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UNIVERSITE SAINT ESPRIT DE KASLIK

FACULTE PONTIFICALE DE THEOLOGIE

«Examen DE UNIVERSA»
(Sujet 4- Dogme)

Travail préparé par:


Antonio NAFFAH
et Samer ELIAS

Kaslik-Liban
2009-2010
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Sujet no. 4

Mt 16 :13-20 est une scène christologique par excellence. Elle indique un indice clair de
la conscience qu’avait Jésus de lui-même, et marque un détour dans la foi des disciples.
Etudiez la christologie de ce texte, en insistant sur le sens et les implications du titre
« Christ » donné à Jésus. Expliquez la portée actuelle du messianisme chrétien face aux
messianismes sociopolitiques contemporains (donnez des exemples).
P. Antoine Mikhael

Plan :
Introduction + texte

1- Approche exégétique
1.1. Etude du texte
1.1.1. Qui suis-je ?
1.1.2. Réponse des hommes
1.1.3. Réponse de Pierre
1.2. Etude du titre « Messie »
1.2.1. Dans la tradition juive, le Messie est le roi oint
1.2.2. Dans le christianisme, le Messie est Jésus de Nazareth
1.2.2.1. À l’époque de Jésus Christ
1.2.2.2. Après la résurrection
1.2.2.3. Paul de Tarse

2- Conscience de Jésus, foi des disciples, et confession de foi des premiers chrétiens
2.1. Conscience de Jésus de lui-même
2.1.1. Les différentes thèses à propos de la conscience de Jésus (pas
nécessaire, seulement pour l’information et si on demande à
ce propos)
 Thomas d’Aquin
 Herman Shell
 Karl Rahner
 Jean Galot
2.1.2. Les indices bibliques de la conscience de Jésus de Lui même
 L’appellation « Abba »
 L’autorité de Jésus
 Les miracles de Jésus
2.2. Le détour dans la foi des disciples
2.3. La confession de foi des premiers chrétiens
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3- Portée actuelle du messianisme chrétien


3.1. Théologie de l’espérance
3.2. Théologie politique
3.3. Christologie de la sequela (théologie de la libération)
3.4. Christologie féministe
Critique de ces approches

Conclusion

La scène de la profession de la foi de Pierre (Mt 16 :13-20) achève la première


grande période du ministère de Jésus.
" 13 – Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus interrogeait ses disciples :
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« Au dire des hommes, qui est le Fils de l’homme ? »


14
– Ils dirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Elie ; pour d’autres
encore, Jérémie ou l’un des prophètes. »
15
– Il leur dit : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? »
16
– Prenant la parole, Simon - Pierre répondit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.
»
17
– Reprenant alors la parole, Jésus lui déclara : « Heureux es-tu, Simon fils de Jonas,
car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les
cieux.
18
– Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et la
Puissance de la mort n’aura pas de force contre elle.
19
– Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera
lié aux cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aux cieux. »
20
– Alors il commanda sévèrement aux disciples de ne rien dire à personne qu’il était le
Christ".

1- Approche exégétique

1.1. Etude du texte

Ce passage marque un tournant car c’est la première fois que l’identité de Jésus
comme Christ, Fils de Dieu est dévoilée par un disciple. Cette révélation amorce la
deuxième partie de l’évangile : Jésus annonce juste après et pour la première fois sa
mort et sa résurrection.
Césarée de Philippe : est une ville construite par le tétrarque (gouverneur d’une partie de
la Palestine) Philippe, fils d’Hérode le Grand (l’an 4 av.JC)

1.1.1. Qui suis-je ?


Jésus ne pose pas à ses disciples la question de son essence intemporelle mais
celle de sa mission historique par rapport à Dieu et à son peuple.
Fils de l’homme : C’est de cette façon que Jésus se nomme dans les évangiles.
Dans l’Ancien Testament, le titre « fils d’homme » est cité dans le livre de Daniel (7/13
et 8/17) et désigne le juge céleste des derniers jours. La tradition juive l’identifiera au
messie davidique. Les deux aspects de la personnalité de Jésus, à savoir sa messianité
davidique et le serviteur souffrant, peuvent coexister dans le concept de Fils de l'homme.

1.1.2. Réponse des hommes (qui ne sont pas de son cercle immédiat)
Dans la réponse des disciples, ce qui frappe d'abord, c'est la variété des opinions
qui circulent au sujet de Jésus; mais cette multiplicité revêt une unité typiquement juive
et biblique; personne ne croit que Jésus est une individualité exceptionnelle détachée de
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l'histoire du peuple d'Israël. Tous pensent que Jésus pourrait être un envoyé de Dieu, un
rappel et un accomplissement de ses interventions historiques dans le passé; on
l'attendait en se tournant autant vers le passé que vers l'avenir; les grandes figures du
passé paraissaient être le gage de la délivrance espéré.
Le peuple voyait que Jésus faisait “des miracles au-dessus de la puissance des
hommes”. Il était donc un grand homme.
- Jean le Baptiste : Prophète du Nouveau Testament qui prend les paroles du
prophète Isaïe pour « préparer le chemin du Seigneur ».
- Elie : Grand prophète de l’Ancien Testament qui se bat pour rétablir le culte du
Dieu d’Israël, notamment contre les dieux Baal. Elie désigne l'espoir de la restauration
d'Israël.
- Jérémie : Prophète au moment de l’exil. Il n’est pas cité dans Marc et Luc.
Jérémie est une figure de la Passion, il est celui qui annonce à la fois, l'échec de la forme
que revêtaient à l'époque l'Alliance et le sanctuaire et la promesse d'une Nouvelle
Alliance qui surgira du déclin.

Enfin, Ces personnages rapportés par les disciples sur l’identité de Jésus sont en
lien avec l’attente du Messie dans la tradition juive. Plusieurs considéraient Jésus
comme un précurseur du Messie.

1.1.3. Réponse de Pierre


Chez Marc et Luc, la réponse de pierre exprime la foi de tout le groupe des
disciples. Chez Mathieu, Pierre parle en son nom propre, comme le donnent à penser les
vv. 17-19; il est moins propre le porte – parole des disciples que leur modèle pour une
foi chrétienne authentique
- Christ : Traduction grecque du mot hébreu : « messiah » - Messie - qui veut
dire : l’ « oint ». Quand Dieu choisit un roi pour le peuple, il ordonne à Samuel d’oindre
d’huile la tête de Saül puis de David.
De plus, il est le libérateur du peuple d’Israël de l’exil – il va être appelé l’«oint»
(Esaïe 45/1).
Les prophètes annoncent un messie au-dessus de tous, qui viendra pour accomplir
l’œuvre de salut du Dieu libérateur commencé dès la première alliance entre lui et son
peuple.
Jésus s’est reconnu comme le Christ, l’«oint» annoncé par les prophètes. Mais
s’attribuer cette identité a été lourd de sens pour ses contemporains et surtout pour les
dirigeants de la religion juive. Pilate lui demande « es-tu le roi des juifs ? ». Il a été
condamné à mort. Cette identité est provocatrice et Jésus recommande le silence à ses
disciples au v.20.
La réponse attribuée à Pierre reprend sans doute un " credo" liturgique de l'Eglise
de Mathieu : " tu es le Christ", annoncé par les prophéties.
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La messianité de Jésus ne doit pas être dite aux hommes et ceux qui la confessent
doivent se préparer à souffrir; ne pouvait être donnée qu'à ceux qui accepteraient de
partager les souffrances de Jésus.
Le véritable Messie; c'est le " Fils de l'homme'', qui est condamné à mort et qui de
ce fait ne peut entrer dans sa gloire que comme Ressuscité trois jours après.
- Fils du Dieu vivant : Dénomination propre à Matthieu. Renforce l’origine divine
de Jésus, qui accompli sa mission de messie. Le Dieu qui l’envoie est vivant dans sa
manière d’intervenir auprès des humains, dans ce qu’il donne la vie.
"Le Fils", lié à Dieu par une relation sans pareille. Le mot "Fils" désigne son
égalité et son unité avec le Père autant que Jésus est le Fils et non pas un simple
synonyme de Messie.
Fils " du Dieu vivant", une formule biblique désigne Jésus comme le représentant
du Dieu qui intervient dans l'histoire pour juger et sauver son peuple par opposition à
l'impuissance des idoles muettes.
Le lien entre le titre de Christ (Messie) et celui de Fils était conforme à la tradition
biblique (Ps 2,7 ; Ps 109).

Enfin, Pierre confesse explicitement la dignité messianique du Maître et sa


divinité. "Christ" et "Fils de Dieu" dans ce contexte sont deux termes de valeurs
équivalentes désignant l'envoyé eschatologique de Dieu pour le salut des hommes.
Et en disant à Pierre " tu es heureux", cela signifie le bonheur des pauvres, ce
bonheur tenait à la présence du Christ, parmi eux, le bonheur de pierre est d'avoir
reconnu et confessé le Christ.

La consigne de silence indique ensuite que le monde environnant ne peut encore


saisir le mystère de l'identité de Jésus et que ce monde est encore rattaché au Messie
politique.

1.2. Etude du titre « Messie »

Le « Messie » signifie « onction d'un homme dans de l'huile d'olive », c'est-à-dire


la personne consacrée par le rituel de l'onction, réalisée par un prophète de Dieu. Un roi,
comme Saül ou David par exemple, peut recevoir l'onction.

1.2.1 Dans la tradition juive, le messie est le roi oint


Selon le judaïsme, le Messie (Mashia'h ‫ )משיח‬est un homme, issu de la lignée du
Roi David, qui amènera le monde à venir, une ère de paix et de bonheur, éternelle et
dont bénéficiera la nation israélite. Ce Messie n'est pas encore venu.
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Cependant, si les temps messianiques sont une croyance généralement partagée,


les avis sur le Messie divergent, et nombreux sont les Juifs, notamment les Juifs
réformés, qui estiment pouvoir s'en passer.
Des prophètes en parlèrent pendant la Captivité de Babylone, faisant référence à
un roi qui restaurerait le royaume et libérerait la terre d'Israël.
La plupart des exigences textuelles concernant le Messie et ses réalisations sont
tirées du Livre d'Isaïe dans lequel pratiquement toutes les références [sauf (Isaïe 11:12)]
renvoient à un messie qui ne concerne pas un peuple spécifique et cela, bien que le
messie soit désigné comme étant un descendant de Jéssé, ancêtre de David.
Mais on trouve des références traitant des temps futurs -sans préciser que ces
changements dépendent de la venue du messie- dans pratiquement tous les livres
bibliques et celles-ci désignent explicitement la maison d'Israël ou les Juifs.
 "Un rameau sortira de la souche de Jessé." (Isaïe 11:1)
 "Sur lui reposera l'esprit du Seigneur:…" (Isaïe 11:2)
 "Il jugera les faibles avec justice…"(Isaïe 11:4)
 Il sera un messager de paix (Isaïe 52:7)
 Les cités en ruine d'Israël seront restaurées (Ezéchiel 16:55)
 Le Temple sera reconstruit. (Ezéchiel 40)…

Dans le Talmud, le Mashia'h est en pratique un homme, né d'une femme, sans


aucun caractère divin ou surhumain. Selon une tradition répandue, un Messie potentiel
se lève à chaque génération, mais il ne peut s'accomplir que si la providence suprême
estime que la génération en est digne.
Pour le judaïsme orthodoxe, la figure que prendra le Mashia'h ben David est
cependant loin de faire l'objet d'un consensus. Il pourrait être :
 un enfant qui grandira pour faire régner la paix (Isaïe 9:5).
 un juge descendant de David (Isaïe 11:1-4).
 un grand guerrier (selon Eikha Rabba, un midrash sur les Lamentations).
 dépendante du peuple d'Israël (Selon Rabbi Yehoshoua ben Levi).
 un mendiant (selon la aggada de Rabbi Yehoshoua ben Levi).
Le Tanakh contient un certain nombre de prophéties concernant un futur
descendant du Roi David qui sera oint comme dirigeant du peuple juif, et désigné de ce
fait sous le nom de Melekh hamashia'h ou simplement mashia'h'.
Les prophéties concernant cette personne se réfèrent à lui comme le descendant
du Roi David, qui reconstruira la nation d'Israël, apportera la paix dans le monde et par
la restauration du Royaume davidique, détruira les méchants et, finalement, jugera le
monde. Les docteurs expliquèrent le retard du Messie, de son apparition par les péchés
du peuple.
Les opinions sur le sujet du messie varient entre le judaïsme traditionnel et le
judaïsme contemporain. Les idées contenues dans la littérature talmudique font état de
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deux messies, le Messie fils de Joseph qui devait succomber dans la lutte contre les
puissances adverses et le Messie fils de David qui devait régner.
Si le judaïsme orthodoxe et le judaïsme "traditionaliste" croient en un Messie
"physique" à venir pour apporter la paix dans le monde, le judaïsme réformé enseigne
qu'il y aura une ère de paix, etc., et donc des temps messianiques, mais pas de messie : la
paix viendra comme résultat du tikkoun olam ("réparation du monde") réalisé par un
effort collectif vers la justice sociale et non les actions d'un seul homme.

1.2.2. Dans le Christianisme, le Messie c'est Jésus le Nazareth


Le Christ ou simplement Christ est le nom donné à Jésus de Nazareth par les
chrétiens, Jésus qui est mort et ressuscité pour le salut des Hommes.
Du fait de l'influence du christianisme dans la culture occidentale Jésus-Christ est
devenu un synonyme de Jésus de Nazareth dans le langage courant. Le nom de "Christ"
se rapporte donc en fonction, comme le non "Jésus" à la personne.
Le christianisme relie ces prophéties du Messie à Jésus-Christ notamment par les
exemples suivants.
Sur sa naissance : Il est prédit qu'il naîtrait à Bethléem (Michée 5 :1), d'une jeune
fille (Isaïe 7,14), qu’il serait appelé "Dieu puissant" et "Père éternel" (Isaïe 9, 5) et serait
issu de la lignée du roi David (livre des Psaumes 89 : 4).
Sur sa résurrection: Elle est aussi annoncée en Isaïe 53 : 10 : "Après avoir livré sa
vie en sacrifice pour le péché, il verra une postérité et prolongera ses jours."
Sur son retour à la fin des temps: Dans l'Apocalypse " Puis je vis le ciel ouvert, et
voici, parut un cheval blanc. Celui qui le montait s'appelle Fidèle et Véritable, et il juge
et combat avec justice, ses yeux étaient comme une flamme de feu ; sur sa tête étaient
plusieurs diadèmes; il avait un nom écrit, que personne ne connaît, si ce n'est lui-même;
et il était revêtu d'un vêtement teint de sang. Son nom est la Parole de Dieu" (Ap 19,11-
13).
Jésus a été oint comme roi, comme prêtre, et comme prophète, mais cette onction
a été toute spirituelle.
1.2.2.1. A l'époque de Jésus –Christ
Les anciennes prophétiques recevaient généralement des docteurs une
interprétation conforme à cette idée : le Messie devait être un roi temporel, un
dominateur terrestre que Dieu susciterait, auquel il prêterait sa puissance et qu'il
revêtirait la sainteté. A la venue de Messie, les puissances adverses doivent s'élever
contre lui.
Mais ils ignoraient de quelle manière il apparaîtrait : on croyait à une apparition
soudaine et que le Messie ferait reconnaître la divinité de sa mission par des miracles
extraordinaires (à la suite de la multiplication des pains au désert, les Galiléens croient
avoir en Jésus le Messie temporel). D'autres réclament un signe dans le ciel. Et on lit
9

dans la Michna : " tu le (Messie) trouveras à la porte de la ville, au milieu des pauvres et
des malades".
Cette conception d'un Messie temporel, puissant, libérateur politique de son
peuple et vainqueur des nations, était établie à Jésus par ses disciples et par plusieurs de
ses contemporains. Au contraire, les pharisiens le rejettent parce qu'il n'est pas assez
Messie, c'est-à-dire chef politique disposé à soulever la nation contre les romains.
Devant Pilate, ses ennemies l'accusent de tendances politiques, très conformes à l'idée
qu'ils se faisaient du messianisme : il est le roi des Juifs, il met tout le peuple du pays en
révolution.
Les apôtres croyaient à une rédemption politique, telle que la comprenaient les
pharisiens; Jésus remet les choses au point en prenant lui-même le titre de Messie et en
expliquant que la souffrance et la mort forment une partie essentielle du programme
messianique, et il leur ouvre l'intelligence au vrai sens des écritures; il se déclare donc
Messie en faisant de ses souffrances non pas un obstacle dont il a triomphé, mais un
moyen qu'il a employé pour justifier son titre.
Au lieu d'un Messie disposé à réaliser les rêves de la foule d'un royaume temporel
et de domination universelle, cette foule ne trouvait plus en face d’elle que des
promesses spirituelles et qu'un aliment surnaturel dont l'idée même paraissait
inconvenable. Bon nombre d'entre lui se refusèrent à être plus longtemps les disciples
d'un Maître si peu conforme à leur attente.

1.2.2.2. Après la résurrection


Il y eut, dans les premiers siècles après la mort de Jésus de Nazareth, de multiples
conceptions et interprétations de son message. De nombreuses discussions ont
notamment porté sur l'articulation entre les natures divines et humaines de l'Homme (en
général) et de Jésus-Christ (en particulier), un "sauveur" qui sera considéré
progressivement comme l'unique accès à Dieu. Dans le Nouveau Testament, les deux
noms (Jésus – Christ) sont assez souvent unis ensemble pour designer le Sauveur.
Les apôtres, dans leurs prédications, ne cessent d'affirmer que Jésus est le Messie.
Dés son premier discours, Saint Pierre explique que les souffrances de Jésus ont été
conformes "au dessein immuable et à la prescience de Dieu", et que Dieu l'a fait
réellement "Seigneur et Messie" (Ac 2,23.36).
En droit, Jésus a été "Seigneur et Christ" dés son incarnation, en fait les apôtres et
un certain nombre de juifs ne l'ont connu comme tel que durant sa vie publique. La foi
de ses derniers est restée faible; à eux comme à ceux qui n'ont pas encore cru, Saint
Pierre présente la résurrection comme le fait qui établit "avec certitude que Dieu a fait
Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié".
Dans son second discours, Saint Pierre dira aux juifs qu'ils ont crucifié" l'auteur de
la vie", et il leur explique qu'il fallait "que le Christ souffrit".

1.2.2.3. Paul de Tarse et christologie de Paul


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Le Christ y est présenté comme « Seigneur » investi de la puissance et du salut


divins. Paul cependant ne discute pas de la nature divine ou humaine de Jésus.
L'essentiel de la profession de foi de Paul (on parle aussi de kérygme) est exprimée dans
la Première épître aux Corinthiens : "Elle repose sur l’affirmation du salut par un
rédempteur divin, le Messie envoyé par Dieu pour racheter les péchés des hommes".
Aux Juifs de Thessalonique, Saint Paul démontre par les Ecritures que le Messie a
dû souffrir et que le Messie, C'est Jésus. Devant Agrippa, il défend la même thèse. Dans
ces épîtres, il associe presque continuellement le non de Christ ou de Messie à celui de
Jésus. Il insiste, dans sa prédication, sur le supplice du Sauveur et se plait à Parler du
Messie crucifié, comme d'un dogme essentiel à l'économie de la religion chrétienne.

2. Conscience de Jésus de lui-même, foi des disciples, et


confession de foi des premiers chrétiens :

2.1. Conscience de Jésus de lui-même

La question de la conscience de Jésus de son identité et de sa mission causa une vraie


problématique et beaucoup de débats théologiques. En fait, la question s’est posée
ainsi : comment Jésus, au cours de sa vie humaine prépascale, a-t-il pris et eu
conscience d’être le Fils de Dieu ? A-t-il su de tout temps qui il était ? En d’autres
termes, comment l’union hypostatique est-elle devenue dans la conscience de Jésus
au cours de son existence terrestre ?

2.1.1. Les différentes thèses à propos de la conscience de Jésus


Sans doute, ce passage de l’évangile de Matthieu marque une conscience claire de la
part de Jésus qu’il est le « Messie », le Fils de Dieu. Mais, pour répondre au
problème de la conscience de Jésus, on peut donner quatre réponses possibles :
 Saint Thomas d’Aquin, dans sa somme théologique, distingue entre trois stades
dans la conscience de Jésus : science acquise (en tant qu’homme), la science
infuse (à la manière des prophètes), et science de vision (contact direct avec le
Père, à travers une science béatifique). Cette théorie n’est pas conforme avec
les données scripturaires.
 Herman Schell refuse l’idée d’une connaissance parfaite pré-pascale chez
Jésus, d’une possession statique des qualités possibles. Or, il dit que la
connaissance de Jésus était progressive, à travers des lueurs de la part du Père,
cette théorie encore est réfutée.
 D’après Karl Rahner, Jésus Christ avait conscience dès le début de sa vie qu’il
est « le Fils ». Cependant, il distingue entre deux visions de la conscience de
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Jésus : Vision linéaire, statique (il savait qu’il est le Fils de Dieu), et la vision
ascendante, progressive.
De même, Rahner parle d’une vision immédiate, en ce qui concerne l’identité
et la mission de Jésus, en effet, on peut parler d’une connaissance parfaite à ce
propos. D’autre part, la connaissance humaine était en progression.
 Le P. Galot parle de l’unique connaissance humaine (mystique) de Jésus, dans
cette connaissance, il y a deux contenus :
o Le contenu commun partagé avec l’homme (connaissance religieuse,
humaine, spirituelle), la limite de cette connaissance constitue une
preuve ou un signe de la réalité de l’Incarnation.
o Le contenu propre à lui en tant que « Fils », concernant son identité et
sa mission, cette connaissance est reçue de Dieu à travers un contact
« mystique », dans lequel l’élément sensible et matériel est dépassé et
pas éliminé.

2.1.2. Les indices bibliques de la conscience de Jésus de Lui même


Bien qu’ils offrent une image de Jésus qui croît « en sagesse, en taille et en grâce » (Lc
2, 52), les textes évangéliques nous offrent des indices clairs que Jésus prépascal se
considérait plus qu’un prophète. Parmi ces indices, on peut relever les suivants :
 Le mot « abba » utilisé par Jésus pour désigner le Père, exprime non seulement
une nouveauté audacieuse au sein de la mentalité juive, mais également une
conscience spontanée et immédiate que Jésus avait d’une relation exceptionnelle
avec Dieu, il exprime ainsi la réalité du rapport qui l’unit au Père. Dans cette
appellation, il y a une affirmation implicite d’identité divine qui n’est pas
détachée de la réalité humaine. C’est en effet l’expression humaine de filiation
divine.
 De même, l’autorité cachée derrière les paroles et les actes de Jésus prépascal
marquent un indice de la connaissance qu’il a de lui-même et de son destin. Cette
autorité lui permet de faire face aux autorités juives de son temps.
 Un dernier indice de cette conscience sont les miracles qu’il a accomplis, elles
marquent sa conscience d’être celui qui, par sa parole et par ses œuvres, rend la
puissance et le salut de Dieu présents aux hommes et brise la domination du
démon. En effet, il ne s’agit pas seulement du dépassement de la loi, mais de la
manifestation d’un pouvoir divin auquel les témoins sont invités à croire. Le
miracle reste pour autant lié à la personne de Jésus, et l’autorité exprimée par le
Je commandant du miracle, sont impensables sur les lèvres des prophètes.

2.2. Le détour dans la foi des disciples


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Notre texte offre non seulement un indice de la conscience qu’avait Jésus de lui
même, mais également il marque un détour dans la foi des disciples, et offre
encore une preuve que ces derniers ne voyaient pas dans Jésus un simple
prophète, bien que leur foi n’a pas atteint sa maturation qu’après la résurrection.
Ce texte exprime à la fois l’insatisfaction des contemporains qui identifient Jésus
à un prophète, et la vraie foi des disciples en lui, Messie et Fils de Dieu, foi dont
Pierre est la porte-parole.
L’interrogation de Jésus concerne le nom qui doit lui être appliqué à lui,
personnellement. Le cadre liturgique juif (jour de l’expiation) montre la
perspective nouvelle de l’accomplissement de l’ancienne liturgie, et le cadre
géographique païen montre l’intention de Jésus de se situer en dehors du cadre
religieux juif : il veut que ces disciples font un recul par rapport à l’expérience
qu’ils ont vécue jusqu’à présent, et provoquer leur réflexion. Une telle intention
est renforcée par l’expression de Fils de l’homme, expression qui attend
certainement un nom qui ait un caractère divin.
Sans doute, la confession de Pierre marque un écart de la pensée de la foule, qui
voyait dans Jésus un prophète. Cela montre que le problème essentiel était celui
de l’identité : on cherchait à identifier Jésus à un personnage connu. En effet, la
question personnalisée de Jésus à ses disciples indique son insatisfaction devant
l’opinion de la foule, et sa demande aux disciples d’aller plus loin : il demande
une profession de foi ! L’usage de « Vous » démontre cette demande (N.B. cette
question marque aussi sa conscience qu’il est plus qu’un prophète, car les
prophètes ne posent pas une question pareille).
La question de Jésus implique en effet une pédagogie qui consiste à demander une
prise de position personnelle. La plupart des déclarations formelles de son identité
dans les évangiles proviennent d’un autre que lui. Cependant, le croyant ne peut
confesser qui est Jésus s’il ne tient cette révélation de celui qui en possède la clef.
Dans ce sens, la question de Jésus aide les disciples à découvrir son identité.
Ainsi, la confession de Pierre constitue un tournant décisif chez les synoptiques.
En fait, l’expérience des disciples avec Jésus diffère tout à fait de celle des gens.
Ces derniers ne voyaient pas en lui qu’un personnage révolutionnaire, un prophète
ressuscité, tandis que Jésus est absolument différent de cette image. C’est
pourquoi il a fallu une période de vie commune avec les disciples avant de poser
cette question. Durant cette période, on peut dire que Jésus a fourni à ces disciples
des indications, par des paroles et des actes, pour susciter une réponse valable, qui
soit un engagement dans le mystère. Or, la réponse de Pierre rejoint l’intention de
Jésus et énonce son nom divin. Ce qui confirme cette proclamation c’est : tout
d’abord le silence demandé par Jésus, qui prouve que la déclaration du nom divin
de Jésus est une déclaration qui ne se comprend bien qu’après Pâques, une fois
que son mystère est définitivement éclairé. De même, la réponse de Jésus à
Simon, prouve qu’il s’agit d’une révélation unique du mystère divin où le Père
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s’exprime dans son fils. Il y a un niveau divin dans cette profession de foi, car
Pierre montre par cela qu’il s’est ouvert à la pensée du Père. Pierre dit dans cela
au nom des disciples à la fois ce qu’il a vu de Jésus en vivant avec lui et ce que
Jésus est pour lui, il exprime l’être et l’agir. Il exprime le role de Jésus en tant que
sauveur, en tant qu’accomplissant de l’œuvre de Dieu, et il confesse en lui la
présence de Dieu, l’expression parfaite de son Dieu, la représentation en chair et
en os de tout ce qui constitue sa foi et son espérance. Enfin, la réponse de Pierre
porte le principe doctrinal qui demeure essentiel à la nouvelle religion fondée par
Jésus, donc, cette profession est destinée a rester celle de l’Eglise.

2.3. La confession de foi des premiers chrétiens


Ainsi, la confession de Pierre constitue le prototype de la foi chrétienne, elle
implique une profession de foi chrétienne qui ne se comprend qu’après Pâques,
une fois que le mystère de la personne de Jésus s’est définitivement éclairé.
L’ajout ultérieur du terme « Fils de Dieu vivant » montre cela. D’ailleurs, la
parole de Jésus, en reprenant la terminologie des apocalypses, en fait une
révélation qui vient directement de Dieu. Il en va de ce point comme pour la
révélation de Jésus Christ reçue par Paul lors de sa conversion (cf. Gal 1). En
outre, l’usage du mot « ecclésia » pour désigner la communauté dont la foi vient
d’être proclamée, suppose ainsi une perspective postpascale. Le choix des
disciples montre une intention chez Jésus de leur donner une structure qui suppose
un accomplissement futur. Or, c’est autour du Christ ressuscité que ce groupe de
disciples se transforme en reprenant le titre des assemblées cultuelles d’Israël,
pour devenir l’Eglise construite par « le Christ, le Fils Du Dieu vivant ». Cette
confession demeure la base irremplaçable de la doctrine de l’Eglise.
Cependant, l’usage de ce titre (Messie) devait susciter, à la fois, de l’enthousiasme
et de sérieuses réticences. Malgré les difficultés que ce titre devait poser, sans
doute est-ce lui qui ramassait le mieux l’image d’un prophète plus ou moins
messianisé, celle d’un crucifié pour cause de messianisme et celle d’une gloire
royale attachée à l’évènement pascal.
Ce titre est utilisé par Paul, mais avec des importantes nuances :
Tout d’abord, ce nom devient chez lui un nom propre, celui de Jésus Christ, en
perdant ainsi sa nocivité messianique. Le titre est rarement employé, avec une
connotation fonctionnelle prononcée. À travers ce titre, Paul désigne le Christ en
tant que Messie d’Israël et le libérateur, mais cette fois avec une pointe d’ironie,
car c’est de la loi qu’il nous libère. De même, l’usage de ce mot, repris isolément,
est souvent attaché au motif de la mort et résurrection de Jésus. Un tel lien est
extravagant au regard d’un juif de ce temps, même si le motif de la mort du
messie pouvait plus ou moins être connu à l’époque.
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3. Messianisme chrétien face aux messianismes sociopolitiques


contemporains :

3.1. Théologie de l’espérance


Dans une perspective eschatologique, cette théologie a commencée à être
élaborée vers la fin du XIXe siècle. Cette théologie soutient l’idée d’un « Jésus
eschatologique » qui annonçait un royaume à venir. Donc, le Jésus historique est
certainement eschatologique, pas éthique ou persuasif. Les prôneurs de cette
théologie essayent de rendre au message chrétien sa dimension eschatologique, en
insistant sur la transformation de chaque instant en un moment eschatologique. La
dimension eschatologique de cette théologie s’étend certainement sur la
christologie : toute la révélation vétérotestamentaire est une révélation des
promesses. Or, l’évangile n’est pas l’accomplissement des promesses, mais il les
confirme, et il est lui-même la promesse ouverte sur l’avenir du Christ. Même la
résurrection du Christ est elle-même promesse universalisée et radicalisée dans
une perspective eschatologique. Cette résurrection est l’anticipation de l’avenir de
Dieu, mais elle est rattachée inséparablement à la croix. Donc, la christologie
eschatologique est théologie de la croix. Cette christologie du Dieu crucifié donne
profondeur et radicalité à l’espérance, en introduisant dans le mouvement
messianique l’histoire de la passion humaine. Or, en se basant sur cette théologie
de la croix, Moltmann s’efforce de penser la croix de telle manière que l’histoire
de la souffrance humaine puisse être pensée en Dieu. En effet, cette christologie
part d’une théologie « pathétique ».
La théologie de l’espérance adopte comme stratégie « l’épreuve espérance » qui
est la tache la plus urgente de la communauté chrétienne comme « communauté
messianique » et avant-garde du monde libéré. En effet, l’ecclésiologie doit être
développée à partir de la christologie comme sa conséquence et comme lui
correspondant. L’Eglise du Christ est l’Eglise du royaume, et vit dans son horizon,
elle est le Peuple messianique pour le royaume qui vient, elle est la communauté
messianique qui est au service du royaume de Dieu dans le monde.
Moltmann institue une confrontation passionnée avec le judaïsme sur le thème de
la messianité de Jésus. La solution du judaïsme réside dans un messianisme sans
christologie, tandis que celle du christianisme défend une christologie
messianique. C’est pourquoi la christologie ne peut être la fin de l’eschatologie
messianique. Un tel enthousiasme de l’accomplissement a toujours fini par déifier
Jésus et a cherché à évacuer l’inquiétude juive. La christologie doit plutôt
conduire à l’horizon ouvert de l’espérance eschatologique, elle n’est autre que
« messiologie ».
Cette théologie répond à la question posée par Jésus aux disciples (Mt 16 :15) par
une autre question : « es-tu celui qui doit venir ? ». Elle ne pose pas les questions
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qui conduisent à l’élaboration d’une christologie déductive, qui, partant de l’idée


de Dieu, voit en Jésus l’incarnation de Dieu (es-tu vrai Dieu ?), ou, partant de
l’idée d’humanité idéale, voit en Jésus l’apparition du vrai homme (es-tu vrai
homme ?). Partant de cet aspect, elle évoque la question de la messianité de Jésus,
en tant que question qui correspond à la théologie chrétienne comme théologie
messianique, en se basant sur la Bible en tant qu’histoire des promesses, de
l’espérance, et de la libération.

3.2. Théologie politique :


Cette théologie constitue l’élargissement de la théologie de l’espérance, en la
donnant des implications pratiques. Elle naquit non seulement face au marxisme,
mais également face à la tendance de la théologie à la privatisation. Cette
tendance risque de transformer le message chrétien en une affaire privée, et de
réduire la pratique de la foi à une décision que l’individu prenait en quelque sorte
hors du monde. De même, cette théologie appelle à développer les implications
publiques et sociales du message chrétien. Le Christ a « proclamé » le salut, ce
qui l’amena à un conflit sanglant avec les pouvoirs publics de son temps, et, par
conséquent, à la croix. Le scandale de ce salut, comme sa promesse, sont publics.
En effet, la théologie eschatologique se transforme en une théologie politique, une
théologie critique de la société, car l’espérance chrétienne est espérance créative.

3.3. Christologie de la sequela (théologie de la libération)


La théologie de la libération, qui est bien plus un mouvement qu’une école de
théologie, traite du lien étroit qui existe entre la foi chrétienne et le salut d’un
côté, et la promotion des droits de l’homme, de la justice sociale de l’autre. Elle
est née dans les années 1960 en Amérique latine et reflète une conscience aiguë de
la misère des masses populaires opprimées économiquement, politiquement et
socialement par une minorité liée aux puissances du Nord et la conviction que
Dieu est du côté des pauvres et désire les libérer des injustices dont ils sont
victimes. On comprend bien pourquoi les termes de « théologie de la libération »
et « Option préférentielle pour les pauvres » sont presque inséparables.
C’est dans des petites « communautés chrétiennes de base » que les pauvres,
nourris d’une lecture de la Bible qui met en évidence le Christ libérateur,
s’éveillent à la responsabilité qui est la leur de participer aux luttes contre les
injustices. L’analyse qui a été faite de ces injustices, et de la lutte qu’il fallait
mener pour les éliminer, s’est inspirée longtemps de la grille de lecture marxiste,
ce qui n’a pas manqué de créer quelques ambiguïtés aussi bien au niveau de la
théorie que de la pratique. D’où plusieurs interventions de Rome pour demander
une clarification.
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Le fait que la théologie de la libération parte de l’expérience des pauvres et des


opprimés, centre l’attention sur le côté prophétique de la vie de Jésus et sur sa
lutte pour la justice et contre la misère. Il s’agit d’une christologie dite « d’en bas
» – c’est-à-dire une christologie qui part de l’humanité du Christ plutôt que du
Verbe de Dieu qui se fait homme. Cet accent est parfois source de quelques
difficultés, même si cette forme de théologie a toujours existé dans l’Eglise et ne
nie nullement la nature divine de Jésus-Christ. Le Christ dans cette perspective est
vu en tant que libérateur de la conscience opprimée par le péché, de la triste
condition de l’homme dans ses relations avec le monde, avec autrui, et avec Dieu.
Jésus est vu en tant que libérateur du péché, mais pas d’un péché privé, mais d’un
péché structurel, communautaire, qui touche l’ensemble des relations sociales et
politiques. Dans sa prédication, Jésus annonce le royaume de Dieu comme un
nouvel ordre des choses, comme l’utopie de la libération absolue. Donc, les actes
de Jésus, c'est-à-dire sa praxis, sont à comprendre comme une historisation du
royaume de Dieu, comme la mise en route d’un processus de libération. Sa mort
est comprise comme une ré-action à son action libératrice, et sa résurrection
comme irruption anticipée de la libération définitive. En effet, la sequela devient
la forme qui donne une concrétisation historique à la libération de Dieu : « suivre
Jésus c’est continuer son œuvre, poursuivre sa cause et atteindre sa plénitude. »
Cette sequela devient l’exigence morale fondamentale, le paradigme général de
l’existence chrétienne. Cette conception n’est pas cependant christologique, mais
messianique. La sequela est tournée vers Jésus, qui prêche le royaume et le rend
présent : c’est la sequela de Jésus au sens de « faire le royaume ». Sobrino oppose
la christologie de la libération à la christologie européenne, car pour lui, cette
dernière a traité la vérité de Jésus rationnellement, tandis que la première est
intéressée à démontrer la vérité du Christ à partir de sa capacité à transformer un
monde de péché en royaume de Dieu. Enfin, cette théologie défend l’image du
Christ libérateur face à celle du Christ monarque céleste de la piété dogmatique
officielle, ou du Christ vaincu et souffrant de la piété populaire.
Cette théologie reflète la primauté de l’élément anthropologique sur
l’ecclésiologique, de l’élément utopique sur le factuel, de l’élément critique sur le
dogmatique, du social sur le personnel.
Le salut eschatologique passe par des libérations historiques, le salut et la
libération se réalisent sans division et sans séparation, sans confusion ni mutation
(modèle de Chalcédoine). Cette christologie de la libération est en premier lieu
ecclésiologique, car elle est contextualisée par l’expérience de l’Église des
pauvres, sans oublier que la rencontre de Jésus avec les pauvres était une pratique
de libération. De même, elle est une christologie historique, c'est-à-dire, comme
on a déjà vu, une christologie de bas en haut, encore, une christologie trinitaire.
Plus récemment, précisément puisqu’elle naît de l’expérience des opprimés, la
théologie de la libération a commencé à exercer une influence en dehors de
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l’Amérique latine. En effet, là où l’homme est exclu, manipulé… là où il a besoin


d’être libéré, cette théologie joue un rôle de plus et plus important dans la pensée
des communautés chrétiennes. Ainsi nous pouvons constater qu’elle existe en Inde
où l’Eglise lutte contre de l’exclusion des « dalits ». Elle existe aussi en Afrique.
Certaines formes de la théologie féministe s’en inspirent également.

3.4. Christologie féministe :


Aujourd’hui, la question christologique : "Qui dites-vous que je suis ?" reçoit
aussi une réponse des femmes asiatiques et cette réponse a un accent particulier,
provenant de leurs expériences de souffrance et d’oppression.
Pour répondre à la question : "Qui est Jésus pour les femmes asiatiques?", il faut
tout d’abord être conscients de la situation des femmes dans le tiers monde, et en
particulier dans l’Asie : pauvreté, dévalorisation, participation politique faible,
chômage, violence, discrimination, oppression sociopolitique, préjugés
patriarcaux… Tout cela peut expliquer la naissance de la figure du Christ
libérateur, soutenue par les femmes asiatiques. Beaucoup d’Asiatiques
s’identifient au Christ souffrant, brisé dans la lutte contre l’injustice. D’autre part,
la caractéristique de Jésus qui peut transformer la société asiatique est sa fonction
de prophète. La proclamation du Règne de Dieu par Jésus (Mc 1,14-15 était
diamétralement opposée à tous les types d’oppression. La vision du Règne de
Dieu est celle d’une communauté où chacun a du prix et où tous sont reliés les uns
aux autres dans un respect mutuel. Donc, Jésus proclame un royaume d’égalité, de
justice et d’amour, en paroles et en actes. Une christologie asiatique féministe
jaillit alors d’un processus d’identification avec les femmes opprimées de ce
continent. Même si beaucoup de ces femmes ne sont pas chrétiennes, Jésus est
pour elles celui qui prend leur parti, qui vient les guérir de leur situation brisée. Ce
Jésus révèle un Dieu qui ne justifie pas l’injustice mais s’y oppose. Les féministes
asiatiques essaient de vivre cette christologie en se joignant aux femmes de
différentes religions dans une lutte commune pour la vie. Pour elles, Jésus n’est
pas le sauveur mais un sauveur, quelqu’un qui, parmi d’autres, montre la voie
d’un avenir nouveau au-delà de la pauvreté et de la violence. Conscientes du
contexte multi-religieux de l’Asie, les féministes asiatiques n’universalisent pas
Jésus comme le seul sauveur. Les femmes asiatiques voient la masculinité de
Jésus comme une particularité historique et non comme indicatrice de la
masculinité de Dieu, exclusive du féminin. Elles rejoignent ici le théologien Karl
Rahner, qui affirme que la masculinité de Jésus était le posé historique nécessaire
pour un possible accomplissement de sa mission, mais elle n’assume pas une
valeur salvifique particulière. Jésus est en effet l’auto-expression de Dieu non en
tant que mâle, mais en tant qu’homme. Elles croient que le Christ ressuscité a
transcendé toutes ces particularités, y compris sa masculinité. Elles considèrent
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que leur tâche est d’affirmer l’humanité de Jésus plutôt que sa masculinité. Jésus a
traité les femmes avec bienveillance, comme des personnes humaines dignes de
respect. Il les a appelées à être ses disciples. Les souffrances et la mort de Jésus
ont également un sens très fort pour les femmes asiatiques. Elles considèrent la
crucifixion de Jésus comme un immense cri contre le patriarcat. La croix nous
montre la kénose du patriarcat.

D’après ces différentes approches, Jésus est vu, même par les non-chrétiens, comme le
prophète prédicateur luttant pour la justice des pauvres et des opprimés et mourant à
cause de sa lutte. Cette vision prend comme repère l’intérêt presque exclusif au caractère
prophétique de la personne de Jésus, et au sens social et politique de son message, à la
nature subversive de sa lutte pour la justice, à son option préférentielle pour les pauvres
et à la libération sociopolitique qu’il apporte au opprimés et aux sans-défense, contre les
détenteurs du pouvoir religieux et politique. Ce messianisme est habité par le cri de la
révolte biblique contre l’oppression, par une conception qui identifie le Dieu biblique
avec les pauvres. Ce messianisme est capable, pour beaucoup d’hommes, d’être un
principe de critique et de réforme des sociétés.
Cependant, cette lecture d’un messianisme sociopolitique, d’un messianisme
prophétique s’avère limitée et insuffisante, de même, elle comporte une fausse
interprétation du message même de Jésus, qui ne peut pas être réduit à cet aspect.
L’annonce de la bonne nouvelle du royaume par Jésus, et son appel à la conversion
constituent le centre de l’Évangile. Il a annoncé cette bonne nouvelle aux pauvres,
reprenant ainsi la parole prophétique d’Isaïe, manifestant ainsi son action messianique
en faveur de ceux qui attendent le salut de Dieu. Par conséquent, il manifeste la
proximité de Dieu envers les « humbles » (malades, pauvres, souffrants, pécheurs,
méprisés, marginés…), plus, il s’identifie lui même à eux, étant pauvre par amour.
Cependant, cette identification ne nous permet pas d’interpréter son message
uniquement dans une orientation sociopolitique, sinon, on risque de faire une relecture
unilatérale de l’évènement-Jésus. Les Évangiles prouvent un refus d’aucun engagement
sociopolitique de sa part, son opposition aux autorités et ses controverses avec eux
n’étaient pas systématiques, sans aucun objectif politique. De même, aucune
identification du royaume céleste avec un royaume terrestre n’était faite par lui (Jn 18,
36). Le caractère de son message était non politique et réconciliateur, en appelant
non à une libération dans le sens sociopolitique, mais d’une qui est plus profonde,
celle du mal du péché, et du pouvoir de la mort, en d’autres termes, il s’agit d’une
libération spirituelle. Il ne s’est jamais appelé « libérateur », mais il s’est attribué une
mission libératrice : il est le Messie sauveur, et le Fils qui révèle et actualise l’amour
infiniment miséricordieux de Dieu. Donc, la raison de l’action préférentielle envers les
pauvres et les humbles, ne se trouve pas en eux, mais en Dieu lui même. Le Règne de
Dieu est un don de lui, non pas une réalité que l’homme peut mériter ou obtenir par ses
propres forces. Ce règne a un caractère surnaturel et spirituel, un caractère réconciliateur
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universel, il ne s’agit pas d’un désir de réformisme social, mais d’une volonté de faire
régner l’amour dans les cœurs des hommes. En effet, sa praxis sociale n’a d’autre
inspiration et d’autre finalité que l’amour, qui exige le pardon et l’absence de la haine.
En fait, l’objectif de Jésus n’était pas la lutte contre les oppresseurs en faveur des
opprimés, mais la réconciliation des hommes avec Dieu, en les appelant tous à la
conversion, l’épisode de Zacchée montre cela (Lc 19, 1-11). À travers cette libération,
Jésus a voulu édifier une société fraternelle, il veut jeter les fondements de l’amour qui
doit régner dans la communauté chrétienne. Jésus n’a pas apporté à l’humanité ni une
révolution politique ni un nouveau régime de justice sociale, mais la libération qu’il
accomplit est destinée à produire des conséquences sur tout le comportement humain :
elle établit de nouvelles relations humaines qui doivent transformer les coutumes
politiques et l’état social.
D’après la doctrine sociale de l’Église, Jésus a refusé le pouvoir oppresseur et
despotique des chefs sur les nations, mais il ne conteste jamais directement les autorités
de son temps. Il condamna explicitement toute tentative de divinisation et
d’absolutisation du pouvoir temporel. Jésus, le Messie promis, a combattu et a vaincu la
tentation d’un messianisme politique, caractérisé par la domination sur les nations. Il est
le Fils de l’homme qui est venu pour servir et donner sa vie. Il vient instaurer le règne de
Dieu, afin de rendre possible une nouvelle vie en commun dans la justice, la fraternité, la
solidarité, et le partage. Le règne inauguré par Lui perfectionne la bonté originelle de la
création et de l’activité humaine, compromise par le péché. Libéré du mal et réintroduit
dans la communion avec Dieu, tout homme peut poursuivre l’œuvre de Jésus, avec
l’aide de son esprit : rendre justice aux pauvres, affranchir les opprimés, consoler les
affligés, rechercher activement un nouvel ordre social qui offre des solutions appropriées
à la pauvreté matérielle et puisse endiguer plus efficacement les forces qui entravent les
tentatives des plus faibles à sortir d’une condition de misère et d’esclavage. Quand cela
se produit, le Règne de Dieu est déjà présent sur cette terre, bien que ne lui appartenant
pas. En lui, les promesses des prophètes trouveront finalement leur accomplissement. La
foi en jésus Christ permet en effet une compréhension correcte du développement social,
dans le contexte d’un humanisme intégral et solidaire, elle constitue un guide dans le
travail de collaboration.

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