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À LA GUERRE COMME À LA GAME BOY

Edouard Elvis Bvouma

Ce texte a reçu en 2016 les prix :


- Prix des Inédits d’Afrique et Outremer
- Prix SACD de la Dramaturgie Francophone

Le texte est publié chez Lansman Editeur


Game over

Comme après une tornade.


Ou un cyclone.
Ou une fiesta.
Un jeune garçon.
Une jeune fille.
Un vieux transistor.

Game over !
Tu as entendu.
Comme moi.
Game over, il a dit.
Ne me dis pas que tu n’as pas entendu ce que je viens d’entendre.
Ce qu’il vient de dire.
Je peux pas répéter parce que la radio ne répète pas comme la radiocassette où tu peux appuyer
sur le bouton avec la flèche qui regarde à gauche pour que la cassette revienne derrière.
Tu as entendu mais est-ce que tu as compris ?
Tu sais qu’il y a une différence entre entendre et comprendre ?
C’est ce que disait le professeur Tournesol.
Pas le vrai professeur Tournesol, l’ami de Tintin.
C’est comme ça qu’on appelait mon maître à l’école parce qu’il avait la tête comme le
professeur Tournesol. Il portait du premier au trente et un une blouse kaki comme le manteau
vert du professeur Tournesol. Il avait la barbe du professeur Tournesol et les lunettes du
professeur Tournesol.
Tu as entendu mais est-ce que tu as compris comme j’ai compris ce qu’il vient de cracher dans
nos oreilles ?
C’est donc ça !
C’est donc pourquoi le camp est vide-vide comme le camp des romains après le passage
d’Astérix et des gaulois quand ils ont bu la potion magique.
Plus personne !
Ils n’ont pas fini le méchoui de cochon et toute la nourriture qu’on mangeait hier pour fêter la
prise de Dikambéré, comme les gaulois fêtent quand ils ont battu les romains allers-retours.
Regarde.
Ils n’ont même pas vidé la caisse de vin rouge qu’on a volé hier au curé de la paroisse. Le curé
gros comme frère Tuck de Robin Fusée, à qui on a coupé le bras parce qu’il ne voulait pas
lâcher sa caisse de vin de messe.
J’ai rien entendu à cause du ndjama-ndjama et du whisky.
Tu as entendu quelque chose toi ?
Ils ont fui ou ils sont morts ?
Dis-moi.
Ils sont morts ou ils ont fui ?
C’est même quoi ce micmac ?

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Non.
Ils ne sont pas morts.
Pas de sang partout-partout au sol ou sur les herbes.
Pas des cadavres éparpillés.
Pas des mouches comme quand nous on passe dans un village ennemi.
Pas de mauvaises odeurs comme après notre passage hier à Dikambéré.
Les mauvaises odeurs, ça attire les mouches.
Les mauvaises odeurs, ça attire les mangeurs de cadavres comme les vautours et les hyènes et
les fourmis.
Je ne vois ni hyènes, ni vautours qui volent en tournant en l’air comme dans les films westerns
quand ils ont senti l’odeur d’un cadavre.
Ils ne sont pas morts.
Nos ennemis ne peuvent pas les tuer et nous laisser vivants.
C’est impossible.
Le règlement dit qu’il ne faut jamais partir sans s’assurer que tout le monde est mort vrai-vrai.
Un vrai mort c’est un mort qui ne bouge plus, même quand on le pique avec la pointe du
couteau.
Qui ne respire plus.
Mais il y a des faux morts qui font semblant d’être morts.
Qui font semblant de ne plus respirer alors qu’ils respirent encore doucement doucement doucement
quand on ne les regarde pas respirer. Quand on ne les entend pas respirer.
« Il faut toujours écouter ce qui vient du cœur, car seule la vérité du cœur est la vérité. Si on ne
les voit pas, si on ne les entend pas respirer, il faut les sentir respirer car on peut faire semblant
de ne plus respirer, mais le cœur ne peut pas faire semblant de ne plus battre. Et si un cœur bat
encore dans la poitrine d’un mort, il faut s’assurer avant de partir que ce cœur ne battra plus
jamais sinon, ce cœur va battre le reste de ses jours au rythme de la vengeance !» J’ai bien
retenu la leçon, moi.
Donc ils ne sont pas morts parce que s’ils étaient morts, nous aussi nous serions morts.
Ou prisonniers avec des habits rayés et des grosses boules reliées aux chaînes attachées à nos
pieds comme les Daltons.
Ils allaient prendre nos armes.
Le camp serait brûlé.
Ils ont fui.
Ça ne peut être que ça.
Le feu du méchoui est éteint.
Ils ont fui depuis.
Avant le petit matin.
Avant que les oiseaux commencent à chanter parce que ce sont les oiseaux qui m’ont réveillé
avec leur chant au petit matin.
Ils se sont réveillés avant les oiseaux et avant nous.
Ce sont eux qui ont réveillé les oiseaux qui nous ont réveillés.
Ou peut-être ils n’ont même pas dormi.
Ils ont fui le camp avant même de dormir.
Ils ont su avant nous.

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Ils ont su qu’on a perdu.
Que les autres ont gagné.
Ils ont écouté la radio avant nous et ils ont fui parce qu’ils ont su que la guerre c’est game over.
Ils ont déserté le camp sans même nous réveiller.
Ou peut-être qu’ils nous ont réveillés et que nous on ne s’est pas réveillés.
Moi à cause du ndjama-ndjama et du whisky et toi pourquoi ?
Pourquoi tu ne t’es pas réveillée quand ils t’ont peut-être réveillée ?
À cause de ce que le Commandant t’a fait hier...
Ils ont fui, alors fuyons !
Il n’y a plus personne.
Même Dingo Dingue, le chien du Commandant n’est plus là.
Il n’y a que nous deux ici.
Partons.
Partons tout de suite.
Partons maintenant, je te dis.
Fuyons parce que si les autres nous attrapent, on est fini-fini.
Il a dit que la guerre c’est game over, tu as entendu comme moi et tu sais ce que ça veut dire.
Tu peux pas ne pas savoir ce que ça veut dire parce que toi aussi tu l’as entendu.
Ils vont pas nous tuer.
Ils vont pas nous jeter en prison.
Ils vont nous mettre en camp de dressement comme il vient de dire.
Tu entends ça ?
On dirait que ça te dit rien, à toi.
Peut-être que tu préfères le camp de dressement à la guerre mais est-ce que tu sais seulement
c’est quoi le dressement ?
Si tu sais pas, c’est parce que tu n’as jamais lu les aventures de Lucky Luke ou les romans
westerns.
Le dressement c’est quand on attrape un cheval pour la première fois.
Pas n’importe quel cheval.
Pas un cheval comme Johny Jumper parce que Johny Jumper, Lucky Luke l’a dressé le premier
jour, avant qu’ils deviennent amis pour de bon.
Le dressement c’est quand on attrape un méchant cheval sauvage.
Un cheval sur qui personne d’autre que celui qui l’attrape le premier n’est jamais monté.
On l’attrape avec un lasso.
Tu sais, le lasso…
Un lasso, c’est une grosse corde avec un nœud comme la corde avec laquelle le lâche de Topito-
enfant-de-cœur s’est pendu la semaine passée parce qu’il ne voulait plus faire la guerre.
Mais le lasso n’est pas fait pour se pendre comme le lâche de Topito-enfant-de-cœur, mais pour
tourner en l’air et lancer pour attraper les cornes des taureaux ou le cou des mustangs. C’est
comme ça qu’ils appellent les chevaux sauvages dans les westerns.
Tu sais qui c’est qui est le champion pour dresser les mustangs ?
C’est Tex Willer !
Parce que quand Tex Willer saute sur le dos du mustang, le mustang s’énerve et soulève la
poussière. Le mustang crie « huuuuuu !!!! huuuuuuuuuuuuu !!! » en levant ses deux pattes de

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devant pour renverser Tex et en balançant ses deux pattes de derrière pour projeter Willer sur
les rochers. Mais Tex reste accroché sur le dos du mustang en criant « yeahhhh !!!
yeaaaahhhhhhhhh !!! ». Et Kit Carson l’amie de Tex Willer, crie « Vas-y, Tex ! Vas-y, Tex ! »
en agitant son chapeau en l’air. Le mustang sort la bave comme les animaux et les gens qui
buvaient l’eau des rivières qu’on empoisonnait souvent quand on faisait la stratégie de la rivière
brûlée. Le mustang court partout-partout comme les villageois qui fuyaient hier quand on a
débarqué de la forêt pour envahir leur village. Le mustang se débat se débat jusqu’à fatigué.
Après le mustang s’arrête et marche main dans la main avec Tex Willer. À partir de ce jour il
devient un gentil cheval domestique parce que Tex Willer l’a dressé.
C’est comme ça qu’ils vont nous dresser.
Ils vont nous enfermer dans un camp pour nous dresser comme les cowboys dressent les
mustangs.
Tu sais que les cowboys ont existé vrai-vrai ?
Ils vont nous mettre en camp de dressement parce qu’ils veulent nous traiter comme des enfants
sauvages qu’il faut dresser.
Ils ne m’auront pas dans leur foutu camp de dressement, c’est moi qui te dis parce que je suis
pas un enfant et je suis pas un sauvage.
Les sauvages, ce sont les mustangs et les chats sauvages comme Satanas l’ami de Zembla.
Les sauvages, ce sont les indiens Sioux qui attaquent les cowboys dans les westerns.
Mais eux ils nous prennent pour des sauvages, c’est pour ça qu’il faut qu’on parte sans plus
attendre.
Et il n’a pas tout dit, le mec de la radio.
Il nous a caché quelque chose.
Je te dis qu’il n’a pas tout dit si tu sais pas je te dis qu’ils vont pas que nous mettre en camp de
dressement.
Ils vont aussi nous mettre en cure d’intoxication.
Oui, tu as bien entendu.
En cure d’intoxication qu’ils vont nous mettre.
Un truc pour qu’on ne prenne plus jamais le ndjama-ndjama.
Pour qu’on fuie cent à l’heure quand on voit le ndjama-ndjama et même le whisky.
Je sais de quoi je parle, j’ai vu ça dans un film : on enferme quelqu’un dans une pièce où il ne
peut plus prendre la poudre qui est comme la farine du couscous que le Commandant prend
matin midi soir.
Tu imagines le Commandant sans sa poudre une journée ?
Il va devenir fou, le Commandant.
Il va nous tuer tous le Commandant, comme il a tué notre ami Dany-La-Taupe quand il a volé
sa poudre.
Mais dans le film, l’homme qui prenait la poudre qui est comme la farine du couscous d’abord,
s’énerve et commence à crier « Fuck you ! Fuck you ! ».
Après, l’homme qui prenait la poudre qui est comme la farine du couscous commence à
trembler comme les ennemis sur qui on pointait souvent les armes.
L’homme qui prenait la poudre qui est comme la farine du couscous commence à pleurer
comme les femmes qui pleuraient quand on les attrapait à la rivière.

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L’homme qui prenait la poudre qui est comme la farine du couscous commence à avouer ce
qu’il a fait et ce qu’il n’a pas fait pour qu’on lui donne un peu de poudre qui est comme la farine
du couscous.
Dans les films ils font la cure d’intoxication aux grands mais là ils vont nous faire ça à nous
dans leur camp de dressement c’est pas juste !
C’est pas juste parce qu’ils ne font ça qu’aux enfants dans les camps de dressement.
Ils vont même pas nous mettre dans l’armée comme ils vont mettre les grands qui se rendent
aux forces loyalistes en levant les deux mains en l’air comme Billy The Kid quand Lucky Luke
l’attrape.
Ils vont mettre ces lâches dans l’armée tu te rends compte ?
Et ils auront maintenant de vraies tenues de militaires.
Avec des vrais grades.
Avec des vrais salaires.
Ils ne vont même pas nous jeter en prison parce qu’ils savent que s’ils nous jettent en prison on
va s’évader comme les Daltons.
Ils ne vont même pas nous juger comme ils jugent les grands pour savoir s’ils sont coupables
alors que nous on sait bien qu’ils sont coupables.
S’ils nous attrapent, ils ne vont même pas nous dire : « Vous avez le droit de garder le silence.
Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous. Vous avez le droit de prendre un avocat.
Vous avez le droit de patati patata… »
Tu sais que s’ils attrapent le Commandant ils vont lui donner un avocat ?
Eh oui, tu as bien entendu.
Un avocat !
Pas l’avocat qu’on mange avec le bâton de manioc, mais un homme qui s’habille avec une robe
noire et qui sera là pour dire que le Commandant n’a pas fait ce qu’il a fait comme s’il était là
quand le commandant faisait tout ce qu’il a fait.
Un homme qui va prouver à tout le monde que le Commandant avait raison de tuer tous les
gens qu’il a tués.
Et le Commandant n’aura pas n’importe quel avocat.
Il aura un avocat Blanc.
Et avec son avocat Blanc ils vont prendre l’avion pour qu’on parte le juger là-bas, loiiiiiiiin
dans le pays des Blancs, à la cour pénale nationale de justice.
C’est une grande cour comme la cour d’une école, mais à l’intérieur d’une salle avec beaucoup
d’avocats et beaucoup de présidents du tribunal des Blancs qui jugent les présidents et les
rebelles Noirs qui ont fait le crime de l’humanité.
On les juge devant la télévision comme dans les films alors que nous, on va être condamnés au
camp de dressement ici comme les chevaux sans même faire les enquêtes comme Sherlock
Holmes et son cher Watson et sans jugement c’est pas juste !
Ils veulent nous traiter comme des enfants.
Moi je suis pas un enfant, moi.
Je suis un grand.
Est-ce que les grands quand ils sont grands redeviennent petits ?

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Quand les grands finissent d’être grands, ils deviennent grands-pères avec les cheveux blancs
et ils n’ont plus les dents comme le Commandant qui n’a plus toutes ses dents alors qu’il n’est
pas encore grand-père.
Pourquoi nous on doit redevenir des petits enfants alors qu’on a déjà les poils ?
Oui, j’ai déjà des poils autour de petit Dago, je te dis si tu sais pas.
Même toi tu as déjà les poils.
Tu ne savais pas que je sais que tu as déjà des petits poils autour du babadi ?
Je les ai déjà vus moi, tes poils sur le babadi.
Et ils veulent nous prendre pour des enfants qu’on envoie au camp de dressement et en cure
d’intoxication alors que toi et moi on a déjà les poils !
Est-ce que les enfants fument la cigarette ?
Est-ce que les enfants fument le ndjama-ndjama ?
Est-ce que les enfants connaissent faire la guerre ?
Qui c’est qui a ramené au Commandant Sauve-qui-peut la tête du Sergent Zapata qui voulait
être commandant à la place du Commandant comme Iznogood voulait être calife à la place du
calife ?
Ils veulent me prendre pour un enfant alors que le Sergent Zapata était un grand mais j’ai ramené
sa tête la semaine passée au Commandant pour son anniversaire.
Je veux pas qu’ils me prennent pour un enfant parce que je suis pas un enfant, moi.
Les enfants c’est Fifi, Riri et Loulou, les neveux de l’Oncle Picsou ; ou bien Yéyé l’ami de
Zembla qui est ridicule avec son petit caleçon et son horloge accrochée au cou.
Je suis pas un enfant.
Un enfant ça pisse au lit.
Un enfant ça chie dans le caleçon pour que les grands enlèvent les cacas dans ses fesses.
Un enfant ça boit la bouillie et le lait alors que les grands boivent le whisky et la bière comme
nous.
Un enfant, ça suce les bonbons, ou le pouce, ou le biberon, ou les seins de sa mère alors que les
grands sucent les seins des filles comme le Commandant suçait tes seins hier.
Ça pleure tout le temps, un enfant.
Est-ce que tu m’as déjà vu pleurer, moi ?
Même quand je me blessais au front ou quand j’étais envoyé à la corvée par le Commandant
pour me punir, est-ce que tu m’avais déjà vu pleurer ?
Arrête de pleurer et dis-moi si tu m’as déjà vu pleurer.
Tu pleures parce que tu veux me faire croire que tu es une enfant mais je sais que tu n’es plus
une enfant.
Tu pleures parce que je viens de dire que j’ai vu ton babadi et j’ai vu tes poils et j’ai vu le
Commandant te sucer les seins.
C’est pour ça que tu pleures.
Ce n’est pas parce que tu es une enfant.
Tu pleures parce que tu es une fille et les filles ça pleure tout le temps comme les enfants mais
moi je veux plus jamais pleurer parce que je suis plus un enfant.
Je veux plus être un enfant jamais-jamais.

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Review

Une pensée.
Des souvenirs en bribes.
Comme un air de nostalgie.

Depuis tout petit je supporte pas qu’on me prenne pour un petit.


Et les grands aiment toujours répéter qu’un grand n’est pas un petit.
Ils aiment répéter cette phrase quand ils crânent.
Même Tonton aimait dire qu’un grand n’est pas un petit pour crâner comme les autres grands.
Il ajoutait que même si un petit grandit, ce n’est pas sûr qu’il sera un grand.
C’est le professeur Tournesol qui nous a appris à l’école qu’on dit grand pour grand de taille et
qu’on dit petit pour petit de taille.
Nous, on disait géant ou long comme tout le monde dit ici.
Nous, on disait court ou nain comme tout le monde dit ici.
N’est-ce pas toi aussi tu dis long ou géant ?
N’est-ce pas toi-même tu dis court ou nain ?
Même le Commandant dit long ou géant.
Même le Commandant dit court ou nain.
Nous, nous sommes longs.
Les mounguélé-nguélés sont courts.
C’est même comme ça qu’on les reconnaît, les mounguélé-nguélés.
C’est d’abord comme ça qu’on les reconnaît avant de savoir s’ils sont bruns ou foncés, beaux
ou laids.
Avant de s’approcher pour voir s’ils ont des balafres au visage, ils sont d’abord courts.
Avant de les écouter pour savoir s’ils parlent comme nous, ils sont d’abord courts.
Ils sont court et nous, longs.
Ils sont même des courtauds et nous, nous sommes même des longo-longos.
Eux, nains, nous, géants ; un point, un trait !
Mais il paraît que les géants ce sont les arbres comme les arbres de l’Amazonie où se cachaient
les indiens Sioux pour attaquer Tex Willer et que ce sont les fleuves comme le Mississipi et le
Missouri qu’il y a dans les aventures de Lucky Luke qui sont longs.
Il paraît que ce sont les arbustes qui sont courts et que les nains ce sont des gens comme les sept
courts types qui retrouvent Blanche-Neige dans leur case.
Le Professeur Tournesol se prenait pour Géo Trouvetout alors qu’il ne trouvait rien à dire.
Il se prenait pour un savant alors qu’il ne savait rien.
Il disait que les géants n’existent pas parce qu’il n’a pas lu les romans de Bleck le Roc ou Akim
ou Zembla ou Tarzan ou Conan le Barbare.
Il disait qu’on ne doit pas traiter nos camarades qui étaient courts de nains et nous punissait
quand on se moquait d’eux parce qu’il n’a pas lu Blanche-Neige et les sept nains.
Les grands n’aiment pas lire les livres des enfants alors que moi quand j’étais petit j’aimais lire
les livres des grands. Ceux de Tonton quand il oubliait la clé de sa bibliothèque à la maison.
Ceux où il y avait des dessins.

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On appelle ça des BD.
Le professeur Tournesol ne lisait pas les livres des enfants c’est pourquoi il ne savait pas que
les géants et les nains existent. Un jour, il disait que les grands sont les grandes personnes et
que les petits sont les petites personnes. Un autre jour il disait que les grands sont des personnes
grandes de taille comme les Sao et les petits sont des personnes petites de taille comme les
Pygmées, alors que tous les grands ne sont pas grands de taille et tous les petits ne sont pas
petits de taille. Alors que les grands quand ils deviennent vieux, ils redeviennent courts comme
le vieux Modibo Ma Nzamba, notre guérisseur que moi j’appelle Panoramix même comme il
ne prépare jamais la vraie potion magique des gaulois.
Le professeur Tournesol disait qu’un petit pouvait devenir grand en grandissant alors qu’un
nain comme Mickey ne grandit plus et il ne sera jamais long comme Bleck le Roc ou Akim ou
Zembla.
Il ne savait même pas qu’il y a des grands qui prennent des noms des petits comme Petit-Jean,
l’ami de Robin Fusée.
Même Tonton se prenait pour un grand alors qu’il était petit.
Moi je suis grand depuis que je suis petit.
Grand dans tous les sens.
Pas grand comme Tonton qui aimait dire qu’il était un grand alors qu’il était petit comme Joe
Dalton.
C’est parce qu’il était court comme Joe Dalton que je l’avais surnommé Tonton Joe Dalton.
Si Gaston ne lui avait rien dit, il n’aurait jamais su que je l’appelais en cachette Tonton Joe
Dalton et il ne m’aurait pas tapé bien bon comme il m’a tapé le jour où il a su que je l’appelais
en cachette Tonton Joe Dalton.
Il voulait quoi Tonton ?
Je n’allais quand même pas l’appeler Tonton Averel Dalton parce que Averel Dalton est long
et bête, mais Tonton était bête, mais pas long.
Il était bête mon tonton parce qu’il aurait dû être mon papa ou mon vrai tonton mais Tonton
n’était pas mon vrai tonton ni mon papa.
J’avais grandi avec Tonton parce que papa avait refusé d’être mon papa.
C’est ce que maman m’avait dit.
Si je ne lui avais pas demandé, elle ne m’aurait jamais dit.
Et si Gaston ne m’avait pas dit que Tonton n’était pas mon père mais son père, j’aurais toujours
cru que Tonton était mon père.
D’ailleurs ce n’est pas pour rien que j’avais surnommé Gaston, Gaston Lagaffe.
Il ne ressemblait pas au vrai Gaston Lagaffe parce qu’il était court comme Tonton mais il faisait
toujours des gaffes comme Gaston Lagaffe.
Tonton voulait que je l’appelle papa alors qu’il était le papa de Gaston Lagaffe. Et même si
Tonton Joe Dalton avait tapé Gaston Lagaffe quand il avait dit qu’il n’est pas mon papa, je
savais que c’était vrai.
Les grands aiment taper les enfants pour rien, rien que parce qu’ils sont grands.
On tape un enfant quand il dit des mensonges.
Tonton Joe Dalton avait tapé Gaston Lagaffe parce qu’il avait dit la vérité.
Tonton voulait que je l’appelle papa alors que je savais qu’il n’était pas mon papa et il savait
que je savais qu’il n’était pas mon papa.

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Je ne sais même pas pourquoi là maintenant je continue de l’appeler Tonton alors qu’il n’a
jamais été mon tonton.
Mon vrai tonton c’était Tonton Jérémy.
Le grand frère de maman.
Mais Tonton Jérémy ne venait jamais à la maison.
Il venait souvent me voir à l’école.
Il refusait de venir chez nous parce que maman avait épousé Tonton Joe Dalton.
C’est ce que maman m’avait dit.
— Pourquoi Tonton Jérémy ne voulait pas que tu épouses Tonton ?
À maman j’ai demandé.
—Parce que j’ai épousé un homme qui n’est pas de chez nous.
Maman m’a répondu.
Tonton Jérémy avait juré qu’il ne viendrait jamais chez nous.
Jusqu’à sa mort.
Et il n’est jamais venu chez nous.
Jusqu’à sa mort.
J’avais demandé à maman comment Tonton Jérémy était mort.
Elle m’a dit qu’il avait été tué dans une bagarre.
Mais je sentais que maman me cachait quelque chose.
Pourquoi elle ne voulait pas que j’aille avec elle au deuil de Tonton Jérémy ? Pourquoi elle me
refusait d’y aller alors que je ne voulais pas partir pleurer comme elle mais pour demander à
Tonton Jérémy pourquoi il était mort sans m’offrir la Game Boy qu’il m’avait promise ?
Pourquoi Tonton Joe Dalton qui accompagnait souvent maman dans tous les deuils du quartier
ne l’accompagnait pas là-bas ?
Maintenant je sais.
Je connais la vérité.
Grâce à Gaston Lagaffe.
Tonton était mort dans une bagarre avec un mounguélé-nguélé.
Je ne sais pas qui avait cherché la bagarre à qui, mais je sais que le mounguélé-nguélé avait tort.
Ils ont toujours tort.
Et c’est à cause d’eux que je n’avais pas eu ma Game Boy.
Je sais aussi pourquoi Tonton Jérémy avait refusé que maman épouse Tonton Joe Dalton.
C’est parce qu’il était mounguélé-nguélé !
Tonton Jérémy avait raison de refuser que maman épouse Tonton Joe Dalton parce qu’il était
mounguélé-nguélé.
« Les mounguélé-nguélés, c’est la vermine de ce pays ! La crotte à décrotter ! » comme nous
faisait répéter à haute voix le Commandant-Sauve-qui-peut. « Ils sont fourbes et méchants ! ».
Je sais pas ce que veut dire fourbe mais je sais que Tonton Joe Dalton était méchant plus que
Gargamel.
S’il n’était pas méchant, pourquoi il me refusait de regarder certains films qu’il permettait à
Gaston Lagaffe de regarder ?
Moi je ne devais pas regarder les films où il y avait un petit rond dessiné en bas de l’écran où
c’était écrit -12 alors que Gaston Lagaffe lui il pouvait les regarder avec Tonton et maman.
Je partais alors dans la chambre lire les bandes dessinées que maman m’achetait.

10
Tonton m’empêchait de regarder ces films parce qu’il disait que j’avais huit ans et que j’allais
regarder ces films quand j’aurais douze ans alors que je connaissais tout ce qu’il y avait dans
ces films parce que quand il oubliait son armoire ouverte, je regardais les films avec le rond -
12 du début jusqu’à la fin.
Un jour, j’avais même vu un film où c’était écrit « Interdit aux moins de 18 ans ».
Dans le film, il y avait des grands qui faisaient des choses bizarres.
C’étaient des Blancs.
Ils étaient dans une chambre.
Un homme et une femme.
Ils ont enlevé les habits et ont commencé à faire ce que tu faisais hier dans les herbes avec le
Commandant.
Mais la femme allait vers l’homme alors que toi hier, tu voulais fuir.
Elle souriait.
Et après elle a commencé à crier et faire un drôle de bruit avec sa voix.
Elle faisait semblant de pleurer.
Je sais qu’elle faisait semblant de pleurer parce que les larmes ne coulaient pas alors que toi tu
pleurais hier vrai-vrai et tes larmes coulaient beaucoup-beaucoup.
Tonton était rentré brusquement.
Je n’avais pas entendu de bruits.
Quand j’ai appuyé sur la télécommande, au lieu d’appuyer sur le bouton « stop », j’ai appuyé
sur « pause » et l’image où l’homme et la femme étaient collés-collés est restée collée à la télé.
Je ne l’ai jamais vu aussi en colère.
Il m’a tapé bien bon.
Il m’a interdit de regarder la télé jusqu’aux grandes vacances.
Il n’a plus jamais oublié son armoire ouverte.
Pourquoi Tonton ne voulait pas que je regarde ces films ?
Pourquoi il voulait que j’attende huit ans rien que pour voir un film alors qu’il y a des enfants
comme toi qui font les choses que les grands font dans les films interdits aux moins de 18
ans, pourtant tu auras dix-huit ans dans huit ans ?
Tonton était méchant.
Très méchant.
Il me refusait de regarder ces films et il ne voulait pas m’acheter la Game Boy.
Il disait que le père Noël viendrait m’offrir la Game Boy à Noël alors que je savais que le père
Noël n’existe pas et que c’est lui qui était venu déposer les cadeaux la nuit de Noël sous nos
oreillers.
Je faisais semblant de ronfler alors que je ne dormais pas comme Gaston Lagaffe qui ne ronflait
pas pourtant il dormait.
Dans le cadeau où mon nom était écrit, il y avait un cheval rouge alors que Gaston Lagaffe avait
eu une Game Boy toute neuve.
Moi je voulais la Game Boy neuve de Gaston Lagaffe et Gaston Lagaffe ne voulait pas échanger
sa Game Boy avec mon cheval rouge.
Tonton ne m’a pas offert la Game Boy parce qu’il était méchant.
Il était très méchant parce que c’est à cause de lui que maman n’est plus là.
Le ventre de maman avait commencé à gonfler beaucoup-beaucoup.

11
J’avais demandé à maman pourquoi son ventre gonflait comme le ventre des Barbapapa.
Elle m’a dit que j’allais avoir une petite sœur.
Et une nuit maman a commencé à crier.
Tonton l’a transportée la nuit dans sa voiture.
Il avait encore une voiture.
Il est revenu seulement tard le soir en pleurant alors que c’est lui-même qui nous disait souvent
quand on pleurait qu’un homme ne pleure pas.
— Il faudra être fort. Très fort.
Tonton m’a dit.
Moi je savais depuis que je suis fort. Très fort.
— Parce que maman ne reviendra pas. Elle ne reviendra plus.
Tonton m’a encore dit.
— Pourquoi maman ne reviendra pas ?
À Tonton j’ai demandé.
— Pourquoi elle ne reviendra plus ?
À Tonton j’ai redemandé.
— Elle est morte.
Tonton a répondu.
— Elle a eu un accouchement difficile et le docteur lui a fait une césarienne.
Quand il a dit césarienne, j’ai pensé à Jules César.
Le méchant Jules César qui est dans les aventures d’Astérix.
— Mais qu’est-ce que Jules César a fait à ma maman ?
À Tonton j’ai demandé.
— Une césarienne c’est une opération pour enlever le bébé du ventre.
Tonton m’a répondu.
Tu sais toi c’est quoi une césarienne ?
Si tu sais pas, je vais te dire : Jules César a fendu le ventre de maman comme une orange avec
son épée et a enlevé ma petite sœur mais je ne sais pas ce qu’il a fait d’elle.
— Et ma petite sœur ?
À Tonton j’ai encore demandé.
—Elle non plus, tu ne la verras jamais.
Tonton m’a dit.
Les jours d’après, il y avait beaucoup de gens à la maison.
Des gens habillés en noir-noir comme Zorro.
Ces gens pleuraient.
Après deux jours, ils ont emmené maman dans une caisse qu’ils ont posée au milieu du salon.
Quand ils ont ouvert la caisse, j’ai su que maman n’était par morte.
Tonton m’avait menti !
Il m’avait menti alors qu’il nous tapait quand on mentait.
Maman n’était pas morte.
Elle dormait.
Est-ce qu’on sourit quand on est déjà mort ?
On sourit quand on fait un bon rêve.
Maman rêvait.

12
J’ai voulu courir vers maman.
« Ne le laissez pas approcher du cadavre ! ».
Les grands qui étaient là m’ont empêché d’aller me jeter dans les bras de maman.
Pourquoi Tonton avait dit que maman était un cadavre ?
Ce n’était pas un cadavre.
C’était maman.
Ma maman.
Un cadavre c’est comme les momies qui sont dans les caisses qui ressemblent à la caisse de
maman dans les Aventures de Tintin et les cigares du pharaon.
Un cadavre c’est comme ceux qu’on voyait à la télé.
Ou dans les films où c’est écrit -12.
Les cadavres c’est comme les mounguélé-nguélés qu’on tuait.
Maman n’était pas un cadavre.
Les cadavres ont du sang partout-partout.
Les cadavres ont la langue qui sort de la bouche.
Les cadavres sentent mauvais.
Il y a même des cadavres qui font pipi et qui chient dans leurs caleçons quand ils meurent.
Les cadavres ont des mouches tout autour.
Les cadavres sont laids.
Maman était belle.
Elle ressemblait à Blanche-Neige.
C’est pourquoi je voulais la réveiller.
Elle m’appelait souvent son Petit Prince et moi je voulais simplement lui faire un bisou comme
le prince qui réveille Blanche-Neige en lui faisant bisou.
C’est Tonton qui m’avait empêché de réveiller ma maman parce qu’il savait que maman n’était
pas mounguélé-nguélé comme lui.
Il a refusé que je m’approche de maman parce qu’il est méchant comme tous les mounguélé-
nguélés.
Il a la chance que maintenant que j’ai douze ans je ne l’ai plus jamais revu.
Peut-être que c’est même lui qui a vendu maman dans la sorcellerie pour devenir un grand. Pas
grand de taille parce que ça c’est impossible qu’il devienne grand de taille, mais un grand type
de ce pays.
Je suis sûr que même le docteur qui a fait la césarienne à maman était un mounguélé-nguélé.
« Les mounguélé-nguélés veulent péter plus haut que leur taille : ils sont les plus courts, c’est
eux les grands de ce pays, mais ils sont prêts à tout pour devenir encore plus grands. »
C’est le Commandant qui a raison !

13
Start

C’est ici que tout commence.


C’est ici que tout finit.
La fin du jeu.
Le début du je.

Sais-tu que c’est mon papa qui avait refusé d’être mon papa qui m’a sauvé la vie ?
C’est la vraie vérité.
Mon vrai papa que je n’ai jamais vu et qui ne m’a jamais vu nous a sauvé la vie vrai-vrai.
Lui-même il ne le sait pas mais moi je sais.
Maman était morte sans me montrer papa et je savais désormais que Tonton était mon faux
papa.
Il n’y avait plus que trois personnes à la maison : Tonton Joe Dalton, Gaston Lagaffe et Lucky
Luke.
Ah ! Je ne t’ai pas encore parlé de Lucky Luke !
Lucky Luke c’était moi.
C’est moi Lucky Luke.
Ce sont mes camarades de l’Ecole des Champions qui m’appelaient Lucky Luke.
Même si je n’ai pas un cheval comme Johny Jumper et un chien qui s’appelle Rantanplan, je
tire plus vite que mon ombre.
Même Gaston Lagaffe m’appelait Lucky Luke parce que comme Lucky Luke attrapait les
Daltons quand ils s’évadaient pour les jeter en prison, je rattrapais souvent Gaston Lagaffe
lorsqu’il s’échappait et le ramenais à la maison quand Tonton nous enfermait pour qu’on ne
sorte pas derrière lui.
Mais Tonton ne nous laissait plus enfermés tous les deux à la maison comme quand il sortait
souvent.
Il s’enfermait avec nous.
Depuis dix jours, Tonton restait enfermé toute la journée avec nous.
Ça faisait seulement un mois que Tonton avait repris le travail mais depuis dix jours, il ne partait
plus au travail alors que nous on voulait qu’il parte au travail pour qu’on soit seuls à la maison.
On devait prendre les vacances de Noël bientôt mais depuis dix jours, on ne partait plus à l’école
alors que moi je voulais partir à l’école.
Même Gaston Lagaffe qui n’aimait pas l’école voulait partir à l’école.
Avant, on aimait les jours où il n’y avait pas école mais on voulait partir à l’école parce qu’on
ne partait pas à l’école depuis dix jours, mais on ne pouvait plus jouer depuis dix jours.
Comme pendant les vacances.
Depuis dix jours on ne pouvait plus aller jouer chez nos amis.
Comme pendant les vacances.
Depuis dix jours, on ne pouvait plus sortir pour aller au manège ou au cinéma ou au parc ou au
zoo avec Tonton.
Comme pendant les vacances.
Depuis dix jours qu’on était enfermés, il disait que tout était dangereux.
— Pourquoi on ne peut plus parler fort ?

14
À Tonton j’ai demandé en chuchotant un jour.
— C’est dangereux de faire du bruit.
Tonton a répondu en chuchotant.
— Pourquoi on ne peut plus ouvrir la fenêtre ?
À Tonton j’ai demandé en montrant du doigt la fenêtre.
— C’est dangereux d’ouvrir la fenêtre.
Tonton a répondu en allant vérifier si la fenêtre était bien fermée.
— Même si on a chaud ?
À tonton j’ai demandé en lui montrant mon front mouillé.
— Même s’il fait plus chaud que dans le désert du Sahara.
Tonton a répondu en essuyant mon front avec son habit.
— Pourquoi on ne part plus à l’école ?
À Tonton j’ai demandé en ramassant mon cartable.
— C’est dangereux d’aller à l’école.
Tonton a répondu en enlevant le cartable de mon dos.
— C’est toi qui disais que je dois aller à l’école pour devenir un grand quand je serai grand
non ?
À Tonton j’ai demandé en regardant mon cartable.
— Oui, quand ce n’était pas encore dangereux d’aller à l’école.
Tonton a répondu en balançant mon cartable par terre.
— Quand ce n’était pas encore dangereux de vouloir devenir un grand homme.
Tonton a ajouté en se baissant vers moi.
— Donc je ne deviendrai plus premier ministre quand je serai grand ?
À Tonton j’ai demandé en le regardant dedans les yeux.
— Maintenant, ce serait dangereux pour toi de devenir même le dernier des ministres.
Tonton a répondu en me regardant dedans les yeux.
— Puisque c’est dangereux d’aller à l’école, pourquoi on ne peut plus regarder la télé avec
toi ?
À Tonton j’ai demandé en regardant la télé éteinte.
— C’est dangereux pour des enfants de voir ce qu’on voit ces jours-ci à la télé.
Tonton a répondu en me regardant sans me regarder.
— Pourquoi c’est dangereux pour des enfants de voir ce que les grands voient ces jours-ci à la
télé ?
À Tonton j’ai demandé en le regardant se diriger vers la télé.
— Parce que les enfants peuvent faire des cauchemars la nuit s’ils voient ce que les grands
voient ces jours-ci à la télé.
Tonton a répondu en branchant la télé.
— Si on dort avec la lumière comme avant, on ne peut pas faire des cauchemars.
À Tonton j’ai dit en regardant l’ampoule éteinte.
— Je vous interdis strictement d’allumer la lumière.
Tonton a dit en se retournant brusquement.
— Même la nuit ?
À Tonton j’ai demandé en regardant par terre.
— Surtout la nuit !

15
Tonton a crié en chuchotant.
— Pourquoi ?
À Tonton j’ai demandé en relevant la tête.
— Parce que c’est très dangereux.
Tonton a dit en revenant vers moi.
— Pourquoi c’est très dangereux ?
À tonton j’ai demandé en marchant vers lui.
— Parce qu’ils sauront que nous sommes là. Et ils sont très dangereux.
Tonton a dit en s’accroupissant.
— Qui ?
À Tonton j’ai demandé sans bouger.
Tonton n’a pas répondu.
— Les ndjoundjous ?
À Tonton j’ai encore demandé en me collant à lui.
—Ils sont plus dangereux que les ndjoundjous !
Tonton a dit en me caressant la joue.
— Tu mens !
À Tonton j’ai dit en souriant.
Je ne lui ai pas dit ça direct.
Je me suis dit ça à moi-même.
J’ai parlé dans le cœur.
Parce qu’il ne faut jamais dire à un grand qu’il ment, mais que ce qu’il dit n’est pas vrai.
Les grands ne mentent jamais, ce sont des choses qui ne sont pas vraies qui se glissent dans
leurs bouches.
— Maintenant va rejoindre ton frère dans la chambre, je veux regarder les infos.
Tonton m’a dit avant que je lui dise que ce qu’il venait de dire n’est pas vrai.
Je suis parti me coucher.
Mais je savais que Tonton mentait.
Même Gaston savait que ce que son père disait depuis dix jours n’était pas vrai.
Il nous cachait quelque chose.
Personne ne peut être plus dangereux que les ndjoundjous.
Tu connais les ndjoundjous ?
Ne me dis pas que tu ne connais pas les ndjoundjous !
Tous les enfants connaissent les ndjoundjous.
Même si un enfant n’a jamais vu un ndjoundjou, il connaît les ndjoundjous par cœur.
Et ils ont peur des ndjoundjous, les enfants.
Tous les enfants ont peur des ndjoundjous.
Même moi, quand j’étais un enfant, j’avais peur des ndjoundjous.
Les ndjoundjous sont gros comme Denver le dernier Dinosaure, géants comme King-Kong,
laids comme Schrek, avec des longues griffes comme le Roi Léo, la peau verte comme les
Tortues Ninja, les oreilles pointues comme Satan Petit Cœur, les yeux larges comme
Spiderman, des grosses lèvres rouges comme les Noirs des Aventures de Tintin au Congo, les
dents qui ressemblent aux épées des Chevaliers du Zodiaque, des bouches qui crachent le feu
comme les dragons.

16
J’ai déjà vu les ndjoundjous, moi.
Pas en rêve, mais vrai-vrai.
Beaucoup de ndjoundjous qui avaient envahi la forêt et qui me poursuivaient.
Je n’ai pas eu peur d’eux.
J’ai ouvert le feu.
Ratatatatatata !
Ratatatatatata !
Ratatatatatata !
Les balles rebondissaient sur leurs poitrines.
Ils avaient la puissance des super héros.
Ils lançaient des éclairs sur moi comme dans Street fighter.
Fiiiiuuuuup !
Ziiiiiiiipppppp !
Kakakadaboumboum !
Et moi j’esquivais comme dans Mortal Kombat.
Je sautais à gauche.
Je bondissais à droite.
Je continuais de tirer.
Ratatatatatata !
Ratatatatatata !
Ratatatatatata !
Un ndjoundjou m’a assommé par lâcheté derrière le dos.
Quand je me suis réveillé, il n’y avait plus de ndjoundjous.
Rien que les traces des balles sur les arbres derrière lesquels ils se cachaient.
Mais le commandant a dit qu’il n’y avait jamais eu de ndjoundjous mais rien que des arbres.
Que j’avais fumé beaucoup de ndjama-ndjama ce jour-là.
C’est parce que les grands ne croient pas aux ndjoundjous.
Mais je sais qu’ils existent, les ndjoundjous, parce que je les ai vus comme je te vois.
Et je sais que les ndjoundjous cherchent les petits enfants pour les manger donc si tu restes là
au lieu de me suivre, ils vont t’attraper et vont te faire ce que le Grominet fera à Titi l’oiseau
jaune le jour où il l’attrapera quand la grand-mère ne sera pas là…
J’avais peur des ndjoundjous depuis petit mais Gaston avait plus peur d’eux que moi.
Qui donc étaient ces gens plus dangereux que les ndjoundjous ?
Tonton n’avait pas peur des ndjoundjous mais il avait peur de ces gens plus dangereux que les
ndjoundjous.
Il sortait parfois alors qu’il disait que ces gens dangereux pouvaient débarquer de n’importe où,
frapper et disparaître dans la forêt.
Il sortait seul.
Il nous enfermait d’abord.
Il ne nous enfermait plus au salon mais dans la chambre.
En collant nos oreilles sur la porte de la chambre, on l’entendait fermer la porte du salon.
Après on l’entendait ouvrir la porte du salon et ouvrir la porte de la chambre.
Il revenait souvent avec du riz et des arachides.
Il revenait toujours avec du riz et des arachides.

17
Que du riz et des arachides.
Riz et arachides chaque jour.
Depuis qu’on était enfermés, Tonton ne savait plus préparer comme avant.
Il préparait la même nourriture chaque jour.
Du riz avec la sauce d’arachide.
Et le riz sauce d’arachide n’était plus bon comme le riz sauce d’arachide d’avant.
Un jour, Gaston a pleuré parce qu’il n’y avait pas de poisson dans la sauce.
Un jour, je me suis énervé parce qu’il n’y avait pas de viande dans la sauce.
Mais je n’ai pas pleuré.
Un jour, il n’y avait même pas de sel dans la sauce.
Un jour, il y avait même des cailloux dans le riz.
Un jour, la sauce d’arachide était toute noire.
Un jour, il n’y avait que du riz et pas de sauce d’arachide.
Et il nous obligeait à manger ça.
Et nous on était obligés de manger ça.
Parce qu’on ne mangeait plus matin midi soir mais rien que le soir.
Un jour, on a même fait deux jours sans manger.
Et on buvait l’eau qui avait le goût de l’eau du puits.
Tous les jours, Tonton ouvrait doucement la fenêtre, regardait et refermait aussi vite.
Tonton regardait souvent la télé.
Seul.
Il écoutait la radio.
Seul.
Dès qu’il disait : « Je veux regarder les infos ».
Dès qu’il disait : « Je veux écouter les infos ».
On courait dans la chambre.
Sa chambre.
Depuis que Tonton s’enfermait avec nous, on ne dormait plus dans notre chambre mais dans sa
chambre à lui avec lui.
Depuis qu’on restait enfermés toute la journée, Tonton nous lisait la Bible.
Matin et soir.
Il priait avec nous en nous prenant dans ses bras.
Matin et soir.
Depuis que maman était morte on n’avait plus jamais lu la Bible.
Matin et soir.
Depuis que maman était morte, on n’avait plus jamais prié.
Matin et soir.
Mais depuis dix jours on lisait la Bible.
Matin et soir.
Depuis dix jours on priait.
Matin et soir.
Une nuit.
La dixième nuit.
La dernière nuit.

18
Tonton avait fini d’écouter les informations.
Tonton avait fini de regarder les informations.
On avait fini de prier.
On était couchés depuis quelque temps.
Je ne dormais pas alors que Gaston Lagaffe dormait comme Tonton.
Je faisais des cauchemars les yeux ouverts alors que Gaston Lagaffe faisait les cauchemars les
yeux fermés.
Il fait toujours les cauchemars, Gaston.
Et il se réveille toujours en criant, Gaston.
Alors que moi je fais les cauchemars les yeux ouverts mais je ne crie pas.
Dans mon cauchemar j’ai vu dix-sept ndjoundjous qui entraient dans la chambre un à un par le
trou de la serrure.
Je les ai vus de mes propres yeux comme je te vois.
J’avais bien compté.
J’avais bien entendu.
Les pétards !
Les pétards subitement.
Je croyais que c’étaient les ndjoundjous qui pétaient des pétards.
Nous avons tous entendu les pétards.
Tout le monde a bondi du lit.
Tonton Joe Dalton, Gaston Lagaffe et moi.
Du coup du coup, les ndjoundjous ont disparu.
Les ndjoundjous n’aiment pas les grands.
Ils viennent quand il y a des enfants et ils se cachent dès qu’il y a un seul grand.
Plus de ndjoundjous dans la chambre.
Mais les pétards ne s’arrêtaient pas.
On entendait dans la nuit des :
Boum !
Boum !
Boum !
Et des cris d’hommes à gauche à droite.
Pow !
Pow !
Pow !
Et des cris de femmes dans tout le quartier :
Ratatatata !
Ratatatata !
Ratatatata !
— C’est déjà Noël ?
À Tonton j’ai demandé.
—Non, ce sont eux !
Tonton m’a répondu.
— Qui ?
Gaston et moi avons demandé à Tonton.

19
— Les Révolos !
Tonton nous a répondu à Gaston et moi.
Il a ouvert la fenêtre légèrement et s’est penché pour voir.
Nous aussi on s’est penchés derrière lui pour voir ce qu’il voulait voir.
On a vu.
On a vu ce qu’il a vu.
Même comme il a refermé très vite pour qu’on ne voie pas ce qu’il a vu.
— Je veux aussi aller voir !
À Tonton j’ai dit.
— Moi aussi ! J’adore les feux d’artifice !
Gaston m’a dit.
— Vous ne pouvez pas sortir.
Tonton nous a dit.
— C’est pas juste !
À Tonton j’ai dit.
— Il y a aussi des cris d’enfants.
À Gaston j’ai dit.
— Oui, il y a des enfants comme nous qui crient avec les grands.
Gaston a dit à Tonton.
Tonton nous a regardés dedans les yeux.
— Mes enfants, mes pauvres enfants, cette lueur que vos yeux naïfs ont vue, ce n’est pas un feu
d’artifice, mais des maisons en feu.
Des maisons que les Révolos incendient dans la ville.
Ce que vos oreilles innocentes entendent, ce ne sont pas des pétards, mais des coups de feu.
Ils sont en train de tuer des gens à la mitraillette.
Ils sont en train de découper des gens à la machette.
Ils sont en train de tout brûler dans le quartier.
Les cris que vous entendez sont les cris des gens qui ont peur.
Des hommes.
Des femmes.
Des enfants.
Oui, des enfants comme vous et même des enfants plus petits que vous que les Révolos
massacrent sans pitié.
Nous sommes perdus, mes enfants.
S’ils nous retrouvent nous sommes perdus à jamais.
Seul le petit Jésus peut nous sauver.
Tonton nous a dit.
Gaston s’était mis à pleurer.
Un vrai poulet de ferme, Gaston !
—Soyez courageux !
Tonton a dit à Gaston.
Moi je ne comprenais pas pourquoi il lui a dit « soyez courageux !».
« Sois courageux ! ».
Devait dire Tonton à Gaston.

20
Parce que moi je ne pleurais pas.
Je n’avais pas peur.
Je n’ai jamais peur.
Je suis courageux comme Jean Sans Peur et vaillant comme Michel Vaillant.
Tonton nous a pris dans ses bras et nous a transportés au salon.
Les bruits des pétards ne faisaient que se rapprocher.
Tonton a foncé sur l’un des murs de la maison.
Là où il y avait les photos de toute la famille.
Les photos encadrées de toute la famille.
Il a enlevé sa photo.
Il a enlevé la photo de Gaston.
Il a enlevé la photo où on était tous les quatre : Lui, maman, Gaston et moi.
Il a laissé deux photos côte à côte sur le mur.
La photo de maman où elle souriait dans le noir avec ses dents blanches espacées au milieu.
Ma photo où j’étais le plus beau le jour du défilé.
Il a ramassé l’album photos.
Il s’est rapproché de moi.
Les bruits se rapprochaient de la maison.
— Mon fils !
Tonton m’a dit en tenant mes deux mains.
Ses deux mains tremblaient.
— Tu es notre seule chance de survie.
Même sa voix tremblait.
—Toi seul peux nous sauver.
Pourquoi il m’a dit ça Tonton, alors qu’il venait de dire que seul le petit Jésus peut nous sauver ?
Donc je suis plus fort que le Petit Jésus !
Je m’étais toujours dit ça !
D’ailleurs, le petit Jésus n’est pas fort, c’est pourquoi il n’aime pas la bagarre.
Il dit que si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tu dois lui tendre la joue gauche pour qu’il te
gifle encore. Moi, si quelqu’un me gifle sur une seule joue que ce soit la joue gauche ou la joue
droite, je le gifle aussi et je le bats bien bon comme j’avais battu Pinocchio le jour où il m’avait
giflé avec sa main gauche sur ma joue droite. On avait convoqué Tonton à l’Ecole des
Champions, Tonton m’avait grondé à la maison mais personne n’a plus osé me gifler un jour.
— Pardonne-moi mon fils, mais s’ils ne trouvent personne, ils vont tout brûler. S’ils te trouvent
avec nous, ils nous tueront tous en croyant que tu es comme nous. Par contre s’ils te trouvent
seul, sans nous, nous avons tous les trois une chance de survie.
Tonton a dit les yeux rouges.
Gaston a recommencé à pleurer.
Il a porté Gaston et ils ont fui dans la salle de bain.
— Quoi qu’il arrive, tu es seul, n’oublie pas !
Tonton a dit avant de refermer la porte de la salle de bain.
Les bruits étaient déjà devant la porte du salon.
On a commencé à taper fort sur la porte du salon.

21
Le bruit sur la porte ne faisait pas toc ! toc ! mais toum ! toum ! et la porte s’est cassée en faisant
crackrack !
Deux hommes sont entrés.
Un avait une mitraillette.
L’autre avait une machette.
L’un des deux avait un gros bidon.
Celui qui avait la mitraillette ressemblait au capitaine Haddock avec sa barbe.
Celui qui avait la machette ressemblait à Popeye avec ses gros bras et beaucoup-beaucoup de
poils.
Il n’avait pas de pipe mais une cigarette qui sentait mauvais.
Ils avaient des pantalons militaires déchirés-déchirés et des vieux habits sales.
Je les ai bien vus dans le noir.
Eux, ils ne m’ont pas bien vu dans le noir, c’est pourquoi ils ont allumé la lumière du salon.
Ils m’ont vu tenu au milieu du salon.
Ils se sont arrêtés devant la porte cassée du salon.
Ils m’ont regardé.
Je les ai aussi regardés.
Ils croyaient me faire peur.
Je n’avais pas peur d’eux.
Ils ont commencé à fouiller partout-partout.
Dans notre chambre, ils ont tout soulevé.
Dans la chambre de Tonton, ils ont tout renversé.
Dans la cuisine, ils ont tout bousculé.
Au salon, ils ont tout balancé.
Quand ils voulaient partir dans la salle de bain, je me suis mis au milieu pour leur barrer la
route.
Le capitaine Haddock m’a porté et m’a mis de côté.
Il n’y avait personne dans la salle de bain.
Tonton et Gaston avaient disparu.
Je sais où ils étaient.
Ils étaient au plafond.
Ils ont soulevé un morceau du plafond, ils sont entrés et ils ont refermé.
Je connaissais cette cachette.
Je me cachais souvent là quand je jouais à cache-cache avec Gaston et il n’a jamais su que je
me cachais là.
Même Tonton n’a jamais su que je connaissais cette cachette.
— Où sont tes parents ?
Maman est morte, je me suis dit.
Papa avait refusé d’être mon papa, je me suis dit.
Tonton Joe Dalton qui est caché au plafond n’est pas mon papa, je me suis dit.
Donc je n’ai pas de parents.
C’est pourquoi j’ai rien répondu.
J’ai regardé la photo de maman qui me disait de ne pas avoir peur.
De ne pas répondre.

22
Ils ont aussi regardé la photo.
En même temps.
Maman souriait.
Popeye a décroché la photo de maman.
J’ai cru qu’il allait lui faire mal.
J’étais prêt à bondir pour la défendre.
Mais maman continuait de sourire.
Elle se moquait d’eux.
Ils ont regardé ma photo.
Ils m’ont regardé.
Il a dit quelque chose de bizarre.
Dans une langue bizarre.
Une langue que je ne parlais pas.
Que je n’entendais pas.
Mais que je connaissais très bien.
Ils ont encore regardé la photo de maman et ma photo.
Ils m’ont reregardé.
— Ils sont des nôtres !
L’un a dit à l’autre en raccrochant la photo.
— Je dirais même plus : il n’y a aucun doute là-dessus !
L’autre a dit à l’un.
— Pourquoi es-tu seul ?
L’un m’a demandé.
— Je suis pas seul, idiot ! Je suis avec Tonton Joe Dalton et Gaston Lagaffe, je me suis dit mais
j’ai rien dit.
— T’es con ou quoi ? Tu vois pas que c’est un bâtard ?
L’autre a dit.
— Où est ta mère ?
L’autre m’a demandé.
— Mais réponds donc, nom de Dieu !
L’un a grondé en collant son visage à mon visage.
— Ta bouche sent !
J’ai dit à l’un sans parler.
Et j’ai coupé ma respiration comme quand je nageais à la piscine.
— Tu penses qu’il se fout de nous ?
L’autre a demandé.
— Dis, petit, te foutrais-tu par hasard de notre gueule ?
L’un m’a demandé.
— Oui !
J’ai dit dans le cœur.
Et je lui ai montré ma langue sans ouvrir ma bouche.
Comme quand je me moquais de Gaston en sortant la langue de la bouche.
— Tu penses qu’il est sourd ? Ou muet ? Ou les deux ?
L’autre a demandé à l’un.

23
— Il est simplement courageux. Je dirais même plus : c’est un vrai fils de kimbilili. À sa place,
un petit mounguélé-nguélé pleurerait déjà sa mère.
L’un a dit à l’autre en ouvrant une bouteille.
J’ai voulu leur dire de ne pas toucher à cette bouteille parce que c’est une des bouteilles que
Tonton ouvrait seulement quand il avait des vrais invités.
Mais j’ai rien dit.
Je savais ce qui allait leur arriver.
Ils ont commencé à boire.
À boire.
Dehors, il y avait toujours les pétards.
À boire.
Dehors, il y avait toujours les cris.
À boire.
Dehors, il y avait toujours le feu d’artifice.
À boire.
Quand ils avaient déjà bu deux bouteilles, ils ont commencé à parler comme les grands parlent
quand ils ont beaucoup bu l’eau qui rend fou.
Quand les grands boivent beaucoup l’eau qui rend fou, ils commencent à parler comme les fous.
Même Tonton devenait souvent fou avec ses invités quand ils avaient beaucoup bu l’eau qui
rend fou.
— Pourquoi ce jeune kimbilili vit tout seul à ton avis ?
L’un des fous a dit.
— Sa mère travaille sans doute la nuit. Je dirais même plus : une kimbilili toute seule avec son
fils dans une baraque pareille, ça ne peut être qu’une fille de joie.
Le deuxième fou a répondu.
— Eh petit, dis-le que t’es un fils de pute !
Le deuxième fou m’a dit.
— C’est le sort réservé à nos sœurs dans ce pays. Je dirais même plus : ils veulent qu’elles
deviennent toutes des pétasses. Heureusement qu’on le leur rend bien à leurs pétasses de sœurs
à eux quand on les attrape.
Le premier fou a dit.
Et le premier fou qui devenait plus fou que l’autre fou m’a tiré vers lui.
— Viens-là petit ! Viens boire un coup !
Le premier fou m’a dit en essayant d’ouvrir ma bouche.
J’ai serré les dents.
Très fort pour ne pas boire.
Je ne voulais pas devenir fou comme eux.
Il a appuyé sur mes joues pour que j’ouvre la bouche.
J’ai ouvert la bouche.
Et j’ai refermé la bouche.
Fort. Très fort.
—Aaaaaaaïïïeee !
Le premier fou a crié.
Il a laissé tomber la bouteille qui s’est cassée.

24
Il a commencé à souffler sur son doigt.
Je riais dans le cœur sans bouger les lèvres.
Le deuxième fou a soulevé sa machette.
— Laisse tomber !
Le premier fou a dit au deuxième fou.
— C’est un brave kimbilili.
Le premier fou a dit.
« Je dirais même plus !».
J’ai dit en même temps que lui.
J’ai dit ça dans le cœur alors qu’il a dit ça fort.
Je savais qu’il allait dire « Je dirais même plus » parce qu’ils me faisaient trop penser avec leur
« Je dirais même plus », à Dupond et Dupont qu’on appelle les Dupondt dans les Aventures de
Tintin.
— Il fera un très bon Révolo.
A encore dit le premier fou en touchant mes bras.
Comme il tâtait mes bras comme une papaye, j’ai bombé les muscles comme Conan le Barbare.
Le deuxième fou a baissé sa machette.
Il a eu peur.
— Atchoum !
Quelqu’un a éternué.
Au plafond des toilettes.
Gaston Lagaffe a failli faire une gaffe !
Mais ils étaient trop fous pour entendre.
Le téléphone du premier fou a sonné.
Le téléphone qui ressemble au téléphone du père militaire de mon camarade d’école Obélix.
Il a commencé à dire des choses que je ne comprenais pas.
Il parlait la langue qu’ils parlaient au début.
La langue que ma mère parlait souvent avec Tonton Jérémy.
La langue de papa qui avait refusé d’être mon papa.
J’avais seulement entendu répéter beaucoup de fois « Forces loyalistes !».
— Battons en retraite, ils arrivent !
Le premier fou a dit au deuxième fou.
— On brûle la maison ou on brûle la maison ?
Le deuxième fou a demandé au premier fou.
— On ne brûle rien. Sa mère est des nôtres, je dirais même plus : à son retour, elle saura qu’il
est vivant et il pourra revenir lui raconter ses exploits plus tard, quand nous aurons gagné.
Le premier fou a dit.
Il m’a porté à l’épaule.
Je me débattais.
Lui, il courait comme si je ne me débattais pas.
Ils courraient dans le même sens que beaucoup des gens habillés comme eux.
Avec des mitraillettes et des machettes.
Notre quartier ne ressemblait plus à notre quartier.
Beaucoup de maisons brûlaient partout dans notre quartier.

25
Notre quartier ne sentait plus les oranges et la terre mouillée comme notre quartier.
Notre quartier sentait comme quand maman brûlait les poils du gibier qu’elle préparait parfois.
Il n’y avait plus de gens qui marchaient dans notre quartier.
Il n’y avait que des gens qui couraient partout dans notre quartier.
La poussière n’avait plus la couleur de la poussière dans notre quartier.
La poussière était devenue rouge dans notre quartier.
Il y avait des gens qui étaient couchés partout-partout dans la poussière rouge de notre quartier.
On a traversé tout le quartier.
On a couru longtemps longteeeeemps.
Nous sommes entrés dans la forêt.
Quand on était déjà dedans jusqu’au fin fond de la forêt, on a cessé de courir.
Quand on était arrivés là où il fait nuit en plein jour dans la forêt, ils ont commencé à marcher.
Ils ont commencé à rire.
Ils ont commencé à chanter.
Ils chantaient en levant les poings en l’air.
Ils chantaient en levant les machettes en l’air.
Ils chantaient en levant les mitraillettes en l’air.
Il y avait même des enfants qui chantaient avec eux.
Des enfants qui étaient comme eux.
Il y avait aussi des enfants qui pleuraient.
Les autres enfants qu’ils ont arrêtés comme ils m’ont arrêté pleuraient.
Il y avait mes amis du quartier.
Il y avait des enfants que je n’avais jamais vus.
Des garçons comme moi.
Des filles comme toi qui pleuraient comme tu pleures-là.
Toi tu n’étais pas encore arrivée.
Tous pleuraient.
Je ne savais pas pourquoi ils pleuraient.
Un grand rit quand un autre grand rit sans savoir pourquoi il rit.
Un enfant pleure quand un autre enfant pleure sans savoir pourquoi il pleure.
C’est pour ça que j’ai aussi commencé à pleurer.
Je n’avais pas peur.
Je n’ai jamais peur.
C’est parce que les autres enfants pleuraient que j’ai pleuré.
Mais ça fait longtemps.
J’étais encore un enfant.
Le premier jour où ils m’ont emmené devant le Commandant.

26
Pause

Comme un cours d’histoire.


Comme on dit une messe.
Comme on déclame un poème.
Comme on chante une chanson.
Comme on récite une leçon.
Une leçon bien apprise.
Par un élève un peu trop sage.

On part ou tu restes ?
Tu restes ou on part ?
On part ou on part ?
J’y vais, moi.
Si tu viens pas je te dis adios amigo et je pars.
Adios amigo !
Je pars !
Retiens-moi parce que si tu me laisses te laisser là, ils vont te retrouver et s’ils te retrouvent tu
es mal barrée cuite finie-finie pour de bon.
Tu viens ou merde ?
Allons-nous-en !
C’est un ordre !
On dirait que tu sais pas qui ils sont.
Tu as peut-être oublié qui ils sont.
Tu veux que je te rappelle pourquoi il ne faut pas rester là ?
Pourquoi il ne faut surtout pas qu’ils nous retrouvent là ?
Qu’ils te trouvent là ?
Attends, je vais te redire qui ils sont vrai-vrai et tu me diras si tu veux encore rester là à attendre
qu’ils viennent te trouver là :
Au commencement de ce pays, c’était nous.
On vivait nous-nous.
Nous étions là avant eux.
Avant tout le monde.
Il n’y a que les arbres et les pierres qui étaient là avant nous.
Il n’y a que les montagnes et les rivières qui étaient là avant nous.
Il n’y a que les animaux et les oiseaux qui étaient là avant nous.
Pas nous-mêmes.
Ceux qui étaient là avant nous.
Avant nos parents.
Avant nos grands-parents.
Avant nos arrières grands-parents.
Avant nos arrières-arrières grands-parents
Avant les arrières grands-parents de nos arrières-arrières grands-parents.
Quand les pirates trouvent l’île au trésor, l’île devient l’île des pirates n’est-ce pas ?

27
Même le trésor devient le trésor des pirates n'est-ce pas?
On était les premiers à trouver cette terre et cette terre est devenue notre terre.
On faisait la chasse comme les indiens pour vivre.
On faisait la pêche comme Robinson Crusoé dans l’île pour vivre.
On faisait la cueillette comme les pygmées pour vivre.
On cultivait la terre comme Le Laboureur et ses enfants pour vivre.
On faisait la guerre à ceux qui voulaient arracher notre terre comme les gaulois faisaient la
guerre aux romains quand ils voulaient arracher leur terre.
On vivait en paix avec ceux qui vivaient en paix avec nous.
On respectait ceux qui respectaient notre terre.
Et un jour, ils sont venus.
Ils n’étaient pas beaucoup comme maintenant.
Ils étaient juste deux ou trois ou quatre.
C’étaient des commerçants qui faisaient le troc.
C'est-à-dire que comme on n’avait pas d’argent parce que l’argent n’existait pas encore, ils
échangeaient le sel et l’huile et les tissus et le savon et le pétrole et beaucoup de petites choses
comme ça qu’ils achetaient chez les commerçants arabes, contre notre gibier ou notre poisson
ou nos fruits ou nos récoltes.
Ils sont venus en faisant semblant de respecter notre terre parce qu’ils savaient qu’on respectait
ceux qui respectaient notre terre.
Ils n’avaient pas où dormir quand ils venaient souvent faire l’échange chez nous.
On leur donnait souvent où passer la nuit.
Après ils ont dit que pour qu’on ait beaucoup de marchandises de premier choix à bon prix, il
nous faut une boutique.
Comme on avait beaucoup de terre, et qu’on voulait beaucoup de marchandises de premier
choix à bon prix, on leur a donné une petite terre pour construire une petite boutique.
Après ils ont dit qu’ils étaient seuls au monde et qu’ils n’avaient pas où habiter.
On leur a donné où habiter.
Juste un petit bout de terre.
Après ils ont dit qu’ils n’avaient pas où cultiver.
On leur a donné un bout de terre pour cultiver la terre.
Après ils ont fait venir leurs femmes et leurs enfants.
Et leurs frères aussi.
Et leurs sœurs aussi.
Et les enfants de leurs frères aussi.
Et les frères de leurs femmes aussi.
Ils ont construit une deuxième boutique.
Une grande boutique.
Puis une troisième boutique.
Puis beaucoup-beaucoup de grandes boutiques.
Comme ils savaient qu’on vivait en paix avec ceux qui vivaient en paix avec nous, ils ont fait
semblant de vivre en paix avec nous.
Pendant des mois.
Pendant des années.

28
Pendant des siècles.
Et nous on croyait qu’ils allaient vivre en paix avec nous pour des siècles et des siècles.
Comme on vivait déjà avec eux et qu’ils vivaient avec nous sur la terre de nos ancêtres, on les
a laissé entrer dans la vie du village.
Ils ont appris notre langue.
Ils ont appris nos coutumes.
Ils connaissaient nos secrets.
Ils connaissaient nos faiblesses.
Leurs femmes ont commencé à faire des enfants.
Leurs sœurs ont commencé à faire des enfants.
Leurs enfants ont commencé à faire des enfants.
Nous, on a adopté tous ces enfants parce qu’on dit chez nous qu’on ne refuse pas l’enfant.
Leurs enfants ont commencé à grandir avec nos enfants.
À jouer avec nos enfants.
Après ils ont commencé à acheter nos terres avec des cauris.
C’était l’argent qui existait avant l’argent.
Des coquillages blancs avec un trou.
Ils avaient beaucoup de cauris parce qu’ils étaient devenus riches.
Très riches.
Plus riches que nous.
Chez nous.
Et nombreux.
Mais pas plus nombreux que nous parce que c’est quand même le chez nous.
Voilà ce que le Professeur Tournesol devait nous enseigner au lieu de passer son temps à nous
dire que les courts ne sont pas courts et les longs ne sont pas longs !
Après, les ntangans sont venus.
Les Blancs.
Ils sont venus chez nous pour faire la clonisation.
La clonisation ça voulait dire qu’on devait devenir comme des clowns qui devaient dire tout le
temps « Oui chef ! Oui missié ! Oui Patlon ! »
On devait désormais parler la langue du Blanc.
C’est pourquoi je ne parle pas ma langue.
La clonisation ça voulait aussi dire qu’on devait aussi porter les noms des Blancs.
C’est pourquoi je m’appelle Paul même si je ne sais pas d’où ce nom-là sort.
Je m’appelais Paul parce que tu sais bien comment je m’appelle maintenant.
La clonisation ça voulait surtout dire que ce sont les Blancs qui commandaient désormais chez
nous.
Nous, on ne voulait pas que des gens quittent le chez-eux pour venir nous commander chez
nous même s’ils sont Blancs ; comme si les romains pouvaient commander chez les gaulois ou
les gaulois chez les romains même s’ils sont tous tombés dans la marmite de potion magique
étant petits.
Comme on faisait la guerre à ceux qui voulaient arracher notre terre comme les gaulois faisaient
la guerre aux romains quand ils voulaient arracher leur terre, on a commencé à faire la guerre
aux ntangans.

29
On défendait notre terre avec les sagaies.
On défendait notre terre avec les flèches.
On défendait notre terre avec les machettes.
On défendait notre terre avec les couteaux.
On défendait notre terre avec les frondes.
On défendait notre terre avec les cailloux.
On défendait notre terre avec nos coups de poings.
On défendait notre terre avec nos ongles pointus.
On défendait notre terre avec nos dents limées.
On défendait notre terre avec les pièges.
On défendait notre terre avec le poison.
On défendait notre terre avec le paludisme et les maladies contagieuses.
On défendait notre terre avec les moustiques et la mouche tsé-tsé.
On défendait notre terre avec la sorcellerie.
Mais la sorcellerie des ntangans dépassait notre sorcellerie.
Ils avaient des armes qui crachaient le feu.
Nous, on résistait.
Mais il y avait des traîtres chez nous.
Qui connaissaient notre langue.
Qui connaissaient nos coutumes.
Qui connaissaient nos secrets.
Les mounguélé-nguélés !
Comme ils savaient qu’ils ne sont pas chez eux, ils ont aidé les Blancs à s’installer chez nous.
Ils aidaient les Blancs à s’enrichir chez nous.
Comme ils étaient des traîtres, les ntangans aimaient traiter avec eux.
Comme ils étaient dociles, les ntangans les aimaient plus que nous.
Les ntangans ont dit que nous sommes têtus.
Ils ont dit aux ntangans qu’on a les oreilles aux fesses.
Et les ntangans nous ont fouettés aux fesses comme on fouette les enfants têtus.
Les ntangans ont compris qu’on n’aime pas travailler pour les autres comme des esclaves.
Ils ont dit aux ntangans qu’on ne comprend que le langage de la force.
Et les ntangans nous ont forcés à faire les travaux forcés comme les Daltons.
Un jour, les dépendances sont venues chasser la clonisation.
Les dépendances, ça voulait dire que les ntangans devaient rentrer chez eux.
Ils devaient dégager s’en aller partir se casser foutre le camp de chez nous.
On ne devait plus avoir de chef Blanc, mais un président Noir.
Pas un grand chef supérieur Noir mais un vrai président Noir comme le président Blanc des
Blancs.
Comme ils étaient déjà très riches, avec beaucoup de cet argent que les ntangans nous ont
imposé après les cauris ; les billets et les pièces que tu connais-là, et nous pauvres, tellement
pauvres qu’on achetait chez eux ce qui nous appartenait hier, et surtout comme ils étaient des
traîtres, les Blancs les ont laissés au pouvoir en partant.
C’est eux qui dirigeaient.
Tu te rends compte ?

30
Notre chef.
Notre grand chef qui était comme le grand manitou des indiens Sioux.
Le très grand, le plus grand bao de tous les baobabs.
Notre président après le chef Blanc c’était un mounguélé-nguélé !
Les dépendances, ça voulait dire que le grand chef n’avait plus des notables mais des ministres.
Presque tous les ministres étaient des mounguélé-nguélés !
Après, il y a eu la démoncratie.
La démoncratie ça veut dire que le grand chef, c’est tout le monde qui le choisit.
Même les cultivateurs et les chasseurs.
Même les pêcheurs et les commerçants.
Même les femmes et les infirmes.
Même les sorciers et les voleurs.
A part les prisonniers et les morts et les enfants, tout le monde choisit le président parmi
beaucoup de candidats en jetant le papier où il y a le nom et la photo du candidat dans le trou
qui est dans une caisse en bois. Celui qui a beaucoup de papiers devient le président, qu’il soit
mounguélé-nguélé ou kimbilili.
Nous sommes les plus nombreux dans ce pays.
Parce que c’est quand même notre pays.
Mais c’est toujours eux qui gagnent.
C’est eux qui sont au pouvoir depuis cinquante ans.
Et depuis cinquante ans qu’ils sont au pouvoir ils gèrent le pouvoir eux-eux.
C’est eux qui ont encore gagné quand les grands ont choisi le grand chef la dernière fois.
Parce qu’ils font la fronde électorale.
Les manigances.
La tricherie pour que le grand chef ne soit pas un des nôtres.
Et leur chef qui n’est pas notre chef leur donne tous les avantages dans notre pays à nous qui
n’est pas leur pays.
C’est pourquoi c’est eux qui ont tout dans ce pays alors que nous on n’a rien.
Ils deviennent de plus en plus riches alors que nous on devient de plus en plus pauvres et on est
obligé de guetter leur richesse comme les Rapetous guettent le coffre-fort de l’Oncle Picsou.
Ce pays appartient aux kimbililis.
Ce pays n’appartiendra jamais aux mounguélé-nguélés !
Le grand chef doit être un kimbilili.
Le candidat kimbilili doit devenir président à la place du président mounguélé-nguélé.
Nous allons le mettre au pouvoir fait quoi fait quoi !
Il n’y aura que des ministres kimbililis dans le gouvernement.
La révolution des Révolos va triompher.
Le Commandant va devenir général.
Nous, on sera des vrais militaires avec des vraies tenues de militaires et des vrais salaires de
militaires.
Même toi tu vas devenir une vraie infirmière ou journaliste ou femme d’affaires ou présidente
du tribunal ou tout ça en même temps comme eux ils sont tout en même temps dans ce pays qui
n’est pas leur pays.

31
On va sauf que massacrer ces rats palmistes de mounguélé-nguélés qui font la ratpalmicité dans
notre pays qui n’est pas leur pays.
On va sauf que zigouiller tous ces courts types de mounguélé-nguélés.
Nous les éliminerons tous.
Jusqu’au dernier dernier-né.
Nous les effacerons de la surface de notre terre.
Comme ils savent qu’on veut les effacer de la surface de notre terre, les mounguélé-nguélés
sont aussi décidés à nous effacer de la surface de notre terre.
Toi, moi et tous les kimbililis.
C’est pourquoi on doit partir.
Maintenant que c’est game over, il faut qu’on fuie.
Allez viens avec moi, je te dis !
C’est eux ou nous.
Soit on les tue, soit ils nous tuent.
Ils sont plus riches.
Nous sommes plus nombreux.
Ils nous traitent de chiens.
Mais le chien est fort chez lui.
On va voir qui va gagner.
On va voir ce qu’ils vont voir.

32
Play

Comme on joue au poker.


Ou au solitaire.
Ou aux échecs.
Ou au qui perd gagne.

— La guerre c’est comme un jeu.


Le Commandant a dit le premier jour.
— C’est un jeu où on peut se blesser. C’est aussi et surtout un jeu où on doit tuer pour ne pas
être tué. La guerre c’est un jeu, mais c’est tout sauf un jeu d’enfant. Comme vous le savez,
chaque jeu a ses règles. Première règle : Je ne veux plus vous entendre dire que vous êtes des
enfants parce que vous êtes des grands !
Le Commandant a encore dit en défilant devant nos rangs comme Monsieur Bugs Bunny, le
directeur de notre école qui défilait devant nous tous les lundis matin pour voir si nos tenues
étaient propres, les noms brodés dessus et nos têtes bien rasées pour qu’on soit dignes de chanter
l’hymne national.
— Si un adulte tire sur un enfant et que la balle l’atteint là sur le front, que se passe-t-il ?
Le Commandant a demandé.
— Il meurt !
Un enfant du premier rang devant qui le Commandant s’était accroupi a répondu.
— Si un enfant tire sur un adulte et que la balle l’atteint là en plein cœur, que se passe-t-il ?
Le Commandant a encore demandé en tournant son œil percé vers moi.
— Il meurt !
J’ai répondu en regardant l’image de l’homme qui fume un gros cigare sur son habit rouge.
L’homme qui ressemble à Jésus avec sa barbe et qui porte un béret avec une étoile.
— Sachez donc que la balle d’un enfant tue comme celle d’un adulte. Dans une semaine au
plus, vous deviendrez des soldats. Vous entendrez dire que vous êtes des enfants soldats, mais
retenez que vous n’êtes pas des enfants soldats mais des véritables soldats car la guerre c’est
une affaire de grands. Vous êtes des redoutables Révolos prêts à défendre la cause kimbilili.
Est-ce bien clair ?
Le Commandant a demandé en criant.
— Oui Commandant !
Nous avons tous répondu en même temps au Commandant Sauve-qui-peut le premier jour de
notre service militaire.
Le premier jour de notre service militaire, j’ai tiré pour la première fois.
Le premier jour, je suis tombé avec le fusil.
Le deuxième jour, le fusil est tombé, je suis resté debout.
Le troisième jour, le poteau qui avait la forme d’un homme est tombé.
J’étais debout avec le fusil.
— Bien ! Très bien !
Le Commandant a dit en remettant le poteau debout.
— Voyons voir si tu es capable de nous refaire ça…

33
Le Commandant a ajouté en m’éloignant encore du poteau.
J’ai tiré !
Le poteau est tombé.
Cinq fois !
Cinq fois le Commandant a remis le poteau debout.
Cinq fois le Commandant m’a encore éloigné du poteau.
Cinq fois le poteau est tombé.
— Bien ! Très bien ! Parfait ! Wonderful !
Le Commandant a dit en me tapant fort sur l’épaule comme il a fait quand le Capitaine Haddock
lui a montré le doigt où je l’avais mordu.
Le Commandant a dit que nous deviendrions des soldats en une semaine.
Je suis devenu soldat en trois jours.
Après trois jours, le Commandant a dit que j’étais prêt.
Il a même dit « fin prêt ».
Pendant que d’autres gaspillaient encore les balles en tirant en l’air au champ de tir, il a dit que
j’étais déjà un soldat.
Il m’a donné une tenue de militaire parce que tout le monde n’est pas Akim ou Zembla qui
vivent torse nu avec un petit caleçon et qui n’ont jamais froid ni même peur des gros moustiques
de la forêt.
Il m’a donné des bottes parce que tout le monde n’est pas Yéyé ou Kimbo ou Kirikou qui
marchent pieds nus et que les gros piquants de la forêt ne piquent jamais.
Il m’a donné un fusil comme pour Lucky Luke parce que tout le monde n’est pas Rahan le fils
des âges farouches qui vit dans la forêt avec seulement son petit coutelas d’ivoire pour se
défendre contre des animaux gros comme les mammouths et méchants comme les goraks.
Il me manquait seulement un nom.
Quand j’ai dit au Commandant que je m’appelais Paul, il m’a dit que c’était un prénom biblique
et que je devrais chasser ce prénom de mon nom parce qu’il aimait bien Paul de la Bible, mais
Paul de la Bible l’avait déçu dès qu’il avait cessé de tuer des gens pour devenir apôtre.
Il me fallait un nom de soldat.
Un nom qui tonne.
Un nom qui détonne.
Un nom qui cartonne.
Un nom qui me donne du courage à moi-même et qui fait peur aux autres.
Je lui ai dit qu’à l’Ecole des Champions on m’appelait Lucky Luke.
Le Commandant a ri.
Tout le monde a ri.
— Ecoute, petit ! Si tu es aussi mince que Lucky Luke, aussi mince que la majorité des nôtres,
ce n’est pas parce que les kimbililis sont par nature minces. C’est à cause des mounguélé-
nguélés qui nous dégraissent pendant qu’ils s’engraissent. Heureusement, c’est bientôt fini tout
ça, grâce à de vaillants soldats comme toi.
Le Commandant a dit.
Il m’a aussi dit que pour le nom de guerre on verrait ça plus tard.
Un jour, on a fait notre première attaque dans un village mounguélé-nguélé.
C’était un petit village qui ressemblait au village des Schtroumpfs.

34
Quand ils nous ont vus sortir des herbes, ils ont détalé en criant.
Nous, on était derrière eux comme le coyote poursuit Bip Bip.
Ils sont partis se cacher dans une école.
On les a poursuivis là-bas.
Le Commandant avait raison !
La guerre c’est simple comme bonjour :
On avance comme dans Star Wars en évitant les obstacles comme Mario Bross.
Celui qui a le lance-roquettes tire sur le mur.
Les parpaings disparaissent comme les boules de Zuma.
Le mur s’écroule comme dans Tétris.
Tu appuies simplement là et quelqu’un tombe.
Comme le poteau tombait au champ de tir.
Mais la différence c’est que là, le sang coule.
Coule.
Pas comme les personnages de dessins animés qui ne meurent jamais même quand ils tombent
d’un immeuble.
On est rentrés en chantant la chanson qu’ils nous ont apprise.
On a retrouvé le Commandant qui nous attendait au camp.
Parce qu’il n’était pas parti au front.
Il ne part jamais au front, le Commandant Sauve-qui-peut.
Il nous envoie toujours avec le capitaine Haddock qui est vraiment capitaine mais qui ne
s’appelle pas Capitaine Haddock.
Le nom de guerre du Capitaine Haddock c’est Capitaine Belzébuth.
Le Capitaine Belzébuth est toujours avec Popeye qui ne s’appelle pas Popeye même comme il
a sur l’épaule un tatouage comme le vrai Popeye.
Lui, il a le tatouage de l’homme qui ressemble à Jésus avec sa barbe et qui porte un béret avec
une étoile et fume un cigare sur l’habit du Commandant.
Le nom de guerre de Popeye c’est Lieutenant Coupe-coupe, parce qu’il dit que la machette c’est
une arme silencieuse et efficace qui abat un travail propre et laisse des traces rouges comme la
révolution.
Capitaine Belzébuth a dit au Commandant Sauve-qui-peut que j’avais tué trois hommes.
Le Commandant était très fier de moi.
Il a ouvert une bouteille de l’eau qui rend fou.
C’est ce jour que j’ai bu le whisky pour la première fois.
C’est ce jour que j’ai su que l’eau qui rend fou rend fort.
C’est ce jour que j’ai fumé pour la première fois.
C’est ce jour que j’ai su que le ndjama-ndjama rend courageux.
Mais ma cigarette ne restait pas collée sur ma bouche comme la cigarette de Lucky Luke qui
reste collée sur sa bouche même quand il parle.
Ma cigarette tombait dès que j’ouvrais la bouche pour parler.
Là là là, le Commandant m’a nommé Caporal.
Il a repris le fusil qui tirait une seule balle à la fois comme le fusil de Lucky Luke.
Il m’a donné une Kalachnikov qui tire beaucoup de balles en même temps.
Il a dit que je m’appelle désormais Caporal Boy Killer.

35
C’est depuis ce jour que je m’appelle Caporal Boy Killer.
C’est depuis ce jour que j’ai une kalache alors que d’autres soldats qui sont là avant moi ont
encore des machettes ou des fusils que Léonard le génie, notre forgeron-ingénieur-mécanicien-
chauffeur fabrique lui-même.
Tu sais qu’une kalache ça ne pardonne pas, non ?
Une kalache ça ne badine pas, c’est pourquoi tu dois obéir quand je te dis qu’on parte sinon je
te fais ce que je faisais souvent aux filles mounguélé-nguélés quand je les attrapais face à face.
Tu veux savoir ce que je leur faisais aux filles mounguélé-nguélés quand je les attrapais ?
Tu crois que je faisais collé-collé avec elles ?
Je ne faisais jamais collé-collé avec elles comme certains Révolos.
Je ne peux pas me souiller en faisant collé-collé avec une mounguélé-nguélé.
Je leur faisais ce que je faisais aussi aux garçons mounguélé-nguélés.
Sans pitié.
Parce que l’ennemi c’est l’ennemi.
Et nous, nous sommes les ennemis de nos ennemis.
Et c’est qui nos ennemis ?
Ce sont tous les mounguélé-nguélés sans exception.
Garçons ou filles.
Grands ou petits.
Vieux ou bébés.
Mais il y a mounguélé-nguélés et mounguélé-nguélés.
Il y a les Authentiques.
Ce sont les mounguélé-nguélés qu’on reconnaît dès qu’on les voit.
Ils sont courts comme les vrais mounguélé-nguélés.
Ils sont laids comme les vrais mounguélé-nguélés.
Ils parlent très bien le mounguélé.
Ceux-là dès que tu les vois, qu’ils soient garçons ou filles, il faut tirer sans réfléchir.
Parmi les Authentiques, il y a les mounguélé-blancs.
Ce sont les mounguélé-nguélés qui ressemblent aux mounguélé-nguélés mais qui ont grandi en
ville et ne parlent pas le mounguélé.
Eux aussi, garçons ou filles, il faut tirer sans réfléchir.
Il y a les Passepartouts.
Ce sont les mounguélé-nguélés qui ne ressemblent pas aux mounguélé-nguélés mais qui sont
des mounguélé-nguélés du cerveau jusqu’au fin fond des os des orteils en passant par le
pancréas, la moelle épinière et toute la viande de leur corps.
Ils parlent très bien le mounguélé.
Ils sont très dangereux parce qu’ils peuvent t’avoir par surprise.
Si tu tombes sur une personne que tu soupçonnes d’être mounguélé-nguélé, il faut lui demander
de parler le kimbili.
S’il ne parle pas le kimbili, garçon ou fille, il faut tirer sans pitié.
Mais il faut faire attention parce qu’il y a aussi les Chauvesouris.
Des Batman.
Ils sont mounguélé-nguélés mais ils parlent le kimbili plus que les kimbililis.
Eux aussi, il faut tirer sans pitié.

36
Il y a les Double-faces.
Ceux qui ont un parent mounguélé-nguélé et un parent kimbilili.
Ils ne sont pas très courts et pas très longs.
Ils ressemblent en même temps aux mounguélé-nguélés et aux kimbililis.
Parfois ils parlent très bien le mounguélé et très bien le kimbili.
Garçon ou fille, quand tu attrapes un Double-faces il faut le mettre à genoux, les deux mains
sur la tête.
Il faut lui dire que le prochain gouvernement révolutionnaire kimbilili ne reconnaîtra pas la
double ethnie.
Qu’il choisisse sa tribu là là là.
S’il choisit le camp des mounguélé-nguélés, il faut tirer sans pitié parce que celui qui n’est pas
avec nous est contre nous.
S’il choisit le camp des kimbililis, il faut l’emmener nous rejoindre au camp parce que celui qui
n’est pas avec eux doit être contre eux.
C’est aussi ce qu’ils font avec nous.
Toi tu n’es pas avec eux, donc tu es contre eux.
Puisque tu es contre eux, tu es avec nous.
Même comme nous sommes seuls maintenant.
Toi et moi.
Allons-nous-en !
Je te donne trois secondes.
Je compte les secondes en commençant par :
Trois !
Deux !
Une !
Une fois…
Une seule fois.
Une seule fois Boy Killer devait tirer et il n’a pas tiré.
Boy Killer devait abattre un mounguélé-nguélé et il ne l’a pas abattu.
Ça faisait un an que j’étais devenu un Révolo.
J’avais déjà tué beaucoup de résistants mounguélé-nguélés.
J’avais déjà tranché beaucoup de gorges de mounguélé-nguélés pour venger Tonton Jérémy.
J’avais déjà fait à beaucoup de femmes mounguélé-nguélés ce que Jules César avait fait à ma
mère.
Un jour, on a attaqué un camion comme les Daltons attaquaient les diligences.
C’était la nuit.
Un camion plein de réfugiés mounguélé-nguélés.
Ils ont fui dans la forêt.
On les a poursuivis jusqu’au fin fond de la forêt.
C’était une forêt avec beaucoup de lianes comme la forêt de Tarzan et d’Akim et de Zembla.
On les a recherchés morts ou vifs derrière les arbres.
Il faut toujours les rechercher morts ou vifs derrière les arbres ou les rochers ou les cases.
Ceux qui sont vifs il faut les rendre morts pour que leurs frères ne les retrouvent pas vifs.
On les a tous rattrapés.

37
Mais on ne les a pas tués direct.
— Il ne faut jamais bousiller des munitions pour tuer un mounguélé-nguélé quand on peut le
tuer économiquement !
Le Capitaine Belzébuth a dit ce jour-là.
— Je dirais même plus : La vie d’un mounguélé-nguélé ne vaut pas le prix d’une cartouche !
Le Lieutenant Coupe-coupe a ajouté en croyant qu’il fallait les découper à la machette.
Pour économiser les cartouches on les a pendus avec les lianes qui pendaient aux arbres comme
les cowboys pendaient les wanteds.
On ne les a pas pendus nous-mêmes.
On a demandé aux uns de pendre les autres avec les lianes qui pendaient autour de nous.
Certains préféraient se pendre eux-mêmes.
On les a tous exécutés parce qu’il faut toujours tous les exécuter.
On voulait déjà rentrer quand j’ai entendu un petit bruit dans un buisson.
J’ai soulevé le tas d’herbes sèches.
Je suis tombé sur un enfant qui était couché.
Un mounguélé-nguélé !
L’enfant s’est redressé lentement.
Il avait plein de larmes dans les yeux.
Mais les larmes ne coulaient pas.
Il était court.
Il était mince.
Très mince.
C’était le seul survivant.
Il m’a regardé dedans les yeux.
Je l’ai regardé dedans les yeux.
Il a souri même comme il avait des larmes.
Je n’ai pas souri.
Il a regardé ma kalache.
Ma kalache l’a regardé.
Les larmes ont commencé à couler sur ses joues.
Il tremblait comme une feuille.
Il a fait deux pas derrière.
Il s’est tourné.
Il s’est mis à courir.
Il est tombé.
Il s’est relevé.
Il s’est remis à courir.
Il est retombé.
Il s’est rerelevé.
Il s’est reremis à courir.
Il est reretombé.
Il s’est rererelevé.
Il s’est rereremis à courir comme Speedy Gonzalès.
Il n’est plus tombé.

38
— Tire ! Tire ! Tiiiirrrreeee ! Nom de Dieu ! Abats ce chien !
Le Capitaine Belzébuth a crié à distance.
Je suis resté statue.
Je n’ai pas bougé.
Je n’ai pas levé mon arme.
— Qu’est-ce que tu as fait, pauvre idiot ?
Le Capitaine Belzébuth a hurlé.
Il a fait le rapport au Commandant Sauve-qui-peut.
Le Commandant Sauve-qui-peut m’a blâmé bien bon.
— Boy Killer ! Ce mounguélé-nguélé que tu as laissé s’échapper te tuera à la première
occasion !
Le Commandant a dit.
Et il a décidé qu’à partir de ce jour Dingo Dingue son chien nous accompagnerait toujours pour
être sûr qu’aucun ennemi ne nous échapperait désormais.
C’est depuis ce jour que Dingo Dingue, le laid chien du Commandant qui ressemble au
Commandant, nous accompagne dans tous les assauts.
Le Commandant m’a mis à la corvée.
Parce que je n’avais pas obéi aux ordres.
Je n’avais pas tiré.
Alors que j’aurais dû.
Je ne pouvais pas tirer.
Même si j’aurais pu.
Je l’avais reconnu.
Il m’avait reconnu.
C’était lui.
C’était Gaston !
Gaston Lagaffe !
Mon frère, comme Tonton disait.
Mon frère, comme maman disait.
Gaston et moi on était comme Tom and Jerry.
C’était mon frère, même s’il était con.
Toi tu n’es pas Gaston alors fais pas la conne.
Cesse de me regarder comme Alice parce qu’on n’est pas au pays des merveilles ici.
Suis-moi sinon ça va barder.
Partons d’ici.
Partir où ?
Tu te demandes, je sais.
Je sais pas moi-même mais allons-y quand même.
N’importe où.
Si tu ne viens pas tout de suite, je te fais comme dans les films où c’est écrit -12.
Dans les films où c’est écrit -12, l’acteur tue son frère à la guerre pour que l’ennemi ne le
retrouve pas vivant.
C’est quand le frère est blessé et qu’il ne peut plus courir.

39
Et c’est le frère même qui est blessé qui demande à l’acteur de le tuer parce qu’il est blessé au
pied et parce qu’il ne peut plus courir.
Et l’acteur le tue en pleurant.
Mais moi je ne peux pas te tuer parce que tu ne m’as rien demandé.
Et même si tu me demandes de te tuer, je ne peux pas te tuer parce que tu es une fille et tu es
kimbilili.
Mais même si tu ne me demandes pas de te tuer et même si tu es une fille et même si tu es
kimbilili, je vais quand même te tuer si tu ne me suis pas alors suis-moi !
Le jeu est terminé alors arrête ton petit jeu sinon ce sera game over pour toi.

40
Stop

Trop parler donne soif.


Soif d’une faim.
Faim d’une fin.

Tu veux que je m’énerve ?


Tu sais que je suis déjà énervé ?
Je vais encore m’énerver bien bon si tu n’arrêtes pas tout de suite.
Arrête de cracher je te dis !
Arrête de cracher comme si ma bouche sentait !
Regarde mes dents.
Regarde très bien mes dents.
Est-ce que j’ai les dents jaunes, moi ?
Est-ce que j’ai les dents jaunes comme le Commandant ?
Ma mère me tapait matin et soir pour que je me brosse les dents pour qu’elles ne deviennent
pas jaunes comme les dents jaunes du Commandant qui n’a pas toutes ses dents et que j’ai vu
t’embrasser dans la bouche avec ses dents jaunes.
Arrête donc de cracher comme si je puais !
Même si je ne me lave pas, je ne pue pas.
C’est pour ma sécurité que je ne me lave pas.
Parce que pour te laver tu dois enlever tes habits et pendant que tu te laves, l’ennemi peut venir
par derrière, voler ton arme et te tuer par surprise.
C’est pour ça que personne ne se lave ici.
C’est pour ça que les cowboys comme Tex Willer et Kit Carson ne se lavent jamais.
C’est pour ça que Lucky Luke porte les mêmes habits du premier au trente et un.
Même si je ne change jamais les habits et même si je ne me suis pas lavé depuis trois semaines,
je ne pue pas comme le Commandant qui ne se lave jamais même quand il pleut et qui pue
grave plus que Pépé le putois.
Moi je sens bon parce que je mets chaque jour le parfum que j’ai pris dans le prêt-à-porter du
gros mounguélé-nguélé qu’on a dévalisé le mois passé.
Donc arrête de faire comme si je puais et arrête de faire comme si tu voulais vomir.
Même si tu veux vomir, je t’interdis de vomir.
Arrête de vomir parce que c’est dégueulasse, une fille qui vomit.
Vomis !
Vomis si tu veux !
Vomis donc mais ne crois surtout pas que c’est parce que tu fais semblant de vomir que je vais
te laisser là.
Je peux pas te laisser là.
Je t’embarque pour je ne sais où que tu le veuilles ou non.
Je sais pourquoi tu fais ça.
C’est parce que tu veux que j’aie pitié de toi.
Les filles veulent toujours qu’on ait pitié d’elles.
Moi j’ai pas pitié de toi parce que j’ai pitié de personne.

41
Je suis un Révolo !
Même si tu tiens ton ventre comme tu le tiens là, je sais que tu fais semblant d’avoir mal au
ventre.
Si tu as mal au ventre vrai-vrai, chie donc mais arrête de me faire chier sinon c’est sur ton ventre
que ma kalache va pisser !
Je me retourne pour ne pas te regarder chier mais ne fais pas de conneries parce que quand Boy
Killer dit qu’il tire, il tire.
Et il ne rate pas.
Il ne rate jamais.
Donc t’as intérêt à chier pendant que je pisse parce que si ça vient pas, toi tu viens.
Alors ça vient ?
J’entends rien.
Je sens rien.
Tu vas me sentir si tu ne chies pas.
Je sais ce que tu te dis.
Tu te dis que je veux t’emmener loin parce que tu es une fille et que je veux faire collé-collé
avec toi parce que les garçons veulent toujours faire collé-collé avec les filles.
C’est parce que tu crois que je veux faire collé-collé avec toi comme le Commandant que tu
fais semblant d’avoir mal au ventre.
C’est même ce que tu veux.
Que je fasse collé-collé avec toi.
Mais je ne vais pas faire collé-collé avec toi parce que je suis un héros et les héros n’aiment pas
les filles.
Ce sont les filles qui aiment les héros et les héros fuient les filles qui les aiment à la fin de la
BD ou du film.
Parce que quand une fille tombe amoureuse d’un héros, elle veut faire collé-collé avec lui tout
le temps et il ne peut plus être un vrai héros parce que la fille devient collé-chewing-gum.
Parfois on arrête même la femme du héros dans les films où c’est écrit -12 et le héros ne peut
plus sauver le monde parce qu’il doit seulement sauver sa femme.
C’est pourquoi Lucky Luke, dès qu’une fille tombe amoureuse de lui, fuit toujours en chantant
à la fin « I’m a poor lonesome cowboy...».
Même Bleck le Roc fuit toujours quand une fille tombe amoureuse de lui.
Il n’y a que Nicky Larson qui aime les filles mais les filles ne l’aiment pas.
Il n’y a que Tarzan qui a une femme qui s’appelle Jane comme Calamity Jane des Aventures
de Lucky Luke mais moi je n’aime pas les Aventures de Tarzan comme j’aime Calamity Jane
des Aventures de Lucky Luke.
Donc je ne peux pas faire collé-collé avec toi.
Je ne suis pas le Commandant.
Je n’aime pas les filles.
Je n’aime pas les garçons non plus comme le Commandant qui aime les garçons et les filles.
Si le Commandant avait essayé de me faire un jour ce qu’il faisait à Topito-enfant-de-cœur, je
n’allais pas me suicider comme le lâche de Topito-enfant-de-cœur qui s’est suicidé parce qu’il
ne voulait plus faire la guerre à cause du Commandant qui lui faisait souvent les choses qu’il te
faisait hier.

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Je n’allais pas pleurer comme toi tu pleures souvent quand il te fait ce qu’il faisait à Topito-
enfant-de-cœur.
J’allais le laisser faire.
J’allais enlever mes habits.
J’allais attendre qu’il enlève ses habits.
J’allais même l’aider à enlever ses habits.
Dès qu’il allait être nu comme le ver de terre, j’allais sortir ce petit couteau que j’ai toujours
dans mon caleçon depuis que je sais qu’il aime aussi faire collé-collé aux garçons et j’allais
couper son gros machin-là.
Son gros Dago allait tomber là sur les herbes.
Lui aussi allait tomber là sur les herbes.
Parce que quand il est sans caleçon, il n’a plus ses habits.
C’est le seul moment où il enlève ses habits.
Quand il est sans caleçon, les gris-gris que Panoramix lui fabrique pour éviter les balles et les
objets tranchants deviennent impuissants.
D’ailleurs, je n’allais même plus attendre le jour qu’il allait essayer de me faire collé-collé.
J’allais lui faire ça le jour où il allait encore te faire ce qu’il t’a fait hier.
J’allais lui faire ça aujourd’hui parce que je sais qu’il allait encore te faire ça aujourd’hui comme
il t’a fait ça hier et comme il t’a fait ça avant-hier.
Tu crois qu’ils ont tué le Commandant ?
C’est pas juste !
C’est moi qui devais le tuer le jour où il allait encore te faire le truc que les grands font dans les
films qui sont interdits aux moins de dix-huit ans.
Peut-être que le Commandant a su que j’allais le tuer et il a fui.
J’allais vider toute ma kalache sur lui.
Aujourd’hui même.
J’allais revenir montrer ses couilles à tous les autres Révolos.
Aujourd’hui même.
Et les autres Révolos allaient avoir encore plus peur de moi parce qu’ils allaient savoir que si
j’ai coupé les couilles du Commandant c’est que j’ai plus de couilles que lui et qu’eux tous
mélangés.
Que mes gris-gris sont plus puissants que les gris-gris du Commandant et que maintenant la
puissance de ses gris-gris qui étaient plus puissants que tous nos gris-gris s’est ajoutée à la
puissance de mes gris-gris.
Le Capitaine Belzébuth allait être content parce qu’il déteste le Commandant en cachette mais
le Commandant ne le sait pas alors que moi je le sais.
Il déteste le commandant mais il a peur de lui alors que moi je déteste le Commandant mais je
n’ai pas peur de lui.
C’est moi qui allais décider qui devient qui et personne n’allait oser discuter.
J’allais nommer le Capitaine Belzébuth Commandant à la place du Commandant.
J’allais devenir son bras droit.
J’allais devenir Lieutenant à la place du Lieutenant Coupe-coupe qui est mort pendant l’attaque
d’hier.
Et personne n’oserait plus te toucher jamais-jamais.

43
Voilà ce qu’il allait se passer aujourd’hui.
Comme la guerre c’est game over, personne n’osera plus jamais te toucher parce que tu es avec
moi.
Et je suis là pour toi.
Mais ne crois pas que c’est pour te faire ce que le Commandant te faisait.
Ne crois pas que c’est parce que tu es une fille.
Ne crois pas que je suis jaloux.
Ne crois pas que c’est parce que tu es laide que je ne veux pas faire collé-collé avec toi.
Tu es belle.
La plus belle fille du camp.
La plus belle de toutes les Révolos.
La plus belle kimbilili.
Tu ressembles à maman avec tes dents blanches espacées au milieu.
C’est pourquoi même si tu restes la seule fille sur terre comme la Schtroumpfette est la seule
fille du village Schtroumpf, je ne peux jamais faire collé-collé avec toi.
Tu es ma sœur.
Je suis ton frère.
Oui !
Tu es ma petite sœur !
Je suis ton grand frère !
Je l’ai su le premier jour.
Le premier jour où je t’ai vue.
Ma petite sœur qui est partie avec maman.
Je ne sais pas à quoi elle ressemblait mais je sais que tu lui ressembles à ma petite sœur qui est
partie avec maman.
Je ne t’avais jamais vue mais je t’ai reconnue dès que je t’ai vue.
Tu es revenue à cause de l’incarnation.
C’est Harry Potter, mon ami qui a fui son village pour rejoindre les Révolos parce qu’on voulait
le tuer en l’accusant d’être un enfant sorcier, qui m’a parlé de l’incarnation pour la première
fois.
Il m’a dit que quand un enfant meurt, il revient toujours.
Il revient dans une autre famille.
C’est pour ça qu’il voulait mourir pour aller naître dans une autre famille.
Il est mort l’autre jour au front.
Mais il n’est pas mort pour de bon.
Il est parti naître dans sa vraie famille.
Toi, la famille où tu es revenue naître n’est pas ta vraie famille.
C’est moi ta famille.
Je suis ta seule famille.
Même toi tu es ma seule famille maintenant.
Je sais de quoi je parle.
J’ai fait un vœu un jour en voyant une étoile qui filait dans le ciel.
Il faut toujours faire un vœu quand on voit une étoile filante dans le ciel parce qu’une étoile
filante, c’est comme la lampe merveilleuse d’Aladin.

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Tu fais un vœu et l’étoile réalise ton vœu comme le génie de la lampe.
— Etoile filante, fais que ma petite sœur revienne et que je la retrouve !
J’ai dit à l’étoile.
Le lendemain je t’ai vue dans ce quartier que les mounguélé-nguélés venaient d’attaquer.
On venait à votre secours mais ils ont fui avant qu’on arrive.
Tu te cachais dans cette vieille maison abandonnée.
Tu avais peur.
Tu croyais que c’était encore eux.
Je t’ai vue.
Tu tremblais.
Tu pleurais.
J’ai su que c’était toi.
J’ai su que c’était toi ma petite sœur.
Je t’ai moi-même attrapée.
Je t’ai emmenée de force au Capitaine Belzébuth.
— Avance ou je tire !
Je t’ai dit en pointant la kalache sur toi.
Je ne pouvais pas tirer même si tu n’avançais pas.
Je ne pouvais pas tirer sur ma petite sœur.
Je ne suis pas un mounguélé-nguélé !
C’est eux qui tuent leurs enfants ou leurs parents ou leurs frères ou leurs sœurs dans la
sorcellerie pour que leurs maisons deviennent comme la caverne d’Ali Baba et des quarante
voleurs.
C’est un mounguélé-nguélé qui a vendu notre maman dans la sorcellerie pour devenir riche
comme l’Oncle Picsou.
— Veille sur ta petite sœur !
Maman me disait ce matin quand les oiseaux m’ont réveillé.
C’est pourquoi je ne veux pas te laisser là même si je peux.
C’est pourquoi je ne peux pas te laisser là même si je veux.
Viens donc et suis ton grand frère pour qu’on devienne comme Kimbo et Kita.
Comme Barth et Lisa Simpson.
Rien ne peut plus t’arriver.
Je tue celui qui veut te tuer.
Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
On dirait que tu pisses sur toi.
On dirait que ce ne sont pas les pipis.
Ça ne sent pas les pipis.
Fais voir ton babadi.
Fais voir ton ventre.
Soulève ta robe !
Montre-moi ton ventre, petite sœur.
Tu as refusé de manger le méchoui hier.
Tu n’as pas mangé depuis avant-hier alors que tu prépares chaque jour avec toutes les autres
filles du camp.

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Tu n’as pas mangé mais pourquoi ton ventre est un genre un genre comme si tu avais beaucoup
mangé ?
Pourquoi ton ventre est bizarre-bizarre comme le ventre de maman qui devenait comme le
ventre des Barbapapa ?
Tu vas pas me faire ça !
Tu vas pas me faire ça à moi toi aussi petite sœur !
Qui va te soigner ici si tu fais ça ?
Même Panoramix a fui avec les autres.
Il n’y a plus personne au camp.
Il n’y a que nous trois ici : Toi, moi et ma kalache.
On n’a même plus de camp et je peux pas me rendre aux forces loyalistes ou aux casques bleus
parce qu’ils vont vouloir me prendre ma kalache et moi j’arrache la vie à celui qui veut
m’arracher ma kalache parce que c’est le camp de dressement direct et moi je veux pas aller au
camp de dressement ni dans n’importe quel camp.
Tiens !
Je sais ce que je vais faire.
Je sais ce qu’on va faire.
Je cache ma kalache ici.
Je cache mon couteau ici.
Je cache ma tenue de soldat ici.
Tu ne le répètes surtout à personne.
Pas même en rêve.
Je t’emmène à un endroit pas loin d’ici.
Au camp des réfugiés.
Là-bas il y a beaucoup de gens.
Des lâches qui fuient la guerre et vont se cacher.
Des enfants.
Des grands aussi.
Tu dis à personne que nous sommes des Révolos.
On n’a jamais fait la guerre, nous.
C’est la guerre qui nous a fait.
Et on fuit pour que la guerre ne continue pas à nous faire ça dur.
J’ai jamais tué personne.
On fuit pour que personne ne nous tue.
D’accord ?
Tu fais semblant d’avoir peur.
Moi aussi je fais semblant d’avoir peur.
Même comme je n’ai jamais peur.
Mais ce qui m’énerve c’est qu’on sera mélangés-mélangés.
Mounguélé-nguélés et kimbililis mélangés dans le même camp !
Comme nous sommes mélangés dans ce pays.
C’est pourquoi on n’attaquait jamais le camp des réfugiés.
Pour ne pas tuer les autres kimbililis.

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On sera en sécurité là-bas parce que les mounguélé-nguélés aussi ne peuvent pas nous attaquer
là-bas sinon ils tueront aussi les mounguélé-nguélés.
En plus, si un des deux camps attaque le camp des réfugiés, l’ONU s’énerve mal-mal et fait le
conseil d’insécurité pour vous mettre en insécurité.
L’ONU c’est le mélange de tous les pays du monde.
Le conseil d’insécurité c’est la réunion des conseillers qui donnent les conseils à l’ONU pour
faire l’insécurité à ceux qui font l’insécurité dans le monde.
Et quand les conseillers du conseil d’insécurité donnent à l’ONU le conseil de se fâcher, l’ONU
se fâche mal mauvais et envoie les militaires Blancs, Noirs, Jaunes, Rouges, Métis qu’on
appelle les casques bleus.
C’est aussi eux qui gardent le camp des réfugiés.
Ils ont des armes sophistiquées qui tirent mille cartouches par seconde.
Et ça peut devenir la guerre mondiale pour vous parce que tous les pays du monde entier entrent
dans la bagarre du côté de l’ONU pour vous faire la guerre mondiale : L’URSS, la Russie, la
Biorussie, le Liban, le Pakistan, l’Afghanistan, le Kazakhastan, le Vatican, le Soudan, le Viêt-
nam, le Viêt-Cong, l’Allemagne de l’Est, l’Allemagne de l’Ouest, l’Allemagne du Sud,
l’Allemagne du Nord, le pôle Nord, le pôle Sud, l’Afrique du Sud, l’Asie mineure, l’Asie
majeure, la reine d’Angleterre, le roi du Maroc, le roi d’Espagne. Même le Général de Gaulle
et tous les gaulois entrent dans la guerre. Même l’Amérique de Tex Willer entre dans la guerre.
Même Rome, le pays de Jules César entre dans la guerre. Même Jérusalem, le pays de Jésus de
Nazareth entre dans la guerre. Les chinois avec le kung-fu, les indiens avec leurs flèches, les
pistoléros mexicains avec leurs sombréros, les noirs avec leurs machettes, les pirates des
caraïbes, les cowboys, les samouraïs, les vikings, les trappeurs, les Tuniques rouges, les bérets
verts, les dragons, les ndjoundjous, les martiens,Sangoku, Spiderman, Batman, Ironman, les X-
mens, les Quatre Fantastiques, Thor et les Vengeurs, la Planète des Singes : et la guerre
mondiale devient la Guerre des étoiles !
Et pendant la guerre, il y a des journalistes qui sont dans la guerre comme celui qui vient de
dire que la guerre c’est game over. Eux aussi, le Commandant nous avait strictement interdit de
les toucher comme il nous avait interdit d’attaquer le camp des réfugiés, parce que les
journalistes ne sont pas dans la guerre pour faire la guerre, mais pour faire les commentaires de
la guerre et pour dire qui mène le score, comme les journalistes qui font les commentaires des
matchs de football, pour dire quand la guerre c’est game over comme il vient de dire et quand
un journaliste qui est dans la guerre dit que c’est game over, c’est que c’est game over !
Game over, ça veut dire plus de kalaches, plus d’attaques surprises, plus de face-à-face, plus de
ndjama-ndjama, plus de whisky, plus d’argent, de parfums et de bijoux que j’allais commencer
à garder à partir d’aujourd’hui à ma petite sœur après les pillages.
Mais le camp des réfugiés c’est mieux que le camp de dressement tu vas voir.
Le camp des réfugiés c’est mieux que notre camp.
Il y a des médecins de la Croix-Rouge.
Ce sont des gens qui portent des habits qui ont une croix qui n’est pas comme la croix du petit
Jésus que le prêtre gros comme frère Tuck portait hier, mais une croix qui est rouge comme le
sang de la révolution même comme ce ne sont pas des révolutionnaires. Eux aussi, on ne doit
jamais les attaquer sinon gare à l’ONU, parce qu’ils ne sont pas à la guerre pour verser le sang
mais pour soigner les gens qui ont le sang sur eux.

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Je vais leur dire de ne pas te faire une césarienne.
Comme à maman.
Tu ne vas pas mourir.
Comme maman.
On dit qu’ils s’occupent des gens qui sont là-bas à cent pour cent pour rien pour rien sans rien
payer comme à l’hôpital.
Ils soignent les blessés et les malades.
Ils enterrent les jambes coupées et les cadavres morts.
Ils donnent à manger aux survivants.
Il paraît que les enfants peuvent même repartir à l’école après.
C’est game over mais le game n’est pas over pour nous.
On va recommencer le jeu.
On va recommencer un autre jeu.
Puisque c’est maintenant fini.
On vivra heureux.
Et on aura beaucoup-beaucoup d’enfants.

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