservé pendant des semaines le papier, puis
menacé de le brûler à l’incinérateur s’il n’y avait pas un achat de ce stock à un prix intéressant.
Le travail de tri dépend donc fortement des prix et des capacités de traitement. Il s’agit de ne
pas devoir vendre au moment in opportun. Lors d’une visite d’un centre de tri dans l’ouest de la
France, nous avions vu qu’un hangar avait été construit pour pouvoir stocker des balles de
matières. Cet hangar permet de protéger les matières des intempéries et est aussi un lieu de
28
stockage .

« Donc on peut dire au centre de tri, bon là stop vous ne livrez rien parce que le prix est
catastrophique, donc il faut avoir les capacités de jouer avec les prix. Et quand les cours
explosent on leur dit d’évacuer au maximum. Nous, ne sommes pas vraiment en capacité
de pouvoir le faire, mais pour autant je peux indiquer au centre de tri que par exemple les
prix du plastique sont bien en ce moment ils ont pris 30 ou 40 euros de plus que le mois
dernier, donc essayez de déstocker. […] Après imaginons j’ai un produit qui subi une
baisse depuis plus de 6 mois, je peux le stocker, je suis maître à bord, mais le problème
c'est que l’on ne peut pas tout stocker. » OF_TRI_62

Un deuxième problème relaté est celui de l’approvisionnement des apports de la collecte


sélective qui ont un impact sur la qualité du tri et sur le taux de refus. À cela, s’ajoute l’éventuel
déclassement ou décote du prix de produits dû à un non-respect des standards matériaux et à
l’influence des conditions climatiques lors de la collecte sur la qualité des produits.

«La performance technique d’un centre de tri elle est difficilement mesurable en tant que
telle parce qu’elle dépend aussi de la qualité de la collecte, ce qui va faire la performance
globale du système c’est plus la collecte que le centre de tri, si j’ai une collecte qui est de
très mauvaise qualité je vais avoir beaucoup de refus. » Directeur sud-ouest groupe
privé_82
« Dans les cahiers de charge il y a des pesées qui peuvent être contradictoires, c'est
surtout sur les fibreux et les cartons que l’on peut avoir des déclassements et des
décotes, mais parce que mettons il pleut, le carton mis en balle va être mouillé il aura un
peu d’eau, et une fois qu’il arrive dans la papeterie il aura un peu séché donc on va avoir
une différence de poids, donc le tonnage dans la papeterie ne sera pas tout à fait le
même et ensuite il peut y avoir aussi quand le papetier va déliter ces balles il va se
rendre compte que le carton n’est pas de très bonne qualité, mouillé etc. Donc il va pas
pouvoir le travailler de la même façon, donc il peut y avoir des décotes, mais ça, c'est

28
Propos recueillis auprès du chef d’équipe de l’installation.

Le Travail dans les Industries de Déchets 63/160


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également compris dans le cahier des charges et le contrat que nous avons passé sur
les déclassements éventuels. » OF_TRI_62

Enfin, la dernière difficulté rapportée est celle des contrats avec les clients et les appels d’offres.
Bien que chacun des industriels du déchet exprime l’importance de maintenir de bonnes
relations avec ses clients, certains de ces acteurs soulignent les « mauvaises » pratiques
d’entreprises clientes et/ou la complexité et la durée variable des contrats. Ceci requiert une
gestion administrative et commerciale toujours plus poussée et préventive pour tenir les
objectifs économiques, et une accentuation des partenariats plus stratégiques notamment dans
l’élaboration des contrats.

« En termes de collectivités publiques, on a 8 clients, et après on a une bonne vingtaine


de clients privés en DIB un peu plus éparpillés, mais sur des marchés beaucoup plus
volatiles, c’est-à-dire que les contrats peuvent durer 6 mois ou un an, et l’année d’après
c'est remplacé par un autre ou ils s’en vont. » Directeur centre de tri incinérateur
Valori_57
« Nous avons des difficultés ponctuelles, ça, c’est inévitable, avec des entreprises
clientes de nos prestations, un jour par exemple une entreprise a dissimulé dans des
déchets très ordinaires des produits dangereux qui ne doivent jamais être mélangés, elle
a fait ça pour éviter de payer très cher le traitement de ces déchets spéciaux.
Malheureusement le camion benne dans lequel ont été déposés les déchets par
l’entreprise, les déchets se sont mélangés et il y a eu une très grosse explosion, un
incendie grave, et donc nous avons un problème majeur qui va aller au contentieux avec
cette entreprise. Nous avons le même problème avec le bois de classe B, du bois de
mauvaise qualité avec des revêtements, des colles, des choses comme ça, dans le sud
du département où une entreprise n’a pas tenu ses engagements vis-à-vis de nous. »
Directeur des services Optitri_61

Dans l’ensemble des sites étudiés, il s’agit de fidéliser les clients ou de concourir à la recherche
de nouveaux marchés pour justifier la taille des équipements et s’assurer de tenir et
d’augmenter les performances et les objectifs économiques. Gagner des appels d’offres est
devenu un véritable enjeu, autant pour les acteurs privés que publics. Ainsi, cela réclame
29
l’adoption de comportements stratégiques adossés à des enjeux économiques . Une mauvaise
journée de travail du côté de la conception est souvent causée par une mauvaise nouvelle
économique pour l’entreprise.

« La mauvaise journée c'est les mauvaises nouvelles, on n’est pas retenu à un appel
d’offres répondu […] Ici il y a tout un travail, bon on capte les déchets du principal
syndicat Propret, mais on doit aller chercher d’autres clients et marchés, et on a d’autres
clients, on a des centres de transfert et des installations périphériques, donc il y a tout un
travail en amont de commerce lié à la recherche de déchets pour saturer l’outil
industriel. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57
« Hier l’objet de la venue de mon chef c'était la présentation d’interlocuteurs sur la
revalorisation des mâchefers, avec la société X qui exploite pour nous la plateforme de
mâchefers, des industries du recyclage qui sont spécialisées dans le négoce des métaux
que l’on récupère. Donc voilà c'était la présentation et la mise en relation de ces
industriels-là avec qui peut-être plus tard on pourra envisager un contrat avec eux. Après
on a abordé des appels d’offres en cours, pour savoir comment on se positionne, ce que
l’on met en valeur […] » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57
« Nous, nous cherchons à gagner des tonnages et à gagner des marchés, c’est pour ces
raisons qu’on est allé prendre le marché du [département limitrophe] parce que nous
avons besoin de tonnage […] les recettes d’exploitation que nous dégageons, nous
n’avons pas de marges financières à constituer, nous amortissons nos investissements
comme il se doit mais nous redistribuons nos excédents à nos adhérents sous la forme

29
Dans le cas d’Optitri, depuis 2010, une importante partie des déchets de ce département est exportée
pour être traitée dans le bioréacteur. Le marché conclu était pour une durée d’un an renouvelable trois fois,
permettant alors à ce territoire de se doter de nouveaux équipements pour le traitement de ses déchets.
Depuis, un partenariat ou coopération interdépartementale a été crée entre eux, dans lequel Optitri « va
aider à la conception de futurs centres de X » (Directeur des services Optitri_61).

Le Travail dans les Industries de Déchets 64/160


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de tarifs qui sont en réduction permanente depuis 2006 » Directeur des services
Optitri_61
« Le rôle d’Optitri est important, c’est que bien évidemment les apports financiers sont
toujours un peu source de motivation et de stimulation, donc il faut quand même rester et
créer un partenariat très fort avec nos collectivités adhérentes […] Alors pour que la
collectivité n’oublie pas que justement ce tarif c’est grâce à eux aussi, c’est bien parce
qu’on a beaucoup de tonnage, qu’on recycle beaucoup, que l’on a des soutiens très
élevés qui nous permettent de mener cette politique. Donc il faut maintenir cette pression
entre l’un et l’autre, et ça ne peut s’entendre qu’avec un partenariat très fort entre
syndicats de collecte et syndicat de traitement. » OF_TRI_62

Pour terminer sur ces propos sur l’économie des déchets, l’enjeu de la réduction des déchets
interroge le devenir de ces installations et sûrement de nouvelles orientations à prendre.

La réduction des déchets : un objectif politique contre des objectifs industriels ?

Sur les objectifs de réduction des déchets _priorités actuelles et réaffirmées dans la politique
des déchets_ peu d’acteurs ont réagi à cette question. Mais la prévention de la production des
déchets est tout de même mobilisé dans les discours. Ce sont les conséquences économiques
de la mise en place de la redevance incitative, couplées aux conséquences sociales sur les
ménages qui sont interrogées par les acteurs. Nous verrons que là aussi les avis et
préoccupations des acteurs divergent sur ce principe de prévention.

Pour la fédération environnementale les efforts en la matière ne sont pas suffisants, voire
balbutiants. Les professionnels du déchet font état d’une contradiction entre d’un côté la
construction d’équipements importants en termes de volume afin d’accueillir un maximum de
déchets pour saturer l’installation ; et de l’autre les politiques de sensibilisation visant la
réduction de la production des déchets. Ce paradoxe repose la question politique de la
rentabilité des installations.

« Alors réduction des déchets à la source il y a des choses qui ont été faites c’est vrai,
c’est très lent parce que c’est le système productif et le lobbying industriel qui n’est pas
d’accord pour changer les choses, là le plan de sensibilisation que vont faire tous les
départements parce que c’est associé à des subventions donc c’est une motivation
importante, effectivement ça va dans le bon sens mais […] les objectifs sont très limités
en fait, même pour le Grenelle 2 de l’environnement c’est pas exceptionnel »
FEDENV_69
« On a des installations qui aujourd’hui tiennent économiquement, parce qu’on y met des
produits, s’il y a des moments où l’on en met moins, les coûts vont être plus importants.
On fonctionne, nous quand on fait un bioréacteur, on le dimensionne pour 180 000
tonnes, quand on en rentre 150 000 tonnes on gagne pas autant d’argent quand on en
rentre 180. Sur les centres de tri, c’est la même chose, si du jour au lendemain, il rentre
moins d’emballages qu’on avait prévu, et bien la rentabilité de l’outil va diminuer. […] il y
a ce paradoxe où en même temps on développe une politique de prévention des déchets
avec une personne qui va s’en occuper et en même temps on dit qu’il faut en prendre
toujours plus. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63
« Donc il y a débat et puis le Grenelle a prévu de limiter le nombre d’ouverture
d’installations pour justement inciter à la prévention des déchets, ce qui dans le principe
est très bien, mais en attendant la réduction des déchets, on fait quoi, il faut bien les
traiter les déchets existants. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Du côté des politiques, à nouveau les coûts sont interrogés au regard de la réduction des
déchets. Ainsi un des élus qui semble sensible et réceptif à cette politique montre la difficile
conciliation autour des enjeux environnementaux et économiques. Le président du syndicat
Propret en se référant à la redevance incitative comme moyen de baisse de production des
déchets manifeste le rejet de ce dispositif en argumentant les effets pervers qu’il pourrait
engendrer.

« On est confronté à un dilemme, c’est qu’une bonne partie des ressources d’Optitri se
font par les tonnages, donc on a un plan ambitieux de l’ADEME sur la réduction des

Le Travail dans les Industries de Déchets 65/160


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déchets auquel Optitri va participer, on va essayer de l’atteindre, on ne va pas faire une


opposition à l’ADEME, on va essayer d’atteindre les objectifs de réduction des déchets.
Les collectivités ont pas mal commencé déjà, je connais bien nombre de collectivités qui
ont mis en place le compostage individuel. Après nous il faut savoir que nous, on s’attend
à un afflux de population qui va augmenter donc sur notre site je vois pas comment on ne
va pas baisser nos tonnages, mais on participera à tout ce qu’il faut mettre en place en
termes de communication pour que l’individu réduise ses déchets, on rentrera dans la
mécanique. Il faut faire quelque chose pour réduire les déchets, mais on risque de
déséquilibrer, bon nous, on va le compenser par les augmentations de population, mais il
ne faut pas que ça devienne un prétexte pour augmenter le prix de la prestation. »
Membre du bureau Optitri_66
« Le maire se félicite d’avoir mis en place la redevance incitative […] il se félicite parce
que la production des déchets incinérés est passée l’année où il était encore à la taxe
traditionnelle de 300 kg par habitant et qu’en passant à la redevance incitative ça a chuté
à 170 kg. Non mais vous croyez que du jour au lendemain on passe de 300 kg à 170 kg,
et dans de telles proportions vous ne voyez pas ce qu’il s’est passé ? C'est comme ça
que je suis allé à côté de X je suis allé me rendre compte au 31 août là-bas et je voyais
des cheminées qui brûlaient alors qu’il faisait 30 ou 35C°, qu’est ce qu’ils font là ? Et on
m’a dit ils brûlent les déchets c'est tellement cher qu’ils les brûlent… alors là oui ils ont eu
la réduction des déchets mais pour le développement durable je vous garantis que ce
n’est pas bon du tout car les dioxines et les furanes qui s’échappent c'est pas bon du
tout. » Directeur Propret_59

Un dernier élément de nos terrains d’enquête relevant des stratégies économiques est apparu.
Il s’agit de la coopération entre les industriels qu’ils soient privés ou publics. Bien que la mise
en concurrence demeure dans le secteur, on constate que les arrangements et les relations
sociales entre les entreprises concurrentes, au moins au niveau régional, semblent
incontournables pour garantir l’équilibre productif, économique et social.

La coopération entre opérateurs industriels privés et publics : des intérêts


économiques partagés

Les liens entre prestataires privés et publics dans le territoire qu’il soit à l’échelle du
département ou de la région sont importants. On constate des modes d’interactions entre les
acteurs publics et privés et des partages sur des opérations particulières. Ces coopérations
apparaissent nécessaires pour mener à bien des projets ou des actions environnementales,
pour servir des enjeux stratégiques et économiques, ou encore pour remplir leurs obligations de
30
traitement de déchets parfois stoppées lors de pannes techniques, de travaux d’optimisation ,
d’aléas climatiques (envols de déchets lors de grands vents à proximité d’habitations sur le
bioréacteur) et de grève. Ainsi, dans les cas exposés ci-dessous, un travail de collaboration a
été mené pour un bénéfice mutuel.

« On a eu une convention de réciprocité de tonnage, c’est-à-dire que si on a un problème


sur notre bioréacteur pour mettre les déchets et bien on les enverra à Valori, et si eux, ils
ont un problème avec leurs fours ils viendront les mettre ici, des conventions pas de tarifs
mais de tonnage. On n’a pas eu encore recours mais c’était une demande des deux
parties, dans l’idée de sécuriser la filière. Ce ne sont pas des ennemis, ce ne sont pas
des amis non plus. » Membre du bureau Optitri_66
« Alpha avec laquelle nous avons d’excellentes relations, des relations amicales de
coopération personnelle, d’excellentes relations de coopération technique, nous faisons
des choses ensemble, nous avons en particulier engagé une démarche de préservation
de la biodiversité sur l’ensemble de nos sites, donc avec les entreprises nous n’avons
pas de difficultés. » Directeur des services Optitri_61
« En cas de besoin on s’échange des tonnes, donc on est concurrents mais aussi
collègues, par exemple quand il y a eu des grèves sur X […] on a traité leurs déchets, on

30
Valori a accueilli pendant plusieurs semaines, des équipes de tri d’un autre centre de tri, qui connaissait
alors d’importants travaux d’optimisation. Ce centre de tri est une filiale d’un groupe privé et concurrent du
groupe dont appartient Valori.

Le Travail dans les Industries de Déchets 66/160


08/2013

pouvait pas tout prendre […] C'était une sorte de challenge de montrer au public que le
privé c'est garantir la continuité du service » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Bien que la défense de l’intérêt général, la spécificité du service public et le modèle Optitri
soient constamment affirmés dans les entretiens des salariés et représentants de cette
31
structure , certains services organisationnels font appel au retour d’expérience dont bénéficient
les groupes du secteur privé. Leur mode de gestion du personnel, leur organisation de travail,
leurs outils peuvent servir d’appui ou d’exemple comme en témoigne la responsable ressource
humaine d’Optitri. Les logiques et méthodes du privé sont ainsi examinées, sans pour autant
être adoptées, pour gagner en efficacité et améliorer les performances économiques ou
productives de l’entreprise publique. La question du travail des opérateurs est souvent abordée
par ces échanges.

« Non mais il m’arrive d’aller les voir [les groupes privés], ou de les contacter quand je
développe des projets. Par exemple, je travaille sur un projet sur le lavage des tenues
vestimentaires, temps de douche et temps de change, j’ai pris contact avec toutes ces
grandes boîtes pour savoir quelles sont leurs pratiques, bon le code du travail s’applique
pour eux comme pour nous sur cette thématique, mais ils ont un recul que nous on n’a
pas… ils ont testé plusieurs pratiques, ils ont changé plusieurs fois de pratiques, ils sont
revenus sur les anciennes, bref aucun n’a la même vision des choses, ni les mêmes
pratiques, ni la même culture d’entreprise, donc pour le coup j’essaie de plus en plus de
les contacter, d’avoir des relais et d’échanger sur des thématiques qui me concernent. Je
vais travailler aussi sur l’annualisation du temps de travail des chauffeurs, aujourd'hui ils
ne sont pas annualisés mais notre objectif est d’y arriver et du coup je sais que je vais
aller voir ce qui s’est fait, comment ils ont fait, comment ils y sont passés quels outils ils
ont pris parce que c'est pas qu’on ne soit pas des spécialistes du déchet mais il y en a
qui l’était bien avant nous, ça fonctionne de la même façon transporter des déchets que
l’on soit dans le privé ou le public, après nous avons nos propres contraintes
réglementaires mais au-delà de ça on est toujours sur du transport des déchets, donc
j’en profite vraiment maintenant pour lever ma tête, sortir de mon petit bureau et de mon
guidon et d’aller voir où il est nécessaire d’aller, comprendre où ils s’y sont arrivés, ce qui
marche ou ce qui ne marche pas, anticiper certaines difficultés qu’ils ont pu rencontrer,
donc dans le domaine RH c'est plutôt des partenaires, des supports, je les sollicite. »
RH_Optitri_65

Enfin, les liens avec les groupes privés sont quasiment obligatoires dans un secteur contrôlé
par ces derniers. Par exemple, dans le cadre de la collecte sélective et de la revente des
matériaux, Optitri vend ses produits à des filiales de ces groupes, qui finalement assurent une
part de la collecte, une majorité du traitement et qui bouclent la boucle soit en étant des
intermédiaires entre le centre de tri et l’industrie du recyclage, soit en étant des opérateurs du
recyclage.

« Ces multinationales peuvent être nos repreneurs, hormis l’alu où notre repreneur est du
département, on travaille avec ces industriels-là, tous les autres produits ce sont des gros
opérateurs industriels. En fait, ils ferment la boucle, ils ont leurs propres exutoires, ça
veut dire qu’il n’y a pas de négociants entre, ils ont leurs propres usines, d’où le fait de
pouvoir mieux négocier les prix, il n’y a pas d’intermédiaires. C'est la loi du marché. »
OF_TRI_62

***

Au fur et à mesure de notre exposé sur « le travail de conception », nous avons tenté de mettre
en lumière le travail de collaboration et de négociation, et les modes de coordination entre les
différentes parties prenantes qui œuvrent au processus de régulation du secteur des déchets
ménagers. Il s’agit d’un véritable travail d’organisation de la filière. Ce travail a des
conséquences sur le travail d’exécution, ses conditions, le nombre d’emploi et le type d’activité.
Nous avons explicité la multiplicité et la complexité des relations entre les acteurs.
L’hétérogénéité des territoires porteurs de logiques différenciés, la diversité des enjeux et les

31
Cf. axe 2.

Le Travail dans les Industries de Déchets 67/160


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interdépendances entre les acteurs conduisent à des ajustements et arrangements


territorialisés. Les relations peuvent être tendues voire conflictuelles entre les services de l’Etat,
les élus locaux des collectivités territoriales, la fédération environnementale et les industriels du
déchet. Elles peuvent aussi êtres atténuées lorsqu’est trouvé un compromis. Notons que
l’accord n’est pas toujours équilibré. Certains acteurs détiennent plus de ressources, de marges
de manœuvre et de zones de pouvoir que d’autres. Bien que les visions réglementaires soient
différentes au niveau économique, politique et technique, les difficultés rencontrées par nos
terrains étudiés, qu’ils soient publics ou privés, sont les mêmes. La logique financière et
économique s’exerce sur les professionnels des déchets et aide à la définition de choix et de
pratiques et à l’élaboration de leurs propres stratégies. Les effets du marché des déchets, en
particulier pour les emballages ménagers, sont peu maîtrisables et mènent à des incertitudes
fortes qui pèsent sur les industries et contraignent l’activité de travail des opérateurs.
Le travail de conception du secteur des déchets organise les filières de déchets. Le travail
d’exécution s’occupe de sortir la production. A ce jour, la conception ne fait que commencer à
porter attention et à s’interroger aux conditions de travail dans ces industries.

Le Travail dans les Industries de Déchets 68/160


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4 Axe 2 : Les logiques d’action du traitement des déchets


La gestion des déchets est une problématique complexe du fait de l’existence de points de vue,
d’intérêts et de valeurs divergents et variés entre les différentes parties prenantes et de la
multiplicité des dimensions qui sont en jeu (techniques, industrielles, économiques,
environnementales et sociales). Dans la partie précédente, nous avons qualifié d’une part le
travail dans les centres de tri de déchets tel qu’il a été rapporté par les opérateurs du tri et
d’autre part nous avons qualifié le travail de conception avec le réseau d’acteurs intervenant
dans la gestion des déchets.

Cette deuxième partie questionne les logiques d’action mises en œuvre qui nous permettent
de comprendre ce qui détermine leurs pratiques en périphérie et à l’intérieur de leurs
installations, d’appréhender ce qui façonne leurs modes de gestion et schémas d’action et
d’apprécier les valeurs qu’elles soutiennent et les intérêts qu’elles défendent. Il s’agit de
s’intéresser la manière dont les acteurs se représentent leur « structure d’appartenance »,
comment ils la définissent et agissent dessus. Comme la première partie sur le travail, cette
seconde partie sur les logiques d’action suit strictement les résultats de l’analyse factorielle des
discours : nous suivons dans notre exposé les axes de l’analyse (logiques d’actions) proposons
de qualifier les deux extrêmes (régime de sens) et mobilisons les extraits d’entretiens
correspondants, voir des observation de terrain.
32
Le deuxième résultat , important de notre étude est donc celui d’une tension qui oppose les
logiques d’action du secteur public à celles du secteur privé du traitement des déchets
ménagers.

Ce clivage est d’autant plus significatif de par la distribution des groupes d’acteurs appartenant
au secteur public ou privé. Les discours sur « les logiques d’action publique » sont représentés
par des contremaîtres des centres de tri et des élus politiques membres du bureau de la
structure Optitri. Les discours sur les « logiques d’action du privé » sont composés
essentiellement par des salariés de l’entreprise Valori, en particulier de l’incinérateur, mais
33
aussi par quatre salariés du tri : un directeur d’exploitation d’un centre de tri en gestion privée ,
le chef d’équipe, un responsable de presse et un agent maintenance du centre de tri Valori.
Comme nous venons de le voir les deux logiques peuvent être complémentaires ou même
collaboratives. Mais les résultats de notre démarche insistent ici sur leur opposition et
contradiction. De plus et contre toute attente, on observe en général que les opérateurs des
structures privées ont un discours plus syndical et focalisé, en partie, sur les négociations
collectives sur des thèmes relevant de politique sociale et économique que ceux du public. Le
travail d’exécution et de conception est ici situé dans son contexte : le service public et
l’entreprise privée.

Nous verrons ainsi que ce qui distingue sur cet axe les logiques d’action se rapportent :

- à une conception différenciée du service du traitement des déchets ménagers


- à différentes entreprises (Valori et Optitri)
- à la manière dont les professionnels du déchet estiment devoir rendre leur service : la
population locale ou les collectivités clientes
- à la mise en place de choix et stratégies de groupe par Valori (filiale d’un grand groupe
privé) comparé à Optitri où les stratégies apparaissent plus indépendantes.

Cependant, nous verrons aussi que les logiques d’action du privé et du public sont analogues,
d’une part car comme les entreprises privées, les installations en régie publique sont soumises
à maintenir des objectifs de production et de rentabilité ; d’autre part parce que nous avons
observé à l’intérieur des installations des méthodes modernes de gestion, d’organisation, et
plus timidement de management similaires à celles du privé.

Dans les deux cas, les acteurs mettent en avant leurs entreprises, en décrivant leurs mérites et
l’efficacité quitte à déprécier des entreprises concurrentes.

32
Le deuxième axe est celui des « logiques d’action », il explique près de 8 % des informations de départ
33
Ce centre de tri ne fait pas parti de nos terrains d’investigations.

Le Travail dans les Industries de Déchets 69/160


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Un ensemble de questions est posé dans cette partie : quels sont les arguments rapportés en
faveur d’une gestion privée ou d’une gestion publique des traitements de déchets ? Quels sont
les arguments qui légitiment le mode de gestion ? Vers qui est tourné le service ? Quels sont
les intérêts et valeurs défendus ? Quelle place est faite à l’innovation dans le service ?

Le plan de cette partie est structuré en deux sous-partie : la première s’attache à identifier les
logiques d’action publique et la seconde celles du secteur privé.

4.1 Logiques d’action publique

Cette première sous-partie mobilise les discours pour interpréter les valeurs et les
représentations qu’ont chacun de nos enquêtés sur la gestion publique du secteur de traitement
de déchets. Les discours sont focalisés essentiellement sur le « modèle d’Optitri », véhiculant
des valeurs du service public ils sont orientés vers l’usager et la notion de service. Ils sont
34
portés par des élus locaux membre du bureau d’Optitri, par une opératrice polyvalente , et les
deux contremaîtres d’exploitation des centres de tri interrogés lors de la première phase
d’entretien. Nous verrons quelles sont les visions qu’une structure publique (Optitri) véhiculent
sur elle-même. Comment légitiment-ils leurs activités ? Quelles valeurs défendent-ils ? Qu’est-
ce qui les caractérisent ? Quelles critiques renvoient-ils à l’égard du privé ? Comment orientent-
ils leur activité au regard de ces valeurs défendues ?

Figure 3 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d'importance

Variables Mobilisées Individus du groupement

- Optitri BU_67 Abréviations postes et fonctions :


- Autres installations BU_60
BU : Membre du bureau Optitri / élus
- Acteurs politiques locaux BU_68 locaux
- Usagers
TRC_46 TRC : Trieuse polyvalente
- Culture d'entreprise RE : Responsable d’exploitation centre de
RE_28
tri Optitri
RE_24

Afin d’analyser les groupes d’acteurs et les discours qui composent ce premier régime de sens,
le plan de cet exposé est développé en trois points : la vision de la gestion des déchets au
prisme du modèle Optitri (1), la confrontation du public au privé (2), la place de l’usager (3).

4.1.1 La figure du syndicat départemental Optitri : un modèle environnemental


et pour l’emploi ?35

Pour analyser les propos suivants, il importe de présenter brièvement la construction de la


structure.

En 1995, l’Etat envisageait la construction d’un incinérateur à valorisation énergétique dans le


département. Mais face à un climat de contestation « généralisée » de ce mode de traitement,
le Président actuel du syndicat propose au Préfet de travailler sur un projet alternatif pendant
une période de 2 ans. Une démarche de concertation est entreprise, constituée de trois
collèges associatifs : élus, société civile, associations riveraines et environnementales. Cette
démarche de réflexion reposant sur la tenue de 257 réunions sur le département, selon un

34
Ancienne ambassadrice ; actuellement agent de déchetterie, agent de caractérisation et trieuse. De par
son statut singulier, elle a pu être en contact quotidiennement avec les usagers et institutions locales
(écoles) dans sa mission d’ambassadrice du tri, elle est en lien également avec les élus locaux des
communautés locales lors des caractérisations de la collecte sélective.
35
Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Optitri, acteurs politiques locaux ».

Le Travail dans les Industries de Déchets 70/160


08/2013

quotidien régional (Édition du 04/10/2002), visait à définir collectivement un mode de gestion et


de traitement en vue de l’acceptabilité du projet.
En 1998 le plan départemental n’excluait pas le projet d’incinération, mais prévoyait la création
d’un syndicat mixte départemental pour la valorisation des déchets ménagers et assimilés,
confortant ainsi l’orientation préconisée par les élus et le porteur du projet d’Optitri. Le syndicat
mixte départemental est donc créé en 1999 avec le soutien du Conseil général, il constitue
l’outil de mutualisation du plan départemental d’élimination des déchets ménagers et assimilés.
36
Il détient les compétences de valorisation et de traitement des déchets ménagers et assimilés ,
et se trouve aujourd'hui en position de leadership sur le département en traitant 75 % des
déchets du territoire, auxquels s’ajoutent les déchets de communes et collectivités de trois
départements limitrophes. Deux communes, importantes du département, ont refusé l’adhésion
au syndicat pour des raisons politiques (Bahers, J.B., 2012) et parce qu’elles avaient les
moyens de traiter leurs déchets dans un centre d’enfouissement.

Le syndicat Optitri, décrit comme « un modèle », cumule ainsi plusieurs volets : le financement
des investissements, la maîtrise d’ouvrage et la régie d’exploitation et de traitement des
déchets ménagers.

La prise de position en faveur de la régie publique et de l’intérêt du regroupement en un


syndicat mixte départemental a été une ressource argumentative pour, d’une part, légitimer le
processus de départementalisation, et d’autre part, adhérer à la structure. Outre le
développement local adossé à des enjeux économiques et politiques, on peut notifier des
arguments en faveur d’une prise d’indépendance, d’autonomie et de contrôle envers des
groupes privés, mais aussi des projets de l’Etat en excluant le projet initial qui privilégiait
l’incinération. Le système du bioréacteur choisi dans le département est considéré comme plus
vertueux et moins coûteux techniquement tant en investissement qu’en fonctionnement : le
bioréacteur.

« Franchement moi je préfère le public, alors pourquoi je préfère le public… j’ai


l’impression d’en décider un peu mieux, mais c’est peut-être parce que je suis ici […]
mais je crois aussi que c’est moins cher quand même. […] à partir du moment où on
er
nous rabâche qu’Optitri est le 1 en France à avoir élaboré un système de ce style-là on
va se dire on s’est accroché au bon endroit, je ne sais pas, je ne sais pas, les autres ils
brûlent là-bas à Valori, je suis assez contre finalement, le système d’ici me plaît
davantage […]. Sinon Optitri qu’est-ce qu’il nous amène, déjà c’est notre exutoire pour le
traitement, c’est déjà énorme, c’est déjà énorme quand même » Membre du bureau
Optitri_67
« Il y a quelques entreprises privées qui travaillent avec nous notamment au niveau du
transport ou sur des prestations bien particulières mais autrement je pense que 90 % du
service est réalisé en interne, et c’est une volonté affirmée du Président, et il le
revendique d’ailleurs. […] ça, c’était vraiment une volonté de la part Président de faire ça
et de travailler qu’en régie » Contremaître d’exploitation_28
« Le bioréacteur relève de l’environnemental et de l’économique, car c’est un choix qui
est lié aux deux, pourquoi on ne voulait pas de l’incinération parce qu’on n’est pas sûre
de tous les rejets, qu’est ce que c’est, quels sont les risques ? Et deuxièmement quand
vous faites un four c’est au moins pour 40 ans car ça coûte très cher, donc là justement
vous avez intérêt à avoir une matière qui arrive tout le temps. Un bioréacteur même si on
perd 10 000 tonnes, c'est pas grave, et puis c’est une méthode qui est réversible, on finit
un casier, on le ferme et donc c'est une méthode qui est à peu près réversible et qui ne
nécessite pas un investissement lourd c’est important c'est plusieurs millions d’euros
mais c'est pas comme un incinérateur… » Membre du bureau Optitri_68

L’adhésion des collectivités au syndicat semble aussi avoir été facilitée par la personne du
Président (membre fondateur de la structure). Exerçant de multiples responsabilités politiques à
l’échelon national et local (communes, Conseil général), on observe que son implication dans la

36
Outre, la compétence des déchets, Optitri concourt au développement des énergies renouvelables par
le biais d’un pôle de recherche sur l’hydrogène, la biomasse et le biocarburant. En 2013, le Président du
syndicat à reçu une Marianne d’or (trophée qui récompensent les élus locaux pour une action particulière)
dans la catégorie développement durable.

Le Travail dans les Industries de Déchets 71/160


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problématique du déchet, sa popularité dans le département, et « ses accès » au niveau


national, ont joué un rôle déterminant et influant sur l’engagement des élus locaux autour du
projet Optitri au point où, dans les entretiens, sa personnalité se confond parfois avec la
structure. Selon nos enquêtés, cet élu pilote, entouré d’alliés politiques et d’amis personnels, a
initié ce projet et mené diverses actions au niveau départemental et national pour le mener à
bien. Pour cela, il a construit des alliances et conduit un travail relationnel afin que son action
soit légitimée et soit adoptée par un plus grand nombre d’acteurs et d’élus locaux du
département.

« Puisque ce département est vraiment de sensibilité de gauche gauche et la chance


qu’on a est qu’on a un Président qui est très actif, qui connaît son sujet, qui vit pour
Optitri, et pour faire progresser Optitri en permanence. Au niveau des élus ils sont tirés
par le Président, c’est vraiment lui qui fait avancer Optitri » Contremaître
d’exploitation_28
« On est un peu une exception dans ce département, ça a été un peu le hasard, on aurait
pu se retrouver avec des… bon ça tient à notre sénateur, s’il n’avait pas été un peu
génial ça ne se serait pas fait comme ça, on aurait fait comme partout ailleurs, des fois
c’est le destin, un gars il change tout. » Membre du bureau Optitri_60
« Ça, c’est l’esprit je dirais X [président du syndicat], c’est l’esprit de l’association des
maires qui fait que certaines activités ça ne va pas se faire au niveau municipal ni
intercommunal, il faut qu’il y ait une structure départementale quoi. Donc les ordures
ménagères on ne savait pas s’en occuper, c’est l’association des maires qui a monté ça
qui s’appelle Optitri » Membre du bureau Optitri_60
« Bon X au Sénat avait de bons relais avec le ministère quand Y était ministre. Bon
apparemment maintenant c’est plus difficile avec Z parce qu’elle a moins le temps de s’y
consacrer parce qu’elle a un ministère beaucoup plus large. » Membre du bureau
Optitri_60

Les élus politiques et membres du bureau interrogés valorisent la régie publique. La manière
dont s’est créée Optitri semble être l’illustration d’une volonté politique prônant des valeurs
sociales et environnementales pour consolider une identité et une légitimation locale. À cela, un
des fondements du service public est constamment énoncé dans les entretiens de ce groupe
37
d’acteurs : la notion d’égalité et d’équité territoriale entre villes et campagnes. Ce souci
d’intérêt général est justifié et promu par la question des territoires isolés dans laquelle sont pris
en compte les coûts économiques du traitement des déchets. L’analyse du territoire faite par
ces acteurs révèle à la fois la notion de solidarité entre les communes et constitue un facteur
supplémentaire d’adhésion à la structure. Le dispositif Optitri se base ainsi sur le procédé de la
péréquation des ressources et sur la mutualisation des équipements et du service, le coût du
traitement des déchets ne variant pas selon la situation géographique de la collectivité
adhérente.

« Parce que ce qui est extraordinaire à Optitri c’est que tout le monde a la même
cotisation quel que soit le lieu du département. […] C’est ce qui fait que dans Optitri, les
maires ruraux, plus les gens ils sont défavorisés plus ils sont pour Optitri, ceux qui sont
moins dans Optitri c’est les gens des grandes villes. Les grandes villes à la rigueur ils
pourraient s’en débrouiller tandis que les gars qui sont dans la montagne là-haut s’ils
n’ont pas Optitri ils seront bien embêtés. » Membre du bureau Optitri_60

Les arguments d’adhésion et d’intérêt à être partenaire de la structure sont également mobilisés
autour de la stratégie d’un développement local. La maîtrise du traitement des déchets s’avère
être un levier stratégique pour la création d’emploi, ce qui profite à certaines communes. Les
38
centres de tri sont situés dans d’anciens bassins d’emplois aujourd’hui sinistrés , où le taux de
chômage est relativement important (en 2009 : 17,2 % dans la commune de C1, 12,9 % dans la
39
commune de C2 ) en comparaison avec celui du département cette même année qui est
estimé à 10,2 %. Ici, on retrouve une logique d’intérêt général défendu par le maire de la petite
commune qui accueille le centre de tri. Si les considérations électoralistes ne sont pas

37
Mais aussi par l’ensemble des cadres et dirigeants de la structure.
38
Anciens bassins miniers et industries du textile auxquels s’ajoutent les fermetures et délocalisations
d’entreprises.
39
Source Insee

Le Travail dans les Industries de Déchets 72/160


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exprimées, adhérer à la structure était « une opportunité ». Il est également souligné la


nécessité pour un service public de jouer un rôle social pour combattre l’exclusion de certaines
populations.

« Mon prédécesseur a adhéré à cette structure et puis bon moi je m’y suis retrouvé
automatiquement et puis avec cette opportunité de centre de tri, parce que centre de tri
ça voulait dire des emplois donc ça nous intéressait énormément et c’est pour ça que je
suis rentré, que je me suis impliqué dans Optitri au départ, ça a été un peu une aubaine
quoi […] Mais moi je pense qu’il y a une centaine de personnes qui sont à Optitri, que ce
soit au bioréacteur, que ce soit sur la déchetterie, que ce soit sur les chaînes de tri, s’ils
n’étaient pas à Optitri ils seraient au chômage aujourd’hui » Membre du bureau Optitri_60
« Je pense que souvent on ne voit pas le social, alors qu’Optitri a 200 employés et la
valorisation nous permet de créer des emplois » Membre du bureau Optitri_68

Ce rôle social, également relaté dans les entretiens des deux contremaîtres d’exploitation des
centres de tri, fait état de la possibilité de proposer une embauche aux personnes vulnérables
et peu qualifiées, de les maintenir en activité et de tenter de les former pour aller vers d’autres
métiers.

« Optitri est fait pour ça, il y a deux ou trois personnes qui savent pas lire ou à peine, ils
seraient au RSA des choses comme ça […] Après il y a tout je veux dire qu’Optitri donne
les moyens aux gens de se former bon c’est sûr que le gars qui est trieur…, ils ont été
même à leur payer des formations pour apprendre à écrire, à rédiger des courriers pour
qu’ils s’en sortent, Optitri est quand même à l’écoute, ils font du social c’est l’image qu’on
a et qu’Optitri veut avoir surtout. » Contremaître d’exploitation_28

Optitri désire aussi se distinguer sur le volet de l’innovation de ces activités, et souhaite
développer de nouvelles activités, notamment par la création d’un pôle de recherche dans les
énergies renouvelables. C'est autour du développement de nouvelles technologies et de
procédés industriels dans le traitement et la valorisation des déchets que l’on retrouve de
nombreux projets de recherche et/ou de développement.

« Mais effectivement on a fait des services différents puisqu’on va au-delà du traitement,


c'est la valorisation des produits, c'est la vente d’électricité, le réseau de chaleur, la mise
en place de biocarburant puisqu’on a un véhicule, mais c'est aussi la vente de bois pour
les chaudières, enfin de plaquettes de bois ou de plaquettes forestières » Membre du
bureau Optitri_68
« Quelque part Optitri est en avance car c’est récent et Optitri a progressé par rapport à
d’autres collectivités qui existent par exemple comme Propret où ils n’ont pas bougé, ils
ont fait un projet mais ils sont restés figés, rien n’a évolué tandis qu’Optitri évolue en
permanence. Ils ont mis en place le bioréacteur, après ils ont mis en place l’électrique, là
maintenant ils ont fait une voiture qui va tourner au méthane avec aussi un camion,
l’hydrogène, ils essaient d’avancer en permanence » Contremaître d’exploitation_28

La logique de l’innovation notamment technologique dans le secteur des déchets est


considérée souvent comme l’apanage des groupes industriels privés. Possédant des services
de recherche et d’ingénierie, ils développent de nouvelles méthodes de traitement souvent
testées dans les installations françaises ou étrangères, « tirant le secteur vers le haut » (Lorrain,
2002). On constate donc ici une similarité entre une gestion publique et une gestion privée. Les
arguments pour soutenir ces projets innovants sont souvent liées à des considérations
environnementales ou à l’enrichissement de la relation de service auprès des usagers et des
collectivités adhérentes. Mais nous pouvons aussi en déduire que cela constitue un facteur
stratégique et potentiellement un nouveau relais de croissance permettant de créer de la valeur.
Cette dynamique tend à conjuguer missions de service public et rentabilité et adaptation voire
anticipation aux réglementations environnementales.

Cet élargissement des compétences et ces projets innovants, ne correspondant pas à une
demande des usagers ou du client. Ils dépassent le cadre conventionnel du traitement des
déchets. L’un des élus et membre du bureau Optitri relate des inquiétudes et des
questionnements à ce sujet. Son discours rapporte que ces craintes pourraient produire des

Le Travail dans les Industries de Déchets 73/160


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désaccords. Certaines collectivités considèrent qu’Optitri outrepasse sa première et unique


vocation qui est celle du traitement et valorisation des déchets. Il ne s’agit pas de critiquer ces
projets en eux-mêmes, mais plutôt d’interroger leurs coûts économiques et les conséquences
qui devront être assumées par les collectivités adhérentes.

« Deuxièmement quand on a fait le sentier pédagogique qui est très très lourd
financièrement, là aussi on a eu de la part même du Conseil général, ou de certains élus
qui disaient, attendez vous êtes là pour traiter les déchets et non pas pour avoir une
image de marque et de qualité, donc j’ai eu ces réflexions. » Membre du bureau
Optitri_68
« Si Optitri se met à faire de la prévention, ça veut dire si son projet aboutit qu’il va
récolter moins de matière, donc il va perdre du tonnage en entrée du bioréacteur et donc
il va perdre des recettes, c’est pas à Optitri de porter un projet comme ça, c’est aux
collectivités de collecte […] Parce qu’il me semble qu’Optitri c’est traitement, eux, ils ont
intérêt à ce qu’on en amène beaucoup des choses ici, et nous, on a intérêt à ne pas en
donner beaucoup, ça ne va pas ensemble. […] Moi j’ai un peu peur de l’ampleur que
prend Optitri, il devient à mon avis un peu trop gigantesque mais bon pour l’instant ça va
aussi, ça va aussi, mais moi j’ai l’impression de me battre à chaque millimètre presque, je
ne sais pas […] Moi je trouve que ce qui relève le moins de sa compétence c’est d’avoir
fait des plaquettes bois et de s’occuper de réseaux de chaleur, ça, je trouve que là on va
vraiment trop loin. […] Je pense qu’on ferait mieux de se recentrer sur le tri,
éventuellement sur l’électricité et la chaleur là-bas dont on ne fait rien, je ne sais pas,
trouver des moyens de valoriser déjà les ordures, le tri au maximum, en tirant au
maximum pour que les usagers trient beaucoup, et sur les ordures en faisant de
l’électricité et de la chaleur, déjà, et du gaz éventuellement pour une voiture ou deux, bon
ça oui, mais c’est tout. » Membre du bureau Optitri_67

En résumé, les discours sont ici centrés sur des valeurs traditionnelles du service public :
l’intérêt général et le rôle social continuent à s’imposer comme une rhétorique et fondent et
justifient l’intervention des élus pour gérer la problématique des déchets et créer l’outil Optitri. A
l’instar d’autres services publics la recherche de la performance dans un secteur concurrentiel
n’est pas absente comme nous avons pu le voir rapidement. Bien que ce ne soit pas sans
difficultés, les valeurs du service public et les stratégies productivistes et commerciales
semblent ainsi être complémentaires et interdépendantes. Dans le point qui suit, nos enquêtés
insistent sur les différences entre une gestion privée et une gestion publique, notamment en ce
qui concerne le travail d’exécution.

4.1.2 Une vision publique du travail se distanciant du privé40

Les points de vue des élus locaux à l’égard du privé sont vivement exposés, et ce pour mieux
valoriser le service public, et plus largement « le modèle Optitri ». Le secteur privé est accusé
par les acteurs d’être à la recherche du gain et des bénéfices ; d’accorder une place mineure
aux conditions de travail des salariés au profit de la productivité ; de ne pas permettre le
contrôle des coûts économiques ; ou encore d’être responsable des défaillances du marché et
de mettre en œuvre des pratiques douteuses. À l’inverse, Optitri est érigé comme un véritable
acteur économique et social du département voire comme un « exemple » ou modèle à suivre.

« Je pense que les entreprises, ceux qui sont là pour faire du profit, ils ne doivent pas en
tenir compte, ils font de façon à rentabiliser au maximum, mais nous, on est particulier
aussi, on est un service public, on se doit de prendre en compte certaines choses. Alors
au niveau national je n’en sais rien, je ne connais pas assez au niveau national mais ça
m’étonnerait que les grands groupes… eux, ce qu’ils essaient c’est de gagner de l’argent
c’est pas de faire le maximum d’emplois, même s’il y en a qui en font de l’emploi. […]
C’est sûr que par rapport à ce qui se passe ici, on est dans le service public quoi, on
n’est pas dans la recherche du profit. » Membre du bureau Optitri_60

40
Variables mobilisées pour cette sous-partie : « culture d’entreprise ; techniques et méthodes de travail ».

Le Travail dans les Industries de Déchets 74/160


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« Pour moi Optitri est un exemple, la différence se fait en allant plus loin dans certaines
problématiques en les prenant plus en compte […] Parce que nous, on fait pas de
bénéfice, on est égal à 0, les dirigeants ne sont pas payés […] Donc on vient là avec
pour le bien public et on a un regard différent, on ne vient pas à la fin du mois, enfin
qu’on travaille bien ou mal à la fin du mois on n’aura pas un plus ou un moins, donc avec
un œil différent » Membre du bureau Optitri_68

De manière plus nuancée, on retrouve ce point de vue dans le discours des contremaîtres
d’exploitation. L’organisation du travail dans le service public serait plus accommodante,
conciliante et bienveillante, notamment à l’égard des salariés. Pour l’un d’entre eux présent
quotidiennement sur le terrain, le public à l’inverse du privé, permettrait même une meilleure
marge d’exploitation et l’existence de plus de marges de manœuvre. En effet, bien que le
système des marchés publics soit jugé « lourd », le public permettrait une souplesse dans les
budgets et dans le management, et plus largement, de meilleures conditions de travail. Lors de
discussions informelles, il ajoutera qu’il a la possibilité de discuter et négocier les objectifs de
production. Anciennement cadre dans le secteur privé d’un groupe de traitement de déchets, il
nous explique que dans le public, les salariés ont la possibilité d’être écoutés, de justifier et
expliquer un problème survenu, quelque soit le niveau hiérarchique.

« Chez Optitri, on a un budget qui est réparti sur l’ensemble des zones nord et sud, bon
si on n’a pas d’argent, on va en chercher en zone sud, et si nous en manquons un peu
on peut obtenir des rallonges. Tandis que dans le privé, moi j’ai vécu dans le privé, pour
acheter un camion c’était la croix et la bannière, tandis qu’ici on a quand même la chance
d’avoir les moyens de travailler tranquillement et sans stress, ça ne veut pas dire qu’on
ne gère pas les budgets. » Contremaître d’exploitation_28
« Contrairement au privé où il y a toujours cette notion de résultat, moi j’étais confronté
dans le privé, j’avais 70 personnes sous ma coupe, et il y avait cette obligation de résultat
permanente, tandis qu’ici on a une obligation de résultat mais c’est pas la même pression
et puis après ça vient aussi du responsable hiérarchique qu’on a au-dessus. »
Contremaître d’exploitation_28
« Non Optitri a un budget confortable au niveau du fonctionnement, et on peut travailler à
Optitri, il y a les moyens et il y a des priorités et on ne fait pas n’importe quoi. »
Contremaître d’exploitation_24

Acteur économique, moteur dans la création d’emploi, la structure est pensée comme un acteur
social qui vise l’amélioration du quotidien de ses agents. Dans l’extrait suivant, une définition du
service public est donnée par un des élus qui cherche à montrer que l’entreprise publique se
démarque une fois de plus des initiatives du privé. La structure privilégierait le bien-être des
travailleurs (en particulier ici ceux des centres de tri) et de surcroît « l’intérêt général ». Des
mesures sont prises pour optimiser les installations de déchets. Elles sont d’abord énoncées et
justifiées en vue d’améliorer les conditions de travail des agents des centres de tri et de réduire
les accidents professionnels et le risque de TMS (troubles musculosquelettiques). La question
de l‘augmentation de la productivité et du rendement est donc passée sous silence dans un
premier temps.

« Ça fait partie des choses que l’on doit mettre en avant dans le service public
l’amélioration des conditions de travail de nos agents, pas la toute première puisqu’il faut
avoir un service de qualité et de quantité correcte, mais c’est un plus par rapport au privé.
Le travail que l’on va faire sur les deux centres de tri, je suis persuadé qu’une entreprise
privée ne l’aurait pas fait, parce qu’il y a un gros investissement à faire […] Donc pour
nous, le service public se doit aussi de prendre en compte les intérêts des agents, qui est
aussi l’intérêt général parce que c’est des arrêts maladies [et] au-delà de la douleur des
personnes, c’est aussi des frais pour la sécu, enfin pour tout le monde. » Membre du
bureau Optitri_68
« Dans le public quand même la sécurité, la propreté étaient quand même plus pris en
compte, les problèmes sociaux, le nombre de trieurs par exemple était aussi supérieur,
y’avait moins la recherche… y’a pas que le rendement quoi, y’avait d’autres
préoccupations. » Membre du bureau Optitri_60
« Mais le privé à mon avis ils sont là pour faire du rendement surtout, nous, on n’a pas
cette notion qui prime, c’est d’abord qualité et conditions de travail. Le rendement, bon

Le Travail dans les Industries de Déchets 75/160


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nous, on est dans un milieu industriel donc quelque part on est quand même en
concurrence dans la valorisation mais on n’a pas l’esprit rendement intensif pour faire de
l’argent. » Contremaître d’exploitation_24

Outil du développement local et du PDEDMA, le syndicat départemental apparaît aussi comme


un bon moyen de gestion financier. Le regroupement, la mutualisation et le financement
permettraient d’assurer un équilibre financier confortable et d’asseoir la pérennité de la
structure. Si la mission de service et d’intérêt général est prégnante dans les discours,
l’impératif de rentabilité et la notion d’efficacité n’en sont donc pas écartés. En effet, le syndicat
est considéré comme efficace économiquement, permettant une latitude et une maîtrise face
aux aléas du marché. La frontière secteur public/secteur privé (Teissier, 1997) peut apparaître
floue, notamment lorsqu’Optitri est présenté comme une entreprise influencée par l’arène du
marché ou lorsque la direction cherche à se développer commercialement par la création de
nouvelles activités et l’acquisition de nouveaux contrats-clients. Dans le même temps cela nous
permet d’observer la conciliation de l’efficacité industrielle et de la mission de service à l’usager.

« On n’est pas dans une collectivité traditionnelle, il y a du rendement à l’arrivée, donc on


a essayé toujours de prendre les meilleurs sur le marché quoi […] Donc y’a à la fois
l’envie d’être un service public, et puis quand même le côté économique qui n’est pas
incompatible, on ne peut pas perdre de l’argent, il ne faut surtout pas perdre de l’argent,
mais le but c’est pas que de gagner de l’argent, c’est aussi d’être un service public »
Membre du bureau Optitri_60
« Baisse des coûts des matériaux c’est ce qui nous est arrivé en 2009 et heureusement
qu’Optitri avait quand même eu la bonne idée de faire une réserve qui a pu un peu
compenser […] là c’est remonté un peu et heureusement parce que sinon on y passerait
toutes les économies d’Optitri, voilà c’est ça, sinon à ce moment-là ça va devoir être
notre tarif de traitement qui va devoir grimper exagérément, donc ce côté-là d’Optitri est
très positif, voilà » Membre du bureau_67
« Optitri c’est une collectivité qui a des similitudes avec le privé mais qui n’a pas une
obligation de résultat, la différence entre Optitri et Valori, c’est que Valori ils ont une
obligation de résultat financière. » Contremaître d’exploitation_28

Si la logique marchande n’apparaît qu’en filigrane dans le discours des élus politiques, la
logique industrielle est présente dans celui des contremaîtres d’exploitation. En témoigne la
nécessité pour les centres de tri de s’adapter aux potentiels élargissements des consignes de
tri, et à gagner en qualité au niveau des produits sortants tout en améliorant les conditions de
travail. (cf. axe 3).

Les préoccupations sont de l’ordre de la cohésion économique, sociale et territoriale du


département pour ne pas délaisser les petites communes rurales. L’essentiel du discours ne
s’établit pas autour de la notion du développement durable ou en faveur de l’environnement. A
partir de la critique des groupes privés, c'est finalement autour de la composante sociale
centrée sur l’emploi et l’amélioration des conditions de travail. Puis, c’est sur la composante
économique et sur les coûts pour les collectivités et l’usager que le consensus se construit. La
notion de l’intérêt général reste une constante dans la définition des missions d’Optitri et sert à
justifier et à donner un sens au fonctionnement et à l’organisation de la structure. Les termes
« usager », « citoyen » ou « contribuable » sont fréquemment mentionnés par les acteurs de ce
régime de sens. Nous allons voir que les recours à ces termes sont multiples.

4.1.3 L’usager (et son tri) placé au centre du traitement des déchets41

Les formes de discours sur l’usager montre qu’il est au centre des préoccupations des acteurs
de ce régime de sens car il est le destinataire du service. Toutefois, il recouvre plusieurs
significations (Boussard, Loriol, Caroly, 2006), sans être qualifié de client, il est à la fois celui
qu’il faut satisfaire, qu’il faut éduquer, et qui complique la gestion des déchets. La dimension
relationnelle avec ce dernier semble primordiale.

41
Variables mobilisées pour cette sous-partie : « usagers » ; autres installations ».

Le Travail dans les Industries de Déchets 76/160


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Signifiée en introduction de cet exposé, l’existence d’Optitri a été possible par la mobilisation de
plusieurs élus du département qui ont souhaité intégrer une démarche de concertation dans le
choix d’un mode de traitement des déchets. Suite aux rejets de l’incinération par les
associations environnementales, des élus et la population environnante, un collège réunissant
ces parties prenantes a été mis en place afin de choisir un mode de traitement. On retrouve ici
les cadres de la démocratie participative (Lascoumes, 1990). L’extrait d’entretien suivant
montre l’importance pour les élus de joindre les usagers à ce collège afin de s’assurer de
l’acceptation du projet Optitri.

« Par contre ce qu’il faut absolument faire et qui a été fait à Optitri c’est associer tous les
gens qui s’intéressent, toutes les associations écologistes et tout ça, pour qu’ils
participent et c’est ce qui fait qu’Optitri n’a pas eu de contestation parce que tous les
gens qui sont intéressés par l’environnement étaient associés au projet et ils l’ont
soutenu » Membre du bureau Optitri_60

À l’égard de l’usager, la question économique du coût de la collecte et du traitement n’est pas


évincée. Comme nous l’avons vu précédemment, le choix du mode de traitement par le
bioréacteur et l’un des motifs d’adhésion à la structure relèvent de choix économiques. Ajoutons
que la facture de l’usager est aussi prise en considération et ce de façon différente selon les
acteurs. Collecter, valoriser et traiter les déchets a entraîné ces vingt dernières années une
hausse généralisée de la taxe de l’enlèvement des ordures ménagères et du service de collecte
42
et de traitement , mais de façon variable selon les territoires. Le manque de stimulation directe
(collecte en apport volontaire) peut être une des raisons des mécontentements des usagers
concourant à de possibles répercussions sur leur performance de tri.

« Pour le contribuable il vaut mieux Optitri, franchement je peux vous le dire, c’est chaud
au niveau des prix là ils ont pris 8 % de plus avec Propret. » Contremaître
d’exploitation_28
« Donc au niveau du tri oui parce qu’on a présenté la chose en disant plus vous triez
moins ça coûtera cher au niveau de la… parce qu’ils sont aussi sensibles au côté
financier, donc on leur a présenté les choses en disant il faut trier, ça coûtera moins cher
à la collectivité si on trie, donc le côté argent a fait qu’ils se sont mis quand même à trier,
au niveau du tri ça s’est à peu près bien passé, comme partout quoi, ils ont été sensibles
aux campagnes départementales, aux campagnes nationales aussi c’est pareil le tri est
arrivé dans l’air du temps. » Membre du bureau_60
« Donc les usagers qui doivent faire la démarche d’aller apporter leur tri au container
jaune, ils se trouvent défavorisés par rapport à ceux chez qui on passe en porte à porte,
et on ne veut pas le mettre en place le porte-à-porte général pour le tri parce qu’en tri on
ne ramasse pas beaucoup de poids, un peu de volume mais pas beaucoup de poids, et
ça coûte très cher, c’est une question d’économie de gasoil aussi. » Membre du bureau
Optitri_67

L’usager est ici objet d’attention et met en lumière les enjeux sociopolitiques du secteur des
déchets. Partie prenante dans l’organisation et le fonctionnement du secteur, l’action publique
locale doit pouvoir l’enrôler car elle est confrontée à la question de l’acceptabilité sociale des
installations de déchets et de leurs problèmes attenants tels que la question des transports (les
camions de collecte passant trop près des habitations), la question de la pollution (envols), ou
plus largement de la représentation du secteur.

« Les ordures ménagères ça fait peur à tout le monde, les usagers dès qu’on parle
d’ordures ménagères ils voient des décharges, donc c’est pas évident pour des élus »
Membre du bureau Optitri_60
« Mais les gens ils sont restés encore sur des schémas, parce qu’il y a des images qui
font mal, quand on voyait vers Marseille là les gens ils voient ça, ils ne font pas la
différence entre une déchetterie et un centre de tri et un centre d’enfouissement, du
moment qu’il y a des ordures ménagères, odeurs, envols etc. Donc ça c’est le souci
n° 1. » Membre du bureau Optitri_60

42
Source : Les collectivités territoriales en chiffres 2013, Rapport de la Cour des Comptes (2011).

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Le manque de responsabilité dans les pratiques est regretté. Ils sont à la fois perçus comme
peu regardants sur le service rendu, involontaires et indifférents dans leurs gestes de tri.

« De toute façon on trouve de tout, l’autre jour on a trouvé une moto. Les usagers s’en
foutent et vu qu’il n’y a pas de répression, s’il y avait un peu de répression ça marcherait
sûrement mieux. » Contremaître d’exploitation_28
« Les usagers de mon secteur s’ils habitent ici ils ont une idée de ce qu’est Optitri, s’ils
habitent là ils n’en ont aucune idée, ça ne les intéressent pas, à partir du moment où la
poubelle quand ils se lèvent le matin elle a disparu de devant la porte, ça leur suffit »
Membre du bureau Optitri_67

Associer l’usager et le faire participer devient d’autant plus important qu’en tant que
consommateur-jeteur il faut le mobiliser afin de répondre à l’impératif du recyclage (Barbier,
2002). Les discours mettent alors en exergue le devoir d’adopter une logique pédagogique pour
transmettre des connaissances à visée éducatives pour que les usagers adoptent des façons
d’être ou un comportement « éco-responsable ». Par des mesures incitatives envers les
43
collectivités de collecte et par des campagnes de prévention réalisées à l’échelon local et
national pour les usagers, leurs comportements doivent être modifiés et leurs habitudes
transformées. Ces derniers doivent être informés et éduqués au geste du tri pour tenter
d’atteindre les objectifs réglementaires du recyclage. Dans le même temps, ce travail
d’éducation doit permettre de rénover les représentations des installations en précisant leur rôle
et fonction, mais également de valoriser l’objet « déchet » : en expliquant le circuit de traitement
on montre sa transformation et sa potentielle valeur.

« Donc il y a tout un travail de pédagogie pour leur dire qu’une déchetterie c’est pas du
tout polluant, c’est juste un lieu de dépôt et tout, mais parce que les usagers mélangent
un peu tout, dès qu’il s’agit d’une déchetterie ils ne la veulent pas devant chez eux quoi
en fait, en clair, mais bon il suffit d’expliquer et ça c’est en principe, pour l’instant, passé
pas trop mal » Membre du bureau Optitri_67
« Les usagers il faudrait presque leur tenir la main, mais la communication c’est quelque
chose de fondamental, et c’est quelque chose qui fait avancer, il faut vraiment leur dire,
leur dire, leur expliquer. » Membre du bureau Optitri_67

Mais ces campagnes nationales de sensibilisation au tri peuvent provoquer des


mécontentements chez les industriels du traitement. Ce fut le cas notamment pour un des
contremaîtres d’exploitation suite à une publicité diffusée à la télévision. Il nous explique les
effets négatifs de ce message publicitaire ou tout au moins la manière dont il pourrait
contraindre l’activité de travail dans le centre de tri. L’extrait suivant souligne ainsi les
contradictions entre les effets d’affichage et la réalité de terrain.

« L’aberration qui a été pour moi la plus flagrante et qui me faisait bondir, c’était la publicité
sur les bouteilles plastiques, où les usagers écrasaient la bouteille, ils mettaient le bouchon
plastique pour gagner de la place sauf que quand ça passe sur un crible, ça passe sur la
ligne des corps plats alors que les outils sont faits pour que les bouteilles ne soient pas
écrasées. Et je me demande comment Eco-Emballages a pu accepter ça, moi ça me fait
bondir, c’est des bêtises ou des détails mais quand on est vraiment dans un centre de tri et
qu’on voit ça, c’est… et derrière on a des outils qui ne sont plus adaptés. » Contremaître
d’exploitation_28

L’enjeu de la communication et de l’éducation au recyclage se retrouve également dans les


installations de déchets en particulier dans les déchetteries, où les agents, par leur présence
sur le terrain, sont des relais des campagnes de tri et de sensibilisation au recyclage. Ainsi, au
nom de l’usager, leur mission ne relève pas seulement de tâches de manutention mais aussi de
capacités relationnelles. Elles devraient toujours permettre de solliciter davantage l’usager-
trieur. Il s’agit d’accompagner l’usager, de lui indiquer les bennes correspondantes aux déchets
qu’il abandonne et de l’informer sur le devenir de ces déchets.

43
Campagnes publicitaires, ambassadeur du tri

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« Mais quand on leur dit ce que ça devient et quand on les aide, à la fin presque ils vous
disent presque, une fois ça m’est arrivé, ils me disent « on vient s'excuser, on a été un
peu agressif au début, mais bon, voilà… ». Il faut quand même savoir, il faut surtout
expliquer ce que deviennent les produits et après… ça va tout seul. » Trieuse
caractérisation_46

Dans les déchetteries comme le rapporte la trieuse « polyvalente », l’interaction avec l’usager
peut tourner quelques fois à l’altercation lorsque celui-ci ne veut pas suivre les consignes, soit
respecter la signalétique inscrite sur les conteneurs ou stalles de déchargement. Notons alors
que la confrontation avec le public est un risque professionnel latent. Bien qu’il ne soit pas pour
44
autant formulé en tant que tel par la trieuse polyvalente, il figure dans le document unique .

« Alors des fois ils sont un peu agressifs au début parce que l'on dit de trier puisqu'il faut
quand même séparer les matières et des fois ils ne sont pas vraiment dans cette optique-
là, eux, pour eux c'est une décharge, on jette tout et on s'en va. » Trieuse
caractérisation_46

Les plateformes de compostage situées près des centres de tri de déchets sont gérées par les
contremaîtres d’exploitation. L’interaction avec la population environnante n’est pas non plus
sans heurts. Aux problèmes soulevés par les usagers, notamment au sujet des envols, du bruit
ou des odeurs, ce sont dans les coulisses de ces installations que les salariés du déchet
doivent apporter une partie des solutions. Cela n’est pas sans conséquences sur l’organisation
du travail.

« On a eu quelques plaintes au départ concernant l’exploitation de la plateforme de


compostage étant donné qu’on est exposé dans un couloir de vent, nos riverains les plus
proches sont à 500 mètres et par temps de grand vent ils retrouvaient des poussières sur
le balcon, sur les fenêtres, un sur la piscine qui après analyses ont bien révélé que ça
venait de notre activité. Donc là dessus on a changé notre façon de travailler, on a
changé d’orientation qui fait que depuis plus d’un an on a plus de problèmes d’envol et
d’odeur. » Contremaître d’exploitation_28

Pour finir, nous voudrions éclairer la question de l’introduction de « dispositifs » marketing


associée à des enjeux communicationnels élargis. A l’instar de d’autres services
environnementaux, Optitri est entré dans une logique de communication/marketing pour
renforcer son image et celle de ses installations auprès de la population et d’acteurs
institutionnels. Il s’agit de construire une identité de marque ancrée dans un territoire, de
maintenir une bonne réputation, d’afficher une image moderne et respectueuse de
l’environnement et de ses salariés prenant en compte les enjeux du développement durable.
Ces stratégies de valorisation de l’objet déchet (par la valeur qu’il produit), du territoire, de la
structure et de ces hommes prennent corps au travers de multiples actions : l’ouverture à la
visite du public des installations de déchets ; la création d’un profil sur un réseau social (2011) ;
le parrainage ou la participation à des activités culturelles et ou sportives (Tour de France,
tournoi de pétanque) ; le financement de campagnes publicitaires sur le tri des déchets ; ou
encore en ayant régulièrement des dépêches dans la presse locale. Ainsi, il est proposé
régulièrement de visiter les centres de tri lors de journées portes ouvertes, dans le cadre de
45
tourisme industriel. Le site du bioréacteur s’est équipé d’un circuit pédagogique ou éco-circuit

44
Le responsable du service hygiène et sécurité d’Optitri nous a raconté quelques « anecdotes » sur la
confrontation entre agents de déchetterie et usagers, pouvant conduire a du « stress relationnel » (Weller,
2002). Il témoigne que certains d’entre eux ont eu des tensions relationnelles fortes pouvant aller jusqu’à
des agressions verbales et physiques.
45
En 2013, durant les vacances scolaires une fois par semaine le circuit pédagogique était ouvert au
public : « L’éco-circuit de Optitri, Syndicat mixte départemental pour la valorisation des déchets ménagers,
est conçu comme une balade d’environ une heure trente sur une boucle : en une dizaine d’espaces
thématiques, il présente le monde des énergies et du recyclage. La promenade consiste à aborder des
sujets aussi variés que l’effet de serre, la biodiversité, la transformation des déchets en énergies ou
encore le devenir des matériaux recyclés. La visite s’effectue en compagnie d’un guide qui adapte ses
explications aux différents publics. Grâce à toute une série de démonstrations et d’ateliers interactifs,
grâce également à un pavillon multimédia (vidéos, table tactile, joysticks), le circuit de Optitri est à la

Le Travail dans les Industries de Déchets 79/160


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dans lequel sont intégrés des éléments de biodiversité (ruches d’abeille). De plus, l’architecture
des dernières installations industrielles se caractérisent par une image moderne. Le siège du
syndicat (situé aux abords du bioréacteur) intègre une imagerie environnementale et a été
entièrement construit en Haute Qualité Environnementale (HQE). Ces derniers éléments
contribuent à esquisser un transfert des logiques du privées vers le public, même si elles ne
sont pas autant relayées dans les discours.

***

Au terme de cette première sous-partie, nous avons souhaité montrer les logiques d’action
publique. Les valeurs sur lesquelles s’appuient les discours reposent sur les principes généraux
du service public à savoir : la solidarité, l’intérêt général et l’usager. Outre la défiance et la
méfiance à l’égard des groupes privés, ces valeurs ont conditionné, dans une certaine mesure,
le mode de fonctionnement et de financement de la structure. Les contremaîtres d’exploitation
des centres de tri « apprécient » la souplesse d’organisation que permet Optitri, en particulier
sur le plan managérial. Ils insistent aussi sur le rôle social du syndicat quand il donne la
possibilité à des personnes dites « sous-qualifiés » d’avoir un emploi. A ce titre, dans les
discours, la structure est érigée comme un modèle ou une vitrine sociale, économique et
environnementale. Comme nous l’avons vu, cette vitrine est éclairée à l’aide d’importants
dispositifs communicationnels et marketing et continue de se développer dans des activités
innovantes sur les énergies renouvelables (hydrogène-énergie).
Nous avons ainsi mis à jour plusieurs logiques qui s’imbriquent et donnent une justification à
l’existence d’Optitri : une logique économique fondée sur la solidarité et la performance ; une
logique pédagogique et éducative vis-à-vis usagers ; une logique d’innovation pour développer
les projets d’avenir ; une logique commerciale pour maintenir la rentabilité du service ; une
logique de communication pour faire connaître et légitimer l’existence d’Optitri en tant que
spécificité et réussite industrielle gérée en régie publique.

Dans le point qui suit, nous nous intéressons aux logiques d’action des groupes privés. Nous
verrons que les discours peuvent s’appuyer sur les mêmes arguments déployés par les acteurs
du premier régime de référence. On observe que ces deux discours s’écartent fortement par la
suite. Nous verrons, paradoxalement, qu’ils portent, en partie, sur la culture syndicale et les
négociations collectives.

portée de tous et permet d’apprendre en s’amusant. » (Source : Quotidien du grand Sud-Ouest, Edition
juillet 2013)

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4.2 Logiques d’action privée

Ici notre groupe d’individus est constitué de salariés d’installations de traitement de déchets
(dirigées par des groupes privés) aux niveaux de qualifications différents. On retrouve des
cadres, en majorité de l’entreprise Valori, ainsi que des opérateurs de l’incinérateur (personnel
et chef de quart, agent de maintenance) et du personnel de centre de tri (chef d’équipe,
responsable presse, agent de maintenance). Ces individus sont qualifiés et leurs compétences
reconnues (contrairement aux trieurs), malgré une grande disparité du niveau de diplôme.

Ce régime de sens du privé se constitue autour de discours portant sur les modalités de gestion
d’une entreprise privée (en comparaison avec une gestion publique) ; le sentiment
d’appartenance à un groupe leader du secteur des déchets fonctionnant au niveau national et
international ; sur les négociations visant à établir des règles et à organiser les relations entre
les différentes parties prenantes de la structure ; et sur des logiques de rationalisation sur les
différents process des installations. De plus, trois des enquêtés sont syndiqués ce qui explique,
en partie, que les discours soient orientés vers des questions syndicales. Elles sont liées aux
augmentations de salaires et aux politiques de formation et d’évolution des carrières.

A l’inverse des logiques d’action énoncées ci-dessus et concernant l’entreprise publique Optitri,
les discours de ce régime de sens ne se caractérisent pas par un effort de distinction du mode
de fonctionnement de leur structure et de valorisation de leur structure. Les enquêtés
s’expriment davantage au nom de leur groupe et font état de différences générales entre une
gestion privée et une gestion publique. Une autre distinction s’établit sur les aspects
économiques et financiers. Ils sont prégnants dans les discours. Ils peuvent recouper la
question des salaires comme ceux des logiques productives, ou encore être un argument pour
justifier une bonne gestion des installations de déchets. Pour autant, les aspects sociaux sont
aussi présents au travers notamment des questions et du travail syndical.

Figure 4 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d'importance

Variables Mobilisées Individus du


regroupement
- Groupes leaders du traitement des déchets Abréviations postes et
- Informatique MA_INC_53 fonctions :
- Usine CGT_80 MA_INC : Agent de
- Syndicat et représentants du personnel RM_INC_58 maintenance Valori
- Entreprise Valori DR_31 CGT : Représentant syndical
- Entreprise CGT
CQ_INC_83
RM_INC : Responsable
- Formations RE_INC_54 maintenance Incinérateur /
- Outil DA_INC_50 Agent de quart
- Négociations syndicales et salariales QU_INC_51 DR : Directeur centre de tri
- Automatisation : efficacité productive (groupe privé)
RP_48 CQ_INC : Chef de quart
- Compétences MA_38 Incinérateur
- Risques CE_20 RE_INC : Responsable
- Conflits exploitation Incinérateur
- Turn over DA_INC : Directeur adjoint site
- Process Valori
QU_INC : Conducteur Pontier
- Production Incinérateur
RP : Responsable presse
centre de tri C3
MA : Agent de maintenance
centre de tri C3
CE : Chef d’équipe centre de tri
C3
Cet exposé s’articule en trois sous-parties. Dans un premier temps, nous accorderons attention
aux discours valorisant la gestion privée des installations. A l’instar d’Optitri, ce sont les
compétences techniques, organisationnelles et économiques considérées comme étant plus
« approfondies » et maitrisées qui sont allégués pour justifier une meilleure gestion (1). Nous

Le Travail dans les Industries de Déchets 81/160


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observerons par la suite que les discours se focalisent sur le dialogue social au sein du groupe
et de ses filiales par l’élaboration de négociations et d’accords collectifs dans le domaine de la
responsabilité sociale (2). Enfin et dans un troisième temps, nous verrons que les déclarations
se structurent sur l’amélioration continue des process des installations, en particulier sur la
nécessité de la recherche de l’efficacité productive.

4.2.1 Les avantages d’une gestion privée46

L’analyse des discours dans cette sous-partie fait essentiellement référence aux avantages que
permet une gestion privée par rapport à une gestion publique. A la suite d’une brève exposition
du mode de fonctionnement du groupe et de ses filiales, nous verrons que le secteur des
déchets reste concurrentiel. Les professionnels font face à des difficultés diverses. Elles
dépendent de la concurrence et des relations interpersonnelles avec les acteurs du déchet du
territoire. Le mode d’organisation et les objectifs du groupe mais aussi la culture de l’entreprise
impactent les logiques d’action des entreprises privées.

Stratégies du groupe

La gestion privée d’installations de valorisation énergétique des déchets (par le mode de


l’incinération) est majoritaire en France. Elle représente plus de 90 % de la totalité du secteur
du traitement des déchets. Les sites de production sont majoritairement détenus par de grands
groupes privés leaders du secteur à l’échelle mondiale. L’économiste Gérard Bertolini (1990,
p139) montrait que dès le milieu des années 1980 « la répartition public/privé est très
sensiblement différente suivant le mode de traitement : l’exploitation d’installations faisant appel
à une plus grande technicité est plutôt confiée à une entreprise privée (…). Inversement les
installations de traitement plus rustiques sont exploitées en régie (…) . ». Cela s’explique par le
recours à la gestion déléguée du service par des entreprises privées, en particulier, sur les
installations les plus complexes. Selon la représentation d’un de nos enquêtés, les polémiques
liées aux incinérateurs seraient aussi une des raisons au fait que les collectivités mandatent le
secteur privé pour gérer ce type d’installation.

« C’est tellement sensible l’incinération que les collectivités préfèrent s’adresser au


privé pour gérer ça » Représentant syndical régional_80

Organisés en différentes branches, ces groupes multiservices et multinationaux sont diversifiés


dans plusieurs domaines comme l’eau, l’énergie, les télécommunications ou le transport.
Ilssont présents dans plusieurs pays. Les déchets ne représentent pas l’essentiel de leur
activité, bien qu’ils emploient un grand nombre de salariés.

« Dans le groupe BETA, les déchets ça représente à peu près 60 % des salariés. »
Représentant syndical régional_80

Les premiers éléments de distinction majeurs entre Optitri et ces groupes privés tiennent donc
au fait que la principale source de revenu pour Optitri dépend d’une bonne gestion de son
activité principale. De plus, Optititri fonctionne au niveau départemental et contrairement au
privé, il ne bénéficie pas de retours d’expérience et d’appui au niveau industriel. Un autre
différence s’observent entre ces deux structures. En effet, les enquêtés de Valori soulignent
que les collectivités clientes interviennent très peu sur les aspects organisationnels des
installations : que ce soit au niveau des conditions de travail, de la formation ou encore dans
l’évolution de carrière des travailleurs. La gestion de Valori se fait sur plusieurs échelles,
articulant à la fois le niveau national, régional et local.

46
Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Groupes leaders du traitement des déchets ; entreprise
Valori ; entreprise ; compétences ; Europe ; risques

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Schéma 3 : Schéma organisationnel de la gestion de l’entreprise Valori

Groupe Filiale Filiale


(maison mère) « Gamma « Valori »
« Beta » »

Le groupe est de longue date impliqué sur les marchés internationaux, avec plus ou moins de
réussite (cf. les travaux de Florin B.). Selon le responsable syndical sa stratégie de
développement ne se fait plus dans le territoire français, qui apparaît déjà découpé et occupé
par les grands opérateurs du déchet. A partir de politiques dynamiques et de capacité
d’adaptation, il s’agit d’investir durablement les pays en voie de développement et d’importer
son savoir-faire dans ces nouvelles arènes économiques. En France, la concurrence entre les
deux groupes privés leaders semble être fonction d’un monopole régionalisé, de l’histoire d’un
territoire. Elle est marquée par des relations tissées entre les opérateurs industriels et les
acteurs publics chargés de la mise en œuvre de la gestion des déchets. Du fait de cette
« occupation territorialisée » la concurrence ne serait plus aussi active sur le marché français
et/ou européen, mais elle se renforcerait à l’international.

« Il ne manque pas de l’argent mais l’objectif c’est le déploiement international. Le


marché émergeant c’est là où ils se font les marges. C’est plus émergeant, c’est
émargeant. C’est là où ça se fait, l’Asie, la plaque asiatique, l’Amérique du Sud et
l’Australie. Enfin l’Océanie, l’Indonésie au passage. C’est là où ça vaut le coup, les
déchets c’est là où ça se fait. […] L'investissement majoritaire se fait là-bas. Ils
considèrent que tous les marchés européens, ce sont des marchés historiques, ça
ramène énormément d'argent, et cet argent, ils savent que s'ils l'investissent en Europe
ça ne ramènera pas plus, par contre ils vont à l'extérieur car les capitaux ramènent
beaucoup plus gros à l'extérieur. Puis le contexte économique, il y a le poids des
actionnaires. Dans le groupe ils ont toujours dit que les dividendes de l'année seraient
toujours inférieurs aux dividendes de l'année suivante, donc il faut la faire tourner la
machine. Il faut aller chercher les marges. […] De toute façon tout l'axe et la stratégie de
BETA c'est de créer de nouvelles activités, de nouveaux métiers pour pouvoir y aller
dessus, puisque bon après, le développement se fait également par là. » Responsable
syndical_80
« On a les mêmes activités donc chacun se partage le territoire [français] en 2, en 3 voire
en 4. Il y a quelques fois, j’imagine qu’il y a des frictions, mais je pense que la plus part
du temps il y a une bonne entente [entre les groupes]. » Responsable exploitation
Incinérateur
« Ici [dans cette région] on considère que nous sommes des professionnels et puis dans
d’autres régions on considère qu’on est des clowns. Par exemple, telle région de France
c’est surtout tel groupe, pourquoi ? Je ne sais pas. Vous allez dans d’autres régions c’est
surtout Alpha et Beta n’arrive pas à s’implanter » Directeur centre de tri_

Pourtant, ce même directeur explique la complexité de la reconduction des contrats


d’exploitation entre l’opérateur initial et la collectivité cliente. Si les marchés de délégation du
fait du monopole régionalisé semblent figés ou matures, l’assurance du renouvellement n’est
pas automatique et dépend d’enjeux propres à la composante locale d’un territoire. Il faut alors
non seulement proposer une offre compétitive au niveau du prix, mais développer aussi le
« facteur humain » en menant un travail relationnel auprès des collectivités et acteurs publics
de la gestion des déchets. Dans le choix d’un opérateur industriel, les élus intègrent ainsi des
perspectives relationnelles et politiques à leur décision qui vont au-delà d’une simple
comparaison financière entre les offres proposées par les exploitants.

« On ne sera pas compétitif de partout parce qu’il y a des compétences techniques, mais
aussi votre capacité relationnelle. Des fois, vous choisissez les gens parce que vous
aimez bien les gens, vous les appréciez, vous avez confiance en eux, même si leur

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service est … [rotation des mains pour me faire comprendre que ce service peut être
moyennement performant]. […] Je suis sûr qu’il y a des collectivités qui choisissent
certains prestataires parce qu’ils ont confiance en leurs techniques commerciales ou au
dirigeant. […] Il n’y a pas une seule raison. Il y a le technique, le chiffre d’affaire et après
la composante humaine » Directeur centre de tri_31
« Des sites comme nous, on a des contrats de plus de 20 ans, donc la relation client c’est
pas la même, nous faut que notre client soit tout le temps satisfait sur la durée, on a une
installation qui est à lui et qui dans X années je dois lui rendre en état de marche et avec
une gestion en bon père de famille complète. Donc elle est à moi, je fais comme si c’était
à moi mais elle est à lui. J’ai une relation avec mon client qui n’est pas une relation où je
sais que demain je vais lui redemander de passer un contrat, on est pas en train de dire
je suis avec mon client là mais il faut que j’aille regarder l’autre côté parce que peut-être
que c’est l’autre à côté qui sera mon prochain client, non moi mon client c’est lui. »
Responsable maintenance Incinérateur_58

Pour les filiales de ces groupes privés, on peut observer que le reclassement des salariés après
une perte de contrat peut être difficile et nécessite un long travail de négociation. Les syndicats
doivent parvenir à des accords par de multiples discussions afin de conserver les emplois.
Dans d’autres cas, le reclassement semble compromis.

« Si c’est dans son activité il cède les salariés, puis il y a le repreneur qui reprend aux
mêmes conditions les salariés et normalement le contrat. Après vous avez des périodes
de trois mois normalement de « stand by » sur les conditions salariales, après les trois
mois il y a une période de négociation qui s’ouvre qui peut aller jusqu’à un an, 12 ou 13
mois où vous négociez un accord de substitution, c’est à dire tout ce qui est droits
collectifs, tout ce qui était dans les conventions d’entreprises, tout ce qui dans les
accords avec le nouvel employeur et vous vous mettez d’accord sur vos nouvelles
conditions de travail collectives. » Responsable syndical_80
« Nous si le centre de tri il ferme on fera comme X a fait, on licencie toute le monde. Mais
c’est la vie. C’est la règle du jeu. Elle doit être acceptée dès le départ. » Directeur centre
de tri groupe privé_31

Au-delà des aspects économiques, des enjeux politiques sont donc pris en compte. D’une part,
dans les appels d’offres, les élus peuvent demander qu’un certain nombre d’emplois locaux ou
d’insertion soit présent ou sauvegardé, ou attendre implicitement que l’opérateur intègre et
propose dans la réponse à l’appel d’offre des compétences nouvelles et le développement de
projet ou d’action supplémentaires. D’autre part, lors d’un changement de majorité dans une
collectivité, les élus peuvent choisir de changer de prestataire afin de se démarquer
politiquement de leurs prédécesseurs.

« Je vous parlais tout à l’heure d’une collectivité qui nous aimait bien. Et bien cette cote
d’amour, si on peut l’appeler comme ça, faisait que si on faisait payer un peu plus cher
pour cette côte d’amour ils nous auraient quand même choisis. Mais c’est quoi être un
petit peu plus cher, c’est 2 €, faut pas croire que sous prétexte qu’on vous aime bien
faut prendre les gens pour des imbéciles ou pour des voleurs. » Directeur centre de
tri_31
« La collectivité nous a dit que techniquement les deux offres étaient comparables, la
collectivité nous a dit qu’économiquement notre offre était meilleure que celle de X, la
collectivité a dit par contre que X proposait une extension du réseau que nous on ne
proposait pas et que c’est là-dessus qu’elle a donné à X l’exploitation. A titre purement
informatif, l’extension du réseau n’était pas un élément dans le cahier des charges […]
Responsable Maintenance Incinérateur_58

Mode de fonctionnement groupe-filiale(s)

Les relations entre les filiales et le groupe sont très peu exposées, voire absentes dans les
discours. Seul le responsable syndical, qui appartient à plusieurs groupes de travail au niveau
de la maison mère et qui un mandat de représentant syndical au niveau national, retrace
quelques liens de dépendance. Les discours rendent compte, dans une certaine mesure, de la

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dépendance avec la filiale « Gamma ». Les objectifs généraux, les indicateurs à fournir et les
méthodes de travail sont par exemple transmis par la filiale Gamma à Valori.
Le travail sociologique de Aurélie Catel Duet sur les groupes montre qu’il y a 6 niveaux
d’engagements possibles entre la maison mère et ses filiales. Les sociétés filiales, selon le
degré d’engagement, peuvent disposer d’une grande autonomie ou à l’autre extrémité être
intégrées dans le groupe. Nos enquêtés rapportent que la filiale Gamma gère des systèmes
d’information, maîtrise la production, ou tout au moins le contrôle. Dans le même temps, ils
ajoutent que le fonctionnement, le contexte, le contrat d’exploitation des multiples entreprises
appartenant à un groupe et à la filiale sont très différents. Les filiales jouissent donc d’une
autonomie importante dans de nombreux domaines notamment pour l’organisation du travail.

De plus, la recomposition des groupes par des effets de fusion et d’absorption ou par le rachat
de petites et/ou grandes entreprises aboutissent à une difficile harmonisation des pratiques. Si
des règles de fonctionnement, de management, des objectifs sont attribués à la filiale, il
apparaît que chaque entreprise garde ses habitudes et aussi semblerait-il, son identité. Les
directives qui sont données sont adaptées aux organisations et des « libertés » sont prises
dans leur application à plusieurs niveaux, entre le national et le régional, puis entre le régional
et le local.

« Gamma est configurée en 5 entités juridiques différentes. Chaque région est une
entité juridique différente, donc chaque région à son patron qui a le pouvoir parce qu’il
n'y a pas de Gamma France constituée. Il n'y a pas de Gamma France S.A. donc ils
peuvent impulser des lignes, mais en fait sur le terrain chacun fait quelque part ce qu'il
veut. Bon, je pense que ça va changer parce que ce n'est pas durable. Et chez Alpha
c'était ça aussi. Chez Alpha, chaque activité de chaque région était autonome de
chacun, c'était un grand conglomérat de x sociétés. » Représentant syndical
régional_80
« Après au fur et à mesure c’est quand même un peu édulcoré, il y a les grandes
directives qui arrivent, ça descend, ça descend, et puis il y a des applications qui sont
plus ou moins faites, même si on suit toujours les directives groupe, et finalement au fur
et à mesure il y a des tampons, mais tout évolue, on voit bien qu’on évolue, on était sur
un management vraiment purement industriel, là il y a un management un peu plus
global qui est fait. […] Je suis sur un groupe de travail actuellement de la GMAO
[Gestion de maintenance assistée par ordinateur], la filiale Gamma a choisi
d’uniformiser ses méthodes de maintenance sur l’ensemble de ses 200 sites […] »
Responsable maintenance incinérateur_58
« Il y a eu les démarches méthodologiques qui ont été faites au niveau national […] Il y
a eu « XX 2008 », qui ont été plus ou moins abouti, si on regarde les aspects généraux
ça n’a pas abouti mais y’a quand même plusieurs modules qui ont été faits, la GMAO
en a fait partie. […] Essayer de trouver une GMAO commune pour pouvoir gérer et
mieux partager les expériences de chacun. » Agent de maintenance Incinérateur_53

Bien qu’elles soient amenées à partager les expériences et les méthodes déployées par
chaque unité de traitement, les entreprises d’un même groupe auront donc leur propre
fonctionnement au niveau technique, organisationnel et social. Par exemple, le recrutement est
disparate selon les centres de tri. Certaines directions privilégient la mixité
(Hommes/Femmes) des équipes de tri, d’autres l’emploi de personnes en insertion ou encore
recherchent un profil professionnel particulier. On observe dans l’extrait d’entretien qui suit
qu’au niveau des conditions de travail et de la prévention des risques professionnels, chacun
des centres de tri (Cf.axe 3) ou incinérateurs pourra aussi prendre ses propres décisions.
Suivant les sensibilités des dirigeants, différentes actions pourront être entreprises dans le but
d’améliorer le quotidien des opérateurs.

« Je gère le centre de tri à mon image. Vous allez dans 10 centres de tri y’en a pas un
seul qui est géré pareil. […] La qualité au travail, si vous voulez avoir un impact sur le
bien-être de l’individu, sur sa motivation c’est ce qu’il y a de plus important. Je peux pas
jouer sur l’argent, Alpha ne le permet pas. Les gens le savent, les augmentations on
peut pas c’est pas moi qui décide, ou alors il faut que je triche, ça m’arrive parfois. Donc
ça veut dire qu’il faut jouer sur autre chose. […] J’ai été interviewé par notre DRH région,
DRH France, qui m’a dit [votre management] « c’est formidable ». Et y’a eu une réunion

Le Travail dans les Industries de Déchets 85/160


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DRH France ici en disant « je veux développer ce modèle ». J’en ai plus jamais entendu
parler. Par contre on me laisse faire. […] Il y a ici une assistante sociale, il y a un kiné
qui vient masser les gens du tri, elle soigne les deux maux. Elle est adorable et les gens
l’aiment beaucoup, donc y’en a qui viennent, ils n’ont rien, c’est pour parler. C’est
nécessaire, c’est une échappatoire pour supporter. Et puis j’ai une psy, j’ai commencé
er
l’expérience au 1 janvier 2010. » Directeur centre de tri_31
« [Sur les méthodologies de travail] le groupe ne peut pas imposer [une méthodologie]
parce qu’il y a différentes vitesses déjà, il y a différents types de fonctionnement, il y a
des usines où ils sont une dizaine, il n’y a que des personnels de quart donc c’est le
chef qui doit tout faire, le chef du site… ils n’ont pas les mêmes moyens […] » Agent de
maintenance_53
« Avant la fusion avec Gamma, et pour l’instant on l’a conservé chez X on touche une
participation, il y a plusieurs sites qui génèrent la participation et elle est redivisée au
nombre des salariés. Chez Gamma ce n’est pas comme ça, il y a des régions où ils ont
la participation et d’autres qui ne l’ont pas » Responsable syndical_80

Les arguments en faveur d’une gestion privée des installations portent essentiellement sur le
coût du service, sur la modernité des installations et la complexité de gérer des installations très
techniques et onéreuses. Leur capacité de contrôle technique est mis en avant et permet
d’appuyer la comparaison public/privé et de légitimer une gestion des installations par les
entreprises privées. Le public « manquerait » de professionnalisme, ce qui « nuirait » à
l’efficacité et à l’efficience des process industriels. Ce point de vue est relaté notamment par les
cadres. La gestion de l’argent public « pousserait » les dirigeants au « gaspillage »,
contrairement au secteur privé qui, dans une logique de recherche permanente de la rentabilité,
aurait une gestion plus consciencieuse vis-à-vis des financements.
De la même manière que les membres d’Optitri valorisent la gestion publique en citant la non-
recherche de profit comme garantie de la vertu du système, le secteur privé expose les
arguments inverses pour qualifier leur propre organisation qui serait plus pertinente
économiquement et techniquement. Moins organisées, les structures publiques seraient moins
qualifiées que le privé pour gérer ce service. La capacité d’investissement s’avère aussi être
fondamentale. Les enquêtés en se référant au secteur de l’incinération expriment que le groupe
privé a des capacités d’investissement dans la création de l’outil industriel beaucoup plus
importantes qu’une entreprise publique. Ils se considèrent comme une force essentielle dans
l’équilibre économique. Ici, c’est leur capacité de contrôle économique qui est revendiquée. Ce
potentiel économique est à l’œuvre dans leurs capacités industrielles lorsqu’il devient pressant
d’adapter leur activité aux nouvelles normes environnementales ou lorsqu’il faut remplacer des
équipements fortement coûteux. En comparaison, selon eux, une collectivité ne pourrait pas
supporter de telles charges financières. C’est un argument de plus dans la démonstration de la
pertinence de leur fonctionnement.

« Le problème c’est que ça devient très compliqué à partir du moment où tu as les


politiques qui s’en occupent puisque comme ça génère beaucoup d’argent, et les
politiques sont vachement friands de fric, et comme ils gèrent ça n’importe comment
parce que ce ne sont pas des financiers, enfin c’est ce que je pense, donc c’est du
grand n’importe quoi. […] Il y a des pays où ce n’est que privé, en Suisse, en
Allemagne, c’est que privé, les politiques ne rentrent pas dedans, absolument pas, et je
crois que ça fonctionne très bien. […] On n’a pas un fonctionnement politique sain en
France, c’est très nauséabond, ça pue, pas tous, y’en a dans le tas qui sont corrects et
qui sont honnêtes mais je pense qu’il y en a très très peu. » Responsable d’exploitation
incinérateur_54
« Le secteur public tu as une inertie qui paraît beaucoup plus grande, alors après plus
tu vas sur un grand groupe plus tu as une inertie aussi mais pour prendre une décision,
comme c’est très politique ça prend du temps, ça semble un peu moins carré que le
secteur industriel. Donc ça gagnerait à… alors se professionnaliser c’est péjoratif et ce
n’est pas ce que je veux dire mais d’avoir une liaison, que ça soit industriel au sens où
si tu fais une erreur tu le payes, c’est ton argent quoi, le secteur public si tu fais une
erreur ce n’est pas forcément ton argent, tu n’as pas le même rapport. » Responsable
maintenance incinérateur_58
Sur les contrats, c’est souvent lié au prix à la tonne. C’est le facteur économique. […]
Par contre dès qu’il s’agit de gros investissements, de construction de site, là par contre

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on est beaucoup plus fort, parce que bon on a le cash. » Représentant syndical
régional_80
« Sur Valori on a cassé le turbo, il y a eu un problème technique, 1 an, 1 an et demi
d’indisponibilité grosso modo, on a redémarré mais en bas régime, je ne sais plus
combien de millions d’euros ça a coûté, la collectivité si ça lui arrive elle coule, enfin ça
ne coule pas une collectivité mais… enfin nous, on a eu la surface financière pour faire
face, on a eu l’expertise pour aller vite parce qu’on connaît les turbines, voilà. »
Responsable maintenance incinérateur_58

La possibilité de dialogue sur les compétences entre les différentes structures serait aussi un
avantage majeur au fonctionnement des entreprises privées. Le retour d’expérience, les
échanges de matériel, de pièces en cas de panne, leur permettraient d’être plus efficace pour
résoudre les problèmes liés au process de production.

« Parce que l’expérience permet de faire des économies et de mutualiser, on n’est pas
encore bon, loin de là mais quelque part on pourrait se dire que les pièces de rechange
on pourrait les mutualiser sur plusieurs sites, bon ça ne se fait pas complètement mais
voilà on pourrait gagner de l’argent là-dessus alors que la collectivité elle ne pourra
jamais le faire. Pourquoi on arrive à pallier un sinistre turbine, parce que derrière on
arrive à récupérer des choses d’autres usines, parce qu’il y a une gestion des déchets
qui est peut-être un peu plus simple dans certains cas, et on arrive à trouver des
solutions, alors quand tu es tout seul tu es tout seul, donc les coûts sont exponentiels. »
Responsable maintenance incinérateur_58
47
« [les journées organisées par Gamma ] Il y a des sujets prédéfinis à l’avance et puis
on parle de ces sujets-là, en même temps s’il y a quelqu’un qui veut prendre la parole
sur quelque chose qui n’a pas été prévu, sur quelque chose d’important, y’a aucun
problème, c’est libre […] Ça permet un retour d’expérience des uns et des autres, ça
permet de résoudre parfois quelques problèmes, et ça permet d’être au courant de ce
qui se passe ailleurs tout simplement. Et puis le siège parfois met le doigt sur un
problème quelconque, souvent un changement de règles, de législation, soit un
problème de sécurité particulier sur lequel les gens n’ont pas percuté vraiment,
attention sur telle usine il y a eu tel problème à cause de ça, ah tiens chez nous ça peut
aussi arriver donc après ils font le nécessaire les autres pour que ça n’arrive pas dans
leur usine. » Responsable d’exploitation incinérateur_54

Pour finir sur ce premier point, nous constatons qu’a l’instar des discours des « logiques
d’action publique », les industriels privés évoquent la dimension service, des préoccupations
sur la protection de l’environnement et sur la notion d’intérêt général. Ces derniers éléments,
moins développés que dans ceux du premier régime de sens, concourent toujours à justifier et
promouvoir une gestion privée.
L’un de nos enquêtés affirme la prédominance des groupes industriels et leurs capacités à
développer des projets innovants pour à la fois mieux valoriser les déchets et mieux intégrer les
enjeux du développement durable. Il souligne alors le projet de chauffage des serres
maraichères porté par Valori, soutenu par le syndicat Proret et par la ville sur laquelle est
implanté le site. En outre, sur les aspects liés au travail, bien que moins prégnants en
comparaison des discours portés par les acteurs d’Optitri, la question de la création d’emploi
est aussi rapportée. Une critique a été formulée par un intervenant extérieur (fournisseur
matériel) à Valori à l’encontre d’Optitri sur son mode de traitement du bioréacteur. Selon lui, ce
procédé de traitement pourrait conduire à des pollutions sur les nappes phréatiques alors que
l’incinérateur est « tellement » encadré réglementairement « qu’aujourd’hui on ne craint rien ».
Le bioréacteur dans le secteur du déchet ne semble pas faire l’unanimité. Pour un bon nombre
de professionnels que nous avons rencontré, du milieu de l’incinération en particulier, le
bioréacteur n’est qu’une « décharge ».

« On respecte les lois, on respecte les arrêtés, on ne met pas le pied de travers, si tu
mets le pied de travers tu peux être viré. [Dans le groupe] C’est d’abord l’employé et

47
Ces journées, organisées par la filiale au niveau régional, regroupent les directeurs adjoints, les
responsables de maintenance et d’exploitation des incinérateurs. Elles ont pour objectif de faire partager
les expériences et les difficultés rencontrées par chacun de ces acteurs sur leurs installations.

Le Travail dans les Industries de Déchets 87/160


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l’environnement devant. Alors des erreurs, des transgressions ce sera fait partout, tout le
monde le fait […] Les grandes lignes sont largement tenues et on a un code éthique écrit
en termes d’environnement. […] Je pense honnêtement à l’heure actuelle repasser à
quelque chose en régie ce n’est pas forcément pour le bien public, il vaut mieux que la
collectivité fasse très attention aux marchés qu’elle passe, qu’elle ait un droit de regard
sur les comptes ou des choses comme ça […] Qu’elle laisse après les techniciens des
groupes gérer les usines, y’a moins de risques pour eux. » Responsable
maintenance_53
« A terme il va y avoir 17 hectares de serres, donc on va leur fournir de la chaleur, tout
au moins un début de chaleur, ce qui est très bien économiquement pour l’usine. »
Responsable exploitation Incinérateur_54
« Personnellement l’idée c’est quand même pour la collectivité de faire quelque de chose
de bien quoi, l’environnement merde, on est tous dedans […] C’est bien d’avoir un
environnement comme on a actuellement. Donc les moyens d’action c’est 1 : l’industriel
pour qu’on produise bien, 2 la collectivité pour veiller justement à ce que l’industriel se
passe bien […] là on est un service public, le service public c’est de traiter et de valoriser
le déchet et de le faire le mieux possible. » Responsable maintenance Incinérateur_53
« [comparé à la méthanisation] Le secteur de l’incinération c’est un secteur qui emploie
beaucoup de gens, qui génère beaucoup d’heures de travail, que ce soit en interne ou en
sous-traitance, donc c’est plutôt pour l’emploi quelque chose de positif, en restant en
dessous des normes imposées de pollution évidemment, ça produit de l’électricité, […]
donc l’incinération c’est plutôt pas mal oui » Responsable exploitation incinérateur_54

Dans le point qui suit, nous abordons le discours syndical qui est un aspect prégnant du
discours de ce groupe d’individus. Les variables « syndicats et représentants du personnel »,
« négociations syndicales et salariales » et « conflits » occupent une place importante. Elles
montrent que les individus (autant les opérateurs que la hiérarchie) sont en recherche de
dialogue et d’accords sociaux. L’appartenance à un groupe leader du secteur des déchets
différencie les opérateurs du privé à ceux du public (qui ont le statut de fonctionnaire). Les
différences de statut (fonctionnaire territorial et salarié de droit privé) peuvent entraîner des
niveaux de salaire, des avantages sociaux et un avancement dans les carrières différenciés.

4.2.2 Négociations collectives : sécurité au travail, formation professionnelle et


salaires48

Ce point s’appuie sur le travail syndical et le travail de négociation menés au sein du groupe et
de ses filiales. Nous verrons que la recherche d’accords et de dialogue social dans l’entreprise
emprunte plusieurs voies. Après une brève exposition des aspects sécuritaires et d’hygiène au
santé du travail, ce sont les politiques de formations et de mobilité dans les carrières qui sont
l’objet d’un travail syndical. Puis, nous montrons que la question salariale occupe une large
partie des discours. En effet, estimant n’être pas suffisamment payés, les salariés de Valori
portent essentiellement leurs revendications sur ce point là.

Le travail syndical sur la sécurité au travail

Les organisations privées telles que Alpha ou Beta sont depuis de nombreuses années
implanté dans le territoire. Dans le secteur des déchets, elles emploient à eux deux le nombre
le plus important de salariés dans ce domaine. Les relations entretenues entre les directions et
les syndicats peuvent être qualifiées de construites, anciennes et négociées. Dans les groupes,
il existe plusieurs fédérations syndicales rattachées aux différents domaines industriels
(construction, énergie, déchets etc.). Selon le responsable syndical, la fédération la plus
importante en terme d’effectif dans ce groupe privé est celle du transport. Ce dernier appartient
étonnamment à celle de la construction. Il nous explique cette affiliation par le fait que « la
construction c'est parce qu'on est lié historiquement à la chauffe, au bois et au chauffage, donc
c'est construction bois et ameublement. ». Il cumule également d’autres mandats syndicaux : un
au niveau de l’ancienne filiale qui a fusionné avec « Gamma », un second auprès du groupe

48
Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Syndicat et représentants du personnel ; formations ;
négociations syndicales et salariales ; conflits ».

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dans le comité d’entreprise. Il anime également plusieurs groupes de travail sur les aspects de
santé et sécurité au travail.

De par leur ancienneté, ces sociétés ont aussi une assise sur le marché des déchets.
Dégageant des profits importants et occupant une place forte dans le secteur, elles mènent une
politique et mettent en place des stratégies devant leur permettre de conserver leurs parts de
marché sur les territoires nationaux et internationaux. Ainsi, là où les acteurs du secteur public
recherchent l’adhésion et la satisfaction des usagers, le secteur privé semble privilégier les
relations tant avec ses clients dans le but de les fidéliser et donc d’être renouvelé pour les
futurs contrats qu’avec ses salariés afin de préserver une « paix sociale » dans l’entreprise et
ne pas perturber le cycle productif.

« Ce que veut une entreprise c’est pas de problèmes, pas de grève, pas de problèmes,
pas d’accidents de travail, voilà, et que les sites fonctionnent le mieux possible en
sachant qu’on est jamais à l’abri d’un problème technique. » Responsable d’exploitation
incinérateur_54

Différentes instances de négociation ou de participation existent sur des sujets variés


(conditions de travail, avantages sociaux etc.) et à différents niveaux (régionaux ou nationaux).
Selon le responsable syndical, la politique en matière de santé et sécurité au travail est
« dynamique ». Cet enjeu de la sécurité au travail est également relayé par les salariés. Il est
évalué par la filiale. Lors de nos observations, sur le site de Valori, nous avons vu des
panneaux d’affichage visibles par tous les visiteurs signalant le nombre de jours sans accidents
de travail.

« Dans la partie déchets, c'est là où on a les plus mauvais taux d'accident. Même en
accident mortel mais c'est dû au véhicule, c'est un accident routier donc c'est pas évident.
Après il a y a une réelle dynamique, ils prennent les choses en main mais c'est très long,
c'est très long. Dans les pays nordiques il y a des facteurs météo qui jouent, après il y a
des facteurs culturels qui peuvent jouer aussi, c'est vraiment pas évident. » Responsable
syndical_80
« On n’a personne derrière nous qui nous dit il faut bien faire ça, il faut que ce soit bien
fait d’accord, faut que ce soit fait en sécurité mais de toutes façons notre mot à nous c’est
la sécurité d’abord » Responsable presse centre de tri_48
« [les objectifs sont] Le maintien du centre de tri en marche, essayez d’avoir zéro
accidents de travail avant tout aussi, d’améliorer un peu de sécurité, voilà. »
Responsable maintenance centre de tri_38

Le Comité d’Hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) organisé à l’échelle


régionale, le comité d’entreprise, les groupes de travail sur le document unique, sont
mentionnés par les agents de l’incinérateur et du centre de tri. Ces instances sont plus ou
moins investies par les représentants syndicaux ou délégués du personnel du site du fait d’un
intérêt variable pour les questionnements abordés ; de la perception du dynamisme ou de
l’immobilisme des groupes présents lors des réunions ; d’un manque de temps ou de candidats
pour s’investir dans les multiples outils existants.

« J’avais pris les rôles du comité d’entreprise, ça fait 3 ans que je n’y suis pas
aujourd’hui, j’y reviendrais sûrement. Délégué du personnel ça, je le suis encore.
CHSCT non parce que je faisais déjà 3 choses, 3 mandats et ça faisait déjà beaucoup,
et que CHSCT c’est un boulot à plein-temps. » Agent de maintenance incinérateur_53
« La difficulté... je crois que c'est que les gens qui y sont ne savent pas réellement le
pouvoir des CHSCT qui est une instance, qui normalement, ça doit être costaud, quoi.
Ça doit être costaud et les gens n'y vont pas pour ça. Ou alors ils y... Le CHSCT, après
c'est dur... c'est un problème... quand vous devez faire quelque chose vous devez en
être convaincu. […]... C'est pas qu'ils y sont pour une mauvaise raison, ce n'est pas ça,
c'est que les gens ont une bonne volonté, mais ils n'ont pas la pleine mesure du pouvoir
qu'ils ont et de l'influence qu'ils devraient avoir. C'est des gens qui s'y mettent parce
que il y a une union qui ne marche pas, il y a un petit truc... et comme ils n'ont pas la
perspective, alors qu'ils ont des formations. Bon, c'est pareil. La dernière formation
qu'ils ont eu c'est la formation qui a été donnée par la direction. […] C'est pas des gens

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qui ont la condition de... ils sont là pour améliorer les choses pas pour les changer.
Voilà... c'est comme ça. Ce n'est pas une question de compétence ou de
professionnalisme, c'est des gens qui sont très bien... mais enfin déjà, quelqu'un qui
essaye de faire quelque chose pour les autres c'est déjà très bien. C'est déjà louable.
Mais après, est ce que l'on ce donne toujours les moyens... c'est pas évident.»
Responsable syndical_80

Cependant, on constate des formes de négociation « locales » au niveau de la gestion de la vie


quotidienne dans les installations. Ici, ce n’est plus un rapport syndicat-groupe-filiale mais
salariés-hiérarchie directe qui s’opère :

« Et délégué du personnel c’est très peu de questions, c’est dur à gérer, parce qu’on
n’a pas beaucoup de retours, ça se passe quand même assez bien, en règle générale.
Y’a que pour les petites broutilles où on met 200 ans, c’était le cumulus à un moment
qui faisait à peine 200 litres et il fallait expliquer que ce n’était pas suffisant pour une
vingtaine de personnes qui se douchent au même moment, donc on n’avait plus d’eau
chaude notamment l’hiver. Donc c’était des petites choses comme ça, des petites
questions de sécurité, est-ce qu’on ne peut pas mettre des EPI à tel endroit, donc ça
reste plutôt local. » Agent de maintenance incinérateur_53

Selon le responsable syndical, la difficile appréhension et manque de retour sur les aspects de
santé et sécurité au travail par les salariés pourraient être en partie expliqués par la sécurité de
l’emploi qui annihilerait tout « combat » ou défense des conditions d’emploi et de travail.
L’appartenance à un groupe leader est rassurante car vectrice de sécurité de l’emploi. Les
moyens financiers importants de groupe et de la filiale sont vécus comme des garants de
l’emploi à long terme.

« Donc moi oui je suis complètement pour réduire les déchets, j’estime qu’on appartient à
un grand groupe qui nous retrouvera un travail si l’incinérateur s’arrête pour une ou
l’autre raison. J’ai vécu ça à X et ils ont retrouvé un travail pour tout le monde. » Chef de
quart_83
« Par contre ici ils ont une sécurité d’emploi, tu as une qualité de travail qui est quand
même importante, c’est un site qui est bien, mais si tu veux changer il faut bouger et c’est
plus simple de faire le pas si tu te dis que tu n’es pas content du tout de ton travail ici,
mais c’est relativement peu le cas. Même ceux qui râlent le plus, je suis sûr que c’est
ceux qui, quand je partirais d’ici, seront toujours là, pas que dans l’équipe de
maintenance, je les aime bien tous, ils sont très très bien, mais y’en a quelques-uns, tu
les connais pour les avoir pratiqués, ça ne va pas, et ils vont partir machin mais ils sont
toujours là, mais c’est normal c’est la nature humaine. » Responsable maintenance_53
« Mais je crois qu'ils se rendent compte que dans un autre groupe ça peut être pire. Les
périphériques aux salaires ne sont pas mal. Ça suffit à être bien ou ça suffit à ne pas être
mal. C'est plutôt dans ce sens là. »Responsable syndical_80

L’accès à la formation est aussi un des thèmes de la négociation collective, qui est à la fois
centralisée au sein de l’entreprise et décentralisée. La question du développement des
compétences professionnelles et des connaissances techniques, ainsi que l’anticipation à
l’inaptitude professionnelle sont des thèmes dominants dans le discours du responsable
syndical. Les problèmes de santé dans les centres de tri, les risques professionnels dans les
incinérateurs et la technicisation des métiers imposent de mener un travail syndical sur les
questions de formation et de mobilité professionnelle au sein du groupe.

Le travail syndical sur l’emploi, la formation et le salaire

Nos enquêtés évoquent deux manières de se former au sein de Valori. La première forme
correspond aux formations nécessaires pour s’adapter aux évolutions du travail du poste
occupé, la seconde, relayée essentiellement par le responsable syndical, fait référence au
développement de compétences pour les salariés peu qualifiés et « coincés » sur un poste de
travail générant de la souffrance.

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L’incinérateur est une installation à risque demandant de la part du personnel de quart et de


maintenance des compétences particulières. Il existe deux types de formation : les
« réglementaires » qui sont imposées et obligatoires pour les agents, concernant souvent des
aspects de sécurité ; les « individuelles » demandées par les agents et dont l’accord dépend de
la direction sont à choisir dans le catalogue de formations des différents groupes.

« Par exemple moi cette année, les formations de mes gars hormis les formations
réglementaires, j’en ai eu un qui est parti sur une formation Axcess, […] parce que dans
son rôle qui est un rôle de méthode, il gérait plusieurs tableaux Excel et il vaut mieux
travailler sur une base de données donc je l’ai mis là-dessus, ça c’est vraiment spécifique
au poste. J’ai une personne qu’on estime qu’elle peut évoluer donc lui j’ai accepté une
formation de management alors qu’il ne fait pas du tout de management actuellement,
voilà mais son plan de carrière lui c’est d’évoluer dans ce sens-là que ce soit ici ou
ailleurs et le rôle du manager c’est de faire évoluer quand même son personnel, que ce
soit dans l’entreprise ou ailleurs. Actuellement il y a une formation qui a lieu sur un
appareil vibratoire, c’est pour aider la maintenance, voilà. On est actuellement dans les
demandes de formation pour l’année prochaine, y’en a un qui veut utiliser Word, il ne
l’utilise pas tous les jours, ça ne changera pas ma vie, enfin la vie de Valori, qu’il sache
utiliser Word, mais je pense que pour lui c’est important et ça le valorise donc il va faire
ça, j’en ai un autre je vais lui accorder, enfin je vais lui accorder ce n’est pas St Thomas
c’est parce qu’on a un budget et il faut qu’on fasse dans le budget, donc il va partir en
formation management, j’en ai un qui va apprendre à affuter les outils parce que là il y a
une utilité pour Valori » Responsable maintenance_58

Les formations réglementaires sont nombreuses et récurrentes. Elles sont souvent dépréciées
par les salariés qui les jugent inutiles au vu des connaissances qu’ils acquièrent sur le terrain. À
l’inverse, les formations permettant de développer de nouvelles compétences ou de les
approfondir sont valorisées par les opérateurs. Ils regrettent le refus de la direction des cursus
qu’ils considèrent importants vis-à-vis de leur activité, jugement qui n’est pas partagé par la
direction. Pour eux, cela s’assimile à un manque de reconnaissance des compétences qu’ils
doivent acquérir dans leur travail, une négation de leurs qualifications en tant que professionnel
du domaine.

« Là ils me sollicitent pour faire un truc je leur dis non, déjà ça va un peu plus loin que
mes compétences, parce que ça reste quand même des compétences presque au
niveau Siemens en Allemagne, ils veulent que je passe de l’anglais en français, oui
d’accord mais je ne peux pas apprendre tout ce que ça veut dire… Il faut quand même
que les gens s’y mettent un peu, moi je m’y suis mis, quoique la formation anglais je l’ai
demandé, on me l’a refusé parce qu’un technicien n’a pas besoin de parler anglais, sauf
qu’aujourd’hui la moindre documentation elle est en anglais puisqu’il n’y a plus
d’obligation de l’avoir en français, donc le technique détaillé c’est en anglais, après oui
mise en place t’as deux pages c’est en français mais ça ne sert à rien. Mais ça ils ne
l’ont pas compris donc… » Agent de maintenance incinérateur_53

La recherche du développement de la formation et de la mobilité dans le secteur du déchet se


pose pour toutes les activités, et s’élargit sur les différents domaine du groupe. Certains métiers
dans le tri ou dans l’incinération ont non seulement des carrières limitées, mais ne nécessitent
pas pour l’embauche une formation ou un diplôme propre. Dans ce cas là, les syndicats tentent
de mener un travail de négociation pour créer des passerelles entre les métiers de la filiale et
du groupe. Si le responsable de maintenance affirme qu’elles sont possibles, pour le
responsable syndical elles restent peu pratiquées.

« Mettons pour être chef de quart ou dans une exploitation d'usine d'incinération il n’y a
pas de filières. Il n'y a pas un cursus scolaire ou professionnel qui amène à ce métier là,
donc c'est souvent... les chefs de quart en usine d'incinération c'est plutôt des BTS
mécanique ou des BTS électro, après en maintenance c'est pareil. Par contre les centres
de tri, c'est désolant à dire mais, pour se dépatouiller il suffit d'avoir deux mains et des
yeux c'est... et un réel besoin d'emploi, il n'y a pas de formation. » Responsable
syndical_80

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« Après ça dépend le poste que tu as, ça dépend, mais il y a des passerelles. Il y a


certains postes c’est un peu compliqué, le poste de chef de quart, une des difficultés
c’est qu’actuellement après chef de quart ils font quoi, la marche pour être responsable
d’exploit sur un site comme Valori est dix fois trop grande, il faut une marche
intermédiaire, mais il n’y en a pas quinze sur site donc le nombre de poste est vraiment
limité par rapport aux chefs de quart, voilà. » Responsable maintenance Incinérateur_58
« Ça, c'est le problème. La passerelle… ça serait plutôt là ou ça baisserait, mais moi je
suis très formation. Moi je prône plus, justement, d’impulser une vraie politique
d'employabilité au niveau des salariés pour qu'au bout de 10 ou 15 ans, 20 ans, le gars il
ait des compétences pour partir, mais pour partir sur d'autres métiers. Parce qu’au sein
du groupe il y en a des métiers chez eux, mettons que quelqu’un qui travaille dans les
déchets il y a énormément de difficultés à aller travailler dans l'eau, d'aller travailler dans
le gaz ou dans l'électricité c'est très dur, les passerelles n’existent pas, même s’il a une
réelle envie de mobilité, s'il veut bouger et tout, c'est très très dur, c'est très cloisonné, ça,
c'est une question de mentalité. […] Il y a eu un accord qui a été signé ça va faire trois
ans, c'est la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui normalement, la
GPEC, qui normalement devrait pallier à ça. » Représentant syndical régional_80

Si le responsable maintenance pointe des difficultés de mobilité et d’évolution de carrière pour


le métier de chef de quart, il en est de même pour les conducteurs pontiers et adjoints, mais
aussi pour les techniciens de maintenance. En somme, le choix de rester sur un site implique
d’accepter, autant pour la maintenance que pour l’exploitation, d’être bloqué dans l’avancement
de carrière. Le responsable d’exploitation réaffirme l’idée que l’évolution reste possible, mais
qu’elle nécessite un fort engagement de l’individu. Puis plus tard, il pondère ses propos en
ajoutant que l’entreprise et le groupe ont changé de stratégie au niveau du recrutement ayant
alors une incidence sur les possibilités pour évoluer.

« A partir du moment où on veut vraiment faire quelque chose, où on veut vraiment


avancer c’est complètement perso, il ne faut absolument pas compter sur les autres,
absolument pas, c’est un travail personnel, l’école c’est un travail personnel, il ne faut pas
compter sur les parents, il ne faut pas compter sur les profs ni sur les copains, et encore
moins sur son employeur, donc non faut se démerder tout seul. […] Donc là maintenant
depuis de nombreuses années on donne de moins en moins l’opportunité aux anciens
entre guillemets d’évoluer dans une entreprise et on préfère embaucher de jeunes
diplômés. Pourquoi, à mon avis c’est parce qu’on les paie mal et… on les paie moins
bien, au SMIC faut le savoir […] L’entreprise pense que d’embaucher un ingénieur c’est
plus performant que de faire monter un vieux de la vieille et qu’un ingénieur s’en tirera
beaucoup mieux, grosse erreur, mais bon… maintenant il faut un peu de tout »
Responsable exploitation Incinérateur_54

Les difficultés s’accroissent du fait de la méconnaissance des métiers du secteur des déchets,
notamment pour les conducteurs de l’usine (équipe de quart). En réponse, une partie de la
direction de Valori estime qu’aujourd’hui il vaut mieux ne pas embaucher des salariés jugés
« sur diplômés ». Des compétences acquises par un niveau Bac ou un CAP ou BEP technique
seraient largement nécessaires et permettraient, sans doute, une meilleure évolution dans la
carrière.

« Le problème des formations, c'est que vous avez des formations qui sont qualifiantes,
qui augmentent votre compétences et employabilité... mais nous il y a une grande partie
de tout ce qui est habilitation sécurité environnementale et compagnie qui nous prennent
pas mal sur le budget de formation. C'est un gros problème quand on rentre dans un
incinérateur, pour rentrer mettons, avec un BTS en électromécanique passé en 1970, en
l'an 2000 vous allez sortir, vous allez avoir toujours votre BTS en électromécanique, bien,
mais là vous ne connaissez plus rien d'électro-mécanisme. L'employeur devrait avoir
l'obligation morale de vous maintenir au niveau auquel il vous a pris. Que ce soit sur
nouveau process, soit sur un nouveau matériau, on le fait pas, on le fait pas. On avait
perdu une usine à X, […] vous vous trouvez avec 26 personnes, 5 ou 6 chefs de quart,
des gens qui sont en exploitation qui ne savent faire que ça et qui ne savent faire plus
que ça. Parce que quand ils sont rentrés ils savaient faire d'autres choses, ils auraient pu
aller ailleurs, et quand vous mettez sur un CV chef de quart, qu'est que ça veut dire? ça

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veut rien dire, ça veut rien dire. A la limite le gars il va vous demander si vous savez
conduire un bus… » Responsable syndical_80
« Ils sont trois à avoir des BTS, et je trouve que c'est une erreur parce qu’à un certain
moment ils font un travail qui n’est pas toujours en corrélation avec leurs diplômes, bon
ça c'est pas trop grave, mais leur formation pourrait leur donner des ailes qu’ils n’ont pas
[ici] et ça je l’ai dit si demain on refait une usine on ne prend pas les mêmes gens de
quart. » Directeur adjoint Valori_50

Les difficultés du métier de trieur commencent à être un objet d’attention par les syndicats du
secteur qui tentent de travailler sur les passerelles entre les métiers du déchet, sur les
formations pour améliorer les conditions de travail et sur les problématiques de genre dans les
centres de tri. Les inégalités dans l’avancement des carrières au regard du genre, notamment
dans le milieu du tri, deviennent l’objet de négociations. Au centre de tri C3 et à l’incinérateur,
on ne trouve aucune femme occupant un poste d’encadrement, de direction, ou de travail au sol
49
(qui reste le domaine des hommes ). De fait, les caractéristiques traditionnelles du travail
ouvrier féminin (Guilbert, 1966 ; Kergoat, 1982) semblent toujours d’actualité.

« Entre carrières hommes et femmes, on est en pleine négociation là dessus. Sur


l'égalité professionnelle on se rend compte que les profils de carrière des hommes, on se
rend compte qu'ils sortent des métiers de chaîne pour aller vers des métiers de cariste,
responsable de presse ou quelque chose comme ça, par rapport à une carrière féminine
où la seule perspective est chef de cabine ou… chef de… il n’y a rien. Mais on y travaille
dessus, on est en train… on doit sortir un accord d'égalité professionnelle. On est en
pleine négociation là dessus. » Représentant syndical régional_80
« Vous avez vu [dans les centres de tri] c’est souvent des jeunes filles ou des femmes
âgés enfin, bon, c’est des accidentés de la vie souvent, il faut le dire comme ça. C’est le
revenu principal donc il n’y a pas… Nous on s’axe plus sur les formations, sur
l’employabilité pour que ces gens là puissent rebondir ailleurs, pour qu’il y ait des
passerelles qui soient faites avec les autres centres de déchets, voir avec les autres
métiers de Gamma, essayer de faire évoluer ces gens là […] on avait axé sur des
formations de remise à niveau en français et en math, et après ça suffit pas quoi.
Malheureusement ça suffit pas parce que c’est pas… alors nous on aimerait s’axer plus
sur… ouvrir la perspective de carrière, sur les métiers du site […] Le groupe ne
s’intéresse pas à ce qui se passe dans les autres entités du groupe qui sont très fermées.
Chaque entité est très renfermée sur elle-même, elle ne va pas aller chercher les
compétences. Il y a eu un accord qui a été signé, ça va faire trois ans, c’est la gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences, qui normalement, devrait pallier à ça »
Responsable syndical_80
50
Si les carrières et la mobilité professionnelle des femmes dans les centres sont limitées (de
trieuse à chef de cabine), cela peut être différent pour les hommes. Le responsable de presse
et l’agent de maintenance d’un centre de tri relatent les possibilités d’évolution qui leur ont été
permises par Valori.

« [Ce qui lui plaît] C’est la mentalité de l’entreprise, l’évolution au sein de l’entreprise,
c’est pour ça que je vous dis moi évoluer, je sais que j’ai évolué, que j’ai encore évolué
encore cette année parce qu’ils m’ont fait passer le poids lourd, que je sais que j’ai
passé les nacelles, en 4 ans et demi on va dire j’ai évolué […] j’ai évolué oui, de agent
trieur, conducteur d’engins, responsable presse » Responsable de presse centre de tri
Valori_48
« Ils proposent des formations oui, formation au management et tout ça, j’ai commencé
à en faire, j’en ai fait, et puis on va vers ça, j’essaye d’évoluer vers là. […] je pense qu’il
faut aussi se déplacer et aller sur d’autres lieux pour pouvoir aussi se faire la main,
dans le groupe c’est comme ça aussi et je pense qu’il faut se déplacer aussi. […] J’ai
pas le niveau, je ne suis pas cadre, donc pour ça il faudrait que je change aussi de

49
Pourtant certaines des trieuses détiennent les CACES nécessaires à la conduite des engins.
50
Une trieuse est devenue conducteur pontier suite à des incapacités physiques. Une autre est devenue
agent de pesée. A notre connaissance et depuis 2004 aucune des autres trieuses n’a changé de postes.

Le Travail dans les Industries de Déchets 93/160


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centre, voilà, pour pouvoir… ou sinon avoir une autre vue sur l’incinérateur, voilà mes
possibilités mais il faut que je bouge.» Agent de maintenance centre de tri_38

Nous avons vu que le dialogue social et la négociation collective souhaitaient intégrer la


perspective d’un parcours professionnel. Aboutissant à des accords il semble que pour
plusieurs métiers, la mise en pratique reste encore difficile, notamment pour passer d’un
domaine industriel à l’autre. En outre, dans les discours, les conditions de travail apparaissent
comme étant un thème peu abordé dans les négociations collectives.
On remarque, du côté des salariés, que les revendications dans les deux installations Valori
portent essentiellement sur les salaires. Chez les opérateurs de l’incinérateur les conditions de
travail sont bien moins présentes et détaillées dans les discours que dans ceux des trieurs.
L’absence de perspectives de carrière, la difficulté d’assumer une activité peu reconnue et aux
conditions de travail difficiles font rarement parties des revendications sociales des salariés.

Les revendications des salariés sont centrées sur les revenus

Bien que les trieurs parlent en majorité de leurs conditions de travail lors des entretiens réalisés,
les revendications qu’ils ont jusqu’à aujourd’hui conduites lors de mouvements de grève
concernent exclusivement leur rémunération. Le niveau de qualification, l’installation, les
conditions de travail de chacun, semblent donc avoir une influence sur les discours, mais pas
sur les revendications.
En ce qui concerne les revenus dans le milieu du déchet, les salariés estiment ne pas être bien
payés. Etonnamment des responsables partagent ce même point de vue et emploient parfois
des moyens détournés pour revaloriser le salaire comme en témoigne le dernier extrait
d’entretien qui suit.

« [Le déchet] Il génère énormément d’argent et ça intéresse énormément de gens, en


sachant que les salariés qui travaillent là-dedans sont mal payés […] on est tous mal
payés, moi, mes équipes » Responsable exploitation Incinérateur_54
« Si on parle salaire c’est bas, c’est bas parce que les chefs de quart en travaillant en
3X8 ça doit être à peu près 2100 ou 2200 euros brut, avec le jeu des primes quand vous
êtes à la fin de l’année, quand vous comptez tout, vous dépassez votre brut en net, il faut
ème
tout intégrer le 13 mois, la prime de vacances, tout le reste » Responsable
syndical_80
« Le problème c’est que je n’ai pas de référence pour te dire, si moi après je connais les
salaires des autres usines donc oui je suis mal payé, par rapport aux autres usines je
suis mal payé […] Ouais, ouais, à la X je crois qu’ils sont à 2500 euros pour les chefs de
quart, 2500 euros minimum, l’adjoint chef de quart il touche comme moi à X » Chef de
quart_83
« Mon responsable d’agence c’est un ancien technicien de maintenance, il est très bon.
Je l’ai fait évoluer et je pense qu’il est à sa place. Mais il fallait que je lutte pour le salaire,
il faut se battre. J’ai pu obtenir, là j’ai eu un coup, mais il m’aura fallut 6 mois. Y’a des
postes il faut gravir quelques coefficients pour… « ah non c’est la règle, c’est comme ça.
Aujourd’hui c’est comme ça, on n’évolue pas comme ça, faut attendre 3 ans ». Ça
devient un marché de dupe. Il m’oblige à être malhonnête. Je suis obligé d’user
d’artifices. » Directeur centre de tri_34

De plus, on observe aussi que les trieurs sont globalement moins syndiqués, moins porteurs de
revendications et participent plus faiblement à des mouvements de grève que le personnel de
l’incinération. La convention à laquelle ils sont rattachés ne mentionne pas non plus de
dispositions particulières et des spécificités à leur égard et à leur activité. Cela peut en partie
s’expliquer par le fait que les grèves dans les centres de tri ont moins d’incidence que dans les
incinérateurs. En effet, ces derniers reçoivent un volume de déchets quotidien bien plus
important que dans des centres de tri. L’accumulation de ces tonnes de déchets pose non
seulement plus de problème d’hygiène et de sécurité dans les premiers que dans les seconds,
mais met surtout en péril le fonctionnement des fours et donc la production d’électricité. Ce sont
deux éléments qui leur confèrent donc plus de pouvoir ou de force de pression.

« NAO (Négociations annuelles obligatoires), pour les salaires. Après les centres de tri
qui se sont mis en grève sur d'autres motifs, du côté régional non je ne crois pas, ça

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toujours était lié à la politique salariale. Et toujours dans un mouvement collectif jamais
pour eux mêmes. » Responsable syndical_80

Au niveau des arguments en faveur d’une revalorisation salariale, l’analyse nous permet de
constater qu’il existe des différences entre les trieurs et les opérateurs de l’incinérateur et
techniciens du centre de tri. Pour les premiers, la demande d’augmentation est justifiée par la
pénibilité de leur travail sur la chaîne ; pour les seconds la reconnaissance de leurs
compétences, la difficulté des horaires en 3X8, mais aussi les écarts avec les autres
entreprises ayant une activité similaire sont donnés comme arguments pour soutenir ces
revendications.

« Qu’aujourd’hui on ne paye pas assez, j’en discutais même avec mon responsable qui
est bien d’accord pour ça, et même il me dit les techniciens en France ne sont pas
assez bien payés, ils ne sont pas assez bien payés […] Je trouve que ce métier il n’est
pas assez bien… quand on est dans un grand groupe tout ça, c’est pas assez bien
payé, en tant que technicien déjà je trouve que ce n’est pas assez bien payé dans ce
métier » Agent de maintenance centre de tri_38
« C’était par rapport aux salaires, j’avais réussi à mettre en évidence auprès de la
direction de la filiale régionale que Valori était sous-payé par rapport à une autre
entreprise de la filiale, par rapport aux mêmes postes, et on avait obtenu 50 € sans faire
grève » Agent de maintenance incinérateur_53

Ce deuxième point relate les principaux thèmes de la négociation collective et les


revendications qui apparaissent focalisés sur les salaires. Le dernier point de cette sous-partie
concerne la recherche de l’efficacité productive et de la performance, porté essentiellement par
les cadres de deux installations (le centre de tri et l’incinérateur).

4.2.3 La recherche de l’efficacité productive51

L’outil de travail et la production sont ici au centre des discours, la prégnance des variables
« usine », « process » et « automatisation : efficacité productive » nous le montre. On remarque
aussi que la variable « informatique » est fortement représentée dans ce régime de référence.
Cela s’explique par la nature du process utilisé dans les incinérateurs. En effet, une partie
importante de l’activité de travail du personnel de quart s’effectue sur des écrans de contrôle.
Bien que ce contrôle continu soit complété par des rondes effectuées par les opérateurs (cf.
axe 3), les outils informatiques sont centraux pour permettre de limiter les risques
environnementaux et les problèmes de production. De plus, l’un des techniciens de
maintenance s’occupe de toute la partie automatique de l’usine, agissant sur les programmes
des machines et les outils informatiques du personnel d’exploitation pour essayer d’améliorer
en permanence les rendements et la sécurité environnementale de l’usine.

« Il y a beaucoup de choses ici qui font que si on ne regarde pas, tout peut partir
comme ça, ça peut partir en vrille en un rien de temps. Encore une fois c’est ça qui fait
la différence, c’est les ordinateurs quoi, c’est eux qui nous permettent de réagir parce
que sinon il faudrait au minimum 40 bonhommes sur le terrain en train de tourner en
permanence, c’est bête à dire mais c’est vrai, on en a besoin, ils font le plus gros du
travail. » Agent de quart incinérateur_51

Ici, ce n’est pas la baisse de la facture de l’usager qui est recherchée contrairement au public,
mais bien l’optimisation des outils et des équipements afin d’assurer la production, l’efficience et
52
l’efficacité productive et de maximiser les profits pour l’entreprise. Les discours sont ainsi

51
Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Process ; production ; automatisation : efficacité
productive ; informatique ; outil ».
52
Nous empruntons ici, la définition du sociologue Jean Ruffier (1996) pour définir ces deux notions :
« L’efficacité mesure la capacité d’utiliser des moyens pour parvenir à une fin donnée, un pilote est
efficace en ce qu’il utilise au mieux les ressources de son véhicule pour gagner sa course. L’efficience
porte sur le moyen terme, un moyen terme où les moyens et les buts sont appelés à évoluer […]
l’efficience vise davantage la capacité d’un système productif à se maintenir dans la durée que celle à
réaliser les meilleurs résultats immédiats possibles.

Le Travail dans les Industries de Déchets 95/160


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agencés autour des enjeux de la rationalisation industrielle à travers l’optimisation,


l’industrialisation, la modernisation et l’amélioration.

« Il y a des points où on peut toujours s’améliorer, il y a des points techniques comme ça


où on peut toujours s’améliorer. » Responsable maintenance Incinérateur_58
« [Nos objectifs] D’être le plus performant possible en utilisant de toutes les innovations
technologiques. » Directeur adjoint Valori_50
« Alors moi j’utilise la philosophie, alors chez eux ça s’appelle le Kaizen, ce qui veut dire
l’amélioration continue et ici c’est affiché pour toute l’entreprise : ma bible, Kaizen. Et ça
devient notre bible, c'est-à-dire les grands principes de fonctionnement. Tu ne tueras
point, tu feras ceci… et bien là « rendre les problèmes insupportables, écouter l’avis de
chacun… l’amélioration est continue, appliquer tout de suite une modification au lieu
d’attendre d’avoir des résultats - vaut mieux avoir 10% tout de suite que 100% jamais ou
d’attendre que ce soit au point ». C’est toute la philosophie. » Directeur Centre de tri_34
« Après si t’as quand même la partie importante qui est d’améliorer le process, il y a
toujours des petits points qui sortent, l’usine commence à être vieille et on essaye
toujours d’améliorer le process, on propose toujours des solutions pour améliorer le
process, on en discute en réunions, on en discute souvent entre nous et on améliore le
process. Et donc plus on l’améliore plus ça tourne bien, plus on a de temps voilà. » Chef
de quart Incinérateur_58
« Alors mon activité première c’est d’avoir un bon fonctionnement d’exploitation, des
équipements, donc il faut que ça tourne au mieux. Ensuite je m’occupe aussi de tout ce
qui est travaux de sous-traitance, travaux aussi quand nous on va améliorer ou faire en
préventif ou correctif dans les journées, nous travaillons sur GMAO, voilà, donc tout ce
qui est préventif c’est déjà programmé… .» Agent maintenance centre de tri_38

Les coûts liés aux améliorations de process représentent une part très importante du budget
des installations de déchets qui doivent gérer :
- les pannes, les fuites, les problèmes de la production (cf. axe 3), autant dans
l’incinérateur que dans le centre de tri ;
- les évolutions réglementaires qui nécessitent des anticipations, des améliorations
ou des adaptations de process tant au niveau des risques industriels et
environnementaux que professionnels ;
- l’amélioration continue afin de rester compétitif sur les marchés et de limiter les
coûts de production.

« En fait au niveau européen il y a une directive qui est apparue en 2002, qui a été
transcrite en droit français, et cette transcription en droit français en 2002 fixait comme
échéance une mise aux normes pour le 27 décembre 2005 […] Donc il y avait
essentiellement un impact en termes d’oxyde d’azotes, puisque Valori n’avait à ce
moment-là pas de normes puisque c’était le droit actuel, on a eu aussi un doublement
des analyseurs puisqu’il y a une norme de disponibilité des analyseurs fumeurs qui était
plus importante, on a eu une mise aux normes au niveau de traitement des effluents […]
Je réfléchis mais voilà, donc pour Valori un chantier de l’ordre de 7 à 10 millions d’euros
mais quand même relativement peu important par rapport à d’autres sites » Responsable
maintenance incinérateur_58
« On a des usines qui consomment et produisent beaucoup d’argent, des usines comme
Valori on va dépenser beaucoup parce que pour maintenir ce site en état il faut beaucoup
investir parce que sinon l’appareil il s’use, il casse et c’est terrible, donc gros
investissement et gros investissement parce que derrière il y a de grosses rentrées, donc
des flux d’argent qui sont importants dans les deux sens » Responsable maintenance
incinérateur_58

Les solutions pour améliorer et augmenter la production et le rendement des installations


passent par la mise en œuvre de nouveaux moyens humains et financiers. L’amélioration
continue par le biais de groupes de travail et par les innovations technologiques et
organisationnelles sont au cœur de ces activités de déchets. Les agents de maintenance et les
cadres sont en recherche constante de perfectionnements à opérer.

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« [Ma mission] C’est essayer de trouver ensemble comment on peut travailler mieux,
comment on peut optimiser encore, comment on peut faire encore plus d’argent,
comment on peut en économiser encore, c’est mener une réflexion sur les modifications
de fonctionnement, de matériel pour essayer de produire encore plus et de façon plus
fiable. » Responsable d’exploitation incinérateur_54

Les autres agents des différentes installations sont aussi impliqués sur cet aspect et mènent
une réflexion pour permettre l’amélioration de leurs pratiques, et donc augmenter ou faciliter la
production. La rationalisation se fait au sein du site mais peut être aussi une stratégie de la
filiale.

« En tant que chef de quart c’est vrai que faire tourner l’usine c’est facile, d’accord, et
donc ce n’est pas mon activité principale, enfin je considère moi que ce n’est pas mon
activité principale, je me spécialise sur les pannes en fait donc je suis dépendant des
pannes de l’installation parce que maintenant c’est vrai que l’installation tourne bien.
Après si t’as quand même la partie importante qui est d’améliorer le process, y’a toujours
des petits points qui sortent, l’usine commence à être vieille et on essaye toujours
d’améliorer le process, on propose toujours des solutions pour améliorer le process, on
en discute en réunions, on en discute souvent entre nous et on améliore le process. »
Chef de quart incinérateur_83
« La GMAO ça permet d’industrialiser la maintenance […] dans la filiale, elle existe
depuis une dizaine d’années, mais en fonction des usines à des niveaux plus ou moins
développés, donc ils ont voulu mettre tout le monde à niveau en disant voilà il faut
améliorer la maintenance. Comme ça en améliorant la maintenance on va améliorer la
disponibilité de nos sites, on va améliorer nos coûts et on va arrêter sur certains sites de
ne faire que du pompier, voilà c’est une évolution du métier.» Responsable Maintenance
Incinérateur_58
« Il a fallu que j’apprenne à ralentir, et au niveau technique il faut que j’apprenne en
permanence de nouvelles choses pour me donner de nouveaux outils qui me permettent
d’avancer ou d’améliorer certains domaines. Alors en automatisme c’était la
programmation basique, en fait il y a plusieurs façons de programmer, donc c’est
apprendre d’autres façons de programmer qui sont plus complexes, moins simples pour
justement améliorer et développer les propres modules d’un automate, c’est un peu
compliqué, mais c’est aller de plus en plus loin dans la programmation de façon à
permettre un éventail de possibilités à l’exploitation. » Agent maintenance
Incinérateur_53
« Le début du mois qui est dédié au bilan mensuel de fonctionnement de l’usine, donc là
c’est ce que je suis censé faire, donc je relève tous les paramètres de fonctionnement qui
ont été accumulés pendant le mois, je fais des synthèses, je fais des calculs, et je
regarde, je mets en forme toutes ces données sur des tableaux, tableaux Excel, donc ça
va du tonnage poubelle reçu dans l’usine, tonnage vapeur produite, mégawatt vendu à
l’EDF, produits chimiques utilisés dans les process de traitement, et le nombre d’heures
de fonctionnement de différentes machines. Donc tout ça c’est analysé, mélangé,
rationné, et je mets ça dans des tableaux qui nous servent à suivre et à optimiser l’usine
et je remplis d’autres tableaux aussi pour l’entreprise, pour que les gens du siège
puissent avoir les résultats de fonctionnement du site […] l’objectif… l’objectif c’est de
fonctionner le mieux possible » Responsable Exploitation Incinérateur_54

Contrairement aux discours des acteurs du public, on remarque que l’amélioration des
conditions de travail est peu présente, ce sont les machines, le process, les équipements, les
méthodes de travail qui sont au centre des préoccupations. Les objectifs de production doivent
être respectés et la recherche de l’optimisation maximale des coûts entraîne des logiques et
des stratégies particulières chez les encadrants du privé.

« Donc ça veut dire c’est la performance au service du client pour baisser les prix, c’est
une question de survie. En 2003, quand j’ai été recruté chez Alpha on traitait les
collectes 200 euros la tonne. Aujourd’hui on les traite à 110, la moitié. Donc ça passe
par quoi ? La productivité. Et malheureusement, j’en suis pas fier, la productivité elle se
fait sur le dos des gens. » Directeur centre de tri_31

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On voit dans cette dernière citation que le rendement se fait parfois au détriment de l’humain, et
que ce discours, bien que peu présent dans les entretiens, est assumé par les acteurs des
groupes privés. La rationalisation doit permettre de s’adapter aux mutations de l’activité et de
baisser les prix de traitement en accroissant la productivité des produits recyclables.

Dans cet axe, les deux régimes de référence présentés opposent des logiques d’action
publique ou privée du traitement des déchets. Ici, et contrairement aux discours des acteurs
d’Optitri, la mise en avant des installations se fait du point de vue de l’efficacité et de l’efficience
des outils. La qualité des conditions de travail, l’insertion de personnes vulnérables et le
maintien d’activité sur des territoires sinistrés au niveau de l’emploi sont moins détaillés ou
étoffés dans les discours.

Le rendement est l’objectif premier fixé aux directeurs par leur groupe, mais aussi aux
opérateurs par leur direction. Comme nous le verrons dans l’axe 3, le personnel de
l’incinérateur centre ses discours sur les problèmes de la production et les risques liés à
l’activité. Le service maintenance et la direction en particulier exposent l’exigence d’adopter une
vision à long terme pour garantir le rendement et le « bon » fonctionnement de l’usine. Les
cadres de ces entreprises oscillent en permanence entre la volonté d’automatiser de plus en
plus (pour les centres de tri), et l’importance des coûts liés à ces améliorations. Ils tentent de
trouver le bon compromis pour rester compétitifs tout en limitant les frais engendrés.

« Moi j’ai vu des centres de tri en Italie, bien moi quand j’ai 20 personnes, en ce
moment j’ai 20 personnes dans la salle de tri et bien eux, ils en avaient 6 pour les
mêmes cadences. Alors les personnes elles devenaient des contrôleurs, elles ne
foutaient rien. Bien sûr c’est bien et on y arrivera. Mais pour y arriver c’est de l’argent.
J’ai besoin de 2,5 millions d’euros pour arriver à ce stade […] Alpha les donnera
quand ? Quand il y aura le marché, en toute légitimité. En fait mon hiérarchique, il dit
faut que je demande à Paris. Le PDG il dit : « moi j’ai une somme, mon entreprise a un
niveau d’endettement, je la mets que quand j’ai un retour sur investissement ». Après
c’est de l’économie. Donc il faut justifier par un marché. » Directeur centre de tri_31

***
La gestion du traitement des déchets est aux mains des entreprises privées qui, sur le territoire
français, bénéficient d’une assise monopolistique territorialisée. Pourtant, nous avons vu que la
concurrence entre les filiales de groupe est toujours à l’œuvre notamment lors de la potentielle
reconduction des contrats avec les collectivités. Dans les discours, les logiques d’action d’une
gestion privée des installations de déchets articulent à la fois la culture de l’entreprise, celle de
la filiale, et celle du groupe. Les arguments en faveur d’une privatisation du secteur de
traitement s’enracinent dans la valorisation des compétences et de la technicité reconnues des
groupes, sur leur capacité à travailler en synergie avec d’autres installations similaires, mais
aussi par leur capacité d’investissement dans des installations complexes et de pointe. La
logique d’innovation bien que peu exposée se retrouve aussi sur le montage de projet ou sur
certains équipements. Les discours publics et privés diffèrent sur le travail syndical mené au
sein des entreprises, dans la filiale ou au niveau du groupe. Les questions de la formation
professionnelle, de la sécurité au travail sont l’objet de négociations collectives entre les
employeurs et les employés. Nous avons pu constater les difficultés des salariés pour leur
avancement de carrière, notamment pour les trieurs. Malgré cela, les salariés semblent pour
53
l’instant se mobiliser essentiellement sur la revalorisation de leurs salaires. Pour terminer, et à
la différence des discours publics, les discours privés insistent sur la nécessité de rationaliser le
process pour rester à la fois compétitif sur le marché, maîtriser les coûts, accroitre la
productivité et anticiper les prochaines normes environnementales. La logique économique
prévaut sur la logique sociale.

53
En 2012, 6 centres de tri d’un groupe privé étaient en grève durant plusieurs jours. La première raison
de la grève est relative à la perte de la prime d’intéressement basée sur le résultat d’exploitation qui doit
être au dessus de 3,5% du chiffre d’affaire pour l’ensemble des 6 sites. Etablie sous des critères
techniques, de production et économiques, les 6 centres de tri semblaient ne pas recouvrir les items
basés sur ces critères. Un des centres de tri a également protesté (presse, télévision) contre la dureté de
leurs conditions de travail et « le manque de respect et de dignité de la part du management de
proximité ».

Le Travail dans les Industries de Déchets 98/160


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5 Axe 3 : Les risques : travail contre environnement


Cette dernière partie réunie l’ensemble des installations que nous avons étudié sur la
thématique des risques. En sociologie, le risque devient un thème central dès les années
1980 avec les travaux Ulrich Beck (1986) et d’Antony Giddens (1994). Le premier souligne que
les risques contemporains des sociétés industrielles ne sont plus calculables et contrôlables du
fait du surdéveloppement technologique. Le second partage cette même idée lorsqu’il montre
« un nouveau profil de risque amené par l’avènement de la modernité », en ajoutant que « les
menaces écologiques sont la conséquence d’un savoir socialement organisé, influant sur
54
l’environnement matériel par l’intermédiaire de l’industrialisation » . Une situation à risque
convoque sa gestion par le biais de l’instauration de dispositifs sécuritaires ou de contrôle. La
sécurité « est liée à la connaissance plus ou moins certaine que l’on a des évènements pouvant
altérer le fonctionnement d’un système et aux significations que les acteurs élaborent à partir de
connaissances, d’expériences, de calculs ou de croyances » (De Terssac, Gaillard, 2009). La
maîtrise et la prévention des risques résultent ainsi de prises de décisions, d’un travail de
négociation et d’une coordination entre ce qui est acceptable techniquement, économiquement
et socialement. Elles s’appuient sur la mobilisation d’acteurs variés et concernés (les
travailleurs et leurs représentants, les professionnels de la sécurité, les institutions, l’Etat), en
ce sens c’est une activité de co-production des normes.

Mais avant de continuer de quels risques parlons-nous ?


Le risque au sens de Beck, peut-être considéré comme une menace qui a été induite par
l’activité humaine. Dans les deux cas, il questionne la relation santé et environnement mais de
façon disparate : d’un côté il est exprimé au regard de la santé des trieurs par rapport à leur
environnement de travail ; et de l’autre côté il prend corps sous le prisme de la santé publique
et des impacts environnementaux que pourraient engendrer les incinérateurs et les centres
d’enfouissement techniques. Nous verrons donc que le risque est à « géométrie sociale
variable » (Duclos, 1991, p28).
55
En effet, le troisième résultat fort de notre étude est celui de l’opposition fondamentale entre
un discours porté sur l’amélioration des conditions de travail dans les centres de tri de
déchets pour atténuer les risques professionnels et d’un discours centré sur la gestion des
aléas techniques dans l’incinérateur et dans le bioréacteur pour réduire les incertitudes
et le danger des impacts sanitaires et des risques sur l’environnement. Risque du travail
56
et risque technologique ne se pensent pas ensemble, alors qu’on aurait pu penser que les
discours soulignent que la bonne santé des salariés d’une entreprise contribue au bon
fonctionnement d’une organisation production et vice versa.
On observe aussi une autre opposition encore plus étonnante concernant les porte-paroles de
ces discours. Les premiers sur les conditions de travail sont les experts en sécurité, un acteur
du marché, et de cadres du secteur public et privé. Les deuxièmes sur les risques
technologiques se constituent exclusivement d’opérateurs d’exécution à des niveaux de
qualification variés. Les travailleurs s’occupent de risques technologiques et les experts des
risques du travail. Beau paradoxe qu’il faudra aussi pouvoir expliquer.

Dans les centres de tri de déchets, les menaces et les risques peuvent être caractérisés
« d’internes » à l’installation, dans le sens où les discours se focalisent sur les atteintes à la
santé des travailleurs. Dans l’incinérateur et le bioréacteur, nous qualifierons les risques comme
étant « externes ». Dans ces installations, les discours s’attardent très peu sur des conditions
de travail et des risques professionnels. La prégnance des risques industriels et
environnementaux de ces installations, en comparaison avec les centres de tri, semble prendre
le pas sur ces deux thématiques. Quelles explications et conclusions peut-on en tirer ?
Socialement, ces installations sont clairement perçues comme des dangers à l’égard de
l’environnement et des populations environnantes. Elles sont sujettes à des inquiétudes au sein
de la société française. Le risque sanitaire et technologique, dit « contrôlé » ou au contraire

54
p.116
55
Le troisième axe est celui des risques, il explique près de 8 % des informations de départ.
56
Elle « consiste à prévenir des évènements dont la gravité pourrait être élevée, même si leur probabilité
est a priori faible » (Daniellou, Simard, Boissières, 2010)

Le Travail dans les Industries de Déchets 99/160


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« non maîtrisé », est tant relayé par les différentes parties prenantes (professionnels du déchets
et associations environnementales) que les aspects relevant du travail des opérateurs semblent
ainsi éludés.
En somme, la menace technico-environnementale dans les centres de tri apparaît moindre,
moins spectaculaire que dans les incinérateurs et le bioréacteur. En revanche, les risques
professionnels sont manifestes et perceptibles. A l’inverse dans les usines d’incinération, les
questions articulant santé et travail sont atténuées et l’essentiel de la problématique des risques
se concentre sur la santé publique.
Le terme de « sécurité » et la référence aux « risques » sont donc représentés et définis de
différentes manières selon les installations et les acteurs.

Cette partie est composée de deux sous-parties illustrant les deux régimes de référence de
l’axe « risque » : le travail et l’environnement

- La première concerne la prise en compte des risques professionnels et les manières


dont les conditions de travail des opérateurs du tri peuvent être améliorées. Nous verrons que
seuls les acteurs de la conception les représentent et que le discours est fortement axé sur la
mise en place de nouvelles technologies, de nouveaux équipements et d’aménagements
matériels pour assurer la sécurité du personnel. On observe donc à nouveau un cloisonnement
entre la conception et le travail de production. Nos entretiens montrent que nos enquêtés ont
une bonne connaissance du terrain, mais les trieurs et les agents au sol ne sont que très
rarement sollicités et associés par les services d’études ou lors de travaux de rationalisation.
Bien que leurs paroles soient prises en compte et que les opérateurs peuvent être intégrés à
des groupes de travail (C1 et C2), il semble que les directions cherchent davantage à ce que
les agents coopèrent et acceptent les changements plutôt que de compter sur leur entière
participation à ces instances. La technique semble être la solution privilégiée pour endiguer par
exemple le risque de troubles musculosquelettiques. Dans les retours d’expérience la
dimension organisationnelle des centres de tri n’est pas suffisamment prise en compte et
rapportée.

- La deuxième sous-partie s’intéresse aux discours portés par les opérateurs de grands
57
systèmes socio-technique , ici ceux travaillant dans l’incinérateur et le bioréacteur. Dans ces
installations et plus particulièrement dans l’incinérateur, ces systèmes se caractérisent par un
processus complexe, évoluant en fonction de plusieurs facteurs, avec des opérateurs qui
tentent d’influencer la dynamique du process pour leur bénéfice direct, ou pour les intérêts
industriels qu’ils défendent. L’amélioration de la qualité de l’exploitation est dans les discours
centrale et repose sur l’engagement de chacun et du collectif sur la connaissance des
procédures et des règles et sur leur respect, afin de garantir le bon fonctionnement de leur
usine. La question environnementale structure le déroulement du travail dans l’incinérateur et
le bioréacteur. Néanmoins l’action sur l’environnement est ici un moyen et non une finalité.
Autrement dit, il s’agit d’œuvrer pour la protection de l’environnement pour garantir le respect
des obligations réglementaires pour continuer à produire.

Nous verrons que dans ces univers organisés ou en voie de réorganisation (bioréacteur, centre
de tri) les nouvelles technologies occupent une place de plus en plus importante et qu’elles sont
les supports de nouvelles formes de rationalisation qui se sont développées en vue de limiter
les risques. On observe donc une convergence à partir de la technique pour résoudre les
risques auxquels font référence les acteurs de cet axe. Dans ce qui suit, nous traiterons ainsi
de l’automatisation en tant que complexe de pratiques mises en œuvre par un ensemble
d’acteurs qui visent la limitation des risques professionnels ou des risques environnementaux et
industriels. Nous comprendrons ainsi que les innovations technologiques et l‘automatisation
mêlent des dimensions techniques, sociales et économiques. Les choix techniques recoupent
des contraintes et des problèmes de nature variée et interrogent le rapport homme-machine.

57
Soit des systèmes regroupant des éléments techniques et organisationnels en interaction et
relativement standardisés autour de normes, de règles et de rôles.

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5.1 Les risques professionnels du tri

Ce groupe d’individus est constitué d’experts (Agent de la Caisse Régionale d’Assurance


Maladie-CRAM, responsable Eco-Emballages, ergonome) et de cadres du secteur public et
privé qui cherchent à définir et à retravailler les normes et les règles du travail et à mettre en
œuvre des actions et des mesures sur la prévention des risques professionnels. Ils exposent
également leur propre définition de ce qu’est un métier à risque, commentent l’activité de tri et
listent les risques professionnels des métiers du tri. On observe alors que tous n’ont pas les
mêmes et représentations des risques. Il en est de même pour la définition et l’analyse des
Troubles MuscoloSquelettiques (TMS). En outre, ce régime de sens se constitue autour
d’acteurs dont le discours est axé sur les stratégies des centres de tri. Les défis qu’ils devront
relever dans les années à venir au niveau des conditions de travail des trieurs ; de l’adaptation
aux demandes des repreneurs du marché des déchets recyclables ; et des objectifs législatifs
en matière de recyclage sont nommés. L’enjeu social « d’humanisation » du travail touche en
même temps les objectifs de préservation de l’environnement et des emplois de ce secteur.
Figure 5 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d’importance

Variables Mobilisées Individus du regroupement

Centre de tri EE_78


Dispositifs et acteurs de prévention des risques CO_64
professionnels
CRAM_77
Elargissement des consignes de tri
Réglementation du travail EE_79
Opérateurs de chaîne DRC_84
Eco-organismes ER_81
Santé accidents du travail DR_30
Automatisation RE_29
Qualité
Clients
Absentéisme
Abréviations des postes et fonctions :
Gestes de tri
Instances participatives EE : Eco-Emballages
Dispositifs de contrôle de la qualité des produits CO_64 : Coordinateur Optitri (service
Salle de tri (centre) hygiène et sécurité)
Tri CRAM : Agent de la Cram
DRC_84 : Direction Optitri
Technologies d'automatisation
ER_81 : Ergonome
Acteurs périphériques au secteur du déchet DR_30 : Directeur centre de tri Valori
Automatisation : conditions de travail RE : Responsable exploitation centre de tri
Chargement de la chaîne Optitri
Recrutements et embauches

Notre exposé se structure autour de quatre points. Nous montrons que la réflexion sur les
risques professionnels concerne essentiellement le métier de trieur (1) fédérant un ensemble
d’acteurs hétérogènes (extérieurs pour la majorité d’entre eux à ce type installation) qui mettent
en place des actions préventives ou mènent un travail d’accompagnement auprès des
installations. Ces actions sont disparates et ne sont pas sans difficultés et sans conséquences
sur le quotidien des trieurs. Cependant elles cherchent globalement à améliorer le « confort »
du trieur qui recouvre plusieurs sens selon les acteurs (2). On observe alors une mouvance
vers les technologies d’automatisation pour une performance globale, incluant l’amélioration
des conditions de travail et la productivité (3).

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5.1.1 Le centre de tri et la mobilisation pour la prévention des risques


professionnels58

Le centre de tri représente dans ce régime de sens la variable dominante, le discours des
acteurs étant largement orienté sur cette installation. Cela s’explique par le fait qu’un certain
nombre d’entre eux travaillent de très près avec les acteurs du centre de tri (exemple d’Eco-
Emballages) ou qu’ils développent et analysent des problématiques particulières qui se posent
à cette installation de traitement de déchets (Ergonome_81 ; Cram_77), ou qu’ils en sont des
salariés (Coordinateur Optitri_64_64 ; Direction Optitri_84 ; Contremaître d’exploitation_29 ;
Directeur centre de tri Valori_30).

L’ensemble des installations que nous avons investigué pour ce projet de recherche valorise les
déchets ménagers. Les centres de tri procèdent à une valorisation « matière » c’est-à-dire qu’ils
revendent les produits triés. Les incinérateurs et le bioréacteur opèrent une valorisation
« énergétique » des déchets. Les objectifs de production sont donc différents et les problèmes
que ces installations traversent aussi.
Comme nous avons pu l’observer sur le premier axe « Travail », les trieurs représentent une
catégorie à part dans le secteur des déchets et dans le centre de tri, et ce dernier est aussi une
installation singulière dans le secteur des déchets.

Comment peut-on expliquer cet engouement et cet intérêt somme toute assez récent pour la
santé au travail et les conditions de travail du personnel des centres de tri ? Bien que dès le
milieu des années 1990, un ensemble de publications scientifiques soulignaient les principaux
risques auxquels sont soumis les travailleurs du tri (Sisgaard et al., 1994 ; Marth et al., 1999 ;
Poulsen et al., 1998 ; Lavoie, Guertin, 1999), en France, c’est seulement au milieu des années
2000 que les acteurs de la prévention commencent à se saisir de cette problématique. Il semble
que la question de l’amélioration des conditions de travail se pose dans le même temps où les
59
centres de tri sont techniquement en voie de devenir obsolètes . Ainsi, faire évoluer
techniquement un centre de tri devient l’occasion de (re)penser l’aspect humain et sécuritaire
de ces installations et de porter attention à ces hommes et femmes qui y travaillent. En outre, il
a certainement fallu attendre les premiers retours d’expérience, construire de la connaissance
autour de cette activité de tri pour évaluer les risques à long terme et prêter attention aux
statistiques et aux indicateurs de ce secteur, qui aujourd’hui restent encore peu formalisés.

« Dans la mesure où on est dans une phase de rénovation, donc les premiers centres de
tri ont 15 ans à peu près donc là on arrive à une phase où ils sont plus ou moins
obsolètes au point de vue des quantités, au point de vue de la technique. […] C’est-à-dire
que l’activité arrive, nous, on s’en occupe maintenant mais c’est quand même un peu
tard, mais on puise aussi ce que l’on fait aujourd’hui sur le vécu donc on a vu l’activité
pendant 10 ou 15 ans, on voit à quoi elle expose les gens, et du coup les personnes qui
s’occupent de prévention se disent bon on va quand même faire des choses, y’a des
moments opportuns pour le faire c’est la rénovation et c’est notamment faire des
documents qui puissent accompagner les entreprises. Donc je veux dire l’expérience du
terrain aussi amène… parce que dès lors qu’une nouvelle activité arrive a priori on ne
sait pas trop, on ne sait pas trop. » Cram_77

Les experts se sont ensuite de plus en plus intéressés aux centres de tri de par les risques qui
sont encourus par les opérateurs dans ces lieux de production, pour mettre au point des
recommandations et normes sur la profession, autant au niveau de la conception du centre de
tri que des conditions de travail.

58
Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Dispositifs et acteurs de prévention des risques ;
réglementation du travail ; opérateurs de chaîne ; santé, accidents du travail ; gestes de tri ; salle de tri ;
tri ; acteurs périphériques au secteur du déchet ; éco-organisme ».
59
En 1993, les premiers centres de tri ont été créés, puis se sont largement multipliés, on en compte près
de 300 dans le début des années 2000. Par la suite, leur effectif a légèrement diminué (270 en 2007 : 253
en 2011), pour aujourd'hui stagner. (Source : ADEME, « Etat des lieux du parc des centres de tri de
recyclables secs ménagers en France », mars 2013)

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60
Photo 17 : Brochure éditée par l'INRS Photo 18: Brochure éditée par la CRAM Photo 19 : Projet de norme
61
AFNOR

Les petits centres de tri où la part manuelle reste importante sont considérés comme
« archaïques », ne favorisant pas de bonnes conditions de travail. Ainsi, comme dit
précédemment, on constate que ces petits centres de tri sont en voie de disparition. Ils se sont
reconstruits ou améliorés pour traiter davantage d’apport de déchets en incluant un plus gros
degré de mécanisation. À cela s’ajoutent les objectifs de recyclage, le regroupement plus
massif de collectivités locales et/ou communes et les évolutions technologiques qui influencent
le redimensionnement des installations. Le secteur du tri des déchets semble toujours être dans
une phase de construction et d’amélioration.

« On avait des collectivités locales qui étaient de plus petites tailles que ce qu’on peut
avoir aujourd’hui, et dans chaque collectivité locale ben pour régler son problème de tri
on était obligé de construire son centre de tri, et donc avec peu de moyens, peu de
tonnage, donc ils ont fait des petits centres de tri très manuels, et puis il n’y avait pas
beaucoup de machines qui existaient sur le marché donc au début voilà. Et les gens ont
fait des centres de tri qui ne respectaient peut-être pas en totalité les exigences
sociales nécessaires. Et au fur et à mesure on se rend compte qu’il peut y avoir des
accidents de travail, des TMS commencent à arriver aujourd’hui, commencent à devenir
un peu sérieux, et tout le monde même les élus se rendent compte que le centre de tri
sans cabines, le centre de tri avec des conditions de travail pas terribles c’est pas
jouable et il faut améliorer les conditions de travail. » Eco-Emballages_78
« Ce qu’il faut savoir c’est qu’un centre de tri ça vit toujours, aujourd’hui vous avez un
centre de tri qui est au top, dans 2 ans il sera obsolète. » Contremaître
d’exploitation_29

Les experts énoncent les risques professionnels d’autres catégories d’emplois du secteur
(exemple des agents au sol, des agents de déchetterie ou des centres d’enfouissement). Mais,
les discours se centrent sur l’activité du tri et sur les risques professionnels situés en cabine, en
62
témoigne la prédominance de la variable « salle de tri » . Unanimement ce sont ceux liés au
nombre de gestes répétitifs et donc à la contraction de maladie ou d’inaptitude professionnelle
(TMS) qui sont les plus rapportés. En revanche, les propos des directions des sites étudiés
rapportent que les accidents de travail sont rares et légers pour les trieurs comparés à ceux des
agents au sol ou d’autres métiers (collecte et déchetterie). Les agents au sol et de maintenance
63
seraient donc moins exposés aux risques latents mais plus aux risques exceptionnels .

60
Institut National de la Recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des
maladies professionnelles
61
Association française de normalisation
62
La salle de tri ou « cabine de tri » représente le lieu du travail et de la production des trieurs.
63
Nous entendons par risques latents ceux qui sont notamment liés au développement de troubles
musculosquelettiques.

Le Travail dans les Industries de Déchets 103/160


08/2013

« Après depuis 2004, on a des statistiques que l’on tient à jour, donc d’une façon
globale on voyait le nombre d’accidents de travail augmentait à Optitri, chez les trieurs il
y en a pas beaucoup, très très peu, là où il y en a plus si au niveau des agents de
maintenance qui sont un peu plus confrontés aux risques professionnels. Les trieurs
eux, c'est plus les maladies professionnelles puisqu’ils sont en gestes répétitifs et en
accident de travail. Les risques c'est ceux (agents au sol) qui utilisent des engins, qui
interviennent sur des machines en mouvement, c'est vraiment sur des équipements à
risques professionnels. » Coordinateur Optitri_64

Depuis 2012, travailler dans le secteur des déchets impose de mettre en place une surveillance
médicale renforcée, car les agents de collecte et de traitement des déchets peuvent être
64
exposés à des agents biologiques (du groupe trois ou quatre) . De fait, réglementairement
c’est l’un des premiers risques professionnels identifiés. Mais dans les entretiens il est peu cité
par les experts. Présent et pris en compte dans les analyses, il n’apparaît pas aussi prégnant
que ceux qui relèvent de la souffrance des corps et des dangers avérés (piqûres).

« Je vous dirai oui parce qu’on est soumis, et là c'est réglementaire à la SMR, c'est la
surveillance médicale renforcée, du fait que l’on soit en exposition avec les déchets.
Donc c’est-à-dire qu’au lieu de passer une visite médicale tous les 2 ans, nos agents ont
l’obligation de faire une visite une fois par an. » Coordinateur Optitri_64

Notre propre expérience de terrain au poste de trieur montre que le risque d’exposition aux
agents biologiques n’est pas une exception ou un phénomène épisodique, mais au contraire il
est bien régulier. En effet, il ne s’est pas passé une semaine sans que je ne sois souillée par
des déchets ou que l’on me rapporte des risques d’exposition relativement graves à matières
non recyclables (bris de verre, objets tranchants, seringues etc.).

Cas 1 : Aujourd’hui sur la ligne des creux, Elsa postée sur le premier poste trie le PEHD
(bouteilles blanches) et le refus du flux des déchets. Le tapis est chargé et tout le monde va très
vite pour opérer un tri propre. D’un coup, Elsa se met à crier et quitte précipitamment son poste
de travail sans rien nous dire. Elle revient 10 minutes plus tard, et nous explique qu’elle a reçu
un liquide blanc dans les yeux, elle nous dit qu’elle a eu peur et qu’elle n’osait pas rouvrir les
yeux, d’autant qu’elle ne sait pas ce que c’est. Benjamin lui dit qu’elle a sûrement reçu du lait et
qu’elle ne devrait pas s’inquiéter. La chef de cabine lui a donné la possibilité de se rincer l’œil à
l’eau. Cet incident n’a pas été l’objet d’une remontée au niveau hiérarchique.
Cas 2 : Je suis au pré-tri avec Édouard, alors que nous trions les cartons et le refus, en retirant
un sac de la poussière bleue s’en échappe. La cabine de tri devient irrespirable, j’observe que
la poussière laisse des traces sur les fenêtres, sur nos mains gantées et sur nos têtes. Nous
décidons d’arrêter la ligne en urgence et de quitter le poste, le temps que la poussière retombe.
Après une courte discussion avec Édouard et le chef d’équipe, nous estimons que cette
poussière devait être de la bouillie bordelaise. Est-ce que l’on risque quelque chose ? Est-on
sûr que c’est inoffensif ?
Cas 3 : J’ai appris qu’une de mes collègues intérimaire de l’autre équipe a été brûlée aux bras
par un liquide contenu dans une bouteille. La chef de cabine nous demande de faire attention
aujourd’hui au chargement, de ne pas trop brasser le produit et qu’en cas de doute sur une
bouteille de la mettre directement au refus.
Notes de terrain

Le rapport à ce risque est particulier que ce soit pour les agents de tri ou pour la direction.
Contrairement aux douleurs physiques qui peuvent être journalières et entêtantes ou au risque
de piqûre, l’exposition aux agents biologiques est relativisée voire banalisée et ne semble pas
être estimée comme un danger immédiat. Même si ce risque est vecteur d’inquiétudes il n’est
pas celui sur lequel nos enquêtés experts s’attardent dans leurs propos. Comment comprendre
la banalisation ou le déni de ce risque ? Il est reconnu et rapporté dans chacun de nos
entretiens, mais il est considéré exceptionnel, car selon eux (et dans nos terrains) aucun
salariés n’a encore été contaminé. La fréquence de piqure est dite « rare », enfin le risque de
contamination jugé «minime ». Doit-on en déduire que le risque est maîtrisé ? La question reste
ouverte. Ajoutons, la difficulté de pouvoir endiguer ce risque et de trouver des solutions pour

64
Article R4624-18

Le Travail dans les Industries de Déchets 104/160


08/2013

que les déchets impropres et dangereux ne se retrouvent pas en centre de tri. En effet, que ce
soit pour les professionnels du déchet ou pour les acteurs de la prévention, il est compliqué tant
techniquement que socialement d’influer sur les pratiques de tri des usagers.

Mais alors qu’est-ce qui est directement visible et reconnu par les salariés et les directions ?
65
Quels sont les risques répertoriés et identifiés des agents de tri ? Là aussi, nous voyons que
la question mérite d’être posée à chacun de nos acteurs car les réponses diffèrent. La définition
du risque, les risques professionnels et la mise en maladie ne sont pas appréhendés ni
reconnus de la même façon selon les acteurs. Pour certains l’activité du tri n’est pas plus
risquée qu’un autre métier, pour d’autres les discours indiquent qu’elle comporte et recouvre de
multiples aspects risqués. Ils peuvent être d’ordre physiques (gestes répétitifs, TMS, bruit,
fatigue), psychosociaux (stress), ou relever des aspects techniques (les équipements et
conception du centre). Il réside ici un enjeu fondamental de la reconnaissance du métier de
trieur qui passe par la connaissance du fonctionnement de ces installations et de ces risques.

« Quels sont les risques dans les centres de tri ben y’a des risques que le personnel peut
avoir de heurts avec les camions, avec les engins qui circulent à l’intérieur […] Y’a des
risques aussi, y’a quand même un bon nombre de TMS, d’arrêts de travail pour ça […]
Deuxième sujet on s’est dit aussi la qualité de l’air à l’intérieur des cabines de tri […]. »
Eco-Emballages_78
« Les trieurs eux, c'est plus les maladies professionnelles puisqu’ils sont en gestes
répétitifs et en accident du travail c'est ceux qui utilisent des engins, qui interviennent sur
des machines en mouvement, c'est vraiment sur des équipements à risques. En accident
de travail pour les trieurs c'est tout ce qui lié aux piqûres avec les seringues, des
coupures avec du verre, des glissades quand ils sont amenés à se déplacer mais vu
qu’ils bougent pas énormément, après ce que l’on peut avoir aussi c'est une fatigue
visuelle du fait de suivre tout le temps la matière. » Coordinateur Optitri_64
« Au tri non, c'est pas un métier à risque le tri. C'est un métier à risque mais mineur
effectivement nous les dangers majeurs c'est l’incendie, la piqûre, et après c'est
l’écrasement par les engins qui circulent, et c'est la presse à balle qui est un outil très
dangereux, qui presse à 200 tonnes, mais pas plus que d’autres. On a identifié les
risques, on les maîtrise, on a mis des choses en place pour les limiter : des instructions,
des procédures, des équipements, on n’est pas plus à risque que les métiers externes
sur lesquels il n’y a pas grand-chose à faire. Et puis quand on regarde bien tous les
métiers sont à risques. » Directeur centre de tri Valori_30

À travers notre analyse, les risques de TMS du fait des gestes répétitifs et les dangers de
piqûre sont les plus cités et discutés. Ce sont aussi ceux sur lesquels il est le plus difficile d’agir.
Dans les trois centres de tri étudiés, une procédure est appliquée lorsqu’un agent se fait piquer
par une seringue. Elle consiste à être suivie médicalement à l’hôpital pendant plusieurs mois.
Lorsqu’il y a des animaux morts sur la chaîne, là aussi une procédure de désinfection est mise
en place. Mais nos observations montrent qu’elle n’est pas respectée « à la lettre » et qu’elle
n’est pas toujours exécutée. De plus, elle reste dépendante de l’avis du chef d’équipe et est
opérée en fonction de la taille et corpulence du cadavre.

65
En 2008, une fiche médico-professionnelle a été produite par un groupement de médecins du travail.

Le Travail dans les Industries de Déchets 105/160


08/2013

Photo 20 : Procédures en cas d'accident d'exposition Photo 21 : Procédure de nettoyage à C2

Les expositions aux poussières, aux agents biologiques, au bruit et aux variations thermiques
sont aussi mentionnées en particulier par les travailleurs du tri et par la Cram. Pour pallier à
cela des solutions techniques se mettent en place avec plus ou moins de réussite, selon les
66
projets d’amélioration ou de conception des centres de tri .

« Donc la problématique des trieurs c’est les problèmes de TMS, et après y’a le risque
biologique, dit de biologie, c’est le fait de respirer des poussières, des moisissures, tout
au long de la journée. » Cram_77
« On a travaillé sur la poussière en process de tri, on n’a pas fini parce qu’il y a eu des
problèmes, donc là la collectivité doit réinvestir là-dessus. » Eco-Emballages_79
« On a fait fermer toutes les goulottes qu’il était possible de fermer pour éviter les
remontées d’air froid ou de poussière.» Contremaître d’exploitation_29

Photo 22 : Accumulation de poussières sur des balles de produits

Les institutions et acteurs du déchet se sont donc aujourd’hui saisis de la question des
conditions de travail dans les centres de tri, et les partenariats et recherches se multiplient. Les
acteurs se regroupent et s’organisent pour créer des recommandations et les faire appliquer sur
le terrain. Ainsi, des institutions, des représentants des installations et des concepteurs se
67
fédèrent autour de l’élaboration d’une norme AFNOR . Un autre regroupement se joue à
l’intérieur des usines ou du groupe : le coordinateur sécurité d’Optitri met en place des groupes
de travail ; à l’intérieur des CHSCT mais avec plus de difficultés dans le cas de Valori ; ou
encore par l’intervention d’ergonomes et de bureau d’étude dans les sites.

66
Rapp. R., Fontain.J.R., Henry F., et al., « Diffusion de l’air dans les salles de tri des centres de
traitement des ordures ménagères ? Quelle ventilation au poste de travail » Hygiène et sécurité du travail,
2eme trimestre 2009, 215, 12 pages
67
Trois groupes de travail ont été constitués réunissant sur le papier X partenaires pour l’écriture de la
norme.

Le Travail dans les Industries de Déchets 106/160


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« [le CHSCT] Il n’apporte pas grand-chose. […] Moi j’ai essayé de travailler avec le
CHSCT, j’ai essayé de voir la personne qui est représentant ici pour lui dire de venir me
voir avant qu’il parte en réunion, qu’on puisse discuter, mettre des choses en lumière
ensemble enfin qu’on travaille ensemble, moi j’ai vu plein de choses lui en a vu d’autres,
donc l’idée c'était de partager, et de voir ce qu’on pouvait faire déjà nous, par contre on
peut avoir de manière commune si on a des intérêts communs, toi tu en parles au CHS
moi de mon côté pour voir si on peut arriver à avoir des investissements pour atteindre
un objectif commun, mais bon ça a fonctionné 3 mois. Dommage… » Directeur centre
de tri Valori_30
« […] J’ai une collègue à la branche QSE (Qualité, Sécurité, Environnement) qui a dû y
aller, et en fait on initiait le même travail, elle voulait qu’on initie exactement le même
travail chez X mais je lui ai fait mais attends, ils font la même chose à l’AFNOR on va
peut-être… donc on a cette démarche aussi en interne qui consiste à ben mettre
plusieurs experts des domaines pour réfléchir à de nouvelles manières. » Ergonome_81
« Depuis le début avec l’INRS on s’est préoccupé des conditions de travail et ce depuis
2001 et je suis le seul rescapé du groupe de travail 2001 à être encore sur le sujet
aujourd’hui […] Si ces recommandations étaient appliquées au top, au niveau haut des
recommandations je pense que les conditions de travail dans les centres de tri seraient
meilleures, et il s’avère que depuis 10 ans il s’améliore un certain nombre de centres de
tri où les conditions de travail restent encore pas toujours terribles, et avec donc la
personne de l’INRS qui pilotait la dernière rédaction de la brochure, je lui ai demandé
comment on pouvait aller plus loin face à cet échec je dirais, y’a un document il n’est
pas respecté, donc il me dit on peut aller un peu plus loin en travaillant, en demandant à
l’AFNOR de travailler, en allant un peu plus loin avec l’AFNOR, d’où ce groupe de
travail qui a été créé. » Eco-Emballages_78
« C’est aussi important pour nous parce que c’est l’image du métier, c’est-à-dire que si
on a un métier, et c’est ce que je demandais, si on fait travailler des gens dans des
conditions pas raisonnables, et c’est ce que je dis encore aujourd’hui, ça nous
retombera dans la gueule, on voit l’amiante, on ne peut pas mettre en place une
politique à long terme avec des salariés qui travaillent dans des conditions
inacceptables, ce n’est pas possible. Et aujourd’hui chez nous je crois qu’on l’a compris,
c’est pour ça que je continue de travailler avec l’INRS, on travaille avec l’AFNOR, et dès
qu’on a un problème de conditions de travail, qui peut s’avérer de conditions de travail,
on ne joue pas à l’autruche, on le prend et on regarde. » Eco-Emballages_78
«Y’a un groupe de travail au niveau de l’AFNOR qui a décidé, alors ça s’est fait à
l’initiative d’Eco-Emballages, qui a demandé à ce qu’on normalise les cabines de tri.
Donc participe à cette normalisation Eco-Emballages, les gens de l’AFNOR qui en
assure le secrétariat, une personne de l’INRS qui est spécialiste du sujet et après des
professionnels donc on a des bureaux d’étude, des installateurs, et on a des
concepteurs de machines. Et donc dès lors que j’ai eu connaissance de ce groupe de
travail j’ai demandé s’il y avait des services prévention qui étaient présents et y’en avait
pas. Donc moi j’ai demandé ici à ma direction parce que je trouvais intéressant d’y
participer, donc on a accepté que j’y aille. » Cram_77

Ici, nous pourrions nous étonner qu’une partie importante du discours d’Eco-Emballages porte
sur les questions de conditions de travail dans les centres de tri. En effet, Eco-Emballages est
une société privée. La plupart des industriels de l’emballage adhèrent à cette structure afin de
répondre à l’obligation légale de valorisation des emballages. Le produit de leur contribution est
utilisé pour soutenir financièrement les opérations de collecte sélective et de tri menées par les
collectivités locales. De prime abord, l’étude et la prévention des risques professionnels ne font
donc pas partie de leurs missions. Pourtant, on observe qu’en tant qu’acteur du secteur du tri, il
pilote des études réalisées sur l’amélioration des conditions de travail par l’optimisation
(rationalisation) des process. De plus, le nouveau barème E intègre des « cibles sociales » en
prenant en compte l’effectif en nombre de poste de la collecte sélective par tonnes recyclées, et
le nombre d’accidents de travail.

« On a mis en place dans notre dernier barème, on a un soutien qui s’appelle soutien au
développement durable, avec une analyse de coût, les 3 piliers du développement
durable, le coût, donc l’environnement c’est les tonnes, et les conditions de travail, et
donc y’a une aide, un soutien, alors je ne sais pas les conditions de travail elles doivent

Le Travail dans les Industries de Déchets 107/160


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peser 2 % donc le nombre de salariés et nombre d’arrêts de travail dû à la collecte, donc


il y a un calcul un peu compliqué, enfin bref, mais même dans le barème on a inclus cette
dimension. » Eco-Emballages_78

La question des risques est fortement présente dans les discours de ce groupe d’acteur experts
en particulier ceux encourus par les opérateurs de chaîne. Cela peut s’expliquer par le fait que
les réponses pour les risques exceptionnels des opérateurs hors chaîne sont mises en place
depuis de nombreuses années par le biais des procédures et des formations déjà existantes
dans d’autres secteurs pour limiter les accidents. Dans le cas des risques latents, la réponse à
formuler pour les circonscrire semble plus complexe à trouver car le travail de chaîne et les
gestes répétitifs sont deux éléments constitutifs de l’activité de tri. Du fait de l’apparition de
maladies professionnelles, d’absentéisme important dans certaines installations, un ensemble
d’actions se met en place pour remédier aux difficultés de l’activité du tri. Les solutions
semblent donc devoir être multiples et complexes. Elles doivent intégrer à la fois des
problématiques humaines (comment sensibiliser et changer les pratiques des travailleurs ?), le
fonctionnement des machines (comment pourraient-elles améliorer les conditions de travail ?).
Dans le point qui suit, nous constatons que les initiatives et les interventions sont hétérogènes
et qu’elles sont orientées vers l’aménagement du poste du travail, vers le contrôle des
conséquences des pathologies et finalement vers le travailleur lui-même.

68
5.1.2 Des actions variées qui visent l’amélioration du « confort » du trieur :
69
contradictions, difficultés et conséquences incertaines

Ainsi, on observe un ensemble d’acteurs qui se mobilise autour de cette nouvelle activité et de
ces nouveaux métiers qui existent pourtant depuis une vingtaine d’années. Sans être
concertées et partagées, les actions préventives et curatives sont diversifiées sur les sites de
production : intervention de bureau d’étude, de cabinet d’ergonomie, de la médecine du travail,
mise en place d’améliorations disparates au sein des usines portées par les agents de
maintenance ou par les idées d’intervenants extérieurs, sensibilisation auprès des architectes et
des concepteurs d’usine ou de process. Ce faisceau d’acteurs a sa propre culture de métier,
ces propres visions du métier de trieur, et défend ses intérêts.

Sans que cela mène à la confrontation, on n’observe pas de coordination poussée, voire
d’uniformisation des pratiques pour améliorer le quotidien de ces travailleurs. Cela peut
s’expliquer en partie par des différences notables au niveau technique, managérial et
organisationnel entre les centres de tri, et par une difficile articulation et visibilité des retours
d’expérience, notamment lorsqu’elles devraient prendre en compte le vécu de ces
transformations par les trieurs. Le problème principal nous semble résidé dans le fait que le
trieur est d’une part absent des instances qui visent l’amélioration des conditions de travail, et
d’autre part qu’on ne les interroge pas, ou très peu sur leur propre ressenti et vécu à la suite de
travaux de rationalisation ou d’amélioration.

En outre, comme le confirme l’ergonome d’un groupe privé, chacun de ces acteurs œuvrant aux
transformations et changements dans un centre de tri, a sa propre vision de ce qu’il convient
d’améliorer. Or, cet expert montre parfois le fossé entre ce qui est recommandable et réalisable.
Autrement dit, qu’est-ce que permet vraiment la réalité du terrain, est-il aisé de coordonner des
objectifs de prévention et de sécurité aux objectifs et contraintes économiques ? De la même
façon, l’un des enquêtés relate aussi parfois des contradictions dans les recommandations
émanant de différents acteurs, la difficulté pour lui étant de savoir laquelle conserver voire
adopter.

« On avait vu un document qui conseillait, ça devait être de l’INRS, une cadence


gestuelle qui était irréalisable en fait, c’est ça que j’ai du mal à… donc voilà on fait c’est
super bien, on a fait plein de calculs, y’avait un algorithme qui avait été fait pour

68
Nous reprenons le terme de « confort » car il est utilisé régulièrement dans les entretiens par ce groupe
d’acteurs et par les trieurs.
69
Les variables mobilisées de cette sous-partie : « Automatisation ; instances participatives ; technologies
d’automatisation ; automatisation : conditions de travail ; chargement de la chaîne ».

Le Travail dans les Industries de Déchets 108/160


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dimensionner le nombre d’opérateurs nécessaires en fonction du flux de déchets, très


bien, l’exploitant il arrive il fait c’est génial mais là vous m’en enlevez 30 % parce que
sinon je ne tiens pas les comptes d’exploitation, donc dimensionner on peut très bien le
faire, c’est pas plus de 1 500 ou 2 000 gestes, faut le concevoir comme ça le centre etc.,
et derrière il y a la réalité de dire mais attendez je n’ai pas les sous, il faut un chausse-
pied pour mettre ça dans un centre de tri, y’a pas la place etc. . » Ergonome_81
« Par exemple on a des médecins du travail qui ont des avis différents et qui disent par
exemple qu’il vaut mieux ne pas faire tourner les agents. Aujourd'hui, il y a trois
séquences de 2h15 de travail, et à chaque fois on change de poste. Et certains médecins
qui disent non, il vaut mieux rester car le corps s’habitue plus facilement et il n’y a pas le
stress de chaque changement de postes, et ils nous disent si vous respectez les
recommandations de la Cram il vaut mieux ne pas les faire tourner… voilà ce qu’ils nous
disent en tout cas moi je ne suis pas expert… » Direction Optitri_84

S’ajoutent des difficultés à trouver les bons dispositifs techniques correspondants à l’activité,
sans aggraver la situation pour les trieurs comme en témoigne l’agent de la Cram.

« Donc l’INRS avait travaillé avec des ingénieurs sur les systèmes de ventilation […] En
l’occurrence c’est de mettre l’opérateur dans un flux d’air laminaire c’est-à-dire que s’il est
en contact avec des poussières, les poussières sont rabattues vers le sol. Donc il y a
beaucoup de contraintes, c’est-à-dire que si on veut que ce soit accepté par l’opérateur il
faut travailler sur la maîtrise de la température de l’air et sur la maîtrise de la vitesse de
l’air. Dès lors que vous dépassez une certaine valeur, 0,3 ou 0,4 mètre/seconde, ça
devient insupportable au niveau des épaules, des cervicales, donc c’est l’air trop froid ou
trop chaud et une vitesse d’air excessive. Donc ça, c’était compliqué, d’autant plus que
les gens qui installent ces dispositifs installent des climatisations, et le dispositif en
question ce n’est pas un dispositif qui climatise la cabine, c’est un emplacement dans un
flux d’air laminaire. Et donc là il a fallu travailler sur un cahier des charges pour faire en
sorte que ce soit respecté, et donc les gens qui installaient le matériel ne savaient pas
trop ce qu’on leur demandait et arrivaient avec ce qu’ils savaient faire c’est-à-dire des
systèmes de clim. Sauf que quand vous voulez climatiser une journée d’août où il fait 35
vous envoyez de l’air à 16°, dans un bureau ça vous convient mais là au-dessus de la
tête c’est insupportable, donc c’est ça la difficulté. » Cram_77

Enfin, il s’agit aussi d’observer et d’analyser les conséquences de ces transformations sur le
travail des trieurs. Les propos de l’ergonome montrent la difficile cohésion entre les nouvelles
transformations et le travail du tri tel qu’il est pensé et opéré par les trieurs.

« On fait une réunion d’information sur la techno qu’on va apporter et ça dérive sur les
conditions de travail et sur la reconnaissance de la qualité du travail parce que c’est ça
qui est le plus important pour eux… ce qu’ils cherchent à faire en tant qu’opérateur c’est
de la qualité au-delà même de sa santé généralement il va trier plus que nécessaire, par
exemple il faut atteindre 97 % de pureté donc 3 % de refus, souvent ce qui se passe c’est
que les opérateurs vont atteindre plus, dès qu’ils peuvent, sauf que ça ne va pas être
forcément un plus ou alors les directions vont essayer de leur dire essayer de faire un
peu moins, après c’est difficile de calculer là je suis à 97 % mais ils vont demander de
baisser un peu la cadence etc. pour justement se préserver, et c’est tout un travail très
long pour pousser les opérateurs à dire ben finalement prenez moins, vous avez atteint
votre niveau, ça n’a pas de sens pour les opérateurs, lui le but c’est de faire le maximum
et donc ça défi la logique des ingénieurs, ils disent attendez, ils ont des problèmes de
TMS, on leur demande d’en faire moins ils en font plus c’est quoi cette histoire s’ils ne
veulent pas… oui mais y’a le sens du travail, ce qu’ils ne peuvent pas supporter c’est
d’avoir des tonnes et là ils font « mais attendez à quoi ça sert, qu’est-ce que vous voulez
qu’on fasse, le boulot ne sert à rien », c’est plus ces questions-là qui sont en fait
vraiment… je ne sais pas comment dire, c’est ça qui va faire bondir les opérateurs en
réunion, plus que généralement la nouvelle techno ils s’en foutent, ça ne leur parle pas
vraiment, ça va plutôt directement se recentrer sur mais attendez, là nos résultats de
qualité, les aménagements etc. » Ergonome_81

Le Travail dans les Industries de Déchets 109/160


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Pour améliorer le confort des trieurs chez Optitri il s’agit d’abord de prendre en compte les
revendications des trieurs. Le service hygiène et sécurité exprime qu’elles peuvent être
diverses et concerner la température de la cabine, le changement d’équipement de protection
individuelle (exemple des chaussures de sécurité et des gants), l’ajout de tapis anti-fatigue,
l’amélioration des rehausseurs (poids et malléabilité). Autant d’éléments qui tendent à justifier
que les trieurs souhaitent améliorer leur quotidien et leur situation de travail. À Valori, au fil des
années on a observé également des changements visant à encourager le confort et la sécurité
des trieurs : la rotation sur les postes, l’instauration dans les cabines de tri de rince-œil,
l’établissement d’une boîte à idée, la demande de la participation des trieurs à l’élaboration d’un
nouveau rehausseur, la mise en place de chaise ou tabouret pour certains postes (qui
aujourd’hui n’existent plus).
Ici, les actions préventives partent de l’existant, elles ne se traduisent pas par une profonde
restructuration des cabines ou du centre de tri, en somme elles apportent des ajustements et
des arrangements localisés.

En ce qui concerne la prévention des risques latents elle passe aussi par la formalisation d’un
plan de prévention chez Optitri, puis par la formation et la sensibilisation des agents. Dans cette
structure, les agents ont été associés à l’identification des risques. Certains d’entre eux sont
devenus des agents chargés de la mise en œuvre des règles d'hygiène et de sécurité (ACMO).
Ils sont des interlocuteurs privilégiés pour le service hygiène et sécurité. Ils sont à la fois des
relais et des appuis pour sensibiliser les travailleurs à leur propre sécurité, mais aussi leur
propre expérience du terrain est prise en compte pour mettre en place des évolutions, discuter
de leur problématique, faire remonter des dangers ou risques sous jacents etc.

« On avait des ACMO, ils étaient déjà là quand je suis arrivé étant donné que c'était
réglementaire ils étaient là, ils avaient été formés, mais ils n’avaient jamais été sollicités,
ils suivaient la formation continue mais ça s’arrêtait là. Trouvant cela dommage, ce sont
des référents sécurité, ils sont formés sur la prévention et je trouvais dommage de ne pas
les solliciter pour transmettre l’information sécurité, pour qu’il puisse communiquer dans
la mesure où moi je ne peux pas être sur tous les sites, et tous les jours. […] Alors ils ont
été engagés en 2009, pour former justement. Au-delà de mettre en place des actions de
prévention des actions de sécurité, ils sont efficaces que si les agents ont la
connaissance de ce qu’on met en place et notamment de la sécurité. Donc ce plan de
prévention prend en compte aussi la formation à la conduite en sécurité de nos engins,
des formations de sécurité au niveau des équipements, formation gestes et postures qui
ont été réalisé également, des formations ACMO, formations SST (Santé, Sécurité au
Travail) en cas d’accidents de travail où ils peuvent intervenir avec un aspect de
secouriste au travail et avec un aspect prévention pour leur montrer également qu’ils sont
acteurs de la prévention, des formations pour l’utilisation des EPI. Donc on a voilà de
nombreuses formations, un panel très important, et on a recensé que plus de 80 % du
personnel a été formé, a suivi une formation en sécurité. » Coordinateur Optitri_64

Cependant, on peut voir au travers de l’exemple de la formation « gestes et postures », réalisée


dans deux des centres de tri étudiés, que les trieurs ont un jugement assez dur envers l’utilité
de ce type de formation « pas adapté» au métier de trieur. On observe par l’analyse qualitative
que dans ce cas les actions de prévention sur les risques professionnels des opérateurs
semblent peu efficaces. Il existe ici un écart entre l’objectif des actions et leurs effets sur le
quotidien des trieurs.

« Gestes et postures, mais ça ne servait absolument à rien, le mec il nous a fait… je l’ai
dit à mon directeur euh… je ne sais plus comment il s’appelle… X, je lui ai dit, il n’a pas
apprécié, je lui ai dit que la formation gestes et postures oui c’était bien, le mec nous a
dit comment il fallait porter du poids en s’accroupissant, mais déjà ici on n’en a pas
besoin de s’accroupir, on ne s’accroupit pas ici. Nous, ce que l’on demandait c’était au
niveau des bras mais le mec n’a pas été foutu de nous dire quoi que ce soit, le seul truc
qu’il nous a dit c’est qu’il fallait aller à Lourdes. » Trieuse_12
« Ils voulaient si tu veux que tous les agents puissent bénéficier de formation, c'est très
louable, seulement une formation de trieur ça n’existe pas. Donc ils ont créé cette
pseudo-formation gestes et postures, et donc ça faisait une formation pour les trieurs.
Mais en fait ce qu’il nous a fait c’était plus pour les autres boulots, c'est vrai que trieur

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c'est un peu spécial, il ne connaissait pas le problème des gestes répétitifs, il n’avait
jamais vu, alors il nous expliquait comment soulever un poids mais nous, on s’en fout. »
Trieur_1

L’amélioration du confort pensée par la Cram ou par l’ergonome est plus orientée sur des
transformations importantes, qui impliquent des changements techniques beaucoup plus
poussés. Pour la Cram, cela n’impose pas forcément l’ajout de nouvelles machines, il s’agit de
prêter attention au bâtiment et à la conception de chaque équipement (largeur des tapis,
position de tri, éclairage naturel), et de laisser à l’opérateur la possibilité d’avoir la main sur la
vitesse du tapis. Il s’agit donc d’associer les concepteurs de centres de tri à ces activités pour
qu’ils participent à la sécurité des travailleurs. Pour l’ergonome l’amélioration du confort se
conjugue par l’incorporation de nouvelles technologies et d’automatismes.

« Parce que parfois, et dans beaucoup de cas, le bâtiment conditionne l’activité qu’il y a
autour et donc dans certains cas le bâtiment en lui-même peut améliorer les choses ou
peut les compliquer. […] Avec nos recommandations, si on veut faire travailler les
opérateurs dans des conditions dites de confort, il faut travailler dans un angle à 120°,
donc j’ai le tapis, j’ai 120°, donc distribuer les goulottes pour que je sois à 120, et donc
c’est pas simple ça, c’est pas avec une position face au tapis que vous pouvez […] Ils ont
trouvé un système assez intéressant parce qu’on ne veut pas donner la main aux
opérateurs pour régler la vitesse, ça dans l’esprit des gens c’est inconcevable, bon et
pourtant dans certains cas où ça a été fait, ça marche mais ils ont la peur de perdre la
main alors que les tonnages sont quand même réalisés à la fin de journée mais bon. Par
contre ils ont trouvé une solution intermédiaire c’est dès lors qu’il y a un amoncellement
de produits, l’opérateur a la possibilité de réduire la vitesse d’un seul coup, par contre ça
la réduit pendant un certain temps c’est-à-dire 20 secondes, 30 secondes, donc du coup
les personnes n’ont plus à s’agiter de la sorte, elles traitent le problème d’amoncellement
mais du coup ont du temps, et au bout de 30 secondes le tapis revient à sa vitesse
nominale. » Cram_77
«On avait soit des approches très innovantes, qui sont toujours en cours, enfin très
innovantes, on fait de l’automatisation beaucoup […] Faire des nouvelles machines qui
permettent soit de trier des déchets qu’on ne peut pas aller forcément chercher avec des
opérateurs, soit trier davantage. » Ergonome_81

Comme nous l’avons vu au travers de l’analyse de l’axe 1 (le travail), l’activité de tri a encore un
recours important aux activités manuelles et présente de nombreux problèmes en matière de
sécurité, de santé, et de manque de perspectives professionnelles. Les problèmes sont d’abord
liés aux formes d’organisation du travail, notamment le travail à la chaîne, qui impose un rythme
aux collectifs de travail.

L’opérateur, debout durant 7h, est amené à effectuer plus de 1 500 gestes à l’heure avec des
pics à 3 000 voire 4 000 pour plusieurs postes. La tâche de l’agent de tri peut fortement se
70
complexifier, notamment lorsque ce dernier doit retirer jusqu’à 6 produits différents . De plus,
dans le cas des centres de tri qui traitent des apports collectés en sacs, le travail des
opérateurs est d’autant plus physique au niveau ergonomique, en raison de l’élévation des
membres supérieurs (cf. photo ci-dessous) lorsqu’il faut secouer le sac plastique pour que les
emballages ménagers tombent sur le tapis afin qu’ils soient triés. En vue de sensibiliser les
collectivités à cette problématique, la direction d’Optitri a mis en place une majoration de 5
euros par tonnes pour les apports en sacs pour les inciter financièrement à changer de mode
de collecte. Le geste de tri reste donc au centre des préoccupations de la problématique des
risques professionnels car il est le premier facteur des lésions musculaires.

70
Ce résultat provient des observations réalisées dans un des centres de tri étudié. En bout de chaîne sur
la ligne de plat, le dernier opérateur doit enlever : du refus (goulotte droite), du PEHD (goulotte gauche),
des tétras (goulotte face à lui), bouteille (poubelle 1), alu et ferreux (poubelle 2).

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Photo 23 : Au pré-tri : secouer les sacs

Un autre problème récurrent est la variabilité des apports sur la chaîne. Lorsque le tapis est
chargé, les gestes sont indubitablement multipliés, le stress est augmenté, l’attention continue
est redoublée et le sens du travail est altéré du fait de l’incapacité de pouvoir faire de la qualité.

Photo 24 : Variabilité des apports et "tapis chargé"

Dans les discours, l’industrialisation et la rationalisation de ces usines de tri devraient permettre
l’amélioration des conditions de travail, la diminution des gestes de tri et limiter des risques
professionnels.

Bien entendu, le coût financier des changements techniques à apporter est mis en avant dans
les discours. Mais, nous allons voir que les changements techniques ne sont pas seulement
pensés et adoptés en fonction de la sécurité des agents. L’adaptation au marché du déchet est
aussi un des arguments énoncés dans la nécessité des améliorations à soutenir au centre de
tri . Dans les discours, il n’y a pas toujours de référence directe aux conditions de travail et à la
pénibilité du tri pour justifier des changements. La question du coût économique des
transformations est également présente dans le discours d’Eco-Emballages et de l’ergonome.
La manière dont elle est présentée sert à légitimer, à nouveau, la construction de centres de tri
plus productifs et à plus haut rendement. Ainsi, améliorer les conditions de travail ne peut se
faire qu’en concomitance avec des enjeux liés à la productivité de ces installations.

« Pour améliorer un process, vous comprenez bien que financièrement, c'est énorme,
tout investissement doit avoir… il y a un temps de retour, et aujourd'hui mes tonnages
n’augmentent plus donc il est mal de justifier des évolutions. J’en fais quand même pour
énormément des raisons de sécurité, donc c'est sur l’amélioration de la sécurité que se
font essentiellement les améliorations et sur également au niveau de l’anticipation des
évolutions, pour qu’on ait des coups d’avance et pas des coups de retard. » Directeur
centre de tri Valori_30

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« Quand j’ai commencé à travailler avec les gens de l’INRS sur les conditions de travail
certaines personnes bien intentionnées on dit c’est pas possible, ça va coûter cher […] »
Eco-Emballages_78
« Pour faire simple, dans un petit centre de tri, un ouvrier trie l’équivalent de 150 kg par
heure de produits, si demain sur un centre de tri moderne il en trie 600 ou 800, il est
économiquement plus facile de lui faire une ambiance de travail confortable, de lui faire
quelque chose de confortable s’il traite 800 kg que s’il en traite 150 puisque la dépense
qu’on va apporter pour lui faire un poste de travail, une table, une chaise, de l’éclairage,
etc. confortable, ben ça va coûter 3 ou 4 fois moins cher parce qu’il va plus trier, donc on
peut plus facilement lui offrir des conditions de travail normalement satisfaisantes. »
Ergonome_81
« Si on avait voulu optimiser à fond on en mettait une de plus [tri optique], on gagnait 10
emplois pour 250 000 euros ça c'est sûr, on serait dans une logique de rentabilité
beaucoup plus forte. Les coûts du personnel dans le centre de tri c'est 70 % donc pour
une rentabilité meilleure il faut toucher à la main-d’œuvre. Nous, on a amélioré notre
rentabilité mais il faut aller la chercher ailleurs, c'est dans la qualité. » Direction Optitri
_84

On voit ici que les améliorations de process et de nouvelles machines peuvent renforcer la
sécurité des agents ou tout du moins limiter les risques d’accidents de travail ou de maladies
professionnelles. Nous avons vu qu’une première réponse aux risques professionnels dans les
centres de tri pouvait être donnée par la formation et la sensibilisation des agents. La deuxième
semble passer par une rationalisation des centres de tri, et donc par une modification et un
potentiel allégement du caractère intensif du travail des trieurs, par la diminution des gestes de
tri. Ainsi, ce nouveau contexte économique et technique favorise le redimensionnement et les
transformations de nombreux centres de tri qui intègrent des systèmes mécaniques et
automatiques, afin de se calquer sur les préconisations de l’INRS, des caisses d’assurance
retraite et de santé au travail (CARSAT) ou encore des éco-organismes ou de l’ADEME. Ces
deux derniers organismes affirment la nécessité de construire des centres de tri conséquents
(en termes de capacité de traitement), et mécanisés pour répondre aux nouvelles spécificités et
attentes du tri.
La rationalisation par le biais de la mécanisation est une solution défendue par un certain
nombre d’acteurs qui organisent la gestion des déchets ménagers. Pour des raisons de santé
et de dignité au travail, automatiser paraît plus simple pour « réparer ou prévenir » les
dommages causés à ces travailleurs. L’automatisation est également présentée comme une
solution pour valoriser et qualifier ces métiers.

Photo 25 : Plan d'un centre de tri "dernière génération"

Pour ces acteurs du secteur des déchets, réduire la charge de travail des trieurs se combine
avec l’utilisation des machines. L’automatisation apparaît comme un moyen efficace pour
« résoudre » la question de l’apparition des TMS, porteuse de technique et de progrès social, et
permettant de limiter les risques professionnels.

« Donc beaucoup d’automatisation, faire des nouvelles machines qui permettent soit de
trier des déchets qu’on ne peut pas aller forcément chercher avec des opérateurs, soit

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trier davantage. Donc ça j’en ai trois, on avait donc X qui est une super machine de tri
optique, un système de régulation de flux de déchets qui permet d’éviter les variations
de charge parce que c’est ce qui est le plus pénible, c’est aussi c’est ce qui va
contraindre le débit en fait des machines, et donc là-dessus, moi par exemple j’avais
travaillé… enfin ce qu’on fait en général c’est a minima évaluer l’impact des
technologies sur les performances opérateurs et les impacts sur la santé, donc voilà,
soit c’est étudier ça, soit c’est carrément concevoir par rapport aux capacités des
opérateurs, là ça devient de l’ergonomie. » Ergonome_81
« Il y a des systèmes de tri automatique par des scanners ou des caméras qui
permettent de trier le plastique ou autre, donc ce genre de choses commence à devenir
opérationnel, ça n’existait pas dans les anciennes générations, donc maintenant dès
lors qu’on refait un centre de tri on insère des tris optiques automatiques. […] Et donc
on est plus avec du travail de contrôle au niveau des opérateurs. » Cram_77

Mais la volonté de rationalisation et d’automatisation dans les centres de tri n’a pas seulement
comme objectif la réduction des risques professionnels. Il s’agit aussi d’améliorer la
performance économique des centres de tri dans le but d’optimiser les coûts et de les maîtriser.
Il devient nécessaire de trier davantage dans le détail, de faire baisser les taux de refus,
d’améliorer la qualité du produit trié et de récupérer plus de matières valorisables.

5.1.3 L’automatisation : gain économique versus amélioration du bien-être des


71
travailleurs

Comme toutes entreprises, les industries du déchet, qu’elles soient publiques ou privées,
doivent aujourd’hui savoir rester compétitives et améliorer leur productivité dans un contexte de
plus en plus concurrentiel. Pour cela il s’agit de s’adapter aux nouvelles potentialités de l’activité
pour répondre à de nouveaux types de clients et de marchés, être plus flexibles, optimiser les
flux et la valeur des matières premières recyclables. Nous verrons ainsi que l’automatisation est
un moyen privilégié pour améliorer et augmenter les performances économiques et que la
réduction des coûts de la main d’œuvre n’est pas absente comme justification au
développement de ces nouvelles technologies.

L’enjeu de l’augmentation de la qualité du tri et de la quantité des apports :


incertitudes sur le bien-être des trieurs

La qualité des produits est prise en compte voire centrale dans le discours des experts (hors
agent de la Cram) et des cadres des centres de tri. Elle représente le prix auquel les produits
pourront par la suite être revendus ; c’est-à-dire plus la qualité sera bonne moins le prix sera
diminué. Les rationalisations dans les centres de tri, et notamment sur deux terrains en phase
d’optimisation, ont été pensées comme pouvant générer une plus ample productivité et
souplesse d’organisation du travail, une meilleure qualité des produits sortants, et des
améliorations des conditions de travail. On observe dans les entretiens menés avec les trieurs
que seule la dernière justification concernant les conditions de travail leur a été exposée. Les
deux autres objectifs ne sont pas mentionnés. L’automatisation est présentée par les acteurs
comme la solution qui s’impose pour viabiliser le recyclage sur le plan économique, développer
les nouvelles filières de valorisation, et répondre à des nouveaux marchés.

L’objectif de qualité est d’abord réglementaire pour les centres de tri et lié aux conditions de
reprise des matériaux triés fixés par les industries du recyclage.

« Les PTM sont réglementaires, les standards de matériaux, la qualité au niveau des
standards de matériaux c’est une obligation pour recevoir les aides de la part d’Eco-
Emballages, ça, c’est une obligation légale. Alors après que ce soit respecté, que ce
soit contrôlé, c’est autre chose, mais y’a effectivement… Donc les centres de tri ont

71
Les variables mobilisées de cette sous-parties : « Elargissements des consignes de tri ; qualité ;clients ;
dispositifs de contrôle de la qualité des produits ; éco-organisme ».

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l’obligation de respecter les standards qualité fixés par Eco-Emballages. » Eco-


Emballages_79

Nous avons vu sur l’axe 1 (le travail) que les opérateurs de tri souffrent de fournir « un travail
sans qualité ». Cette notion de qualité est donc présente à tous les niveaux dans les centres de
tri, contrairement aux autres installations (incinérateur et bioréacteur) qui ne revendent pas un
produit en l’état mais transformé (électricité). La qualité est donc un élément permettant
d’engendrer des recettes, mais elle serait aussi un facteur de satisfaction au travail pour les
trieurs. Pourtant, on peut observer dans les deux centres de tri ayant connu des travaux
d’optimisation que l’augmentation de la qualité des produits n’est pas tout à fait effective à ce
jour. Les résultats escomptés et les rendements théoriques annoncés ne sont pas toujours
atteints.
Les travaux d’optimisation de 2011 à C1 et C2 sont l’aboutissement d’une longue réflexion qui a
duré plus de deux ans. Les techniciens d’exploitation et leurs responsables ont visité plusieurs
centres de tri pour se donner une idée des machines et des travaux qu’ils pouvaient envisager.
Ils ont également fait appel à un ingénieur de procédés pour réaliser un audit. Il s’agissait de
constater dans quelle mesure les machines auxquelles ils avaient pensé pouvaient s’intégrer
facilement dans les centres de tri actuels. Sur un des centres de tri, la qualité souhaitée par la
direction a été amenée par les travaux :

« Alors la qualité on n’est pas trop mal puisqu’on vend notre papier en 1.11, on a eu à
l’heure actuelle qu’un seul déclassement et encore ponctuel, on a négocié et on est
retombé sur nos pattes, on n’a pas eu un gros déclassement, sur un camion de 25
tonnes ils déclassent 3 ou 4 tonnes de produits donc c’est pas… La qualité elle-même
elle est bonne, même si des fois c’est limite on joue avec ça aussi, c’est le rôle des
exploitants de jouer au chat et à la souris avec les repreneurs » Responsable
d’exploitation Optitri_29

En revanche pour le deuxième centre de tri, la mise en œuvre du nouveau process n’a pas eu
encore les résultats attendus.

« La mise en place de l’optimisation a été plus facile dans le centre de tri au nord. Il y a
eu beaucoup de souffrance dans le centre de tri du sud lors de la mise en service, ça a
été très long et très pénible, ils imaginaient qu’ils allaient revenir sur le centre de tri et
que ça allait marcher tout de suite, ils ne s’imaginaient pas que ce serait aussi long,
ceux à quoi nous, on s’attendait. Et du coup aujourd’hui ils commencent tout juste à
comprendre les impacts positifs à l’optimisation, mais pour eux l’optimisation des
centres de tri a eu un impact négatif sur l’amélioration des conditions de travail parce
qu’il y a eu beaucoup de souffrance pendant la mise en service industrielle, et pendant
les mois qui ont suivi et c’est vrai que ça a été beaucoup plus de difficultés et de
souffrances » Direction Optitri_84

L’originalité du projet d’optimisation réside dans le fait que ces nouvelles rationalisations ont été
pensées sous le prisme de la complémentarité des deux installations. Ainsi, le centre de tri C1
trie l’ensemble des corps creux (bouteilles et flacons plastiques). Chaque jour, ce flux
spécifique à C2 est extrait par une machine puis est dérouté à C1 où il sera trié selon 3
catégories. Si à C2 la part manuelle du tri de ces matières a disparu il n’en est rien à C1.
Par exemple, suite aux travaux et à l’ajout d’une machine à tri optique à C2, il était prévu trois
postes sur la ligne des creux (celle où les agents procèdent au tri des bouteilles selon les 3
catégories). Ces postes devaient initialement correspondre, en partie, à des tâches de contrôle
et de surveillance, or en situation nous comptabilisons entre 6 et 8 agents. Nous constatons
que le trieur n’est pas devenu un contrôleur comme il aurait dû l’être. La direction,
l’encadrement et les équipes nous ont expliqué qu’il était nécessaire qu’il y ait autant d’agents,
car le flux de C1 était « pollué » par de nombreux cartons et tétras suite à de mauvais réglages
persistants de leur machine (Cf. photo ci-dessous). En conséquence, la machine de tri optique
de C2 ne parvient pas à détecter les bouteilles, car elles sont masquées par ces matières. Il en
résulte que les trieurs doivent non seulement trier les cartons et tétras, mais aussi réparer les
« oublis » du tri optique. Le travailleur corrige le mauvais travail de la machine automatisée.
L’opérateur devient le réparateur des ratés du processus de rationalisation.

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Il en résulte une colère manifeste dans le collectif des trieurs : « On a l'impression qu'ils se
foutent de notre gueule. Voilà... Alors que bon, tout le monde le sait, ce n'est pas ... je ne sais
pas très bien comment on leur a vendu l'affaire mais il y a des choses qui sont loin d’être... mais
en fait ils ne font pas d'effort non plus. Je veux dire, il y a des choses, des réglages qui
pourraient se faire et tout le monde laisse pisser et au bout d'un moment... ça fait un an que le
tri optique est mal réglé. » Trieuse_17

Photo 26 : 6 Trieurs sur la chaîne de creux

On voit que l’automatisation n’entraîne pas dans tous les cas une amélioration effective des
conditions de travail. Dans ce dernier cas, elle ne correspond pas aux attentes de ceux qui
exécutent le travail du tri. Nos observations et les propos recueillis chez Optitri montrent qu’il y a
eu des frictions, des mécontentements et de nouvelles revendications durant la période des
travaux et lors de la mise en service du process, qui persistent encore aujourd’hui.

« Et je pense qu’il y a une méfiance des opérateurs parce qu’on leur a toujours vendu, je
ne dis pas nous même si c’est arrivé finalement, mais quand on leur vend des
automatisations des choses comme ça, généralement ce qu’on leur vend la direction
c’est que finalement ils n’auront plus rien à faire derrière et que ça va être cool machin.
Or c’est faux. Mais ce qui leur est vendu c’est le message des décideurs qui disent - mais
attendez regardez ils vont trier moins de déchets, ils auront moins de matières à prendre
donc forcément c’est beaucoup mieux -, or c’est pas vrai. Mais ce qui leur est vendu c’est
regarder ça va être génial ce que vous allez faire, et derrière c’est souvent pire, enfin
souvent pire… je ne sais pas si je dis que c’est souvent pire parce qu’en fait c’est pire à
cause de l’attente qui était plutôt positive mais voilà y’a plusieurs cas… » Ergonome_81
« A la base un réel problème, un réel malaise, et comme le disait [le responsable
d’exploitation] tout à l’heure, un certain nombre de choses qui étaient mal organisées,
mal prévues, qui fonctionnaient mal, et pas mal de souffrances […] En gros ils remettent
en cause la réelle volonté que nous avons eu en voulant améliorer les conditions de
travail […] y’a eu des pics, y’a eu des crises, l’histoire du chauffage qui ne marchait pas,
des choses comme ça, chaque fois c’était un orage qui passait sur l’usine, il y a eu des
tensions, puis ça se calmait. » Direction Optitri _84

Ce sont les conditions de travail « attendues et réelles » qui sont ici pointées, mais les
observations permettent aussi de voir que sur ce centre de tri, le papier n’est toujours pas
vendu en qualité attendue. De l’avis des experts, ce cas ne semble pas être isolé.

« Depuis l’année dernière, on a lancé une grosse campagne de caractérisation sur je ne


sais plus combien de centres de tri, de caractérisation des balles, pour voir si ça
respectait ou non les PTM. On en a quand même un certain nombre qui sont très
largement loin du contrôle de la qualité exigée, mais ça passe, ça passe. Pourquoi ça
passe, parce que les gens ont aussi besoin de matières, donc quand on a besoin de
matières, on est un peu plus laxiste. » Eco-Emballages_79

L’élargissement des consignes de tri s’intègre à ce processus d’automatisation. Trier et recycler


plus permettrait de répondre aux exigences de la réglementation qui donne la priorité à la
prévention et au recyclage par rapport à l’incinération et au stockage, mais aussi d’ouvrir de
nouveaux marchés permettant de moderniser l’activité des centres de tri. Cependant,
d’importantes incertitudes et risques professionnels persistent sur ce point. En effet, les experts

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sont aujourd’hui dans un processus d’étude de faisabilité : le coût estimé pour adapter les
centres de tri étant élevé, le marché incertain pour la revente, et les modifications à apporter au
travail des opérateurs et leurs conséquences méconnues.

« Quelle incidence [de l’élargissement des consignes de tri] sur les conditions de
travail ? Et effectivement y’a un coût, aujourd’hui l’estimation est de 100 millions d’euros
par an, c’est-à-dire que si on met sur la totalité du territoire français les pots de yaourts
et les films plastiques dans la collecte sélective ça devrait, d’après l’étude mais ça
risque de coûter plus, ça devrait coûter 100 millions d’euros par an à la France […] Et
bien sûr il doit y en avoir 70 ou 60 % c’est du… ouais presque, ça doit être du personnel
en plus à mettre en place dans les centres de tri, à la collecte etc., il y a une grosse part
de personnel. On pense qu’il y a des incidences importantes, quels sont les risques
professionnels dans les centres de tri ? […] Y’a quand même un bon nombre de TMS,
d’arrêts de travail pour ça, là par contre y’a certainement… les objets vont être plus
petits, ça va passer de cette taille-là à cette taille-là, y’a certainement un nombre de
gestes plus importants qui va être donnés par les opérateurs, les problèmes de TMS
risquent d’être importants, bon, et puis après on s’est dit… donc ça on s’est dit il faut
regarder de près. » Eco-Emballages_78
72
Une récente étude sur l’adaptabilité des centres de tri face aux évolutions potentielles des
collectes séparées, notamment à l’extension des films plastiques, pots de yaourt et barquettes,
rapporte que « plus d’un tiers du parc ne pourrait pas, même avec des investissements, trier la
totalité de son bassin versant actuel en respectant les standards matériaux des flux sortants. Si
l’extension concerne uniquement les pots et barquettes, alors 22 % du parc serait dans cette
situation, contre 18 % sans extension des consignes de tri. »

Une potentielle menace sur l’emploi

Au-delà des risques professionnels, l’automatisation dans les centres de tri pose la question de
la préservation des emplois « non qualifiés ». Comme nous l’avons vu, les opérateurs sont en
majorité une population vulnérable au regard de la reconnaissance de leur qualification et des
risques qu’ils encourent (inaptitude professionnelle, carrière bloquée). L’automatisation des
centres de tri pourrait soulager les opérateurs des tâches les plus pénibles au profit de tâches
de contrôle, de gestion de la machine. Ceci nécessiterait un apport de formation pour le
passage d’un emploi à l’autre. Mais quelle part faire entre la limitation des risques
professionnels et la protection d’emplois occupés par des populations en situation de fragilité ?
De nombreux débats ont cours sur le sujet.

« Alors y’a différentes approches. On avait soit des approches très innovantes, qui sont
toujours en cours, enfin très innovantes, on fait de l’automatisation beaucoup, de
l’automatisation parce que c’est un boulot qui est relativement… relativement chiant, et
puis la masse salariale c’est ce qui coûte vraiment le plus cher en fait, de très loin, moi ce
que me disaient les exploitants c’est que sur un compte, en opérateurs de tri, c’est pas
énormément payé forcément, ça coûte 30 000 € sur un compte d’exploitation une
personne. Nous quand on développe une machine, on avait développé une techno qui
s’appelle X qui est une machine de tri optique qui, par un algorithme, permet d’en
remplacer 5 ou 6 [emplois trieurs], je ne sais plus combien ça coûte mais ça devait coûter
100, 150 000 € donc c’est très rapidement rentabilisé en fait. Après ce qu’il faut voir c’est
qu’Alpha fait aussi des emplois sociaux, dans les contrats il est marqué souvent qu’on
doit garantir un nombre d’emplois. » Ergonome_81
« Ce que je veux dire c’est qu’en créant des centres de tri automatisés globalement on
supprime des emplois, peut-être pas autant qu’on peut le voir dans un centre de tri parce
qu’effectivement on va supprimer des emplois dans un centre de tri mais la société qui
fabrique les machines de tri optique, y’a 10 ans ils étaient un ou deux et maintenant ils
sont une centaine, donc ces gens-là ils travaillent peut-être qu’à 50 % sur la collecte
sélective mais y’a 50 emplois qui ont été créés de techniciens et d’ingénieurs pour ça.
Donc on déplace un peu les emplois, c’est pas les mêmes emplois dans les centres de tri

72
Etude de l’adaptabilité des centres de tri des déchets ménagers aux évolutions potentielles des
collectes séparées.

Le Travail dans les Industries de Déchets 117/160


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aussi, on industrialise, on a des emplois qui sont plus qualifiés, on a plus d’emplois de
maintenance. […] Donc voilà, c’est une industrialisation, mais l’inconvénient c’est une
perte des emplois directs inévitable sur le territoire français. » Eco-Emballages_79

On observe dans ces citations que c’est de par la nature de service public du tri des déchets
que certains emplois sont conservés dans les centres de tri, mais aussi que ce sont bien les
emplois des « non qualifiés », et donc destinés aux personnes en situation de fragilité, qui sont
menacés par l’automatisation des centres de tri. Les acteurs politiques fixent dans leurs
contrats avec les entreprises privées, des conditions sociales à l’attribution des marchés afin de
préserver les emplois sur les territoires dont ils sont responsables. Faut-il supprimer ces
emplois à forts risques professionnels en prenant le risque de plonger cette population dans
une situation d’emploi incertaine ? La question n’est pas close entre les experts, les politiques
et les gestionnaires privés.

Une deuxième menace à l’égard des trieurs est formulée par l’agent de la Cram qui
mérite une attention particulière. À partir d’une simple comparaison entre le tri négatif et
le tri positif ce dernier met au centre de son propos la question de la valeur du travail et
de la reconnaissance. Le tri positif consiste à sélectionner du flux des déchets les
matières recyclables (selon le poste occupé). Le tri négatif repose sur l’extraction des
matières non valorisables (le refus). Les effets de l’automatisation sur les opérateurs de
tri sont encore peu connus.

« C’est en ce sens qu’au fur et à mesure où les centres de tri se sont modernisés on a
enlevé de la valeur au travail. Auparavant l’opérateur triait le produit à recycler, donc du
coup il y avait un geste positif, je prends le produit et je recycle, maintenant les choses se
font en amont, maintenant on trie les indésirables c’est-à-dire qu’on trie ce dont on ne
fera rien, on enlève le refus. Donc du coup le geste il n’est plus le même, ce n’est pas un
geste positif. […] Voilà on a enlevé de la noblesse, et donc je pense que dans les esprits,
dans les métiers c’est peut-être un élément fort qui a dû changer dans l’esprit des
opérateurs. Donc je n’enlève plus ce dont on va faire des blousons ou des pulls, j’enlève
ce qui partira à la poubelle, donc ça, ça a dû… donc c’est ce qu’on appelle la notion de tri
positif ou de tri négatif. Donc ça a dû impacter le sentiment qu’on avait du métier. »
Cram_77

On doit ici comprendre deux choses qui symboliquement ont une incidence négative sur le sens
au travail et sur le sentiment de se sentir utile. Or, comme nous l’avons vu, on sait que ces deux
éléments contribuent à évaluer positivement son travail. Premièrement, retirer le déchet
« sale » de la chaîne est une tâche physiquement et moralement ingrate et dégoutante.
Deuxièmement, la rhétorique sur sa contribution à l’environnement et sur son service pour
l’intérêt général, soit pour reprendre les propos de notre enquêté « la noblesse » du métier,
s’en trouve altérée.

L’optimisation et la recherche de nouveaux outils de production ne sont pas sans effets sur le
quotidien de ces travailleurs, sur la perception qu’ils en ont, et sur la manière dont ils vont
appréhender leur activité à l’avenir. En outre, de nouvelles problématiques humaines et risques
professionnels peuvent émerger en fonction des nouveaux changements techniques et
organisationnels. À ce titre, il semble opportun de réaliser et de poursuivre de nouvelles études
en sciences humaines et sociales sur les démarches d’industrialisation dans les centres de tri.

***

Dans les centres de tri, la question de la préservation de la santé des opérateurs est devenue
actuelle du fait de l’émergence de maladies professionnelles, des risques professionnels et des
conditions de travail difficiles. Au lieu des travailleurs, ce sont les experts qui occupent la place
centrale dans la conduite d’actions préventives et qui sont susceptibles de jouer un rôle
déterminant dans l’adoption de pratiques et d’innovations technologiques pour améliorer le
« confort » des trieurs.
Ainsi, l’amélioration du quotidien du trieur et la limitation des risques se mettent au service
d’une logique économique qui vise d’une part à adapter le parc des centres de tri face aux
nouvelles potentialités de l’activité et aux nouvelles technologies d’automatisation et d’autre part

Le Travail dans les Industries de Déchets 118/160


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à accroitre le rendement et la productivité de ces installations. Stimulé par des impératifs


économiques, le développement technologique et industriel qui a tendance à s’accélérer
convoque un questionnement sur le devenir de ces travailleurs, souvent sans leur participation.
Alors que de plus en plus de centres de tri se mécanisent et automatisent une partie de la
production, se pose la question de la réduction de la main d’œuvre (notamment dans la
population des trieurs) et/ou de l’apparition de « nouveaux métiers qualifiés ». Parmi les trois
installations de tri étudiées, l’effectif est resté sensiblement le même parmi les statutaires trieurs,
mais nous n’avons pas observer un changement de tâches ou un éloignement de leur « métier
d’origine ». De plus aucun des opérateurs du tri ou du sol ne rapporte un développement de
nouvelles compétences. La requalification des opérateurs du tri n’est donc pas encore en voie
de réalisation et la question du devenir du métier de trieur reste entière. De surcroît, les études
de terrain manquent pour apprécier les changements techniques et évaluer leurs conséquences
sur le travail de chacun des agents dans les centres de tri.

Dans la partie suivante nous remarquerons dans l’analyse factorielle des discours que les
risques professionnels s’opposent aux risques environnementaux. Dans l’incinérateur et le
bioréacteur la notion de « risque » est convoquée non pas au regard de la sécurité au travail ou
de la gestion des risques professionnels, mais soit « vers le principe de réduction du potentiel
de danger » (Suraud, Blin, De Terssac, 2010) soit vers la maîtrise du risque industriel et
environnemental. Nous verrons que les configurations techniques et l’encadrement
réglementaire de ces deux installations imposent de prendre en compte les problématiques
environnementales. Nous constaterons que maîtriser les risques revient à gérer les aléas
techniques, à résoudre les déficiences pour respecter les contraintes réglementaires, garantir la
sécurité du process et à ne surtout pas contraindre ou arrêter la production.

Le Travail dans les Industries de Déchets 119/160


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5.2 Les risques environnementaux : les ouvriers de l’incinérateur en


première ligne

Ce régime de sens (risques environnementaux) est porté par les discours des opérateurs de
l’incinérateur et du bioréacteur. On y retrouve plusieurs catégories d’ouvriers et de corps de
métiers : agents de maintenance, conducteurs pontiers (agent de quart), adjoints et chefs de
quart pour l’incinérateur ; chef de quai, ouvrier polyvalent et conducteurs d’engins pour le
bioréacteur.

Figure 6 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d'importance

Variables Mobilisées Individus du regroupement

- Risques industriels et environnementaux CQ_INC_56


- Dispositifs de contrôle des risques industriels et environne PO_BIO_76
- Problèmes de la production QU_INC_49
- Agents de pollution QU_INC_74
- Transport CQ_BIO_71
- Filière de déchets MA_INC_52
- Déchets non valorisables CD_BIO_73
- Direction d'entreprise CD_BIO_75
QU_INC_85
QU_INC_55
Abréviations postes et fonctions :

CQ_INC : Chef de quart Incinérateur


PO_BIO : Agent polyvalent Bioréacteur
QU_INC : Conducteur pontier Incinérateur
CQ_BIO : Chef de quai et agent suivi du réseau
Bioréacteur
MA_INC : Agent de maintenance Incinérateur
CD_BIO : Conducteur engin Bioréacteur

Les risques liés au travail sont l’affaire des experts. Les risques environnementaux sont l’affaire
des travailleurs. On observe que ces individus centrent leur discours sur l’exposition des
difficultés industrielles rencontrées lors de la réalisation de leurs tâches et des facteurs de
risque au niveau environnemental.

Précédemment les notions de « sécurité » et de « risque » étaient employées en référence aux


risques professionnels. Ici, ce sont les risques industriels pouvant avoir des impacts négatifs sur
l’environnement qui sont en correspondance avec ces notions. Pourquoi ces différences entre
tri d’un côté incinérateur et bioréacteur de l’autre ?
Ces deux activités du déchet (incinération et enfouissement) diffèrent fortement au niveau de
leur gestion (publique/privée), de l’organisation du travail (notamment les horaires et le travail
en équipe), du contenu du travail et des métiers. Mais, la cohésion des discours se base sur la
mise en lumière des points communs de leur activité. La façon dont les travailleurs la
définissent et les manières dont ils agissent sur les aléas techniques sont des caractéristiques
qu’ils partagent.

Après avoir présenté brièvement l’activité de travail et ses spécificités dans l’incinérateur et
dans le bioréacteur, nous montrons, comme annoncé dans l’introduction de la présente partie,
que la technique et les nouvelles technologies cadrent fortement ces activités professionnelles.
Ces deux activités sont caractérisées par une mission de contrôle et de surveillance et par la
gestion des aléas, qui sont effectuées par ces opérateurs (1). Puis à partir des entretiens, nous
dressons les problèmes et difficultés rencontrés dans la gestion de l’imprévu et dans la
« bonne » conduite de ces deux types d’installations (2).

Le Travail dans les Industries de Déchets 120/160


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5.2.1 Caractériser le contexte du travail : prévenir les aléas techniques73

Les incinérateurs et les centres d’enfouissements sont des unités de traitement qui font
polémique (Buclet, 2005 ; Barbier, 2005) et sur lesquels se cristallisent des enjeux
d’acceptabilité sociale et d’enjeux pour la santé (Buclet et Salomon, 2008). Perçues comme des
menaces, de fortes mobilisations sociales ont lieu autour de ces entreprises qu’il s’agisse de
nuisances causées par les odeurs, des envols, par la couleur des fumées ou par les potentiels
risques sanitaires et technologiques qui pourraient être fortement dommageables. Industries à
risques, c’est notamment sur les émissions de dioxines, devenues « un symbole de l’atteinte à
la santé humaine causée par les déchets » (Keck, 2012), que la réglementation européenne de
2000, transposée en 2002 en France, impose des normes d ‘émissions et une limite pour les
poussières et le monoxyde de carbone. Ces changements réglementaires ont aboutit à des
changements et mutations techniques importants dans les incinérateurs et imposant, semble t-il,
une professionnalisation de l’activité et de ses membres.

Nous analysons ici, la manière dont les travailleurs s’y prennent pour agir en sécurité face aux
aléas et à l’événement fortuit. Commençons par comprendre comment ils qualifient leurs
activités pour expliciter les différentes manières dont ils définissent les perturbations, puis
comment ils agissent dessus pour maintenir la continuité de la production et éviter les risques.

Les individus présents sur ces installations sont plus diplômés que les trieurs. Ils ont pour une
large majorité d’entre eux des compétences reconnues dans le domaine mécanique et
électrotechnique, en particulier ceux travaillant à l’incinérateur. Ces compétences ont été
validées par des diplômes (du CAP au Bac+2) ou par des expériences professionnelles
antérieures étudiées lors du recrutement. Au bioréacteur, le recrutement des agents se basent
sur des compétences beaucoup plus hétérogènes, les parcours professionnels sont variés,
mais la direction privilégie une expérience professionnelle dans le domaine des travaux publics
et dans la conduite d’engins. A l’inverse des équipes de tri qui sont mixtes, dans ces deux
74
installations, seul une femme est au poste de conducteur pontier (l’incinérateur).

Environnement fortement masculin, la connaissance du terrain et la réclamation d’apporter des


améliorations au process de l’usine sont deux compétences sollicitées et valorisées par les
cadres et la direction de Valori.
Industrie de process en continue, l’incinérateur à bien des égards partage des caractéristiques
communes avec l’industrie nucléaire (Stoessel, 2010 ; Bourrier 1999). Comme les unités de
production nucléaire, l’activité de l’incinérateur ne devrait jamais être complètement stoppée
pour assurer un rendement optimal. L’objectif à respecter serait de fonctionner à 90 % du temps
75
sur l’année. Dans cette installation les équipes de conduite travaillent en horaires postés ,
assurant un roulement en « quart », en 3X8, toute l’année.
Une équipe est composée de 4 personnes et supervisée par le responsable d’exploitation. Nos
observations montrent que les ¾ du temps ils sont trois, parfois deux. Cela s’explique par le fait
qu’ils sont souvent en formation, en récupération ou en congé. Sur ces quatre individus, deux
d’entre eux sont conducteurs-pontiers ou rondiers, un est adjoint chef de quart et le dernier est
chef de quart. Suivant les équipes, au nombre de 5 dans l’incinérateur étudié, un à trois des
opérateurs sont sur le terrain pour vérifier et intervenir sur les différentes organes composant le
process. Une ou deux personnes sont en permanence dans la salle de commande pour gérer la
fosse de déchets, alimenter les fours, surveiller l’installation par le biais des postes de contrôle,
intervenir sur le process informatiquement, et accueillir les intervenant extérieurs (les
transporteurs de déchets ou les salariés d’entreprises en sous-traitance).
L’organisation des tâches et des missions au sein de l’équipe est réalisée par le chef de quart
suivant son appréciation qu’il a de chacun de ses conducteurs pontiers. Cela signifie que des

73
Les variables mobilisées dans cette sous-partie : « Risques industriels et environnementaux ; dispositifs
de contrôle des risques industriels et environnementaux ; transport, filière de déchets ».
74
Cette dernière était auparavant agent de tri à Valori, suite à une incapacité physique elle a été mutée
sur l’incinérateur.
75
4h-12h / 12h-20h / 20h-4h. Le cycle est organisé de manière à ce que chaque opérateur soit en repos
deux week-ends par mois. Sur cinq semaines le planning est établit comme suit : 2 matins, 1 après-midi, 2
nuits, 2 jours de repos / 2 jours de repos, 1 matin, 2 après-midi, 2 nuits / 3 jours de repos, 2 matins, 2
après-midi / 2 nuits, 3 jours de repos, 2 matins / 2 après-midi, 1 nuit, 4 jours de repos.

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chefs de quart confient plus de responsabilité à certains opérateurs, en fonction de l’évaluation


de leurs compétences techniques et de leur capacité d’initiative.
Selon les équipes, le chef de quart ou son adjoint assurent la conduite et le contrôle de l’usine
en salle de commande ou au contraire naviguent entre le terrain et la salle de commande. Dans
ce cas là, ils attachent une forte importance à former le conducteur pontier au process
informatisé. Ce temps d’apprentissage est relativement long. Selon les propos des opérateurs il
peut s’étaler sur une année, en sachant qu’ils nous diront aussi « qu’à l’incinérateur on n’arrête
jamais d’apprendre ». De plus, cette formation au process ne peut se faire qu’après avoir
acquis une connaissance approfondie des équipements sur le terrain.

Dans cet incinérateur de déchets ménagers, deux personnes s’occupent du service du


traitement des eaux. Leur mission consiste à effectuer des prélèvements journaliers et à
assurer le bon déroulement du traitement des fumées. Ils travaillent en étroite collaboration
avec les équipes de conduite ou de « quart » et les équipes de maintenance. A ce titre, ils sont
régulièrement invité aux réunions de travail de ces deux service. A l’instar du service
maintenance, ils travaillent à la semaine, de 8h à 16h.

Le service maintenance a aussi un rôle fondamental : « [A propos de l’exploitation et de la


maintenance] l’un n’allant pas sans l’autre ». Les agents de maintenance participent aussi au
fonctionnement de l’usine, ils sont encadrés par un responsable ingénieur. L’équipe
comptabilise 6 agents, chacun ayant des spécialités dans le domaine mécanique, électrique,
hydraulique, de l’automatisme. Nos observations et les entretiens rapportent la variété des
tâches à mener dans cette industrie complexe. Leur travail est organisé en fonction des
demandes d’intervention (DI) formulées essentiellement par les équipes de conduite. Le
« traitement » de ces DI, classées par ordre d’importance et de gravité selon le responsable et
son service, peut être opéré dans la semaine qui suit ou plusieurs mois après. Il leur est aussi
demandé d’apporter des éléments d’optimisation à l’installation.

Photo 27 : Gestion de la fosse par un conducteur pontier Photo 28 : Ecran de contrôle du bioréacteur

A Optitri, le bioréacteur est intégré au pôle des énergies renouvelables. Ce pôle est composé
de trois services : le bioréacteur, le biogaz, et la plateforme bois-énergie. Notre travail
d’enquête s’est porté sur la partie bioréacteur. Nous avons constaté qu’entre les travailleurs de
ces trois services, les relations étaient étroites. Les travailleurs se croisent régulièrement sur le
site. Les vestiaires et les salles de repas et de repos sont partagés.

Pour le fonctionnement du bioréacteur, le rythme et les horaires de travail s’organise en deux


76
postes en 2X8.
Le bioréacteur est supervisé par le responsable d’exploitation. Les équipes productives se
composent de trois individus : un chef de quai, et trois agents. Deux d’entre eux sont en continu
dans des engins aux abords ou sur le casier d’exploitation. L’un s’occupe de vider et d’étaler les
déchets, le second est sur un « compacteur » au niveau du casier pour tasser les apports de
déchets. Le dernier des agents est à « l’exploitation ». C’est une activité de travail considérée
comme « polyvalente » et périphérique au travail sur le déchet. Elle recoupe plusieurs tâches
similaires à celles que nous pourrions observer dans les travaux publics. En effet, le travail

76
6h-13h / 12h-19h. Ils sont amenés à travailler également le samedi.

Le Travail dans les Industries de Déchets 122/160


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s’effectue souvent sur d’imposants engins (tracteur) pour effectuer un travail de terrassement.
Dans le cas présent, il s’agit de déplacer et de mettre de la terre sur les flancs du monticule des
déchets afin d’éviter un incendie, de « taluter » la terre, ou encore de renforcer des voieries
existantes. Ils sont aussi amenés à effectuer des tâches de nettoyage. En outre, l’agent peut
être amené à se déplacer sur l’ensemble du site pour gérer des problèmes de voierie, en renfort
sur la plateforme bois ou sur le quai de déchargement des déchets inertes, ou encore aider
l’agent polyvalent mécanicien. Durant la semaine, au niveau du planning, les trois agents
tournent sur ces différents postes.
Pour finir, le chef de quai s’occupe de gérer les transporteurs, d’organiser le déchargement et
réguler le trafic.

Photo 29 : Conducteur du bioréacteur sur un Photo 30 : Un travail de terrassement


engin compacteur

Techniquement et technologiquement le travail dans un incinérateur apparaît plus complexe.


D’une part, les équipements et les machines sont beaucoup plus nombreux et articulés entre
eux. En outre, l’activité des travailleurs est fortement dépendante de celle des machines, au
point où ils sont eux mêmes associés à cet environnement technique (Dodier, 1995). D’autre
part, les impératifs managériaux à prendre des initiatives, des décisions techniques, à prendre
en compte les critères de rentabilité et de productivité imposent aux salariés de l’incinérateur
d’avoir un avis sur chaque problème qui se présente. De plus, les rythmes de travail pour les
équipes de quart (fins de semaine et quart de nuit) induisent aussi à ces salariés d’apprendre à
gérer seuls des dysfonctionnements. Le renforcement des compétences relationnelles et
techniques de ces opérateurs semblent ainsi être des exigences importantes dans cet univers
professionnel. Mais, ajoutons que ces prises d’initiatives sont accordées aux agents en fonction
de la représentation que le supérieur (N+1) a de son opérateur. A la différence de l’incinérateur,
dans le bioréacteur, les problèmes techniques sont davantage gérés par les responsables-
cadres et par l’agent en charge du suivi du réseau.

Ces deux activités industrielles (incinérateur et bioréacteur) ont le point commun de devoir faire
face à de nombreux aléas techniques. Les opérateurs doivent être en mesure de faire face à
une variété de tâches et l’imprévu rythme leur activité. Gérer, apprendre à gérer, s’adapter aux
nouvelles situations concourent à maintenir la sûreté environnementale, limiter les risques
environnementaux et constituent des compétences communes à ces travailleurs. Ce travail
complexe de gestion des aléas (faire face à l’imprévisible) mobilisent les opérateurs, impliquent
leur responsabilité, demandent une attention continue et participent, selon eux, à valoriser leur
métier.

« Moi je suis content quand j’arrive à tout faire, enfin quand j’arrive à tout faire ce qui est
prévu mais bon comme il y a vachement d’imprévus, y’a beaucoup d’imprévus ici c’est
normal, le fonctionnement y’a des pannes. » Agent Polyvalent Bioréacteur_76

L’expérience professionnelle sur ces sites de production est ici valorisée, car elle participe à la
limitation des risques lorsqu’il faut agir sur la défaillance du système. Autant pour les agents de
l’incinérateur que du bioréacteur, la connaissance du fonctionnement du process et les savoirs
accumulés sur l’outil industriel agissent comme des repères et sont reconnus comme des
facteurs aidant à limiter des risques industriels et donc les dommages à l’environnement. Ainsi,

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à de multiples reprises dans l’incinérateur, et pour certains agents du bioréacteur, les discours
mettent en valeur la notion d’apprentissage. La nécessité de se repérer dans l’installation, de
comprendre les informations sur les écrans de contrôle et l’ensemble des équipements sont des
éléments indispensables. Ils permettent de conduire l’usine et de diagnostiquer l’état de
fonctionnement de l’installation afin d’être en mesure de prendre en charge les aléas
techniques tout en anticipant les conséquences.

« Ça m’a pas changé, c'est même intéressant, au départ c’était un petit peu dur parce
que les débuts de l’usine étaient costauds et comme dans tout départ il y a toutes les
subtilités à comprendre et à connaître puis à mettre en œuvre, mais ça se fait sur le long
terme, quand on arrive dans un incinérateur le travail n’est pas simple c'est un long
apprentissage que de comprendre quand on fait telle chose a une incidence sur une
autre notamment quand on est en conduite. […] On s’aperçoit que aujourd'hui on conduit
beaucoup mieux, qu’on a beaucoup plus de réactivité envers chaque problème qui
peuvent se poser. » Chef de quart Incinérateur _56
« On évolue au fur et à mesure des techniques, c’est comme n’importe quoi, on
commence on a des problèmes et plus on monte plus on résout les problèmes de par ce
qu’il y avait avant on tire des expériences […] au fur et à mesure, moi en étant curieux,
au fur et à mesure j’ai réussi justement à comprendre le système, en posant beaucoup
de questions à mon chef et aux intervenants qui viennent notamment pour les moteurs, à
apprendre le système, comment ça marche, les valeurs, ce que je relevais puisque je fais
les relevés, à quoi ça correspondait. Donc j’ai appris sur le tas puisque c’est un métier
nouveau on va dire donc on n’a pas de formation ni rien que ce soit avec le CNFPT, le
centre de fonction publique territoriale, puisque c’est nouveau donc il faut apprendre tout
le temps, poser des questions, être curieux, ne pas hésiter à aller voir comment ça
marche donc non j’ai appris comme ça, c’est la meilleure école. » Chef de quai et agent
suivi du réseau bioréacteur_ 71

La plupart des opérateurs jugent leur travail plutôt intéressant du fait du caractère « touche à
tout » qu’impose leur activité. A cela certains d’entre eux ajoutent l’intérêt d’être en situation
d’apprentissage. Dans le même temps, on constate la difficulté à gérer l’urgence, à devoir
s’engager dans un nouvel aspect du travail lors de pannes et donc à être sur plusieurs
« fronts ».

« Pour le travail vraiment technique ce qui est intéressant c'est que ça touche un peu à
tout, l’automatisme, l’hydraulique, l’élec, combustion donc il y a beaucoup de choses à
savoir et c'est vrai que pour celui qui est intéressé par ça et bien ça donne un éventail
assez large, après c'est pas évident, parce que si on veut vraiment faire quelque chose
de pointu il faut se spécialiser parce que c'est un peu trop large mais c'est vrai que c'est
très intéressant, ça permet de toucher un peu. » Chef de quart Incinérateur _56
« Moi j’aime bien être polyvalent, on ne fait jamais pareil, y’a pas de routine. Des fois y’a
des trucs de prévu et puis y’a un truc qui est en panne, une urgence, ça change
complètement, c’est un peu la panique mais c’est bien. Ça change un peu quoi, moi j’ai
tout le temps fait pareil, à force quand j’étais conducteur routier c’était tout le temps pareil
et au bout d’un moment je m’en lassais quoi, là c’est bien, pour le moment ça me
convient. » Agent Polyvalent bioréacteur_76
« Et après que tu ais appris quelque chose, voilà, en fait moi j’apprends tous les jours,
voilà pour moi c’est ça, qu’il n’y ait pas de conflit et tout ça parce que c’est chiant, moi j’ai
connu le goulag… » Conducteur Pontier Incinérateur_85
«C’est tout un travail avant les moteurs de réglage de réseau, de contrôle tout parce que
c’est sur des ordures donc ça travaille toujours un petit peu donc il faut monter,
redescendre les casiers. Donc c’est un boulot très très intéressant et vachement prenant
pour ça, mais c’est un boulot qui demande un peu plus de temps. » Chef de quai et agent
chargé du suivi du réseau_71

Ce jugement sur l’intérêt au travail est plus nuancé dans les discours des conducteurs du
bioréacteur et de quelques conducteurs pontiers de l’installation. Ils peuvent trouver leur activité
trop répétitive, monotone et relever qu’elle revêt des aspects peu appréciés tels que la saleté.

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« Quand on s’ennuie et que c’est long on peut dire que c’est une mauvaise [journée]
ouais, non c’est toujours bien, et oui je ne suis pas compliqué… non la mauvaise c’est si
on doit aller taper, comme ils ont eu ce matin, ils ont eu un bourrage d’extracteur avec
des grosses boules de plumes je ne sais pas quoi, ça pue la mort, les pauvres ils n’ont
pas dû apprécier, voilà. » Conducteur Pontier Incinérateur_55
« Les inconvénients y’a pas grand-chose, c'est que c'est sale déjà là où on travaille,
l’odeur déjà mais nous on s’y fait donc on ne la sent plus […] T’arrives le matin tu sais ce
que tu as à faire, y’a qu’avec l’exploit qu’on change c’est tout. Après voilà, les camions,
on pousse, on pousse, tout travail c’est la routine en même temps. » Conducteur
Bioréacteur_73

Cas 1 (au bioréacteur) : Je réalise aujourd’hui un entretien avec Louis qui est conducteur sur
le bioréacteur. Un de ses collègues m’explique qu’il aura un peu de retard, car il est en train de
nettoyer un engin. Quelques minutes plus tard, Louis entre dans le bureau et se présente en
me disant : « Regardez comment je suis, désolé je suis recouvert de boues mais ça, c’est la
réalité de mon boulot ». Dans le même temps qu’il me parle, il s’essuie avec du papier
absorbant. En effet, Louis a de nombreuses tâches marron sur son habit de travail, ses bottes
sont recouvertes de boues, ses cheveux et son visage en sont aussi parsemés.
Cas 2 (à l’incinérateur) : Première observation dans un quart de nuit. Le chef de quart me
propose d’accompagner Gilbert pour effectuer la ronde de l’installation. Lorsque nous revenons
en salle de quart, l’équipe décide de me conduire derrière la baie vitrée c’est-à-dire dans la
fosse de déchargement. L’un d’entre eux me dit « tu vas voir ce que c’est de travailler dans un
incinérateur, nous, on n’est pas que sur nos ordinateurs ou sur les équipements, là tu vas
comprendre pourquoi on n’aime pas aller nettoyer le grappin ». Une fois entrée dans la salle,
l’odeur est pestilentielle, elle me prend à la gorge, nous revenons très rapidement dans la salle
de quart. Un des opérateurs me dit « tu pues maintenant ». L’odeur s’est effectivement
imprégnée sur mes vêtements, dans mes cheveux, sur mes mains. Je leur dis que je suis
impressionnée et dégoûtée. L’un d’entre eux me dit « et encore ça c’est rien, quand tu dois aller
enlever une charogne dans l’extracteur ou que tu passes ta journée à nettoyer de la merde ».
Notes de terrain 2012

De plus, s’ajoute pour certains la fatigue physique liée au rythme du travail, à des travaux de
manutention pénibles et à un environnement de travail difficile. Mais à la différence des trieurs,
l’activité de travail étant soumise à davantage d’aléas, elle alterne entre des périodes de travail
usantes et des périodes relativement « tranquilles ». Ces deux types d’industries ne
fonctionnent pas sur le modèle de la répétition des opérations comme sur les chaînes du tri,
l’événement, sa gestion et le changement dans les tâches qui en découlent sont ainsi jugés
comme « profitables » pour les agents.

« Et puis bon y’a des cycles où ça roule très bien et y’a des cycles où tu n’arrêtes pas,
c’est merde sur merde, bouffer de la poussière, de la chaleur, des fois c’est usant, y’a
des cycles qui sont usants et d’autres ça va. » Conducteur Pontier Incinérateur_85
« Le rythme des 3X8 c’est vrai que c’est pas facile pour l’organisme, après non y’a pas
tant de choses pour ma part, les pontiers oui un peu plus quand il y a des bourrages, des
machins, des choses comme ça oui c’est un petit peu plus dur physiquement. Sinon
après il n’y a pas trop de boulot de force on va dire. » Chef de quart Incinérateur _56

En outre, par comparaison, ces travailleurs considèrent leur travail moins pénible et épuisant
que celui du trieur, d’autant qui leur confère des marges de manœuvre et de l’autonomie. Pour
exemple, un des agents de l’incinérateur surnomme le centre de tri comme étant une « galère »
et les trieurs comme des « galériens ».

« Par rapport aux mecs qui sont sur le centre de tri je trouve qu’ils n’ont pas la meilleure
place, si y’a un poste qui se libère ce n’est pas un poste où on va me trouver quoi parce
que c’est vraiment ingrat. Et puis t’es dedans, toujours à faire la même chose, tandis que
nous on conduit un engin mais aujourd’hui on est sur le compacteur, demain on va à la
pelle, vous voyez ce que je veux dire […] C’est plus polyvalent, on va aller dégager un
tuyau, on va faire attention à ne pas accrocher un tuyau, enfin je veux dire c’est différent
quoi. Tandis que là-bas c’est pareil, aujourd’hui t’es aux bouteilles, demain t’es aux
cartons […] Le peu que j’ai fait sur la chaîne de tri c’est vraiment rude et je trouve que les

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gens du tri ne sont pas trop reconnus parce que c’est vrai que ce n’est pas un boulot
facile, parce que le tapis il déboule et je trouve que les agents ne sont pas bien payés par
rapport à ce qu’ils font parce que c’est physique et enfin c’est un travail ingrat. »
Conducteur bioréacteur_75

A la gestion du fortuit et des aléas, le deuxième point commun de ces deux activités
industrielles réside dans l’importance de mener un travail de surveillance et de contrôle.
L’obligation d’être conforme aux normes environnementales et aux arrêtés d’exploitation et
l’impératif d’être en capacité de prévenir ou anticiper l’événement (pour ne pas freiner la
production) sont au cœur des logiques organisationnelles de l’activité de travail.

La gestion de la surveillance est d’autant plus essentielle et indispensable, car ce sont des
usines qui sont contrôlées « en bout de chaîne » par les services de la Préfecture et par
d’autres entreprises spécialisées dans la gestion des risques techniques et environnementaux.
Ce travail de surveillance a lieu sur le terrain auprès des différentes machines (faire des actions
sur les matériels, relever des paramètres), mais aussi en salle de commande par le biais des
écrans informatiques. Il doit être retranscrit par voie écrite ou orale selon les installations et les
équipes. Lors de ces rondes, les agents mobilisent aussi leurs sensations auditives, olfactives,
tactiles et visuelles comme des indicateurs pour repérer un dysfonctionnement ou un risque. Ils
ne se limitent pas à vérifier les machines et les produits mais « sentent » pour repérer les
odeurs suspectes, « regardent » et « écoutent » afin de discerner des éléments inhabituels.

« Et ben tu rondes, faut voir si y’a pas de petits soucis […] Au bruit, si y’a un drôle de
bruit, si y’a un fonctionnement anormal, si tu as des fuites, ça regroupe tout en général
ça » Conducteur Pontier incinérateur_55
« Mon activité principale c'est la conduite de l’usine, de la surveillance mais plus en
supervision […] C'est sûr qu’on a un peu plus de surveillance qu’avant par rapport à la
mise aux normes de 2005 donc tout ce qui est rejets gazeux donc Valérie tout ça qui est
le logiciel qui récupère les données pour les transférer à la DRIRE enfin à la DREAL et
donc c'est toutes ces choses-là qui sont arrivées et qui nous donnent une charge de
travail en plus, avec quand même un peu plus de stress. » Chef de quart Incinérateur_56
« Je sais qu’on est hyper surveillé, il y a de la surveillance parce qu’il faut toujours faire
attention qu’il y ait de l’air pur pour que les instruments puissent tourner, à la limite si
l’instrument tombe en panne on est obligé de couper l’usine, c’est ce que j’ai compris,
donc il y a toujours tout en double, le secours et le normal, donc il faut que les deux
fonctionnent tout le temps, s’il y en a un qui tombe en panne il faut se dépêcher de le
refaire au cas où. » Agent de maintenance Incinérateur_52
« On part en ronde, on fait les rondes, on contrôle tout ce qui peut se boucher, les
caissons qu’il y a sous les grilles des fours, parce que des endroits restreints tu as
beaucoup de trucs qui peuvent passer donc on contrôle ça, on enlève la ferraille sous le
scalpeur, on contrôle les endroits où t’as des niveaux d’eau pour savoir si les niveaux
sont bons, il ne faut pas qu’il y ait un manque d’eau » Adjoint chef de quart
Incinérateur_49
« Moi le lundi normalement il faut que je fasse le tour du réseau quand je peux et contrôle
tout ce qui est vannes tout ça, et contrôle notamment qu’il n’y ait pas de fuite, donc on le
voit de suite, on voit que ça coule un petit peu bam on prévient nos supérieurs, voilà ça
coule qu’est-ce qu’on fait ? » Agent chargé du suivi du réseau et Chef de quai
Bioréacteur_71

Ce travail de contrôle est partagé. Il s’exerce en partie par les dispositifs techniques des
installations mais aussi par les agents qui ont en charge de surveiller, inspecter, superviser
l’organisation.

Une autre dimension dans les entretiens relative à l’environnement et à la gestion du risque
mérite d’être signalée. Il s’agit de la justification environnementale de la valorisation énergétique
des déchets que les agents peuvent opposer au jugement de la société civile, quand cette
dernière qualifie ces modes de traitement comme étant la cause de diverses pollutions. Dans
les discours, les opérateurs défendent leurs installations en montrant leurs avantages tout en
insistant sur le respect de l’environnement et sur les procédures mises en place. On constate
que selon l’installation dans laquelle ils travaillent, ils hiérarchisent les modes de traitement,

Le Travail dans les Industries de Déchets 126/160


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vantant alors les mérites de l’incinération par rapport à l’enfouissement ou le bioréacteur par
rapport à l’incinérateur. A ce moment là, ce sont les facteurs de pollution et les polluants et les
procédures mises en place pour les éviter qui sont mobilisés pour servir d’argument et de
justification à prôner tel mode de traitement plutôt qu’un autre.

« Parce qu’indirectement on préserve l’environnement dans le sens ou en fait les casiers


qui sont créés ici sont étanches de par en dessous et de par les membranes, donc en fait
au lieu de jeter dans la nature et de voir des jus des ordures, le lixiviat et tout ça qui
partent au gré comme les vieilles décharges, qui coulent dans le ruisseau du coin, papi il
boit ça il a la chiasse pendant 3 jours, ici c’est structuré, c’est étanche donc indirectement
on protège l’environnement parce qu’il n’y a rien qui sort, c’est un endroit confiné qui
reste… donc on recycle, on recycle, maintenant dire ce que ça sera dans 20 ou 30 ans je
ne sais pas mais on recycle ce qui peut être recyclé donc oui on protège
l’environnement. » Chef de quai Bioréacteur_71
« C’est bien parce que les déchets plutôt que de les mettre dans la nature, des trucs
ouverts de stockage, là c’est recycler à 100%, ça fourni de l’électricité et y’a une grosse
demande actuellement, le reste après les ferrailles sont récupérées, les mâchefers ça
sert, tout est réutilisé mais à cause de contrats on ne peut pas exploiter à fond.[…] On ne
connait pas vraiment le bienfait de cette usine. » Agent de maintenance Incinérateur_52
« Mais nous on fait de l’énergie renouvelable dans un sens, on fait de la destruction de
déchets qu’on valorise en faisant de l’électricité, c’est pas mal, on élimine les déchets, on
produit un peu une infime partie en fin de compte quand tu vois le volume donc… »
Agent de quart incinérateur_85
« Il faut bien les recycler, il faut bien recycler les déchets je ne sais pas, on fait attention à
l’environnement quand même je trouve, même malgré que c’est de l’enfouissement mais
c’est quand même traité et toutes les sécurités sont prises quand même. » Agent
polyvalent bioréacteur _76

Dans le même temps, quelques enquêtés relatent des paradoxes en lien avec la préservation
de l’environnement et les éventuelles pollutions qu’engendrent ces installations. Lors de notre
présence sur le terrain et de discussions informelles avec les agents du quart et de la
maintenance, ils énoncent de nombreuses fois : « nous ce que l’on rejette c’est de la vapeur
d’eau ». Lorsque nous continuions à les interroger sur les aspects de pollution par ce mode de
traitement ou s’ils n’avaient pas de craintes pour leur santé à travailler avec certains produits et
substances, les propos apparaissaient plus réservés. La réponse à la question de savoir ce
qu’ils risquent pour leur santé ou s’ils considèrent que c’est une activité polluante ou pouvant
engendrer des atteintes à l’environnement est ambigüe. Ces paradoxes contribuent à montrer
que les polémiques sanitaires autour des installations de déchets seront encore présentes, car
malgré les contrôles et dispositifs de surveillance, les opérateurs restent parfois méfiants sur le
caractère « sûr » de leur lieu de travail. Les préoccupations de la société civile sur les
incinérateurs par exemple, ressurgissent en interne. Pour des agents, le respect de la norme et
de la réglementation assure pleinement la protection des salariés ; pour d’autres, qui
reconnaissent le respect de la réglementation, ce strict respect laisse des questions en suspend.
Ils émettent des doutes du fait de la nouveauté de ces process et du manque de recul pour
percevoir à long terme les risques sur la santé, autant pour eux que pour la société civile en
général, et sur l’environnement.

« Le problème c’est qu’on n’a pas de recul derrière, on ne peut pas savoir, donc si on n’a
pas un investissement personnel de par faire des analyses spontanées tous les ans on
ne voit pas comment on dégénère malheureusement, le gaz on le sent on dit ça pue,
mais le soir on rentre chez soi et on fait ce qu’on a à faire. Mais ça pendant plusieurs
années, faire carrière là-dedans si on n’a pas un suivi un peu pointu entre guillemets,
comment on peut savoir et comment on peut détecter les maladies. » Chef de quai
bioréacteur_71
« Non jusqu’à maintenant non, y’a beaucoup de pénalités financières comme quoi
l’environnement ils nous font tout un tas de trucs mais tant que tu payes […] Comme on
disait tu peux polluer si tu payes, déjà pour moi ce n’est pas logique, on fait tout un truc
que ce soit les voitures, l’incinération, tout ce que tu veux, ils te donnent des normes des
machins mais si tu dépasses tu payes, donc quelque part je me dis c’est un peu du
n’importe quoi, et que quelque part les pays riches s’en sortiront toujours par rapport aux

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pays pauvres […] Moi ce que je vois c’est les normes qu’on nous demande de plus en
plus restreintes, des choses comme ça donc jusqu’où on va aller ? Parce qu’on sait très
bien que de toute façon dès qu’on fait de la combustion on sort des polluants, on ne
pollue pas on sort des polluants attention… [rires]… ça aussi c’est un jeu de mot. » Chef
de quart Incinérateur _56
« Là non c’est un centre d’enfouissement, c’est un bioréacteur, c’est des énergies
renouvelables, donc pas de pollution ou s’il y en a qu’on ne sait pas ça ne se voit pas, on
ne sait pas, on ne peut jamais être à 100% sûr de tout. » Chef de quai et agent suivi du
réseau_71
« [à propos du salaire] Je trouvais vraiment trop bas, c’était des broutilles, pour ça moi je
trouve que pour un boulot de merde à se bouffer des toxines, de la poussière, même si
t’as des protections c’est vraiment un boulot de merde et c’est dévalorisant en fin de
compte, quand tu vois le grand groupe combien c’est côté tu te dis t’es vraiment pris… et
chaque fois ils nous font un plan d’actionnariat gratuit, enfin ça me fait rire, ils peuvent
bien. Comme d’un jour à l’autre il suffit que la branche ne soit plus rentable et puis
voilà. » Conducteur Pontier Incinérateur _85

5.2.2 La gestion des déficiences techniques : assurer la continuité de la


production et éviter les risques environnementaux77

Le travail de conduite à l’incinérateur consiste d’une part à piloter le process pour qu’il produise
de l’électricité en tenant compte des consignes et du rendement exigé. D’autre part il faut le
surveiller pour éviter le dépassement des rejets dans l’atmosphère et contraindre alors l’arrêt
des fours. De la même façon, l’objectif pour le service maintenance est de maintenir le
fonctionnement en continu de l’usine et donc sans interruption. Au bioréacteur, l’objectif est
d’assurer le déchargement des apports de déchets pour exploiter le casier et d’éviter les
pannes et les fuites, notamment au niveau des tuyaux de gaz et des lixiviats. Une majorité des
opérateurs définissent alors une bonne journée de travail par le respect de ces exigences.

« Une bonne journée de travail c’est quand on a déjà fait nos objectifs, brûler ce qu’on
avait à brûler avec des rejets corrects » Chef de quart Incinérateur_56
« Tous les matins quand j’arrive je regarde les deux cheminées, c’est bon les deux
fument c’est déjà bien. Je ne dirais pas que je les vois de chez moi parce que c’est
quand même loin mais quand je passe je me retourne, je les regarde tourner, y’a les
deux je suis soulagé. L’objectif c’est ça, enfin pour nous, je parle de la maintenance, c’est
que ça tourne correctement, qu’il n’y ait pas de souci, pas d’interruption pour un truc
qu’on aurait pu prévoir » Agent de maintenance Incinérateur_ 52
« La bonne journée c’est quand tout se passe bien, qu’il n’y a pas de souci, qu’on a
réussi à résoudre les problèmes » Chef de quai et agent chargé du suivi du réseau_71

Que ce soit au bioréacteur ou à l’incinérateur la mauvaise journée est donc dépendante du


fonctionnement des équipements des infrastructures. Les pannes, la perte de production, les
défauts électriques, les difficultés à résoudre ou trouver les déficiences sont autant d’éléments
qui vont contraindre l’activité des agents et définir la mauvaise journée.

« Après les mauvaises journées c’est vraiment quand il y a des gros soucis quoi, ça
arrive un automatique plante un truc comme ça alors là oui tu stresses, là c’est pas bon,
là je dirais c’est des très mauvaises journées parce que là tu risques vraiment de flamber
tes chaudières et là c’est pas bon, un bourrage d’extracteur c’est de la perte de
production etc … .» Chef de quart Incinérateur_56
« Aujourd’hui c’est une journée moyenne on va dire parce qu’il fallait arrêter et nettoyer le
scalpeur pour 8h, il fallait arriver pour 8h » Adjoint chef de quart Incinérateur_49
« La mauvaise c’est l’inverse, quand tout va mal, on le sent déjà le lundi quand ça
commence mal la semaine c’est comme ça, quand ça commence mal et qu’on n’arrive
pas à résoudre et qu’on met du temps à résoudre les pannes, du moins quand on n’arrive

77
Les variables mobilisées dans cette sous-partie : « Problèmes de la production ; déchets non
valorisables ; agents de pollution ; direction d’entreprise ».

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pas à trouver de solutions, ça c’est la mauvaise journée de travail. » Chef de quai et


agent chargé du suivi du réseau _71

Les problèmes de production sont divers dans ces types d’installation. La difficulté à
l’incinérateur est qu’un dysfonctionnement sur une partie de l’usine ou sur un équipement peut
impacter et générer d’autres problèmes de gravité relativement important. Les pannes sur les
machines du process (notamment sur l’incinérateur) représentent un des freins à la production
et un risque pour l’environnement.
Par exemple, l’un des problèmes récurrents est le bourrage d’extracteurs des mâchefers. Cela
peut conduire à l’arrêt de la production. En outre, intervenir sur ces machines n’est pas sans
78
dangers pour les opérateurs . Situées dans une zone fortement poussiéreuse et en hauteur,
accéder à ces machines est risqué car il faut sauter d’une machine à une autre. Par ailleurs,
lors du « débourrage », les agents seront en contact direct avec des déchets volumineux et
pouvant être coupants.
Les fuites de vapeur et les pannes sur le traitement des fumées sont le deuxième facteur de
problème dans la production. Une fuite peut engendrer un risque environnemental et mettre en
danger la sécurité des agents. Suivant son emplacement et l’évaluation de sa gravité, elle
nécessite une action décisionnelle et curative directe.

« Les problèmes c’est les problèmes de casses mécaniques, après je ne vois pas trop,
ça peut être différents problèmes comme des trémies qui se bouchent, des trucs comme
ça, des petits soucis de la vie quotidienne, il faut y faire attention pour ne pas qu’il y ait de
problèmes. Des trucs qui peuvent nous gêner… il peut y en avoir plein de problèmes, un
grappin qui tombe en panne, une trémie qui se bourre… des problèmes de process, des
trucs qui tombent en panne et qui impliquent qu’on arrête certains mécanismes, si on est
en sous-effectif en plus c’est un peu difficile. […] Mettons on passe un week-end ou une
nuit qu’on a un dépassement sur des seuils […] Donc on explique on a eu ça,
dépassement de ça, parce qu’on avait ça en fosse, voilà on est intervenu mais bon
malgré l’intervention on n’a pas pu résoudre le problème. » Adjoint chef de quart
Incinérateur_49
« [par rapport à un problème au traitement des eaux] Non j’ai déjà touché les pH je l’ai dit
à Gabriel tu sais ce qu’il m’a répondu de toute façon ce soir à 4h, il m’a fait comme ça il
m’a tapé sur l’épaule, « de toute façon tu sais quoi, à 4h, je suis 15 jours en vacances
donc après », je lui dis « ouais mais tu penses pas au mec qui est là ce week-end et qui
va s’emmerder tout le week-end, il me dit « je compatis, je compatis ». Ouais mais bon
c’est bien gentil » […] Et ben le problème si t’as le pH qui est trop bas, t’arrives à la
remise à pH t’as le pH trop bas, après je repasse au rejet final donc si le pH est trop bas
ben boum je ne rejette plus » Adjoint chef de quart Incinérateur_49

Cet adjoint rapporte une difficulté technique qui implique pour lui une surcharge de travail et un
risque d’arrêt de la production. Le pH est un facteur important dans le traitement de l’eau. Nous
voyons ici que si « le pH est trop bas » (soit qu’il donne une indication trop basse sur la teneur
de l’eau) il peut contraindre le rejet des eaux. Ici, il s’agit des eaux provenant du traitement des
fumées qui avant leurs rejets doivent être traitées. La directive 2000/76/CE comporte un certain
nombre de surveillance et de contrôle des effluents liquides dont la mesure du pH en continu.

Sur le bioréacteur, le premier risque important énoncé est celui de l’incendie. L’un de nos
enquêtés rapporte qu’en été il y a souvent des débuts de feu. Pour ne pas prendre de risque
d’accidents professionnels, d’endommagement du matériel et éviter des externalités négatives
sur l’environnement, l’aire d’exploitation sur le casier a été réduite.

« Au début ils étaient plus grands mais maintenant ils ont des interdictions d’exploitation
au-delà de tant de m², je crois que c’est au-dessus de 5000m², on n’a pas le droit
d’exploiter plus à cause des incendies et de la sécurité donc on les fait plus petits alors ils
durent moins longtemps. […] Pour les risques d’incendies, on fait des petites zones c’est
plus facile à maitriser donc sur un casier qui fait 5000m² on en utilise que la moitié au

78
Se rapporter au travail d’Isabelle Bazet (2004) « Analyse des représentations des risques chez les
opérateurs d’exploitation et de maintenance d’installations industrielles du type UIOM (Usine d’incinération
des Ordures Ménagères) Polysémie des représentations et distribution de la gestion des risques.

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départ, quand on a fini on est monté sur une moitié, on la couvre de terre, on la
saupoudre pour ne pas que ça prenne feux et pour les odeurs. Et on travaille sur l’autre
après jusqu’à temps qu’on monte au même niveau et après on travaille sur une autre, sur
une autre et après on monte comme ça jusqu’en haut. Et à la fin on recouvre tout et on
ferme tout. » Agent Polyvalent Bioréacteur_76

Photo 31 : Plan du bioréacteur (représentation de trois casiers d'exploitation)

Certains types de déchets représentent aussi un frein à la production et un obstacle dans la


« bonne » conduite de l’incinérateur ou de l’exploitation des casiers du bioréacteur. Sur le
bioréacteur, on observe que l’arrivée de matelas et d’encombrants, bien qu’habituelle, est
facteur de ralentissement de l’activité et de contraintes supplémentaires pour les agents. De
même, à l’incinérateur, l’élimination de certains déchets industriels banals (DIB), en particulier
ce que les opérateurs appellent « le stérile », peut être difficilement maitrisable et traitable lors
la conduite de l’installation. Ces déchets « indésirables » impactent les rejets, nécessitant alors
une vigilance accrue et une concentration constante sur les indicateurs et des ajustements
incessants pour le traitement des fumées et de l’eau.

« Les matelas c’est le pire, les matelas en plus y’en a qui les entourent de ficelle, nous,
on arrive vroum, il ne s’écrase pas lui, bon à force on l’a mais voilà quoi, des matelas
mais y’en a à la pelle, à la pelle, c’est impressionnant. » Conducteur bioréacteur_73
« Quand le gars il ouvre les portes du camion, quand on voit que ça commence à tomber
que c’est pas… des frigos, des gazinières, une fois c’est arrivé et on a refusé le camion
entier, on lui a remis dedans et il est reparti, ou une fois des pare-chocs de voiture aussi,
que des pare-chocs en plastique. » Agent Polyvalent bioréacteur_76
« Alors le stérile, le vrai terme c'est le RBA (résidus de broyage automobile), c'est les
plastiques automobiles des voitures, donc quand les voitures vont à la casse ils
récupèrent les plastiques, ils les broient, et ça par exemple c'est très galère parce que
déjà c'est très fin donc c'est très dur à attraper tu prends le grappin et souvent le temps
que tu lèves t’en a partout d’éparpillés et après quand tu brûles là c'est pas facile, là il
faut savoir jongler, c'est pas de tout repos, donc ça ouais c'est vraiment du plastique c'est
de la mousse expansible essentiellement c'est tout ce qui est tableau de bord, garniture
de porte et tout ça et ça c'est pas bon du tout à brûler. » Chef de quart incinérateur_56
« Un bon produit c’est des ordures ménagères, du papier, du bon combustible bien
mélangé avec plein de molécules d’eau et tout ça pour avoir un bon pouvoir calorifique »
Conducteur Pontier Incinérateur_55
« Il vaut mieux qu’il rentre du DIB tout le temps mais après tu as des problèmes de
production […] Le problème du DIB c’est que déjà au niveau de tes rejets tu fais plus de
rejets, donc tu consommes plus de réactifs, donc tu fais plus de soude donc donnant-
donnant » Adjoint chef de quart Incinérateur_49
« Bon il faut savoir que par exemple dans l’après-midi on n’est pas tout seul, après y’a un
poste de nuit s’il rentre du produit très mauvais c’est difficile après… après ce que ça

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importe c’est qu’il faut arrêter la ligne si on fait trop de polluants, par les textes de loi il
faut arrêter la ligne, donc après c’est un truc pour s’emmerder et après il faut redémarrer
la ligne, si ça arrive dans l’après-midi la ligne va être arrêtée on va être obligé de l’arrêter
et après il faut la redémarrer à minuit, surtout quand on est en production d’électricité
enfin en période hivernale. » Conducteur Pontier Incinérateur_85

D’autres éléments extérieurs à l’installation peuvent aussi intervenir comme le vent et les
intempéries, en particulier sur le bioréacteur, et empêcher l’activité de déchargement des
apports.

« Des fois il faut aller refaire un fossé parce qu’il y a des évacuations d’eau et tout ça
avec les intempéries ils se bouchent […] Quand il y avait de grosse tempêtes de vent on
ne pouvait pas accueillir les camions parce que ça s’envolait au fur et à mesure » Agent
polyvalent Bioréacteur_76
« [A propos du bioréacteur] Le problème c’est que quand y’a du vent ils ne peuvent pas
décharger parce que tout s’envole, et c’est vrai que y’a 3 semaines il y a eu la moitié
d’une semaine où il a fait du vent, ils sont tous arrivés ici c’était la folie, y’avait des
camions jusqu’à l’entrée du portail, ça arrivait plein pot le matin et comme il y avait du
vent ils ne pouvaient pas vider là-bas donc ils viennent tous ici. » Adjoint chef de quart
Incinérateur _49

L’intervention des entreprises en sous-traitance peut aussi présenter un risque pour la sécurité
de l’usine et des hommes. Les individus extérieurs sont considérés comme des facteurs de
risque et comme des éléments de perturbation. N’ayant pas une connaissance optimale du
process, ces agents restent « sous surveillance » car leur comportement peut être imprévisible
et parfois dangereux. Dans le même temps, les accueillir, les accompagner sur le terrain,
répondre à leurs attentes, représentent des tâches supplémentaires peu reconnues et qui
suscitent du stress.

« On savait les entreprises qui étaient là mais on ne savait pas où elles travaillaient
exactement. Maintenant y’a le lieu de travail déjà donc ce qui nous permet en cas
d’incendie, en cas de choses comme ça de savoir où aller chercher les gens. C’est vrai
que c’est très bien parce qu’on l’a vu quand on avait eu le feu au-dessus là, c’était
pendant les arrêts techniques donc on avait les entreprises qui étaient notées dans
l’usine alors qu’elles étaient parties donc quand on a fait notre truc pour les faire sortir
des fours et tout ça on a trouvé personne, là tu te dis ils sont là ou pas, t’as quand même
un doute. » Chef de quart Incinérateur_56
« Mais comme y’a tout le temps des travaux donc… Des fois y’a une entreprise qui vient
pour faire un regard, une autre pour vider un bassin, des entreprises de pompage donc il
faut les accompagner, leur montrer le travail qu’il y a à faire […] » Agent Polyvalent
Bioréacteur_76
« On est plus tranquille oui au niveau personnel parce qu’il y a moins de monde, il n’y a
pas les entreprises extérieures qui viennent, y’a pas les camions qui viennent donc c’est
déjà un souci en moins parce que comme là tu as beaucoup de camions à superviser
aussi donc t’es obligé de venir et tu n’es pas là, t’as pas les entreprises et les gens qui
viennent à ouvrir donc tu peux te consacrer qu’au pont la nuit, t’es tranquille la nuit, tu
peux faire ton train-train tranquille, tu fais ton boulot tranquillement. Adjoint chef de
quart_49
« Quand t’avais les deux lignes c’était infernal, t’avais peut-être 80 ou 100 personnes, oh
lala, et puis des fois t’as des intérimaires qui arrivent « on m’a envoyé là pour travailler
avec un monsieur mais je ne le connais pas il est où » ? Oh lala, l’un qui cherchait l’autre,
l’autre qui cherchait l’un, ils couraient derrière les bons de consignation parce que quand
il te faut arrêter un appareil il te faut le bon de consignation pour travailler dessus, ils
cherchaient X ou ils cherchaient X à l’époque pour voir où c’est qu’ils étaient c’était pas
évident. Ils s’appelaient au talkie, ils s’appelaient au téléphone, c’était folklorique. Ils
t’appelaient « je cherche le responsable, il est où ? », « je ne sais pas », 10 minutes
après t’avais le responsable « je cherche un tel tu ne sais pas où il est ? » Tu sortais de
là t’avais la tronche comme ça, quand ça arrive à 8h à la barrière entreprise, entreprise,
entreprise, toutes les 30 secondes il faut ouvrir la barrière, encore ils ont mis ça mais

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avant on ne l’avait pas alors il fallait te lever (Commande au niveau du fauteuil


d’alimentation des fours). » Adjoint chef de quart_74

D’autres éléments de perturbation par les technologies d’information et de la communication ont


été observés en salle de commande. Au cours des tâches de surveillance du process, de
gestion de la fosse et des chauffeurs ou intervenants extérieurs (décris ci-dessus), l’opérateur
doit aussi jongler :
- avec les alarmes qui se déclenchent de manière incessante,
- rester en contact via le talkie walkie avec son équipe qui est sur le terrain,
- répondre à leurs demandes mais aussi à celles du service maintenance. Par exemple, pour
intervenir sur différentes machines, il faut formuler une demande d’autorisation d’intervention
pour que l’opérateur en salle de commande consigne certains équipements,
- suivre l’évolution des travaux effectués par les équipes variées sur le terrain
- tenir informer les travaux des uns et des autres,
- retranscrire par écrit sur le cahier de quart le déroulement de la journée.

Ainsi, engagé sur plusieurs tâches, l’opérateur doit pouvoir rester concentré, disposer d’une
bonne disponibilité psychologique et savoir les gérer selon la nature et le rythme spécifique de
chacune d’entre elles. Lors de notre présence en salle de quart, nous avions alors l’impression
d’observer un chef d’orchestre qui coordonnait les interventions et ses collègues.

A cela, s’ajoute la saisonnalité de l’activité des déchets, soit la difficulté de prévoir la quantité
des apports qui vont entrer dans les installations. Selon les jours, les semaines, les mois, les
volumes sont variables, en contrepartie la charge de travail des opérateurs alternent entre des
périodes calmes ou soutenues. Cette absence de prévision contraint parfois les opérateurs à
s’organiser autrement et à être en retard dans des tâches préventives ou de nettoyage. Le
rythme de travail peut donc être soutenu.

« Non, enfin si c’est l’été et qu’on a du tonnage, parce qu’on a beaucoup plus de tonnage
l’été, là ils trouveront quelqu’un ou alors ils enlèveront… celui qui est venu avec moi tout
à l’heure qui fait à la journée lui ils vont le mettre avec nous si vraiment y’a pas de… mais
sinon d’habitude on prend un contractuel. […] Si vous voulez les camions qui viennent
vider poubelles on en a beaucoup moins le mercredi et le jeudi, bon ben s’il manque un
gars sur ces deux jours, à deux ça passe, c’est pas très grave, mais si c’est lundi, mardi
ou vendredi si on ne peut pas nous remplacer… bon l’hiver on y arrive, ça passe à deux,
mais si c’est l’été… » Conducteur bioréacteur_75
« Ah mais nous quand on se fait bombarder par contre comme le lundi ou le mardi là on
n’a pas le choix, là on n’a même pas le temps de descendre du compacteur. Des fois
pour boire le café on se relaye, c’est-à-dire que celui de l’exploitation il appelle il dit
« allez va boire le café je te prends le compacteur », sinon on ne va pas le boire, y’a des
fois c’est à fond à fond. Et puis on n’a pas le choix parce qu’il faut vider sinon après les
camions ils ne peuvent pas vider. Si on fait attendre les camions là je ne vous dis pas,
des portes de prison ces gens-là, ouais après ça remonte au bureau comme quoi machin
ouh la, comme quoi ils ne peuvent pas vider parce que c’est plein, ça fait peur. »
Conducteur Bioréacteur_73
« Pareil pour les déchets d’ailleurs, quand il y a eu un mois creux, au mois d’octobre, on
avait arrêté carrément les lignes, personne n’était pressé de la remettre en marche, j’ai
dit : « pourquoi ? », la réponse « Dans la réception des déchets on est déjà au-dessus
[de l’arrêté d’exploitation] donc faut limiter. » » Agent de maintenance Incinérateur_52

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Photo 32 : Apport des déchets entrant au bioréacteur (à l’année)

Enfin, outre les aléas techniques qui peuvent survenir à tout instant, lorsque les incidents sont
jugés « critiques », les marges de manœuvre des exploitants sont réduites car la résolution de
l’incident implique de prendre en compte les avis du service maintenance, des cadres et de la
direction. Dans l’usine d’incinération, les entretiens et les observations relatent des difficultés de
coopération et de coordination entre le service maintenance et de l’exploitation. Deux cultures
de travail semblent se confronter entre les exploitants et ceux qui assurent la maintenance.
Cette difficile cohabitation n’est pas propre à cette usine (Bourrier, 2009), elle a pu être
observée et analysée dans d’autres milieux industriels (nucléaire, automobile, chimique,
aéronautique).

« On ne fait pas les mêmes choses, eux ils réparent et nous on exploite et c'est sûr qu’en
exploitant nous on use le matériel et donc on fait de la casse, alors c'est vrai que quand il
y en a de trop c'est normal qu’ils râlent mais après il y a l’usure normale et c'est vrai que
ça leur file du boulot et donc ça ne plait pas toujours. » Chef de quart Incinérateur_56
« Voilà après ça manque de coordination beaucoup ici je trouve, y’a toujours la guerre
entre l’exploitation et la maintenance » Agent de quart Incinérateur_85

Cependant, lors des pannes et des processus de décision pour les résoudre, on observe un
travail de collaboration et de coopération qui n’est pas sans difficultés et sans accroches. Les
interactions et les échanges sont nombreux car il existe un objectif commun. Les deux équipes
sont à la recherche d’un compromis ou consensus pour réduire les risques et redémarrer la
production. Cet espace de négociation passe par l’interdépendance entre exploitants et
maintenance. Les dialogues et les conversations autour de la panne sont nombreux et sont
parfois arbitrés par les responsables des deux services et la direction.

Arrivée à la salle de commande ou salle de conduite, je vois trois exploitants et quatre agents
de maintenance en train de discuter entre eux. Attablés autour des postes de contrôle, ils
discutent et réfléchissent sur la cause d’un dysfonctionnement du scalpeur (machine qui sépare
les mâchefers en fonction de leurs tailles). Pendant une heure aucun d’entre eux ne m’adresse
la parole. La discussion est difficile à suivre, d’une part elle est très technique et d’autre part elle
est très animée : ils se coupent la parole, certains tentent d’imposer leur point de vue en parlant
fort. Deux personnes de la maintenance tentent d’expliquer au chef de quart. Au bout d’une
heure, deux agents maintenance décident de partir, « c’est la fin de journée » et la discussion
« tourne en rond », l’un d’entre eux ajoute « on verra ça lundi en réunion, en espérant que ça
tienne le coup et que ça tourne bien ce week-end, bon week-end les gars ».
Notes de terrain 2011

Dans la gestion des pannes et des aléas productifs dans l’incinérateur, des opérateurs
rapportent des différences dans la conception d’une bonne exploitation entre eux et les cadres,
notamment lorsqu’il faut remettre en marche une partie de l’usine ou prendre une décision. On
constate qu’à l’intérieur d’une même organisation industrielle, différents groupes d’acteurs qui
défendent leur intérêt. Par exemple, les cadres souhaitent un redémarrage rapide pour
répondre aux objectifs de production et de rentabilité alors que les opérateurs adoptent une

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posture plus réflexive. Ils veulent éviter tout débordement ou erreurs pouvant occasionner une
surcharge de travail ou des dommages irréversibles tant au niveau humain qu’environnemental.
Selon les personnalités, les visions divergent et vont mettre l’accent sur la production, ou sur
les risques professionnels et accidents de travail, ou encore sur les risques environnementaux.

« Mais c’est vrai qu’on n’a pas les mêmes objectifs, nous on veut redémarrer
tranquillement sans rien oublier, sans oublier quelqu’un dans un four, et c’est vrai qu’il y a
d’autres personnes faut redémarrer vite vite parce que derrière c’est des enjeux
financiers, des machins que nous on ne voit pas, donc on n’a pas les mêmes objectifs,
donc y’en a c’est vite vite et nous on veut contrôler si ça c’est bien fermé, si ça machin
etc. » Chef de quart Incinérateur_56
« C’est un peu comme aujourd’hui quand tu es obligé d’arrêter une ligne parce qu’il y a
eu un souci quelconque, parce qu’il y a des bourrages d’extracteurs, qui dit bourrages
d’extracteurs dit ben perte d’incinération, t’as du produit brûlé en moins, manque
d’électricité et puis tu crées des risques autant pour le matériel que pour le personnel, à
chaque fois qu’on débourre un extracteur y’a des risques professionnels d’accidents de
travail même si tu prends toutes les précautions… .» Chef de quart Incinérateur _56
« Ils sont tous arrivés les chefs et les directeurs surexcités à 8h, y’avait quelques alarmes
ils ont posé des questions de « pourquoi y’avait quelques alarmes » et des fois y’a des
trucs on a beau leur expliquer ils ne comprennent pas, eux ils voient un truc, il faut que
ça marche de suite, on dit mais non ça ne peut pas marcher de suite, ce n’est pas
instantané, donc on essaye de leur expliquer mais ils ne comprennent pas tout des fois.
Et comme ils ne sont pas tout le temps, parce qu’ils ne voient la supervision que par
comment dire, par morceaux, donc il est venu il me dit t’as vu ça pourquoi tu ne fais pas
ça, j’ai dit je l’ai fait y’a 1/2h, j’ai dit « ça n’a rien fait », alors j’ai dit « bien sûr toi tu vas le
faire maintenant ça va jouer sur ton CO [rejet du monoxyde de carbone] sur les 10
premières minutes mais après dans le temps au bout d’une heure ça va redevenir
comme c’était donc ça ne sert à rien ». Tout à l’heure j’étais à 1000 ici et il me dit
« pourquoi tu n’augmentes pas le ventilateur d’air secondaire », j’ai dit « oui mais je l’ai
fait », et au bout d’un certain temps tu passes quand même à des taux qui sont vraiment
élevés quoi »… Adjoint chef de quart Incinérateur_49

Pour finir, ajoutons que contrairement aux opérateurs de centre de tri, ces agents ont
connaissance de l’environnement institutionnel de leur activité et des dispositifs qui sont
développés pour la normer, les contraintes réglementaires étant présentes à chaque étape du
travail. On voit que l’incorporation du risque dans les pratiques est importante. Les agents
définissent « une bonne journée de travail » en fonction des critères « risques
environnementaux » qui leur sont fixés par les institutions.

« Une bonne journée de travail c’est quand on a déjà fait nos objectifs, brûler ce qu’on
avait à brûler avec des rejets corrects » Chef de quart incinérateur_ 56
« Si tu veux tu as un quota journalier, si tu dépasses t’es obligé, regarde c’est marqué
là, arrêter le processus suivant l’arrêté ministériel, c’est officiel, donc aucun
dépassement autorisé, enclenchement du compteur, par exemple celui-là, c’est arrêt
e
immédiat des déchets, vidange de la goulotte, grille, à partir du 8 moyenne diminué
constaté du dépassement de la journée en cours redémarrage possible » Agent de
quart incinérateur_85

Que ce soit dans l’incinérateur ou le bioréacteur, les procédures à suivre et les réponses à
apporter aux problèmes sont connues et directement intégrées dans les pratiques des agents.

« Si y’a une fuite mettons sur une pompe qui se trouve sur les puits qu’on a, on a des
pompes qui envoient les jus des ordures, les lixiviats dans le bassin, si je sais qu’il y a
quelque chose de coupé boum je coupe ma pompe pour éviter, moi de m’en prendre
dessus, et pour ne pas que ça pollue toute la terre qu’il y a autour, de là après je
préviens mon chef et j’attends les ordres de mon chef. Donc si y’a ce genre de chose,
y’a un protocole de choses à faire, ce genre de choses. » Chef de quai bioréacteur_71

L’arrivée de la pointeuse dans l’incinérateur est un élément de plus au niveau de la surveillance


des risques industriels. Récemment mise en place dans l’installation étudiée, elle ne concerne

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que le personnel de conduite. À chaque quart, les conducteurs pontiers doivent parcourir
l’ensemble de l’installation pour inspecter, surveiller et contrôler des équipements de l’usine.
Sur certaines machines et à différents endroits de l’installation, sont collées des pastilles qu’ils
ont l’obligation de biper à l’aide d’une pointeuse portative. Une autre forme de contrôle de
l’installation et de l’équipe de quart s’est instituée : un temps minimal de 2 heures de ronde
défini par les cadres de l’usine. Trois justifications sont données à son installation : le contrôle
des personnels qui pouvaient parfois s’absenter les soirs et les week-ends ; la réduction des
risques en cadrant plus fortement les pratiques des agents lors des rondes ; une sécurité plus
importante au niveau d’un possible accident pour un remboursement optimal des assurances.
Dans ces trois cas, la mise en sécurité du process est le principe sous-jacent de ce nouveau
dispositif. Les agents concernés réagissent différemment à sa mise en place bien que tous
s’accordent sur son inutilité, elle n’attesterait en rien de la qualité du travail effectué :

« Ça c’est pour la ronde apparemment c’est les assurances qui ont demandées ça
parce que rien ne prouvait que la ronde était faite dans l’usine donc pour les
assurances ils veulent des garanties mais c’est comme tout, c’est pas pour ça que ta
ronde est bien faite. Après tu peux faire une ronde, tout pointer et ne pas surveiller, tu
peux faire ta ronde en 2 heures sans avoir fait la surveillance et en pointant tout, mais
après bon c’est vrai que si t’es consciencieux tu le feras, et puis si tu ne l’as pas fait tu
le notes et tu dis pour telles et telles raisons. » Chef de quart incinérateur_ 56

***
Le bioréacteur et plus particulièrement l’incinérateur sont deux activités dans le secteur des
déchets sur lesquelles se cristallisent des phénomènes de blocages et d’inquiétudes par
rapport aux impacts sanitaires et environnementaux qu’elles pourraient engendrer.
Représentants toutes deux des dangers, la gestion de la sécurité et des risques n’est organisée
et rapportée dans ce régime de référence qu’en fonction des risques industriels et
technologiques. La question des risques au travail, pourtant nombreux et qui pourraient s’avérer
irréparables pour la santé de ces opérateurs, n’est pas relayée par ce groupe de travailleurs. Si
l’effet sur le corps de l’agent est absente de la réflexion sur le risque, la composante
organisationnelle est esquissée par le travail collectif des différents opérateurs qui œuvrent à la
surveillance de ces installations. La brève description de la situation de travail de ces
opérateurs a permis ainsi de mieux cerner une caractéristique commune à ces deux
installations (incinérateur et bioréacteur). La gestion de l’imprévu pour maîtriser les risques mais
aussi pour continuer à produire est au centre de l’activité. Le risque environnemental est abordé
par cette nécessité de maintenir la production. Il ressurgit directement lorsque les opérateurs
émettent des doutes par rapport à certaines pratiques et par rapport à la fiabilité des différents
équipements et le risque d’exposition à certaines substances. Les aléas et les facteurs de
risques inhérents dans ces deux installations sont nombreux. Ils associent le respect des
normes environnementales et des objectifs économiques et de rentabilité. Ils donnent à voir la
nécessaire coopération entre les acteurs et les machines et entre les groupes d’acteurs. Pour
finir, ils ne partagent pas tous la même conception d’une bonne exploitation ni n’interprètent de
la même façon la survenue d’une panne.

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6 Conclusion et Recommandations
Cette étude sur le travail dans les industries de déchets avait pour objectif d’analyser le travail
oublié dans les industries du déchet. En élargissant la question du travail productif à la prise en
compte des aspects économiques et environnementaux du secteur, nous nous sommes
intéressés aussi à d’autres acteurs. Les 87 entretiens ont fait l’objet d’un traitement statistique
par deux logiciels.
L’analyse factorielle issue des propos de nos enquêtés a mis en lumière trois résultats
importants de cette recherche. Nous avons ainsi analysé six discours singuliers assumés par
six groupes d’acteurs.
Ainsi au terme de ce travail, quels enseignements sont à tirer de notre étude ?
Nous voudrions dans un premier temps revenir sur les trois résultats forts qui ont structurés ce
rapport. Puis, dans un second temps nous proposons des recommandations pour favoriser et
penser conjointement la prise en compte des travailleurs et de leurs conditions de travail et le
développement de la valorisation des déchets.

A) Une première tension et opposition entre le travail d’exécution dans les


centres de tri des déchets ménagers et le travail de conception du secteur

A partir de l’analyse factorielle, sur l’axe « Travail », nous avons analysé cette première
opposition. Le travail d’exécution du tri est essentiellement représenté par les propos des
« salariés de la base » du tri (trieurs, agents au sol, maintenance, encadrement intermédiaire).
Les porte-paroles du « travail de conception » sont principalement des acteurs de la conception,
des élus, des cadres et directeurs des installations de déchets.

Le tri des déchets est effectué par trois catégories de professionnel. Les agents de
maintenance, les agents au sol et les trieurs occupent une position tout à fait centrale dans le
dispositif et dans le processus du tri.
Bien que les machines coordonnent et organisent l’activité de travail, en particulier ceux des
opérateurs de chaîne, nous avons vu la part importante du travail manuel.
Sur leur poste, l’activité de travail des trieurs se caractérise par des conditions de travail
difficiles et par une pénibilité tant sur le plan physique que moral. Si les agents au sol et de
maintenance ont une plus grande autonomie, leur environnement de travail est insalubre,
poussiéreux et bruyant.
Les risques et les atteintes à la santé dans cette installation sont multiples : exposition aux
déchets souillés provoquant du dégout, aux déchets dangereux (seringues, bris de verre,
produits toxiques), apparition de maladies professionnelles et de douleurs chroniques. Sur le
plan moral, les métiers stigmatisés du déchet, la dépréciation sociale et le manque de
reconnaissance des qualifications de ces travailleurs contribuent à alimenter les difficultés
initiales.
Pourtant, dans les installations étudiées, le taux de turn-over est faible et les salariés
s’attachent à rester dans ce milieu professionnel. La sécurité de l’emploi, le salaire et les
ème
avantages sociaux (prime, 13 mois, participation aux bénéfices etc.) participent à cet
attachement. Il dépend également du parcours professionnel de ces opérateurs souvent
marqué par des évènements difficiles (perte d’emploi, accumulation de petits boulots, contrats
temporaires etc.) et de l’absence de diplômes.
C’est au sein des collectifs de travail et de la relation aux autres que le salarié peut se procurer
une identité et une reconnaissance sociale. Les finalités « écologiques de la production peuvent
aussi aider à (re)trouver un sens au travail. Mais, notre recherche a montré que les difficultés
organisationnelles et techniques pouvaient séparer le travailleur de ces finalités, en particulier
lorsqu’il a l’impression de faire un travail de moindre.

Ce travail d’exécution s’oppose au travail de conception qui se caractérise par sa


complexité. De nombreux acteurs et logiques sur les objectifs environnementaux, économiques
et sociaux cohabitent, ce qui n’est pas sans heurts, sans contradictions et sans conflits.
La vision des cadres réglementaires et leurs applications résultent d’un travail de concertation
et de négociation entre les différentes parties prenantes. Les réglementations et normes
environnementales construites par le haut, sont retravaillées au niveau du département et des

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collectivités locales. On observe ainsi des arrangements territorialisés. Pour nos interlocuteurs,
les « nombreux » changements réglementaires peuvent aussi être des contraintes. Ils signalent
en plus un manque d’appui de l’Etat et de ses services, une insuffisance d’informations ou de la
difficile capacité à opérer ces changements.
Les différents modes de traitement et de valorisation sont aussi discutés par nos interlocuteurs
au regard des enjeux économiques. Si les industriels défendent la complémentarité des filières
(enfouissement, incinération, valorisation matière), la question des coûts d’investissement et de
fonctionnement des installations apparaît centrale dans le choix d’un mode de traitement. Les
élus prêtent aussi attention aux enjeux sociaux, notamment, la création d’emplois. Ainsi,
favoriser ou maintenir des petites installations, qui seraient moins rentables, est un paramètre
important des décisions politiques.
L’une des principales contradictions relatée par les industriels du déchet concerne la taille des
installations et leur capacité de traitement. La zone de traitement établit dans le plan
départemental est jugée « insuffisante ». Elle contraindrait alors les objectifs productifs et de
rentabilité des industriels.
Les aspects économiques et la question du marché sont aussi des préoccupations de ce
groupe d’acteurs. Le marché du déchet est incertain. Les fluctuations des prix des matières
premières (le tri) ou la potentielle non reconduction des contrats d’exploitation des installations
contraignent l’activité de travail des dirigeants-industriels et des salariés. Les objectifs de
réduction de déchets occupent là aussi une place centrale. En effet, les enjeux
environnementaux pourraient, dans le cas présent, bouleverser les équilibres productifs,
économiques et sociaux de ces installations.

B) Des logiques d’action publique différenciées des logiques d’action privée

Le deuxième résultat fort de notre étude issu de l’analyse factorielle, concerne l’existence de
deux logiques différentes : celle du public et celle du privé. La première est exposée par les
propos des élus membres d’Optitri et par les responsables d’exploitation des deux
centres de tri (C1 et C2). Les discours sur les logiques du privé regroupent des salariés
de l’entreprise Valori et des salariés de centres de tri privés.

Dans les discours, les logiques d’action publique privilégient l’intérêt général. Ce groupe
d’acteurs (porte parole du syndicat de traitement et de valorisation des déchets ménagers)
souligne les notions d’égalité et d’équité territoriale entre villes et campagnes. Le
fonctionnement de ce syndicat se base sur le procédé de la péréquation des ressources et sur
la mutualisation des équipements et du service. Le coût du traitement des déchets ne varie pas
selon la situation géographique de la collectivité adhérente.
Bien que les discours abordent peu la dimension environnementale, elle n’en est pas absente.
C’est autour de l’explication du fonctionnement du bioréacteur et de la présentation du pôle de
recherche sur les énergies que la caractéristique « verte » du syndicat est justifiée et promue.
C’est également sur le volet social que s’organise le discours. La création et le maintien
d’emploi pour une population « vulnérable », la politique salariale jugée intéressante et la
souplesse managériale seraient des caractéristiques propres à la gestion publique.
Pour finir, l’usager est aussi au centre du discours. Nos interlocuteurs s’y réfèrent en particulier
pour exposer leur rapport au déchet et leurs pratiques de tri. A cet égard, ils nous montrent la
nécessité, en tant que travailleur ou élu, d’assurer encore aujourd’hui, un rôle d’éducation
auprès du grand public.

Les discours sur les logiques d’actions privées se constituent d’une part autour des
modalités de gestion et de fonctionnement d’une entreprise privée, et d’autre part sur le travail
syndical et la négociation collective.
De la même façon que dans les discours de la logique publique, les acteurs du privé souhaitent
se démarquer du public. Les arguments portent sur leur capacité de « contrôle » de la
concurrence et de leur gestion plus professionnelle. Les aspects techniques et financiers
seraient des atouts permettant la « bonne » gérance de ces installations coûteuses en
investissement et fonctionnement. Pour ces filiales, le fait d’appartenir à un grand groupe
apparaît aussi comme un plus. Au niveau technique, les partages d’expériences entre les

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différents sites sont un avantage. Il en est de même pour les outils de centralisation tels que la
GMAO.
L’efficacité, la rentabilité, la productivité et la nécessité de rester compétitif et pérenne sur le
marché sont au cœur des rationalisations à l’œuvre dans ces industries. Rappelons que les
grands groupes ont souvent des pôles de recherche très développés avec de nombreux
partenariats universitaires et industriels.
L’action syndicale apparaît plus organisée et plus forte en comparaison du public. La
négociation collective s’organise sur les aspects de santé et de sécurité au travail, sur la
formation professionnelle et les politiques salariales. Le comité d’hygiène, de sécurité et des
conditions de travail d’une des entreprises étudiées est jugé peu efficace par les salariés. Mais
le discours d’un responsable syndical rapporte au contraire un dynamisme et une volonté
affichée sur le domaine de la santé. La formation professionnelle occupe aussi une place
centrale. L’avancement de carrière et la mobilité entre les métiers du groupe est un objet du
travail syndical. Selon nos interlocuteurs, mais aussi selon nos propres observations, le secteur
du déchet au niveau des exécutants ne permet que très rarement le développement de la
carrière et les passerelles entre les métiers, en particulier chez les femmes. Mais, comme nous
l’avons vu les revendications des salariés se focalisent sur les revenus. Si les grèves dans le
milieu de la collecte portent, en partie, sur l’amélioration des conditions de travail, elles restent
sur ce sujet très rares dans le domaine du traitement.

C) Une opposition entre les risques professionnels et les risques


environnementaux

Le troisième résultat fort de notre recherche concerne le risque. Nous avons vu que le
discours des experts, concerne les atteintes à la santé des trieurs de déchets et aux
manières d’y remédier. Ce discours s’oppose à celui des salariés du bioréacteur et de
l’incinérateur qui relatent les risques environnementaux de leurs installations et les
manières dont ils ordonnent leurs activités de travail.

Les centres de tri sont l’objet de réflexions et de mesures de prévention pour agir sur
les risques professionnels, notamment sur le développement de troubles musculosquelettiques.
Ces dernières années, différents organismes et experts se mobilisent autour de la santé des
trieurs. Ils se regroupent et élaborent des préconisations, des recommandations et des normes.
Dans les centres de tri, des efforts ont aussi été entrepris. Les formations en sécurité au travail,
les rotations sur les postes, la venue d’ergonomes ou de bureaux d’études, le choix
d’équipements de protection individuelle et des procédures ont été mis en place pour améliorer
le quotidien des trieurs.
Cependant, nous observons qu’aujourd’hui les rationalisations passent par la mécanisation du
process de tri. Elles sont motivées par l’enjeu de la santé au travail, mais aussi par des intérêts
économiques. En effet, la mécanisation et les innovations technologiques doivent permettre un
meilleur rendement, une meilleure qualité des matières et l’adaptation aux nouvelles
potentialités de l’activité.
Les conséquences des changements techniques ne sont pas toujours évaluées, voire sous-
estimées quant aux transformations sur les métiers du tri. Les nouvelles machines ne
correspondent pas toujours aux attentes initiales, notamment au niveau de leur performance.
Enfin, à terme, elles pourraient remettre en question l’existence du métier de trieur sous sa
forme actuelle.

Les risques professionnels s’opposent aux risques environnementaux. L’incinérateur et


le bioréacteur sont perçus comme des menaces sur l’environnement et sur la santé publique.
Elles cristallisent des enjeux sociaux forts.
Bien que le contenu du travail et le niveau d’exigence technique soient différents, les salariés
de ces deux installations doivent être en mesure de faire face à l’aléa technique et à
l’événement imprévu. De plus, leur travail est beaucoup plus varié (hors conducteur d’engin du
bioréacteur) que dans les centres de tri. A l’incinérateur, le temps d’apprentissage sur le
fonctionnement de l’usine est long et les savoirs accumulés sur l’outil industriel agissent comme
des repères. Ils sont d’ailleurs reconnus comme des facteurs aidant à limiter des risques
industriels et les dommages à l’environnement.
Le deuxième point commun de ces deux activités industrielles réside dans l’importance de
mener un travail de surveillance et de contrôle. L’obligation d’être conforme aux normes

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environnementales et aux arrêtés d’exploitation et l’impératif d’être en capacité de prévenir ou


d’anticiper l’événement (pour ne pas freiner la production) sont au cœur des logiques
organisationnelles de l’activité de travail. En effet, dans ces deux installations de déchets, mais
davantage à l’incinérateur, atteindre les objectifs de production tout en respectant les seuils
réglementaires des mesures environnementales est essentiel. Une majorité des opérateurs
définissent alors une bonne journée de travail par le respect de ces obligations.

Des leviers d’action

 Associer étroitement les salariés lors de travaux de rationalisation. Valoriser,


promouvoir et légitimer la parole des premiers concernés, en l’occurrence les
travailleurs, leurs représentants et l’encadrement intermédiaire. Renforcer leur rôle
dans le choix des nouveaux équipements et des travaux. Il s’agit de favoriser la
coopération entre les concepteurs, les experts, les directions et les travailleurs.

 La mécanisation des centres de tri et le remplacement des hommes par les


machines doivent inclure une réflexion sur les transformations du métier de
trieur.

 Mieux prendre en compte les retours d’expériences des travaux de rationalisation


et/ou d’amélioration, pour agir sur les conditions de travail des opérateurs du déchets.
Mesurer les effets de l’automatisation des process du tri, de l’incinération et de
l’enfouissement par des enquêtes salariés. Puis, les diffuser à un niveau national.
Diffuser l’évaluation de « bonnes pratiques ».

 Penser les modes de collecte en cohésion avec les modes de traitement. Les
dispositifs publics doivent intégrer les risques professionnels des salariés du déchet.
Intensifier la collecte des DASRI et les informations auprès des usagers. Favoriser la
collecte sans sac plastique par des mesures incitatives. Informer les membres des
collectivités locales des risques professionnels pour les rendre visibles.

 Informer et actualiser les consignes de tri auprès des travailleurs dans les
centres de tri.

 Valoriser les formes de sociabilité au travail entre les équipes de travail. Nous
l’avons vu le collectif de travail contribue à la construction d’une identité et à la mise en
place de solidarités au travail. Les études sur le travail dans les industries et sur
l’amélioration des conditions de travail ne peuvent occulter les formes de management
dans ces industries.

 Adapter les formations en sécurité de travail à la réalité du métier et des


situations de travail.

 Mettre en œuvre les passerelles entre les métiers du secteur des déchets voire
vers d’autres métiers. Favoriser la formation professionnelle.

 Mettre en œuvre le développement des carrières des femmes. Le secteur des


déchets se féminise, en témoigne les équipes mixtes dans les centres de tri. Mais, le
développement des carrières des femmes reste limité.

 Agir sur les refus de déchet. On pourrait imaginer qu’à l’instar des clips de prévention
pour la sécurité routière, de créer des clips sur le tri en montrant les déchets non
recyclables sur les chaînes de tri et les risques pour les travailleurs.

 Renforcer l’image des métiers du déchet par le biais de visite des installations et de
campagnes montrant la réalité des situations de travail, en particulier les centres
d’enfouissement et les incinérateurs.

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 Redéfinir et élargir le périmètre d’actions des CHSCT, notamment dans les groupes
privés et dans les installations complexes. Tous les métiers du secteur sont
inégalement représentés dans les CHSCT, de plus quand ils fonctionnent à l’échelle de
la région il semble plus difficile pour les représentants de s’y investir.

 Mettre à jour ou créer des indicateurs sur les métiers du secteur des déchets.
Connaître les effectifs d’emploi de chaque métier, les accidents de travail, les maladies
professionnelles etc.

 Développer et coordonner les études en sciences humaines et sociales sur le


travail dans les industries de déchets. Permettre une meilleure estimation et évaluation
des risques (notamment sur les risques d’exposition aux substances dangereuses)
dans la population des travailleurs.

 Revoir la réglementation portant sur la cohésion entre le dimensionnement des


unités de traitement et leur capacité de traitement avec les plans
départementaux.

 Renforcer l’information sur le mode de fonctionnement d’Eco-Emballages auprès des


acteurs en charge de la gestion des déchets ménagers.

 Renforcer l’accompagnement au niveau réglementaire et technique auprès des


acteurs en charge de la gestion des déchets ménagers.

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7 Annexes

Grille d’entretien commune à tous les acteurs p143


Organigramme des services d’OPTITRI p147
Organigramme Bioréacteur d’OPTITRI p148
Organigramme Centre de tri C1 et C2 Optitri p149
Organigramme Centre de tri C3 et Incinérateur Valori p150
Représentations graphiques des trois axes p150
Tableau des enquêtés p153

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7.1 Grille d’entretien commune à tous les acteurs

Au carrefour de l’action publique, du marché et du travail, le secteur du déchet s’organise. Ces


trois dimensions répondent et pallient aux réglementations, normes environnementales, et aux
politiques nationales (voire européennes et internationales).

Quelles sont les représentations communes ou différentes à ces trois dimensions, se reflètent
chez chacun des acteurs œuvrant au fonctionnement du secteur des déchets ?

Objectifs :
- Analyser le processus de production dans les centres de tri, et connaître comment il
est appréhendé par les différents acteurs.
- Mettre à jour la multiplicité des acteurs intervenants dans la structuration des
décisions et dans le travail des éco-industries.
- Garder l’anonymat des personnes, de l’entreprise, et des données que les
interlocuteurs jugent « confidentielles ».

Le travail Caractéristiques de « l’employé » ou de l’acteur :

1) Type de contrat, qualification, trajectoire


2) Motivations. Pourquoi avoir choisi cet emploi, ou fonction ?
3) Fonction au sein de Trifyl, investissement dans Trifyl,
connaissance de son histoire etc…

Activités de travail :

4) Décrire votre activité de travail sur une journée, sur une semaine.
5) Quelles compétences et qualités doit-on mobiliser pour le métier
Organisation du de trieur ?
travail et 6) Qu’est ce qu’une bonne/mauvaise journée de travail ?
conditions de 7) Cadre temporel (horaires, temps de travail, pauses, congés)
travail 8) Contraintes physiques/Préoccupation ergonomique
9) Comment envisagez-vous votre carrière ? Souhaiteriez-vous
vous impliquez davantage ? A quel niveau ? Vous en donne t-on
la possibilité ?

Relations de travail :

10) Rapport avec les collègues


11) Rapport avec la hiérarchie
12) Evaluation du dialogue social
13) Rapport avec le voisinage de l’entreprise

Action publique Les acteurs :


et politique
publique 14) Quels sont les acteurs majeurs composant le secteur et l’action
publique ?

Les dispositifs :

15) Que savez-vous de la politique sur les déchets? Comment la


jugez-vous ? Qu’est ce qu’un « déchet », un « produit », ou un
« produit recyclable » ?
16) Comment voyez-vous les relations, les liens entre l’Etat et les
collectivités ?
17) Différents dispositifs et initiatives sont mis en place pour réduire
les déchets (au niveau des taxes ou des redevances incitatives

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sur l’usager, les campagnes de sensibilisation au tri, les


responsabilités élargies sur le producteur, le Grenelle…), qu’en
pensez-vous ? Par quels dispositifs êtes-vous concerné ? Quels
problèmes se posent ?

Les enjeux :

18) Quels sont les enjeux, les contraintes, les problèmes autour du
secteur des déchets ?
19) Les contraintes techniques et réglementaires entravant une
gestion publique du secteur ?
20) La coordination européenne influence t-elle votre activité ?
21) Quelles différences à observer entre une gestion publique et une
gestion privée ?
22) Comment combiner la recherche d’efficacité économique (en
conciliant le respect du service public) ?
23) En quoi les « communes » rattachées à X adopte une politique
de gestion innovante ou différente face à d’autres communes ?
24) Que pensez-vous du dispositif Eco-emballage ? et de la
polémique depuis ces derniers mois ?

Le 25)Les modes de financements pour l’élimination des déchets


marché/Econom municipaux (subventions, contrats, aides européennes etc.) ? A
ie quelle hauteur pour chaque acteur « financeur » ?

L’offre :

26) Quels sont les services et les produits de l’entreprise ?


27) Qui contribue à la définition de ces produits ?
28) Se développer ? comment ? par quels moyens ?

La demande :

29) Qui sont les clients ? les fournisseurs ? (les déchets des
ménages, des commerces, des administrations publiques et
privées … ) Quels types d’accords ou de contrats ?

Articulation offre/demande

30) Comment est organisée la revente des produits triés et à


recycler ?
31) Sur quels critères sont établis les coûts économiques ? Différents
selon les « clients » ? Comment maîtriser ses coûts ?
32) Est-ce que le marché fonctionne ? Remplit-il son rôle ?
33) Quelles sont les principales contraintes, problèmes de la
production : l’aspect social (turn-over, absentéisme, AT … ),
l’aspect économique (baisse du coûts des matières premières,
problèmes d’approvisionnements) ? Quelles conséquences ?
34) Quelles sont les particularités de la rentabilité du secteur ?
35) Mettre en place une politique de prévention des déchets, ne
risque t-il pas de bouleverser la base de l’activité?
36) Quel est le rôle de la rationalisation de la production ?

Le Travail dans les Industries de Déchets 143/160


08/2013

Valeurs Le rôle de l’entreprise dans la protection de l’environnement :


environnementales,
Développement 1) La responsabilité sociale de l’entreprise ?
durable 2) Comment concilier les trois piliers du développement durable (la
et rapport au composante de l’économie, du social, et de l’environnemental) ?
déchet A votre avis, une de ces composantes est-elle plus valorisée ?

La santé : normes de sécurité au travail, prévention, accident :

3) La mise en place du CHSCT ? Depuis quand ? De qui est-il


composé ? Comment s’organise t-il ?
4) Dans les installations de déchets, est-on face à des métiers à
risques ? A quel niveau ?
5) Quels outils ou dispositifs sont mis en place pour prévenir la
notion de pénibilité au travail ?

Relations clients et voisinage

6) Est ce qu’il y a eu des problèmes avec des associations ou des


acteurs (le voisinage, la concurrence, ou encore des associations
« écologistes ») sur les lieux d’implantation des différents sites ?
De quel ordre ? Comment ont-ils étaient réglés ? Est-il important
de mettre en place des outils de communications importants ?

7) Le rôle des usagers et des associations riveraines : des réunions


publiques tenues lors des implantations des différents sites ? Des
réunions publiques s’organisent-elles encore aujourd’hui ? Quels
types de problèmes ont été soulevés ?

8) De quelles façons les attentes des uns et des autres (pouvoirs


publics centraux et locaux, employés, environnementalistes et
usagers …) coïncident ou pas ?

Le déchets : valeurs

9) Comment travailler avec le déchet (interroger les sentiments de


honte, de dégoût) ou au contraire voir le déchet comme une
ressource économique, une matière première ?
10) Discours managérial, quel sens donner à l’activité des agents de
tri (acteur de écologie et de la protection de notre
environnement ?)
11) Est ce un métier pour préserver la planète ?
12) Faire le choix de la mise en place d’un centre de tri de déchets et
d’un bio-réacteur relève t-il de l’éthique ? Sur quels domaines
(environnemental, social, économique) ?

Eléments - homme/femme, Age ?


biographiques - Etes-vous marié/célibataire/divorcé ?
- Enfants ?
- Profession des parents et/ou, du conjoint, et/ou des enfants ?
- Formation scolaire (diplômes ?)
- Activités ou métiers exercés avant celui-ci ?

Le Travail dans les Industries de Déchets 144/160


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7.2 Organigramme des services d’Optitri

Présidents
Vice-Présidents

Recherche et
Développement
Secrétariat
Général
Communications
et Relations
Extérieures
Mission
prospective et
Direction Contrôles
Générale des
Services
Cellule Contrôle
de Gestion et
Direction des Direction du Prospective
Direction des Ressources Direction de budgétaire
Pôle des
affaires Humaines et du l'exploitation et
Management Energies
financières de la logistiques
Durable renouvelables Système
d'information

Budget Paie Transports Bioréacteur


Optimisation
filière

Hygiène et Exploitation et
Comptabilité Biogaz Affaires
Sécurité Logistique
Juridiques

Travaux,
Carrière /
Achat Public Maintenance et Bois-Energie
Formation
Patrimoine

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7.3 Organigramme Bioréacteur d’Optitri

Direction du Pôle des


Energies renouvelables

Bioréacteur Biogaz Bois-Energie

Technicien d'exploitation Technicien Biogaz Ingénieur Bois Energie

7 agents bioréacteur 1 agent chargé du suivi


1 agent d'accueil et de des réseaux
Pesée 3 technicien Biogaz et des 2 agents
2 chefs de quai équipement de
1 agent de surveillance valorisation énergétique

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7.4 Organigramme Centre de tri C1 Optitri

Directeur

Technicien
d'exploitation
Centre de tri et
Compostage

Agent de
Agent d'accueil Chef d'équipe
plateforme de
et de pesée Centre de tri
Compostage

2 Techniciens
17 trieurs 4 agents au sol de
Maintenance

7.5 Organigramme centre de tri C2 Optitri

Directeur

Technicien
d'exploitation
Centre de tri et
Compostage

Agent de
Agent d'accueil Chef d'équipe
plateforme de
et de pesée Centre de tri
Compostage

Technicien de
12 trieurs 4 agents au sol
Maintenance

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7.6 Organigramme centre de tri C3 Valori

Responsable
centre de tri

Agent d'accueil et Agents de


Chef d'équipe
de pesée Maintenance (2)

Responsable
Presse (1) / Agents
Responsable poste
au sol (2) / Chef de
cabine (3)

Responsable
Presse (1) / Agents
11 Trieurs
au sol (2) / Chef de
cabine (2)

11 Trieurs

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7.7 Organigramme Incinérateur Valori (niveau productif)

Directeur du site

Directeur adjoint

Responsable Responsable
Assistant Méthode exploitation
maintenance

Service Service traitement


Service de l'eau
d'exploitation (5
maintenance ( 7
équipes de quart, 1 (1 responsable et 1
techniciens)
chef de quai) agent)

7.8 Les représentations graphiques des trois axes

Le Travail dans les Industries de Déchets 149/160


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Axe 1. Le travail
Le travail du tri des déchets : un travail
d’exécution

Le travail de conception sur les déchets

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Axe 2. Les logiques d'action du


traitement des déchets

Logiques d’action privée Logiques d’action publique

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Axe 3. Les risques : travail contre environnement.

Les risques professionnels

Les risques environnementaux

Le Travail dans les Industries de Déchets 152/160


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7.9 Tableau des enquêtés

N° d'entretien Fonction Age


Salariés Centres de tri
1 Trieur 40-50
2 Trieur 40-50
3 Trieuse 40-50
4 Trieuse 40-50
5 Trieuse 40-50
6 Trieuse 40-50
7 Trieuse 30-40
8 Trieuse 20-30
9 Trieuse 50-60
10 Trieuse 50-60
11 Trieur 30-40
12 Trieuse 40-50
13 Trieur 40-50
14 Trieuse 40-50
15 Trieur / agent au sol 40-50
16 Trieur 50-60
17 Trieuse 50-60
18 Trieuse 50-60
19 Chef de cabine 40-50
20 Chef d'équipe 50-60
21 Chef d'équipe 30-40
22 Chef d'équipe 30-40
23 Chef d'équipe 40-50
24 Contremaître d'exploitation 50-60
25 Contremaître d'exploitation 50-60
26 Chef d'équipe 40-50
27 Chef de cabine 50-60
28 Contremaître d'exploitation 50-60
29 Contremaître d'exploitation 50-60
30 Directeur centre de tri 50-60
32 Agent de maintenance 50-60
33 Agent de maintenance 50-60
34 Trieur 40-50
35 Trieur 50-60
36 Agent de maintenance 30-40
37 Agent de maintenance 20-30
38 Agent de maintenance 40-50
39 Trieur 50-60
40 Trieur 40-50
41 Agent au sol 50-60
42 Agent au sol 30-40

Le Travail dans les Industries de Déchets 153/160


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43 Agent au sol 50-60


44 Remplaçante Trieuse (CDD) 30-40
45 Remplaçant Trieur (CDD) 20-30
46 Polyvalente 40-50
47 Agent au sol 40-50
Responsable presse / agent au
48 sol 30-40
87 Trieuse 50-60

N° d'entretien Fonction Age


Salariés bioréacteur
Chef de quai et Agent chargé du
71 suivi du réseau 20-30
72 Responsable d'exploitation 30-40
73 Conducteur 40-50
75 Conducteur 40-50
76 Polyvalent 40-50

N° d'entretien Fonction Age


Salariés Incinérateur
49 Adjoint chef de quart 30-40
50 Directeur Adjoint 50-60
51 Conducteur Pontier 20-30
52 Agent de maintenance 40-50
53 Agent de maintenance 30-40
54 Responsable d'exploitation 50-60
55 Conducteur Pontier 30-40
56 Chef de quart 40-50
58 Responsable maintenance 30-40
74 Adjoint chef de quart 30-40
83 Chef de quart 30-40
85 Adjoint chef de quart 30-40
86 Conducteur Pontier 50-60
57 Directeur de site 50-60

N° d'entretien Fonction Age


Salariés Siège Optitri
61 Directeur général des services 50-60
Responsable service
62 optimisation des filières 50-60
Responsable d'exploitation des
63 centres de tri (C1 et C2) 40-50
Coordinateur du service hygiène
64 et sécurité 20-30
Responsable Ressources
65 Humaines 30-40
84 Direction 50-60

Le Travail dans les Industries de Déchets 154/160


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Fonction Age
d'entretien
Membre bureau Optitri
60 Membre bureau / élu politique
66 Membre bureau / élu politique
67 Membre bureau / élu politique
68 Membre bureau / élu politique


Fonction Age
d'entretien
Acteurs périphériques
31 Directeur centre de tri 50-60
Représentant d'une fédération
69 environnementale 50-60
70 Agent de la Préfecture 30-40
79 Eco-Emballages 50-60
Directeur régional Grand Groupe
Privé / Président d'un syndicat
82 professionnel 60-70
Président d'un syndicat de
59 traitement 60-70
77 Agent de la Cram 40-50
78 Eco-Emballages 50-60
80 Responsable Syndical 40-50
81 Ergonome 20-30

Le Travail dans les Industries de Déchets 155/160


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Le Travail dans les Industries de Déchets 159/160


Derrière de couverture Version Française

L’ADEME EN BREF

L'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de


l'Energie (ADEME) participe à la mise en œuvre des
politiques publiques dans les domaines de
l'environnement, de l'énergie et du développement
durable. Afin de leur permettre de progresser dans
leur démarche environnementale, l'agence met à
disposition des entreprises, des collectivités locales,
des pouvoirs publics et du grand public, ses
capacités d'expertise et de conseil. Elle aide en outre
au financement de projets, de la recherche à la mise
en œuvre et ce, dans les domaines suivants : la
gestion des déchets, la préservation des sols,
l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables,
la qualité de l'air et la lutte contre le bruit.

L’ADEME est un établissement public sous la tutelle


du ministère de l'écologie, du développement durable
et de l'énergie et du ministère de l'enseignement
supérieur et de la recherche. www.ademe.fr

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