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Du Cinéma: Cahiers
Du Cinéma: Cahiers
DU CINÉMA
TOME II N* 7 DÉCEMBRE 1 9 5 1
SO M M A IR E
Pierre K a s t .......................... Une fonction de constat (N otes sur l'œ uvre de
B u n u e l) ....................................................................... 6
A la recherche de Luis Bunuel avec Jean Gremillon,
Jean Castanier, Eli Lotor, L. Vin es e t Pierre
PreYert ........................................................................ 17
Cesare Z a v a t t r n i ................... Donnons à tout le monde un cheval à bascule
(Sujet de f i l m ) ................................................................. 24 *
Claude R o y ........................ Réflexions sur (et à propos de) Miracle à Milan 29
N in o F r a n k .......................... Lettre de R o m e .................................................................... 40
Herm an G. W ernberg . . . Lettre de N e v Y o r k ........................................... 43
Jaroslav Bro z ................ Lettre de P r a g u e ................................................... .. . 47
LES F ILM S :
Florent Kirsch .................. Après le rose et le noir (Deux sous de vio le tte s) . . 49 ;-v.
J. D o n io l-V a lcro z e . . . . Par delà la victime (Los O lv id a d o s ) .......................... 52
Jean Q u e v a l.......................... Grandeur de l'honnêteté (The M e n ) .......................... 54 V
Jean-José Richer ................ Africacolor (Kïng Saloman's M i n e s ) .......................... 56
André B a z i n .......................... L'eau danse (Images pour D e b u s s y .......................... 58
J. D o n io l-V a lc ro z e , . Terre sans paix (Les Désastres de la guerre) . . . . 59
A ndré B a z i n .......................... Coquelîn nous voici I (Cyrano de Bergerac) . . 61
A ndré B a z i n .......................... Mort tous les après-midi (La course de tau re a u x) 63
M .M . e t J .A ............................ La revue des revues . . . ...................................... . . . 66
A . B. . . . ........................ R é p o n s e s ................................ . . . . . . . . . . . 68
Les p ho to g ra p h ie s q ui illu s tre n t ce num éro sont dues à l'o b lig e a n ce de : A ria n e Film s, Panthéon
D is trib u tio n , G a u m o n t D is trib u tio n , Cînephonic, U nite d A rtis ts , E.N.I.C, Film s, RKOr A rg os Film s, Stanley
K ra m er P roductions, M é tro G oldw yn M ayer, Lux Fitms e t pour l'illu s tr a tio n de la page 53 à G illo Pontecorvo.
I I FONCTION DE CONSTAT
N o te s su r V œ u vre de 'B u n u el
par
Pierre Kast
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du récent film de Luis Bunuel L os Olvidados, dix huit ans après le tour
nage de Las Ilurdes place brusquem ent sous les yeux cet irritant faux-
problème des carrières. L ’œuvre de Bunuel est une éclatante non-carrière.
L ’honnêteté, la continuité de sa virulence s ’étale sur une période qui a vu
s ’atténuer, se modifier ou changer de sens toutes les virulences. Elle résiste,
en franchissant une immense période de silence, à toutes les pressions de
l ’aulo-défense de la société bourgeoise. Je ne vois rien de comparable dans
tout le cinéma; il ne faudrait pas ine forcer beaucoup pour y ajouter une
certaine forme d ’expression littéraire. Je ne parle naturellement pas de
Monsieur S. Dali.
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Un Chien Anda ioti.
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Un Cfiien A n d a l o u
Tout se passe comme si les films de Luis Bunuel, à l ’opposé des formes
reconnues du réalisme, se chargeaient de dresser un constat du monde tel
q u ’il est donné, mystifications comprises.
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Les,éléments utilisés p ar Bunuel ne sont pas extraits de là machinerie
du surréalisme (lire croqucmitaine); ils ne participent pas d ’une recherche
plus, ou moins systématique de l ’insolite, ils n ’ont pas été tirés d ’uri cha
peau. Ils sont les pièces à conviction cataloguées imperturbablement, {pen
dant ie. déroulement du dram e du désir. On a parlé un peu vite d ’onirisme.
Pour se défouler dans la quasi-totalité des rêves, la soif de libération n ’est
pas, pour autant, condamnée à la seule logique onirique. Entracte est la
preuve inverse de l ’innocence, de l ’innocuité sociale d ’une certaine concep
tion rassurante, ou finement comique, du monde des rêve'sï A u jo u rd ’hui,
quoi de'plus' suranné que la manie de l ’onirisme.’ Dans dix ans. elle aura
rejoint, au panthéon du ridicule, l ’œuvre entière de Carolus D uran ou dé
Viollet le Duc. Nous nous sommes, hélas, réveillés de ces rêves agréables
où nous nous étions libérés de nos archevêques; ils ont eu la peau dure, et
dans leurs églises cathédrales ils célèbrent tranquillement de vieilles carnes
étoilées.
Ce monde que nous regardons de nos yeux bien ouverts, le réalisme
breveté est impuissant à le reproduire. Davantage, il devient une mystifica
tion parmi d ’autres. Enfin, le cinéma est aussi peu doué que possible pour
« l’objectivité »; ce qu ’il montre, et qui a été choisi en vue d ’une preuve ou
d ;un effet, devient vrai pour le spectateur, p ar définition.
Ainsi le baiser final, version classique de la fameuse petite lueur d ’es
poir. est-il moins réaliste que le visage torturé de Batcheff. Je n ’irai pas
affirmer que Bunuel et Dali n ’ont pas voulu utiliser Y onirisme. En fait, peu
importe. Le film de Bunuel n ’est pas une clef des songes p o u r intellectuels
Il n ’est que de penser aux désopilantes tentatives de traductions visuelles
des reves dans le cinéma commercial américain, de Spellbound à Murder
my Sw eet pour saisir sur le vif la différence entre leur néofreudisme p ri
maire et le Chien Andalou.
L ’Ag e d’Or.
10
Cas to n Modot e t L ia L ys d a n s L ’A s e d ’Or.
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doue de la famille, on en fil donc un prêlre » qui est la m aigre c ontre
partie d ’un fleuve de vertus théologales.
Quel soulagement que L 'A g e d 'O r, quel oasis dans un désert de dizai
nes d ’années de crétinisme cinématographique. L ’extrême banalité de la
forme, l'absence totale de recherche formelle p o u r chaque plan pris sépa
rément, étonnent a u jo u rd ’hui plus que jamais. Un puissant néo-confor
misme. à base de respect suranné des « audaces », pousse ses racines jus-
q u ’aux plus secrets rem ors de nos admirations les plus légitimes. La somp
tueuse banalité de L ’Age d'O r nous remet dans le bon chemin, nous incite à
une révision sévère de nos jugements les plus valables. Nos admirations les
plus justifiées n ’apparaissent plus q u ’étroitement relatives-(Chaplin seul
mis à part) : pour Citizen Kane contre Sfa^eeoadi, etc.
•
13
Las Hurdes est, pour la société contemporaine, comme « la colonie
pénitentiaire » de Kafka, pour la conception contemporaine de la justice,
une description logique et impassible d ’une réalité atroce. Le sadism e
n ’est ni en Bunuel, ni en Kafka — ni même dans la mise en scène d ’une
logique m onstrueuse; l ’h o rre u r est dans la chose décrite elle-même; Iti
logique imperturbable est le révélateur qui rend visible l'im age qui existait
et q u ’on ne savait pas voir. Terre sans pain vaut pour toutes les formes de
vie en société qui reposent sur les mêmes prémisses, les mêmes conventions-
et les mômes mystifications que les communautés des Hurdes. Bunuel
prend soin d ’en donner l ’essentiel « Respecte le bien d ’autrui » écrit au
tableau noir d ’une école de village un misérable pilus hurdano. Ainsi valait
la Colonie pénitentiaire pour toute justice reposant sur l ’idée d ’une m é
chanceté naturelle et personnelle du délinquant.
Bien loin de toute complaisance dans la cruauté, l ’acte de m ontrer une
réalité atroce est pour Bunuel l ’acte le plus efficace. Très visiblement le
réquisitoire implicite dressé p ar Las Hurdes, comme p ar L ’A ge d ’Or ou le
Chien Andalou, est pour lui bien plus fort, bien plus convaincant, de se
présenter sous la forme glacée d ’un constat d ’huissier. C’est là, sans doute,
q u ’il faut chercher l’unité profonde de son œuvre, comme sa plus im por
tante signification. E n fait, en l ’absence de toute thèse plaidce, de tout
recours à un absolu, l ’œuvre enlièz’e de Bunuel ne concerne ni une quel
conque nature hum aine en général, ni une libération abstraite d ’un hom me
en général. Elle s ’applique étroitement à une « situation » précise de
l’histoire, q u ’elle décrit sans aucun recours aux mythes, c’est-à-dire a u x
excuses et aux complaisances qui tendent à préserver les privilèges acquis-
à l ’intérieur de cette situation.
Le caractère « documentaire » de Las Hurdes rend plus claire cette
intention de Bunuel. Il serait faux, je pense, de voir dans ce film une
rupture avec les films précédenls, rupture plus ou moins liée aux déchire
ments internes qui accompagnaient la sénilité du mouvement surréaliste.
L ’œuvre de Bunuel « parle » surréaliste comme Stendhal parle français.
Ce q u ’on ne saurait d ’ailleurs attribuer à un improbable h asard des é v è '
nements — ni considérer réciproquement comme autre chose que le;
résultat de. coordonnées historiques déterminées.
L o s O Jridados.
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à la recherche d e
LUIS BUNUEL
avec J ean G ré m illo n , J ean C astanier
Eli Lotàr, L. Vines e t P ie rre P re v e rf
Enquête de Pierre Kast
17
continuer longtemps — n ’eussent refusé le u r concours. L’idée d’un éton
nant cc H ommage à Bunuel » reste lancée; il est inim aginable de la mener à
bien en une semaine. On sait en tout cas qu’il existe ainsi tin dénominateur
com m un, mises à part les exclusives réciproques qui pourraient être lancées,
entre des hommes que tout paraît séparer aujourd’hui.
De ce projet, on ne trouvera rien dans ce num éro. A u m oins, les Cahiers
o n t-ils. voiilu marquer, comme ils l e pouvaient, quelle position ils p ren a ien t1
dans cette bataille des Olvidados qui ne va pas manquer d ’éclater d’une
m anière où d’une autre. Reste que de B unuel lui-m êm e nous n ’avons rien
dit — que de. lui nous n ’avons pas m êm e une photographie privée et qu’il
n ’y a pas de,'raison de.laisser à des journaux: à fort tirage qui n ’ont pas nos
scrupules, un m onopole de fait. v V" ; '
• : ■ ■. V :/ : ' : • i-
Joseph Conrad fait surgir la personne de ses héros, comme dans la vie
quotidienne, d’une série de récits ou de tém oignages qui se m oquent de la
logique où de la chronologie. On prend aujourd’h u i un verre avec un quelqu’un
dont on saura, dans dix. ans quelque action de jeunesse éclatante ou singulière;
ainsi .Welles nous a-t-il voulu faire connaître le citoyen' K ane. E t c ’est précisé
m ent de Cette manière que j ’ai appris de l ’œuvre, et de la personne de; Bunuel
les quelques toutes petites choses qui en, font l ’objet d’une destinée ciném ato
graphique sans pareille.
C ’est Jean Grémillon qui m ’a donné p o u r Lï prem ière' fois une idée de
l ’apparence extérieure de Luis B unuel. A u m om ent où Bunuel, à Billancourt,
tournait Un chien Andalou, sur le plateau voisin Grém illon terminait les inté
rieurs de Gardiens de Phare. P our une raison tout à fait professionnelle, Gré
m illon, u n soir, passe d ’un plateau, à l ’autre. . On n ’y travaille plus. Une seule,
lam pe encore éclairée et dans le décor com plètem ent désert, Ou Grémillon ne
découvre avec une certaine surprise que deux pianos à queue et deux carcasses ,
d’ânes, il y a un hom m e seul, qui regarde : B unuel. Grémillon et Bunuel se
connurent surtout en Espagne,, entre 1933 et 1938, où Grémillon tournait
La Dolorosa, et ou Bunuel était, je crois, directeur de production. Quelques
épisodes surgissent çà et là, la prem ière présentation à Madrid de Las Hurdes,
Bunuel disant le commentaire . au m icro dé la cabine de projection, et
Grém illon, sur le double plateau de pick-up de la salle, changeant les disques
de Brahms; ce qui m ’étonriait le plus était le visage de B unuel très gai, très
, doux, aussi loin que possible du sadism e prétendu de «es films, et des histoires
colportées çà et là. Mais enfin, im aginer qui est B u n u el était pour m oi tout à
fait hors de portée. ■ . 1
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A u fond, je ne savais rigoureusem ent rien de la m anière em ployée par
Bunuel pour faire ses films, sur le plan strictém ent pratique. Au m om ent de
préparer ce numéro, je pensai que le plus sim ple était d ’en parler à E li Lotar,
opérateur, on le sait de VAffaire [estd a n s le sac, auteur <¥A ubervilliers, et qui
fut opérateur de Las Hurdes.
C ’était la prem ière fois de ma vie que je prenais rendez-vous avec quel
q u ’un, spécialem ent et uniquem ent pour parler dé quelqu’un d’autre. Nous
nous sommes bien amusés.
Lotar m ’attendait avec ùn vieil ami de B un uel, le peintre espagnol L. Vinès.
Je ne change rien à l ’ordre des propos.
A près, y Age d ’Or, B unuel voulait tourner les H auts d e Hurlevertt et avait
déjà écrit une adaptation; très com plète. Pierre Braunberger, au faite de sa
puissance de producteur, refusa le film ,.J ’im agine que lé Braunberger m écène
regrette de n ’avoir fait faire de films ni à B u n u el, n i à Pierre Prévert, au temps
où les problèm es de la production n ’étaient pas ceux qui se posent aujourd’hui.
Bunuel voyageait sans arrêt entre Paris et M adrid. U n jour, il s’asseoit à la
terrasse d’un café avec un de ses am is, A cin, professeur de dessin dans une école
com m unale; passe un vendeur de billets de loterie, cc J ’en veux un », dit Acin;
il n ’a pas assez d’argent. Bunuel lu i avance la suite. « Si tu gagnes, dit-il,
donne-m oi l ’argent pour faire un court m étrage sur Lias Hurdes ».
On pensait com m uném ent des Hurdes q u ’elles n ’existaient pas, oc Esta en las
Battuecas » veut dire « être dans la lim e ». Il y avait bien un livre de Maurice
Legendre pour y faire croire, et Lotar, l ’année précédente devait y aller avec
Yves Allégret; ils aboutirent à Téneriffe, et en prison.
Acin ne pouvait que gagner. A insi, m uni de l ’argent, B unuel revint à Parts
recruter son équipe, E li Lotar, opérateur,, P ierre U nik, assistant, e t
Sanchez Ventura. Lotar cherche à se souvenir d’une date, et s’éloigne un ins
tant, à la recherche d’un livre de bord, journal, cahier et carnet de rendez-
vous. J^e reste seul avec Vinès.
N ous.nous connaissons très p eu. Je l ’ai rencontré quelques fois chez Casta-
nier. Vinès n ’est pas seulem ent peintre. Les guitaristes andalous de Castanier
tien n en t beaucoup à ses conseils. C ’est u n des plus vieux amis de Bunuel. J ’ai
envie de lu i poser à la fois toutes les questions qui m e viennent. Il me raconte,
la mort d’Acin en Aragon, en 1937. dans son .village. I l vivait caché dans un
grenier. Sa fem m e et ses deux filles le ravitaillaient. D eux fois les gardes civils
vinrent à sa recherche. La :troisièm e fois, enfin, ils se décidèrent à battre la
fem m e d’Acin — qui sortit de sa cachette et fut aussitôt fusillé contre le m ur
de sa maison./
Nous restons un instant en silence. L ’Espagne déchire le cœ ur de tout
/h o n n ête liom m e qui veut bien sim plem ent y penser. Mais rien n ’est plus diffi
cile que de parler de l ’Espagne à un Espagnol. 1936-1951, on ne sait plus quoi
dire, com m ent faire pour guérir cette effroyable plaie. Très naturellem ent,
Vinès raconte les années d ’université de B unu el, sa passion pour l ’entom ologie,
pour les sciences naturelles, son am itié avec F ederico Garcia Lorca, le petit
groupe de la résidence des Etudiants à M adrid, l ’arrivée à P a ris, enfin. Lu
trace de Bunuel est difficile à repérer; il sem ble avoir suivi des cours à l ’école
de com édie fondée par E pstein; com m ent il passe d ’un côté de la caméra à
l’autre, pour devenir l ’assistant d ’E pstein pour un, pour deux films. Les im ages
20
:, Los, Olvidados.
21
provisions qui filent trop vite et que Bunuel toujours organisateur, rationne et
m et sous clé, car les villages des Hurdes sont plus pauvres eu ressources que les
plus éloignés des villages du centre Afrique.
Des notes émergent qui font com m e assister à une projection du film : a les
coqs de la Âlberca », « portrait de Carmen » la nièce du m oine gardien de las
Battuecas, .quartier général de l ’expédition, les indications de la durée du
trajet en voiture, ou à pied, un âne portant les bagages, « deux heures, cinq
heures », etc, toute la vie exténuante de l ’explorateur cinéaste — et au détour
d’une page : cc visite à l ’âne pourri ». •
Lotar a refermé son carnet. Le contact avec les gens ? le premier jour, ils
ont demandé à B unuel — viens*tu pour l e bien ou pour le m al ? B unuel,
partout, vient toujours pour le bien. Ils ont eu tout ce qu ’ils ont voulu. E t voici
cette leçon surprenante : entre le tournage des H urdes, en extérieur, dans le
désert, et le tournage en studio, pas de différence pour Bunuel. T out est
reconstitué,, élaboré, joué. Les paysans hurdanos jouent comme des acteurs,
leur propre rôle. \
On avait déjà le témoignage de Flalierty — celui tout récent de Dé Sica.
Que reste-t-il donc du ciném a cc objectif » « documentaire », du ciné-œ il ? de
l ’idée d ’une réalité brute extérieure transrnissible telle quelle ? -
U ne dernière histoire enfin. JTrois plans sont déjà tournés, dans l ’école, èt.
particulièrem ent les atroces et merveilleux: visages des pilus qui apprennent à
lire. Il en faudrait un au tableau noir, dit Bunuel, cl qu’il écrive quelque chose.
B unuel saisit le livre de lecture, sur la prem ière table à sa portée. Il ouvre. Il
n ’a pas besoin d’aller plus loin « Ça ira très bien, dit-il, — et il dicte « R especte
le bien d’autriïi ». On peut aussi parler dù hasard.
Il est fort tard. Nous pourrions continuer pendant des heures. Le premier
voyage . en Am érique, au m êm e m om ent que celui de Prévert, et leur longue
inaction. Le second voyage, avec lé poste de responsable des documentaires à la
R okefeller Foundation — le contrat perdu à la suite d ’une dénonciation de
Monsieur S. D a li — et <ç l ’ouvrage » de ce m êm e Walt Disney du surréalisme, où
il traîne B unuel dans la boue, et le livre à toutes les répressions sociales et
autres. Je sors enfin, ma serviette bourrée des quelques rares photographies que
possède encore Lotar. Y . . .
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ces délicieux « rappels de thèm e », com m e le lait sur les cuisses de là petite ,
Metche et la jarre de lait de 1’ « Histoire de l ’œ il » que Georges B ataille connaît
si bien — un sensationnel coup de pied à l ’optim ism e rassurant du cinéma
bourgeois.
C’est bien un test. Longuem ent, hargneusement, le m êm e soir, un tenant de
l ’optim ism e forcené, gentil, pour tout le reste, tourne et retourne sur son petit
grill m ental et B unu el et son film. Tout y passe, le cc parti pris de sadisme, bien
inutile », la « gratuité de la violence » j ’abrège, car o n pourra lire tout çà bien
à loisir.
Le visage de B unuel n ’est guère pliis net qu’au début de la recherche. Au
fait, était-ce son visage que je souhaitais trouver ? D es gens m êm e, qui eurent
une sorte de courage physique, sont prêts à se transformer en carpette pour la
poursuite de leur carrière, de leur réussite sociale; dans ce bienheureux m étier
du ciném a, les exem ples sont plus frappants et, plus nom breux, voilà tout. Le
risque çourru par B un uel est celui précisém ent que refusent la quasi-totalité
de ses confrères, celu i précisém ent qui fait trem bler, transiger, céder —
tricher, parader, m entir, trahir — com m ent stopper cette énumération ? Sor
tant du V endôm e vendredi matin avec D oniol-Valcroze, je ine suis dit soudain
que m on sens de l ’adm iration s’était atrophié com m e selon Lamârk, le petit
doigt des chevreuils qui ne pose pas par terre. On trouve des films bons, bien
faits, voire excellents. D epuis Verdoux on n ’avait pas senti se produire ce déclic
délicieux, au delà du panégyrique, au delà de l ’em ballem ent plus ou m oins -
aveugle, plus ou m oins m yope. — Ensuite on devient terriblem ent partial.
■ P ..
23
fà-M 'A-:’;.:'-
tr '■■■'■
; sJfc-: :
Cesarc Zavattini;
d ô ^ b è ^ à :. t & t e l i ^ m û n d &
i , v : sujet de film de -,
24
Gec habite une v ille quelque peu brumeuse avec sà fem m e e t son fils Marc:
il a trente ans et il est ouvrier à l ’usine Bot. M. Bot a égalem ent une fem m e et
un enfant. - v •' ' /
Gec est très bon : il croit .que nous serions tous vraim ent bons si nous nous
promenions avec des jouets entre les mains. . : ’Y
« S i on donnait à toul le m onde un cheval-à bascule, dit-il, tout irait
m ieux ». ■/ / ■ ’ .■■■V..-..
1} se peut que Gec ait tort, mais il est sincère et il voudrait vraim ent dire à
M, B ot : « D onnez des jouets en cadeau aux gens, vous verrez que les gens;
s’embrasseront ». : \; - ■■■■ ; : .
Quand on se dispute, Gec intervient .et'donne: un sifflet aux adversaires, en
leur disant : a S iffle z ! V. Eux, ils sifflent : après, ils n ’ont plus envie de conti
nuer à s ’insulter. ■ . /’ '■ . ' ■
Même les dettes ne parviennent pas à chasser sa pensée dom inante. C’est
que Gec est p lein de dettes, il a ses traites à payer, il achète tout à tem péram ent,
-e t quand lés garçons de recettes viennent présenter les traites dans l ’im m euble
populaire où il loge, Gec hé peut pas toujours les payer : alors il m et un
masque, com m e si c ’était Carnaval, sa fem m e et son fils, en font autant, si bien
: que le garçon de recettes se trouve eh présence d ’une fam ille m asquée et les
Gec peuvent rougir en p aix en lu i annonçant qu’ils n ’ont pas d ’argent.
M ais’parlons un peu de M. Bot, C’est un grand fabricant de ballons pour
enfants, et ses ballons sont connus parloûl, Tous les ,jours,- m ille ouvriers souf
flent dans de longs tuyaux pour gonfler d ’innom brables ballons. Parfois, par
erreur, un ouvrier en fait une trop grosse grappe : ses ballons l ’enlèvent,dans les
airs, et T o n n ’entend plus parler de lui. . /
M. Bot a, une m aîtresse qui, pour lu i plaire, rem plit sa maison de statues de
M. Bot : de temps à autre, ils en inaugurent une n ou velle ensem ble.
Madré est aussi M. Bot : dans son usine, il a réservé une salle où ses
ouvriers, quand ils sont vraiment très fatigués, ont tout loisir de s’enfermer
afin de s ’en prendre à M. Bot en, criant qu’il est un voleur, qu’il est un exp lo i
teur; après s’être soulagés de x ette m anière, ils retournent a leu r travail, très
contents, et produisent davantagé, r -
Un jour, M. Bot. a acheté un terrain aux bords de la v ille, dans l ’espoir d’y
trouver des m inéraux précieux; n ’y ayant rien trouyé, il a m enti à ses ouvriers :
à l ’en croire, il avait acheté ce terrain pour que chacun d ’en ire eux y jnil
trouver l ’em placem ent de sa tom be, ils l ’auraient payé petit à p etit, lui-m em e
s’arrangerait pour leur retenir tant par semaine sur léùr salaire. A u lieu de
l ’écharper, ses ouvriers s’étalent contentés de ne p oin t l ’applaudir quand il
avait fait le discours des tom bés, c ’est pourquoi M. B ot allait répétant que ces
misérables se croyaient peut-être immortels.
Une lm “d ’aim ée, il annonce une bonne nou velle à ses subordonnés : au lieu
.de la gratification h ab itu elle, il a décidé de les faire participer aux bénéfices
de sa firme, mais sous forme de ballons; chacun de ses subordonrlés pourra donc
emporter chez lui une vingtaine de ballons.
Au fond, M. Bot aurait été heureux s’il avait eu dix centim ètres de plus. La*
nuit, i l :lui arrivait de se réveiller et de se dire : « A h , si mes pieds pouvaient
toucher le fond du lit ». En fait, il n ’arrivait qu’au m ilieu , c ’est pourquoi il
avait un tout p etit secrétaire, ses employés: n ’étaient pas grands, un jo u r il en
avait m êm e m is à la porte un, racontait-on, qui portait des talons hauts.
L ’épouse de M. B ot était aussi petite, mais elle ne s’en apercevait pas. E lle
était vraiment persuadée que, dé même qu’i l fait pousser le b lé . D ieu l ’avait
fait naître, elle, très riche. Tous les m atins, elle accompagnait son fils à l ’école
afin de Iùi dire : « Si tu fais m al tes devoirs, tu deviendras comrtie celui-là ».
« Celui-là », c’était Marc, le fils de Gec qui vend dans les rués les ballons de la
Maison Bot. Marc est très m al habillé, à la vérité aussi m al que tous les enfants
qui vendent les ballons de M. Bot, ce dernier tient à ce qu’ils soien t mal
habillés pour que son propre fils déteste la misère et suive ainsi les sages conseils
de sa m ère. ■'
Ajoutons, par souci de vérité, que la mère de Marc, à son tour, disait à
Marc, en lu i m ontant le fils de M, Bot : « Si tu fais bien tes devoirs, lu devien
dras com m e celui-là ».
Gec n ’avait pas suffisamment d’argent pour envoyer Marc à l ’é c o l e . U
pensait à ses chevaux à bascule; à ce propos, on aurait m êm e p u l e prendre
pour un sot, mais on aurait eu tort. Il était.un type dans le genre de Mme Bot :
il croyait que, de m êm e qu ’i l fait pousser le blé, D ieu l ’avait fait naître, lu i, tel
qu’il resterait pauvre toute sa vie. ~
Gec avait tenté de voir M. B ot afin de lui parler de son m erveilleux projet :
il n ’avait pas réussi faute de carte de visite. « Il faut avoir sa carte de visite »,
avait dit le secrétaire de M., Bot. Et Gec, à force d ’économ ies, avait pu sa
commander des cartes de visite portant Gec, de la Maison B ot. Il s’en était fallu
de peu qu’on n e ,le m it à la porte, quoiqu’il jurait qu’il appartenait pour do
bon à la Maison B ot, q u ’il y travaillait depuis des années, qu’une fois M. Bot
en personne avait dit à ses ouvriers : « Vous êtes les piliers de ma firme ».
Mais le temps passe, venons-en à l ’histoire de la bagne.
Un m onsieur distingué s’amusait, chaque fois qù’il passait p r è s de Marc, à
faire éclater l ’un de ses ballons avec sa cigarette. V ient N o ël, Gec fait l ’arbre
pour son fils, il y m et quantité d ’ouaté, on aurait vraiment dit de la neige, et
deux ou trois objets de quelques sous, ainsi que sa m ontre. Marc n e voulait rien
de tout cela, il voulait que son père donne un coup de p ied au derrière au
monsieur qui faisait éclater ses ballons, qu’il le lu i donne justem ent en ce beau
jour de N oël, tel aurait été le cadeau de son papa. Gec d it non, Marc se m et à
pleurer, Gec doit le contenter. Ils chem inent ensemblé au m ilie u de la neige
derrière le m onsieur, le suivent un bon bout, Marc continue à encourager son
père : cc Vas-y ! ». Quand arrive le m om ent de lu i donner le coup de p ied , la
neige est si épaisse que c ’est un/autre monsieur qui a son. derrière botté, cet
autre m onsieur crie, arrivent-les agents,.on.l’emmène avec Gec au violon.
A la m aison, l’a mère dit a Marc : « Ça, on peut dire que tu as eu u n e riche
idée ». Mare tient à la m ain une petite bague en étain. trouvée sur son arbre;
elle est enveloppée dans un bout de papier gui dit: «Mets cet anneau au doigt-, tu
obtiendras ce que tu voudras, pou r peu que tu exprimés un v œ u , m ais un seul ».
Vous savez b ien qu’il n ’y a pas de bague m iraculeuse, mais Marc s’écrie :
« Je voudrais que m on papa revienne tout de suite » et, adm irable hasard, la
porte s ’ouvre et Gec entre. Ce n ’est pas tout. Sa fem m e, qui a passé la bague,
dit, histoire de rire : « Maintenant, il nous faudrait un p eu d ’argent », et voilà,
que Gec trouve dans sa poche un portefeuille bourré d’argent.
A ce m om ent, Gec lui-m êm e, sa fem m e et Marc com m encent à croire que la
petite bague a vraim ent la puissance* annoncée par le papier. P e u im porte que
le, m onsieur qui a pris le coup de p ied au derrière vienne réclam er l e porte
feu ille qui est à lu i e t.q u e les agents ont donné à Gec par erreur. Est-ce parce
26
que c ’est N oël, toujours est-il que ce monsieur laisse son argent à Gec, sous
condition que celui-ci ne se fâche pas si parfois il fait éclater les ballons de sou
fils : il a bien peur de lie pas pouvoir s’en empêcher.
I l n ’en faut guère plus pour faire germer des illusions dans l ’âme de la
fam ille Gec, c ’est pourquoi ils cachent la bague, Gec veut, réfléchir à loisir au
vœu q u ’il entend exprimer, il ne veut pas en former un à la hâte et avoir à le
regretter après, comme cela arrive. Ils ne se sont nullem ent aperçus que leurs
voisins, lés Stoc, des mendiants, ont découvert par le trou de la serrure et soiit
à leur tour convaincus que la bague a des propriétés divines.
D ’ailleurs, quand les Stoc voient la fam ille Gec h abillée de neuf et payant
ses traites, ils en concluent que le m érite en revient à la bague et décident de îa
voler. P ar bonheur, là bague est au doigt de Mare, il a tenu à la porter. Mais ,
son doigt s’est enflé : pour voler la bague, il faudrait voler Marc tout entier.
Dans l ’im m euble populaire, il n ’est question que de la bague de Gec; on
comprend que tous ces m iséreux font alliance. Les Stoc, qui ont tout révélé, sc
font prom ettre que personne, par le truchement de la bague, ne demandera plus
qu’eux-m êm es. S ’ils demandent un m illion, il faudra que les autres demandent
un peu m oins d ’un m illion, pas davantage.
L ’écho de ces grands événements arrive ju squ ’aux oreilles de M . Bot. H en
parle avec sa fem m e et dit qu’il ne croit pas aux m iracles, mais tout est possible
par les temps qui courrent. Il pense \aussitôt que, s’il pouvait passer la bague .Y
son doigt, il demanderait d’avoir dix centimètres de plus, après, il ne lui m an
querait absolum ent plus rien pour être l ’hom m e le plus heureux du monde.
N e vous étonnez donc pas s’il convoque un sicaire et lui dit à l ’oreille ;
« En] ève l ’enfant de Gec ».
Nous avons oublié de vous dire que le fils dé Gec 1vient juste d ’être
congédié de la Maison Bot parce q u ’il s’habille désormais convenablem ent :
Mme Bot ne peut plus dire à son fils que s’il fait mal ses devoirs, il finira comme
Marc, le fils de Bot. Encore une chose qu’on a oublié de m entionner, le fils de
B ot, non seulem ent fait mal ses "devoirs, mais encore fait l ’école buissonnière,
histoire de traîner avec les fils des gueux qui dem andent l ’aum ône. Demander
l ’aumône l ’enchante à tel point qu’i l le fait m êm e quand il se prom ène avec sa
m ère; celle-ci, le regard toujours droit devant elle à l ’instar d ’un général, ne
s’aperçoit guère que son fils tend la main- aux passants.
Le sicaire de M. B ot se rend donc au parc où Marc est en train de jouer et
guette l ’occasioiv d’opérer l ’enlèvem ent. M. B ot observe la scène de lo in , mais
les Stoc et les pauvres de l ’im m euble en font autant. Soudain, le sicaire, que
M. Bot a choisi exceptionnellem ent grand et gros, s ’approche de Marc et fait
des cabrioles afin de faire .amitié avec lui. Son père, notre héros Gec, se trouve
à proxim ité, mais savez-vous par quoi il est distrait, savez-vous qui lui fait
oublier Marc et la bague en danger ? La maîtresse de M. Bot. Un jo u r, il l ’a
rencontrée et depuis ce jour, il n ’a pû l ’oublier com plètem ent, les jolies
fem m es plaisent même aux pauvres. E lle est là, sur le bord du petit lac et joue
avec les cygnes : Gec s’approche d’elle, il voudrait lu i dire : <c Bonjout-
madame — d’autant plus qu’il a des chaussures neuves.
Sur ces entrefaits, le sicaire parvient à faire grimper Marc sur son dos, Marc
lu i donne des tas de coups sur la tête, le sicaire endure tout en feignant d’etrè
sa m onture. Tout en caracolant, il s’éloigne adroitement, portant toujours Marc
sur ses épaules : dès qu’il a franchi les grilles du jardin, il part en galopant
vers l ’usine Bot. '
27
Mais les Stoc ont tout vu : ils alertent Gec qui est en train de faire sa cour à
la maîtresse de M, Bot, et tout le inonde part à fond de train sur les. traces du
sicaire;/ . - • -r • V-, ' ■ /-O - "■ 's-
M. B ot, qui a une voiture, arrive à l ’usine avant tout le m onde ; il attend
anxieusement lé' sicaire. U ÿ a aussi Mme, Bot qui, en excellente épouse, q u ’elle
est, Veut aider son mari. D é fait, lorsque le sicaire arrive avec Marc, qui a le
doigt enflé, com m e nous l ’avons dit, ils font preuve de la plus grande délica
tesse pour lui retirer la bague sans lu i faire du m al, et ils .repoussent avec
énergie le conseil du sicaire, qui, pour aller vite, voudrait couper le doigt de.
Marc. Mare pleurniche car il est quelque, peu effrayé par ce qui lu i arrive;
alors M . B ot feint d’être un chat ,afin de lu i arracher un sourire. Mine 13ot
trempe la petite m ain de Marc dans dé l ’eau chaude et c ’est ainsi q u ’elle par
vient à lui retirer la bague taut souhaitée. p J l' ; /
E lle en a eu juste le tem ps, on entend déjà les cris de Gec, des Stoc, de la
foule. M. Bot a un sourire de triom phe, il enfile la bague et crie, com m e un coq
coqueriqüe :: « Je veux grandir 'de dix centimètres ». La bagué passe ensuite à
son épouse, laquelle crie à son tour quelque chose que nous entendons m al,
mais il semble bien que son vœ u concerne ses seins. Ea bague continue a circu
ler, tout le m onde •a un vœ u à exprim er, des Vœux■; dé. toutes sortes, assez
inattendus, t e l celui du secrétaire de M. B ot qui hurle : « J e veux que M. B ot
meure ». T1 y a m êm e un quidam qui se met à bégayer et ne parvient pas à
exprim er son Voeu, il prononce : « Tatatatata », e t ,0 ’est tout. Mais que fait notre
Gec, vous demandez-vous. Lui aussi voudrait passer, la bague et former son
vœu : il en a le droit. Mais il ne lu i est guère aisé de remettre la. m ain sur la
bague que sé disputent ces énergnm ènes qui se calottent et se bottent les fesses'.
Quand ili y parvient, au m om ent m êm e où il va dire : « Je. veux... », et D ieu
sait ce qu’il voudrait, 011 entend un cri de terreur. Ce casse-cou de fils B ot, qui
s’amuse comme un petit fou au m ilieu dé ce tohu-bohu, est âllé .se nicher parm i
les-engrenages d’uhe énorm e m ach in é en marche, et dans un m om ent va être,
broyé. Alors, comme dans les contes de fées, au lieu de crier « Je. veux ceci )■>
.. ou « Je:veux cela », Gec crie, «. Je veux que le fils de Mi Bot soit sauvé ». - ; ,
L’énorme m achine s’arrête, com m e par miracle,' et voilà le fils de M. B o t
sauvé. Tout lé m ondé fait « Oh ! ,». M. Bot aussi, à tel point ému qu ’il em brasse
Gec et le nom m é sur le champ son associé. Mais les Stoc et les autres arrivent,'
déçus que la bague n ’ait p a s.fa it de miracle, pas le moindre, et ils s’en pren
nent à Gec. Force est à M. B ol de constater .avec douleur qtie lui-m êm e n ’a pas
grandi d’un seul centim ètre et, com m e il se jauge et: mesure, apparaît un m éea-
. nieien qui annonce q u ’il n ’y a pas de miracle qui tienne, la m achine, c ’est lu i
qui l ’a arrêtée quand il a vu surgir toute cette foule hurlante. Alors M. B ot dit
à Geci qu’il aille au diable avec sa bagué, il le.congédie de son usine, il se peut
m êm e qti’i l lu i assène un coup dé pied au derrière.; ' . ,
v \ C /- ; '■ C f.SARK Z a VATTINI _ :s
28
M ir a c l e à M il a n.
1. — QUELQUES N O TES P R E L IM IN A IR E S
N e soyons pas réalistes, dit le Kritiklidbar, à ses ouailles les artistes. Soyons
réalistes, dit le patron à ses ouvriers, leur refusant l ’augmentation qu’ils
demandent. Ils ne parlent pas (j’espère) de la m êm e chose.
*
Nous allons nous payer une belle tranche de vie, dit le bouclier se préparant
à tuer son bœ uf. ^
Il n ’y a pas de réalisme tout court. Mais des réalismes.
*
Des diverses façons de peindre un oignon, la plus efficace m et les larmes
aux yeux. *
Il est m oral que le même m ot, de naturalistes, s’applique à certains écri
vains, et à ceux qui piquent les papillons sur des bouchons, trem pent les
viscères dans le form ol. ^
La bourgeoisie occidentale aime les chansons réalistes (c’est-à-dire canailles)
et déteste les œuvres réalistes, quand la réalité y est celle des bons sentiments.
29
La réalité, ce n ’est pas seulem ent ce qui se touche. Les idées générales sont
(aussi) une réalité.
Les faux-semblants de la ressemblance.
. ★
Le vrai réalisme est d ’abord un état d’âme, qu’on nom m e aussi l ’honncteté.
•k
Etre réaliste, ce n ’est pas s’adonner à la m anie de la décalcomanie.
*
Le Swift de G ulliver, le D ickens de La P e tite D orritt sont profondém ent
réalistes. '
Le réalisme n ’est pas l ’art d ’être un em pailleur ventriloque.
*
Le réalisme n ’est pas une absence d ’auteur, mais une présence d’esprit.
★
L ’irréalisme m éthodique rejoint souvent l ’état d’esprit de ceux qui se tont
occupés de politique, et se sont trompés. Personne n ’est plus opposé à la p o li
tique en soi que ceux qui se sont mis an service d’une mauvaise politique.
Jouhandëau, Cbardonrie, etc, blâm ent gravement les écrivains pour qui la
politique est utie réalité. Pas d ’esprit plus purs que ces anges, qui font m a in
tenant la bête après l ’avoir servie.
Si l ’objectif parlait, il dirait à l ’opérateur : surtout, ne soyons pas objectifs.
*
Les gros souliers du Réaliste écrasent les pieds nus de la réalité.
*
Je suis un hom m e, pense l ’adolesccnt qui sort du bordel. Je suis réaliste,
pense le cinéaste qui y entre. ^
À l ’état brut, la réalité est in v isib le.
*
2. — F R A G M E N T D ’VlY E N T R E T IE N A V E C CESARE Z A V A T T IN I
J ’ai la plus importante collection de peinture du m onde, dit Zavattini en
riant. Plus de sept cent toiles, de tous les grands maîtres contem porains.
C’est vrai. Zavattini a plus de sept cent toiles. Elles couvrent les murs de
son cabinet de travail, les murs du couloir, les murs de la salle à manger. 11 y
a un panneau d *autoportraits. Un panneau de portraits de Zavattini par tous
ses amis peintres.
Le plus grand de ces tableaux a 10 centimètres sur 12.
Le bureau de Zavattini sent l ’huile de lin , la peinture, la térébenthine. U n
chevalet dans un coin, une palette, une toile en train.
Zavattini m e fera porter demain par un de ses gosses son portrait par lui-
m êm e. Très ressemblant. La gentillesse (la vraie, celle qui parfume tout, com m e
la m enthe sauvage écrasée dans la paume de la m a in ), la gentillesse, la ite
peinture et visage. Zavattini, c ’est T o to il Buono parvenu à la cinquantaine
(Toto il Buono est le livre dont il a tiré M iracle à M ilan). Il s’est fait tant de
cheveux à force de vivre dans un m onde où buon giorno ne veut pas vraim ent
dire bonne jou rn ée, qu’il a perdu ses cheveux.
30
Extraordinaire politesse de Zavattini. Cette politesse de ceux en qui on ne
distingue plus la courtoisie cultivée de la bonté naturelle.
4. — P A R E N T H E S E SUR LE C A R A C T E R E « R E V E L A T E U R »
D E « T O T O IL BU O N O »
Le photographe et documentariste italien Gillo Pontecorvo déjeunait dans
le centre de Rom e (près des P a rio li, un quartier très beau-quartier) avec
l ’interprète de M iracle à Milan, Brunella Bovo.
— « Tout de m êm e, dit Brunella à G illo, un décor comme celui de Miracle
à M ilan, avec les baraques des copains de T oto, c ’est de la pure fantaisie. C’est
aussi fantastique que la colom be m agique, que les balais volants et que les
miracles... ».
— « Est-ce que tu as un quart d ’heure après le déjeuner ? » demande G illo.
À dix minutes du très bon, confortable, rassurant restaurant, Gillo P onte
corvo a conduit Brunella Bovo dans le cœ ur m êm e de Rom e. Entre les grandes
maisons neuves et ensoleillées s’étendait un décor très reconnaissable : ces
baraques de bois, de tôle rouillée, de carton goudronné, ces misérables entassés
31
à six ou h u it dans des cabanes à lapin grandeur d’hom m es, ces colombes (même
les colom b es). Brunella avait reconnu le décor q u ’elle avait cru imaginaire. Le
décqr de T oto il Buono. Le décor de Miracle à M ilan. E t quand Gillo Pontecorvo
a photographié Brunella devant une des cahutes de ce te village abyssin », tenant
une colom be à.la main, personne n ’a voulu croire d’abord qu’il s’agissait d’un
reportage, et non pas d’un photogram m e du F ilm , (photo page 33).
★
J ’ai révisité M ilan après la sortie de M iracle à Milan. Les confrères italiens
nous disent :
— « Veux-tu qu’on t ’emmène voir le vrai m odèle de Miracle à M ilan, le
« villaggio D el Cagnaro », le « villaggio dei barboni ? ».
La m unicipalité démochrétienne de M ilan est en train de prendre des
mesures pour supprimer les a villages nègres » de la banlieue milanaise.
Mais T o to i l Buono est un conte de fées. L ’intérêt des contes de fées, c’est
quand ils sont aussi comptes de faits.
5. — TO T O IL BU O N O (suite)
Toto le bon avait été trouvé dans un chou de son jardinet par une vieille
dame très bonne nom m ée Madame Lolotta. Dès qu’il sut écrire, Toto aidait
M adame Lolotta à envoyer des lettres anonymes : « Ils en envoyèrent une aux
époux Tarvis, par exem ple, dans laquelle ils les inform aient q u ’on avait entendu
dans la rue le garçon laitier dire du bien des ép o u x T arvis ». Quand Madame L o
lotta m ourut, Toto, en suivant le corbillard découvrit avec ém erveillem ent la
grande ville où il n ’était jamais allé. Comme il était tout seul à suivre le
corbillard et qu’il avait de toutes petites jam bes, il le perdit.
A dix huit ans, sorti de l ’orphelinat, Toto com m ença à avoir des ennuis. Il
dem andait aux passants qu’il croisait : « Come State ? ». Les passants s’arrê
taient, puis se m ettaient en colère. « C o m m en t je vais ? Mais nous ne nous
connaissons pas ». Toto répondait : « Non, m ais je voulais savoir com m ent vous
a lliez ». Les gardiens de la paix accusaient Toto de la troubler. Quand il avait
très soif et buvait à une fontaine publique, il am eutait tout le m onde en criant :
« E vv iva Vacqua ! V ive Veau ! ».
Devenu le chef d’une petite communauté de pauvres diables qui vit dans
des baraquements, sur la «: zone » de la grande v ille , Toto démontre de grandes
vertus d’administrateur. Ayant remarqué que les enfants traînent dans les rues
du village de cabanes, il donne atix rues des nom s utiles : R u e 7 fois 8 font. 56,
R u e 9 fois 9 font 81.
Il existe dans la v ille près de laquelle habite T oto, un grand hom m e d’affai
res très riche et très méchant nommé M obic. M obic a augmenté considérable
m ent la productivité de ses usines en adjoignant à chaque atelier une « Chambre
M obic » insonore, où les ouvriers sont autorisés à aller périodiquem ent crier
« ‘M obic est un salaud. Mobic est un voleur ». Ils revenaient d e la chambre
M obic gais et soulagés, prêts à se rem ettre au travail avec plus d ’ardeur. Mobic
a acheté pour son personnel une colline fleurie qui leu r offrira après leur mort
le décor idéal d’un cim etière champêtre. Chacun de ses ouvriers a une conces
sion perpétuelle retenue dans ce cim etière, pour le paiem ent de laquelle on leur
retient sur leur feu ille de paye hebdom adaire une p etite som m e. Les ouvriers
ne sont pas très contents de cette initiative : « Canailles, dit M obic, vous croyez
p eu t-être que vous ne mourrez pas ? ».
32
A K'auclie r B ru n cil a Bovo p h o to g ra p h ié e p a r Gillo P ontecorvo d a n s la a zone * d e R om e; à d roite
une im a g e de Miracle à Miï an (voir paffe 3a).
Les amis de Toto vivent de peu. L ’un d ’eux est spécialiste de l ’agression à
main armée. H tourne le canon de son revolver contre sa tem pe et dit : « Ta
bourse ou MA v ie ». Un autre personnage du livre a inventé une autom obile
verticale, où l ’on conduit d ’une m ain en se tenant à une poignée de cuir, com m e
dans les autobus « afin que la vue de gens c o m m odém en t assis ne suscita pas
chez les spectateurs des pensées de haine et de jalou sie ». Quant à T oto, il a
m onté une petite et modeste entreprise d ’éloges. P our 10 lires de l ’heure, on
peut avoir à son service un laudateur particulier qui répète toutes les
m inutes : <c Vous êtes une âme noble e t lumineuse ».
T out se gâte lorsqu’un gisement de pétrole est découvert sur le terrain vague
où Toto a installé ses compagnons. Il y a un traitre parm i eux, le vilain Rap,
qui rêve depuis longtem ps d’avoir un chapeau haut de forme. E n échange de
cette coiffure tant désirée, Rap révèle à Mobic l ’existence du champ pétroli
fère. Mobic achète le terrain et décide d ’en chasser les « baracchesi ». La police
et les gardes m obiles succèdent aux huissiers. Mais du ciel, Madame Lolotta
v eille sur Toto. Un songe le transporte pendant un des intervalles du combat.
S ’il ajoute, avant d’énoncer un vœ u, le m o t Tac, Toto pourra réaliser tout ce
qu’il souhaite — et tous les vœ ux de ses amis. « Tac, j e veux que tout le m onde
soit coiffé d*un haut de form e ». dit Toto : et tous ses compagnons ont la coif
fure de Rap. Les gardes mobiles qui se préparent à matraquer les m iséreux sont
frappés de paralysie. Les cc avanti ! » que jette leur colonel se transforment en
grands airs d ’opéra. Toto, qui n ’avait jusque là com pté que sur ses faibles res
sources, qui galvanisait ses troupes en s’accrochant au dos un poisson de papier
(sachant, dit Zavattini, que lorsq u ’on v o it qu elq u ’un avec un poisson de p apier
suspendu dans le dos, on ne p e u t pas s ’em p êch er de rire » ), Toto devient tout
puissant...
F aut-il dire en davantage pour faire com prendre que T oto il Buono est un
livre ravissant ? L ’humour de Zavattini est extrêm em ent personnel. On pense
parfois à Marcel Aym é (avec m oins de sécheresse de c œ u r ), à Super-vielle (avec
une gratuité m oins dolente que celle où parfois tom be l ’auteur de VArche d e
N o é ) . Mais si on tient à des références, celles qui cernent le m ieux la singu
larité de l ’a it zavattinien sont extra-littéraires. C ’est aux cartoons de certains
hum oristes américains que fait le plus songer T oto il Buono : à l ’auteur de
33
ce com ic-strip pour vrais adultes, B arnaby, au Steinberg de T h e A rt of L iv in g ,
à Cobean et à Soglow. T oto il Buono au lecteur ravi apparaît d’abord com m e
le scénario idéal d’un im possible dessin animé.
6. — LES M IRACLES N ’O N T P A S LIEU Q U ’UNE FOIS
Au lendem ain du V oleur de bicyclettes, il y a d ’une part l ’écrivain Cesare
Zavattini, de l ’autre l ’équipe Zavattini - D e Sica. I l y a ce conte de fées qui
s’appelle T oto il B uono. Et il y a ces deux hom m es de cinéma qui sentent qu’un
excès de complaisance dans le réalism e-descriptif peut les conduire à une im
passe, les coincer dans un cul de sac.
Car, pour dépasser Le Voleur de bicyclettes, il faudrait prendre le taureau
de la réalité par ses cornes sociales. L ’Italie où se passent les films de Zavattini
est l ’Italie de 1950, l ’Italie du chôm age et de l ’économie de guerre, l ’Italie
em bringuée dans le Pacte A tlantique et déglinguée par le P lan M arshall,
l ’Italie des trusts, et aussi celle du plus nom breux Parti Communiste d ’Euvope
occidentale. Pour aller plus avant dans la réalité quotidienne de l ’Italie, il
faudrait montrer ce qui déterm ine et engendre la misère et la gentillesse, la
pauvreté et la colère du peuple italien.
Ou bien il faudrait suivre le conseil, que je ne crois pas excellent, donné par
P ierre Kast ici m ê m e (1) : puisqu’on ne peut rien dire d 'essentiel au ciném a, à
cause de la censure, des producteurs, du système lui-m êm e, m ieux vaut ne pas
gâcher les vrais grands sujets et préférer s’attaquer aux sujets sans im portance
(Est-ce que je trahis la pensée de P ierre Kast ? ). P uisqu ’on ne peut pas faire le
vrai, total, cruel film sur Hearst, puisque C itizen Kane est un échec com m er
cial, contentons-nous de La Dame de Shangnï.
De Sica et Zavattini ont préféré se satisfaire de Miracle à Milan.
*
Et il est certain que T o to il Buono est devenu Miracle à M ilan dans la m e
sure m êm e où ce que Zavattini et D e Sica avaient h dire, ils ne pouvaient le dire
que par la bande. Mais il est sûr aussi que cette nécessité, après tout anecdoti-
que (un jour il n ’y aura plus de censure, et plus de producteurs-
producteui's, etc.) rejoint une nécessité esthétique. Celle à laquelle, depuis les
origines de la création littéraire et dramatique répond, de l ’A ristophane des
Oiseaux au Swift de G ulliver, le genre allégorique.
7. — VUES SU R L ’A LLE G O R IE
L ’allégorie n ’est pas seulem ent l ’art de ne pas se faire com prendre des
em pêcheurs de penser tout haut, mais aussi l ’art de m ieux faire voir la vérité
à tous.
Il est curieux de remarquer, quant au prem ier point, ce qui s’est passé avec
M iracle à Milan. Si l ’usage qui y est fait de l ’allégorie a pû en perm ettre la
sortie, aussitôt après celle-ci, il a permis aux adversaires de la m orale du film
d’y voir beaucoup plus que les auteurs n ’avaient pensé y mettre. A insi, les
porte-parole du Vatican ont condam né M iracle à Milan pour m atérialism e,
parce qu’on y voit les enfants naître dans les choux. Lorsque les amis de T oto
s ’envolent à califourchon sur les balais des nettoyeurs m unicipaux, au-dessus
de la cathédrale de M ilan, en direction (disent le roman et le com m entaire du
film) a: d ’un règno d o v e d ir e buon giorno vuol d ire veram ente buon giorno >>,
(i) Conseil p a ra doxal et Que ne su it (heureusem ent) p a s P ie rre K ast lui m êm e. P u isq u e je viens d e
voir so n d e rn ie r film, u n Goya, q u i s ig n ifie p ré c isé m e n t quelq u e chose d'essentiel, q u i s ig n ifie ce q u e
G oya pe n sa it de la guerre, d e ses désastres, etc.
34
« d'un pays où bonjour voudra vraiment, d ire bon jo u r », les critiques de droite
ont pris un plan de Milan, l ’ont orienté, et ont remarqué gravement que les
chevaucheurs de balais s’éloignaient dans la direction de l ’Est — c ’est-à-dire de
l ’Union Soviétique. A insi, Zavattini et D e Sica, qui ne sont ni m atérialistes, ni
communistes, se sont découverts l ’être dans la presse réactionnaire italienne.
N on, je n e crois pas que les seules circonstances politico-économ iques aient
imposé aux auteurs de M iracle à M ilan l ’usage de l ’allégorie. Pas plus que la
seule occupation allem ande n ’explique qu’Aragon ait écrit son plus beau
poèm e, qui est l ’adm irable Broceliande, en utilisant dans un dessein allégori
que les vieux m ythes de la T able R onde. Pas plus que, dans La P e tite D o rritt
de Dickens, l ’invention des M ollusques et de leur aristocratie allégorique n ’a
été im posée à l ’écrivain par la crainte des critiques tories et du gouvernement.
L ’allégorie est un bon m oyen de ne pas être entendu par les demi-sourds. Mais
c ’est aussi, mais c ’est peut-être surtout, un bon m oyen de faire l ’ouïe plus fine
à ceux qui entendent norm alem ent-
L ’allégorie, procédé qui consiste à décrire une chose en ayant l ’air d ’en
décrire une autre, est d ’abord une technique de la com plicité im posée au
lecteur ou au spectateur. Toute œuvre d ’art valable requiert, pour être vrai
ment pénétrée, un effort de la part de celui qui en veut jouir. Mais dans l ’œuvre
allégorique, cet effort est posé com m e condition prem ière. On demande au spec
tateur de M iracle à Milan non pas seulem ent d’être le miroir passif d ’images se
succédant, non pas de se laisser doucem ent engluer au piège des apparences,
mais de collaborer avec les auteur. I l y a dans le néo-réalism e, dans le réalism e
tout court, une tentation de paresse qui n ’est pas seulem ent celle dont est
séduit l ’auîeur, mais celle dont est insidieusem ent bercé le spectateur. Miracle
à Milan (com m e, sur un plan plus m odeste, Passeport pour P im lic o ) est un
film qui brise avec cette façon de ronronner dans et devant l ’écran où le réa
lism e dit pur risquait de nous faire tomber. Au spectateur du Voleur de
B icyclettes on dem andait d ’entrer dans la rue, au restaurant, au foyer. Au
spectateur de Miracle à Milan, on demande d’entrer dans le jeu.
35
. E t le jeu consiste à non seulem ent décrire les im ages com m e elles apparais
sent, mais à n o m m er les choses comme elles sont. Le jeu, c ’est de faire jaillir
le plus de réalité possible par le contraste avec le moûts de vraisemblance. Il
n ’est pas vraisem blable q u ’une colom be m agique donne de tels pouvoirs à Toto,
il n ’est pas vraisem blable que les pauvres gens de M ilan s’envolent sur des m an
ches à balai, il n ’est pas vraisemblable que les hom m es d ’affaires parlent comme
des personnages de Grandville, et que leurs discussions de conseil d ’administra
tion se transforment à nos oreilles en aboiem ents de chiens et hurlements de
loups. Mais par contraste et contre-coup, il est très exact que les pauvres soient
chassés par les riches, que les trusts s’inquiètent peu du bonheur de ceux qu’ils
exploitent, que les Mobic (qui dans le film est devenu M oppi) sont dans la réalité
assez sem blables à celui que décrit Zavattini au chapitre 3 de son roman et dans
le cours de son film. II n ’est pas vraisemblable que les flics soient frappés de
paralysie, la matraque en l ’air, et chantent contre leur gré des airs d’opéra.
Mais l ’Italie entière a reconnu dans M iracle à M ilan les assommeurs merce-
.naires de la <c célère », la manganella au poignet, débarquant, luisant de cuirs
bien vernis, de leurs je e p s m aintien de l ’ordre. L ’usage de l ’allégorie dans un
décor contem porain n ’est pas une façon de dire plus facilem ent des choses
difficiles à dire. C’est, au contraire, jouer la difficulté, parce que l ’esprit
quêteur, l ’esprit critique du spectateur sera tenu constam m ent en éveil et en
alerte. L ’allégorie ne se présente pas ici avec les airs fallacieux de bonne grosse
fille que sait prendre la fam euse tranche-de-vie naturalisée en tranches. L ’allé
gorie exige du spectateur qu’il dém êle constamment les fils savamment em m ê
lés de la fiction et de la vérité. L ’allégorie est un révélateur.
8. — U A LL E G O R IE ET L E SA N G CH AU D
Il y a deux conditions essentielles qui font de l ’allégorie un genre valable.
La prem ière est que la vérité en soit l ’objet. La vérité, et non pas les jeux arbi
traires de l ’im agination, la galerie des glaces des caprices intérieurs, le vain
dédale des vaines fuites. Quand Jean de Meung écrit le second Rom an d e ta
Rose, ou Bunyan le P ilg rim ’s Progress, quand Swift écrit les G ulliver’s Travels
ou Zavattini T oto il Buono, ils n ’ont pas l ’intention de s’évader de la réalité,
mais de la m ieux embrasser. S’ils se déguisent et se contraignent, c ’est comme
le Loup du P etit Chaperon Rouge : c’est pour m ieux te manger, mon entant-
réalité. Et la seconde, c ’est que l ’allégorie ne soit pas un monstre au sang froid
et au m écanism e purem ent intellectuel. C’est la sauvage indignation,- la soeva
indignatio de Swift, c ’est la révolte de Jean de M eung, la foi de Bunyan, la
bonté de Zavattini qui donnent à ces livres si différents une m êm e vivante et
concrète chaleur. Cette chaleur que De Sica, m etteur en scène, a su partager
avec Zavattini, auteur.
E t il y a peut-être, des défauts, dans M iracle à M ilan. Il m e semble que, dans
le roman com m e dans le film, Zavattini n ’a pas su très b ien comment conclure.
C ’est probablem ent parce q u ’il est comme ça dans la vie. Là aussi il ne sait pas
très bien com m ent conclure. Mais j ’écris ceci plusieurs mois après avoir vu
pour la prem ière fois M iracle à M ilan, et la plupart des grands moments du
:film m e restent dans le regard avec une vivacité, une fraîcheur émerveillantes.
M iracle à M ilan est une m achinerie élaborée avec infinim ent de soins et de
calculs. Mais aussi d ’amour. La scène où Toto joue avec une petite fille engour
die de froid pour la contraindre à se réchauffer est, sur ce p lan, l ’égale de tant
de scènes inoubliables de Chaplin, un des som m ets de notre ciném athèque
36
sentim entale. Et c ’est peut-être ce qui fait de M iracle à Milan une œuvre qui
m e sem ble, en un sens, plus profondém ent satisfaisante eu tant que film que
T o to il Buotio en tant que roman. N on qu’on puisse m ésestim er le livre, qui est
de prem ier ordre. Mais tout au long du récit littéraire, court je ne sais quelle
charmante réticence du conteur, je ne sais quel indéfinissable air-de-ne-pas-y-
toucher qui est totalem ent absent des m eilleures parties du film.
Il n ’y a pas de m eilleur exem ple du progrès ainsi réalisé par Zavattini en
confiant à De Sica une version ciném atographique de son roman, que le lieu de
l ’action. Dans T oto il Buono, c ’est une ville de conte philosophique, Bamba.
Dans M iracle à Mildn, c ’est une vraie, vivante, bruissante v ille, c’est Milan. Je
n ’ai que l ’air de me contre-dire. Car c ’est précisém ent ce plus-de-réalité qui
donne au plus-de-fantaisie du film sa valeur spécifique. U ne allégorie est ém ou
vante et significative dans la m esure, précisém ent, où le fictif s’y compare au
réel. Si les balais s’envolent au R oyaum e de Cocagne, c ’est une fable. Si les
balais s’envolent à Milan, c ’est une façon d’en apprendre un peu plus sur
M ilan, sur les Milanais, sur les hom m es. Ce qui nous intéresse désormais, ce
n ’est plus tellem ent de savoir ce que d it et fait le Chat B otté au pays de Melu-
sine et de Viviane. C’est de voir ce qu’il advient du Chat B otté quand il débar
que à New York ou â Paris. Ce qui fait le prix d ’une allégorie se mesure par
l ’équation : quotidien x insolite
vérité
N i la réalité toute nue (elle a froid ), ni l ’allégorie toute pure (elle a faim ). Mais
M iracle à Milan (par ex em p le), assez bon exem ple d ’un des avatars du réalisme,
et de ce q u ’on pourrait nommer le réalism e irréaliste.
C la u d e R o y
37
V itto rio de Sien : Wiracle « MUtin (fa séqu en ce d u <t rayon c!e soleil »).
38
39
LETTRE DE ROME
par
NINO FRANK
Les Champs-Elysées, avec leurs palaces et leurs cafés, pris com m e le m ilieu
de la vie ciném atographique à Paris, on peut dire que leur hom ologue à R om e,
c ’est la Via V eneto, au seuil du P incio, avec ses pâtisseries à gandins monocles
et ses hôtels à a mondaines ». Haut hinterlaticl des quartiers du centre, la rue
se prolonge jusqu’à la place Barberini et à ses bureaux de producteurs, et, plus
calm e et petite que les Champs-Elysées, elle paraît receler une activité d’autant
plus intense. Il ne faut pas oublier la proxim ité de l ’Àm bassade des Etats-Unis,
qui y fait figure de souverain tém oin... E n bordure de là V illa Borghese et
ju squ ’au quartier snob des Parioli, les bureaux et demeures des cinéastes, alors
que les distributeurs semblent s’être groupés ailleurs, dans quelques rues avoi-
sinant la m erveilleuse nouvelle Gare Ter m ini, prochaine vedette d’un film.
La topographie de l ’endroit ainsi délim itée, (et R om e surclasse définitive
m ent M ilan, où toutefois le cinéma s’agite, et bien entendu Turin, V enise et
N ap les, dont les studios travaillent au ra len ti), voici les quelques faits que note
sur son calepin le voyageur de passage, en ce m ois de décembre encore beau
m algré ses tornades :
1° pour des difficultés qui sont sensiblem ent les m êm es qu ’en France, —
quasi im possibilité d’amortir dans le pays m êm e le coût des films, avances et
non subventions de l ’Etat, salaires scandaleusem ent élevés des vedettes, m ais,
en revanche, frais généraux et salaires ouvriers m oins élevés qu’ici, tournage
très fréquent en extérieurs, concurrence nom breuse des films américains, leurs
bénéfices restant il est vrai bloqués en Italie, — un esprit d ’entreprise in fati
gable, une euphorie à la Babbit, des im broglios de capitaux qui aboutissent
pourtant à un travail constant, bref, exactem ent l ’opposé de chez nous. B ien
sûr, à tout cela il faut ajouter la perspective que, sur plus de cent films tournés
depuis un an, les quatre cinquièmes seront probablem ent déficitaires; mais
l ’Italie, habituée au régim e d ’inflation, tient les déficits pour des accidents
fatals et somme toute provisoires;
2° la prem ière grosse affaire hom osexuelle dans les m ilie u x du cinéma : fin
octobre, le com édien Renda, vedette d’un film récent sur G iuliano, où il tenait
le rôle m êm e du fam eux bandit, est assassiné à son retour du studio par son
compagnon d ’appartement. C’est une nouveauté dans un pays où la pédérastie
n ’était pas encore devenue un élém ent de la vie sociale, et probablem ent l ’u n
des signes que l ’Europe s’étend de plus en plus vers le sud, et que le cinéma
se continentalise;
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3° le succès va, pour le m om ent, à une série de nouveaux com iques, qui
reprennent le style de Toto, — plaisanteries locales et ensem bles de filles m er
veilleuses, — mais avec m oins de génie et sans sa très princière mâchoire :
Carlo Croccolo, Rascel, Nino Taranto, W aller Chiari, voilà les idoles actuelles
des foules italiennes, idoles tout à fait inexportables car leur succès est basé
sur des « scies » q u ’ils répèteut à longueur de bande, et une cocasserie rigoureu
sem ent m écanique (on prétend que Croccolo, leur num éro 1, serait doublé, son
débit il’ayant pas le m êm e hum our que ses attitudes) ;
4" les auteurs de films puisent de plus en plus systém atiquem ent leur inspi-
lation dans les journaux et la vie de tous les jours, à l*encontre de ce que nous
faisons, en inventant des histoires dans l ’abstrait ou en recourant au livre et
à la scène. Producteurs et scénaristes, à R om e, flairant le vent, cherchent cons
tam m ent les thèm es d’actualité susceptibles d’intéresser encore le public six
mois plus tard (et voilà peut-être expliq uée la genèse du «: néo-réalism e », qui
d ’ailleurs, en Italie m êm e, ne fait pas recette, surtout quand il prend la forme
du film social à l ’américaine, com m e c ’est le cas, ces tem ps-ci, de La F ille se
d é fe n d , de Pietro G erm i). Cela produit des cas singuliers : tel, l ’accident de la
Via Savoia, — deux cents jeunes dactylos postulant une place et victimes d’un
escalier qui s’effondre, — qui inspire deux équipes différentes, si bien que
voilà G iuseppe de Santis et Augusto Genina tournant, en ce m om ent, le mêm e
sujet ou presque. Pareillem ent, Sergio A m idei prépare un film sur le football,
Cesare Zavattini donne à Sica le thèm e des « économ iquem ent faibles »
(U m berto D .), après celui des sciuscià et des vols de vélos;
41
C offredu A lcssam lrini : Cite»!iscs ronges.
8° les .Français sont attirés dans les studios romains, et les Italiens savent
choisir : ces temps-ci, Julien Duvivier achève Don Camillo, avec Fernandel et
Cervi, pendant que Jean R enoir entreprend Le Carrosse du Saint Sacrem ent
(ou Le Carrosse d ’or) avec Anna Magnani; on prétend en outre que René Clair
et Claude Autant-Lara iraient tourner de l ’autre côté des Alpes. Pour les Ita
liens m êm e, Sica parachève U m berto D ., fait sa rentrée de vedette dans B onjour,
éléph an t de Gianni F ranciolini, et prépare avec son fidèle Zavattini ïta lia mia,
voyage picaresque à travers la Péninsule; Rossellini se disposerait sérieusement
à réaliser E urope 1951 (ou 1952 ? ) , en m êm e temps qu’il accepterait de rendre
sa liberté à Ingrid Bergman, avec ou sans divorce; Luehino Visconti achève
La très belle, histoire de la mère d’une enfant star, film sur le ciném a, où figu-
reront, aux côtés de la Magnani, quantité de personnalités italiennes; enfin,
des deux « anciens », Mario Camerini revient à son grand style comico-
scntim ental, avec Scandale com m e il faut„ et Alessandro Blasetti, par son
/.ïbaldon e, se livre à un essai intéressant : ce film sur l ’époque 1880 en Italie
se composera d’une dizaine de récits de dix ou onze m inutes, des « contes »
ciném atographiques. Par ailleurs, les valeurs Germi et Emmer (Paris est tou-
jo u r Paris) sont en baisse, on attend avec curiosité les nouveaux Castellani
(Deux sous (Vespoir) , Santis et Lattuada, déjà cités, m êm e Zampa (R om e-P aris-
R o m e), et surtout la rentrée de deux « anciens », Goffredo Alessandrini (C he
mises rouges) et Francesco de Robertis. Le nouveau sur qui l ’on fonde le plus
d’espoirs est A ntonioni, l ’ancien de qui l ’on n ’attend plus grand’cliose, Mario
Soldati (qui, par ailleurs, triom phe sur le plan littéraire).
Tel est le rapport cUrsif du voyageur, pressé et superficiel com m e tous les
voyageurs : mettez à son passif les erreurs d ’appréciation ou d ’inform ation, et
à l ’actif du cinéma italien l ’adm iration qu’inspire, encore en cette fin de 1951,
sa constante vitalité.
jNin o F rank
42
LETTRE DE NEW YORK
par
H ERM AN G. W EINBERG
43
I ï c n n a n G. W cin berg : T he K « ifû-Throivcr.
que trois acteurs, a coûté 7.500 dollars. Tourné en m uet, le son fut post-syn-
chronisé. Le narrateur (le lanceur de couteaux) com m ente l ’histoire au fur et à
mesure de son déroulement. Ceci constitue sans doute le m oyen le m eilleur
marché de faire un film sonore. La prise de son directe m u ltip lie le prix de
revient par quatre. La nécessité a toujours été m ère de l ’invention et la m éthode
utilisée ici (par retour en arrière) a réussi au point que le film a été im m é
diatem ent acheté par la W arner comme le premier d’une série intitulée « Les
classiques de l’écran ». Mais que peut-il advenir des producteurs de tels films ?
Leur m arge de bénéfice est si petite que, du p oin t de vue financier, cela n’incite
guère à recommencer et pourtant les grands studios américains auraient dépensé
quatre fois plus pour réaliser le même film. Ce sont donc eux, et eux seuls,
qui font la bonne affaire. Cela est consternant car cette condam nation de la
production indépendante prive Je cinéma d’un précieux apport de sang nouveau
et étouffe tous nouveaux talents créateurs. Le plus m isérable des peintres peut
toujours peindre dans sa mansarde, le poète et le rom ancier écrire, le musicien
c o m p o ser.. tous peuvent travailler sans un « financem ent ». A m oins d’être
personnellem ent très riche ou de savoir faire courir aux autres les gros risques
financiers d’aventures hasardeuses, le producteur indépendant est condamné
d ’avance. H ollyw ood qui n ’a ni imagination ni sym pathie pour ce genre d’entre
prise, se refuse à courir des risques. Bien des choses y ont changé, m êm e intra-
muros : en gros, les films ne sont plus l ’œuvre des m etteurs en scène, mais des
producteurs. Ce sont les Zanuck et les Howard H ughes qui décident du ton
et du style des films. Seids des hommes comme M ankiewicz, W ilder ou Sternberg
arrivent encore à im prim er à leurs films un sceau personnel. U n abîme pourtant
sépare encore aujourd’hui les possibilités de ces réalisateurs consacrés de celles
des jeunes « indépendants ». Jeter un pont d’une rive à l ’autre de cet abîme
relève du dom aine du rêve.
UNE P E T IT E A FF A IR E D E GRANDE IM PO RTANCE
L’une des personnes les m oins suffisantes, les m oins rusées et les m oins
hypocrites que j ’aie jam ais connues était une jeu ne fille qui, certains jours,
pouvait, en jurant, rendre des points à n ’im porte quel <c m arine » ayant deux
44
ans d ’Okinawa et de Guadalcanal derrière lui et le faire pâlir d’envie par sa
virtuosité en la matière. Ce qui prouve que la façade de la respectabilité et de
la dignité bourgeoise est fragile. Et nu lle part elle ne se révèle plus im pitoyable
m ent que sur l ’écran américain où personne n e vit dans des maisons de verre.
Les autres écrans ont aussi leurs défauts et l ’écran américain présente maintes
exceptions honorables quant au cas qui m otive notre sermon d’aujourd’hui.
Ce cas c ’est le film Cyrano de B ergerac. Et qu’a-1’il donc à voir avec la
fausse innocence ? Cela que, dans le texte original, Rostand fait dire à Rague-
neau :
« ...et je cours... lorsque d’une fenêtre
sous laquelle il passait — Est-ce un hasard ? ... Peut-être ! —•
Un laquais laisse choir une pièce de bois
45
Parce qu’il est sûr de sa dignité et de son incorruptibilité. Rien ne peut
dim in u e r sa noblesse. Cyrano doit m êm e surmonter la crânerie et la vantardise
dont Rostand l ’a affligé en en faisant un Gascon à la tête chaude. R ien ne lu i
est épargné et pourtant il est ém ouvant, vivant, im m ortel. Quant à son nez,
Rostand en dit avec Omar Kayam : cc Et alors ? qu’arriva-t-il aux m ains du
potier ? ». Et sa mort il choisit ds la rendre grotesque, stupide et stupidement
cruelle. C’est l ’idée qu’un esprit n ob le peut être tué par un lourdaud qui
com pte ici. C ’est la notion de « coup du sort », de hasard dont nous dépendons
tous, esprits nobles, demi-nobles ou ignobles.
Que Cyrano soit renversé par un a boghei » ne prouve rien, cela n ’ajoute
rien à ce qui s’est passé avant, ni n ’éclaire ce qui se passe après. Ce n ’est rien
d ’autre qu’un banal et facile stratagème qui perm et de mesurer en années
lum ière la distance qui sépare les responsables de cette modification de la p o si
tion olym pienne de Rostand. Si celui-ci a choisi volontairement l ’accident fatal
de Cyrano c ’est volontairem ent aussi que les autres ont choisi de l ’éviter. Et
pourquoi donc ? Parce qu’il est disgracieux, commun et un tantinet com ique
pour un héros de casser sa pipe en recevant un m orceau de bois sur le haricot.
(Â ce prix pourquoi ne pas lu i raccourcir le nez ?) Cyrano doit mourir d ’une
m anière plus rom antique et plus en vogue (d’après les statistiques il parait qu’il
est très à la m ode de se faire écraser). R ien de malencontreux ne doit venir
déranger l ’ordonnance de l ’apothéose lyrique du film de façon à ce que les
spectateurs soient renvoyés chez eux sans que le moindre doute à propos de
quoi que ce soit ne puisse venir troubler leurs chères petites mémoires.
Les auteurs du film ne sont pas plus sûrs de l ’invulnérabilité de Cyrano
devant le son discordant de l ’indignité, q u ’ils ne le sont de celle de leur public.
D e toute façon, pourquoi courir le risque ? Dans une si petite affaire, il est
plus prudent de jouer gagnant.
Je m e souviens d’un m om ent identique à propos d’une histoire du m êm e
genre. Dans C rim e -without Passion, Claude Rains joue le rôle de Lee Gentry,
avocat-crim inel mais brillant et narquois, im aginé par Ben Hecht. Il finit un
jour par se faire capturer par la p o lice à cause d ’une erreur, petite mais fatale,
com m ise en essayant de dissimuler un crim e qu’il croit à tort avoir com m ij.
On le voit assis, ahuri et incrédule, dans le bureau du District A ttorney, m e
notte aux m ains, attendant d’être inculpé pour un crime dont il sait qu’il va
être accusé. U n m ouchoir devant la bouche, et qui cache à m oitié son visage,
il écoute, venant de l ’antichambre, les rires et les sarcasmes des policiers et des
reporters qui se félicitent de la « chute » d’un grand « esprit légal » qui avait
toujours déjoué toutes les accusations. Leur triom phe est gratuit. Ils ne sont
pour rien dans cette « chute ». C’est L ee Gentry qui a commis involontairement
une erreur. Ils n ’en rient pas m oins fort. Les chiens finissent toujours par
avoir <c leur » curée. C’est à ce m om ent qu’apparait l ’alter-ego de Lee Gentry.
Il sourit tristement et désignant la porte derrière laquelle s’élèvent les m oque
ries, dit :
— Ils rient tous comme cela.
Quel plus grave handicap pour un héros que de se voir accusé de crim e. Et
pourtant B en H echt n ’eut pas peur de réserver à son héros cette façon particu
lière de prendre congé de ses adversaires.
A Cyrano, dans le film, est refusée cette façon de prendre congé de l ’imbé-
cilité hum aine.
H er m a n G. W e i n b e r g
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LETTRE DE PRAGUE
par
JAROSLAV BROZ
Les ju gem en ts que fo rm u le ici Jaroslav B roz sur des film s tchèques e t slova
ques que nous ne connaissons pas n’engagent é v id em m en t que sa responsabilité,
mais ni plus ni m oins que ceux d e nos correspondants d e N ew Y o rk e t de
Londres ou ceux des critiques français q u i collaborent à cette revue. A amour
égal d u cinéma, nous som m es tous solidaires.
Prague, S e p te m b re 1951.
L’année 1951 est pour le cinéma tchécoslovaque riche d’événements. Durant
ses six premiers m ois, trois films de la production nationale ont connu un vif
succès. Il est pour nous extrêm em ent significatif que tous trois traitent d’événe
ments réels et exem plaires tirés de l ’histoire des luttes sociales de l’époque
d’avant guerre. Leur réalisation m et en lumière les progrès réalisés dans l ’u tili
sation de la m éthode réaliste. Et c’est avec satisfaction que l ’on peut souligner
que c’est justem ent ces trois films qui ont reçu les P rix d’Etat décernés cette
année pour la première fois et que, d’autre part, la valeur artistique et idéolo
gique de deux d’entre eux a été vivem ent appréciée au Festival international
de ICarlovy-Vary.
Le film de Jiri Weiss : D ’autres combattants viendron t, raconte la vie d ’un
des précurseurs de l ’organisation du mouvement socialiste en B ohêm e vers la
fin du X IX L. Le sujet en est extrait d’un roman autobiographique du président
du Conseil des m inistres A ntonin Zapotocky où il évoque la lutte héroïque que
son père a m enée contre les autorités d’alors pour le droit de réunion et la
défense des droits de l ’hom m e. Otomar Krejca et A ntonie Hegerlikova, deux
des m eilleurs acteurs de notre jeune génération, en sont les interprètes.
Les deux autres films en question évoquent des événements de l ’époque de
la grande crise économ ique m ondiale de 1929-1932. L’ém ouvante action de Là
T rem pe de Martin F rii se déroule dans une aciérie. B ien que menacés par le
chômage, les ouvriers se m ettent en grève pour em pêcher l ’application d’une
baisse de salaire et d’un licenciem ent partiel exigés par des banquiei's et que
va effectuer un directeur sans scrupule, appuyé sur la garde m obile. La lu tte
finira demain, de Miroslav Cikan, est une réalisation de la jeune production
slovaque. Ce film est égalem ent basé sur un fait réel qui a provoqué en 1932
une intervention jiarîementaire. Il se passe sur le chantier de construction
d’une voie ferrée. On y voit les dures conditions de travail qui étaient tolérées
par des politiciens corrompus, protégés par une police m obilisée contre les
travailleurs.
Ce genre de drames sociaux permet aux auteurs et réalisateurs tchéco
slovaques d’aborder des sujets d’une grande force dramatique, sujets tabous
sous l’ancien régim e et dont le contenu humain est extrêm em ent riche.
Parm i les films tchécoslovaques de la production 1951 qui viennent d’être
achevés, citons trois drames biographiques qui sont autant d’hommages aux
grands hom m es tchèques qui ont rendu célèbre leur pays. Mikolàs Aies, peintre
célèbre de la seconde m oitié du X IX e (décorateur, entre autres, du foyer du
47
M iroslav C ik a n : La lutte finira d em ain.
48
*mg?
LIS FILMS
Les incursions de Jean Anouilh dans sans bagage, c ’est-à-dire une catastro
le cinéma, n'avaient pas encore été p he : l'exemple même de ce q u’il ne
concluantes. Le dialoguiste de Caroline faut pas faire en matière de théâtre
chérie et de M. Vincent ne valait pas filmé. C'est pourquoi il était légitime
celui du Bal des voleurs et d ’Antigone. d ’attendre avec espoir et inquiétude ces
Il y eut bien Pâlies blanches, mais la Deux sous de violettes.
p a r t créatrice du stylé de Grémillon Le film a beaucoup de défauts, mais
re n d difficile à faire celle du scéna aucun ne me p a ra it rédliibitoire. Il a
riste. En somme le seul iilrn intégra p a r contre quelques qualités qui me
lem ent d ’Anouilh restait Le voyageur semblent concluantes.
49
Et jd’abord c’est le type même du que s’il se bo rnait jusqu'à présent à
film de scénariste qui a voulu faire sa inventer des histoires, ce n ’était pas
mise en scène. Je yeux dire que, n atu p a r impuissance à p enser des images.
rellement, c’est le scénario qui flanelle. Mais justement celles-ci font dangereu
De même Lady Paname démontrait p é sement p roliférer le scénario, il b our
rem ptoirem ent que si Jeanson n’avait geonne de tous côtés et son auteur se
nullem ent besoin" de Christian Jaques révèle im puissant à en contrôler l’exhu-
p o u r d iriger une mise en scène c h a r bérance. C’est que le metteur en scène,
m ante il ; ne pouvait s’en passer pour professionnel de l’image, savait à l'o c
faire te n ir debout une histoire. 11 n'ÿ casion tr a h ir sa signification au profit
a là de paradoxe qu’apparent. Charles de son efficacité et ram en er p a r ce
Spaak p ré ten d it jadis que le scénariste biais le scénario au respect des vertus
était l’élément mâle du couple, engros dram atiques. Deux sous de violet (es
sant. le metteur en scène de ses œuvres. fourmille de trouvailles de scénario qui
Je renverserais volontiers sa p ro p o s é sont aussi des trouvailles de mise en
tion, mais j ’accorderais que le metteur scène, mais le dramaturge, qui co nnait
en scène ne joue souvent dans l’aJTaire presque trop bien le mécanisme d 'u n e
qu ’un rôle de souteneur. S'il vit du pièce bien faite, se retrouve à l’écran
scénariste, c'est que celui-ci est inca avec l’ingénuité maladroite de l ’enfant
pable de se défendre tout seul. Aux qui raconte une histoire en ignorant le
idées du prem ier, le second apporte un mot « donc » ; fasciné p a r la nouveauté
sens, au moins une expérience, de l’ef créatrice de la mise en scène, il e n
ficacité de l’image; il repense l’histoire chaîne ses épisodes sur le mol fil des
en fonction de ce qu’il sait des ra p « et » ou des « alors ». On y gagne
ports entre le public et l'écran. Ce qui, une œuvre, on y p e rd « un film
au théâtre, ressortit aux qualités d ra je ne sais si Anouilh a eu pleinem ent
matiques, relève en définitive au ciné conscience de cette faiblesse, toujours
ma, de la mise en scène. Le dynamisme est-il q u’il l'a f sinon corrigé, au m oins
d ’un plan, le rythme, le flux d'une compensée fort habilement, ainsi que
séquence, l’efficacité de ses rebondis d 'autres dont on ne m anquera pas, à
sements, ne procèdent pas p rem ière tort, de lui faire grief. j
ment du dialogué, comme à la scène, Si l'on com pare en effet, l’histoire de
mais de l’organisation de l’image. cette petite m arch an de de fleurs, vierge
Contrôlé p a r s o n 'm e tte u r en scène, le et odieusement flétrie, ne résistant avec
scénariste conforme plus ou moins son le courage et le bon sens averti de
im agination à ses besoins il se corrige l’adolescence misérable aux avances des
su r son conseil ou sa demande. S’il ne vieillards libidineux et au charm e des
le fait point, l'autre s’en charge. D'où m auvais garçons que p ou r se faire, plus
vient que tout scénariste se juge géné sûrem ent séduire p a r le p rem ier fils de
ralem ent plus ou moins trahi, qu’il rêve famille qui lui prom et le mariage, ai
de s’affranchir et de vendre ses c h a r l’on compare, dis-je, cette histoire aux
mes pour son seul compte. Il pense à pièces de Jean Anouilh, on p eut être
juste titre que l’idée q u ’il se faisait, lui, tenté de dire que si l’auteur d ‘Antigone
d'une scène ou d'un personnage valait nous avait déjà servi un drame sous les
mieux en soi que ce que le metteur en dehors de la tragédie, le cinéaste r a
scène en a tiré. Et cela non seulement baisse le dram e au niveau du mélo.
q uant aux nuances psychologiques, aux Mais ce serait ignorer les alibis irré
subtilités, aux virtualités intellectuelles futables qu ’il a su se ménager : ceux
du scénario, mais effectivement dans d'u ne semi p arodie où réside le secret
l'ordre même de la mise en forme. E t il du film. Elle a deux avantages : l’un
a bien raison, si le réalisateur avait au
ta n t d ’imagination que lui, il n ’irait négatif, celui de justifier les naïvetés de
pas le chercher. l’histoire; l’autre positif, qui nous au
Un jo u r le scénariste réalise enfin son torise à nous émouvoir sur des p e rso n
rêve, il va faire son film tout seul, nages dont on nous propose de sourire.
comme un grand. Les idées ne lui m an Il y aurait, je crois deux e rreu rs d 'in
quent pas et son film en effet est plein terprétation à commettre sur le film,
de trouvailles, parfois un peu naïves entre lesquelles se situe la vérité de son
mais qui ne m anquent ni de finesses ni style : la prem ière de penser que l'au
de charm e, un souffle d’invention inha teur veut nous faire croire à son h is
bituel traverse l’œuvre. L'auteur prouve toire, la seconde q u ’il n ’y croit pas.
50
Anouilh ne s'est pas borné à re p re n d re contradiction entre le réalism e et
dans son iilm tous les thèmes et les la convention nait une iron ie p a rti
personnages de son théâtre, sans en culière que le théâtre d’Anouilh n ’avait
modifier un iota, il a encore appuyé pas encore délivrée. Le vieux cochon
son m anichéism e moral, il a noirci le de patron menace sa vendeuse du chô
trait. Le vieillard lubrique y devient mage si elle n ’accepte pas de lui mon
libidineux, la bêtise im pure y élève tre r la dentelle de son pantalon mats
des escargots. Je reviend rai sur l’usage c'est un pantalon de 1925 et nous rions
fait p a r Anouilh des ressources du ci de bon cœur.
néma p ou r aggraver la laideur de son L 'e rre u r fondamentale de la mise en
univers, nous pousser au désespoir p a r scène du Voyageur sans bagage résidait
des procédés de faits divers. S'il ne dans l’illusion naïve que la vraisem
croyait pas à la méchanceté du monde, blance de l’intrigue, son réalisme, al
à la malfaisance de l’argent, Anouilh laient de soi à l’écran. E n fait le réa
serait sans excuses. L ’idée fixe est un lisme de théâtre est la re n co ntre de
gage de sincérité. Mais en même temps deux artifices, celui du texte et celui
qu'il accentue ju sq u’à l’outrance les de la scène; supp rim er le second c ’est
causes de pessimisme, Anouilh échappe révéler le prem ier, Anouilh a compris
au mélo, non pas ta n t p a r un excès qui cette fois que le texte et son contexte
ne serait que parodique, plutôt p a r un devaient s’additionner. Le réalisme du
ton, une ironie qui nous évite le rid i cinéma prolonge ici la vérité du dia
cule des larm es sans nous dispenser de logue, assaisonnée d’une ironée qui lui
l’émotion. E t c'est en cela sans doute enlève son am ertum e m ais non son aci
que le cinéma apporte à Anouilh les dité. Grâce à la présom ption d 'un écri
moyens d’une synthèse nouvelle entre vain, le ciném a s'est e n rich i d ’un au
le réalisme et le symbole. En voici deux teur nouveau, une nuance originale
exemples : l’élevage des escargots de s’ajoute à sa palette. Mais grâce au ci
Bourgogne p a r la grosse fille qui p e r néma, Anouilh échappe au dilemme du
sonnifie évidemm ent la laideur opposée rose ou du noir et sans avoir à renou-'
à la grâce de l’héroïne. Dira-t-on veler p o u r autant les thèmes de son
qu'Anouilh exagère et que le symbole inspiration, il ajoute à son oeuvre une
est trop facile. Au théâtre un élevage variété nouvelle que seule la co n fro n
d’escargots ne p o u rra it être pris au sé tation du dialogue et de la réalité ciné
rieux, il con dam n erait le personnage à m atographique allait lui perm ettre. En
la p arodie sans équivoque, sa place tant que drame, Deux Sous de Violettes
serait dans une pièce rose. Au cinéma, n ’est q u’un mélo, mais en ta n t que mélo,
à moins d ’être Stroheim on ne peut non c'est un drame. Au cours des ridicules
plus faire baver un escargot sur des papotages de la T ribu n e de Paris du
violettes. C'est p ou rq uo i le personnage Samedi soir, je ne sais qui, croyant
de la fille est tout de même comique écraser du même coup le fdm, re m a r
mais on ne parle p as seulement des quait que nous ne tolérerions pas à la
escargots, on les voit : un plein baquet scène une si mauvaise histoire. Mais
d ’escargoîs vivants, dégorgeant dans justem ent Anouilh a p u faire passer
l’eau salée, « touillés » à grands coups dans l’image ce qui ne serait intoléra
de perche, sur le pavé d ’une cour cras ble que dit. Son dialogue est excellent,
seuse dans un triste qu artier de Paris, très différent, sinon de ton du m oins de
je vous assure que « ça existe » et du structure, de ses dialogues de théâtre.
coup leur bergère n ’est plus guère sym On le sent h eureux de jouer sur les
bolique. Citons encore la scène mélo deux tableaux, émerveillé de m on trer
dram atique p a r excellence du lâchage ce qu ’il ne taisait qu'avec regret. Voilà
du fils de famille qui se refuse à en être peut-être po urquoi ce film qui devait
père. Elle a lieu dans les couloirs du être atroce à la fraîcheur d ’un bouquet
théâtre de province où l'on joue je ne de violettes; c’est la prem ière œuvre
sais quel Opéra comique fondé sur la d ’Anouilh où luit un espoir, comme le
même situation. Le mélo est sur la brin de paille dans l’étable. Je crois
scène p o u r avouer la convention de volontiers qu'en l ’autorisant à aller au
l’histoire ; mais la reconstitution de bout de l'atroce, le cinéma a p ara d o x a
cette réjouissance provinciale est lement délivré Anouilh de son pessi
aussi soignée dans le dé'ail que le misme.
baquet d ’escargots. De cette apparente F i.o n iîN T K ir sc h
5}
PAR DELA LA VICTIME
52
Y a-t-il, en dehors de L'Age d'Or et de i .i
Monsieur Verdoux, pareille tentative de
démystification totale ? Bunuel fait
pièce de tous les poncifs de l'écran et
même de celui de la violence qui p a ra it
dom iner le filin. Mais le sang noir dont
il irrigue son œ uvre n ’a rien à voir
avec l’utilisation habituelle de la vio
lence dans le film. II a fait en sorte que
nous ne pouvons jamais retomber sur
nos pieds : ces enfants dépouillent un
cul de jatte mais celui-ci paie p ou r ses
frères à pattes incapables de n o u rrir
ces enfants; ces enfants lapident un
aveugle, lui crèvent son tam bour,
l’aveuglant p re sq u ’une seconde fois,
m ais cet aveugle est un vieux salaud qui
bat « Petit œil » et pelotte les petites
filles, quand m eurt le « Jaïbo », il r i
gole, il jouit littéralement d ’aise et dit
en bavant de plaisir : « Un de moins ».
*
Cela ne fait plaisir à pei'sonne de
constater qu'un aveugle peut être un
sale vieillard vicieux, qu ’une mère peut
être indigne au poin t de se réjouir de
faire envoyer son fils dans un péniten-
cier-ferme-modèle, mais cela est et il
faut beaucoup de courage p ou r le dire
autre p a rt que dans les « chiens écra
sés » des quotidiens du soir ou du
matin. Bunuel joue d ’ailleurs franc-jeu.
Il nous m ontre une ferm e modèle de
rééducation et nous la m ontre telle
qu'elle est : un modèle, parfaite, un
directeur sympathique, intelligent et
pas du tout « sublime ». Il ne nie pas
la bonne volonté, le désintéressement,
Peffort de ceux qui cherchent à amé
liorer le sort de l'enfant ou de l’ado
lescent. Mais il montre aussi que le p r o
blème dépasse Inexistence des fermes-
inodèles : Pedro n ’jr songe qu’à rosser
ses camarades, m assacre des poules ne
p ouvant massacrer les cam arades et
q u and le directeur lui fait confiance il
p re n d la clé des champs... involontaire
ment peut être, mais dans cet « in v o
lontairem ent » réside le fond du p r o
blème. C’est involontairem ent sans dou
te aussi que l’aveugle est un vieux sa
laud. S’il avait des yeux, des rentes,
une épouse exemplaire et des bam bins
idem et une Chevrolet « fluid-drive »,
il en serait peut être autrement. Et
encore ce n ’est pas sûr. Ce qui est plus
sû r c'est la responsabilité des épouses
exemplaires et des Chcvrolets « fluid-
drive » dans l’existence des vieux*
aveugles-salauds. Bref ce ne sont pas les 1/uis B un u el : L o s O lv id a d o s.
53
individus qui sont en cause, mais les tom bant de cette rose noire, à la fois
systèmes. Bunuel a com pris d’une p art p u re èt puante, des alcyons, tombe
q u 'a b o rd e r leur examen c ’était en « nu », écorché vif. C'est pourquoi si il
même tem ps aller au centre de son ly est sans discussion un des seuls vrais
risme personnel (c’était une fois de poètes de l'écran, il en est aussi —
plus p a rle r d'am our et de non-amour) avec Chaplin et Eisensïein - le seul
et, d ’autre part, il a compris que l’on ne « m oraliste » qui ne fasse pas sourire.
pouvait te n te r cet examen en restant à C'est po urquoi aussi une fois franchies
l'in térieu r des postulats critiques géné toutes les barricades, bravées toutes les
ralem ent admis... môme p a r ceux qui messes grises ou pourpres, l’œuvre de
se m oqüènt des règles morales, religieu Bunuel est une des rares dont la corro-
ses ou autres, mais qui... enfin, tout de sive révolte perm ette au bout du laby
même, soyez raisonnables messieurs... rinth e de repenser — ou plutôt de p e n
tiennent compte de cette notion élé ser po ur la p rem ière fois — à ces bou
m entaire intitulée le respect humain. leversantes balançoires : la ' bonté,
Bunuel dit ; je regrette, m ais ça n ’existe l’amour, la joie de vivre et d'entrevoir
pas non plus le respect humain. Si vous p a r delà les brouillards de l’avenir
voulez aborder le problème il faut avoir les mystérieuses apparences en forme
tous les courages, il faut écarteler les d ’arm ures de l’intégrité et de la f ra
im pératifs rassurants, violenter les as ternité.
sociations d ’idées les plus consacrées, Bien sûr, il faut m aintenant s’excuser
il ne faut pas reculer devant des liai de cette exaltation car les revues de
sons comme : « mère-indignité » ou cinéma, après tout, peuvent tomber e n
« aveugle-saloperie » ou « drapeau-
ignominie » ou € cadavre d’enfant-tas tre toutes les mains. Mais la p ud eu r est
d’ordures ». Si vous reculez, vous vous une vertu aussi m ineure que Fexhibi-
condamnez à rester en deçà du p r o tionisme. Alors tant pis, de toute façon
blème. La notion de « sacré » est hélas c ’est toujours la caravane qui aboie et
une vue de l'esprit. Et l’esprit ne p o s les chiens qui regardent passer, assis
tule légitimement le « sacré » que lors étonnés sur leurs braves d errière de
q u’il postule la notion de liberté. braves chiens. (Etonnés de ce con tre
Bunuel, tranquillement, calmement, sens de gendarm erie : Los Olividados
sans pose, préoccupé de faire du bon = Pitié pour eux... mais non, où avions-
travail pour p as c h er (il a tourné les nous la tête de brave chien : il s'agit
Olvicfados en quatre semaines pour très des spectateurs). N’exprimons donc que
peu d ’argent) applique effectivement ce notre reconnaissance et répétons ce
que nous énonçons gratuitement de no que disaient à Chaplin en 1927 les si
tre fauteuil. Sans contorsion, sans p os gnataires de « Hands of love » ; « La
ture, il crève le plafond, franchit les terre à vos pieds s'enfonce. Merci à
b arrières du respect hum ain et com pa vous p a r delà la victime.
gnie et p arle sur un terrain où se c roi
sent tous les vents. Chacun de ses mots J. D o n i o l -V a l c r o z e
GRANDEUR DE L’HONNÊTETÉ
THE MEN (C’ETAIENT DES HOMMES), film de F r e d Z i n n e m a n n . Scénario :
Cari Foreman. Images : Robert de Grosse. Musique : D im itri Tiomkin. Interpré
tation : Marlon Brando (Ten), Tcresa W rig h t (Ellen), Evevett Sloane (le médecin-
chef). Production : Stanley Kramer - U nited Artists, 1950.
Un inconnu, Paul Dickson, réalise un p ro d u it meilleur film, ni F re d Z in n e
court métrage, po ur le Centre d’in fo r m ann réalisé oeuvre de cette sèche et
mation Britannique, sur la rééducation pleine vigueur, ni Cari Forem an cons
des anciens combattants mutilés des tru it une histoire plus rigoureuse, p lu s
deux jambes : il est excellent. Le p r o émouvante aussi. D’où il suffit de
d u cteu r am éricain Stanley K ram er m et conclure que les sujets les plus dificiles,
en ch an tier un film sur un sujet an a et ceux-là mêmes qui sont réputés i m
logue : les paraplégiques d e guerre. Le possibles, sont ceux aussi qui p o rte n t
sujet est écrit p a r Cari Forem an et le mieux le talent des auteurs, q u a n d
tourné p a r F red Zinnemann. Il est p r o ils sont dignes du nom d'auteur. On le
bable que jamais Stanley Kramer n ’a savait. Mais le mérite de C’étaient des
54
hommes (1), c’est de le rappeler, et
sans doute en est-il peu de plus abstrai
tem ent beaux.
Le plus adm irable de ce film, c’est,
je crois, l’im perturbable honnêteté qui
le garde du mélo. Honnêteté de la réa
lisation, bien sûr : des paraplégiques
sont les acteurs, auxquels s’ajoute un
petit co ntingent de com édiens profes
sionnels ; la vérité du milieu — méde
cins, malades, infirm ières, visites —■ est
telle q u’on la trouve dans le bon docu
m entaire anglais. Mais surtout ho nnê
teté du traitem ent narratif. E ntre les
trois plans austères et simples qui si F r e d Z ïim c m ati : T h e M en,
tuent le fait-divers g u errier d'où toute
l’histoire s’enchaîne et le retour du p a Parm i les comédiens, il faut citer
raplégique au foyer conjugal, s'étend le d'ab o rd E verett Sloane (le médecin-
film, c ’est-à-dire l’étude, fouillée, im chef) qui a de l’anim ation, de la p u
placable, vraie, d ’un cas, extrême et deur, de la virilité, dans un rôle diffi
exemplaire ensemble, sans un épisode cile — difficile pa rc e q u ’il doit être
superflu, sans qu'on p erd e mentalement tantôt le pra tic ie n sans illusions, tantôt
de vue le plus g rand sujet, celui qui le compagnon des patients, q u i accepte
fournit l’extrapolation et l’arrière-plan : le quolibet et le re n d avec usure, tan
les autres paraplégiques, les victimes tôt la bonne fée de l'histoire, ce qui
de la guerre, de toute guerre, le sang fait un personnage à la fois complexe
des autres. Encore s’est-on gardé de et presque édifiant. Marlou Brando,
tout gâcher p a r un p a r i optimiste sur l’époux paraplégique, joue juste, avec
le sort du couple de nouveau réuni. Il une grande p ro fo n d e u r de suggestion.
se peut q u’il vive h eureux : mais nous J ’aime moins Teresa W right, dans le
savons quelle patience, quelle pudeur rôle à la fois capital et banal de la
il y faudra et que sans doute cet homme fiancée qui persiste à vouer sa vie à
et cette femme n 'a u ro n t pas d ’enants celui qu ’elle aime ; elle ne détonne pas,
car tout le film nous a ap p ris quel sort sans pourtant convaincre tout à fait, et
les attend. Le d e rn ie r p lan vaut d'ail c ’est en g rand e p a rtie p a r effet de ré
leurs le prem ier, en sévère vigueur, et fraction que son in terp rétatio n passe
il tombe comme le rideau du troisième l'écran. Le dialogue est remarquable.
acte, un rid eau qu'on en ten drait tomber II exprim e adm irab lem en t l’hum our
sur la réflexion du spectateur. am er des malades, la virilité avec la
Le découpage fait leur ample place quelle ils se plaisanten t eux-mêmes, et
aux plans d ’ensemble et narre ainsi leurs quolibets — si ce n ’est une petite
l'histoire dans toute sa signification touche littéraire, mais qui passe — sont
collective, en développant chaque scène bien ceux, en effet, des hom m es enfer
jusqu’à son p o in t de pleine significa més en collectivité, casernes, dortoirs
tion, de sorte que l’œil va de l’un à ou hôpitaux. Enfin, de ce film presque
l'autre et p re n d à la fois la vision d ’en parfait, une scène se dégage p o u rtant
semble et la vision détaillée. Or, il n’est et s’impose aux anthologies. Je veux
pas un personnage qui ne soit m ém ora dire celle ou les jeunes m ariés pre n n e n t
ble, p as un détail qui ne soit utile. possession de leur demeure. En deux
D’autre part, le montage est nerveux, minutes de film, p a r l ’échange des re
serré, impitoyable, et les m orceaux ra gards qui se croisent ou se fuient, p a r
pides, su r la gymnastique de rééduca la contraction des gestes, p a r une bou
tion, sont parfaitem en t intégrés. L ’in teille de cham pagne mal débouchée,
terp rétatio n collective est si évidem p a r un m inim um de mots, nous savons
ment excellente qu ’elle suppose une tous les problèm es que devra dom iner
grande et énergique intelligence de la le couple s'il doit vivre dans la p aix
direction du jeu (si l'on ose dire ainsi). de l'esprit, le sommet du film est atteint,
et sa signification p a rfaitem ent com
(i) H e u t été s i sim ple, si ju ste , de tra d u ire muniquée. C’est aussi une noble scène
Th e M e n p a r Des honniics, à d é fa u t de Les d ’amour.
H o m m e s q u i p a r a it clérisûirem ent g é n éral, e n fr a n
çais. Jean Q ue val
55
AFRICÀCOLOR
; KING SOLOMON’S MINES (LES MINES DU ROI SALOMON), film en tech ni
color de Ç omjptdn B e n n e t t et A n d r e w Ma r t o n . Scénario : Hélen Deutsch, d’après
le roman de H. H idder Haggard. Images ; R. Surtess. Conseillers pour le technico
lor : H enri JafTa, James Gooch. Décors : Edw in B. Willis. Interprétation ; D eborah
K err (Elisabeth Curtis), Stew art Cranger (Allan Q uaterm ain), R ic h a rd Carlson
(John Goode), Hugo Haas (Smith). Production : Sam Zim balist - Metro-Goldviyn-
Mayer, 1951.
56
C nm pton Bennct-t : Le s M in e s du R o i S alo m on .
Déjà à l’égard de Pacific 231 de Jean d ’une introduction au vrai film qui se
Mitry on éprouvait un sentiment p a ra voulait abstrait et qui y parvient p a r
doxal : l’impression que ce film « aurait faitem ent avec Arabesque en soL - Ce
du » être fait depuis longtemps. C’est que F ischinger a fait avec des formes
qu'il procède en eft'et de l’esthétique abstraites, ce qu'ont entrepris parfois
de l’avant-garde muette et sonore. On Len Lye et Mac Laren avec le dessin
ne peut pas ne pas songer à la célèbre ou la peinture, Mitry le réussit ici avec
bobine de La Roue d ’abord, puis à tous des formes concrètes (uniquement des
les ballets plus ou moins mécaniques et images d ’eau) abstractisées » p a r le
à leurs « rythm es » silencieux ou sono m ontage et le synchronisme. L’intérêt
res entre les années 25 et 32. L'idée de l’expérience, au delà de son agré
d"utiliser un parallélisme des rythm es m ent physique, du bien-être spécifique
plastiques et m usicaux n ’est pas neuve, m ent ciném atographique que procure
elle est à la base du dessin animé. une co rrespondance heureuse, plasti
E t po urtan t son exploitation p a r Jean que et ry th m iqu e entre la musique et
Mitry satisfait l’esprit comme la mise l'écran, réside ici dans la « déconcré-
au p o in t définitive qu’on attendait de tisation > de l’image. Image qu’il était
p uis vingt ans. Et probablem ent Mitry justem ent utile d ’authentifier préalable
lui-même avait-il voulu faire ces films il m ent p a r le semi-réalisme des deux p re
y a vingt ans. Mais je crois qu'il est bon m ières études. Un reflet sur l'eau, p o ur
q u’il ne les ait réalisés qu ’en 1950, Car vu qu ’il soit cadré d ’assez près afin
c’est justement parce que la technique d'élim in er les références de matière et
du film de montage p u r n ’est plus guère d’échelle, n ’est plus — capté dans le
p ratiquée aujourd’hui que Mitry peut montage et le synchronism e sonore —
la re p re n d re avec cette sécurité, cette qu 'un e tache mobile aux formes" indé
perfection classique. L'esthétique de finiment imprévisibles, une matrice de
1930 y est repensée à la lumière du goût mouvement pu r. J ’ai été frappé p a r la
ciném atographique contem porain. Ce sim ilitude d ’un de ces plans avec la
que Mitry en conserve c'est ce qu’elle célèbre séquence de la bande sonore
avait en définitive d ’éternel. d an s Fantasia. Ce reflet, p ris n’importe
où et seulem ent docile au vent, était
On n'en doute pas avec la troisième doué de la même intentionalité que la
et la quatrième des études intitulées rougissante b ande sonore de Disney.
Images pour Debussy : Reflets dans Car ce que révèle aussi l’expérience si
l'eau et Arabesque en. soL Mitry s’est concluante de Mitry c’est l ’illusion du
p lu à reconstituer sans doute p a r souci play-back. Ce n ’est pas, comme on le
d'honnêteté intellectuelle et préjugé d i croit, le son qui est le plus malléable,
dactique le chem inem ent vers l'ab strac le p lus disponible. Mais l'image. C’est
tion qui p réside à son montage. La elle qui a le p lu s de virtualités, elle qui
1” étude : E n bateau déçoit et inquiète. s’adapte à la musique, se coule en elle,
On. pense immédiatem ent à Brumes obéit à ses exigences. Non seulement
d ’automne de Kirsanoflf. Ce montage de quant aux correspondances plastiques
paysages d ’eau bien photographiés, ces m ais aussi ^ t h m i q u e s : un reflet dans
rives glissant au rythm e du travelling l'eau, le m iroitem ent du soleil, une al
voilà justement pense-t-on ce qu’il ne gue dans le courant, dansent au ry th
faut pas faire. Arabesque en m i com me de la m usique avec laquelle an les
porte de meilleurs moments. On est confronte plus sûrem ent et plus juste
déjà plus dépaysé. Enfin avec Reflets m ent que tous les dessins qu ’on pour
dans Veau on com prend qu’il ne s'agis ra it im aginer « d’après » la bande so
sait jusqu’alors que d'iin préambule, nore. C'est précisém ent la révélation de
58
cette disponibilité ryth m iq ue de la ma
tière qui contribue le plus à la vider
de son réalisme, à faire surgir d ’elle
une sorte de p rin c ip e p rem ier abstrait
p a r ra p p o rt auquel la réalité matérielle
ne serait que seconde. Le reflet s’af
firme d’abord rythm e. L'eau n’est plus
relativement à cette essence qu’un acci
dent. Ainsi comme l ’image du ciel dans
l’eau, le ra p p o rt de l'idée à l’objet se
trouve inversé. C'est le monde sensible
qui n ’est que le rellet et comme l’épî-
pliénoinène d'une musicalité essentieJle.
A n d r é B a z in Jean M itry : luta ges pour D ebussy.
T E R R E S A N S PAI X
LES DESASTRES DE LA GUERRE, film de P i e r r e K a s t , récit ciném atogra
p hique tiré des eaux fortes de Goya. Scénario : P ierre Kast. Commentaire et adap
tation musicale : Jean Grémillon. Images : Arcady. Production : Argos Films, 11)51.
C’est avec plaisir que l’on constate P ierre Kast entre très exactement
q u’il est devenu banal d'évoquer le dé dans cette d ernière catégorie. Ses p re
veloppement, en F rance, du court- miers contacts avec le genre datent des.
métrage su r la peinture. Il faut se ré Charmes de l’existence dont il signa la
jouir de cette vogue et, puisque vogue réalisation avec Jean Grémillon et dont
il y a — et maintes fois commentée — le propos n ’était que très accessoire
il est inutile de rev en ir sur ses origines ment de nous révéler les charm es —
et d ’exposer p o u r la centième fois, les d’ailleurs à tort m éconnus —; de la p e in
débuts d’E m m er ou le coup d’éclat du ture « pom pier ». Avec Les Femmes du
Van Gogh de Resnais. E ncore pourtant Louvre, le but de Kast, qui cette fois
faut-il observer que l’expression «court- Fait cavalier seul, était encore plus net.
métrage sur la p e in tu re » est peu satis Pas question de leçon d ’a rt sur des
faisante de même que celle de « court- toiles-choisies dans toutes les époques
métrage d ’a rt » ou toutes autres formu et tous les genres, m ais de nous dire à
les similaires qui laisseraient supposer peu lires ceci : quatre vingt p o u r cent
que ces iilms ont un caractère didactif des tableaux du Louvre représentent
ou quelque intention de mieux faire des femmes — et dans cette gracieuse
connaître l ’œuvre de tel ou tel peintre. théorie quelle im posante p ro po rtio n de
En effet, si l ’on a pu croire un instant nus ! — ce sont des femmes vues p a r
que ces court-m étrages allaient devenir les hom m es e:t comment les voient-ils '1
une nouvelle façon de faire de la criti Comme des objets usuels. Et d’énumé-
que d’a rt (cf. le Rubens de Storck et rer les usages. C'est tout. F ro id e et im
Haesaerts), on s'ap erço it aujourd'hui p erturb ab le sociologie. Plaidoyer en
q u’il ne tend plus à nous renseigner sur faveur de la femme libre. Certains y
l’art, mais à se servir de l'art, soit pour ont vu quelque hum our, m ais à tort,
nous conter une anecdote (souvent celle le constat est tout simplement objectif.
du p eintre lui-même comme c ’est le cas Kast se sert des images peintes ou
dans le Van Gogh déjà cité ou dans le dessinées comme il se servirait d 'a c
Manet d’Aurel) soit — et c ’est là que teurs et de scènes tournées : p o u r leur
nous voulions en ven ir — pour expri faire dire qulque chose qui lui est p e r
mer un poin t de vue personnel de l'au sonnel. Il estime en efl'et qu’à p a r tir du
teur, point de vue dont les rapports moment où on supprim e le cadre on
avec la p e in tu re — ou toute autre dis tra h it le peintre qui avait strictem ent
cipline artistique — peuvent être très délimité les limites de sa composition:
lointains voire inexistants. dès lors, cette prom enade à 1-intérieur
59
de l’univers pictural devient arbitraire m alheur : d’abord l’opression inté
et les conclusions esthétiques que l’ont rieure, puis l’invasion étrangère et avec
p eut en tire r sont à p rio ri suspectes; il elle ses sinistres sequelles : la misère,
est en somme plus honnête d ’utiliser la les meurtres, les supplices, la guerre
toile peinte comme un ensemble de p e r civile et au bout de l'itin éra ire , le
sonnages, de-décors et d accessoires neu néant. Il y a dans le film comme un
tres que l'on « met en scène » à sa chemin in interro m pu qui p a r t de la
guise. Cela co nduit le cinéaste à être prem ière image — de ria n te s collines
ou à ne pas être « synchrone » avec la —-, suit une longue iîle de m e u rtriers
matière picturale employée. Il est bien et de suppliciés et aboutit à la dern ière
évident que dans Les Charmes ou dans image où la cam éra pivote lentem ent
Les Femmes du Louvre, ce synchronise sur elle-même p o u r nous faire lire, au
n ’existe pas : Bonnat ou Bouguereau centre d'une eau-forte, le mot : Naim.
seraient bien étonnés d’illustrer de p a P arm i d’autres mérites, cet essai a
reils essais. Mais le contraire peut se celui de faire en quelque sorte dessiner
p résenter et dans le cas des Désastres devant nous p a r Goya l’arch éty pe m ons
de la Guerre il est manifeste que Kast trueux de tous les désastres de toutes
est « synchrone » avec son peintre : son les guerres, de d ém on trer une fois de
propos rejoint — et déborde même — plus qu ’il n 'y a pas de guerre fraîche et
celui de Goya, comme cela aurait p u joyeuse; q u’il n ’y a pas de « bonne >
être également le cas avec les gravures guerre, en aucun cas, p o u r aucune
de Callot sur le même sujet. cause; même inévitable, la guerre est
Cet accord entre modèle et modeleur mauvaise en soi, intrinsèquem ent, es
donne au fdm une grande et âpre unité sentiellement puisque son germe est la
de ton. Nous n ’avons aucune acrobatie m ort et qu'elle accouche de squelettes
mentale à effectuer p o u r saisir une si Vérités prem ières ? Hélas, oui. Mais
gnification qui est à l’inverse de son l'hoinme sain d’esprit peut-il se lasser
signe. Il n ’y a qu'à se laisser couler à de les répéter ?
pic dans un uniyers horrifiant et exem A l’intérieur de cette portée générale,
p laire : le bouleversant univers de ce film replace une fois de plus devant
Goya ou la plus adm irable des formes, un autre drame, le dram e espagnol,
sans jamais de fatigue, dresse devant ceux qui ont la mémoire courte, ceux
nous la plus lucide, la plus courageuse qui tendent a u jo urd ’hui une main sale
des pensées, au sinistre mutin. Puisse ce réq uisi
Kast ne s'est d ’ailleurs pas contenté toire, illustré p a r la m ain p ro p re du
d'utiliser la célèbre série de eaux- génie artistique, leur faire c o m p ren dre
fortes. Nous voyons au début la période qu’il n'y aura pas de p aix sur cette
rose de Goya, les idylles champêtres, les terre, po ur personne, ta n t que pèsera,
balançoires, les carosses, les petits sur la rude et douce péninsule, le joug
chiens, les joueurs de guitare. G'est sur révoltant de l’oppression.
cette vie heureuse que va fondre le •T. D o n i o l - V a l c r o z e
60
COQUELIN NOUS VOICI !
CYRANO DE BERGERAC,-, film d e M i c h a e l G o r d o k . ' Scénario : (Tari
Foreman d'après la pièce d'E d m on d Rostand. Images .-'F rank P laner (Procédé
photographique spécial' des lentilles compensées Garusio). Musique : Dim itri
Tiomkin, Interprétation : José F e rre r (Cyrano), Mala Pow ers (Roxane), William
Prince (Christian). P roduction : Stanley Kramer; pro d u c te u r associé : George
Glass. Distribution ; U nited Artists.
62
MORT TOUS XES APRÈS-MIDI
LA COURSE DE TAUREAUX, film de -P i e r r e B r à u n b e r g e r et M y r ia m . Scé
nario : Jpierre Bràunberger. Commentaire : Micliel- Leiris, d it p a r Jean Desailly.
de Guy, Bernard, Interprétation : Manelete, Appar.icio, Arrnzà, Luis Miguel Domiri-
guin, Gonzalès, Litri,' Martorelles, Luis Yasquez, Bombita, Machaquito, Belmon.te,
Ortega, Conchita G in tr o n .-Production- Panthéon, 1951.
63
cette géométrie n’est pas dans les im a E rronée parce .que le sujet comporte
ges. Cette déduction est presque su en lui-même son p ro p re dépassement
perflue; p o u r Koulechov ’ elle était se et c’est en cela que le p ro po s de Pierre
condaire, ce qui comptait c’était le Braunberger est peut-être cinématogra
sens prêté au sourire p a r le choc des phiquem ent plus g rand encore qu ’il ne
images. Tout autre est ici le ra p p o rt : le pouvait croire.
Myriam vise d’abord au réalisme p h y L ’expérience du th éâtre filmé — et
sique* La supercherie du montage tend son échec quasi total ju sq u ’aux récen
à la vraisem blance du découpage. L 'en tes réussites qui renouvellent lé p ro
chaînem ent de deux taureaux dans le blème — nous a fait p re n d re cons
mouvement ne symbolise pas la force cience du rôle de la présence réelle.
du taureau, il se substitue insensible Nous savons que la photographie du
ment à la p hotographie du taureau spectacle ne nous restitue celui-ci que
inexistant que nous croyons voir. C'est vidé de sa réalité psychologique; un
seulement à p a r tir de ce réalisme que . corps sans âme. La présence ré cipro
le m onteur constitue le sens de son que, l'affrontement en c h a ir et en os
montage comme le metteur, en scène à du spectateur et de l'acteur n ’est pas
p a rtir de son découpage. Ce n ’est plus un simple accident p h ysique mais un
lu camera-œil mais l'adaptation de la fait ontologique constitutif du specta
technique du montage à l'esthétique de cle en ta n t que tel. P a rta n t de cette
la camera-stylo. donnée théorique; aussi bien que de
C’est po urquoi les ignorants comme l’expérience, oh p o u r r a it in férer que
moi tro uv eron t dans ce film une i n iT La course de taureaux est encore
tiation aussi claire et complète que pos moins ciném atographique que le (théâ
sible. , Car ces documents ne sont pas tre. Si la réalité, théâtrale ne passe pas
montés au hasard- de leurs affinités sur la pellicule, "que dire de la tragé
spectaculaires mais avec rigueur et die taurom achiqùe, de sa liturgie et du
clarté. L ’histoire de la course de ta u sentiment quasi religieux qui l'accom
reaux (et du taureau de combat lui- pagne. Sa photog raph ie peut avoir une
même), l’évolution du style jusqu’à, et valeur docum entaire ou didactique
depuis, Belmonte,. sont exposées avec mais comment pourrait-elle nous resti
toutes les ressources didactiques du tuer l’essentiel du spectacle : le trian
cinéma. Dans la description d'une gle mystique entre la bête, l’homme et
figure, l'image s’arrête au moment cri la foule ? '
tique et le com m entateur explique les Je n ’ai jamais assisté à une course de
positions relatives de l’homme et de la taureaux et je n ’a u rai pas le ridicule
bête. Faute, vraisemblablement, d ’avoir de p ré ten dre que le film m'en offre
eu à sa disposition des prises de vues toutes les émotions, mais je soutiens
au ralenti, P ierre Braunberger a eu re qu’il m ’en restitue l’essentiel, son noyau
cours à la truca, mais l'a rrê t sur l'image métaphysique : la mort. C’est autour
est aussi efficace. Sans doute les q u a de la présence de la mort, de sa v ir
lités didactiques de ce film en sont tualité-.permanente (mort de la bête et
- elles aussi la limite, du moins en de l'homme) que se co nstruit le .ballet
apparence. L’entreprise est moins g ran tragique de !a course. C’est p a r elle
diose, moins exhaustive que celle d'IIe- que l'arène est quelque chose de plus
- m ingw ay dans Mort dans l'après-midi. que la scène théâtrale; sur celle-ci on
La course de ..taureaux peut n ’a p p a ra î joue la m ort; le t o r e r o . joue sa vie
tre que comme un docum entaire de comme le trapéziste sans filet.. Or la
long métrage passionnant mais enfin un m ort est un des ra res événements qui
« docum entaire ». Ce serait là une vue justifie-le term e c her à notre ami Claude
injuste et erronée. Injuste car la mo Mauriac de spécificité ciném atographi
destie pédagogique de l’exécution est que.-Art du temps, le ciném a a le p riv i
beaucoup moins une limitation q u ’un lège exorbitant dé le répéter. Privilège
refus. D evant la gra n d e u r du sujet, la commun aux arts m écaniques mais dont
somptuosité de la matière, Pierre iî peut user avec infinim ent plus de
B raunberger a p ris le p a r ti de Phumi- puissance que le disque et la radio.
ïité, le com m entaire se borne,' à expli Précisons plus encore, c ar il est d ’au
quer, il se refuse à un lyrisme verbal tres arts temporels comme la musique.
trop facile et que le lyrisme objectif Mais le tem ps dé la musique est immé
de l'im age écraserait. diatem ent et p a r définition un temps
64
esthétique, tandis que le cinéma, n ’at pas sans raison qu'on l'appelle la petite
teint ou ne construit son temps esthé m o r t.—- du moins ne se représente pas
tique qu ’à p a r tir du temps vécu, de la sans violation de sa nature. Cette vio
« durée » bergsonnienne, irréversible la tio n . se nomme obscénité. La re p ré
et qualitative p a r essence. La réalité sentation de la m ort réelle est aussi
que reprod uit à. volonté le cinéma et une obscénité non plus : morale comme
q u ’il organise c’est la réalité du monde dans l ’amour mais m étaphysique. On
dans lequel nous sommes inclus, c’est ne ,meurt p as deux fois; La p h otogra
le continuum sensible dont la pellicule phie sur ce poin t n ’a pas le pouvoir
p re n d .un moulage à la fois spatial et du film, elle ne peut représen ter q u ’un
temporel. Je . ne puis répéter un seul •agonisant ou un cadavre, non p o in t le
instant de ma 'vie mais l'un quelconque passage insaisissable ide l'un à l ’autre.
de ces instants le cinéma p eut le ré p é On a pu voir il y a ^ r o is ans, dans les
ter indéfiniment devant moi. Or s’il est actualités, d ’hallucinants docum ents
vrai que, p o ur la conscience, nul instant sur la répression anticomm uniste à
n'est identique à quelqu'autre, il en est Shangaï, des espions » rouges exé
un sur, lequel converge cette différencia cutés à coups de révolver su r la place
tion fondamentale c’est celui de la publique. Le spectacle était intolérable:
mort. La m ort est pour l'être le moment on recom m ençait à tuer ces hommes.
unique p a r excellence. C’est p a r ra p Ces considérations ne m’ont pas éloi
port; à lui que se définit rétroactivem ent gné autant qu ’il semble de La course
le temps qualitatif de la vie. Il marque de taureaux. On me com prend ra si je
la frontière de la durée consciente et dis que le tournage d’une rep résenta
du temps objectif des choses. La m ort tion du Malade Imaginaire n ’a aucune
n'est qu’un instant après un autre mais valeur ni théâtrale, ni ciném atographi
c'est le dernier. Sans doute aucun ins que mais que si la caméra avait assisté
tant vécu n ’est identique aux autres à la dernière représentation de Molière
mais les instants peuvent se ressembler on aurait un film prodigieux.
comme les feuilles d ’un arbre. D ’où C'est pourquoi la r e p ré s e n ta tio n _sur
vient que leur répétition ciném atogra l’écran de la mise à mort d un .taureau
phique est plus paradoxale en théorie (qui suppose le risque de m ort de
q u ’en pratique; nous l’admettons en dé l'homme) est dans soii prin cip e aussi
pit de. sa contradiction ontologique émouvante que le spectacle de l’instant
comme une sorte de réplique objective réel q u ’il reproduit. En un certain sens,
de la mémoire. Mais deux moments dé même, plus émouvante car elle multiplie
la vie échappent radicalem ent â cette la qualité du moment originel p a r' le
concession de la conscience : l’acte contraste de sa répétition. II lui confère .
sexuel et la mort. L’un et l’autre sont une solennité supplémentaire. Le ci
à leur m anière la négation absolue du néma a donné à la m o rt de Manoletle
temps objectif : l’instant qualitatif à une éternité matérielle. Sur l’écran le
l'état pur. Comme la mort, l ’am our se torero m eurt tous les après-midi.
vit et né se représente pas — ce n ’est A n d r é B a zin
L À R E V U E D È S R E V U E S
St ATS-UNIS " \
FILMS IN REVIEW (31 Union Square Wes* New York 3. N .Y .). . Numéro 8, '.
octobre. - Un intéressant article de A rth u r R night sur les c tw o -re e l coinedies ».
Produites p a r BiograpJi,. Kcystone, Essnnay ou-M utual,'ces bandes qui donnèrent
p o ur la première fois'la possibilité de s'exprim er à Mack Scnnctt, Chaplin, Lang~ ,
don; Buster Kcaton,' Harold Lldyd, constituent une d e s ‘pages' im portantes dé .
l'histoire du, cinéma.. Relevons cependant que- l’a u te u r semble enclin à donner .
plus d'attention à ce “q u ’il nomme l'école do.s Talents, qu ’aux mérites propres: de
ces. courts métrages. S’ils- brillent toujours d ’un.-tel éclat, ils le 'doivent à la p e r
fe c tio n -.qu'ils atteignirent, et à laquelle leur déclin u ltérieur lie saurait rien :
enlever.' - 'V
• Dans le même numéro, Stephen Lewis constate avec une satisfaction assez,
som maire la vogue croissante des films, sur. l’art. Ceci à propos du p rem ier [estival
du film d 'a rt organisé en Amérique, p a r.le s soins,de là;Woodstocfc Colony (N.Ÿ.),.
e i: d ont Ie p alihar ès nous semb Ie plus justifié que celui de Y én ise. Citons égale m eut
un article de Jean Debrix « Cinéma et Poésie ». THE QUÀRTERLY OF FILMS,
RADIO AND TELEVISION (Ex HOLLYWOOD QUARTERLY), U niversity of Cali
f o r n i a Press. Berkeley 4, California) —- Automne 51.
\ T r è s bien im prim ée sur un fort beau et épais p a p ie r p a r rU niv ersité de Cali
fornie, cette revue,^ qui vient d ’am p uter son titre du mot « Hollywood », jugé
sans doute tro p p eu sérieux au re g a r d du ton habituel de ses articles, publie, son
numéro d'automne. Les amateurs d’un certain hum our liro n t.a v e c p laisir une.
étude extrêm ement consciencieuse de Mr. Gordon 'Mirams : « Drop that Gun ! s>.
L'auteur, qui — nous a p prend une petite notice placée en épigraphe — a été
nommé* chef de la censure des films en Nouvelle-Zélande après ùn stage d ’un an
et demi à l’Unesco, est bien connu dans son p ay s comme « critique et commenta- .
téur'ï-. Il est également l’auteur d ’un petit livre sur le cinéma considéré sous son
aspect social et pomme distraction, intitulé « P arlons franchem ent &,(on rem arque
un goût manifeste po ur les im pératifs présent).
Kir. Mirams. donc, considérant 100 films distribués en Nouvelle-Zélande de
/décembre 1949 à avril 50, a m inutieusem ent compté le nom bre des assassinats
figurés dans ces bandes, et les a classés en m eurtres au revolver, à la mitraillette,
au couteau, etc..., puis en crimes passionnels, actes de banditism e divers... P o u r
suivant ses statistiques sur près de vingt pages, il les a étendues aux « actes de
violence », tels que coups de poings gifles... puis au x/p ré m é d ita tio n s d e s/d its
meurtres et actes. Bref, le ;canon d ’un fusil ne se m ontre pas dans un W estern sans
que Mr. Mirams ne le note aussitôt suif ses tablettes. Nous sommes ainsi en mesure
de révéler à n.os'lecteurs que si le 'nombre moyen des crimes et violences atteint
3 po u r un film am éricain, il n ’est que de 1,6 p o ur un film non-américain.
La liste des films cpnsidérés m ontre qu'il n ’est pas a p paru à Mrs Mirams que
des critères différents pouvaient être appliqués à . Give us this Day, Under Capri-
corn ou S tro m b o li/e t à Comanche. Terrilory, Chinatown at Midnight ou. Oh, You
Beautiful Doll. . \ ,
' THEATRE ARTS (130 West 56 Street, New-Yofk 19 N. Y.), Numéro 8. • - Cette
livraison est entièrement consacrée à Hollywood, et d on c en grande partie aux
movies. Sans douté les rédacteurs . de la revue garderit-ils plus volontiers leur ,
regard tourné vers la scène que l'écran ; néanmoins, même les amateurs du seul
cinéma liront avec beaucoup d ’intérêt' ce numéro, composé et illusti'é de façon
très attrayante. Th. Dreiser y est à Fiionneur. Place in thé Sun est- l’occasion de
rappeler son œuvre. De même p ou r celle de Renoir, à propos de The River, q ui,
pense Gordon Allison, plonge dans un climat tout, à fait nouveau la poésie des
images, transm utation subtile du charm e de l'Inde.
Un excellent article sur la révolution apportée dans le dessin animé p a r les
cartons produits po u r UPA p a r Stephen Bosustow, dont la plus réjouissante
bombe, le Gérald Me Boing-Boing de R obert Cannon, illustre, abondam m ent le
texte de A rthur Knight. v
Ce num éro contient encore'.des pages sur Hitchcock et Strange'rs ,on a Train,
les écrivains de cinéma à Hollywood, D anny Ivaye, dont le talent est jugé plus
théâtral que cinématographique, la danse, du ballet A'Idylle aux Champs à celui
de Un A m éricain à Paris, des critiques de films, et le scénario intégral du
Mouchard. ' ' : ’ .; • ._ .
RÉPONSES
CET AGE EST SANS PITIE. — Décidém ent c ’est le mois des attaques, £ .Père
gardez-vous à droite. Père gardez-vous à gauche ». C’est VAge du Cinéma, publi
cation traitanL du surréalisme, qui s’en p rend aux Cahiers avec une violence qui
nous, a paru; disons-le à sa décharge, plus affectée que sincère. Après avoir cour
toisement mis hors du coup J.B. E run iu s et Nirïo Frank, collaborateurs communs
aux deux revues, L'Age du Cinéma s’en p rend particu lièrem ent à votre serviteur.
Ses attaques portent essentiellement sur deux points. Le p rem ier est personnel,
j ’y répondrai brièvement. Les rédacteurs de. L'Age du Cinéma ont de bonnes lec
tures; bien qu’ils se gardent d ’en d on ner la référence, ils ont découvert grâce à
une excellente étude de Karel Reisz p aru e dans le N°.'lâ de Sequence q u e 'j ’avais
fait un grave contresens en traduisant une déclaration du « soi-disant auteur de
films W y l e r » (Rcoue du Cinéma n" 10 et 11).'-C'est là une correction fraternelle
que j’accepterais volontiers, bien que de seconde m ain : mon! anglais a toujours
failli, me faire coller aux examens, s'il ne s’ÿ ajoutait un jugement de valeur à
propos de « démocratie et pro fo nd eu r de. c h a m p » qui témoigne, dans f utilisation'
du dit article de Sequence, d ’une singulière économie' intellectuelle.. Puis-je conseil
ler, aux rédacteurs de L ’Agé du. Cinéma dô faire preuve de p liis-d ’humotir que-
leurs .sources anglaises au lieu de m'en attribuer à contre-temps.
Le second^ argument est plus im portant car if intéresse l’orientation rédaction-,
nelle générale des Cahiers. Mon article sur Le -Journal, d ’un- Curé de campagne
illustrerait une obscure entreprise de goupillonnage critique. C’est tout juste Si
l’on ne nous accuse pas d’etre payés p a r le Vatican (d'autres d iront sans doute p a r
Moscou ou Washington). E ncore que je . suis convaincu que -L’Age du Cinéma
ne p re n n e pas au sérieux cettc comique insinuation, elle me fournit le prétexte à
une mise au point.
L ’indépendance intellectuelle, philosophique et politique de cettc revue est
totale. Mais indépendance ne signifie pas que nous devions aligner tous nos, arti-
63
d e s sur un commun dénom inateur anarcliisant laïque et obligatoire. II.ne dépend
pas de nous que, l'époque ne fasse plus guère dé place à u n éclectisme indiv idu a
liste et que le cinéma .comme la critique soit de plus en plus souvent « engagé »
p a r rajîport à des valeurs métaphysiques sociales ou politiques. Il eut été absurde’
vers 1926-27 de ne pas accorder à l'épanouissement du Cinéma soviétique l'viîi-.i-
tion et l’i n t é r ê t q u ’il méritait. Je ne vois pas p o urquoi Léon Moussinac eu c .l
plus mal parlé, alors, que Robert Brasillach. II y a même a p rio ri quelques ch-n- t s
.qu'une sym pathie complète avec l’œ uvre p rélude à une intelligence plus pv 1 • ide
de ses qualités. C’est aussi un fait auquel nous ne pouvons rien que les rù- nies
religieux sont depuis cinq ans à l’origine de plus en plus de films i n t é r e s ^ v s . Si
cela gêne L'Age du Cinéma q u 'if s’en p ren ne au protestant Delannoy, uu à l'agnos
tique Bresson. Nous connaissons bien les affinités du surréalisme . a v e c . le style
St-Sulpice” et nous comprenons son inquiétude à voir disparaître de;s écrans
ce dern ier refuge de la poésie involontaire, mais que pouvons-nous faire d ’autre
que ’ le constater ? Si ceux qui s’en chargent ici se trouvent avoir quelques
affinités spirituelles ou politiques avec les sujets dont ils tra ite n t c ’est seulement
parce q u o n aime mieux p a rle r de ce qu ’on, connaît. Au dem eurant nos
rédacteurs savent encore à l'occasion parler, avec sympathie d'œ uvres cinémato
graphiques valables dont les présupposés philosophiques leur sont personnelle
ment étrangers. Que L ’Age du Cinéma se rassure, nous saluerions de même leî>
blasphèmes i\c L’Agé d ’or si l’ocçasion s’en présentait. Mais 'qu'avons-nous à faire
de la critique prolongée d ’un cinéma qui n'existe p lu s ? Les Cahiers du.'Cinéma
sont ouvert à... tous a rtic le s,q u i nous paraissent répo nd re aux seuls critères .-de
l'intelligence critique et de l’amour du cinéma.
DE QUI. SE MOQUE-T-ON ? -— Nous saluerions avec p laisir la naissance de
notre confrère Reflets du Cinéma si celui-ci,ne trouvait apportun dès la deuxième
ligne de son édito rial de s'attaquer aux Cahiers du Cinéma. L'élégance du pro cédé
n ’a d'égal que son honnêteté intellectuelle, j'en fais juge le.lecteur :
« Martine Carol ne divorce pas, mais elle retourne chez sa mère ».
Il n'a fallu que le .bruit d’iui essuie glace d'automobile sur un texte de Diderot
pour en faire un dialogue racinien.
De qui se moque-1-on V
Croit-on v ra im e n t que ce genre 'd’inform ation, qui pou rtan t a un dessein
publicitaire, soit susceptible d’attirer un spectateur de plus au cinéma,?
P.ense-t-on q u ’un critique se-liv rant à des fantaisies littéraires contribue en
quoi que ce soit à faire admettre le cinéma au rang des arts, fut-ce le septième... ».
Ce texte est signé Paul Clnvatt, je le précise, car Reflets du Cinéma qui cite deux
fois les 'Cahiers se garde bien de donner la référence de crainte sans doute de
faire une piddicité indirecte à une revue.que de telles attaques posent d'emblée en
concurrente. -, -
Que Martine Carol m’excuse, je .n e saurais q u’etre flatté d'être renvoyé dos à
dos avec elle, mais il. me faut bien discute]- cet honneur. Ferai-je. rem arquer à
Paul Chwat; que la prem ière information se suffit à-elle-même, quand la seconde
n ’a aucun sens en dehors du contexte q u ’elle veut synthétiser. Dans le genre,
P ierre Laroche est beaucoup plus fort et j ’aime mieux lire Le Canard-Enchaîné.
Mais puisque Paul Ch w att veut nous donner des leçons de sérieux et de style
critique, nous p o u rrio n s citer.par-exem ple, le de rn ie r paragrap he d'un article de
sa revue. « L’image e.t le son sont des fragments psychiques : espace,-tem ps,'puis
sa n c e , durée. Une série de fragments crée toujours un climat phénom énologique'
p ropre à une nouvelle composition audio-visuelle. Ce p o u rrait ôtve~’la règle d ’or
de l’art de l’écran ». • '
Nous ne le ferons pas, d ’abord-parce que nous dédaignons des procédés aussi
faciles ensuite p a rc e que nous ne pensons pas que le vocabulaire critique de Bre
ton neiche, empcche ses idées d ’être valables et honnêtem ent discutables, comme
il juge tes nôtres. Nous pensons q u’eiles peuvent contribuer, comme le travail p r o
fessionnel de l'excellent monteur qti’il est, à faire admettre le cinéma au rang des
arts, fut-ce le septième.
Je doute p a r contre que les'méthodes journalistiques de Paul C h w a lt:y contri
buent po ur leur part. . . i n
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