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Ann Biol Clin 2005 ; 63 (1) : 7-13

Entamoeba histolytica et Entamoeba dispar :


méthodes de différenciation et implications

S. Anane Résumé. Entamoeba histolytica et Entamoeba dispar sont deux espèces mi-
S. Khaled croscopiquement identiques (en dehors des formes hématophages) mais dont
une seule espèce est pathogène. Des méthodes moléculaires sensibles et spéci-
Faculté de médecine de Tunis,
Département de parasitologie, fiques capables de différencier les deux espèces ont été développées ces derniè-
Tunis, Tunisie res années. La recherche d’antigènes spécifiques dans les selles par la méthode
<ma.consulting@planet.tn> Elisa est la méthode de choix pour les laboratoires de routine dans les pays en
voie de développement. C’est une technique facile et rapide à réaliser. Cepen-
dant, la culture suivie de typage isoenzymatique et la PCR demeurent pour le
moment des techniques de recherche. L’identification d’espèce est indispensa-
ble non seulement pour une meilleure prise en charge diagnostique et thérapeu-
tique mais aussi pour la planification des stratégies de lutte.
Mots clés : Entamoeba histolytica, Entamoeba dispar, amibiase, diagnostic

Abstract. Entamoeba histolytica and Entamoeba dispar are two species mor-
phologically identical (except hematophagous trophozoites) but one of them is
pathogenic. Sensitive and specific molecular techniques which are able to
distinguish E. histolytica from E. dispar have been developed recently. Detec-
tion of antigen in stool using the ELISA method is the diagnostic test method
of choice for clinical use in the developing world. It is rapid and simple.
Cultures for zymodeme analysis and PCR detection of the parasite remain
research tools. Species identification is imperative both for improved clinical
diagnosis and treatment and for planning control strategies.
Article reçu le 9 août 2004,
accepté le 28 septembre 2004 Key words: Entamoeba histolytica, Entamoeba dispar, amoebiasis, diagnosis

L’amibiase est définie par l’OMS comme l’infection par E. histolytica, nommée par Schaudinn en 1903, de deux
un protozoaire, Entamoeba histolytica (E. histolytica), espèces morphologiquement identiques dont E. histolytica
avec ou sans manifestations cliniques [1, 2]. Il s’agit d’une capable de provoquer une pathologie invasive et une autre
protozoose à prédominance intestinale, pouvant métasta- espèce ne provoquant jamais de maladie et qu’il a appelé
ser par voie sanguine et envahir les viscères notamment le Entamoeba dispar (E. dispar) [4-6]. Cette hypothèse a été
foie. L’amibiase est cosmopolite, prédominant dans les rejetée par d’autres auteurs. Il fallut attendre 1978 pour
régions tropicales où elle représente un problème de la que Sargeaunt apporte une nouvelle série d’arguments en
santé publique. faveur de cette espèce. Les données biochimiques, immu-
nologiques et génétiques ont continué à s’accumuler pour
Entamoeba histolytica, seule amibe pathogène chez
étayer l’hypothèse de l’existence de deux espèces diffé-
l’homme, a été considérée longtemps comme un agent
rentes à l’intérieur de ce qui était alors appelée
infectieux de virulence variable en raison de la différence
E. histolytica, et ce n’est qu’en 1993 que E. histolytica a
importante entre le nombre de porteurs sains et le nombre
été officiellement distinguée de E. dispar [4-6].
de cas d’amibiase maladie [3]. En 1925, en se basant sur
des données cliniques, épidémiologiques et expérimenta- Dans cet article, nous décrivons les différentes méthodes
les, Emile Brumpt a suggéré l’existence au sein de permettant la distinction entre les deux espèces et nous
précisons les conséquences de cette distinction sur le plan
Tirés à part : S. Anane épidémiologique, diagnostique et thérapeutique.

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Méthodes de distinction nase, phosphoglucomutase, L-malate, glucose phosphate


entre Entamoeba histolytica isomérase) a permis de déterminer 21 zymodèmes diffé-
et Entamoeba dispar rents dont 9 correspondent à E. histolytica. Il s’agit en
particulier des zymodèmes II, VI, VII, XI, XII et XIX
[9, 13]. Les marqueurs de pathogénicité sont la présence
La distinction entre E. histolytica et E. dispar est recom-
d’une bande bêta et l’absence de bande alpha pour la
mandée par l’OMS. Plusieurs techniques moléculaires sen-
phosphoglucomutase, confirmées par la présence d’une
sibles spécifiques et capables de différencier les deux espè-
bande d’hexokinase de forte migration [5, 13]. Le typage
ces ont été développées : le typage isoenzymatique, la
isoenzymatique est considéré comme the gold standard
PCR et la recherche d’antigènes spécifiques.
pour la distinction entre les deux espèces. Il est de sensibi-
L’examen parasitologique des selles lité et de spécificité de 100 % [15].
Cependant, l’étude des zymodèmes est une technique déli-
Seule la mise en évidence de formes végétatives hémato- cate, lourde, coûteuse et longue. En effet, elle nécessite
phages dans les selles permet de conclure à la présence de une culture préalable et une à plusieurs semaines pour être
E. histolytica. En absence de ces formes hématophages accomplie [7, 16, 17].
qui sont rarement vues dans les selles, la distinction entre
E. histolytica et E. dispar est impossible puisque les for- La recherche d’antigènes spécifiques
mes végétatives (en dehors des formes hématophages) et La recherche d’antigènes spécifiques dans les selles par
les kystes de ces deux espèces sont microscopiquement méthode Elisa permet aussi la distinction entre les deux
identiques. Dans ce cas, le parasite doit être désigné par espèces. Plusieurs méthodes ont été développées pour la
E. histolytica / E. dispar [1]. Par ailleurs, la sensibilité de détection d’antigènes amibiens dans les selles.
l’examen direct n’est que de 60 % et la lecture retardée
Parmi les kits commercialisés, un seul kit est valable pour
affecte davantage cette sensibilité. En effet, les formes
différencier les deux espèces : c’est le techLab
végétatives de E. histolytica sont très fragiles, nécessitant
E. histolytica® qui permet de détecter la Gal/GalNAc lec-
la réalisation de l’examen direct sur des selles fraîches si
tine spécifique de E. histolytica en utilisant des anticorps
possible émises dans le laboratoire, sinon acheminées dans
monoclonaux dirigés contre cette lectine spécifique qui
les 30 minutes qui suivent l’exonération [7-10]. La répéti-
n’existe que sur les formes végétatives. Ce kit est fabriqué
tion de l’examen parasitologique des selles 3 fois à 3 jours
aux États-Unis et commercialisé dans certains pays (distri-
d’intervalle permet d’améliorer cette sensibilité.
bué par les laboratoires Fumouze en France).
Par ailleurs, la culture des selles est plus sensible que
Les autres kits sont non valables malgré leur excellente
l’examen direct mais nécessite un délai d’au moins 2-3
sensibilité. En effet, ils ont une faible spécificité puisqu’ils
jours et des milieux spéciaux. Elle n’est effectuée que par
présentent des réactions croisées avec E. dispar. Cette
quelques laboratoires spécialisés [11].
faible spécificité représente un grand problème pour le
La recherche des formes hématophages au cours d’une diagnostic de E. histolytica, puisque l’infection à
rectoscopie est considérée plus sensible que l’examen pa- E. dispar est 3 à 10 fois plus fréquente que l’infection à
rasitologique des selles permettant ainsi de réduire le délai E. histolytica.
du diagnostic. Cependant, la rectoscopie est douloureuse
La Gal/GalNAc est très immunogène et à cause de la
au cours des poussées [11, 12].
grande différence antigénique qui existe entre les 2 lecti-
nes des 2 espèces, le TechLab E. histolytica test ® permet
Le typage isoenzymatique
d’identifier l’espèce d’une façon spécifique [7, 16, 18, 19].
La méthode d’identification enzymatique est considérée Plusieurs études ont été publiées [4, 7, 16, 18] utilisant ce
comme la technique de référence pour la distinction entre kit pour la détection d’antigènes de E. histolytica dans les
E. histolytica et E. dispar [4, 13, 14]. Elle permet de com- selles fraîches des patients présentant une amibiase intesti-
parer les isoenzymes des deux espèces par migration élec- nale. Ces études rapportent une excellente spécificité et
trophorétique. Les isoenzymes correspondent à des enzy- sensibilité. En effet, ce kit est beaucoup plus sensible et
mes de même activité catalytique mais de structure et par spécifique que l’examen parasitologique des selles et en
conséquent de migration éléctrophorétique différente, ce comparaison avec la méthode de typage isoenzymatique,
qui permet de les différencier. L’analyse conjointe des il a une sensibilité comprise entre 87 % et 95 % et une
différentes isoenzymes permet de caractériser les deux spécificité de 93 %. La détection d’antigènes dans les sel-
espèces par un ensemble d’isoenzymes : le zymodème les par le kit TechLab® est une technique sensible, spécifi-
[3, 5]. que et rapide, ne nécessitant que deux à trois heures pour
La technique est pratiquée selon la méthode de Sargeaunt sa réalisation. Elle est simple, ne nécessitant pas un équi-
et al. La combinaison du profil de 4 isoenzymes (hexoki- pement spécial et elle est beaucoup moins coûteuse que

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Entamoeba

les autres méthodes [7, 9, 20]. Néanmoins, le test est li- accomplie en un jour et elle est beaucoup moins coûteuse
mité aux selles fraîches ou congelées et la fixation des que les autres PCR. L’étude a montré que cette méthode a
selles au formol dénature l’antigène donnant des faux né- une excellente spécificité (100 %) et une très bonne sensi-
gatifs [7, 9]. Par ailleurs, la recherche de ces antigènes bilité (94 %) [17].
spécifiques peut se faire dans le sérum des patients ayant Récemment, la PCR en temps réel a été développée. Elle
une amibiase hépatique. Elle est en cours d’évaluation est caractérisée par une bonne sensibilité de 88 % (pou-
mais paraît prometteuse [9]. vant détecter 0,1 parasite/g de selles) et une excellente
spécificité de 100 % comparativement à la méthode de
La PCR (polymerase chain reaction) typage isoenzymatique. Ses avantages par rapport aux
La distinction entre les deux espèces peut se faire égale- autres PCR sont la diminution considérable du risque des
ment par la PCR. Ces dernières années, de nombreuses faux positifs dus aux contaminations et sa durée courte de
méthodes de PCR ont été établies en se basant sur la réalisation qui n’est que d’une heure. Cependant, elle reste
différence génétique qui existe entre E. histolytica et actuellement réservée aux laboratoires spécialisés équipés
E. dispar pour différencier les deux espèces. d’un light cycler [15, 22, 23].
La majorité de ces méthodes amplifient et détectent une
des séquences de la petite sous-unité de l’ARN ribosomal La sérologie
(16 SrRNA gène). En effet, il existe 200 copies de cha- Les méthodes sérologiques peuvent être utilisées pour dis-
cune de ces séquences par trophozoïte ce qui facilite leur tinguer E. histolytica de E. dispar. Le portage de E. dispar
détection par rapport à celle de l’ADN [19, 21]. s’accompagne habituellement de l’absence d’anticorps
La sensibilité et la spécificité de ces méthodes sont pro- spécifiques alors que l’infection à E. histolytica s’accom-
ches de celle du typage isoenzymatique qui est la techni- pagne fréquemment de titres élevés d’anticorps même dans
que de référence avec une bonne corrélation de 96 %. Les les formes asymptomatiques. En effet, 75 à 85 % des pa-
performances de la PCR restent stables sur des selles fixées tients présentant une amibiase intestinale maladie déve-
au formol pendant une durée qui va jusqu’à 7 jours. La loppent des immunoglobulines (Ig) G à un taux élevé
PCR amplifiant le rRNA gène est 100 fois plus sensible [9, 24]. Néanmoins, la positivité de la sérologie persiste en
que la détection d’antigènes par Elisa quand la PCR est IFI et en Elisa pendant 6 à 12 mois, en hémagglutination
faite sur les cultures des selles. Cependant, lorsque les pendant plusieurs années; ce qui ne permet pas de faire la
deux méthodes sont réalisées directement sur les selles, différence entre une infection récente et une autre an-
elles ont des sensibilités approximativement égales. En cienne. Cela limite l’utilisation de la sérologie dans le
effet, dans une étude évaluant la PCR et la détection des diagnostic d’amibiase intestinale aiguë surtout dans les
copro-antigènes, appliquées directement sur les selles, régions endémiques [9, 16, 25]. La détection des IgM
comparativement à la technique de référence de typage pourrait aider à faire le diagnostic d’amibiase intestinale
isoenzymatique, les sensibilités étaient comparables, res- aiguë puisque, contrairement aux IgG, les IgM ne persis-
pectivement de 87 % et de 85 % avec une corrélation de tent pas longtemps dans le sérum. Actuellement, l’utilisa-
93 % entre les deux techniques [7]. tion d’Elisa pour la détection des IgM anti-lectine Gal/Gal
Cependant, la PCR est une méthode lourde, coûteuse et NAc dans le sérum est en cours d’évaluation [26].
longue, nécessitant plusieurs jours pour être accomplie.
Elle est peu applicable en diagnostic de routine et non
adaptée au diagnostic d’urgence comparativement à la dé- Comparaison entre les différentes
tection d’antigènes et à l’examen microscopique des selles méthodes de distinction
[7, 18]. des deux espèces
En revanche, l’automatisation et la simplification des pro-
cédures de la PCR directement pratiquée dans les selles Amibiase intestinale
peuvent diminuer le coût et la durée de ces méthodes / L’examen parasitologique des selles qui était la méthode
multiplex PCR, real time PCR. de choix pour le diagnostic d’amibiase intestinale est inca-
L’équipe de Yury a mis au point une multiplex PCR pour pable de faire la différence entre les deux espèces en de-
différencier les deux espèces. Cette multiplex PCR ampli- hors des formes hématophages qui sont rarement vues
fie simultanément deux fragments d’ADN spécifiques, l’un dans les selles. Néanmoins, il reste indispensable pour
de E. histolytica et l’autre de E. dispar. En effet, elle am- mettre en évidence d’autres parasites pouvant causer des
plifie dans une même réaction un primer spécifique de signes digestifs semblables à ceux de E. histolytica comme
E. histolytica de 132 paires de base et un primer spécifi- Giardia lamblia [10].
que de E. dispar de 96 paires de base. Cette procédure fait Le typage isoenzymatique est la technique de référence
gagner un temps et des ressources considérables ; elle est pour la distinction entre les deux espèces. Cependant, elle

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est une technique lourde, longue et coûteuse. Sa procédure ses de diarrhées sanglantes et confirmer des diagnostics
fastidieuse la rend impraticable en routine et la réserve incertains d’amibiase intestinale. Cependant, le prélève-
aux laboratoires spécialisés [7, 16, 17]. Cette technique ment est douloureux et la sensibilité de la recherche de
n’est pas adaptable aux laboratoires des pays en voie de formes hématophages diffère selon les études. Certains
développement d’où proviennent la plupart des cas d’ami- auteurs la préconisent pour le diagnostic d’amibiase intes-
biase. tinale si le kit TechLab n’est pas disponible [11, 12].
Ces dernières années, plusieurs techniques capables de
faire la distinction entre les deux espèces ont été dévelop- Amibiase hépatique
pées : Le kit TechLab® et les méthodes de PCR [29, 30]. L’examen parasitologique des selles n’a aucun intérêt dans
Ces deux méthodes ont une bonne sensibilité et spécificité le diagnostic d’amibiase hépatique. Il n’est positif que
en comparaison avec la méthode de référence (typage chez 5 % des malades et sa positivité ne permet pas d’affir-
isoenzymatique). Cependant, la détection d’antigènes spé- mer le diagnostic [9].
cifiques par le kit TechLab® est la méthode la plus simple,
Le diagnostic d’amibiase hépatique est basé sur l’échogra-
la moins coûteuse et la plus rapide. En effet, elle ne néces-
phie et la sérologie [8, 9, 12, 24]. L’échographie est sensi-
site que deux à trois heures pour sa réalisation, alors qu’il
ble et non spécifique. En effet, elle permet de détecter
faut un à plusieurs jours pour accomplir la majorité des
l’abcès mais elle est incapable de distinguer l’abcès ami-
méthodes de PCR et une à deux semaines pour réaliser le
bien d’un abcès bactérien ou d’une tumeur nécrosée.
typage isoenzymatique. Le kit TechLab® est la méthode
de choix pour le diagnostic d’infection à E. histolytica L’origine amibienne de l’abcès hépatique ne peut être affir-
dans les laboratoires de routine. Il est le test le plus appro- mée que par la sérologie qui met en évidence un taux
prié à ces laboratoires notamment dans les pays en voie de élevé d’IgG spécifiques. En effet, au cours de l’amibiase
développement où la mortalité et la morbidité causées par hépatique la sérologie a une excellente sensibilité (88 % à
E. histolytica sont importantes [7, 9, 20]. 97 %). Cependant, la persistance d’un taux élevé d’anti-
corps après l’épisode aiguë ne permet pas de dater l’infec-
Les méthodes de PCR sont dans la majorité des cas lour-
tion. La recherche d’antigènes spécifiques (Gal/GalNAc)
des, longues et coûteuses. La simplification de leurs pro-
dans le sérum de patients ayant une amibiase hépatique
cédures a certainement pu diminuer la durée de réalisation
qui est en cours d’évaluation pourrait résoudre ce pro-
de ces méthodes mais elles restent limitées aux laboratoi-
blème [9, 26]. Par ailleurs, la réponse positive au traite-
res spécialisés [7, 22, 23].
ment amibien confirme indirectement le diagnostic d’ami-
En absence de ces trois méthodes, la sérologie peut être biase hépatique chez les patients ayant une sérologie
utilisée pour orienter le diagnostic d’amibiase intestinale positive. La ponction–aspiration de l’abcès dans le but de
[9, 24]. En effet, depuis que la distinction entre la recherche de E. histolytica est rarement pratiquée, d’une
E. histolytica et E. dispar a été admise, la sérologie a pris part à cause du risque de surinfection et de rupture de
un nouveau regain dans les infections du tube digestif. En l’abcès et d’autre part à cause de sa faible sensibilité qui
effet, la sérologie a un apport considérable dans le dia- n’est que de 25 % [8-12]. La recherche de la Gal/GalNAc
gnostic de l’amibiase intestinale alors qu’elle a peu d’inté- dans le pus aspiré qui est en cours d’évaluation pourrait
rêt dans le diagnostic des autres parasitoses intestinales en améliorer la sensibilité de cet examen [9].
raison de l’absence ou de la faible sécrétion des anticorps
au cours de ces infections. Au cours de l’infection à
E. histolytica, la sérologie est positive dans 75 à 85 % des
cas, alors que le portage de E. dispar s’accompagne d’une
Implications
sérologie négative [9, 24]. Néanmoins, la sérologie reste
positive pendant plusieurs mois à plusieurs années après L’identification d’espèce a des conséquences considéra-
une infection aiguë ne permettant pas de distinguer une bles sur les plans épidémiologique, diagnostique et théra-
infection ancienne d’une récente. Cela limite l’utilisation peutique.
de la sérologie chez les patients originaires des zones endé-
miques [9, 16, 25]. Cependant, un taux élevé d’IgG spéci- Implications épidémiologiques
fiques chez un patient originaire d’une zone non endémi- L’amibiase est une maladie fréquente, endémique dans
que est fortement évocateur d’infection à E. histolytica. certains pays tropicaux du monde où elle représente un
La recherche des IgM spécifiques pourrait dans l’avenir problème de santé publique. Elle affecte 10 % de la popu-
améliorer l’apport de la sérologie dans le diagnostic d’ami- lation mondiale, soit 500 millions de personnes dont seu-
biase intestinale aiguë [9, 26]. lement 50 millions présentent une amibiase maladie pro-
Par ailleurs, la biopsie intestinale reste une méthode de voquant ainsi 100 000 décès par an, ce qui place l’amibiase
diagnostic utilisée pour éliminer les causes non infectieu- au deuxième rang après le paludisme en terme de morta-

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Entamoeba

lité due à des protozoaires [1, 15, 27]. Ces données épidé- permettre d’envisager un traitement prophylactique effi-
miologiques dont on dispose sont attribuées aux deux espè- cace comme pour certaines parasitoses (paludisme). Ac-
ces confondues puisque la majorité des études concernant tuellement, Le vaccin le plus efficace est celui qui utilise
l’épidémiologie de l’amibiase est basée sur l’examen para- la Gal/GalNAc lectine. En effet, l’utilisation de cette lec-
sitologique des selles qui est une méthode incapable de tine est prometteuse puisqu’il y a eu des succès sur le
distinguer E. histolytica de E. dispar, ce qui signifie que la modèle animal [8, 29]. Néanmoins, des obstacles sont
vraie épidémiologie de l’infection à E. histolytica reste rencontrés dans le développement du vaccin à cause de la
inconnue. non compréhension de certains mécanismes de la réponse
La distinction entre les deux espèces est indispensable afin immune de l’homme vis-à-vis de l’infection [12]. Des
d’attribuer à chaque espèce la prévalence exacte. La mor- investigations sont nécessaires dans ce domaine pour l’éla-
bidité et la mortalité en nombre absolu ne sont pas affec- boration d’un vaccin efficace.
tées par cette reclassification car tous les cas d’amibiase
maladie sont causés par E. histolytica. En revanche, le Implications diagnostiques et thérapeutiques
portage asymptomatique de E. histolytica qui représente L’identification d’espèce a des implications diagnostiques
90 % des cas répertoriés est à réviser puisqu’il peut s’agir et thérapeutiques considérables.
de E. dispar ou E. histolytica. La différence importante
En présence des symptômes
entre le nombre des personnes asymptomatiques et le nom-
bre de malades a été déjà notée par Emile Brumpt en En présence des symptômes évocateurs d’amibiase
1925. Ce fut un des éléments qui le conduit à décrire intestinale/diarrhée glairosanglante avec détection de for-
E. dispar [3]. Actuellement, Il a été démontré dans certai- mes végétatives ou kystiques de E. histolytica/E. dispar
nes études que la majorité des cas asymptomatiques sont dans les selles, il faut identifier l’espèce afin de confirmer
infectés par E. dispar et que seulement 10 % des sujets le diagnostic d’amibiase intestinale et d’adapter le traite-
infectés par E. histolytica développent une amibiase mala- ment [1, 11, 12].
die ce qui affecte la vraie incidence et prévalence de l’in- • Si E. histolytica est identifiée : le diagnostic d’amibiase
fection à E. histolytica [15, 24]. intestinale est confirmé et dans ce cas il faut traiter l’infec-
Seul le diagnostic systématique d’espèce par l’utilisation tion.
d’une méthode simple appropriée aux enquêtes épidémio- L’amibiase invasive sera traitée par un amoebicide tissu-
logiques pourrait clarifier la prévalence et la répartition laire suivi d’un amoebicide de contact.
géographique de l’infection à E. histolytica. Par ailleurs, • Si seule E. dispar est identifiée : aucun traitement n’est
les données concernant la fréquence de transmission de nécessaire et on recherchera d’autres maladies pouvant
l’infection à E. histolytica des sujets malades aux sujets donner les mêmes symptômes. En effet, la symptomatolo-
neufs sont insuffisantes [1, 15]. Il est capital de disposer gie de l’amibiase intestinale est semblable à celle de plu-
de plus d’information dans ces domaines afin d’adapter les sieurs affections (rectocolite hémorragique (RCH), mala-
mesures prophylactiques et mieux planifier les program- die de Crohn, etc.).
mes de lutte contre cette protozoose. • Si l’identification d’espèce est impossible : on ne peut ni
L’absence de chimioprophylaxie fiable et l’incidence éle- éliminer ni confirmer le diagnostic d’amibiase intestinale.
vée d’amibiase maladie dans les pays tropicaux, en parti- La détection de E. histolytica/E. dispar chez un patient
culier chez l’enfant qui est un sujet à risque, suggèrent la symptomatique ne doit pas faire présumer que
réalisation d’un vaccin efficace qui permettrait non seule- E. histolytica est la cause des symptômes et impose la
ment de prévenir la mortalité considérable mais aussi de recherche d’autres étiologies.
diminuer la morbidité dans ces pays. Si la recherche est négative et l’identification d’espèce est
L’identification d’espèce permettra d’élucider les manifes- impossible, la conduite thérapeutique se fait en fonction
tations de l’amibiase maladie. En effet, actuellement il est des résultats de la sérologie. La présence d’anticorps spé-
clair que les manifestations de la maladie varient selon la cifiques à titre élevé est fortement corrélée à l’amibiase
région, à cause de la susceptibilité génétique des sujets et invasive. Elle permet de retenir dans ce cas le diagnostic
probablement de l’existence de différentes souches de d’amibiase intestinale et de justifier un traitement
E. histolytica. Des études d’épidémiologie moléculaire spécifique. La bonne évolution sous traitement affirmera
doivent être conduites énergiquement afin de comprendre le diagnostic. Cependant, une sérologie négative ne peut
la pathogénicité de E. histolytica et déterminer si certains pas éliminer l’amibiase puisque la sensibilité de la sérolo-
sous-groupes de E. histolytica ont plus tendance que gie en matière d’amibiase intestinale ne dépasse pas 85 %.
d’autres à provoquer une amibiase invasive [1, 28]. Ces Toutefois, la certitude du diagnostic d’une maladie ne peut
données épidémiologiques faciliteront les essais des vac- éliminer la présence d’une autre. En effet, l’amibiase peut
cins qui sont en cours d’évaluation et pourront peut-être être associée à une RCH ou à une shigellose [19, 30].

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L’association amibiase–RCH est relativement fréquente tence de ces deux espèces a été officiellement reconnue.
dans les zones d’endémie. La similitude de deux affec- Plusieurs méthodes sont utilisées pour la distinction entre
tions peut avoir pour conséquence la méconnaissance de E. histolytica et E. dispar. En effet, le typage isoenzymati-
l’une ou de l’autre. Il est impératif de pratiquer des exa- que, la PCR et la recherche d’antigènes spécifiques dans
mens parasitologiques des selles à la recherche de les selles qui sont trois méthodes sensibles et spécifiques
E. histolytica chez tout malade atteint de RCH avant l’ins- sont capables de distinguer E. histolytica de E. dispar. Le
tauration de la corticothérapie qui peut compliquer l’ami- typage isoenzymatique est la technique de référence, néan-
biase intestinale aiguë par une rupture colique. C’est l’ami- moins elle est lourde et longue à réaliser. La détection
biase maligne qui est une complication grave le plus d’antigènes spécifiques dans les selles est la méthode de
souvent mortelle. choix pour le diagnostic d’espèce en routine. La PCR,
Par ailleurs, la possibilité d’une coinfection bactérienne ne malgré la simplification de sa procédure, reste limitée aux
doit pas être écartée. La shigellose peut surinfecter l’ami- laboratoires spécialisés. Dans l’avenir, la recherche des
biase engendrant un tableau de déshydratation sévère. IgM dans le sérum qui paraît prometteuse pourrait rempla-
Dans tous les cas, une coproculture est nécessaire pour la cer toutes ces méthodes. La distinction entre les deux
recherche de shigelle dont la présence pourra soit confir- espèces est nécessaire non seulement pour une bonne dé-
mer la surinfection en cas d’amibiase certaine, soit expli- marche diagnostique et une meilleure prise en charge thé-
quer les symptômes si le diagnostic d’amibiase est éliminé rapeutique, mais aussi pour l’élaboration des stratégies de
[29, 30]. lutte.
En absence des symptômes En absence de la commercialisation d’une technique sim-
ple et performante comme le test TechLab E. histolytica®
La présence de kystes de E. histolytica/E. dispar dans les
dans les pays endémiques, l’épidémiologie de l’amibiase
selles ne justifie pas à elle seule un traitement, celui-ci ne
demeure inconnue dans le monde.
sera institué que si E. histolytica est formellement identi-
fiée ou si la sérologie détecte un taux élevé d’anticorps
spécifiques ou s’il y a eu un contact avec un cas d’ami-
biase invasive ou un séjour en zone d’endémie [1, 16, 23]. Références
Le traitement des porteurs asymptomatiques de 1. Anonyme. Amoebiasis. Who Weekly Epidemiol Rec 1997 ; 72 : 97-
E. histolytica est indispensable, non seulement parce que 100.
10 % d’entre eux développeront une amibiase maladie
2. Anonyme. Taxonomies de Entamoeba. Bull OMS 1997 ; 75 : 293-4.
mais aussi parce que ce sont les porteurs asymptomatiques
qui disséminent la maladie. Ils seront traités seulement par 3. Petithory JC, Brumpt LC, Ardoin F. Deux espèces d’amibes : patho-
gène et non pathogène. Concours Med 1997 ; 119 : 1186-9.
un amœbicide de contact [1, 12]. Cependant, l’attitude de
traiter tous les patients asymptomatiques porteurs de kys- 4. Martinez-Palomo A, Espinosa-Cantellano M. Amoebiasis. New un-
tes n’est pas pratique parce que, d’une part, le traitement derstanding and new goals. Parasitol Today 1998 ; 14 : 1-2.
doit être suivi pendant plusieurs jours et, d’autre part, le 5. Petithory JC, Brumpt LC, Poujade F. Entamoeba histolytica (Schau-
traitement n’est pas dénué d’effets indésirables. L’espèce dinn 1903) et Entamoeba dispar (E. Brumpt 1925) sont deux espèces
doit donc être identifiée pour une meilleure démarche dia- différentes. Bull Soc Path Ext 1994 ; 87 : 231-7.
gnostique et attitude thérapeutique. Pour cela, les recher- 6. Sargeaunt PG. Entamoeba histolytica si a complex of two species.
ches concernant les techniques de différentiation doivent Trans R Soc Trop Med Hyg 1992 ; 86 : 348.
continuer afin de développer un test applicable dans les 7. Haque R, Ali IKM, Akther S, Petri WA Jr. Comparison of PCR, isoen-
pays en voie de développement. En conclusion, en l’ab- zyme analysis and antigen detection for diagnosis of Entamoeba histoly-
sence de mise en évidence des formes hématophages et de tica infection. J Clin Microbiol 1998 ; 36 : 449-52.
la disposition de tests spécifiques pour distinguer
8. Haque R, Huston CD, Hughes M, Houpt E, Petri WA Jr. Current
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évoquée dès 1925, ce n’est que depuis 1993 que l’exis- Infect Dis 1999 ; 29 : 117-25.

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