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gouvernements autoritaires, liberticides, que les


responsables démocrates essayaient jusqu’alors de
Au G20, le visage grimaçant du monde
PAR MARTINE ORANGE
maintenir un peu à distance.
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 2 JUILLET 2019

Photo officielle du sommet du G20 à Osaka. © Reuters

Avant même la tenue du sommet, Vladimir Poutine


Les dirigeants du G20 à Osaka, le 28 juin 2019. © Reuters avait donné l’ordre du jour des discussions d’Osaka. «
Avant même la tenue du sommet à Osaka, Vladimir Le libéralisme est obsolète », indiquait le président
Poutine avait donné le la en déclarant que « le russe dans un très long entretien au Financial
libéralisme est obsolète ». Et de fait, cette réunion du Times publié le 27 juin. Il ne s’est trouvé que deux
G20 a été marquée par l’affirmation de l’illibéralisme, dirigeants pour s’élever contre cette affirmation : la
la réhabilitation et la réinstallation des pouvoirs première ministre britannique, Theresa May, sur le
autoritaires et liberticides dans le premier cercle des départ et le Polonais Donald Tusk, président du conseil
responsables mondiaux. L’Europe n’a rien dit, actant européen, sur le départ également.
sa reddition. « La première ministre rappelle que le Royaume-Uni
À première vue, le dernier sommet du G20 n’a guère continuera à défendre irrévocablement la démocratie
été différent des autres. Il y a eu comme d’habitude de libérale et à protéger les droits de l’homme et l’égalité
belles déclarations d’intention, un pseudo accord sur le de toutes les personnes, y compris les LGBT », a
changement climatique et la nécessité d’entretenir des indiqué Theresa May dans un communiqué. « Je dois
relations pacifiées entre les 20 pays les plus puissants dire que je suis en profond désaccord avec l’argument
du monde, des photos en rang d’oignons où tout le principal selon lequel le libéralisme est obsolète. Nous
monde se congratulait, des messages rassurants. sommes ici en tant qu’Européens aussi pour défendre
Aux dires des observateurs, il y eut même une avancée et promouvoir fermement et de façon irrévocable
remarquable : comme l’espérait le monde financier, la démocratie libérale […]. Pour nous cela est et
Donald Trump a mis en sourdine ses attaques contre restera des valeurs essentielles et vivantes. Ce que
la Chine. Les deux présidents se sont engagés à je trouve vraiment obsolète, c’est l’autoritarisme, le
reprendre les négociations afin d’enterrer leur guerre culte de la personnalité, la loi des oligarques. Même
commerciale. Jusqu’à ce que Donald Trump, par un si parfois cela donne l’impression d’être efficace »,
tweet vengeur, envoie tout balader… a poursuivi de son côté Donald Tusk au milieu du
silence assourdissant de ses partenaires.
Pourtant, au-delà de ces figures diplomatiques
imposées, il s’est bien passé quelque chose de Aucun autre dirigeant européen n’est venu le seconder
nouveau à Osaka : ce sommet a été celui où l’après- dans cette défense des valeurs libérales européennes,
mondialisation a été actée, où la défense des valeurs à commencer par la France et l’Allemagne. Lors
démocratiques a été abandonnée, où l’affirmation d’un entretien en tête à tête avec Vladimir Poutine,
de l’illibéralisme, comme idée dominante pour Donald Trump, lui, s’est contenté de plaisanter,
gouverner le monde, a été acceptée. À ce G20, le invitant ironiquement la Russie à ne pas se mêler
monde a présenté un visage grimaçant, réhabilitant, des prochaines élections américaines. Une façon de
réinstallant comme interlocuteurs acceptables des signifier combien il est en accord en tout ou presque
avec le président russe.

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Lors de sa conférence de presse, Donald Trump a fait un job spectaculaire », a assuré Donald Trump, lui
d’ailleurs soutenu en tout point l’analyse russe, allant rouvrant ainsi la porte du premier cercle des dirigeants
jusqu’à critiquer et menacer les défenseurs des valeurs du monde.
libérales américaines. « M. Poutine voit ce qui se
passe. Si vous regardez à Los Angeles et à San
Francisco et dans d’autres villes dirigées par des
groupements étonnants de gens libéraux, je ne sais
pas ce qu’ils pensent, mais il [Poutine –ndlr] voit bien
les événements qui se déroulent aux États-Unis, et qui
probablement empêchent qu’il puisse dire que c’est
merveilleux. Je suis moi-même très embarrassé par
ce que je vois », a déclaré Donald Trump. Avant de
Donald Trump et MBS au G20. © Reuters
brandir les menaces : « À un certain point, je pense
que le gouvernement fédéral devra intervenir. Nous ne Tous les autres se sont engouffrés à sa suite. À
pouvons laisser continuer ce qui passe » (la vidéo est l’exception à nouveau de Theresa May jugeant que
ici, le passage sur le libéralisme est à partir 1 h 12' Riyad « devait rendre des comptes » dans l’affaire
30"). Khashoggi, ils se sont tus. Pour justifier leur absence
de réaction, ils ont mis en avant le rôle essentiel
« MBS fait un job spectaculaire »
de l’Arabie saoudite dans la région, en pensant
Cette volonté d’enterrer les valeurs démocratiques a surtout aux milliards de commandes d’armes ou
été le signe de ce sommet. Sans attendre, Donald d’équipements divers qu’ils pourraient obtenir en
Trump s’est précipité pour réhabiliter le prince héritier retour.
saoudien, Mohammed ben Salmane (MBS), isolé du
Tout semble de nouveau aller dans le meilleur des
monde depuis l’affaire Khashoggi en octobre dernier.
mondes possibles avec Riyad, à en juger par leur
Alors qu'Agnès Callamard, rapporteure spéciale des
attitude. MBS est reparti d’Osaka avec l’assurance que
Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires,
le prochain sommet du G20 à l’été 2020 se tiendrait
sommaires ou arbitraires, a publié le 19 juin un
bien en Arabie saoudite. Après la réhabilitation
rapport cinglant sur le meurtre du journaliste saoudien,
ordonnée par Donald Trump, pas un pays n’a émis
dénonçant un « crime d’État », le président américain
la moindre objection sur l’opportunité de maintenir
n’a pas eu un mot au sujet de cet assassinat.
ce sommet à Riyad, même si tout cela était prévu de
Pas un mot non plus sur les milliers de morts
longue date.
au Yémen, sur l’emprisonnement des opposants
politiques, sur la répression contre les femmes et Dans la foulée de MBS, Osaka a été marqué
contre les défenseurs des libertés individuelles. MBS « par la réinstallation au plus haut niveau de tous
les gouvernements illibéraux, leur réintégration sans
conditions dans le « concert des nations ». Le président
turc Recep Erdogan a obtenu sans difficulté un
entretien privé avec Donald Trump – ce qu’aucun
dirigeant européen n’a pu avoir –, afin de régler
les différends entre les deux pays, notamment à la
suite de la décision de la Turquie d’acheter des
missiles russes. Les deux dirigeants assurent que
toutes les difficultés ont été aplanies, ce qu’Erdogan,
très affaibli politiquement, ne manquera pas de faire
valoir à son retour.

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Le premier ministre indien, Narendra Modi, qui réhabiliter tous les pouvoirs autoritaires et liberticides.
mène une politique de plus en plus autoritaire et Pensant être fidèles à eux-mêmes, ils ont préféré
corrompue, a eu le droit à un accueil chaleureux de signer des accords de libre-échange, censés incarner
tous. Dans un aparté, Emmanuel Macron s’est même la prolongation d’une mondialisation des productions
félicité de retrouver « son frère ». Le président et des échanges, un multilatéralisme mis à mal par la
brésilien, Jair Bolsonaro, a été intronisé sans problème diplomatie trumpienne, et donner ainsi une réponse à
dans le cercle des grands de ce monde, en dépit la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis.
des multiples affaires et violences qui marquent le Mais ce sont ces accords de libre-échange,
début de son mandat. dévastateurs tant pour les hommes que pour
L’Union européenne lui a même offert, lors du sommet la planète, dont les Européens ne veulent plus.
d’Osaka, sa première grande victoire diplomatique : Les responsables européens ont décidé de passer
oublieuse de tous ses engagements y compris en outre, donnant en filigrane leur définition de ce
faveur du climat – le gouvernement brésilien a qu’ils entendent par libéralisme : non pas celle des
engagé une politique, que ce soit minière ou agricole, libertés individuelles, collectives et publiques mais
totalement destructrice de l’environnement –, elle sa version la plus étriquée, la plus destructive : un
a signé l’accord de libre-échange entre l’UE et le capitalisme sans frein, un néolibéralisme qui ne vénère
Mercosur, en négociation depuis vingt ans. Dans le que le pouvoir de l’argent, quitte à passer par des
même temps, l’UE a aussi signé un accord de libre- formes autoritaires pour le défendre. Le succès de la
échange avec le Vietnam. Chine en impressionnant beaucoup, ceux-ci assument
Osaka a été ainsi l’illustration de tous les désormais que capitalisme et démocratie ne vont
renoncements, tous les fourvoiements européens. Tout plus ensemble, comme ils le soutenaient pendant la
à leurs conciliabules pour la répartition des postes guerre froide.
de la future commission européenne – cela a occupé En proclamant que « le libéralisme est obsolète »,
l’essentiel de leurs discussions –, les dirigeants Vladimir Poutine a mis l’Europe face à ses errements.
européens ont abandonné sans coup férir la défense des Le silence des responsables européens acte leur
valeurs démocratiques qui forment le ciment fondateur acceptation de l’analyse russe. À Osaka, ils ont signé
du continent. Ils ont accepté sans rechigner de leur reddition, sans même chercher à batailler. Au
moins pour l’honneur.

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